MEZEN : Sainte-Walburge, d’une légende à un cimetière (CHiCC, 2008)

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Une légende nous raconte qu’en 712, la fille du Roi d’Ecosse retrouva la vue sur les hauteurs de Liège, à Sainte-Walburge, en découvrant la beauté de la ville, et qu’elle y fit ériger un oratoire.

Mais la première trace historique de ce sanctuaire remonte à 1338, dans un courrier du prince-évêque Adolphe de la Marck. A la même époque, dans ce qui s’appelait “le faubourg Sainte-Walburge”, un Liégeois, un certain Guillaume Gillard del Cange, y fit ériger une construction pour lépreux. Ce type d’établissement, que l’on nommait à l’époque une maladrerie, tenait plus de l’hospice que de l’hôpital et, de par sa nature, exigeait la proximité d’un cimetière. Très vite, ce cimetière devint pour la population “le cimetière des Lépreux”.

Après l’abandon de l’hôpital, pillé par des escrocs, c’est un nommé Pierre Stevart qui racheta le terrain et ce qui restait de l’ancien édifice pour y faire construire une église. Lors des troubles, en effet nombreux à l’époque, les portes de la ville restaient fermées et les habitants n’avaient plus d’accès à une église. Quant au “cimetière des Lépreux”, il fut reconverti en cimetière paroissial, autour de l’église, selon la tradition de l’époque.

Le décret de Napoléon de 1804 modifiera le paysage des cimetières liégeois. Ce décret interdit l’inhumation dans les églises et à l’intérieur des villes. Tous les petits et nombreux cimetières paroissiaux vont disparaître, celui de Robermont est créé. Cependant, le cimetière de Sainte-Walburge subsistera jusqu’en 1866, notamment parce qu’il se trouve en dehors des remparts.

Un seul cimetière sur la rive droite était insuffisant et la décision d’implanter un nouveau cimetière rue Fosse Crahay fut prise par la Ville de Liège en 1868. Le projet de créer un nouveau cimetière sur la rive gauche de la Meuse réunit une belle unanimité. Par contre, le choix du lieu exact d’implantation donna lieu, déjà, à des palabres qui s’éternisèrent cinq mois durant, de mai à octobre 1868. Le conflit portait sur la salubrité des eaux de captage de la Ville, qui aurait pu être mise en cause selon l’endroit où la nouvelle nécropole serait située. En effet, les galeries des fontaines Roland ne sont distantes du site que de 600 mètres.

Finalement, un accord émergea et le Conseil communal vota l’implantation du cimetière de Sainte-Walburge à l’endroit où nous le connaissons actuellement. Il sera inauguré le 20 mars 1874 et une voie d’accès créée pour le relier au faubourg Sainte-Walburge, le boulevard Fosse Crahay.

Bien qu’il ne représente que la moitié des 44 ha de Robermont en superficie, le cimetière de Sainte-Walburge n’a rien à lui envier sur le plan historique, botanique ou environnemental. Même si une telle notion peut surprendre, chaque nécropole possède sa propre philosophie dans l’art funéraire et cette différence apparaît intéressante à analyser dans le cas des deux plus grands cimetières liégeois.

On ne trouve à Sainte-Walburge que peu de sépultures imposantes, beaucoup moins qu’à Robermont, beaucoup moins aussi de personnages qui se rappellent à nous par le nom d’artères importantes de la ville que nous empruntons quotidiennement ; on n’y découvre pas non plus la même recherche architecturale qui fait une partie de l’éclat de Robermont. Par contre, et ceci est symptomatique, d’innombrables médaillons rappellent aux visiteurs la physionomie des défunts, ce qui reste une indication que Sainte-Walburge possède une philosophie plus familiale que Robermont, plus proche de la population qui le fréquente. On y découvre ainsi énormément de personnages néanmoins connus et qui se sont révélés très attachants, parfois surprenants.

Si vous vous promenez dans le cimetière de Sainte-Walburge, vous découvrirez ainsi les sépultures de Emile Sullon, Jean Haust et Théophile Bovy, auteurs wallons, Henri Noinem, Désiré Horrent et Louis Radermecker, résistants, Maurice Destenay, Joseph Bologne et Georges Truffaut, hommes politiques, Jacques Ochs, dessinateur et caricaturiste, Henri Koch, violoniste, Henri Lacroix, guérisseur, Auguste Mindels et Ferdinand Delarge, sportifs, Edgar Scauflaire et Fernand Vetcour, peintres, et Maurice Waha, héros de Sainte-Marguerite, et bien d’autres.

Il est évidemment impossible de citer tous les personnages repris dans le livre, Le cimetière de Sainte-Walburge, 130 ans d’histoire, que j’ai consacré à cette nécropole. Il convient aussi de ne pas négliger l’aspect botanique du cimetière. C’est pourquoi un bel après-midi d’automne vous permettra de passer d’agréables moments dans un environnement bucolique tout en redécouvrant des pans de l’histoire liégeoise.

