CORVAISIER : Sans titre (s.d., Artothèque, Lg)

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CORVAISIER Laurent, Sans titre

(sérigraphie, 70 x 50 cm, s.d.)

Originaire du Havre, Laurent CORVAISIER (né en 1964), qui dessine depuis sa tendre enfance, s’installe à Paris pour se former à l’ENSAD, l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, à Paris.

Intéressé par l’illustration jeunesse, Laurent démarche les éditeurs avec ses carnets de voyage. Son style séduit, un premier livre voit le jour, puis un autre… Depuis Laurent est peintre mais aussi illustrateur, avec près d’une centaine d’ouvrages à son actif.

Voyageur dans l’âme, Laurent a visité de nombreux pays qui ne cessent de nourrir sa peinture. Ce qui l’inspire plus que tout, c’est la vie qui l’entoure : les animaux, la nature, la ville, sa femme, ses enfants, les gens en général…

Laurent Corvaisier est surtout connu pour ses peintures qui, comme ses artistes de référence – Matisse, Basquiat, Léger… – nous emmènent dans des mondes multicolores et foisonnants. Il fait danser les couleurs sur tous les supports : papier, toile, bois, murs.

On retrouve dans cette gravure noir et blanc ce monde foisonnant, rempli d’animaux. (d’après Galerie Robillard, Paris)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Laurent Corvaisier ; babelio.com | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

DEGUISLAGE : Poison (2015, Artothèque, Lg)

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DEGUISLAGE Delphine, Poison

(moulage en plâtre, 20 x 36 x 10 cm, 2015)

Née en 1980 à Namur, Delphine DEGUISLAGE est une plasticienne qui vit et travaille à Bruxelles. En 2005, elle a obtenu un Master en Métiers des Arts et Expositions à l’ENSAV de La Cambre, complété en 2021 par un Master spécialisé en études de genre (formation unique sur les questions liées au genre et à la sexualité).

Depuis 2007, elle expose plusieurs fois par an, principalement en Belgique et en France.

L’artiste exprime son art via tous les moyens mis à sa disposition : peinture, sérigraphie, sculpture, gravure, photographies, collages numériques, créations textiles

“Delphine Desguilage met en scène des morceaux de corps de femme en parallèle avec des objets utilitaires ou domestiques réinterprétés, souvent choisis pour leur fonction et/ou leur symbolique […] C’est le corps qui s’empare de l’art plutôt que l’art qui s’empare du corps. Le formalisme est physique, l’anthropomorphisme féminin, l’objet corporalisé, l’espace habité […]” (Fabienne Audéoud, in Fight, Fore, Free, To, One, 2017)

Les questions de genre, de représentation des corps, de pratiques sociales et des désirs sont abordés dans l’œuvre de cette artiste.

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Delphine Deguislage ; radiopanik.org | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

PORET : Souvenirs Audresselles 2 (2022, Artothèque, Lg)

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PORET David, Souvenirs Audresselles 2

(impression sur porcelaine, 14.5 x  15.5 cm, 2022)

Né en 1987, David PORET vit et travaille à Liège. Après une formation en Illustration à l’ESA Saint-Luc Liège, il a développé une pratique de dessinateur durant plusieurs années. En 2021, il a obtenu un master en gravure aux Beaux-Arts de Liège (atelier de Maria Pace).

En 2021, il remporte le prix du jury dans le cadre du prix de la gravure au Centre de la gravure et de l’image imprimée (La Louvière). En 2022, il expose à L’espace jeune artiste du Musée de la Boverie (Liège)

Il est aujourd’hui professeur à Saint-Luc Liège.

“Le travail de David Poret témoigne d’une envie de conserver et de transmettre un souvenir – en dépit de son caractère irrévocablement éphémère – et de celle d’expérimenter l’érosion du temps et l’effacement qu’il provoque à travers la matière. […] des images imprimées au bleu de cobalt sur porcelaine, retraçant un voyage à la mer qui s’efface petit à petit. Référence aux scènes de genre et paysages illustrant les carreaux de Delft, l’œuvre tend, par son support, vers la persistance d’un instant volatil. […]”

(d’après Céline Eloy – Exposition à Espace jeune artiste, La Boverie, Liège)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : David Poret | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

ZURSTRASSEN par Zurstrassen (né en 1985) : Quand ce n’est pas l’un, c’est l’autre…

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Faire autre chose que des oeuvres d’art : des tempêtes, des grâces et des orages, des cruautés et des silences, des bonheurs et des promesses.

Lucien Raphmaj, Contre-nuit

Hiver 2024, dialogue, 80×80, Acrylique

peindre sur le bout de la langue

Nous transportons avec nous le trouble de notre conception.

Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi

Tombée une première fois dans un hôpital, puis dans une rue, sombre, vint une enfance, la mienne. Enfance se poursuit, sous d’autres auspices, sur une terre qui crie et sous un ciel toujours changeant, et pourtant.

Hiver 2023, Phénomène, 60×40, Technique mixte

Klee soulignait l’impuissance des discours sur l’art, leurs bavardages savants, qui ne peuvent qu’épeler ana-ly-tiqu-e-ment ce qui se donne dans une unité insécable. Une sorte d’infirmité native du langage que les discours colmatent comme ils peuvent. Une mémoire incendiée par un temps sorti de ses gonds.

Il ne reste pas grand-chose. Quelques lambeaux rapiécés, hasardeuses reprises. Des fictions vraies qui s’envolent à la tombée de la nuit, des commotions qui insistent, et révèlent un recueil de notes.

La chair n’oublie rien. Le passé ne passe pas.
Ces chocs semblent plus proches – “comme si c’était hier” – que les événements les plus proches qui soient arrivés ; la ligne est brisée.

Soit : je me vois très précisément pleurer le pesant désespoir ressenti, tout à coup, à ne pas “savoir dessiner”, vers la septième année. Cette incapacité foncière à représenter quoique ce fût. A re-présenter des “choses concrètes”, “la réalité”, “le monde”, “les objets”, “les sujets”, “ce qui m’entourait” – sur une feuille de papier.

Ainsi de mon rapport avec les mots, qui ne semblaient jamais adéquats aux choses. Rien d’exceptionnel : c’était là signe d’idiotie simple, l’initiale fantasmée de la quête d’un idiome autre, d’une langue que je comprendrais et qui me semblerait plus intime avec les choses.

Fâché avec ce monstre froid et mécaniste qui contrevenait à mon expérience, à mes intuitions, à mes prémonitions. En désaccord avec ce monde de l’adéquation. Tout me semblait mensonge…

Du “raisonnable” comme d’une imposture…
De la “coïncidence” comme d’une machine morbide, par laquelle le même ne produit que du même.

***

Je suis seul dans le monde.
Je ne vois pas grand chose.
Je suis parmi. Je suis seul dans ce monde.
Aveuglé par dans un désert d’images molles et désincarnées.

Des images d’images, reproductibles, oubliables et oubliées. Contiguës, invasives, coloniales.
Des images industrielles comme vitrifiées, non habitées, lisses et consommées.

Il me fallait muer, faire muter cette rage de l’expression.
Cette terrible difficulté à articuler, à formaliser, à communiquer.
Je me pris de passion pour les langages cryptés, les paraboles, les codes, l’alchimie, le tarot, les langues sémitiques, l’iconographie, les graffitis, les symboles archétypaux, les glyphes ancestraux…

Le divin était une évidence, en ma relative aparlance (in-fantia).
Et les fées (fata) – les “mots” – extrêmement revêches, et farouches.

C’est l’histoire d’une incompréhension. Chance cruelle “face” à ce qu’on me (re)présentait comme réel. Ce contre quoi je me cognais n’avait pas sa place dans un cadre (quadrato), du moins dans le cadre qu’on semblait m’imposer, ou dans quelque mise en perspective dite objective.

Pour moi la géométrie n’existe pas, je suis un hors-la-loi. On ne voit que ce qu’on a déjà dans l’oeil. La symétrie est la sécurité, et cette dernière est très proche de la mort.

Eduardo Chillida

Il fallut que je fabrique une alternative, ou une fugue : j’ai fui, avec gourmandise, dans un monde plein comme un oeuf, empli de mots compliqués, et d’idées abstraites.

Tout contre la dite “réalité”, et les images qui la représentaient techniquement. Comme si un immense filet de camouflage avait été jeté sur le monde, sur les choses. Et un masque (persona) pontifiant sur le visage de l’Homme. Tenter de l’arracher ne peut se faire sans trouble, ni blessure. C’est à partir de là qu’il s’agissait de respirer.

Une sorte d’iconoclastie sauvage et inconsciente, une haine foncières des images a par la suite trouvé son acmé dans une adolescence “post-situ” fascinée par certains textes. Tout ce qui était directement vécu semblait s’être éloigné dans une représentation.

Tout était devenu Image, idoles, et marchandises. Image comme marchandise, marchandise comme image. Une vie spectrale, comme spectaculaire. Une Séparation à détruire, un dé-corps, un oubli de l’oubli, comme toute la métaphysique occidentale, abusivement assimilée à la Philosophie.

Survient ici, nettement, une question à mes parents, sur une route Andalouse : “Il fait quoi un philosophe ?”. La réponse était claire et distincte. Il pense, il réfléchit, il contemple. La réponse ne m’avait pas satisfait. Du tout. J’ai un tout petit peu compris ensuite d’où cela venait, tout cela, cette opposition sujet-objet, ce fétichisme de la représentation, ce réalisme morbide, cette haine de la matière, qui est aussi une haine de l’esprit, de la matière comme véhicule. Histoire barbare et torturée.

L’énigme de l’immatérialité de la matière, sa respiration et sa contemplation.

Joel Angel Valente

Un travail sur P. Sloterdijk fut réalisé. S’en sont suivis de nombreux articles “philosophiques” et des livres rangés en “poésie”, ainsi que de longs entretiens sonores dans lesquels et par lesquels il s’agissait d’oraliser la pensée, de tisser une matière sonore informée (Entre-là, La vie manifeste, Terrestres, Lundi matin…).

J’ai adoré cela. Puis il y eut un amour fatal, des enfants magnifiques, un exil périlleux dans les montagnes cévenoles, une catastrophe à fleur du mourir … et un retour liégeois, chez une artiste accueillante. Là, je me suis mis à peindre. Pulsion irrépressible, qui ne m’a plus lâché depuis. Elle se rejoue à chaque entrée dans mon minuscule atelier.

Irrépressiblement. Nécessairement.
Caverne, et précipice.

Provenirs et projections. Lieu de la dérobée.
Équilibre précaire entre du revenant et du devenant.
J’y retourne presque tous les jours.
L’exiguïté de la pièce surdétermine bien évidemment les gestes.
Je ne dirais pas les contraint, mais les circonscrit.

Les toiles sont mises par terre. Les matières de la toile sont mises à terre. L’immersion est forte. Plié, je tourne en rond. Là sont des surface, et déjà des volumes. Une trame. J’y rentre peu à peu, avec acharnement parfois, tremblé intense, toujours. Je n’avance pas tout droit, mais je tourne. Je tourne en rond et fais des pieds et des mains. Le sol est vraiment touché, hors-sujet, la terre est appuyée. Éprouver et pratiquer, intimement. Une peau, sensuelle, une peau frémissante, un monde, hypersensible, ma propre peau que je sens et que je vois partiellement, toujours partiellement. Elle est dehors et elle est dedans, elle est passage, elle est seuil. Relève le défi ! Accueille les accidents ! Toute une physique, des textures, une récolte du dehors. La matière décide, élucide, abrupte : pigments déposés à même la toile, médiums et liants, colles et sables mouvants, poudres et granules alimentaires apposés et accompagnés, dé-placés, agencés, laissés.

Se fabrique, peu à peu ou très rapidement, quelque espace intérieur, une consistance, jamais assurée, dans un rapport sans frein avec la catastrophe. Laquelle se joue de plus en plus dans l’épaisseur comme un nerf vital. Dans le plissement et la cassure, dans la coulée, l’étirement, l’amoncellement et le gonflement.

Être : au présent, c’est-à-dire au plus vulnérable. Laisser-être, surtout, ce qui prend. Sans concept ni visée stricte. Jamais préparé, guetter le surgissant. Strates insues, magma bouillonnant, forces impromptues… et le retrait. Ah ! Le retrait. Énergie vitale, et univers autonome. Comme temps suspendu. Spéculer- alors, être aux aguets.Intervenir… un peu.

Espace libre, l’unique, il était une fois ; à l’imparfait. L’espace blanc – noir de clichés encombrants. Et de bruit. Vie des ombres, maillées serré. Une énigme qui nous étrange. Comprendre l’espace, alors, l’entendre ? S’entendre avec lui. L’écoute du monde-de-tous-les-langages. Rivée à l’obscur. Aurais-je opposé les ombres aux images ? Et la voix à la lettre ?

***

Entendre, plutôt que vouloir dire. Tendre l’ouïe.
L’imprononçable. L’invisible. Les invisibles.
Mais l’air est rempli d’hommes. De clôtures, de murs, et de pivots.

Se faire tympan, et donner résonance à ce qui n’a pas de mot. Ma surdité. Je ne suis bien entendu pas à l’origine de moi-même. C’est le misérable miracle de la conception transportée. Absurdes, les corps sont toujours signés. La langue, elle, perle plus qu’elle ne parle. Et me raconter m’est compliqué.

Tout cela est un doigt qui le montre, mais le doigt qui le montre n’est pas le doigt qui le montre
(i.e. N’est pas le doigt, et n’est pas ce qu’a montré le doigt)

Kong-souen Long

Il s’agit davantage d’une manière d’exister – au sens le plus fort – que d’une manière de faire. Une décision vitale – bien malgré moi – plutôt qu’une attitude esthétique.

Ça n’a plus rien à voir avec le mental, mais avec le toucher, l’éprouvé le sentir, le respire, le tout du corpsychique. Et c’est vertigineux.

Ce quelque chose, ce quelque part qui permet d’être, dans toute sa force, et dans tout son besoin. De manifester quelque chose, dans une matière, par une matière, des matériaux. Et c’est déjà trop dire…

D’un presque-rien. Faire arriver -…, le lointain. Je ne sais avant de commencer. Et encore moins lorsqu’il s’agit de lâcher. Je ne “représente pas”, disons que ça questionne comme ça peut. Et la peinture n’est pas une solution…Ni une résolution (la soustraction fait partie de l’attaque). Quant à élaborer un discours-sur… Ce serait bien mal à-propos.
Un discours-dans ? A peu près.

Fort heureusement – et pour notre plus grand malheur – nos peaux sont parcourues de lettres, et trouées de langage. Le “sensible pour le sensible” laisse tranquille les coquilles vides, renforce le monde dit “réel” ou “objectif” d’une physique dite moderne, surannée, d’un partage du sensible à bout du souffle : des objets dans le monde et des idées dans des subjectivités.

Entre les deux ? Des machines à calculer. Et à suicider. Or, c’était bien entre qu’il s’agissait d’explorer, pour agir autrement. Pas forcément faire.

Avant la mort de l’art, il y a mort d’hommes qui auraient pu.

De plus en plus, ce sont les idéogrammes qui m’ont passionné, plutôt que l’éthérique des idées. Le dessin des lettres et ce qu’ils suggèrent, les étymons, l’ouverture des mots, les signes criants, la vie derrière et dans les mots.

Et les manières de taire, comme les façons alambiquées de les faire redescendre en apocryphes. Pour de nouveaux mouvements ascensionnels.

Sens, en ces trois acceptions. Sensation, signification, orientation. Tout cela est-il vraiment mort ? M’approcher de ce que j’ignore…

***

La lettre, vivifiée, charrie une certaine brutalité. Une densité brute du vivre. Du vivre comme expression. Voire une certaine sauvagerie (solus + vagus dit l’errance solitaire et l’imprévisibilité). Le sauvage défie l’idée même de “cause” dans l’extériorité. L’ancien n’est pas le passé : à nouveau, rien ne passe. Cause toujours.

Tempêtes, grâces et orages, cruautés et silences, des bonheurs et des promesses. Ça se peint ? Le bleu intense, le jaune dans le blanc, la confiance, et le vent violent ? La gravité, un suspens, un frémir, une fugue, un possible, le Soudain, un désir ? Le spasme, le sanglot, la rudesse, le vibré, le battement, l’Ouvert ?

Je n’oppose pas violence à enfance. Au contraire, l’enfance est le pays de la violence, abandonné par paresse et par discipline. Les gens ont peur de leur violence et, brusquement, vous faites surgir une violence non canalisée.

Georges Raillard

Je ne suis donc pas soucieux d’illustrer quoi que soit. Je ne sais pas ce que je fais, j’explore. C’est la fin de quelque chose, et le début d’une autre. Un début bien entamé. Un grondement de fond. Comme ce qui commence se quitte sans fin.

Enfance nouvelle, pour laquelle, à l’évidence, je manque de mots. Grandir enfin ? Un texte à paraître aux Éditions du Sapin se dénommera Enfance&toi.

Tout cela a résolument à faire avec la nuit, ou le nocturne. Le refuge, le terrier, l’obscur. Ob-scursus. Ce qui se tient là, toujours déjà : devant. Gratter la terre pour trouver la source, les sources, fouiller. Re-fuir pour trouver un centre. Refuser les complaisances. Rater, réussir, rater, rater mieux. [Beckett] Creuser le ciel – la terre est tissée de ciel – car c’est bien là que nous logeons. Dans cette autre lumière (le noir est non seulement une couleur, mais aussi une lumière).

Des cendres de la lumière, chacun.e part du manque d’amour. Ce que je cherche dans l’enfance, c’est de ne plus la faire rimer avec innocence. Le haut c’est le bas. Sans commencement. Désapprendre. Ensemencer, encommencer.

Quel est le trait qui dit : ”je t’aime” sans qu’on puisse en douter ?

Eluard

Le mot “abstrait” est ici très pratique. Il rassure tous les pouvoirs.

Tàpies

Trifouiller, frapper, gratter, perforer, balafrer, maculer, tracer, inciser, éponger, couler, caresser… est-ce abstrait ?

Tout cela est un voici.
(quelque part, dans l’inachevé)

Je redeviens un idiot, parce que je comprend de moins en moins, disait je ne sais plus qui. Il va falloir poursuivre l’enquête ou l’investigation. Ouverte, insatisfaite. Qu’est-ce que ferait un “tableau qui pense” ? Ou plutôt : comment agirait-il ? Et en deçà de la pensée, laisserait passer la rêvée : rêves de pierres et d’air, de lunes et d’ombres, d’aubes farouches, de terres ensevelies ou d’impressions éphémères…

Essai qui s’éloigne de la peinture-peinture, en expérimentant la peinture. Oui, encore et malgré tout.

Une expression plastique qui atteigne des zones plus émouvantes et profondes.

Miró

Matière-pensée, qui n’associe plus artificiellement ce qui fut d’abord séparé. Des porte-silences ? Et l’humain, non comme démiurge “créateur”, mais comme simple accompagnateur.

La peinture a peut-être bien, encore, quelque chose à montrer, dans son retrait même.

La peinture habitée par sa dévastation historique, comme une trace toujours neuve de ce qui émeut au plus profond nos grottes traversées. Nos superficies comme profondeurs.

Frayer la voie à la merveille.

Une force d’interruption. Pour l’unique question.
Inactuelle.

Une pensée opératoire, bricoleuse et généreuse, qui n’aie plus peur du noir,
ni des ruines.

Ou un naître faillible parmi les décombres…

Or c’est de cela qu’il est question : du poids qui continue à s’exercer à notre insu sur notre pensée, sur notre langage, et même sur notre perception – et qui nous oblige à voir, à penser et à dire le monde d’une certaine façon.

Jean-Marie Pontévia, Tout a peut-être commencé par la Beauté

Automne 2023, Sans titre, 80×60, Technique mixte

Irrépressiblement. Nécessairement.
Caverne, et précipice.

Provenirs et projections. Lieu de la dérobée.
Équilibre précaire entre du revenant et du devenant.

Hiver 2024, Percée, 80×80, Technique mixte

Entendre, plutôt que vouloir dire. Tendre l’ouïe.
L’imprononçable. L’invisible. Les invisibles.
Mais l’air est rempli d’hommes. De clôtures, de murs, et de pivots.
Se faire tympan, et donner résonance à ce qui n’a pas de mot.

Automne 2023, Sans titre, 60×80, Technique mixte

Ce ne sont pas tellement les peintures qui sont illusionnistes, c’est déjà la perception, qui s’abuse comme un trompe-l’oeil et qui attend de la peinture une confirmation tautologique ou spéculaire de ses propres projections.

Michel Thévoz, Dubuffet ou la révolution permanente

Hiver 2024, ils l’ont raconté, 80X80, Technique mixte

Au centre, je discernais quelque chose qui ressemblait à quatre êtres vivants
(Ez 1, 5)

Automne 2023, enfantine I, 40×60, Technique mixte

La vie ne passe pas de la naissance à la mort,
mais de l’enfance à l’enfant.

Nicolas Zurstrassen, Enfance&toi

Hiver 2024, Sans titre, 60×40, Technique mixte

Tout cela a résolument à faire avec la nuit, ou le nocturne. Le refuge, le terrier, l’obscur. Ob-scursus. Ce qui se tient là, toujours déjà : devant. Gratter la terre pour trouver la source, les sources, fouiller. Re-fuir pour trouver un centre. Refuser les complaisances. Rater, réussir, rater, rater mieux. Creuser le ciel – la terre est tissée de ciel – car c’est bien là que nous logeons. Dans cette autre lumière (le noir est non seulement une couleur, mais aussi une lumière.)

Automne 2023, Sans titre, 70×70, Acrylique

Le mot “abstrait” est ici très pratique. Il rassure tous les pouvoirs. (Tàpies) Trifouiller, frapper, gratter, perforer, balafrer, maculer, tracer, inciser, éponger, couler, caresser… est-ce abstrait ?

Printemps 2024, volcaniques I, 30×80, Huile sur toile

Être : au présent, c’est-à-dire au plus vulnérable. Laisser-être, surtout, ce qui prend. Sans concept ni visée stricte. Jamais préparé, guetter le surgissant. Strates insues, magma bouillonnant, forces impromptues… et le retrait. Ah ! Le retrait. Énergie vitale, et univers autonome. Comme temps suspendu. Spéculer ; alors : être aux aguets. Intervenir, … un peu.

Automne 2023, La maison brûle, 80×100, Technique mixte

Nous sommes devenus très pauvres en expériences de seuil (à distinguer soigneusement de la frontière) : le seuil devient un espace dans lequel peuvent survenir des changements, des passages et mêmes des phénomènes de flux et de reflux, comme pour les marées.

Giorgio Agamben, Quand la maison brûle

Printemps 2024, Sans titre, 80×80, Technique mixte

C’est un souterrain vague qui s’éclaire peu à peu, et où se dégagent de l’ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres : le monde des Esprits s’ouvre pour nous.

Gérard de Nerval, Aurélia ou Le Rêve De La Vie

Printemps 2024, Sans titre, 60×50, Huile sur toile

La mutation des normes et leurs frontières ça se fait par le milieu, comme les traditions j’imagine. C’est aussi une affaire de zones de contact, de lisières de points de basculement, de diffusion lente comme l’huile de ricin au fond des cuisses, de transmissions partielles et impalpables, répétées, détournées, ratées, rempotées, déformées, re-formées, c’est des anti-discours.

Léa Rivière, L’odeur des pierres mouillées

Automne 2023, Sans titre, 17×30 et 13×22, Huile sur cuivre et bois

Tempêtes, grâces et orages, cruautés et silences, des bonheurs et des promesses. Ça se peint ? Le bleu intense, le jaune dans le blanc, la confiance, et le vent violent ? La gravité, un suspens, un frémir, le désir ? Le spasme, le sanglot, la rudesse, le vibré, le battement, l’Ouvert ?

Automne 2023, enfantine II, 70×70, Acrylique

Nous avons envers l’enfant mort qui est nous la même responsabilité qu’envers les espérances toujours en souffrance du passé. Manière de vivre selon le rappel des possibles, à même l’impossible. Opacités retranscrites. Menues ténèbres comme bouquet, réserves monstrueuses de beauté où puiser, offrir de l’ombre à l’abri du dit-à, du fait-pour, du voulu-par…

Nicolas Zurstrassen, Enfance&toi

Hiver 2022, Hâvel, 116×81, Huile sur toile

Buée de buées – dit Qohélet – buée de buées, tout n’est que buée ! Quel profit y-a-t-il pour l’homme dans toute la peine qu’il peine sous le soleil ? (Qo 1, 2-3)

Hiver 2022, Sans titre, 61×46, Huile sur toile

Des cendres de la lumière, chacun.e part du manque d’amour. Ce que je cherche dans l’enfance, c’est de ne plus la faire rimer avec innocence. Le haut c’est le bas. Sans commencement. Désapprendre. Ensemencer, encommencer.

Printemps 2024, ressac, Atelier du Pèrî

But tell me, where do the children play ?

Yusuf Islam

La mémoire que j’affectionne, loin d’être la dépositaire du disparu, est pour moi le lieu inépuisable des apparitions, d’un nouveau qui n’a pas d’âge.

Jean- Bertrand Pontalis, L’enfant des limbes


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : Nicolas Zurstrassen | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Nicolas Zurstrassen | Précisons que Nicolas Zurstrassen n’est pas l’autre Zurstrassen : son oncle Pirli est compositeur, pianiste et accordéoniste ; ils ne travaillent donc pas la même matière. En cela, Pirli Zurstrassen est à nos yeux le Mitsuko Ushida du piano (à bretelles). A découvrir sur son site officiel : pirlizurstrassen.be.


Plus d’arts visuels en Wallonie…

STESSEL : Fusion (2020, Artothèque, Lg)

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STESSEL Lore, Fusion

(photographie, 20 x 26 cm, 2020)

Lore STESSEL est née en 1987 à Louvain, où elle vit et travaille. Après un master en Beaux-Arts, section peinture, à Saint-Luc à Bruxelles (2009), elle a suivi un master à l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie à Arles (2012). Dès 2009, elle participe à de nombreuses expositions personnelles et collectives.

Elle a reçu le prix Louis Rouder en 2012 ainsi qu’une bourse du gouvernement flamand en 2020 pour autoéditer sa première monographie The Body Will Thrive (Le corps prospérera).

Le travail de Lore Stessel traite souvent des gens, avec une attention particulière au corps. Elle aime les actions quotidiennes, les petits gestes, et surtout la grâce du mouvement. Une grande partie de son œuvre a comme sujet des danseurs.

Cette photographie figurait sur l’affiche de la Xème biennale de photographie en Condroz (Nouvelles vagues, 2021), où l’artiste exposait. Elle est également présente dans son livre The Body Will Thrive.

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Lore Stessel ; paperblog.fr  | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

GERARD : Le théâtre royal de la Monnaie, jusqu’en 1950 (1988)

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Et si on parlait culture ? En 1988, avec la plume qu’on lui connaît, le journaliste Jo Gérard consacrait un ouvrage à La Franc-Maçonnerie en Belgique (Bruxelles : Edition J.M. Collet), tout en précisant bien :

Dois-je le dire ? Je ne suis pas franc-maçon, aussi est-ce sans parti pris, en toute probité intellectuelle, que j’entrepris la rédaction de mon ouvrage.

Et pour lever toute équivoque, ledit ouvrage s’ouvre sur une fort belle (mais fort ambiguë) citation d’Erasme :

J’entends me conduire en dialecticien, non en juge, en critique et non en dogmatique, prêt à recevoir de n’importe qui une doctrine plus exacte ou mieux établie.

Un chapitre y est consacré au théâtre royal de La Monnaie (Bruxelles) et à un de ses directeurs emblématiques. Nous vous en livrons la transcription ci-dessous…


[…] Voltaire disait : “Je vais à l’opéra pour digérer.” Et Saint-Èvremond proclamait : “Une sottise chargée de musique, de danses, de machines, de décoration est une sottise magnifique, mais toujours une sottise.” Saint-Èvremond n’était qu’un snob grinçant, raisonneur, emperruqué et pomponné de l’occiput à l’âme. Capable de conseiller à des Grieux de mieux rétribuer les charmes de Manon, l’affreux ‘moraliste’ aurait estimé Carmen bien vulgaire et Werther plutôt ridicule. Saint-Èvremond n’est pas le public. Ce dernier veut des mythes, des houles de passion, des cieux infinis, des palais de marbre, et que les héros soient aussi grands que les maux dont ils gémissent en chants sublimes montant vers les ors et la pourpre des vieux rideaux drapés dans l’ombre et le temps.

L’opéra est un feuilleton musical avec des péripéties, une horlogerie d’événements, des coups de théâtre et un dénouement déchaînant, à la fois, l’orchestre, les amants, les meurtriers et les spectateurs.

La Monnaie, cette immense boîte à musique est aussi en 1949 une  ménagerie, un fabuleux bestiaire, dont les greniers abritent le cygne de Lohengrin, le sanglier de Tannhauser, les monstres de la Flûte enchantée. Plumes, hures, gueules d’enfer sont entretenues avec soin et régulièrement vaporisées d’antimite.

Mais les chevaux de Boris Godounov sont fournis par la gendarmerie, le petit âne de Sancho Pança vient du parc Josaphat et les deux poneys de l’Elixir d’amour, l’opéra de Donizetti, quittent, pour les feux de la rampe, les paisibles écuries d’une vieille boulangerie bruxelloise.

Le moindre malentendu peut tourner en apocalyspe. On avait dit à un nouvel accessoiriste : “Vous garnirez la boîte à pistolets de Werther.” Lorsqu’en scène, au moment le plus pathétique du drame, Charlotte l’ouvrit, cette boîte, elle y trouva… deux petits pains. Le public prit le fou-rire de la belle pour un ultime sanglot.

Tout n’est qu’illusion. Les meubles de scène par exemple, sont plus grands que ceux d’un salon bourgeois. Ne mobilise-t-on pas l’optique comme la voix, la lumière, le geste et les arabesques du ballet ?

D’étonnants artisans bâtissent ces rêves de toile et de bois. En 1949, les menuisiers de la Monnaie utilisent cinq mille mètres de lattes, par an, mille cinq cents kilos de clous et huit mille mètres carrés de toile pour les décors. “Il nous faut cinq grands seaux de colle pour peindre un ciel,” me confie un petit vieux aux besicles de magicien. Le théâtre possède trois mille paires de souliers, bottes, poulaines, guêtres, brodequins, escarpins, talons rouges, verts, bleus, cuirs fauves et cartons peints.

J’ai vu mille perruques, les scalps de toutes les gloires : Marguerite, Salomé, Lucrèce… En 1949, une perruque de figurant vaut six cent cinquante francs [quarante francs belges = un euro]. Celle d’un chanteur de mille deux cents à deux mille francs. Cléopâtre en porte une admirable pour séduire César dans l’opéra de Haendel. Cette fulgurante toison, longue, serpentine, aux reflets bleus comme un noeud de vipères coûta sept mille francs.

Je fais la grimace. On m’explique : “Il faut piquer les cheveux un à un dans un tulle spécial. Cette opération dure une semaine ; elle exige au moins deux cent soixante grammes de cheveux ; un cheveu pèse moins d’un milligramme.”

L’origine de ces voluptueuses crinières ? “Les couvents, monsieur, sont de gros fournisseurs. Ne coupe-t-on pas les boucles des novices lors de leur entrée dans les ordres ?” On ne m’épargne aucune précision : “Les cheveux de religieuses italiennes sont trop gros, nous préférons les scandinaves ou les hollandais, plus souples et plus fins.” La collection de perruques de la Monnaie est évaluée à un million et demi de francs.

© dhnet.be

Et les costumes ? Dans cette maison où l’on coupe les cheveux en quatre, on n’habille pas les grandes héroïnes n’importe comment. Il faut du taffetas pour la Traviata, du satin pour cette garce de Manon, du crêpe georgette pour les voiles de Salomé dans Hérodiade. Les ateliers de couture de la Monnaie découpent et assemblent six mille mètres de tissu par an, dix mille mètres de coton écru, des kilomètres de galons dorés ou argentés. Si le théâtre possède deux cent cinquante décors complets, il s’enorgueillit d’abriter vingt-cinq mille costumes dans ses garde-robes.

À ces impressionnantes statistiques, l’armurier de l’opéra oppose celles de son arsenal : quatre mille lances, fusils, arbalètes, boucliers, armures, poignards, arcs, épées, flèches, etc. Les électriciens ripostent en énumérant leurs trois mille lampes, le grand lustre qui pèse une tonne et demie, et le fameux projecteur qui dessine, avec indiscrétion, un cercle de lumière autour des duos d’amour. “Sans nous, pas d’opéra”, assurent les électriciens. Dans Fidelio, de Beethoven, il faut éclairer le cachot où trépasse le malheureux époux de Léonore. On entend alors le régisseur crier à l’homme du projecteur : “Vous me ferez un bleu sale, que cela donne gluant !” Aussitôt, de troubles lueurs moisissent sur les murailles de la prison.

Mais tout n’est point truquage et toc. Les cloches du Prince Igor et de Parsifal pèsent, respectivement, quatre cents et six cents kilos. En hiver, on brûle quatre tonnes de charbon par jour pour chauffer le théâtre, et le pompier de service m’a révélé que pour lutter contre l’incendie, la Monnaie disposait de trente-huit prises d’eau, de douze avertisseurs, de douze échelles et de vingt et une sortie de secours.

Le premier théâtre de la Monnaie, qui devait flamber en 1855, fut bâti à l’aube du XVIIIe siècle, à l’emplacement même qu’occupe celui d’aujourd’hui. C’était alors un immense terrain vague, où broutaient ânes et chèvres, entre les ruines d’un couvent de dominicains. La construction coûta dix-huit mille florins, qui étaient devenus un million deux cent quatre-vingt-cinq mille francs lorsque le feu détruisit l’édifice.

La Monnaie fut, dès ses origines, un opéra d’avant-garde. En 1707, elle monta Bellérophon, que décrit, en ces termes, un chroniqueur de l’époque : “Il y avait une grande trappe, une grande roue, qui sert à la lever, trois monstres qui se placent dessus , le temple de la Gloire, l’autel du sacrifice, la chimère et deux culottes de peau pour les hommes qui vont dedans, la victime en peau de veau, trois chars avec leurs cordages, les ponts sur lesquels passent Pallas et Bellérophon, sans omettre le cheval Pégasse qui traverse les airs grâce à un contrepoids.

On signait alors d’étonnants contrats. Jean-Baptiste Meeûs, propriétaire du theâtre, le louait à la troupe Jean-Richard Durant, moyennant des arrhes qui consistaient en : “Deux pièces de vin de Bourgogne, qui seront délivrées au propriétaire a son apaisement (sic) en nature ou en valeur.” Le 22 mars 1870, la Monnaie créait Lohengrin, dix-sept ans avant Paris, et c’est en 1880, devançant une fois de plus Paris de quatre années, qu’elle représenta Hérodiade.

