TRIBUNE : Généralisons enfin l’Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle (E.V.R.A.S.)

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[LAICITE.BE, 05 juillet 2023] Les constats sont nombreux qui justifient la nécessité de généraliser une éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) de qualité auprès de tous les jeunes et les enfants. Aujourd’hui pourtant, on observe encore de grandes résistances face à l’Evras.

L’éducation relationnelle, affective et sexuelle est, depuis toujours, un sujet sensible, qu’il s’agisse de celle qui se fait à l’école ou dans les familles, de manière formelle ou informelle. Entre celles et ceux qui trouvent qu’on en dit trop, pas assez, pas correctement, ou encore pas au bon âge… des débats animés agitent les nombreux acteurs concernés. L’éducation sexuelle, qui existe depuis plus de 50 ans en Belgique, répond pourtant à des préoccupations sociales essentielles et à un enjeu de santé publique. La législature actuelle a vu la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Région wallonne et la Cocof vouloir garantir l’accès à l’Evras pour toutes et tous les élèves grâce à un Accord de coopération qui les engage. Le Conseil d’État vient de se prononcer positivement sur le projet. Tous les signaux sont donc au vert. Posons dès lors enfin les premiers jalons de la généralisation de l’Evras en milieu scolaire !

Historiquement, en Belgique, l’éducation sexuelle a été instituée pour répondre aux besoins de prévention liés aux infections sexuellement transmissibles (IST) ainsi qu’aux grossesses non-désirées. Au cours des années, les questions liées à la santé sexuelle et aux relations amoureuses ont évolué. L’éducation sexuelle s’est elle aussi adaptée afin de correspondre à ces changements importants de paradigmes, comme la dépénalisation partielle de l’avortement dans les années 90, la légalisation du mariage pour les homosexuels et homosexuelles en 2003. Aujourd’hui, d’autres enjeux sont enfin pris en considération : ceux du sexisme (60 % des jeunes Belges subissent des pressions pour se conformer à l’image stéréotypée de l’homme ou de la femme), des violences sexuelles (un ou une Belge sur deux a déjà été exposé à une forme de violence sexuelle), ou encore de l’inceste, de la pornographie, du harcèlement, des stéréotypes de genre, etc. Ces chiffres montrent que les jeunes sont, dans une grande majorité, susceptibles d’être un jour victimes de ces violences, et ce risque est d’autant plus important pour celles et ceux qui appartiennent à des minorités sexuelles ou de genre. Les jeunes bisexuel (le) s et homosexuel (le) s sont par exemple deux à dix fois plus souvent concerné(e) s par les violences intrafamiliales et 1/3 des jeunes transgenres évitent d’exprimer leur expression de genre (vêtement, coiffure, apparence, etc.) par peur des conséquences négatives.

Pour faire des choix libres et responsables

Ces différents constats, loin d’être exhaustifs, justifient déjà pleinement la nécessité de généraliser une éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras) de qualité auprès de tou (te) s les jeunes et les enfants. Cette Evras vise à les outiller pour qu’ils ou elles puissent facilement faire des choix responsables qui respectent leur intégrité, leur bien-être et celui des autres. Comme à son origine, l’Evras constitue une politique de prévention destinée à améliorer la santé publique, mais en élargissant ses domaines de compétences au-delà de la sphère de la santé purement physique. C’est d’ailleurs toute la révolution de l’Evras : une approche globale et positive du relationnel, de l’affectif et de la sexualité.

En permettant aux enfants et aux jeunes d’accéder à cette éducation au sein de leur parcours scolaire, l’Evras assure par ailleurs une mission d’égalité des chances : l’ensemble des enfants et des jeunes peut ainsi obtenir des réponses adaptées aux questions qu’ils et elles se posent. Comme sur les autres sujets, cette mission de l’école ne se substitue en aucun cas à l’éducation des parents : elle permet de compléter les informations données au sein des familles, d’offrir un espace de parole bienveillant aux enfants et aux jeunes et, dans certains cas, de dépasser les tabous qui survivent dans certaines familles, qu’ils soient d’origine générationnelle, religieuse, culturelle, etc.

© lesoir.be

Dans tous les cas, les thématiques abordées lors des animations Evras et la manière dont elles sont présentées doivent toujours être adaptées aux jeunes qui y prennent part : non seulement parce que les animateurs et animatrices professionnel (le) s adaptent leurs propos à l’âge des élèves à qui ils et elles s’adressent, mais surtout parce qu’ils et elles partent du questionnement des élèves pour construire les animations. Ainsi, celles-ci ne devancent jamais les questions qui ont émergé au sein du groupe ; même si certains sujets sont systématiquement abordés à titre de prévention, comme le harcèlement, les infections sexuellement transmissibles ou encore la contraception. Ces réponses vont d’ailleurs toutes dans le sens du bien-être physique et psycho-social des jeunes et, surtout, suivent les recommandations de référentiels nationaux et internationaux reconnus (notamment ceux de l’OMS, d’Amnesty International ou encore de Child Focus).

Aujourd’hui pourtant, on observe encore de grandes résistances face à l’Evras. Les objectifs d’autonomisation des jeunes, de réduction des inégalités et d’amélioration de la santé publique en matière de sexualité, qui en constituent le cœur, doivent pourtant nous rassembler autour de sa défense : parce qu’elle permet à toutes et tous d’opérer des choix libres et éclairés dans leur vie relationnelle, affective et sexuelle, dans le respect de soi et des autres. Parce qu’elle permet aux jeunes de s’outiller contre certaines violences, et aux animateurs et animatrices de repérer des situations problématiques. Mais aussi parce que la généralisation de l’Evras, telle que pensée aujourd’hui en Belgique, est une mission de protection de la santé et du bien-être de l’enfance ; une mission nécessaire et essentielle.

Signataires : FAPEO (Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel), CODE (Coordination des ONG pour les Droits de l’Enfant), Solidaris, Mutualité chrétienne, Child Focus, Susann Wolff, professeure de psychologie clinique à l’UCL et à l’ULB, Eveline Jacques, psychothérapeute, Amnesty, Prisme, Centre d’Action Laïque (CAL), CHEFF, Sofélia, Fédération des Centres de Planning et de Consultations (FCPC), Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familial (FCPPF), Fédération Laïque des Centres de Planning Familial (FLCPF), O’YES

Cette carte blanche a été publiée sur lalibre.be le 30.06.2023…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | source : laicite.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © NC ; © lesoir.be.


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NEEL, Alice (1900-1984)

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Alice NEEL (1900–1984) est l’une des artistes les plus radicales du XXe siècle. Fervente avocate de la justice sociale, de l’humanisme et de la dignité des personnes, elle se considérait elle-même comme une “collectionneuse d’âmes“. Ses œuvres expriment l’esprit d’une époque, l’intrahistoire d’un New York vu au travers du prisme de ceux et celles qui subissaient les injustices dues au sexisme, au racisme et au capitalisme, mais aussi des activistes qui les ont combattus. Cohérente avec son souci de démocratie et d’intégration, Neel a peint des gens de très différentes origines et conditions sociales.

Principale muse de l’artiste, New York offre la matière humaine d’un drame auquel Neel participe et qu’elle commence à refléter dans son travail au début des années 1930. Les grands bouleversements du XXe siècle, comme par exemple la grande Dépression, les guerres successives, la montée du communisme et des mouvements féministes et des droits civils, traversent son travail de la façon la plus diverse. Neel aborde les différents genres artistiques avec le même regard incisif et plein d’empathie, qu’il s’agisse de portraits, de paysages urbains ou encore de natures mortes. Elle appréhende l’âme d’êtres animés et inanimés, mais surtout la nôtre lorsque nous sommes confrontés à son oeuvre et à sa vie de lutte constante, avec sa remise en cause franche et sans détour, avec perspicacité et naturel, de toutes les conventions. (d’après GUGGENHEIM-BILBAO.EUS )


Avec la rétrospective Alice Neel, ce qu’ouvre la Fondation Van Gogh à Arles {en 2017}, c’est une boîte de Pandore picturale, que des générations de conservateurs et de critiques d’art avaient fermée à double tour, snobant les toiles figuratives de cette artiste américaine née en 1900 et morte en 1984, qui rata consciencieusement tous les trains de l’abstraction (expressionniste, minimale) pour rester ancrée dans le genre du portrait humain, trop humain. Surgissant quasiment de nulle part, ex nihilo, Alice Neel étale à leur surface pas seulement de la peinture mais aussi des corps, des attitudes, des caractères, des états d’âme, des conditions sociales, des difficultés à vivre, voire à survivre, la fierté ou la peine, la maladie ou la grossesse. Cette faculté à observer et à dépeindre toutes les strates de la société américaine, tous les êtres et tous les âges de la vie, incita un des rares critiques américains qui contribua à la sortir du placard, au début des années 70, à comparer cette œuvre immense à la Comédie humaine de Balzac.

Sauf qu’on doute qu’Alice Neel ait jamais eu un plan général d’action tant son style varie et tant ses débuts paraissent hésitants et contrariés par un premier mariage qui tourne mal. Elle perd un enfant en bas âge, puis sa deuxième fille emmenée à La Havane par son père cubain. A bout de nerfs, à bout de forces, Alice Neel sombre dans la dépression et fait un séjour en hôpital psychiatrique. Ses toiles du début des années 30 sont imprégnées de visions ésotériques à l’image de la Madone dégénérée, femme aux seins pointus et au teint gris cadavérique, affublée d’un enfant tout chauve, hydrocéphale et à qui des bâtonnets en guise de gambettes filent un air de marionnette. On dirait un Hans Bellmer ou la créature de Roswell. Même rencontre du troisième type dans cette toile où une espèce de fétiche terreux et désarticulé est chargé d’objets à la symbolique plus ou moins souterraine (une croix, des pommes et un gant trop grand à la main droite).

