“La Fête de la Gravure existe depuis plus de trente ans à Liège. Si, à ses débuts, elle fut limitée aux musées, aujourd’hui, à l’occasion de la Triennale internationale de Gravure contemporaine qui se tient à La Boverie du 29 novembre 2024 au 16 mars 2025, ce sont plus de 25 lieux qui s’inscrivent dans cette dynamique : musées, galeries d’art, écoles et associations y participent en proposant des expositions, des ateliers, des conférences, des stages, au centre de Liège mais aussi, plus largement, dans la province. De quoi témoigner de la vitalité de cette technique en constante évolution qui connaît un renouveau formidable. L’occasion de découvrir des dizaines d’artistes émergents, d’autres confirmés depuis longtemps dans la maîtrise de cet art, l’occasion d’en appréhender la diversité des techniques, des rendus, des univers esthétiques et même l’occasion de s’y essayer !”
Mehmet AYDOGDU
Echevin de la Culture
de la Ville de Liège
“POINT DE VUE”
Autour de la Triennale de gravure contemporaine de Liège et dans le cadre de la Fête de la gravure 2025
Appuyée à la fenêtre, elle imagine le paysage comme une espèce d’espace, comme un pays sage, elle détaille le panorama jusqu’à l’horizon, à la perspective d’un pays grave. C’est un point de vue.
Artistes : M. Barzin, M.-F. Bonmariage, R. Comblain, R. Compère, L. De Zotti, P. Delaite, A. Delalleau, M. Dequenne, Y. Donné, B. El Alami, M. Gonzalez Nacher, F. Guérens, A. Humblet, T. Istasse, M. Pace, A. Radermacher, B. Schoos, C. Thyssen, J.-M. Uyttersprot, S. Vangor, T. Wesel, R. Meng Wu.
[ARTIPS.FR, 15 novembre 2024] Qu’est-ce qui se cache là-dessous ? Belgique. En 2019, l’archéologue Marleen Martens est appelée sur un nouveau dossier. Un particulier français vient de déclarer une découverte sur son terrain belge : en creusant, il serait tombé sur de vieilles pièces. Selon la loi du pays, il devrait en être le propriétaire, Marleen n’a qu’à faire quelques vérifications. Mais une fois sur place, l’archéologue trouve la situation plutôt louche.
En effet, on lui présente deux seaux remplis de… 14 154 pièces romaines. Parmi elles, se trouvent des “Antoniniens”, du nom d’un empereur du 3e siècle. À cette époque troublée, les Romains enterraient leurs trésors pour éviter les vols. Mais Marleen est sceptique devant leur nombre considérable. Y aurait-il anguille sous roche ?
Commence alors une enquête de longue haleine entre autorités belges et douanes françaises. Très vite, le couperet tombe : ces pièces proviennent en fait de plusieurs régions de France. Si le pilleur, adepte du détecteur de métaux, a menti, c’est que la loi française considère que ces vestiges archéologiques appartiennent à tout le monde : personne ne peut se les approprier ! Le pilleur espérait profiter de la loi belge pour “blanchir” ses découvertes illégales.
Et ce n’est pas tout… Les enquêteurs découvrent chez lui plus de 13 000 objets précieux : bracelets de la préhistoire, fibules (épingles de métal) romaines, boucles de ceinture médiévales ou encore monnaies gauloises. On retrouve même un rare dodécaèdre romain, un mystérieux objet à 12 faces, dont on ignore l’usage.
Mais ces trouvailles sont loin d’être une bonne nouvelle pour les archéologues. Les œuvres ont été arrachées à leur contexte initial : il est désormais impossible de connaître leur passé et de fouiller de manière scientifique le lieu de leur découverte. De précieuses informations sur notre histoire commune ont ainsi disparu. Le pillage archéologique, s’il enrichit quelques-uns illégalement, appauvrit donc nos connaissances. Voilà pourquoi il est important d’avoir des experts vigilants comme Marleen Martens ! Comme le souligne l’Institut national [français] de recherches archéologiques préventives (INRAP) : “Le pillage revient à déchirer des pages de notre histoire.“
[CHRONIQUESARCHEO.COM, 20 February 2024] Le dodécaèdre romain représente l’un des mystères les plus fascinants de l’antiquité. Ces objets, dispersés à travers les anciennes terres de l’Empire romain, continuent de susciter l’étonnement et la curiosité parmi les historiens, les archéologues et les passionnés d’histoire. Malgré de nombreuses recherches et théories, la fonction exacte et l’origine de ces artefacts en bronze ou en pierre demeurent un sujet de débat. Avec leurs douze faces pentagonales percées de trous de dimensions variées, les dodécaèdres romains sont un témoignage intrigant de l’ingéniosité et des mystères de la civilisation romaine. Cet article vise à explorer les différentes facettes de ces objets insolites, de leur découverte à leurs hypothétiques fonctions, tout en mettant en lumière leur importance culturelle et archéologique. En nous plongeant dans l’univers des dodécaèdres romains, nous espérons non seulement en apprendre davantage sur ces objets mystérieux mais aussi sur les peuples qui les ont créés et utilisés.
Découverte et Description
Les dodécaèdres romains ont été découverts pour la première fois dans les régions autrefois occupées par l’Empire romain, s’étendant de l’Angleterre à la Hongrie et du nord de l’Italie à la Syrie. Ces artefacts datent généralement du IIe au IVe siècle après J.-C., une période où l’Empire romain était à son apogée. Leur répartition géographique vaste et parfois disparate soulève des questions sur leur utilisation et leur signification au sein de la société romaine.
Physiquement, le dodécaèdre romain est un objet en trois dimensions composé de douze faces pentagonales. Chacune de ces faces est percée d’un trou rond ou carré de diamètre variable, allant de quelques millimètres à plusieurs centimètres. Les dodécaèdres sont généralement fabriqués en bronze, bien que quelques exemples en pierre aient également été trouvés. Leurs tailles varient, mais la plupart mesurent entre 4 et 11 centimètres de diamètre. De petites boules sont souvent présentes aux sommets, ajoutant à leur aspect énigmatique.
Ces objets, malgré leur apparence uniforme, présentent des variations subtiles qui suggèrent une fabrication méticuleuse et possiblement des fonctions spécifiques. Les archéologues ont recensé plus d’une centaine de ces dodécaèdres, mais aucun contexte archéologique précis n’a permis de déterminer leur usage avec certitude. Leur découverte dans des lieux variés, tels que des sites résidentiels, des tombes ou près de voies romaines, ajoute à la complexité de leur étude.
La précision de leur conception et la diversité des lieux de découverte posent un défi captivant pour les chercheurs. Chaque dodécaèdre romain découvert apporte de nouvelles données mais aussi de nouvelles énigmes sur la vie et les croyances des Romains. Cette section a pour but de dresser un portrait détaillé de ces objets, en se basant sur les découvertes archéologiques actuelles, pour poser les fondations nécessaires à la compréhension de leur potentiel mystère.
Théories sur l’utilisation des dodécaèdres romains
La fonction exacte des dodécaèdres romains reste un sujet de débat parmi les chercheurs, plusieurs théories ayant été proposées pour expliquer leur utilité et leur signification au sein de la société romaine. Ces hypothèses varient grandement, reflétant la complexité et l’énigmatique nature de ces objets.
Une des théories les plus populaires suggère que les dodécaèdres pourraient avoir été utilisés comme des instruments de mesure astronomique ou géométrique. Les trous de tailles variées, alignés de manière précise, pourraient permettre de mesurer les angles des étoiles ou du soleil à différents moments de l’année, servant ainsi de calendrier ou d’outil pour déterminer les saisons agricoles. Cette hypothèse est appuyée par la précision géométrique de leur conception, mais manque de preuves concrètes pour étayer son argumentation.
Une autre théorie avance que ces artefacts avaient une fonction religieuse ou spirituelle. Certains pensent que les dodécaèdres auraient pu être utilisés dans le cadre de pratiques religieuses, peut-être en relation avec un culte de la nature ou des divinités spécifiques. Cette idée est renforcée par la découverte de dodécaèdres dans des tombes ou des lieux considérés comme sacrés, bien que cette utilisation reste spéculative.
Il a également été suggéré que les dodécaèdres pouvaient être des objets du quotidien, utilisés comme des dés à jouer, des poids pour des filets de pêche ou même des bougeoirs. Cependant, la sophistication et l’apparente uniformité de leur conception semblent contredire l’idée d’une utilisation purement utilitaire ou ludique.
Enfin, certains chercheurs ont proposé que les dodécaèdres étaient des objets d’enseignement ou de démonstration mathématique, utilisés pour éduquer ou montrer les principes géométriques. Bien que séduisante, cette théorie, comme les autres, manque de preuves directes liant les dodécaèdres à des pratiques éducatives spécifiques de l’époque.
Bien que diverses théories aient été avancées pour expliquer l’utilisation des dodécaèdres romains, aucune n’a pu être définitivement prouvée. Le mystère de leur véritable fonction continue de fasciner et de défier les chercheurs, symbolisant la richesse et la complexité de l’histoire romaine.
Importance culturelle et archéologique
L’étude des dodécaèdres romains dépasse la simple curiosité pour leur fonction mystérieuse ; elle offre une fenêtre précieuse sur la civilisation romaine, révélant des aspects de leur quotidien, de leurs croyances et de leur savoir-faire technique. Ces artefacts, par leur présence à travers l’Europe, témoignent de l’étendue et de l’influence de l’Empire romain, ainsi que de la diversité des cultures qu’il englobait.
Sur le plan culturel, les dodécaèdres peuvent être perçus comme le reflet de la complexité et de la sophistication de la société romaine. Leur conception précise et leur diffusion dans différentes provinces de l’Empire suggèrent une importance qui dépasse la simple utilité. Que ce soit comme objets de mesure, instruments religieux, ou symboles éducatifs, ils illustrent la capacité de cette civilisation à créer des objets chargés de signification et d’esthétisme.
Archéologiquement, chaque découverte de dodécaèdre apporte son lot de connaissances sur les sites romains et leur contexte. Leur analyse contribue à mieux comprendre les échanges commerciaux, les interactions culturelles et les mouvements de populations au sein de l’Empire. Par exemple, la répartition géographique des dodécaèdres pourrait indiquer des voies commerciales ou des centres de production spécifiques, offrant des indices sur l’organisation économique et sociale de l’époque.
En outre, les dodécaèdres romains soulignent l’importance de l’archéologie pour déchiffrer le passé. Ils rappellent que de nombreux aspects de civilisations anciennes restent à découvrir et à comprendre. Leur mystère incite à une démarche scientifique rigoureuse, mêlant l’analyse matérielle à l’étude historique, pour tenter de percer les secrets de l’histoire humaine.
Bien au-delà de leur fonction originelle encore inconnue, les dodécaèdres romains sont un symbole de l’ingéniosité et de la diversité culturelle de l’Antiquité. Ils représentent un défi constant pour la recherche historique et archéologique, offrant des pistes de réflexion sur les connaissances, les croyances et les pratiques des peuples de l’Empire romain.
Le Dodécaèdre Romain dans la Culture Populaire
Le mystère entourant le dodécaèdre romain a transcendé les cercles académiques pour captiver l’imagination du grand public. Cette fascination se reflète dans diverses expressions de la culture populaire, où le dodécaèdre est parfois présenté comme un artefact ancien doté de pouvoirs mystérieux ou comme un symbole de connaissances perdues.
Dans la littérature, les dodécaèdres romains ont inspiré des auteurs de science-fiction et de fantasy, qui les ont intégrés dans leurs récits comme des éléments clés de l’intrigue, souvent associés à des civilisations anciennes avancées ou à des technologies oubliées. Ces œuvres contribuent à perpétuer le mystère et l’émerveillement autour de ces objets, en les plaçant au cœur de mystères à résoudre ou de quêtes héroïques.
Au cinéma et à la télévision, le dodécaèdre a également fait des apparitions, servant de catalyseur pour des aventures archéologiques ou comme objet mystique doté de pouvoirs inexpliqués. Ces représentations, bien qu’éloignées des théories scientifiques, témoignent de l’attrait universel des dodécaèdres et de leur potentiel à inspirer des histoires captivantes.
Sur internet, les forums et les blogs dédiés à l’histoire et à l’archéologie regorgent de discussions et de spéculations sur les dodécaèdres romains. Des passionnés du monde entier partagent leurs théories, leurs découvertes et leurs créations artistiques inspirées par ces artefacts, contribuant à un corpus grandissant de réflexions et d’interprétations qui enrichit le débat autour de leur signification.
Enfin, les dodécaèdres romains sont également présents dans le domaine de l’éducation et de la vulgarisation scientifique, où ils sont utilisés pour éveiller la curiosité des étudiants et du public sur l’histoire et l’archéologie. Par le biais d’expositions, de conférences et de publications, ces objets mystérieux servent de point de départ pour explorer la complexité de l’histoire humaine et l’importance de la recherche scientifique.
Dali a placé La Cène dans un dodécaèdre régulier, symbole de l’Univers pour Platon. Le dodécaèdre possède 12 faces et il y a 12 apôtres…
À travers ces multiples représentations, le dodécaèdre romain continue de fasciner et d’inspirer, témoignant de la capacité des mystères du passé à éveiller l’imagination et à encourager la découverte. Leur présence dans la culture populaire est un vibrant rappel de l’intérêt indéfectible de l’humanité pour son héritage et les énigmes de l’histoire.
Découvertes Récentes de Dodécaèdre Romain
Les recherches et les fouilles archéologiques continuent de mettre au jour de nouveaux exemplaires de dodécaèdres romains, enrichissant notre compréhension de ces objets mystérieux et de leur distribution à travers l’ancien Empire romain. Chaque nouvelle découverte apporte son lot de données, offrant de précieuses informations sur les matériaux utilisés, les techniques de fabrication et les contextes de leur utilisation.
Récemment, un dodécaèdre en parfait état a été trouvé dans le nord de la France, dans une région riche en vestiges de l’époque romaine. Cette découverte a été particulièrement remarquable en raison de la préservation exceptionnelle de l’objet et de la possibilité d’y détecter des traces d’usure, suggérant son utilisation réelle dans la vie quotidienne romaine. L’analyse des matériaux a révélé des alliages spécifiques qui pourraient indiquer une production locale ou régionale, offrant des indices sur les réseaux économiques de l’époque.
Une autre découverte notable s’est produite en Suisse, où un dodécaèdre a été extrait d’un site archéologique associé à un ancien camp militaire romain. Cette trouvaille a suscité un intérêt particulier pour les chercheurs qui étudient l’expansion militaire romaine et son impact sur la diffusion des objets culturels et technologiques. L’emplacement du dodécaèdre dans un contexte militaire pourrait éventuellement éclairer son utilisation potentielle dans des pratiques ou des rituels spécifiques au sein de l’armée romaine.
En Espagne, la découverte d’un petit groupe de dodécaèdres dans une même zone résidentielle antique a lancé des débats sur leur possible fonction sociale ou communautaire. Cette concentration inhabituelle soulève la question de savoir si ces objets pouvaient servir de marqueurs sociaux ou avaient une signification collective pour les habitants de la région.
Ces découvertes récentes, parmi d’autres, continuent d’alimenter la curiosité et le débat scientifique autour des dodécaèdres romains. Elles montrent que, malgré des siècles de recherche, les secrets de l’antiquité romaine ne sont pas entièrement dévoilés, offrant de nouvelles perspectives et défis pour les chercheurs et historiens modernes.
Les dodécaèdres romains demeurent l’un des mystères les plus captivants de l’archéologie antique. Malgré des siècles de découverte et d’étude, la fonction et la signification de ces objets énigmatiques continuent d’échapper à notre compréhension complète. Les différentes théories proposées, qu’elles envisagent une utilisation astronomique, religieuse, quotidienne ou éducative, témoignent de la complexité de la civilisation romaine et de la diversité de ses pratiques et croyances.
Ces artefacts nous rappellent que, malgré les avancées de la science et de l’histoire, il reste encore de nombreuses facettes de nos ancêtres à explorer et à comprendre. Les dodécaèdres romains, par leur mystère persistant, invitent les chercheurs à poursuivre leurs investigations, utilisant à la fois les méthodes traditionnelles et les technologies modernes pour percer les secrets du passé.
La fascination qu’ils suscitent, tant dans le domaine académique que dans la culture populaire, souligne l’importance de l’archéologie dans notre quête de connaissance sur les civilisations anciennes. Alors que de nouvelles découvertes continuent d’être faites, chaque dodécaèdre romain trouvé est un rappel de l’ingéniosité humaine et un puzzle historique de plus à résoudre.
Les dodécaèdres romains ne sont pas seulement des objets d’étude pour les historiens et les archéologues ; ils sont des symboles de notre quête perpétuelle pour comprendre notre passé et, à travers lui, nous-mêmes. Le mystère qui entoure ces artefacts antiques est un puissant moteur de curiosité et de recherche, nous incitant à continuer d’explorer, d’apprendre et de nous émerveiller devant les réalisations de nos ancêtres.
Le problème, c’est le chien. Et les souvenirs, aussi. Surtout, peut-être. A cause de tout cela, même si souvent l’envie lui est venue, il ne l’a jamais fait. Ce soir encore, il hésite. Il était pourtant presque décidé. Se lève, se sert un Talisker dont la chaleur tourbée le rassure. Un verre, juste un, pour y puiser le courage, pas davantage, surtout ne pas tomber dans une torpeur nostalgique. De quoi d’ailleurs ? Ce n’est pas de nostalgie qu’il s’agit, plutôt d’une curiosité teintée de tristesse. Un peu d’inquiétude aussi, une forme de culpabilité sans doute.
Le moteur de la voiture a étémoins hésitant que lui à démarrer. Au dehors, il pleut. Il déteste ça mais, pour ce qu’il a à faire, cela lui semble préférable. La route, il la connaît, de toute manière. Ce n’est pas qu’il l’a repérée, non, répétée plutôt, tant de fois, avant et après, maintes fois, comme aujourd’hui, il a pris la route avant de rebrousser chemin. Ce soir, ce sera différent, c’est différent, il le sent bien. Même s’il la parcourt dans le silence, pas de musique, contrairement à son habitude. Il est déjà presque arrivé. Deuxième sortie dans le rond-point, ensuite première à droite, et puis. Garer la voiture plus loin, même s’il faut marcher cent mètres sous la pluie, ne pas attirer l’attention, surtout, en aucun cas. Il verrouille les portières et se met en marche.
La rue est calme, il y a généralement peu de trafic, surtout à cette heure, pas de piétons non plus, par ce temps qui voudrait. Il longe les façades des maisons, toutes du même côté, le trottoir d’en face borde un parc d’où émanent des odeurs d’humus, les feuilles mortes en décomposition, l’automne est déjà bien avancé. Trois maisons sont légèrement en retrait, précédées d’un jardinet, c’est celle de droite qui l’intéresse. D’où se découpe le rectangle jaunâtre d’une fenêtre éclairée. Il s’approche doucement. Il sait qu’à moins d’un bruit intempestif, d’une sonnerie ou d’un chat, le chien ne réagira pas. Il sait que personne ne se lèvera pour baisser le volet dont le mécanisme est depuis si longtemps grippé qu’il faudrait le remplacer. Il sait qu’en choisissant le bon angle, entre le coin du mur et les rideaux, il pourra embrasser du regard la quasi totalité de la pièce sans risquer d’être vu. Il hésite une dernière fois.
Assise à la table, elle lui tourne le dos. Il en était certain d’avance. Lui n’aurait jamais pu s’asseoir dos à la fenêtre, imaginer des regards pesant sur lui à son insu. Elle, si, absorbée par l’écran de son laptop tandis qu’elle écrit. Pour peu, il la verrait sourire. De cela aussi, il est persuadé. Parce que pendant si longtemps, quand même, c’est à lui qu’elle a écrit. En souriant. Et pas seulement écrit. De cette maison, il n’y a pas grand-chose qu’il a oublié. Si ce n’est l’odeur, peut-être. La décoration a changé, forcément. C’était un besoin aussi, sans doute. Mais il reconnaît encore ce vase qu’il détestait. Et un dessin d’enfant au mur. Il se demande si. Mais justement, la voilà qui entre.
Il a un brusque mouvement de recul. Pourtant, la porte du salon est dans l’angle mort, en entrant, elle ne peut l’apercevoir. Ce n’est pas de cela qu’il a peur, il en est bien conscient. Elle a changé, plus que tout le reste, évidemment à cet âge-là. Il l’observe attentivement alors qu’elle s’assoit à côté de sa mère. Il la voit rire, les sent complices, sourit pour lui-même dans l’obscurité humide. Elles sont bien, se dit-il, elles ont l’air heureuses. Il s’écarte de la fenêtre. De la pointe du pied, il efface l’empreinte de ses chaussures dans la terre meuble, la dernière trace de lui. Dans la voiture, il allume l’autoradio.
À la fin du 19e siècle, Liège possède quatre compagnies de tramways : le Chemin de Fer Américain créé en 1871, Frédéric Nyst et Cie qui exploite l’Est-Ouest en 1880, les RELSE (Liège-Seraing) en 1891 et les Chemins de Fer Vicinaux. Les transports publics se composent encore de diligences et de malles-postes. Cointe, bien qu’entourée de charbonnages, est une oasis de verdure et un lieu de divertissement grâce à ses guinguettes et au pèlerinage célèbre à Saint-Maur. Vu la création du parc de Cointe, pour accéder à ces terrains nouveaux, il s’avère nécessaire de disposer d’un moyen d’accès. Frédéric Nyst propose une liaison nord-sud partant de la gare de Vivegnis et atteignant le plateau, proposition refusée par le conseil communal. Une deuxième proposition vise à prolonger la ligne vers Sclessin et rendrait la ligne viable. Ce projet est également refusé, cette fois par la députation permanente.
Le 20 janvier 1893, une troisième proposition émane de Paul Schmidt, avocat, et elle est acceptée le 3 juillet 1893 pour une durée de 50 ans. Les droits sont immédiatement rétrocédés à une Société du Tramway de Cointe. La ligne, qui fut la première à être électrifiée à Liège, partait du bas de la rue Sainte-Véronique ; elle fut ouverte le 11 août 1895. La pente était de 3 à 5% ce qui est déjà considérable, en courbe constante. Il y avait quatre évitements : un place Sainte-Véronique et trois dans l’avenue de l’Observatoire. La longueur n’était que de 1.500 mètres. Le coût était de 150.000 francs de l’époque !
Il y avait quatre motrices, deux fermées d’une puissance de 25 chevaux construite par la société Electricité et Hydraulique qui deviendra plus tard les ACEC, et deux motrices ouvertes fournies par les Ateliers Germain. Le courant de traction était fourni par la Société Electrique du Pays de Liège. Le dépôt se trouvait à mi-parcours, dans le deuxième virage de l’avenue de l’Observatoire, où se situe maintenant l’arrêt dit “ancien dépôt.” La société était déficitaire mais son but était surtout de valoriser les terrains du parc. Elle intéressait le Liège-Seraing qui la reprit en avril 1905. La proximité de l’exposition laissait augurer un accroissement du trafic. La société souhaitait aussi éviter une prolongation vers Sclessin, ce qui aurait court-circuité la ligne du tram vert par la vallée. Quatre nouvelles motrices de 75 CV (type A) sont fournies par Ragheno. Il faut 15 minutes pour effectuer le trajet. Le prix, au départ de 15 centimes, montera progressivement à 90 centimes à la fin de l’exploitation.
Sauf à la Pentecôte, il n’y avait que deux voitures en ligne. Un projet de liaison du site de l’exposition au plateau par trolleybus AEG fut présenté mais resta sans suite, le matériel n’étant pas fiable. La ligne du tram de Cointe fut alors prolongée par une voie provisoire à travers le parc d’Avroy jusqu’à la rue Raikem où elle retrouvait le trajet de la ligne 9 pour rejoindre le Jardin d’Acclimatation. En 1927, un regroupement des compagnies fait que la ligne de Cointe est cédée aux Tramways Unifiés. En 1929, le trajet est prolongé vers le centre de la ville, place de la République française et ensuite place de la Cathédrale.
Le 31 juillet 1930, apparaissent les premiers trolleybus qui passent par la place des Wallons pour rejoindre l’avenue de l’Observatoire. Ce sont des voitures anglaises Ransomes de 60 CV qui se déplacent à 40 km/h. Le réseau de trolleybus se développant, la société achète de nouveaux trolleybus. L’expérience des véhicules anglais n’ayant pas été concluante, le choix se porte sur la FN : 30 voitures T32, partie électrique CEB et châssis et caisse FN en acier soudé. Le moteur autorise la récupération ce qui permet, en descente, de renvoyer de l’électricité sur la ligne. En 1937, ils seront suivis par 48 nouveaux qui y ressemblent sauf la face avant, et sont plus puissants : 75 CV. Ces véhicules auront des problèmes ; le carter du pont arrière est en aluminium et se brise. Ils devront être remplacés par des carters en acier. Les montants des fenêtres cassaient à hauteur de la ceinture par temps froid. Alors, ces montants ont été renforcés. En 1938, nouvelle commande de 28 trolleys FN dont dix seront livrés avant la guerre et les suivants seront achevés au dépôt Natalis car la FN était, à l’époque, sous séquestre allemand. Les pièces de rechange, et surtout les pneus, deviennent rares et la circulation des trolleybus se raréfie. Le 25 mai 1944, la ligne est interrompue à cause des dégâts causés par les bombardements.
Du 25 mars 1946 au 26 mai 1955, l’exploitation de la ligne est suspendue à plusieurs reprises par suite d’un glissement de terrain survenu avenue de l’Observatoire. Un terminus provisoire est aménagé près de l’ancien dépôt. Dans les voitures, le chauffage est installé, une place pour le percepteur est prévue, une troisième marche facilite l’accès mais ces trolleybus se révèlent inadaptés à la circulation automobile de l’après-guerre. Ils circuleront jusqu’au 16 septembre 1968 et seront remplacés par les autobus.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Jean-Géry GODEAUX, organisée en mars 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
Troisième rencontre musicale de la saison 24-25 de la CHiCC, le dimanche 8 décembre 2024 à 16 heures, à la crypte de la « Basilique » de Cointe, rue des Moineaux 4000 Liège.
Le groupe Camalova est composé pour l’occasion de :
Clément Morelle,
Amélie Hanus,
Oliver Cope et
Adeline Römer au violon ;
Antoine Flandroy et
Muriel Beckers à l’alto ;
Loïc Duchêne et
Valérie Hamers au violoncelle
Ils joueront pour nous : l’octuor de Mendelssohn et le quatuor en do Majeur K.157 de Mozart. Ce groupe de musiciens amateurs liégeois joue régulièrement au sein des formations orchestrales liégeoises du CIMI et de l’OJNH. Depuis un an, ils ont décidé de se rassembler autour d’une œuvre majeure de musique de chambre : l’octuor de Mendelssohn. Cette œuvre fut écrite par le grand compositeur alors qu’il n’avait que 16 ans. On y trouve toute la fougue de la jeunesse teintée d’un lyrisme tout romantique. Elle met en avant la virtuosité de ses 8 musiciens et s’est imposée comme la pièce emblématique du répertoire pour cette formation. Une partie d’entre eux interprétera également une autre pièce, d’un autre génie de 16 ans : le jeune Mozart. Il s’agira de son quatuor en do majeur K.157.
Concert accessible à tous, participation (libre) au chapeau.
[CONNAISSANCEDESARTS.COM, 10 septembre 2024] Elle avait fait du corps la matière première de son art. L’artiste allemande, performeuse et plasticienne Rebecca HORN, née en 1944, est décédée le 6 septembre à l’âge de 80 ans dans sa résidence de Bad König, en Allemagne, où elle avait installé sa Fondation. Profondément influencée par le dadaïsme et le surréalisme, l’univers du cinéma et des automates, elle était célébrée internationalement depuis plus de quarante ans pour ses performances et ses sculptures hybrides où le vivant et l’inerte, le corps et la machine, se mêlent en de singulières métamorphoses. En 2014, à l’occasion de son exposition à la galerie Lelong, Connaissance des Arts l’avait rencontrée dans sa Fondation, un lieu pluridisciplinaire à l’image de son oeuvre mêlant arts plastiques, poésie et musique.
Une longue bataille
On ne s’attend pas à trouver, dans ce petit village de Bad König, au sud de Francfort, un vaste ensemble architectural aux tuiles de céramique bleue comme au Japon. L’artiste allemande Rebecca Horn y avait installé en 2010 son atelier et un musée présentant ses œuvres, accompagné d’un espace d’exposition pour les jeunes artistes et d’un lieu de résidence pour les musiciens et les poètes. L’ensemble, baptisé The Moontower Foundation, accueille depuis chaque été des performances, des récitals de poésie, des films et des concerts.
C’était le résultat d’une longue bataille pour Rebecca Horn, chevelure rousse flamboyante et yeux verts : “Mon grand-père a fondé ici une laiterie en 1890 et plus tard mon père y a construit une usine de textile, racontait-elle. Je suis née à cet endroit et j’y suis restée jusqu’à mes 9 ans avec une gouvernante roumaine qui était peintre, mon père et ma grand-mère. Après mes études, je suis partie à New York en 1972 et je ne suis revenue ici qu’en 1990, quand j’ai hérité de l’un de ces bâtiments dont j’ai fait mon atelier. Pendant plus de vingt ans, ma biographie indiquait que j’étais “en voyage”. Là, je pouvais commencer une nouvelle aventure”.
Peu à peu avait émergé l’idée d’une fondation qui exposerait en permanence son travail d’installations, systématiquement démonté au terme de chaque exposition ou conservé dans les réserves des musées, dans l’esprit de la Chinati Foundation de l’artiste Donald Judd à Marfa (États-Unis). Progressivement, elle avait racheté et fait rénover les bâtiments en ruine de l’usine de son père et les jardins en friche alentour, avec le soutien de mécènes. En 2010, elle avait ouvert un lieu qui lui ressemble : lumineux, ordonné, apaisant. Les lieux d’exposition, répartis autour d’une rivière, alternent avec des espaces de méditation pourvus de petites statues de Bouddha.
Des sculptures corporelles aux installations spectaculaires
“Je suis devenue bouddhiste il y a vingt ans pour être en paix avec moi-même”, racontait Rebecca Horn, habillée de vêtements amples à la japonaise. “Née en Allemagne à la fin de la guerre, j’ai été atteinte en 1967 d’une grave intoxication pulmonaire en réalisant mes premières sculptures en polyuréthane et fibre de verre, durant mes études d’art à Hambourg. Alitée durant près d’un an dans un sanatorium, capable seulement de dessiner et d’imaginer des stratégies de survie, j’ai commencé à créer mes premières sculptures corporelles, dans le but de dialoguer avec le monde extérieur. Mes parents sont morts à cette époque. Dans mes premiers travaux, on retrouve toujours l’idée d’un cocon dans lequel je cherchais à me protéger, comme par exemple les éventails dans lesquels je pouvais m’enfermer et m’isoler (Éventail corporel blanc, 1972).“
De ses premières “extensions du corps” (Toucher les murs simultanément avec les deux mains, 1974-75) portées lors de performances dans les années 1970, Rebecca Horn était passée à la réalisation de films (Le Danseur mondain, 1978, La Ferdinanda, 1981) et aux sculptures cinétiques, machines motorisées dotées d’une vie propre comme autant d’acteurs mélancoliques : La Machine-Paon, 1982, Les Âmes flottantes, 1990, etc. Depuis le milieu des années 1980, elle créait de spectaculaires installations dans des lieux chargés d’histoire, comme au Naschmarkt de Vienne en 1994, avec La Tour des Sans Nom où des violons mécaniques jouaient seuls en hommage aux réfugiés des Balkans ; ou dans l’ancien dépôt de tramways du camp de concentration nazi de Buchenwald à Weimar, où un wagon venait heurter violemment des murs de cendres aux côtés d’instruments de musique éventrés (Concert pour Buchenwald, 1999).
Rebecca Horn écrivait de la poésie, dessinait, peignait, créait des sculptures et des installations, mettait en scène des films et des opéras. Elle inventait les décors et les costumes et dirigeait les acteurs, comme au Festival de Salzbourg en 2008 pour Luci mie traditrici de Salvatore Sciarrino. “Certaines personnes pensent que je saute d’un médium à un autre, mais mon langage de signes et mon langage secret ne changent pas”, déclarait-elle à l’artiste et philosophe Démosthènes Davvetas en 1995. À 70 ans, elle affirmait vouloir faire émerger un Gesamtkunstwerk, une œuvre d’art totale.
En 2019, dans son atelier blanc méticuleusement rangé de la Moontower Foundation, elle mettait la dernière main, avec l’aide d’un assistant, à une sculpture motorisée : Between the Knives the Emptiness (Entre les couteaux, le vide), qui avait donné son nom à une exposition à la galerie Lelong à Paris. L’œuvre, constituée de trois couteaux et d’un gros pinceau japonais, fait référence à la notion bouddhiste de vacuité, “le degré le plus élevé de l’énergie” selon Rebecca Horn. Le concept d’énergie est essentiel dans l’œuvre de l’artiste. En 2002, elle avait transformé la piazza del Plebiscito à Naples en un espace traversé par l’énergie magnétique, en plaçant en hauteur des anneaux lumineux exactement au-dessus de crânes en fonte enchâssés dans les pavés, sur le modèle de ceux que l’on trouve dans les catacombes de la ville (Spiriti di Madreperla). “Ainsi, l’énergie négative des crânes s’élève vers la lumière et la mort devient un apaisement”, pensait-elle.
Énergies invisibles et mécanique des fluides
Sur le sol de la cour intérieure de la Fondation, elle avait fait tracer un grand cercle “afin que les énergies de la terre puissent se concentrer”. Il fait écho au cercle lumineux qu’elle avait fait apposer sur la cheminée d’usine de la Moontower Foundation comme un emblème. On retrouve la forme symbolique du cercle et de la lune dans toute son oeuvre, de High Moon (1991) à Moon Mirror (2003), où elle avait mis en place une colonne invisible d’énergie entre un miroir tournant sur le sol et un tourbillon de lumière en haut de la coupole de l’église du couvent Sant-Domingo à Pollença (Majorque).