© GOB

Après la guerre, sous la direction de Corneil de Thoran, l’opéra monta cent trente-neuf créations dont quarante-quatre oeuvres belges. Corneil de Thoran est un grand monsieur, très fin, au long nez émacié, humant, délicat. A peine gravées dans ce visage de bénédictin, des rides menues en accentuent le charme. Il a le geste calme et précieux, porte des cravates en soie et travaille tard dans la nuit. Ses projets pour la saison 1950 ? La Bovary d’Emmanuel Bondeville, Jeanne au bûcher de Honegger, Macbeth de Verdi, le Mariage de Télémaque de Jules Lemaître et The Rake’s Progress de Stravinsky. Corneil de Thoran est assisté par Robert Ledent, dont il convient de dire grand bien. Robert Ledent a une face triangulaire, mobile, piquetée d’yeux d’écureuil et surmontée d’une tignasse rebelle à toute discipline. Très jeune, très audacieux., il croit à l’avenir de l’opéra. Robert Ledent, embossé derrière des monceaux de paperasses, dans un bureau étroit comme une casemate, me mitraille de chiffres : “On prétend que les nouvelles générations boudent l’opéra ? – Faux, archi-faux : du premier octobre 1949 au premier février 1950, nous avons délivré dix mille cinq cents billets d’étudiants, soit trois mille cent de plus qu’en 1948-1949. Nous jouons trois cent trente jours sur trois cent soixante-quatre, et la moyenne des spectateurs est de neuf cents par représentation. Alors ?”

Le petit cigare noir de Corneil de Thoran monte et descend en signe d’approbation, tandis qu’à la fumée se mêlent des volutes de valses. Ne répète-t-on pas une opérette où Strauss père et fils font tourner de jolies Viennoises ? On s’imagine, parfois, que si la Monnaie demande des subsides, c’est uniquement pour jouer Faust, Mignon ou Lakmé. Le problème est plus complexe et plus ample. En fait, ce théâtre devrait être considéré telle une vaste et nécessaire académie d’art lyrique.

La culture musicale n’exige-t-elle pas la représentation d’oeuvres oubliées, aussi bien que celle de livrets et de partitions inédits ? A moins d’admettre que la Belgique devienne une quelconque Béotie standardisée et mécanisée, ne faut-il pas qu’artistes et public puissent voir et entendre de temps à autre le Mariage secret de Cimarosa, Céphale et Procris de Grétry, ou le César de Haendel, tout en suivant de près les opéras écrits les opéras écrits par les contemporains ? En dehors des quelque cinquante titres du répertoire, la Monnaie fait un effort admirable pour doser l’ancien et le neuf. Elle n’hésita pas à offrir à ses fidèles les plus audacieux opéras du siècle, en mettant à l’affiche les Benjamin Britten, les Honegger, les Alban Berg, les Gottfried Einem, les Richard Strauss. Aussi longtemps qu’on ne voudra pas admettre que la Monnaie est une indispensable école d’art, son sort demeurera précaire et sa cause ignorée ou mal comprise par l’opinion, la presse, les milieux politiques. Oublie-t-on qu’on forme à l’opéra, sur la scène ou dans les ateliers, des chanteurs, des danseurs, des chefs d’orchestre, des artisans spécialisés, des couturières, des électriciens, des metteurs en scène, des peintres de décors ?

© lesoir.be

On demande à tout ce personnel des efforts inouïs et aussi mal rétribués que possible. En avril 1950, par exemple, les artistes furent payés en trois fois, au fur et à mesure des recettes.

Les avatars, qui ne font pas honneur à la Belgique, méritent d’être comparés à la situation des opéras étrangers. Sait-on qu’en 1950, la Scala de Milan reçoit sept cent millions de subsides annuels récoltés grâce à une taxe de deux pour cent frappant tous les autres spectacles théâtraux, sportifs et cinématographiques ? L’opéra de Budapest, dont l’activité est rigoureusement semblable à celle de la Monnaie, dispose d’un personnel presque double : huit chefs d’orchestre, cent dix instrumentistes, soixante-deux solistes, un chœur de cent dix exécutants et un corps de ballet de cinquante-quatre sujets.

En 1950, nous écrivions : “Ce n’est évidemment pas à coups d’expédients que l’on renflouera la Monnaie. Lorsque, le 6 juin la concession accordée à M. Corneil de Thoran vint à expiration, un autre candidat se présenta. Il était directeur de casino et avait imaginé une formule mirobolante : ouvrir une salle de jeu au palais d’Egmont. Ses bénéfices auraient permis de subventionner la Monnaie. D’autres bons esprits suggérèrent de supprimer les Opéras de Verviers, de Gand, de Liège, pour concentrer tous les efforts sur ceux de Bruxelles et d’Anvers.

En 1946, M. Corneil de Thoran et ses collaborateurs s’étaient engagés à faire quatorze millions de recettes annuelles. Ils ont, en 1950, dépassé ce chiffre d’un gros million.

Le méthodes publicitaires de la Monnaie datent du temps des fiacres et des becs Auer. Jamais une affiche illustrée, rien que de mornes placards jaunâtres et aussi avenants que la première page du Moniteur.

Mais il ne suffit  pas d’attirer le public. Ce dernier n’est-il pas heurté par le caractère désuet et parfois impayable de certains décors et de maints artifices scéniques qui éblouissaient les foules… en 1875 ? Il faut donc poursuivre l’effort entrepris pour renouveler la présentation des œuvres du répertoire. La Monnaie n’a-t-elle pas modernisé en 1949, la mise en scène, les décors et les costumes des Noces de Figaro, de Lohengrin, de Tosca, de Carmen et de Lakmé ?

L’extérieur même du bâtiment devrait, lui aussi, subir quelques améliorations. Pourquoi ne pas décaper toute la façade pour remettre au jour la pierre naturelle combien plus jolie que le plâtre crémeux et crasseux qui la recouvre ? M. Corneil de Thoran, qui est propret comme pas un, voudrait même que soient supprimés les deux urinoirs encastrés dans le théâtre, l’un rue des Princes, l’autre, rue de la Reine. Le 17 octobre 1949, il écrivait à M. van de Meulebroeck : “La disparition  de ces édicules s’impose en vue d’éviter que des relents pestilentiels et des odeurs nauséabondes ne se dégagent aux abords immédiats du théâtre. De plus, la plus grande partie des usagers de ces déversoirs publics est composée d’individus interlopes qui se livrent à des exibitions.” M. de Thoran est un petit délicat, mais qui lui donnerait tort ?

Oserait-on traiter de mégalomane l’administration de la Monnaie, parce qu’elle voudrait acquérir deux machines à écrire ? Elle n’en possède qu’une, préhistorique, et elle loue une vieille machine additionneuse à main. En 1950, le theâtre n’est même pas équipé d’un appareil enregistreur sur bandes, et il doit en emprunter un lorsqu’il en a besoin. Les chaudières, également antédiluviennes, devraient être remplacées. Faut-il révéler que le menuisiers chargés de construire les décors font encore tout ce travail à la main, comme en 1830 ?

Pelleas et Mélisande © lamonnaiedemunt.be

Sous prétexte d’économies, voilà où vont se nicher de nombreuses et d’invisibles dépenses, qu’un rééquipement sérieux de théâtre permettrait de résorber. Ce n’est, par exemple, qu’en 1949 que la Monnaie put acheter un tracteur et des remorques pour le transport de ses décors. En 1947, une firme particulière accomplissait ce travail moyennant cent soixante deux mille francs. Grâce au matériel de la maison, ces frais tombère·nt à quatre-vingt-sept mille francs. On estimait en 1950 que pour permettre à la Monnaie de remplir son rôle avec éclat, il faudrait cinquante-cinq millions par an. […]

Jo Gérard


Ouvrage épuisé @ CP

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : transcription, partage, édition, correction et iconographie | sources : GERARD Jo, La franc-maçonnerie en Belgique (Bruxelles : Edition J.M. Collet, 1988) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : carte postale représentant la façade principale du théâtre de la Monnaie © Régie des bâtiments (BE) ; l’atelier de couture © dhnet.be ; Corneil de Thoran © GOB ; l’opéra est une académie © lesoir.be ; Pelleas et Mélisande © lamonnaiedemunt.be.


Plus de scènes en Wallonie…

LE BRUN : Sans titre (2002, Artothèque, Lg)

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LE BRUN Olivier, Sans titre

(photographie argentique, 40 x  50 cm, 2002)

L’activité photographique d’Olivier LE BRUN est menée en parallèle à une activité de consultant socio-économiste et d’enseignant chercheur dans les universités de Louvain (Belgique), du Sussex (UK) et de Nanterre (France).

Son travail l’a amené à effectuer de nombreux voyages durant lesquels ses temps libres étaient consacrés à la découverte du monde, accompagné de son fidèle Leica argentique. Olivier Le Brun a publié de nombreux ouvrages, notamment aux éditions Yellow Now et Esperluète.

“Comme un révélateur, c’est l’imaginaire de l’enfance qui nous accompagne, le plaisir du jeu gratuit que j’ai collecté sur une vingtaine d’années dans tous les coins de la planète.” (O. Le Brun)

“Nous sommes ici dans l’école primaire de Pouvourville. Pendant plusieurs années je suis venu y présenter des photographies d’Afrique invitant les enfants à les commenter par écrit. J’ai saisi ces occasions pour me mêler à la vie de l’école J’y ai capté la joie de ce groupe de copines dansant bras dessus bras dessous.” (O. Le Brun)

Cette photographie fait partie du livre Jouer ! (Esperluète éditions, 2020).

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Olivier Le Brun ; esperluete.be  | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

LEMAIRE : La venue des barbares (2018-2023, Artothèque, Lg)

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LEMAIRE Guy, La venue des barbares

(photographie retouchée, 40 x 40 cm, 2018-2023)

Autodidacte malgré un bref passage à l’ESA Saint-Luc de Liège, Guy LEMAIRE (né en 1954) est un peintre, photographe, sculpteur et vidéaste, qui a été baigné très jeune dans l’univers artistique. Son travail est influencé par des photographes comme Witkin, Mapplethorpe, Gatewood. Il s’intéresse aux mondes undergrounds, aux gens qui vivent en marge de la société, ainsi qu’aux arts primitifs (principalement l’art aborigène). Sa peinture s’apparente au néo-expressionisme allemand, avec de nombreuses références tribales.

Il a fait de nombreuses expositions, en Belgique et à l’étranger (Tokyo, Cologne, Milan, Amsterdam…) et est présent dans différentes collections (Cabinet des Estampes de la BNF à Paris, Collection Paul Harden (Saatchi & Saatchi) et Musée Ken Damy à Milan).

Défenseur des libertés individuelles, opposé à toute censure, et désireux de montrer toutes les facettes du monde dans lequel on vit, Guy Lemaire photographie des personnes qui ont des modes de vie “différents” de la société bien-pensante. Par ailleurs très intéressé par les rites tribaux, il s’est intéressé à l’art du shibari qui, avant de devenir une pratique à connotation sexuelle dans notre société occidentale, est un art martial japonais. Ces photographies constituent une grande partie de son travail.

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RENARDY : Sans titre (2022, Artothèque, Lg)

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RENARDY Lisbeth, Sans titre

(digigraphie, 40 x  30 cm, 2022)

Née à Liège en 1980, Lisbeth RENARDY a effectué ses études d’illustration à l’ESA Saint-Luc, dans sa ville d’origine. En 2010, lauréate du concours de la FWB, elle effectue un séjour de recherche graphique au Canada.

Dès 2003, elle publie son premier album pour la jeunesse chez Alice Éditions. Elle compte aujourd’hui une dizaine de livres à son actif et est reconnue comme une valeur montante de l’illustration jeunesse en Belgique.

Cette illustration est issue de la série “La collection”.

L’univers de Lisbeth Renardy est marqué par la rêverie et la nature. L’artiste met volontiers en scène des animaux, anthropomorphisés ou non, exposés à des univers sauvages a priori inconnus, à différentes émotions et à des situations inédites dont ils doivent se dépêtrer. 

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HAUGOMAT : L’architecte (s.d., Artothèque, Lg)

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HAUGOMAT Tom, L’architecte

(digigraphie, 40×60 cm, s.d.)

Né à Paris en 1985, Tom HAUGOMAT s’intéresse rapidement au dessin et à son potentiel narratif. Après une année d’études en histoire de l’art et archéologie, il s’oriente vers une préparation artistique. C’est à l’Ecole des Gobelins en section “Conception et réalisation de films d’animation” qu’il se découvre une passion pour l’image en mouvement. Il y rencontre Bruno Mangyoku, un jeune dessinateur avec qui la conception du projet de court-métrage Jean-François (Arte, 2009) se fait naturellement. Il espère pouvoir continuer à développer un univers en illustration et à réaliser des films d’animation en mixant les techniques.

Il a participé à de nombreux livres pour enfants et adolescents, avec des illustrations sont très simples, très graphiques, un peu dans l’esprit des années 1950-1960.

Le style de Tom Haugomat est assez minimaliste. Il concentre généralement l’intention sur un détail et laisse ensuite le vide jouer son rôle de mise en exergue. Tout en utilisant une gamme de couleurs très réduite, il parvient à donner de la profondeur à son dessin. Ses formes en masses et ses jeux de superpositions, bien que travaillées digitalement, invoquent presque intentionnellement la technique de la sérigraphie qu’il apprécie énormément et qu’il utilise même dans son livre Hors-Pistes (Thierry Magnier, 2011).

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COLLIGNON, Georges (1923-2002)

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[MUSEEPLA.ULIEGE.BE] Georges COLLIGNON (Flémalle-Haute, 26 août 1923 – Liège, 5 février 2002). Formé à Liège, à l’Ecole du Livre et dans une imprimerie, Collignon est d’abord ouvrier typographe. Il entre aux cristalleries du Val Saint-Lambert comme dessinateur exécutant et, parallèlement, suit les cours de dessin à l’Académie de Liège en soirée. Afin d’échapper au travail obligatoire en Allemagne, il s’inscrit aux cours de jour de 1942 à 1945. C’est grâce à Auguste Mambour, son professeur, qu’il sent naître sa vocation d’artiste. Dès l’immédiat Après-guerre, il est actif dans des groupes d’avant-garde : Réalité-Cobra (1949), la Jeune Peinture Belge (1945-1948) et Art abstrait (1952-1956). Il obtient le Prix de la Jeune Peinture Belge (1950) et le Prix Hélène Jacquet (1952). Collignon participe à la plupart des expositions de l’APIAW, de 1946 à 1964, il présente aussi des expositions personnelles et collectives tant en Belgique qu’à l’étranger dont les Biennales de Sao Paulo (1961) et de Venise (1962, 1970).

Georges Collignon séjourne lontemps à Paris. En 1948, grâce à la bourse du Gouvernement français, il y reste 6 mois. Puis il y habite de 1950 à 1969 et fréquente régulièrement les abstraits Hartung, Jacobsen, Magnelli et Vasarely. Malgré cet éloignement, Collignon reste en contact avec Liège et la Belgique : il est sollicité à plusieurs reprises pour diverses interventions à Liège (immeuble à Droixhe, restaurant de la gare des Guillemins – l’oeuvre est aujourd’hui disparue – Service des Constructions de l’ULg au Sart-Tilman), à Ougrée (hôtel de ville) et à Bruxelles (halls de la RTB-BRT au boulevard Reyers).

Il est difficile de définir la manière de Collignon tant la diversité de l’expression est grande. Le meilleur dénominateur commun à toutes ses expériences serait sans doute la qualité proprement picturale du travail. Qu’il s’agisse d’abstraction ou de figuration à laquelle il revient au milieu des années 1960, ses recherches témoignent d’une sensibilité de la ligne, du rythme et de la couleur qui le place parmi les peintres belges les plus remarquables de son temps.


[HOMMAGE A GEORGES COLLIGNON] Avec Georges Collignon un évènement qui allait être historique s’est déroulé à Flémalle (Liège, Belgique). Nous étions fin des années 40. Dans le monde, une révolution picturale se préparait, mais il était difficile d’en prendre conscience et d’en mesurer toute l’étendue de façon objective. Une sorte de pulsion animait intellectuellement certains artistes en quête de recherche en matière d’art plastique, et elle semblait nécessaire dans le contexte de notre évolution.

Plus rien ne s’était affirmé depuis les obscurs moments de guerre que l’humanité venait de traverser et un manque de contenu intellectuel et spirituel se faisait sentir.

Les plus lucides des artistes cherchèrent une voie nouvelle dans des concepts d’ordre plastique où ils pourraient s’exprimer, tout en restant dans une lignée historique qui faisait suite à l’évolution de l’art moderne.

Par raisonnement et par esprit de synthèse, l’art abstrait, qui avait déjà connu quelques obscurs pionniers (devenus célèbres aujourd’hui) allait s’étendre à travers le monde, telle une vague de fond.

Jamais une telle révolution picturale s’étendant d’un continent à l’autre ne s’était vue auparavant. Georges Collignon était de ceux-là, qui dans son atelier de Flémalle allait produire les premières oeuvres abstraites de notre communauté avant de partir pour Paris. De ce mouvement d’après guerre, Georges Collignon allait être l’égal des plus grands peintres abstraits de ce siècle.

Né créateur, son imagination en a les pleins pouvoirs, il su de rien imaginer un univers de forme et de couleur d’une grande valeur plastique ; il su aussi inventer son langage pictural avec grande clarté. Ses dons de coloriste lui firent découvrir des harmonies chromatiques d’une richesse exceptionnelle qui lui est personnelle.

L’abstraction est sans doute une des plus nobles conquêtes de l’art, elle est, peut-être, la démarche extrême de l’aventure spirituelle, non pour autant vue de manière exclusive, métaphysique ou prophétique, mais pleinement humaine.

Cette réflexion sur l’art abstrait est de monsieur Philippe Roberts-Jones, Secrétaire Perpétuel de l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique. Je tenais à la citer car elle est toute à l’honneur de Georges Collignon. Il fallait un certain courage intellectuel dans la recherche, fin des années 40, et une intuition particulièrement sensible pour aller à la découverte d’une esthétique nouvelle et surtout d’une nouvelle façon de penser la peinture. Je me souviens d’une phrase qu’il me disait à l’époque et qui semblait l’inquiéter : “L’on peut être sincère et se tromper.” Il fut sincère et ne se trompa pas.

Depuis quelques années déjà, Georges Collignon a changé de voie ; il est revenu à la peinture figurative l’enrichissant de ses expériences dues à l’art abstrait.

Son oeuvre est imposante et ne peut s’oublier; elle tient une place de première importace dans l’évolution historique de l’art de peindre. Le contenu humaniste de cette oeuvre ne peut s’effacer dans le temps.

Léopold Plomteux, Centre Wallon d’ Art Contemporain
de la communauté Française de Belgique


Georges Collignon né en 1923 à Flémalle-Haute (LIEGE) en Belgique. Elève de l’Académie des Beaux-Arts de Liège de 1939 à 1945. Première exposition à la galerie Apollo à Bruxelles en 1946. Membre de l’association Jeune Apollo à Bruxelles en 1946. Membre de l’association Jeune peinture belge et du mouvement CoBrA fondé en 1948. Partage en 1950 avec Alechinsky et Dubosc le prix de la jeune peinture belge décerné pour la première fois, il fait partie du groupe des mains éblouies, à la galerie Maeght de Paris, dans lequel se trouvaient : Alechinsky, Corneille et Doucet.

Georges Collignon créa avec Pol Bury le groupe Réalité CoBrA qui était la première tentative pour défendre et promouvoir l’art abstrait en Belgique. En 1951 il participa à la première exposition du groupe CoBrA à Paris, organisée par Ch. Dotremont et M. Ragon. En 1952, il obtint le prix Hélène Jacquet. En 1955, il fut sélectionné pour le prix Lisbonne et en 1960 pour le prix Marzotto.

Au milieu des années soixante, délivré de l’obscurité et du mystère, Collignon va se déployer dans un luxe de couleurs qu’il n’abandonnera plus ; sûr de lui, il va suivre sa voie avec conviction. Le monde des images qu’il a découvert personnellement, son savoir-faire technique, sa connaissance des couleurs, son sens et son expérience de l’ordonnance spatiale, sont devenus des valeurs sûres, les jalons qui vont baliser son itinéraire.

A partir de 1967, Georges Collignon est revenu à une peinture figurative, cette figuration continuera de s’imposer et débouchera sur une peinture quelque peu mystérieuse, sensuelle, richement décorée de couleurs profondes, d’argent et de feuilles d’or, une peinture au caractère byzantin et surréaliste, la période abstraite (1946-1966) avait pris fin.

La reconnaissance internationale de sa peinture suivait avec sa désignation pour la Biennale de Sâo-Paulo, en 1958 et celle de Venise en 1970. Il a été élu membre de l’académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique en 1975. En 1977, il entre au Grand Orient de Belgique. Il est décédé à Liège le 5 février 2002, à 78 ans.


QUI ÊTES-VOUS GEORGES COLLIGNON ?

Un fort belle histoire… de l’Art qui a commencé en 1939 à l’Académie des beaux-Arts de Liège et qui se poursuit inlassablement. Comment évoquer l’œuvre d’un de nos plus grands peintres belges, alors que les plumes les plus distinguées l’ont fouillée, analysée, aimée – ce qui constitue par ailleurs une bibliographie très intéressante ? En rappelant le plus simplement possible les temps forts de sa carrière. La rencontre avec Paul KLEE, lors d’une visite à la biennale de Venise en 1948, paraît avoir été décisive dans l’engagement du peintre vers l’art non figuratif. Dès ce moment, il commence une oeuvre importante où son exceptionnel don de coloriste est mis en évidence. Sa probité et son amour du beau travail ne l’abandonneront jamais. Sa participation au mouvement CoBrA va le confirmer dans cette discipline et le faire connaître dans le circuit international de l’art. En 1951, Il part pour Paris ety séjournera jusqu’en 1969. Il va tout naturellement avoir sa place dans les plus importants salons d’art abstrait de l’époque, aux côté d’un MAGNELLI, d’un ALECHINSKY, d’un DELAHAUT, d’un BURY… c’est une époque importante.


Du 9 février au 1er mars 1951, se tiendra à Paris, dans la librairie 73, boulevard Saint Michel, une exposition qui groupera des dessins, gouaches et sculptures de Gilbert, Alechinsky, Bury, Claus, Collignon, Jacobsen, Corneille, Osterlin et Tajiri. C’est la première manifestation de CoBrA à Paris ; ce n’est pas la dernière.

Le Petit Cobra N °4 Hiver 50/51

Bazaine pourtant dans son petit livre sur l’art abstrait, a pu, avec une intelligence tres nuancée, situer quelques uns des points de repère de la peinture aujourd’hui.
Aussi bien, si nous avons à CoBrA choisi l’étiquette expérimentale est-ce parce qu’elle ne suppose aucun programme, pas plus qu’elle ne nous en remet simplement à l’aventure. “L’essentiel, dit encore Ragon, c’est d’aller.” Nous sommes allés, nous allons, nous n’avons pas attendu d’êtres arrivés pour partir. Et l’exposition des Mains éblouies a révélé que nous avions ensemble, déja gagné un pas. Ragon ne s’y est pas trompé qui saluait la participation de quatre peintres de CoBrA : Pierre Alechinsky (qui a fait pour Derriere le Miroir des lithographies significatives) ; Georges Collignon, Corneille, Doucet. Ces quatre peintres étaient rassemblés là par hasard : la galerie Maeght s’était adressée à chacun d’eux ; mais ce n’est pas un hasard qu’ils soient rassemblés dans CoBrA, et qu’ils formaient dans une exposition parfois heurtée, un ensemble frappant (notamment dans la salle de la librairie). Nous voulons rappeler l’intérêt que présentaient les envois de Laurent de Brunhojf, Pierre Humbert et Néjad.

C.D., CoBrA n°7, page 26

Il a eu des activités abstrait-constructivistes et aussi des activités CoBrA. Dotremont songe certainement au petit livre Le Crayon et l’Objet, qu’il ne trouva pas sans qualités et dont le texte repris dans le dernier numéro de CoBrA, est signé par Brian Martinoir. Cet auteur wallon traite dans un élan lyrique de l’art abstrait. Faut-il relever l’influence de Bachelard dans ces raisonnements ? La plaquette est rehaussée de gravures de Collignon ; on relève également la présence d’une gouache du même artiste dans le numéro 10 de CoBrA.
Après avoir débuté comme figuratif abstrait, Georges Collignon (né en 1923) opte à partir de la fin des anées quarante pour une abstraction que l’on pourrait qualifier d’esthétique et de poétique. Il est le seul membre du groupe Réalité à s’être manifesté à quelques reprises au sein de CoBrA. Ainsi est-il présent à l’exposition de Liège avec deux peintures, deux gouaches et un monotype. Selon Geirlandt, l’aventure CoBrA aurait permis à l’art abstrait de mieux s’enraciner en Belgique, on assiste par exemple en 1952 à la fondation du groupe Art abstrait que rejoignirent nombre d’anciens membres de la Jeune Peinture belge, dont Collignon.

IIe EXPOSITION INTERNATIONALE D’ART EXPERIMENTAL
Palais des Beaux-Arts de Liège du 6 octobre au 6 novembre 1951
ORGANISÉE PAR LA SOCIÉTÉ ROYALE DES BEAUX-ARTS DE LIÈGE
ET PAR
L’INTERNATIONALE DES ARTISTES EXPÉRIMENTAUX (CoBrA)

Georges Collignon fils a publié un mini-florilège de l’oeuvre de son père et l’intégrale du document est disponible dans notre DOCUMENTA. Cliquez sur l’image pour le télécharger…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : Hommage à Georges Collignon (collection privée) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Georges Collignon fils.


Plus d’arts visuels en Wallonie…

CONTI : Genesi (2016, Artothèque, Lg)

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CONTI Sara, Genesi

(sérigraphie, 44 x cm, 2016) 

Artiste belge d’origine italienne, Sara Conti (née en 1971) est diplômée de l’Ecole supérieure des Arts plastiques et visuels, à Mons.

Elle s’est fait connaître par ses collages urbains de matriochka, distribués de façon métronomique. Titanesque travail esthétique que celui qui va l’occuper plus de dix années durant. L’artiste, méticuleusement, prépare en atelier, réalisés au dessin vectoriel puis découpés avec soin, plusieurs centaines de collages-papier, qu’elle affiche chaque semaine avec une régularité sans défaut, souvent le dimanche matin.

Ses œuvres nous parlent principalement de la condition féminine. (d’après SARACONTI.NET)

Les œuvres de Sara Conti vont à l’essentiel. Elles se caractérisent par l’emploi de la ligne claire et l’esprit de synthèse, c’est-à-dire un fait et une idée par dessin.

Cette œuvre fait partie d’une exposition collective Dendromorphies – Créer avec l’arbre, organisée en 2016-2017 à Paris sous la direction de Paul Ardenne. Sara Conti avait choisi de revisiter le concept de l’arbre de vie, en représentant une femme accouchant d’un arbre.

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © saraconti.net | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

ERRÓ : Sans titre (2012, Artothèque, Lg)

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ERRÓ, Sans titre

(sérigraphie, 65 x 50 cm, 2012)

Né en 1932, ERRÓ, pseudonyme de Guðmundur Guðmundsson, est un peintre et graveur islandais Il étudie l’art en Islande, puis en Norvège et en Italie. Il s’installe à Paris en 1958 où il rencontre des artistes, des écrivains et des critiques liés au mouvement surréaliste. Il est le cofondateur du mouvement pictural de la figuration narrative en France.

En 1986, il représente l’Islande à la Biennale de Venise. En 1989, il fait une donation d’œuvres d’art et d’archives personnelles à sa ville de naissance, Reykjavik. De renommée internationale, il a exposé dans de nombreux pays dès les années ’60.

Depuis 2013, Erró travaille l’aquagravure, une technique d’estampe en bas-relief.

La figuration narrative est un mouvement artistique apparu, principalement dans la peinture au début des années 60 en France, en opposition à l’abstraction des années 50 et aux mouvements contemporains du nouveau réalisme et du pop art, auquel elle est néanmoins associée.

L’univers artistique d’Erró est inspiré par la bande dessinée. On voit dans cette sérigraphie une accumulation d’éléments figuratifs détachés de leur contexte jusqu’à la prolifération délirante.

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Erró ; grenobleartup.com | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

MALADITA : Les fleurs du mal (2021, Artothèque, Lg)

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MALADITA, Les fleurs du mal

(émulsion photosensible sur pierre bleue, 40 x  19 cm, 2021)

MALADITA est un duo d’artistes formé par Aurélie Bay et Nathalie Hannecart. Aurélie Bay est une artiste plasticienne, son travail s’articule essentiellement autour de la sculpture et de la performance. Elle conçoit des installations dans des espaces donnés qui témoignent d’actes physiques impulsifs et pulsionnels. Nathalie Hannecart travaille la photographie argentique, les procédés photographiques alternatifs et anciens tels que le cyanotype, l’émulsion photosensible et le sténopé.

De la production de fanzines aux collages dans l’espace public, de la photographie argentique à l’émulsion photosensible sur pierre bleue, de l’installation à l’intervention, leur travail interroge les normes et les limites répressives. (d’après PLACE-O-ARTS.BE)

Aurélie Bay propose des installations directes, sans filtre ni convenance, à l’image d’un geste physique fort, intuitif et spontané.

Les images de Nathalie Hannecart voyagent au gré des sujets sous des formes et des matières multiples (tissus, collage urbain, pierre bleue…). Elle explore également la question du féminin et du corps, en rapport à la mémoire, la temporalité et la finitude.

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Maladita | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

Le développement de l’énergie solaire a-t-il été torpillé en 1882 ?

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[THECONVERSATION.COM, 30 janvier 2025À la fin du XIXe siècle, le Français Augustin Mouchot (1825-1912) inventait un ingénieux concentrateur solaire. Mais la bureaucratie technique de l’époque, chargée de l’évaluer, en a livré une appréciation biaisée en la comparant au charbon qui alimentait les machines à vapeur – condamnant, au passage, l’appareil et ses multiples applications.

En matière d’énergie solaire, plusieurs moyens ont permis, au XXe siècle, de stopper l’innovation et de garantir le monopole des énergies fossiles et de leurs savoirs. Par exemple : la menace pure et simple, le rachat de brevets, la montée au capital ou encore la fermeture d’activité. L’expertise tendancieuse – sinon mensongère – a pu constituer un autre levier, ainsi que le montre le cas de l’évaluation officielle des appareils solaires d’Augustin Mouchot et de son associé Abel Pifre, à la fin du XIXe siècle.

Absent des manuels scolaires et délaissé des commémorations nationales pour le bicentenaire de sa naissance en 2025, le professeur de mathématiques appliquées et de physique Augustin Mouchot (1825-1912) est le pionnier français méconnu de l’énergie solaire moderne. Il a défendu et démontré les atouts de l’énergie solaire thermique et thermodynamique, particulièrement pour les pays de la zone intertropicale. Et cela, dès son ouvrage de synthèse et de prospective en 1869, puis avec un premier moteur à vapeur solaire de retentissement international, présenté à l’Exposition universelle de 1878 à Paris. Mais ce dernier a également rencontré après une mission de trois ans en Algérie et des financements publics importants, les incompréhensions auxquelles les énergies énergies renouvelables ont été confrontées depuis cette période. Ce qui n’a pas été sans lui valoir des adversaires…

Une commission d’étude transsaharienne de la chaleur solaire

La Commission des appareils solaires est créée le 19 février 1880 dans le cadre des travaux préparatoires du chemin de fer transsaharien. Elle doit tester les concentrateurs solaires à vapeur développés depuis près de 15 années par Augustin Mouchot – et depuis 1878 par Abel Pifre – dans la perspective du pompage de l’eau indispensable à la recharge des locomotives et au développement de gares-dépôts de combustible.

L’assassinant du colonel Flatters et de son escorte lors de la seconde reconnaissance du tracé, le 16 février 1881, un an et deux mois avant la remise du rapport de la commission, mettra fin au projet. La commission rassemble alors deux ingénieurs, un colonel et deux professeurs aux facultés de médecine et des sciences de Montpellier. L’appareil solaire testé, doté d’un réflecteur de trois mètres de diamètre, est construit par la société d’Abel Pifre, officiellement constituée en janvier 1881 et première entreprise au monde à commercialiser des cuiseurs, distillateurs et moteurs solaires. Les essais ont lieu en 1881 au fort de Montpellier sous la supervision du professeur de physique André Crova (1833-1907), qui rédigera le rapport final.

Docteur en physique électrochimique, avec 74 publications touchant à l’optique, à l’électricité, aux ‘radiations calorifiques’ – dont celles du Soleil –, c’est un pionnier du calcul de la ‘constante solaire’, quantité d’énergie solaire reçue par la Terre hors atmosphère sur une surface d’un mètre carré exposée perpendiculairement au soleil.

Les étranges calculs du ‘rendement industriel’

La note manuscrite d’André Crova, discutée durant la séance du 3 avril 1882 de l’Académie des sciences, est la version courte du rapport qu’il publie dans les mois suivants, qui comporte quarante-cinq pages et une illustration. Son diagnostic déborde du projet transsaharien et met en regard l’énergie solaire avec la grande énergie fossile, alors concurrente, que représente le charbon.

On s’est préoccupé dans ces dernières années de tentatives faites en vue d’utiliser pratiquement l’énergie des radiations solaires. Ces radiations sont en effet la cause presque unique de tous les phénomènes atmosphériques, de tout travail moteur, et de la vie sous toutes ses formes, à la surface de notre globe. Mais ces forces motrices, irrégulières et sujettes même à faire défaut à un moment donné, sont maintenant partout remplacées par celle de la vapeur, qui, toute coûteuse qu’elle est, a du moins pour elle la constance et la régularité, qui sont une des premières conditions que l’industrie demande à un moteur.

André Crova inaugure ainsi le discours des experts dont l’influence va se renforcer au fil de l’ère thermo-industrielle. Spécialiste d’un domaine étroit – la mesure des radiations solaires –, il est mandaté pour l’évaluation d’une technologie de conversion énergétique – les récepteurs solaires thermodynamiques Mouchot-Pifre –, dans le cadre d’une ligne de transport à l’intérieur du Sahara. Au final, il délivre un avis non pas sur le fond, mais sur sur les formes d’énergie qui devraient être privilégiées dans le cadre de la modernité. Ce glissement fait de son rapport la première grande condamnation officielle de l’utilisation du rayonnement solaire pour produire de l’énergie.

Car la commission ne s’arrête pas sur les applications pratiques de la machine à vapeur solaire. Citons par exemple :

      • 189 jours de fonctionnement sur l’année en 1881 à la latitude de Montpellier et 14 litres d’eau distillée (c’est-à-dire, vaporisée) par jour de fonctionnement en moyenne ;
      • la possibilité d’y ajouter une pompe ou un moteur rotatif ;
      • celle de procéder à la distillation d’alcools, de plantes ou à la pasteurisation de l’eau ou des aliments ;
      • celle de procéder à la cuisson de la nourriture humaine ou pour les animaux ;
      • celle de procéder à la calcination et au chauffage de matériaux (chaux, graisses, briques, poteries, pâte à papier) ;
      • la possibilité d’en faire une pile thermoélectrique ;
      • la possibilité de produire de la glace avec l’ammoniac et une machine des frères Carré, (comme Mouchot le fit en 1878) ;
      • la possibilité éventuelle de procéder de faire tourner une machine à coudre ou d’imprimer des journaux avec.

Mais non, le travail d’André Crova se limite à la mesure d’un ‘rendement industriel de l’appareil‘, à partir du ‘nombre de calories emmagasinées par la chaudière‘.

