CORBISIER : Sans titre (2006, Artothèque, Lg)

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CORBISIER Brigitte, Sans titre

(technique mixte, 26 x 26 cm, 2006)

Brigitte CORBISIER, née en 1946, est diplômée de l’Académie royale des Beaux-Arts de la Ville de Liège, est graveur et plus récemment auteur d’animations vidéo où elle met en scène des gravures et croquis animés. Incisant le zinc, creusant le plexiglas, la pointe sèche est son instrument de prédilection, parfois combinée à l’aquatinte ou encore à la linogravure. Inspirée par la nature, et essentiellement la terre, c’est son jardin au quotidien qui s’illustre par étape dans ses œuvres.

Brigitte CORBISIER réalise une composition de motifs organiques en jouant sur les supports d’impression (papier et feutre), qui offrent des sensations visuelles très différentes, à la fois par leur texture mais aussi par la manière dont ils absorbent l’encre. La matérialité de l’œuvre est soulignée par le traitement brut, autant de la technique gravée que de l’assemblage des matériaux.

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Brigitte Corbisier | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

MATHY : Sans titre (2016, Artothèque, Lg)

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MATHY Vincent, Sans titre

(impression numérique, 40 x 30 cm, 2016)

Vincent MATHY, né à Liège en 1971, a suivi les cours de l’école Saint-Luc de Bruxelles. Son dessin, qui mêle techniques traditionnelles et numériques a très vite séduit. Illustrateur de talent, il a publié une trentaine d’albums jeunesse (Gallimard Jeunesse, Albin Michel, Bayard, Milan, L’Ecole des Loisirs…) et de bandes dessinées. Il est notamment co-auteur de la série “Ludo” chez Dupuis. (d’après  GALLIMARD-JEUNESSE.FR)

Cette image est tirée d’un ensemble publié par l’éditeur liégeois Ding Dong Paper en 2016. Ici Vincent Mathy développe un vocabulaire fait de formes simples, géométriques, et de couleurs vives, dans la lignée d’illustrateurs comme le Russe Vladimir Lebedev, l’Anglais Fredun Shapur ou l’Italien Bruno Munari.

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

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ANDRE, Carl (1935-2024)

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[CONNAISSANCEDESARTS.COM, 25 janvier 2024] Derrière l’austérité de l’homme se cachait le talent d’un grand artiste qui a révolutionné la sculpture. Carl ANDRE, pionnier de l’art minimal et maître de l’épure, est décédé mercredi 24 janvier à l’âge de 88 ans.

Lorsque l’on demandait à Carl Andre (né en 1935) ce que représentait pour lui la rétrospective organisée en 2016 par le musée d’Art moderne de Paris, qui couronnait plus d’un demi-siècle de création, la réponse était à l’image du personnage, modeste : “Rien, si ce n’est que j’ai toujours espéré que mes œuvres soient une source de plaisir pour celui qui les regarde, comme elles le sont pour moi lorsque je les crée”. Pionnier de l’art minimal, l’artiste est décédé le 24 janvier 2024 à l’âge de 88 ans. En 1988, il avait été accusé puis acquitté du meurtre de son épouse, l’artiste Ana Mendieta, décédée le 8 septembre 1985 d’une chute depuis le 34e étage de l’immeuble où résidait le couple à New York.

Une œuvre à la beauté épurée

L’artiste au Dia: Beacon à New York en 2015 © Bill Jacobson studio

Depuis le milieu des années 1960, Carl Andre avait développé une œuvre à la beauté épurée, qui n’a jamais cessé de se développer et de s’intensifier, tout en restant fidèle à des principes définis dès le temps des premières sculptures : il ne sera jamais question de figuration, mais simplement de forme, de matière et d’espace. Après ses études à la Phillips Academy d’Andover, près de Boston, Carl Andre a débuté par la peinture dans les années 1952-1953, à l’époque où l’expressionnisme abstrait (Jackson Pollock, Willem de Kooning…) régnait en maître aux États-Unis.

“Supprime le langage en toi.”

En 1954, lors d’un voyage en Europe, il avait découvert les œuvres de Constantin Brancusi (1876-1957) et s’était émerveillé devant la pureté minérale et l’ordonnancement parfait des mégalithes du site de Stonehenge. Arrivé à New York trois ans plus tard, Carl Andre avait partagé un temps l’atelier de Frank Stella. En 1958, alors en pleine réalisation de ses Black Paintings aux lignes labyrinthiques, ce dernier avait prodigué à son camarade le conseil suivant : “N’imite pas mon travail. Supprime le langage en toi, et travaille directement avec le matériau concret tel qu’il se présente dans la réalité”. Il n’en n’avait pas fallu plus à Carl Andre pour ranger ses pinceaux et décider de se consacrer à l’art en trois dimensions, tout en composant en parallèle une série de poèmes, à partir d’associations de mots qu’il choisit tant pour leur sens et leur pouvoir d’évocation que pour leur beauté visuelle et leur sonorité.

Il a procédé de la même manière en sculpture. Dès la fin des années 1950, les œuvres de Carl Andre résultaient en effet, elles aussi, d’assemblages d’éléments indépendants, qu’il sélectionnait pour leurs formes géométriques simples et leur matière brute ou industrielle (le bois, la pierre, la brique, le métal). En 1959, l’artiste avait produit sa toute première série, Pyramid, hommage non dissimulé à la Colonne sans fin de Constantin Brancusi. Pour des raisons financières, il avait ensuite travaillé durant cinq ans en tant que mécanicien et conducteur pour la Compagnie des chemins de fer de Pennsylvanie, dans le New Jersey.

Vers une sculpture horizontale

C’est au milieu des années 1960 que l’artiste avait pris son envol. Sa première exposition personnelle a eu lieu en 1965, à la galerie Tibor de Nagy, à New York, un an avant la manifestation fondatrice de ce que l’on appellera l’art minimal, ou le minimalisme. Organisée au Jewish Museum de New York, Primary Structures : Younger American and British Sculptors réunit pour la première fois Donald Judd, Dan Flavin et Carl Andre, qui est alors le seul à proposer une œuvre sculpturale plane, un alignement d’une centaine de briques posées sur le sol.

Certes, Carl Andre a été l’un des pionniers du minimalisme. Mais il détestait les étiquettes. “Les mots en “isme”, c’est de la connerie. La seule chose qui compte, c’est l’art”, affirmait-il, en expliquant que le minimalisme était d’abord, à ses yeux, un état d’esprit. Pour créer, il avait besoin de faire le vide, de se libérer de ce qu’il savait de l’art et de la sculpture, afin de proposer quelque chose de nouveau. Très vite, il a révolutionné  la sculpture en abandonnant la verticalité, celle de la grande statuaire et des bustes classiques, pour développer un travail qui se déploie principalement à l’horizontale, au gré d’installations au sol qui font corps avec l’espace. L’inspiration d’une sculpture naissait d’ailleurs, le plus souvent, de l’endroit où elle devait être installée.

3 œuvres phares 

      • Vues de poèmes (1958-2010, installation),
      • Lament for the children (1976, installation),
      • Margit endormie (1989, technique mixte, dimensions variables)

Carl Andre n’avait pas d’atelier, ou plutôt, il en avait des milliers. “Je ne réalise pas de dessins, pas d’esquisses préparatoires, pas de maquettes. J’ai simplement des matériaux, un espace, et la chance de pouvoir travailler”, résumait l’artiste. Chacune de ses créations résulte d’un assemblage de modules, qu’il qualifiait d’éléments ou de particules. Si l’œuvre finale est souvent monumentale, elle est toujours composée d’unités de taille modeste. Pour que l’artiste puisse les porter, les déplacer et les agencer à sa guise, sans avoir à mobiliser une armée d’assistants.

Un nouveau rapport à l’œuvre

Carl Andre s’est imposé comme un maître de l’épure qui juxtaposait, empilait, construisait, plus qu’il ne sculptait. “Les origines de mon travail se situent dans le savoir-faire de la classe ouvrière : pose de briques, carrelage et maçonnerie. Ce n’est pas l’aspect visuel des briques que j’aime dans ma sculpture, c’est le fait de pouvoir les placer, de créer en tant qu’individu une œuvre de taille relativement conséquente, en manipulant moi-même les briques”, confiait-il en 2015, à l’occasion de l’exposition Icônes américaines, organisée au Grand Palais, à Paris.

Carl Andre avec sa grande barbe des années 1970 © Keystone

Si le principe de l’installation est répandu dans l’art contemporain, il n’en était pas de même dans les années 1960. Au même titre que Donald Judd (ses Stacks constitués d’éléments alignés verticalement, accrochés au mur), Carl Andre a bouleversé l’idée que l’on se faisait du statut de l’œuvre d’art, en s’effaçant derrière elle, en ne transformant pas la matière. En la désacralisant aussi. Si l’œuvre est minimaliste, le geste de l’artiste l’est tout autant. La nature même de son travail in situ instaure un nouveau rapport avec le spectateur, qui découvre ses pièces en se déplaçant, en les traversant, en marchant dessus (Zinc-Lead Plain ou encore 144 Tin Squares, créée à New York en 1975 et faite de carrés d’étain).

Habiter l’espace

La question de l’espace est centrale. Celui de l’œuvre, mais aussi celui qu’elle occupe. D’où le titre de la rétrospective organisée en 2016 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, La sculpture comme lieu. L’artiste jouait avec les volumes, les proportions, la géométrie, la symétrie, les perspectives, les rythmes, selon un principe de série, de répétition, de variations (les Équivalents, un ensemble d’œuvres comprenant toutes le même nombre de briques, mais assemblées différemment). Épurées, silencieuses, ses pièces ne relèvent ni du décor, ni de l’architecture.

Il s’agissait pour Carl Andre de trouver l’équilibre parfait, pour que chaque œuvre habite l’espace, qu’elle y affirme sa présence sans le contredire, ni le saturer. C’est dans cet esprit qu’avait été conçue cette exposition (la première depuis celle du musée Cantini, à Marseille, en 1997), qui réunissait aux côtés de poèmes, de photographies et d’objets, une quarantaine de pièces emblématiques, de toutes époques. “La sélection a été en partie dictée par la disponibilité des pièces… Un collectionneur, par exemple, a refusé de nous prêter une petite œuvre en métal. Je lui avais demandé, et il m’a répondu qu’il ne pouvait pas, car son chat dormait dessus chaque nuit. J’ai trouvé cela magnifique ! “, avait déclaré l’artiste.

Guillaume MOREL


[I-AC.EU] Carl Andre est l’un des principaux représentants de l’art minimal américain. Après ses études d’art à la Phillips Academy à Anhover, il voyage en Europe. En 1957, il s’installe à New York où il travaille dans une maison d’éditions et partage un atelier avec Frank Stella. Influencé par Brancusi et la peinture de Stella, il commence à s’orienter vers la sculpture. En 1965, il réalise sa première exposition personnelle à la Galerie Tibor de Nagy à New York et, en 1970, une autre au Musée Guggenheim de New York. À partir des années 1970, ses œuvres sont exposées dans les musées du monde entier, entre autres, en 1987 au Stedelijk Van Abbemuseum à Eindhoven, en 1996 au Museum of Modern Art à Oxford et en 2005 à la Kunsthalle de Bâle. De 2014 à 2017, une exposition rétrospective Carl Andre: Sculpture as Place, 1958-2010 lui est dédiée et est présentée au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía (Madrid), à la Nationalgalerie im Hamburger Bahnhof (Berlin), et au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (Paris).

Né dans un milieu de bâtisseurs (son père était menuisier dans un chantier naval), il en garde une prédisposition et un goût pour l’élémentaire, le matériau, confirmés plus tard par ses amitiés artistiques : la proximité de Frank Stella lui apporte une sorte d’exemple moral et formel. Fidélité au matériau, rigueur de l’élaboration, refus de tout symbolisme, nécessité de l’acte créateur éliminant ce qui ne le sert pas strictement sont toujours prioritaires dans ses recherches. Dans un laps de temps très court, Carl Andre aborde les problèmes fondamentaux de la sculpture : rapport au sol, taille directe, signes distinctifs du savoir-faire classique. Considérant que le bois est finalement bien plus intéressant avant d’être découpé, il opte définitivement pour la non-intervention sur le matériau, quel qu’il soit, et l’utilise tel que peut le livrer l’industrie (briques, billots de bois, blocs de béton synthétiques standard, plaques de métal, etc.).

Un axiome essentiel est au fondement de toute l’œuvre de Carl Andre : forme = structure = lieu. Toute réalisation est un objet en relation avec son environnement. Il ne peut donc y avoir de signification, pas d’évocation, pas de savoir-faire de l’artiste. L’œuvre est le signe qui rend présente l’idée, mais la visualisation de l’idée doit être la plus élémentaire possible, afin que l’image (ce qui est vu) fasse le moins appel à l’imaginaire, évite au maximum de solliciter les affects. Ramené ainsi au minimum, c’est davantage le signe d’un volume que le volume lui-même qui prime. Ainsi, de minces plaques posées au sol permettent une appréhension différente de l’objet : on ne tourne plus autour, on marche dessus… L’œuvre échappe alors de manière salutaire à l’immortalité traditionnelle de l’œuvre d’art : comme tout objet, elle peut et doit s’user.

Le refus du façonnage et de ce que Carl Andre appelle ‘l’art d’association‘ le différencie singulièrement des autres artistes minimalistes. Il résulte d’un souci d’évidence et d’un goût pour le contact direct préférés à tout autre considération, formelle, symbolique ou psychologique.

L’art d’association fait que l’image est associée avec d’autres choses que ce que l’œuvre d’art est par elle-même. L’art d’isolation a sa propre localisation sur un minimum d’associations avec des choses autres que l’œuvre elle-même. L’idée est l’exact opposé de l’art d’association. J’essaie de réduire dans mon travail la fonction de production d’image au degré le plus faible…

Carl Andre


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercialisation et correction par wallonica | sources : Connaissance des arts ; IAC | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © nytimes.com ; © Keystone.


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LEVAUX : Triste petit pion (s.d., Artothèque, Lg)

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LEVAUX Aurélie, Triste petit pion

(sérigraphie, 47 x 37 cm, s.d.)

Formée à l’ESA Saint-Luc de Liège, où elle enseigne aujourd’hui le dessin, Aurélie William LEVAUX (née en 1981) travaille à la croisée des genres, quelque part entre la bande dessinée, la littérature et l’art contemporain. Elle commence à faire de la bande dessinée au sein du collectif Mycose en 2003. La relation à l’intime que permet ce médium lui permet de se raconter dans des histoires au ton doux-amer, frôlant l’autobiographie (d’après OUT.BE).

Cette sérigraphie a été réalisée par l’imprimerie française Trace. Une femme à la langue démesurée lèche un petit personnage en costume-cravate qu’elle tient dans ses mains. La composition très symétrique et la grande figure féminine tenant dans ses mains un petit homme ramène à l’image classique de la vierge à l’enfant. Mais ici, l’ “enfant” en question est un politicien en costume cravate tenant une pipe à la main.

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Aurélie Levaux ; parismatch.com | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

OPRL : Les peintures d’Edgar Scauflaire

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[OPRL.BE] Réalisées entre 1952 et 1954, les 16 peintures murales du peintre liégeois Edgar SCAUFLAIRE (1893-1960) rehaussent la Salle Philharmonique de l’OPRL (Orchestre Philharmonique Royal de Liège) d’un ensemble iconographique exceptionnel inspiré de thèmes musicaux.

Depuis l’inauguration de la Salle Philharmonique (1887), les murs de scène n’offraient à la vue que de grandes surfaces planes sobrement délimitées par des cadres moulurés dorés. Au début des années 1950, M. Christophe, Directeur général au département des Beaux-Arts et de l’Instruction publique, eut l’excellente idée de commander à Edgar Scauflaire (1893-1960), peintre liégeois de renom, de grandes peintures murales destinées à orner les panneaux demeurés vierges de toute décoration. Scauflaire, qui avait déjà eu l’occasion de réaliser des compositions de grandes dimensions (dessins au pastel, vitraux, peinture sur verre, rideaux de théâtre, etc.) adopta ici la technique de la peinture à l’huile. Il fut aidé pour la réalisation par les peintres Jean Debattice, José Delhaye et Valère Saive. Compartimenté en 16 panneaux de dimensions variées, les trois murs de scène firent l’objet de deux campagnes de travaux. La première, achevée en 1952, comprenait la décoration des panneaux inférieurs des parois latérales. La seconde, qui intégrait les panneaux restants, ne fut clôturée qu’en 1954.

La Naissance de la Musique © Thierry Lechanteur

Présentant de nettes similitudes avec sa peinture de chevalet (symétrie, juxtaposition de surfaces colorées en guise de fond, influence modérée du cubisme), les peintures murales de Scauflaire constituent un très bel exemple d’intégration d’art moderne dans une œuvre d’art ancien. La menace de les recouvrir d’un badigeon uniforme, exprimée en son temps par des détracteurs, fut à l’origine d’un mouvement de protestation qui aboutit au classement du bâtiment, le 27 mai 1986.

De 1998 à 2000, ces peintures ont fait l’objet d’une campagne de nettoyage, dans le cadre de la restauration de la Salle Philharmonique. En 2023, Thierry Lechanteur a photographié 8 des 16 panneaux en haute définition. En septembre et octobre de la même année, à l’occasion du centenaire de sa toute première exposition, Scauflaire fut mis à l’honneur par Les Amis de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, dans le cadre de deux expositions proposées, l’une à la Salle Philharmonique (dessins, fusains, pastels), l’autre à la Galerie des Beaux-Arts (peintures).

Si les panneaux supérieurs sont simplement décorés d’angelots, de plus vastes compositions occupent en revanche le fond de la scène et le centre des parois latérales. À gauche de l’orgue, La Naissance de la Musique évoque l’apparition des premières manifestations musicales : un couple esquisse quelques pas de danse au son d’une conque est jouée par une jeune fille juchée sur à un animal marin, créature imaginaire qui rappelle les temps préhistoriques. Scauflaire prend le parti de considérer, comme chez Platon, que la danse et la musique sont apparus conjointement et sont indissociables.

Le mythe d’Orphée © Thierry Lechanteur

Dans Le Mythe d’Orphée, situé du côté opposé, c’est le thème d’Orphée charmant les humains, les animaux, les plantes et les minéraux au son de sa lyre qui est illustré. Ce célèbre mythe remontant à l’Antiquité, très fréquemment mis à l’honneur au cours des siècles, en particulier lors de la Renaissance florentine (grâce au philosophe Marcile Ficin), met en avant le pouvoir psychologique de la musique sur les êtres vivants et le reste de la création.

Quittant la mythologie, Scauflaire imagine pour les parois latérales un hommage à deux compositeurs liégeois illustres : André-Ernest-Modeste Grétry (à droite, côté cour) et César Franck (à gauche, côté jardin). L’Hommage à André-Modeste Grétry (1741-1813) est entouré de deux panneaux, décorés à gauche d’un harpiste et à droite d’un homme, assis sur un tambour, jouant d’un instrument à perce conique, tous deux portant des vêtements du XVIIIe siècle. La scène principale, dont on connaît une peinture à l’huile qui a servi de projet, présente Grétry en apothéose. Il tient un livre et non une partition, allusion probable au fait que Grétry était non seulement compositeur mais également écrivain. Il est entouré d’une jeune fille nue, peut-être la muse inspiratrice, et d’un homme plus âgé tenant un sceptre et un aigle (Grétry fut apprécié sous l’Ancien Régime comme sous l’Empire).

Hommage à André-Modeste Grétry @ Thierry Lechanteur

En dessous de ces trois personnages, diverses scènes sont représentées liées à des compositions de Grétry. À droite, un homme à tête de chat s’incline devant une jeune fille ; tous deux semblent tirés de l’opéra-comique Zémire et Azor, œuvre inspirée de La Belle et la Bête de J.-M. Leprince de Beaumont. À côté d’eux, plusieurs villageois dansent, évoquant les Six nouvelles romances, musique instrumentale reflétant la gaieté villageoise. À gauche, le troubadour a peut-être un rapport avec l’opéra-comique Richard Cœur de Lion.

Hommage à César Franck @ Thierry Lechanteur

L’Hommage à César Franck (1822-1890) est également entouré de deux panneaux, décorés de musiciennes. La scène centrale est uniquement composée de personnages tirés de ses œuvres. Au milieu de cette scène figurent Les Béatitudes : le Christ amour, surplombant un globe terrestre, apaise d’un geste les douleurs de l’humanité. Les personnages à l’arrière-plan sont peut-être les bienheureux.

À gauche, deux personnages féminins semblent évoquer les oratorios Ruth (1846) et Rebecca (1881), tirés de l’Ancien Testament : tandis que Ruth porte les épis de blés qu’elle a glanés dans les champs de Boaz, son futur mari, Rebecca porte une cruche d’eau qu’elle offre au serviteur envoyé par Abraham, père de son futur mari Isaac.

À droite le cavalier et la biche font référence au poème symphonique Le Chasseur maudit, inspiré d’une ballade moyenâgeuse de Bürger. Le Comte du Rhin délaisse la messe pour lui préférer une partie de chasse. Tandis que sonnent les cloches et s’élèvent les chants religieux, il défie les âmes pieuses qui s’efforcent de le retenir et s’élance dans la forêt. Il se retrouve seul, son cheval refuse d’avancer. Une voix d’outre-tombe le maudit à jamais et de toutes parts les flammes l’investissent. C’est le moment où le cheval se cabre, que Scauflaire figure.

Source principale : QUIRIN D. & MARAITE L., Edgar Scauflaire (1893-1960), peintre-poète (catalogue de l’exposition Edgar Scauflaire organisée à Liège en 1994)

d’après OPRL.BE

Sur le site de l’OPRL, vous trouverez les 24 photos en haute définition (prises par Thierry Lechanteur) des œuvres de Scauflaire ornant la salle philharmonique. Curieux de voir ça ? Cliquez ici…


Cliquez sur le logo pour en savoir plus sur le bâtiment du Conservatoire de Liège…

Autoportrait en pied © artnet

[LABOVERIE.COM] Peintre, décorateur, illustrateur et critique d’art belge, Edgar Scauflaire est né à Liège le 9 mars 1893. En 1915, il s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts de Liège où il suit les cours d’Auguste Donnay, Adrien de Witte, François Maréchal, Émile Berchmans, et Ludovic Bauès. À ses débuts, jusqu’en 1925, il se consacre surtout au dessin : mine de plomb associée au pastel, à travers des portraits et des œuvres allégoriques, marquées par la simplicité du trait et la modernité de compositions sophistiquées. Après ses études de peinture à l’Académie, Scauflaire gagne sa vie comme journaliste et illustrateur.

En 1918, l’artiste adhère au groupe Les Hiboux avec Luc Lafnet, Auguste Mambour et Jef Lambert. La vie du groupe s’essouffle rapidement mais Edgar Scauflaire reprend le nom pour signer ses articles artistiques et de mode qu’il écrit pour le journal La Meuse : Jean Hibou.

À partir du milieu des années 1920, il se consacre de plus en plus à la peinture à l’huile mais aussi aux peintures murales monumentales pour des commandes particulières. Il réalise par ailleurs des grandes peintures sur verre, des vitraux, des cartons de tapisserie et des rideaux de théâtre. Sa première exposition importante se déroule au Cercle des Beaux-Arts de Liège en 1923. Il quitte La Meuse en octobre et finit l’année par une exposition personnelle à la Galerie Dekenne à Bruxelles. A partir de ce moment-là, Edgar Scauflaire réalise de nombreuses expositions en Belgique et à l’étranger.

En 1930, l’artiste entre à La Wallonie comme rédacteur. Il présente deux peintures dont une sur verre lors de l’inauguration de la Galerie Apollo. Il quitte La Wallonie en 1937. Aidé par des mécènes, il vit dorénavant de son art. L’année suivante, Scauflaire décore la salle de musique du Lycée Léonie de Waha en réalisant sa première œuvre monumentale sur verre.

Exposition internationale de l’Eau (affiche lithographiée, Liège, 1939 © Ville de Liège / Fonds patrimoniaux

Pendant la seconde guerre mondiale, Edgar Scauflaire crée L’Atelier Libre pour soustraire les artistes liégeois aux sollicitations de l’occupant en leur offrant du travail. Incarcéré un temps à la Citadelle de Huy, il reprend ses activités dès sa libération. Il reçoit de nombreuses commandes d’œuvres monumentales destinées aux espaces publics, comme la fresque pour Le Bon Marché, à Bruxelles. En 1958, il participe à l’Exposition universelle de Bruxelles, comme membre du jury et comme exposant.

Son œuvre est appréciée pour la simplicité raffinée de ses compositions, pour leur équilibre et pour la subtilité de sa palette chromatique. Edgar Scauflaire est considéré comme l’un des meilleurs représentants de la peinture moderne de Wallonie. Le musée des Beaux-Arts et les Fonds patrimoniaux de la Ville de Liège détiennent plusieurs œuvres de l’artiste. Le 22 octobre 1960, Scauflaire décède d’une crise cardiaque à l’âge de 67 ans.

d’après LABOVERIE.COM


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : veille, compilation, correction, édition et iconographie | sources : oprl.be ; connaitrelawallonie.wallonie.be ; laboverie.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Thierry Lechanteur ; © artnet ; © Ville de Liège / Fonds patrimoniaux.


Plus d’arts visuels en Wallonie-Bruxelles…

MONFORT : Sans titre (s.d.)

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MONFORT Martine, Sans titre

(linogravure, 40 x 40 cm, s.d.)