À Bad König, l’ensemble des oeuvres exposées joue avec l’ombre et la lumière, à commencer par le Bain des larmes, un grand cube de verre contenant de l’eau dont la condensation crée des “perles de verre” en surface, reflétées par un miroir. La sculpture marque l’entrée du musée dédié aux installations de Rebecca Horn et à sa collection personnelle d’oeuvres d’artistes qu’elle admire: Joseph Beuys, Yannis Kounellis, Henri Cartier-Bresson, Marcel Duchamp. L’auteur du Grand Verre a profondément influencé l’artiste dans la genèse de ses machines hybrides. L’une d’elles, accrochée dans le musée baigné de lumière et de sons, est un hommage au livre de Kafka, Amerika (1990) : “Il y a le parapluie qui tremble, les chaussures qui vibrent, le vieux violon juif avec sa triste mélodie – le passé de Karl Rossmann – la valise qui vole…”, expliquait-elle. La valise appartient à sa grand-mère maternelle, Rebecca Baelstein, dont elle portait le prénom.
Osmose musicale
Un peu plus loin, Hydra Piano (1990) met en oeuvre une mécanique des fluides : un long filet de mercure serpente dans un caisson de métal. Le mercure ou vif-argent est une référence à l’alchimie, pour laquelle Rebecca Horn se passionne depuis la lecture dans sa jeunesse des Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz, du théologien Johann Valentin Andreae. De la sculpture L’Androgyne (1987) – composée d’une autre substance alchimique, le soufre – au film La Ferdinanda, l’artiste avait truffé ses œuvres de références à la transmutation. “L’esprit de la transformation a toujours été un élément central dans le travail de Rebecca Horn”, souligne le jeune compositeur Hayden Chisholm dans le catalogue consacré à la Moontower Foundation. L’une de ses créations inspirée des chants mongols accompagne une installation de Rebecca Horn, The Warriors (2006), métamorphosant les espaces du musée en un lieu de recueillement. Une véritable osmose s’est opérée entre les compositions vocales et instrumentales de Hayden Chisholm et les installations de Rebecca Horn depuis le début de leur collaboration en 2003, date où il intervient dans la plupart de ses installations in situ. “Nous travaillons depuis des années de façon intuitive. Je suis très fier d’être un couplet dans cette chanson le long de la rivière, avec les machines et les autres voix qui forment une part de sa vision.“
[BILAN.CH, 09 septembre 2024] Elle était très connue sans être devenue pour autant une star populaire. Morte le 6 septembre à Bad König, Rebecca Horn conservait quelque chose de trop difficile d’approche pour cela. Quand on interrogeait l’Allemande sur les influences littéraires subies, elle répondait James Joyce, Franz Kafka, Samuel Beckett ou Jean Genet. Au cinéma, pour lequel elle avait donné plusieurs films de fiction, c’était Luis Buñuel ou Pier Paolo Pasolini. Très intellectuelle, la femme avait quelque chose d’intimidant. L’interlocuteur sentait qu’elle avait étudié en plus de l’art la philosophie. La création germanique garde volontiers un caractère cérébral quand il ne se veut pas expressionniste, et donc spontané. Or tout semblait très réfléchi tant dans les œuvres que les performances de l’artiste.
Née en mars 1944…
Rebecca Horn était née dans un moment difficile, mars 1944. Elle subira ainsi les séquelles de la guerre. Ne pas parler allemand en dehors du territoire national, par exemple. “Les gens nous détestaient.” Sa position ne se révélait pourtant pas si inconfortable, même si la plasticienne préférait en évoquer les côtés sombres. L’adolescente était l’héritière d’une fabrique de textiles qui se trouvait dans sa famille depuis des générations. Il lui aurait logiquement fallu la reprendre, ce qui ne l’intéressait guère. La fillette dessinait déjà sous l’impulsion d’une gouvernante roumaine. Elle commencera donc des études d’art, fâcheusement interrompues en 1964. Cette année-là, à Barcelone, la jeune femme contracta une infection pulmonaire l’obligeant à passer une année entière dans un poumon d’acier. Tout est parti de là. Du corps ennemi et contraint. De l’immobilité forcée. D’une solitude en pays étranger.
Dans les années 1970, l’artiste se fait ainsi connaître par ses premiers travaux. Coup de chance, ils se révèlent dans l’air du temps. La performance occupe, sans jeu de mots, le devant de la scène. Rebecca se produit avec des ajouts de sa création qui forment autant de prothèses. Ces extensions constituent autant des gênes que des aides pour son corps imparfait. Apparaît du coup l’éventail, qui tantôt cache tantôt révèle. Rien à voir avec le “truc en plumes” de Zizi Jeanmaire, bien que la forme soit la même. Aucun élément ludique ou joyeux ici. Il y a toujours quelque chose de grave chez Rebecca Horn. Elle est “todernst”, pour reprendre un mot n’existant que dans sa langue maternelle. Autrement dit d’un sérieux mortel [ou ‘sérieuse à mourir‘]. Tout en sa personnalité évoque la difficulté. L’effort. La douleur. Le mal-être. Elle n’est pas pour rien la contemporaine et la compatriote de la danseuse Pina Bausch.
Succès mondial
Rebecca se voit vite remarquée. En 1972, elle fait partie à Kassel de la Documenta5 que réalise le Suisse Harald Szeemann. Une sorte de gourou de la modernité. Szeemann adoube autant qu’il expose. On verra dès lors la femme un peu partout, que ce soit en personne, par ses œuvres ou grâce à ses films. Elle tâte en effet de l’ensemble des arts, y compris la mise en scène d’opéra. Le public pourra ainsi juger à Wiesbaden sa vision de l’Elektra de Richard Strauss. Ses œuvres (qui sont parfois les restes de ses performances) se vendent bien, y compris aux Etats-Unis. C’est du reste son galeriste new-yorkais Sean Kelly qui vient d’annoncer son décès. Les collectionneurs et les musées d’outre-Atlantique ont dû se voir travaillés au corps, si j’ose dire vu les caractéristiques de la production de Rebecca Horn. Elle deviendra la première à recevoir en 1993 une exposition en solo au Guggenheim Museum. C’était alors bien plus difficile pour une femme de se voir exposée.
Rebecca a traversé sans peine les décennies, même si le monde de l’art est peu à peu revenu à des médias plus classiques, comme cette peinture un peu trop vite annoncée comme morte. Cette rousse flamboyante (je ne vois que la couturière Vivienne Westwood, à qui elle ressemblait en plus physiquement, pour l’égaler) recevait ainsi des hommages, des rétrospectives et des distinctions. La liste des prix obtenus possède quelque chose d’impressionnant. Ce doit être la femme la plus galonnée de l’art contemporain. Ses œuvres se retrouvent donc logiquement aujourd’hui partout, même si elles ne se voient en général pas mises en avant. Il ne faut pas aller bien loin pour en trouver. Le MCB-a de Lausanne en détient via la galeriste Alice Pauli. A Genève, où le Mamco vient d’inaugurer son accrochage d’automne dont je vous parlerai bientôt, il y a aussi un Rebecca Horn dans une salle en ce moment. Avec des plumes bien sûr, même si celles-ci ont perdu leur fraîcheur originelle. Comme le corps, dont Rebecca a tant montré les limites, les parures des volatiles se fatiguent.
Pour l’instant, la disparition de l’artiste à 80 ans ne soulève pas les rédactions comme un seul homme (ou une seule femme). Ce n’est pas qu’il y ait gêne vis-à-vis de la personne, comme avec Carl Andre qui a peut-être défenestré son épouse. C’est que Rebecca Horn reste, en dépit de tout une artiste pour happy few, difficile à expliquer. Ses performances historiques sont par ailleurs demeurées discrètes. Rien à voir avec Marina Abramović et son spectacle parfois grand-guignolesque. Nous sommes avec elle entre gens bien élevés, qui ont si possible eux aussi étudié la philosophie… J’ai failli écrire “entre élus”. Après tout, pourquoi pas ? Nous sommes finalement avec Rebecca dans une chapelle. J’en resterai là. La messe est dite.
La propagande est une technique, quel qu’en soit le contenu, de simplement édifiant (ex. santé publique) à ouvertement fasciste. Elle nécessite un discours partagé et la mise en oeuvre de dispositifs visuels que l’on retrouve également dans ce marketing qui, hélas, baigne notre espace mental quotidien, visuel et/ou sonore. Reste que certains objets, supports de propagande, ne sont pas dénués d’une réelle flamboyance esthétique, quand ce n’est pas l’humour qui en est la caractéristique la plus remarquable. Nous en voulons pour preuve la collection de cartes postales commerciales que nous avons réunie pour vous dans la DOCUMENTA.
C’est cette considération qui nous a également amenés à vous proposer en téléchargement gratuit dans la DOCUMENTA un authentique petit fascicule de propagande chinoise, daté de 1977 et rédigé en… esperanto ! Nous livrons ici à votre curiosité éclairée la transcription de quelques vignettes (traduites par des robots puis révisée par nos soins avec le souci de conserver la grandiloquence kitsch de l’original). Tout ceci, en laissant, bien entendu, la responsabilité des propos guerriers tenus au Parti Communiste Chinois :
Cinq héros sur lE mont Langja
À l’automne 1941, les agresseurs japonais lancèrent une opération de ratissage vers le [Sanhi-êahar-Hebei-a], une région frontalière contrôlée par le Parti communiste chinois. Lorsque les ennemis atteignirent la région montagneuse de Langja à l’ouest du comté de Ji dans la province du Hebei, une troupe de la Huitième Armée [de Route] décida de se déplacer vers une ligne extérieure pour les exterminer. Cinq camarades, le caporal Ma Bauju, le caporal suppléant Ge Genlin et les combattants Hu Delin, Hu Fucaj et Song Hjueji, restèrent là pour couvrir le transfert et arrêter les ennemis. Ces cinq héros, avec un réel esprit d’abnégation, ont délibérément attiré les ennemis vers un précipice. Ils ont mené une bataille déterminée contre les ennemis et ont courageusement sauté dans un abîme, après avoir jeté sur les ennemis leurs dernières grenades. Ces héros incarnent la noblesse et l’héroïsme du peuple armé dirigé par le Parti communiste chinois.
1. À l’automne 1941, les agresseurs japonais balayèrent la région frontalière de [Sanhi-Cahar-Hebei]. Selon la stratégie du Président Mao, certains corps de la Huitième Armée [de la Route] ont combattu dans la région de la rivière [Ji§uj] et du mont Langja et, sous l’action conjointe des milices, ont fortement attaqué les ennemis.
2. Le 25 septembre, les agresseurs japonais répartissaient soudain leurs forces de tous côtés pour assiéger notre régiment. Les commandants du régiment décidèrent de retirer immédiatement les troupes et ordonnèrent au sixième groupe de la septième compagnie de laisser cinq combattants derrière eux pour bloquer l’avancée de l’ennemi et surveiller le transfert secret de notre force principale en utilisant le terrain favorable de [Kipantuo] sur le mont Langja.
3. Le plus gros des troupes s’est déplacé rapidement cette nuit-là et seuls les cinq combattants sont restés sur place. Ils se souvenaient clairement des paroles des officiers du régiment : ils lutteraient courageusement pour retenir l’avancée des ennemis et les battraient durement.
4. Au clair de lune, ils ont chacun pris quelques grenades laissées par l’état-major du régiment et les ont enterrées comme des mines au pied de la montagne, jusqu’à mi-hauteur de celle-ci.
5. Après cela, les combattants se sont tous cachés dans la zone la plus stratégique de Kipantuo. Le vent de la montagne soufflait, mais personne n’avait froid et le cœur de chacun était plein d’indignation.
6. Au deuxième cri du coq, tout à coup, un incendie apparut au pied de la montagne : les ennemis avaient incendié un village et les habitants subi à nouveau de lourdes pertes. En voyant les tirs s’intensifier, les combattants étaient remplis de haine.
7. C’est alors qu’ils entendirent vaguement les pleurs d’une femme, plus bas dans la montagne, qui se rapprochaient de plus en plus. Les villageois sont en marche vers nous ! Ce serait terrible s’ils marchaient sur les mines enterrées ! Le vice-caporal Ge Genlin s’est levé d’un bond, a signalé la situation à un caporal et a immédiatement dévalé la montagne…
La suite est disponible dans la DOCUMENTA. Cliquez ici… Mais, rassurez-vous : l’histoire finit (presque) bien !
35. Comme s’il s’agissait d’un assaut ordinaire, le caporal cria en sautant dans le gouffre : “Camarades ! Sautez après moi !” et les autres sautèrent aussi. C’est alors qu’un écho solennel retentit dans toute la vallée : “A bas l’impérialisme japonais ! Vive le Parti communiste chinois !“
La nouvelle exposition de la Galerie des Beaux-Arts de Liège met à l’honneur l’art pictural de Marguerite RADOUX (Liège 1873-1943). Fille de Jean-Théodore Radoux (le bouillonnant directeur du Conservatoire de Liège à la source de l’actuelle Salle Philharmonique), petite-nièce de l’homme politique liégeois Charles Rogier, l’un des fondateurs de la Belgique, la jeune femme entame à la fois des études artistiques et musicales (elle se destine au chant), incapable de se limiter à une seule discipline. Si sa carrière de cantatrice s’interrompt pourtant assez vite, faute de réel talent (elle se contente en fin de compte d’interpréter les mélodies de son père, de son frère Charles et de son amie, la compositrice et cheffe d’orchestre Juliette Folville), sa carrière de peintre est de toute évidence d’une autre trempe, l’enseignement que lui dispense Adrien De Witte y est sans doute pour quelque chose.
Sophie Wittemans qui signe le beau catalogue de la rétrospective, rappelle que Marguerite a exposé par moins de 55 fois entre 1897 et 1941. Sa production devait compter près de 200 œuvres, des huiles, pastels et fusains. Une trentaine a pu être retrouvée, alimentant la première rétrospective qui lui est consacrée depuis sa mort.
Sa peinture fut très favorablement reçue par les critiques de son temps ! On y décela un tempérament impérieux, celui d’une jeune femme déterminée à ne pas se laisser impressionner par un monde artistique dominé par les hommes. Elle se définit dès 1898 comme “peintre”, non comme “artiste femme” ou “femme artiste“, choix pour le moins révélateur d’un caractère libre et bien trempé !
Marguerite privilégie d’ailleurs l’art du portrait plutôt que celui des paysages ou de la nature morte, genres dans lesquels ont attendait davantage les femmes à l’époque. Ses modèles, à commencer par son père ou par Juliette Folville (que l’on voit notamment diriger un opéra-comique de Jean-Noël Hamal sur la scène de l’actuelle Salle Philharmonique) sont croqués sur le vif, à gros traits de pinceau. Sa pâte est dense, grasse, épaisse, son geste ne manque pas de rugosité, il souligne avec force les empâtements.
Les tonalités de Marguerite Radoux, souvent sombres jusqu’en 1914, font écho à une palette de couleurs restreinte mais subtile. L’artiste excelle aussi dans ses “tableautins”, ces scènes intimistes, ces moments d’émotion pris sur le vif et qui semblent concurrencer par le geste pictural presque instantané l’art de la photographie.
En 1910, Marguerite, épouse en secondes noces le Français Fernand Outrières, un substitut du procureur de la République qui la mène successivement à Angoulême, au Havre, puis à Paris. Après la Première Guerre mondiale, son art prend une autre tournure, il est influencé par le fauvisme (a-t-elle vu les œuvres de Raoul Dufy au Havre ?) et par une modernité qui met en avant une pâte aux aplats plus larges.
Vers 1929, elle reçoit sa première commande officielle, émanant du Sénat belge : Charles Magnette, Président de l’institution, lui demande d’être portraituré. C’est la première fois depuis la création de l’institution, qu’un président du Sénat demande à une femme de réaliser son portrait. Le résultat est éblouissant de force et de vérité !
Même si elle revient de temps en temps en Belgique, notamment auprès de sa famille à Esneux (ce qui nous vaut quelques paysages réalisés en extérieur), Marguerite tentera de s’imposer sans succès en France. Sa carrière est notamment compromise par un scandale financier qui éclabousse son mari. Elle réalise cependant quelques belles natures mortes dont une, non datée, est extraordinaire par ses couleurs (plus impressionnistes) et par le jeu de mise en abîme qu’on y décèle (l’arrière-fond de l’œuvre représente le dos d’un tableau, et, très curieusement, l’œil du spectateur a l’impression que les fruits et objets peints à l’avant-plan se confondent avec ce tableau dans le tableau, comme si l’on avait à faire à une peinture de nature morte à l’arrière d’une véritable nature morte).
La Deuxième Guerre mondiale la contraint au silence, elle meurt du reste durant le conflit, dans un hôpital des environs de Paris, circonstances qui expliquent sans doute que son art soit tombé dans l’oubli ! La Galerie des Beaux-Arts de Liège rend heureusement justice à une artiste qui mérite plus que de la simple considération !
[ENCOREUNGATEAU.COM] En matière d’imposture, je crois qu’on ne peut pas mieux faire que la tarte brésilienne ! Premièrement ce n’est pas une tarte et deuxièmement elle n’est pas brésilienne ! Mais alors, qu’est ce que la tarte brésilienne ? Et pourquoi appelle-t-on une brioche belge tarte brésilienne ? C’est ce que je vous propose de découvrir aujourd’hui.
La tarte brésilienne est à peu près aussi brésilienne que moi, c’est dire ! Il s’agit en fait d’une pâtisserie originaire de Belgique et qui se compose d’une brioche garnie de crème pâtissière recouverte de chantilly et de pralin. Elle ne tient donc pas son nom de ses origines mais de sa composition. En pâtisserie, on appelle brésilienne un mélange de noisettes et d’amandes concassées et caramélisées, plus communément connu sous le nom de pralin…
Recette belge comme son nom ne l’indique pas ! La brésilienne c’est des noisettes grillées caramélisées. Cela ressemble un peu au pralin français qui, lui, contient des noisettes et des amandes. La tarte est une pâte levée (vous pouvez utiliser une pâte brisée prête à l’emploi de chez madame GrandeSurface), de la crème pâtissière, de la chantilly et recouverte de brésilienne.
N.B. Prévoir un moule de 24cm avec un bord haut (3,5cm)
Brésilienne :
100 g noisettes,
30 gr sucre,
12 cl d’eau,
1 pincée de sel,
arôme vanille.
Pour préparer la brésilienne : grillez les noisettes quelques minutes à la poêle. Frottez-les dans un essuie de cuisine pour enlever les peaux. Portez à ébullition 30gr de sucre, 12cl d’eau, 1 pincée de sel et l’arôme de vanille. Quand il est doré, mélangez les noisettes dedans et débarrassez le mélange sur une plaque. Laissez refroidir. Concassez-les avec un grand couteau.
Crème pâtissière (elle doit refroidir !) :
50 cl lait demi écrémé,
1 gousse de vanille,
4 jaunes d’œufs,
90 gr sucre en poudre,
40 gr maizena.
Pour préparer la crème pâtissière : Chauffez le lait dans une casserole avec la gousse de vanille fendue en 2 et grattée. Dans 1 saladier, mélangez les œufs et le sucre jusqu’à ce que le mélange blanchisse. Incorporez la maizena. Quand le lait frémit, retirez la gousse et versez-le sur les oeufs/sucre en mélangeant bien puis reversez le tout dans la casserole. Laissez épaissir sans cesser de mélanger. Laissez refroidir. Puis déposer un film plastique au contact et mettez au frigo.
La pâte levée :
20 gr de levure fraîche de boulanger,
60 gr de lait demi-écrémé,
1 pincée de sucre,
300 gr de farine T45 Farine T45 ? Appelée farine blanche, cette farine est la plus utilisée en cuisine et est totalement débarrassée du son. Elle est particulièrement employée pour les pâtisseries fines comme les crêpes ou les financiers. Attention tout de même à sa consommation car son indice glycémique est très élevé.
140 gr de beurre doux,
1 œuf,
40 gr de sucre en poudre.
Pour préparer la pâte levée : délayez la levure dans le lait tiède avec une pincée de sucre. Sur le plan de travail, faites un puits avec la farine. Ajoutez le beurre en dés. Sablez du bout des doigts. Versez le mélange lait, levure, œufs et sucre. Amalgamez avec les mains. Pétrissez 10 minutes. Formez une boule. Laissez reposer 1 heure dans un endroit tiède.
Chantilly :
20 cl de crème liquide entière bien froide,
200 gr de mascarpone,
40 gr sucre glace.
Pour préparer la chantilly : Fouettez la crème fraîche avec le mascarpone et ajoutez le sucre en 2 fois. Gardez au frigo.
Tous les composants étant ainsi préparés, sur votre plan de travail fariné, abaissez la pâte au rouleau et déposez-la dans le moule à tarte. Piquez le fond avec une fourchette et laissez lever 15 minutes.
Cuisez la pâte à blanc (à savoir : mettez un papier sulfurisé avec des fruits secs sur la pâte pour faire poids) pendant 20 minutes dans un four chauffé à 180° jusqu’à ce que les bords soient dorés. Enlevez le papier sulfurisé et les fruits secs. Laissez tiédir. Mettez ensuite la crème pâtissière à la spatule. Puis la chantilly. Puis la brésilienne…
Guillaume d’Orange-Nassau a reçu le trône des Pays-Bas, de Belgique et la couronne grand-ducale au Luxembourg, trois territoires qui restent différents et le Grand-Duché a un statut particulier : il fait partie de la confédération germanique. Guillaume Ier s’intéresse au développement de son royaume et participe à la constitution de la Société Générale des Pays-Bas. Elle est au départ caissière de l’état, émet des billets de banque, gère un patrimoine foncier et agricole fort important et soutient l’économie nationale. En bon Hollandais, Guillaume Ier développe notre réseau de canaux. Le Grand-Duché a une surface double de celle actuelle : il englobe notre province de Luxembourg actuelle.
Rémi de Puydt, né juste après la Révolution française, est le fils d’un médecin militaire. En 1813, officier des armées napoléoniennes, il est blessé, puis devient receveur des droits et accises au Luxembourg. Après quatre ans d’études d’ingénieur de génie civil à Paris, il s’installe dans le Hainaut où il réalise le canal du Hainaut. De sa rencontre avec Guillaume Ier naît l’idée du canal de Meuse et Moselle, long de 263 km, destiné à relier Liège à Trèves et de faire sortir le Luxembourg de son isolement économique. Un dénivelé de 379 mètres côté mosan et de 305 mètres côté rhénan entraînerait la construction de 205 écluses. Pour franchir la ligne de partage des eaux entre les deux bassins, Rémi de Puydt a l’idée, non pas de creuser une tranchée qui eut été énorme, mais de forer un tunnel (le mot n’existait pas encore, on parlait de ‘galerie souterraine’) à 60 m sous la crête. Il fallait aussi canaliser les rivières, installer des chemins de halage, modifier certains ponts, prévoir des lacs réservoirs pour régulariser le cours en période d’étiage. Le projet prévoyait aussi neuf autres souterrains plus courts pour recouper des méandres de l’Ourthe.
L’empereur romain Claude au 1er siècle après Jésus-Christ avait déjà eu le projet de raccorder la Meuse au Rhin, en passant au nord de Visé. Au 16e siècle, Philippe II d’Espagne, soucieux de créer une frontière naturelle avec les Pays-Bas protestants, reprit l’idée. Quelques siècles plus tard, Frédéric le Grand, célèbre roi de Prusse, revient au projet sans succès. Napoléon rêve aussi d’un canal qui serait passé plus au nord dans les plaines de Hollande, financé par un impôt sur l’eau-de-vie.
Rémi de Puydt parvint à convaincre une série de financiers à la Société Générale et est soutenu par le roi Guillaume Ier. La Société du Luxembourg créée, elle obtient la concession à perpétuité à condition que les travaux soient finis en cinq ans. Nous sommes en 1827. L’évaluation des travaux monte à 100 000 florins, somme considérable, répartie en 2 000 actions de 5 000 florins que l’on peut payer en cinq tranches. Dans l’ensemble de la Hollande, seulement vingt titres sont vendus ! À Bruxelles, cent titres sont acquis essentiellement par les administrateurs. Au Luxembourg, on en vend sept. Guillaume Ier et sa famille souscrivent 500 actions, espérant relancer l’entreprise, mais sans résultat. Malgré tout, les entrepreneurs décident de commencer les travaux par le percement du tunnel. Le chantier est installé près du village de Tavigny [Houffalize]. On attaque la galerie de 2 728 m par les deux extrémités ; la largeur est de 3,5 m et la hauteur de 5,5 m. Le travail avance d’un mètre par jour. 200 à 300 ouvriers sont sur place, ce qui provoque un grand bouleversement social et un choc culturel dans un monde d’agriculteurs.
A part les travaux du souterrain, peu de choses bougent et les finances sont trop faibles. Les travaux à réaliser tout au long du cours de l’Ourthe sont démesurés. Le délai imparti de cinq ans est trop court. En 1829, de Puydt obtient la collaboration d’artificiers de l’armée. Entretemps, la tension contre les Hollandais monte, l’armée néerlandaise est mise en déroute à Bruxelles et se retire. Le gouvernement provisoire proclame l’indépendance. Au Luxembourg, la moitié des communes a pris parti pour la Belgique, l’autre moitié est restée sous le joug des Hollandais et même des Prussiens car, si le territoire est menacé, en vertu des accords de la Confédération germanique, la Prusse vient à la rescousse. Il faudra attendre neuf ans pour que la situation se clarifie.
Rémi de Puydt a été nommé commandant de la garde civique de Mons, puis lieutenant-colonel, commandant en chef des troupes du génie de la jeune armée belge. Beaucoup d’entrepreneurs partent en exil. On continue à creuser le souterrain mais il n’y a plus de liquidités, plus de poudre, la situation politique est de plus en plus compliquée. Guillaume Ier vient de revendre toutes ses parts de la Société Générale, à la Belgique. En août 1831, le gestionnaire des travaux décide d’interrompre le chantier, de façon provisoire espère-t-il. 1130 mètres ont été creusés. En 1839, le traité des 24 articles scelle la situation du Grand-Duché et le territoire est séparé en deux, en suivant la ligne des crêtes. Cela change tout : une frontière coupe désormais le canal et le projet s’enlise complètement. En 1848, le canal de l’Ourthe refait parler de lui. À Londres, trois hommes d’affaires détiennent toutes les actions de la Société du Luxembourg et ils se disent prêts à reprendre les activités. Le canal se limiterait désormais au tronçon entre Liège et La Roche. Entre 1852 et 1857, les travaux reprennent et ce canal a fonctionné jusqu’au milieu du 20e siècle. Puis c’est le chemin de fer qui a progressivement tué cette activité.
Rémi de Puydt sera nommé ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, deviendra député pour l’arrondissement de Mons et, enfin, administrateur de l’établissement belge au Guatemala.
Les terrains expropriés sont revendus progressivement. Actuellement, comme la nature a repris ses droits, l’entrée du tunnel devient de moins en moins visible. La galerie s’est effondrée à près de 400 m, les puits ont été rebouchés, le site, classé, est voué à devenir un refuge pour les chauves-souris.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Géry de Pierpont, organisée en février 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
[TERRESTRES.ORG, 20 septembre 2024] Ces bonnes feuilles, précédées d’une introduction, sont extraites du livre de Kōhei Saitō, Moins ! La décroissance est une philosophie, traduit par Jean-Christophe Helary et publié au Seuil en septembre 2024.
Un communisme décroissant
EAN 9782021544862
Telle est la formule sous laquelle se déploie, depuis 2020, la pensée de Kōhei Saitō. À l’instar d’autres, Saitō explore un Marx peu connu car non encore publié : celui des carnets de notes tardifs, des écrits que Marx a composés à la fin de sa vie sans pouvoir en achever l’analyse et qui révèlent pourtant une inflexion majeure dans sa pensée. Le philosophe allemand se passionne alors pour les recherches de son temps dans le domaine des sciences naturelles – agronomie, chimie, botanique… En consignant informations et réflexions sur des thèmes tels que la déforestation excessive, la surutilisation des combustibles fossiles ou encore l’extinction des espèces, il jette les bases d’une critique écologique du capitalisme.
Partant de là, Saitō invite à reconsidérer complètement le marxisme et le communisme, et propose de “mettre à jour Le Capital à l’ère de l’anthropocène“, pour en faire un outil d’analyse et de changement de l’état actuel du monde, des désastres humanitaires, des catastrophes écologiques et du creusement des inégalités.
Ainsi que le philosophe japonais l’expliquait à Terrestres l’année dernière, le communisme qu’il défend diffère en tout point du communisme productiviste, et se construit à des années-lumière du “communisme” dévoyé en capitalisme d’État autoritaire et répressif tel que l’a connu le 20e siècle. Saitō élabore une pensée du commun qui invite à réenvisager la société depuis les biens communs – eau, terre, alimentation, santé, éducation… Pour cela, un mot clé : décroissance.
Au-delà des débats que son travail nourrit dans le milieu restreint des penseurs marxistes, et notamment des écosocialistes, Kōhei Saitō a conçu son livre pour un large public, dans un style clair et didactique. Il reste que le succès de l’ouvrage – 500 000 exemplaires vendus – interpelle : dans un pays (le Japon) où le communisme a mauvaise presse, qui aurait misé sur un inconnu qui parle de Marx, d’anticapitalisme et de catastrophe climatique sur près de 400 pages ?
En ce mois de septembre 2024, alors que l’été brûlant qui a éprouvé le Japon se poursuit inhabituellement, l’ouvrage de Saitō, désormais traduit dans 12 pays, paraît en France.
Une voie pour conjurer la barbarie
Dans les chapitres précédents, Saitō a déployé une analyse de la catastrophe climatique au prisme du creusement des inégalités mondiales, et passé en revue les fausses solutions qu’entendent y opposer de nombreux gouvernements et courants de pensée : Green new deal, Objectifs de développement durable, technosolutionnisme et autres réponses illusoires qui entendent avant tout gagner du temps et assurer le maintien d’un capitalisme pourtant au cœur du problème.
Dans ce chapitre 7, Saitō part du schéma des “4 scénarios” élaboré dans un autre livre à succès : Climate Leviathan: a Political Theory of Our Planetary Future, dans lequel les auteurs imaginent des scénarios politiques possibles sur un mode spéculatif, c’est à dire non pas comme des programmes qui viseraient à conjurer les bouleversements climatiques mais comme des réactions qui aboutiraient à un nouvel ordre du monde.
À trois scénarios proprement cauchemardesques – maoïsme climatique, fascisme climatique et barbarie – s’ajoute un quatrième, appelé “X”, qui constituerait la seule voie acceptable et même désirable. C’est ce scénario politique mystère que Saitō explore ici, et qu’il appelle le “communisme de décroissance”.
Schéma des 4 scénarios extrait de Moins!, p.248.
Face au sombre constat et aux dangereuses impasses analysées jusque-là dans son livre, que faire ? Première chose, répond Saitō : changer le travail.
D’après Le Capital, le seul moyen de réparer les ruptures créées dans le métabolisme matériel entre la nature et l’humain, c’est de révolutionner le travail pour rendre possible une production compatible avec les cycles naturels. Les humains et la nature sont reliés par le travail. C’est pour cela que transformer le travail est d’une importance décisive pour dépasser la crise environnementale. (p.263)
Le capital cherchant à augmenter indéfiniment sa propre valeur à travers le cycle productif, il a sans cesse besoin de mobiliser du travail et des ressources pour dégager de la plus-value. C’est ce processus absurde et mortifère qu’il est urgent de stopper, d’autant qu’il aboutit à ce qu’on appellerait aujourd’hui un désastre écologique, et que Marx nommait “rupture métabolique” : un déséquilibre profond dans les cycles naturels causé par les activités humaines depuis la Révolution industrielle. Le cas le plus connu est celui du sol, gravement épuisé par l’agriculture moderne, que Marx analyse à la lumière des travaux du chimiste allemand Liebig.
C’est donc Marx que Saitō convoque ici, ce Marx tardif ignoré des marxismes productivistes et technophiles du 20e siècle, dont le travail sert de “clef” pour reconsidérer le travail et la catastrophe socio-climatique.
Saitō identifie cinq piliers nécessaires au communisme décroissant qu’il défend : “réhabiliter la valeur d’usage“, “réduire le temps de travail” et “abolir sa division standardisée“, “démocratiser le processus de production” et “remettre au premier plan le travail de soin“.
Pilier 1 du communisme de décroissance : le passage à une économie de la valeur d’usage
Même le marxisme traditionnel nous disait qu’il fallait considérer la valeur d’usage pour se libérer de la production et de la consommation de masse et qu’il fallait donc passer à une économie qui valorise cette valeur d’usage. C’est écrit en toutes lettres dans le Capital. Commençons par voir ce que cela veut dire.
Marx fait une distinction entre les attributs de la marchandise que sont sa valeur et sa valeur d’usage. Je l’ai écrit au chapitre 6, dans le capitalisme, qui vise l’accumulation du capital et la croissance économique, la valeur, en tant que marchandise, est l’attribut le plus important. L’objectif premier du capitalisme est la multiplication de la valeur. Peu importe ce qui est vendu tant que ça l’est. En d’autres termes, la valeur d’usage (utilité), la qualité du produit, son impact sur l’environnement, tout ça n’a aucune importance. En conséquence, une fois la marchandise vendue, elle peut tout aussi bien être jetée, cela ne change rien.
Cependant, l’augmentation des capacités de production dans le seul but de multiplier la valeur crée un certain nombre de contradictions lorsque l’on considère celle-ci dans une perspective plus large. Par exemple, la réduction des coûts par la mécanisation stimule la demande et permet de vendre des marchandises en grande quantité, mais le processus endommage profondément l’environnement.
Par ailleurs, l’augmentation de la capacité de production conduit naturellement à la production d’une plus grande quantité de biens. Tant que les marchandises se vendent bien, il importe peu que cela soit bénéfique ou non pour la reproduction de la société, puisque le système capitaliste ne se concentre que sur la valeur en tant que marchandise. Et on néglige ainsi ce qui est réellement nécessaire à la reproduction de la société.
On a vu plus précédemment que pendant la pandémie, le système de production des produits essentiels pour nous protéger, respirateurs, masques, solutions désinfectantes, n’était pas suffisant. Les pays prétendument développés n’étaient même pas en mesure de produire suffisamment de masques, car ils avaient préféré délocaliser la production à l’étranger pour réduire les coûts. Tout cela n’est que le résultat de la priorité mise sur la multiplication de la valeur par le capital au détriment de la valeur d’usage. En temps de crise, la conséquence en est la perte de résilience.
L’objectif premier du capitalisme est la multiplication de la valeur. Peu importe ce qui est vendu tant que ça l’est. L’utilité, la qualité du produit, son impact sur l’environnement, tout ça n’a aucune importance.