Le principe est le suivant :

      • La chaudière placée au centre du réflecteur solaire vaporise de l’eau à partir de laquelle, une fois la vapeur refroidie dans un serpentin, il est possible, ‘au moyen de la formule de Regnault’, de calculer ‘le nombre de calories utilisées par l’appareil’ ;
      • Simultanément un ‘actinomètre’ évalue le rayonnement solaire d’heure en heure, corrigé par la température, l’hygrométrie de l’air et la hauteur du soleil (c’est-à-dire, la transparence et l’épaisseur atmosphériques), afin de calculer les ‘calories incidentes’ ;
      • En divisant le premier chiffre par le second, on obtient un rapport, que l’on appelle ‘rendement économique de l’appareil’. En 1881 à Montpellier, il a été évalué à 0,491 calorie par mètre carré, avec un maximum à 0,854.

En un mot, à l’évaluation de la puissance effective, de la fonctionnalité et de la praticité des appareils solaires s’est substituée, au prix d’une somme d’approximations considérables, la simple évaluation d’un rendement théorique : celui du nombre de calories captées par rapport aux calories disponibles. Le tour de passe-passe accompli autorise le physicien rapporteur André Crova à conclure sur des hypothèses économiques, et non à se prononcer sur l’intérêt technoscientifique du principe et du fonctionnement du moteur solaire.

Four solaire de Mouchot et Pifre, conservé au CNAM à Paris © Rama

La condamnation du solaire

C’est donc sur un mode conditionnel que la condamnation de l’énergie solaire est exprimée en 1882. Il est intéressant de noter que les termes en sont restés presque inchangés jusqu’à nos jours, y compris pour les autres types de conversion d’énergie tels que le photovoltaïque – solaire vers électrique – ou l’éolien – mécanique vers électrique. Déjà en 1882, la régularité économique et la disponibilité des combustibles fossiles dans les pays développés sont les principaux arguments avancés par André Crova.

En France et dans les climats tempérés, l’énergie de la radiation solaire est trop affaiblie au niveau du sol […] pour que l’on puisse espérer pouvoir emprunter dans des conditions économiques et régulières une partie de l’énergie solaire pour l’appliquer aux besoins de l’industrie. Telle est mon opinion personnelle, qui résulte des expériences que nous avons faites pendant la durée de l’année 1881. […] Remarquons d’ailleurs que, dans les conditions dont nous parlons, le prix du travail moteur ou de la chaleur équivalente a une importance relativement faible, vu la facilité de transport du combustible. […] Mais dans les pays où le soleil […] envoie des radiations plus intenses, la conclusion serait-elle identique ? La réponse à cette question exige la connaissance de trop de points spéciaux pour que nous puissions la donner ici.

Le professeur d’université André Crova, spécialiste de la mesure de la chaleur solaire, exécute avec les mots d’un expert industriel les appareils Mouchot-Pifre. Il admet pourtant des limites à son travail. En effet, lorsque

le vent souffle avec force dans la direction de l’orifice de l’actinomètre […] les observations sont impossibles […], tandis que la distillation (c’est-à-dire la production de vapeur, ndlr) se produit même dans les circonstances les plus défavorables, pourvu que le soleil brille.

Autrement dit, l’appareil, plus efficient que son ‘mesureur’, fonctionne même les jours où l’on ne peut effectuer de mesures. Dans son mémoire à l’Académie des sciences, le physicien admet aussi qu’en l’absence d’isolation de la chaudière, la température extérieure influence davantage la distillation de l’eau que le soleil. Pire, puisque l’actinomètre ne laisse pas passer les mêmes longueurs d’onde que le manchon en verre de la chaudière. Comme l’écrit André Crova,

par les plus fortes intensités, les radiations obscures (rayonnement infrarouge, ndlr), non transmissibles par le verre, sont arrêtées par le manchon, et le rendement diminue, quoique la quantité de chaleur utilisée augmente.

Ainsi, du fait du choix d’un tel rendement comme valeur d’évaluation, les appareils solaires ‘fonctionneraient’ moins bien dans les périodes précises où justement ils chauffent le plus. On croit rêver. La notion de rendement pour une source primaire d’énergie gratuite et inépuisable révèle ici sa limite : nul besoin d’être physicien pour comprendre que plus le soleil brille, plus l’énergie solaire est abondante, quand bien même la qualité de la conversion/captation du rayonnement baisse avec l’augmentation de l’intensité de ce rayonnement.

‘De l’eau froide sur le soleil de M. Mouchot’

Mais le coup de grâce tient dans l’image que retient la presse, c’est-à-dire la mise en équivalence du rendement maximum du mètre carré solaire selon les calculs précédents et de la quantité de charbon correspondant. Celui-ci représente :

à peu près la chaleur produite par 240 grammes de charbon, en admettant que la moitié de la chaleur qu’il produit en brûlant soit utilisée à vaporiser l’eau.

Une poignée de carbone polluant contre une heure de soleil sur un mètre carré de métal brillant ? Sans gaz à effet de serre, éternellement et gratuitement, mais avec des intermittences ? On peut se demander ce qu’il serait advenu du monde si André Crova n’avait pas déversé sans vergogne ‘de l’eau froide sur le soleil de M. Mouchot’, ainsi que relèvera immédiatement le journaliste scientifique de l’époque Louis Figuier. Malgré les démentis, deux ans plus tard l’entreprise d’Abel Pifre disparait, et avec elle les projets et brevets solaires d’Augustin Mouchot.

Changer de regard sur l’énergie solaire ?

L’histoire d’Augustin Mouchot n’est pas un cas isolé. L’économiste Sugandha Srivastav soulignait, au sujet d’un autre innovateur solaire – américain celui-ci – arrêté dans sa course au début du XXe siècle, que

s’il est douloureux de réfléchir à ce grand “et si” alors que le climat s’effondre sous nos yeux, cela peut nous apporter quelque chose d’utile : savoir que tirer de l’énergie du soleil n’a rien d’une idée radicale, ni même nouvelle. C’est une idée aussi vieille que les entreprises de combustibles fossiles elles-mêmes.

Aurions-nous aujourd’hui, 143 plus tard, la même sévérité sur le potentiel des ressources solaires et les mêmes certitudes à propos des énergies fossiles que la commission du ministère des travaux publics de Montpellier ? C’est la question qu’il nous faut poser, de façon urgente, à tous les André Crova de notre temps.

Frédéric Caille, ENS (Lyon, FR)


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Rama ; © DP.


Plus de presse en Wallonie…

AWAP : Découverte du patrimoine. Guide facile à lire et à comprendre (Journées du patrimoine 2024)

Temps de lecture : 8 minutes >

[AGENCEWALLONNEDUPATRIMOINE.BE] L’Agence wallonne du Patrimoine – Pour transmettre le patrimoine wallon aux générations futures. Le patrimoine de Wallonie est un héritage commun. Il concerne tout le monde. Depuis 1988, la gestion du patrimoine culturel immobilier est réalisée par le Service public de Wallonie. Au nom de la collectivité, les agents du SPW assurent la pérennité de ce patrimoine et veillent à son maintien dans un environnement bâti et naturel de qualité. En Wallonie, on dénombre près de 4 000 biens classés au titre de monument, de site, de site archéologique ou d’ensemble architectural. La gestion du patrimoine repose sur les principes de la conservation intégrée qui visent une politique globale de sauvegarde et de réhabilitation du patrimoine culturel prenant en compte la valeur et le rôle de ce patrimoine pour la société. Ce concept a influencé l’élaboration des politiques partout en Europe et a considérablement élargi la notion même de patrimoine. La formation aux différents métiers liés au patrimoine, ainsi que la promotion du patrimoine au plus large public possible font aussi partie des missions de l’Agence wallonne du Patrimoine (AWaP). [En savoir plus sur le site de l’AWAP…]


Journées du patrimoine

[JOURNEESDUPATRIMOINE.BE] C’est en 1989 que la Wallonie et dix-neuf communes bruxelloises accueillent la première Journée du Patrimoine. L’année 1993 constitue un double tournant. Mises au pluriel, les Journées du Patrimoine en Wallonie occupent désormais tout un week-end et c’est l’année de l’instauration des thèmes. En 1994, la gratuité d’accessibilité aux monuments, aux ensembles architecturaux et aux sites inscrits au programme est demandée à tous les organisateurs. Le libre accès généralisé est un des éléments qui fait le succès des thèmes successifs déclinés par les Journées de 1994 à 2012, ceux-ci s’avérant par ailleurs très porteurs : Patrimoine industriel et social, Patrimoine rural, Patrimoine archéologique, Patrimoine militaire, Patrimoine médiéval, Patrimoine insolite… Des centaines de milliers de visiteurs ont ainsi participé à ces Journées depuis leur création. Un pic de fréquentation a été réalisé en 2003 grâce au choix d’un sujet très accrocheur, Châteaux et demeures privées. Le record du nombre d’activités a été, quant à lui, atteint en 2016, avec la thématique Patrimoine religieux et philosophique. Parmi les centaines de sites ouverts chaque année, on compte des lieux généralement inaccessibles au public qui décident d’ouvrir exceptionnellement leurs portes à cette occasion. […] Chaque année, les Journées du Patrimoine proposent, le 2e week-end de septembre, de découvrir gratuitement le patrimoine wallon.


Cliquez sur la vignette…

 

En 2024, l’AWAP a édité une brochure didactique à l’attention des plus jeunes, un Guide facile à lire et à comprendre (FALC) dont nous transcrivons des extraits ci-dessous, pour vous en donner un avant-goût. La version complète et illustrée est téléchargeable sur le site des Journées du patrimoine

 

 

Découverte du Patrimoine. Guide facile à lire et à comprendre (FALC)

Avant-propos

Le patrimoine, ce sont les choses laissées par les personnes qui ont vécu avant nous : des bâtiments ; des beaux paysages ; des objets anciens ; des traditions, comme des fêtes. La brochure est divisée en 3 parties :

      1. qu’est-ce que le patrimoine ?
      2. qui s’en occupe ?
      3. comment on s’en occupe ?

Tu trouveras aussi des informations sur les métiers du patrimoine.

Le patrimoine, c’est quoi ?

Le patrimoine est un héritage, transmis de génération en génération. Ce sont des choses que les personnes du passé nous ont laissées. Voici quelques exemples de patrimoine : des bâtiments anciens (châteaux, églises, maisons…) ; des sites archéologiques (ruines…) ; des objets d’art (peintures, sculptures, meubles…) ; des traditions (histoires, chansons, danses, fêtes…) ; des ressources naturelles (parcs, paysages particuliers, jardins botaniques…).

Certains bâtiments, qui sont construits aujourd’hui, deviendront peut-être du patrimoine. Les personnes pourront encore y vivre ou les visiter après nous.

Patrimoine est un mot masculin. Depuis peu, on utilise aussi un mot féminin :  Matrimoine. Le mot Matrimoine est utilisé pour parler des choses laissées par les femmes : les traditions, leurs métiers, leurs inventions, leurs peintures et leurs livres…

Les 3 types de patrimoine
      1. patrimoine naturel >< patrimoine culturel
      2. patrimoine matériel >< patrimoine immatériel
      3. patrimoine immobilier >< patrimoine mobilier
© AWAP
Le patrimoine naturel ou culturel, c’est quoi ?

Le patrimoine naturel, ce sont : les jardins de châteaux, les milieux marins, les forêts anciennes…

Le patrimoine culturel, ce sont : les bâtiments, les objets, les fêtes…

Le patrimoine culturel matériel ou immatériel, c’est quoi ?

Le patrimoine culturel matériel, c’est tout ce qu’on peut toucher : les objets, les bâtiments…

Le patrimoine culturel immatériel, c’est tout ce qu’on ne peut pas toucher : les fêtes, les danses, les chansons…

Le patrimoine culturel immobilier ou mobilier, c’est quoi ?

Le patrimoine culturel immobilier, c’est tout ce qu’on ne peut pas bouger : les bâtiments, les immeubles…

Le patrimoine culturel mobilier, c’est tout ce qu’on peut déplacer : les objets, les peintures, les statues…

Le patrimoine culturel immobilier, c’est quoi ?

Ce sont les monuments et les vestiges archéologiques. Les vestiges archéologiques, ce sont des ruines, des vieux objets trouvés dans la terre.

Les monuments

Un monument, c’est un bâtiment qui permet de se souvenir du passé. Des spécialistes étudient les bâtiments anciens. Ce sont des historiens, des archéologues. Ils examinent les bâtiments pour comprendre leur histoire, savoir comment les protéger.

Il y a plusieurs sortes de monuments. Les monuments sont classés par :

      • Fonction : à quoi sert le bâtiment ? Un bâtiment peut servir à plusieurs choses. Exemple : un château peut aussi devenir un restaurant.
      • Style : c’est la mode de l’époque. Chaque style a un nom différent. Exemples : l’Art nouveau, l’Art déco…
      • Époque : c’est le moment de la construction.

Dans le patrimoine, on trouve aussi un héritage industriel. Cela veut dire : des usines, des ateliers, des mines…

Dans le patrimoine, on trouve aussi le petit patrimoine. Cela veut dire : des fontaines, des lampes, des cloches…

Les vestiges archéologiques

Les vestiges archéologiques sont des vieux objets trouvés dans la terre. Un archéologue est une personne qui fouille la terre. La personne cherche des vieux objets et des traces du passé. Ce sont les objets de nos ancêtres. Les ancêtres, c’est quoi ? Les ancêtres sont les personnes qui ont vécu avant nous. Les objets trouvés sont souvent cassés.

QUI ? LES ACTEURS DU PATRIMOINE

Les acteurs du patrimoine sont les personnes qui travaillent pour le patrimoine : archéologues (personnes qui fouillent la terre), restaurateurs d’art (personnes qui réparent les objets), tailleurs de pierre (personnes qui remplacent les pierres abîmées)…

La Belgique est divisée en 3 grandes parties qui s’appellent les régions (la Flandre, la Wallonie, Bruxelles).

La Région wallonne (la Wallonie)

Chaque région a son chef qui s’occupe du patrimoine. Ce chef s’appelle un ministre. Ce ministre a ses règles pour s’occuper des choses importantes. Il doit protéger les biens du patrimoine (des châteaux, des églises, des maisons anciennes…).

L’Agence wallonne du Patrimoine (AWaP)

Le ministre du patrimoine se fait aider par une grande équipe. L’équipe s’appelle : l’Agence wallonne du Patrimoine (AWaP) :

      1. Protéger
        L’équipe protège notre patrimoine en créant des lois.
      2. Restaurer
        L’équipe répare les bâtiments.
      3. Valoriser
        L’équipe travaille pour que le patrimoine serve encore aujourd’hui.
      4. Fouiller
        L’équipe fouille la terre pour trouver des objets et des restes du passé.
      5. Former
        L’équipe apprend aux travailleurs à s’occuper des bâtiments.
      6. Sensibiliser
        L’équipe explique aux gens que le patrimoine est important.
La Commission royale des monuments, sites et fouilles (CRMSF)

La Commission est une assemblée. Ce sont des personnes qui travaillent ensemble pour : conseiller le ministre sur les travaux à faire ; dire au ministre quand un bâtiment doit être protégé.

Les propriétaires, associations, architectes, artisans et entreprises

Il y a d’autres personnes qui s’occupent du patrimoine en Wallonie :

      1. Les associations. Ce sont des personnes qui travaillent pour faire connaître le patrimoine.
      2. Les artisans. Ce sont des personnes qui travaillent pour réparer les bâtiments.

COMMENT ? LES OUTILS POUR GÉRER LE PATRIMOINE

Recensements et mesures de protection
Les inventaires

Pour protéger le patrimoine, on fait des listes et des classements. On fait des listes avec toutes les choses qui font partie du patrimoine. Ces listes s’appellent des inventaires. On fait des inventaires par : bâtiments ; objets trouvés dans le sol et restes du passé ; donjons ; anciennes églises ; anciennes usines ; parcs et jardins…

On fait aussi des inventaires des petites choses du patrimoine : des lavoirs, des fours à pain, des moulins…

Le patrimoine classé

Certains bâtiments et paysages sont tellement beaux et importants qu’ils sont classés. Cela veut dire que ces bâtiments et paysages sont protégés par une loi. Il est interdit de modifier les bâtiments sans autorisation du ministre. Les bâtiments classés sont les plus importants et les plus rares.

On a beaucoup de bâtiments importants et de paysages classés en Wallonie :

      • bâtiments importants (châteaux, églises…),
      • paysages (parcs, jardins…).
© awap

Quand un bâtiment ou un parc est classé, on met un blason bleu à l’entrée. Cela veut dire qu’il est protégé. On ne peut pas le réparer ou le modifier sans autorisation.

En plus des bâtiments et paysages, on classe aussi les objets importants et les fêtes : les tableaux, les sculptures, les vieux meubles, les carnavals, les chansons… Ce sont d’autres personnes qui s’en occupent.

Le patrimoine exceptionnel de Wallonie

Le patrimoine exceptionnel, c’est quoi ? Ce sont les plus beaux bâtiments : des châteaux magnifiques, des ruines qui racontent notre passé…

La liste du patrimoine mondial

En plus du patrimoine de notre pays, il existe un patrimoine mondial. C’est l’UNESCO qui s’en occupe. L’UNESCO est un groupe de personnes qui travaillent pour le patrimoine mondial. L’UNESCO a créé une liste des plus beaux bâtiments et sites du monde. Chez nous, 8 sites sont dans la liste :

      1. Les 4 ascenseurs du canal du Centre et leur site (La Louvière et Le Roeulx),
      2. Les 7 beffrois (Binche, Charleroi, Gembloux, Mons, Namur, Thuin et Tournai),
      3. La cathédrale Notre-Dame de Tournai,
      4. Les minières néolithiques de silex de Spiennes (Mons),
      5. 4 sites miniers majeurs (le Grand-Hornu, Bois-du-Luc, le Bois du  Cazier et Blegny-Mine),
      6. La ville de Spa,
      7. Des sites funéraires et mémoriels de la Première Guerre mondiale (front Ouest),
      8. Des portions de la forêt de Soignes.
Conservation, restauration et réaffectation

Il faut prendre soin du patrimoine. Pour cela, il faut faire attention à 3 choses :

      1. conserver : c’est très important, il faut éviter que les bâtiments s’abîment.
      2. restaurer : c’est réparer les bâtiments qui sont cassés.
      3. réaffecter : c’est donner une nouvelle fonction aux bâtiments qui ne sont plus utilisés. Par exemple, un château devient une salle des fêtes.

Parfois, un bâtiment classé ne peut plus être utilisé comme il l’était avant. Il est devenu : trop vieux, trop petit… Alors on va faire autre chose dedans : une ancienne ferme peut devenir un lieu de fêtes ; une vieille usine peut devenir un musée ; une église peut devenir une bibliothèque.

Les bâtiments classés sont très importants. Il faut protéger les bâtiments classés. Protéger un bâtiment veut dire qu’on doit pouvoir continuer à y vivre, à l’utiliser ou le visiter sans le modifier. Parfois, un bâtiment s’abîme avec le temps. On doit alors faire des travaux. C’est le ministre qui donne de l’argent.

Sur chantier : focus sur les métiers du patrimoine

Lorsqu’il faut faire des travaux, il faut un chef qui décide. Le chef est un architecte. L’architecte va dire aux autres personnes ce qu’il faut faire. Ces autres personnes sont : un maçon (il répare les murs en pierre et en brique), un couvreur (il répare le toit), un peintre (il peint les murs), un plafonneur (il répare les murs à l’intérieur du bâtiment), un jardinier (il s’occupe des parcs et des jardins)…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : awap | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © awap.


Plus d’initiatives en Wallonie…

TRADUCTION : Néologie traductive – Vade Mecum pour traducteurs (1995)

Temps de lecture : 28 minutes >

La traduction (humaine) est un métier exigeant et un domaine technique qui reste vivant face aux technologies soutenues par l’intelligence artificielle (un oxymore !). Nous partageons avec vous la transcription partielle d’une plaquette réalisée en 1995 par le Centre de terminologie de Bruxelles (CTB, Bruxelles). Elle avait été réalisée avec le soutien du Service de la langue française de la Direction générale de la Culture et de la Communication.

N.B. Le document transcrit ici est assez technique : si vous n’avez pas d’affinités particulières avec le domaine linguistique, visitez plutôt notre BIBLIOTECA et choisissez un livre selon votre bon plaisir…


TABLE DES MATIERES

PRESENTATION

Ce vademecum est un élément d’une initiative appelée Néologie traductive, réalisée avec le soutien du Service de la langue française de la Direction générale de la Culture et de la Communication. Il s’adresse aux traducteurs, dont l’activité quotidienne est une source importante de néologismes. Cette action a trois objectifs :

    1. l’assistance en matière de néographie,
    2. le recensement et la diffusion des néologismes créés ou rencontrés par les traducteurs, et
    3. l’étude de la pratique néographique des traducteurs.

Ces objectifs sont poursuivis par les initiatives suivantes :

      • formation d’un réseau de traducteurs qui désirent signaler, par  l’intermédiaire du CTB, les néologismes créés par eux-mêmes ou rencontrés au cours de leur travail ;
      • distribution de ce vademecum rédigé à l’intention des traducteurs ;
      • assistance directe, par téléphone, à la création néologique ; rappel des matrices lexicogéniques de telle ou telle discipline, propositions de néologismes, recherche dans les banques de terminologie et autres sources ;
      • collecte et échange, par domaine de spécialité, des néologismes créés par les traducteurs qui participent à l’action ;
      • étude philologique, terminologique et socio-culturelle des néologismes ainsi récoltés.

Cette initiative s’intègre également dans un projet du RINT (Réseau International de Néologie et de Terminologie), qui a l’intention de mettre sur pied un réseau francophone d’échange de néologismes.

INTRODUCTION

Dans les différents domaines de la vie sociale, les usagers créent leurs termes au fur et à mesure de leurs besoins. Le lexique s’enrichit ainsi continuellement, notamment pour dénommer ou désigner de nouvelles réalités. Le traducteur sera donc souvent confronté à des problèmes terminologiques qu’il devra résoudre, le plus souvent par lui-même. Il rencontrera des termes dans la langue-source (LS) pour lesquels il n’existe pas encore d’équivalent dans la langue-cible (LC). Si l’on définit la néologie comme l’ensemble des techniques de formation de nouveaux termes, il s’occupera donc, si nécessaire, de néologie.

Néologie primaire et néologie traductive

On peut distinguer deux types de néologie : celle où la formation d’un nouveau terme, dans une langue précise, accompagne la formation d’un nouveau concept et celle où le terme existe déjà dans une langue et où un nouveau terme est créé dans une autre langue. La situation typique dans laquelle se déroule le premier processus est la situation de travail (le laboratoire de recherche, la fabrication de nouveaux produits, etc.). La situation typique de la deuxième forme de néologie est la traduction. Appelons la première forme néologie primaire et la deuxième néologie traductive.

La néologie traductive peut être le fait, sporadique ou plus ou moins systématique, d’instances chargées de terminologie. Ces instances proposent des équivalents pour des termes qui souvent circulent déjà dans la langue d’arrivée sous forme d’emprunts, de calques ou de termes jugés mal formés.

Cependant, la forme la plus ancienne et la plus naturelle de néologie traductive, c’est-à-dire la formation et l’introduction de nouveaux termes qui ont déjà un précédent linguistique, est la traduction, activité quotidienne des traducteurs de textes techniques et scientifiques. Ils sont les premiers à être confrontés aux nouveaux termes en LS et aux nouveaux concepts, pour lesquels lem métier les contraint à proposer un équivalent dans la LC.

Nous appelons donc “néologie” la création d’un nouveau terme par un traducteur et, pour la facilité de notre propos, “néologisme” un nouveau terme, proposé dans une traduction, tout en sachant qu’un néologisme n’existe réellement que si le terme entre dans tm certain usage, qui ne se réduit pas à une communication unique entre l’auteur du terme créé et ceux qui prennent connaissance du nouveau terme.

Les principes de la néologie traductive

La néologie traductive obéit en premier lieu aux principes mêmes de la traduction.

Un premier principe peut être formulé ainsi : on ne traduit pas une langue dans une autre langue (Ll>L2), mais une traduction rend un message exprimé dans la langue-source. Ceci a des conséquences pour la néologie traductive.

Le traducteur ne cherche pas systématiquement des équivalents pour tous les termes du texte à traduire (il ne traduit jamais mot à mot) ; il ne crée donc pas systématiquement des équivalents pour tous les termes qu’il rencontre et pour lesquels il n’existe pas d’équivalent dans la langue-cible. Il crée de nouveaux termes s’ils sont utiles pour la transmission correcte du message. Sa première obligation n’est pas l’équivalence des tennes, mais l’équivalence du message.

Dans le cas de la traduction par équivalence des termes, qui joue un rôle plus important dans la traduction spécialisée que dans la traduction de textes plus littéraires, le traducteur ne cherche pas d’emblée à traduire le terme. Il identifie la notion exprimée par le terme du texte de départ et réexprime ensuite la notion dans le texte traduit. La question qu’il se posera est donc celle-ci : quel est le terme dans la langue-cible dont le sens correspond exactement à la notion exprimée par le terme dans la langue-source ? L’adéquation, c’est-à-dire la qualité qu’a un terme de bien convenir à la notion qu’il exprime, dans le contexte précis du texte à traduire, est donc l’exigence principale.

Le traducteur aura la même attitude lorsque, dans le cas d’équivalents manquants, il doit combler les lacunes et proposer de nouveaux termes. Avant de passer par le prisme du système de la langue, le néologisme passe par le prisme du système notionnel, ce qui est d’ailleurs la meilleure façon de s’affranchir du terme utilisé dans la langue-source.

En s’attachant avant tout au référent, le traducteur sait qu’une réalité peut souvent être considérée et dénommée selon plusieurs facettes ou points de vue. Cette attitude lui permettra de créer de bons équivalents, des termes qui donnent une image aussi nette que possible du référent. La connaissance de l’univers notionnel du domaine, grâce à laquelle le traducteur appartient à la même conummauté de pensée que l’auteur et le lecteur, lui permettra de reconnaître plus facilement la fonction du néologisme dans la LS.

Un deuxième principe, d’ordre terminologique cette fois, valable pour toute traduction, est le respect des traditions pour la formation des termes dans le domaine de spécialité considéré. Chaque science, chaque discipline, chaque technique se définit par une terminologie particulière, structurée et conditionnée par la spécificité de son objet, de son point de vue et de ses finalités. Chaque discipline ne possède pas seulement son système notionnel propre, mais également ses matrices terminogéniques, qui lui font choisir de préférence certaines lois de construction des termes. Un nouveau terme n’est pas un objet isolé mais un élément d’un système plus ou moins structuré. Le traducteur professionnel expérimenté distingue ce qui est linguistique de ce qui est terminologique. Il sait qu’en terminologie, il y a peu d’équivalents établis. Les équivalents présentés dans les dictionnaires ne sont en fait que des possibilités auxquelles le traducteur est libre ou non de donner vie. On pourrait dire, paradoxalement, que le seul véritable terminologue est le traducteur.

Le troisième principe, enfin, relève du respect de la langue-cible. Dans ses créations de termes, le traducteur sera conservateur et suivra les voies tracées par la langue.

Les termes français se rattachent généralement à des éléments préexistants de la langue, permettant d’en saisir, ne fût-ce que superficiellement, la signification. Les termes sont souvent motivés : les raisons du choix de leur forme sont transparentes et au moins une partie des termes est immédiatement intelligible.

Les nouveaux termes doivent, à leur tour, offrir la possibilité d’engendrer des dérivés dans leur catégorie lexicale ou dans d’autres catégories lexicales. Ils doivent pouvoir s’intégrer dans des formations syntagmatiques futures.

Les différents procédés de formation des termes présentés dans ce vademecum permettent de créer des termes qui s’intègrent naturellement dans la langue.

Le vocabulaire de spécialité est formé sur la base des mêmes principes que les mots de la langue commune. Il est rare que des mots entièrement neufs voient le jour. Les nouveaux mots, et dans une proportion encore plus grande, les nouveaux termes, sont, généralement, des assemblages d’éléments existants.

Ainsi, ce guide répertorie-t-il les différents procédés de combinaison de matériaux lexicaux permettant la constitution de nouvelles unités lexicales. Ces procédés sont au nombre de neuf : la dérivation, la confixation, la composition, la formation syntagmatique, l’emprunt, l’abrègement, la néologie de sens, la création ex nihilo et l’éponymie.

1. DERIVATION

Les termes peuvent être dérivés d’autres termes par adjonction d’affixes, par conversion grammaticale ou, plus rarement, par suppression d’affixes.

1.1 Affixation

L’affixation consiste en l’agglutination d’éléments lexicaux, dont un au moins n’est pas susceptible d’emploi indépendant, en une forme unique. Les éléments d’un terme dérivé sont la racine et les affixes. La racine est la base à partir de laquelle sont dérivées les formes pourvues d’affixes (égal– pour le terme égalité, detect– pour le terme détecteur). Les affixes sont les éléments adjoints au radical. Ils sont appelés préfixes s’ils précèdent le radical (ex. renommer) et suffixes s’ils le suivent (ex. changement).

Voici quelques préfixes: a- (moral> amoral) ; an-, (ovulatoire > anovulatoire) ; dé- (calquage > décalquage) ; co- (efficient > coefficient) ; dis- (capacité > discapacité) ; é- (changer > échanger) ; in- (égalité > inégalité) ; mé-  content > mécontent), avec la variante mes- (entente > mésentente) ; pré- (établir > préétablir) ; re- (combiner > recombiner).

Un même préfixe peut avoir des significations différentes. Par exemple, le préfixe in- a un sens différent dans les termes insubmersible (qui ne peut pas être submergé) et infiltrer (pénétrer peu à peu). Les préfixes ne changent pas la catégorie lexicale du radical, contrairement aux suffixes.

On peut grouper les suffixes suivant les transformations lexicales qu’ils font subir aux mots auxquels ils s’attachent.

      1. Suffixes qui transforment les verbes en noms :
        Ils peuvent marquer l’action ou son résultat. Les principaux suffixes de cette catégorie sont les suivants : -ion (oxyder > oxydation) ; -age (empoter > empotage) ; -ment (dénombrer > dénombrement) ; -ure (couper > coupure) ; -is (semer > semis) ; -(a)nce (résonner > résonance) ; -ing (camper > camping) ; -at (alcool > alcoolat) ; -aison (incliner > inclinaison) ; -erie (pêcher > pêcherie). Ils peuvent désigner l’agent, humain ou non animé : -eur/-euse (employer > employeur/employeuse) ; -(at)eurl-atr)ice (calculer > calculateur/calculatrice) ; -oir (semer > semoir). Ce dernier suffixe peut désigner également un lieu ou un objet (présenter > présentoir) -oire (nager > nageoire).
      2. Suffixes qui transforment les adjectifs en noms :
        En voici quelques-uns : -eur (gros > grosseur) ; -ie (malade > maladie) ; -esse (gros > grossesse) ; -itude (exact > exactitude) ; -ise (franc > franchise) ; -té (sonore > sonorité) ; -(a)nce (résistant > résistance) ; -isme (bilingue > bilinguisme) ; -cité (critique > criticité).
      3. Suffixes qui transforment les noms ou les adjectifs en verbes :
        Le suffixe le plus utilisé est -er/-iser (gaz > gazer ; fertile > fertiliser). Cependant certains verbes créés par analogie ou non adoptent un autre suffixe (alunir, suivant l’exemple d’atterrir; blanc > blanchir, théâtral > théâtraliser). Une transformation du nom ou de l’adjectif en un verbe s’accompagne souvent de l’ajout d’un préfixe (froid > refroidir, mer > amerrir).
      4. Suffixes qui transforment des noms en adjectifs :
        -é (accident > accidenté) ; -u (feuille > feuillu) ; -(a)ble (carrosse > carrossable) ; -aire, forme savante du suffixe -ier (cession > cessionnaire) ; -el (institution > institutionnel) ; -uel (texte > textuel) ; -eux (granit > graniteux) ; -ien, utilisé pour créer des termes par antonomase (Freud > freudien) ; -if, utilisé surtout avec des noms en -tion (information > informatif) ; -in (cheval > chevalin) ; -ier (betterave -> betteravier) ; -ique, qui s’emploie surtout avec des noms qui finissent en -ie, ou en -tion (écologie > écologique) ; -iste (anarchie > anarchiste) ; -ais, sert à former des adjectifs toponymiques (Ecosse > écossais) ; -ois, qui crée aussi des toponymiques (Dole > dolois) ; de même que -ain (Amérique > américain) ; -an (Perse > persan) ; -éen (Méditerranée > méditerranéen).
      5. Suffixes qui transforment des verbes en adjectifs :
        On trouve dans cette catégorie les suffixes -(a)ble (programmer > programmable) ; ce suffixe présente la variante -ible (nuir > nuisible) ; -eur (détecter > détecteur).
      6. Suffixe qui transforme des verbes en adverbes :
        Le suffixe -ment (isoler > isolément).
      7. Suffixes qui ne changent pas la catégorie lexicale du terme source :
        Un certain nombre de suffixes ne changent pas la catégorie lexicale du radical : -(ijer, utilisé surtout pour dénommer des métiers (plomb > plombier), mais aussi pour former d’autres types de termes (chèque > chéquier) ; -ière (café > cafetière) ; -aire (disque > disquaire) ; -erie (chancelier > chancellerie) ; -iste, sert à désigner des “acteurs” (document > documentaliste) ; -ien, sert à dénommer des métiers, des activités (chirurgie > chirurgien) ; -ade (colonne > colonnade ) ; -at (professeur > professorat) ; -ure ( cheveu > chevelure) ; -aine (cent > centaine) ; -ance (induction > inductance) ; -ée (cactus > cactée), -eté (citoyen > citoyenneté), etc.

Un autre groupe important est celui des suffixes qui servent à changer le genre du nom, généralement du masculin au féminin. Dans le cas des noms de métiers, ils sont actuellement très productifs.

Les autres suffixes qui s’unissent à des adjectifs et à des verbes sans changer leur catégorie lexicale (augmentatifs, diminutifs, etc.) ont plutôt une valeur connotative, ce qui fait qu’ils ne sont pas productifs dans les langues de spécialité (LSP).

Un terme peut avoir plusieurs préfixes et/ou suffixes à la fois (ex. prédébourrement). Dans le cas des termes préfixés et suffixés on parle de dérivation parasynthétique.

1.2 Conversion grammaticale

La conversion grammaticale ou dérivation impropre (aussi appelée hypostase) est le processus par lequel une fonne peut passer d’une catégorie grammaticale à une autre sans modification formelle. Le terme ainsi créé est donc homonymique par rapport au terme d’origine, mais il acquiert des nuances sémantiques différentes de celui-ci.