Alice Neel abandonne assez vite ces incongruités surréalisantes au profit d’une veine réaliste et de face-à-face avec des modèles masculins encore impassibles, pas encore percés à jour. La palette elle-même s’ombrage de couleurs ternes. Ça ne brille pas, ça ne passe pas. Sauf quand la peintre déshabille les femmes, à commencer par Ethel Ashton, portraiturée depuis un point de vue en surplomb qui exagère la volupté crue des chairs, des seins et des replis du ventre de sa colocatrice d’atelier. Une toile pionnière dans la représentation de la féminité rompant avec les canons imposés par le regard des artistes masculins. Y fera écho, trente ans plus tard, en 1964, le Nu de Ruth, où la modèle, alanguie mais pas charmeuse, pas poseuse, indolente, opulente, marques de bronzage apparentes, laisse voir sa vulve béante entre ses cuisses relevées.

Tout montrer implique, aux yeux d’Alice Neel, de faire remonter les bas-fonds et le petit peuple de Spanish Harlem où elle emménage dans les années 30 en pleine crise économique. Elle-même ne roule pas sur l’or. Elle bénéficie alors d’un programme de la WPA (la Work Progress Administration, une agence de relance de l’économie qui finance les emplois de chômeurs, artistes compris) et appréhende le genre du portait à travers ses vertus sociales, voire sociabilisante. Les immigrés latino-américains et portoricains, les écrivains noirs ignorés de l’intelligentsia, les militants communistes (dont elle est proche), les petites frappes dont la rue est le royaume, la mère de famille qui peine à élever ses enfants entrent dans le cadre de la peinture. Même s’ils y tiennent à peine – les formats de cette période restant fort modestes, les corps sont parfois tronqués -, ces invisibles quittent l’ombre.

Alice Neel, Nancy et Olivia (1967) © Succession Alice Neel

Failles psychologiques

En revanche les autres, les gens de pouvoir, prennent cher. Telle cette McMahon, austère comptable des pensions des artistes, portraiturée en sorcière alcoolique, yeux cernés, bras squelettique terminé par une main schématique (on compte quatre doigts) avec laquelle elle se gratte la joue jusqu’à s’arracher la peau, révélant une âme noire de suie. Même tarif pour une galeriste adepte de l’abstraction rendue sous les traits d’une espèce de bécasse, tête minuscule emmanchée d’un cou cylindrique et affublée d’une paire de seins dont la rondeur ridicule est surlignée de traits rageurs.

C’est à partir de 1962, à la faveur de premiers articles élogieux, d’un déménagement dans un atelier plus lumineux, et parce que ses deux garçons ont quitté le cocon familial, qu’Alice Neel va droit au cœur de ses sujets et les perce à jour magnifiquement. A partir de là, ses chefs-d’œuvre se ramassent à la pelle. Qu’est-ce qu’elle a fait ? Le plus dur : elle a élagué. Elle a pris le vide de la toile et les failles psychologiques de ses modèles. Ses fonds sont à peine peints, la toile reste en réserve et même les corps ne sont pas finis. Plus besoin de tout remplir, plus besoin de contours nets, il faut au contraire que ça divague, que ça tremble, que ça tombe en morceaux, que ça tire à hue et à dia, exactement comme font les hommes et les femmes pour tenir le coup, pour s’affirmer et être reconnus pour ce qu’ils sont. Elle fraye alors beaucoup avec les jeunots de la Factory.

Elle a plus de 60 ans quand elle peint Gerard Malanga et surtout Jackie Curtis, une des superstars de Warhol, auteur de théâtre et chanteur de cabaret, travesti, au style glamour et trash (rouge à lèvres vif et bas déchirés) – ce Jackie qui «pensait être James Dean pour un jour», tel que le chanta Lou Reed dans Walk on the Wild Side. Elle le peint dans une attitude de fauve prêt à bondir, s’avançant vers le spectateur, tandis que son copain, Ritta Red, paraît à ses côtés un petit enfant timide. Réalisé en 1970, un an après les émeutes de Stonewall, marquant le début du militantisme gay et lesbien, ce portrait de couple qui cultive à merveille l’ambiguïté des sexes résonna à l’époque comme un manifeste de la cause homosexuelle.

La Fondation Van Gogh place en ligne de mire un portrait du même Jackie mais sans son costume ni son maquillage. Ainsi remasculinisé, si on peut dire, le type est moins à l’aise, plus à l’étroit dans son fauteuil. Preuve de quoi ? Qu’Alice Neel faisait ce qu’elle voulait de ses modèles. Ce dont témoigne l’un d’eux, le réalisateur Michel Auder, qui se souvient qu’elle “prévoyait tout et se faisait un scénario” qu’il ne s’agissait pas de détricoter une fois qu’elle lui avait lancé : “Tu vas te mettre dans ce fauteuil parce que c’est là que ton corps doit être.”

C’est ainsi qu’elle a dû s’adresser à Warhol qu’elle accepte finalement de peindre en 1970, deux ans après que Valerie Solanas lui a tiré dessus. Les yeux clos, le thorax suturé des cicatrices laissées par son opération, le poitrail flasque, le roi des superficialités pop ferme les yeux et croise les mains dans une attitude d’apaisement. Pas poseur, il semble méditer, voire léviter, grâce notamment à ce halo bleu pâle derrière lui. Ces légers à-plats de couleurs, ces ombres portées sur la peau ou autour des personnages, l’artiste les glisse aussi sur les corps des femmes enceintes et ceux boursouflés des nourrissons hébétés qu’on retrouve tout au long de l’expo. Or, ces zones-là, pour réalistes qu’elles soient, figurant la fatigue ou la maladie frappant le modèle, marquent aussi finalement l’espace propre du travail pictural, une autonomie de la peinture, quelque chose de paradoxalement plus abstrait. (d’après LIBERATION.FR)


Alice Neel © awarewomenartists.com
Alice Neel, un regard engagé

Précurseure d’une approche intersectionnelle, la peintre américaine Alice Neel, disparue en 1984, a toujours su lier la cause de la femme à la question des origines et de la classe sociale. Reportée, la rétrospective-événement consacrée à l’icône du féminisme aura bien lieu en 2022. Retour avec Angela Lampe, commissaire de l’exposition, sur le parcours d’une artiste farouchement indépendante, source d’inspiration pour nombre d’artistes, dont Robert Mapplethorpe, Jenny Holzer ou encore Kelly Reichardt :

“La décision n’était pas facile à prendre. Au beau milieu des ultimes discussions sur la couverture du catalogue le verdict est tombé : nous serons confinés. Cela faisait presque deux ans que nous travaillions sur ce projet passionnant – une importante présentation d’une des figures majeures de l’art nord-américain : l’extraordinaire peintre Alice Neel (1900-1984). L’exposition qui, pour la première fois, aurait mis en lumière son engagement politique et social était prévue à partir du 20 juin 2020. Tout était prêt, les œuvres accordées, une belle scénographie conçue, textes et cartels écrits et les modalités de transport bouclées. Mais l’évolution de la situation sanitaire nous permettrait-elle d’inaugurer l’exposition à la date annoncée ?

Au fil des semaines et de leur lot de mauvaises nouvelles, provenant notamment des États-Unis, où se trouvait la majorité des prêts, la confiance s’effritait. Fin avril 2020, il fallait nous rendre à l’évidence : la réalisation du projet était impossible cet été. Il fallait donc trouver un nouveau créneau ce qui, dans un contexte en constante évolution, relevait d’une gageure. La confirmation des dates de la rétrospective majeure que le Metropolitan Museum de New York dédierait à Alice Neel au printemps 2021 – la consécration absolue pour une artiste femme longtemps ignorée de son vivant – nous a permis de trancher. En raison des deux étapes suivant la présentation new-yorkaise, nous avons dû reporter notre projet à l’automne 2022, avec l’idée de le présenter tel qu’il était initialement conçu. Mais que faire du catalogue sur le point de partir à l’impression ? Stopper tout ou le publier deux ans avant l’arrivée des œuvres et le démarrage de la campagne de communication ?

Tout au long de sa vie, cette femme radicale, membre du parti communiste, ne cesse de peindre les marginaux de la société américaine, ceux et celles qui sont écartés en raison de leurs origines, la couleur de leur peau, leur excentricité, leur orientation sexuelle ou encore de la radicalité de leur engagement politique.

Une décision dure à prendre… mais notre envie, attisée par le contexte politique actuel, nous a conduits à prendre le risque de publier le catalogue comme prévu cet été. Dans cette période trouble où la vie des autres, celle des gens de couleur, de minorités et d’émigrés semble moins compter, Alice Neel a un mot à dire. Tout au long de sa vie, cette femme radicale, membre du parti communiste, n’a cessé de peindre les marginaux de la société américaine, ceux et celles mis à l’écart en raison de leurs origines, la couleur de leur peau, leur excentricité, leur orientation sexuelle ou encore la radicalité de leur engagement politique. Même si, grâce à une notoriété grandissante à partir des années 1960, Neel élargit le spectre de ses modèles aux milieux plus favorisés, elle reste toujours fidèle à ses convictions de gauche. Quelques semaines avant sa mort, la peintre déclare : « En politique comme dans la vie, j’ai toujours aimé les perdants, les outsiders. Cette odeur de succès, je ne l’aimais pas. » ” (d’après CENTREPOMPIDOU.FR )

  • image en tête de l’article : Alice Neel, “Julie enceinte et Algis” (1967) © Succession Alice Neel.

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Succession Alice Neel ; awarewomenartists.com


CERNA : Pas dans le cul aujourd’hui (1962)

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“Tiré d’un poème de l’auteure, ce titre souligne à la fois la charge érotique du texte et la rébellion extraordinaire d’une femme face à l’ambiance étouffante en Tchécoslovaquie d’après-guerre. Probablement écrite en 1962, cette lettre est un véritable manifeste pour la liberté individuelle.

Dans les années qui précèdent le Printemps de Prague, Jana Černá livrait dans cette lettre à Egon Bondy sa volonté de révolutionner les codes de conduite, de rechercher de nouveaux possibles dans la vie privée, les rapports sentimentaux et la sexualité. En refusant de se soumettre à la primauté masculine, elle affirme aussi son souhait d’une sexualité non séparée des sentiments et de l’activité intellectuelle.