Cette production qui se focalise uniquement sur les biens positionnels, les produits de luxe, la publicité et l’image de marque au détriment de la valeur d’usage nous sera fatale à l’ère de la crise climatique. Il y a quantité de choses à faire pour garantir un accès universel à la nourriture, à l’eau, à l’électricité, au logement et au transport, pour lutter contre les inondations, les tempêtes, et pour protéger les écosystèmes. C’est pourquoi nous devons donner priorité non pas à la valeur, mais à ce qui est nécessaire pour s’adapter aux crises.
Le communisme opère à cette fin un changement majeur dans la finalité de la production. Il fait en sorte que l’objectif de la production ne soit pas l’augmentation de la valeur en tant que marchandise, mais la valeur d’usage. Pour cela, il place la production sous planification sociale. En d’autres termes, au lieu de chercher à augmenter le PIB, l’accent est mis sur la satisfaction des besoins fondamentaux des personnes. Cette position, c’est la position de base de la “décroissance”.
Il est clair que Marx, dans ses dernières années, aurait vivement critiqué l’erreur que constitue ce consumérisme qui veut accroître les forces productives autant que possible pour produire autant que les gens le souhaitent. Se débarrasser du consumérisme tel que nous le connaissons aujourd’hui et passer à la production de ce qui est nécessaire à notre prospérité, tout en faisant preuve d’autolimitation, voilà le communisme dont nous avons besoin dans l’anthropocène.
Pilier 2 du communisme de décroissance : la réduction du temps de travail
Réduire le temps de travail et passer à une économie de la valeur d’usage pour améliorer nos vies modifieront profondément la dynamique de la production. Pourquoi ? Parce que cela va réduire considérablement les emplois à but lucratif. Et parce que la force de travail va être consciemment redistribuée pour produire les choses réellement nécessaires à la reproduction sociale.
Par exemple, le marketing ? La publicité ? Le packaging ? Tout ça ne sert qu’à susciter des désirs inutiles et peut être interdit. Les consultants ? Les banques d’investissement ? Inutiles. Les supérettes et autres restaurants ouverts toute la nuit ? En avons-nous vraiment besoin partout ? Les magasins ouverts toute l’année ? Les livraisons le lendemain ? On peut certainement s’en passer.
Si l’on arrêtait de produire ce qui n’a pas d’utilité, il serait possible de réduire considérablement les heures travaillées dans toute la société. La réduction du temps de travail ne fait que réduire les emplois qui n’ont pas de sens. En faisant cela, il serait possible d’assurer la prospérité réelle de la société. Mais il n’y a pas que ça. La réduction du temps de travail aura un impact non seulement sur nos vies, mais également sur l’environnement naturel. Marx l’écrivait dans Le Capital : la réduction du temps de travail est une “condition essentielle” pour passer à une économie de la valeur d’usage.
Les forces productives de la société contemporaine sont déjà suffisamment élevées. Elles ont été augmentées à un degré sans précédent par l’automatisation. À ce niveau, il devrait être possible de nous libérer de l’état d’esclavage salarié.
Le problème, c’est que sous le capitalisme, l’automatisation n’a pas pour fonction de nous libérer du travail, mais de nous menacer avec des robots et avec le chômage. Parmi nous, certains craignent tant de perdre leur emploi qu’ils travaillent au point de mourir de surmenage. C’est là qu’apparaît l’irrationalité du capitalisme. Plus vite on se débarrassera du capitalisme, mieux ce sera.
Le marketing ? La publicité ? Le packaging ? Les consultants ? Les banques d’investissement ? Inutiles. Les restaurants ouverts la nuit ? Les livraisons le lendemain ? On peut certainement s’en passer.
En comparaison, grâce au partage du travail, le communisme vise, quant à lui, à l’amélioration d’une qualité de vie qui n’est pas comptabilisée dans le PIB. La réduction du temps de travail limite le stress et autorise une meilleure répartition des tâches dans les familles.
Mais il ne faut pas non plus augmenter les forces productives sans réfléchir, simplement pour réduire le temps de travail. Il n’y a pas que les accélérationnistes bastaniens qui poussent les slogans réclamant notre libération du travail ou la semaine de quinze heures. On en trouve aussi chez les partisans de la décroissance. L’économie mécanisée a son charme. Le vieux Marx aurait dénoncé ça en disant que l’extrémisme qui consiste à totalement éliminer le travail après des réductions successives grâce à une automatisation totale est aussi problématique : augmenter à ce point les forces productives avec l’objectif de libérer les travailleurs aura forcément des effets destructeurs sur l’environnement mondial.
Et il faut considérer cette réduction du temps de travail par l’automatisation, du point de vue de la question énergétique également.
Considérons le cas d’une technologie qui permet de réduire à une seule personne le nombre de travailleurs nécessaires pour accomplir une tâche qui en nécessitait dix auparavant. Les forces productives ont ainsi décuplé. Mais les compétences du travailleur n’ont pas décuplé. Le travail des neuf autres travailleurs a été juste remplacé par de l’énergie fossile. À la place d’esclaves salariés, nous avons maintenant des combustibles fossiles qui travaillent comme esclaves énergétiques.
Ce qui compte ici, c’est le taux de retour énergétique (TRE) que l’on appelle aussi en anglais EROEI (Energy Returned On Energy Invested), c’est-à-dire, pour une unité énergétique qui rentre dans le système, combien d’énergie en sort.
Quand on regarde les chiffres du pétrole brut des années 1930, on voit que pour une unité d’énergie utilisée, on en obtient 100 en retour. La différence de 99 c’est la quantité d’énergie que l’on peut utiliser à volonté. Après les années 1930, le TRE du brut a considérablement baissé. De nos jours, on voit apparaître le problème que pour la même unité de pétrole brut on n’arrive qu’à 10 unités énergétiques. Pourquoi ? Parce que l’on a extrait tout le pétrole brut des lieux d’où il était facilement extractible.
À ce niveau, le TRE du pétrole brut est devenu équivalent à celui de l’énergie solaire qui est déjà considérablement plus élevée que l’éthanol tiré du maïs dont le TRE est de 1 (ce qui veut dire que pour une unité d’énergie utilisée, on n’en obtient qu’une, ce qui est complètement insensé). Si l’on passait à une société décarbonée en nous séparant de ces combustibles fossiles à haut TRE, nous devrions alors utiliser soit les énergies renouvelables, soit la biomasse. Cependant, s’il est possible de faire fonctionner des véhicules ou des machines avec des énergies renouvelables, ce n’est pas aussi facile pour les engrais chimiques, les produits phytosanitaires, le béton utilisé dans la construction, ou encore l’acier.
Cette transition s’accompagnerait d’une décélération de l’économie et rendrait la croissance difficile. La réduction de la productivité due à la réduction des émissions de gaz carbonique s’appelle “le piège des émissions“. Et puis, si l’esclave qu’est l’énergie disparaît, c’est l’humain qui doit travailler à la place, et de longues heures. Naturellement, cela freine la réduction du temps de travail et conduit à un ralentissement de la production.
Soit une technologie qui permet de réduire à un le nombre de travailleurs nécessaires pour accomplir une tâche qui en nécessitait dix auparavant: le travail de neuf travailleurs a été juste remplacé par de l’énergie fossile.
Nous n’avons pas vraiment d’autre choix que d’accepter un certain ralentissement de la production pour réduire les émissions de gaz carbonique. Et justement, parce que la force de travail va chuter, à cause de ce piège des émissions, il devient de plus en plus important d’affecter la force de travail aux secteurs qui en ont besoin et de réduire les tâches absurdes qui ne produisent pas de valeur d’usage. Il va être difficile, dans une société décarbonée, de réaliser la disparition du travail ou l’émancipation du travail en augmentant la productivité.
Il faut donc réévaluer l’argument de Marx selon lequel il est important de rendre le travail épanouissant et attrayant. C’est sur la base de cette constatation que je poursuis avec le pilier suivant.
Pilier 3 du communisme de décroissance : l’abolition de la division standardisée du travail
Même si l’on peut avoir gardé une image forte de l’Union soviétique abolissant la division du travail standardisé pour restaurer la créativité des travailleurs, on peut être surpris en apprenant que Marx, lui-même, pensait qu’il fallait rendre le travail attrayant. Même si le temps de travail est réduit, si les tâches sont ennuyeuses ou pénibles, c’est vers le consumérisme que nous nous tournerons pour évacuer le stress. Il est donc nécessaire de modifier l’objet du travail et de réduire le stress pour humaniser nos vies.
Si l’on observe les sites de production contemporains, la subsomption du capital par l’automatisation a encouragé le caractère monotone du travail. D’un côté, si des manuels très détaillés accroissent la productivité de manière considérable, ils privent également chaque ouvrier de son autonomie. Ennuyeuses, les tâches dénuées de sens sont partout.
Malgré cela, la question du travail n’est pas suffisamment discutée par les anciens décroissants, qui l’éludent. Leur discours actuel ne fait qu’envisager la réalisation d’activités créatives et sociales en dehors du temps de travail. Ils en concluent que l’automatisation doit réduire les heures de travail autant que possible, mais qu’il faut supporter le reste, même si c’est difficile.
Marx ne considère absolument pas le travail comme quelque chose à éviter. Au contraire, il considère que le travail doit créer les conditions subjectives et objectives pour lui-même, qui lui permettent de devenir un travail attrayant et amènent l’individu à la réalisation de soi. Il ne s’agit pas seulement d’augmenter le temps libre en tant que temps hors du travail, mais aussi d’éliminer la douleur physique et l’absence de but pendant les heures de travail. C’est-à-dire transformer le travail en une activité plus créative et plus épanouissante.
Selon Marx, la première étape nécessaire pour restaurer la créativité et l’autonomie du travail est l’abolition de la division du travail. Dans le cadre de la division capitaliste du travail, le travail est réduit à des tâches standardisées et monotones. Pour résister à cet état de fait, et rendre le travail attractif, il faut concevoir des sites de production où tout le monde peut effectuer des tâches variées.
C’est pour cela que Marx ne cesse de préconiser que la société future aura pour tâche de surmonter l’opposition entre travail intellectuel et travail physique, et celle entre villes et campagnes.
Il insiste particulièrement sur ce point dans sa Critique du programme de Gotha. Dans la société future, les travailleurs ne seront plus servilement subordonnés à la division du travail, le travail ne sera pas seulement un moyen de subsistance, il sera la première exigence de la vie. C’est à ce moment-là que les capacités des travailleurs atteindront leur plein développement8.
Pour aboutir à cela, Marx met également l’accent sur une formation professionnelle égalitaire tout au long de la vie pour surmonter la subsomption et diriger, au sens propre du terme, l’industrie. Dans cette perspective, si l’on considère les pratiques existantes, on peut affirmer que l’accent mis sur la formation professionnelle par les coopératives de travailleurs ou autres est particulièrement important.
On peut même ajouter, sur la base de ces positions de Marx, que si nous abolissions la division standardisée du travail, nécessaire pour retrouver de l’humanité dans notre travail, la priorité à l’efficacité, qui sous-tend la croissance économique, disparaît d’elle-même, et c’est non plus le profit, mais le plaisir que l’on tire du travail et l’entraide qui deviendraient nos priorités. Si l’on envisageait la diversification des activités des travailleurs, la rotation égalitaire des tâches, et la contribution aux communautés, il est évident que l’activité économique connaîtrait un frein. Et c’est ça qui est souhaitable !
Marx ne cesse de préconiser que la société future aura pour tâche de surmonter l’opposition entre travail intellectuel et travail physique, et celle entre villes et campagnes.
Il n’est ici nullement nécessaire de rejeter la science ou la technologie. En nous aidant de la technologie, il nous sera possible de nous engager dans une plus grande variété d’activités. C’est le principe d’utilisation des technologies ouvertes dont j’ai parlé plus haut.
Cependant, pour développer ces technologies, il faut se libérer d’une économie centrée sur les “technologies-verrous“, c’est-à-dire une économie où il est plus facile de dominer les travailleurs et les consommateurs, car elle privilégie le profit, pour la transformer en économie qui privilégie, elle, la production de valeur d’usage.
Pilier 4 du communisme de décroissance : démocratisation du processus de production
Nous devons introduire les technologies ouvertes pour faire progresser la démocratisation du processus de production et, tout en insistant sur la valeur d’usage pour freiner l’économie, réduire le temps de travail. Cependant, pour mettre en place une telle réforme, il est nécessaire que les travailleurs détiennent le pouvoir de décision dans le processus de production. L’outil pour y arriver est la “propriété sociale” de Piketty.
La propriété sociale nous permet de gérer démocratiquement les moyens de production en tant que communs. Quelles sont les technologies à développer ? Quel est l’usage que l’on en fera ? Ce sont des décisions qui seront prises de manière ouverte après des échanges démocratiques.
Mais il ne s’agit pas que de technologie. De nombreux changements auraient lieu si les décisions concernant l’énergie ou les matières premières étaient également prises démocratiquement. Par exemple, il serait possible de remplacer l’approvisionnement électrique d’un fournisseur qui utilise l’énergie atomique par un approvisionnement qui utilise des énergies renouvelables produites localement.
Ce qui compte ici dans la perspective de Marx, c’est que la démocratisation du processus de production est aussi un facteur de freinage de l’économie. La démocratisation du processus de production, c’est la cogestion des moyens de production par association, c’est-à-dire que décider de ce que l’on produit, combien on en produit, comment on le produit, tout cela se fait démocratiquement. Bien sûr, il y aura des dissensions. Et sans possibilité de forcer quelqu’un à accepter un avis donné, le processus d’échange des opinions prendra du temps. La transformation principale que la propriété sociale apporte, c’est le ralentissement du processus de prise de décision.
De nombreux changements auraient lieu si les décisions concernant l’énergie ou les matières premières étaient également prises démocratiquement.
Ce processus est très différent de ce qui se passe dans les grandes entreprises aujourd’hui où l’opinion d’une poignée d’actionnaires influence fortement les orientations.
Si les grandes entreprises sont capables de prendre des décisions rapides en fonction de circonstances en constante évolution, c’est que les désirs de l’équipe de gestion servent de base à la prise de décision, de manière non démocratique. Ce que Marx appelle la tyrannie du capital. En revanche, ce qu’il appelle association met l’accent sur la démocratie dans le processus de production et donc ralentit l’activité économique. Si l’Union soviétique est devenue une dictature dominée par la bureaucratie, c’est parce qu’elle n’a pas pu accepter un tel système.
La démocratisation du processus de production qu’envisage le communisme de décroissance va transformer la société dans son ensemble. Les monopoles de plateforme, mais également la propriété intellectuelle qui, grâce aux nouvelles technologies que protègent leurs brevets, autorisent les entreprises pharmaceutiques, GAFA et quelques autres géants à générer des profits inimaginables, seront interdits. Le savoir et l’information ont vocation à devenir des communs partagés. L’abondance radicale que porte la connaissance doit absolument être restaurée. Une fois le savoir replacé dans les communs, sans les motifs que nous apportent la concurrence pour le profit ou les parts de marché, les entreprises privées n’innoveront plus aussi rapidement.
Mais ce n’est pas un mal. Le développement de technologies-verrous par le capitalisme pour générer de la rareté artificielle ne fait que prévenir le développement réel de la science et des techniques. Marx écrit dans la Critique du programme de Gotha que se libérer des contraintes que nous impose le marché autorisera chacun à développer pleinement ses capacités et grâce aux nouvelles technologies permettra une plus grande efficacité et une amélioration des forces productives.
Le communisme a pour objectif le développement de technologies ouvertes, en tant que communs, respectueuses des travailleurs et de la Terre.
Pilier 5 du communisme de décroissance : mise en valeur des services essentiels
Passer à une économie de la valeur d’usage et mettre en valeur les services essentiels à haute densité de main-d’œuvre, c’est, comme nous l’avons vu dans le chapitre 4, une rupture du même ordre que celle que Marx opère avec le productivisme pour accepter les limites naturelles. À ce sujet, j’aimerais souligner une dernière fois qu’il existe des limites réelles à l’automatisation et au passage au tout IA dont on parle partout en ce moment.
Les secteurs où la mécanisation est difficile et où des humains doivent effectuer les tâches s’appellent industries à haute densité de main-d’œuvre. Le travail de service à la personne (le care) en est un exemple typique. Le communisme de décroissance transforme nos sociétés en sociétés qui attachent de l’importance à ces industries. Cette transformation a aussi pour effet de ralentir l’économie.
Le soin est un type de production qui s’attache à la valeur d’usage. Les tâches du personnel soignant ne se limitent pas à nourrir, changer et laver une personne. C’est exactement la même chose pour le personnel d’éducation.
Pour comprendre comment attacher de l’importance à ces industries, je vais prendre ici l’exemple du travail du soin justement.
Tout d’abord, il est évident qu’il est très difficile d’automatiser ce secteur. Dans ce domaine de la reproduction sociale où l’on met l’accent sur le soin et la communication, des situations irrégulières ne cessent de se produire à cause de la complexité et de la diversité des tâches demandées, et malgré les tentatives d’uniformisation et de systématisation des manuels. Comme il est impossible d’éliminer ces situations irrégulières, l’introduction de robots ou d’intelligence artificielle n’est pas efficace.
C’est en soi la preuve que le soin est un type de production qui s’attache à la valeur d’usage. Par exemple, le personnel soignant ne peut pas se contenter de suivre un manuel d’instructions. Ses tâches ne se limitent pas à nourrir, changer et laver une personne. Il doit aussi être à l’écoute et créer avec elle une relation de confiance pour pouvoir identifier les modifications physiques ou psychologiques à partir d’indices ténus, et réagir avec souplesse et au cas par cas en tenant compte de la personnalité et du passé de la personne accompagnée. C’est exactement la même chose pour le personnel d’éducation.
Ces spécificités font que ce travail du soin est également appelé “travail émotionnel“. On n’est pas à la chaîne. Ignorer les émotions de la personne accompagnée et il faut tout recommencer. C’est pour cela qu’il est impossible d’augmenter la productivité de ce travail de deux ou trois fois en augmentant le nombre de personnes accompagnées. Le soin, la communication sont des tâches qui nécessitent du temps, et puis les personnes qui ont besoin de ces services n’ont pas non plus envie de raccourcir le temps d’accompagnement consacré.
Bien sûr, il est possible de rationaliser un certain nombre de processus. Cependant, la poursuite de la productivité pour gagner de l’argent (valeur) est finalement la cause d’une chute de la qualité du service (valeur d’usage).
Or, précisément en raison des difficultés de mécanisation, le secteur du soin à haute intensité de main-d’œuvre est considéré comme ayant une productivité faible et des coûts élevés. Ces contraintes font que les travailleurs sont soumis à des exigences déraisonnables d’efficacité par les directions de ces services, mais également les gestionnaires proches des lieux de pratique, conduisant ainsi à des réformes et mesures de réduction des coûts tout aussi absurdes.
extraits de Kōhei Saitō, Moins ! La décroissance est une philosophie,
traduit par Jean-Christophe Helary (2024)
John Cockerill est un peu l’arbre qui cache la forêt. Il la cache par son génie, par le mythe qui s’est créé autour de son personnage et autour de ses œuvres. Et pourtant, il n’était pas le seul, les vieux ouvriers disaient qu’ils travaillaient “amon Dallemagne“, “amon Michiels” ou “amon Orban” [“chez Orban”] selon qu’on parlait de l’une ou l’autre usine. Il y a tout un monde qu’il faut évoquer. Pourquoi, dans les années 1780-1830, notre région liégeoise est-elle devenue un des pôles du développement industriel européen ? Pourquoi à Liège et pas ailleurs ? Certes, il y avait du minerai de fer, on a recensé 300 anciennes petites mines de fer ; il y avait du charbon, mais il y en avait aussi ailleurs. Il faut chercher la réponse du côté des hommes, de leur savoir, de leurs réactions.
C’est ce monde des années 1780 à 1830 que nous vous invitons à découvrir. Il a donc connu cinq régimes : les derniers princes-évêques, la Révolution française, l’Empire français, le régime hollandais et la Belgique léopoldienne. Il faut pénétrer dans les lieux où se réunit ce monde. Trois grandes sociétés liégeoises sont créées dans les mêmes années : la Loge “La parfaite Intelligence“, la société libre d’Emulationet la Société littéraire. Les personnes qui se retrouvent dans ces sociétés sont souvent les mêmes. C’est un univers d’intellectuels, d’aristocrates, de bourgeois qui partagent les mêmes intérêts. Il y a des politiques, des inventeurs, des financiers dont l’idéal est celui des Lumières. C’est à la fois le libre examen et le libre échange. Ils désirent appliquer la méthode scientifique dans tous les domaines, dans les matières de sciences, dans les matières d’éducation, de politique, de religion, d’économie c’est-à-dire qu’ils mettent la science au service de la prospérité publique. Ils veulent introduire toute espèce de nouveau procédé, élever le niveau d’instruction des ouvriers qui sont trop souvent, à ce moment, esclaves de la routine.
Au cours des cinq régimes évoqués ci-dessus, on trouve la même politique d’encouragement et de développement. Velbrück était un ami des encyclopédistes, il était franc-maçon et un des aspects de lui moins connu : ami des arts et des manufactures. Ce concept d’émulation se défini à l’époque comme une honnête rivalité pour l’honneur et pour le bien, une compétition dans le pays pour susciter le plus possible de talents. La société l’Emulation pose des questions : comment prémunir les mineurs contre les accidents, trop fréquents ; comment perfectionner les moyens de pompage dans les mines ; comment fabriquer du fer avec du charbon de terre alors qu’on utilisait le charbon de bois.
Les élites anglaises et américaines venaient étudier à Liège au collège des jésuites anglais, supprimé en 1773. Velbrück y voit l’occasion de créer un enseignement supérieur de la physique et des mathématiques de très haut niveau, ouvert cette fois aux élites liégeoises et européennes. Il crée en même temps le grand collège installé dans l’université, l’académie et des écoles de mathématiques et de géométrie pour les artisans. Il s’agit de doter Liège d’un enseignement spécialisé à la fois du point de vue technique, du point de vue général et même du point de vue médical et juridique. Ces idées seront reprises après la parenthèse révolutionnaire. Le régime français crée un conseil d’agriculture et des arts et manufactures, équivalent de la chambre de commerce. Il crée aussi une société des sciences physiques et médicales.
Les inventeurs sont trouvés dans le même milieu de la société d’Emulation. Ils se tiennent au courant de l’actualité scientifique. Spa est le rendez-vous de toutes les élites industrielles. Autour de l’analyse des eaux, se développe un milieu scientifique avec deux frères ennemis, les frères de Limbourg : Jean-Philippe et Robert, un chimiste et un géologue. Dans leur fourneau de Juslenville, ils font des recherches pour utiliser le charbon de terre en le transformant en coke. Jean-Jacques-Daniel Dony prend la concession de la Vieille Montagne et cherche comment produire du zinc métallique à partir du minerai. Les frères Poncelet de Sedan s’intéressent à la cémentation du fer pour faire de l’acier. Jean Gossuin les invite à Liège où ils entrent en contact avec un chimiste pour expérimenter les céments afin de fabriquer des limes. Ils trouvent un client important : la fonderie de canons créée par les préfets en 1803. Napoléon a, en effet, voulu redonner à Liège sa vocation de grande cité armurière en créant la fonderie de canons. Il y a donc eu interaction entre des savants et des chercheurs. La société d’encouragement de Paris couronnera deux liégeois en 1810 : Cockerill pour ses machines à tisser et à filer, et les frères Poncelet pour leur fabrication de limes en acier. Ils vont ensuite arriver à pouvoir fondre l’acier dans leurs creusets et fabriquer de l’acier coulé. Nous sommes dans un monde d’inventeurs doublés de bons investisseurs et de bons financiers.
Voici maintenant le monde des financiers. John Cockerill est le plus mauvais exemple car c’est un génie de la mécanique qui croit que ses machines sont tellement bonnes qu’il pourra toujours en vendre ! Les Orban sont des petits commerçants qui construisent un haut fourneau, produisent des tôles, fabriquent des bateaux en fer. Les Lamarche démarrent par la mécanique et s’associent avec un constructeur britannique pour construire des machines à vapeur. Pour celles-ci, il faut du fer et ils vont acheter des hauts fourneaux, des charbonnages, des fours à coke. Il sont aussi liés à la politique car une des filles Orban a épousé un avocat du nom de Frère qui deviendra l’illustre Frère-Orban.
Le milieu des travailleurs qui possèdent le savoir-faire et qui ont su s’adapter aux techniques nouvelles joue aussi un rôle important. Les Liégeois ont été forts dans la construction des machines à vapeur parce qu’ils étaient spécialisés dans l’industrie armurière. Puisqu’ils savaient forer et polir des canons de fusils, ils pouvaient faire de même pour les cylindres de machine à vapeur.
Le grand développement liégeois résulte d’un milieu complexe qui interagit. Le capital des uns, le savoir-faire traditionnel des autres, l’innovation technologique des savants, l’appui des politiques, constituent la recette de cette première réussite.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en janvier 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
On peut reprocher à Paul Delvaux un certain systématisme dans la répétition de ses thèmes (femmes nues, architecture antique, squelettes, trams et trains), on peut trouver sa figuration académique, son trait simpliste et maladroit, on peut regretter un univers surréaliste rêveur et naïf, éloigné de la pensée intellectuelle et de l’engagement politique d’André Breton et sa bande… Toujours est-il que, trente ans après sa mort, l’artiste wallon (il est né à Antheit, près de Huy) reste, pour un tas de raisons, une figure marquante et attachante de l’art belge du XXe siècle ! La superbe rétrospective proposée par le musée de La Boverie, à Liège, permet de toute évidence de ne pas s’arrêter à ces quelques défauts.
Tout en présentant quelques pièces maîtresses comme sa Vénus endormie, sa Crucifixion ou sa Mise au tombeau, l’exposition a le mérite de dévoiler des œuvres rares, souvent de premier plan, issues de collections privées. Et de constater d’abord que le monde de Delvaux, s’il doit beaucoup au surréalisme et notamment à Magritte et à l’art métaphysique de De Chirico, s’écarte malgré tout de ce mouvement en raison d’une primauté constante d’un certain onirisme. Avant tout, le peintre concentre et juxtapose les situations les plus improbables, celles de ses fantasmes et de son monde intérieur, pour créer un univers authentique et crédible, conforme – par le réalisme de ses éléments iconographiques – aux normes de la réalité. En cela, Delvaux relève davantage de ce courant typiquement belge et néerlandais qu’est le réalisme magique.
L’artiste est aussi une véritable éponge, son œuvre a absorbé diverses influences, c’est la somme de différentes parties qui, au fil du temps, finissent par former un tout cohérent et personnel. Delvaux tient d’abord de son maître, le symboliste Constant Montald, le sens de la composition et des perspectives bien marquées (sa force de frappe artistique), son attrait pour l’Antiquité grecque (renforcé par son amour immodéré pour l’Odyssée d’Homère, dévorée lors de ses humanités gréco-latines), son intérêt pour le nu féminin et pour le paysage peint d’après nature.
Il est aussi marqué dans sa jeunesse par le trait vigoureux et par les squelettes d’un Ensor (quand il suit la trace de ce dernier, la qualité de son dessin devient remarquable), par l’expressionnisme brutal et les personnages populaires de Permeke et De Smet (influence à laquelle son art renoncera par la suite), par les mondes silencieux et nocturnes d’un Magritte.
Cette synthèse stylistique ne serait évidemment rien sans ces vestales nues, les yeux en amande, portant une lampe à pétrole, silencieuses et taciturnes à la façon des héroïnes de Maeterlinck, sans ces squelettes comico-tragiques dont l’humanité et le pathos explosent même dénués de chair (Delvaux n’a pas son pareil pour nous rappeler la triste finalité de la condition humaine), sans ces villes antiques dont les temples, les agoras et les propylées, vigoureusement plantés dans le décor, doivent beaucoup dans la pertinence de leur représentation à une année d’études en faculté d’architecture, rachetant, par la qualité de leur dessin, la pauvreté et la faiblesse de ses nus et portraits.
Delvaux ne serait pas Delvaux non plus sans les merveilleuses mécaniques de trams ou de trains dépeints avec une précision photographique, unique concession à la modernité alors qu’aujourd’hui ces véhicules confèrent une aura nostalgique et ‘vintage’ à son œuvre, dans une atmosphère ingénue qui n’est pas sans rappeler le courant de l’art naïf. Un examen détaillé des tableaux montrent aussi la récurrence d’objets ou de personnages (le miroir, le journal, l’homme en costume sombre) et le dédoublement régulier d’éléments au sein d’une même représentation (les sept vestales habillées à l’avant-plan d’une toile, que l’on retrouve nues, et de plus petite taille, dans la partie droite de l’œuvre) comme si, héritage probable du symbolisme oblige, une réalité du monde peut en cacher une autre…
[THECONVERSATION.COM, 7 novembre 2024] Si l’on associe habituellement la sorcière à l’époque médiévale, on trouve déjà des figures féminines qui jettent des sorts et sont décrites comme néfastes et castratrices dans les textes grecs et latins de l’Antiquité. Dans son ouvrage Sorcières, la puissance invaincue des femmes (Zones, 2018), l’essayiste Mona Chollet rappelle très justement que les grandes chasses aux sorcières se sont déroulées en Europe, aux XVIe et XVIIe siècles. La répression impitoyable de ces femmes jugées déviantes est un fait moderne.
On trouve cependant dans les textes grecs et latins de l’Antiquité des figures féminines que l’on peut qualifier de sorcières, dans le sens où elles jettent des sorts (sortes en latin) et sont vues comme des êtres nocifs. Quelles sont donc les principales caractéristiques de ces sorcières antiques ?
Les dix types de femmes selon Sémonide d’Amorgos
Rappelons tout d’abord que c’est le genre féminin presque dans son ensemble qui est le plus souvent présenté, dans l’Antiquité gréco-romaine, comme une calamité. Dans son poème Sur les femmes, composé au VIIe siècle av. J.-C., le poète grec Sémonide ou Simonide d’Amorgos classe les femmes en dix catégories dont huit sont associées à des animaux et deux à des éléments naturels. À partir de son œuvre, nous pouvons établir la typologie suivante :
Seule « l’abeille », c’est-à-dire la femme mariée et mère, possède des qualités aux yeux du poète. La sorcière appartient à la catégorie de la renarde ; mais elle peut aussi tenir de la jument ou, au contraire, de la truie, comme nous allons le voir.
Déshumaniser les humains
Circé est l’une des premières figures féminines de la littérature occidentale. Elle apparaît pour la première fois dans l’Odyssée, le fameux poème épique composé par Homère, vers le VIIIe siècle av. J.-C. On la retrouve encore, plus tard, dans l’œuvre d’Hygin (67 av.-17 apr. J.-C.), auteur de fables latines. Le fabuliste raconte que Circé s’était éprise du dieu Glaucus qui repoussa ses avances, car il était amoureux de la belle Scylla. Furieuse, Circé se venge de sa rivale avec cruauté. Elle verse un violent poison dans la mer, à l’endroit où Scylla a coutume de se baigner ; ce qui a pour effet de transformer la victime en chienne à six têtes et douze pattes (Hygin, Fables, 199).
Reléguée dans une île nommée Eéa en raison de ses crimes, Circé n’a de cesse d’y faire le mal. Elle transforme en bêtes les hommes qui ont le malheur de débarquer sur son île. Elle leur fait boire un kykeon, potion enivrante, composée de vin, miel, farine d’orge et fromage, auxquels elle mélange une drogue. Après les avoir ainsi étourdis, elle les transforme en fauves, en loups ou en porcs, d’un coup de sa baguette magique (Homère, Odyssée, X, 234-235). Circé règne sur une sorte de zoo, entourée des animaux qu’elle a elle-même créés et dompte pour son plus grand plaisir. Par ses maléfices, elle incarne la régression de l’humanité devenue monstrueuse ou bestiale.
Dans le roman d’Apulée, Les Métamorphoses, une vieille courtisane nommée Méroé change en castor l’amant qui l’a délaissée et le contraint à s’amputer lui-même de ses testicules (Apulée, Les Métamorphoses, I, 9). La sorcière déshumanise les hommes, tout en les privant de leur virilité.
Tuer des femmes et des enfants
Pasiphaé, sœur de Circé, possède, elle aussi, des pouvoirs néfastes. Pour se venger des infidélités de son époux, le roi de Crète Minos, elle lui administre une drogue qui ne lui fait aucun mal mais provoque la mort de ses maîtresses. “Quand une femme s’unissait à Minos, elle n’avait aucune chance d’en réchapper. […] Chaque fois qu’il couchait avec une autre femme, il éjaculait dans ses parties intimes des bêtes malfaisantes et toutes en mouraient”, écrit le mythographe grec Apollodore (Bibliothèque, III, 15, 1).
Chez le poète latin Horace, la sorcière Canidia découpe le corps d’un enfant encore vivant dont elle extrait le foie et la moelle, ingrédients qui lui serviront à confectionner ses philtres (Horace, Épodes, V).
Pour se venger d’une femme enceinte qui l’a insultée, Méroé lui jette un sort afin qu’elle ne puisse pas accoucher. Son ventre deviendra gros comme un éléphant, mais son enfant ne verra jamais le jour (Apulée, Les Métamorphoses, I, 9).
Détruire la nature
C’est aussi, de manière plus générale, la fertilité de la nature tout entière qu’anéantit la sorcière. Le poète latin Lucain imagine, dans La Pharsale, l’effrayante Erichtho. Elle ne vit pas parmi les humains mais dans une nécropole. Son maigre corps ressemble à un cadavre. Pendant les nuits orageuses et noires, elle court dans la campagne, empoisonne l’air et réduit à néant la fertilité des champs. “Elle souffle, et l’air qu’elle respire en est empoisonné“, écrit Lucain (La Pharsale, VI, 521-522). Comble de l’horreur, elle dévore des cadavres : elle boit le sang qui s’écoule des plaies des condamnés à mort, pendus ou crucifiés. “Si on laisse à terre un cadavre privé de sépulture, elle accourt avant les oiseaux, avant les bêtes féroces” (Lucain, La Pharsale, VI, 550-551).
Une célibataire sans enfants
Circé n’est ni mariée, ni mère.”Elle ne tire aucune jouissance des hommes qu’elle a ensorcelés […] ; ils ne lui sont d’aucun usage“, précise Plutarque (Préceptes de mariage, 139 A). On n’imagine pas, en effet, Circé faisant l’amour avec des porcs ou avec des fauves. Elle demeure donc célibataire et vierge. Cependant, le héros Ulysse parviendra à déjouer ses maléfices et à coucher avec elle. En la possédant, il lui fait perdre son statut d’électron libre. Tout est bien qui finit bien. Soumise, Circé devient une femme ‘normale’ au regard des représentations sociales de la Grèce antique. La renarde est transformée en abeille, selon la catégorisation de Sémonide. Réduite au rôle d’épouse aimante, elle accouchera de trois fils, écrit le poète grec Hésiode (Théogonie, 1014).