Martine MONFORT est née le 26 août 1951. Elle suit les cours de Georges Comhaire à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Liège en section gravure. Elle participe ensuite à de nombreuses expositions personnelles en Belgique (Liège, Louvain…) et à des expositions de gravure internationales (Triennale de Gravure de Spa en 1986, International Biennal Print and Drawing Exhibit Taipei en 1995). Martine Monfort anime un atelier de gravure pour l’asbl Li Querneu à Huy. (d’après CENTREDELAGRAVURE.BE)

Illustration : Martine Monfort © vinalmont.be

Martine Monfort est une spécialiste de divers procédés de gravure, notamment l’aquatinte. Elle opté ici pour la linogravure, délaissant les nuances de gris pour un noir et blanc radical. Si le motif évoque un damier, une observation plus attentive nous montre une organisation chaotique : nulle ligne n’est perpendiculaire à l’autre. L’ordre attendu par le spectateur laisse place à un désordre subtil et quelque peu désarçonnant….

Pour en savoir plus…

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[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Martine Monfort ; vinalmont.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

LO BIANCO : Bottine (2010, Artothèque, Lg)

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LO BIANCO Audrey, Bottine
(eau-forte, 22 x 22 cm, 2010)

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Audrey Lo Bianco

Audrey LO BIANCO est née en 1984. Licenciée en arts plastiques, visuels et de l’espace, recherches picturales et tridimensionnelles de l’Académie des Beaux-arts de Liège, Audrey Lo Bianco a reçu différents prix en Belgique et au Luxembourg, et a exposé à différentes éditions de la Biennale internationale de gravure (Liège), à la Bienal internationale de Villa Nova de Cerveira (Portugal), au Centre culturel des Chiroux et dans de nombreuses galeries belges et étrangères. (d’après OUT.BE)

A travers une série de gravures minimalistes, Audrey Lo Bianco aborde avec délicatesse le monde de l’enfance. L’eau-forte permet un trait fragile et tremblé, les ratures et le fonds grisâtre évoquent une vieille photographie. Silhouettes, jambes, chaussures… les détails s’accumulent, comme autant de fragments nostalgiques ou de trésors inestimables et dérisoires.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Audrey Lo Bianco ; academieroyaledesbeauxartsliege.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

PINELLI : Sans titre (silhouette féminine) (2014, Artothèque, Lg)

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PINELLI Joe G., Sans titre (Silhouette féminine, 2014)
[dessin aux bâtons d’huile]

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Joe G. Pinelli © PLG

Joe G. (Giusto) PINELLI (né en 1960) est un illustrateur, dessinateur et scénariste de bande dessinée.  Il arrive à Liège à la fin des années 1970, pour y suivre le cours de bande dessinée de Jacques Charlier à l’Académie Royale des Beaux-Arts. Lorsqu’il commence à réaliser ses premières bandes dessinées, il décide de se raconter, de mettre en image son quotidien. De nombreux extraits de ces récits autobiographiques, sont publiés dans des fanzines, tant en Belgique qu’en France ou encore aux Pays-Bas. Son graphisme libéré et tendu en fait l’un des auteurs importants de la Bande dessinée indépendante.

Ce dessin aux bâtons d’huile fait partie de l’œuvre du peintre fictif Hans Von Furlow, créé par Joe G. Pinelli et évoqué notamment dans son album Féroces Tropiques (Dupuis, sur scénario de Thierry Bellefroid). A travers la biographie d’un autre peintre fictif, celle de Kurt Hix, Pinelli évoque en filigrane la première guerre mondiale et plus tard, dans une série de fanzines, la montée du nazisme…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © PLG | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

KENDRICK, Mathieu dit SOWAT (né en 1978)

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[CONNAISSANCEDESARTS.COM, 14 juin 2019] Après des années passées dans les entrailles d’édifices abandonnés, Sowat anime ses toiles d’une nouvelle calligraphie de signes liquides.

Sowat a grandi sous le soleil marseillais et l’azur californien, l’œil gorgé de couleurs. Il couvre de graffitis les voies ferrées de la capitale méditerranéenne et s’émerveille à Los Angeles devant la calligraphie du chollo writing des gangs mexicains. Puis, en 2010, il rencontre Lek, figure majeure du graffiti parisien. Inséparable, le binôme explore les lieux abandonnés, chantiers et autres ruines urbaines pour les couvrir, en secret et la nuit, d’images éclatantes qui épousent la structure des bâtiments comme des peintures rupestres. Le duo fait entrer l’art de la rue dans des friches intérieures insoupçonnées, puis filme ses interventions. Ils séduisent Jean de Loisy, qui leur permet de “s’éclater” clandestinement – l’adrénaline est indispensable – dans les sous-sols du Palais de Tokyo. Ce qui les amène à y réaliser le film Tracés directs avec Jean Villéglé et d’autres artistes du Street Art, et à exposer à la galerie d’agnès b., en 2013.

Deux ans plus tard, ils se retrouvent à la Villa Médicis, dont ils “enturbannent” la loggia avec des bandes de plastique bleu. Mais en se frottant au monde de l’art, Sowat prend goût au travail solitaire de l’atelier. Ses grandes toiles éclaboussent l’œil avec le geste énergique du graffiti. Ses couleurs explosent,  brouillées, les encres sont pulvérisées en mille petites taches hypnotiques. Leur effet répétitif fait songer aux papiers peints, à Mark Tobey, à Pollock et surtout à… Georges Seurat ! Un pointillisme réalisé non à la pointe du pinceau mais à la pointe du bambou. Il est parvenu à unir deux mondes longtemps inconciliables, celui de la rue et celui du musée.

Elisabeth Vedrenne


© Sowat

[LEFEUVREROZE.COM] Sowat est un artiste franco-américain basé à Paris. Sa longue et complice collaboration avec Lek nourrit, depuis toujours, sa démarche personnelle : grands voyageurs, acteurs d’interventions in situ et aux œuvres spectaculaires car inscrites dans l’espace public, ils tirent des itinérances du duo Lek & Sowat une expérience du sensible qui vient enrichir leurs parcours individuels. Après une année à la Villa Médicis (2015-2016), ils reviennent à Paris en résidence à la Cité internationale des arts. C’est dans son atelier sur le site de Montmartre que Sowat a ainsi pu bénéficier de ce temps particulier qu’est celui de la résidence d’artiste, en retrait des regards que l’on croise ou qui vous scrutent dans l’espace public un temps de recherche, de suspens du quotidien, et d’expérimentation, où il approfondit ses essais de calligraphies sur toile et papier.

Dans son atelier, Sowat aborde ainsi plus intimement certains aspects de sa démarche, tout en explorant plus avant le calligraffiti, qui est au cœur de sa pratique picturale. Pour cela, il fait appel à des matériaux généralement considérés comme appartenant à des mondes antinomiques (celui du graffiti et celui des beaux-arts) : Sowat est un passeur et son œuvre comme une passerelle entre ces deux univers.

Ce temps d’atelier, un retrait du monde, aura permis à Sowat d’affiner son geste artistique. Ses œuvres témoignent d’un langage multiforme, qui tient tout d’abord de la citation : la technique du tag chère à Sowat vient servir les formes, volutes, torsions, taches et lignes d’écritures qui s’inspirent directement de diverses esthétiques calligraphiques très repérées dans l’espace urbain : le Cholo writing de Los Angeles (où habite la moitié de la famille de l’artiste), les inscriptions en latin dans la pierre et le marbre des édifices romains, les calligraphies arabes observées au Maroc ou aux Émirats Arabes Unis, le graphisme de l’alphabet hébreu redécouvert lors d’une intervention à Tel Aviv, ou encore les idéogrammes chinois regardés de près lors d’un séjour à Hong Kong. Sowat inscrit d’abord sa pratique d’écriture peinte dans des références globales, pour certaines : référence à la grande histoire millénaire ou la micro-histoire de villes-mondes (comme Los Angeles), tirées de ses nombreux voyages, qu’il va ensuite s’approprier.

​Les toiles de Sowat sont autant de déclinaisons d’un nouvel alphabet formant des phrases qui se transmuent. Son travail est ainsi d’abord une célébration du signe, se traduisant par une effervescence organisée, voulue par l’artiste transformé en alchimiste démiurge, qui se joue de sa propre maîtrise technique : en apposant sur la peinture, et sur son geste artistique, de l’eau et d’autres “fluides” qui vont réagir ensemble et faire évoluer les motifs sur la toile, il laisse ainsi la part des choses naturelles modifier et transformer le phrasé de ses toiles.

La puissance iridescente de ces œuvres nous laisse entrevoir, à distance, des pluies diluviennes, des forêts chamarrées profondes, d’essaims tremblotants, ou, quand on s’approche, des textes et des formes d’écritures, recouverts de parures de camouflages, qui nous permettent de retracer et revenir à l’origine de l’œuvre, au plus près du geste de l’artiste.

Bénédicte Alliot, DG de la Cité internationale des arts


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercialisation et correction par wallonica | sources : Connaissance des arts ; Le Feuvre & Roze | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © artshebdomedias.com ; © Sowat.


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MULS : sans titre (s.d., Artothèque, Lg)

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MULS Isa, sans titre
(aquatinte, 43 x 56 cm, s.d.)

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isamuls
© isamuls.blogspot.com

Née en 1976, initiée à l’Académie de Saint-Gilles (Bruxelles), Isa MULS poursuit actuellement ses recherches graphiques aux Ateliers Mommen et sa formation en gravure à la RHoK académie d’Etterbeek.

Pour cette œuvre, Isa Muls utilise la technique de l’aquatinte à l’ancienne – sa technique de prédilection. On saupoudre la plaque de cuivre avec de la colophane avant de la plonger dans l’acide. Ce sont ces grains qui donnent aux noirs une profondeur particulière. Un cliché de la police de Los Angeles datée de 1928  a été le déclencheur. Un homme armé en  poursuit  un autre dans une arrière-cour un peu glauque. L’aura… l’aura pas …?  (d’après l’auteur)

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IMPEDUGLIA : Stupid Man (2009, Artothèque, Lg)

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IMPEDUGLIA Laurent, Stupid Man
(sérigraphie, 50 x 70 cm, 2009)

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Laurent Impeduglia © delphinecourtay.com

Peintre, dessinateur, touche-à-tout actif sur la scène internationale depuis le début des années 2000, Laurent IMPEDUGLIA (né en 1974) met volontiers en scène des personnages issus de l’univers de son enfance (publicité, jeux vidéo, comics…) qu’il combine avec des éléments naturels ou architecturaux, des formes abstraites et des symboles plus ou moins obscurs. Ses compositions accordent aussi une place importante à de courtes phrases qui apparaissent comme des sentences ou un titre, un peu à la manière de Jacques Charlier, son aîné en irrévérence (d’après SPACE-COLLECTION.ORG).

Dans cette vision naïve, inspirée à la fois par les bandes dessinées underground, l’art brut ou le pop art et Basquiat, Laurent Impeduglia dresse un portrait corrosif de notre société. Dans ce grand bazar capitaliste, où se mêlent consommation, religion et industrie, tout semble fêlé, la folie et la mort guettent. 

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AILLAUD, Gilles (1928-2005)

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Lions, girafes, phoques… Gilles AILLAUD, disparu en 2005, a beaucoup peint les animaux, souvent en captivité. Pourtant ses toiles, contemporaines des premières œuvres Pop et de leur fascination pour les produits de la consommation, n’ont rien d’exotique. Laissant croire qu’il représentait des animaux, c’est notre relation à la nature qui s’impose pourtant comme son seul et véritable sujet.

Interrogé sur son choix de ne peindre presque exclusivement que des animaux, Gilles Aillaud répondait : “parce que je les aime”. Contemporaines des premières œuvres Pop, de leur fascination, plus ou moins distante, pour les produits de la consommation, de la communication de masse, le sujet de Gilles Aillaud pouvait apparaître comme exotique. Les interrogations que notre époque adresse à notre relation au vivant rendent son iconographie moins incongrue et montrent l’importance de cette rétrospective. Attendue, cette exposition [au centre Pompidou] permet de (re)découvrir l’œuvre de Gilles Aillaud comme récemment ceux de Georgia O’Keeffe ou Germaine Richier. L’objectivité manifeste de son art fait de lui, le père putatif d’une nouvelle génération d’artistes que fascine un réalisme emprunté aux technologies modernes de l’image. C’est faute d’avoir pu être philosophe, que Gilles Aillaud est devenu peintre. De sa première formation, sa peinture a hérité une nature hybride, l’équivalent de ce que la tradition chinoise nommait : une Peinture lettrée.

Que ses représentations des parcs zoologiques soient contemporaines de Surveiller et punir (de Michel Foucault) et de La société du spectacle (de Guy Debord) en lesquels se résumaient les questions que sa génération adressait aux formes du pouvoir et à l’artificialisation du monde ne saurait être insignifiant. Plutôt toutefois que de peindre une philosophie, Gilles Aillaud s’est appliqué à “peindre philosophiquement”.

Laissant croire qu’il représentait des animaux, c’est notre relation à la nature qui s’impose comme son seul et véritable sujet. Loin des villes et de leur “jungle” de béton, il a retrouvé en Afrique une nature dont les animaux dupliquent couleurs et contours jusqu’à disparaître en elle. Avec les moyens de son art, Gilles Aillaud a voulu atteindre un tel “effacement”. Son “humilité” technique donne forme au songe d’une réconciliation, loin de tout projet de “maîtrise” et de “possession” du monde.

d’après CENTREPOMPIDOU.FR


Gilles Aillaud, “La Bataille du riz” (1968) © Guy Boyer

Impossible de cantonner Gilles Aillaud dans les seules représentations d’animaux en cage. Proche des peintres Eduardo Arroyo et Antonio Recalcati, il est l’un des représentants de la Figuration narrative qui a su s’engager en politique, réalisant des affiches et des slogans pour Mai 68. Dans l’exposition [au centre Pompidou] figure cette Bataille du riz, qui souligne son opposition à l’impérialisme américain. Elle a été présentée dans la salle rouge du 19e Salon de la jeune peinture en 1968, exposition censurée puis transférée au musée d’Art moderne de Paris et aux usines Berliet de Bourg-en-Bresse. Un peu plus loin est accrochée la superbe représentation des gueules noires de Fourquières-lès-Lens.

Comme le rappelle le commissaire de l’exposition Gilles Aillaud. Animal politique, l’artiste est contemporain de la publication du livre Surveiller et punir de Michel Foucault (1975) et de La Société du spectacle de Guy Debord (1967). Les toiles de Gilles Aillaud, montrant des animaux enfermés dans leur jungle de béton, sans visiteur ni soigneur, parlent de cette artificialisation du monde qui se développe dans la seconde moitié du XXe siècle.

“Lorsque je représente des animaux toujours enfermés ou déplacés, ce n’est pas directement la condition humaine que je peins, explique Gilles Aillaud. L’homme n’est pas dans la cage sous la forme du singe mais le singe a été mis dans la cage par l’homme. C’est l’ambiguïté de cette relation qui m’occupe et l’étrangeté des lieux où s’opère cette séquestration silencieuse et impunie”.

Avec l’éditeur Franck Bordas, Gilles Aillaud se lance en 1988 dans un vaste projet d’encyclopédie de tous les animaux en hommage au comte de Buffon, auteur d’une Histoire naturelle, générale et particulière en 1749-1789. Un animal par jour, tel est l’ambition de Gilles Aillaud qui les dessine au Jardin des plantes aussi bien qu’en Afrique. Du harfang à la genette, l’ensemble est publié en trois recueils sur trois ans avec un texte de Jean-Christophe Bailly pour chaque gravure.

Au Kenya, Gilles Aillaud découvre les ibis, les girafes et les éléphants dans leur cadre naturel.  “Les animaux et le paysage dans une unité que le trait du dessin puis, plus tard, le pinceau, vont devoir rejoindre”, écrit Jean-Christophe Bailly. Les animaux se fondent dans leur environnement en un mimétisme étonnant et forment un tout avec la nature. La touche devient plus légère. Gilles Aillaud se réconcilie avec notre monde.

d’après  CONNAISSANCEDESARTS.COM


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PEIRE : Sans titre (1987, Artothèque, Lg)

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PEIRE Luc, Sans titre 
(sérigraphie, 62 x 52 cm, 1987)

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luc.peire
Luc Peire © SABAM

Luc PEIRE (1916-1994) est parti de l’expressionnisme pour évoluer vers une réduction et une stylisation personnelle de la figure humaine (dans les années 50), puis une représentation de l’être humain en tant qu’être spirituel symbolisé par le mouvement vertical et situé dans un espace équilibré. L’univers de Peire est pureté : pureté de la couleur, pureté de la forme, pureté du rythme. Le désir de Peire de collaborer avec d’autres artistes, architectes et urbanistes a conduit à de nombreux projets d’intégration en Belgique et en France. (d’après LUCPEIRE.COM)

Sérigraphie issue d’un recueil collectif intitulé Sept abstraits construits rassemblant des estampes de Marcel-Louis Baugniet, Jo Delahaut, Jean-Pierre Husquinet, Jean-Pierre Maury, Victor Noël, Luc Peire et Léon Wuidar (imprimeur et éditeur : Heads & Legs, Liège). Lors de sa parution, en novembre 1987, le recueil complet fut présenté à la Galerie Excentric à Liège dans le cadre d’une exposition intitulée Constructivistes Belges. (d’après CENTREDELAGRAVURE.BE)

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LES TONTONS RACLEURS : Le Montagnard (2017, Artothèque, Lg)

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LES TONTONS RACLEURS, Le Montagnard
(sérigraphie, 60 x 40 cm, 2017)

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LES TONTONS RACLEURS est un duo créatif d’artistes sérigraphes. Maud Dallemagne (1982) et Nicolas Belayew (1982), diplômés en arts plastiques de l’Ecole de recherche graphique (Erg — Bruxelles), explorent les possibilités offertes par la sérigraphie en tant qu’outil d’expérimentation. Etablis à Charleroi (et Liège) en Wallonie, ils développent une pratique artistique multidisciplinaire en complicité avec d’autres créateurs et ouvrent cette démarche à la participation du public. Ils sont également actifs dans les domaines du graphisme, de l’illustration et de la peinture en lettre.

Dans cette image, qui s’inscrit dans une série de portraits (voir La Physicienne dans la collection de l’artothèque), le travail de surimpression d’images et de motifs produit un récit par association. On retrouve des textures évoquant la roche, la flore, la cartographie en opposition avec l’apparence de l’homme. Qu’il soit amateur de montagne, qu’il soit originaire des montagnes, qu’il soit montagnard dans un sens métaphorique ou encore d’autres choses, cela se construit mentalement chez le regardeur de l’image. Le rose n’est pas sans évoquer l’amateurisme ou la délicatesse en contraste avec l’image du montagnard. Entre distance et proximité se forme une narration poétique, dans laquelle même le portrait peut être vu comme une image parmi les autres.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Les Tontons Racleurs | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paque

NOEL : Sans titre (1987, Artothèque, Lg)

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NOËL Victor, Sans titre 
(sérigraphie, 52 x 62 cm, 1987)

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noelvictorserigraphie

Après des études à l’Académie des Beaux-Arts de Mons, Victor NOËL (1957-2006) devient professeur de peinture décorative et de dessin publicitaire à l’Académie des Beaux-Arts de Tournai, jusqu’en 1976. Grand admirateur du Bauhaus, il s’engage dans l’abstraction géométrique vers 1954. Il fut membre des groupes Formes, D4, Géoforme, et Art concret en Hainaut. Il était aussi co-fondateur de la revue Mesures Art International en 1988. (d’après CENTREDELAGRAVURE.BE)

Sérigraphie issue d’un recueil collectif intitulé Sept abstraits construits rassemblant des estampes de Marcel-Louis Baugniet, Jo Delahaut, Jean-Pierre Husquinet, Jean-Pierre Maury, Victor Noël, Luc Peire et Léon Wuidar (imprimeur et éditeur : Heads & Legs, Liège). Lors de sa parution, en novembre 1987, le recueil complet fut présenté à la Galerie Excentric à Liège dans le cadre d’une exposition intitulée Constructivistes Belges. (d’après CENTREDELAGRAVURE.BE)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Victor Noël | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

EYEN : Sans titre (Personnages) (s.d., Artothèque, Lg)

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EYEN Luc, Sans titre (Personnages)
(pointe sèche, 20 x 36 cm, s.d.)

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luc (1)
Luc Eyen © creahm.be

Luc EYEN est né en 1973. C’est un artiste actif dans les ateliers du CREAHM de Liège, ainsi qu’au Cejiel. Camper hardiment dans le métal un animal ou un personnage n’a pas de secret pour lui, ses multiples portraits témoignent d’une belle “santé” plastique. Sa vie quotidienne alimentant intensément son expression artistique, il aime à représenter obligeamment tous ses amis. Le plus souvent, en marge de ces représentations anecdotiques, il prend soin de noter très méticuleusement tout un univers de prénoms, de dates de naissance, de multiples messages affectifs, comme autant de références à la “réalité” de l’instant qu’il voulut fixer. (d’après BEAUXARTSLIEGE.BE)

Cette pointe sèche très brute évoque l’art primitif. Les silhouettes hiératiques semblent nous observer de leurs yeux d’un blanc éclatant.

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SHINODA, Toko (1913-2021)

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Née en 1913 en Mandchourie et dans une famille de sept enfants, Toko Shinoda grandit au Japon, où elle apprend dès ses 6 ans la calligraphie. Le travail de son oncle, qui grave des sceaux pour la famille impériale, va l’inspirer et lui révéler sa vocation très tôt. Dans une atmosphère érudite, j’ai grandi en sachant que je voulais faire ces choses, devenir une artiste”, confie-t-elle à l’agence de presse américaine United Press International, en 1980. Dès l’adolescence, Toko Shinoda ressent le besoin de s’extraire des carcans réducteurs de cet art millénaire très codifié pour expérimenter une nouvelle forme d’art. Malgré les remontrances de son père, elle cherche de nouveaux motifs en travaillant toujours avec l’encre et le papier traditionnel japonais en poussant la calligraphie jusqu’à ses limites.

Après avoir exposé à Tokyo en 1940, la calligraphe passe deux ans à New York, où elle rencontre les maîtres de l’expressionnisme abstrait étasunien, notamment Mark Rothko et Jackson Pollock, qui font prendre à son art un tournant décisif. S’inspirant de ce courant, elle crée des formes longilignes en camaïeux de noirs, qu’elle rehausse parfois d’un sépia ou d’un bleu. Utilisant la technique pluricentenaire de l’encre solide sumi, produite à partir de suie de façon artisanale et s’utilisant en frottant un bloc contre une pierre mouillée, Toko Shinoda développe une œuvre extrêmement réfléchie et planifiée. L’encre sumi a en effet la particularité d’être très rapidement absorbée par le papier, ce qui rend impossible tout travail postérieur une fois que le trait est tiré. Avec ses traits minutieux et asymétriques, elle cherche à capturer le fugace et l’évanescent inhérents au quotidien.

La vie de Toko Shinoda a été émaillée de reconnaissance, ce qui n’était pas couru d’avance pour une femme dans le Japon du XXe siècle. Elle a très tôt été distinguée comme l’une des plus grandes calligraphes de son époque à son installation à Tokyo lorsqu’elle était jeune adulte, dans les années 1930. Un grand honneur, habituellement réservé aux hommes, dans une société où les rôles de genre sont très marqués et segmentés. Son œuvre est exposé au Museum of Modern Art (MoMA) dès 1954, lors d’une exposition consacrée à la calligraphie japonaise. Par la suite, il entre dans les collections du Metropolitan Museum (Met) à New York, du MoMA, de la famille impériale japonaise et du British Museum de Londres, entre autres. Toko Shinoda réalise également des gravures et des peintures murales, notamment pour le temple bouddhiste Zojo-Ji de Tokyo. Aujourd’hui, ce sont ses œuvres qu’elle laisse derrière elle : Je ne me suis jamais mariée et je n’ai pas d’enfants », a-t-elle déclaré au Japan Times en 2017, et je suppose que cela semble étrange de penser que mes peintures sont à leur place – bien sûr, ce n’est pas du tout la même chose. Mais je le dis, lorsque des peintures que j’ai faites il y a des années reviennent dans ma conscience, on dirait qu’un vieil ami, ou même une partie de moi, est revenu me voir“.

d’après CONNAISSANCEDESARTS


De la calligraphie aux lithographies

Formée à la calligraphie depuis l’âge de 6 ans, Tôkô SHINODA a grandi au sein d’une famille d’artistes qui comptait parmi ses membres un ancien calligraphe de l’Empereur Meiji. Elle s’éloignera progressivement de la calligraphie traditionnelle et de ses conventions pour chercher son mode d’expression propre. Elle continue cependant d’utiliser de l’encre, le sumi d’origine chinoise, pour tracer au pinceau d’élégantes lignes qu’elle imprimera ensuite par lithographie… Lithographies auxquelles elle appose souvent une touche finale de couleur, le plus souvent à l’encre rouge. Son œuvre est le plus souvent, et assez unanimement, caractérisée comme la fusion réussie de la calligraphie traditionnelle et de l’expressionnisme abstrait. Une qualification judicieuse mais trop peu explicitée. Tâchons ici d’en préciser un peu les contours.

L’esprit libre et l’aventure de l’expressionnisme

Son itinéraire artistique la mène de la calligraphie à l’expressionnisme ; de Tôkyô au New York effervescent des années 1950, où elle croisera le chemin de certains des membres de l’école de New York : Mark RothkoRobert Motherwell… Elle trouve dans leurs questionnements communs une inspiration qui ne la quittera plus.

D’un côté, elle rejoint le rejet marqué de la figuration qui caractérise ce courant, qui marche alors sur les traces de Kandinsky ou de Gorky. De l’autre, elle est séduite par la primauté donnée aux émotions et à la libre exploration des moyens permettant de les exprimer. Lui est donnée l’occasion de participer à cette grande aventure, cette quête existentielle de la peinture qui se cherche en-dehors de la figuration et de la représentation. La matière, la forme et la couleur sont en train de prendre le devant d’une scène bouillonnante où les débats et les désaccords sont fréquents. Clement Greenberg, critique engagé dans le mouvement depuis ses prémices, tentera d’analyser cette époque dans un célèbre essai de 1982 intitulé Modernist painting dans lequel il explique que l’art se développe en faisant sa propre critique, en éliminant tout ce qui ne relève pas directement de l’art (comme l’imitation de la Nature qui caractérisait la peinture occidentale prémoderne).