Chantal MEZEN

[image en tête de l’article : cimetière de Sainte-Walburge © Philippe Vienne]

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Chantal MEZEN, organisée en février 2008 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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Le Baiser de Brancusi est enfin libre

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“Peut-être avez-vous déjà arpenté le cimetière du Montparnasse. Peut-être avez-vous vu le cénotaphe de Baudelaire et sa statue grise. La tombe de Marguerite Duras ornée de pots plantés de stylos. Celle de Gainsbourg, remplie de photos en noir et blanc. Avez-vous déjà marché jusqu’au bout, au bord du mur, dans la 22e division ? C’est là, dans un coin caché loin de l’allée centrale que vous apercevrez une curieuse caisse en bois trouée d’un cercle, haute de plus d’un mètre. Elle surplombe une tombe de 1910 – attention, n’approchez pas : un panneau vous l’interdit, trois caméras et deux alarmes la surveillent nuit et jour.

Tatiana Rachewskaïa (1887-1910) est morte à l’âge de 23 ans, pendue dans sa chambre. Dans un médaillon sur sa stèle, une photographie la montre coiffée d’un chapeau blanc, le regard triste. Issue de la bonne société de Kiev, elle avait débarqué à Paris quelque temps auparavant et s’était inscrite à la faculté de médecine. C’est là qu’elle avait rencontré le médecin d’origine roumaine Solomon Marbais de l’Institut Pasteur, qui non seulement lui donna des cours particuliers, mais devint aussi son amant. À la fin de l’idylle, dans la grande tradition des romans russes, elle se suicida par amour. Les obsèques eurent lieu en décembre. “Sa mère était venue de Moscou. Elle avait convaincu le prêtre de donner, selon la coutume rituelle, un cierge à toutes les personnes présentes et le bedeau chantait : “pardonnez-lui tous ses péchés”…” peut-on lire sous la plume de son ami Ilya Ehrenbourg, un écrivain révolutionnaire. Le docteur Marbais propose à la famille de Tatiana d’orner sa tombe – et justement, il connaît un sculpteur Roumain très prometteur : Constantin Brancusi.

Le jeune Brancusi vient alors de quitter l’atelier de Rodin, convaincu que rien ne pousse à l’ombre des grands arbres”. Pour lui, la sculpture a une fonction spirituelle ; l’apparence importe moins que sa réalité invisible, au cœur de la matière. Sa première version du Baiser, son œuvre majeure, date de 1905. Il y en aura quarante ; chaque nouvelle tentative est plus épurée, tendant plus encore vers l’abstraction que la précédente. Celle qui orne la tombe de Tatiana est la seconde et la seule qui ait été réalisée en ‘taille directe’. La seule qui mesure 90 cm de hauteur et qui montre les amants de la tête aux pieds. Sans ébauche, sans étude préparatoire, Brancusi ne dégage pas les amants de la pierre : ils sont la pierre. Ils en révèlent la pensée, l’esprit, l’essence cosmique de la matière”. Le Baiser est un bloc de calcaire à peine dégrossi dans lequel se dessinent deux bustes de profil collés l’un à l’autre. Seuls les cheveux et le bombé d’un sein distinguent l’homme de la femme. Les corps symétriques s’unissent si parfaitement que vus de face, on pourrait croire à un seul être. Leurs jambes accolées rappellent la tradition roumaine selon laquelle deux arbres plantés côte à côte, près d’une tombe, évoquent la force de l’amour face à l’éternité. “J’ai voulu évoquer non seulement le souvenir de ce couple unique mais celui de tous les couples du monde qui ont connu l’amour avant de quitter la vie” déclare Brancusi en installant son œuvre sur la tombe de Tatiana, en échange d’un billet de 200 Francs.


MONUMENTS ET PATRIMOINE 06.07.2021
Le Baiser de Brancusi : le Conseil d’État déclare que la sculpture ne quittera pas le cimetière de Montparnasse
Le Baiser de Brancusi : le Conseil d’État déclare que la sculpture ne quittera pas le cimetière de Montparnasse
Le Baiser de Brancusi au cimetière du Montparnasse © Wikimedia Commons / Constantin Brancusi
Le Conseil d’État a récemment confirmé la légalité du classement au titre des Monuments historiques du Baiser de Brancusi, qui orne une tombe du cimetière du Montparnasse. Cette décision, très attendue, pourrait signer le retour de la sculpture dans le prestigieux registre et la protéger définitivement des velléités des ayants droit.