Dotée d’une personnalité hors du commun, Jana Černá fascinait son entourage par sa vitalité et son audace. Plusieurs fois mariée et mère de 5 enfants, elle n’a exercé que des emplois occasionnels tels que femme de ménage, contrôleuse de tramway etc. Marginalité et rejet de tout conformisme social, langagier ou politique semblent avoir été ses maîtres mots.

Cette lettre débarrassée de toutes conventions, au ton libre et spontané, est d’une étonnante modernité.

ISBN 9782917817278

Jana Černá fréquente Egon Bondy, auteur mythique en Tchéquie, spécialiste des philosophies orientales, mais aussi auteur des textes des Plastic People of the Universe, le groupe de rock symbole de la rébellion des années 70. Tous deux font partie de la culture clandestine de Prague avec Bohumil Hrabal, l’un des plus importants écrivains tchèques de la seconde moitié du XXe siècle. Ils ont publié leurs écrits sous forme de Samizdat (système de circulation clandestine d’écrits dissidents en URSS et dans les pays du bloc de l’Est) jusqu’à la chute du communisme. Jana Černá collaborera à différentes publications de cette mouvance, sous divers pseudonymes (Gala Mallarmé, Sarah Silberstein) ainsi que sous son nom de Jana Krejcarova.” [Myriam Leroy sur RTBF.BE]

  • CERNA Jana, Pas dans le cul aujourd’hui (4ème éd., Lille : La contre allée, 2014) – ISBN 9782917817278 ;
  • L’illustration de l’article montre Jana Černá et Egon Bondy dans les rues de l’époque (1950-60).

Jana Černá (Honza, “Jeannot”, pour sa mère) est née à Prague en 1928, fille de l’architecte avant-gardiste J. Krejcar et de Milena Jesenská (la célèbre Milena de Kafka, journaliste et résistante, emprisonnée en août 1939 et morte à Ravensbrück). Confiée à son grand-père, Jana a suivi des études secondaires, puis artistiques. Elle a très vite choisi la vie de bohème et n’a jamais exercé d’emploi stable, exerçant des activités occasionnelles telles que femme de ménage, contrôleuse de tramway, aide-cuisinière. A la mort de son grand-père en 1947 elle s’est trouvée à la tête d’un vaste héritage qu’elle n’a pas tardé à dilapider. Plusieurs fois mariée et mère de 5 enfants, elle a fréquenté les milieux littéraires de la mouvance surréaliste et underground et collaboré à différentes publications de cette mouvance, sous divers pseudonymes (Gala Mallarmé, Sarah Silberstein) ainsi que sous son nom de Jana Krejcarova. Marginalité et rejet de tout conformisme social, langagier ou politique semblent avoir été ses maîtres mots. Vers la fin de sa vie elle se consacre à la création de céramiques. Elle meurt en 1981 dans un accident de la circulation. Le philosophe Egon Bondy, dans la vie de qui elle est restée profondément ancrée, a écrit le jour de son enterrement : “On l’enterre en ce moment et moi je suis si loin, assis dans une ville glacée où personne ne sait qu’elle a été ce que l’homme peut atteindre de plus grand.” [infos éditeur]


La lettre érotique de Jana Černá à Egon Bondy, une métaphore du féminisme…

« Pas dans le cul aujourd’hui ». Derrière ce titre provocateur, extrait d’un poème de l’écrivaine tchèque Jana Černá, se cache une lettre d’amour passionnée et sans retenue qu’elle a écrite à son amant Egon Bondy au début des années 1960, et publiée en français en 2014 aux éditions La Contre Allée. Dans ce texte d’une centaine de pages, la fille de Milena Jesenská clame son désir à l’homme qu’elle aime, entremêlant considérations philosophiques et descriptions crues de ses fantasmes. Rebelle à tout conformisme, Jana Černá y affirme sa liberté totale de femme désirante et son refus de dissocier le corps et l’intellect. Pour évoquer ce texte, Radio Prague Int. a interrogé l’éditrice du texte, Anna Rizzello, qui a rappelé comment elle l’avait découvert.

Anna Rizzello : “J’ai découvert la lettre il y a très longtemps, une vingtaine d’année environ, en Italie. J’ai vu ce texte dans une librairie de Turin. C’était donc une traduction italienne. Ce n’était pas tout à fait le même texte que nous avons publié, mais c’était le même titre. Dans cette traduction italienne, il y avait ce texte et plusieurs de ses poèmes que nous n’avons pas reproduits dans notre édition.

Et l’envie est venue un jour de publier ce texte en français…

A.R. Entre les deux, j’ai déménagé en France. Ce texte m’a suivi, il était toujours dans ma bibliothèque. En 2013, j’ai organisé avec une amie un festival de littérature, appelé Littérature etc. C’était la première édition dont le thème était l’amour. En réfléchissant à des textes qui pourraient intégrer cette programmation. J’ai parlé de ce texte que nous avons traduit à deux, en faisant quelque chose d’un peu bâtard, pas forcément final. Cette traduction devait servir pour une lecture dans le cadre du festival. Je travaillais déjà aux éditions de la Contre-Allée, et la maison a bien voulu le publier. On a confié la traduction à Barbora Faure. Il y a donc eu plusieurs phases qui se sont terminées par la publication de la lettre un an après le festival, en 2014.

Il faut expliquer en quelques mots de quoi il s’agit. C’est une lettre d’amour très érotique, sans concessions, et en même temps qui est traversée de réflexions philosophiques. Tout est entremêlé. Pourriez-vous nous en dire plus ?

A.R. Effectivement ce qui est frappant, toujours aujourd’hui, et unique dans ce texte et dans le ton, c’est cet entrelacs de différentes choses. Il y a les aspects plus personnels, très émotifs. C’est une lettre d’amour que Jana Černá écrit à son amant en 1962. Ce n’était pas un texte destiné à la publication alors que par ailleurs elle était écrivaine. Ce texte était véritablement une lettre personnelle, intime. Elle est chez elle, le soir, elle ne savait pas forcément, en commençant à écrire, où cela la mènerait. Finalement, dans cette lettre, on croise tout : ce qu’est, pour elle, la relation amoureuse qui doit comprendre aussi bien un lien très fort au niveau intellectuel et sexuel. Tout ce qu’elle entend par poésie, philosophie et littérature est quelque chose de très concret en fait. C’est ce qui est beau, selon moi : c’est quelque chose qui, pour elle, est très lié au quotidien. La philosophie et la poésie ne vivent pas dans les bibliothèques ni les livres. Elles vivent dans la rue, dans les conversations avec les gens et dans la réalité. Je trouve cela très fort, d’autant plus que Jana Černá incarnait cela dans sa vie.

Ce n’est donc pas seulement un texte théorique, mais totalement incarné par elle. C’est pour cette raison que la lettre est si singulière aussi. C’était quelqu’un d’exceptionnel qui a eu une vie incroyable : elle a fait pleins de métiers différents, femme de ménage, poinçonneuse, elle a eu plusieurs enfants qui lui ont été enlevés parce qu’elle ne pouvait pas s’en occuper. C’était la fille de Milena Jesenská donc elle vient d’un milieu familial où plusieurs cultures se mêlaient. Elle ne sort pas de nulle part non plus. Dans sa lettre, elle développe quelque chose que l’on peut qualifier de philosophique même s’il n’y a rien de systématique ou de dogmatique. Le texte a été écrit en 1962 mais il me semble qu’il n’a pas pris une ride, que ce soit au niveau du vocabulaire que des thématiques. Cela reste encore tabou de dire des choses comme celles-ci et de cette façon.

Il faut en effet rappeler que Jana Černá est la fille de Milena Jesenská, mondialement connue pour avoir correspondu avec Franz Kafka, même si elle n’est pas du tout réductible à cette correspondance. C’est une journaliste, une grande figure de l’antinazisme dans la Tchécoslovaquie de l’entre-deux-guerres, elle a été résistante et a fini sa vie à Ravensbrück en 1944. Peut-on dire que cette sorte d’esprit rebelle de Jana Černá est un héritage de sa mère ?

A.R. Oui. D’ailleurs Jana Černá a écrit un livre magnifique sur sa mère, Vie de Milena, que nous avons également publié. Là aussi, il s’agit d’une biographie pas du tout conformiste dans le ton. Elle relate pleins de faits qui finalement donnent une profondeur et une richesse à la vie de sa mère. Elle s’inscrit aussi dans cette tradition-là de la rébellion, de l’anticonformisme et de la justice. Ce n’était pas de l’anticonformisme juste pour être anticonformiste. C’était quelque chose qui a à voir avec cette idée de justice très forte et très ancrée en Milena. Elle en est d’ailleurs morte et cette idée est clairement inscrite dans sa fille.

Dans l’introduction du livre, vous dites que cette lettre est une métaphore du féminisme. En quoi ?

A.R. C’est quelque chose que je pense personnellement. Je ne suis pas sûre que Jana Černá se serait reconnue dans cette affirmation. Je ne veux pas parler à sa place. Il s’agit de ma lecture. Mais pour tout ce que nous venons d’évoquer, oui, je pense qu’il y a quelque chose qui préfigure le féminisme, bien avant 1968, à travers cette liberté de ton vis-à-vis de la sexualité, de la façon dont elle l’envisage et dont elle vit au quotidien. Pour elle, il n’y a pas de hiérarchie dans le couple, elle assume pleinement son désir, sa sexualité et la façon dont elle veut la vivre. C’est extrêmement novateur pour l’époque cette affirmation du désir féminin. Effectivement, c’est un prélude aux revendications qui seront sur le devant de la scène en 1968 et dans les années 1970 avec le mouvement féministe.