Les différents types de conversion grammaticale sont :

      1. Passage d’un adjectif à un substantif :
        L’adjectif substantivé garde le genre du terme de base du syntagme (ex. en informatique, on dit un périphérique pour un élément périphérique). Il s’agit en fait d’une ellipse du noyau du syntagme (dans ce cas-ci élément) qui reste sous-entendu.
      2. Passage d’un substantif à un adjectif :
        Dans certains mots de type N+N, le noyau du syntagme est modifié par un autre nom qui agit comme adjectif (ex. dans le terme navire-hôpital, on peut considérer le nom hôpital comme un adjectif qualificatif du mot navire). Certains substantifs se transforment parfois en adjectifs à travers des procédés métaphoriques (un atout maître). Dans les créations récentes on peut citer les termes ARN satellite ou cellule hôte.
      3. Passage d’un verbe à un substantif :
        Ce type de dérivation consiste en la substantivation d’un infinitif. Elle permet de traduire le procès sous la forme la plus abstraite, sans détermination de l’agent du procès. On établit une opposition entre l’infinitif substantivé et la forme nominale, le premier terme étant réservé à la forme abstraite du procès et le deuxième à la forme plus concrète (le penser/ la pensée ; le parler/ la parole).
      4. Passage d’un verbe à un adjectif :
        Un participe présent est utilisé comme adjectif. Il s’agit d’une alternative à la dérivation, qui peut produire également le changement de catégorie grammaticale. En fait, -ant est devenu un véritable suffixe, qui peut servir à fabriquer des adjectifs ou des substantifs sans la médiation d’un verbe. Les adjectifs verbaux en -ant peuvent se substantiver.
      5. Passage d’un adjectif à un adverbe :
        L’adjectif perd sa faculté de variation en genre et en nombre et devient un adverbe (ex. parler net, filer doux…). Ce procédé est très utilisé dans le langage de la publicité mais peu dans la création néologique en terminologie.
      6. Changements verbaux :
        Un verbe peut acquérir une constrnction pronominale (s’accidenter) ; il peut devenir transitif ou intransitif (démarrer ; il a été démissionné) ; il peut prendre la catégorie de verbe auxiliaire (voir), etc. Ce phénomène est peu fréquent.
      7. Passage d’un nom propre à un nom commun :
        Ce type de changement affecte surtout les noms déposés qui, par le principe de la synecdoque (relation partie/tout), finissent par dénommer tous les objets d’une même catégorie : l’exemple le plus célèbre est celui du mot bic utilisé pour désigner tous les stylos à bille. Ce procédé est aussi très courant dans le jargon de certaines sciences et techniques : le terme aspirine, par exemple, est fréquemment employé pour tout médicament à base d’acide acétylsalicylique. Il arrive également qu’un nom déposé finisse par supplanter un terme plus complexe : téflon utlisé au lieu de polytétrafluoroéthylène et fréon au lieu de dichlorodifluorométhane.
1.3 Suppression d’affixes (Dérivation régressive)

La dérivation régressive consiste en la création d’une unité lexicale par réduction à la racine par la suppression d’affixes. Il s’agit d’un procédé peu utilisé. On le trouve dans le terme terminologue qui procède du terme terminologie.

Pour qu’il y ait une dérivation de ce type, il faut que le terme affixé ait été créé avant le terme non affixé. (ex. le terme évaluation n’a pas été créé par dérivation régressive à partir du terme réévaluation ; le second a été créé par dérivation à partir du premier).

La suppression d’affixes de catégorie grammaticale se produit dans le cas du passage d’un verbe à un nom (ajouter-> ajout ; apporter-> apport, etc.) Ce processus est apparenté à la dérivation impropre.

Conseil :

La dérivation est un procédé très productif dans les LSP. Les termes dérivés sont à la fois brefs, précis et constituent une hiérarchie motivée. Utilisez l’affixation pour la restriction du sens d’un mot. Il est plus facile de dériver un terme à partir d’un substantif que d’un adjectif ou un verbe.

Attention :

Les différentes langues ne connaissent pas les mêmes suffixes et il arrive que les mêmes suffixes ne désignent pas la même notion. ( ex. Mycosis est le terme générique employé en anglais pour dénommer toutes les affections parasitaires provoquées par des champignons, tandis que mycose en français désigne les maladies à excroissances ou tumeurs fongueuses de la peau).

Les terminaisons adjectivales doivent souvent être traduites différemment. Exemple: Le suffixe anglais -al peut être traduit en français par une dizaine de formes différentes :

      • -ai-aire > embryonal / embryonnaire
      • -al(e) > renal / rénal ; cervical / cervical(e)
      • -ienïne) > retinal / rétinien
      • -ifère > seminal / séminifère
      • -atif -ative > germinal / germinatif
      • -e > mediastinal / médiastine
      • -éïe) > sacral / sacré
      • -éal > subungual / sous-unguéal
      • -inïe) > palatal / palatin
      • -eux, -euse > scarlatinal / scarlatineux
      • -ue > vagal / vague
      • -onnier > mental/ mentonnier
      • -ulaire > appendical / appendiculaire
      • -ique >limbal / limbique

On dit artère coronaire mais maladie coronarienne ; calcul urinaire mais abcès urineux. Donnez votre préférence à des affixes plus longs (-iser au lieu de -er).

2. CONFIXATION

La confixation consiste en la composition de termes à partir de radicaux liés (appelés confixes ou formants), constitués de racines grecques ou latines liées n’ayant pas à proprement parler le statut de mot. Ces formants se soudent pour donner, avec ou sans affixes, des mots confixés (hydrogène, gyroscope, biosphère, agronomie). La confixation est un processus productif, comme en témoigne la liste des termes normalisés : hectographie, hexachlorobenzène, hostogramme, homopolymère, etc.

2.1 Caractéristiques

Voici quelques caractéristiques des mots confixés :

      • Le formant qui détermine doit précéder le formant déterminé : dans le terme épigraphie, le formant modificateur épi– est placé devant le formant régissant –graphie.
      • On ne peut généralement pas renverser l’ordre des éléments de composition quand il existe un rapport de détermination entre les éléments (philatéliste, bibliophile, philologue-logophile).
      • Un terme peut être composé de plusieurs fonnants à la fois (ex. lévoangiocardiogramme).
      • Un même formant peut être antérieur, postérieur ou être placé au milieu du terme (anthropologie, philanthropie, misanthrope).
      • Les formants antérieurs se terminent par une voyelle si le confixe postérieur commence par une consonne. Autrement, on élide la voyelle du premier (amphithéâtre, mais amphotère).
      • La voyelle de liaison est généralement o dans le cas des formants d’origine grecque (électromotricité) et i dans le cas des formants d’origine latine (fébrifuge).
      • On ne met pas de voyelle de liaison quand le premier élément est une préposition dans la langue d’origine (permutation).
      • Un formant peut avoir des variantes graphiques autres que celle de la voyelle de liaison (neurone, mais névralgie). Ils peuvent présenter, par exemple une alternance vocalique, c’est-à-dire une variation de voyelle (capacité, récupérer, municipalité).
      • Pour une même notion, on trouve parfois en concurrence un formant latin et une formant grec (anthropomorphe, hominidé).
      • De même, il peut y avoir plusieurs fonnants pour dénommer un même concept ( ex. vagin se dit en grec kolpos, elutron et koléos qui ont donné respectivement en français colpocèle, élytrotomie et koléoptose).
      • Un terme peut présenter deux fois le même formant (mélomèle).
2.2 Combinaisons hybrides

Les terminologues et les comités de normalisation préfèrent recourir à des confixes homogènes et refusent en général les combinaisons hybrides du type latin + grec (ex. sérologie, altimètre, ovoïdal, spectroscope), grec + latin (hexadécimal, hydrocarbure, automation, aéroducteur) ou classique + moderne (bicyclette, hydronef, aéronavigable).

Conseil :

La confixation est un procédé très productif dans la plupart des langues occidentales. Elle contribue aussi à l’unification internationale de la terminologie. Les termes formés par confixation sont courts et faciles à mémoriser. Si la signification du formant est connue, ce qui est souvent le cas, les termes sont motivés. La majorité des néologismes en médecine et en
biologie sont des confixes.

Attention :

Les formants grecs sont souvent assortis de suffixes latins : polytechnique, pétrification, désoxyribonucléique, ou vice-versa, un formant latin peut être suivi d’autres formants grecs : alvéolite, chimiothérapie, lacrymogène, cellulite. On trouve également des combinaisons avec des composants modernes : visiophonie, extensomètre, télécopie, kleptomanie, syntoniseur, électrochoc, radiodiffusion.

Certains formants ont des variantes, qui ne sont pas toujours équivalentes :

      • CEREBRO :
        cérébro- cérébro-spinal, hémisphères cérébraux ;
        céphalo- céphalo-rachidien ; céphalopodes
        encéphalo- encéphalographie
      • CHEMO :
        chémo- chémosensibilité
        chimio- chimiothérapie
      • NEURO :
        neur( o )- neuroleptique
        névr( o )- névroptères
      • OOPHORO :
        oophor(o)- oophoropexie
        ovari( o )- ovariopathie
      • PROCTO :
        procto- proctologie
        recto- rectoscopie

Les formants n’ont pas toujours la même forme :

      1. Changements orthographiques : apocope, addition ou suppression d’une voyelle ou d’une consonne d’appui.
        Exemple :
        cupri- / cupro
        olé(i)- / olé( o )-
        phreno- / phrénico
        zygomato- / zygomatico
      2. Permutation des éléments quand l’ordre déterminant-déterminé ne correspond pas avec celui de la langue source (si l’on veut éviter un calque non-nécessaire) :
        Exemple :
        nasolacryntal / lacrymonasal
        cardioneural / neuro-cardiaque
        tibiofibular / péronéo-tibial
        vesicouterine / utéro-vésical
      3. Modulation d’un élément :
        Exemple :
        brachial / huméral
        pharyngo / glosso
        femoral / crural

Un même préfixe peut être traduit différemment et engendrer des doublets :

circum- > circon- / péri
contra- > contra-/ contro- / contre
dis- > dis-/ dés-/ ex
hyper- > hyper- /ana-/ oxy- / poly- /super-/ sur
hypo- > hypo- / infra- / sous- / sub- / a
intra- > intra- / endo- / inter-

Les préfixes ou suffixes sont sujets à des changements phonétiques / orthographiques pour des raisons d’euphonie. Ainsi, la voyelle o disparaît parfois devant une autre voyelle : megaloencephalon > mégalencéphalie. On peut insérer des lettres d’appui pour faciliter la prononciation : méga(l)opsie.

Certains préfixes subissent une apocope ou une contraction : meg(a)- par(a)-

3. COMPOSITION

La composition consiste en l’union de deux ou plusieurs mots constitutifs qui conservent leur forme complète pour donner une unité lexicale neuve (donnée-image, sous-armé, eau-de-vie, hautbois…). Le mot composé peut être soudé (alcoolépilepsie) ou bien lié par un trait d’union entre les constituants (bulbo-cavemeux).

Une voyelle de liaison, généralement le o a pour fonction d’unir les composantes de l’adjectif composé qui se présentent normalement en relation de coordination (technico-industriel, euro-américain, socio-culturel). Les termes ainsi construits constituent un cas intermédiaire entre confixation et composition.

3.1 Structure

La structure d’un terme composé est normalement celle d’un élément déterminé par un ou plusieurs éléments déterminants (dans le terme bloc-cylindres, par exemple, le mot bloc est déterminé par le mot cylindres). La relation entre les éléments (notamment dans le cas des substantifs) peut être également une relation de coordination (déclencheur-limiteur, contacteur-disjoncteur). Les substantifs s’accordent alors en nombre et sont souvent joints par un trait d’union. Le premier élément peut être considéré comme prédominant, puisqu’il donne son genre à l’ensemble, mais cette prédominance est très réduite du point de vue sémantique, notamment dans le cas de la désignation d’une réalité “hybride” (par exemple, le terme bar-hôtel, qui n’est vraiment ni un bar ni un hôtel).

Une construction syntaxique peut recouvrir différents rapports notionnels. Ressort-soupape pourrait signifier aussi bien ressort pour soupape que ressort avec soupape. De même, tm même rapport notionnel peut s’exprimer sous des formes syntaxiques différentes.

L’ordre déterminé + déterminant est propre au français bien qu’on puisse trouver également l’ordre inverse notamment dans des formations d’origine étrangère (doparéaction, radium-thérapie, lysat-vaccin), dans les confixes et les calques.

Le groupe déterminé + déterminant est créé par substitution d’un trait d’union ou d’une voyelle de liaison au joncteur.

Le groupe déterminant + déterminé, quoique non naturel au français, connaît un certain succès à cause de l’influence de l’anglais. Le déterminant a une valeur quasi adjectivale. Ainsi, le terme auto-école, peut être interprété comme une école “qui a rapport à l’automobile”.

3.2 Combinaisons courantes

Les combinaisons les plus courantes sont :

      • N + N (transmission-radio, bloc-cylindres, wagon-citerne). Ce type de formation établit des rapports soit de coordination (ex. président-directeur), soit de subordination (image-radar) ;
      • V + N (pose-tube, essuie-glace, lance-torpilles). Le nom a souvent la fonction de complément direct. Ce type de composition peut être utilisé comme adjectif (ex. une galerie paraneiges) ou comme substantif (ex. un cache-radiateur) ;
      • Adj + Adj (sourd-muet, gris-bleu, aigre-doux). Ces composés sont produits par ellipse du joncteur ;
      • Adj + N (gros-porteur, haut-parleur) ; (l’adjectif s’accorde en genre et en nombre avec le terme de base) ;
      • N + Prép + N (rez-de-chaussée, main-d’oeuvre). Ce type de formation est à mi-chemin entre la composition et la formation syntagmatique, car ces unités peuvent être considérées comme un syntagme soudé.
3.3 Variantes

Il existe un type de formation intermédiaire entre la dérivation et la composition : la formation à l’aide de morphèmes grammaticaux autonomes antérieurs tels qu’après, demi, non et sous dont la forme et la fonction les situent entre mot et préfixe (sous-ensemble).

Il existe également un type de formation intermédiaire entre la confixation et la composition. On peut réunir en un faux composé un confixe (lié) et un mot (libre). ex. téléguidage, télépéage. Ce type de formation est assez courant.

Conseil :

Les termes composés sont en général assez brefs (souvent deux mots), motivés et sans précision excessive.

Attention :

Respectez la syntaxe du français : le nom déterminé vient avant le complément ou l’adjectif déterminant :

image-ratio (ratio image)
image-satellite (satellite picture)
chèque-voyage (traveller’s check)
couvre-bec (mouthpiece cap)

Utilisez le trait d’union (couper-coller, presse-papier, audio-prothèse, aide-ouïe intra-auriculaire).

4. FORMATION SYNTAGMATIQUE

Un syntagme est un groupe d’éléments formant une unité de sens dans une organisation hiérarchisée. Ce nouveau terme a des propriétés dénominatives différentes de celles des éléments qui le composent.

Le degré de lexicalisation d’un syntagme se situe dans un continuum dont les deux pôles sont la lexicalisation complète et le syntagme libre. Le terme-syntagme a un répertoire restreint de mots faibles (conjonctions, articles, pronoms, verbes auxiliaires). Son étendue est plus limitée que celle des syntagmes libres. A cet égard un syntagme lexicalisé ne peut pas franchir un certain seuil s’il veut rester fonctionnel dans la communication. De même, il doit pouvoir s’intégrer sans difficulté dans des textes spécialisés.

Les critères de lexicalisation sont : l’existence d’une définition spécialisée, la position dans le système terminologique donné, la maniabilité, la récurrence et la cohésion syntaxique. Il n’est, par exemple, pas possible d’étendre le complément en ajoutant un nouvel élément sans briser le sens du syntagme original (gaz très inerte n’aurait pas le même sens que gaz inerte).

4.1 Structure

La structure des termes-syntagmes est toujours la même : le noyau, qui peut être un substantif, un verbe, un adjectif ou un adverbe, est modifié par un ou plusieurs éléments (le complément) : de(s) nom(s), adjectif(s) ou un ou plusieurs syntagmes prépositionnels ou nominaux.

4.2 Combinaisons courantes

Les formules les plus productives sont les suivantes :

      • N + Adj, appelé syntagme épythétique (hélice carénée, chaine pyrotechnique, charge utile) ;
      • N + N, appelé aussi syntagme asyndétique (plan média, point zéro, fréquence vidéo) ;
      • N + Prép + N (chambre de combustion, arrêt d’urgence, barre de contrôle, fermeture à glissière) ;
      • N + Adj + Adj (couverture fertile interne, séquences répétées directes, munition chimique binaire) ;
      • N + Adj + Prép + N (épaisseur réduite d’ozone, distance proximale au sol, plasmide hybride de résistance).

Il y a une nette prépondérance des termes-syntagmes nominaux.

Dans les syntagmes verbaux, le verbe est normalement suivi d’un objet direct ou d’un complément circonstanciel, l’un et l’autre pourvus d’un article (fondre au noir).

En français, on construit surtout des syntagmes épithétiques et des syntagmes avec joncteur, aussi appelés synapses, du type réacteur à eau lourde.

A l’intérieur d’un terme-syntagme, on peut établir des rapports hiérarchiques de type syntaxique. Par exemple, dans un syntagme nominal subordinatif, le noyau est constitué d’un nom modifié par un adjectif, un syntagme prépositionnel, un syntagme nominal ou une combinaison des précédents. Ainsi, dans le terme réacteur à neutrons rapides, le noyau réacteur se voit modifié par le syntagme prépositionnel à neutrons rapides.

L’extrême flexibilité paradigmatique fait du syntagme nominal un excellent
instrument en terminologie. Un grand nombre de néologismes est construit de cette manière (cellule à haute pression à enclumes de diamants, angioplastie transluminale, archéologie sociale, polymérisation par transfert de groupe).

Conseil :

Procédé très productif en sciences et en techniques. Les termes-syntagmes sont faciles à comprendre.

Attention :

Les termes-syntagmes ne doivent pas être trop longs. Utilisez éventuellement l’abrègement.

Les termes-syntagmes de la langue-source peuvent souvent être traduits comme tels, mais tenez compte des règles grammaticales de la langue d’arrivée :

coal-fired fumace > chaudière à charbon
air-operated ejector > éjecteur à air
pressure type terminais > bornes à pression

Ou bien cherchez des termes équivalents dans la langue d’arrivée :

growth of germs > prolifération microbienne
retaining wall > mur de soutènement
crossing sweeper > balayeur de rues

5. EMPRUNT

Il y a emprunt quand une langue A utilise et finit par intégrer une unité linguistique qui existait précédemment dans une langue B et que A ne possédait pas ; l’unité empruntée est elle-même appelée emprunt. Le terme peut être emprunté avec ou sans adaptation phonique ou graphique. On distingue l’emprunt direct, l’emprunt intégré et le calque.

5.1 Emprunt direct

L’emprunt direct consiste en l’introduction d’un mot d’une autre langue sans modification. Un terme emprunté ne garde pas toujours sa signification originelle. Drugstore, par exemple, ne recouvre pas les mêmes réalités aux Etats-Unis et en France.

L’emprunt peut avoir des synonymes : cabine de pilotage / cockpit ; liste de vérification / check-list ; aérofrein / spoiler ; volet de bord d’attaque / slat.

Dans le cas de termes-syntagmes ou de mots composés, il peut exister des emprunts partiels (ex. bande-vidéo).

5.2 Emprunt intégré

L’intégration d’un emprunt se fait par adaptation lexico-morphologique, graphique ou phonique complète ou partielle (le radical du terme ne change généralement pas tandis que les affixes sont adaptés (containeur, listage). Le suffixe anglais -ing est très souvent substitué par le suffixe -age, (dopage, doping), -er est substitué par -eur (hydrocraker > hydrocraqueur).

5.3 Calque

Le calque est un type d’emprunt particulier : ce n’est pas le terme de la langue-source qui est conservé, mais bien sa signification qui est transférée, sous forme traduite et à l’aide de mots existants, dans la langue-cible (ex. steam engine, machine à vapeur).

Conseil :

L’emprunt se justifie quand le terme est précis dans la langue-source, quand il est court, quand il est en usage dans une communauté internationale. Le fait qu’il soit facile à prononcer est un atout. Quand il s’agit d’une terminologie spécialisée, l’intégration graphique n’est pas nécessaire.

Attention :

Vous pouvez expliquer ou paraphraser un emprunt. Tout dépend de votre public-cible. Il convient d’éviter l’abus des calques, tel que, par exemple, thérapie occupationnelle pour traduire occupational therapy, alors qu’il existe en français le mot confixé ergothérapie.

6. ABREGEMENT

L’abrègement consiste en la suppression d’un certain nombre d’éléments (quelques lettres, des syllabes, quelques mots…) d’un terme. Le procédé est fort répandu dans les sciences et les techniques. Il existe trois types essentiels d’abrègement : la troncation, l’acronymie et la siglaison.

6.1 Troncation

La troncation consiste en la formation de nouveaux termes par la réduction à une syllabe de plus de deux phonèmes d’un mot source. Il existe trois types de troncation: l’aphérèse, la syncope et l’apocope.

L’aphérèse est la suppression de la partie initiale d’un mot (autobus -> bus). Ce procédé est rare dans les langues de spécialité. La syncope est la suppression d’une ou plusieurs lettres de la partie médiane d’un mot. Elle se rapporte le plus souvent à des mots composés contenant plusieurs radicaux qui font que le mot est trop long. (alcoolomètre >alcoomètre). L’apocope est la suppression de la partie finale d’un mot. C’est une méthode souvent utilisée pour abréger les unités de mesure (ex. radiation -> rad, kilo(gramme)). Les apocopes étant employées au pluriel reçoivent la terminaison correspondante, ce qui démontre leur fonctionnement autonome.

6.2 Acronymie

L’acronymie consiste en la formation de termes à partir de plusieurs autres termes, dont on utilise des éléments (transpondeur > transmetteur +répondeur). Les éléments peuvent être :

      1. une apocope et une aphérèse : gravicélération (gravitation + accélération), aldol (aldéhyde+ alcool) ;
      2. deux apocopes : modem (modulateur + démodulateur), aldéhyde (alcool + dehydrogenatum) ;
      3. deux aphérèses : nylon (vinyl + coton) ;
      4. une apocope : publipostage (publicité + postage), musicassette (musique + cassette) ;
      5. une aphérèse : bureautique (bureau + informatique), vidéophone (vidéo + téléphone) ;
      6. une apocope et une syncope : amatol (ammonium nitrate + trinitoluène).
6.3 Siglaison

La siglaison consiste en la création d’un nouveau terme à partir de certaines lettres d’un terme de base (souvent un syntagme). Les sigles peuvent faire partie d’un syntagme lexical (ADN hyperhélicoïdal). Les sigles sont souvent polysémiques. Par exemple, dans le domaine de l’environnement, le sigle TOMS peut se référer à Total Ozone Monitoring Spectrometer, Total Ozone Monitoring System, Total Ozone Mapping Spectrometer et Total Ozone Mapping System.

Si on consulte un dictionnaire de sigles, on s’aperçoit rapidement qu’il n’y a pas de règles de formation précises en ce qui concerne la siglaison :

      • On peut prendre seulement les mots forts du syntagme (Organisation des Nations Unies -> ONU) ou les mots forts et les mots faibles (Société à Responsabilité Limitée-> SARL) ;
      • On peut prendre seulement la première lettre des mots qui composent le syntagme (Habitation à Loyer Modéré-> HLM) ou quelques lettres (Association Française de Normalisation -> AFNOR) ou les syllabes initiales de chaque mot (Belgique-Nederland-Luxembourg -> BENELUX).
      • Les nouveaux termes peuvent se référer à des termes syntagmes (Aliments végétaux imitant la viande -> AVIV) ou à des termes composés (magnétohydrodynamique -> MHD, électrosplanchnographie -> ESG).
      • Souvent, les termes à plusieurs composants se trouvent réduits en des sigles qui ne représentent pas la totalité de leurs composants (Action dynamique spécifique des aliments -> ADS).

Les sigles peuvent paraître dans le texte avec ou sans points. L’absence de ponctuation peut être indicative du degré de lexicalisation. Le genre des tennes créés par siglaison est, en général, celui de la base générique du syntagme principal sous-jacent (on dit une LSP parce que la base générique est langue). Un grand nombre de sigles, symbolisant des concepts spécialisés, sont commandés par l’ordre syntaxique anglo-américain. Les sigles qui se prononcent comme s’il s’agissait d’un mot sont bien intégrés dans le système phonique. Ce phénomène favorise la création de dérivés et, par conséquent, la lexicalisation.

Conseil :

La brièveté est, cela va de soi, l’atout principal de ces termes. Les sigles peuvent se combiner avec des termes-syntagmes : ADN polymérase, ARN nucléaire de grande taille.

Certains sigles internationaux ne sont pas traduits :

ASCII (American Standard Code for Information Interchange)
DOS (Disk Operating System)
SONAR (Sound NAvigation Ranging)

Traduisez de préférence un sigle par un sigle (quitte à l’expliquer), mais respectez la syntaxe de la langue d’arrivée. Ne dépassez pas 5 lettres. Le terme produit doit pouvoir être prononcé facilement.

7. NEOLOGIE DE SENS

La néologie de sens consiste à employer un signifiant existant déjà dans la langue considérée et à lui conférer un contenu qu’il n’avait pas jusqu’alors. La relation établie entre le terme existant et le terme nouveau est normalement de type métaphorique, qu’il s’agisse d’un trope proprement dit ou d’un emprunt de sens.

7.1 Tropes

Ce procédé de formation consiste à donner un nouveau sens à un terme existant à travers l’établissement de rapports d’analogie : on fait abstraction de certains traits significatifs du terme existant et on les “transporte“, en ajoutant les nouveaux traits qui fourniront un nouveau signifié tout en neutralisant les traits qui ne conviennent pas à la nouvelle dénomination. La métaphorisation peut être appliquée à un terme simple ou à un terme-syntagme.

La différence entre la métaphore et la métonymie réside dans le fait qu’il s’agit d’un rapport de contiguïté dans le cas de la métonymie ou la synecdoque et qu’un rapport de similitude dans le cas de la métaphore. Le terme famille de gènes, par exemple, qui désigne l'”ensemble de gènes ayant de grandes ressemblances fonctionnelles et structurelles,” a été créé par métaphore à partir du mot famille dont un des traits sémantiques est celui de la ressemblance entre les personnes qui la forment. C’est un rapport de similitude. Dans le cas du terme antenne appliqué à une émission de radio, on a un rapport de contiguïté avec l’appareil qui sert à diffuser les ondes. On
parle de métonymie quand on établit des relations de type :

      • cause-effet (le mot émission désigne l’action de diffuser à distance et le résultat de cette action),
      • contenant-contenu (le terme aérosol peut désigner le liquide projeté sous pression, le jet lui-même, l’appareil servant à produire ce jet encore le liquide présent dans le récipient diffuseur),
      • activité-résultat (le terme terminologie peut faire référence aussi bien à l’activité de recherche et d’étude du vocabulaire scientifique et technique qu’aux produits résultant de cette activité : les dictionnaires spécialisés ou les bases de données terminologiques),
      • abstrait-concret (le terme tribune désigne à la fois le lieu physique où l’on exprime des idées et un genre d’émission où le public peut exprimer ses vues par téléphone).

Ce processus de création est lié à un autre trope: la synecdoque, qui consiste à établir un rapport partie/tout (ou relation d’inclusion) entre le néologisme et le mot de base.

7.2 Emprunt de sens

L’emprunt de sens est un calque sémantique: le sens du mot dans la langue A est repris dans le mot de la langue B. Un néologisme créé par métaphore, métonymie ou synecdoque peut être traduit en utilisant le même processus.

7.3 Changement de sens

Il arrive aussi qu’un mot reçoive une signification entièrement nouvelle lors du passage d’une LSP à une autre ou lors du passage de la langue commune à une LSP. Le passage d’un terme d’une LSP à une autre LSP se produit fréquemment dans le cas de domaines apparentés. Il s’agit généralement d’une modification partielle du sens premier et non pas d’un changement complet. Le vocabulaire des mathématiques a, par exemple, prêté de nombreux termes aux informaticiens : aléatoire, algorithme, interpolation, matrice… Dans tous ces cas, le terme conserve dans sa nouvelle acception des traits sémantiques de son champ lexical d’origine et en acquiert d’autres de celui où il entre.

Quand les domaines ne sont pas apparentés, la signification du terme peut changer entièrement. Le mot divergence est employé en mathématiques ou en physique pour décrire une situation où deux lignes ou deux rayons vont en s’écartant. La divergence nucléaire est l’établissement de la réaction en chaîne dans un réacteur. Le passage d’un mot de la langue commune à une LSP se produit surtout à travers les tropes. Le mot prend alors un sens plus restreint. Ainsi le mot autonome a plusieurs significations mais en informatique, il signifie “matériel fonctionnant de façon indépendante“.

Conseil :

Procédé productif en LSP. Les termes sont souvent motivés. Les métaphores, qui prédominent par rapport aux autres tropes, introduisent parfois un élément ludique et sont de ce fait accueillies favorablement.

Attention :

L’emprunt de sens ou le calque sémantique est condamné par certains, bien que les linguistes nous assurent qu’il ne porte pas atteinte à la langue. Pour les tropes: utilisez la même métaphore ou cherchez une métaphore analogue.

8. CREATION EX NIHILO

La création ex nihilo consiste en la combinaison libre d’unités phonétiques choisies de façon arbitraire. Toute combinaison de phonèmes est théoriquement susceptible d’acquérir une signification. Le terme babar, qui dénomme dans le vocabulaire de la technique nucléaire un moniteur, a été créé ainsi. Dans l’industrie certains noms de marques déposées ont été créés de cette façon.

Une variante de ce type de formation est la création ludique. Le terme anglais cotarnine (ou cotarnin) est l’anagramme de narcotine (la cotarnine étant obterme par oxydation de la narcotine) ; l’acide contenu dans la noix de galle est connu sous le nom d’acide ellagique (adjectif ayant été formé sur la base de l’inversion).

Une autre variante est celle des termes formés par onomatopée (le bang des avions à réaction, qui dénomme la percussion du mur du son, ou de l’emprunt anglais big bang, qui dénomme l’explosion qui donna lieu à l’univers connu).

Conseil :

Procédé rare en traduction. Importez directement les néologismes ainsi créés et ajoutez une explication, si nécessaire.

9. EPONYMIE

L’éponymie est la création néologique qui consiste à dénommer un nouveau concept par un nom propre, un éponyme (le nom d’un inventeur, un toponyme, etc.) En chimie, un certain nombre d’éléments portent le nom de dieux classiques (plutonium, neptunium, uranium…) ou bien font référence à des personnes ou à des institutions connues (l’élément 99 est aussi connu sous le nom d’einsteinium, en souvenir d’Einstein, et l’élément 98 est appelé également californium en hommage à l’Université de Californie où en avait fait la découverte).

L’éponyme est parfois utilisé pour remplacer une expression descriptive d’une longueur incommode. On dit plus facilement maladie de Pick-Herxheimer que pachydermie plicaturée avec pachypériostose de la face et des extrémités.  L’éponyme est parfois en concurrence synonymique avec un autre terme. Ainsi, l’espace de Kauth-Thotnas est aussi appelé espace indiciel, l’indice de Tucker est également connu sous le nom d’indice de végétation, etc. Les éponymes varient d’un pays à l’autre : les auteurs anglais appellent syndrome de Homer le syndrome Claude Bernard-Homer des Français, mais dénomment syndrome de Claude Bernard le syndrome d’excitation du même sympathique appelé en France syndrome de Pourfour du Petit. Les éponymes peuvent être polysémiques. Le terme syndrome d’Albright dénomme soit une tubulopathie congénitale (l’acidose tubulaire chronique idiopathique avec hypercalciurie et hypocitraurie) soit une dysplasie fibreuse des os avec pigmentation cutanée et puberté précoce.

Les noms propres sont parfois employés comme adjectifs. (agathonique, kafkaïen, cartésien…) ou pour dénommer les membres d’une école de pensée ou d’un mouvement politique (épicurien, kantien, gaulliste…). Ce type de création néologique est aussi appelé antonomase. Un nom propre peut également s’unir à un formant savant (ex. chlorobrightisme, nom formé à partir de l’éponyme Bright ou curiethérapie, formé à partir du nom propre Curie).

Conseil :

Ce n’est pas aux traducteurs d’inventer des éponymes. Demandez conseil aux spécialistes du domaine. Ils vous donneront, en l’absence d’un éponyme correspondant, un synonyme.

Attention :

Un même éponyme peut parfois désigner des notions différentes : syndrome d’Albright dénomme soit une tubulopathie congénitale, l’acidose tubulaire chronique idiopathique avec hypercalciurie et hypocitraturie, soit une dysplasie fibreuse des os avec pigmentation cutanée et puberté précoce. Même si l’éponyme semble identique dans deux langues, il peut correspondre à des concepts tout à fait différents.


Quelques affixes et radicaux

a-, an- : non, sans
ab-, abs- : de, hors
ad-: vers
aéro-: air
agro-, agri- : champ
amb- : les deux
anté- : avant
anti- : contre
apo- : loin de, à partir de
haro- : poids
bary- : lourd
bathy- : profond
bi-, bis: deux fois
bio-: vie
calci-, calcio: chaux
calori- : chaleur
centi- : cent
circon-, circum- : autour de
co-, con- : avec
cryo- : froid, glace
cyclo- : cercle
déci-: dix
di- : deux fois
dia- : à travers
dis-: éloigné
dynamo- : force
épi- : sur
ex-: hors de
exa-: six
exo-, ex- : au dehors
géo-: terre
giga- : géant
gonio- : angle
gyro- : cercle
hecto- : cent
hém(at)o- : sang
hepta- : sept
holo- : entier
homéo- : semblable
homo- : le même
hydro-: eau
hygro- : humide
hyper- : au-dessus
hypo- : dessous
hypso- : hauteur
in-: dans
infra- : au-dessous
inter- : entre
intra-: à l’intérieur
isc-: égal
kilo-: mille
macro- : grand
maxi-: maximum
méga- : grand
méro- : partie
méta- : au-delà
micro- : petit
milli-: mille
mini-: minimum
mono-: seul
moto- : moteur
multi- : nombreux
nano- : nain, petit
octo-, octa-, oct- : huit
ornni-: tout
ortho- : droit
pan-, panto- : tout
para- : à côté de
para- : protégeant
penta- : cinq
per- : à travers
péri- : autour de, au dessus
pétro- : pierre
phono- : voix , son
photo- : lumière
pico- : un millième de
milliardième de
pluri- : plusieurs
poly- : nombreux
post- : après
pro- : pour, en avant de
proto-, prot- : premier
pseudo- : menteur
pyro-: feu
quadri-, quadr- : quatre
radio- : rayon
rétro- : en arrière
servo- : qui sert
sidér-, sidéro- : fer
stéréo- : compact, solide
sub-: sous
super- : sur, au-dessus
supra- : au-dessus, au-delà
syn-, sy-, sym- : avec
techno- : art
télé- : loin, à distance
téra- : monstre
tetra, tétr- : quatre
thermo- : chaud
topo-: lieu
trans- : par-delà
tri- : trois
ultra- : au-delà
uni-, un-: un
-chrome : couleur
-chrone : temps
– cide: tuer
-cole : cultiver
-colore : couleur
-culteur : cultivateur
-ergie : travail
-fère : qui porte
-fuge : fuire
-gène : produire
-gone : angle, côté
-gramme : écriture
-graphie : écrire
-ide(s) : apparence, forme
-logie : discours, théorie
-rnétr: mesure
-morphe : forme
-nôme: nom
-nome: loi
-ode : chemin
-oïde : apparence, forme
-onyme: nom
-phile : ami, aimer
-phobe : craindre
-phone : voix, parler
-scope : observer
-sphère : sphère
-stat : fixer
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[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : Réseau de néologie traductive – Centre de terminologie de Bruxelles (RINT) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DP.