C’est dans ce contexte que Shinoda s’inscrit : si j’ai une idée bien définie pourquoi la peindrais-je ?” déclare-t-elle dans une interview en 1980. Je vivais en quelque sorte dans une excitation quotidienne indescriptible. Les artistes étaient libres de faire tout ce qu’ils voulaient”. Elle se passionne alors pour une forme particulière qu’elle ne cessera de mettre et remettre sur l’ouvrage : le trait. En même temps, elle renoue définitivement avec l’encre de Chine qu’elle choisit parce qu’elle offre la plus grande variété de couleurs et de variations”. Le souci de la matière et de ses possibilités est plus fort que jamais.

Cette quête l’aura menée loin de la calligraphie traditionnelle et de ses règles d’airain dont elle ne voulait plus depuis longtemps, au grand dam de son père. Pourtant Shinoda ne s’est jamais vraiment coupé de toute influence japonaise, bien au contraire. Sa proximité avec les traditions de pensée japonaise fera même hésiter les critiques sur l’épithète à lui attribuer : le Time en 1983 lui consacre un article intitulé Une conservatrice renégate, une libérale traditionaliste.

Une sagesse iconoclaste

Commençons par le bouddhisme. Son influence sur la peinture et la calligraphie sino-japonaise est indiscutable. Il n’est donc pas incongru de l’y retrouver sous le pinceau, ni sous la plume, de Tôkô Shinoda qui a également beaucoup écrit. Il est impossible de décrire mon évolution artistique avec des mots […] En fait je pense que mes œuvres n’expriment rien. Mais même si elles n’expriment rien on aime parfois à les regarder”. Le rien dont Shinoda parle n’est pas le néant occidental mais la “vacuité” bouddhiste.

Un autre thème qui imprègne son œuvre et sa vie est celui de l’impermanence, présent à la fois dans le bouddhisme et dans la sensibilité traditionnelle. Ma vie est en quelque sorte un rêve. Peindre une ligne est comme un rêve” déclare-t-elle à 102 ans, filant une métaphore courante qui traverse l’histoire du Japon et qui rappelle celle du “monde flottant” des estampes. Comme pour le haïku (elle en écrit d’ailleurs), elle conçoit ses œuvres comme des tentatives de refléter son émotion (kokoro) à l’instant où elle peint. Une phrase qu’elle aime citer et qui a donné son titre à un livre, la vie est (d’)un seul trait, peut également s’interpréter à cette aune.

Bien que nourrie de tradition japonaise, la personnalité de Tôkô Shinoda détonnait souvent avec le reste de la société de son temps. Plutôt solitaire (elle ne s’est jamais mariée) et pas conformiste pour deux sous, sa liberté d’esprit et de réflexion l’ont parfois amenée à des positions iconoclastes.

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JEAN : From Liege with love (2018, Artothèque, Lg)

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JEAN Hélène, From Liège with love
(serigraphie, 59 x 42 cm, 2018)

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helene.jean
Hélène Jean © be.linkedin.com

Née en 1989, Hélène JEAN expose ses œuvres depuis 2012 mais peint depuis l’enfance. Elle utilise essentiellement les pastels secs et l’encre de chine sur des toiles ou du bois. Reçue au Conservatoire National de Région de Toulouse, elle a tout d’abord fait une carrière de comédienne durant laquelle, outre la comédie, elle réalise des décors et crée des éclairages. Cette expérience lui permet de mesurer à quel point la peinture et la sculpture sont essentielles pour elle. Artiste peintre autodidacte, elle projette intensément ses émotions dans ses créations, desquelles émanent toute l’énergie de la nature et un imaginaire prolifique.

Cette sérigraphie adopte les codes de la carte-postale ainsi que ceux de la bande dessinée. L’image est divisée en neuf cases qui présentent huit scènes ou huit lieux typiques de Liège : le musée de la Boverie, des boulets-frites, un plan de Liège, deux verres de bière qui s’entrechoquent, une péniche (sur deux cases, car elle est bien entendu tout en longueur), deux pigeons, le perron et une gaufre. C’est un regard à la fois ironique, mais aussi amusé et bienveillant que semble poser l’artiste sur sa ville d’adoption.

 

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Hélène Jean ; be.linkedin.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

PIRENNE : Georges Le Brun (1873-1914) – Sa vie de peintre (1920)

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[ACADEMIA.EDU, Catalogue de l’exposition Georges Le Brun. Maître de l’intime, présentée au musée Félicien Rops, Province de Namur, du 24 octobre 2015 au 6 mars 2016 ] Conférence prononcée par Maurice Pirenne à l’occasion de la première exposition personnelle consacrée à Georges Le Brun, à la salle de la Société des beaux-arts, Verviers, en 1920.

C’est de la vie de peintre, c’est de l’art de Georges Le Brun qu’il va s’agir ici, or, quoique de caractère très différent, je crois avoir été mêlé à son intimité, à son intimité artistique, plus que personne, du moins d’une façon aussi continue. Voilà pourquoi c’est moi, ce n’est que moi, hélas !, qui vais essayer d’en donner une idée.

J’ai écrit ceci d’un seul jet en me servant exclusivement de ma mémoire ; après coup, au moyen de dates, de certains faits oubliés ou ignorés de moi que l’on m’a rappelés ou appris j’ai vérifié mon travail. J’ai constaté qu’à prendre la chose du point de vue rigoureux, historique, certaines parties auraient dû être remaniées.

Le ferai-je ? – Non – Je me suis contenté d’intercaler quelques dates. Je n’ai pas voulu faire une biographie méticuleuse, je ne cherche pas ici la précision, la vérité matérielle, extérieure ; non, ayant eu la chance d’assister au développement de la vie d’un vrai artiste, j’ai rappelé mes souvenirs, je les ai transcrits comme je les voyais et ainsi c’est le temps qui, m’ayant fait perdre de vue les détails inutiles, a créé naturellement cette synthèse.

C’est un même goût, une même passion pour la peinture qui nous a réunis. Nous étions encore en classe, à l’Athénée. Le Brun devait avoir dans les 17 ans. Monsieur Constant Simon, professeur de dessin à l’Athénée lui avait donné quelques leçons d’aquarelle. De suite Le Brun s’y mit avec ardeur. Son père lui avait acheté le traité de peinture à l’aquarelle de Cassagne et consciencieusement le jeune peintre le bûchait. Ce livre ne le quittait plus ; il en citait de longs morceaux de mémoire, il devait en rêver. Intelligent comme il était, il en profita d’une façon étonnante ; ses progrès étaient surprenants.

Son père, Monsieur Léon Le Brun, ingénieur, à l’esprit savant et original, inventeur, s’intéressait naturellement beaucoup aux essais de son fils. Taquin, il s’amusait à contredire ses  opinions, à discuter ses admirations et surtout, à relever ironiquement dans ses études, les moindres fautes de dessin. Ces critiques le piquaient, aussi dès le début Le Brun s’acharna-t-il à dessiner juste ; c’est pourquoi ses aquarelles des premiers temps avaient déjà tant de tenue et de sérieux.

Toutes les heures libres que laissait la classe, elle était devenue l’accessoire, étaient consacrées au seul travail important, peindre. Opiniâtre et robuste rien ne le rebutait, ni le froid, ni le chaud. L’hiver il mettait de l’alcool dans son eau pour qu’elle ne gelât pas et grimpait au Husquet, il habitait alors Dison, laver des effets de neige.

C’est de ce temps-là que l’été, on allait peindre à Maison-Bois. Pendant les vacances nous y passions la journée entière. Isidore Meyers, en villégiature chez Joseph Deru, venait y brosser des sous-bois, dans une pâte riche et claire qui était une révélation pour nous. On se retrouvait autour de la chefnée [sic] à la ferme Bonhomme, pour dîner. Maison-Bois était alors le rendez-vous des artistes et des esthètes verviétois : Smaelen, Debatisse, Henrard, Deru qui suivait les jeunes de son œil bienveillant et narquois… Aujourd’hui, tous ceux-là sont morts et l’on a coupé tous nos arbres.

Binjé, Staquet et Uijtterschaut étaient les trois aquarellistes belges les plus connus alors. Comme il a, aux Salons de peintures, étudié les œuvres, comme il les a discutées, comparées, jugées ! Un jour il écrivit à Staquet pour lui demander de pouvoir lui montrer ses études. Le fin aquarelliste, bonhomme, le reçut plusieurs fois avec la meilleure grâce, fut étonné des rares qualités que montraient les essais du jeune peintre, lui donna d’excellents conseils. Plus tard il ira voir Meunier sans autre recommandation que lui-même. Comme l’aquarelliste le grand statuaire reçut son jeune admirateur avec une parfaite bienveillance et un sincère intérêt pour ses travaux.

Mais la rhétorique est finie, enfin ! Il est bien entendu qu’il sera peintre ; il part pour Bruxelles (1895). Il s’y fait inscrire à l’Académie. Il entre dans la classe de Portaels. Il y resta huit jours…

L’Académie, non, décidément, pas ça ! L’Académie, l’enseignement officiel, le dressage artistique ; l’Académie, horreur ! N’est-elle pas l’éteignoir de tout feu sacré, de toute spontanéité, de toute originalité, de toute hardiesse, de toute vie : l’Académie c’est la mort. Toutes les jeunes revues le proclament, tous les artistes originaux le déclarent ; c’est d’ailleurs une chose qu’on ne discute pas, un article de foi. Ô belle foi dangereuse, ô belle foi juvénile !

S’il va à Bruxelles c’est pour apprendre certes, mais comme il l’entend, en étudiant les maîtres qu’il a choisis, librement, ce n’est pas pour rentrer à l’école, subir la règle. Pour dessiner d’après le modèle vivant, il se fait recevoir membre du cercle La Patte de Dindon réunion de peintres qui travaillent en commun le soir dans les combles de la maison des corporations sur la place de l’Hôtel de ville.

C’est là qu’il connut Laermans. L’art prenant, la note neuve qu’apportait Laermans, qui exposait alors pour la première fois, lui plut extraordinairement. Ils devinrent grands amis. Le Brun en subit quelque temps l’influence. Mais il se dégagea. Il finit par trouver l’art tumultueux du sourd génial trop criant, trop extérieur, gâté, pour lui, comme d’un souci, d’une préoccupation du public. Ça ne satisfaisait plus complètement son goût ; il était devenu difficile. Il avait étudié les maîtres il s’était imprégné du sérieux des grands peintres belges d’après 1830, de ces forts, de ces graves et honnêtes artistes : Leijs, De Groux, de Braekeleer, Stobbaerts, Mellery

Mais au musée ancien l’inégalable XVe siècle l’avait pris : Van Eyck, Memling, Roger de la Pasture, les autres. Puis leur unique continuateur, le vieux Breughel, le seul qui, réfractaire à la mode, à la toute puissante influence de l’Italie évolua dans la tradition nationale. Breughel, il eut toute sa vie, pour lui, un vrai culte ; cet art archaïque et pourtant si vivant avait avec le sien de singulières analogies.

D’avoir contemplé tant d’exemples magnifiques, il était pris d’une grande exaltation. À force d’admirer les vieux maîtres, il était dégoûté de la peinture moderne. En effet, l’art de notre pays au XVe siècle est le sommet dans l’art de peindre ; d’un tel point de vue, les œuvres contemporaines paraissent bien vagues. Aussi ne fut-il pas distrait par l’art de mode ; l’art habile et creux, pour la chasse au succès ; son esprit était ailleurs, il ignorait tout ça.

Cependant il voulait produire. Il aspirait à travailler à sa guise, sans influence, en pleine liberté ; maintenant qu’il sait bien ce qu’il veut, il n’a plus besoin que de la nature. Et voilà qu’il se rappelle être un jour passé, au cours d’une excursion en Ardenne, à travers un village perdu en pleine Fagne. Il le revit, maisons de moellons, toits de chaume, hautes haies de hêtres, frustes et gris, avec tout autour la Fagne, jusqu’à l’horizon.

Il ira habiter là.
Il part pour Xhoffraix, tout seul.

Qu’on ne se trompe pas, il ne part pas en dégoûté de la vie, parce qu’il n’a pas su s’adapter : il ne part pas triste, plein d’amertume, en neurasthénique ; jamais la neurasthénie ne l’effleura, non, il part content, il va réaliser son idée, il en est tout joyeux. Et il resta là, plusieurs années, sept ou huit ans, hiver et été, presque continuellement. Ce furent de fameuses années !

Il logeait dans une auberge plus que rustique située à la bifurcation de la  route de la Baraque et de celle de Hoquai, chez Charlier, petite auberge isolée, un peu en dehors du village. Toute la journée il s’acharnait à sa peinture et le soir, il lisait ; Flaubert surtout, religieusement. Il avait fini par savoir Madame Bovary par cœur ; dans l’austère chef-d’œuvre, il puisait comme une direction morale.

Bientôt il connut tous les habitants de l’endroit. Il les interpellait par leur prénom, avait ses entrées chez tous, s’installait au coin du feu, dans la marmaille ; avec hommes et femmes il fraternisait. Il avait vite appris à parler couramment leur wallon, il rendait des services, il donnait des conseils, il se disputait ; plusieurs fois il s’est battu. Il faisait partie du village.

D’habitude, il revenait à Verviers du samedi au lundi. Quand il rapportait des travaux finis, c’était un événement pour moi. J’allais vite les voir et nous les discutions avec sincérité.

Il me montra d’abord de grandes aquarelles d’un faire large et simple, peintes sur un dessin scrupuleux. Les meilleures d’entre ces aquarelles sont des modèles dans le procédé. S’il avait uniquement visé le succès, il n’aurait jamais abandonné ce genre difficile où il avait acquis une vraie maîtrise dans une note bien à lui.

Mais la peinture à l’eau n’est pas faite pour le travail repris, complété, le travail en profondeur. La peinture à l’huile s’y prête mieux. Il l’aborda.

Il a peint à l’huile de nombreux intérieurs. Parfois sans personnage – c’est l’âme des choses qui parle – mais souvent avec l’habitant. On le voit, entre les murs, en bas lambrissés de chêne, en haut blanchis à la chaux, sous le plafond à grosses poutres, sur le rude plancher ou les larges dalles inégales, vaquer aux besognes quotidiennes. Il est assorti à sa demeure faite de matériaux francs, solides, naturels, à ses meubles de chêne qui sont là sans doute aux mêmes places depuis combien de générations monotones.

L’homme qui passe (1900-1903) © Musées de Verviers

Le Brun à toutes les époques de sa vie a peint des intérieurs. Ceux de cette première manière sont des peintures lourdes, appuyées, sombres, d’une sobre intimité. Il a peint aussi à l’huile des têtes de paysans ; ce sont des portraits peints sans artifice, d’une vérité profonde. En même temps que ces peintures, souvent comme études pour elles, il faisait des dessins au fusain. Têtes âprement individualisées, surprenantes de vie, intérieurs grandement, profondément sentis.

De cette époque aussi date cette série de dessins : personnages et animaux au travail. Ils sont le produit d’inlassables notations prises sur le vif ; des heures durant, butant dans les mottes. Il suivait, croquant leur mouvement, les bœufs à la charrue. Ce qu’il y a dans ces dessins, comprimés dans le simple trait qui les cerne, de vérité, de vie !

Comme tout çà [sic] sent la Fagne !

Ces études ont servi à composer des tableaux où l’on voit le naturel du pays avec ses bêtes à la besogne en plein air.

Le plus important de ces tableaux est le triptyque : L’Automne à Xhoffraix : au centre Le Labour, à droite Le Berger, à gauche La Récolte de pommes de terre.

C’est un grand poème rustique peint au pastel ; il est composé d’une façon géniale, je dis le mot, il est juste. Le peintre dit ce qu’il veut dire avec force, avec clarté, avec noblesse, avec originalité. Et c’est grand, ça déborde le cadre, c’est grand comme la terre. Il a créé ce tableau dans la solitude, en 1899, il avait 25 ans.

Cette composition d’art si élevé, ce résultat de tant de labeur, jamais il ne l’a exposé. Il ne le trouvait pas suffisamment réalisé.

Que de nobles choses d’ailleurs parmi celles dont je viens de parler, non seulement ne furent jamais exposées ; presqu’aucune [sic] ne l’a été ; mais ont été détruites par lui. Où sont les aquarelles du début ? Où sont tant de tableaux, de dessins ? Je me rappelle entre autres de magnifiques portraits d’arbres centenaires perdus dans la Fagne, de vieilles haies tordues, de rudes chemins ; je crains bien que la plupart n’existent plus. Il les a laissés se perdre. Que j’aurais voulu revoir tous ces témoignages d’une période de conviction si ardente. Il fut injuste envers ces œuvres, envers lui-même ; il fut trop modeste ou trop orgueilleux ; il était difficilement satisfait ; on aurait trouvé cela bien peut-être, qu’est-ce que cela pouvait lui faire si lui, il voulait mieux.

D’entre les gens bien doués pour les arts il y en a de deux sortes : premièrement, ceux qui, étant donnés [sic] leurs dons, s’en servent pour arriver à obtenir par eux le plus de notoriété et, pardon de devoir prononcer dans un tel entourage le mot ignoble, de l’argent, le plus d’argent possible ; deuxièmement, ceux qui se servent de leurs dons pour arriver à faire le mieux qu’ils peuvent selon l’idée qu’ils se font de la beauté, qui s’efforcent d’approcher le plus près possible de leur idéal ; quant à la répercussion du résultat de leurs efforts sur le public, que celui-ci admire, qu’il se moque, qu’il grogne ou manifeste une parfaite indifférence la chose n’a pour eux aucune importance. De ces deux buts, Le Brun avait choisi le second.

Il y a dans son œuvre plusieurs choses exagérées, frappantes, qui prêtent à la discussion ; un autre les aurait exposées, aurait encore même forcé la note afin d’attirer l’attention, de faire parler de lui. Le Brun, lui, les jugeait, il les trouvait incomplètes et ne les montrait pas.

Heureusement, cependant, beaucoup de ces œuvres nous restent ; dans toutes perce la recherche du caractère, elles sont impressionnantes, elles arrêtent ; c’est précisément cette recherche visible du caractère qui les lui fit renier. Il y trouvait quelque chose d’exagéré, d’extérieur, de déjà vu croyait-il peut-être. Et certes dans ces œuvres fougueuses on sent passer le souffle épique déchaîné par Meunier ; mais comme il y est bien lui-même.

Quand ce ne serait que par une sorte de sécheresse, de gaucherie (que l’on trouve d’ailleurs dans les œuvres qui suivront) qui, à côté de tant de hardiesse, donnent à ces dessins, à ces peintures je ne sais quelle saveur de fraîcheur et d’honnêteté ; car cette sécheresse et cette gaucherie inconscientes attestent une soumission aimante devant la nature admirable.

Par la suite, à force de s’oublier toujours plus dans l’étude de la nature il se trouva plus intimement ; il la rendit avec plus de finesse et d’intimité.

Le procédé du dessin rehaussé de pastel ou d’aquarelle lui plaisait. Il l’a beaucoup pratiqué. C’est dans ce procédé que l’on trouve surtout, venant après ses travaux de la première période à Xhoffraix, une suite de tableaux où son ardeur s’est retenue. Œuvres tranquilles, où le procédé cède s’oublie, où l’aspect matériel, le trait voulu, décoratif, s’effacent pour laisser le sentiment se communiquer sans mélange. Ces œuvres-là, il les a toujours aimées.

Voyez par exemple, L’Homme qui s’en retourne et je cite aussi le délicieux paysage, Les Nuages roses qui est dans ce genre, une œuvre exquise. La recherche de l’effet, de l’heure, est précisée, les nuances y sont, l’œuvre est toute attendrie.

La grande charmille | Les nuages roses, Longfaye (1903) © Musées de Verviers

Ce tableau et plusieurs autres d’entre les plus remarquables de Le Brun étaient la propriété d’Émile Peltzer. Le Brun et lui furent de bons amis ; et je m’arrêterai un moment ici pour rendre hommage à Émile Peltzer. Tout jeune encore il se révéla comme un esthète au goût sûr, délicat, personnel, indépendant ; rien du snob qui suit les modes. Il ne la suivait sûr [sic] pas quand en 1902, il achetait des tableaux à Le Brun. Poussé par son goût pour les arts il s’y laissait aller généreusement et son flair de jeune connaisseur le guidait bien. Émile Peltzer allait venir se fixer à Verviers ; il eût été sûrement le mécène intelligent dont l’art ici avait besoin ; et voilà qu’après avoir échappé au danger de la guerre, car lui aussi s’était engagé, il meurt à 35 ans. C’est pour Verviers une perte sans doute irréparable.

Plus le séjour de Le Brun à Xhoffraix se prolonge, plus sa manière de voir, de peindre, s’affine. Ce qu’il fait est toujours construit, achevé, avec la même conscience, mais il pousse dans des voies nouvelles.

Il s’est mis à étudier, enveloppant les choses, la lumière diffuse. Cette étude devient souvent dominatrice ; elle est caractérisée par plusieurs charmants tableaux dont les titres même qu’il leur donna indiquent la tendance : Symphonie en bleu, Le Soleil qui fuse.

D’autres fois il stylise le dessin, la couleur, avec grande discrétion d’ailleurs, comme dans ce paisible tableau : La Matinée sereine. Et dans certaines toiles même ; parfois, par exemple dans : Le Bouquet de roses, perce une sorte de préciosité.

J’aurais voulu, comme il convient, décrire plus de tableaux et montrer ainsi les tendances, les recherches multiples qui dans toutes ces œuvres qui nous entourent et qui sont si bien parentes indiquent les phases diverses de l’activité intellectuelle de celui qui les a créées. J’ai essayé. Quand j’ai relu ce que j’avais écrit, je n’ai trouvé, pour exprimer les nuances d’une variété originale que lourde monotonie et répétition de mots banaux et usés. Je suis confus, je suis attristé pour Le Brun, de constater si rudement qu’il aurait fallu ici quelqu’un connaissant les secrets de l’art d’écrire.

Les œuvres de la dernière période à Xhoffraix malgré beaucoup d’intentions subtiles et littéraires restent rustiques et fortes ; mais le charme ambigu qui s’en dégage est très différent de celui des premières œuvres. Les dernières sentent moins la Fagne ; arrivé à ce moment l’artiste est poussé par le nouvel élan d’une inspiration plus intime, plus subjective. Dès lors, Xhoffraix ne lui est plus nécessaire, il l’a, si je puis dire, vidé… provisoirement.

Après cette longue réclusion laborieuse il est temps de s’évader, d’aller voir du nouveau, de se rafraîchir les yeux, le cœur, l’esprit ; il est temps de se replonger dans la vie.

Il quitta son village et rentra dans le monde.

Je puis moins intimement suivre cette partie, cette dernière partie de son existence ; mais si par intervalles l’intimité de son esprit m’échappa, du moins j’ai suivi la naissance de toutes ces œuvres.

D’abord il fit un voyage en Italie (3 à 4 mois). Il a laissé une copieuse correspondance et de nombreuses pages où il a décrit cet inoubliable pèlerinage et ses impressions d’art ; d’entre elles, deux lui restèrent palpitantes : la fresque de Benozzo Gozzoli, l’ineffable conteur et le temple de Pæstum ; sa majesté l’avait écrasé.

Puis un séjour de quelques mois à Paris. Il y peint deux curieux tableaux, clairs comme ceux des impressionnistes, mais stylisés : une Vue de Notre-Dame de Paris et Le Pont de la Concorde ; puis enfin, il revient à Bruxelles. Il y travaille dans l’atelier de Blanc-Garin ; académie libre où il se remet à l’étude du dessin. Il se fait des amis, artistes, écrivains, musiciens ; il va dans le monde. Mais voilà qu’un jour, on apprend qu’il fait une retraite à Thimister, dans le pays de Herve.

Il y a peint plusieurs tableaux très poussés où il a mis toute sa persévérance à rendre les objets dans leur réalité. Le détail est représenté à fond, chaque pavé, chaque brique, chaque feuille presque est montrés [sic]. De ce scrupuleux travail où, par la force de sa volonté l’artiste s’absorbe dans son modèle émane une saine impression de calme. Voir : La Ferme au pays de Herve et La Ferme-château (Musée d’Ixelles, salle Maus). À Thimister, il fit aussi de nombreux dessins, rehaussés ou non de couleurs ; personnages et intérieurs ; ils sont très simples et très complets.

Après avoir passé, pendant un an ou deux, la plus grande partie de son temps à Thimister, il rentre à Bruxelles et, grand événement, il se marie (en 1904). Je ne m’occupe pas ici de la vie intime de Le Brun. Il faut cependant dire que sa femme, sa vaillante femme, sentait profondément les arts, qu’elle aimait l’art de son mari, elle le comprenait, elle en était fière. L’harmonie dans le ménage fut toujours parfaite.

Après un séjour de quelques mois à Limburg a/d Lahn, ils vinrent se fixer à Theux. Deux enfants y naissent : un garçon et une fille. L’été le ménage allait souvent faire de longs séjours à Sancourt, près de Cambrai, chez des tantes de Madame Le Brun.

Des voyages, des aventures, des amitiés nouvelles, se marier, avoir des enfants ; il vit, il a des distractions parfois, mais jamais l’art ne l’a lâché.

Le cercle de ses admirations s’est élargi. Il a vu des œuvres nouvelles ; il admire ; il se passionne. Les impressionnistes l’avaient séduit. Il adorait Renoir, comment résister à ce frais Amour de la vie ? Mais Leys, Renoir, quel contraste ? Il s’agit de concilier ces contrastes, et tant d’autres. C’est la crise
que doivent subir tous les artistes d’aujourd’hui. Il en sort d’ailleurs allègrement ; le jugement assoupli ; peignant plus clair ; mais il reste bien lui-même et si les œuvres peintes après son séjour à Xhoffraix sont différentes entre elles ; c’est d’une différence qui n’est que superficielle, qui tient à ce qu’elles furent peintes dans des lieux différents, Limburg, Sancourt, Thimister, Theux, mais par le profond elles sont semblables, et si, sans doute, le degré d’inspiration n’est pas toujours le même, elles sont bien toutes de la même main volontaire. Elle les a toutes réalisées à fond sans jamais rien y laisser de vague ou de hasardeux.