Et peut-être même par rapport à notre période actuelle. La lettre est sortie en français en 2014. Aujourd’hui, le féminisme connaît, sous diverses formes, un véritable regain. Le texte est aussi en résonnance avec des affirmations féministes actuelles…

A.R. Absolument. C’est pour cela que ce texte continue d’être lu, six ans après sa publication. Il continue à circuler. Nous recevons encore beaucoup d’échos de libraires, de lecteurs… Il résonne très fort avec le contexte actuel. Les choses évoluent, mais il y a aussi des retours en arrière par rapport au désir féminin, au consentement, et à toutes ces questions. Ce texte-là n’est pas une réponse, mais plutôt quelque chose qui peut toujours nous éclairer. C’est ainsi qu’on devrait vivre sa propre sexualité et c’est ainsi qu’elle devrait aussi être perçue du point de vue masculin. C’est aussi cela qui est intéressant : c’est une femme qui écrit, mais elle s’adresse à un homme. D’ailleurs, en France, on a reçu beaucoup d’échos de la part d’hommes, ce qui est rare pour un texte de ce type. Souvent, ce sont des femmes qui s’expriment, mais là, c’était aussi beaucoup les hommes. Je pense que ça fait du bien aux hommes aussi de lire un texte comme celui-ci !

Rappelons dans quel contexte la lettre est écrite. On est dans les années soixante. On est avant la libéralisation du Printemps de Prague qui est un peu plus tardive, mais il y a ces cercles underground autour de son amant Egon Bondy et d’autres écrivains tchèques. Il y a tout de même un vrai bouillonnement intellectuel et artistique à cette époque-là…

A.R. Tout à fait. Bohumil Hrabal faisait également partie du cercle de ses amis. Jana Černá s’inscrivait vraiment dans cette avant-garde, avant le Printemps de Prague. Elle écrivait, mais il y avait deux types d’écriture chez elle : les livres qui passaient la censure, qu’elle publiait sous nom et dont elle n’était pas très fière, et il y avait les vrais textes littéraires qui étaient publiés en samizdat, lus par ses amis, par Bondy, Hrabal et les autres. Elle à la fois vécu et contribué à cette effervescence de l’époque.

Dans ce texte, le langage est extrêmement cru, mais pas une seconde on a l’impression que c’est vulgaire. Un vrai tour de force !

A.R. Oui, c’est vrai. C’est ce que j’ai ressenti, de même que tous les lecteurs et les lectrices. Ce n’est pas vulgaire du tout. Ce n’est pas seulement le fait qu’elle soit une grande écrivaine, mais c’est aussi une question de sensualité, de sentiments. Ce qu’elle exprime dans cette lettre est totalement sincère, elle ne cherche pas à choquer. Elle ne fait pas de la provocation facile, elle dit les choses comme elle les pense. Ce n’est jamais vulgaire parce que c’est juste l’expression de quelque chose de très profond qui ne cherche pas à choquer, et a fortiori pas Egon Bondy ! Il en a certainement vu d’autres… Il faut garde cela en tête aussi. C’est un écrit intime pour quelqu’un qui la connaît. Dès lors, cette sensualité-là passe sans problème. »

Anna Kubišta [Radio Prague International, 8 août 2020]


S’engager plus avant…

Toute sexualité est harcelante. Celle des hommes comme celle des femmes

Temps de lecture : 5 minutes >

“Spécialiste de l’intimité masculine, le psychanalyste Jacques ANDRE explique pourquoi pouvoir rime souvent avec harcèlement. Il dit aussi comment l’inconscient, politiquement incorrect, reste imperméable au raisonnement

Harvey Weinstein, Tariq Ramadan et, ces jours, près de chez nous, le conseiller national démocrate-chrétien Yannick Buttet. Trois hommes de pouvoir à qui la carrière sourit, ou plutôt souriait, avant que leur profil de prédateurs sexuels ne soit dévoilé.

Mais comment, se demande-t-on, comment des êtres programmés pour le succès et qui ont tant travaillé pour atteindre le sommet peuvent-ils prendre le risque de tout perdre en se rendant coupables de harcèlement? Est-ce que la réussite joue un rôle dans cet appétit de domination? Et, si tout se passe au-delà de la raison, quelle pourrait être la solution pour diminuer le nombre de ces mufles qui confondent pouvoir et droit de cuissage?

Le psychanalyste Jacques André, auteur de La Sexualité masculine, répond, mais n’est pas très optimiste. Car, dit-il, “l’inconscient est politiquement incorrect et la sexualité fondamentalement harcelante“.

Le Temps: Jacques André, comment expliquer que réussite professionnelle rime souvent prédation sexuelle?

Simplement parce que tout pouvoir est affaire d’érection. Regardez le poing levé des anarchistes ou le salut des fascistes. Chaque fois, l’expression d’une puissance collective prend les traits phalliques d’un pénis au garde-à-vous. Il y a une complicité profonde, une continuité entre sexe et pouvoir. Et cette complicité s’exerce aussi lorsque l’ascension est individuelle. Un homme qui gagne, ce n’est pas un homme qui sacrifie sa libido pour obtenir ce qu’il convoite. C’est un homme dont la libido est stimulée par sa réussite.

D’accord pour les pulsions, mais la raison ne devrait-elle pas dicter à ces winners souvent brillants un comportement qui les protège de la disgrâce collective?

Bien sûr, sauf que la raison est congédiée dans ce genre d’exercice ! L’inconscient ne connaît pas de limite et ignore totalement les précautions. On se souvient de DSK et de son avenir tout tracé pour devenir président de la République française. Au moment où ce politicien de talent trousse les femmes de chambre dans les grands hôtels, il n’est pas l’homme public, mais un pervers soumis à la réalisation de son fantasme. A ses propres yeux, dans ces instants-là, il est tout-puissant, au-dessus de la loi, inaccessible.

Depuis trente ans que je fais ce métier de psychanalyste, j’ai connu des femmes qui, publiquement, se battaient pour la parité et le respect entre les sexes et qui, dans le secret de l’alcôve, avaient besoin d’être humiliées pour avoir du plaisir.

On parle aussi d’autodestruction inconsciente pour ces géants qui dressent eux-mêmes le piège se refermant sur eux. Quel est votre point de vue?

Il y a bien sans doute une pulsion destructrice dans leurs actes. De toute manière, toute sexualité est harcelante. Dans tout acte sexuel cohabitent la jouissance et la violence. Ce sont les deux faces de la même pièce. Et c’est vrai pour les hommes comme pour les femmes. Depuis trente ans que je fais ce métier de psychanalyste, j’ai connu des femmes qui, publiquement, se battaient pour la parité et le respect entre les sexes et qui, dans le secret de l’alcôve, avaient besoin d’être humiliées pour avoir du plaisir.

Comme un hiatus entre leurs convictions et leurs fantasmes?

Exactement. Je me souviens par exemple d’une militante féministe convaincue qui racontait ne jouir vraiment que lorsqu’elle couchait dans des hôtels glauques, assouvissant ainsi un fantasme de prostitution. Dans cette période de redressement de torts, on oublie souvent que la sexualité des femmes n’est pas plus politiquement correcte que celle des hommes. Si les cas de harcèlement sexuel sont majoritairement masculins, c’est simplement parce que lorsqu’un homme abuse d’une femme, il est en train de vérifier la puissance de sa sexualité. A ce titre, on pourrait dire que la fragilité de l’érection est le problème de l’humanité depuis la nuit des temps. Les inquiétudes sur la virilité ont l’âge de la virilité.

Sauf que tous les mâles ne sont pas des agresseurs, et de loin! Beaucoup d’entre eux disent que tout homme peut se retenir et que, partant, l’abus est un choix…

Je trouve cette déclaration d’une naïveté touchante. Si les êtres humains étaient égaux face aux pulsions, ça se saurait ! Certains individus ont un ego bien construit, qui fait parfaitement la différence entre le dedans et le dehors, le permis et l’interdit, et qui a intégré ce principe selon lequel la liberté de l’un s’arrête là où débute celle des autres. Ce n’est pas la volonté des êtres tempérés qui leur permet de résister, mais la qualité de leur personnalité psychique et la réussite du refoulement. Les harceleurs sont des hommes chez qui l’ego mal fini provoque un manque chronique de sécurité. Ils ont beau multiplier les signes extérieurs de succès, leur intérieur reste tragiquement inquiet et soumis à la vie pulsionnelle.

Dans le cas qui occupe la Suisse romande, ces jours, le politicien incriminé est originaire du Valais, canton catholique et conservateur. Un élément déterminant ?

Et comment ! Le catholicisme est la religion qui a le plus sexualisé le péché. Avec l’idée de la faute originelle, ce sont 2000 ans de relations extrêmes à la sexualité qui ont été dictées. Un mélange de haine totale et de sidération totale. Avec, évidemment, comme conséquence, un refoulement violent pour les pratiquants les plus clivés. Dois-je vous parler de la pédophilie en milieu clérical pour vous convaincre ?

Et l’alcool? Peut-il être la cause de débordements sexuels?

Non. L’alcool est un symptôme, jamais une cause. Il désinhibe le consommateur, mais ne transforme pas le «moi». Il peut faciliter le passage à l’acte, mais pas l’expliquer.

Quelle solution collective peut-on apporter à ce syndrome du harcèlement?

Il y a déjà l’action judiciaire et répressive. Ce n’est pas une solution en profondeur puisqu’elle vient de l’extérieur, mais elle a l’avantage de marquer une limite. Tel sénateur était bien connu pour pincer allègrement les fesses des dames dans les couloirs du Sénat sans avoir jamais été inquiété, quelques gifles mises à part. La différence, aujourd’hui, c’est que “qui pince paie” ou est susceptible de payer.

Et, plus en profondeur, comment agir sur ce fameux inconscient politiquement si incorrect?

Sur le plan collectif, on peut contrer cet inconscient dominant à travers la démocratisation des pratiques, ce qui est déjà en cours. Avec l’avènement des nouvelles manières d’être en couple et d’être parents, la société élargit ses possibles et agit sans nul doute sur les sources collectives de l’inconscient, ce qui modifie la place de l’homme alpha. Il est possible que petit à petit, l’inconscient individuel se transforme au gré de ces changements collectifs, mais ça reste un changement très relatif. Il n’y a pas de traitement social de la part la plus sauvage de la vie sexuelle.