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MERTENS, Pierre (1939-2025) : textes

Temps de lecture : 7 minutes >
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[BIBLIOTECA] Pierre Mertens est juriste et spécialiste en droit international ; à ce titre il a joué depuis 1967 un rôle d ‘observateur aux points chauds du monde. Il est également chroniqueur au journal Le Soir. Dans ses romans (L’Inde ou l’Amérique, 1969 ; La Fête des anciens, 1971 ; Les Bons Offices, 1974 ; Terre d’asile, 1978 et surtout Les Éblouissements, Prix Médicis 1987), il poursuit une réflexion sur les différents types d’exils auxquels condamnent les idéologies contemporaines comme sur les douloureux rapports entre humains. À la fois engagée et désabusée, l’œuvre est une de celles qui a le plus incité les écrivains et intellectuels francophones de Belgique à rechercher une nouvelle définition de leur rapport à la société. On doit aussi à Mertens, qui joue sur un clavier très large, des nouvelles, des dramatiques de télévision, une pièce de théâtre et un livret d’opéra.


Les pierres

Le poète et médecin Gottfried Benn erre dans le Berlin de 1946.

Un soir qu’il rentre chez lui, à Schoneberg, mais qu’à cause d’une insolite, d’une inédite douceur de l’air, il s’attarde un peu du côté de la Westfalischestrasse, il entend des voix, toutes proches, s’élever des ruines. Il s’arrête un instant. Un homme et une femme débattent mezza voce un problème domestique : l’emploi du temps de celui-là, l’usage que fait l’autre de l’argent du ménage, l’éducation qu’il conviendra de donner à leur enfant. Le badaud voudrait se remettre en marche, pour s’éloigner de ce couple qu’il a surpris dans son intimité. Mais quelque chose le retient, qui le déconcerte. Que, pour entendre cette conversation, il n’ait pas dû forcer ni même ouvrir une porte… Que cela se soit passé à ciel ouvert. Il lève la tête.

Au premier étage d’un immeuble dont la façade a été soufflée, un homme et une femme sont bien assis l’un en face de l’autre. Comme si de rien n’était. Ils sont seuls au monde. Ils ne se sont pas encore aperçus que le mur qui les séparait de la rue a disparu. Ou bien ils en ont depuis très longtemps fait leur deuil. Cela pourrait se passer en Sicile, un jour où le volcan menaçait d’entrer en éruption : les gens seraient bien forcés de poursuivre en plein air, sur la piazzetta sonore, les querelles engagées dans l’ombre des maisons…

Du reste, observe le promeneur, même ici l’été reviendra. Mais voici qu’il panique : de quel été s’agira-t-il, en quelle année ? Un vertige le saisit. Souvenirs et saisons s’intervertissent, ou se confondent, puisque tous, désormais, s’inscrivent dans ce même décor de ruines inamovibles qu’on ne
fait plus coulisser sous les yeux, ni dans la mémoire.

Mais ce paysage immuable, la lumière de l’été le fait trémuler. Dans cette même rue, des soldats marchèrent, dansèrent au pas de l’oie. Et, non loin d’ici, les corps de ceux qu’on exécutait tressautaient, dansaient sous l’impact des balles. Depuis quelque temps, tout, dans ce pays, s’est mis à danser. La réalité même des choses. Ou leur irréalité. Les maisons se sont mises en marche. Les boulevards furent agités de convulsions. Il suffit que la lumière d’un été imminent caresse et lèche ces églises décapitées, ces statues mutilées, ces portails écartelés, cette bouillie de pierres, cette purée de béton, pour qu’on doute d’avoir bien vu. Que le soleil se lève à nouveau sur un pareil panorama constitue tout un événement, pense le miraculé.

On se balade dans l’univers du trompe-l’œil. Qu’est-ce qui est porte, et qu’est-ce qui est fenêtre ? Les meubles sur les trottoirs, ces tas d’ordures sous les toits. Le dehors est à l’intérieur, et à l’extérieur le dedans. La ville a été retournée comme un gant. On l’a mise cul par-dessus tête. On a mis ses tripes à l’air. On l’a couchée à ses pieds. À présent, elle est aussi horizontale que verticale. On l’a fondue. On l’a remodelée. On dirait qu’un géant cambrioleur a tout culbuté sur son passage, dans sa rage de ne pas découvrir ce qu’il était venu chercher. Les illusions d’optique qui assaillent le promeneur donnent en lui l’élan à une noire hilarité. Il lui vient des idées bouffonnes. Ce champ de décombres que la mort a labouré et ensemencé, où elle a pondu ses œufs de fer, peut-être n’est-ce que le décor coûteux d’une ultime représentation de théâtre aux armées, mise en scène par Dieu lui-même, avec d’énormes moyens, pour ridiculiser Richard Wagner ? Le Créateur s’est fait Fra Diavolo, il a manipulé comme des maisons de poupées ces résidences d’adultes incendiaires, plaçant le faîte de l’une sur la charpente d’une autre. Ici, un plafond tient tout seul au-dessus de l’abîme. Là, une cheminée part à la recherche d’une toiture. Et enfin, on contemple ce qui se passe, en même temps, à tous les étages des immeubles comme dans une mise en scène d’avant-garde : on ne perdrait plus rien des activités de chacun, de la cave au grenier. Tout se déroulerait dorénavant dans la transparence. Personne n’aurait plus de secrets pour quiconque.  L’Histoire a déshabillé les hommes, elle ne les rhabillerait pas de sitôt. On échangerait, au marché noir, du vide contre du trop-plein. Ce que le poète n’a qu’à peine osé rêver, la guerre l’a accompli, en réunissant le revolver du meurtre et le parapluie de la survie sur la machine à coudre le temps. On dirait qu’ici des aveugles se sont entre-tués. Pour une fois, le cauchemar durerait plus longtemps que la nuit.

Nous regardons les ruines, pense le piéton des ruines. Mais surtout les ruines nous regardent. Anthropomorphisme des pierres. Chaque ruine est un visage détruit, aux yeux écarquillés. Chaque ruine nous tend un miroir. Nous nous reconnaissons tellement mieux en elle que du temps où il y avait là une construction – le temps où une construction usurpait la place d’une future ruine. Nous découvrons enfin que nous sommes à nous-mêmes notre propre ruine.

Goethe, se rappelle le poète ambulant, disait que “bâtir une maison, planter un arbre, mettre au monde un enfant, c’est faire acte d’homme.” Les dernières semaines de la guerre, à Landsberg, le poète ne pouvait plus lire que cela : les écrits intimes de Goethe, ses lettres à Bettina et d’autres interlocuteurs privilégiés. Étrange comme nous, Allemands, de quelque bord que nous soyions, et quelle que soit notre vision du monde, nos empathies, nos détestations, nous nous réconcilions presque toujours sur le nom du chancelier aulique. Pourquoi le lire à Landsberg, en 1944 ? À la recherche de quelle clé pour les événements d’alors ? En quête de quelle consolation ? Alors, que penser d’une formule telle que : “Bâtir une maison, planter un arbre – l’arbre de Goethe, sans doute, le majestueux chêne de Goethe à Buchenwald ! -, mettre au monde un enfant… ?” Moi qui n’ai contribué que par hasard à mettre au monde une fille, et ne m’en suis plus guère occupé depuis lors ; moi qui n’ai, en ce bas monde, pas même planté une pousse de pois de senteur, quelle leçon attendais-je donc, ou quel baume, du chancelier aulique ? Quant à l’invite qu’il nous adresse à devenir le bâtisseur de notre propre demeure, je me demande ce qu’il penserait en considérant ce qu’il est advenu des cités allemandes ? Et s’il répéterait son enthousiasme de Valmy ?

Le poète lève à nouveau la tête vers le premier étage de l’immeuble de la Westfälischestrasse, sur le seuil duquel il s’est arrêté tout à l’heure, et son regard grimpe le long des autres étages, jusqu’au dernier, puis, de là, enjambe un balcon à demi démantelé, et redescend, étage par étage, jusqu’au rez-de-chaussée de l’immeuble voisin : n’en déplaise à Monsieur de Goethe, songe-t-il, nous ne devrions plus, comme de son temps, raconter de la même façon, comme si rien ne s’était passé, l’histoire de ces gens-là. Oh ! bien sûr, on pourra toujours tenter de le faire, et d’aucuns n’y manqueront pas, et ne nous faisons pas de souci pour eux : ils auront encore des millions de lecteurs. Et ils produiront, parfois même, de beaux livres, qui relateront quelque chose comme l’histoire d’un professeur entiché, pour son malheur, d’une chanteuse de cabaret, ou celle du tuberculeux épris d’une radiographie de sa bien-aimée, ou, encore, la chronique des mauvais garçons, des souteneurs et des petites gens du quartier de la place Alexandre, voire, dans la meilleure des hypothèses, les souffrances d’un jeune homme en proie à un impossible amour, ou les tourments de ce confrère à moi qui n’eut pas peur d’échanger son âme contre un peu de vraie vie… À présent, on ne troque plus son âme que contre un mégot de cigarette, et, si l’on perd son ombre, c’est que le corps, au cœur du grand saccage, fut soudain las de la porter encore, et s’en est débarrassé dans sa fuite éperdue au bord d’une route incendiée ! Depuis que toutes les fictions ont brûlé dans
l’un ou l’autre autodafé, ou en même temps que les villes qui les inspirèrent, ce devrait en être fini des belles histoires allemandes ! Puisque l’affreuse fiction de l’Histoire s’est faite réalité, il serait décent de ne plus rien imaginer d’autre avant longtemps !

Mais, pour dire le désastre, les mots, eux aussi, vont manquer. Pour exprimer la béance, il y aura pénurie encore. Rationnement de la parole. Certes, comme pour le reste, gageons que les trafiquants, quant à eux, feront encore de bonnes affaires. Jusqu’au cœur du chaos, ils écouleront sans peine l’ersatz d’un beau style néo-weimarien…

Le poète rêve d’un langage qui se mettrait de lui-même en berne, et qui, pour renaître de ses cendres, se résoudrait à déposer d’abord le bilan de sa propre banqueroute.

Les journaux enseignaient qu’au tribunal de Nuremberg on avait dû, à titre rétroactif, qualifier les crimes commis d’épithètes inédites. Comment, pour évoquer les ruines, ne forgerait-on pas aussi une écriture des ruines ? Pour faire écho au dénuement, des phrases dénudées jusqu’à l’os ? La paix des cimetières appelait un verbe déterré vif. Contre ceux qui, se lamentant sur le sort des pierres, faisaient de leur cœur une pierre de plus.

Le soir tombe. Avant de se remettre en marche, l’homme ferme les yeux. Il écoute. Souvent, ces temps-ci, il croit percevoir la rumeur d’une sourde avalanche. D’un lointain éboulement.

Les Éblouissements (1987)


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BLANCBEC : Alien (2022, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

BLANCBEC, Alien

(digigraphie, 60 x 60 cm, 2022)

Artiste bruxellois autodidacte, BLANCBEC a pris du galon dans le monde du graffiti avant de découvrir des affiches peintes à la main et collées sur les murs des rues de Barcelone. Une véritable révélation qui l’a poussé à tourner la page vers des personnages aux formes géométriques audacieuses, parmi lesquels des oiseaux qui deviendront le personnage central de son travail. Depuis 2003, opérant sous le pseudonyme de Blancbec, il travaille dans les rues avec des oeuvres époustouflantes représentant des protagonistes originaux dans une gamme de couleurs brillantes qui est reconnaissable immédiatement.

“Ici comme dans ses compositions monumentales à la bombe aérosol, on retrouve l’ « écriture » géométrique, des couleurs éclatantes et une exécution impeccable […] Seuls les aficionados des séries américaines des années ‘90 comprennent qu’I want to believe est la formule imprimée sur le poster visible au-dessus du bureau de Fox Mulder, l’agent du FBI asocial, parano, complotiste et vedette d’X-Files – Aux frontières du réel.” (Pierre Henrion)

“Comme toujours dans mon travail, il y a une histoire et des symboles. […] Le symbole du passage vers l’âge adulte ou celui de l’enfance qui est toujours là.” (Blancbec)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Blancbec ; ravi-liege.eu | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

BANDIE : Portrait dans la piscine (2021, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

BANDIE, Lyoz, Portrait dans la piscine

(photographie, 50 x 33 cm, 2021)

Originaire de Tours en France, Lyoz BANDIE (né.e en 1994) y étudie le droit pendant plusieurs années avant de venir s’installer en Belgique pour entamer des études artistiques.

Iel est diplômé.e avec grande distinction de l’École supérieure des Arts Saint-Luc de Liège en 2021, publiant à l’occasion de son jury et en autoédition un premier projet de son livre, témoin de la quête de son nouveau prénom. Jeune photographe queer, Lyoz questionne le genre dans un cheminement éclectique et pluridisciplinaire. Une recherche sensible vers de nouvelles libertés…

“ « La peau du prénom » est l’histoire de ma poursuite obsessionnelle d’un nouveau prénom, étape essentielle à mon cheminement et à ma transition sociale. C’est le témoin d’un questionnement de genre, qui d’une forme plurielle et éclectique, raconte un parcours queer non binaire. Une histoire intime et sensible, un coming out, un plongeon entre les genres, invitant chacun.e à interroger cette construction sociale…” (Lyoz Bandie)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Lyoz Bandie | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

Existe-t-il un “langage jeune” ?

Temps de lecture : 5 minutes >

[THECONVERSATION.COM, 9 janvier 2025On associe souvent des expressions à la mode ou des pratiques comme le verlan à la jeunesse. Mais n’est-ce pas un abus de langage d’évoquer un parler “jeune” ? Y a-t-il vraiment un vocabulaire ou un usage de la syntaxe qui permettraient d’identifier des façons de s’exprimer propres aux jeunes ?

“Gadjo”, “despee”, “tchop” : ces mots sont associés, dans les discours médiatiques, à un “parler jeune”. Nombreux sont les articles qui s’arrêtent sur ce vocabulaire pour le rendre accessible aux autres générations ou encore les dictionnaires destinés aux parents qui semblent ne plus comprendre leurs ados.

Alors, ce parler jeune existe-t-il vraiment en tant que tel ? Pourrait-il être résumé à un lexique qui lui serait propre ? Plusieurs études ont été menées en linguistique sur ces pratiques langagières, mais celles-ci ne constituent pas un champ homogène, notamment parce qu’elles concernent des situations sociolinguistiques diverses.

Si nous voulons considérer l’existence d’un parler jeune, il faudrait a minima le penser au pluriel. Il n’y a pas deux personnes pour parler de la même façon et une même personne ne parle pas constamment de la même manière. Tous les individus possèdent plusieurs répertoires ou plusieurs styles, les jeunes ne font pas exception.

Définir la jeunesse : des critères biologiques ou sociologiques ?

Avant de voir s’il existe des éléments constitutifs d’un répertoire commun aux jeunes, une question se pose : qui sont ces jeunes ? Pour reprendre Bourdieu, l’âge n’est qu’une donnée biologique manipulée autour de laquelle des catégories peuvent être construites.

La catégorie “jeune” a pu être définie selon des critères d’indépendance par les démographes : fin des études, entrée dans la vie active, départ du domicile familial… Mais ces critères ne sont plus tout à fait valables aujourd’hui. La catégorie “jeunes” est largement interrogée et interrogeable.

Dans les discours médiatiques et les études linguistiques, il s’agit en réalité surtout de jeunes issus de milieux urbains, milieux multiculturels et plurilingues. Les jeunes sont souvent des adolescents. L’adolescence correspondrait à une période d’écart maximum à un français “standard”, à un français valorisé, notamment, à l’école.

Mais y aurait-il même des traits langagiers qui nous permettraient d’identifier des façons de parler propres aux personnes regroupées dans cette catégorie ? On peut s’appuyer, pour aborder cette question, sur le corpus MPF (Multicultural Paris French), un ensemble d’enregistrements (au total 83 heures) réalisés auprès de 187 locuteurs “jeunes” habitant la région parisienne.

Lexique, syntaxe, accent : des particularismes chez les jeunes ?

L’analyse des pratiques langagières de ces jeunes met en lumière plusieurs traits récurrents. Au niveau lexical, on relève des procédés comme l’apocope, ou perte d’une syllabe, dans “mytho” pour “mythomane” par exemple. On retrouve aussi le verlan, avec des mots comme “chanmé”, qui correspond à l’inversion des syllabes de “méchant”, ou encore “despee” qui cumule emprunt à l’anglais “speed” et verlanisation. À côté d’autres emprunts plus anciens, comme “kiffer” emprunté à l’arabe kiff (aimer) bien entré dans le français avec l’ajout de la terminaison “-er”, nous identifions “gadjo” emprunté au romani (“garçon”) ou “chouf”, emprunté à l’arabe et signifiant “regarde”.

Sur le plan syntaxique, peu de choses sont relevées, car il s’agit en réalité du niveau du système langagier qui est le moins souple. Si certains relèvent par exemple l’omission du “ne” dans les structures négatives (“je lui répondrai pas”), celle-ci n’est en réalité pas spécifique aux jeunes. Ce phénomène reflète davantage les usages du français parlé plus ordinaire.

Du côté de l’”accent” (regroupant la mélodie ou encore la prononciation de certaines voyelles ou consonnes), certains traits ont pu être identifiés comme l’avant-dernière syllabe qui se fait plus longue, le contour emphatique ou encore l’affrication forte des /t/ comme dans “confitchure”. Toutefois, des études montrent également que ces traits ne sont pas propres aux jeunes (c’est le cas de l’affrication ou encore du contour emphatique, nous utilisons ce dernier pour mettre en relief un élément et nous le retrouvons lorsqu’un locuteur est engagé dans l’interaction).

L’affrication, nouveau phénomène de langage (TV5 Monde, février 2024)

Hormis le débit qui pourrait être spécifique aux façons de parler jeunes (les jeunes parleraient plus vite, utiliseraient plus de mots à la minute), il faut noter que les particularismes relèvent de l’exploitation de procédés qui n’ont rien de novateur. Le verlan se retrouvait chez Renaud (“laisse béton“), les emprunts qu’on ne voit plus avec abricot emprunté, par le portugais ou l’italien, de l’arabe al-barqûq, parking emprunté à l’anglais ou encore schlinguer emprunté à l’allemand et que nous retrouvons notamment chez Hugo, dans les Misérables :

C’est très mauvais de ne pas dormir. Ça vous fait schlinguer du couloir, ou, comme on dit dans le grand monde, puer de la gueule.

Victor Hugo

Il en va de même pour les structures où le que semble omis, “je crois c’est les années soixante“. Celles-ci sont pointées du doigt et attribuées aux jeunes. Toutefois, elles aussi sont employées par des moins jeunes, comme chez ce locuteur de 40 ans “je pense ça leur fait plaisir” et nous les retrouvons dans le Roman de Renart datant de la fin du XIIe siècle : “Ne cuit devant un an vos faille” (“je ne crois pas il vous en manque avant un an“).

Effet de loupe : des façons de parler rendues visibles par les réseaux

Si les procédés n’ont rien de novateur, alors d’où vient cette impression de “parlers jeunes” ? Celle-ci repose sur un “effet loupe” ou un effet de concentration, selon la sociolinguiste Françoise Gadet. Ces parlers jeunes seraient perçus par la multiplication des particularismes : emploi du verlan, d’emprunts, du contour emphatique, etc.

L’effet loupe est lui-même renforcé par les médias ou par les discours qui mettent en avant ces phénomènes sur les réseaux sociaux. Et si l’on a l’impression que “pour cette génération, c’est plus marqué qu’avant“, c’est probablement parce que ces façons de parler sont désormais plus facilement observables. Les communications médiées par les réseaux rendent les productions linguistiques visibles à grande échelle. Ces “effets de mode” linguistiques ne sont toutefois pas exclusifs à la jeunesse actuelle. Chaque génération a ses préférences, mais rien ne disparaît tout à fait : un terme comme “daron” bien qu’ancien, traverse les époques.

1983 : Comment parlent les lycéens ? (Archive INA, 2019)

Finalement, les jeunes exploitent le système de la langue française pour l’enrichir et répondre à différents besoins. Les mots créés ne sont pas de simples équivalents de ce qui pouvait exister, mais s’en distinguent bien. Selon Emmanuelle Guerin, un “clash” (emprunt à l’anglais) prend un sens plus spécifique que choc puisqu’il évoque une confrontation verbale : “Ils menaient le clash avec la prof.” Lorsqu’il y a créations, celles-ci enrichissent le répertoire linguistique en répondant à des besoins d’identification à des groupes (ces phénomènes se retrouvent souvent dans des interactions où la connivence prime) ou d’expression.

Il n’existe donc pas un parler jeune, mais des façons de parler par des personnes catégorisées comme “jeunes”. On qualifie des façons de parler “jeune” par la présence (et surtout la concentration) de certains éléments linguistiques, ce qu’on peut retrouver chez des moins jeunes, par exemple, chez Stéphane âgé de 36 ans : “Je sais pas qui vous êtes tu vois ce que je veux dire je leur ai fait comme ça (.) genre je parfois il y a des jeunes ils ont la haine sur nous hein […] Non mais c’était eux les nejeus en vrai.

Si certains mots utilisés par les jeunes semblent échapper aux moins jeunes, rappelons que tout le monde (y compris vous et moi) emploie parfois des termes qui peuvent être incompréhensibles pour notre entourage, notamment ceux issus de notre milieu professionnel. Il n’y a rien d’alarmant dans ces “parlers jeunes” : chaque génération a ses modes d’expression, et les quelques mots jugés incompréhensibles par les médias ne reflètent pas l’étendue des répertoires concernés.

Auphélie Ferreira, Université de Strasbourg


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © babbel.com.


Plus de presse en Wallonie…

CAVAIGNAC : La franc-maçonnerie – 101 questions sans un tabou (Dervy, 2018)

Temps de lecture : 24 minutes >

[4ème de couverture] 101 questions sans un tabou. “Que désigne l’expression enfants de la veuve ?” “Pourquoi le crâne est-il un symbole en franc-maçonnerie ?” “Pourquoi les francs-maçons portent-ils des gants blancs ?” Défiez-vous sur le sens des symboles et du rituel maçonniques. Percez le mystère de leur origine et découvrez l’histoire des pratiques qui se déroulent dans le secret des Loges. Rédigé avec franchise et sans langue de bois par François Cavaignac, historien spécialiste de la franc-maçonnerie, le livret inclus dans ce jeu vous guidera vers un chemin maçonnique éclairé…


Table des matières

      1. Règle du jeu,
      2. Questions/Réponse rouges (les valeurs, l’institution),
      3. Questions/Réponse vertes (l’histoire),
      4. Questions/Réponse bleues (les symboles),
      5. Un jeu de cartes pour s’initier à la franc-maçonnerie ? Par François Cavaignac,
      6. Biographie de l’auteur,
      7. Bibliographie de l’auteur.

Règle du jeu

Un jeu conçu, écrit et réalisé par : Yasmine Bonhomme, François Cavaignac et Valeria Cassisa.

ISBN 97910 242 0252 5

Ce jeu est constitué de 101 cartes réparties en trois domaines auxquels est associée une couleur pour les différencier. Rouge : ce qui se rapporte aux valeurs, à l’institution. Vert : ce qui se rapporte à l’histoire. Bleu : ce qui se rapporte au symbole.

À partir de trois joueurs : chaque participant prend trois cartes et les tient devant lui. Le joueur 1 lit à voix haute la question inscrite sur l’une des trois cartes de son choix.
Cas A : si personne ne sait répondre, la carte est considérée comme perdue. Elle est donc mise de côté et formera un tas avec les cartes perdues à venir. Le joueur 1 reprend une carte pour avoir toujours trois cartes en main, et c’est au tour du joueur suivant de poser une question.
Cas B: le joueur qui répond en premier correctement à la question posée remporte la carte qu’il dépose à côté de lui. Le joueur 1 lit alors une deuxième question à laquelle seul le joueur qui a bien répondu est autorisé à répondre. Si celui-ci ne sait pas répondre, voir cas A (le joueur 1 devra reprendre deux cartes pour avoir trois cartes en main).
Si la réponse du joueur interrogé est bonne, celui-ci remporte la carte et le joueur 1 lui lit la troisième et dernière question. Si sa réponse est juste, il récupère la carte. Le joueur 7, qui n’a plus de carte en main, reprend trois cartes. Et c’est au tour du joueur suivant de poser les questions.

Deux joueurs : le joueur 1 lit la question au joueur 2.
Cas A : si le joueur 2 ne sait pas répondre, la carte est considérée comme perdue. Elle est mise de côté et formera un tas avec les cartes perdues à venir. Le joueur 1 reprend une carte pour avoir toujours trois cartes en main, et c’est au tour du joueur 2 de poser les questions.
Cas B : si le joueur 2 donne la bonne réponse, il remporte la carte qu’il dépose à côté de lui. Le joueur 1 lui pose une deuxième question. Si le joueur 2 ne sait pas répondre, voir cas A (le joueur 1 devra reprendre deux cartes pour avoir trois cartes en main). Si le joueur 2 répond correctement, il prend la carte et le joueur 1 lui pose la dernière question. Si le joueur 2 sait répondre, il prend la troisième carte. Le joueur 1, qui n’a plus de carte en main, tire trois nouvelles cartes. Puis c’est au tour du joueur 2 de poser les questions suivant le même principe.
Les cartes comportent un nombre de points allant de l à 3 en fonction du degré de difficulté de la question. C’est le joueur qui a le plus de points à la fin du jeu qui a gagné.

Nous avons reproduit les différentes cartes dans wallonica.org :

Un jeu de cartes pour s’initier à la franc-maçonnerie

par François Cavaignac

Le jeu est dans la nature humaine ; l’historien néerlandais Johan Huizinga (1872-1945) en a fait l’un des critères anthropologiques de la culture (Homo ludens, 1938) et l’écrivain français Roger Caillois (1913-1978) en a rappelé l’importance sociale dans Les Jeux et les Hommes (1957). La tension, la joie et l’incertitude sont-elles liées à l’instinct de compétition qui anime la plupart des enfants et des hommes dans leurs jeux ? Faut-il voir dans le jeu un lien ontologique avec le sacré ? Autant de questions – parmi d’autres – qui animent de nombreux psychologues, sociologues et historiens des Games Studies à la recherche d’une explication globale du phénomène.

Si le jeu semble immémorial, le jeu de cartes est attesté en Chine à partir du VIIème siècle. Il a connu un développement considérable et universel, toutes les cultures semblant l’avoir pratiqué. Exemple type du jeu de société, le jeu de cartes est très lié au contexte social et historique dans lequel il s’inscrit : sa graphie est souvent le reflet des structures collectives, politiques ou idéologiques. Le standard mondial du jeu de cartes est de 52 cartes.

Il ne faut pas s’étonner que la franc-maçonnerie, institution éminemment sociale car porteuse de tolérance et de fraternité, fasse l’objet depuis quelques temps d’une approche ludique sous plusieurs formes : cartes, jeu de l’oie, quizz, énigmes, Trivial Pursuit, etc. Pour ce qui concerne ce jeu, notre utilisation d’un système de cartes répond aux objectifs classiques de facilité, de compétition et de valorisation par points pour chaque joueur, clairement définis dans un règlement.

L’idée est également pédagogique : dans un monde ouvert et connecté, dominé par les technologies de la vitesse et du virtuel, pourquoi ne pas se servir des outils les plus simples pour mieux faire connaître une société décriée depuis sa création moderne (fin du XVIIème siècle) ? Les maçons éclairés ont conscience de cette nécessaire ouverture au monde.

Nous avons donc choisi 101 cartes – plutôt que mille et une – dont les réponses sont toutes argumentées mais dont le contenu retrace les aléas et les incertitudes de l’histoire et du symbolisme, matières ne constituant guère des domaines de vérités définitives. Enfin, ce jeu s’adresse en priorité aux Apprentis, c’est-à-dire aux maçons nouvellement initiés, mais il peut également intéresser les Compagnons fraîchement montés en grade et, bien
sûr, les profanes que le sujet titille.

La franc-maçonnerie sans un tabou

Cher Lecteur, mon Frère, ma Soeur,

N’imagine pas que les pages qui suivent soient l’exercice convenu d’une introduction classique ! Peut-être est-il présomptueux de l’affirmer ainsi, mais il te faut savoir, et c’est, je l’espère, l’originalité de ce texte, qu’il est le fruit de trente-huit ans d’une pratique maçonnique assidue, d’échanges, de lectures, d’études, de travaux personnels, de situations vécues, de confrontations d’idées, de fâcheries et de réconciliations, de convictions confirmées ou aménagées, de critiques adressées ou reçues qui ont souvent agacé la sensibilité. Devenir franc-maçon est un engagement : non pas un engagement indéfectible et sacralisé comme celui des ordres religieux, mais un engagement raisonné sans cesse et renouvelé à chaque tenue.

La franc-maçonnerie n’est pas une secte : elle n’implique pas de  subordination psychologique ni de changement de personnalité ; on peut la quitter sans avoir à craindre la vengeance des Frères, contrairement à ce que soutiennent encore les anti-maçons sur la base d’une interprétation littérale de rituels anciens façonnés par le romantisme. Mais elle réclame une volonté, une lucidité, une persévérance, une ouverture d’esprit qui sont continus.

Je te propose dans ces quelques pages trois perspectives, qui seront autant de parties du texte, non pas pour rester dans l’académisme du plan ternaire mais plutôt pour respecter la symbolique du grade d’Apprenti dont le chiffre spécifique est le trois.

Tu dois d’abord saisir l’exceptionnalité de cette institution : la franc-maçonnerie est unique. Je ne te cacherai pas ensuite ses faiblesses : suis mon précepte, n’idéalise jamais la franc-maçonnerie ! Enfin, j’essaierai de te montrer combien elle représente, par sa méthode et sa culture, un outil philosophique capable d’appréhender l’avenir.

LE LECTEUR.– En quoi la franc-maçonnerie est-elle aussi exceptionnelle ?

LE NARRATEUR.– Elle est d’abord et avant tout une société de pensée initiatique ; cette société repose sur une philosophie de la Raison et de la Liberté ; elle promeut des valeurs humanistes dont l’amalgame en fait une association unique.
La formulation moderne de l’histoire légendaire de la franc-maçonnerie remonte à 1723, date à laquelle un pasteur écossais, James Anderson, a publié un ouvrage intitulé Constitutions. Ce texte contient quatre parties : une Constitution, qui reprend l’histoire du métier de maçon ; des Obligations, qui comportent les principales modalités du travail des Frères ; des Règlements généraux, qui complètent les articles précédents en organisant le fonctionnement de la fédération des Loges ; enfin, on trouve plusieurs chants maçonniques. L’une des originalités de ce texte, parmi de nombreuses autres, est de considérer que la franc-maçonnerie doit devenir un “Centre d’Union” entre des hommes que rien ne prédisposait à se rencontrer : “[…] le moyen de nouer une amitié fidèle parmi des personnes qui auraient pu rester à une perpétuelle distance» (art. ler). Ces hommes – les femmes ne seront admises qu’à la fin du XIXème siècle, en France – se réunissent régulièrement pour travailler et réfléchir ensemble.

LE LECTEUR.– Mais ce n’est qu’un club à l’anglaise ?!

LE NARRATEUR. – Cela peut paraître ainsi ! Et même si cela était, quoi d’inavouable ?
En vérité, cette société de pensée obéit à des valeurs morales, nous le verrons plus loin, et permet à ses adhérents d’évoquer tous les sujets possibles à l’exception de la politique et de la religion, toujours sources de conflit.
Le Grand Orient de France s’est affranchi, en 1877, de cette double obligation, en affirmant la liberté absolue de conscience de chacun de ses membres ; cela a été un pas décisif dans la construction d’une franc-maçonnerie tournée vers la société profane.
Mais ne nous éloignons pas ! La pratique régulière des réunions maçonniques crée rapidement entre les membres des liens de camaraderie ; l’esprit de l’institution est d’accepter de se livrer devant les autres en mettant de côté les conventions sociales : une discussion maçonnique est, par principe, franche et intime. Au-delà, s’établit donc une amitié telle qu’indiquée par Anderson et se construit une fraternité. Anderson l’érige en valeur absolue: “[…] l’amour fraternel [est] le fondement et la pierre angulaire, le ciment et la gloire de cette ancienne fraternité” (Constitutions, art. VI, § 6).
Ce concept d’amour fraternel, tu t’en doutes, Lecteur, est l’objet de multiples interprétations philosophiques et morales dans la vie des Loges : il trouve à s’exprimer à l’occasion des infortunes de la vie profane des uns ou des inévitables difficultés de gestion administrative de tout groupement humain (démissions, radiations, etc.). Mais il constitue la quintessence et l’idéal même de l’Ordre. À la fin de chaque tenue une chaîne d’union, où les frères et soeurs se tiennent par la main, rappelle l’importance de l’amour fraternel et insiste sur “la grandeur et la beauté de ce symbole”, son sens profond étant de conserver “les uns envers les autres la plus fraternelle affection et de travailler sans relâche à réaliser la grande oeuvre de la fraternité universelle.” Sur les sceaux maçonniques, la poignée de main apparaît souvent pour représenter ce lien fraternel.
La seconde caractéristique de cette société maçonnique est d’être initiatique. Mais qu’est-ce que cela signifie ? L’initiation est un processus anthropologique classique repris par la franc-maçonnerie ; mais les sciences humaines contemporaines ont du mal à l’appréhender, c’est pour elles une énigme, tout comme d’ailleurs la franc-maçonnerie…
Pourtant, Lecteur, mon Frère, ma Soeur, comprends une chose simple : l’initiation est un fait social universel. Dans la plupart des sociétés humaines, depuis les temps les plus immémoriaux, les hommes semblent s’être livrés à des cérémonies pour honorer les dieux, les ancêtres ou la Nature. Ces cérémonies ont donné lieu à des rituels et ont été auréolés de mystère parce que le cycle mort/renaissance est systématiquement abordé, comme si les hommes étaient obsédés par cette question. Le tout enrobé du secret et de la promesse du passage dans un état censé être supérieur ! Quoi de mieux pour enflammer l’imagination dans les grands moments de la vie ? Bien sûr, les religions à mystères, orientales et gréco-latines, s’en sont emparé. Fille de la culture occidentale, la franc-maçonnerie à son tour l’a reprise pour en faire la clé de voûte de son propre mystère.

LE LECTEUR.- Mais tous les maçons sont-ils d’accord sur ce problème de l’initiation ?

LE NARRATEUR. – Oui, sur le principe, mais pas sur la définition ! Ce serait trop facile ! L’initiation donne lieu à des interprétations nombreuses, divergentes et parfois opposées ; au fond, chaque franc-maçon, selon sa conception philosophique ou son cheminement, en a une vision personnelle. On s’accorde toutefois à penser, au minimum, que c’est un long processus d’éveil à la conscience ; c’est un processus actif et personnel car c’est l’individu qui doit se réaliser pleinement par l’enseignement et la méthode qui lui sont transmis. Par l’initiation, l’homme cherche à comprendre le sens de sa condition sur terre et à bâtir une harmonie avec le monde.
Tu le vois, Lecteur, la franc-maçonnerie est intéressante : elle est une démarche individuelle mais pas solitaire car la construction de soi ne se fait pas sans les autres. D’autant que les principes philosophiques qui sous-tendent cette institution appartiennent à l’Histoire et promeuvent la Raison et la Liberté. La franc-maçonnerie est en partie issue des Lumières. Ce mouvement du XVIIIème siècle repose sur trois fondements philosophiques qu’il est indispensable de rappeler en ce début du XXIème siècle: la raison, la liberté et le progrès. La raison cherche à connaître et à comprendre le monde ; la liberté permet à l’individu d’être un sujet de droits, ce qui justifie le contrat social ; le progrès, enfin, accorde la primauté à l’esprit scientifique sur la Providence, il promeut l’esprit critique comme seul moyen d’analyse. Les philosophes rejettent ainsi toute autre autorité que la raison. N’est-ce pas extraordinaire, à notre époque post-moderne et déconstructrice, d’avoir une société de pensée qui rappelle ces évidences de l’humanisme ? Les Loges ont très vite adhéré à cette nouvelle vision du monde, même celles qui donnaient la priorité à la Tradition.