Une femme exotique
Circé habite une contrée lointaine, à l’extrémité occidentale du monde connu de l’époque. Elle est perçue comme une étrangère. Sa sœur Médée, elle aussi experte en philtres magiques, vit en Colchide, dans l’actuelle Géorgie, à la marge cette fois orientale du monde grec. Son nom serait à l’origine de celui des Mèdes, peuple du nord-ouest de l’Iran, selon l’historien antique Hérodote (Histoires, VII, 62). Circé et Médée incarnent une altérité féminine exotique.
Chez Apulée, Méroé porte le même nom que la capitale de la Nubie, aujourd’hui au nord du Soudan (Apulée, Les Métamorphoses, I, 7-9). Cette fois, c’est l’Afrique qui représente l’étrangeté. La sorcière est en relation avec les confins du monde.
Jeune fille charmeuse ou vieille femme hideuse
Circé est extrêmement séduisante et désirable avec sa belle chevelure et sa voix mélodieuse, attributs d’une féminité au fort potentiel érotique. C’est une ‘femme-jument’, selon la typologie de Sémonide d’Amorgos. Sur les céramiques grecques du Vᵉ siècle av. J.-C., elle apparaît comme une élégante jeune femme, vêtue d’un drapé plissé. De belles boucles ondulées s’échappent de sa chevelure noire, couronnée d’un diadème. La sorcière se confond alors avec la figure de la femme fatale.
Dans cette même veine, à la fin du XIXe siècle, le peintre [belge] Charles Hermans imagine une Circé de son temps, jeune courtisane qui vient d’enivrer son riche client, sans doute pour mieux le dépouiller de son portefeuille. Brune et pulpeuse, elle évoque une gitane, adaptation moderne de l’exotisme de Circé.
Les auteurs d’époque romaine imaginèrent, quant à eux, des sorcières répugnantes physiquement que Sémonide d’Amorgos aurait rangées dans la catégorie des ‘truies’. Des vieilles dégoûtantes (Obscaenas anus), selon l’expression d’Horace qui propose une évocation saisissante de ce type féminin, à travers le personnage de Canidia. Son apparence est effrayante : ses cheveux hirsutes sont entremêlés de vipères. Elle ronge “de sa dent livide l’ongle jamais coupé de son pouce” (Horace, Épodes, V). Cheveux, ongles et dents constituent les contours anormaux de la sorcière, tandis que, de sa bouche, émane un souffle empoisonné “pire que le venin des serpents d’Afrique” (Horace, Satires, II, 8).
Qu’elle soit irrésistiblement séduisante ou d’une laideur repoussante, la sorcière antique incarne un pouvoir féminin considéré comme néfaste et castrateur ; elle symbolise une forme de haine de l’humanité et même de toute forme de vie. Elle est l’incarnation fantasmée d’une féminité à la fois contre-nature et, pourrions-nous dire, contre-culture.
Max ANDERSSON est né en 1962 en Suède. Il étudie la conception graphique à Stockholm entre 1982 et 1984, puis suit des cours de cinéma à l’université de New York. Après avoir dirigé de nombreux courts-métrages, il se tourne vers la bande dessinée à la fin des années 80. Ses travaux sont publiés dans de nombreuses revues européennes (en France dans Lapin et Hopital Brut) et japonaises. En France, L’Association édite deux albums : “Pixy” (1997) et “La Mort & Cie” (1998). Max Andersson vit et travaille aujourd’hui à Berlin. (d’après BEDETHEQUE.COM)
Cette sérigraphie représente le personnage de Lamort, héros du livre “Lamort et cie” (Editions L’Association, 1998), recueil d’histoires courtes partiellement parues en Suède dans l’album “Vakuumneger” et aux Etats-Unis dans le comic-book “Zero-Zero” (Fantagraphics).
Le travail d’Andersson est principalement en noir et blanc, ici rehaussé de touches rouges. Son graphisme est puissant et son humour grinçant et radical.
“Il existe une longue tradition d’humour noir en Suède et je me vois comme un chaînon de cette tradition.” (M. Andersson)
[UNITELAIQUE.ORG, 4 novembre 2024, communiqué de presse] Le 28 octobre 2024, des experts nommés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU ont accusé la France de ne pas lutter contre les discriminations dont seraient victimes les femmes et filles choisissant de porter le hijab sur les terrains de sport. Ils mettent notamment en cause la décision du Conseil d’État d’autoriser la Fédération Française de Football d’édicter des règles prohibant le port d’insignes religieux pendant les matchs. Cet avis semblerait, selon eux, “sous-tendre que tout port du hijab dans l’espace public – expression légitime d’une identité et d’une croyance – est assimilable à une atteinte à l’ordre public.” “Toute limitation à ces libertés doit être proportionnée, nécessaire pour atteindre l’un des objectifs énoncés en droit international (sécurité, ordre et santé publique, droits d’autrui), et justifiée par des faits qui peuvent être démontrés, et non par des présomptions, des hypothèses ou des préjugés.” Fermez le ban.
Les experts signataires de cette déclaration dont la liste est disponible sur le site de l’une de ces très nombreuses agences que l’ONU finance et promeut avec zèle, se font les porte-paroles d’ONG et associations dont l’obsession semble être la laïcité et l’universalisme porteurs d’émancipation.
Non, l’interdiction de porter des signes religieux ostensibles sur les terrains de sport français, n’est pas une atteinte à la liberté d’expression ni à la liberté de manifester une “identité” que les “experts” onusiens seraient bien en peine de préciser. Ce n’est pas non plus un frein empêchant les femmes de “prendre part à tous les aspects de la société française dont elles font partie.” C’est tout le contraire. C’est l’occasion pour elles de s’insérer sans affichage communautaire dans des équipes mues par l’objectif de partager le goût du jeu et de la victoire sous les seules couleurs d’un club ou d’une sélection nationale.
D’autres pays, qui honnissent la laïcité dont s’honore la France et qui n’ont de cesse de solliciter la complicité d’instances internationales et d’associations pour mener cette guérilla, n’ont pas envers leurs propres ressortissantes les mêmes attentions en matière d’égalité et de liberté d’expression. On pourrait par exemple citer le sort réservé aux femmes afghanes ou aux Iraniennes.
À cet égard, en mettant en scène le geste libérateur d’une judokate arrachant sur le dojo son austère hijab pour enfin respirer librement et combattre son adversaire qui personnifie la société patriarcale et totalitaire du régime des mollahs, Zar Amir Ebrahimi, la réalisatrice du magnifique film iranien Tatami propose une réplique cinglante aux palinodies auxquelles nous ont désormais habitués l’ONU et ses “experts.”
En France, le site officiel VIE-PUBLIQUE.FR définit “La laïcité est un principe inscrit dans la Constitution. Elle garantit la liberté de conscience, l’égalité de tous les citoyens quelle que soit leur croyance, la neutralité de l’État à l’égard des religions et le libre exercice des cultes. La laïcité est un des principes définissant la République qui est “indivisible, laïque, démocratique et sociale” (art. 1 de la Constitution). Inscrite dans la Constitution de 1946 et reprise par la Constitution de 1958, la laïcité figure parmi les droits et libertés fondamentaux garantis par celle-ci, au même titre que l’égalité ou la liberté. Selon le Conseil constitutionnel (décision du 21 février 2013), résultent du principe de laïcité :
le respect de toutes les croyances et l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion ;
la garantie du libre exercice des cultes ;
la neutralité de l’État ;
l’absence de culte officiel et de salariat du clergé.
La loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État est la clé de voûte de la laïcité en France.”
[TERRESTRES.ORG, 20 octobre 2020] Depuis plus d’une décennie, presque chaque élection à travers le monde se solde par ce constat d’impuissance navrante : prévoir le pire. Que penser des élections américaines du 3 novembre [2020] prochain ? Une défaite de Trump pourrait-elle se muer en un coup de force fasciste ? Une victoire de Biden offrirait peu de choses, mais pourrait être le point d’appui minimal pour expérimenter d’autres façons de vivre aux U.S.A.
Que se passe-t-il aux U.S.A. ? À l’occasion des élections présidentielles, la précipitation d’une orientation fasciste de l’État : la société états-unienne saura-elle s’y opposer ? C’est à cette question que ce texte cherche à répondre, en analysant, d’une part, la manière dont l’esprit de la milice informe le fascisme états-unien, et, d’autre part, les conditions politiques qui permettraient d’abolir cet esprit délétère. Abolir, ou confirmer l’effondrement social, psychologique, et écologique des U.S.A. : telle est l’alternative.
Précipitation du fascisme
J’entends certes décrire un phénomène qui n’est pas nouveau : l’histoire des U.S.A. commence avec le génocide des natifs et se continue par l’esclavage, une prise sur les corps amérindiens puis Noirs à partir de laquelle se constitue la forme de vie Blanc ; elle est l’histoire de la modernité, où la brutalité est élevée au rang d’un droit que le capitalisme utilise pour écraser ceux qui s’y opposent ; l’histoire de l’éradication par tous les moyens possible des mouvements d’émancipations socialistes et communistes, au Moyen-orient comme en Amérique du Sud ; l’histoire des guerres impériales. Mais si cette vision au long cours est nécessaire à la compréhension du racisme structurel, de l’impérialisme et du clivage en termes de classes de la société états-unienne, elle risque cependant de rendre opaque ce qui s’est accéléré depuis l’investiture de Donald Trump.
Car on aurait tort de réduire Trump à un businessman ou à quelque pitre dangereux. Aidé par le Parti Républicain, les fondamentalistes chrétiens, et les puissants syndicats policiers hautement financés qui ne tolèrent pas d’être mis en cause, Trump a modifié en profondeur le système judiciaire (nommant à tour de bras des jeunes hommes blancs dans les cours de justice, et des membres ultra-conservateurs à la Cour Suprême qui décide en dernière instance de toute la vie institutionnelle du pays, de la validation d’une élection présidentielle aux lois sur le port d’arme et l’avortement), éliminé des services de renseignement ceux qui n’obéissent pas à ces ordres (notons au passage que la directrice de la C.I.A. nommée par Trump, a joué un rôle dans des programmes de torture), et détricoté les lois de protection environnementale. Sur le plan discursif, les prises de position de Trump et ses supports parlementaires sont en faveur des actes racistes, des théories complotistes de type QAnon – nous apprenant que le monde est gouverné en secret par des pédophiles cannibales – qui désormais se répandent aussi en Europe, et des milices d’extrême-droite.
Secondé par le Parti Républicain, Trump tente aujourd’hui d’invalider par avance l’élection de novembre 2020 à laquelle pourtant il participe, jouant ainsi sur deux tableaux à la fois au cas où il ne serait pas élu : en détruisant les services postaux, ce qui a pour effet de ralentir l’acheminement des bulletins de votes envoyés par la poste et pourra ainsi invalider les bulletins arrivés trop tard (au Texas, le gouverneur a eu une meilleure idée : se débarrasser des boites où les électeurs des régions à majorité démocrate peuvent déposer leur bulletin) ; en purgeant les listes électorales et exigeant des preuves d’identités parfois impossibles à produire ; en réduisant la possibilité de voter avant le 3 novembre (Early Voting), alors que le vote est un mardi, c’est-à-dire un jour où il est difficile de voter pour ceux qui travaillent ce jour-là ; en appelant des électeurs à voter deux fois, par correspondance et aussi le jour du vote, alors que c’est un crime ; en déclarant par avance les élections truquées ; en appelant les milices d’extrême-droite, genre Proud Boys, à surveiller les élections, c’est-à-dire à intimider ceux qui vont voter. Et il y a de quoi être intimidé, quand on est African-American, c’est-à-dire quand on est un sujet pouvant être tué impunément – tué avec la bénédiction du pouvoir en place.
Nietzsche avait raison de dire que les événements importants arrivent souvent inaperçus, avec la légèreté de pattes de colombes ; mais certains d’entre ces événements arrivent parfois avec des fusils d’assaut. Tout ce dont je parle est effectué au grand jour, il s’agit d’une fascisation directe, établie à partir d’actes revendiqués, justifiés, validés par les cours suprêmes de chaque État lorsqu’elles sont à majorité Républicaine, tout le contraire d’un complot obscur. Il semble d’ailleurs, pourrait-on dire à titre d’hypothèse para-freudienne, que plus la brutalité réelle est manifeste, sans discours cherchant à la dissimuler dans un jet de brouillard idéologique, plus c’est la dissimulation elle-même qui devient l’objet d’un investissement psycho-politique déplacé : une cause obscure, délirante (QAnon), cherche à évincer les causes évidentes (brutalité du pouvoir et de l’argent). On tue au grand jour (policier filmé en train d’asphyxier un sujet africain-américain), on ment effrontément, on expose sans vergogne la vie des populations au COVID-19. On déclare que de toute façon la démocratie n’est pas l’objectif de la société états-unienne.
Encore une fois : je ne pense pas que ces faits viennent de nulle part, et il est important de comprendre que la démocratie aux U.S.A. se mesure moins à la Constitution qu’à la lutte permanente pour abolir ce qui la rend impossible. Tout comme la langue y est véhiculaire, résidant dans son usage sans que l’équivalent d’une Académie Française ne la règle (l’anglais, notons-le, n’est pas constitutionnellement défini aux U.S.A. comme langue nationale), la démocratie aux U.S.A. est une pratique dont le destin est de se rejouer sans cesse. On dira qu’il en est ainsi partout, que la démocratie n’est que cela, une pratique sans garantie de pérennité, la nécessité de reprendre sans cesse l’active suppression du régime inégalitaire de l’existence. Sans doute, mais précisons alors deux choses :
d’une part, ce régime inégalitaire est singulièrement mis à nu aux U.S.A., donnant lieu à une sorte d’insomnie démocratique émaillée de micro-coups d’État ;
d’autre part, avec l’arrivée de Trump, le régime inégalitaire est désormais pratiqué sans anesthésie, à même le corps des populations méprisées : ce n’est plus même de la mise à nu, c’est de l’écorchement.
En ce sens, ce que je nomme la précipitation fasciste est un changement qualitatif qui ne peut se réduire à une simple augmentation quantitative du régime d’horreur ordinaire ; mais pour comprendre la nature de ce fascisme made in U.S.A., il est auparavant nécessaire de s’attarder sur le phénomène de la milice.
Ce que je nomme la précipitation fasciste pourrait trouver son point de réalisation assez vite. Si Trump gagne, la fascisation risque de suivre son cours mais de façon plus ralentie, Trump préparant sa succession en 2024 en faveur de sa famille, fille ou fils ; mais c’est plutôt un autre scénario que je veux explorer ici, un scénario plus urgent : s’il ne gagne pas, Trump refusera le verdict des votes, et des armées d’avocats sont déjà préparées, du côté des Républicains comme des Démocrates, pour aller au combat juridique. Aux U.S.A., la tradition veut que celui ou celle qui a perdu appelle le vainqueur, littéralement, au téléphone, et concède la victoire ; mais ce n’est qu’une coutume et rien d’autre, et Trump ne concèdera rien, c’est ce qu’on lui a appris à faire. En fonction de la situation donc, Trump appellera les milices d’extrême-droite à descendre dans la rue ; il leur a demandé il y a peu, au cours de son premier débat télévisé avec Joe Biden, de “se tenir prêtes (to stand by).”
Or la milice (Militia) est l’une des composantes fondamentales de l’histoire de la gouvernementalité états-unienne, elle naît à l’époque coloniale, se développera comme instrument de contrôle des esclaves, et pourrait apparaître comme modèle pour la police de ce pays. Telle qu’elle est définie par le Second amendement de la constitution, la milice bien réglementée (Well-regulated) est dite “nécessaire” à la “sécurité d’un État libre”, et pour cette raison “le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé (infringed)“. Mais le Second amendement est ou bien interprété pour insister sur la nécessité que la milice soit “réglementée” au niveau des États et de l’État fédéral, ou bien pour affirmer le droit de chaque individu à porter des armes. La seconde interprétation fleurit dans les groupes paramilitaires, farouchement anti-gouvernementaux, suprématistes (mais pas tous) et violents (pour nombre d’entre eux), qui affichent leur défense du Second amendement. Selon l’U.S. Code, ces groupes devraient être considérées comme appartenant à la “milice inorganisée“, par différence avec la “milice organisée” que sont la National Guard et la Naval Militia. “Inorganisé“, on le comprend, du point de vue d’un État ayant soi-disant le monopole de la force armée.
S’il est certes possible, quoique difficile, de dénombrer exactement les quelques dizaines de milliers de miliciens qui appartiennent aux trois cents groupes répertoriés (les “inorganisés“, donc), ce nombre n’est que la pointe locale de la milice entendue en son sens général, telle que l’U.S. Code en donne la définition : non pas “organisée” ou “inorganisée“, mais, en amont de cette distinction secondaire, constituée par “tous les hommes valides âgés d’au moins 17 ans et […] de moins de 45 ans qui sont, ou ont fait une déclaration d’intention de devenir, citoyens des États-Unis“. Tout citoyen male américain est un milicien potentiel (pour les femmes, elles doivent être d’abord membres de la Garde Nationale afin de prétendre au statut général de milicien), pouvant être mobilisé par le Congrès : en cas de guerre civile, afin de “supprimer les insurrections“, et pour “repousser les invasions“, (article 1, section 8, clause 15 de la Constitution).
Et cette potentialité pourrait rapidement devenir effective. S’il est vrai que les milices anti-fédéralistes (“inorganisées“) sont multiples et éparpillées, on assiste depuis 2016 à un “tournant collectif” de ces comportements individuels, et la pandémie actuelle, érodant la confiance dans le futur, semble nourrir le besoin individuel de se constituer une carapace de violence contre les atteintes de la réalité extérieure (qu’elles soient de l’ordre d’un virus ou d’une crainte bien plus imaginaire que réelle quant à la perte de pouvoir des Blancs). Ajoutez à cela les vétérans qui viennent grossir les troupes de miliciens, et l’”Armée pour Trump” composée de près de quinze milles volontaires que l’équipe de campagne de Trump et les Républicains ont recrutés, et vous comprendrez que la précipitation que je cherche à analyser consisterait à former une milice grâce à laquelle le fascisme Trumpien trouverait son armée personnelle, officielle, quelque Section Spéciale – telle la Schutzstaffel, l’organisation paramilitaire nazie – made in U.S.A.
Quant à la police, tout semble indiquer qu’elle ne s’opposera pas à des actions violentes générées par les milices en cas de défaite électorale de Trump et des Républicains. Pas seulement parce que, comme ailleurs dans le monde, les “sympathisants” d’extrême-droite y sont surreprésentés, mais aussi parce que la milice est son attracteur ontologique. Aux U.S.A. – et je remercie grandement Ingrid Diran de m’avoir expliqué cela – la police exprime moins la verticalité du “monopole de la violence légitime” Européen (Max Weber), autrement dit l’État, qu’elle ne concentre l’horizontalité dont la milice est le modèle-source, enveloppant la possibilité – pour part fantasmée, pour part soutenue dans le réel – d’une souveraineté individuelle dégagée de l’État (d’où la milice des Sovereign Citizens qui refuse tout pouvoir d’État) La milice est, pour la police, un modèle de souveraineté qui, au lieu de se référer au monopole vertical de la violence légale de l’État, peut laisser libre cours à sa propre théorie politique – rappelons, pour ceux que le concept de capitalisme racial intéresse, que dans le Sud des U.S.A. la police a pris la suite des Slave Patrols, alors que dans le Nord elle s’est constituée à partir de groupes de citoyens en charge de défendre les marchandises.
Voter ? (contre l’Un)
Se dessine alors la forme de fascisme qui pourrait cristalliser aux U.S.A. : Trump en leader féroce et vociférant qui, après avoir lors de la campagne présidentielle réduit le parti Républicain à une sorte de lobby pour lui et sa famille, s’appuierait sur une organisation paramilitaire chargée d’imposer par la violence l’Ordre Blanc, ouvertement misogyne et raciste, que le système judiciaire aurait pour tâche de légaliser. Entre la milice et le leader se formerait un continuum de souveraineté débridée, expression d’un narcissisme primaire pour lequel l’autre est, au mieux, un outil de jouissance (à exploiter, à envoyer travailler par temps de COVID-19), au pire une nuisance à éliminer. Cette souveraineté débridée aurait pour expression économique le capitalisme mercantile à courte vue qui caractérise aussi bien Trump depuis 2016 que les chefs d’entreprise qui le soutiennent, de la famille Koch aux compagnies pétrolières : non pas imaginer les sources de la valeur à venir (la Nouvelle Frontière), mais extraire de ce qui existe tout ce que l’on peut vendre immédiatement. Écorcher non seulement la démocratie mais aussi la Terre, jusqu’à l’os.
EAN 9782844184184
Dans une telle situation, voter prend un sens particulier. Pour ma part, j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’écrire contre l’idée même du vote, associée par Jean-Paul Sartre puis Alain Badiou à son essence claire et distincte, formulée ainsi en 1968 : “Élections, piège à cons“. Et je reste plus que jamais du côté de Pierre Clastres, Jean-Jacques Rousseau et Etienne de La Boétie, contre l’Un. Rappelons en effet que le fameux texte de La Boétie De la servitude volontaire (1574), expliquant que pour mettre à bas le tyran seul compte le “désir” qu’on a de ne plus le servir, fut aussi appelé le “Contr’Un“. La politique du Contr’Un est celle qui s’oppose à l’autonomisation du pouvoir, et se déclare en faveur d’une société qui institutionnellement suspendrait la place du souverain. Une telle politique est donc au plus loin de tout vote consistant, comme dans le cas d’une élection présidentielle, à légitimer une fois de plus la place de l’Un.
Mais en novembre 2020, ce qui est en jeu n’est pas de décider entre deux expressions de la démocratie gouvernementale, mais de s’opposer à une tentative de forçage de type fasciste. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle on va voter pour le “moins mauvais” des candidats, ce n’est pas – du côté des opposants à Trump – en termes de “choix” ou d’action sélective qu’il faut penser : le vote me semble à ce jour moins lié à son contenu (voter pour Biden) qu’à la difficulté de le réaliser, qu’à sa signification en tant qu’opposition à ce qui tend à l’empêcher matériellement (comme j’ai voulu l’expliquer dans la première section de cet article). Ce serait comme une sorte de vote négatif, ou, pour reprendre une expression de Pierre de Jouvancourt employée à l’occasion de sa lecture de la première version de ce texte, un vote de sauvegarde, c’est-à-dire (tel que j’interprète ce terme pour mon propre compte) un vote dont la fonction serait d’éviter que les écorcheurs puissent l’emporter dans les formes : que le coup d’État, s’il a lieu, soit alors aussi manifeste que possible au lieu de se réaliser à l’occasion de la réélection de Trump qui instillerait le fascisme sous couvert de légalité institutionnelle ; et que tous ceux qui refusent le fascisme en tirent les conséquences.
À moins de proposer une politique du pire, espérant que la situation actuelle pourrait mener à un effondrement bénéfique de tous les U.S.A., où sombrerait son penchant passé et présent à l’horreur. Une telle perspective oublie pourtant que dans l’abysse sombreraient également ceux qui s’opposent à cette horreur, ceux qui savent déjà ce que l’effondrement signifie parce qu’ils l’ont vécu. À ce titre, je ne conseille à quiconque d’aller dire à des descendants d’esclaves ou des rescapés du génocide des natifs que “le pire n’est pas certain” : pour eux, le pire est déjà arrivé, et notre tâche est d’en supprimer les répliques.
Fascisme, effondrement, abolition
Soyons clairs : si Biden est élu malgré tout président, il n’ira pas de son plein gré vers des transformations politiques majeures, celles qui permettraient d’éviter la captation narcissique de souveraineté, visible dans la pratique de Trump comme dans celle de la milice, et le vote de sauvegarde risque de se transformer en léger différé du fascisme. Mais je dis qu’il y a un momentum politique identifiable aujourd’hui aux U.S.A., et qu’il serait plus dommageable qu’utile de se passer, cette fois-ci, du vote comme point local – certes non-révolutionnaire, mais peut-être ponctuellement nécessaire – de cette politique. Les saillances de ce momentum politique sont les expériences de vie collective à distance de l’État (comme la zone autonome de Seattle), les manifestations en faveur des vies African-American massacrées, mais aussi les expressions d’un socialisme renouvelé (A.O.C., Bernie Sanders), et la politisation des minorités LGBT+. En aucun cas je ne considère ces formes politiques comme exprimant les mêmes orientations, et l’on devrait même souligner les oppositions qui les écartent les unes des autres : on ne voit pas très bien à première vue comment concilier position réformiste et position insurrectionnelle. Mais si, comme je le pense, les moments politiques cruciaux sont ceux où ces deux positions permutent (communiquent, se renversent et se dialectisent), alors il me semble justifiable de ne pas laisser aux mains des Trumpistes le pouvoir qui ne leur servira qu’à rendre invivables ces éventuelles permutations.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître aux yeux de ceux qui se font une idée uniforme des U.S.A., dénonçant une élite liberal (votant Démocrate) déconnectée tout en réduisant pourtant dans leurs articles l’évolution de la société états-unienne à sa composante la plus abjecte (Trump, le suprématisme blanc, etc.), je suis convaincu que ce pays est porteur de tout autre chose que ce qui est aujourd’hui au pouvoir, et que l’évolution des U.S.A. est hétérogène, presque bipolaire. C’est comme si le pire dont ce pays est capable était toujours accompagné de sa modalité la plus opposée, de l’alternative la plus révolutionnaire – il y a toujours des Black Panthers à l’horizon, toujours des sujets récalcitrants en provenance des undercommons pour inquiéter l’assurance et la stabilité supposée de notre habitation du monde.
Je ne suis bien entendu pas capable de connaître par avance le type d’évolution qui prédominera dans les prochaines années, et la plupart des articles que je lis ces derniers temps pronostiquent une persistance du trumpisme au-delà de Trump. Je préfère cependant insister sur une nécessité politique : si ceux que j’appelle les dépeuplés – c’est-à-dire ceux qui subissent la relégation hors des conditions de vie écologiquement, socialement, et psychiquement salubres – ne parviennent pas à emporter la société états-unienne vers l’abolition des institutions qui génèrent aussi bien la concentration du pouvoir politique et financier que le désastre écologique qui en provient, cette société s’effondrera. Elle s’effondrera écologiquement, socialement, psychiquement, et son fascisme deviendra un éco-fascisme, c’est-à-dire un fascisme technologiquement assisté dont l’objectif sera de préserver tant que possible l’ethnoclasse au pouvoir en confinant le reste de la population dans un milieu de moins en moins vivable.
L’abolition de l’Un : telle est la seule politique possible contre le fascisme, et contre l’effondrement. Je me réfère aux termes abolition et abolitionnistes tel qu’ils sont employés aux U.S.A., sans complément, pour définir une pensée de la politique ayant comme modèle le mouvement d’abolition de l’esclavage. On parlera dès lors d’abolition pour signifier la demande consistant à abolir la prison afin de mettre en place une forme de justice non pas répressive, mais réparatrice (restorative), s’effectuant dans le cadre de la communauté et non pas dans un espace de réclusion punitive. On parlera aussi d’Abolition Ecology pour insister sur la manière dont la propriété et la marchandisation de la terre (land), ainsi que la décision relative à la vie et à la mort des espèces animales (massacre des bisons à la fin des années 1860 afin de forcer les Natifs à se retirer dans des réserves), sont au cœur de l’injustice et du racisme environnemental : sans la remise en cause de l’expropriation raciale, il n’est nulle écologie politique réelle. Et le terme d’abolition peut aussi recouvrir la demande politique consistant à ne plus financer la police (defund the police) afin de supporter économiquement les structures d’autogestion des conflits et de la vie commune en général.
Tous ces usages éclairent l’étymologie du verbe abolir, abolere étant composé de ab, préfixe privatif, et d’une forme dérivée de alere, “nourrir” : abolir, c’est ne plus nourrir, autrement dit ne plus alimenter un processus, l’interrompre ; ne plus fournir la machine capitalo-raciale en énergie ; autrement dit modifier l’ensemble des structures institutionnelles afin que l’Un ne règne plus. Abolir est la politique du Contr’Un ; les formes que devraient prendre cette politique restent à décider collectivement.
André-Modeste GRETRY est né en 1741 en Outremeuse, rue des Récollets au n°34. Le premier Grétry à être recensé est Arnold, fermier de la Comtesse Marie d’Argenteau, en 1540. Son nom provient d’un petit hameau de la région de Bolland. Le père d’André-Modeste était premier violon à Saint-Martin puis à Saint-Denis. Son fils commence sa carrière musicale à Liège où il va rester pendant 19 ans. Comme il n’existe pas encore d’école musicale, il doit entrer dans la maîtrise d’une église et son père l’introduit à Saint-Denis où il chante comme enfant de chœur. Il s’intéresse plus à la musique théâtrale qu’à la musique religieuse.
Le chanoine Simon de Harlez, de la cathédrale Saint-Lambert, le remarque et lui permet de se rendre à Rome où il sera intégré à la fondation Lambert Darchis. Dans ses mémoires, il raconte son voyage à pied. L’italianisme est en vogue et Grétry entend une troupe de chanteurs italiens qui chante La servante maîtresse de Pergolèse. C’est pour lui une révélation car il découvre l’opéra italien. À Rome, le théâtre Alberti lui commande, en 1766, un opéra qui s’appelle Les vendangeuses. Il obtient un grand succès. Au retour de son voyage, il passe par Genève où il entre en contact avec la musique française et l’opéra comique, alternance de parties chantées et de parties parlées. Il y rencontre Voltaire et Jean-Jacques Rousseau.
Grétry se rend ensuite à Paris. Il va être rebuté par l’art de Rameau qui est assez statique et froid par rapport à l’italianisme. Son premier opéra parisien sera un échec retentissant. Il va alors essayer de faire une synthèse entre l’art français, statique, et l’art italien, plus chaleureux. Il écrit Le huron qui triomphe unanimement dans la capitale française. Grétry était devenu un familier de la cour de Louis XV puis de Louis XVI. Dans ses opéras, il prône des valeurs de la noblesse, des valeurs assez élitistes.
En 1789, il va devoir ajuster sa vision dans des œuvres qui ne seront pas ses meilleures. Il s’installe au boulevard des Italiens, au n°7. Il aura une deuxième gloire sous le Directoire et le Consulat. Il sera admis à l’Institut, où il va siéger à côté de David, et il sera nommé Chevalier de la Légion d’honneur par Bonaparte. Sa santé commence à décliner et il acquiert alors l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau, son philosophe préféré, ermitage où il se retire. Mais il est trop lié au contexte de son époque pour pouvoir continuer à avoir du succès. C’est la différence entre un artiste créateur et un génie créateur. Alors, il n’écrit plus de la musique mais de la littérature intéressante : il consigne son esthétique, sa pensée musicale, il écrit son autobiographie.
Grétry a quitté Liège à 19 ans et y est revenu deux fois au cours de sa vie : en août 1776 et en décembre 1783. Lors de ses deux passages, il a reçu un accueil triomphal. Velbruck l’a nommé son conseiller musical personnel. La société l’Emulation a tenu une séance exceptionnelle en son honneur et la foule se pressa pour l’accueillir. En 1804, il voulait revenir voir sa sœur qui était abbesse dans un couvent près de Huy mais sa santé ne le lui permit pas. Il décède en 1813 et reçoit à Paris des funérailles grandioses. Il est inhumé au Père Lachaise. Il avait émis le souhait d’être enterré à Liège et la Ville a voulu suivre ses volontés mais il y eut un très long procès de 14 ans entre la Ville de Liège et les héritiers de Grétry. Ceux-ci voulaient conserver la dépouille à l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau pour y attirer du public.
Le Conseil d’Etat de Charles X a donné raison à la Ville de Liège qui a fait revenir le cœur dans la Cité ardente. L’urne qui a servi au transfert est restée longtemps dans le cabinet du bourgmestre et elle est maintenant au Musée Grétry. La Ville a lancé en 1836 un concours pour la réalisation de la statue que nous connaissons et dans laquelle le cœur sera déposé. Son érection, face à l’Emulation place du XX Août en 1842, a donné lieu à une fête populaire où se remarqua la présence de Meyerbeer et de Mendelssohn, et Liszt a donné un concert. La statue a été finalement déplacée, 24 ans plus tard, en face du Théâtre Royal.
La maison natale de Grétry, un immeuble de style liégeois Louis XV, a été pendant longtemps la propriété d’une famille d’imprimeurs, les Dubois-Desoer, qui l’a donnée à la Ville de Liège au milieu du 19e siècle. Deux conditions furent exigées : perpétuer les souvenirs attachés aux lieux et faire don des profits éventuels à l’encouragement des études musicales. La collection Grétry a réintégré la maison natale en 1913. Les premiers éléments avaient été mis en place par Jean-Théodore Radoux qui était le directeur du Conservatoire de Liège. Celui-ci avait rassemblé quelques souvenirs de Grétry mais ils n’étaient pas accessibles au grand public.
En 1985, Madame Radoux décédée, les responsables se sont trouvés dans l’embarras. Le musée a été fermé, hélas, pendant plusieurs années jusqu’en 1991. Dans le grenier de l’annexe de la maison de Grétry ont été retrouvés des sculptures et des instruments de musique. La bibliothèque recèle de nombreux écrits musicaux et littéraires de Grétry. On a recensé 125 effigies de Grétry : peintures, dessins, lavis, médailles, bustes… Dans cet intéressant musée, se trouve aussi la copie du célèbre portrait peint par Élisabeth Vigée-Lebrun, dont l’original est au Musée de Versailles (…).
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Nathalie HOSAY, organisée en mars 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
[THECONVERSATION.COM, 18 novembre 2024] Si l’on associe souvent le mouvement écoféministe au monde anglo-saxon – où il s’est largement développé depuis les années 1970 – c’est une figure française, Françoise d’Eaubonne, qui est à l’origine du terme et du concept. Cette penseuse est aussi, et surtout, comme la plupart des figures du mouvement d’ailleurs, une femme d’action.
Née en 1920 au sein d’une famille bourgeoise, désargentée et fortement politisée, elle est d’abord autrice de romans et d’essais qu’elle écrit dès l’âge de 13 ans ; elle en publiera plus d’une centaine.