Comment expliquer cette chasse aux harceleurs qui saisit le monde occidental?

© JF Robert

Elle est liée à la libération d’une parole publique des femmes et c’est une bonne chose. Mais c’est aussi une immense hypocrisie. Car si l’on voulait vraiment respecter la gent féminine, on cesserait séance tenante le commerce des films pornographiques qui, à 90%, montrent des femmes en situation de soumission. La masturbation de l’homme seul devant son écran lui permet de maintenir une domination que la réalité sociale lui refuse. C’est sans risque pour lui. Avec cette vague de dénonciations et ce climat de méfiance, la vapeur ne va pas s’inverser. On peut dire adieu à la drague spontanée, ce qui est bien dommage. Elle va être très certainement remplacée par la rencontre en ligne qui permet à chacun de se protéger.”


Plus de presse…

BRADBURY : Sauvage (2019)

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Il fut un temps où écrire “Femmes qui courent avec les loups” était une nécessité, car elles étaient nombreuses, celles qui avaient oublié leur héritage de sang et de puissance, leur connaissance intime de la rivière sous la rivière. Du coup, la psychanalyste et conteuse Clarissa Pincola Estés s’était fendue en 1996 d’un ouvrage fort utile, compilant 20 ans de recherche dans près de 500 pages, truffées de contes intrigants pour les femmes de l’époque, de légendes nées de la forêt ou du désert qu’elle connaît bien (elle est Mestiza Latina : métisse née d’un couple amérindien / hispano-mexicain), d’histoires collectées dans le monde entier et de rappels flamboyants à cette nature instinctive de la Femme que bien des couches de civilisation et d’oppression, voire… d’autocensure, ont hélas recouverte.

Il y a eu un avant, il y a eu un après

Après l’après (qui restait encore un temps où l’engagement pour la libération de la femme était d’actualité), il y a eu des jeunes auteures, fortes du combat de leurs mères (quelquefois accompagné par leurs pères, d’ailleurs), qui avaient intégré dans leur écriture cette puissance de la femme, où celle-ci n’était plus une question à débattre et illustrer mais, déjà, un ressort naturel de la narration. Sauvage (Paris, Gallmeister, 2019) est un de ces livres rafraîchissants, postérieurs (ou étrangers) à ces combats, un roman d’après-guerre… des sexes.

Rafraîchissant‘ est par contre le pire terme pour évoquer ce roman initiatique, irrésistible de suspense et de densité sombre : “À dix-sept ans, Tracy Petrikoff possède un don inné pour la chasse et les pièges. Elle vit à l’écart du reste du monde et sillonne avec ses chiens de traîneau les immensités sauvages de l’Alaska. Immuablement, elle respecte les trois règles que sa mère, trop tôt disparue, lui a dictées : «ne jamais perdre la maison de vue», «ne jamais rentrer avec les mains sales» et surtout «ne jamais faire saigner un humain». Jusqu’au jour où, attaquée en pleine forêt, Tracy reprend connaissance, couverte de sang, persuadée d’avoir tué son agresseur. Elle s’interdit de l’avouer à son père, et ce lourd secret la hante jour et nuit. Une ambiance de doute et d’angoisse s’installe dans la famille, tandis que Tracy prend peu à peu conscience de ses propres facultés hors du commun.” (source : Gallmeister)

Pour en savoir plus, lire tu dois…


© Brooke Taylor

Comme l’écrit son éditeur Gallmeister : “Jamey Bradbury est née en 1979 dans le Midwest et vit en Alaska depuis quinze ans. Elle a été réceptionniste, actrice, secouriste et bénévole à la Croix Rouge. Elle partage aujourd’hui son temps entre l’écriture et l’engagement auprès des services sociaux qui soutiennent les peuples natifs de l’Alaska. Sauvage est son premier roman.


En lire d’autres ?

BLANCHARD Pascal et al. : Sexe, race & colonie | La domination des corps du XVe siècle à nos jours (2018)

Temps de lecture : 5 minutes >
ISBN 978-2-348-03600-2

“Reposant sur plus de mille peintures, illustrations, photographies et objets répartis sur six siècles d’histoire au creuset de tous les empires coloniaux, depuis les conquistadors, en passant par les systèmes esclavagistes, notamment aux États-Unis, et jusqu’aux décolonisations, ce livre s’attache à une histoire complexe et taboue. Une histoire dont les traces sont toujours visibles de nos jours, dans les enjeux post-coloniaux, les questions migratoires ou le métissage des identités.
C’est le récit d’une fascination et d’une violence multiforme. C’est aussi la révélation de l’incroyable production d’images qui ont fabriqué le regard exotique et les fantasmes de l’Occident. Projet inédit tant par son ambition éditoriale, que par sa volonté de rassembler les meilleurs spécialistes internationaux, l’objectif de Sexe, race & colonies est de dresser un panorama complet de ce passé oublié et ignoré, en suivant pas à pas ce long récit de la domination des corps.” (source : association de libraires INITIALES.ORG)

BLANCHARD Pascal et al., Sexe, race et colonies : la domination des corps du XVe siècle à nous jours (Paris, La Découverte, 2018)

Montrer. Voila l’ambition de cet ouvrage, de cette somme iconographique vertigineuse autant que méconnue, ou mal vue. Car on a tous en tête des représentations érotisées de corps indigènes. Elles sont furtives, elles font partie de l’imaginaire historique colonial. Mais mesure-t-on véritablement ce qu’elles portent, ce qu’elles signifient, la violence qu’elles légitiment toutes, à des niveaux différents certes, mais qui toutes cultivent l’idée originelle du colon qui voudrait que le corps du colonisé soit “naturellement offert”, pour citer les auteurs de ce livre colossal et indispensable. N’est-ce pas ainsi que nombre d’intellectuels européens ont envisagé le sulfureux érotisme oriental ? Ou comment la vahiné polynésienne a constitué jusqu’à récemment un modèle de beauté féminine ?

Ainsi, encore aujourd’hui, il fallait montrer. Pour tous ceux qui pourraient douter du fait que la domination des empires sur les peuples conquis s’est exercée premièrement à un niveau sexuel. Pas de manière secondaire ou marginale, mais massivement et prioritairement à un niveau sexuel. Si depuis sa sortie, cet ouvrage a essuyé critiques et doutes, c’est bien parce que la frontière est ténue entre la monstration et l’exhibition, surtout quand on parle de sexe. Est-ce que les auteurs sont parvenus ici à faire oeuvre de mémoire sans verser dans l’exhibitionnisme? C’est notre opinion. Et c’est notamment l’ampleur du travail et la qualité de l’appareil critique qui font toute la différence.

Car ce livre est énorme, il a la forme de son ambition, et retrace en quatre grandes parties, Fascinations (1420-1830), Dominations (1830-192o), Décolonisations (1920-1970), Métissages (depuis 1970), l’évolution, si tant est qu’il y en ait eu-une, de la représentation des peuples des colonies par les colons. Certaines images sont dures, insoutenables certes, mais leur publication est indispensable. Comment en effet penser aujourd’hui un phénomène de prise de conscience comme #MeToo et oublier que des systèmes de domination, réelle et symbolique, ont des racines solidement ancrées dans nos imaginaires ?

Grégoire Courtois (Libraire Obliques à Auxerre, FR)


Le cas Gauguin ?

Dans un film sur Gauguin, le réalisateur Edouard Deluc passe sous silence la nature des relations sexuelles de l’artiste à Tahiti. Et révèle la difficulté des Français à penser la violence dans leurs anciennes colonies.

L’image est si sauvagement excitante. Une Tahitienne danse seins nus, lascive, devant un grand feu, tandis que résonne le chant envoûtant de la tribu. Cette femme aux formes pleines, c’est Tehura. Dans son film Gauguin – Voyage de Tahiti, le réalisateur Edouard Deluc nous raconte comment elle a hypnotisé le peintre français et inspiré quelques-unes de ses plus belles toiles. On les voit tous deux enlacés sur un cheval, jouant sur une plage, et fatalement faisant l’amour à la lumière des bougies.

Ce film pourrait être un biopic convenu de plus consacré aux maîtres de la peinture, mais des ellipses opportunes dans le scénario en font une œuvre au mieux incroyablement maladroite, au pire parfaitement abjecte. Car, ce que cette histoire ne dit à aucun moment c’est que Tehura (qui s’appelait aussi Teha’amana) avait seulement 13 ans lorsque Gauguin (alors âgé de 43 ans) la prit pour « épouse » en 1891.

GAUGUIN Paul, Manao Tupapau (1892)

Et malgré ce que pourrait laisser croire le biopic, elle ne fut pas la seule à partager la vie de l’artiste dans l’île : il y eut aussi la jeune prostituée métisse Titi, ainsi que Pau’ura et Vaeoho (toutes deux 14 ans). Enfin, dernier « oubli », le maître était atteint de syphilis, maladie sexuelle potentiellement mortelle, qu’il distribua généreusement à Tahiti. Dans le film, Gauguin se voit seulement diagnostiquer un méchant diabète… on en pleurerait de rire si ce n’était aussi grave…”

Lire la suite de l’article de Léo PAJON, La pédophilie est moins grave sous les topiques, sur JEUNEAFRIQUE.COM (21 septembre 2017)


Le cas Malko Linge, dit SAS ?
ISBN 2842672968

«Bicuzi Kihubo avait la cervelle d’une antilope, mais une allure de star. Ses grands yeux marron illuminaient un visage doux, encadré par les tresses traditionnelles, ses seins moulés par un tee-shirt orange pointaient comme de lourds obus ; quand à sa chute de reins, elle aurait transformé le plus saint des prélats en sodomite polymorphe… Ses hanches étroites et ses longues jambes achevaient de faire de Bicuzi une bombe sexuelle à pattes.» Les connaisseurs auront sûrement reconnu dans ce portrait d’Africaine torride, le style particulier de Gérard de Villiers, passé maître du roman d’espionnage à forte connotation érotique à travers la série des SAS. Les scènes de sexe, tout autant que la vraisemblance d’intrigues construites à partir d’infos recueillies sur le terrain, expliquent le succès et la fortune de l’auteur, mort en 2013 après avoir vendu plus de 150 millions de livres.