À Theux dans sa maison il a peint ou dessiné une série d’intérieurs animés de personnages : sa femme et ses enfants ; ces œuvres sont remplies d’intimité, de distinction et de subtilité ; il a peint aussi à Theux des paysages dans la ville et aux environs. Citons le Grand Vinâve, c’est le portrait de sa maison et Le Potager de la Bouxherie d’un charme mystérieux.

Puis il va travailler à Lierneux, Francorchamps, etc. De cette époque date Le Village dans la vallée (Hébronval) d’un style très pur, plein de sentiment, d’une éloquence mesurée. C’est beau, c’est très beau : Le Printemps à [Moulin du] Ruy, fraîche idylle, et des intérieurs d’un métier raffiné, où par exception dans son œuvre, il s’amuse à noter les couleurs pour elles-mêmes. Elles sont observées avec science dans l’aquarelle : La Ferme de la Haase, le ton des lointains bleus est rendu magnifiquement.

La salle à manger, Theux (1906) © Musée d’Ixelles

Toutes ces œuvres ont pour sujet le village de la pleine Ardenne ; elles représentent des motifs analogues à ceux qu’il peignait à Xhoffraix. En effet peu à peu il s’était rapproché de la Fagne : Xhoffraix l’attirait. En le quittant il ne lui avait pas dit un adieu définitif ; il devait y revenir. Car après tout c’est là qu’il est vraiment bien pour travailler ; c’est là, plein de mâles souvenirs, son chez lui intellectuel. Il y retourne, il s’y retrouve, mûri, plus conscient, mais le même. Il va reprendre la tâche interrompue, la compléter, la clôturer ; une œuvre suprême ; où il se mit tout entier, la couronne.

Au Salon de Liège du printemps de 1914, il exposait un grand tableau : La Haute Fagne, l’infini de la morne plaine, les fermes entourées de la charmille sans feuille, la bruyère, le genévrier, le ciel gris d’hiver plein de pluie froide, le départ symbolique de deux routes… L’œuvre fit sensation. En effet l’impression qui s’en dégage est prenante. L’artiste a synthétisé là des impressions diverses du pays, ses admirations. Il a représenté la Fagne comme il l’a vue, aimée, rêvée ; la Fagne selon son cœur, sa Fagne. C’est son chef-d’œuvre ; c’est un chef-d’œuvre. On dirait qu’averti mystérieusement de sa fin prochaine (l’œuvre datée de 1914) il ait voulu, grave adieu, exprimer, en une fois toute son âme. Ce triptyque émouvant est exécuté avec calme et patience. Sur une préparation à l’aquarelle, il est travaillé au pastel et au crayon. De longues études minutieuses l’ont précédé. L’œuvre est savant. La grande ligne est émue ; mais voulue, consciente. Les détails, l’un après l’autre ont été dessinés sertis. Beaucoup d’ingéniosité, de recherches, d’intentions, et pourtant une rude impression de force et de grandeur.

Cette grandeur est subtile, cette rudesse est ingénieuse. Grandeur, subtilité, alliance rare ; chez Le Brun elle est fréquente ; c’est la note caractéristique de son talent. Car Le Brun, son art le crie, ne fut pas un homme aux goûts simples, je parle des goûts de son esprit, comme sa vie à Xhoffraix, sa fraternisation avec les rustres, son insouciance pour tout confort pourraient le laisser croire.

Ce garçon aux nerfs solides, ce blagueur incorrigible, ce nageur émérite, ce boxeur fameux était tout le contraire d’un réaliste ; un romantique plutôt, un idéaliste. Mais ne pataugeons pas dans ces mots vagues qui pour chacun de nous ont sans doute un sens différent. Le certain c’est qu’il aime le rare, le compliqué, il fuit le terre à terre, l’ordinaire, le bourgeois. Moralement et physiquement il se plaît hors de la vie courante ; il lui faut un cadre d’art, mais qui n’ait pas servi.

S’il a aimé Xhoffraix, c’est qu’il a trouvé là un ensemble de gens et de choses qui, depuis des ans et des ans n’avaient pas changé. C’était les mêmes mœurs, les mêmes habitations, les mêmes métiers, les mêmes outils, qu’il y avait des siècles. Dans ce milieu pittoresque, il vivait une vie fruste, brutale parfois, délicieusement rude, hors de la banalité de la vie ordinaire, hors du siècle.

Et si, marié, il a choisi Theux pour résidence, ce fut en grande partie pour habiter dans cette belle maison ancienne dont la façade évocatrice arrête tous les gens sensibles qui traversent la place de la petite ville.

Et comme il a soigné l’intérieur de sa maison ! Comme il l’a complétée, la meublant exclusivement de meubles et d’objets anciens ; bahuts, coffres gothiques, meubles Louis XVI, faïences, étains ! Ce sont les vieilleries habituelles, mais ici choisies par un artiste, présentées d’une façon moderne si personnelle, toutes une à une et dénichées par lui chez le paysan et acquises, avec quelles ruses ! Déjà, au commencement de son séjour à Xhoffraix, quand de retour de Verviers il m’avait montré ses nouvelles peintures, il allait me chercher, par exemple, un vieux plat de faïence dont il me détaillait son admiration pour le dessin, le ton, la matière.

En tout cas, dans ses tableaux on trouve le fini minutieux, le détail rare et la stylisation, un goût pour l’archaïque et la symétrie, le précieux, le naïf, l’ingénieux, mais on trouve aussi la grandeur et la force.

Ce sont des éléments contradictoires pris à part, sans doute, mais leur mélange imprègne ses travaux d’une singulière saveur. À la fois il voyait compliqué et grand et c’est je le répète le piquant de son art. Le Brun n’était pas un sensuel. Sa peinture se goûte avec l’esprit ; elle est bien d’un Wallon d’Ardenne ; elle est bien le produit de la fréquentation depuis l’enfance de notre paysage. Et notre paysage offre aux peintres peu de ressources, semble-t-il ; du moins, c’est un pauvre pays pour un amateur de couleurs, d’effets à grands spectacles.

Sa lumière est sèche, sa couleur monotone est souvent dure.

C’est le dessin qui domine ; c’est lui qui parle surtout. Tous les aspects du pays ont quelque chose de construit ; même quand le rocher n’affleure pas on sent toujours que le sol s’appuie sur sa solidité énergétique. Cette rude assise supporte toute la souple fantaisie de la végétation.

La couleur chez nous, n’a ni rutilance, ni langueur : dans les saisons froides, des gris grêles, d’une variété subtile et qui se contentent modestement de rehausser le dessin, de le compléter, le mot couleur est bien lourd pour désigner cette coloration toute spirituelle, l’été, du vert partout, prairies, haies, collines boisées, vert de plantes vivantes, sans fadeur, plutôt aigre, noir même parfois. Dans les sites resserrés, le détail joue un grand rôle, les fleurs, les fruits sauvages, les pierres, toutes les différentes pierres. Et ses aspects sont variés ; brusquement, à tout bout de champ, ils changent, souvent contradictoires tenant ainsi toujours la sensibilité, l’esprit en activité.

Ce pays est très difficile à peindre. Beaucoup y renoncent. Il n’y a rien à peindre ici, disent-ils, et ils vont à Venise, en Flandre, en Espagne, en Provence, retrouver dans la nature les sujets consacrés. Comme il est difficile à peindre ! Pourtant il a son charme ; personne ne le nie. Sans hausser la voix il nous dit des paroles fraternelles. Ce charme est inédit, il n’a pas encore été formulé, il est trop complexe, sans doute, pour l’être. Pour le fixer un peu il faut l’avoir senti soi-même, car ici, aucune formule, aucun modèle à imiter. Il faut l’extraire ce charme de la nature, avec son cœur et son esprit. Le Brun avait l’amour, la finesse, la volonté, le désintéressement qu’il faut pour y arriver.

Quant à son métier, il est toujours curieux et personnel, comme tout métier appris seul. Il travaille d’une manière patiente et ingénieuse car il n’a garde de confondre l’expression de la force avec la force de l’expression ; je veux dire qu’il sait bien que ce n’est pas une facture primesautière, agitée, heurtée qui exprime la force, qui en communique l’impression ; ce débraillé est une faiblesse, comment pourrait-il traduire la force profonde que l’artiste sent, qu’il voit dans la nature. Pour y arriver il faut de persévérants,
de méthodiques efforts vers un but bien défini, de la lenteur et ne rien négliger. La puissance du miraculeux Van Eyck peut se regarder à la loupe. Aussi le métier de Le Brun n’est pas celui où s’affiche la facture, le coup de brosse ou le coup de crayon. Sa fougue ne l’entraîne pas, il la domine, même dans ses œuvres de jeunesse. Méthodiquement son travail est mené à bien. Il prépare des dessous et petit à petit, par couches successives il arrive à la réalisation. Séance après séance il reprend son ouvrage, il y vit, il s’y plaît, il est triste quand fini, il faut l’abandonner. Si c’est nécessaire, il attendra un an, le retour de la tache de soleil, à la bonne place dans la chambre. Et toujours il pense à son tableau, le vit, le rêve.

Il le rêve, mais l’étude de la nature est toujours là scrupuleuse ; à tout ce qu’il a produit elle sert d’assise ; c’est la base saine, le rocher solide sur lequel son œuvre est construit.

Le Brun ne tenait pas à montrer le produit de son travail au public. Le public et lui ne s’aimaient guère. On a vu de ses tableaux à divers Salons triennaux ; mais il n’a pas participé à tous. Il envoyait sans goût à ces exhibitions hétéroclites.

En 1903, Octave Maus l’a invité à participer au Salon de La Libre Esthétique ; il y envoya quelques tableaux ; et, dans le courant de sa carrière il a fait à Verviers, Liège et Bruxelles quelques expositions particulières. Ces expositions particulières il les a toujours faites avec d’autres artistes. Il fallait le solliciter pour qu’il se joigne à nous, il acceptait, mais à condition
de n’avoir pas à s’occuper d’autre chose que d’envoyer ses tableaux. Jamais il n’a exposé seul, les embarras que procure l’organisation d’une exposition lui semblaient disproportionnés avec le désir qu’il avait de montrer ses tableaux.

Cette exposition-ci est la première où ses œuvres sont réunies. Pour la première fois l’on peut se rendre compte de son art, quoique nous n’ayons malheureusement pas pu obtenir certaines œuvres intéressantes appartenant à des particuliers.

Chaque fois qu’il a montré ses peintures, elles intéressèrent beaucoup ceux qui comprennent l’art de peindre. Leur charme spécial séduisit un groupe de personnes au goût subtil et même certains critiques d’art les comprirent, les aimèrent, en parlèrent dans les journaux. Dans les journaux, pourtant, son nom n’a pas beaucoup traîné. Il s’occupait peu de ça, il ne faisait vraiment rien pour ça, au contraire. En effet, aimer les grandes époques, ne tenir aucun compte de la mode, vivre de longues années dans la solitude, c’est un bien mauvais moyen pour arriver, rapidement, à la notoriété.

Et puis l’amour propre de Le Brun était énorme. Il était sûr de sa valeur. Il aurait comme un autre accepté le succès : mais s’abaisser, pour l’obtenir il n’aurait pas pu. Il ne s’occupait pas de ça d’ailleurs, je l’ai déjà dit, il s’agissait pour lui de peindre le mieux qu’il pouvait. Le reste était sans importance.

N’était-ce pas ainsi que Leys, de Brackeleer, De Groux et tous les autres qu’il a tant admirés, ont travaillé ? D’entre eux, plusieurs, de leur vivant, ne furent pas plus connus du bourgeois que lui…

Il avait la tête pleine de projets de tableaux, il en avait en train ; bien portant, tranquille, il y travaillait, toujours optimiste, quand la guerre éclata. Il abandonne tout. Il court mettre sa santé, son énergie, au service du pays.

Carabinier volontaire, il a été tué aux premières lignes, à Stuijvekenskerque, le 26 octobre 1914. Il avait 41 ans, il était parti sans calcul ni hésitation, plein d’enthousiasme. Tout le temps de sa courte campagne il s’est conduit comme un jeune brave. Jeune brave, oui, jeune ; à son âge, il n’avait rien perdu dans les hasards de la vie, de la foi, de l’exaltation, du joyeux courage, des mépris, du gaillard de 17 ans qui voulut, mordicus, se faire peintre.

Le quadragénaire était resté digne du jeune homme ; il avait jusqu’au bout vécu son idéal. Selon cet idéal il a fini héroïquement sa vie ; et il aura trouvé çà [sic] bien. Mais nous, regretterons-nous jamais assez une telle vie fauchée dans sa vigueur ?
Mais son œuvre hautaine reste, et son exemple.

Maurice Pirenne (1920)

Ce texte a été publié dans le catalogue de l’exposition Georges Le Brun.  Maître de l’intime, présentée au musée Félicien Rops, Province de Namur, du 24 octobre 2015 au 6 mars 2016, sous la direction scientifique de Denis Laoureux

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | source : Province de Namur ; academia.edu | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, La haute fagne © Jacques Spitz ; © Musées de Verviers ; © Musée d’Ixelles.


Plus d’arts visuels en Wallonie-Bruxelles…

GRAAS : Le cirque : les tigres (2000, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

GRAAS Béatrice, Le cirque : les tigres  (linogravure, 79 x 48 cm, 2000)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Beatrice Graas © beatricegraas.be

Née en 1962, Béatrice GRAAS est diplômée de l’Institut supérieur des Beaux Arts Saint Luc à Liège en 1987, elle ajoute à ses études de peinture une formation en gravure et lithographie, d’abord avec Marc Laffineur à Liège, et ensuite, à l’Académie du soir de Verviers avec Michel Barzin. Depuis 2004, Béatrice Graas est membre du groupe Impression. (d’après BEATRICEGRAAS.BE)

Son vocabulaire pictural se rattache à l’enfance, au bonheur de créer, à la liberté, la spontanéité. Elle traduit la pureté de cet univers par des coloris imprégnés de fraîcheur. Dans ses peintures apparaissent des personnages, des animaux imaginaires ou familiers et toute une série de graffitis, de fragments d’écriture qui relèvent du côté enfantin. “Il y a comme un plaisir  d’étendre largement la couleur, d’inonder la toile de jaune de bleu, de vert, d’y introduire des éléments graphiques qui sont souvent bienvenus et accrochent la vie à ces grandes étendues peintes […]” (Pierre Deuse, cité sur BEATRICEGRAAS.BE)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © beatricegraas.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

LAOUREUX : L’art abstrait au prisme de la Wallonie. Un point de vue (2015)

Temps de lecture : 20 minutes >

[PROVINCE.NAMUR.BE, hiver 2015] PEINTURE PARTAGÉE, UNE COLLECTION D’ART ABSTRAIT WALLON – Expo à la Maison de la Culture de Namur (10 janvier 2015 – 8 février 2015)

L’exposition Peinture partagée, met en lumière la passion d’un couple de collectionneurs namurois pour l’art abstrait wallon. Si la Belgique est connue pour être le pays accueillant le plus de collectionneurs par m², on situe généralement les collections privées dans le Nord du pays ou dans la capitale. Mais la vallée mosane abrite également quelques passionnés anonymes.

L’envie de montrer cette collection (rendue publique pour la deuxième fois seulement) s’inscrit dans cette volonté de dessiner la vitalité culturelle au Sud du pays. C’est tout le propos de cette collection qui s’élabore depuis plusieurs dizaines d’années avec comme fil rouge celui de l’abstraction en Wallonie. Ce qui n’était au départ qu’une intuition est rapidement devenu un canevas essentiel : “Nous revendons peu à peu certaines œuvres, notamment figuratives, pour acheter des grands noms de l’art abstrait wallon” expliquent les collectionneurs. Au-delà de la fierté nationale, c’est une manière de circonscrire la passion, lui fixer des limites – financières et esthétiques. C’est une manière aussi de construire une véritable identité à la collection. Le but avoué est aussi de revaloriser le patrimoine . “Beaucoup d’artistes sont partis à Paris car c’est là que cela se passait. Ils se sont naturalisés français mais ils provenaient du Sud de la Belgique. Nous devons en être fiers“, ajoute le collectionneur.La collection s’est ainsi formée en duo et de façon autodidacte. Elle découle d’abord de coups de cœur avant de devenir un exercice plus réfléchi. Elle commence avec l’oeuvre bleutée (sans titre, 1957-58) de Joseph Lacasse, dont le couple est littéralement tombé amoureux. S’ajoutent bientôt d’autres grands noms de l’art abstrait : Pol Bury, Raoul Ubac, Jo Delahaut, Marcel Lempereur-Haut… Il s’agit essentiellement d’oeuvres non-figuratives sans distinction de genre, de style ou d’école (Hard Edge, lyrique, géométrique, cinétique, etc.). On trouve des œuvres très diverses d’Henri Michaux, des dessins mescaliniens – réalisés sous influence – aux encres de Chine, des peintures de Mig Quinet, Françoise Holley-Trasenster ou Gaston Bertrand, etc. La collection se fait aussi plus contemporaine, avec Jacques-Louis Nyst, Jean-Pierre Ransonnet, Gabriel Belgeonne ou Victor Noël. Elle nous réserve aussi des découvertes, tel ce couple d’artistes, Hauror, qui avait participé au Salon des Réalités Nouvelles dans les années 50 mais dont le nom est peu connu aujourd’hui. L’une des deux œuvres de la collection a prêté son titre à l’exposition : Peinture partagée. Aujourd’hui, c’est cette passion de collectionneurs qui est partagée avec le public.

Catalogue : textes de Roger Pierre Turine, critique à La Libre Belgique et Denis Laoureux, historien de l’art (ULB).

Province de Namur


L’art abstrait au prisme de la Wallonie. Un point de vue

[ACADEMIA.EDU] Les tableaux abstraits rassemblés dans la collection qui forme la trame de la présente exposition ont en commun d’avoir été conçus durant la seconde moitié du XXe siècle par des artistes issus de cette partie de la Belgique qu’un de ses ressortissants notoires, André Blavier, se voyant lui-même Wallon et apatride, situait dans un Extrême-Occident imaginaire. Il faut dire que la Wallonie, “curieux pays curieux” contient une diversité culturelle bigarrée et surprenante au regard de l’étroitesse géographique de son territoire. Cet Extrême-Occident est aussi l’angle, forcément partial et partiel, mais assumé comme tel, à travers lequel s’est constitué, au fil d’acquisitions triées sur le volet, le récit visuel de cette “passion privée” pour une Wallonie qui s’expose aux cimaises d’un “musée rêvé” à la croisée de la Sambre et de la Meuse.

Peindre en Wallonie

Sélectionnés avec soin à travers ce prisme à double face que constituent, d’une part, l’abstraction après 1945, et d’autre part, la Wallonie en tant que terre natale des artistes, cet ensemble de tableaux témoigne autant du regard singulier d’un collectionneur qu’il ne donne à voir un pan de l’histoire de l’art en Belgique, et a fortiori de l’épanouissement de l’art abstrait en Europe. Pour un historien de l’art, ceci pose plusieurs questions complexes auxquelles on ne peut se dérober sans toutefois prétendre à les épuiser.

Une première question est celle du lien entre peinture et territoire, et donc entre production artistique et identité régionale. Si on peut admettre assez facilement que l’angle wallon se tient en tant que critère constitutif d’une collection d’art abstrait, peut-il pour autant dicter une lecture des œuvres ? Sans doute pas. En confondant la méthode – l’origine wallonne – avec son objet – la production artistique – on se trouverait en mauvaise posture lorsque, pour expliciter l’entreprise à ceux qui demanderaient à bon droit quelques éclaircissements, on aurait à définir ce qui, sur un plan plastique, serait soi-disant spécifiquement wallon et ce qui, de facto, ne le serait pas.

L’art moderne transgresse les règles du nationalisme. La peinture de Jo Delahaut, dont il sera question plus loin, en est un exemple éloquent. Né en région liégeoise, l’artiste vit à Bruxelles et noue des contacts avec ses confrères des Réalités nouvelles dont il partage pleinement les postulats esthétiques au point d’exposer en leur compagnie de 1948 à 1955.

Oeuvre de Jo Delahaut dans le métro bruxellois © STIB

On peut multiplier les exemples : Ernest Engel-Pak, Paul Franck, Joseph Lacasse, Marcel Lempereur-Haut, Léopold Plomteux, Henri-Georges Closson et Françoise Holley, pour clore ici cette liste non exhaustive, contribuent également aux salons des Réalités nouvelles qui s’organisent à Paris dès 1946. Certains artistes s’installent à Paris, comme Raoul Ubac qui quitte Malmedy en 1932. Il fut précédé par Joseph Lacasse. Né à Tournai en 1894, ce dernier s’établit à Paris en 1925 où il effectuera le reste de sa carrière. Il participe notamment au salon des Réalités nouvelles de 1958. Les tableaux qu’il réalise à ce moment donnent au spectateur l’impression que la couleur est une énergie qui, après avoir effectué une remontée au sein de sa propre profondeur, arrive à l’air libre où elle frémit à l’intérieur de plans géométriques dérivant à fleur de toile avec la lenteur d’un mouvement de tectonique de plaques. La peinture de la Lacasse fonctionne comme un vitrail. Tout se passe comme si une lumière dont la source se trouvait derrière la toile traversait la couleur pour éclairer la peinture et la faire vibrer dans sa masse.

On se gardera donc d’appliquer à la création artistique un droit du sol qui conduirait à la définition d›un art national contraire par nature à la dynamique transfrontalière de la modernité. Mais si on ne se reconnaît pas le droit de définir ce qui serait wallon en termes d’expression artistique, nous ne sommes pas davantage autorisés à anesthésier les singularités en confondant la partie avec le tout. Si on éprouve quelque réticence à voir dans un tableau de Delahaut l’emblème pictural d’une identité régionale, il faut admettre que ce tableau est forcément, comme ont dit, né quelque part. Ne peut-on pas tenter de déceler, sans souscrire au nationalisme qui agite ici et là l’Europe des années 2010, une sensibilité commune qui se sédimente dans des tableaux peints au même endroit et, parfois, au même moment ? Ne peut-on pas, sans être suspect, faire apparaître la dynamique structurelle collective – groupes, manifestes, expositions communes, revues, etc. – qui explique des effets de proximité esthétique unissant les artistes actifs au sein une même aire culturelle ?

Une seconde question se pose. Comment expliquer le découpage chronologique qui fait commencer en 1945 la contribution des artistes né en Wallonie à l’histoire de l’abstraction ? Marquée par un héritage symboliste qui a prolongé la fin-de-siècle jusque 1918, la Belgique n’a pas été un territoire propice à l’épanouissement de l’abstraction qui naît et se développe, au début des années 1910, hors du monde classique. Certes, Vassili Kandinsky expose en 1913 à Bruxelles, à la Galerie Georges Giroux… mais l’événement est sans lendemain : James Ensor, Fernand Khnopff, George Minne, William Degouve de Nuncques sont alors au zénith de leur carrière. Après 1918, l’expressionnisme flamand dominé par Constant Permeke et le surréalisme constitué autour de René Magritte laisseront peu de place à la Plastique pure. Celle-ci constitue la contribution belge au constructivisme international. Mais l’avant-garde ne prend pas et, à partir de 1925 déjà, les peintres arrêtent leur activité ou se réorientent progressivement, comme Marcel-Louis Baugniet, vers le design.

Étude de Marcel-Louis Baugniet (1927) © FRB

La situation des peintres abstraits actifs après 1945 est tellement différente que cette nouvelle et seconde génération ne doit en aucun cas être vue comme le prolongement naturel de la première. Et pour cause : l’abstraction, singulièrement dans sa veine géométrique, fait alors l’objet d’une reconnaissance qui touche autant le monde institutionnel officiel que le public, la critique et les collectionneurs. Le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles a joué, dans l’institutionnalisation de l’art abstrait, un rôle largement international, qui culmine par ailleurs avec l’Expo’58. Son Directeur général, Pierre Janlet, est lui-même amateur d’art moderne et d’abstraction géométrique en particulier. Janlet est à l’origine de la Galerie Aujourd’hui. Celle-ci succède en 1953 au Séminaire des Arts fondé en 1945 par Luc Haesaerts et Robert Giron. La Galerie Aujourd’hui fut, durant une dizaine
d’années, une plateforme extrêmement dynamique. Cette assise institutionnelle a été accompagnée par des initiatives privées. La Jeune Peinture belge (1945-1949), l’Association pour le progrès intellectuel et artistique en Wallonie – l’APIAW – constituée en 1944 à l’initiative du Liégeois Fernand Graindorge organiseront de nombreuses expositions d’art
abstrait, tout en assurant la diffusion de l’art international. Françoise Holley, par exemple, participe autant aux salons de l’APIAW qu’à ceux des Réalités nouvelles auxquels elle contribue de 1951 à 1954. Après 1945, l’abstraction jouit d’une reconnaissance publique et privée qui crée un horizon d’attente plus que favorable pour la jeune génération d’artistes dont il va question ci-après.

Les années Jeune Peinture belge

La Jeune Peinture belge (1945-1949) est une association sans but lucratif fondée le 4 août 1945. Elle a pour objectif de créer les conditions nécessaires au retour d’un dynamisme artistique miné par les années de guerre. Rassemblant des jeunes peintres qui ne se reconnaissent ni dans l’animisme ni dans le surréalisme, à l’heure où Cobra n’existe pas encore, la Jeune Peinture belge s’est assignée une fonction essentiellement logistique. Elle bénéficie d’un réseau de partenaires institutionnels prestigieux et d’un système de financement issu du monde privé. Un Conseil d’administration est mis sur pied, de même qu’un jury organisant la sélection des œuvres pour les expositions nationales et internationales. Des critiques d’art apportent à l’entreprise le soutien de leur plume. Administrée avec soin et détermination par René Lust, la Jeune Peinture belge n’est pas une avant-garde abstraite, même si elle conduit la plupart de ses membres à l’abstraction. Elle est plutôt un cadre, une structure offrant aux peintres les moyens matériels d’exposer en Belgique et à l’étranger. Ceci explique pourquoi il n’y a pas de manifeste de la Jeune Peinture belge, contrairement à Cobra qui verra le jour en 1948, mais des statuts déposés au Moniteur belge.