Infatigable militante, elle s’engage au Parti communiste après la Seconde Guerre mondiale, pour le quitter dix ans plus tard, s’insurgeant contre la position du parti préconisant aux soldats de rester dans les rangs de l’armée mobilisée lors de la guerre d’Algérie. Elle signera en 1960 le Manifeste des 121, pour le droit à l’insoumission.
Fortement influencée par Simone de Beauvoir qui deviendra son amie, elle participe dans les années 1970 à la création du Mouvement de libération des femmes (MLF), signe le Manifeste des 343 appelant à la légalisation de l’avortement, co-fonde le Front homosexuel d’action révolutionnaire et participe à l’attentat contre la centrale de Fessenheim.
En 1974, elle publie Le Féminisme ou la mort dans lequel elle emploie pour la première fois le terme d’écoféminisme.
Elle crée dans la foulée le Front féministe, rebaptisé plus tard Écologie et féminisme. Elle peaufine sa pensée écoféministe dans Écologie et féminisme. Révolution ou mutation ?, démontrant la proximité et l’imbrication des causes environnementales et féministes au sens large.
L’écoféminisme, une pensée en action
Le parcours de vie et l’œuvre de Françoise d’Eaubonne témoignent du profond engagement intellectuel et politique que réclame l’écoféminisme : au-delà de l’élaboration conceptuelle, il est surtout question d’agir pour la cause des femmes, des minorités et de l’environnement. Dans ce contexte, le corps occupe une place centrale : elle en souligne l’importance dans un texte court, De l’écriture, du corps et de la révolution où l’on peut lire :
Les coups, les opérations à vif, l’avortement, l’accouchement, il a tout vécu en défiant l’ennemi et se redressait en chantant.
Il s’agit d’incarner la connexion de l’être humain avec la nature, reconnaître que nous ne sommes pas en dehors ni au-dessus du monde naturel ; comme le souligne la philosophe Terri Field dans un article de mars 2000 : “Il est de l’intérêt des philosophes de l’environnement de commencer à théoriser l’incarnation avec une perspective spécifiquement écoféministe.”
L’incarnation, le corps, constituent les éléments centraux de cette approche : ils sont les moyens par lesquels nous, humains, nous connectons, ressentons, comprenons et in fine prenons soin – ou non – de notre environnement.
Répondre aux urgences sociales et environnementales
En 1965, un rapport scientifique alertait déjà la Maison Blanche d’un potentiel dérèglement climatique et de graves problèmes environnementaux.
Dès 1972, Françoise d’Eaubonne annonçait les prémices de sa théorie écoféministe en concluant dans son ouvrage Le Féminisme : Histoire et actualité :
Le prolongement de notre espèce est menacé aujourd’hui grâce à l’aboutissement des cultures patriarcales, par une folie et un crime. La folie : l’accroissement de la cadence démographique. Le crime : la destruction de l’environnement.
EAN 9782369354079
La principale thèse de l’autrice peut se résumer ainsi : la double exploitation de la femme et de la nature par l’homme – entendu respectivement comme genre masculin et genre humain – a généré une ‘bombe démographique’ qui conduira à la destruction de notre environnement. Pour elle, ni le socialisme ni le capitalisme n’ont réussi à offrir de véritables résultats dans la protection de l’environnement, parce que ni l’un ni l’autre ne remettent en cause le sexisme universel qui sous-tend l’ordre des sociétés. Pour elle, la solution consisterait en une prise totale de pouvoir des femmes sur leur pouvoir de procréation pour limiter drastiquement la croissance démographique et par conséquent les besoins de production et d’exploitation des ressources naturelles. C’est cette attention centrale portée aux femmes en tant que “procréatrices” qui cristallisera les nombreuses critiques des mouvements féministes et environnementalistes, qui taxeront Françoise d’Eaubonne d’essentialiste.
Ces attaques témoignent d’une mécompréhension de la complexité de la tâche que s’est fixée Françoise d’Eaubonne : reconnaître une réalité naturelle (ce sont les femmes qui portent et mettent les enfants au monde), tout en les désessentialisant (elles ne sont pas naturellement faites pour devenir mères). Pour elle, l’assignation à la procréation et à la maternité relève bien d’une construction sociale ; le contrôle démographique par les femmes elles-mêmes les libérerait du “‘handicap’ de la grossesse“.
L’épineuse question démographique
Les positions de Françoise d’Eaubonne sont souvent présentées comme néo-malthusiennes et vivement critiquées à ce titre : les politiques de contrôle démographique apparaissent comme des répressives, réduisant les libertés, notamment celle d’avoir des enfants.
La thèse selon laquelle le contrôle démographique viendrait pallier l’épuisement des ressources est également depuis longtemps réfutée par nombre d’économistes, selon lesquels le progrès technologique apporterait la solution au problème.
De nombreux travaux scientifiques (comme ici en 2008 et là en 2021) montrent cependant que des politiques démographiques bien menées seraient plus efficaces que d’autres mesures, comme la réduction technologique des émissions de gaz à effet de serre par exemple.
Les autrices et auteurs ne s’aventurent toutefois pas à dévoiler le contenu de telles politiques démographiques : la question reste centrale mais personne n’ose l’aborder tant elle est épineuse et cela à double titre. Premièrement, d’un point de vue historique comme le souligne la géographe Joni Seager, “le contrôle de la population est un euphémisme pour le contrôle des femmes”.
Deuxièmement, d’un point de vue idéologique, cette approche remet en cause les institutions et l’ordre social établi. Si Malthus prônait le retardement de l’âge du mariage et l’imposition de limites au nombre d’enfants par famille, se situant ainsi dans une structure patriarcale, d’Eaubonne propose la prise en main totale des femmes sur la procréation, renversant l’ensemble du système.
Il s’agirait d’opérer une mutation de la totalité, une révolution féministe qui comprendrait la disparition du salariat, des hiérarchies compétitives et de la famille, promouvant un nouvel humanisme. Pour d’Eaubonne,
…ce grand renversement [ne serait pas] le “matriarcat”, certes, ou le “pouvoir aux femmes”, mais la destruction du pouvoir par les femmes. Et enfin l’issue du tunnel : la gestion égalitaire d’un monde à renaître (et non plus à “protéger” comme le croient encore les doux écologistes de la première vague). Le féminisme ou la mort.
[LES-PLATS-PAYS.COM, 29 janvier 2024] Créateurs éminemment discrets, passeurs de culture qui jouent un rôle primordial dans la visibilité des écrivains, les traducteurs ouvrent des fenêtres dans le ciel des Lettres, décloisonnent, font découvrir au public francophone un nombre impressionnant d’auteurs flamands et néerlandais.
Au fil de plusieurs échanges avec Hans Vanacker, secrétaire de rédaction de la revue Septentrion, l’idée m’est venue d’écrire une ode aux traducteurs et aux traductrices sans qui, dans la tour de Babel des langues, chaque idiome demeurerait dans sa solitude, incompris des autres cultures. Nulle visée exhaustive dans cette convocation des traducteurs littéraires qui œuvrent à la découverte d’auteurs néerlandophones.
Ancien directeur de la Maison Descartes à Amsterdam et du Réseau franco‐néerlandais à Lille, directeur de la collection Lettres néerlandaises chez Actes Sud, immense traducteur, médiateur culturel qui assure le rayonnement et la circulation des Lettres, Philippe Noble a fait connaître en France, au public francophone, des auteurs néerlandais et flamands majeurs : Cees Nooteboom, Harry Mulisch, Etty Hillesum, Multatuli, Arnon Grunberg, David Van Reybroeck, Stefan Hertmans, Miriam Van Hee, Judith Herzberg… sans oublier le Journal d’Anne Frank.
Figure majeure du paysage de la traduction littéraire, dans un entretien avec Olivier Sécardin, Noble définit “le traducteur [comme] un chercheur d’un genre particulier”. Il a également mis ses compétences et son amour de la littérature au service de traductions du français vers le néerlandais, jetant son dévolu sur Marcel Proust.
On doit à Daniel Cunin, infatigable explorateur d’œuvres de romanciers, de poètes, de dramaturges, de bédéistes, d’essayistes flamands, la découverte en français d’un nombre impressionnant d’auteurs. Sa curiosité l’a porté vers les bandes dessinées aussi bien que vers le rivage poétique (Benno Barnard, Hester Knibbe – qu’il a traduite en collaboration avec Kim Andringa -, Radna Fabia, Gerry van der Linden). Art de la langue, de la perception intime de la musicalité, de l’appropriation-interprétation du texte, la traduction est avant tout une écoute, une transposition qui joue avec les puissances de la langue d’origine et de la langue d’arrivée.
Cette activité de transposition, Daniel Cunin l’a exercée en offrant une version française des poèmes mystiques écrits par Hadewijch d’Anvers, en brabançon (moyen néerlandais) au XIIIe siècle. Artiste d’un dialogue horizontal entre différentes langues, le traducteur est aussi le magicien d’un échange vertical qui ramène sur la scène du présent des textes plus anciens.
Écrivain, essayiste, traducteur d’auteurs polonais (Witkiewicz notamment), russes, tchèques, néerlandais, anglais, Alain van Crugten est le grand passeur de l’œuvre immense de Hugo Claus.
Depuis sa traduction en 1985 du chef-d’œuvre de Claus, Le Chagrin des Belges, Van Crugten a fait passer dans son alambic de traducteur bien des romans et des pièces de Claus, Honte, Le Passé décomposé, Le Dernier lit et autres récits, Mort de chien… L’autre géant des lettres flamandes qu’Alain van Crugten a fait découvrir aux francophones n’est autre que Tom Lanoye. De Méphisto for ever, La Langue de ma mère, Sang et Roses, Mamma Medea à Tombé du ciel, Esclaves heureux, Décombres flamboyants, le continent Tom Lanoye nous est rendu accessible en français.
La question “dis-moi qui tu traduis et je te dirai qui tu es” vaut pour tout traducteur. Faisons l’hypothèse que dans le cas de Marie Hooghe, les autrices et auteurs qu’elle a élus forment comme un autoportrait en creux. La quantité, le nombre des traductions impressionne autant que la diversité des registres (pièces de théâtre, biographies, littérature de jeunesse…). D’une insatiable curiosité, Marie Hooghe a notamment traduit des œuvres de Hugo Claus, de Louis Paul Boon, de Jef Geeraerts ou encore d’Ivo Michiels, d’Erwin Mortier, de Kristien Hemmerechts et de Paul Van Loon.
Mentionnons aussi l’importance de Maddy Buysse (1908-1994, traductrice de livres de Hugo Claus, Johan Daisne, Ivo Michiels et Harry Mulisch), Henry Fagne (1907-1978, traducteur de Guido Gezelle et Paul van Ostaijen), Anne-Marie de Both-Diez (1922-2009, traductrice notamment de Hella S. Haasse), Liliane Wouters (1930-2016, connue dans le monde francophone comme l’autrice de la pièce de théâtre La Salle des profs, mais aussi traductrice de textes et poésie en moyen néerlandais et de Guido Gezelle).
Il y a aussi Marnix Vincent (1936-2016, traducteur de Willem Elsschot, Hugo Claus, Gerard Reve, Leonard Lolens, Stefan Hertmans et Jozef Deleu, fondateur et ancien rédacteur en chef de Septentrion), Annie Kroon (Hella S. Haase, Anna Enquist,…), Xavier Hanotte, Isabelle Rosselin (plusieurs auteurs néerlandophones de renom). Et des traducteurs – poètes – écrivains comme Jan H. Mysjkin (traducteur, souvent en collaboration avec Pierre Gallissaires, de Paul van Ostaijen, Hans Faverey, Gerrit Kouwenaar et autres), Henri Deluy (1931-2021), Bart Vonck, Katelijne De Vuyst et d’autres.
Enfin, fondateur de la collection Bibliothèque flamande aux éditions du Castor astral, Francis Dannemark (1955-2021) a fait connaître auprès du public francophone des auteurs incontournables tels que Willem Elsschot ou Jef Geeraerts. Ce rôle de passeur est également assumé par les éditions Tétras Lyre, avec leur collection De Flandre.
Les passeurs de la jeune générarion
La traduction repose aussi sur la transmission d’un enseignement, sur la relève par les nouvelles générations formées par leurs prédécesseurs. La philosophie, la pensée de la traduction évolue, se métamorphose, varie d’un pays, d’un continent à l’autre. Les critères scientifiques, esthétiques des traductions, les approches du texte source sont soumises à des devenirs. Certaines traductions “vieillissent”, sont prisonnières d’un contexte historique déterminé, d’habitudes et de choix de traduction qui n’ont parfois plus cours des décennies plus tard. Histoire de regard, d’attention portée à tel ou tel aspect de l’écriture, éternelle question de la fidélité / trahison, du respect / recréation, du rapport entre la lettre et l’esprit tel que l’évoque saint Paul dans Épitres aux Corinthiens (“La lettre tue, mais l’esprit vivifie”).
Parmi les nombreux passeurs de la jeune génération, citons Kim Andringa (traductions poétiques surtout, d’œuvres de Hans Faverey, Charlotte Van den Broeck, Lucebert…) Françoise Antoine (traductrice de Jeroen Olyslaegers, Gerbrand Bakker, Annelies Verbeke…), Noëlle Michel (autrice et traductrice de romans d’Ewoud Kieft, de Hanna Bervoets, d’essais, de livres jeunesse…), Emmanuelle Tardif (traductrice entre autres de Lize Spit et Anna Enquist…), Guillaume Deneufbourg (traducteur notamment de Simone van der Vlugt) et Bertrand Abraham (traducteur de Jeroen Brouwers, Gerbrand Bakker, Tommy Wieringa, Douwe Draaisma, Martin Bossenbroek…).
À l’heure d’un appauvrissement de la diversité linguistique, où des idiomes meurent chaque jour, à l’heure où l’anglais, comme langue hégémonique, règne en maître au niveau mondial des échanges tant économiques que culturels, un fossé sépare linguistiquement le milieu littéraire de Flandre et des Pays-Bas (entièrement tourné vers l’anglais) et le milieu littéraire francophone. Plus que jamais, les traducteurs et traductrices rétablissent des passerelles qui sont comme des liens vivants entre des langues désormais chapeautées et menacées par la langue et la culture anglo-saxonne dominante.
Les traducteurs et traductrices s’avancent comme ce peuple de diplomates que Philippe Noble évoque dans l’entretien précité: “De mon point de vue, la traduction est une transaction, une sorte de négociation diplomatique, c’est‐à‐dire un compromis, entre la notion du texte source qu’a le traducteur (sa “lecture” du texte, qui n’est pas une lecture infaillible, mais qui a au moins l’ambition d’être “fidèle”) et ce qu’il croit pouvoir être transmis à la culture d’accueil”.
[THECONVERSATION.COM, 27 octobre 2021] Halloween, fête automnale des morts, des fantômes et des sortilèges, connaît un destin troublé : de retour dans la “vieille Europe” au milieu des années 1990 et promue dans l’Hexagone par des instigateurs zélés – parc d’attraction et chaîne de fast-food à l’appui – cette fête suscite l’engouement ou le dédain. Regain festif et païen pour les uns, cheval de Troie de “l’impérialisme culturel américain” pour les autres, cette célébration paganiste ne laisse pas indifférent. L’Église catholique [italienne], émue de “l’influence néfaste” de la bacchanale, a même créé Holyween (soirée de prières en réaction), afin de donner un coup de balai aux histoires de sorcières.
Le premier intérêt d’Halloween, c’est la pluralité d’analyses auxquelles ce “néo-rite païen” donne lieu. Halloween marque le retour de “vieilles lunes” et de fêtes oubliées, ou qui étaient simplement en sommeil… attendant qu’on les exhume en quelque sorte. Ses origines sont tout à la fois celtiques et mexicaines. A l’origine, la même volonté de célébrer les morts, et de manifester aussi sa peur conjuratoire, avant d’entrer dans l’hiver et le cycle des nuits courtes, période anxiogène s’il en est.
La mort comme continuation de la vie
Les conquistadors espagnols découvrant le Mexique furent impressionnés par un rituel aztèque pratiqué de très longue date et qui leur paraissait sacrilège. Car, à l’inverse des Espagnols qui voyaient la mort comme la fin de la vie, les Aztèques la considéraient comme sa continuation. Ils gardaient des crânes comme des trophées et les exhibaient durant ces fêtes pour symboliser la renaissance et pour honorer les morts qui revenaient selon eux en visite à cette époque de l’année. Ne parvenant pas à éliminer ce rite, les Espagnols en fixèrent la date en même temps que celle d’une fête chrétienne : la Toussaint.
C’est le Jour des Morts, “el Dia de los Muertos“. C’est une fête joyeuse, moment où les âmes de ceux qui sont partis viennent rendre visite aux vivants. Cette fête dure deux jours, les 1er et 2 novembre.
A cette occasion, les Mexicains édifient des autels en souvenir de ceux qu’ils aimaient et déposent des offrandes sur leurs tombes. Et nombre de lieux publics sont décorés avec des représentations ironiques de la mort, des squelettes dansant et chantant comme des vivants, avatars exotiques et mouvants des danses macabres médiévales. Ces processions lancinantes ont été immortalisées (si l’on peut dire) par l’ouverture impressionnante du James Bond 007 Spectre en 2016.
C’est sur une base mythique et festive similaire que s’est développée l’Halloween européenne. Il était encore question de célébrer les défunts en parodiant la mort sous la forme de courges. Le rite est à tous égards païen, et il est compréhensible qu’il ne pût être en odeur de sainteté : on célèbre bruyamment les morts et les sorcières, on joue à faire (se) peur, on se grime de manière effrayante.
Outre-Atlantique, cette fête est célébrée depuis longtemps, puisqu’importée par les premiers immigrants au XVIIe siècle. Tous les 31 octobre, les enfants grimés en sorcières, fantômes et revenants déambulent en petits groupes dans les rues de leurs quartiers. Ils sonnent aux portes des maisons et exigent des friandises, au cri de “treat or trick“, “une faveur ou un sort“. En échange de menus présents, ces enfants, dont les masques effrayants symbolisent des âmes en peine, garantissent la tranquillité aux foyers visités. Halloween bénéficie d’un emblème fort, ces citrouilles évidées, édentées et emplies de bougies, qui exposées aux fenêtres et dans les vitrines, donnent à la soirée son côté inquiétant, irréel et morbide.
Un rite d’inversion
D’un point de vue anthropologique, Halloween exprime des angoisses à l’œuvre dans toutes les sociétés, même les plus rationnelles en apparence : la peur de la mort et l’exorcisation de celle-ci via des pratiques ritualisées, durant une parenthèse festive conjuratoire : ainsi, les masques représentent des revenants et des fantômes, à un moment de l’année où l’hiver et la nuit s’installent pour quelques longs mois. Dans l’esprit, il s’agit de s’accommoder la sphère des morts, de pactiser avec ceux-ci, via offrandes et travestissements. Et le rite théâtralise ces peurs, il leur donne un tour parodique qui en une parenthèse impartie, constitue une soupape.
Même dans sa forme contemporaine, Halloween continue à être essentiellement un rite d’inversion, puisqu’il s’agit de la nuit où tout est renversé, inversé, à commencer par les rapports d’autorité. Et les parents y jouent le rôle de dupes, encourageant leurs enfants à quêter et manger des friandises, allant là à l’encontre des principes de politesse et de modération inculqués en temps ordinaire.
Faire des enfants les acteurs principaux d’Halloween est très américain : ceci aboutit à une version ludique, néo-païenne et scénarisée, parenthèse carnavalesque dédramatisant le rapport ambigu que cette société entretient à la mort et à l’au-delà. Elle n’est revenue sur le Vieux Continent qu’assez récemment, au tournant des siècles. Il semble qu’il y ait plusieurs raisons à ce retour en grâce (in)attendu.
Une fête “marketée”
Halloween se soutient depuis quelques années d’une promotion médiatique et publicitaire conséquente, en partie portée par des firmes américaines, sur fond de menus, cadeaux, animations et soirées spéciales. Et pour les commerçants, à l’affût de journées spéciales favorisant la décoration thématique et les promotions, Halloween constitue un moment idéal, entre la fin de l’été et la période des fêtes de fin d’année.
Et Dieu dans tout ça ? Avec Halloween, il est question de rites, de mythes, de morts, de surnaturel après tout. Le sacré auréole cette fête de son nimbe pâle. Et il est important de constater que cette journée jouxte deux autres fêtes des morts et du souvenir, puisqu’elle s’est immiscée entre la Toussaint et le 11 Novembre ; pour lentement se substituer à celles-ci en les phagocytant dans l’esprit des jeunes générations. Pour les jeunes enfants, spontanément, Halloween, c’est “la fête des morts“.
L’émergence d’Halloween confirme qu’un calendrier économique et/ou néo-païen se substitue aux fêtes religieuses et républicaines traditionnelles, ou se fait une place à côté d’elles. Plus largement, ceci entérine la mondialisation de nombre de fêtes, alors qu’on fête ici de plus en plus le Nouvel An chinois, et que Noël connaît un réel succès dans nombre de pays asiatiques.
De petits carnavals païens
Déplorer (pour les conservateurs) ce déplacement du religieux vers la sphère plus vaste du sacré, ou son renoncement en un “néo-paganisme“, ne sert pas à grand-chose. Les évolutions de la notion de fête, de sacré, de rites sont des questions autrement plus intéressantes. Notre société productiviste, qui n’a plus le temps de s’arrêter quelques jours pour festoyer, a inventé de nouveaux types de liens courts, ludiques, mièvres et kitsch (la Saint-Valentin). Tous ces néo-rites païens ne durent qu’une soirée. Les rites traditionnels exigeaient du temps, un temps spécifique, long et lent. Ainsi, le Carnaval, et sa semaine de célébrations et de festivités. Halloween ou le beaujolais sont de petits carnavals automnaux permettant à peu de frais (une soirée) une trouée de liesse, de partage et de rire dans un début d’hiver morose et froid.
Mais le grotesque et le morbide revendiqués d’Halloween, épousant la fascination de l’époque pour zombies et morts-vivants (cf. le succès de Walking Dead et le revival des films d’épouvante) recouvrent un travestissement plus profond.
Le temps d’une soirée, les générations se mêlent et jouent ensemble, faisant semblant d’éprouver de l’effroi, tout en exprimant dans ce “jeu profond” quelque chose d’obscur, mêlant rire et angoisse, peur et joie ; quelque chose de précisément anthropologique, interrogeant les structures profondes, et les systèmes symboliques permettant de les lire en filigrane.
[CAMINTERESSE.FR, 21 janvier 2023] Depuis 1906, quelque 10.000 termes ont été supprimés du Petit Larousse. Certains sont devenus obsolètes, mais pour d’autres, cette disgrâce est plus mystérieuse.
Les milliers de mots qui remplissent nos dictionnaires ne cessent de se renouveler. Dans cette communauté de noms, de verbes, d’adjectifs, d’adverbes, il y a ceux qui arrivent. L’édition 2023 du Petit Larousse a accueilli mégafeu (incendie hors norme), vaccinodrome (lieu de vaccination mis en place pour lutter contre une épidémie), ou encore halloumi (fromage fabriqué à Chypre). Dans le même temps, d’autres termes disparaissent. Alors que les ajouts ont lieu chaque année, ces purges, plus rares, sont effectuées tous les dix à vingt ans environ. En 2012, des verbes comme musiquer (mettre en musique), gaminer (faire l’enfant), ont ainsi été effacés. Et cette saignée est moins marginale qu’on ne le croit. En comparant l’édition du Larousse de 1906 avec celle de 2002, le lexicologue Jean Pruvost a comptabilisé plus de dix mille mots radiés ! Dans le dictionnaire de l’Académie française, le plus ancien, des milliers de termes sont aussi tombés aux oubliettes au fil des neuf éditions successives, depuis la première en 1694.
Des mots que l’on n’utilise plus
Pourquoi des mots sont-ils ainsi rayés des pages des dictionnaires ? Tout simplement parce qu’on ne les emploie plus. Certes, mais pourquoi, un beau jour, a-t-on cessé de les utiliser ? Les raisons sont les plus diverses. Ils peuvent par exemple qualifier un métier qui s’est éteint. On ne rencontre plus de coffretier (artisan spécialisé dans les coffres) dans nos villes, ni de bouquetier (vendeur de bouquets de fleurs). Dès lors, les noms qui les désignent sont peu à peu tombés en désuétude…
Les mots disparus racontent une France rurale et préindustrielle dont nous n’avons plus guère de souvenirs. Une France, par exemple, où d’infinies variétés de fruits et de légumes existaient par autant de noms délicieusement évocateurs. La cuisse-madame ou la mouille-bouche, effacés du Petit Larousse, qualifiaient jadis deux variétés de poires. À noter, d’ailleurs, que ces termes ont subi des sorts différents selon les dictionnaires : la cuisse-madame a été préservée dans celui de l’Académie française – mais la mouille-bouche en a été radiée.
Parfois, des technologies disparaissent, et avec elles les termes y afférents. Magnétoscoper, ainsi, a été supprimé du Petit Larousse en 2012, car il renvoie à une pratique obsolète. Mais la frontière entre oubli et souvenir est parfois ténue : si le verbe qui lui est rattaché s’en est allé, le nom magnétoscope a sauvé sa peau. Pourquoi ? Parce que cet appareil est encore vivace dans nos mémoires. “En règle générale, nous gardons le mot-souche pour laisser un repère, mais nous supprimons l’action qui lui est liée”, justifie Carine Girac, directrice du département dictionnaires et encyclopédies aux éditions Larousse.
La mode a aussi sa part de responsabilité
Par exemple, l’usage du substantif drink (à la place de “verre”) était courant chez les jeunes, dans les années 1960-1970, à l’heure de l’apéritif. Puis il est devenu, dans les décennies suivantes, ringard. Il a alors cessé d’être employé. Mais n’aurait-il pas pu rester dans le Petit Larousse, comme témoignage d’une époque ? En vérité, la question a provoqué un sérieux débat au moment de réactualiser ce dictionnaire, en 2012. Linguistes et lexicologues des éditions Larousse se sont affrontés entre partisans et adversaires du drink. Et ces derniers l’ont emporté : “Nous avons finalement décidé d’éliminer ce mot car il se comprend tout seul, sans définition“, conclut Carine Girac. Il faut bien procéder à des arbitrages puisque les pages d’un dictionnaire ne sont pas extensibles sans fin – hormis Le Petit Robert, troisième dictionnaire de référence, qui a choisi de ne pas retirer de mots mais d’ajouter ”vieilli’ ou ‘vieux’ quand il s’agit d’un terme dont on ne se sert plus guère ou plus du tout.
Il arrive enfin que des mots, ni obsolètes ni démodés, disparaissent sans que l’on sache pourquoi. Le lexicologue Jean Pruvost ne peut s’empêcher d’en regretter certains, qui mériteraient selon lui une deuxième chance. Inartificiel, par exemple. C’est un mot qui se trouvait “chez Montaigne et Littré, plaide-t-il. N’est-ce pas l’un des idéaux d’aujourd’hui, bénéficier d’une vie inartificielle” ? Il ne faut cependant jamais désespérer : Maille, qui désignait une petite monnaie sans valeur, a disparu de notre langue au XVe siècle. Et ce sont les rappeurs de la fin du XXe siècle qui ont réveillé ce terme, en en faisant, dans leurs chansons, un synonyme d’argent. Les mots ne meurent jamais pour toujours, et les dictionnaires seront toujours prêts à leur faire une nouvelle place !
Liste de mots enlevés du dictionnaire :
Architriclin n. m. Celui qui était chargé de l’ordonnance d’un festin dans l’Antiquité romaine.
“(…) comme l’architriclin des noces de Cana goûte à l’eau transformée en vin (…)” Paul Claudel.
Assoter v. t. Rendre sot ou rendre sottement amoureux.
“Comme elle est assotée du jeune Robin” Molière.
Délicater v. t. ou pron. Gâter, traiter avec trop de délicatesse.
“On gâte les enfants à force de les délicater“.
Gobelotter v. t. ou int. Boire à petits coups.
“Vous ne me disiez pas que vous aviez gobelotté au cabaret (…)” Voltaire.
Impugner v. t. Combattre une proposition, un droit.
“Ceux qui ne travaillent pas tant à bien concevoir une chose qu’à l’impugner (…)” René Descartes.
Chasse-cousin n. m. Mauvais vin et, par extension, ce qui fait fuir les parasites.
“(…) elle avait son vinaigre tourné, son chasse-cousin, si imbuvable, qu’on se montrait d’une grande discrétion” Émile Zola.
Lendore n. Personne lente, paresseuse, qui semble toujours endormie.
“Je ne sais pas à quoi elle pense, cette lendore-là” Honoré de Balzac.
Poiloux n. m. Homme misérable, sans qualité.
“Toute la France, toute la cour, poiloux ou autres (…) attendent à la porte” Marquis d’Argenson.
Sade adj. Gentil, agréable.
“Ces femmes jolies qui, (…) gentes en habits et sades en façons” Mathurin Régnier. C’est de ce mot que vient maussade !
Futurition n. f. Caractère d’une chose future.
“Ce qui n’a aucune possibilité n’a aucune futurition” Fénelon.
Afforage n. m. Droit féodal qui se payait à un seigneur sur la vente du vin.
“Les religieux ont certain droit seigneurial en ladite ville de Laigny, appelé droit d’afforaige ou tavernerie,” Charles du Cange.
Crapoussin, sine n. Personne de taille petite et contrefaite.
“Ces crapoussins-là, quand ça vient au monde, ça ne se doute guère du mal que ça fait” Émile Zola.
Chipotier, tière n. Celui ou celle qui chipote.
“Je ne suis pas un chipotier (…) Il n’y aura pas de difficultés entre nous” Edmond et Jules de Goncourt.
Tous ces mots ont été supprimés au fil des huit dictionnaires de l’Académie française publiés depuis 1694. La neuvième édition est en cours.
Nina Mir
Cliquez ici…
L’Académie française propose sur son site une liste, partagée à titre d’exemple, des mots qui ont été retirés de son Dictionnaire. Pour l’afficher, cliquez sur le logo ci-dessus…
Comment le Petit Larousse choisit de supprimer des mots
[d’après LEPOINT.FR, 15 novembre 2018] Alors que l’on parle beaucoup des nouveaux mots du dictionnaire, ceux qui en sortent font beaucoup moins de bruit. Pourtant, ils sont nombreux…
À l’occasion de la nouvelle édition du Petit Larousse, de nouveaux mots font leur apparition alors que d’autres sont supprimés. Beaucoup moins médiatisés que la première catégorie, des mots disparaissent après avoir été jugés trop peu utilisés dans la vie de tous les jours… Parmi les mots qui ont quitté le Petit Larousse, il y a, par exemple, aumusse, boursicaut, amphigourique, ou encore lourderie qui était défini comme tel au début du XXe siècle : “Lourderie ou lourdise, n.f. Faute grossière contre le bon sens, la bienséance”.
Bernard Cerquiglini, linguiste et professeur à l’université Paris-Diderot, déclare : “Dire qu’on a ôté un mot magnifique, c’est un crève-cœur.” Et de nuancer : “Le Larousse est chaque année une photographie de l’évolution de notre société.” Alors qu’environ 150 mots font leur entrée tous les ans dans le dictionnaire, un petit comité d’environ trois ou quatre personnes se réunit tous les dix ans pour choisir les mots qui le quitteront. “Au fond, nous sommes tous des sortes d’Albert Cinoc, malheureux à l’idée d’ôter un mot du dictionnaire“, assure Bernard Cerquiglini. Depuis la première édition du Petit Larousse illustré en 1906, près de 10 000 mots ont été supprimés, alors que 18 000 ont été ajoutés.
Ainsi, Patrick Vannier, rédacteur au service du dictionnaire de l’Académie, estime qu’environ 500 mots sont supprimés entre chaque édition (il peut parfois y avoir plus de dix ans entre deux éditions). “On en sort quelques-uns, mais on le fait un peu à regret, car on considère que l’Académie française a quand même une mission patrimoniale, donc on essaie d’éviter d’en sortir trop“, explique-t-il.
Des enquêtes de terrain pour ne pas se tromper
Après une proposition du service du dictionnaire, ce sont les académiciens eux-mêmes qui décident quel mot sera conservé ou amené à disparaître. Pour être sûrs qu’ils prennent la bonne décision, des enquêtes de terrain peuvent avoir lieu. “Pour un mot du vocabulaire de la charpenterie, on avait contacté quelqu’un qui avait été charpentier depuis plus de soixante ans et avait écrit un ouvrage sur le vocabulaire de la charpenterie. Il ne l’avait jamais rencontré. Dans ce cas-là, on sort le mot parce que si même les plus grands spécialistes n’en ont pas entendu parler, ça ne sert à rien de le conserver“, raconte Patrick Vannier.
De son côté, Le Petit Robert a fait le choix de ne sortir aucun mot de son dictionnaire. Même si la place commence à manquer, Marie-Hélène Drivaud, la directrice éditoriale, se félicite des nouvelles techniques de composition numérique qui “aident bien pour varier l’interlignage de manière absolument imperceptible.“
Quelques exemples de nos chers disparus :
Accordé,e : fiancé, fiancée,
Accul : lieu sans issue,
Branloire : sorte de balançoire,
Claquedent : gueux, misérable,
Déprier : retirer une invitation,
Galantin : homme ridiculement galant, amoureux,
Hippomanie : passion des chevaux,
Hollander : passer des plumes dans la cendre chaude, pour les dégraisser,
Jaculatoire : se dit d’une prière courte et fervente (oraison jaculatoire),
Jobarder : duper en se moquant,
Lourderie : faute grossière contre le bon sens, la bienséance,
La période envisagée s’étend entre Henri Dumont, grande figure liégeoise du 17e siècle qui est allé faire carrière auprès du roi de France Louis XIV, et César Franck, un des tout premiers étudiants issu de notre Conservatoire de Liège, qui est allé, lui aussi, faire carrière à Paris. Au 18e siècle, la mode conduisait plutôt les musiciens liégeois vers l’Italie et le goût italien.