Romans de gare machistes qui confinent les personnages féminins à des objets sexuels culbutés dans tous les sens par Son Altesse Sérénissime le prince Malko Linge, héros de la série ? Peut-être. Mais à relire les descriptions de certaines de ces ‘bombes sexuelles sur pattes’, pin-up systématiquement moulées dans une ‘microjupe’, difficile de ne pas y voir une illustration de la permanence des clichés qui s’attachent singulièrement aux femmes noires et qu’on retrouve dans l’immense somme consacrée à la Domination des corps du XVe siècle à nos jours publiée jeudi sous la direction de l’historien Pascal Blanchard. L’ouvrage Sexe, race et colonies ne se limite certes pas aux femmes noires et dresse un panorama exhaustif de l’image du corps de l’Autre, de l’Afrique coloniale (Maghreb inclus) jusqu’à l’Asie et au monde amérindien.”

Lire la suite de l’article de Maria MALAGARDIS, Les femmes noires comme incarnation forcée du corps de l’Autre, sur LIBERATION.FR (21 septembre 2018)…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, compilation et iconographie | sources : éditions La Découverte ; jeuneafrique.com ; liberation.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : ©  La Découverte ; © DR.


Lire encore en Wallonie et à Bruxelles…

 

Le sexe est-il si important ?

Temps de lecture : 6 minutes >
Grant WOOD, American Gothic (1930) © Art Institute of Chicago

“Tout, dans notre société, semble indiquer que le sexe trône au sommet de la pyramide de nos préoccupations. Vraiment ? La confrontation avec la réalité réserve quelques surprises…

De la presse, qui fournit sans relâche des recettes pour booster son désir et intensifier son plaisir, à la mode, qui continue à placer la « désirabilité » en tête de ses valeurs, sans oublier les romans érotiques grand public, au succès ininterrompu, ni la pornographie en ligne et les innombrables sites de rencontres, tout semble indiquer une insatiable appétence collective. Et pourtant. Les résultats d’un sondage Ipsos pour Philosophie magazine, « Les Français et la sexualité » (2013), altèrent passablement la représentation d’une libido obsédante et triomphante. 70 % des sondés ne sont pas d’accord avec l’affirmation suivante : « Dans la vie, il n’existe pas de plaisirs plus forts que ceux qu’offre la sexualité. » 47 % pensent que la société en général, et les médias en particulier, lui donnent une importance exagérée. Enfin, 47 % affirment que le sexe est un plaisir dont on peut se passer. Fin du fantasme, place à la réalité.

Un discours normatif et anxiogène

Cette réalité n’étonne pas les thérapeutes et les sexologues qui, pour la plupart, trouvent le discours social sur la sexualité normatif et anxiogène. « La sexualité est vécue comme une épreuve sportive, détaille Jean- Marie Sztalryd, psychanalyste et ex-directeur du diplôme universitaire d’étude de la sexualité humaine (Paris-XIII). Il y a l’idée de la performance, de la réussite, de la nécessité d’aller toujours plus loin, d’avoir la bonne fréquence, la bonne manière de faire. Tout cela renvoie à la question de la normalité, qui arrive en tête dans les interrogations des patients. » Gérard Ribes, auteur de Sexualité et vieillissement, psychiatre et sexologue, dénonce une sexualité de comptage, réduite à la génitalité et conditionnée par la performance. « Tout, dans notre culture et dans notre société de consommation, renvoie à une sexualité pulsionnelle dans laquelle l’immense majorité des hommes et des femmes ne se retrouve pas. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que cette activité soit perçue comme anxiogène et donc pourvoyeuse de moindres plaisirs. »

Le plaisir sexuel conditionné à un savoir-faire normé serait ainsi, selon la psychanalyste Sophie Cadalen, un plaisir sous contrôle. « Se questionner sur la normalité – ai-je la bonne fréquence, les bonnes compétences ? – revient à réclamer un mode d’emploi, lui-même source d’anxiété et de frustration. Au bout du compte, cela fait de nous les acteurs de notre soumission. Une telle posture est évidemment le contraire de la liberté sexuelle, le contraire d’une sexualité personnalisée et donc pleinement satisfaisante. » C’est ainsi que les couples et les individus en viennent à s’inquiéter d’un prétendu déclin de leur désir, de ne pas être branchés SM ou échangisme, ou à calquer leurs ébats sur ceux des professionnels du sexe. Et finissent par considérer ce dernier comme un plaisir dont on peut se passer (il ne fait d’ailleurs pas partie des besoins recensés dans la pyramide de Maslow).

Lorsqu’on lui demande si le sexe est devenu une activité surévaluée, un accessoire très accessoire dans nos vies, Mireille Dubois-Chevalier, médecin et sexologue, commence par interroger le terme même. « Le sexe, ça veut dire quoi au juste ? S’il est conçu uniquement comme une rencontre génitale, une copulation parce qu’il le faut socialement ou qu’on doit satisfaire l’autre, alors, oui, c’est évident, on peut s’en passer et trouver plus de plaisir dans un bon repas ou dans le sommeil. En revanche, si on considère le sexe comme une rencontre qui engage vraiment l’être dans son désir, et dans laquelle ce désir se transforme en plaisir physique et émotionnel, alors il semble difficile de s’en passer. Tout simplement parce que la jouissance ressentie est telle qu’elle est un encouragement à recommencer. »

Ce qui fait l’érotisme, c’est le désir

Cela signifie-t-il alors qu’une moindre fréquence de relations sexuelles dans le couple soit le signe de son échec sur le plan sexuel ? « Pas le moins du monde, poursuit Mireille Dubois-Chevalier. Si le “régime” convient aux deux partenaires, qu’ils se sentent bien ensemble, qu’ils n’éprouvent ni frustration ni ressentiment, il n’y a pas de questions à se poser. » Sophie Cadalen va même plus loin en évoquant le cas d’hommes et de femmes, en couple ou pas, qui avouent avoir une vie sexuelle très active mais n’en retirent pas de satisfaction. « Ils peuvent faire l’amour plusieurs fois par jour mais de manière mécanique, sans investir la relation, car ils ne sont pas vraiment désirants. » Ainsi, une relation peut être sexuelle sans être érotisée ou inversement. Car ce qui fait l’érotisme, ce qui sexualise le lien, ce n’est pas forcément l’acte sexuel, mais le désir. Jean-Marie Sztalryd évoque ce patient de 90 ans venu le consulter avec sa compagne et disant à celle-ci : ““Je m’endors depuis quarante ans avec ma main posée sur tes fesses. Ce n’est pas de la sexualité, ça ?L’érotisation du lien peut s’exprimer de mille et une façons : une certaine connivence, une proximité physique qui joue de la séduction ou du trouble, une sensualité, des plaisirs partagés…

Freud aurait donc finalement raison. Tout est sexuel, dès lors que notre désir est engagé. « Et cela commence avec l’oralité chez le bébé, précise Jean-Marie Sztalryd. Tout peut être érotisé : une voix, un geste, écrire une lettre, échanger un regard dans le métro… En fonction de leur histoire, certains vont investir plus que d’autres l’activité sexuelle. » Pour la psychanalyse, le goût pour l’activité sexuelle n’est pas une question de tempérament mais d’énergie psychique que l’on engage ici plutôt que là. C’est aussi, selon Michel Reynaud, psychiatre spécialiste des addictions, une question de gènes. « On sait aujourd’hui qu’il existe des déterminants biologiques expliquant les différences d’appétence sexuelle. Certains gènes incitent à la recherche de sensations intenses et de plaisir. Les individus possédant ce capital génétique ont tendance à avoir une sexualité plus précoce et plus active tout au long de leur vie. Ce sont aussi des personnes plus sensibles aux addictions. Ce déterminant biologique influence le comportement sexuel à hauteur de 30 %. Les deux autres tiers concernent le développement précoce (nos premiers liens affectifs) et le contexte social (culture de la famille, culture de la société). » Pourtant, ce n’est pas ce capital génétique qui fera forcément de la sexualité une expérience intense.

La jouissance comme conquête sur soi

Pour Sophie Cadalen, ce qui rend le sexe unique, ce qu’il apporte d’essentiel à nos vies, c’est une jouissance qui nous emporte et qui, pour advenir, exige que l’on abandonne le souci de notre image, le contrôle de notre corps, la peur d’être jugé. « Il y a quelque chose d’impitoyable dans la rencontre avec nous-même à laquelle nous convoquent le désir et la jouissance, affirme la psychanalyste. Tout ce que l’on tient pour acquis, nos goûts, nos certitudes, nos craintes, tout vole en éclats dès lors que l’on consent à s’y abandonner. Y compris dans le couple. Ce ne sont pas les habitudes qui tuent la sexualité, c’est la peur de se découvrir, de montrer des facettes de soi inconnues, dérangeantes. C’est ne pas se permettre ce dévoilement. Il est plus facile d’incriminer l’autre (il ne me propose rien) ou bien la “mécanique” (j’ai des problèmes d’érection) ou préférer l’idée d’une sexualité qui s’étiole, plutôt que d’explorer sa diversité. » La jouissance comme une conquête : sur soi, sur nos préjugés, nos certitudes, nos peurs, et sur notre inavouable propension à rechercher la sécurité plutôt que la liberté.