LE LECTEUR.– Les Lumières ont aussi été accusées d’être à l’origine des Révolutions qui ont détruit l’ordre ancien. Et beaucoup pensent que l’individualisme exacerbé de notre temps en provient également…

LE NARRATEUR.– On peut le soutenir, bien sûr ! Mais la franc-maçonnerie échappe à ce type de critiques car elle assigne à la raison et à la liberté un objectif clair la recherche de la vérité. J’y reviendrai plus loin.

LE LECTEUR.– Et la morale dans tout ça ?

LE NARRATEUR. – Ne sois pas trop pressé ! Ton empressement montre ton intérêt, c’est parfait ! La morale n’est pas oubliée ; elle est même omniprésente dans les Constitutions d’Anderson : “Un maçon est obligé, par son engagement, d’obéir à la loi morale“,  écrit-il d’entrée (art. 1er). S’en suivent tout au long du texte l’énonciation des vertus nécessaires : loyauté, discrétion, bonne réputation, obéissance, humilité, courtoisie, sincérité. Tous les auteurs maçons mentionnent depuis lors la morale car elle est au coeur de l’institution. Tout tourne autour de la notion de devoir, qui est devenue la clé de voûte de la philosophie morale maçonnique. Certes, il existe une subtilité quelques textes maçonniques évoquent l’étude de la morale plutôt que “l’obligation pratique de la morale”, mais ce n’est qu’une habileté formelle. Car un travail d’analyse profond et régulier, tel qu’il est demandé au franc-maçon, qui ne déboucherait pas sur une praxis ne pourrait s’expliquer que par la dissimulation et le mensonge envers soi-même. Tu le vois, cher Lecteur, mon Frère, ma Soeur, il y a la lettre, et il y a l’esprit ! Je reconnaîtrais volontiers que, s’il s’arrêtait là, cet ensemble philosophique pourrait être banal, ou bancal. Heureusement, la franc-maçonnerie adogmatique y ajoute le principe d’égalité et celui, déjà énoncé, de liberté absolue de conscience.
La liberté est déjà l’une des conditions prérequises d’admission en franc-maçonnerie. Anderson précise qu’il faut être “né libre“, et la formule traditionnelle reprise par les rituels indique que le candidat doit être “libre et de bonnes moeurs” où l’on retrouve la morale… Cette faculté s’exprime en Loge par le droit de vote individuel, par la liberté de penser et de parole, par la liberté d’interprétation des symboles.
Le Grand Orient de France y a ajouté la liberté absolue de conscience : ce principe lui est consubstantiel. Tu me pardonneras de citer le texte de l’article premier de la Constitution du Grand Orient de France : “Considérant les conceptions métaphysiques comme étant du domaine exclusif de l’appréciation individuelle de ses membres, elle [la franc-maçonnerie] se refuse à toute affirmation dogmatique.” C’est exceptionnel et unique ! Quelle société de pensée en fait autant ? Cette maxime ne consiste pas à nier les croyances ; il s’agit simplement du droit pour un franc-maçon de croire ou de ne pas croire, l’obédience restant neutre vis-à-vis des convictions de ses membres.
L’adjectif “absolue” s’adresse d’abord aux athées, agnostiques et libres penseurs, la portée de ce principe ayant été surtout religieuse.
Quant à l’égalité, elle est rappelée par la Constitution du Grand Orient de France : :dans les réunions maçonniques, les francs-maçons sont placés sous le niveau de l’égalité la plus parfaite ; il n’y a pas d’autre hiérarchie que celle des offices exercés. Les rituels d’ouverture des travaux indiquent à chaque tenue qu’il faut “laisser les métaux à la porte du temple“, l’expression signifiant qu’il faut abandonner la posture profane et accepter l’égalité entre tous. Enfin, le niveau reste le symbole très présent de cette égalité maçonnique. Anderson le rappelle : “[ … ] Les maçons sont comme des Frères sous le même niveau” (art VI, § 3). Que dis-tu de tout cela, cher Lecteur ?

LE LECTEUR.– Je saisis bien la présentation qui est faite. Effectivement, elle est séduisante. Mais, excuse ma naïveté, il manque quelque chose. Ces grands principes que tu évoques avec chaleur, peut-être avec fougue, impliquent-ils des valeurs particulières ? Ou la franc-maçonnerie pratique-t-elle des valeurs communes aux sociétés humaines? Dans ce domaine, quelle est sa particularité ?

LE NARRATEUR.– Bien vu ! Tu as raison, je dois aborder cet aspect des valeurs, il est essentiel ! Trois valeurs représentent l’épine dorsale de la franc-maçonnerie : la solidarité, la tolérance et le travail. Anderson, on l’a vu, érige la fraternité en valeur absolue. Mais, cher Lecteur, mon Frère, ma Soeur, la fraternité pourrait ne rester qu’un vain mot, plus théorique que pratique. Les maçons lui ont donné une traduction concrète : la solidarité.
Cette valeur est directement issue des corporations de métiers médiévales qui mutualisèrent leurs moyens pour se prémunir contre les aléas de la vie. La pratique de la solidarité est un devoir de tout maçon non seulement envers un Frère mais aussi envers chacun. Le serment prêté par l’Apprenti lors de l’initiation est clair. “Je promets[ .. ] de mettre en pratique, en toutes circonstances, la grande loi de solidarité humaine qui est la doctrine morale de la franc-maçonnerie.”
La deuxième valeur consubstantielle à la franc-maçonnerie est la tolérance. Largement issue des Lumières – souviens-toi de Locke et de Voltaire – elle est née dans les conditions de luttes politiques et religieuses de l’Angleterre
des XVII et XVIIIèmes siècles. Elle ressort implicitement du fameux article premier des Constitutions d’Anderson : ceux qui pratiquent la maçonnerie peuvent garder leurs propres opinions du moment qu’ils sont loyaux envers les autres. Pour moi, la tolérance est inséparable de l’éthique maçonnique ; elle est une vraie pratique tant la variété des opinions est infinie. Crois-en mon expérience, elle est souvent difficile à vivre car elle a une dimension contraignante c’est une attitude positive qui permet d’admettre que l’autre dispose d’une part de vérité , mais c’est aussi un exercice de maîtrise de soi et de liberté d’être soi. Son champ d’application est infini, ce qui lui confère un caractère flou, qui se heurte à une aporie : peut-on tolérer l’intolérance ? Le franc-maçon doit réfléchir à tout.
Enfin, je ne voudrais pas oublier le travail. Toute Loge est symboliquement un chantier en activité, de nombreux symboles rappellent la nécessité permanente du travail. Lors de l’initiation, il est demandé au candidat de prendre la ferme résolution de travailler sans relâche à son perfectionnement spirituel et moral, une phrase du serment de l’Apprenti développe ce point : “Je promets de travailler avec zèle, constance et régularité à l’oeuvre de la franc-maçonnerie”. Les frères et soeurs sont qualifiés d’ouvriers et il est régulièrement rappelé la nécessité de longs et pénibles efforts car l’heure du repos n’est pas arrivée… Tu le comprends, la franc-maçonnerie estime que le travail est un devoir. Et ce principe est plus que jamais d’actualité ; par exemple, la question du revenu universel est importante : remet-elle en cause ce principe quand on pense que le travail permet à l’homme de se réaliser ?
Un ultime point dans cet ensemble de valeurs humanistes qui caractérisent la franc-maçonnerie, en particulier la franc-maçonnerie adogmatique comme celle du Grand Orient de France, c’est la laïcité. C’est l’essence même du Grand Orient Depuis la loi de 1905 qui organise la séparation de l’Église et de l’État et qui garantit la liberté de culte, elle est une construction permanente car elle touche profondément à la fois la vie personnelle et la vie en société. Cette particularité philosophique en fait une conception sociale globale qui nécessite des ajustements continuels au regard des évolutions sociétales : l’élaboration de la laïcité n’est jamais finie ! Ne pas oublier, en effet, qu’elle signifie autant la liberté d’incroyance que la liberté d’indifférence ou la possibilité de changer d’opinion. Elle conjugue la liberté de conscience, la sécularisation des institutions et l’égalité des religions via la neutralité religieuse de l’État. Elle est un principe régulateur des relations sociales démocratiques. Nous savons tous que ce principe de laïcité s’est effrité au cours du XXème siècle, nous savons tous qu’il est menacé par la réapparition du religieux et la faiblesse du politique, nous savons tous que ses enjeux actuels concernent aussi le domaine culturel et identitaire ! Raison de plus pour réaffirmer combien elle est importante devant la montée des communautarismes !

LE LECTEUR.– Devant une présentation aussi élogieuse, pourrais-tu me dire quels sont les défauts de la franc-maçonnerie ? Je ne peux imaginer, même si je suis prêt à reconnaître votre exceptionnalité, même si vous êtes censés rechercher la perfection, que vous y soyez parvenus ! Les saints eux-mêmes ont des zones d’ombre…

LE NARRATEUR.– Oh ! Comme tu as raison, cher Lecteur ! Les francs-maçons n’aiment guère aborder cet aspect de leur vie ! Je dis à tout candidat à la franc-maçonnerie, comme je le dis à tout Apprenti déjà initié, comme je te le dis à toi-même : il ne faut pas idéaliser la franc-maçonnerie ! Je ne vais rien te cacher ; ton engagement n’en sera que plus éclairé et plus solide. Les maçons sont des hommes de conviction ; la maîtrise de soi tant recherchée est un perfectionnement permanent qui n’aboutit pas à chaque coup ! Oppositions et affrontements existent : non seulement au moment des élections annuelles qui peuvent donner lieu à des rivalités de personnes, mais aussi, plus noblement, lorsqu’il s’agit de conceptions philosophiques ou sociétales. Ces crises de sensibilité n’empêchent pas la fraternité, aussi paradoxal que cela puisse te paraître. Il peut y avoir des conflits de personnes violents qui engendrent des scissions de Loges – ce que nous appelons un essaimage – et des réconciliations plusieurs années après entre les antagonistes.
La variété des caractères humains se retrouve ainsi dans nos Loges. On y discerne tous les types décrits par les moralistes et dramaturges. L’attitude la plus désagréable, et malgré tout assez répandue, est la cordonnite : ce n’est pas une maladie, encore que… Cette appellation désigne la recherche systématique d’une fonction élective. En effet, cette fonction s’accompagne, pour le frère une fois élu, de marques de respect et de reconnaissance dans les cérémonies maçonniques. Il entre solennellement dans le temple, parfois accompagné d’un rituel particulier ; il est présent à l’Orient, bien visible sur l’estrade à côté du Vénérable , il porte un cordon spécifique – ou un autre signe extérieur (rosette, cocarde ou médaille) – qui se doit d’être significatif pour cela, on y trouve des motifs symboliques brodés de fil d’or, il y a des décors satinés, des sautoirs aux couleurs vives. Bref ! Il y a parfois des relents de courtisanerie d’Ancien Régime et de mépris aristocratique en contradiction avec la simplicité et l’humilité maçonnique. Ces écarts individuels ne sont pourtant pas décisifs : l’Ordre continue d’exister grâce aux milliers de frères et de soeurs anonymes qui pratiquent du mieux qu’ils peuvent les vertus réclamées. Plus gênantes sont les faiblesses collectives. Elles concernent essentiellement l’affairisme que les anti-maçons mettent si souvent en exergue à la moindre occasion. On a souvent reproché à la franc-maçonnerie de favoriser, sous couvert de solidarité, l’affairisme de certains de ses membres ; les affaires (abus de biens sociaux, détournements de fonds, abus de confiance, trafics et fraudes) ont effectivement parfois éclaboussé la vie de l’Ordre. Dans la même perspective, on reproche aux fraternelles de favoriser cet affairisme. Les fraternelles ? Les maçons apprécient de se retrouver en dehors des Loges et des obédiences, pour se connaître et échanger. Ces regroupements, parfois informels, ou plus souvent associatifs, s’effectuent généralement selon un critère unique : il faut être domicilié dans une même ville, ou être membre d’un même corps de métier, d’une même entreprise ou d’un même ministère. Les réunions sont régulières mais sans cérémonial ni décors maçonniques : il s’agit souvent de déjeuners ou de dîners dans lesquels un frère fait un exposé ouvrant un débat. C’est vrai, la dérive peut être rapide vers la constitution d’un lobby motivé uniquement par des perspectives professionnelles ou privées, avec de dangereuses conséquences affairistes.
À la fin du XXe siècle, de nombreux scandales ont impliqués des adhérents de plusieurs obédiences françaises via des fraternelles. Je te rassure, cher Lecteur, la plupart des grandes obédiences ont pris des mesures destinées à assainir ce domaine, même si les tentatives de contrôle ou les condamnations n’altèrent pas la vigueur des fraternelles qui semblent correspondre à un vrai besoin des frères et soeurs. En réalité, personne ne peut garantir que la procédure de recrutement et l’enseignement moral diffusé en Loge empêchent des aigrefins de s’infiltrer.
Un frère qui cherche à se constituer un carnet d’adresses et un réseau de relations se trouve assez rapidement en contradiction avec l’esprit maçonnique, sauf exception il est rare que l’atmosphère de la Loge l’y encourage. La proportion d’escrocs est infime mais le scandale public est toujours dévastateur ; les obédiences prennent des mesures de suspension et d’exclusion pour remédier à la situation.

LE LECTEUR.– As-tu d’autres aspects désagréables à m’indiquer aussi franchement ?

LE NARRATEUR.– Oui, cher Lecteur, il existe également au moins deux autres sources d’inquiétude. D’abord les risques d’un “symbolisme symbolâtre” et ensuite ceux de l’élitisme.

LE LECTEUR.– Qu’entends-tu par ce redoublement barbare : “symbolisme
symbolâtre” ?

LE NARRATEUR.– C’est une invention de mon cru ! Certains auteurs ont popularisé le terme unique de “symbolâtrie.” Comme j’aime le symbolisme dans une version modérée, je préfère accoler un adjectif disqualifiant pour montrer qu’il s’agit d’une dérive ; dérive qui, hélas, prend de plus en plus d’importance… Le symbolisme dispose de deux facultés : celle de transformer un objet en signe pour exprimer un fait ou une opinion ; et celle de créer, pour appréhender ce signe, une chaîne indéfinie de correspondances qui sont autant de significations pouvant tout à la fois se conforter ou s’opposer. C’est une magnifique manifestation de l’intelligence humaine qui a été reprise par la franc-maçonnerie et dont elle est de venue la substance de la vie initiatique.
Tant qu’il s’agit de considérer le symbolisme comme un moyen, il n’y a rien à dire, mais quand il devient une fin, une fin absolue, il présente plusieurs risques que les maçons ne veulent pas prendre en compte, aveuglés qu’ils sont par ce finalisme. D’une part, le symbolisme est amené à minimiser, sinon dans certains cas, à nier la raison ; pour ce courant de pensée, le symbole dépasse en lui-même les mesures de la raison car celle-ci fragmente la richesse du symbole. Or, la franc-maçonnerie telle qu’elle est issue des Lumières est fondée sur la raison. D’autre part, quelles que soient les formules utilisées, le symbolisme recherche en réalité une transcendance, de nombreux auteurs l’admettent sans fard ; affranchi des contraintes de la raison, le symbole s’élève au-dessus de l’ordre intelligible des choses. Or, la franc-maçonnerie adogmatique accepte l’athéisme.
Enfin, se considérant comme une voie d’exploration des profondeurs de l’Être, le symbolisme promeut l’inconscient, or, l’initiation est, de l’avis de tous, une démarche d’accès à la conscience.
Pour finir ce registre délicat pour les maçons il faut évoquer la double tentation de l’élitisme et du conservatisme, souvent associés. Les francs-maçons aiment à se donner de l’importance ! Depuis qu’Anderson a décidé qu’Adam était le premier maçon ils s’imaginent bien volontiers qu’ils sont sortis de la cuisse de Jupiter… Plus sérieusement, ils sont saisis par l’idée qu’ils sont supérieurs au profane du simple fait de la pratique réflexive en Loge : celle-ci crée une distance par rapport à la vie quotidienne ou à l’événementiel et donc une certaine lucidité éclairante. C’est aussi l’une des grandes idées véhiculées par l’ésotérisme : il existe une élite spirituelle seule capable de l’approfondissement intellectuel susceptible de comprendre les vérités éternelles. Cet élitisme a également des origines historiques l’aristocratisme des Hauts Grades qui se retrouve dans le caractère monarchique de certains Rites.
Tu dois me trouver bien sévère ? Mais j’ai oublié la tentation conservatrice ! Elle est très liée à la précédente. Les raisons sont multiples : l’application d’un rituel immuable qui répète une gestuelle formelle, la mentalité née du secret protecteur vis-à-vis du monde profane, la prise en compte des opinions de chacun au nom de la tolérance, qui obère tout questionnement critique, le thème de la Tradition dans son acception la plus simple (saint Paul aux Corinthiens : transmettre ce qui a été reçu), le tribalisme obédientiel, le ronronnement dans l’environnement convenu de la Loge, voilà autant d’éléments qui confortent un traditionalisme insidieux qui s’empare du maçon à son insu. Le risque conservateur est en fait consubstantiel à la franc-maçonnerie ! Dans le monde postmoderne, le narcissisme et le repli identitaire ont touché les maçons qui y trouvent confort et conventionnalisme…

LE LECTEUR.– C’est accablant !

LE NARRATEUR.– Non ! C’est la vie de toute société humaine ! Rien de dramatique ni d’anormal. La nature humaine est ce qu’elle est ! D’autant que la franc-maçonnerie, dont j’ai d’entrée souligné l’exceptionnalité, dispose aussi d’une culture et d’une méthode qui en font une voie d’avenir indéniable.  Les maçons passent leur temps à se poser des questions, la pratique du doute étant l’une de leurs méthodes essentielles. Ils s’interrogent ainsi régulièrement sur la signification de leur propre histoire et sur celle de leur devenir.
Pour eux, la question qui s’est posée assez rapidement a été celle de la relation entre la Tradition et la Modernité. Le traditionalisme maçonnique, dans sa version courante, se veut une volonté explicite de retour aux sources, notamment chrétiennes, et des valeurs qui s’y rattachent. La tradition est ainsi un dépôt dont les attributs sont l’ancienneté et la continuité, dépôt capitalisé avant d’être transmis par chaque génération à la suivante. Pour certains, plus catégoriques encore, il existe une Tradition primordiale dont toutes les religions et les courants ésotéristes sont des manifestations dégradées ; le traditionalisme exprime ainsi un refus définitif de la Modernité. La Tradition, par nature, est élitiste : je te l’ai déjà fait entrevoir. Elle serait réservée à des esprits supérieurs capables de différencier l’éphémère, qui est factice, du sérieux plus proche de la Vérité ; cette capacité est fondée sur l’ésotérisme comme moyen et fin de la Vérité.
Avec Anderson, on est dans la Modernité : les notions maçonniques de base sont la tolérance et l’universalisme, complétées ensuite par celles de liberté, d’égalité et de fraternité, et couronnées par le concept de laïcité.
Cette franc-maçonnerie permet de séparer la sphère des convictions religieuses d’ordre individuel de la sphère des convictions sociales d’ordre collectif. Elle accepte ainsi toute la gamme des opinions intermédiaires ou partielles dans une pratique équilibrée de la maçonnerie : mixité, adaptation des rituels, etc.
Le mécanisme de l’élection aux fonctions maçonniques est un point qui focalise ce débat. Les traditionalistes soutiennent que la Tradition s’accompagne d’un fonctionnement hiérarchique et symbolique absolument contraire à la démocratie. Dès lors, l’idéologie démocratique serait une fausse séduction car la franc-maçonnerie reste malgré tout fondamentalement hiérarchique, un Apprenti et un Compagnon n’ayant pas, par exemple, les mêmes droits qu’un Maître. Inversement, les modernes trouvent dans ce dispositif électoral le soubassement d’un Ordre démocratique.
Dans la continuation de cette perspective moderniste, la philosophie maçonnique de l’Histoire trouve à s’épanouir dans deux utopies : le progrès et l’idée d’un gouvernement mondial.

LE LECTEUR.– Ce ne sont pas des idées proprement maçonniques ? Les philosophes, déjà…

LE NARRATEUR.– Pas complètement, en effet. j’en conviens bien volontiers  ! Mais la franc-maçonnerie les a érigées en idéal pour créer de l’harmonie entre les hommes. L’idée de progrès apparaît avec force en franc-maçonnerie avec la Révolution française : le progrès philosophique place l’Homme au centre de la réflexion et de la connaissance et le progrès politique établit le peuple souverain.
Ces idées correspondent aux attentes et aux pratiques maçonniques d’éducation par la raison, d’égalité des hommes, d’espoir dans un avenir meilleur libéré des contraintes naturelles par la science et les techniques. La participation des francs-maçons à la vie de la Cité – ils furent actifs dans la rédaction des cahiers de doléances mais se répartirent ensuite dans tous les camps politiques – montre leur attachement à une transformation à la fois individuelle et collective de l’Homme et de la société.
Quant à l’idée d’un gouvernement mondial, elle est liée au pacifisme profond de la franc-maçonnerie : cette institution n’a jamais en tant que telle commandité un crime par exemple ; peut-on en dire autant de l’Église ? Ce pacifisme traduit la volonté de l’Ordre d’étendre la fraternité à toute l’humanité. Fort en vogue au XVIIIème siècle, l’idée d’un gouvernement mondial, qui a inspiré la création de la Société des Nations (7929), puis de l’ONU (7948), est plus que jamais présente au Grand Orient de France, très attaché à l’idée d’une république planétaire : constitution d’une entité politique universelle fondée sur la laïcité, reconstruction d’un État-providence, création d’une gouvernance mondiale et d’une citoyenneté planétaire avec un parlement universel.
Bien sûr, ce sont là de belles idées, mais, regarde combien la question environnementale conduit à un embryon de coopération entre tous les pays : l’accord de Paris de 2015 sur le climat est le premier accord universel de ce type. Il faut avoir espoir en l’Homme ! D’autant que les maçons, avec leurs nombreuses légendes proposées dans leurs différents rituels, détiennent toute une série d’instruments de réflexion philosophique.
Pour faire face à l’avenir, la franc-maçonnerie dispose de deux grandes potentialités philosophiques : la construction de soi et l’élaboration d’une conscience critique sociale. La construction de soi repose d’abord sur la recherche de la perfection. Non ! Non ! Ce n’est ni la perfection divine, ni la sainteté religieuse ! C’est la capacité à apprendre à se connaître de même que c’est le travail de l’Apprenti ; on appelle cela “polir sa pierre.” Ce travail se continue au grade de Compagnon car il faut que cette pierre, une fois polie, puisse s’intégrer parfaitement dans l’édifice commun que représente la Loge. Je l’ai déjà évoqué plus haut : cette démarche n’est pas sans adversité. Eh bien ! la maçonnerie suggère la structuration du moi dans l’adversité.
Elle n’est pas un simple club, rien n’est facile. Mais quel plaisir de travailler sur soi avec l’aide des autres ! La construction de soi résulte aussi de la maîtrise du Temps. Qu’est-ce à dire ? Notre société contemporaine considère le présent comme le référent principal, déconnecté du passé comme du futur ; les nouvelles formes d’expression de notre rapport au temps, ce sont l’urgence, l’immédiateté, l’instantanéité, la vitesse. Nous avons perdu la notion de profondeur. Cette réalité rend bien difficile l’introspection qui requiert un temps intérieur et une réappropriation de soi. Accepte ce diagnostic : l’image éphémère ne facilite pas la pensée construite. Or, la maçonnerie apprend à prendre en compte le temps ! Il faut du temps pour se développer et mûrir, il faut du temps avant de gravir les échelons rituels de la démarche maçonnique, il faut du temps pour être reconnu par ses frères et soeurs. Le temps est une nécessité absolue. Certains n’hésitent pas à dire aux jeunes Apprentis qu’en franc-maçonnerie, le temps n’existe pas ! Je ne vais pas jusque-là car s’il faut tenter de maîtriser le temps, je ne pense pas qu’on puisse l’abolir.
La seconde potentialité philosophique de la franc-maçonnerie c’est, à mon avis, la capacité à élaborer une conscience sociale critique. Elle s’établit par la recherche d’un idéal de justice. La problématique de la justice est essentielle : le développement des inégalités et de la précarité, la concentration des richesses chez un nombre de plus en plus restreint de personnes sont des marqueurs contemporains de cette absence de justice qui nourrit, du moins en partie, les populismes.
La franc-maçonnerie traite sans cesse de ce problème dans ses rituels, dans ses travaux et dans ses actions de solidarité. Cette recherche s’accompagne d’une autre. plus âpre peut-être, c’est la quête de la Vérité. Je l’ai déjà évoquée précédemment. La recherche de la Vérité est le but ultime de la philosophie. C’est un thème permanent en franc-maçonnerie et il est peu de textes, quels que soient les degrés, qui ne la mentionnent. Le franc-maçon essaie d’être un chercheur consciencieux et désintéressé de la Vérité. Dès sa demande d’adhésion il accepte une remise en cause de ses certitudes. Des questions apparaissent très vite dans son cheminement : la recherche de la Vérité est-elle un besoin naturel de l’homme ? La vérité est-elle objective? Quelle place donner à l’expérience personnelle ? Une vieille formule hermétique, plus connue sous la forme V.I.T.R.I.O.L., l’oriente dans cette voie : Visita interiora terrae, rectificandoque invenies occuftum lapidem que l’on traduit par “Visite l’intérieur de la Terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée”, c’est-à-dire la vérité intérieure. Ainsi, la vérité maçonnique n’est-elle pas institutionnelle ou dogmatique ; elle concerne le for intérieur de chaque maçon. Or, elle est d’autant plus importante que nous sommes entrés dans l’ère de la post-vérité, où plus rien n’est considéré comme vrai, où tu peux affirmer le contraire de ce que tu fais sans risquer l’erreur ou le mensonge ! Ici, la maçonnerie est vraiment à la pointe de l’actualité et de la philosophie.
Cher Lecteur, je t’ai dit tout ce que je pouvais pour t’éclairer à ce stade. À toi de jouer à présent ! Puisse ce jeu de cartes t’aider à saisir les diverses facettes de la franc-maçonnerie : historiques, humaines, institutionnelles, rituéliques, etc. Mais je ne voudrais pas te décourager : il est difficile de tout comprendre de l’extérieur. Les Anciens l’affirmaient déjà sans complexe. Pour preuve, un quatrain attribué au compositeur de musique Jacques Naudot, qui a vécu au XVIIIème siècle, et qui est très répandu parmi les maçons.

Pour le public, un franc-maçon
Sera toujours un vrai problème,
Qu’il ne saurait résoudre à fond
Qu’en devenant maçon lui-même.

Bon jeu !

François Cavaignac


[CEPADUES.COM] François Cavaignac, né en 1948, est cadre supérieur de la fonction publique (administrateur civil) à la retraite. Après un début de carrière au Ministère de l’Éducation nationale il a notamment été Directeur des services administratifs et financiers de l’Etablissement Public du Musée d’Orsay (Ministère de la Culture), Adjoint au secrétaire général du CNRS (Ministère de la Recherche), et Secrétaire général de la Commission Interministérielle du Château de Vincennes (Ministère de la Défense). Titulaire de deux maîtrises (Droit public et Lettres-Histoire) il est également docteur en histoire avec une thèse soutenue en 2001 à Paris I Panthéon-Sorbonne sur Eugène Labiche. Franc-maçon depuis 1979 il a participé à la création de plusieurs loges, exerçant à différentes reprises les fonctions de vénérable de loges symboliques et de président d’ateliers de la Juridiction écossaise. Ses principaux thèmes de recherche concernent l’histoire de la franc-maçonnerie, la perception de la franc-maçonnerie par le monde profane à travers certaines institutions (le théâtre et la littérature) et l’herméneutique des rituels et des mythes maçonniques. Il a ainsi publié régulièrement depuis 2004 plusieurs articles et ouvrages sur ces sujets. Il est membre du comité de rédaction des Chroniques d’histoire maçonnique (GODF).

Ouvrages du même auteur (hors articles de revues)
      • La Franc-maçonnerie, 300e anniversaire, 1777-2017 (Levallois-Perret, Bréal, 2017),
      • Les Mythes maçonniques revisités (Paris, Dervy, 2016),
      • Balades maçonniques en littérature (Bruxelles, EME, 2014),
      • Second Surveillant. Comment faire avec les Apprentis ? (Paris, Dervy, 2013),
      • 50 fiches pour comprendre la franc-maçonnerie (Paris, Bréal, 2012),
      • Les Francs-maçons au théâtre de la Révolution à la Belle Époque (Paris,
        Véga, 2011),
      • La Culture théâtrale à Étampes au XIXe siècle (Paris, L’Harmattan, 2007),
      • Eugène Labiche ou La gaieté critique (Paris, L’Harmattan, 2003).

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : dervy-almora.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête © Le Lombard.


Plus de symboles en Wallonie…

LEMAIRE : La Société libre d’Émulation, une histoire riche et vivante (CHiCC, 2003)

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Au fil des générations, dans la mémoire des Liégeois, l’Emulation est restée synonyme de séances d’Exploration du Monde, du Touring Club, de concerts ou pièces de théâtre dans l’écrin confortable qu’était la salle de spectacles.

Toute l’aventure partit d’une bonne idée, celle qui, à la fin du 18e siècle, rassembla plusieurs citoyens soucieux de pourvoir leur ville d’un centre de réunions et d’actions culturelles, dirions-nous aujourd’hui. Créée en 1779 sous la protection éclairée du prince-évêque François-Charles de Velbrück, la Société d’Emulation, constituée sur le modèle des académies qui florissaient alors en France, oeuvrait dans une ambiance de sociabilité érudite ; elle était également chargée de la surveillance de la plupart des établissements scolaires fondés à Liège par ce prince-évêque : la Société pour l’Encouragement des Beaux-Arts, l’Académie de peinture, de sculpture et de gravure, l’Ecole de dessin appliqué aux Arts mécaniques, le Cours de Droit civil et économique, l’Ecole d’accoucheuse,…

Grâce à un don de Velbrück, ses activités avaient pour cadre un petit mais bel édifice de 1762, appelé “Salle des Redoutes”. Elle était située place du Grand Collège dont les constructions seront incorporées plus tard dans l’Université. On y trouvait une bibliothèque, les journaux liégeois et aussi parisiens, un cabinet de physique expérimentale et une salle de réunion où se donnaient des concerts, des conférences et des expositions.

La chute de l’Ancien Régime a entraîné la fermeture des salons de l’Emulation et on peut considérer qu’elle n’a rouvert ses portes qu’en 1809, sous le régime français. L’épithète “libre” a alors été adjointe à son nom. Il y avait eu occupation de troupes dans les locaux et il a fallu reconstituer les collections et le mobilier, faire deuil du cabinet de physique expérimentale dont le matériel avait disparu.

Le 19e siècle fut un siècle d’or pour la Société avec le développement de l’Université car la plupart des professeurs étaient aussi membres de l’Emulation. Les étudiants y avaient entrée libre. On put alors assister à l’audition de conférenciers (dont un des plus acrobatiques fut assurément Paul Verlaine, plutôt éméché), de littérateurs et critiques, d’œuvres musicales, dont certaines dirigées par leurs compositeurs, tels Franz Liszt et des représentants de l’Ecole de Musique russe venus sous l’égide de la Comtesse de Mercy-Argenteau.

Le bâtiment bénéficiera au cours du 19e siècle de modifications importantes, par l’adjonction d’un deuxième étage surmonté d’un fronton triangulaire, et par la rénovation, vers 1850, de la salle néo-gothique par l’architecte Jean-Charles Delsaux. Ulysse Capitaine a établi, en 1862, un catalogue de la bibliothèque qui recensait 2 262 manuscrits. Comme nous le renseigne le Liber memorialis de Renier Malherbe (publié pour le centenaire de l’association), l’Emulation établit très vite des relations avec des sociétés savantes étrangères et compta parmi ses membres résidants, correspondants et honoraires de nombreuses sommités scientifiques nationales et internationales.

Ruines du bâtiment de l’Émulation © histoiresdeliege.wordpress.com

Le siècle suivant débuta par une catastrophe : le soir du 20 août 1914, au début de la première guerre mondiale, une soldatesque, avinée pour la circonstance, fusilla 28 personnes et mit le feu à de nombreuses maisons de la place de l’Université. L’Emulation brûla de fond en comble, avec perte totale de sa bibliothèque, de ses archives, de ses collections et des orgues. Seul vestige conservé de son passé foisonnant : une feuille de titre des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand !

En mars 1918, Emile Digneffe, Président du Conseil, et son collègue Auguste Laloux entamèrent la reconstitution de la Société. La Ville mit à disposition de l’Emulation un ensemble de parcelles expropriées. Dans le projet de l’architecte Julien Koenig, le nouvel immeuble aura une façade, sur la place du Vingt-Août, de 31 mètres de large, avec une surface près de six fois supérieure à celle de l’ancienne. Inspirée du style Louis XVI, elle sera revêtue de petit granit et de brique avec des bas-reliefs sculptés en calcaire de Larochette. En comptant la galerie et la loge royale, la salle pouvait asseoir quelque 600 participants. Dans son prolongement se trouvait la salle d’expositions dont les cimaises ont accueilli des manifestations de l’Union liégeoise du Livre et de l’Estampe (alors filiale de l’Emulation), de l’A.P.I.A.W., de l’Oeuvre des Artistes

Le 17 mai 1939 eut lieu, en grande pompe, l’inauguration de ce nouveau bâtiment qui allait, cette même année, contribuer aux fastes de l’Exposition Universelle de l’Eau, dont le Commissaire du Gouvernement se trouvait être le baron de Launoit, Président de la Société. Hélas, moins d’un an après, la deuxième Guerre mondiale et l’Occupation allaient entraîner, pour l’Emulation, l’indisponibilité de ses locaux. De 1940 à 1948, ils sont réquisitionnés par le Département de la Justice. Ensuite, les trois derniers étages seront loués à la Radio, à l’Université, au Grand Liège ainsi qu’à des services-clubs.

Maison Renaissance © Ph.Vienne

Depuis 1985, le bâtiment de la place du Vingt-Août est loué à la Communauté française pour y abriter la Section des Arts de la Parole du Conservatoire Royal de Musique de Liège. La Société libre d’Emulation est réinstallée depuis 1986 dans la Maison Renaissance, dans une courette de la rue Charles Magnette. Ce petit édifice à tourelle d’angle, vestige subsistant du couvent des Sœurs de Hasque (classé, entièrement restauré en 1931 puis, extérieurement, en 1990) est à la fois son siège administratif, le lieu de certaines activités et le creuset de ses initiatives culturelles.