Le Baiser de Brancusi : le Conseil d’État déclare que la sculpture ne quittera pas le cimetière de Montparnasse

Le Baiser de Brancusi : le Conseil d’État déclare que la sculpture ne quittera pas le cimetière de Montparnasse
Le Baiser de Brancusi au cimetière du Montparnasse © Wikimedia Commons / Constantin Brancusi

Le Conseil d’État a récemment confirmé la légalité du classement au titre des Monuments historiques du Baiser de Brancusi, qui orne une tombe du cimetière du Montparnasse. Cette décision, très attendue, pourrait signer le retour de la sculpture dans le prestigieux registre et la protéger définitivement des velléités des ayants droit.MONUMENTS ET PATRIMOINE 06.07.2021
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Le Baiser de Brancusi au cimetière du Montparnasse © Wikimedia Commons / Constantin Brancusi
Le Conseil d’État a récemment confirmé la légalité du classement au titre des Monuments historiques du Baiser de Brancusi, qui orne une tombe du cimetière du Montparnasse. Cette décision, très attendue, pourrait signer le retour de la sculpture dans le prestigieux registre et la protéger définitivement des velléités des ayants droit.MONUMENTS ET PATRIMOINE 06.07.2021
Le Baiser de Brancusi : le Conseil d’État déclare que la sculpture ne quittera pas le cimetière de Montparnasse
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Le Baiser de Brancusi au cimetière du Montparnasse © Wikimedia Commons / Constantin Brancusi
Le Conseil d’État a récemment confirmé la légalité du classement au titre des Monuments historiques du Baiser de Brancusi, qui orne une tombe du cimetière du Montparnasse. Cette décision, très attendue, pourrait signer le retour de la sculpture dans le prestigieux registre et la protéger définitivement des velléités des ayants droit.

L’ŒUVRE RATTRAPÉE PAR SA VALEUR

Après les obsèques, après les pleurs, la petite section 22 de la division 22 tomba dans le sommeil pendant près de 100 ans – elle devient le repaire secret des amoureux et des amants de passage : un écrivain raconte même dans son journal ses ébats aux pieds du Baiser. Et comme toutes les belles choses de ce monde, elle est soudain rattrapée par sa propre valeur, et la tombe entre dans la tourmente.

Le 4 mai 2005 à New York, chez Christie’s, un marbre de Brancusi explose le record mondial pour une sculpture en dépassant les 27 millions de dollars. Tout de suite, le marchand d’art parisien Guillaume Duhamel se met en route. Il retrouve au fin fond de la Russie les heureux descendants de Tatiana Rachewskaïa, la suicidée par amour. S’ils ne connaissent ni Brancusi ni leur aïeule, ils découvrent la tombe dès leur arrivée à Paris et font aussitôt valoir leurs droits – la statue leur appartient, et par l’entremise de Duhamel, ils veulent la vendre aux enchères. Le seul Baiser en taille directe. Le seul qui montre les amants de la tête aux pieds : l’œuvre peut atteindre les 50 millions, estimation basse.

INTERDICTION DE REGARDER LA STATUE

S’ensuit un bras de fer entre les ayants droit et l’État français qui durera 15 ans. L’œuvre de Brancusi est déclarée ‘Trésor National’. Elle est inscrite par le préfet de Paris au titre des Monuments Historiques, la rendant inamovible. Ce dernier considère que la tombe et la statue sont indissociables, elles forment un ‘immeuble’, et pour preuve : la stèle sur laquelle repose le Baiser est signée par Brancusi et porte l’épitaphe à la chère aimable chérie”. Le marchand d’art et la famille saisissent le tribunal et interdisent aux passants de regarder leur statue : c’est alors que la caisse en bois fait son apparition. S’ils sont déboutés en 2018, ils font appel : nous avons de nouveaux éléments” déclare Duhamel. Des factures de la maison de marbrerie en face du cimetière prouvent que la signature et l’épitaphe ont été commandées séparément de la statue, et ne sont pas de la main de Brancusi. Bam.

Le 11 décembre dernier, la cour a donc rappelé que pour bénéficier de l’inscription au titre des monuments historiques, “un bien mobilier doit avoir été conçu aux fins d’incorporation matérielle à cet immeuble, au point qu’il ne puisse en être dissocié sans atteinte à l’ensemble immobilier lui-même.” Or, l’œuvre est dissociable. Complètement dissociable. Et désormais libre. Pour la cour, le préfet a commis une erreur juridique, entraînant l’annulation de son arrêté : la statue n’est plus inscrite aux monuments historiques. Combien de temps avant de retirer la caisse en bois ? Combien de temps avant que la sculpture ne s’envole, laissant Tatiana solitaire ? Une chose est sûre : à quelques allées de là dans le cimetière du Montparnasse, Constantin Brancusi se retourne dans sa tombe.” (d’après MARIANNE.NET)

  • Lire aussi “Brancusi : la suicidée, le baiser et les millions” sur LEXPRESS.FR
  • Illustration : Brancusi, Le Baiser © LEXPRESS.FR

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © express.fr


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