DELAHAUT J., Composition 1952 © Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique

C’est dans ce contexte qu’il revient à Jo Delahaut d’avoir présenté à Bruxelles en 1947, et à Oxford l’année suivante, des compositions qui constituent les premiers tableaux abstraits exposés en Belgique après la Seconde Guerre mondiale. Le fait est important, même s’il est passé à peu près inaperçu à l’époque. L’engagement de Delahaut pour l’abstraction géométrique est à la fois immédiat et radical. Il se fonde sur la négation de toute référence à la réalité. L’artiste partage en cela les postulats esthétiques de son ami Auguste Herbin. Dans un premier temps, Delahaut assimile la peinture abstraite à la mise en place d’une architecture visuelle composée de lourdes lignes noires droites. Celles-ci constituent un réseau linéaire qui délimite l’expansion des formes dans une construction picturale dont la stabilité exprime le besoin d’un monde en équilibre. Comme Herbin, Delahaut ne cessera d’explorer les relations multiples entre la forme et la couleur pour ériger la géométrie en rhétorique visuelle caractérisée par l’éloquence, la clarté, la raison.

Delahaut n’est pas le seul membre de la Jeune Peinture belge à s’engager dans l’art abstrait dans l’immédiat après-guerre. On songe ici à Mig Quinet, plus âgée, il vrai, que la plupart des membres du groupe de la Jeune Peinture belge qu’elle cofonde par ailleurs. Pour diverses raisons, les tableaux abstraits de Quinet ne seront exposés qu’en 1953, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Contrairement à Delahaut, Quinet ne rejette pas le réel. Elle part d’un objet, ou d’une scène qu’elle choisit pour sa qualité cinétique : un cirque, un carrousel, une roue, un trio à cordes… Intériorisé, analysé, déconstruit mentalement, le réel est alors transposé en plans géométriques colorés articulés par un réseau linéaire formant une structure kaléidoscopique. L’objet est ramené à une trame géométrique. Il prend la forme d’une architecture lumineuse virtuellement animée par un mouvement rotatif généré par le motif du cirque, de la roue ou du carrousel. La géométrie prend ainsi une qualité cinétique qui trouvera son plein aboutissement dans le développement ultérieur de l’Optical Art.

Élargir les limites du visible

La conversion immédiate et radicale de Delahaut à une abstraction géométrique Hard Edge est un cas unique. En fait, pour la plupart des peintres, la voie conduisant à l’abstraction résulte d’une lente métamorphose intérieure du monde environnant dont les limites se trouvent ainsi élargies, dilatées, reculées. La nature est transformée par l’imagination avant de s’incarner dans la peinture à travers une configuration plastique conservant le souvenir lointain, imperceptible, de son origine pourtant située dans le réel. Envisager la peinture abstraite non pas comme une négation du visible, mais comme un élargissement poétique de la réalité est une orientation que la plupart des peintres issus de la Jeune Peinture belge vont emprunter.

Mig Quinet, Majorité des bleus (1960) © DR

Ce passage de la ligne, selon la formule utilisée par la critique d’époque pour désigner l’adhésion à l’abstraction, se fait, pour la plupart des peintres, autour de 1950. Le lyrisme de la palette issu du fauvisme se conjugue alors à un sens cubiste de la structure pour détacher progressivement la représentation de ses liens au réel, pour soustraire cette représentation au poids de l’objet dans le but d’assimiler l’image à l’épiphanie d’un mouvement lumineux. Des œuvres comme Plaza Prado (1955) de Gaston Bertrand, mais aussi Les Angles bleus (1954) de Mig Quinet, ou encore Les Voiles (1954) de Paul Franck sont l’expression de ce processus poétique de transformation intérieure du réel où la nature se métamorphose pour prendre corps dans l’image sous la forme d’une structure lumineuse en mouvement.

Le chemin qui conduit ces peintres vers l’abstraction n’a rien de la radicalité d’un Delahaut, ni de la violence formelle qu’on trouve au même moment sous les pinceaux de Georges Mathieu ou de Wols, ni du sens de l’improvisation et de la rapidité d’exécution qui anime un Pierre Soulages. Il s’agit de vivre le monde, d’en ressentir la texture, l’atmosphère, d’en épouser les lignes de force, afin d’en extraire un sentiment qui sera mis en scène picturalement. Ce processus d’élaboration poétique de la peinture consiste à élargir les limites du monde, à métamorphoser le visible en un horizon intérieur. Ceci explique l’importance prise par le paysage dans la dynamique d’expérimentation plastique qui conduit les membres de la Jeune Peinture belge à franchir la ligne de l’abstraction à la in des années 1940. Sur son versant belge, l’abstraction lyrique se présente donc comme une attitude consistant à vivre librement la nature dont l’apparence s’élargit picturalement à la mesure d’une subjectivité d’autant mieux retrouvée et exaltée qu’elle fut étouffée par les années de guerre.

UBAC R., Empreinte grise (env. 1965) © DR

L’œuvre de Raoul Ubac est particulièrement représentative de cette façon de concevoir l’abstraction. Né dans les Ardennes belges en 1910, à un jet de pierre de la frontière allemande, Ubac s’installe à Paris dans les années 1930 où il rejoint le milieu surréaliste auquel il participe comme photographe. “La guerre me libéra du surréalisme” confiera-t-il plus tard. Cette sortie du surréalisme le conduit à la peinture qu’il pratique parallèlement à une recherche sculpturale prenant l’ardoise comme matériau de prédilection. La peinture d’Ubac se nourrit d’un rapport intime aux choses de la nature pour donner forme à un univers introspectif soumis à la législature du monde végétal : arbres, labours, feuilles, mousses, mais aussi lenteur, silence, contemplation, écoute, lux invisible. Une vie secrète palpite sous les écorces, et face au paysage, l’émotion est infinie. Celle-ci est apprivoisée, saisie, intégrée. Ubac peint, en quelque sorte, avec ses souvenirs – il habite Paris et non la France profonde –, qui forment le tissu mouvant d’un imaginaire pictural marqué par deux éléments sédimentés dans son imaginaire : l’arbre et le champ. Ce dernier est une étendue plane. Labourée, retournée vers le ciel, sa surface est lacérée par un réseau de lignes gonflées d’ombre. Les lignes noires, parallèles, dont Ubac fait un élément central de son vocabulaire conservent ainsi le souvenir des sillons de la terre cultivée. La main reprend au soc de charrue son mouvement linéaire qui, des champs ensemencés à la feuille de papier, anime la surface en un jeu de forces témoignant de la relation fusionnelle qui unit l’homme à la nature. Il s’agit d’être “Terre à terre – Face à face” comme l’écrit l’artiste en 1946. Et de confesser dans un entretien : “Un simple champ fraîchement labouré suffit à nourrir ma vision.” À l’espace civilisé du champ cultivé répond l’univers sauvage de la forêt. L’enchevêtrement naturel des branches s’oppose à la surface plane des grands carrés de labour. Ubac tire des ramures de l’arbre le principe d’un réseau linéaire provenant dès lors moins de la tradition cubiste que d’une contemplation de la nature.  L’élan des branches se transforme, sous le regard du peintre, en une frondaison de lignes dont le tracé semble tirer son énergie tranquille du lux de la sève. La palette participe à cette célébration picturale de la nature. Ubac exploite ici les couleurs sourdes de la terre. Il enveloppe ses forêts intérieures d’une lumière de rivière rendue par les modulations d’une gamme bleutée. Les titres eux-mêmes disent cette expérience du paysage et du monde rural : La Forêt après la pluie, Taillis ou encore Pierre écrite.

Le recours au paysage comme un élément dans un processus pictural qui recule les limites du réel s’inscrit par ailleurs durablement dans l’histoire de l’abstraction. La nature est un puissant générateur de sensations que le peintre agence à la surface du tableau. Investie par la mémoire, la sensation du paysage débouche sur un univers sensible qui rejette tout édifice théorique au bénéfice d’une communion avec la matière. L’Usine (1957) de Zéphir Busine et les paysages de Roger Dudant, par exemple, s’inscrivent dans cette orientation qui ouvre les formes pour fusionner les couleurs avec une matière pigmentaire qui vibre à leur de toile. La matière reste toutefois un moyen et non une fin.

RANSONNET JP., sans titre © Collection privée

À partir des années 1980, les propriétés tactiles du tableau sont à nouveau placées au premier plan. En Belgique, plusieurs artistes contribuent au mouvement européen de retour à une peinture expressionniste riche en effet de facture. C’est ici qu’il faut situer 1990 de Zurstrassen. Celui-ci restaure un hédonisme matiériste lié, dans son cas, à une relecture de l’abstraction américaine tandis que, par ailleurs, au même moment, entre l’Ourthe et l’Amblève, Jean-Pierre Ransonnet investit les paysages ardennais dans une approche picturale qui rappelle les forêts de Raoul Ubac et les fagnes de Serge Vandercam. Il s’agit de se fondre au flux de la nature non pour décrire un coin de verdure mais pour en évoquer l’intimité. L’opération est poétique. Elle transpose les formes du paysage par le biais d’un processus de décantation intérieure qui amène le peintre à organiser les couleurs de sorte à donner au spectateur la sensation d’une immersion dans le monde végétal, qu’il s’agisse de l’épaisseur impénétrable de la forêt ou de la masse écrasante d’une colline.

Delahaut and Co

L’approche introspective et lyrique du réel amène la plupart des membres de la Jeune Peinture belge à franchir la ligne de l’abstraction autour de 1950. Les peintres suivent une trajectoire individuelle dont témoigne, par exemple, la carrière que Mig Quinet, Gaston Bertrand, Antoine Mortier, Louis Van Lint ou encore Marc Mendelson poursuivent de manière solitaire durant les années 1950.

Une autre sensibilité se développe dans le même temps. Plus radicale, entièrement gouvernée par un esprit de géométrie, elle rejette tout lien au visible pour se penser comme une autonomie plastique régie par des principes étrangers à la figuration. Elle prend appui sur la notion de forme calibrée à la couleur qui la constitue. Cette approche n’a rien d’une célébration poétique de la nature. Au contraire, elle postule que l’art abstrait est un langage visuel autonome, exonéré de tout devoir de référence au monde visible et disposant de sa logique visuelle propre. Dans ce schéma, la
forme se présente comme un module géométrique que le peintre agence à l’intérieur d’une composition où elle se répète pour former une série dans laquelle des variations de taille et de couleur sont introduites.

Cette option esthétique va largement déborder le cadre de la peinture pour toucher les arts décoratifs et l’esthétisation du cadre urbain : l’abstraction géométrique se répand dans les foyers par le mobilier, la vaisselle, la reliure tout en prenant place dans les stations de métro, les piscines, les écoles, les campus universitaires et autres lieux qui font les espaces commun de la société. Il faut dire que de nombreux collectifs d’artistes se sont formés pour assurer la promotion de l’abstraction géométrique. Cette dynamique collectif tranche avec le caractère individuel des parcours artistiques issus de la Jeune Peinture belge.

COLLIGNON Georges, sans titre © DR

Fondé à Liège en 1949, Réalité-Cobra est premier groupe à voit le jour. Il se donne comme objectif d’unir l’abstraction de tendance géométrique avec les principes issus de Cobra. Pol Bury, Georges Collignon, Paul Frank, Maurice Léonard, Léopold Plomteux et Silvin Bronkart en sont les membres. Ils organisent une première exposition en 1949. On les retrouve à l’APIAW en 1951, mais une première dissension apparaît avec le départ de Paul Frank pour qui la relation à Cobra orientait trop l’esthétique du groupe. Il faut dire que le goût des artistes de Réalité-Cobra pour la géométrie, même si l’apparente froideur des formes est tempérée par la chaleur de la gamme chromatique et par la vibration de la surface, tranche avec la spontanéité irrationnelle sur laquelle Cobra érige une vision de la représentation qui ne se confond pas avec l’abstraction.

Une troisième et dernière exposition est montée en 1952, toujours au sein de l’Apiaw. Cette année-là, le groupe Art abstrait se forme à l’initiative de Delahaut.

Delahaut joue un rôle clé, tant au niveau de l’élaboration de l’abstraction géométrique que de sa promotion à travers une dynamique associative. Plusieurs groupes d’artistes se constituent au fil des années 1950 et 1960. En organisant des expositions, ces associations assurent une visibilité à ceux qui, comme Jean Rets, Kurt Lewy, Mig Quinet, Francine Holley ou Victor Noël, s’engagent dans cet esprit de géométrie que Jo Delahaut cherchera aussi à répandre dans la société à travers l’architecture et l’art décoratif. Delahaut s’impose également comme un théoricien du langage de l’art abstrait qu’il assimile à une rhétorique régie par des lois différentes de celles qui caractérisent la peinture figurative.

Le groupe Art abstrait se constitue en 1952 autour de la peinture et de la personne de Delahaut. Ce dernier fédère une équipe de peintres clairement engagés dans la pratique d’un art ayant rejeté tout lien au réel. Georges Collignon, Georges Carrey, Pol Bury, Léopold Plomteux, Jan Saverys, Jan Burssens et le duo Hauror en font partie. Ils sont rejoints en 1954 par Jean Rets, Francine Holley, Kurt Lewy et Guy Vandenbranden. L’ensemble est actif jusque 1956. En quatre années d’existence, Art abstrait a multiplié les expositions tant en Belgique qu’à l’étranger, avant d’imploser au terme de dissensions internes opposant les tenants d’une stricte géométrie et ceux qui, comme Burssens, s’attachent au lyrisme de la matière.

Avec Maurits Bilcke et Jean Séaux, Delahaut lance en 1956 le groupe Formes qui rassemble Pol Bury, Kurt Lewy, Jean Rets, Georges Collignon, Guy Vandenbranden, Ray Gilles, Francine Holley, Victor Noël, Van der Auwera, Paul Van Hoeydonck et Van Marcke. Plusieurs critiques, tels que Jean Dypréau et Léon-Louis Sosset, apportent le soutien de leur plume à ce groupe dont les activités se limitent, en fait, à deux expositions auxquelles s’ajoute un album de sérigraphies publié en 1956.

En 1960, Formes cède la place à Art construit dont les activités contribuent à la réhabilitation de la Plastique pure des années 1920. Éphémère lui aussi, le groupe Art construit reste en activité jusque 1964. Sa dissolution ménage un espace pour la création du groupe D4. Fondé en 1965, D4 comptait les peintres suivants : Emiel Bergen, Gilbert Decock, Henri Gabriel, Victor Noël et Marcel-Henri Verden. Avec l’arrivée de Delahaut en son sein, D4 devient Geoform qui sera actif jusque 1971.

Rhétorique de la géométrie

Ces formations sont certes éphémères et difficiles à documenter, mais elles structurent et jalonnent néanmoins l’histoire de l’abstraction durant une vingtaine d’années. Les peintres qui y sont actifs érigent la clarté du plan coloré et l’approche sérielle de la forme en alternative à la gestualité de l’abstraction lyrique. Pour eux, la peinture découle moins d’un processus d’élargissement des limites du réel qu’elle ne sert de lieu de recherche formelle sans aucun rapport avec le monde visible. Triangles, croissants de lune, trapèzes constituent des modules géométriques que les artistes agencent pour donner corps à des compositions vives, dynamiques, équilibrées.

Ceci ne signifie pas que la peinture se retranche dans une tour d’ivoire. Au contraire. Nombre de peintres adhérant à l’abstraction géométrique ont plaidé pour une application sociale du langage plastique qu’ils avaient expérimenté picturalement. Les bas-reliefs placés par Delahaut au pied des immeubles de la cité de Droixhe, près de Liège, en sont l’expression.

La peinture abstraite de tendance géométrique s’apparente à une rhétorique visuelle dont le principe fondamental réside dans les combinaisons entre  trois éléments essentiels du vocabulaire plastique dont disposent les peintres : la ligne, la forme et la couleur.

La ligne est un paramètre remplissant diverses fonctions. Courbe, elle joue un rôle dynamogène en provoquant un effet visuel rotatif. Pol Bury et Jean Rets en font largement usage dans leurs compositions des années 1950. Droite, la ligne se fait architecturale en divisant le plan du tableau pour créer des surfaces agencées les unes par rapport aux autres. Comme le montrent les Entrelacs de Françoise Holley, son épaisseur peut varier, de même que sa direction, de sorte à créer des marques sonores et des effets de rythmes donnant à la peinture une dimension musicale rappelant la Sonate que Baugniet avait peint dans les années 1930.

Expo Léon WUIDAR au MACS © Ph. de Gobert

La forme, quant à elle, est vue comme un module conçu pour être répété en vue de constituer une série au sein de laquelle elle évolue en se transformant au gré de variations de couleur, de taille, de position. Delahaut excelle dans la maîtrise de la rythmique formelle qui fait de l’image une surface en mouvement. Une toile comme Rythmes nouveaux peinte en 1956 en est l’expression. Si les cercles et les arrondis ne sont pas évacués, c’est toutefois la forme angulaire qui prédomine et trouve dans la communication graphique de l’Expo’58 sa plus célèbre application. Le triangle est sans doute l’emblème formel de l’abstraction géométrique dans la Belgique des années 1950. “Lumière de l’âme”, selon Delahaut, la couleur est liée à la forme qu’elle incarne. Ce lien entre forme et couleur est primordial dans l’équilibre d’un tableau. Pour les peintres issus du groupe Art Abstrait, l’enjeu pictural consiste à trouver le timbre chromatique correspondant à la forme modulée à l’intérieur d’une suite agencée dans l’espace du tableau.

En explorant les combinaisons infinies permises par les relations entre ces trois paramètres plastiques, les peintres mettent en place un univers visuel caractérisé par une constante mutation : la forme colorée a le statut d’une séquence dans la logique d’une série. Au sortir des années 1950, cette question du mouvement de la forme dans une structure sérielle se pose avec acuité. Les réponses à cette question, toutefois, divergent. Certains peintres évacuent le principe de répétition pour se concentrer sur une seule forme magnifiée en signe immobile. C’est le début du minimalisme dont témoigne un tableau comme Structure n°1 que peint Delahaut en 1964.

D’autres, en revanche, maintiennent le concept d’exploration sérielle de la forme en valorisant le mouvement virtuellement inclus dans la dynamique de la modulation. C’est le cas de Pol Bury. Mettre la forme en action est une option esthétique qui amène ces artistes à envisager de (se) sortir du tableau pictural qui est, forcément, statique.

Dans les années 1980, la peinture de Delahaut constitue le modèle autour duquel se structure une nouvelle génération de peintres engagés dans l’art construit. Cette génération se met en place au fil des six numéros de la revue Mesure Art international qui paraît entre 1988 et 1995. Des vétérans tels que Baugniet et Delahaut participent à ce projet emmené par Jean-Pierre Maury, Pierre Husquinnet, JeanJacques Bauweraerts et Léon Wuidar.

Michaux dans le flux de l’encre

Poète et peintre d’origine belge né à Namur – il prend la nationalité  française en 1955 –, Michaux publie ses premiers textes en 1922. Trois ans plus tard, il entame une recherche graphique totalement émancipée des thèses rationalistes qui guident alors le constructivisme international et plus tard l’abstraction géométrique. À l’inverse de ce que Magritte postule en 1929 dans le onzième énoncé de sa publication Les Mots et les Images, le lisible et le visible ne sont pas, pour Michaux, des éléments de même nature. Au terme d’une recherche marquée par le surréalisme, l’usage d’hallucinogènes – entre 1956 et 1961 – et la pensée extrême-orientale, le dernier Michaux – l’artiste meurt en 1984 – revient, au milieu des années 1970, à la tache d’encre qu’il travaille avec une gestuelle informelle rappelant les travaux de 1960-1961 qui lui avaient valu une reconnaissance internationale. Vers 1974, préparant une exposition prévue à la Fondation Maeght au printemps 1976, Michaux se consacre à une série de grands formats. Ces grandes encres sont réalisées dans une optique picturale proche du jaillissement recherché par Dotremont. Alechinsky rapporte d’ailleurs qu’au cours d’un vernissage, Michaux lui-même confondit les démarches lorsque, trompé par l’obscurité, il prit un logogramme pour une de ses œuvres.

MICHAUX H., Sans titre © Drouot

Après discussion, l’auteur de Plume observe que le fondateur de Cobra est, en fait, un peintre de mots. “Il écrit, lui“, conclut Michaux qui, pour sa part, ne cherche pas vraiment à orientaliser l’écriture. Sur un plan théorique, un recueil comme Émergences-Résurgences (1972) interroge les propriétés respectives de l’image et de l’écriture. “Je peins pour me déconditionner” écrit-il d’entrée de jeu. Se déconditionner, oui, mais de quoi ?

L’image représente, pour Michaux, un lieu de dépassement du verbe. Elle relègue les mots dans l’oubli pour offrir au poète la possibilité de s’abandonner à une gestuelle dont la dimension volontairement hasardeuse, incontrôlée, tranche avec la maîtrise conceptuelle imposée par le langage. Les grandes encres de Michaux ne restaurent aucune écriture, aucun alphabet imaginaire. Elles ne donnent rien à lire. Michaux ne garde de l’écriture que le principe d’inscription sur le support comme mode de rédaction situé en dehors d’un cadre linguistique. Les grandes encres mettent ainsi en scène une poésie sans mot, où la tache noire se substitue à la lettre. Pour opérer cette substitution, Michaux active ce qui, dans l’écriture, connote le rythme : virgule, parenthèse, crochet, point. Il s’agit moins de signifier que de faire signe. Un texte comme Idéogrammes en Chine (1975) en témoigne sur un plan théorique. La ligne est un point d’articulation entre image et écriture.

Associée à l’idée de mouvement, la ligne s’affranchit de sa fonction linguistique pour se faire énergie, spasme, rapidité, vitesse, débordement. Le rapprochement entre écriture et dessin s’appuie sur une équivalence de médiums : même encre, même outil, même support. Spontanéité, rapidité d’exécution et absence de schéma préparatoire sont les principes fondamentaux de cette peinture. La démarche est également proche de l’automatisme surréaliste. Une nuance est cependant nécessaire à cet égard. L’automatisme de Michaux vise moins à faire affleurer les strates obscures du psychisme qu’à favoriser une libération du geste. Celui-ci balaie le papier
pour y répandre des laques d’encre qui s’engendrent les unes les autres. Formant un continuum vital placé sous le signe d’une perpétuelle transformation, les taches conservent pourtant une même densité en termes d’utilisation de l’encre. Michaux ne joue pas sur les modulations tonales rendues possibles par la dilution de l’encre. Celle-ci prend une signification particulière. Là où l’huile, pâteuse et collante, entrave l’immédiateté, l’encre de Chine fluidifie l’écoulement du geste. Tributaire de l’idée de mouvement, la main erre sur le papier en adoptant un rythme saccadé. Elle sature la surface en excluant toute forme de hiérarchie dans la composition. Aucun élément ne prend le pas sur un autre. Il n’y a ni centre ni marges, ni avant-plan ni profondeur, mais un univers en perpétuel devenir.

LAOUREUX Denis, ULB


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | source : Province de Namur ; academia.edu | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, DELAHAUT J., sans titre (1958) © rtbf.be ; © Province de Namur ; © STIB ; © Fondation Roi Baudouin ; © Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique ; © Ph. de Gobert ; © Drouot.


Plus d’arts visuels en Wallonie-Bruxelles…

RADERMACHER-MENNICKEN A. : Sans titre (2015, Artothèque, Lg)

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RADERMACHER-MENNICKEN Andrea, Sans titre
(technique mixte, 19.5 x 14.5 cm, 2015)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Andrea RADERMACHER-MENNICKEN est née en 1964 à Eupen. Elle vit et travaille à Raeren en Belgique. Elle a effectué un Master en arts plastqiues à l’Académie des Beaux-Arts de Liège en 2015. Les deux années suivantes, elle est sélectionnée pour le Prix de la Création  de la Ville de Liège. Depuis 2013, Andrea Radermacher-Mennicken a particpé à plus d’une vingtaine d’expositions personnelles et collectives en Belgique et en Allemagne.

“Mes images gravées, photographiées ou peintes, mes objets et installations thématisent les relations intergénérationnelles. Les recherches reposent sur un postulat élémentaire : relation nécessite communication. Et, une communication réussie est étroitement liée à la capacité de présentation de soi et à la création de profils attrayants qui peuvent (et doivent) être adaptés au fil du temps. Ce qui compte en première analyse n‘est pas tant qui nous sommes vraiment, mais ce que nous voulons être et la manière dont nous sommes perçus par les autres.” (dixit Andrea Radermacker-Mennicken)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © A. Radermacher-Mennicken ; delphinecourtay.com ; academieroyaledesbeauxartsliege.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

EXPO : John Howe et l’univers de Tolkien

Temps de lecture : 9 minutes >

[CONNAISSANCEDESARTS.COM, 25 juillet 2023] Jusqu’au 24 janvier [2024], dragons, orques, nains, chevaliers et hobbits cohabitent avec les farfadets et autres créatures bretonnes à Landerneau. Le Fonds Hélène et Édouard Leclerc présente actuellement Sur les traces de Tolkien et de l’imaginaire médiéval. Peintures et dessins de John Howe, une exposition qui propose une plongée merveilleuse dans l’Heroic Fantasy. À travers 250 œuvres de John Howe, dessinateur des ouvrages de J. R. R. Tolkien (1892-1973) et directeur artistique de la saga de films Le Seigneur des anneaux et Le Hobbit et de la série Les Anneaux du pouvoir, l’événement révèle à la fois le monde fantastique de l’auteur et celui de l’artiste, le tout dans une scénographie immersive, qui fait rêver petits et grands.