La révolution par l’orgasme

L’œuvre de Wilhelm Reich (1897-1957), psychiatre et psychanalyste disciple de Freud, connu pour son engagement en faveur de la libération des masses par la satisfaction sexuelle, suscite un regain d’intérêt. Ses thèses resurgissent chaque fois que l’on tente de comprendre la barbarie (celle des prêtres pédophiles, des assassins de Daech…) comme un effet de la répression sexuelle. Le psychanalyste Joël Bernat, qui a étudié son œuvre de près, n’en est pas surpris : « Reich, qui a pensé la libération individuelle et sociale, revient dans des périodes où l’on ressent le besoin de lutter contre la massification, qu’elle soit politique, religieuse ou économique. » Si la satisfaction sexuelle et l’orgasme faisaient fonction, pour lui, d’antidote aux névroses individuelles et à ce qu’il appelait « les pestes émotionnelles » (l’exploitation de l’homme, le fascisme, la servitude volontaire, les dogmes religieux, les normes sexuelles…), c’est parce que « Reich concevait la sexualité comme une énergie qui pousse l’individu à sortir de chez lui, à entreprendre, à rencontrer les autres. À désirer, donc, au sens large. Pour lui, cette énergie constitue le sujet, elle le singularise. Dès lors qu’il la laisse s’exprimer pleinement dans la sexualité, il en retire un plaisir qui non seulement libère ses tensions mais le rend plus indépendant, en lui donnant un sentiment de puissance difficilement compatible avec la soumission. C’est ce plaisir intense né de la rencontre vraie, de sujet à sujet, qu’il appelle orgasme ». On comprend mieux pourquoi une sexualité affranchie des diktats et des normes (rigorisme religieux ou pornographie) est une menace pour les sociétés de contrôle. Et un moyen, pour ceux qui trouvent le joug trop pesant, de s’en libérer.”

Lire l’article original de Flavia Mazelin Salvi sur PSYCHOLOGIE.COM (février 2017)


Plus d’amour…

LELOUP : les degrés de l’amour

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KLEE Paul, Lettre fantôme (1937)

C’est Jürgen HABERMAS qui précise que, pour jouer son rôle, l’intellectuel doit aider à formuler les questions, pas à donner les réponses. Or, quand on parle d’amour en français, c’est le vocabulaire qui manque pour se poser les bonnes questions. S’ils n’ont pas utilisé cinquante nuances d’amour, les Grecs classiques disposaient quand même d’une dizaine de termes distincts pour le dénoter, que le penseur chrétien Jean-Yves Leloup a agencés selon une échelle de dix degrés dans son livre sur Les Epitres de Jean :

10 agapè amour – gratuit
universel
L’amour qui fait tourner la terre, le cœur humain et les autres étoiles, ce n’est pas seulement moi qui aime et qui t’aime, c’est l’amour qui aime en moi…
9 charis amour – célébration Je t’aime parce que je t’aime, c’est une joie et une grâce d’aimer et de t’aimer, je t’aime sans condition et sans raison…
8 eunoia amour – dévouement J’aime prendre soin de toi, je suis au service du meilleur de toi-même…
7 harmonia amour – harmonie Que c’est beau la vie quand on aime, nous sommes bien ensemble, avec toi tout est musique, le monde est plus beau…
6 storgè amour – tendresse Je suis le meilleur de moi quand tu es là, j’ai beaucoup de tendresse pour toi, je suis heureux que tu sois là…
5 philia amour – amitié Je te respecte, je t’admire, j’aime ta différence, je suis bien sans toi, je suis mieux avec toi, tu es mon meilleur ami, j’aime être avec toi, tu me fais du bien…
4 eros amour – érotique Je te désire, tu me fais jouir, tu es belle, tu es beau, tu es jeune…
3 mania pathè amour – passion Je t’aime passionnément, je t’ai dans la peau, tu es à moi rien qu’à moi, je t’aime comme un fou, je ne peux pas me passer de toi…
2 pothos amour – besoin Tu es tout pour moi, j’ai besoin de toi, je t’aime comme un enfant…
1 porneia amour – appétit Je te mange, je t’aime comme une bête…

Sources :


Plus d’amour ?

CORRADINI Antonio (1668–1752) : voiles

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CORRADINI Antonio, La pudeur (détail du monument funéraire pour Cécilia Gaetani, Naples, chapelle Sansevero, 1752)
CORRADINI Antonio, La pudeur (monument funéraire pour Cécilia Gaetani, Naples, chapelle Sansevero, 1752)
CORRADINI Antonio, La femme voilée / La foi (?) (Paris, Le Louvre)
CORRADINI Antonio, La pureté (Venise, Ca’Rezzonico, musée du XVIIIe siècle vénitien,1717-1725)

Plus de formes…

Pour la Journée internationale du baiser : 8 raisons qui prouvent qu’il est bon pour la santé…

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ENSOR James, Squelettes se disputant un hareng saur (1891) (c) Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique

“French kiss ou baiser d’esquimau, tendre ou passionnel, peu importe. Tout le monde aime s’embrasser. Même si le baiser n’a pas la même signification aux quatre coins de la planète, il est, globalement, une marque d’affection ou d’amour. Mais si vous pensez qu’en embrassant quelqu’un, vous ne lui donnez qu’une preuve d’amour, détrompez-vous! Le baiser possède plein de vertus, tant pour la santé que pour le bien-être. A l’occasion de la Journée internationale du baiser, ce 6 juillet, en voici quelques-unes.

  1. Il est bon pour les dents […] ;
  2. Il permet de brûler des calories[…] ;
  3. Il booste les défenses immunitaires […] ;
  4. Il réduit le stress […] ;
  5. Il peut réduire les symptômes des allergies […] ;
  6. Il accroît le désir sexuel (et le sexe, c’est bon pour la santé) […] ;
  7. Il développe l’estime de soi […] ;
  8. Il en faut peu pour être heureux… […].”

Pour en savoir plus, lire l’article de la rédaction du HUFFINGTONPOST.FR (6 juillet 2017)


Aimer plus encore…

clitoris

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Le seul organe du corps humain qui sert uniquement au plaisir ? Un court métrage de Lori Malépart-Traversy (2016) a déjà remporté de nombreux prix en festivals…

Plus de vie…

THONART : Cendrillon et le Diable (2017)

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Cendrillon, la belle souillon, s’assit
Et le Diable lui dit :
“Imagines-tu que, près de toi, toujours
Je rôde en Amour ?
Qu’à chaque pas que tu fais,
J’en fais un aussi ?
Ne crains-tu qu’un jour,
Secrètement miellée d’envie
Dans mes bras, tu souries ?
Ah ! Que de dangers tu cours,
À tourner le cul à l’amour ! “.

A ces mots de cœur,
La Seulette pris peur
De voir partir le Fourchu
Qui, de si belle humeur,
Lui parlait de son cul.
Ah donc, elle s’était menti :
Le Diable était gentil…

Patrick Thonart

  • L’illustration de l’article provient du film de Kenneth Branagh, Cendrillon (2015) © Disney

Du même auteur…

Les fesses de Simone de Beauvoir censurées ?

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Simone de Beauvoir à son bureau en 1953• Crédits : Keystone-France/Gamma-Keystone – Getty

“La comédienne et metteur en scène Anne-Marie Philipe prépare un spectacle à partir des correspondances de Simone de Beauvoir. Le spectacle a déjà été donné au printemps à Deauville, et doit arriver à Paris à l’automne, au théâtre des Mathurins. Trois comédiennes différentes joueront trois tranches épistolaires dans la vie amoureuse de Simone de Beauvoir. L’une d’elles, Camille Lockhart, a poussé un coup de gueule sur Facebook ce mardi matin en sortant de répétition : elle affirme sur le réseau social que le groupe JC Decaux, qui gère notamment l’affichage dans le métro, sur les kiosques à journaux et les fameuses “colonnes Morris”, a décidé de déprogrammer la campagne de promo du spectacle…”

Lire la suite de l’article sur FRANCECULTURE.FR (21 juin 2017)…

Sur Facebook, une comédienne s’est révoltée contre JC Decaux. L’entreprise aurait selon elle censuré, dans le métro et sur les colonnes Morris, une affiche de spectacle représentant l’auteur du Deuxième Sexe nue et de dos. Le groupe d’affichage publicitaire dément.

Quelle ironie. Une affiche représentant l’auteur du Deuxième Sexe et figure du féminisme français serait censurée dans les rues de Paris. C’est du moins ce que dénonce Camille Lockhart, comédienne dans le spectacle Les correspondances amoureuses de Simone de Beauvoir, axé sur les liaisons de celle que l’on surnomma, après Sartre, le Castor et devant se jouer à Paris en septembre…”

Lire la suite de l’article de Jean TALABOT sur LEFIGARO.FR (20 juin 2017)…

Simone de Beauvoir (Art Shay, 1952)

Art Shay raconte son cliché sur FRANCECULTURE.FR. Un extrait :

Elle a pris une douche. J’avais 27 ans, elle en avait 39. J’ai pris mon appareil photo avec moi comme d’habitude. Je me suis approché de la salle de bains, et comme elle avait laissé la porte ouverte, je l’ai aperçue. Elle a entendu le déclic de l’appareil photo et je l’ai entendue dire : “Ah le vilain garçon !”

Plus de presse…

REAGE : Histoire d’O (JEAN-JACQUES PAUVERT, 1954)

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REAGE, Pauline Histoire d’O (JEAN-JACQUES PAUVERT, 1954)
[EAN/ISBN: 9782253147664]

Pauline Réage est le pseudonyme de Anne Cécile Desclos, également dite Dominique Aury.