A la fin du 17e siècle, un voyageur français, Duplessis, visitant Liège, avait admiré la somptuosité du service à la cathédrale Saint-Lambert. Il a écrit ceci : “Le service s’y fait avec une plus grande cérémonie qu’en aucun lieu que j’aie vu excepté à Rome et à Notre-Dame de Paris. Il y a une musique excellente et très bien entretenue, remplie toujours d’une très grande quantité de voix, et donne envie à tous ceux qui entrent dans cette église d’y arrêter avec attention pour l’entendre”. Par l’évocation de ces deux villes, Rome et Paris, Duplessis avait sans le vouloir désigné la double influence qui se manifestait dans la musique à Liège au 17e siècle. Un événement important allait modifier l’équilibre au profit de l’Italie. En 1699, le chanoine Lambert Darchis fonda à Rome l’Hospice liégeois. Cette fondation devait permettre à de jeunes liégeois, sculpteurs, peintres, musiciens, architectes, étudiants en droit et en médecine, d’aller se perfectionner en Italie sans dépendre du Collège germanique comme c’était le cas auparavant. Dès lors, le mouvement qui orientait déjà si volontiers les musiciens liégeois vers la péninsule s’accentuera. Théâtre, concerts, musique d’église feront de Liège au 18e siècle une province de l’Italie.
En 1728, un jeune homme âgé de 19 ans, élève des jésuites et chantre à la cathédrale Saint-Lambert, se rendait à Rome afin d’y parfaire sa formation. C’est Jean-Noël Hamal. Il était né le 23 décembre 1709 et allait décéder le 26 novembre 1778. Il était fils de Henri-Guillaume Hamal, second maître de chant à la cathédrale, et avait reçu de son père une tradition musicale qui remontait aux origines du style. De ce premier séjour italien qui se termina en 1731, il rapporta le goûût d’une musique nouvelle et plus animée. Celle-ci allait exiger des musiciens plus avertis et des orchestres plus fournis.
Ont existé aussi des clavecinistes à Liège. Un facteur de Theux émigré à Paris apporta des améliorations dans la conception de ces instruments pour les rendre plus expressifs et plus chantants. Il atteignit ce but par l’utilisation de becs en cuir de buffle à la place des becs en plumes de corbeau, ainsi que le placement de genouillères pour actionner les registres. On doit plusieurs pièces de clavecin à Jean-Noël Hamal. À cette époque fleurirent de très nombreux périodiques musicaux, signe d’une grande culture musicale.
De son deuxième séjour en Italie, Hamal rapporte plus de maîtrise mais aussi l’idée de composer de petits opéras-bouffes en langue dialectale. Le théâtre liégeois, c’est, en fait, un ensemble de quatre opéras en langue wallonne mis en musique en 1757-1758 par Jean-Noël Hamal. Il est la source de tout le théâtre en wallon liégeois, tant parlé que chanté. Les librettistes sont notamment le chevalier Simon de Harlez et Jacques-Joseph Fabry, qui deviendra bourgmestre de Liège. Ces messieurs sont des assidus du théâtre de la Baraque, premier théâtre de Liège. Ce dernier s’érigeait sur le quai de la Batte, pas loin de la passerelle Saucy, dans l’espace actuellement dégagé devant la grand-poste. Des troupes italiennes s’y produisent, ce qui inspirera notamment un opéra burlesque en wallon, en 1757, Le voyage de Chaudfontaine.
André-Modeste Grétry est né à Liège le 8 février 1741 et il mourra à Paris le 24 septembre 1813. Il traversera tous les régimes et tirera chaque fois son épingle du jeu. Musicien de la reine Marie-Antoinette, révolutionnaire, il s’est retiré dans l’ermitage de Rousseau. Il est souvent revenu à Liège. Il y chercha un maître qu’il ne trouva pas car il y manquait un conservatoire et des maîtres savants. Alors, il se rendit à Rome.
L’essor du nouvel opéra comique français développé par Grétry (il en a écrit 40) confirme la disparition du théâtre italien à Liège et étouffe le jeune théâtre liégeois en wallon. Hamal retourne à la grande musique des messes et des oratorios.
En 1789, le pays de Liège fit sa révolution, à l’image de la France. La cathédrale fut démolie en 1793 et Henri Hamal, neveu de Jean-Noël, put heureusement sauver une grande partie des partitions qui avaient fait la réputation de la ville aux 17e et 18e siècles. Elles se trouvent maintenant à la bibliothèque du Conservatoire de Liège.
Sous le régime hollandais, la vie musicale renaît et une école de musique, créée en 1826, deviendra conservatoire royal en 1831. Dans la Belgique nouvelle, la ville de Liège ne tardera pas à jouer un rôle musical important.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Philippe GILSON, organisée en avril 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
[20MINUTES.FR, 29 octobre 2024] Gerbil Rocket. Cela fait presque vingt ans que la mésaventure d’un couple homosexuel de Salt Lake City et de son hamster Raggot traîne sur le Web, accréditée par une dépêche de l’AFP diffusée sur une radio nationale en France.
L’essentiel
En 2007, une dépêche AFP racontant l’histoire tragique de Raggot le hamster a été lue par un animateur d’une grande station de radio française.
Même si aucun démenti officiel n’a jamais été publié malgré la viralité de cette histoire sur Internet, la dépêche n’existe pas puisqu’il s’agit en fait d’une légende urbaine.
Celle-ci, popularisée en France via RTL, remonterait même aux années 1980 où elle est apparue aux Etats-Unis sous le nom de gerbiling.
Est-il seulement possible que vous n’ayez jamais entendu parler de Raggot le hamster tant son destin tragique est devenu viral lorsque son histoire est sortie sur Internet, en 2007 ? Histoire si improbable que l’on ne l’imagine pas une seconde inventée. Histoire accréditée par une dépêche de l’Agence France Presse citant le très sérieux Los Angeles Times et reprise par une radio nationale française. Histoire qui est pourtant l’une des plus fameuses légendes urbaines de tous les temps.
Comme on ne saura jamais qui de l’œuf ou de la poule, on ne saura jamais qui a inventé ce scénario ubuesque autour des mésaventures zoophiles d’Eric Tomaszewski et de son compagnon Andrew “Kiki” Farnum avec leur hamster Raggot. En France, c’est par le biais de la radio RTL que cette histoire est devenue virale, en 2007. A l’époque, un animateur avait pris sur lui de lire à l’antenne ce qu’il pensait être une dépêche de l’AFP et dont personne ne souhaitait se charger.
“Je suis mort de rire avant de la faire”
“Je suis mort de rire avant de la faire, mais c’est quand même une dépêche qui nous vient de l’AFP avec source du Los Angeles Times“, prévient-il avant de se lancer. La séquence dure près de trois minutes tant le journaliste, mort de rire, peine à venir à bout du texte. C’est d’ailleurs autant son interprétation qui fera le buzz que le contenu de la dépêche en lui-même. Contacté par 20 Minutes, ce dernier n’a toutefois pas donné suite.
Aujourdhui encore, beaucoup tiennent cette histoire pour vraie, aucune des parties citées n’ayant jamais publié de démenti. Pire, l’image d’une photocopie de la dépêche AFP, annotée à la main comme “authentique“, a été mise en ligne par un inconnu dans les années 2000. Contacté par 20 Minutes, l’AFP a toutefois tenu à rétablir la vérité et affirme que “la prétendue dépêche en question n’a jamais existé“.
Richard Gere a fait les frais de cette rumeur
Mais il n’y a pas que la dépêche AFP qui est fausse, toute l’histoire l’est aussi et personne, quel que soit son non, n’a jamais fini à l’hôpital après avoir enflammé accidentellement un hamster qu’on lui aurait introduit dans le rectum. Nos recherches nous ont conduites vers le site Internet Darwin Awards, lequel avait publié, en 1998 déjà, un texte présenté comme une légende urbaine, titré “Gerbil rocket“. La fausse dépêche AFP est la copie conforme de cette histoire, traduite en français, au détail près que le hamster était à l’origine une gerbille.
Dans le pays d’où cette rumeur est partie, aux Etats-Unis, le fait de s’introduire des gerbilles dans l’anus a même un nom, le “gerbiling” ou “bourrage de gerbilles“. Dans un article de Cecil Adams paru en mars 1986 sur le site The Straight Dope, l’auteur affirme que “les rumeurs de bourrage de gerbilles (et de souris ou de hamsters) circulent depuis 1982 environ“.
En 2012, le site The Awl publie un papier de Jane Hu, très fouillé, dans lequel elle explique que l’acteur Richard Gere a fait les frais de cette rumeur. Citant le Urban Dictionnary, site de référence sur les légendes urbaines, Jane Hu affirme qu’il “n’existe pas un seul cas documenté de cette pratique“.
Touchant à toutes les disciplines artistiques, l’artiste travaille principalement la sculpture et la performance. Son motif principal est le corps humain, qui est fragmenté, déformé et transformé en objets picturaux. Alternant entre fluide et solide, son travail signale une fluidité et une hybridité des corps synthétiques et naturels.
Cette impression numérique d’une photographie retravaillée est tirée du livre ELLE.
Amorcé en 2012, régulièrement augmenté, notamment à Berlin en 2013 avec la version allemande de ELLE, ce livre d’artiste semble alimenter le travail de sculpture, d’installation et de peinture que Cléo Totti mène de front. C’est sur les corps des modèles et leurs panoplies d’attributs que s’exercent depuis quelques années la rage et l’excitation de Totti. Ce livre est un questionnement sur l’image des femmes, sur le corps des femmes exposés dans les magazines féminins. Cléo Totti transforme ces images et le corps devient support à la peinture.
[RTBF.BE, 8 octobre 2024] Revenir relaxé d’une promenade en forêt à l’automne. S’endormir avec le son de la pluie sur du feuillage. S’apaiser au contact visuel de la couleur verte. Inhaler des essences aromatiques pour se soigner. Ces vertus de la nature ne sont pas qu’empiriques. La science le prouve : les interactions sont physiologiques et mentales. Il serait bon d’offrir une routine ‘nature’ à nos cinq sens chaque jour. Tendances Première fait le point des avancées de la recherche avec Kathy Willis, professeure de biodiversité à l’Université d’Oxford.
Depuis quelques années, Kathy Willis, à travers ses recherches, prouve le lien entre notre fréquentation des espaces verts et la qualité de notre santé, notre humeur et notre longévité. Notre corps et notre mental réagissent positivement au contact avec la nature. Ce sont à la fois des cliniciens, des psychiatres, des médecins en laboratoire qui démontrent les modifications importantes qui interviennent dans notre organisme lorsque nous avons une interaction avec la nature.
Naturel. Pourquoi voir, sentir, toucher et écouter les plantes nous fait du bien est publié aux éditions du Seuil, son auteure expose ces récentes découvertes scientifiques : “Ces dix dernières années, il y a eu un bouleversement complet dans la manière d’aborder les études de la nature. Aujourd’hui, on l’étudie dans un but de prescription, de la même manière qu’on va prescrire un médicament chimique. Cela ne concerne pas seulement la santé mentale, il y a aussi un bien-être physique qui est en jeu, par exemple par la baisse de la pression artérielle, du niveau de cortisol, de certains dosages hormonaux.“
Le développement du cancer ralenti par la promenade en forêt
Prenons le cas de l’odorat. Des éléments pénètrent littéralement dans notre organisme lorsque l’on respire une plante. Certains composés vont entrer dans nos poumons, et de là seront transmis à notre réseau sanguin pour atteindre tout le corps. Une fois certains composés présents dans la circulation sanguine, ils vont entrer en interaction avec notre réseau hormonal et fonctionner de la même manière que certains médicaments chimiques. Une étude a été réalisée par l’école médicale Nippone au Japon sur les effets de l’exposition à une certaine essence d’arbre.
“Pour cette étude, des hommes ont dormi pendant trois nuits consécutives dans des chambres d’hôtels séparées. L’odeur de Cyprès a été diffusée dans les chambres. Les mesures de leur pression artérielle et sanguine ont montré qu’au bout de la troisième nuit, leur taux d’adrénaline était abaissé considérablement, et qu’ils avaient en même temps un niveau très élevé de cellules tueuses, les cellules ‘NK’. Ce sont les cellules naturelles qui attaquent les cellules du cancer. Donc évidemment, on a tous envie d’avoir ce genre de cellule tueuse le plus possible dans notre organisme” observe la chercheuse de l’université d’Oxford.
La question suivante était de savoir si l’effet est constaté lorsqu’on se promène en forêt. Une autre étude qui a été publiée dans la revue Oncologie, relate cette observation. Kate Willis en résume les résultats : “La présence de cellules tueuses NK dans l’organisme a été mesurée chez des personnes qui avaient marché pendant sept jours d’affilée dans une forêt de Cyprès. Le résultat est qu’en marchant deux heures par jour dans une forêt de Cyprès, le taux de cellules tueuses avait considérable augmenté. Sept jours plus tard, le taux restait encore très élevé. Cela veut dire que le système immunitaire est stimulé incroyablement pour faire face à des cellules cancéreuses, grâce à de simples promenades en forêt.“
Quand rêvasser en classe devient un booster de performance
Facteur de concentration, regarder par la fenêtre et contempler du vert pendant 90 secondes permet de reprendre la tâche antérieure avec une meilleure performance. Une étude espagnole a été menée auprès de 2500 enfants d’environ huit ans en milieu scolaire. Une partie des classes avait vue sur de la verdure, tandis que les autres n’avaient à voir qu’un sinistre mur. “Sur l’ensemble de l’année scolaire, avec un accompagnement parental semblable pour tous les enfants, on a constaté que les enfants qui avaient regardé de la verdure avaient des performances beaucoup plus fortes que celles des enfants qui regardaient un mur de briques” résume Kathy Willis.
Comment interpréter ce résultat étonnant ? Regarder au loin, à l’horizon, demande une attention moins concentrée, ce qui provoque une espèce de pause technique au cerveau. Lorsqu’on reprend ensuite l’autre type de concentration, l’esprit est plus frais, prêt pour de meilleure performance : “Lorsqu’on regarde l’horizon, on ne regarde pas simplement la couleur, la forme. L’œil va saisir également la dimension fractale de l’horizon. C’est-à-dire un schéma qui se reproduit dans un autre schéma. Prenez une branche d’arbre, par exemple. Si vous la regardez, vous allez voir que cette branche, vous retrouvez également la même forme dans la feuille. Donc vous retrouvez la même structure, de plus en plus microscopique, qui se répète à l’intérieur de la chose que vous regardez. Et lorsque vous appliquez ce principe à l’horizon, on voit que le paysage qui est le plus détendant, qui est le plus bénéfique, c’est un paysage avec une diversité de formes et de couleurs. Avoir des paysages, y compris sur votre écran d’accueil ou sur vos murs, il est prouvé scientifiquement que c’est très bénéfique.“
Au contact de la nature, le microbiome s’améliore
Des bambins à la maternelle ont fait l’objet d’une attention particulière. Surtout leur microbiome, qui fait l’objet de nombreuses études tant elle influe sur notre santé mentale et physique. Dans une étude finnoise réalisée en 2020, les enfants étaient séparés en trois cours de récréation. L’une avec un sol en béton, l’autre avec des matelas et une troisième avec de la terre. Au bout de 28 jours, la peau et les intestins des enfants jouant dans la terre avaient une diversité de bonnes bactéries nettement améliorée.
“Les bonnes bactéries présentes dans la nature étaient passées dans leur système intestinal. Les enfants avaient absorbé ce microbiome environnemental. Lorsqu’on améliore son propre microbiote intestinal, cela déclenche toute une série de choses dans notre métabolisme qui sont très bonnes pour nous. On ne peut pas tout comprendre encore les mécanismes et le phénomène, mais on voit les résultats. Dans le cas de ces enfants-là, on a observé une forte progression des cellules ‘T’ qui permettent de réduire l’inflammation. Des résultats tout à fait semblables ont été observés sur des adultes qui étaient confrontés à un mur végétalisé dans leur bureau. C’est vraiment une découverte extraordinaire, avoir une interaction plus importante avec la nature permet d’absorber le microbiome environnemental qui passe à travers notre peau, mais aussi à travers nos intestins, peut-être probablement par l’inhalation.“
Une amélioration générale de la qualité de vie
Au Pays de Galles, une étude de grande ampleur a été menée en 2023. Deux millions de personnes ont été suivies sur une période de dix ans. L’examen de tous leurs dossiers médicaux a montré sans aucun doute que plus les patients vivent à proximité de la nature, mieux ils se portent, et ce, quelle que soit leur origine socio-économique. Ces découvertes récentes sont essentielles pour déterminer la place que la nature occupe dans nos vies et nos sociétés.
À mesure que nous sommes de plus en plus urbanisés, une chose est évidente, c’est qu’il y a des tas de maladies non transmissibles qui se développent. La corrélation est vraiment très nette. Des cliniciens très en vue disent que couper les gens de la nature n’est pas une bonne chose. L’urbanisme doit maintenir la présence de la nature en milieu urbain en raison de tous les bénéfices que cela entraîne pour notre santé. Et donc, on peut faire entrer la nature chez soi, en ayant des plantes, des diffuseurs par exemple. Introduire un peu de nature dans la maison est quelque chose de très bénéfique et, en plus, c’est gratuit.
Bénédicte Beauloye, rtbf.be
EAN 9782021533170
[LIBREL.BE] “Il y a quinze ans, Kathy Willis, professeure à l’université d’Oxford, a lu une étude qui a radicalement changé sa vision de notre rapport à la nature. Cette étude démontrait qu’à l’hôpital, les patients qui venaient de subir une opération se remettaient trois fois plus rapidement quand les fenêtres de leur chambre donnaient sur des arbres et non des murs. Depuis, toutes les recherches de Kathy Willis tendent à prouver ce lien entre notre fréquentation des espaces verts et la qualité de notre santé, notre humeur et notre longévité. Naturel expose ces récentes découvertes scientifiques et nous fait découvrir les changements très simples que nous pouvons tous apporter dans notre quotidien. Le livre fourmille d’idées, aussi étonnantes que pratiques, sur la façon dont la nature peut améliorer la vie. Quelques exemples : saviez-vous que le cèdre accroît le nombre de cellules anti-cancéreuses dans notre système immunitaire ? Ou que toucher du bois nous rend tout de suite plus calme (plus ce bois est noueux, plus c’est efficace) ? Ou encore que le parfum des roses aide à conduire un véhicule de façon plus sereine et plus sûre ? Une seule plante posée sur son bureau peut déjà faire la différence. Katherine Willis est professeure de biodiversité à l’université d’Oxford. Elle a également dirigé le département scientifique des jardins botaniques Kew de Londres.“
Né en 1982, Joseph CHARROY vit à Bruxelles. Il travaille avec Florence Cats, sa compagne, en s’influençant l’un l’autre. Les photographies de Joseph et son travail de matière influencent la manière de dessiner de Florence alors que, de son côté, c’est en voyant les peintures de sa compagne qu’il a commencé à photographier en couleurs, alors qu’il privilégiait le noir et blanc.
En 2016, Joseph Charroy crée Primitive, une maison d’édition indépendante consacrée à l’édition de fanzines et de livres d’artistes, située à Bruxelles.
Cette photographie fait partie de l’exposition collective “JEUNE” proposée par Pauline Hisbacq & Rebekka Deubner dans le cadre de Photo Saint-Germain à Paris (novembre 2017). L’exposition proposait huit regards singuliers sur la jeunesse. Joseph Charroy a photographié des jeunes à une fête foraine qui s’installe tous les ans, à la fin de l’été, à Huy.
L’artiste aime utiliser des photos de différentes natures et différentes focales, parfois solarisées ou floues. Il utilise différentes vitesses et parfois des films périmés. Il a utilisé ici un polaroïd.
“On peut y voir quelque chose d’anachronique, mais il n’y a pas de volonté de faire “vieux”. Pour moi être anachronique, c’est avoir un autre rapport au présent.” (J. Charroy in BRUZZ.BE)
Une légende nous raconte qu’en 712, la fille du Roi d’Ecosse retrouva la vue sur les hauteurs de Liège, à Sainte-Walburge, en découvrant la beauté de la ville, et qu’elle y fit ériger un oratoire.
Mais la première trace historique de ce sanctuaire remonte à 1338, dans un courrier du prince-évêque Adolphe de la Marck. A la même époque, dans ce qui s’appelait “le faubourg Sainte-Walburge”, un Liégeois, un certain Guillaume Gillard del Cange, y fit ériger une construction pour lépreux. Ce type d’établissement, que l’on nommait à l’époque une maladrerie, tenait plus de l’hospice que de l’hôpital et, de par sa nature, exigeait la proximité d’un cimetière. Très vite, ce cimetière devint pour la population “le cimetière des Lépreux”.
Après l’abandon de l’hôpital, pillé par des escrocs, c’est un nommé Pierre Stevart qui racheta le terrain et ce qui restait de l’ancien édifice pour y faire construire une église. Lors des troubles, en effet nombreux à l’époque, les portes de la ville restaient fermées et les habitants n’avaient plus d’accès à une église. Quant au “cimetière des Lépreux”, il fut reconverti en cimetière paroissial, autour de l’église, selon la tradition de l’époque.
Le décret de Napoléon de 1804 modifiera le paysage des cimetières liégeois. Ce décret interdit l’inhumation dans les églises et à l’intérieur des villes. Tous les petits et nombreux cimetières paroissiaux vont disparaître, celui de Robermont est créé. Cependant, le cimetière de Sainte-Walburge subsistera jusqu’en 1866, notamment parce qu’il se trouve en dehors des remparts.
Un seul cimetière sur la rive droite était insuffisant et la décision d’implanter un nouveau cimetière rue Fosse Crahay fut prise par la Ville de Liège en 1868. Le projet de créer un nouveau cimetière sur la rive gauche de la Meuse réunit une belle unanimité. Par contre, le choix du lieu exact d’implantation donna lieu, déjà, à des palabres qui s’éternisèrent cinq mois durant, de mai à octobre 1868. Le conflit portait sur la salubrité des eaux de captage de la Ville, qui aurait pu être mise en cause selon l’endroit où la nouvelle nécropole serait située. En effet, les galeries des fontaines Roland ne sont distantes du site que de 600 mètres.
Finalement, un accord émergea et le Conseil communal vota l’implantation du cimetière de Sainte-Walburge à l’endroit où nous le connaissons actuellement. Il sera inauguré le 20 mars 1874 et une voie d’accès créée pour le relier au faubourg Sainte-Walburge, le boulevard Fosse Crahay.
Bien qu’il ne représente que la moitié des 44 ha de Robermont en superficie, le cimetière de Sainte-Walburge n’a rien à lui envier sur le plan historique, botanique ou environnemental. Même si une telle notion peut surprendre, chaque nécropole possède sa propre philosophie dans l’art funéraire et cette différence apparaît intéressante à analyser dans le cas des deux plus grands cimetières liégeois.
On ne trouve à Sainte-Walburge que peu de sépultures imposantes, beaucoup moins qu’à Robermont, beaucoup moins aussi de personnages qui se rappellent à nous par le nom d’artères importantes de la ville que nous empruntons quotidiennement ; on n’y découvre pas non plus la même recherche architecturale qui fait une partie de l’éclat de Robermont. Par contre, et ceci est symptomatique, d’innombrables médaillons rappellent aux visiteurs la physionomie des défunts, ce qui reste une indication que Sainte-Walburge possède une philosophie plus familiale que Robermont, plus proche de la population qui le fréquente. On y découvre ainsi énormément de personnages néanmoins connus et qui se sont révélés très attachants, parfois surprenants.
Si vous vous promenez dans le cimetière de Sainte-Walburge, vous découvrirez ainsi les sépultures de Emile Sullon, Jean Haust et Théophile Bovy, auteurs wallons, Henri Noinem, Désiré Horrent et Louis Radermecker, résistants, Maurice Destenay, Joseph Bologne et Georges Truffaut, hommes politiques, Jacques Ochs, dessinateur et caricaturiste, Henri Koch, violoniste, Henri Lacroix, guérisseur, Auguste Mindels et Ferdinand Delarge, sportifs, Edgar Scauflaire et Fernand Vetcour, peintres, et Maurice Waha, héros de Sainte-Marguerite, et bien d’autres.
Il est évidemment impossible de citer tous les personnages repris dans le livre, Le cimetière de Sainte-Walburge, 130 ans d’histoire, que j’ai consacré à cette nécropole. Il convient aussi de ne pas négliger l’aspect botanique du cimetière. C’est pourquoi un bel après-midi d’automne vous permettra de passer d’agréables moments dans un environnement bucolique tout en redécouvrant des pans de l’histoire liégeoise.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Chantal MEZEN, organisée en février 2008 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
[REVUEPOLITIQUE.BE, 17 juillet 2024] Qualifier d’extrême droite un discours, une proposition, un programme, une personnalité ou un parti est délicat. D’une part, les critères politologiques varient et évoluent sans nécessairement constituer une équation mathématique aboutissant à un résultat indiscutable et binaire. D’autre part, les évolutions de l’extrême droite lui permettent de passer entre les mailles du filet de l’analyse. Les auteur·ices proposent trois outils complémentaires pour argumenter la qualification “extrême droite.”
Traditionnellement, la science politique définit l’extrême droite comme un ensemble de discours, de personnalités, de mouvements ou de partis, structurés autour d’un corpus idéologique spécifique : inégalitarisme, nationalisme et sécuritarisme. Des auteur·ices ajoutent à cette liste le rejet des institutions démocratiques (parlementarisme et État de droit) ou des valeurs de la démocratie.
Premièrement, selon l’idéologie inégalitaire, les individus sont naturellement inégaux les uns par rapport aux autres. Il existerait différentes “races” qui déterminent l’identité d’un individu, ses capacités physiques et mentales. Certaines “races” seraient supérieures, d’autres inférieures, et il conviendrait d’appliquer cette “règle naturelle” à l’ordre politique et social.
Deuxièmement, dans une perspective nationaliste, la nation est imaginée comme homogène et pure, formant le “nous“, les “nationaux“, à séparer du “eux“, les “étrangers“. La diversité et le multiculturalisme sont perçus comme des facteurs dégradants de l’identité nationale. La nation doit également être souveraine et indépendante, de sorte que les entités supranationales, les institutions, les traités et les accords internationaux sont critiqués ou rejetés.
Troisièmement, l’extrême droite prône des dispositifs sécuritaires, de contrôle et de coercition, pour protéger cette nation des menaces intérieures et extérieures. L’immigration est présentée comme porteuse d’insécurité en assimilant les étranger·e·s à des “criminels” ou à des “profiteurs“. Sont alors notamment vantés le renforcement de l’armée, et de la police, l’application stricte des peines prononcées, le recours systématique aux peines d’emprisonnement, le retour à l’application de la peine de mort, etc.
Quatrièmement, les rapports entre extrême droite et démocratie sont théorisés de plusieurs manières : selon certain·e·s, l’extrême droite rejette le régime démocratique, c’est-à-dire ses institutions, tandis que pour d’autres, ce sont les valeurs de la démocratie qui sont attaquées.
Du point de vue quantitatif, le curseur est impossible à placer.
Cette définition manque cependant de systématicité et son opérationnalisation est délicate. En effet, d’une part, il n’est pas certain que la rencontre des trois ou quatre critères soit systématiquement nécessaire. La rencontre de deux d’entre eux peut s’avérer suffisante (exemple : la tenue d’un discours raciste et nationaliste). D’autre part, du point de vue quantitatif, le curseur est impossible à placer (un programme politique dont 25% des propositions sont racistes, nationalistes et sécuritaires, diluées dans 75% d’autres qui sont au-delà de tout soupçon, pourrait-il être qualifié d’extrême droite ?). Le curseur qualitatif est également empreint de subjectivité (si une seule mesure d’un programme politique applique une violence discriminatoire pour les personnes étrangères présentées comme des “ennemis de la Nation“, cette mesure est-elle suffisante pour qualifier le programme d’extrême droite ?).
Quant au lien entre l’extrême droite et son rejet de la démocratie, le critère est également discutable. Il suppose que l’extrême droite renonce au jeu électoral et parlementaire – ce qui n’est de toute évidence pas le cas pour plusieurs partis – ou que les “valeurs centrales” de la démocratie soient unanimement et précisément identifiées. Par ailleurs, dans ses discours, l’extrême droite se présente aujourd’hui comme étant la défenseuse de la démocratie et la victime d’un système politique et médiatique qui ne respecte pas ses droits fondamentaux, dont la liberté d’expression.
Évolution des discours de l’extrême droite et émergence d’un tabou ?
Au cours des dernières décennies, les évolutions des discours de l’extrême droite ont rendu moins manifeste son identification au regard de ces trois ou quatre critères. En effet, à la suite de l’adoption des législations criminalisant l’incitation à la haine raciale ou à la discrimination et les Négationnistes, les discours de l’extrême droite se sont policés. Cette stratégie de “dédiabolisation“, visant à contourner les lois précitées et à élargir la base électorale de ces partis, leur a permis d’accéder, dans plusieurs États, aux institutions législatives et exécutives.
Les discours ouvertement racistes ont cédé leur place à la subtilité. Premièrement, le terme “race” disparaît au profit des termes “culture” et “religion“. Il n’est également plus question de “supériorité” et d’”infériorité” de différents groupes, mais plutôt de “différences“, d’individus “assimilables” ou “inassimilables“. Les mots “notre identité” sont aussi progressivement remplacés par “nos valeurs” ou “notre mode de vie“. Deuxièmement, les énoncés hétérophobes sont abandonnés au profit d’énoncés hétérophiles (exemple : l’aide au développement comme outil de lutte contre l’immigration) et plutôt que d’attaquer “eux“, c’est la protection du “nous” qui est mise en avant (exemple : préférence nationale, protection des coutumes et des traditions nationales). Troisièmement, les propos ne sont plus explicites mais implicites (recourant aux métaphores, métonymies et autres figures de style), de sorte qu’ils sont juridiquement (quasi-) inattaquables.
En l’absence d’inégalitarisme et de racisme explicites et revendiqués, les observateur·rices de la vie politique sont davantage prudent·es avant de qualifier tels discours, propositions, programmes, personnalités ou partis d’extrême droite.
À cet égard, UNIA et des chercheurs et chercheuses de l’Université de Louvain évoquent des “discours gris“. Il s’agirait de : “discours inquiétants sans pour autant être juridiquement condamnables [préparant] en quelque sorte le terrain aux discours qui incitent à la haine, la violence et la discrimination à l’égard de certains groupes“. Les auteur·ices ajoutent que ces discours construisent “explicitement ou implicitement, la représentation d’un groupe social donné comme ayant, en tant que tel, une valeur moindre, comme ne jouissant pas d’une égale dignité et ne méritant dès lors pas une considération égale“.
En l’absence d’inégalitarisme et de racisme explicites et revendiqués, les observateur·ices de la vie politique sont davantage prudent·es avant de qualifier tels discours, propositions, programmes, personnalités ou partis d’extrême droite. Une multitude d’appellations connexes sont alors employées : “droite radicale“, “droite populiste“, “nouvelle droite“, “droite extrême“, etc. Ces concepts sont cependant tout aussi flous et privés de définition opérationnelle. De surcroît, ne participent-ils pas, indirectement, à la “dédiabolisation” de l’extrême droite, étant donné que celle-ci n’est plus qualifiée comme telle ?
Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il est nécessaire de compléter la définition politologique par d’autres outils.
Outil n°1 : qualifier d’extrémiste une proposition politique au regard des droits humains
Si l’extrême est la position la plus éloignée d’un centre, il est indispensable de localiser ce centre. Dans le cadre d’un État de droit démocratique, ce centre est la réalisation des droits humains, fixée dès 1948 comme “la plus haute aspiration de l’Homme.” Indépendamment des critiques qui peuvent être formulées à l’égard du concept des droits humains – non exempts d’imperfections dans leur conception et dans leur mise en œuvre – il n’en demeure pas moins qu’ils sont “l’aune à laquelle se mesure la respectabilité des régimes et des doctrines politiques“.
L’idéologie d’extrême droite est en opposition avec le corpus des droits humains. En effet, l’inégalitarisme et le racisme sont contraires aux principes centraux et transversaux d’égalité et de non-discrimination. Le protectionnisme identitaire et autarcique rejette le développement de relations amicales entre les peuples, un fondement essentiel de la Charte des Nations Unies. Et, enfin, la primauté de l’approche sécuritaire est une inversion du paradigme plaçant, d’une part, les libertés comme principe et, d’autre part, les restrictions à ces libertés comme des exceptions, limitées au strict nécessaire pour atteindre un objectif légitime d’intérêt général. Dans sa résolution du 23 septembre 2012, l’Assemblée générale des Nations Unies précise en outre que “les droits de l’homme, l’État de droit et la démocratie sont interdépendants, se renforcent mutuellement et sont au nombre des valeurs et principes fondamentaux universels et indissociables de l’Organisation des Nations Unies“.
En Belgique, la lutte contre l’extrémisme a plusieurs fois été organisée en référence au triptyque des droits humains, de l’État de droit et de la démocratie.
Ainsi, dans le cadre de la réforme de la Sûreté de l’État à la fin des années 1990, le législateur a précisé les contours de sa mission de renseignement, ciblant notamment “toute activité qui menace ou pourrait menacer la sûreté intérieure de l’Etat et la pérennité de l’ordre démocratique constitutionnel“, c’est-à-dire l’activité qui menace soit “la sécurité des institutions de l’Etat et la sauvegarde de la continuité du fonctionnement régulier de l’État de droit, des institutions démocratiques, des principes élémentaires propres à tout État de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales” soit “la sécurité et la sauvegarde physique et morale des personnes et la sécurité et la sauvegarde des biens“.
Parmi ces activités potentiellement menaçantes auxquelles la Sûreté de l’État s’intéresse figure l’extrémisme, défini comme “les conceptions ou les visées racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires, qu’elles soient à caractère politique, idéologique, confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou en pratique, aux principes de la démocratie ou des droits de l’homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l’État de droit en ce compris le processus de radicalisation“.
Par ailleurs, dans le courant des années 1990, d’autres instruments législatifs vont insister sur les droits humains comme ligne de démarcation entre les idéologies politiques “acceptables” et celles qui ne le sont pas. En effet, à l’époque, le Vlaams Blok a vu accroître son financement à la suite de sa percée électorale de 1991 et publie dans la foulée un plan en 70 points pour mettre fin à l’immigration en Belgique. Cette montée de l’extrême droite suscite l’inquiétude des autres formations politiques.
La loi sur les finances électorales de 1989 est d’abord modifiée en 1995 pour y insérer un article 15 bis obligeant les partis politiques à inclure, dans leurs statuts, leur engagement à respecter et à faire respecter la Convention européenne des droits de l’homme. Ensuite, en 1999, un article 15 ter est adopté pour permettre au Conseil d’État de réduire la dotation d’un parti politique lorsque celui-ci “par son propre fait ou par celui de ses composantes, de ses listes, de ses candidats, ou de ses mandataires élus, montre de manière manifeste et à travers plusieurs indices concordants son hostilité envers les droits et libertés garantis par la Convention [européenne des droits de l’homme]“.