Un créateur peut en cacher un autre

C’est un voyage dans l’imaginaire médiéval, nous explique Jean-Jacques Launier, co-commissaire de l’exposition et cofondateur du musée Art ludique. Nous avons souhaité contextualiser tout ce que Tolkien a créé en puisant dans les contes et légendes, montrer comment il a réussi à élaborer une nouvelle mythologie contemporaine et comment John Howe a fait un prolongement pictural de l’œuvre de Tolkien.” À partir des descriptions de l’auteur (pas toujours exhaustives), de ses sources d’inspiration et de l’histoire de l’art, John Howe a inventé au fil des années un riche univers visuel pour représenter tous les éléments qui constituent le monde du Seigneur des anneaux.

À travers une scénographie impressionnante, qui évoque un château en ruines dont chaque salle abrite des trésors, le visiteur découvre les cités, châteaux, armes, personnages, créatures et décors imaginés par John Howe pour donner vie aux mondes de Tolkien et ou d’autres œuvres pas si lointaines telles que Beowulf, un poème épique de la littérature anglo-saxonne qui s’inspire d’une antique légende scandinave ayant fortement inspiré Tolkien et John Howe.

Comprendre les sources d’inspiration de Tolkien et de John Howe

Dès les premiers pas dans l’espace culturel, l’exposition montre que les romans de Tolkien et les dessins de John Howe s’inscrivent dans une tradition littéraire, historique et artistique variée. Tranchées de la Première Guerre mondiale, mythologie scandinave (le Kalevala notamment), cathédrales gothiques, la Nature chez les Préraphaélites, la légende de saint Georges, la camaraderie des chevaliers de la Table ronde… chaque source d’inspiration de Tolkien et de John Howe est révélée et décryptée.

Des images fantaisistes ancrées dans le réel

En montant cette exposition, nous avons redécouvert la richesse de l’œuvre de John Howe, nous confie Diane Launier, co-commissaire et cofondatrice du musée Art ludique. Par sa recherche du paysage, de l’émotion, de la texture et de la lumière, il crée de la fascination à l’aide de son trait et de sa minutie, allant dans les moindres détails, que ce soit pour un château ou pour de l’eau qui coule.” Certaines images de John Howe sont assez percutantes et poétiques. En plus de (re)plonger les visiteurs dans les scènes cultes des trilogies cinématographiques de Peter Jackson, elles sont à la fois ancrées dans le réel et l’imaginaire.

Dans les montagnes qui abritent le royaume des elfes à Gondolin, la forêt de Fangorn ou encore les eaux de l’Argonath, chaque scène rappelle un paysage réel où des touches d’Heroic Fantasy ont été ajoutées. On devine par exemple les vallées de Nouvelle-Zélande et des intérieurs nordiques, ici associés respectivement à des combats épiques contre un dragon ou à la maison d’un célèbre hobbit. De plus, une quinzaine de prêts provenant d’institutions comme le Louvre, le musée d’Orsay, le musée de Cluny et le musée de l’Armée viennent établir de nouveaux dialogues avec les œuvres présentées. On peut mettre ainsi en parallèle des œuvres de William Morris avec la nature représentée par John Howe, ou encore des armures médiévales  avec l’épée d’Aragorn.

Des romans au grand écran

Dans deux salles, des télévisions diffusent des extraits d’interview de John Howe qui expliquent le processus créatif et la production de ces dessins pour l’adaptation au cinéma et au petit écran de l’œuvre de Tolkien. Il décrit notamment sa collaboration avec Peter Jackson et l’équipe artistique des deux trilogies de films et l’utilisation du numérique qui lui a permis de réaliser 1 500 dessins en moins de deux mois pour Les Anneaux du pouvoir.

Que l’on soit passionné par l’univers de Tolkien ou admirateur de l’œuvre de John Howe, féru de contes et légendes, cinéphile, amateur de jeux vidéo ou simple amateur de fantastique, l’exposition du Fonds Hélène et Edouard Leclerc nous transporte dans un autre monde, ludique et féerique, et permet de mieux comprendre comment il s’enracine dans des récits intemporels que les artistes transmettent et vivifient depuis des siècles.

Agathe Hakoun


John Howe, “Le Roi-Sorcier devant Minas Morgul” © FHEL 2023

[ACTUALITTE.COM, 20 juillet 2023] John Howe mériterait, à l’instar du compositeur Howard Shore, une place de choix dans Le Silmarillion de J.R.R. Tolkien, ce texte qui narre la genèse de La Terre du Milieu. La figure du Balrog, celles de l’Argonath, Le Roi-Sorcier d’Angmar…

Elles ont toutes pris vie par ses traits de crayon, avant de devenir des scènes inoubliables de l’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux. Le dessinateur raconte : Peter Jackson avait identifié ces deux individus qui avaient déjà illustré Tolkien il y a de nombreuses années. Il s’était alors dit, pourquoi ne pas les faire venir en Nouvelle-Zélande pour prolonger ce travail de mise en image de la trilogie.” Ces deux “individus”, ce sont les dessinateurs John Howe et Alan Lee. Le premier devint le directeur artistique de la trilogie culte, avec le soutien actif du second.

Tout commence à Strasbourg

À 20 ans, en 1977, ce natif de Vancouver découvre la vieille Europe par l’entremise de Strasbourg et sa cathédrale, c’est une révélation : dans le Nouveau Monde, ses visions d’un passé lointain relevaient plus de l’imaginaire que d’une réalité ancienne inscrite dans les villes, comme c’est le cas sur le vieux continent. John Howe trouve une histoire gravée dans la pierre et sur de lourdes armures, c’est décidé, il restera en Europe. Des études à l’École des arts décoratifs de Strasbourg, et aujourd’hui, c’est en Suisse qu’il est installé.

Si J.R.R Tolkien fut lui-même un dessinateur, peintre et aquarelliste, il dépeint dans ses œuvres la plupart du temps, non pas l’environnement avec force de descriptions et détails, mais les émotions des personnages devant une situation ou la découverte d’un nouveau lieu, telle la majestueuse capitale du Gondor, Minas Tirith. De quoi faire chauffer la boîte à imaginaire.

L’exploit d’avoir construit ce monde, dans un prolongement pictural de l’esprit du maître, n’en est que plus saisissant : “On a l’impression que ça devrait être, ça s’impose un moment grâce au lâcher-prise qui permet aux images d’advenir d’elle même”, nous confie John Howe, avant d’adjoindre : “Pour ce faire, il y a toute une expérience, une connaissance à avoir”. Car John Howe, c’est enfin une immense bibliothèque qui nourrit un imaginaire personnel, et donne cette “authenticité dans le merveilleux”, résume le co-commissaire de l’exposition, Jean-Jacques Launier.

Avec John Howe, on n’est pas dans le “Retro-Design ”, soit la reprise exacte de ce qui a été, mais une tentative, en retournant aux sources originelles, “de retrouver l’étincelle qui a donné ses représentations, et les transposer pour notre période”.

De Peter Jackson à Amazon

Dans un espace de près de 1000 m², s’exposent des originaux du Canadien, dont une grande partie provient de la collection de l’artiste : pour la trilogie du Seigneur des anneaux, qui raconte l’avènement des hommes, 10 ans plus tard, pour celle du Hobbit, mais aussi des œuvres plus personnelles. Et des “inédits ”, qui ont servi à la série tirée de l’univers de Tolkien, Les Anneaux de Pouvoir : “Amazon a dit oui tout de suite ”, rapporte Jean-Jacques Launier. Pour en définir la direction artistique, John Howe a réalisé plus de 1500 dessins…

Quand l’exposition de la BnF dédiée à Tolkien de 2019 se concentrait sur les manuscrits et les sources de l’écrivain, celle-ci a été pensée pour toucher un large public : “La plupart des jeunes ont connu Tolkien à travers le film, et on a envie que ce soit des portes d’entrée, comme peut être la série, les jeux vidéo tirés de son univers, pour ensuite poursuivre l’aventure Tolkien si le désir se réveille”, décrit le co-commissaire.

En découvrant l’exposition, la mise en espace peut déconcerter : l’approche n’est ni chronologique ni didactique, mais thématique et sans continuité : “Ce n’est pas une expo sur Tolkien, mais sur les traces de l’auteur anglais et de l’imaginaire médiéval ”, explique la Directrice générale du Musée Art Ludique et co-commissaire, Diane Launier. Dans cette optique, “ on souhaitait que le visiteur profite d’une liberté de parcours, de s’attacher à des espaces distincts, ou les œuvres sont mélangées ”, ajoute-t-elle : “Sortir et entrer dans un monde à chaque fois.”

En résumé, pas de circuit type, mais la nature entre merveilleux et questions écologiques, les cartes, les contes et légendes, les adaptations au cinéma, Les Anneaux de Pouvoir… Des salles qui unissent l’univers de Tolkien avec des dessins plus personnels de l’artiste. Dans la salle des dragons, Smaug joue des coudes avec le dragon chinois, des drakkars ou Fáfnir, tué par Siegfried dans le cycle de Sigurd de la mythologie scandinave.

Le Haut Moyen-Âge ressuscité

Chaque espace est séparé par de larges panneaux peints de plusieurs mètres de haut, “rendant hommage à la finesse du trait, au travail sur la perspective ou la lumière”, représentant certains des plus impressionnants dessins de John Howe. Au bout de ce chemin-tronc, où chaque ouverture est une branche de l’arbre, les portes de la grande salle de Meduseld, demeure de Theoden du Rohan…

Le but est d’apporter de la contextualisation”, analyse Jean-Jacques Launier. Car oui, une des principales ambitions de l’exposition est de mettre en lumière les sources de l’auteur du Hobbit : “Un pied dans le réel et un dans l’imaginaire”, résume ce dernier. Cet “effet de réel” passe par la création de cartes, de familles, d’arbres généalogiques, de langues…

D’ailleurs, J.R.R. Tolkien est formel dans le début du Seigneur des anneaux : il s’agit d’un texte issu d’un manuscrit authentique qui nous est parvenu et qui raconte le monde il y a des milliers d’années… Ici, il reprend une tradition ancienne, que l’on retrouve par exemple dans le Beowulf, qui fait toujours remonter le texte d’un précédent.

La réalité, c’est l’emprunt à des sources historiques : la notion de Terre du milieu qui provient d’un poème du VIIe siècle et de l’Œkoumène grec, l’anneau de pouvoir, autant inspiré de l’anneau de Gygès de Platon que du Nibelungenlied, tiré d’une épopée médiévale du XIIIᵉ siècle qui inspira Wagner. Et plus généralement, une influence de la légende arthurienne, des Eddas, de la Völsunga Saga qui en est issue, ou du Kalevala du XIXᵉ siècle. Des récits largement oraux pour les plus anciens, avant la démocratisation de l’imprimerie au XVIIe siècle.

Enfin, pour construire son monde, Tolkien a puisé dans le mouvement préraphaélite, majoritairement inspiré de l’imaginaire du Moyen-Âge — ou le courant Arts and Crafts porté par les fascinants William Morris ou John Ruskin, réformateur dans les domaines de l’architecture, des arts décoratifs, de la peinture et de la sculpture. Des pièces historiques provenant du Musée de Cluny, du Louvre… sont présentées.

John Howe, “Hall d’entrée de Bilbo” © FHEL 2023
Tolkien l’enchanteur

Pour John Howe, si l’on explore les motivations de Tolkien, on aperçoit qu’il n’avait pas d’agenda caché. Ce n’est pas un propagandiste ou prosélyte quelconque. Il est saisi par la richesse de ces matières, ses sources, lui donnant envie de raconter à son tour. C’est comme si ça débordait chez lui sous forme d’histoire ”.

Il y a deux visages de Tolkien : le professeur érudit de littérature anglaise à Oxford, plongé dans les textes anciens du monde germanique et scandinave en linguiste et philologue, et dont certains travaux restent des références, et le créateur d’un univers extraordinaire : Ses collègues, qui étaient des universitaires très sérieux, trouvaient ses activités annexes très drôles, légères, non sans condescendance”, continue le Canadien.

Avant de rappeler, puis de questionner : “Il a touché quelque chose de presque universel. Je crois qu’il n’y a pas un pays où il n’y a des enthousiastes de Tolkien. Il y a quelque chose de presque mystérieux dans cette résonance : qu’est ce qu’il y a dans son œuvre qui nous saisit si profondément ?” La vitalité toujours renouvelée des mythes et leur symbolique ? Pour le dessinateur, Tolkien enrobe son matériau d’un récit qui nous offre une place au premier rang, ce que ne font pas les textes anciens devenus plus difficiles à la lecture. Si on souligne les préoccupations et les thèmes chez Tolkien, elles sont plus que jamais actuelles : l’amitié, quelle réaction avoir face à des situations nous dépasse, ou la tension entre l’individu et le groupe. Des sujets poignants.”

Le frère d’âme

C’est aussi un rapport à la nature face à la folle industrie représentée par Sarouman et Isangard, à la mémoire, et paradoxalement, par le merveilleux, le conte, faire advenir le réel.  Pour Jean-Jacques Launier, face à l’industrialisation qu’il détestait, l’anglais né en Afrique du Sud en appelait au retour du travail de l’artisan, du fabricant et de l’artiste, ensemble”. Là encore, le fascinant William Morris n’est pas loin.

Les œuvres principales de Tolkien, John Howe les a lues “3 ou 4 fois pas plus”, bien suffisant pour dresser un constat : “Dans le fantastique, il y a un pré-Tolkien et un post-Tolkien. Il est incontournable, que l’on aime ou pas. Tout seul, il a changé l’approche de la fantasy.”  Il nous confie : “C’est un univers où tout me plaît, ce qui est rare. Normalement avec un auteur, il y a ce qu’on trouve formidable et le reste, car ce que vous avez vécu ne correspond pas totalement à son expérience. Là, il y a concordance que je considère absolue. Je me sens à l’aise, en territoire non pas familier, mais que je crois comprendre.”

Une parenté de sensibilité, mais de rappeler :  Il faut toujours se garder de dire, et c’est le défaut des enthousiastes : Tolkien aurait aimé faire ça, on n’en sait rien ! On ne peut pas se mettre dans la peau du bonhomme. Il faut aller dans ses récits, dans les sources de ces récits, et s’appuyer sur les chercheurs et les passionnés.” Il définira plus son travail comme du “néo-Tolkien” : “Dans les courants architecturaux, le néo, c’est la revisitation du passé dans un autre contexte. J’ai une grande affection pour le néo-gothique par exemple.”

Du néo-gothique au numérique, entre ses premiers dessins, la trilogie du début des années 2000 au Hobbit, jusqu’aux Anneaux de Pouvoir : “On produit plus vite et plus, mais le fond reste le même”, selon le directeur artistique de chacun de ces projets sur plus de 20 ans. Pour Diane Launier, “derrière le pinceau numérique, l’artiste est resté.”

Hocine Bouhadjera


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources  : connaissancedesarts.com ; actualitte.com | mode d’édition : partage, décommercialisation et iconographie | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © actualitte.com ; © connaissancedesarts.com ; © FHEL | Infos : J.R.R. Tolkien était Dr Honoris Causa de l’Université de Liège où plusieurs études lui ont été consacrées, dont le mémoire Tolkien or the Fictitious Compiler, restranscrit dans wallonica.org…


Plus d’arts visuels…

CHARLIER : Hommage à Pierre Dac (2017-2018)

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[LABOVERIE.COM, oeuvre du mois, août 2023] Les collections du musée des Beaux-Arts [de Liège, BE] possèdent de nombreuses œuvres de Jacques CHARLIER. En 2022, deux nouvelles acquisitions de l’artiste élargissent ainsi le panel proposé, illustrant l’éclectisme du répertoire de cet artiste inclassable. Un de ces deux achats est un hommage particulier rendu à l’inventeur de l’imaginaire Schmilblick et du  biglotron  : Pierre Dac (1893-1975).

Né à Liège en 1939, Jacques CHARLIER est un autodidacte dont l’intérêt pour l’art naît dès son plus jeune âge. À douze ans seulement, le petit Charlier prend une grande décision : devenir artiste.

Il débute sa carrière artistique dans les années 1960. En parallèle à son travail alimentaire au Service Technique Provincial (STP) de Liège, il développe peu à peu son propre langage artistique, combinant citations d’artistes d’avant-garde, critiques du monde de l’art et, dès lors, diversité de techniques et de styles (peinture, sculpture, texte, collage, photo, vidéo, dessin…). Cette  “ double identité ” le relie, dit-il, à Franz Kafka, dont l’univers alliant administration et art de l’écriture, le marque profondément.

À l’époque du Pop Art et du Nouveau Réalisme, il réalise les Paysages professionnels, documents photographiques collectés sur son lieu de travail, accompagnés d’un certificat signé de sa main et de celle du chef mécanographe, André Bertrand. Il  présente  ces documents issus de sa vie professionnelle au milieu artistique.

Après l’édition de la revue  Total’s, l’édition souterraine liégeoise, les Photographies de vernissage, ou encore les  photos-sketches, Jacques Charlier se lance, toujours en lien avec sa pratique artistique, dans des activités musicales.

Véritable touche-à-tout, il s’adonne à la caricature depuis 1969, ponctuée de citations d’artistes ou de tableaux, à coups de pinceaux, de crayons ou de flashs photographiques. À nouveau, le thème de prédilection est le microcosme de son milieu d’adoption, auquel il offre un reflet fait d’humour et d’ironie, illustrant ses dérives, celles du marketing et de la spéculation. Il se lie d’amitié avec d’autres artistes de son temps, les conceptuels Daniel Buren et Joseph Kosuth, ou encore Marcel Broodthaers.

En 2009, il marque le “ off” de la Biennale de Venise avec son exposition  Cent sexes d’artistes , dont les affiches seront finalement refusées par crainte de revendications en droits de reproduction [sic]. A nouveau, il démontre, s’il le fallait encore, sa connaissance de l’histoire de l’art et du monde qui l’entoure, sa capacité de mimétisme, sous forme de jeu et de dérision. La caricature, le second degré et les références pointues ont donc toujours fait partie de l’œuvre de Jacques Charlier. L’ensemble de toiles nouvellement acquises par le musée en est un bel exemple.

Pierre Dac, humoriste et comédien français, a très vite fait son entrée dans la vie de Jacques Charlier. Son humour absurde et celui de son acolyte Francis Blanche, résonnent sur les ondes de la radio du jeune adolescent et le transportent par grands éclats de rire. Cousin éloigné du dadaïsme, Pierre Dac touche de plein fouet le belge.  Le roi des loufoques  autoproclamé édite dès les années 1930 (et dans les années 1960) le journal  L’Os à moelle. Ce grand père du  Gorafi propose parmi ses pages une section de prime abord classique, les “ petites annonces”. La première donne le ton. “ Offre d’emplois  : On demande cheval sérieux connaissant bien Paris pour faire livraisons tout seul.” Derrière le sérieux apparent, se cache une plume hilarante… digne des futurs Nuls et bien avant les célèbres petites annonces d’Elie Semoun. Ces avis courts ont le meilleur effet sur la morosité et la gravité ambiantes.

Hommage à Pierre Dac, (2017-2018, 31 toiles de formats divers, acrylique sur toiles) © Musées de la Ville de Liège

Parmi le millier de ces punchlines , Charlier en sélectionne trente-et-une pour en faire une série, comme souvent dans sa pratique, qu’il illustre à l’acrylique sur toile. Chaque toile est doublement signée, “ texte P. Dac ” et illustration “ J. Charlier ”. Revenant à un dessin simple et schématisé dans cet univers kafkaïen, l’artiste s’inspire cette fois des réclames publicitaires et des pratiques de la bande dessinée. Un livre, un parapluie, un réveil… les motifs sont souvent seuls, perdus sur un fond monochrome, permettant de centrer l’attention sur eux, directement identifiables. L’art minimal figuratif pour un maximum de clarté, et de rires.

Parmi ces images, l’une attire l’attention, par la surcharge de sa composition et par son sujet. Entre livres, artefact de Buren, verre et bouteille renversée, stigmates d’une soirée arrosée (?), se dressent un urinoir et un hérisson à bouteilles duchampiens. Au mur, deux tableaux à la manière de Picasso et Mondrian. D’autres sont empilés et séparés par des bâtons colorés à la Cadere. Autant de clins d’œil à retrouver, tel un jeu d’énigmes et de références. Le balai posé contre le bar (Robert Filliou  l’aurait-il perdu ?) fait écho à la “ liquidation ” évoquée dans le texte de Dac : “Soldes prix intéressants articles ayant figuré dans grandes expositions internationales. Faire offre !” À nouveau l’esprit de Pierre Dac a frappé, mais accompagné de l’interprétation de Jacques Charlier, toujours critique, drôle et satirique sur ce milieu en perpétuelle évolution, le monde de l’art et son marché.

Cette installation est donc une rencontre entre deux hommes inventifs et critiques, l’un armé de ses pinceaux, l’autre de sa plume, pour le plus grand plaisir d’un fou-rire fulgurant.

Laura Dombret pour laboverie.com


[NADJAVILENNE.COM] Dès l’âge de douze ans, Charlier est sensibilisé, grâce à son père, à l’humour ravageur de Pierre Dac et de Francis Blanche. Faut dire qu’à l’époque, à Ersange, dans le fin fond du Grand Duché du Luxembourg, la radio était une bénédiction.

Pour Charlier, cette manière de donner du sens au non-sens va de pair avec sa constante tentative de désangoisser la réalité. Il découvre la littérature dès l’âge de 9 ans, au travers des contes extraordinaires d’Edgar Poe. De dix-sept à vingt ans, Kafka devient un frère d’arme, vu l’influence de sa profession administrative sur ses écrits. La porte du Service technique provincial de Liège ressemblant étrangement à celle des Assurances générales de Prague.

Plus tard après Teilhard de Chardin et Cioran, viendra son intérêt pour la sociologie et la philosophie qui le conduira à se passionner pour Baudrillard et Bourdieu.

© nadjavilenne.com

Mais périodiquement, en guise d’interlude, il revient toujours vers le grand maître soixante trois de son enfance. Son journal hilarant, ses sketchs, le font inlassablement mourir de rire. Pour lui, le Schmilblick fait bon ménage avec la broyeuse de chocolat de Duchamp, l’art des incohérents, Jules Levy et ses hydropathes, Alphonse Allais, et enfin Picabia son peintre préféré.

C’est ceux là qu’il considère comme sa famille humoristique d’adoption. C’est en s’appuyant sur leur mémoire, qu’il a construit patiemment l’aventure risquée des identités multiples artistiques. Pierre Dac a toute son affection admirative, car grâce à son génie, il a cautérisé ses blessures de guerre et conjuré la noirceur de la vie.

Charlier a longuement hésité avant d’oser imager les petites annonces de l’Os à moelle. Mais l’envie de remettre en lumière leur fulgurance, était plus forte. Comme l’a dit Claes Oldenburg, le rire élargit la vision. Pour Charlier, c’est plus qu’un réflexe, c’est un mode d’emploi.

Sergio Bonati pour nadjavilenne.com


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | source : laboverie.com ; nadjavilenne.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, l’oeuvre exposée à la Galerie Nadja Vilenne de Liège © nadjavilenne.com ; © laboverie.com.


Plus d’arts visuels en Wallonie-Bruxelles…

Le Metropolitan Museum of Art diffuse 375 000 œuvres en accès libre

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[LEMONDE.FR, 10 février 2017] Le musée new-yorkais autorise le téléchargement [gratuit] en haute définition des photos d’une partie de ses collections. Certes, il ne s’agit que d’une partie du million et demi de pièces conservées par le Metropolitain Museum of Art – seul musée américain à pouvoir soutenir la comparaison avec le Louvre. D’abord, parce que toutes n’ont pas encore été numérisées – elles peuvent l’être à la demande, mais alors il faut payer les frais. Ensuite, parce que les plus récentes ne sont pas encore tombées dans le domaine public – l’institution new-yorkaise couvre tous les champs de l’histoire de l’art, jusqu’aux contemporains.

Mais les autres, celles dont l’auteur est décédé depuis plus de soixante-dix ans, ou celles dont le musée possède le copyright, sont désormais téléchargeables en haute définition et utilisables à l’envi. Il est donc possible d’imprimer un tee-shirt à l’effigie de Joséphine-Eléonore-Marie-Pauline de Galard de Brassac de Béarn, princesse de Broglie (une merveille peinte par Ingres vers 1851), mais aussi de la projeter lors d’une leçon ou d’une conférence, ou de la reproduire dans un livre d’histoire de l’art, sans encourir la venue des huissiers.

INGRES J.A.D., Portrait de Joséphine-Éléonore-Marie-Pauline de Galard de Brassac de Béarn, princesse de Broglie © MET New-York

Education du public

Bien sûr, le Met n’est pas le premier musée à s’ouvrir ainsi. Comme le rappelle le New York Times, qui a relayé l’information, la National Gallery de Washington ou le Rijksmuseum d’Amsterdam l’ont précédé, mais à une échelle bien moindre : 45 000 images pour la première, 150 000 pour le second. Le communiqué du Met précise que ces photographies peuvent être téléchargées sans requérir une autorisation préalable pour n’importe quel usage, qu’il soit commercial ou non. Mais c’est évidemment cette dernière option, celle qui permet notamment une destination éducative, qui a présidé à ce choix.

VAN EYCK Jean, Le Jugement dernier (1440-41) © MET New-York

La chose ne surprendra que ceux qui méconnaissent à quel point les musées anglo-saxons, et même les institutions privées comme le Met, portent haut leur rôle d’éducation du public. Comme l’a relevé le site de La Tribune de l’art, son directeur, Thomas Campbell, l’a souligné : “La mission principale du musée est d’être ouvert et accessible à tous ceux qui souhaitent étudier et apprécier les œuvres d’art dont il a la charge. Améliorer l’accès à la collection du musée répond aux intérêts et aux besoins de notre public du XXIe siècle en offrant de nouvelles ressources à la créativité, aux connaissances et aux idées…”

Et La Tribune de l’art de comparer cette belle déclaration d’intention avec les conditions imposées par les musées français, et notamment ceux de la Ville de Paris, qui ne sont clairement ni à leur honneur ni à l’avantage commun.