D’après un texte de Guy Dehalu, Administrateur-Secrétaire général de l’Emulation, Alfred Lamarche, membre de l’Emulation, et Anne-Françoise Lemaire.

  • image en tête de l’article : le nouveau bâtiment de l’Émulation après son inauguration en 1939 © histoiresdeliege.wordpress.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Anne-Françoise LEMAIRE, organisée en novembre 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

COLARD : Portrait de A (série Draga, 2021, Artothèque, Lg)

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COLARD, Marion, Portrait de A (série Draga)

(photographie et dessin sur papier calque, 70 x 50 cm, 2021)

Marion COLARD est née à Liège en 1992, elle vit et travaille à Bruxelles. 

Après un master en Animation Socio-culturelle et Education à l’IHECS, elle obtient un certificat formation continue en Médiation culturelle à l’ULB.

En 2015, elle réalise son stage de fin d’étude en Roumanie. C’est le point de départ d’une recherche sur les différentes manières de montrer les réalités vécues des personnes Roms.

Cette artiste aborde des questions sociétales avec une démarche multidisciplinaire. Elle s’intéresse aux histoires des personnes en marge de la société, elle “cherche à faire émerger la beauté brute et la force de celleux qui se construisent à l’écart. Trouver une magie au milieu d’un chaos, souvent systémique”.

“Ma démarche artistique est centrée sur les rapports interpersonnels et subjectifs, mon travail se construit de la même manière que je vis mes expériences : intensément, collectivement et de façon multiple.” (M. Colard)

Lors d’une résidence en Roumanie (2021), Marion Colard a organisé avec des groupes d’enfants, des ateliers artistiques pour questionner l’identité. Les œuvres qui en sont ressorties proposées font partie de la série “Draga” (“Ma chérie” en roumain).

Elle a demandé aux enfants de dessiner ce qu’ils aimaient et détestaient. Celui-ci a répondu qu’il aimait la lune et la fumée dans la maison et qu’il détestait les clowns qui mangent les oignons.

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Marion Colard | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

BLEXBOLEX : La Fêlure I/IV (2009, Artothèque, Lg)

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BLEXBOLEX, La Fêlure I/IV

(sérigraphie, 45 x 45 cm, 2009)

Né en 1966, BLEXBOLEX (Bernard Granger), artiste français, vit à Leipzig, en Allemagne. Après un passage aux Beaux-arts d’Angoulême, il découvre la sérigraphie et apprend les techniques de l’édition sur le tas. Directeur de collection chez Cornelius, il lance les collections Lucette et Louise. Depuis 2006, il travaille à une œuvre importante autour de l’imagier : L’imagier des gens, qui a reçu “Le prix du plus beau livre du monde” à la Foire du livre de Leipzig, Saisons et Romances. Ce triptyque s’impose comme un chef d’œuvre de l’édition jeunesse.

Dans ses livres graphiques, Blexbolex utilise diverses techniques, toujours avec minutie. Son style rappelle les polars des années 1950-1960, avec un graphisme et un chromatisme très marqué évoquant la technique du pochoir.

Cette sérigraphie fait partie du livre La Fêlure (éd. Ouvroir Humoir, 2009), un récit graphique rythmé en 24 planches. Un détective se trouve confronté à des événements faisant irruption sans raison. L’intrigue de ce petit précis de mécanique graphique échappe ensuite aux règles de narration classique. Une mise en scène décalée dans laquelle excelle l’auteur.

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Blexbolex ; the-comics-journal.sfo3.digitaloceanspaces.com/ | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

SASEK : Piccadilly Line (1959, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

SASEK Miroslav, Piccadilly Line

(digigraphie, 50 x 40 cm, original 1959)

Miroslav SASEK est né en 1916 à Prague, dans l’ancienne Tchécoslovaquie. À la fin des années 1930, après des études d’architecture, il commence à produire des illustrations pour des journaux et des albums jeunesse.

En 1947, il part à Paris pour étudier aux Beaux-Arts puis s’installe à Munich comme illustrateur et peintre. Durant les années 1960, il entame une série de livres illustrés qui comprendra plusieurs capitales ou pays, ouvrages qui rencontreront un succès international et seront couronnés de plusieurs prix. Quatre de ces 18 albums seront adaptés en dessins animés. Miroslav Šašek disparaît en 1980, en Suisse.

Cette reproduction est tirée de l’ouvrage sur Londres (This is London), paru en 1959.

Elle représente les usagers attendant en sous-sol l’arrivée du métro. La ligne de fuite et les courbes sont exagérées, donnant une impression de torsion de l’ensemble.

Les illustrations de Sasek sont typiques du style graphique des années ’60. Les lignes sont simples, les couleurs tranchées. Les dessins sont pleins de charme et d’humour, riches en détails et accompagnés de courts textes.

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Miroslav Sasek ; radio.cz | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

COLON : Lignes de faille (2018, Artothèque, Lg)

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COLON Ariane, Lignes de faille

(photographie argentique, 19 x 19 cm, 2018)

Ariane COLON a fait des études d’assistante sociale puis de sociologie. Après 11 ans de sa vie consacrés à accompagner les publics fragilisés (secteur associatif et milieu carcéral), elle entame son parcours photographique tout en continuant son travail. En 2002, elle s’inscrit à l’Atelier Créatif de photographie N&B argentique organisé par le Centre Culturel de Namur (sous la direction de Baudoin Lotin) et elle s’équipe d’un réflex 24×36 CANON AE1 ; 20 ans plus tard, ce dernier est toujours son fidèle compagnon. Plus tard, un appareil photo Diana F+, acquis pour 8 euros, va lui ouvrir les horizons débridés de la Lomography.

Avec 4 autres photographes, elle crée le collectif Filtre 2 , principalement dédié à la photographie analogique argentique.

La série Grise Mine a été photographiée dans la région de Douchy-les-Mines, dans le nord de la France.

“C’est un de ces pays noirs qui vous cueille avec les stigmates de son passé de profondeurs, de labeur, d’exploitation (des mines et des hommes) : terres, maisons, visages, atmosphère… tout y est d’abord (première vue et approche) gris. […] Mais “pas que” pour qui sait y voir. […] Une communauté de vie, de foi, de larmes certes parfois, mais aussi de la fierté, de la gouaillerie, et de la joie. C’est en tout cas ce que j’ai perçu, senti, ressenti, en arpentant ces lieux et c’est la trace que j’ai cherché à en garder et à montrer.” (A. Colon)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Ariane Colon ; pixfan.com | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

SAGAN : textes

Temps de lecture : 6 minutes >

 

Il leur arriva ce qui arrive à un homme et une femme entre qui s’installe le feu. Très vite, ils ne se rappelèrent plus avoir connu autrefois le plaisir, ils oublièrent les limites de leur propre corps et les termes de pudeur ou d’audace devinrent aussi abstraits l’un que l’autre.
L’idée qu’ils devraient se quitter, dans une heure ou deux, leur semblait d’une immortalité révoltante. Ils savaient déjà qu’aucun geste de l’autre ne saurait jamais être gênant, ils murmuraient en les redécouvrant les mots crus, maladroits et puérils de l’amour physique et l’orgueil, la reconnaissance du plaisir donné, reçu, les rejetaient sans cesse l’un vers l’autre.
Ils savaient aussi que ce moment était exceptionnel et que rien de mieux ne pouvait être donné à un être humain que la découverte de son complément. Imprévisible, mais à présent inéluctable, la passion physique allait faire – de ce qui aurait pu être, entre eux, une passade – une véritable histoire.

La chamade (1965)


[d’après LIVRECRITIQUE.COM] Françoise Sagan (1935-2004), de son vrai nom Françoise Quoirez, est une écrivaine française qui a marqué la littérature française du XXe siècle. Connue pour ses romans tels que Bonjour tristesse ou Un certain sourire, elle a également mené une vie tumultueuse et passionnée. Dans cet article, nous vous proposons de découvrir sa biographie complète, de son enfance à sa mort, en passant par ses succès littéraires et ses relations amoureuses.

La jeunesse de Françoise Sagan

Françoise Sagan est née le 21 juin 1935 à Cajarc, dans le Lot. Elle est la fille unique de parents divorcés et a grandi avec sa mère à Paris. Dès son plus jeune âge, elle a montré un grand intérêt pour la littérature et a commencé à écrire des histoires dès l’âge de 10 ans. Elle a été scolarisée dans des établissements privés prestigieux, mais a été renvoyée de plusieurs d’entre eux pour son comportement rebelle et son manque d’intérêt pour les études. À l’âge de 18 ans, elle a passé son baccalauréat en candidat libre et a commencé à fréquenter les cercles littéraires parisiens. C’est à cette époque qu’elle a commencé à écrire son premier roman, Bonjour Tristesse, qui a été publié en 1954 et qui a connu un succès immédiat. Ce livre a fait d’elle une célébrité instantanée et a lancé sa carrière d’écrivain. La jeunesse de Françoise Sagan a été marquée par son indépendance d’esprit, sa passion pour la littérature et son désir de vivre intensément. Ces traits de caractère se retrouveront tout au long de sa vie et de son œuvre.

Son entrée dans le monde littéraire

Françoise Sagan a fait son entrée dans le monde littéraire en 1954 avec la publication de son premier roman, Bonjour Tristesse. Ce livre, écrit à l’âge de dix-huit ans, a immédiatement connu un succès retentissant et a été traduit en plusieurs langues. Il a été salué par la critique pour son style élégant et sa description de la jeunesse dorée de la France des années 1950.

Ce premier roman a lancé la carrière de Françoise Sagan, qui a ensuite publié de nombreux autres livres, dont Un certain sourire, Aimez-vous Brahms et La Chamade. Elle est devenue une figure emblématique de la littérature française de l’après-guerre, connue pour son style incisif et sa capacité à décrire les relations amoureuses complexes.

Malgré son succès, Françoise Sagan a également connu des périodes difficiles dans sa vie personnelle et professionnelle. Elle a été confrontée à des problèmes d’addiction et a été impliquée dans plusieurs scandales médiatiques. Cependant, elle a continué à écrire jusqu’à sa mort en 2004, laissant derrière elle une œuvre littéraire qui continue d’être appréciée par les lecteurs du monde entier.

Le succès de Bonjour tristesse

Le succès de Bonjour tristesse a été phénoménal dès sa publication en 1954. Le roman, écrit par Françoise Sagan à l’âge de 18 ans, a été salué par la critique et a connu un immense succès auprès du public. Il a été traduit en plusieurs langues et a été adapté au cinéma en 1958.

Le livre raconte l’histoire de Cécile, une jeune fille de 17 ans qui passe l’été sur la Côte d’Azur avec son père et sa maîtresse. Cécile est une adolescente rebelle qui profite de la vie sans se soucier des conséquences. Mais lorsque son père tombe amoureux d’une autre femme, Cécile décide de tout faire pour empêcher cette relation.

Bonjour tristesse a été salué pour son style élégant et sa capacité à capturer l’essence de la jeunesse et de l’insouciance. Le livre a également été critiqué pour son immoralité et son manque de profondeur. Cependant, cela n’a pas empêché le roman de devenir un classique de la littérature française et de propulser Françoise Sagan sur la scène littéraire internationale.

Les relations de Françoise Sagan avec les artistes de son temps

Françoise Sagan était une figure emblématique de la scène littéraire française des années 1950 et 1960. Elle était également très proche de nombreux artistes de son temps, notamment des écrivains, des peintres et des musiciens. Parmi ses amis les plus proches figuraient Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Juliette Gréco et Miles Davis. Elle a également entretenu des relations amicales avec des artistes tels que Pablo Picasso, Salvador Dali et Francis Bacon. Ces amitiés ont souvent inspiré son travail, et elle a écrit sur de nombreux sujets liés à l’art et à la culture. Françoise Sagan était une personnalité fascinante et complexe, et ses relations avec les artistes de son temps ont contribué à façonner son œuvre et sa vie.

Les scandales et les controverses

En 1957, Sagan a été arrêtée pour possession de drogue et condamnée à une amende. Cet incident a eu un impact négatif sur sa carrière et son image publique. Elle a également été impliquée dans des scandales liés à sa vie amoureuse tumultueuse, notamment avec son mari Bob Westhof, qui était marié à une autre femme au moment de leur rencontre.

Malgré ces controverses, Sagan a continué à écrire et à publier des romans acclamés par la critique, tels que Un certain sourire et Des bleus à l’âme. Elle est devenue une figure emblématique de la littérature française et a inspiré de nombreux écrivains et artistes. Sa vie tumultueuse et ses scandales ont contribué à sa légende et ont fait d’elle une icône de la culture populaire.

La vie amoureuse de Françoise Sagan

La vie amoureuse de Françoise Sagan a été tumultueuse et passionnée. Elle a eu de nombreuses relations amoureuses tout au long de sa vie, avec des hommes et des femmes. Elle a été mariée deux fois, mais ses mariages ont tous deux été de courte durée. Elle a également eu des liaisons avec des personnalités célèbres telles que le réalisateur Louis Malle et l’écrivain Jacques Laurent. Malgré ses nombreuses relations, Sagan a souvent exprimé une certaine solitude et un désir de trouver un amour véritable et durable. Sa vie amoureuse a été une source d’inspiration pour son travail littéraire, et elle a souvent exploré les thèmes de l’amour et de la passion dans ses romans et ses pièces de théâtre.

Sa carrière cinématographique

Françoise Sagan a également connu une carrière cinématographique prolifique. En 1958, son roman Bonjour Tristesse a été adapté au cinéma par Otto Preminger, avec Jean Seberg dans le rôle principal. Le film a été un succès international et a contribué à la renommée de Sagan.

En 1960, elle a écrit le scénario du film Les Amants de Louis Malle, qui a été un autre succès critique et commercial. Elle a également travaillé sur d’autres projets cinématographiques, notamment La Chamade en 1968, basé sur son propre roman, et Un peu de soleil dans l’eau froide en 1971.

Sagan a également été impliquée dans le monde du théâtre, écrivant plusieurs pièces qui ont été mises en scène à Paris. Elle a également travaillé comme actrice, jouant dans des productions théâtrales et cinématographiques.

Sa carrière cinématographique a été marquée par son style unique et sa capacité à capturer l’essence de la vie moderne. Ses œuvres ont été saluées pour leur honnêteté et leur sensibilité, et ont inspiré de nombreux artistes à travers le monde.

Les dernières années de sa vie

Les dernières années de la vie de Françoise Sagan ont été marquées par des problèmes de santé et des difficultés financières. En 2002, elle a été victime d’un accident vasculaire cérébral qui l’a laissée partiellement paralysée. Malgré cela, elle a continué à écrire et à publier des livres, notamment Un chagrin de passage en 2003 et La maison de Raquel Vega en 2006.

Cependant, ses problèmes financiers ont persisté et elle a été contrainte de vendre sa maison de campagne en Normandie en 2004. Elle a également été impliquée dans des scandales fiscaux et a été condamnée à une amende pour fraude fiscale en 2005. Malgré ces difficultés, Françoise Sagan a continué à écrire jusqu’à sa mort en 2004, à l’âge de 69 ans…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : e.a. livrecritique.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : La Chamade, un film d’Alain Cavalier (1968) © Les Films Ariane.


Plus de littérature en Wallonie…

BEAUCHARD, dit DAVID B : Mon grand-père au front (2017, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

BEAUCHARD Pierre-François dit DAVID B, Mon grand-père au front

(lithographie, 65 x 80 cm, 2017)

Né à Nîmes en 1959, DAVID B, nom de plume de Pierre-François Beauchard, vit et travaille à Bologne. Il est l’un des fondateurs de la maison d’édition L’Association, qui renouvela les codes de bande dessinée française au début des années 1990. Après des études d’Arts Appliqués à Paris, David B. publie ses premiers dessins dans différentes revues. Ses carnets de rêves, ou plutôt de cauchemars, publiés par L’Association, attirent l’attention. Entre 1996 et 2003, il créé “L’Ascension du Haut Mal”, série autobiographique consacrée notamment à la maladie de son frère aîné, l’épilepsie. En une quinzaine d’années, il se retrouve à la tête d’une bibliographie abondante comptant plus d’une soixantaine d’ouvrages, dont certains en tant que scénariste.

Cette lithographie nous présente une scène de guerre. Des petits soldats terrifiés se cachent parmi des débris de tranchées. Au milieu de ce chaos semble trôner le grand-père de l’auteur. A la place de son visage, une forme noire ressemblant à une faux… peut-être la faux de la mort.

Le thème de la mort est très présent dans l’ensemble du travail de l’artiste. David B. l’explique par son enfance marquée par les crises d’épilepsie de son frère; chaque crise étant vécue comme une petite mort. (d’après MELPUBLISHER.COM)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © David B ; benzinemag.net | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

Les systèmes d’IA ne savent pas expliquer leurs décisions. Voici les pistes de recherche vers ‘l’explicabilité’

Temps de lecture : 6 minutes >

[THECONVERSATION.COM, 5 décembre 2024] L’utilisation d’intelligences artificielles, dans certains cas, génère des risques de discriminations accrues ou encore de perte de confidentialité ; à tel point que l’Union européenne tente de réguler les usages de l’IA à travers différents niveaux de risques. Ceci pose d’autant plus question que la plupart des systèmes d’IA aujourd’hui ne sont pas en mesure de fournir des explications étayant leurs conclusions. Le domaine de l’IA explicable est en plein essor.

À l’hôpital, des systèmes d’intelligence artificielle (IA) peuvent aider les médecins en analysant les images médicales ou en prédisant les résultats pour les patients sur la base de données historiques. Lors d’un recrutement, des algorithmes peuvent être utilisés pour trier les CV, classer les candidats et même mener les premiers entretiens. Sur Netflix, un algorithme de recommandation prédit les films que vous êtes susceptible d’apprécier en fonction de vos habitudes de visionnage. Même lorsque vous conduisez, des algorithmes prédictifs sont à l’œuvre dans des applications de navigation telles que Waze et Google Maps pour optimiser les itinéraires et prédire les schémas de circulation qui devraient assurer un déplacement plus rapide.

Au bureau, ChatGPT, GitHub Copilot et d’autres outils alimentés par l’IA permettent de rédiger des courriels, d’écrire des codes et d’automatiser des tâches répétitives ; des études suggèrent que jusqu’à 30 % des heures travaillées pourraient être automatisées par l’IA d’ici à 2030.

Ces systèmes d’IA sont très variés, mais ils ont un point commun : leur fonctionnement interne et leurs résultats sont difficiles à expliquer… pas seulement pour le grand public, mais aussi pour les experts. Ce manque d’explicabilité limite le déploiement des systèmes d’IA en pratique. Pour résoudre ce problème et s’aligner sur les exigences réglementaires croissantes, un domaine de recherche connu sous le nom d’IA explicable (ou explicabilité) a vu le jour.

IA, apprentissage automatique… des noms qui recouvrent des systèmes variés

Avec la médiatisation généralisée de l’intelligence artificielle et son déploiement rapide, il est facile de se perdre. En particulier, de nombreux termes circulent pour désigner différentes techniques d’IA, sans que l’on sache forcément bien ce que chacun recouvre, par exemple “apprentissage automatique”, “apprentissage profond” et “grands modèles de langage”, pour n’en citer que quelques-uns.

En termes simples, l’IA fait référence au développement de systèmes informatiques qui effectuent des tâches nécessitant une intelligence humaine, telles que la résolution de problèmes, la prise de décision et la compréhension du langage. Elle englobe divers sous-domaines tels que la robotique, la vision par ordinateur et la compréhension du langage naturel.

Un sous-ensemble important de l’IA est l’apprentissage automatique, qui permet aux ordinateurs d’apprendre à partir de données au lieu d’être explicitement programmés pour chaque tâche. Pour simplifier, la machine observe des schémas dans les données et les utilise pour faire des prédictions ou prendre des décisions. Dans le cas d’un filtre antispam par exemple, le système est entraîné à partir de milliers d’exemples de courriers électroniques indésirables et non indésirables. Au fil du temps, il apprend des éléments – des mots, des phrases ou des détails sur l’expéditeur – qui sont courants dans les spams.

Différentes expressions sont utilisées pour désigner un large éventail de systèmes d’IA © Elsa Couderc, CC BY

L’apprentissage profond est lui-même un sous-ensemble de l’apprentissage automatique et utilise des réseaux de neurones complexes composés de plusieurs couches afin de repérer et d’apprendre des motifs récurrents encore plus sophistiqués. L’apprentissage profond s’avère d’une valeur exceptionnelle pour travailler avec des données textuelles ou des images, et constitue la technologie de base de divers outils de reconnaissance d’images ou de grands modèles de langage tels que ChatGPT.

Réglementer l’IA

Les exemples du début de cet article montrent la grande variété d’applications possibles de l’IA dans différents secteurs. Plusieurs de ces applications, par exemple la suggestion de films sur Netflix, semblent relativement peu risquées, tandis que d’autres, comme le recrutement, l’évaluation d’éligibilité à un crédit bancaire ou le diagnostic médical, peuvent avoir un impact important sur la vie d’une personne. Il est donc essentiel que ces applications soient conformes à des critères éthiques partagés.

C’est à cause de ce besoin d’encadrement que l’Union européenne a proposé son AI Act. Ce cadre réglementaire classe les applications de l’IA en quatre niveaux de risque différents en fonction de leur impact potentiel sur la société et les individus : inacceptable, élevé, limité, et minimal. Chaque niveau mène à différents degrés de réglementation et d’exigences.

Ainsi, les systèmes d’IA à “risque inacceptable”, tels que les systèmes utilisés pour le score social ou la police prédictive, sont interdits en Union européenne, car ils représentent des menaces importantes pour les droits de l’homme.

Les systèmes d’IA à “haut risque” sont autorisés, mais ils sont soumis à la réglementation la plus stricte, car ils sont susceptibles de causer des dommages importants en cas d’échec ou d’utilisation abusive, par exemple dans les secteurs sensibles que sont l’application de la loi et le maintien de l’ordre, le recrutement et l’éducation.

Les systèmes d’IA à “risque limité” comportent un certain risque de manipulation ou de tromperie, par exemple les chatbots ou les systèmes de reconnaissance des émotions, dans lesquels il est primordial que les humains soient informés de leur interaction avec le système d’IA.

Les systèmes d’IA à “risque minimal” contiennent tous les autres systèmes d’IA, tels que les filtres antispam, qui peuvent être déployés sans restrictions supplémentaires.

Le besoin d’explications, ou comment sortir l’IA de la “boîte noire”

De nombreux consommateurs ne sont plus disposés à accepter que les entreprises imputent leurs décisions à des algorithmes à boîte noire. Prenons l’exemple de l’incident Apple Card, où un homme s’est vu accorder une limite de crédit nettement plus élevée que celle de sa femme, en dépit du fait qu’ils partageaient les mêmes biens. Cet incident a suscité l’indignation du public, car Apple n’a pas été en mesure d’expliquer le raisonnement qui sous-tend la décision de son algorithme. Cet exemple met en évidence le besoin croissant d’expliquer les décisions prises par l’IA, non seulement pour garantir la satisfaction des clients et utilisateurs, mais aussi pour éviter une perception négative de la part du public.

De plus, pour les systèmes d’IA à haut risque, l’article 86 de la loi sur l’IA établit le droit de demander une explication des décisions prises par les systèmes d’IA, ce qui constitue une étape importante pour garantir la transparence des algorithmes.

Au-delà de la conformité légale, les systèmes d’IA “transparents” présentent plusieurs avantages, tant pour les propriétaires de modèles que pour les personnes concernées par les décisions.

Une IA transparente

Tout d’abord, la transparence renforce la confiance (comme dans l’affaire de l’Apple Card) : lorsque les utilisateurs comprennent le fonctionnement d’un système d’IA, ils sont plus susceptibles de l’utiliser.

Deuxièmement, la transparence contribue à éviter les résultats biaisés, en permettant aux régulateurs de vérifier si un modèle favorise injustement des groupes spécifiques.

Enfin, la transparence permet l’amélioration continue des systèmes d’IA en révélant les erreurs ou les effets récurrents inattendus.

Globalement, il existe deux approches pour rendre les systèmes d’IA plus transparents.

Tout d’abord, on peut utiliser des modèles d’IA simples, comme les arbres de décision ou les modèles linéaires pour faire des prédictions. Ces modèles sont faciles à comprendre car leur processus de décision est simple.

Par exemple, un modèle de régression linéaire peut être utilisé pour prédire les prix des maisons en fonction de caractéristiques telles que le nombre de chambres, la superficie et l’emplacement. La simplicité réside dans le fait que chaque caractéristique est affectée d’un poids et que la prédiction est simplement la somme de ces caractéristiques pondérées : on distingue clairement comment chaque caractéristique contribue à la prédiction finale du prix du logement.

Cependant, à mesure que les données deviennent plus complexes, ces modèles simples peuvent ne plus être suffisamment performants.

C’est pourquoi les développeurs se tournent souvent vers des “systèmes boîte noire” plus avancés, comme les réseaux de neurones profonds, qui peuvent traiter des données plus importantes et plus complexes, mais qui sont difficiles à interpréter. Par exemple, un réseau de neurones profond comportant des millions de paramètres peut atteindre des performances très élevées, mais la manière dont il prend ses décisions n’est pas compréhensible pour l’homme, car son processus de prise de décision est trop vaste et trop complexe.

L’IA explicable

Une autre option consiste à utiliser ces puissants modèles malgré leur effet de “boîte noire” en conjonction avec un algorithme d’explication distinct. Cette approche, connue sous le nom d’”IA explicable”, permet de bénéficier de la puissance des modèles complexes tout en offrant un certain niveau de transparence.

Une méthode bien connue pour cela est l’explication contre-factuelle, qui consiste à expliquer la décision atteinte par un modèle en identifiant les changements minimaux des caractéristiques d’entrée qui conduiraient à une décision différente.

Par exemple, si un système d’IA refuse un prêt à quelqu’un, une explication contre-factuel pourrait informer le demandeur : “Si votre revenu annuel avait été supérieur de 5 000 euros, votre prêt aurait été approuvé“. Cela rend la décision plus compréhensible, tout en conservant un modèle d’apprentissage automatique complexe et performant. L’inconvénient est que ces explications sont des approximations, ce qui signifie qu’il peut y avoir plusieurs façons d’expliquer la même décision.

Vers des usages positifs et équitables

À mesure que les systèmes d’IA deviennent de plus en plus complexes, leur potentiel de transformer la société s’accroît, tout comme leur capacité à commettre des erreurs. Pour que les systèmes d’IA soient réellement efficaces et fiables, les utilisateurs doivent pouvoir comprendre comment ces modèles prennent leurs décisions.

La transparence n’est pas seulement une question de confiance, elle est aussi cruciale pour détecter les erreurs et garantir l’équité. Par exemple, dans le cas des voitures autonomes, une IA explicable peut aider les ingénieurs à comprendre pourquoi la voiture a mal interprété un panneau d’arrêt ou n’a pas reconnu un piéton. De même, en matière d’embauche, comprendre comment un système d’IA classe les candidats peut aider les employeurs à éviter les sélections biaisées et à promouvoir la diversité.

En nous concentrant sur des systèmes d’IA transparents et éthiques, nous pouvons faire en sorte que la technologie serve les individus et la société de manière positive et équitable.

David Martens & Sofie Goethals, Université d’Anvers


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © la.blogs.nvidia.com ; © Elsa Couderc, CC BY.


Plus de dispositifs en Wallonie…

TAROT : Arcane majeur n° 06 – L’Amoureux

Temps de lecture : 20 minutes >

L’Amoureux est la sixième lame du Tarot de Marseille. Il représente un jeune homme entre une femme âgée et une jeune femme avec au dessus de lui un chérubin qui va tirer une flèche vers son cœur. Le symbole du chérubin est l’ouverture du cœur, le jeune homme découvre l’amour et l’univers des sentiments. L’Amoureux symbolise l’expression de ses sentiments. Le consultant apprend à connaître ce qu’il ressent et le partage avec son entourage. L’Amoureux exprime ce qu’il ressent et cela est bien accueilli par ses proches. L’Amoureux attire et développe des relations. L’Amoureux est une image de la rencontre et de l’échange affectif avec des personnes qui sont ou qui deviennent des proches. Il est question d’une intimité et d’une douceur de vivre. Avec L’Amoureux les situations sont agréables et les relations sont faites de tendresse. On aime et on se sent aimé. De plus L’Amoureux exprime la capacité de faire les choix du cœur. Dans sa face sombre, L’Amoureux est une image de souffrance et de désamour. Les sentiments deviennent douloureux. C’est aussi la difficulté de faire un choix. Le consultant reste dans l’hésitation et se retrouve bloqué. C’est une incertitude et un balancement entre des options sans parvenir à une décision.” [d’après ELLE.FR]

    1. Lame droite : Grande passion, née le jour = union, mariage.
      1. A côté – LE BATELEUR (droite) Hésitations sur décisions à prendre.
      2. A côté – LE CHARIOT : Les projets seront anéantis, cause départ. Révélation d’infidélité. Trahison.
    2. Lame renversée : Gros rhume. Fièvre.
      1. A côté – LE BATELEUR (renversé) : Rupture pour cause indécision.

1. L’Amoureux ou le choix et l’engagement (Tarot de Marseille, Christiane Laborde)

L’arcane six du tarot de Marseille représente un jeune homme, surmonté d’un Cupidon ailé armé d’une flèche, face à deux jeunes femmes qui sollicitent, toutes les deux, son attention. La scène peut évoquer un épisode de la mythologie gréco-romaine connu sous le nom du choix d’Hercule. Une fois son éducation terminée, le jeune héros rencontre, à un croisement de routes, deux jeunes femmes, nommées Plaisir et Vertu. Plaisir incarne la recherche du plaisir des sens et de l’amour, source de satisfactions immédiates mais éphémères, et Vertu, la quête austère d’une gloire future. Hercule choisit de suivre Vertu et réalise les exploits qui assureront sa notoriété pour la postérité. Il fait ainsi un choix déterminant qui engage sa vie et sa destinée, ce qui correspond au message transmis par l’arcane de L’Amoureux. Certains tarots nomment parfois cet arcane Les Amants, représentés par un couple également surmonté d’un Cupidon. Mais que l’arcane mette en scène un jeune homme face à deux jeunes femmes ou un couple d’amoureux, l’arcane VI concerne toujours les relations amoureuses, d’autant que Cupidon est le fils de Vénus, la déesse de l’Amour.

L’enfant Bateleur est désormais devenu adolescent (même costume bariolé et même blondeur). Une fois son éducation achevée, il s’ouvre à la découverte de l’amour et choisit d’y consacrer sa vie.

Le nombre six

Étymologiquement, six et sexe ont la même racine. L’arcane six de L’Amoureux concerne le domaine de la vie amoureuse et inclut la sexualité, ce qui signifie que la voie du tarot n’est pas une voie d’ascétisme. Le message de l’arcane va cependant au-delà d’une simple incitation au plaisir des sens, car le nombre six est aussi le nombre dédié à l’harmonie, la beauté et l’amour.

Le nombre six est celui du sceau de Salomon. Il représente une étoile à six branches, constituée par l’imbrication de deux triangles inversés, dont l’un a la pointe orientée vers le haut et l’autre vers le bas. Cette figure géométrique, dont les représentations les plus anciennes datent de quatre mille ans avant notre ère, symbolise l’harmonisation des principes opposés obtenue par le dépassement des oppositions qui la constituent, particulièrement celles du masculin et du féminin. Une énergie nouvelle peut alors naître de leur complémentarité, comme l’union de l’eau et du feu libère l’énergie de la vapeur.

Interprétation symbolique de L’Amoureux

La connotation amoureuse de l’arcane six laisse penser que l’amour ouvre une voie vers un état de conscience supérieur. Lorsqu’il est sublimé, il devient un chemin vers le divin (y compris dans son aspect sexuel). C’est le message de l’amour courtois chanté par les troubadours du Moyen-Age et par les poètes de la Renaissance. Ils décrivent l’amour entre un homme et une femme comme le premier degré de la voie qui conduit à l’amour divin. C’est aussi le message transmis par le tantra, pratique initiatique sacrée à la fois physique et spirituelle. Cette conception de l’amour sert de terreau au message de L’Amoureux.

Invitation de L’Amoureux

Comme Pétrarque et Laure, Dante et Béatrice et, avant eux, les amants courtois de la fin’amor, L’ Amoureux du tarot est invité à s’engager, corps et âme, dans la voie de l’amour et à lui consacrer sa vie. Cet élan amoureux doit cependant être dépouillé de sa dimension possessive pour tendre vers une conception plus élevée de l’amour, seule capable de combler le besoin d’élévation et de fusion avec le divin qui s’exprime à travers lui.

Car l’expérience amoureuse rapproche l’être du mystère de la création. Elle ne se limite pas aux relations sexuelles, mais se caractérise par une ouverture du coeur. Elle invite à rechercher la beauté dans toutes les relations humaines et toutes les créatures vivantes – végétales et animales-, mais aussi dans les arts, la culture et tout ce qui élève l’âme et permet de cultiver l’harmonie, en soi et autour de soi.

Prière Navajo

Maintenant va de l’avant comme quelqu’un qui a la longue vie,
Va de l’avant comme quelqu’un qui est heureux,
Va avec le bonheur et la longue vie,
Va mystérieusement.

Pour les Indiens Navajos, marcher dans la beauté, principalement celle de la Nature, est un chemin spirituel, en harmonie avec l’Univers.

L’arcane affirme le libre arbitre de L’Amoureux qui, pour la première fois, choisit, en conscience, l’orientation qu’il veut donner à sa vie en s’engageant dans la voie de l’amour.

Ombre de L’Amoureux

L’amour conditionnel, la possessivité, la jalousie ou encore le chantage et la manipulation sont les manifestations de l’aspect négatif de L’Amoureux.

L’arcane peut suggérer l’immaturité affective (L’Amoureux est encore un adolescent). Cette absence de confiance en soi peut aussi révéler la peur d’aimer, par crainte de souffrir et empêcher de vivre des relations basées sur l’acceptation et le respect de l’autre, particulièrement dans la relation amoureuse.

L’Amoureux peut encore mettre en lumière les doutes qui empêchent de faire des choix engageant sa vie. Car tout choix entraîne un renoncement, et il ne peut exister de choix sans renoncement librement accepté – sous peine de frustration.

L’Amoureux et nous

L’Amoureux nous encourage à prendre nos décisions en conscience, dans l’ouverture du coeur, sans subir les influences de nos vies passées, de notre famille et de la société. Il nous invite à être libres et à vivre intensément en saisissant  toutes les opportunités de manifester les élans de notre coeur. De nos choix dépend notre progression.

Dans un tirage

Sens général. L’Amoureux est l’arcane du choix et de l’engagement. Lorsqu’il se présente dans un tirage, c’est pour indiquer que la personne se trouve devant la  nécessité de prendre une décision qui engage sa vie. Il peut s’agir d’une relation amoureuse, ou plus largement d’une situation où elle est invitée à suivre l’élan de son coeur et à rechercher ce qui peut lui procurer le plus de plaisir et de satisfaction.

Plan personnel. L’arcane de L’Amoureux invite à cultiver l’harmonie en soi, autour de soi et avec les autres, particulièrement dans ses relations amoureuses ce qui n’est possible que lorsgu’on a pacifié les conflits qui existent en soi. Pour aimer et accepter l’autre dans toute sa complexité, il faut d’abord s’aimer et s’accepter soi-même.