Il existe un consensus pour considérer les droits humains et l’État de droit comme étant le centre de gravité à partir duquel localiser l’extrémisme.
L’application de ce dispositif, amendé à plusieurs reprises, est une entreprise particulièrement laborieuse, notamment compte tenu des multiples garanties procédurales existantes mais également de l’interprétation très restrictive donnée par la Cour constitutionnelle de ce que constitue une “hostilité manifeste” aux droits fondamentaux. Pour la Cour, il ne peut s’agir que de l’incitation à violer “un principe essentiel au caractère démocratique du régime” et non la simple proposition d’interprétation différente ou la critique portant sur l’un ou l’autre des droits fondamentaux consacrés. Pour la Cour constitutionnelle néanmoins, “la condamnation du racisme et de la xénophobie constitue incontestablement un de ces principes car de telles tendances, si elles étaient tolérées, présenteraient, entre autres dangers, celui de conduire à discriminer certaines catégories de citoyens sous le rapport de leurs droits, y compris de leurs droits politiques, en fonction de leurs origines“.
Il ressort de ce qui précède qu’il existe un consensus pour considérer les droits humains et l’État de droit comme étant le centre de gravité à partir duquel localiser l’extrémisme. Les deux dispositifs juridiques précités – mission de la Sûreté de l’État et sanction financière des partis liberticides – mettent en outre l’accent sur l’impact concret des atteintes aux droits fondamentaux sur les personnes au regard du “danger de la discrimination” (Cour constitutionnelle) ou de l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique (loi sur l’analyse de la menace).
Déterminer si un discours, une proposition ou un programme est extrémiste peut donc s’opérer suivant deux questions. Se dirigent-ils vers un renforcement ou un soutien de la protection d’un ou de plusieurs droits fondamentaux ou, au contraire, prônent-ils la généralisation des restrictions ou la violation des droits fondamentaux, en particulier au regard des principes d’égalité et de non-discrimination ? Quel est l’impact de ces restrictions ou violations sur l’intégrité psychique et physique des personnes concernées ?
L’utilité de cet outil d’identification de l’extrémisme est de recourir à des concepts opérationnels, théorisés et construits pour être appliqués à des cas concrets.
Outil n°2 : qualifier d’extrême droite un discours ou une proposition politique en les analysant de manière critique
Après avoir identifié des politiques publiques extrémistes au regard des droits humains, une seconde étape peut consister à analyser les discours mobilisés pour les justifier, afin d’y déceler les idéologies véhiculées et les stratégies portées.
Les discours ne sont jamais neutres. Ils ne décrivent pas la réalité sociale, mais en construisent une. Ainsi, une “vague migratoire” est une métaphore déshumanisante, assimilant les personnes migrantes à une catastrophe naturelle. Au contraire, une “politique anti-réfugiés” renvoie à une responsabilité politique dans le mauvais traitement réservé à des personnes dont la demande de protection est pourtant légitime. La dramaturgie, les causes et les responsabilités varient.
Les discours ne sont jamais neutres. Ils ne décrivent pas la réalité sociale, mais en construisent une.
Analyser un discours par déduction consiste à vérifier si les critères d’inégalitarisme, de nationalisme, de sécuritarisme ou du rejet de la démocratie structurent manifestement le discours. Si c’est le cas, alors le discours est d’extrême droite. Toutefois, cette méthode se heurte aux évolutions des discours d’extrême droite, rappelées supra, dépouillés de racisme explicite, avançant masqués, jouant sur l’implicite et les métaphores. À l’inverse, une approche inductive des discours décode la réalité sociale qu’ils construisent. Quant à elle, l’analyse critique décèle les idéologies “cachées” derrière les mots, derrière les argumentaires10. Autrement dit, dans les discours, comment les groupes sont-ils définis ? Comment sont-ils mis en opposition ? En fonction de quels rapports de domination ? Quels sont les valeurs et intérêts mobilisés ? Les ennemis présentés ?
Par exemple, au sujet de l’adoption du Pacte migratoire européen, Margaritis Schinas, commissaire au mode de vie européen, se félicite que “nous [ayons] transformé le talon d’Achille de l’Europe en success story“. Nous pouvons nous poser la question de savoir si les dispositifs de contrôle et de coercition adoptés (procédures accélérées, détentions automatiques, procédures de filtrage sur la base de la nationalité, etc), présentés comme des outils de protection d’un groupe (les “Européens” et leur “mode de vie“) contre la menace émanant d’un autre groupe (les “non-Européens“), ne renvoient pas à un univers idéologique d’extrême droite.
Quant à l’immigration, plusieurs termes doivent être analysés dans une perspective critique : “décivilisation“, “ensauvagement“, “islamisation“, “flux migratoire“, “vague migratoire“, “grand remplacement“, “disparition autochtone“, “nuisible“, “étranger illégal“, etc. L’analyse est également valable pour des propositions, telles que la détention en centres fermés, la déchéance de la double nationalité, un moratoire sur l’asile, le retrait d’UNIA, la fin du secrétariat d’État à l’Égalité des genres, à l’Égalité des chances et à la Diversité, l’abrogation des lois contre le racisme et l’incitation à la haine, etc.
Le constat selon lequel un parti n’est pas explicitement raciste ne suffit plus à disqualifier son apparentement à l’extrême droite.
L’approche inductive de l’analyse critique des discours présente l’utilité de dépasser le caractère explicite d’un discours pour se concentrer sur son sous-texte et son contexte afin de contourner l’artifice de la “dédiabolisation“. De la sorte, le constat selon lequel un discours, une proposition, un programme, une personnalité ou un parti n’est pas explicitement raciste ne suffit plus à disqualifier son apparentement à l’extrême droite si, par exemple, la réalité sociale qu’il produit est bien celle de la protection d’une communauté homogène et pure contre un exogroupe infériorisé, érigé en bouc-émissaire, menaçant des acquis ethniques, culturels ou économiques, auxquels des restrictions des droits humains sont imposées.
Par ailleurs, l’utilité de cet outil est également son caractère opérationnel, dès lors qu’il permet une analyse au cas par cas de chaque discours ou de chaque proposition politique, sans devoir justifier si la personne ou le parti dont il émane devrait lui aussi être qualifié ou non d’extrême droite. L’objectif est avant tout de savoir reconnaître, dans un contexte politique où les discours sont “gris”, quelle est la réalité sociale construite par un terme ou une proposition particulière.
Outil n°3 : qualifier d’extrême droite un discours ou une proposition politique en les comparant avec des référents historiques
Après avoir, premièrement, repéré le caractère extrémiste de propositions politiques au regard des restrictions des droits humains qu’elles comportent et qui portent atteinte à l’intégrité psychique et physique des personnes et, deuxièmement, induit la réalité sociale produite par les discours qui soutiennent ces politiques, une troisième grille d’analyse peut être proposée.
Le placement du curseur est une opération délicate puisqu’il consiste à se demander à partir de quel moment l’abaissement de la protection des droits humains et la mobilisation discursive d’un univers idéologique d’extrême droite devient inacceptable. Où se situe la borne à ne pas dépasser ?
À plusieurs reprises, des programmes politiques ont été condamnés, judiciairement, politiquement et moralement, comme étant au-delà de cette borne. Ainsi, le plan en 70 points du Vlaams Blok a été dénoncé, par le Parlement Flamand (anc. Conseil Flamand) qui – se référant lui-même à d’autres saillances historiques et notoires de l’extrême droite – constatait que “certaines de ses propositions sont reprises du programme en 50 points du Front national du 16 novembre 1991 et visent à isoler les migrants dans un groupe d’apartheid et à les mettre progressivement au ban de la vie sociale, comme l’ont été les concitoyens juifs dans l’Allemagne nazie à partir de 1933” et par la Cour d’appel de Gand comme n’étant que “l’expression de l’intolérance propagée par le Vlaams Blok et inspirée par le racisme et la xénophobie, incompatibles avec les valeurs applicables dans une société démocratique, libre et pluraliste“.
Qualifier d’extrême droite ce qui l’est, ne doit pas non plus être un tabou.
Dans le contexte belge, le plan en 70 points du Vlaams Blok constitue un étalon central pour qualifier d’”extrême droite” des projets politiques et des discours en matière d’asile et d’immigration. En 2017, le quotidien De Standaard avait démontré qu’en vingt-cinq ans, une moitié de ce plan avait été réalisée, partiellement réalisée ou mise à l’agenda.
La comparaison avec un référent historique incontestable présente l’utilité de mesurer la distance, la réduction de cette distance, ou la congruence avec l’idéologie et les politiques publiques prônées par l’extrême droite et ce, même si le contexte change, même si les discours évoluent, même si, à l’instar des différentes versions des plans du Vlaams Blok entre 1992 et 1996, les restrictions aux droits humains et à l’État de droit sont formellement et prétendument justifiées par toutes sortes de considérations.
Conclusion
D’aucun·e aurait raison de penser que le qualificatif “extrême droite” ne peut être mobilisé comme un anathème dans le seul but de délégitimer ou de disqualifier d’autorité un discours, une proposition, un programme, une personnalité ou un parti. L’argumentation peut être ardue. Les critères traditionnellement employés par la science politique manquent parfois de systématicité et d’opérationnalisation. Dans certains cas, les discours et les pratiques institutionnelles de l’extrême droite ont évolué. Les observateur·rice·s de la vie politique peuvent donc éprouver une certaine réticence à employer cette appellation. Or, qualifier d’”extrême droite” ce qui l’est, ne doit pas non plus être un tabou.
La grille d’analyse ici discutée, aux dimensions juridiques, discursives et historiques qui complètent l’approche politologique, entend donc résoudre cette tension. Elle propose de cibler les objets d’études, d’identifier leur apparentement à l’extrême droite à l’aide de critères opérationnels, et de renforcer la démonstration d’une qualification d’extrême droite de ces objets. Elle ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité sur les manières d’appréhender les discours et programmes d’extrême droite, par exemple en fonction du contexte économique, social et politique de leur émergence ou de l’arsenal rhétorique mobilisé.
Les trois outils proposés pour qualifier des discours et des propositions d’extrême droite peuvent se résumer en trois questions : les discours et les propositions politiques sont-ils dirigés contre les droits humains ou l’intégrité de certaines personnes ? Les discours et propositions politiques construisent-ils une réalité sociale telle que celle fantasmée par l’extrême droite ? Les discours et propositions sont-ils similaires à ceux soutenus par l’extrême droite dans le passé ?
[ULIEGE.BE] Le climat se réchauffe et cela ne fait plus aucun doute que les activités humaines en sont responsables. Mais concrètement, qu’est-ce qui nous attend chez nous à Liège et à quoi devrons-nous nous adapter ? Quel climat allons-nous avoir dans un monde à +2°C (en 2040) ? Comment seront nos étés ? Pourrait-on encore avoir un événement pluvieux extrême comme celui de Juillet 2021 ou doit-on se préparer à des sécheresses extrêmes ? Quels seront les impacts sur nos forêts, l’agriculture ou encore notre santé ?
Après une licence en mathématiques à ULiège en 2000, Xavier Fettweis défend sa thèse sur le climat du Groenland chez le Prof. Jean-Pascal van Ypersele de l’UCL en 2006. De retour à ULiège, il coordonne le développement du modèle régional du climat MAR utilisé notamment pour étudier la fonte des calottes polaires et les changements climatiques en Belgique au Laboratoire de Climatologie qu’il dirige depuis 2017, d’abord en tant que chercheur qualifié du FNRS, puis comme professeur depuis 2023.
A cause des activités humaines, on pourrait gagner en Belgique près de +4°C en 2100 par rapport à 1981-2010 et c’est surtout en été et en Ardenne que la hausse des températures sera la plus importante. Il faudra aussi faire face de plus en plus à des sécheresses en été, entrecoupées de quelques événements pluvieux intenses comme celui de juillet 2021. L’eau manquera donc souvent en été, ce qui impactera durablement nos forêts (qui devront s’adapter) ainsi que des écosystèmes uniques comme celui des Hautes-Fagnes qui ne seront plus en équilibre avec notre climat.
Ce n’est plus un secret pour personne que le climat est en train de réchauffer et il n’y a maintenant plus aucun doute que ces anomalies climatiques sont dues aux activités humaines car naturellement, on irait plutôt vers une glaciation dans 100.000 ans. Depuis 1850, la concentration des gaz à effet de serre a augmenté de près de 50 % à cause des activités humaines et il n’y a plus aucun doute que cette augmentation explique la hausse des températures observée. Au début des années 2000, le GIEC restait encore prudent sur le lien entre activités humaines et hausse de température car seuls les modèles suggéraient une hausse des températures qui n‘était pas (encore) observée. Depuis lors, les changements climatiques se multiplient (hausse du niveau des mer, retrait des glaciers, fonte des calottes polaires, augmentation du nombre et intensité de canicules….) et si on veut reproduire avec les modèles du climat ce qui est observé, on est obligé de tenir compte de l’augmentation des concentrations des gaz à effet serre liée aux activités humaines. Cela a permis au GIEC de conclure sans équivoque dans son 6ème rapport (en 2021) que seules les activités humaines peuvent expliquer le réchauffement climatique observé. Bref, il n’y a plus lieu aujourd’hui d’être climato-sceptique même s’il y a 20-30 ans, une telle position restait défendable.
Figure 1: Evolution de la température annuelle à Liège simulée par la modèle MAR d’ULiège forcé par les réanalyses ERA5 (~ observations) en bleu et par 6 modèles globaux du GIEC (en rouge) en utilisant le scénario SSP370.
Et en Belgique, qu’en est-il ? Par rapport à la période 1981-2010 (respectivement 1850), on a gagné près de +1°C (respectivement +2°C) sur la période 2011-2022 et ce, en particulier en Ardenne et en été. Les précipitations annuelles ont peu changé ; par contre, les chutes de neige ont déjà diminué de près de 25 % en moyenne sur la dernière décennie. Malheureusement, cette tendance ne va pas s’inverser dans les prochaines années. Même si, à la suite des Accords de Paris (COP21, 2015), on aurait pu espérer limiter le réchauffement climatique à +1.5°C en 2100 par rapport à 1850 (scénario SSP126 du GIEC), on est malheureusement aujourd’hui loin de cet objectif avec les engagements réellement pris jusqu’ici (COP28, 2023). Le scénario le plus probable actuellement est une hausse de la température globale de ±3.5°C en 2100 par rapport à 1850, ce qui correspond au 2éme moins « pire » scénario du GIEC (scénario SSP370) montré sur la Figure 1 pour la ville de Liège. On peut notamment y voir que les modèles sous-estiment le réchauffement actuellement observé (courbe en bleu) et donc que ces chiffres sont donc la fourchette basse de ce qui nous attend, hélas.
Figure 2: Statistiques observées (basées sur le modèle MAR forcé par les réanalyses ERA5) et projetées (basées sur MAR forcé par 6 modèles globaux) pour différentes périodes selon le scénario SSP370 pour Liège.
En Belgique, le hausse de température sera tout d’abord la plus marquée en Ardenne qu’en Flandre où la Mer du Nord (qui met beaucoup plus de temps à se réchauffer que l’atmosphère) va en quelque sorte atténuer le réchauffement climatique dans un premier temps (voir Figure 3). En hiver, c’est surtout les nuits qui vont devenir moins froides alors qu’en été, c’est surtout les maximums de température qui s’envoler.
Alors que la température annuelle augmenterait de près de +1.5°C en moyenne en Région Wallonne en 2040 (Monde à +2°C) par rapport à 1981-2010, la hausse de température atteindra par contre +2°C en été en Ardenne. N’oublions pas que la période de référence pour le GIEC est 1850-1900 et donc un Monde (i.e. la température moyenne globale) à +2°C selon le GIEC correspond à une Belgique à +3°C selon cette même période de référence. A l’échelle annuelle, la quantité de précipitations changerait peu mais par contre, les précipitations diminueront significativement en été alors que seuls les hauts sommets de nos Ardennes verront encore un peu de neige à la fin de ce siècle.
Figure 3: a) Anomalie de la température annuelle simulée en ~2040 (Monde à +2°C) par rapport à 1981-2010. b) pour la température en été (Juin-Juillet-Aout). c) pour les précipitation annuelles (en % par rapport à la moyenne 1981-2010) et d) pour les précipitation en été selon le modèle MAR.
Après les inondations de juillet 2021, il est légitime de se poser la question de savoir si cet événement est dû au réchauffement climatique et s’il pourrait se répéter. Pour répondre à ces questions, nous avons forcé notre modèle du climat MAR avec des observations depuis 1950 et avec plusieurs scénarios futurs du GIEC. Tout d’abord, par comparaison au maximum de précipitation sur 3 jours observé dans la Vallée de la Vesdre depuis 1950, 3 événements ressortent 7-9 octobre 1982, 12-14 septembre 1998 et 13-15 juillet 2021. Déjà en 1982 et 1998 la Vallée de la Vesdre avait été inondée mais la quantité de précipitation tombée en moyenne sur la Vallée en Juillet 2021 (160mm/3jours) surpasse largement la quantité tombée en 1982 (105mm/3jrs) et 1998 (115mm/3jours) ce qui explique le caractère exceptionnel de l’événement de juillet 2021. Dans les projections futures, on constate tout d’abord que ce genre d’événement n’est pas suggéré dans les simulation MAR forcées par les scénarios du GIEC avant 2020 ; ce qui montre que sans le réchauffement climatique lié aux activités humaines, un événement d’une telle intensité aurait été improbable. Après 2020, le modèle suggère malheureusement que cet événement pourrait se répéter 2-3 fois d’ici 2050. Après 2050, si on limite le réchauffement global à +1.5°C, le climat de la Belgique serait alors très favorable à ce genre d’événements qui pourraient devenir récurrents (tous les 10-20 ans). Si par contre le climat continue à se réchauffer, les étés deviendraient alors trop chauds et secs pour favoriser de tels événements qui resteront toutefois probables.
Le problème en été serait alors plutôt les sécheresses et les canicules favorisant des feux de forêts. Il est important de noter que nos forêts ne sont (ou ne seront) plus en équilibre avec le climat actuel et sont donc malades favorisant la présence de bois morts augmentant ce risque d’incendie. Pour ce qui est des autres événements extrêmes locaux comme les orages, tornades, rafales de vent…, il reste encore beaucoup d’incertitudes car les modèles du climat ne sont pas encore capables de les représenter explicitement. La hausse des températures permettrait d’augmenter l’intensité de ces événements locaux car il y aurait plus d’énergie pour les alimenter mais les connaissances actuelles ne suggèrent pour le moment pas de changement dans leurs fréquences. Toutefois, une chose est sûre, avec l’augmentation du bâti et des surfaces imperméables, un même événement du passé fera plus de dégâts qu’avant. Enfin, il est important de noter que la variabilité interannuelle (c-à-d. le fait d’avoir une succession d’années humides ou sèches) des précipitations aussi bien annuelles qu’en été va augmenter significativement en Wallonie (voir Figure 8). Cela suggère notamment qu’on aura plus souvent des étés secs (1 été sur 3 contrairement à 1 sur 6 actuellement) compensés par des étés plus humides (1 été sur 5 contrairement à 1 sur 6 actuellement) expliquant qu’en moyenne la diminution projetée des précipitations reste faible.
Pour rester en équilibre avec un climat qui leur est favorable, les écosystèmes vont soit devoir s’adapter, soit migrer en altitude ou en latitude pour retrouver un climat plus froid. Un exemple d’écosystèmes chez nous qui ne pourra ni monter en altitude ni en latitude est celui qu’on retrouve dans nos Hautes-Fagnes et qui a besoin d’un climat froid et humide. Les Hautes-Fagnes risquent donc à terme de s’assécher en surface et donc se reboiser.
Autres exemples d’écosystèmes qui ne sera plus en équilibre avec notre climat, ce sont les forêts d’épicéas et de hêtres qui sont des arbres avec des racines peu profondes et donc très sensibles aux sécheresses estivales qui devraient malheureusement s’intensifier et se multiplier dans le futur.
Jusqu’à maintenant, on considérait en Belgique que les ressources en eau étaient infinies, en particulier en Ardenne. Ce ne sera bientôt plus le cas car notre climat va progressivement s’approcher de celui du Gers (au Sud-Ouest de la France) où on ne compte plus les petites retenues au fond des vallées stockant les pluies hivernales pour irriter l’agriculture en été. Ces petites retenues permettraient aussi d’atténuer les conséquences d’événements de pluie extrêmes déjà intensifiés par l’augmentation de l’imperméabilisation des sols, indépendamment des changements climatiques. Enfin, il faudra s’adapter aux grosses chaleurs en construisant des maisons passives à la chaleur et plus au froid comme jusque maintenant.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Xavier FETTWEIS, organisée en août 2024 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
[d’après JOURSHEUREUX.FR] Les spéculoos, ces délicieux biscuits épicés ont une histoire qui remonte à plusieurs siècles en Europe. Découvrons ensemble l’origine de ces petits trésors croustillants, leurs différences avec les Speculaas néerlandais, leur mode de fabrication et leurs valeurs nutritionnelles.
L’histoire des spéculoos
Les origines des spéculoos remontent à plusieurs siècles en Europe, mais leur popularité s’est particulièrement développée au cours du xxe siècle en Belgique. À l’origine, les spéculoos étaient conçus comme une alternative abordable aux speculaas néerlandais, qui étaient plus riches en épices (les spéculoos étaient moins épicés en raison du coût élevé des épices importées en Belgique). L’un des aspects les plus intriguants de l’histoire des spéculoos est leur forme traditionnelle. Ces biscuits étaient souvent moulés en forme de moulins à vent, de personnages de la nativité ou d’animaux, en particulier pendant la période de Noël. Aujourd’hui, la plupart des spéculoos sont fabriqués sous forme de rectangles simples, mais la tradition des moules en forme perdure.
Speculaas, spéculoos : quelle différence ?
Les speculaas et les spéculoos, deux types de biscuits belges, présentent des similitudes tout en ayant quelques différences. Les speculaas, originaires des Pays-Bas, sont préparés avec un mélange d’épices traditionnel incluant de la cannelle, de la muscade, du clou de girofle et du gingembre, et ont une texture plus croquante. Ils sont souvent façonnés en formes spécifiques, telles que des moulins à vent ou des figures folkloriques néerlandaises.
En revanche, les spéculoos, d’origine belge, utilisent des épices similaires mais ont tendance à être plus moelleux. Ils sont généralement présentés sous forme de biscuits rectangulaires ornés de motifs géométriques. Le nom “speculaas” est prédominant aux Pays-Bas, tandis que “spéculoos” est plus couramment utilisé en Belgique et dans les pays francophones pour désigner ces biscuits aux saveurs épicées et sucrées.
Spéculos, spéculoos, spéculaus ?
L’orthographe traditionnelle du mot est “spéculoos“, correspondant au nom flamand du biscuit et largement adoptée en Belgique. La prestigieuse maison Dandoy, établie en 1829 à Bruxelles, préserve cette orthographe. Le plus grand producteur belge de spéculoos, la biscuiterie Lotus, suit également cette tradition orthographique. Le Petit Larousse mentionne à la fois “spéculoos” et “spéculos” pour refléter les variantes. En France, l’orthographe “spéculos” est une variante apparue suite à la réforme orthographique de 1990, mais elle demeure peu courante et est généralement signalée en fin d’article dans le Petit Larousse. Enfin, l’orthographe “spéculaus” est une version francisée, bien qu’elle n’ait pas réussi à devenir majoritaire dans l’usage francophone. Le dictionnaire Petit Robert propose également les deux orthographes, tandis que la maison Dandoy utilise parfois l’orthographe “spéculaus” sur son enseigne lumineuse à Bruxelles, ajoutant ainsi une touche de diversité à ce délicieux biscuit.
Comment sont fabriqués les spéculoos ?
Les spéculoos sont des biscuits délicieusement épicés fabriqués à partir d’ingrédients simples mais savoureux. Pour les préparer, on commence par mélanger du beurre ramolli avec du sucre brun pour créer une base crémeuse. Ensuite, on incorpore un mélange d’épices spécifiques, généralement composé de cannelle, de gingembre, de clous de girofle, de noix de muscade, de poivre blanc et de cardamome, afin de donner aux biscuits leur saveur caractéristique. On ajoute ensuite de la farine (froment), éventuellement de la fécule de maïs et de la poudre d’amande pour former une pâte. Après avoir reposé au réfrigérateur, la pâte est étalée et découpée en formes de biscuits. Ces biscuits sont ensuite cuits au four jusqu’à ce qu’ils soient légèrement dorés autour des bords, puis laissés à refroidir sur une grille. Le refroidissement permet aux spéculoos de durcir et de prendre leur texture croustillante.
Valeurs nutritionnelles des spéculoos
Les spéculoos sont des biscuits délicieusement croquants et épicés qui, bien que délicieux, sont également relativement riches en calories et en sucres : calories par portion (2 biscuits) : 80 à 100 calories ; glucides : 10 à 15 grammes ; matières grasses : 3 à 5 grammes ; protéines : 1 à 2 grammes ; fibres alimentaires : moins d’un gramme. Ces valeurs peuvent légèrement varier en fonction de la marque et de la recette spécifique des biscuits. Il est recommandé de les consommer avec modération dans le cadre d’une alimentation équilibrée.
Allergènes contenus dans les spéculoos
Les spéculoos peuvent contenir plusieurs allergènes courants, dont le gluten issu de la farine de blé, le lait sous forme de beurre, les œufs, les fruits à coque comme les noix ou les amandes, et parfois des traces de soja.
d’après joursheureux.fr
Spéculoos (la meilleure recette)
N.B. La pâte doit se faire le jour avant et se cuit… le lendemain de la veille.
Ingrédients (pour 40 spéculoos)
500g de farine
500g de farine fermentante
1 paquet de levure chimique
700g de cassonade brune
2 cuillères à café d’épices à spéculoos (ou 4 épices)
1 pincée de sel
3 œufs
400g de margarine
1/2 tasse d’eau tiède
2 cuillères à café d’arôme d’amande amère
Préparation
Préparation de la pâte (la veille)
Mélangez au robot tout ce qui est sec : les 2 farines, la levure, la cassonade, les épices et le sel.
Faites fondre le beurre (il ne doit pas être chaud).
Ajoutez le beurre, les œufs, l’eau et l’arôme d’amande amère.
Laissez reposer au moins une nuit en couvrant la pâte d’un film plastique. Elle va développer ses arômes.
Cuisson
Le lendemain, faites chauffer le four à 190 degrés.
Sur la plaque recouverte d’un papier cuisson, disposez les pâtons (55-60 g). Prélevez une cuillère à soupe de pâte, roulez-la dans vos mains pour former une boulette ronde ou allongée et applatissez la légèrement.
Cuisez au four 15 minutes exactement.
Décollez-les avec précaution et laissez-les refroidir sur une grille.
Notez que les spéculoos se conservent très bien dans une boîte hermétique.
[THECONVERSATION.COM, 16 octobre 2024] Du point de vue de la communication comme en d’autres domaines, Donald Trump est un phénomène à part. Court-circuitant volontiers les moyens traditionnels de s’adresser à ses concitoyens, n’hésitant pas à employer des procédés rhétoriques que la majeure partie de la classe politique estime indignes de la fonction suprême, déployant dans ses meetings un style très personnel, mélange d’agressivité et d’humour volontairement grossier, l’ancien magnat des affaires et star de la téléréalité a créé un univers discursif bien à lui. Jérôme Viala-Gaudefroy, spécialiste du discours politique américain, a analysé d’innombrables prises de parole de l’ex-président, que ce soit sur les réseaux sociaux, lors de rassemblements de ses sympathisants ou pendant des cérémonies officielles, pour mettre à jour, dans Les mots de Trump, qui vient de paraître aux éditions Dalloz, les ressorts d’une rhétorique qui, depuis des années, et plus encore dans la ligne droite de la campagne présidentielle actuelle, enflamme le pays et même le monde. Extraits choisis.
J’ai fréquenté une école de l’Ivy League. Je suis très instruit. Je connais les mots. J’ai les meilleurs mots… mais il n’y a pas de meilleur mot que stupide, n’est-ce pas ? Il n’y en a pas. Il n’y en a pas. Il n’y a pas de mot comme ça.
Donald Trump, 30 déc. 2015
Si Donald Trump se vante de sa très bonne maîtrise de la langue, d’avoir fait des études dans une université prestigieuse et d’être intelligent, c’est qu’il a conscience d’être souvent tourné en ridicule pour son langage hors norme. Son vocabulaire simpliste et binaire, ses phrases décousues, ses mensonges, ses bourdes et ses insultes répétées ont été largement commentés, notamment par la presse qu’il accuse de rapporter de fausses nouvelles (“fake news“).
Alors même qu’il se défend d’être incompris, ses propos illustrent parfaitement la rupture avec les normes établies du discours politique et présidentiel. Il ramène tout à sa personne, parle de lui à la troisième personne, et choisit précisément un mot très simple comme “stupide” – à la fois péjoratif et insultant – comme étant le meilleur mot pour parler de la classe politique et de ses prédécesseurs.
Rhétorique de rupture
En réalité, et malgré ce qui est souvent dit, Donald Trump est tout à fait conscient du pouvoir des mots. S’il y a une chose qu’il a très bien comprise, c’est qu’il doit en bonne partie son succès à son langage hors norme. Par ce que l’on peut appeler une véritable rupture rhétorique, Trump se positionne ainsi comme un outsider hors du champ politique. Pour ses partisans, son pouvoir est tel qu’il ne serait soumis ni aux règles de la politique, ni aux lois de la grammaire ordinaire. […]
Sur ce point, Donald Trump réussit, plus encore que ses prédécesseurs, à être au cœur des médias. Sa présidence se caractérise également par des discours très semblables à ceux de sa campagne et par un très faible nombre de discours officiels ou de conférences de presse. Même lors d’événements formels, il s’est très souvent démarqué des normes de la rhétorique présidentielle. Ainsi, dès son discours d’investiture, le 20 janvier 2017, il donne le ton en faisant un appel à l’unité du peuple, non pas autour de valeurs communes partagées, mais contre l’establishment et la classe politique américaine qu’il présente comme un ennemi.
Improvisation et authenticité
L’une des caractéristiques des discours de Donald Trump réside dans l’improvisation : une grande partie est le fruit de ce qui lui passe par la tête à l’instant où il parle, ou de ses obsessions du moment. Ce “flux de la pensée” (“stream of consciousness“) est plus ou moins structuré (ou plutôt déstructuré) par des marqueurs de discours comme “eh bien“, ou “au fait” qui ont pour objectif de rediriger le discours. Cela permet de nombreuses digressions, des répétitions, une syntaxe désordonnée et des phrases interrompues souvent inachevées. […]
C’est aussi un style conversationnel, décontracté, plus naturel et très efficace. Lorsque Trump s’écarte du sujet, il signale ainsi à son auditoire qu’il n’est pas scénarisé et donc qu’il est authentique. Comme l’ont remarqué certains linguistes, ses phrases inachevées permettent au public de les finir à sa place, ce qui accroît l’impression d’intimité que ressentent ses partisans.
Violence verbale et insultes
Trump parle, par exemple, de “défoncer la gueule” du groupe terroriste ISIS (Milford, NH, 2 févr. 2016), accuse Joe Biden d’avoir “léché le cul de Barack Obama” (Minneapolis, Minnesota, oct. 2019), et traite Michael Bloomberg de “pauvre con” (Newsmax, 14 oct. 2020).
Un autre exemple très parlant – et largement repris par les médias – concerne les footballeurs qui se sont agenouillés pendant l’hymne national pour protester contre les violences policières à l’encontre des Noirs : Trump les a qualifiés de “fils de pute qu’il faut virer du terrain“, sous les acclamations de la foule présente à son meeting (Huntsville, Alabama, 22 sept. 2017).
La masculinité et la rhétorique du pouvoir
Son accent et sa grossièreté sont traditionnellement des attributs de masculinité, ce qui, pour ses partisans, contraste avec les élites dites “féminisées de gauche” et les “flocons de neige” (“snowflakes“), une expression péjorative qui désigne la prétendue fragilité émotionnelle et l’incapacité de certaines personnes de gauche à supporter des opinions contraires.
Le langage social choquant constitue en soi un acte de pouvoir masculinisé qui dénote un côté à la fois authentique et rustre. De plus, Donald Trump utilise un vocabulaire et une prosodie qui incarnent à la fois une véritable violence et les politiques dures qu’il promet de mettre en place contre ceux qu’il considère comme des menaces sociales – les immigrés, les musulmans, les personnes de couleur, les individus LGBTQ+ notamment.
Stratégie médiatique et saturation
Lors de ses campagnes, il a mis en place une véritable stratégie de communication développée par son conseiller d’extrême droite (“alt. right“) Steve Bannon. Elle consiste à saturer le paysage médiatique par toujours plus de déclarations scandaleuses et mensongères.
Le but n’est pas de convaincre par des arguments politiques mais de créer suffisamment de chaos, de confusion et de buzz pour attirer l’attention. Il s’agit également de ne pas laisser le temps aux médias de suivre le rythme, et de rendre la vérification des faits impossible. Les mensonges du jour sont immédiatement éclipsés par ceux de lendemain.
Le récit de Trump
Comme tout bon récit, l’histoire que raconte Trump est faite de personnages clairement identifiables : des méchants (une élite corrompue, une immigration menaçante), des gentils qui sont victimes (le peuple), et un héros sauveur (Donald Trump lui-même).
Au cœur de ce drame, il faut bien entendu un enjeu existentiel : une nation ravagée par le crime et la misère, menacée dans ses fondamentaux par un ennemi à la fois intérieur et extérieur incarné par une gauche dite “radicale“, “communiste“, “marxiste” et “fasciste“, des Républicains de l’establishment “traîtres“, l’État dit “profond“, des médias qualifiés d’”ennemis du peuple“, et des immigrés présentés exclusivement comme des criminels.
[LIBREL.BE] “Florilège de citations d’un président – et candidat à la même fonction – qui a construit sa victoire sur ses talents d’orateurs. Dans un paysage politique mondial en constante évolution, aucun leader n’a autant marqué les esprits que Donald Trump. Son ascension à la présidence des États-Unis, ses discours enflammés, et ses tweets controversés ont redéfini la communication politique moderne. Mais au-delà des polémiques, que nous disent ses mots sur notre époque et sur les États-Unis ? Cet ouvrage plonge au coeur de cette rhétorique unique et déroutante. À travers une analyse détaillée de ses discours, de ses tweets, et de ses apparitions publiques, ce livre explore comment Trump a utilisé le langage pour transgresser les normes établies, attiser les divisions, et mobiliser ses partisans. De la célèbre promesse de “Make America Great Again” à la diatribe contre le “carnage américain“, chaque chapitre décrypte les stratégies linguistiques qui ont alimenté son succès et son influence. Découvrez comment Trump a redéfini les notions de peuple et de nation, en jouant sur les peurs et les espoirs des Américains, et en brouillant les frontières entre la réalité et la fiction. Ce livre vous invite à une réflexion profonde sur l’impact des mots dans la construction de l’identité nationale et la dynamique politique. Les mots de Trump, une lecture essentielle pour comprendre l’influence de cet ancien magnat de l’immobilier, devenu star de télévision, puis président de la plus grande puissance mondiale.”
[LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS] Tout entière absorbée dans le travail de l’énonciation, dont elle n’est à première vue qu’une forme particulière, la création littéraire ne prend toutefois relief et sens que rapportée à cette ombre originaire qui est en même temps son envers et sa tentation permanente: le silence. S’en est-on suffisamment avisé ? La moindre parole, l’écrit le plus fugitif tirent leur intérêt premier de ceci, qu’ils auraient pu ne pas advenir.
Nonobstant leur teneur particulière, le seul fait de leur existence présuppose une levée, un arrachement toujours problématique à l’indifférencié du ne-rien-dire. Avant de s’imposer comme présence, il y a donc ce moment – ce mouvement – où le verbe se détache du fond muet souvent donné pour son contraire, mais avec quoi il entretient des rapports bien plus noueux que de simple antagonisme. Ne serait-ce que par le danger où il se trouve d’y retomber à tout instant – parce que, au vrai, il finit toujours nécessairement par y retomber. Ainsi la prise de parole, l’entrée en écriture ne s’accomplissent-elles jamais que dans une sorte d’inconfort ou de vacillement qui font d’elles, pour le sujet, une condition radicalement provisoire.
Objet d’une nostalgie essentielle mais rarement explicite, le silence offre donc à la littérature un rhème névralgique. Or, celui-ci semble jouir d’une faveur particulière dans les oeuvres qui ont vu le jour en Belgique francophone depuis le 19ème siècle. Davantage qu’en France notamment, les écrivains y portent témoignage de ce que la parole peut avoir de risqué, d’inopportun ou encore de malaisé, comme si, envers et contre tout, elle restait par essence inadéquate à sa motivation ou à son objet. Il y a lieu, en conséquence, de parcourir les textes à cet égard les plus significatifs, d’en reconnaitre les réseaux thématiques et leurs variances principales, de voir enfin quelle interprétation peut être donnée à une celle insistance.
Apparemment, c’est le courant symboliste qui, le premier, accorde au thème du silence une place réellement focale. Mais cet engouement, indéniable, a des racines plus anciennes : les prodromes s’en font jour dès le début du 19ème siècle, dans l’image aujourd’hui bien connue du héros romantique celle que l’imposent alors en Belgique les oeuvres de Byron, Chateaubriand ou Lamartine. Lié aux motifs de la solitude, de la rêverie et de la mélancolie, celui de la taciturnité contribue à l’édification d’une psychologie nouvelle, largement égotiste, dominée par un thème récent à cette époque, mais bientôt prépondérant dans la culture occidentale, celui de la profondeur. À l’aune de ce thème, la qualité morale de chacun est réputée proportionnelle à la richesse de son expérience intérieure, et spécialement de son expérience affective. Ce qui est tu importe ici bien davantage que ce qui est dit, la parole s’avérant en contrepoint activité superficielle, incapable d’égaler ou d’exprimer la densité de la vérité subjective.
EAN 9782246204220
On le sait, le romantisme comme tel ne suscite, en Belgique francophone, aucun texte de grande envergure. De la conception hâtivement résumée ci-haut, l’oeuvre vraisemblablement la plus représentative reste Jours de solitude (1869) d’Octave Pirmez… Il faut donc attendre la dernière décennie du siècle pour voir revenir, mais avec une ampleur accrue et un sens nouveau, ce dont Georges Rodenbach intitule en 1891 son premier recueil important : Le règne du silence. Règne qui marque d’ailleurs la production entière de l’écrivain, poésie, roman, théâtre, comme il imprègne celle de Maurice Maeterlinck, surtout à partir de L’intruse (1896), Ce dernier, précisément, va en donner la théorie circonstanciée dans son essai Le trésor des humbles (1896), dont le premier chapitre a pour titre Le silence. Affirmations sentencieuses et métaphores se succèdent ici pour élaborer non plus une psychologie, mais une éthique, et même une métaphysique de la vie intérieure, ordonnée tout entière autour d’un concept-pivot : l’âme. Dans la destinée des individus, dans la communication qui les rapproche épisodiquement, l’essentiel est de nature infraverbale – ou supraverbale, comme on voudra : la parole se spécifie par sa radicale insuffisance, et même par sa nocivité envers ce qui, dans l’humain, constitue la part la plus grave et la plus noble.
Cependant, ce qui nous requiert dans le texte de Maeterlinck est moins le flux des assertions que celui des images – lesquelles, à l’examen, s’avèrent converger en un réseau serré, offrant tous les traits d’une quasi fantasmatique. Ainsi le silence est-il associé à l’éternité, à l’obscurité, aux “profondeurs de la mer intérieure“, à quoi s’adjoignent les motifs du “berceau“, des “racines” ou de l’amour. Le modèle sous-jacent est évidemment celui de la vie intra-utérine, paradis jadis perdu auquel il s’agit de faire retour, en suspendant la tyrannie du verbe qui subjugue l’existence postnatale. “Car le silence est l’élément plein de surprises, de dangers et de bonheur, dans lequel les âmes se possèdent librement” (l’auteur souligne). Toutefois, le silence est aussi paré d’une “sombre puissance“qui lui donne un caractère “dangereux“, “effrayant” ou même terrifiant. C’est que la réintégration de l’espace matriciel relève de l’utopie, et ne pourrait coïncider en fait qu’avec la mort, d’où cette atmosphère bizarrement menaçante. Mais le penseur, entre-temps, n’est pas totalement débouté : la pratique du silence va lui permettre de satisfaire fictivement son désir secret de procréation, et donc de participer un tant soit peu à la puissance maternelle. “Le silence est l’élément dans lequel se forment les grandes choses, pour qu’enfin elles puissent émerger, parfaites et majestueuses, à la lumière de la vie qu’elles vont dominer.“
Sans doute faudrait-il, pour détailler la pensée maeterlinckienne, prendre en considération des pièces comme L’intruse, ou Pelléas et Mélisande : le lien avec l’eau, le mystère, la mort proche s’en préciserait mieux encore. Qu’il suffise de rappeler cette phrase de Ruysbroeck traduite et citée par Maeterlinck: “[L]es êtres ne sont pas circonscrits par la parole“- elle nous ramène au cœur de la question. À côté de l’ espace langagier, il existe un espace occulte, bien qu’il n’exclue nullement la communication, où se vit ce qu’il y a d’essentiel dans la destinée humaine. Cette zone est celle de l’indicible et des sentiments élevés, N’y ont cours que l’accord avec soi-même, la pureté du cœur, l’accueil ému et magnanime de l’autre, sans oublier l’ouverture sur un autre monde, où se révèle la dimension surnaturelle de l’existence, Loin de constituer le rebut de l’expérience vécue, l’impossible-à-dire en est le trésor intime et irréductible. C’est alors le langage et le discours qui se trouvent relégués dans le statut de l’inessentiel, et même de l’artifice : démonétisation du signifiant au profit d’une communion directe des âmes, rêve d’une idylle fusionnelle, débarrassée de rien moins que du symbolique…
Soucieux d’accorder au silence une position prééminente, les symbolistes belges en donnent une version à la fois mystique et morale. Teinté de rousseauisme, leur idéalisme trouve un contrepoids littéraire, quelques années plus tard, dans des récits à caractère réaliste ou naturaliste – et plus spécialement dans la figure romanesque du paysan, Certes, celle-ci n’est pas absente du Trésor des humbles : à l’homme de la terre, il ne manque “que le don d’exprimer ce qu’il y a dans son âme“.. , Mais elle prend de tout autres couleurs dans un roman comme L’hallali (Camille Lemonnier, 1906), avec le personnage pusillanime et madré de Jean-Norbert. Dans la droite ligne de Taine, le héros est décrit comme “taiseux, déshabitué de la parole“, “patient et dissimulé“, “priant à bouche scellée“. L’on touche ici à un motif romanesque des plus exploités, celui du silence paysan – silence souvent concerté, calculé, mais qui, chez Lemonnier, prend le caractère d’un handicap physiologique. Ainsi, Jean-Norbert “pourrait périr un jour d’une colère rentrée“; sa femme lui rappelle l’avis du médecin, “que tu avais trop de sang et que tu es trop muet“. Le mutisme ne désigne pas ici la libre ascèse du penseur et moins encore l’expectative d’un monde supérieur, il est le signe d’une déficience organique, il est paralysie et menace de mort.
Fille ainée de Jean-Norbert, Sibylle “était retombée à un mutisme sauvage dans cette maison du silence“: ultime refuge d’un orgueil blessé, inflexible, qui accouchera finalement du meurtre vengeur. Avec son père, elle entre dans la longue série des terriens introvertis dont sont peuplés les nombreux romans régionalistes parus en Belgique au début du 20ème siècle, et qui déclinent successivement toutes les variantes possibles du même thème. Dans La bruyère ardente (Georges Virrès, 1900) : “[A]insi vivaient intérieurement ces contemplatifs de la terre flamande : ils portaient l’image, impuissants à la formuler“- mais sachant, précisons-le, user du silence collectif comme d’une redoutable arme de rétorsion. Dans Le pain noir (Hubert Krains, 1904), c’est une longue et incoercible descente dans la désespérance qui mène le vieux couple à la folie et au suicide. Le maugré (Maurice des Ombiaux, 1911) évoque une ancienne pratique paysanne, celle de la vengeance anonyme contre le fermier usurpateur ; se taire procède ici d’une loi secrète et ancestrale, qui impose à tous les membres de la communauté paysanne une dissimulation complice.
Des éléments identiques ou comparables se retrouvent dans Le roman du tonnelier (Hubert Stiernet, 1922), dans Campine (Neel Doff, 1926), dans Le village gris (Jean Tousseul, 1927), et d’autres encore. Rétrospectivement, il est vrai que ces éléments apparaissent comme fortement stéréotypés. Mais il serait faux de croire que le stéréotype n’a rien à nous apprendre, qu’il n’est qu’un morceau de langage usé ou évidé. Il y a une histoire des clichés littéraires, et des fonctions (notamment identificatoires) qu’ils sont amenés à remplir. Ainsi faut-il distinguer en l’occurrence plusieurs types de mutismes qui, pour s’apparenter dans leur manifestation concrète, n’en relèvent pas moins de logiques toutes différentes. Il y a d’abord cette semi-aphasie congénitale, à mi-chemin entre le physique et le psychique, où la raréfaction du parlé contrecarre la densité du ressenti. À cette infirmité subie s’opposent les silences tactiques : le laconisme roublard, calculateur, ou encore le reproche muet, manœuvres codifiées de l’activité transactionnelle à quoi tient le plus clair de la vie sociale. Il faut y ajouter une stratégie plus générale, celle de la patience, en vertu de laquelle il convient que les choses aillent sans dire. C’est l’écoulement du temps lui-même (avec le retour cyclique des saisons, des travaux, des générations) qui est ici supposé compenser le défaut de parole, en la rendant inutile à force de la différer : abstinence continument dilatoire qui s’apparente manifestement au processus du refoulement.
EAN 9782366240269
Proche de la précédente, mais avec une dimension éthique plutôt qu’économique, est la soumission acceptée qui caractérise le fatalisme, suscitant la “réserve” féminine, l’effacement, la non-révolte. Vient ensuite une quatrième catégorie, moins sujette que les précédentes à la sclérose du stéréotype, celle du mutisme comme porteur de mort (mort de soi ou mort de l’autre) ; souvent, dans les romans précédemment cités, le confinement dans le non-verbal va de pair avec un exil social plus ou moins volontaire, et surtout avec une dérive intérieure dont l’aboutissement ultime, généralement présenté comme inéluctable, est le crime ou le suicide. À l’opposé de celle-ci, ce sont enfin les variantes “heureuses” du silence : particulièrement la grande paix de la nature, souvent présentée comme source de réconfort, et même de régénérescence, loin de la cacophonie blessante qui est le lot du groupe humain. Purification, analgésie, retrouvailles avec soi-même, tels sont les effets bénéfiques d’une diète dont l’idéal monastique offre une autre version ; ainsi dans En sabots (André Baillon, 1922), récit autobiographique que domine pour une grande part la quête fébrile de la tranquillité. Une harmonie comparable, mais détachée quant à elle des circonstances immédiates, est nouée au motif de la pensivité : loin de n’avoir à dire rien d’important, le personnage pensif est réputé riche d’une plénitude intérieure (souvenirs, sentiments, sagesse…), exprimable ou non, qui lui confère sur les bavards impénitents une sorte d’ascendant moral. On retrouve ici la connotation bien-pensante déjà repérable chez Maeterlinck.
Fondamentalement rétrograde, sinon réactionnaire, le roman régionaliste poursuit donc son essor tout au long de l’entre-deux-guerres. C’est à cette même époque que s’impose progressivement une œuvre originale, nettement plus moderne, et d’ailleurs complètement étrangère à l’univers rural : celle de Georges Simenon. Or, dans une large mesure, cette œuvre est obsédée elle aussi par la pénurie ou le mésusage de la parole. Très souvent, dans les aventures relatées par Simenon, ce qu’il aurait fallu dire n’a pas été dit, ou l’a été maladroitement, ou encore à contretemps, et le malheur qui frappe les personnages trouve son origine dans cette inadéquation communicative. Pour illustrer ce schème narratif, nous considérerons successivement trois romans, choisis à titre d’échantillons. Intitulé L’homme de Londres, le premier raconte la déchéance de Maloin, un modeste aiguilleur qui s’est emparé subrepticement d’une valise pleine d’argent et y voit la fin de toutes ses frustrations antérieures. Mais ses premières largesses n’apportent pas la satisfaction escomptée : comme il n’a rien dit de l’aubaine à sa famille, celle-ci réprouve une si fantasque prodigalité.
En fait, grognon et peu loquace, Maloin souffre moins d’être pauvre que de n’être pas compris – de ne pas arriver à se faire comprendre. Or, voici que rôde aux alentours le propriétaire de la valise à la recherche de son bien ; c’est un petit cambrioleur anglais, surnommé le Malchanceux, en qui Maloin devine un alter ego et pour qui il éprouve une bienveillance grandissante. Mais le pacte salvateur n’aura pas lieu. Dans la pénombre d’une cabane de pêcheur, le Malchanceux, qui ne comprend pas le français, se méprend sur les paroles conciliantes de Maloin ; agressé, celui-ci frappe et tue. Le drame n’eût pas eu lieu si le dialogue avait pu s’établir, si les deux protagonistes avaient au moins parlé la même langue. C’est donc bien l’échec de la parole qui provoque la mort de l’un et fait de l’autre un criminel emmuré plus que jamais dans son mutisme, dans son incapacité d’expliquer ce qui s’est vraiment passé.
EAN 9782253142959
Dans Les fiançailles de M. Hire, le héros est lui aussi un handicapé de la parole. Solitaire et timoré, il n’entretient avec ses semblables que des rapports soigneusement raréfiés et codifiés – il a ses habitudes à la poste, au bowling, au bordel. Se trouve-t-il dans une situation imprévue, interpellé par un(e) inconnu(e), il semble oublier l’usage du discours, se perd en bredouillements, monosyllabes, mots inarticulés. Or, par le jeu des circonstances, M. Hire est soupçonné d’avoir assassiné une prostituée, et l’étau policier se resserre autour de lui, qui, pour comble, connait le véritable tueur ! Mais, comme Maloin, M. Hire est incapable de s’expliquer ; ses propres dénégations le rendent suspect et le contrat qu’il croit conclure avec Alice, l’amie du criminel, est en fait truqué. Pourchassé, il cherchera la fuite et trouvera la mort. Ce terme tragique tient donc, en dernière analyse, à une double condition : d’une part, le héros n’arrive pas à trouver les formules qui l’innocenteraient et tend plutôt à s’”enfoncer” lui-même involontairement ; d’autre part, il n’a personne près de lui pour témoigner en sa faveur, c’est-à-dire pour compenser verbalement l’impuissance qui le jugule.
Un troisième roman de Simenon, Les gens d’en face, raconte le séjour à Batoum d’un consul turc. Complètement isolé dans cette ville d’URSS dont il ne parle pas la langue (obstacle fréquent chez Simenon…), Adil Bey va s’éprendre de Sonia, sa secrétaire russe. Mais, devenu malade, il découvre qu’on cherche à l’empoisonner et décide de s’enfuir avec Sonia. Le projet ayant été découvert par le Guépéou, Sonia est fusillée, tandis qu’Adil Bey doit regagner seul la Turquie. Une fois de plus, nous avons affaire à un roman de la parole défaillante et il y a lieu de penser qu’il en est de même dans presque toute l’œuvre de Simenon. Plus précisément, la parole y est le lieu de la défaillance de la communication : loin d’être l’instrument privilégié de celle-ci, comme on s’y attendrait, la circulation du discours contribue diversement à l’isolement du héros et à sa perte finale. D’une part, les propos tenus par le héros lui-même s’avèrent très souvent inappropriés à la circonstance, en tel ou tel de leurs aspects : par leur ton, trop fort (l’irritation) ou trop faible (le murmure), par leur contenu (la maladresse, le manque d’à-propos), par leur effet (l’absence de réponse, le faux-fuyant, etc.). D’autre part, les propos qui lui sont adressés, surtout dans les moments graves, sont rarement ceux qu’il attendait, ou du moins qu’il espérait. Enfin, il arrive fréquemment que des tiers échangent des paroles à son sujet : le héros en pressent toute l’importance, mais ne peut en tirer profit – soit qu’il les perçoive mal, soit qu’il ne les comprenne pas, soit qu’elles aient été prononcées en dehors de sa présence. Dans tous les cas, la frustration est au rendez-vous.
Par rapport aux œuvres précédemment évoquées, celle de Simenon introduit manifestement quelque chose d’inédit. Cerces, la difficulté de s’exprimer, de mener un dialogue profitable y fonctionne toujours comme un élément (important) du vraisemblable caractérologique et comportemental ; à ce titre, elle s’intègre dans ce qu’il est convenu d’appeler la “psychologie” du roman. Mais, on a pu s’en rendre compte, sa véritable nature est structurelle. Le dysfonctionnement généralisé de la communication verbale n’accompagne pas simplement le récit : il en est l’un des moteurs principaux – avec, néanmoins, un autre motif crucial, à savoir le regard. Celui-ci constitue, à côté du discours, un second champ de communication entre les personnages, communication silencieuse, recherchée souvent avec fébrilité, mais par nature incomplète. Or, le regard chez Simenon est généralement en position de suppléance par rapport à la parole, qu’il soit univoque (le guet, le voyeurisme, l’indiscrétion) ou réciproque (l’examen mutuel). La suppléance, bien sûr, est imparfaite ; elle ne peut induire qu’un échange inarticulé, ambigu, dont les termes et l’enjeu restent en grande partie énigmatiques aux protagonistes eux-mêmes. C’est précisément ce qui, au gré de péripéties rigoureusement enchainées, amène un épilogue le plus souvent malheureux (la mort, l’emprisonnement, la solitude…).
EAN 9782020025812
Sans doute faudrait-il, pour la même période, examiner bien d’autres œuvres, les contes de Franz Hellens, par exemple, ou ceux de Jean Ray, hantés par le thème du secret, de la parole interdite ou dangereuse… Un autre écrivain nous parait avoir renouvelé plus profondément, après 1945, la problématique ici en cause. Il s’agit d’Hubert Juin. Dans des livres comme Les bavards (1956), les cinq romans groupés sous le titre Les hameaux (1958-1968), Célébration du grand-père (1965), Paysage avec rivière (1974), Le double et la doublure (1981), l’auteur ne cesse de s’interroger sur ce qui fait la valeur du discours, la valeur du silence. Sur la distribution réciproque de ces deux espaces et leurs justifications respectives. Dans un cadre plus dialectique, moins réducteur que beaucoup de ses prédécesseurs, Juin nous redit que parler ne va pas de soi ; que cela implique, au moins, une sorte de responsabilité à l’égard de l’autre ; que la pure gratuité du babil doit laisser place à un usage “soucieux” du langage, articulé à l’histoire du groupe humain et à la mémoire collective, fût-ce sous le couvert de l’anecdote et de la fiction.
Issu d’un milieu rural, Juin se dit profondément marqué, et même meurtri par l’étouffante taciturnité des adultes à l’ombre desquels s’est déroulée son enfance. Son évocation de l’univers paysan tient pour une large part dans des métaphores comme “le gouffre du silence“, cette “présence monstrueuse“, “signe d’une existence pesante, informe mais éternelle“(Les bavards). Le mutisme des terriens, dit-il, est à la fois un accueil et un piège, à la fois désespoir et concentration. Cette chape massive est faite de “certitude muette” et collective, particulièrement hostile à l’écrit, au savoir livresque, ce dont souffre le futur écrivain : le poids du non-dit ne représente pas seulement une mutilation de son être propre, il est aussi perte de sens et de mémoire pour la communauté familiale et villageoise tout entière. “La désolation habite au cœur d’un silence qui ne se connait point et n’a pas de limites [ … ]. Habiter ce silence, ce n’est déjà plus être.“
L’expérience charnière qui donne à Juin le recul nécessaire est la débâcle de 1940, qui pour lui est d’abord une grande débâcle du langage. Les discours tenus jusque-là par les “autorités” s’écroulent alors lamentablement, comme des châteaux de cartes : déclarations rassurantes, opinions toutes faites, fausses nouvelles, communiqués de victoire (!), proclamations officielles, tout ce clinquant édifice verbal, en s’effondrant, dévoile rétrospectivement sa nature artificielle et mensongère. La révélation de leur vanité constitue pour Juin une leçon décisive. “Il fallait, à l’issue de cette guerre insensée, ré-apprendre à parler juste et poser une question morale“, “ré-habiter le langage“. La question qui se pose alors pour lui, au seuil de l’écriture, est de savoir comment tenir sur la réalité un discours adéquat, qui prenne en charge l’aigu de la vie (avec ses souffrances, ses bonheurs, sa durée), sans la falsifier en formules creuses et pérorantes. Comment échapper à la fois au laconisme indigent du paysan et à la rhétorique vaine du bavard, trouver la voie vers un langage pertinent parce qu’ajusté à son objet. Soulignons ce fait capital que, chez Juin, la préoccupation n’est pas de nature égotiste mais testimoniale : ce qu’il met en évidence n’est pas son cheminement personnel, mais celui de la communauté dont il est issu, et vers laquelle il décide de faire retour par la voie de l’écriture. L’idée qui s’impose à lui avec insistance est celle d’une responsabilité et d’une mission : il veut être, “au pays de la parole“, le “délégué” des paysans de son enfance, leur offrir ce dire qui leur faisait défaut, avec tout ce que cela implique comme travail de remémoration et d’élucidation du passé.
Les œuvres ultérieures de Juin peuvent être comprises comme l’application du programme défini dans Les bavards. Exemplaires, à ce titre, sont La cimenterie (1962), Le repas chez Marguerite (1966), Paysage avec rivière ou encore L’arbre au féminin (1980). Tous ces textes paraissent tendus d’un même effort, d’une même volonté : en arriver à tenir sur le terroir natal un discours “vrai “, débarrassé de la mauvaise conscience qui caractérise les romans paysans. Précisément, le monde rural décrit par Juin n’a plus grand-chose à voir avec le pittoresque, même pessimiste, du “réalisme régionaliste”. C’est un univers fondamentalement (et non accidentellement) agonistique, sans cesse tiraillé par des forces adverses, sourd remuement pulsionnel tourné ici vers la vie, là vers la mort, à la fois puissance de survie et puissance d’autodestruction. La place dévolue à la parole, dans cet univers, est symptomatique. Ceux des hameaux ne parlent guère que par bribes, ou alors par aphorismes, répugnant à s’engager personnellement dans leurs propres dires. Souvent, dans les romans de Juin, les conversations rapportées s’entremêlent, et le lecteur ne sait plus qui parle : les reparties accumulées composent une sorte de grande rumeur anonyme, où se font et se défont les réputations, où se colportent médisances et calomnies, mais où les événements vraiment graves ne donnent lieu, paradoxalement, qu’à des allusions voilées. Pour le reste, la forme prépondérance est la parole violence ou agressive : altercation, menace, raillerie, conspiration, reproche… Ce qui manque, dans cette société du bout du monde, c’est en bref un usage paisible de la parole : un discours qui viendrait révéler ce qui est caché, expliquer ce qui est énigmatique, déverrouiller les préjugés, nuancer les convictions trop massives, adoucir haines et rancœurs, désenclaver les solitudes, faire contrepoids aux désespoirs et aux dérives mortifères. Autrement dit, un discours désaliénant – le seul qui, en donnant sens à la vie comme à la mort, dégagerait un cane soie peu ces êtres des forces obscures donc ils sont les pantins.
Ce que l’oeuvre de Juin apporte de radicalement neuf à l’égard du régionalisme traditionnel, c’est une vision beaucoup plus articulée, plus “analytique” des rapports encre le groupe humain, sa violence intrinsèque, le rôle du langage et de la mémoire (ou de l’amnésie) collective – ce qui la soustraie à l’aire mélodramatique du roman paysan. Elle contraste d’autre part avec celle de Simenon en ce que, chez ce dernier, le ratage de la communication reste toujours un phénomène individualisé, même s’il met en jeu plusieurs protagonistes. L’écrivain que nous prendrons maintenant à témoin reprend à son compte le souhait manifesté par Juin d’une parole “vraie”, et aussi son désir de relayer le verbe des morts qui nous ont précédés, mais il situe sur un plan spéculatif, méditatif, cette hésitation devant la parole qui fait l’objet de notre parcours. Dans un livre intitulé Le rêve de ne pas parler (1981), Jacques Sojcher pointe quelques évidences ordinaires à propos de la communication verbale, pour les soumettre à une suspicion généralisée. “J’ai toujours pensé que parler c’était mentir et que mentir était survivre“… “Parler pour ne pas tomber“, écrit-il encore. On voit que, pour Sojcher, la question de la prise de parole est d’emblée reliée à celle de la mort, en quoi elle prend une gravité surprenante.
Qu’est-ce qui (se) passe au juste dans la parole ? Surcout l’illusion, le faux-semblant : “[L]a communication, ce jeu des bonnes volontés qui cache l’impensé dans le dialogue qui les divertit“, qui “fait tourner le mensonge, la parole fabriquée, où le je masqué parle au eu masqué avec l’aisance des rôles bien ajustés“. Car “chaque groupe social a son code“, “chaque monde a sa langue et sa parole mensongère“, de sorte que l’univers humain se réduit à une vaste tour de Babel où le jeu de la parole se trouve capturé ; le rêve de ne pas parler est le rêve de briser cette réduction, d’atteindre une parole qui serait hors de la langue, “rendant chacun à l’outre-voix de ce qui chante dans la langue “… Il faudrait alors ne plus vouloir communiquer, avancer “dans une sorte de solitude où surabondent les mots, […] vers une sorte de demeure où tous les non-dits cohabitent“. Le rêve, plus précisément (c’est ce que réussit entre autres le livre de Sojcher, et c’est en cela qu’il est poésie autant que philosophie), serait de libérer le discours du despotisme communicatif et de sa chimérique efficacité pour opérer avec les mots une voltige infinie, “où le vertige de l’impensé creuse et entraine vers une absence de fond que l’étonnement laisse ouvert et questionnant“.
Il est aussi question de la mort, qui est le plus total, le plus définitif des silences, qui est en même temps défi et question aux vivants, c’est-à-dire aux parlants. “De quel droit parler de la mort, des morts ? [ . .. ] De quel droit avancer mon souffle et mon nom, me servir d’eux qui ne peuvent me dire : menteur, imposteur ?“(l’auteur souligne). L’énonciation touche ici peut-être un bord extrême de son possible, promontoire où elle ne peut que vaciller dans l’insignifiant ou dans l’obscène. Et pourtant la mort de l’autre, du proche – spécialement, pour Sojcher, la mort du père – reste le thème incontournable par excellence, car du sens que les vivants donnent à cette mort dépend le sens de la vie elle-même, et donc de leur propre existence. “Y a-t-il un contenu du mot mort ? La mort a-t-elle un complément du nom, d’objet direct ? La more est-elle désignable, touchable par la logique, la langue, la grammaire ?“
Faut-il parler, se taire ? Les deux, ici, apparaissent également inacceptables. La “vérité” qui passe dans le texte de Sojcher repose entre autres sur ce qu’il nous place, sans échappatoire possible, devant cette aporie béante – humiliante…
Forcément lacunaire et imparfait, notre parcours à travers la littérature française de Belgique ne prétend qu’à mettre en lumière une problématique dont, assurément, on trouverait les traces dans bien d’autres œuvres. Cette insistante question n’est pas celle du silence considéré isolément, mais de la dialectique silence-parole et de son rapport à la vie elle-même. Au-delà des variantes et des clichés, elle témoigne d’une sorte de malaise ou de méfiance à l’égard du langage, comme coupable de ne pouvoir tout dire, Ainsi le verbe se révèle-t-il, dans les œuvres hâtivement inspectées ci haut, le lieu d’une déception essentielle du sujet – déception à la mesure d’un espoir que la logique nous impose de postuler. Encore faudrait-il identifier l’objet d’un tel espoir. Autrement dit, qu’attend-on au juste de la parole, pour se résigner si souvent à la non-parole ? Est-ce la vérité sur soi-même, sur les autres, sur la destinée ? Est-ce la communication, c’est-à-dire le rapprochement des êtres ? N’est-ce pas plutôt la simple affirmation de soi, de son existence, de son désir ? Tout cela, sans doute, mais plus que cela : plus, précisément, qu’en peut donner le discours. Ce serait alors dans cet excès de la demande adressée au langage qu’il faudrait voir l’origine du mutisme comme leitmotiv littéraire.
Plusieurs des œuvres envisagées en témoignent, tout n’est pas dicible. Limitée dans ses pouvoirs et dans son être même, la langue ne suffit pas à la tâche de couvrir le champ de la réalité, du vécu, et a fortiori du possible : [L]es mots à quelque chose manquent toujours, ou : il y a de l’impossible à dire. “. En vertu de quoi parler est toujours risquer de (se) faire illusion, d’occulter la part précieuse qui devrait mais ne peut se dire. Se taire, à l’opposé, est en manifester la présence. Tel est le paradoxe du silence pensif, méditatif, en fait une parole muette : le signe qu’il y a de l’indicible, et que cet indicible est l’essentiel. Que par ailleurs ce signe puisse être vide, mensonger, ne fait que le confirmer dans sa véritable nature de message.
Le plus souvent, certes, c’est la parole qui est donnée pour mensongère. On reconnait ici le thème de la trahison du langage : du fait de leur essence même, les mots font courir au locuteur un risque permanent de falsification. Par un contrecoup spécieux, l’inexprimé devient dès lors synonyme de vérité pure, le silence restant l’unique moyen de conserver cette vérité, de demeurer (solitaire) avec elle dans le contact le plus intime. Plus généralement, parler, c’est s’exposer, prendre le risque de donner à l’autre des armes contre soi : on peut proférer des choses erronées, ne pas trouver les mots qu’il faudrait, ou au contraire en dire trop, dévoiler ses intentions, ses faiblesses… Le danger est permanent. Il culmine dans ces situations où le trop-parler est cause de mort ; dans sa netteté hyperbolique, ce cas de figure illustre bien la menace inhérente à toute prise de parole, Cerces, le mutisme peut lui aussi s’avérer mortel. Mais le principal demeure : la fragilité radicale du sujet devant l’énonciation – que celle-ci s’accomplisse (car elle ne saurait échapper à quelque forme de ratage) ou qu’elle ne s’accomplisse pas, alors qu’elle l’aurait dû.
Retraite ennoblissante pour la belle âme, poste embusqué du paysan matois, havre de ressourcement pour le héros meurtri, réaction grégaire contre l’individu indésirable, impuissance- à-dire rageuse ou désespérée, les variantes littéraires du mutisme sont nombreuses, et à première vue peu conciliables entre elles – surcout quand on leur associe, comme nous avons cru devoir le faire, les cas de parole laborieuse, réticente ou inhibée, Beaucoup de ces silences, d’ailleurs, sont gorgés de propos remués ou remémorés, ou encore s’avèrent plus “éloquents” que le discours auquel ils se substituent.
Rêve contradictoire d’une parole silencieuse, qui dirait le juste et le vrai sans s’exposer aux inévitables dérapages de la mise en mots. Rêve du laconisme, comme réduction du signifiant à son minimum vital. Mais rêve de parler, ou d’écrire, pour être la voix des sans-voix, de ceux pour qui le silence est une prison. On le voit, la place donnée au comportement verbal, dans l’œuvre de fiction, est nécessairement indicative d’un porte-à-faux et d’un choix primordial : parler n’est jamais simple, jamais “naturel.”
On a beaucoup glosé sur l’inconfortable rapport-à-la-langue qui caractériserait nombre d’écrivains belges, On a voulu en repérer l’origine dans les conditions sociologiques et historiques de ce petit pays sans homogénéité linguistique et culturelle, sans véritable identité nationale, La question ne nous parait pas close pour autant. Notre réflexion nous incite à accorder au rapport-à-la-parole, ce qui est différent, une importance au moins égale ; à ne pas en faire, jusqu’à plus ample informé, un caractère spécifique de cette littérature ; et à voir dans la situation même de l’écrivain, autant que dans celle du pays, la cause de cette interrogation sur la relation du sujet à l’incertitude du discours. Car, en fin de compte, ce que nous voulons désigner dans les termes de “déception”, d’”excès de la demande adressée au langage”, comment ne pas voir que cela reflète au plus juste les frustrations liées à l’écriture littéraire elle-même ? Ces personnages qui se retirent du parlé, qui rêvent du silence, qui suffoquent de ne pas trouver la formule adéquate, ne traduisent-ils pas dans le champ de la fiction l’inquiétude fondamentale de tout écrivant, face à l’imprévisible, à l’inhabitable du langage ?
Daniel LAROCHE
Cet article a été initialement publié dans la revue Ecriture n° 36 (automne 1990) sous le titre La parole inhabitable. Parcours thématique dans la littérature française de Belgique.