Harry Bellet


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | source : lemonde.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © MET New-York.


Plus de presse en Wallonie-Bruxelles…

CREUSEN : Femme et artiste dans la Belgique du XIXe siècle

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Grâce au travail acharné de plusieurs historiens de l’art, le public belge connaît et reconnaît aujourd’hui le talent d’Anna Boch. Récemment, le musée Ianchelevici (La Louvière) a fait preuve d’une belle prise de position en mettant en relief l’artiste Cécile Douard, peintre à la vie aussi fascinante que sa peinture. À Ypres, c’est l’œuvre de Louise De Hem qui est l’objet d’une attention particulière depuis plusieurs années. Ces personnalités féminines ne sont pas des cas isolés. Terre de croisements, la Belgique accueille des artistes de talent, hommes et femmes, tout au long de l’époque contemporaine. Petit pays à l’échelle de l’Europe, le territoire correspond sur le plan artistique à un vaste champ d’investigation encore largement en friche.

DOUARD Cécile, Boraine (détail, 1892) © MRBAB

Proposer une exposition sur les femmes artistes de la Belle Époque constitue un solide coup de pouce pour la mise en chantier de nouvelles recherches subsidiées. L’occasion est donnée de voir des œuvres largement méconnues, rarement montrées, et de révéler des créatrices pour la plupart oubliées au-delà de leur localité d’origine. En 1999, un événement remarquable orchestré par le musée des Beaux-Arts d’Anvers et le musée d’Art moderne d’Arnhem avait déjà créé une impulsion en ce sens.

S’il ne date pas d’hier, l’intérêt sérieux pour la participation des femmes au secteur des arts plastiques reste un phénomène relativement récent : c’est principalement à partir des années 1970 que la recherche féministe a révélé l’existence d’une contribution féminine significative dans ce secteur, et ce, dès les temps anciens. Des études approfondies ont mis en relief de nombreuses personnalités engagées – peintres, sculptrices, architectes, illustratrices, photographes, cinéastes ou encore collectionneuses – auxquelles des monographies, des expositions et des romans sont aujourd’hui consacrés. En toute logique, les chercheuses américaines et anglaises, pionnières dans le domaine des Gender Studies, se sont d’abord intéressées au milieu des avant-gardes, mais aussi aux artistes anglo-saxonnes. Centre névralgique des arts à l’époque moderne, la France a très tôt fait l’objet de multiples essais ; pensons aux études et aux événements consacrés à Camille Claudel, à Séraphine ou à Sonia Delaunay. Dernièrement, deux personnalités qui font la jonction entre l’Allemagne et la France ont été remises en lumière auprès du public francophone : Paula Modersson-Becker, d’une part, et Charlotte Salomon, d’autre part. Ce fait est à saluer car, même en histoire de l’art, le poids de la découpe du monde en États-nations continue à peser sur la recherche, notamment pour des critères d’octroi de subsides. Les artistes, hommes et femmes, ont pourtant l’âme vagabonde…

Entre les deux mon cœur balance

Femme ou artiste ?

Très courante au XIXe siècle, l’expression “femme artiste” – “woman artist” en anglais – évoque l’image d’une balance à fléau en oscillation permanente, incapable de trouver son point d’équilibre. La formule définit un profil identitaire double et conflictuel : a priori, une femme artiste n’est ni tout à fait femme, ni tout à fait artiste. Les critiques d’art et les écrivains expriment volontiers l’impossibilité d’une relation harmonieuse entre ces deux états. Et pour cause, suivant la vision romantique qui prévaut alors, l’artiste représente l’intellect, la puissance créatrice, la singularité, l’esprit d’invention, la force. La femme évoque des principes bien différents, et même antagonistes, tels que les instincts, la procréation, la grâce, la délicatesse ; son corps la modèle comme réceptacle.

Louise De Hem dans sa maison de Forest (vers 1905) © Archives du musée communal de Ypres

Dire d’une artiste qu’elle est bien “féminine” constitue un lieu commun du discours. Derrière cette observation se profile l’idée rassurante que l’intéressée respecte le cadre de pensée réservé aux femmes. À la fin du XIXe
siècle, certains auteurs annoncent l’avènement d’un champ d’action spécifique, “l’art féminin” dans lequel les femmes pourraient œuvrer sans concurrencer leurs confrères et développer leur sensibilité. Aujourd’hui, dans un autre ordre d’idées, la question de savoir s’il existe une façon d’aborder la création artistique avec un regard spécifiquement féminin suscite fréquemment le débat. Pour certains, “l’art n’a pas de sexe” ; pour d’autres, toute production artistique se ressent nécessairement du sexe de son auteur.

Au XIXe siècle, dire d’une peintre qu’”elle peint comme un homme” équivaut à reconnaître qu’elle travaille de manière aussi efficace que ses confrères et sur le même terrain. Cet éloge concédé à grand-peine n’engage finalement pas à grand-chose et s’accompagne régulièrement de considérations douteuses. Perçues avec méfiance, celles qui peignent avec talent se retrouvent suspectées de tous les vices – usurpatrices, hommasses, traînées ou inverties. D’aucuns estiment même que trop de pratique artistique nuirait à leur mission naturelle, celle de donner la vie. Ainsi, en 1903, un journaliste du Soir met en garde les femmes qui font de l’art leur profession : le décès d’une sculptrice bruxelloise récemment accouchée s’expliquerait par un excès d’énergie consacrée à l’étude et à la création, au détriment de la force nécessaire à la maternité. De plus en plus affirmées et nombreuses à la Belle Époque, les femmes cultivées qui se manifestent dans l’espace public suscitent l’imaginaire le plus débordant.

Amateurisme ou professionnalisme ?

D’autres expressions, telles que “dame artiste” ou “peintresse”, apparaissent régulièrement sous la plume des critiques et chroniqueurs de l’époque. Elles permettent une fois encore de rassembler toutes les artistes, de les réunir pour dessiner un ensemble cohérent. Cette façon de les présenter voile une grande diversité de situations professionnelles originales.

Au sens strict, une “dame artiste” est une mondaine qui s’adonne à la peinture et au dessin avec un certain savoir-faire, mais sans prétention artistique. Ses connaissances reflètent le raffinement de son éducation et traduisent son statut privilégié. Son sens esthétique ajoute à son charme, pour autant qu’elle reste à l’écart de toute ambition personnelle. À la Belle Époque, le profil presque caricatural de la “dame artiste” nuit à l’ensemble de la communauté féminine qui participe aux Salons : coiffées du statut de “dame”, les artistes perdent de leur crédibilité car elles se retrouvent assimilées à des amatrices mettant leur pinceau au service de bonnes œuvres.

La jeune Anna Boch fait partie des demoiselles encouragées dès l’enfance à développer une sensibilité picturale qui sied à son rang social. À l’âge adulte, elle sort du schéma attendu en manifestant le souhait de devenir une
peintre à part entière. Plusieurs de ses consœurs belges effectuent le même parcours, en dépit des dissensions qui s’en suivent avec leur famille. En son temps, Émile Claus met en garde les parents d’Yvonne Serruys (épouse de Pierre Mille) : si la jeune fille bénéficie de leçons de haut niveau, elle deviendra peintre. C’est finalement la sculpture qui aura sa préférence et qui la conduira à Paris. Les codes de bienséance respectés par la haute bourgeoisie sont contraignants, ils le sont plus encore au sein de la noblesse. Alix d’Anethan quitte elle aussi la Belgique pour la France et y travaille régulièrement la fresque. Cette amie intime de Pierre Puvis de Chavannes n’hésite pas à aller à l’encontre du devoir de réserve demandé à une baronne.

Issu de l’ancien français, le terme “peintresse” apparaît de manière péjorative sous la plume de certains critiques de la Belle Époque, dont Émile Verhaeren et Edmond Picard, chevilles ouvrières de la revue L’Art moderne. En septembre 1884, durant deux semaines consécutives, la une de ce journal est consacrée aux “peintresses belges” qui prennent part au Salon de Bruxelles. Edmond Picard avance masqué, sous le couvert de l’anonymat, pour critiquer ces femmes qui sortent de leur rang et prétendent au professionnalisme. Les partis pris sexistes qu’il développe peuvent surprendre de la part d’un acteur de l’avant-garde ; un esprit éveillé ne l’est cependant pas sur tous les fronts. Le propos incendiaire de l’avocat, véritable plaidoirie pour le maintien des femmes dans la sphère privée, suscite un tollé général du côté des intéressées, qui adressent de nombreuses lettres à la rédaction. Picard s’en prend précisément aux femmes qui exposent dans les Salons officiels. Dans le même temps, il lui arrive ponctuellement d’encourager des femmes qui participent au réseau des avant-gardes.

Au XIXe siècle, ainsi que les sociologues de l’art l’ont bien montré, la concurrence est rude dans le milieu des artistes. Leur nombre va croissant au fil des décennies alors que la protection sociale est quasiment nulle. Intégrer le circuit des Salons ne nécessite pas d’être en possession d’un diplôme en arts. La disparition du système corporatif entraîne l’arrivée de gens de tous horizons dans le circuit des expositions, et parmi eux des femmes qui ne viennent pas forcément de familles d’artistes. Libres d’exposer, elles ne sont pas pour la cause prises au sérieux mais plutôt présentées comme des concurrentes dangereuses, dont la présence décrédibilise le milieu des arts. Beaucoup d’artistes femmes persévèrent. Marie Collart (épouse du lieutenant-colonel Henrotin) vend régulièrement et attire des collectionneurs et des marchands internationaux. Son fils rapporte cependant qu’elle pratique des prix trop bas et lui demande de conserver ses œuvres plutôt que de les laisser partir ainsi. À cela, elle répond simplement que “tout acquéreur devient un défendeur.

Mariage ou célibat ?

Pierre angulaire dans la vie des femmes de ce temps, le mariage interfère avec la pratique professionnelle. Cette étape signe très souvent l’arrêt total de la participation au circuit de l’art et, au-delà, l’arrêt de toute production. Les maris qui ont une ouverture d’esprit suffisante pour encourager leur compagne restent très rares. Dans les dynasties d’artistes, la nécessité fait loi et les femmes qui peuvent contribuer à l’entreprise familiale sont plus facilement prises en considération. À Liège, la famille Van Marcke parvient à se faire un nom grâce à un large éventail de services : portraits photographiques, paysages pittoresques, peintures décoratives, peintures sur porcelaine et natures mortes. Julie Palmyre Robert, venue de Paris, joue un rôle pivot et contribue largement aux succès de l’entreprise ; veuve du peintre Jules Van Marcke, elle épouse ensuite le photographe Joseph Van Marcke, peut-être pour garantir la cohésion de la cellule familiale.

Montigny Jenny, Jeunes filles dans une cour de récréation (1920) © Douai, Musée de la Chartreuse

Le culte romantique du génie inspiré supporte mal la concurrence et la répartition des tâches entre deux têtes pensantes. Les couples de créateurs tels que Juliette Trullemans et Rodolphe Wytsman ou Hélène du Ménil et Isidore De Rudder restent des figures atypiques. Durant la fin-de-siècle, un nombre significatif de femmes artistes belges très douées évoluent à l’ombre d’un homme de lettres, acteur de la modernité. Ces femmes bénéficient d’un train de vie élevé grâce à leurs époux et jouissent d’une liberté de mouvement plus grande que la plupart de leurs consœurs. Leur attitude contribue à la réussite sociale de leur mari et à sa reconnaissance dans les milieux mondains. Leur travail personnel est respecté et même salué, mais rarement montré au-delà du cercle amical ; il reste donc méconnu et sous-évalué.

Pour une femme peintre aspirant au professionnalisme, ne pas se marier revient à laisser “l’artiste” prendre le dessus sur “la femme”. Ce choix doit être mûrement réfléchi car le mariage est gage d’une certaine sécurité financière et permet aussi de protéger sa réputation morale. Une peintre célibataire se verra facilement suspectée de mener une vie libre et inconvenante ; elle devra lutter sans cesse pour se construire une image de sérieux et de droiture. Lorsqu’elle reçoit la Légion d’honneur, Euphrosine Beernaert évoque les sacrifices qu’elle a choisi de faire pour poursuivre une carrière. Beaucoup de ses consœurs font une croix sur leur vie affective pour pouvoir vivre leur vocation. Certaines aussi vivent une relation amoureuse dans le plus grand secret. Jenny Montigny fait partie de celles-là.

Le monde à portée de main

Par monts et par vaux

Moins libres de leurs mouvements que leurs confrères, les femmes artistes qui ont l’occasion de circuler et de voir du pays ne sont pas rares pour autant. Et, par chance, leurs déplacements laissent de multiples traces dans les archives. Des documents et mentions parfois très ténues témoignent de réalités diversifiées – excursions, visites de musées, voyages d’étude, longs périples et exils – qui nourrissent le travail. Porter le regard bien au-delà de la sphère privée apparaît indispensable pour progresser et pratiquer son art.
Cette forme d’émancipation se révèle d’autant plus nécessaire que la peinture de ce temps se donne pour principe de “coller au réel”. En d’autres termes, si une peintre représente la mer, le désert ou les ondulations d’un corps, cela signifie qu’elle les a vus de ses yeux et a eu le loisir de les étudier sous tous les angles.

Trullemans Juliette, Joli verger (s.d.) © Musée Camille Lemonnier, Bruxelles

Des artistes venues des quatre coins de la Belgique cherchent ainsi à voir et à savoir. Elles se déplacent à l’étranger, notamment pour y présenter leurs réalisations ou pour y parfaire leur formation. Paris coûte cher et se vit à différents rythmes suivant les moyens financiers. En partance pour un court séjour, Cécile Douard note les impressions éprouvées sur le quai de la gare : “Combien je me sentais indépendante et grande fille ce matin-là !“17. Louise De Hem se rend à l’académie Julian, chaperonnée par sa mère, afin de suivre un cours d’après modèle réservé aux demoiselles et fréquenté par un public cosmopolite. Louise Héger est logée par une famille amie pour pouvoir peindre dans l’atelier féminin d’Alfred Stevens, où se retrouve une petite troupe de talents belges – Alix d’Anethan, Georgette Meunier, Berthe Art en font partie.

À l’inverse, des peintres européennes visitent régulièrement le territoire belge et y envoient leurs œuvres. Un registre de cartes d’étude conservé aux musées royaux des Beaux-Arts de Belgique permet d’épingler les noms d’artistes belges et étrangères qui viennent y copier des toiles de maîtres. Les Salons de la capitale attirent quelques fois des exposantes renommées. À la fin du siècle, le groupe des XX présente des créations signées Mary Cassatt, Louise Breslau ou encore Berthe Morisot. Plusieurs artistes venues de pays limitrophes se fixent pour un temps à Bruxelles et participent de manière remarquée à la vie artistique locale. Active à la moitié du XIXe siècle, la peintre allemande Frédérique O’Connell, née Miethe, s’y fait une solide réputation avant de monter à Paris. Le tout Bruxelles s’arrache ses portraits et commente ses soirées spirites ! Sa manière d’être étonne et dérange, tout comme les audaces de la peintre française Joséphine Rochette (épouse de Luigi Calamatta), elle aussi installée à Bruxelles avec son époux quelques temps plus tôt.

Joséphine Rochette fait partie des femmes qui ont l’occasion de séjourner longuement en Italie, terre d’art et d’histoire considérée comme une destination phare pour les peintres et les sculpteurs. En phase avec l’esprit académique, cette fille d’archéologue y étudie les modèles antiques et renaissants. Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, le regard porté sur l’Italie par les artistes connaît une profonde mutation. Ceux et celles qui se rendent sur place s’intéressent surtout à l’étude de la lumière et des paysages ou encore à la vie populaire. Voyageuses aguerries, Anna Boch, Louise Héger et Juliette Trullemans se mettent principalement en quête de paysages. Beaucoup d’autres contrées retiennent les artistes de ce temps, mais cerner l’incidence de ces voyages sur leurs créations reste souvent difficile faute de témoignages précis.

Si loin, si proche

La nécessité intérieure de sortir du cadre est peut-être le point commun de toutes ces femmes aux expériences de vie très différentes. Celles qui choisissent de se spécialiser dans le domaine du paysage – genre très coté au tournant du siècle – n’expriment-elles pas de manière éloquente ce besoin intense de respiration et de prise de distance pour se retrouver ? Leur soif d’indépendance n’échappe pas au public de l’époque ni à leur entourage. Comment une “dame” peut-elle sortir par tous les temps, tremper les pieds et le bas de sa robe dans la boue ? Surtout, comment peut-elle se retrouver isolée sur des chemins de traverse, aux prises avec l’inconnu ?

Surveillées tant qu’elles sont en âge de se marier, les paysagistes circulent rarement seules. Louise Héger organise ses sorties en fonction des disponibilités de ses contacts, proches ou lointains ; elle joue les demoiselles de compagnie, un rôle qui lui impose de longs moments loin de ses pinceaux mais qui lui ouvre aussi des destinations rêvées. Parmi les nombreuses paysagistes encore à redécouvrir, Marguerite Verboeckhoven livre de fines notations symbolistes de bords de mer, œuvres qui nécessitent certainement de longues heures de travail en plein air, parfois même en nocturne.

Porter le regard au loin n’est pas la seule manière d’augmenter l’étendue de son champ de vision. Au XIXe siècle, la pudeur impose aux femmes des classes aisées d’ignorer les réalités de leur propre corps, bridé et corseté. Certaines se risquent sans doute à observer en secret leur nudité, d’autres luttent ouvertement pour accéder à l’étude du modèle dévêtu. L’enjeu est de taille à une époque où la peinture narrative se fonde sur une connaissance approfondie de l’anatomie. Pour mémoire, les étudiants masculins passent des heures à travailler d’après le nu en académie. L’idée qu’une jeune fille puisse faire de même en effarouche plus d’un, car toucher au corps revient à ouvrir le champ infini du désir : les témoignages relatifs à la liberté de mœurs observée dans les cours de nu réservés aux garçons sont éloquents sur ce point.

d’Anethan Aliix, Femme assise de dos (étude) (s.d) © MRBAB

Des trésors d’ingéniosité sont nécessaires aux femmes artistes qui veulent représenter l’humain. À partir des années 1880, l’offre en matière d’étude d’après le modèle nu s’accroît significativement. Quelques étudiantes parviennent même à suivre des cours de nu dans des institutions officielles mais les réticences sont fortes. Cécile Douard fait ainsi une incursion très remarquée à l’académie de Mons. Travailler d’après le modèle masculin reste très difficile pour une femme, même à Paris, et celui-ci n’est jamais que partiellement dénudé. En peinture et en sculpture, le portrait mis à part, la représentation de l’homme demeure un thème d’accès malaisé.

Ouvrir le champ des possibles

Le public et les experts du XIXe siècle ne peuvent s’empêcher de jouer les censeurs quand ils analysent la production des “peintresses”. Encouragées à s’en tenir aux compositions florales, aux portraits d’enfants, aux notations à l’aquarelle, elles n’en restent fort heureusement pas là et abordent un large répertoire de sujets, de techniques et de formats. Les femmes qui (s’)exposent doivent veiller à se faire accepter du milieu sans se
laisser influencer outre mesure. Pour ce faire, elles se construisent une image de sérieux et évitent de se démarquer ouvertement. Observer leurs travaux avec un regard genré permet néanmoins de percevoir de multiples pas de côté, des prises de risque et des angles de vision parfois clairement liés à leurs expériences de femmes. La soif de découverte, de reconnaissance
et de liberté s’exprime plutôt de manière indirecte, par exemple via leurs choix iconographiques. À l’époque romantique, elles mettent volontiers en lumière des personnalités féminines entreprenantes et positives – héroïnes de romans, figures mythologiques, historiques et religieuses. De cette façon, elles présentent au public des modèles de femmes inattendus.

Durant la période réaliste, certaines artistes se risquent à proposer des images de femmes et d’enfants en net décalage avec celles de leurs confrères. Soutenue par Arthur Stevens, la toute jeune Marie Collart est acceptée au Salon de Paris avec une Fille de ferme occupée à répandre du lisier. Atterré, un critique d’art français s’interroge : une demoiselle de bonne famille peut-elle décemment se complaire dans la fange à peindre de grossières paysannes entourées de porcs ? Fascinée par les charbonnages, Cécile Douard obtient l’autorisation de descendre dans la mine pour y observer les ouvriers et les ouvrières à l’œuvre. Sous son pinceau, les travailleuses anonymes se métamorphosent en héroïnes titanesques abruties de labeur. Fait rarement mis en évidence, sa grande toile figurant trois glaneuses d’escarbilles ne représente pas trois adultes, mais bien deux adultes suivies d’une fillette âgée d’une dizaine d’années, peut-être moins. Très courant à l’époque, le travail des enfants est un sujet presque inexistant dans la peinture belge d’alors.

Tout comme Cécile Douard, la peintre hollandaise Marie Heijermans, active à Bruxelles, témoigne de la vie des petites gens. En 1897, elle peint Victime de la misère, une œuvre coup de poing qui met en scène la détresse d’une adolescente prostituée, figurée nue dans une chambre sordide, avec un client en arrière-plan. Dans une veine beaucoup plus solaire, qui s’écarte sans complexe du réalisme social, Louise De Hem et Jenny Montigny parviennent à évoquer l’enfance avec une acuité étonnante.

À la Belle Époque, plusieurs créatrices apportent une contribution singulière au domaine de l’image imprimée, de l’illustration et du dessin. La contrainte de réalisme visuel n’étant pas de mise ici, elles peuvent plus facilement envisager leurs supports de prédilection comme espaces d’expérimentation et de transgression. Léontine Joris et Claire Duluc s’inventent des pseudonymes masculins, sans doute pour accroître leur liberté de mouvement. La première aborde le domaine de l’affiche et l’art de la caricature – secteur où les femmes sont très peu représentées – sous le nom de Léo Jo. La seconde exerce sa verve caustique sous divers noms d’emprunt – Étienne Morannes, Monsieur Haringus – et illustre les livres de son mari, l’écrivain Eugène Demolder. Très intéressée par la gravure et la gouache, Louise Danse (épouse de Robert Sand) met volontiers en scène des figures féminines maniérées à la sensualité palpable. Personnalité secrète et volontaire, Marthe Massin contribue à la construction de l’image de son mari, le poète Émile Verhaeren, qu’elle représente volontiers quand il est plongé dans ses pensées ou occupé à écrire. En dépit de sa réserve et de sa discrétion “toutes féminines”, sa posture est audacieuse : elle choisit un homme pour modèle privilégié et s’invite dans son intimité de créateur.

Le champ des arts décoratifs est aussi régulièrement investi de manière  originale par des femmes de ce temps. Gabrielle Canivet (épouse de Constant Montald), met son inventivité picturale au service de la reliure d’art, domaine alors en vogue. Hélène du Ménil (épouse d’Isidore De Rudder) connaît une véritable reconnaissance oficielle – fait rare pour une artiste belge – grâce à la réalisation de broderies figuratives éblouissantes de finesse. Se basant sur des cartons dessinés par son mari, elle exprime son goût pour l’expérimentation en développant des procédés de broderie et en soignant la recherche ornementale.

Après l’invasion de la Belgique par l’armée allemande, le cardinal Mercier écrit la lettre pastorale “Patriotisme et Endurance”, destinée à être lue dans toutes les églises du diocèse de Malines à partir du 1er janvier 1915. Cette lettre fait grande impression en Belgique et à l’étranger et suscite la colère des occupants allemands qui ont essayer de stopper par tous les moyens sa diffusion officielle… ou clandestine. C’est seulement le 13 janvier 1915 que les sœurs de l’abbaye bénédictine de Maredret, vont prendre connaissance du contenu de cette lettre pastorale et décident selon les techniques les plus traditionnelles de la calligraphier et de l’enluminer. Ce travail a été exécuté dans la clandestinité du début de l’année 1915 au 15 août 1916, jour où le cardinal Mercier, en visite à l’abbaye de Maredret, a pu découvrir ce chef-d’oeuvre de 35 planches © Abbaye de Maredret

La minutie et les qualités techniques dont elle fait preuve se retrouvent d’une tout autre manière dans les enluminures néo-gothiques de Marie-Madeleine Kerger et Agnès Desclée, sœurs bénédictines de Maredret. Restées dans leur abbaye durant la première guerre mondiale, ces deux artistes éprouvent le besoin de traduire visuellement les événements qui se passent à l’extérieur. De manière tout à fait étonnante, elles insèrent de petites scènes d’actualité dans certaines de
leurs créations, dont la lettre pastorale du Cardinal Mercier de Noël 1914. Sous leurs pinceaux, nous retrouvons des évocations de combats sans pitié, de nombreuses figures masculines de soldats vêtus et dessinés à la manière gothique, le tout traité avec un souffle patriote ! La liberté d’invention dont elles font montre tient paradoxalement aux limitations dans lesquelles elles travaillent. L’observation directe cède le pas à la construction symbolique et favorise une mise en lumière alternative.

Alexia CREUSEN


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : Femmes artistes, les peintresses en Belgique (1880-1914), ouvrage publié à l’occasion de l’exposition éponyme au musée Félicien Rops, Province de Namur, du 22 octobre 2016 au 8 janvier 2017, diffusé via academia.edu (normalement, academia.com car le site est une plateforme commerciale) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, BOCH Anna, Falaises de l’Estérel © Collection privée, Brussel • Photo Vincent Everarts ; © MRBAB ; © Archives du musée communal de Ypres ; © Musée Camille Lemonnier, Bruxelles ; © Douai, Musée de la Chartreuse ; © Abbaye de Maredret.