Plan spirituel. L’Amoureux invite à s’engager dans la voie de l’ouverture du coeur comme dans une voie spirituelle menant à la fusion avec les énergies supérieures de l’Amour et de la Beauté.


2. L’Amoureux ou Le choix de l’amour (Intuiti)

Le jeune Werther découvre son amour pour Lottie quand il est encore dans son carrosse, avant même qu’il ne la rencontre pour la première fois. Même si l’on pouvait conclure à une intervention divine, en réalité, c’est le jeune homme qui décide de tomber amoureux : il croit que la seule voie pour vivre sa liberté passe par Lottie.  C’est bien de cela qu’il s’agit : choisir la bonne voie, celle qui nous rendra heureux en fin de compte, même s’il nous faut renoncer aux autres choix, même si le chemin choisi semble le plus risqué ou le plus difficile. Découvrir ce que nous aimons réellement peut sembler dangereux, cela nous mène souvent à des carrefours périlleux, avec, d’une part, les choix faciles ou sans danger et, d’autre part, le courage nécessaire pour renoncer à la conformité et emprunter notre vraie voie.

C’est le moment du choix : “Qu’est-ce que j’aime le plus ? Qu’est-ce qui me retient ? Qu’est-ce qui me fait ressentir si fort que c’est là le chemin à emprunter ?

Vous aimerez cette carte si vous avez dépassé ce conflit, si vous avez déjà déterminé ce que vous aimez et ce que vous n’aimez pas, et que vous en êtes sorti indemne.  A contrario, cette carte est angoissante pour ceux qui ont peur de devoir faire ce genre de choix : “Dois-je quitter mon job qui me fait tant souffrir ? Mais que vont dire les gens ? Que vont penser mes parents ?” L’Amoureux nous pousse vers ce que nous aimons mais nous invite aussi à réfléchir : “Est-ce que j’aime réellement ce que je fais ? Et si j’aime ça, pourquoi suis-je si fatigué ? Qu’est-ce qui me manque ?

L’HISTORIETTE. Un beau matin, elle laisse tomber son sac sur le sol et part en courant. Elle quitte sa maison, son travail et ses amis. Sur la route, elle rencontre un cheval  et continue à galoper jusqu’au moment où elle quitte le sol. Son coeur bat bien trop vite pour qu’elle s’arrête. Ce n’est pas qu’elle vole dans les airs : simplement, elle retrouve sa vraie nature.

LA RECOMMANDATION : “Faites-le à votre manière ou ne le faites pas !


3. L’Amoureux (Jodorowsky)

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EXTRAIT : “Union. Vie émotionnelle. Le nom de cette carte n’est pas, comme on l’a parfois dit, Les Amoureux mais L’Amoureux au singulier. Pourtant nous y voyons plusieurs personnages : quatre de forme humaine (les trois personnes et l’ange) et, si on le veut bien, deux entités qui sont la terre et le soleil. Parmi eux, qui est L’Amoureux ? Le personnage central, souvent interprété comme un garçon ? Le personnage de gauche, dans lequel certains lecteurs voient un travesti ? Ou encore l’ange, ce petit Cupidon qui pointe sa flèche depuis le ciel ? Ces questions se posent car l’Arcane VI est probablement, avec La Maison Dieu, l’une des cartes les plus ambiguës du Tarot, et une de celles qui ont été le plus mal comprises. Le VI représente, dans la numérologie du Tarot, le premier pas dans le carré Ciel. C’est le moment où l’on cesse d’imaginer ce qui nous plairait pour commencer à faire ce que l’on aime.

La tonalité majeure de cette carte concerne le plaisir, la vie émotionnelle.  C’est la raison même pour laquelle elle est si complexe, si riche de significations contradictoires. Elle ouvre le champ à d’innombrables projections, on peut lui attribuer mille interprétations qui seront toutes justes à un moment donné. Que se passe-t-il au sein de ce trio ? Est-ce une querelle, un marchandage, un choix, une union ? Les deux personnages de gauche se regardent pendant que celui de droite regarde dans le vide. L’humanité entière peut être comprise à travers cette carte. Les relations de ses protagonistes sont extrêmement ambivalentes.

La position des mains des personnages est particulièrement intéressante à observer. Cinq mains dans des positions diverses symbolisent la complexité des relations en jeu. Le premier personnage, à gauche de la carte, pose sa main droite sur l’épaule du deuxième, dans un geste de protection ou de domination, pour le pousser ou le retenir. Sa main gauche touche le bas du costume du garçonnet. On peut interpréter le mouvement de son index tendu comme un désir de glisser vers le sexe, ou au contraire un interdit à le faire. Le garçon a sa main droite (à notre gauche) appuyée contre sa ceinture. On note au passage que celle-ci, jaune à trois bandes, est la même que celle de la femme de gauche. Si l’on admet la ceinture comme symbole de la volonté, ce détail unit les deux personnages. Mais à qui appartient la main, à notre droite, qui touche le ventre de la jeune femme ? Le garçon et elle-même ont un vêtement à manches bleu foncé, si bien le mouvement de ce bras est ambigu. Ils font en quelque sorte « bras commun». Si le garçon touche le ventre de la jeune fille au niveau du sexe, la direction de son regard va cependant vers la gauche. La carte aura une signification bien différente si l’on considère que c’est son bras à elle qui protège ou indique son ventre alors que le garçon garde sa main dans le dos…

La femme de droite porte une coiffe composée de quatre fleurs à cinq pétales. Elle pourrait représenter une belle conscience poétique et néanmoins solide. Le coeur violet des fleurs concentre la sagesse de l’amour, voire la capacité de se sacrifier. La femme de gauche porte une couronne de feuilles vertes, active (la bande rouge), et si l’on accepte qu’il s’agit de laurier, on peut dire qu’elle a une mentalité de triomphatrice ou de dominatrice.

On peut spéculer à l’infini sur les relations des trois personnages : un garçon qui présente sa fiancée à sa mère ; une femme qui découvre son mari avec une maîtresse;  un homme tenu de faire un choix entre deux femmes ou, comme le veut l’interprétation traditionnelle, entre le vice et la vertu ; une maquerelle offrant prostituée à un passant ; une jeune fille qui demande à sa mère la permission d’épouser le garçon qu’elle a choisi ; une mère amoureuse de l’amant de sa fille ; une mère préférant l’un de ses deux enfants à l’autre…

Les interprétations sont inépuisables. Toutes nous conduisent à dire que L’Amoureux est une carte relationnelle qui représente le début de la vie sociale. C’est le premier Arcane où il y a plusieurs personnages présentés au même niveau. Les disciples du Pape étaient plus petits que lui et de dos). C’est une carte d’union et de désunion, de choix sociaux et émotionnels. Plusieurs indices présents dans la carte orientent vers la notion d’union. D’une part, le chiffre 6 dans l’alphabet hébreu est associé à la lettre Vav, le clou, qui représente l’union. D’autre part, on remarque entre les jambes des personnages des taches de couleur (bleu ciel puis rouge) qui représentent, elles aussi, une continuité, une union entre eux. Sur un plan symbolique, on pourrait dire que les trois personnages représentent trois des instances de l’être humain : l’intellect, le centre émotionnel et le centre sexuel qui s’unissent pour ne faire qu’un.

La terre est labourée sous les pieds des personnages. Cela signifie que, pour arriver au VI, il faut avoir fait un travail préalable, psychologique, culturel et spirituel. C’est ainsi que l’on en arrive à réaliser ce que l’on aime, ce que l’on veut. Les chaussures rouges du personnage central sont les mêmes que celles du Mat et de l’Empereur : on peut les considérer comme trois degrés d’un même être. On note aussi que, entre  ce personnage et sa voisine du côté droit, la terre s’arrête, il n’y a que la tache rouge. On peut alors voir en eux une représentation de l’animus et l’anima, deux aspects masculin et féminin d’une seule personne.

L’orthographe AMOVREUX avec le ‘V’ à la place du ‘U’ crée un lien visuel et sonore avec le mot Dieu de LA MAISON DIEV. On pourrait dire que le soleil, qui verse ses rayons sur la scène, représente le grand Amoureux cosmique, la divinité comme source d’amour universel qui nous conduit à l’amour conscient et inconditionnel. Le petit Éros lui sert de messager et nous suggère, étant représenté sous les traits d’un enfant, que cet amour se renouvelle constamment.

Dans une lecture

Cette carte ambiguë nous incite à nous questionner sur notre état émotionnel : comment va notre vie affective ? Sommes-nous en paix ou en conflit ? Faisons-nous ce que nous aimons ? Quelle place l’amour a-t-il dans notre vie ? La situation qui nous occuppe a-t-elle des racines dans notre passé, et lesquelles ? On peut s’interroger sur la place qui nous a été attribuée au sein de la famille, travailler à identifier les projections que nous reportons sur notre entourage actuel. L’Amoureux sera, au choix, un des personnages de la carte, dont les relations pourront être commentées par le (la) consultant(e). Quelle que soit la question, il sera utile de rappeler que L’Amoureux central demeure le grand soleil blanc qui irradie, illuminant tous les vivants sans discrimination.

Et si L’Amoureux parlait …

Je suis le soleil de l’Arcane, le soleil blanc : presque invisible mais éclairant tous les personnages. Je suis cette étoile : la joie d’exister, et la joie que l’autre existe. Je vis dans l’extase. Tout me donne du bonheur : la Nature, l’univers entier, l’existence de l’autre sous toutes ses formes – cet autre qui n’est autre que moi.

Je suis la conscience qui brille comme une étoile de lumière vivante au centre de votre coeur. Je me renouvelle à chaque instant, à tout moment je suis en train de naître. À chaque battement de votre coeur, je vous unis avec l’univers entier. C’est de moi que partent les liens infinis qui vous unissent à toute création. Ah, le plaisir d’aimer ! Ah, le plaisir de m’unir ! Ah, le plaisir de faire ce que j’aime ! Messager de la permanente impermanence, je renais à chaque seconde. Je suis comme un archer nouveau-né qui lance des flèches vers tout ce que ses sens peuvent capter.

Je ne suis pas la gentillesse, je ne suis pas l’ambition du bien-être ou du triomphe. Je suis l’amour inconditionnel. Je vous apprendrai à vivre dans l’émerveillement, la reconnaissance, la joie.

Lorsque je pénètre en vous, comme dans les personnages de l’Arcane, je communique l’amour divin à la moindre de vos cellules. Je souffle sur votre mental comme un ouragan chaleureux qui élimine du langage la critique, l’agression, la comparaison, le mépris, et toutes les gammes de l’orgueil qui séparent le spectateur de l’acteur. Je m’insinue dans votre énergie sexuelle pour adoucir toute brutalité, tout esprit de conquête, de possession. Je confère au plaisir la délicatesse sublime d’un ange qui éclate. Lorsque je me dissous dans votre corps, c’est pour le détacher de la dictature des miroirs et des modèles, du regard des autres, de la douleur des comparaisons. Je lui permets de vivre sa propre vie, d’assumer sa lumière et sa beauté. Dans le coeur où j’habite, je chasse les illusions de l’enfant mal-aimé. Comme la cloche d’une cathédrale, je répands dans le sang la vibration pénétrante de l’amour, dénuée de toute rancune, de toute demande émotionnelle travestie en haine, et de toute jalousie, qui n’est que l’ombre de l’abandon. Je vous initie au désir de ne rien obtenir qui ne soit aussi pour les autres. L’île du moi se transforme en archipel.

Tout concourt à augmenter ma joie, même ce que vous interprétez comme des circonstances négatives : le deuil, la difficulté, la petitesse, les obstacles. J’aime les choses et les êtres tels qu’ils sont, avec leurs infinies possibilités de développement. À chaque instant, je les vois et je suis prêt à participer à leur épanouissement, mais aussi à accepter qu’ils demeurent tels quels.

Vie sociale, Joie • Aimer ce que l’on fait • Faire ce que l’on aime • Nouvelle union • Choix à faire • Plaisir • Beauté • Amitié • Couple à trois • Tomber amoureux(se) • Conflit émotionnel • Séparation • Dispute • Terrain incestueux • La fratrie • Idéal et réalité • Premiers pas dans la joie de vivre • Amour conscient • Amour inconditionnel • La voie de la Beauté…


4. Les Amoureux (Vision Quest)

L’ESSENCE : DÉVOUEMENT – Amour à tous les niveaux, dans toutes les dimensions, aussi bien platonique qu’érotique – Profonde fusion – Dissolution – Retour – Compagnon et Compagne spirituelle – Ami et amie du coeur..

LE MESSAGE INTÉRIEUR : Pour pouvoir vous dévouer véritablement, vous devez être fort, et non pas faible ! Souvent les personnes pensent que c’est uniquement la faiblesse qui se dévoue. Mais c’est exactement le contraire. On doit avoir la force de se dévouer à l’amour sans rien attendre en retour, sans même savoir si l’amour va nous répondre… Ceci ne peut se produire que s’il existe une grande confiance universelle. Votre force d’amour est le cadeau le plus important
de votre vie. Ne la laissez pas s’affaiblir, même si elle est accompagnée de douleur. Le feu de l’amour est le chas de l’ aiguille par lequel chacun de nous doit passer dans sa vie. Si nous refusons cette chance, nous restons inassouvis.
.

LA MANIFESTATION EXTÉRIEURE : Décidez-vous pour la force de l’amour en vous. Cette force ne coule pas seulement vers une personne. Il existe plusieurs aspects de l’amour. Ne vous limitez pas vous-même, mais permettez au flux de votre vie et de votre force d’amour de couler. Le moment est opportun pour s’accorder la présence d’un ou d’une partenaire. Apprenez à différencier quels sont les énergies et souhaits du coeur que vous donnez et recevez. L’amour spirituel et l’harmonie intérieure peuvent être d’ordre sexuel pour s’accomplir, mais pas obligatoirement. Notre sexualité est un cadeau formidable de la nature.
D’une part, pour le maintien de tous les êtres vivants, et, d’autre part, elle est un chemin merveilleux pour apprendre le dévouement et la fusion les plus intimes qui existent avec la force divine.


5. L’Amoureux (tarot maçonnique)

“Pour aller à la conquête de son unité, l’individu est amené à faire un choix : sortant de l’école du centaure Chiron, il se trouve à la croisée des deux triangles qui forment le sceau de Salomon.

A la jonction du jour et de la nuit, le personnage est au centre de deux attirances ; d’un côté la passivité, la vie affective, et de l’autre la rigueur de l’ascèse nécessaire à la recherche de la lumière. C’est aussi le choix entre la voie de l’intuition (mystique) et celle de l’étude (gnostique).

La flèche du sagittaire est, dans les “Upanishad” le symbole de l’intuition fulgurante ; celle décochée par Eros est animée par les sentiments d’amour, de désir, de générosité. L’arc est le symbole des tensions d’où jaillissent nos désirs liés à l’inconscience enfoui dans l’oeuf primal.

L’énergie qui anime l’être humain est doublement marquée par la rencontre d’un courant vertical (dynamisme de l’esprit) et horizontal (sentiment, “affectus”). Dans l’image, l’être est double, divisé même entre deux figures : l’une ondoyante et attirante, l’autre rigide comme une colonne.

Le niveau, outil du maçon opératif, permet le contrôle de l’équilibre nécessaire à ce stade du Travail du Compagnon.”


6. Les amoureux de la forêt (Forêt enchantée)

“Les Amoureux de la forêt sont placés à Beltane, l” mai, la fête des rites de printemps et le portail vers l’été. Dans cette position, ils équilibrent les suites d’Arcs et de Flèches et les éléments feu et air, et représentent l’échange délibéré d’énergie qui engendre la conscience féconde.

DESCRIPTION : Un homme et une femme se tiennent côte à côte, vêtus du vert et du brun de la Forêt enchantée. Ce sont Robin des Bois et Lady Marian, les Amoureux de la forêt, réincarnés maintes fois sous toutes sortes de noms. Entre eux se trouve un poteau enrubanné de mai, généré par leur échange d’énergie et symbolisé ici par un bouleau. Des guirlandes vertes montent autour de lui en spirale vers le ciel, représentant les énergies ascendantes de la Terre qui rencontrent les énergies descendantes du ciel. Les Amoureux de la forêt créent une étincelle de vie qui génère une troisième force ou énergie. Les pieds-de-veau sont en fleur au moment de Beltane. Ils symbolisent l’union masculine et féminine à cette époque de l’année, ainsi que les énergies génératrices conférant plénitude et harmonie à ce moment du cycle de l’année.

SIGNIFICATION : Les Amoureux de la forêt représentent en même temps l’équilibre dans les relations et l’union sexuelle. Nous sommes tous des fragments holographiques de l’univers, renfermant en nous à un quelconque degré l’ensemble de la création et des archétypes de l’Arcane majeur. À mesure que nous pénétrons dans la grande forêt de la vie, nous cherchons la richesse et l’harmonie émotionnelles sur le plan le plus profond. À partir de là, l’amour fleurit, nous enlaçant encore plus étroitement dans une existence où les différences disparaissent et les scories de la cupidité et de la possessivité sont brûlées dans les feux de la vie.

Le véritable amour vient de l’union de deux énergies polaires pour créer une troisième force ou conscience. C’est un échange d’énergie et de passion, pas la domination de l’une ou de l’autre mais un transfert délibéré de volonté et de respect. Pour être complets, nous devons apprendre à accepter et à montrer de l’amitié à tous les aspects de notre personnalité, masculin et féminin, clair et obscur, processus qui permet une circulation naturelle en nous du cycle des saisons. Si nous n’accueillons pas tous les archétypes, ils se sentent reniés et mal à l’aise, comme des fantômes frappant à la fenêtre, cherchant à se faire connaître.

À mesure de notre progression, nous trouvons l’équilibre de notre personnalité à travers nos relations. Certains hommes créatifs et sensibles sont équilibrés par une « chasseresse » forte. Certaines femmes attentives et artistes sont équilibrées
par un aspect masculin très motivé. Le genre physique peut varier, mais la polarité fonctionnera ou échouera.

Pour aimer réellement, nous devons être complets, accepter tous les aspects de notre personnalité et accepter cette même complétude chez autrui. La polarité varie d’un jour à un autre, d’un moment à un autre, mais l’individu réellement complet possède tous les éléments fragmentés de sa personnalité et est capable de les affronter chez les autres. La joie de l’union est entière et facile. L’amour est sa propre récompense.

POINTS ESSENTIELS DE LA LECTURE : Sur un plan personnel, l’amour est un don universel au coeur généreux, et la personne en quête trouvera l’équilibre grâce à l’harmonie et à la guérison intérieures. La polarité est l’élément clé du flux et du reflux naturels de l’engagement émotionnel. Les Amoureux de la forêt représentent la force spirituelle positive de l’énergie émotionnelle créative et du désir universel d’harmonie. Les habitants de la Forêt verdoyante révèrent et respectent les rites de l’amour en tant que force assurant le déroulement du cycle de la création et la stabilité émotionnelle. Amenez toujours avec vous la lumière de l’amour et laissez-la éclairer les recoins les plus sombres de votre monde et vous soutenir dans toutes vos actions.

Racines et branches
Union bénie | Amitié | Rites de printemps | Equilibre polaire des âmes | Désir | Cerf blanc arthurien | Amour éternel | Voeu sacré


7. Nemetona (tarot celtique)

“Si les temples des Celtes (cercles de pierres au plus profond de la forêt) s’appelaient nemeton, Nemetona ne peut qu’être la mère du bois, la déesse-arbre vêtue de feuilles et d’écorce. À cette image de sérénité et de paix, de secret et de fraîcheur, il vient toutefois s’en ajouter une autre, bien moins pacifique, qui présente aussi Nemetona comme une divinité guerrière, une sorte de Victoire, compagne du dieu Mars. Guerre et paix, tendresse et passion, harmonie et rivalité : tels sont du reste les traits caractéristiques de la déesse mère celtique, déesse du combat et de l’ amour, de la fertilité et de la lutte. On retrouve d’ ailleurs la même ambivalence dans le sentiment amoureux, considéré comme une entité abstraite indépendante, intense, violent, très doux et toujours tourmenté. Le panthéon celtique compte deux divinités de l’ amour : le jeune Oengus, fils du Dagda, épris d’une femme changée en cygne ; et la belle Ainè, vénérée encore aujourd’hui au solstice d’été, quand elle apparaît au sommet des collines aux jeunes filles amoureuses.

LA CARTE : Comme l’amour sentimental, spirituel ou physique, dont les trois visages nous tourmentent et nous charment, Nemetona, qui préside au repos et à la guerre, à la tendresse et à la passion, revêt ici une apparence triple. Le caractère lié à la végétation ressort non seulement de la coiffure et de l’habit faits respectivement de feuilles et d’écorce, mais aussi du teint verdâtre et du vert franc et brillant des iris. L’expression différente de chacun des trois visages souligne de son côté l’idée du changement et de l’incertitude propre à cette carte : celui du milieu est énergique et combatif, tandis que les deux autres sont soucieux et mélancoliques.

SIGNIFICATION ÉSOTÉRIQUE : Rien de ce qui vit dans l’univers n’est rigoureusement fixe : tout est sujet à changer, en se balançant souvent de part et d’autre et en naviguant vers son contraire. Il n’existe pas de vérité unique : chaque vérité a plusieurs facettes, plusieurs aspects, car l’absolu se cache derrière le relatif. L’amour est la seule énergie capable de concilier les contraires, par la force de cohésion de l’âme : dans l’amour, les contraires se rejoignent ; les doutes s’aplanissent et la fluctuation qui nous fait souvent perdre notre chemin se transforme en joyeuse certitude.

MOTS CLEFS : amour, rencontre, doute, choix, art, agriculture.

A L’ENDROIT : rencontre de l’âme soeur, amour, projets de mariage ; fidélité, dévouement, choix décisif ; amitié, altruisme ; art, beauté, affinité ; fécondité physique et intellectuelle ; réussite aux examens, épreuves surmontées ; récoltes agricoles ; alliances utiles ; santé recouvrée grâce à une alimentation saine ; parents, prétendants, enfants, animaux domestiques.

A L’ENVERS : hésitations, doutes, insatisfaction, frustration ; tromperies, tentations, rencontres mettant l’avenir en péril ; conflits, désirs inassouvis, instabilité, obstacles ; échec à une épreuve ; sexualité débridée ou inhibée, séparation, célibat, fiançailles repoussées ; sacrifice, froideur, égoïsme ; projets hasardeux, affaires en suspens ; dépression, risque de maladie ou d’accident, stérilité, malaises, troubles intestinaux, affections des reins, du sein et de la gorge.

LE TEMPS : mercredi, septembre.

SIGNE DU ZODIAQUE : Gémeaux, Taureau, Balance.

LE CONSEIL : laissez la force de l’ amour rythmer vos journées et guider vos choix : grâce à elle, toutes les décisions que vous prendrez contribueront à répandre la lumière en vous et tout autour de vous.


8. Les Amoureux (Johannes Fiebig, ill. Dali)

Dali Pinxit

PARADIS ET OMBRE – Beaucoup se souviennent de l’histoire de l’Expulsion du Paradis telle qu’elle est décrite dans la Bible et dans d’autres récits. L’histoire du Retour au Paradis, de la Vie éternelle qui commence le jour du Jugement dernier, est en revanche méconnue et appartient pourtant à la tradition occidentale. Ce jour du Jugement dernier est aujourd’hui !

Nous aspirons à l’amour, mais en secret nous avons peutêtre peur de pouvoir aimer et/ou d’être aimé. Notre bonheur en amour dépend beaucoup des objectifs et représentations que nous lions au mot amour. Tant que nous sommes à la recherche de notre moitié, nous courons le risque de nous réduire de moitié. Ou bien nous recherchons un maximum de ressemblance personnelle : réfléchissez dans quelle mesure cette idée vous porte.

Si vous cherchez quelqu’un avec qui vous êtes d’accord à tout point de vue, qui vous connaît exactement et vous comprend, une seule personne remplit ces conditions : vous-même. Plus les différences sont marquées, plus les points communs sont enrichissants ! À partir du moment où nous sommes capables d’aimer les différences, un nouveau paradis s’ouvre alors à nous ! Sur ce chemin, ombres et nuages noirs doivent être transpercés. Seul l’amour basé sur l’individualité et l’originalité de l’individu arrive au nouveau paradis et atteint le paroxysme (comme la silhouette de l’ange sur l’image) dans des moments de bonheur suprême qui outrepassent la portée de chaque homme.

CONSEILS PRATIQUES -Le petit ange de la carte incarne aussi l’enfant des deux amoureux. Cela peut être pris au sens propre comme au sens figuré. Tout type de relation, y compris la relation avec soi-même ou la relation avec des partenaires commerciaux, porte au sens figuré un enfant : des résultats productifs – preuve vivante d’une collaboration collégiale – porteurs de vie et d’avenir.

RÉFÉRENCES ARTISTIQUESNeptune et Amphitrite (1516), Gemaldegalerie, Berlin, par Jan Gossaert, nommé Mabuse, né à Maubeuge (Hainaut) entre 1470 et 1480, mort à Bréda en 1532.


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GODEAUX : Le tram et le trolleybus de Cointe (CHiCC, 2003)

Temps de lecture : 4 minutes >

À la fin du 19e siècle, Liège possède quatre compagnies de tramways : le Chemin de Fer Américain créé en 1871, Frédéric Nyst et Cie qui exploite l’Est-Ouest en 1880, les RELSE (Liège-Seraing) en 1891 et les Chemins de Fer Vicinaux. Les transports publics se composent encore de diligences et de malles-postes. Cointe, bien qu’entourée de charbonnages, est une oasis de verdure et un lieu de divertissement grâce à ses guinguettes et au pèlerinage célèbre à Saint-Maur. Vu la création du parc de Cointe, pour accéder à ces terrains nouveaux, il s’avère nécessaire de disposer d’un moyen d’accès. Frédéric Nyst propose une liaison nord-sud partant de la gare de Vivegnis et atteignant le plateau, proposition refusée par le conseil communal. Une deuxième proposition vise à prolonger la ligne vers Sclessin et rendrait la ligne viable. Ce projet est également refusé, cette fois par la députation permanente.

Le 20 janvier 1893, une troisième proposition émane de Paul Schmidt, avocat, et elle est acceptée le 3 juillet 1893 pour une durée de 50 ans. Les droits sont immédiatement rétrocédés à une Société du Tramway de Cointe. La ligne, qui fut la première à être électrifiée à Liège, partait du bas de la rue Sainte-Véronique ; elle fut ouverte le 11 août 1895. La pente était de 3 à 5% ce qui est déjà considérable, en courbe constante. Il y avait quatre évitements : un place Sainte-Véronique et trois dans l’avenue de l’Observatoire. La longueur n’était que de 1.500 mètres. Le coût était de 150.000 francs de l’époque !

Il y avait quatre motrices, deux fermées d’une puissance de 25 chevaux construite par la société Electricité et Hydraulique qui deviendra plus tard les ACEC, et deux motrices ouvertes fournies par les Ateliers Germain. Le courant de traction était fourni par la Société Electrique du Pays de Liège. Le dépôt se trouvait à mi-parcours, dans le deuxième virage de l’avenue de l’Observatoire, où se situe maintenant l’arrêt dit “ancien dépôt.” La société était déficitaire mais son but était surtout de valoriser les terrains du parc. Elle intéressait le Liège-Seraing qui la reprit en avril 1905. La proximité de l’exposition laissait augurer un accroissement du trafic. La société souhaitait aussi éviter une prolongation vers Sclessin, ce qui aurait court-circuité la ligne du tram vert par la vallée. Quatre nouvelles motrices de 75 CV (type A) sont fournies par Ragheno. Il faut 15 minutes pour effectuer le trajet. Le prix, au départ de 15 centimes, montera progressivement à 90 centimes à la fin de l’exploitation.

Sauf à la Pentecôte, il n’y avait que deux voitures en ligne. Un projet de liaison du site de l’exposition au plateau par trolleybus AEG fut présenté mais resta sans suite, le matériel n’étant pas fiable. La ligne du tram de Cointe fut alors prolongée par une voie provisoire à travers le parc d’Avroy jusqu’à la rue Raikem où elle retrouvait le trajet de la ligne 9 pour rejoindre le Jardin d’Acclimatation. En 1927, un regroupement des compagnies fait que la ligne de Cointe est cédée aux Tramways Unifiés. En 1929, le trajet est prolongé vers le centre de la ville, place de la République française et ensuite place de la Cathédrale.

Le 31 juillet 1930, apparaissent les premiers trolleybus qui passent par la place des Wallons pour rejoindre l’avenue de l’Observatoire. Ce sont des voitures anglaises Ransomes de 60 CV qui se déplacent à 40 km/h. Le réseau de trolleybus se développant, la société achète de nouveaux trolleybus. L’expérience des véhicules anglais n’ayant pas été concluante, le choix se porte sur la FN : 30 voitures T32, partie électrique CEB et châssis et caisse FN en acier soudé. Le moteur autorise la récupération ce qui permet, en descente, de renvoyer de l’électricité sur la ligne. En 1937, ils seront suivis par 48 nouveaux qui y ressemblent sauf la face avant, et sont plus puissants : 75 CV. Ces véhicules auront des problèmes ; le carter du pont arrière est en aluminium et se brise. Ils devront être remplacés par des carters en acier. Les montants des fenêtres cassaient à hauteur de la ceinture par temps froid. Alors, ces montants ont été renforcés. En 1938, nouvelle commande de 28 trolleys FN dont dix seront livrés avant la guerre et les suivants seront achevés au dépôt Natalis car la FN était, à l’époque, sous séquestre allemand. Les pièces de rechange, et surtout les pneus, deviennent rares et la circulation des trolleybus se raréfie. Le 25 mai 1944, la ligne est interrompue à cause des dégâts causés par les bombardements.

Du 25 mars 1946 au 26 mai 1955, l’exploitation de la ligne est suspendue à plusieurs reprises par suite d’un glissement de terrain survenu avenue de l’Observatoire. Un terminus provisoire est aménagé près de l’ancien dépôt. Dans les voitures, le chauffage est installé, une place pour le percepteur est prévue, une troisième marche facilite l’accès mais ces trolleybus se révèlent inadaptés à la circulation automobile de l’après-guerre. Ils circuleront jusqu’au 16 septembre 1968 et seront remplacés par les autobus.

d’après Jean-Géry GODEAUX

  • Illustration en tête de l’article : ancien dépôt de Cointe (collection Jean Evrard) © histoiresdeliege.wordpress.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Jean-Géry GODEAUX, organisée en mars 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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La vraie tarte brésilienne est… belge (recette)

Temps de lecture : 3 minutes >

La version française

[ENCOREUNGATEAU.COM] En matière d’imposture, je crois qu’on ne peut pas mieux faire que la tarte brésilienne ! Premièrement ce n’est pas une tarte et deuxièmement elle n’est pas brésilienne ! Mais alors, qu’est ce que la tarte brésilienne ? Et pourquoi appelle-t-on une brioche belge tarte brésilienne ? C’est ce que je vous propose de découvrir aujourd’hui.

La tarte brésilienne est à peu près aussi brésilienne que moi, c’est dire ! Il s’agit en fait d’une pâtisserie originaire de Belgique et qui se compose d’une brioche garnie de crème pâtissière recouverte de chantilly et de pralin. Elle ne tient donc pas son nom de ses origines mais de sa composition. En pâtisserie, on appelle brésilienne un mélange de noisettes et d’amandes concassées et caramélisées, plus communément connu sous le nom de pralin

Céline


La version wallonica

© rtbf.be

Recette belge comme son nom ne l’indique pas ! La brésilienne c’est des noisettes grillées caramélisées. Cela ressemble un peu au pralin français qui, lui, contient des noisettes et des amandes. La tarte est une pâte levée (vous pouvez utiliser une pâte brisée prête à l’emploi de chez madame GrandeSurface), de la crème pâtissière, de la chantilly et recouverte de brésilienne.

N.B. Prévoir un moule de 24cm avec un bord haut (3,5cm)

Brésilienne :
      • 100 g noisettes,
      • 30 gr sucre,
      • 12 cl d’eau,
      • 1 pincée de sel,
      • arôme vanille.

Pour préparer la brésilienne : grillez les noisettes quelques minutes à la poêle. Frottez-les dans un essuie de cuisine pour enlever les peaux. Portez à ébullition 30gr de sucre, 12cl d’eau, 1 pincée de sel et l’arôme de vanille. Quand il est doré, mélangez les noisettes dedans et débarrassez le mélange sur une plaque. Laissez refroidir. Concassez-les avec un grand couteau.

Crème pâtissière (elle doit refroidir !) :
      • 50 cl lait demi écrémé,
      • 1 gousse de vanille,
      • 4 jaunes d’œufs,
      • 90 gr sucre en poudre,
      • 40 gr maizena.

Pour préparer la crème pâtissière : Chauffez le lait dans une casserole avec la gousse de vanille fendue en 2 et grattée. Dans 1 saladier, mélangez les œufs et le sucre jusqu’à ce que le mélange blanchisse. Incorporez la maizena. Quand le lait frémit, retirez la gousse et versez-le sur les oeufs/sucre en mélangeant bien puis reversez le tout dans la casserole. Laissez épaissir sans cesser de mélanger. Laissez refroidir. Puis déposer un film plastique au contact et mettez au frigo.

La pâte levée :
      • 20 gr de levure fraîche de boulanger,
      • 60 gr de lait demi-écrémé,
      • 1 pincée de sucre,
      • 300 gr de farine T45
        Farine T45
         ? Appelée farine blanche, cette farine est la plus utilisée en cuisine et est totalement débarrassée du son. Elle est particulièrement employée pour les pâtisseries fines comme les crêpes ou les financiers. Attention tout de même à sa consommation car son indice glycémique est très élevé.
      • 140 gr de beurre doux,
      • 1 œuf,
      • 40 gr de sucre en poudre.

Pour préparer la pâte levée : délayez la levure dans le lait tiède avec une pincée de sucre. Sur le plan de travail, faites un puits avec la farine. Ajoutez le beurre en dés. Sablez du bout des doigts. Versez le mélange lait, levure, œufs et sucre. Amalgamez avec les mains. Pétrissez 10 minutes. Formez une boule. Laissez reposer 1 heure dans un endroit tiède.

Chantilly :
      • 20 cl de crème liquide entière bien froide,
      • 200 gr de mascarpone,
      • 40 gr sucre glace.

Pour préparer la chantilly : Fouettez la crème fraîche avec le mascarpone et ajoutez le sucre en 2 fois. Gardez au frigo.

Tous les composants étant ainsi préparés, sur votre plan de travail fariné, abaissez la pâte au rouleau et déposez-la dans le moule à tarte. Piquez le fond avec une fourchette et laissez lever 15 minutes.

Cuisez la pâte à blanc (à savoir : mettez un papier sulfurisé avec des fruits secs sur la pâte pour faire poids) pendant 20 minutes dans un four chauffé à 180° jusqu’à ce que les bords soient dorés. Enlevez le papier sulfurisé et les fruits secs. Laissez tiédir. Mettez ensuite la crème pâtissière à la spatule. Puis la chantilly. Puis la brésilienne…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : encoreungateau.com ;  Sophie Adans, Chef | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © encoreungateau.com ; © rtbf.be.


Passer à table en Wallonie…