Plus d’arts visuels en Wallonie-Bruxelles…

MAHOUX : L’entrée du Christ à Bruxelles

Temps de lecture : 6 minutes >

Ostende, 1888, Ensor invente l’art moderne. Il peint la violence sociale et ses tumultes intérieurs. Il fait de la révolte ouvrière un miroir où se reflète sa silhouette de paria. Il a 28 ans. Il cloue une toile immense sur le mur de son grenier, toile de lin, 2 m. 58 sur 4 m. 31. Il l’apprête avec une sous-couche de blanc de plomb. Et il peint son chef d’œuvre à grands coups de spatule. La peinture en tube est trop chère ; il a demandé à un peintre en bâtiment des laques en pots de 10 kilos. Il étale la peinture non diluée à grands traits. Il doit dérouler sa toile par terre tant elle est haute et il peint à genoux comme un anti-Michel-Ange qui peignait couché. Ensor travaille la couleur au couteau, comme une matière. Et ce sera la méga-toile, la toile méga culte, L’entrée du Christ à Bruxelles, parodie de l’entrée du Christ à Jérusalem.

C’est une bombe. Une bombe formidable qui explose dans l’histoire de l’art : une symphonie du chaos, une immense bouffonnerie, une toile carnaval qui annonce en fanfare l’expressionnisme. C’est notre défilé national, le seul qui vaille, le défilé monstrueux d’une société grotesque dominée par une banderole où il est écrit sur fond rouge, en haut, en grand : “Vive la sociale”. Comme un deuxième titre, un appel à la sédition et une satire de la révolution…

Le Christ, juché sur son âne, reconnaissable à son auréole, est minuscule au milieu de la mêlée, dans le tumulte des revendications politiques et sociales. Le visage du Christ – autoportrait d’Ensor – est presque caché dans son halo jaune. Sa main levée bénit le défilé des clowns grotesques. Le fleuve de la foule en liesse, formidable multitude en rangs compacts, menace littéralement de piétiner le spectateur de la toile. Ou de l’emporter. Terrible sentiment d’être balayé par ce torrent de visages tuméfiés, de bonhommes ventrus, de spectres vaudous, de masques devenus visages.

Choc de mes 17 ans. A la droite des clairons et des grosses caisses de l’orchestre doctrinaire, le bourgmestre et les échevins sont en costume de clown. Un évêque mitré, avec son bâton de tambour-major de majorette, mène la foule vers l’avant, comme une marée qui va déborder et envahir le monde. Ensor a peint une satire sociale, politique et religieuse comme le faisaient Bosch et Brueghel dont il est l’héritier dans la grande tradition flamande du fantastique.

Bleus, rouges, verts, blancs sonnent la charge brutale des rétines, couleurs vierges, primaires, indemnes. Le gentil nuancier impressionniste et symboliste est aboli, c’est le triomphe du spectre premier. Multiplicité des couleurs, confusion délibérée de la composition, abandon de la perspective : Ensor écrit à Verhaeren qu’il lui fallait des effets extrêmes pour réussir. Il a réussi. Ensor a réussi à peindre la musique. Il a suscité dans l’œil l’effet d’un musique sur un tympan. Il a peint une fanfare assourdissante ! Contre le ‘Beau idéal‘, il a peint le ‘Vrai ressenti.

La toile a 50 ans d’avance. Il a créé, à lui tout seul, dans son grenier, le trait d’union entre le XIXe et le XXe siècle. Son œuvre est un pont qui même aux expressionnistes allemands de Die Brücke, à Munch, Nolde, Kandinsky, Klee, Chagall. Sans Ensor, il n’y a ni Pollock ni Basquiat. La toile est un choc. Mais un échec. Personne ne veut l’exposer. En 1898, elle sera vaguement visible lors d’une exposition rétrospective d’Ensor à Paris. Échec cuisant.

L’Ostendais reste un paria dix ans encore. Aigri, il ne se séparera jamais du sommet de son art. Il en fera des copies plus petites mais l’original incompris restera chez lui toute sa vie. La toile est restée enroulée pendant 30 ans dans son atelier mansardé d’Ostende. Il n’a pu l’étirer qu’en 1917, au-dessus de son harmonium, lorsqu’il a déménagé dans sa nouvelle maison de la Vlaanderenstraat.

Douze ans après la mort d’Ensor en 1948, la toile refera le voyage de Paris pour l’exposition Les sources du XXe siècle présentée au Musée National d’Art Moderne en novembre 1960. André Malraux voit la toile très abîmée qui s’écaille et tombe en scories. Il note que, chaque matin, devant la méga-toile détériorée, les services d’entretien balayent de la poussière de chef d’œuvre.

Le Paul Getty Museum de Los Angeles va acquérir et restaurer L’entrée du Christ à Bruxelles et l’associer pour toujours à la chanson Desolation Row de Bob Dylan. On a laissé filer notre défilé national à Los Angeles, les gars. Pas de doute, on est bien belges. Mais c’est le seul défilé national qui vaille. Vive la sociale, bordel !

Jean-Paul Mahoux

Cette chronique est extraite de Peindre la musique, inédit, préparatoire à la nouvelle Obscure Ostende (à paraître, qui sait…)


[LESOIR.BE, 16 mai 2016] De face, de profil ou de trois quarts, chapeauté, casqué ou masqué, masculin, féminin ou squelette, blanc, rose ou rouge, vieux ou jeune, mille visages envahissent la toile et égarent les regards. Où est le fils de Dieu qui donne son nom au tableau L’entrée du Christ à Bruxelles peint en 1888 par James Ensor ?

Perdu au milieu de la foule qui lui vole le premier rôle ! Égaré sur un âne gris ! Seule son auréole jaune permet de le remarquer parmi les personnes qui semblent rassemblées non pour une cérémonie religieuse mais une fête carnavalesque qui se tiendrait un 1er mai. La large banderole rouge renseigne “Vive la sociale” et non “Vive le Christ”. Seul un petit panneau sur le côté applaudit un Jésus, roi de Bruxelles.

Mais que diable le prophète, qui a les traits du peintre, vient-il faire à Bruxelles, perdu dans une mascarade ? Le socialisme a-t-il remplacé le christianisme au point que si Jésus revenait aujourd’hui, il le ferait sous la banderole “Vive la sociale”? Ensor ferait-il un pied nez à la religion et à sa figure majeure ? Absolument ! Ensor n’a jamais tu ses critiques contre l’Église.

Comme il n’a jamais caché son ironie par rapport à la condition humaine. L’homme est selon lui vaniteux, le monde absurde et la réalité laide. Ce regard sombre sur l’existence est bien présent dans ce tableau. Le fils de Dieu est un simple quidam perdu dans la foule. Jésus est un pauvre hurluberlu parmi des humains plus grotesques les uns que les autres, pantins grimaçants et parfois même squelettes qui ne sont mus que par la jalousie, la cupidité, le désir, l’hypocrisie et bien d’autres défauts. Ils ne se soucient même pas de la venue du Sauveur. Seul le responsable de la ville semble se rendre compte qu’il arrive à Bruxelles, mais la foule reste indifférente, suivant un pitre avec une mitre et un bâton à l’avant du tableau.

Masques et squelettes servent la vision du monde du peintre tout en ayant une origine très pratique. Ils manifestent l’enfance du peintre. Le petit James a grandi à Ostende où le carnaval est une fête importante et dans une maison familiale dont le rez-de-chaussée est un magasin étrange où la mère Ensor vend des masques et des tas d’objets étonnants. Au-delà de l’histoire du peintre belge (1860-1949), les masques et visages grinçants d’Ensor s’ancrent dans l’histoire de la peinture belge tant ils héritent des œuvres de Bosch et Breughel.

La belle insolence d’Ensor lui vaudra quelques problèmes. Son tableau est d’abord refusé au Salon du Cercle artistique avant-gardiste des XX, dont il est pourtant l’un des membres fondateurs. Le tableau est jugé trop audacieux par sa forme pré-expressionniste et ses couleurs radicales, ainsi que par son fond iconoclaste. On parle même d’exclure Ensor du cercle tant il est contestataire, anarchiste même !

Le peintre ostendais vécut mal ces refus, lui qui était déjà si critique par rapport à l’humanité. Il écrit ces mots : “Mes concitoyens, d’éminence molluqueuse, m’accablent. On m’injurie, on m’insulte : je suis fou, je suis sot, je suis méchant, mauvais…” Les critiques n’améliorèrent pas son caractère misanthrope. Son mépris pour le genre humain ne fit que croître. Pourtant, le monde finira par reconnaître son génie. Ensor est appelé le “prince des peintres”, il est fait baron et, face à ces honneurs venus si tard, sans doute trop tard, le “prince” abandonne la peinture pour se tourner vers la musique.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | source : Jean-Paul Mahoux ; lesoir.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Getty Images.


Plus de liberté de parole en Wallonie-Bruxelles…

NIELSEN, Eva (née en 1983)

Temps de lecture : 4 minutes >

“Le fait de parler des lieux, c’est parler de l’humain” explique Eva NIELSEN (née en 1983). L’artiste franco-danoise brouille depuis plusieurs années les repères du paysage et de la peinture. Depuis 2010, elle met en scène des lieux à la fois familiers et étranges : une zone périurbaine désertée, une ferme abandonnée… Architectures de béton, stores, mobiliers urbains, tramés par la sérigraphie, structurent le territoire de la nature, comme celui de la toile. Malgré leur architecture marquée par la modernité, ces lieux semblent n’appartenir à aucun espace-temps déterminé. Eva Nielsen donne là une forme possible aux espaces anonymes, aux “non-lieux”, dont Marc Augé a souligné dans sa recherche d’une “anthropologie de la surmodernité” combien ils sont aujourd’hui les lieux de passage obligés d’un paysage mondialisé. Semblant être de nulle part, sans présence humaine, les paysages dépeints par Eva Nielsen pourraient être cet entourage immédiat que nous ne voyons plus. S’attachant à représenter une utopie moderne abandonnée, ses peintures résonnent comme un futur dans le passé, un retour de demain sur le présent.

Cette “surmodernité” est aussi celle de la peinture aujourd’hui. Eva Nielsen explore les frontières entre photographie et peinture, entre peinture et impression mécanique, un enjeu qu’elle sait être devenu une quête au long cours de l’histoire de l’art depuis Andy Warhol et Gerhard Richter. Les tableaux sont réalisés à partir de photographies, documentés par des marches et des explorations, aussi bien européennes qu’américaines. Pour accentuer le contraste entre le noir et blanc de l’impression photographique et cette tonalité sourde et lumineuse héritée du paysage scandinave, Eva Nielsen travaille chaque œuvre en deux temps, celui de la sérigraphie et celui des aquarelles, des encres, des acryliques. Elle fait, cependant, de la sérigraphie un usage unique, à rebours de ses capacités de reproduction. Elle n’en conserve que l’effet esthétique de la trame mécanique, tout comme elle a parfois expérimenté l’imprimante pour ses dessins préparatoires.

Peindre aujourd’hui pose la question du temps long dans une époque de l’instantané et du tout-image. Tout voir, est-ce ne rien voir ? À ses paysages architecturés, l’artiste a ajouté récemment la maladie du “voir”. Sa dernière série Lucite (2015-…) tient son nom d’une allergie à la lumière. L’horizon de ses peintures s’est ostensiblement voilé. Le statut du regardeur est redoublé : nous sommes en position de voyeur, à la fois du tableau, et de la maison de l’autre, que l’on tente d’apercevoir à travers le treillage qui recouvre la surface de la toile. Le voilage rejoint également un motif emblématique de l’histoire de l’art, le pli, théorisée par Gilles Deleuze, thème baroque par excellence, mais devenu ici le pli d’un grillage bon marché.

d’après AWAREWOMENARTISTS.COM


Eva Nielsen “Dondal II” (detail) © Eva Nielsen
Les sublimes mondes en trompe-l’œil d’Eva Nielsen

Au moyen de la sérigraphie, Eva Nielsen trompe l’œil avec des effets qui subliment la nature et le bâti. Ce panorama zéro semblait contenir des ruines à l’envers”, note Robert Smithson à propos de Passaic, ville sans histoire du New Jersey dont les monuments ordinaires (ponts, parkings ou bacs à sable) lui inspirent en 1967 un texte fondateur sur le chaos des cités à l’épreuve du temps. Eva Nielsen l’a lu et approuvé, tout comme Manhattan Transfer de Dos Passos. Élevée dans le 91, elle qui transite entre Paris et Yerres connaît par cœur ces zones intermédiaires peuplées d’architectures précaires.

Des perspectives de non-lieux

Ses odyssées suburbaines” forment par sédimentation des spectrogéographies”. Autrement dit, des perspectives furtives de non-lieux. Sa méthode vandale” varie et si, à l’origine, la sérigraphie masquée par des bandes de ruban adhésif précédait la peinture, l’inverse est devenu vrai. Personnelle ou d’emprunt, l’image source imprimée à même la toile, sur des chutes d’organza ou de cuir, est maculée d’huile, d’acrylique, d’aquarelle ou d’encre de Chine.Si bien que le regard ne sait plus où se poser, fouillant la surface et le fond en quête d’indices, perdant sur tous les plans, faute de mise au point.

Eva Nielsen ne lui facilite pas la tâche. Ses effets de textures ajoutent des filtres, sortes de vitres embuées ou de moustiquaires à trous qui, tels des souvenirs-écrans, cachent plus qu’ils ne montrent la scène : un paysage désolé hanté par des machines du futur déjà hors d’usage, des cabanes sinistres ou, depuis peu, des humains.Ses mondes hallucinés portent des noms savants, tels Thalweg, Zoled ou Polhodie…

Insolare est à l’avenant. Mené avec la commissaire Marianne Derrien dans le cadre du programme BMW Art Makers (programme qui permet aux artistes et curateurs de montrer et produire une création expérimentale à travers le prisme de l’image contemporaine), ce projet tâte le terrain hostile” des marais de Camargue. Ce site naturel où la vie stagne et grouille se mue en collages humides pleins de sel, de coups de soleil. Désireuse de montrer une réalité tant rurale qu’industrielle”, les créations de l’artiste offre une visibilité sur la qualité vitale” des marais de Camargue.

d’après CONNAISSANCEDESARTS.COM


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : “Insolare II” (recadrée) © Eva Nielsen | visiter le site d’Eva Nielsen


Plus d’arts visuels en Wallonie et à Bruxelles…

MAUPETIT : Sans titre (2016, Artothèque, Lg)

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MAUPETIT Léa, Sans titre
(impression numérique, 40 x 30 cm, 2016)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Lea-Maupetit
Léa Maupetit © leykamverlag.at

Née en 1991, Léa MAUPETIT est une illustratrice française, vivant et travaillant à Paris. Après avoir obtenu son diplôme en typographie  en 2015, Léa a développé son propre style d’illustration, basé sur le travail des couleurs vives et lumineuses, avec des compositions pleines de vie et d’humour. Ses clients sont issus de différents horizons tels que le textile et le motif (Des Petits Hauts, Smallable), l’identité visuelle (East Village Marcher, Daphnis et Chloe), la presse (The New York Times, L’Instant Parisien, Milk Magazine, Scoop Magazine, Doolittle), les éditeurs de livres (Milan), etc.

(d’après LEAMAUPETIT.FR)

Cette image est tirée d’un ensemble publié par l’éditeur liégeois Ding Dong Paper en 2016. Deux mains enserrent un bouquet de fleurs aux formes exubérantes. Une phrase, “Sorry I’m late”, laisse au spectateur le soin d’imaginer l’histoire qui se cache derrière le bouquet.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Léa Maupetit  ; leykamverlag.at | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

Caché dans un tableau de Picasso pendant un siècle, un surprenant personnage sort de l’ombre

Temps de lecture : 3 minutes >

[CONNAISSANCE DES ARTS, 8 juin 2023] Lors de la restauration du tableau Le Moulin de la Galette de Pablo Picasso, les équipes du Guggenheim Museum de New York ont découvert un petit chien caché sous les couches de peinture. Le célèbre tableau est actuellement présenté au public dans l’exposition “Young Picasso in Paris.

Qui aurait pensé que pendant toutes ces années se cachait là un petit chien ? Cinquante ans après sa mort, Pablo Picasso (1881-1973) continue à nous réserver des surprises. Le 12 mai dernier, à l’occasion de l’ouverture de son exposition “Young Picasso in Paris“, le Guggenheim Museum à New York (États-Unis) a partagé une récente découverte faite sur l’un des tableaux présentés. Lors de la restauration et des analyses scientifiques du Moulin de la Galette (vers 1900), les équipes du musée ont identifié un repentir inédit. Il s’agirait d’un Cavalier King Charles Spaniel au poil auburn portant un nœud rouge, placé sur une chaise, à l’avant-plan de l’œuvre, avant d’être finalement recouvert par l’artiste.

Identifier les pigments pour révéler la version antérieure du tableau

Les restaurateurs du Guggenheum Museum, en collaboration avec les experts du Metropolitan Museum of Art de New York et de la National Gallery of Art de Washington, l’ont mis au jour en retirant la couche de crasse et le vernis jauni qui altéraient la compréhension de l’œuvre. Lors des analyses chimiques, et notamment de la spectrométrie de fluorescence X, qui a permis d’obtenir la cartographie chimique de la peinture, les spécialistes ont pu identifier les pigments utilisés par Picasso et générer une image de ce à quoi ressemblait la version antérieure du tableau avec l’animal caché tout ce temps.

“Nous voyons de plus en plus que cela faisait partie du processus de travail de Picasso”, explique Julie Barten, restauratrice au Guggenheim Museum, au média américain CNN. “Au fur et à mesure qu’il développait une composition, il peignait certains éléments ou les transformait en de nouveaux détails de composition. Et, très souvent, il laissait des aspects des compositions originales sous-jacentes qu’un spectateur qui regarderait de très près pouvait voir.” Aujourd’hui, le canidé n’est pas visible à l’œil nu, on le devine seulement sous une forme sombre indiscernable (un manteau sur une chaise ?).

Le chien reconstitué par les restaurateurs © Propriété de Picasso, 2023
Un chien qui prend un peu trop de place

Pourquoi Picasso a-t-il retiré le petit chien de sa composition ? Si les experts n’ont pas d’explication certaine, une des hypothèses de l’équipe du Guggenheim Museum serait qu’entre les robes, les hauts-de-forme en soie noire et les longs manteaux, l’animal de compagnie aurait volé la vedette aux figures du tableau. “Je ne suis pas sûr qu’un chien, et en particulier un chien de compagnie, ait un sens dans l’atmosphère sombre, malaisante et chargée d’érotisme que Picasso a si brillamment évoquée dans cette image”, décrit Tom Williams, professeur d’histoire de l’art à la Belmont University de Nashville, au New York Times. Quand Picasso débarque à Paris pour l’Exposition universelle de 1900, il n’a que 19 ans. Il découvre et peint alors une ville moderne et sa vie nocturne, dont ce lieu mythique de Montmartre, le bal public du Moulin de la Galette, qui a inspiré de nombreux artistes tels que Pierre-Auguste Renoir, Henri de Toulouse-Lautrec et Vincent van Gogh. Ginguette réputée au début des années 1830, elle est transformée dès 1890 en cabaret fermé. Picasso la représente en capturant un instant de cette société parisienne venue danser et se divertir le temps d’une soirée.

Un symbole du désir ?

Il n’était pas rare de croiser des chiens dans les lieux publics au début du XXe siècle. D’après le musée, le peintre espagnol aurait pu en profiter pour ajouter d’autres niveaux de lecture à son tableau. Ici, le chien symbolise-t-il peut-être la compagnie, le luxe voire le désir ? Toutefois, la lumière étant concentrée à l’avant-plan, l’être à poils long aurait détourné l’attention du spectateur. L’artiste a certainement préféré mettre en avant les figures en mouvement et l’espace de sa composition.

Quoi qu’il en soit, en plus de faire réapparaître toutes les subtilités de la toile, des textiles aux expressions, en passant par la touche du pinceau du jeune Picasso, cette restauration permet d’en découvrir toujours plus sur le processus créatif du maître de l’art moderne.

Agathe HAKOUN


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Propriété de Pablo Picasso


Plus d’arts visuels en Wallonie et à Bruxelles…

 

MYNCKE : South sea (2012, Artothèque, Lg)

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MYNCKE Charles, Man’s story
(impression numérique, 50 x 40 cm, 2012)

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myncke
Charles Myncke © be.linkedin.com

Charles MYNCKE est un jeune artiste belge issu d’Arts², l’école supérieure des arts de Mons. Il touche à plusieurs techniques artistiques : peinture, sculpture, installations, interventions de street art et impressions digitales. Il se distingue par une esthétique accessible, une thématique large, et une patte indéniable. Son travail se base en général sur un sujet concret et en travestit l’image, le code esthétique et le contexte afin d’ouvrir un miroir à deux sens sur une époque, une idée ou un thème. (d’après LESMUSEESDELIEGE.BE)

Cette impression laser est issue de la série Cover Myself, présentée notamment à la Biennale de la Gravure de Liège en 2015. Ici, Charles Myncke puise son inspiration dans les affiches des films américains de série B ou des couvertures de magazines d’aventures d’après-guerre. Il en reprend les compositions, les clichés et les slogans. Avec beaucoup d’humour, il reprend les codes de ces visuels rétro pour mieux les détourner : on retrouve dans chacune de ses images l’artiste lui-même, dans des autoportraits en pirate, aventurier, gangster ou témoin de scènes de crime, entouré de soldats, de bandits, d’indigènes de contrées lointaines, de robots futuristes et de femmes sexy caricaturales… Les images ainsi mises en scène, ces univers vintage et décalés donnent à voir le regard enjoué de l’artiste sur cette période, à moins justement que ces pastiches ne soient là que pour en suggérer l’actualité (d’après LESMUSEESDELIEGE.BE)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Charles Myncke ; be.linkedin.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

MAYER : Standby. Firat, Istanbul, Turquie (2013, Artothèque, Lg)

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MAYER Léa, Standby. Firat, Istanbul, Turquie
(monotype sur papier encadré, 15 x 19 cm, 2013)

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Léa MAYER (née en 1987) est diplômée de dessin de l’ENSAV La Cambre à Bruxelles en 2012 et vit à Bruxelles et Paris. Elle développe un travail autour des notions de perception, de connaissance et d’imagination dans notre quotidien. Le dessin sur différents supports, les installations dans l’espace et l’écrit lui servent pour étudier l’espace, le temps et les influences de notre histoire ou de notre éducation pour les appréhender. Chaque projet d’artiste est une recherche ouverte.

Je vis une longue plage, pas de sable, mais de petites galets charmants. La mer plate sent bon. La mer touche la terre par de petites vagues et j’écoute le bruit que font les pierres lorsque la vague les atteint et coule sur elles. Il y a de l’air frais résultant des pins et d’un soleil radieux “.

La série Standby porte sur les images hypnagogiques : celles auxquelles on pense avant de s’endormir, celles que l’on construit et que l’on imagine pour se détendre juste avant l’endormissement. Ces images m’ont intéressé car elles sont très intimes et je pense qu’elles révèlent beaucoup sur le pouvoir des images sur notre corps et notre esprit. J’ai donc demandé à des gens via des forums Internet de me décrire ces images (en particulier celles qui sont récurrentes). La langue d’échange se fait en anglais. S’ensuivent des tentatives de représenter ces descriptions, comme les possibilités sont multiples, les formats, supports, mediums, temps de réalisations sont diversifiés.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © leamayer.net | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

CORBISIER, Brigitte (née en 1946)

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[CENTREDELAGRAVURE.BE] Brigitte CORBISIER (Liège, 1946), diplômée de l’Académie royale des Beaux-Arts de la Ville de Liège, est graveur et plus récemment auteur d’animations vidéo où elle met en scène des gravures et croquis animés. Incisant le zinc, creusant le plexiglas, la pointe sèche est son instrument de prédilection, parfois combinée à l’aquatinte ou encore à la lino-gravure, rehaussée au carborundum, voire même retravaillée numériquement. Pour l’artiste, graver c’est avant tout l’attaque directe sur la plaque, la résistance du métal, le tracé qui forme une troisième dimension grâce aux barbes et offre sur l’impression papier une sensation presque tactile de relief.

Inspirée par la nature, et essentiellement la terre, c’est son jardin au quotidien qui s’illustre par étape dans ses œuvres. Fascinée par les insectes tels le vol d’une mouche, les déambulations d’une coccinelle ou le battement d’ailes d’une guêpe, elle reste émerveillée par la croissance de la végétation. C’est ainsi que fougères, scarabées, abeilles, rutabagas, fleurs de pavot ou encore champs de labours s’illustrent en noir et blanc.


REPÈRES Biographiques

Brigitte CORBISIER (née en 1946) est diplômée de l’Académie de Liège (graphisme, illustration, peinture et gravure) et de la FLU de Belgrade (spécialisation en gravure). De nombreuses expositions personnelles lui ont été consacrées depuis 1982 (Liège, Antwerpen, Verviers, Theux, Aachen, Hasselt, Marchin, Wégimont, Saint-Vith, Bruxelles) et elle a également participé à de multiples expositions collectives en Belgique ou à l’étranger : Liège (e.a. Dialogue avec les enfants du Togo ; Voix de Femmes…), Seraing, Bruxelles (groupe FLUX ; Atelier Ste-Anne), Alt-Hoesselt, Amay, Wégimont, Marchin (Vyle-d’Art), Liège-Aachen-Knokke-New-York (Drapeaux d’Artistes), Paris (Centre Wallonie-Bruxelles : Du dessin à l’animation du dess(e)in), Huy (Voa, Voa), Louvain-la-Neuve, Porto (7 graveurs liégeois), Cracovie, Frechen, Beius (RO), Lodz, Belgrade, Uzice, Trois-Rivières (CA)…

Détails de la série des “Grues” :

Détails de la série des “Graines” :

Détails de la série des “Ailes” :

Détails de la série des “Colorées” :


 

Brigitte Corbisier est également présente dans les collections d’œuvres empruntables à l’Artothèque de Liège ! Cliquez ici…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, partage, édition et iconographie | sources : centredelagravure.be ; collection privée de l’artiste | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Brigitte Corbisier.


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