O EST MORTE. DOMINIQUE AURY, LE VÉRITABLE AUTEUR D’«HISTOIRE D’O», AVAIT 90 ANS. C’est seulement en 1994 que Dominique Aury, qui est morte à 90 ans dans la nuit du 26 au 27 avril dernier, avait formellement reconnu être Pauline Réage, l’auteur d’Histoire d’O, l’un des plus célèbres romans érotiques de l’après-guerre. C’était dans un long entretien donné à un journaliste du New Yorker, quarante ans tout juste après avoir publié chez Jean-Jacques Pauvert ce petit livre scandaleux, pré-facé par Jean Paulhan…”

Lire la suite de l’article d’Antoine de GAUDEMAR sur LIBERATION.FR (2 mai 1998) et lire le roman d’amour de Pauline, alias Dominique, alias Anne Cécile


D’autres incontournables du savoir-lire :

ROTH : Portnoy et son complexe (GALLIMARD, Folio, 1970)

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ROTH, Philip Portnoy et son complexe (GALLIMARD, Folio, 1970)
[ISBN : 9782070364701]
“Entre les grands idéaux humanitaires qui l’animent et les obsessions inavouables qui le hantent, Alex Portnoy, trente-trois ans, est la proie d’un insoluble conflit. Élevé dans le quartier israélite de Newark, par des parents abusifs, démesurément attachés aux principes de la tradition juive-américaine, ligoté par des tabous et des interdits, submergé de conseils et d’exhortations, il est écrasé par une culpabilité d’autant plus angoissante que la sexualité et ses déviations les plus extrêmes ne cessent de l’obnubiler. Brillant étudiant, puis fonctionnaire en vue, il n’en reste pas moins un «bubala», un bébé, aux yeux de ses parents qui lui reprochent amèrement son indépendance, sa froideur apparente et surtout son refus de fonder un foyer et d’assurer la descendance.

Ce livre, à la fois féroce et désopilant, où la tendresse alterne avec le cynisme, l’humour avec le pathétique, est une mordante satire de l’ignorance, du racisme, des préjugés et de l’intolérance sous toutes ses formes.”

Pour tous ceux qui aiment la viande de veau : un régal…

D’autres incontournables du savoir-lire :

ROSE : Pourvu qu’elle soit rousse (LA MUSARDINE, 2013)

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ROSE Stéphane, Pourvu qu’elle soit rousse (LA MUSARDINE, 2013)

“C′est l′histoire d′un homme qui aime les rousses. Petite ou grande, svelte ou dodue, jeune ou moins jeune, peu lui importe… pourvu qu′elle soit rousse. Inscrit sur Meetic où il discute avant de faire l′amour avec des rousses sans aucun autre critère de sélection que la couleur de leurs cheveux, il n′est pourtant jamais rassasié de leurs charmes. Qui se cache derrière ce collectionneur de rousses ? Obsédé sexuel monomaniaque ? Don Juan du site de rencontres ? Entomologiste de la femme rousse ? Le sait-il seulement lui-même ? Son parcours initiatique dans les arcanes de la rousseur le lui dira. À la croisée du roman obsessionnel, du carnet de route pornographique et du road-movie introspectif, Pourvu qu′elle soit rousse se veut avant tout un éloge féministe de la différence et de la singularité.” (LAMUSARDINE.COM)

“En matière de femmes, le héros de ce livre n’a qu’un critère : pourvu qu’elle soit rousse ! C’est son unique désir, son fantasme moteur, en un mot : son obsession. Petite ou grande, svelte ou dodue, jolie ou moche, peu lui importe, car c’est dans la rousseur qu’il puise son désir… et sur Meetic qu’il trouve de quoi l’assouvir, à la mesure de son appétit érotomane démesuré. Elles sont donc nombreuses à défiler dans son lit, les naïades rousses de tous âges, sensibilités et origines sociales, mais dans quel but ? Qui se cache derrière notre amant collectionneur ? Obsédé sexuel ? Dom Juan du site de rencontre ? Entomologiste maniaque obnubilé par la fameuse « odeur des rousses » dont il cherche à percer le secret ? En filigrane d’une enquête sur les préjugés relatifs à la rousseur, son obsession l’amène à rencontrer les rousses qui l’aideront à répondre à ces questions. Mais l’odeur qui guide son désir ne se laisse pas si aisément capturer et ses proies lui causent bien des tourments. Car à être rousse on n’en est pas moins femme…” (BABELIO.COM)

“Connu pour être un des auteurs et présentateurs de la cérémonie des Gérard sur Paris Première, Stéphane Rose est aussi journaliste dans la presse magazine et sur le web, auteur pour Nicolas Canteloup, directeur de collection et attaché de presse à la Musardine et auteur de plusieurs livres en littérature jeunesse, humour ou sexualité. Pourvu qu′elle soit rousse est son premier roman.”

Trouver la rousse éternelle de Stéphane ROSE (ISBN : 9782809803914)

D’autres incontournables du savoir-lire :

WOLKERS : Les délices de Turquie (BELFOND, Vintage, 2013)

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WOLKERS J, Les délices de Turquie (BELFOND | Vintage, 2013)

“Original, cru, provocateur, tendre, joyeux, désespéré, un roman puissant, entre Les Valseuses et Le Dernier Tango à Paris, par un des plus grands écrivains hollandais.

Comme celle d’Henry Miller, l’écriture de Wolkers témoigne d’un érotisme exubérant et d’un formidable appétit de vivre.

New York Times Book Review

…un roman à l’énergie contagieuse, à la liberté de ton étonnante, porté par une écriture fougueuse et sensuelle… l’histoire d’une passion folle dans l’Amsterdam des années 1960.

La redécouverte d’un roman culte et de son auteur, artiste total à la réputation scandaleuse, en révolte perpétuelle contre l’hypocrisie d’une société engoncée dans un protestantisme pudibond. Jan Wolkers est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands écrivains néerlandais d’après-guerre, aux côtés d’Harry Mulisch, Gerard Reve et Willem Frederik Hermans.

Paru en 1969 (sic), les Délices de Turquie ont été adaptés au cinéma en 1973 par Paul Verhoeven, avec Rutger Hauer et Monique Van de Ven dans les rôles principaux, et ont été désignés comme le meilleur film néerlandais du XXe siècle.”

C’est le roman cru, provocateur, désespéré d’une passion dans l’Amsterdam des années 60.

Rolling Stones, Laurent Boscq

[Une] perle vénéneuse de la littérature néerlandaise.

Le Monde des Livres, Nils C. Ahl


D’autres incontournables du savoir-lire :

Top 13 des expressions cochonnes d’autrefois à réhabiliter (de toute urgence)

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“Aujourd’hui quand vous ramenez votre plan cul à la maison, vous dites à vos amis que vous avez baisé/niqué ou fait du sexe toute la nuit. C’est sympa, mais c’est tout de même pas bien évolué d’un point de vue vocabulaire. Faites-nous confiance, vous avez beaucoup à apprendre de vos ancêtres.

Départir sa grâce

Une expression que l’on doit à François Villon et qui voulait dire un truc du genre faire sa petite affaire. Avouez que c’est tout de même très chic.

Faire la bête à deux dos

Là pour le coup, c’est du côté de l’ami Rabelais qu’il faut se tourner. Rabelais qui est d’ailleurs apparemment très porté sur la chose puisqu’on lui doit pas mal d’expressions cochonnes toutes plus imagées les unes que les autres.

Jouer à cricon-criquette

On ne sait pas qui l’a inventée, mais c’est clairement l’expression la plus mignonne qui soit pour dire “baiser”. Bon après il n’est pas impossible que ça refroidisse clairement votre date Tinder si vous lui proposez d’aller jouer à cricon-criquette dans les toilettes du bar.

Fourrageur

A priori basé sur le verbe fourrer, le très classieux “fourrageur” désigne un monsieur qui aime mettre son zizi dans des dames (ou d’autres messieurs d’ailleurs). Vous pourrez par exemple pendant votre prochaine soirée entre amis dire du bachelor que c’est “un sacré fourrageur”.

Pousser la botte florentine

Alors là on ne parle pas de la petite porte de devant, mais de la petite porte de derrière si vous voyez ce que je veux dire (clin d’œil appuyé). Autrefois pousser la botte florentine voulait donc dire s’offrir une petite session sodomie au coin du feu.

Etre de l’abbaye de Longchamp

Nous n’avons pas tout compris au pourquoi du comment, mais sachez qu’au XVIe siècle à Paris on disait d’un homme qu’il était de l’abbaye de Longchamp quand il était obsédé par le cul.

Faire petite chapelle

Un terme un peu fourre-tout que l’on utilisait jadis à la place de strip-tease, mais aussi pour désigner les gros exhibitionnistes de service. Deux choses qui n’ont pas grand-chose à voir nous sommes d’accord, mais que voulez-vous la langue française est mystérieuse !

Marquer midi

Egalement appelé par certains membres de la rédaction dont je ne citerai pas le nom ici “zizi bâton”. Si vous ne voyez pas de quoi on parle, je suis au regret de vous annoncer que l’on ne peut rien faire pour vous.

Jouer à la fossette

Au XVIIIe XIXe siècle, ça voulait dire forniquer. En toute simplicité.

S’endormir sur le rôti

Vous vous voyez cette fois où il vous est arrivé ce truc qui soit-disant ne vous arrive jamais et que vous n’avez pas pu finir votre petite affaire ? Eh bien vous vous êtes endormis sur le rôti.

Défriser le petit buisson

Si vous lisez ça en bouffant nous sommes confus, mais “défriser le buisson” vient du fait que les poils pubiens de madame sont tout durs quand ils sont enduits de sperme. Sur ce, on vous souhaite une belle fin de journée.

Avoir les pieds en bouquet de violette

Une expression toute choupette et printanière pour désigner l’orgasme. Pour votre gouverne, ça viendrait du fait que quand on jouit, nos doigts de pieds se détendent et s’écartent. Comme un bouquet de violettes. Voilà.

Chaud de la pince

Encore une façon de dire chaud lapin que l’on affectionne tout particulièrement. Si vous préférez, vous pouvez également utiliser “soudrillard”. Inutile de nous remercier, c’est cadeau.

Un peu plus mignonnes que nos expressions actuelles non ?”

Lire la suite de l’article d’Emma sur TOPITO.COM (14 février 2017)


Mieux parler encore…

“Sausage Party” : pas facile de juger les relations sexuelles entre des boîtes de gruau et de crackers

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Des associations catholiques estimaient que l’interdiction de “Sausage Party” aux moins de douze ans était insuffisante. Une juge, après avoir décortiqué le film scène par scène, y compris celles impliquant poire à lavement et saucisse, les a déboutées. Il est des juges qui ont des boulots plus insolites que d’autres. Madame Weidenfeld, juge des référés au tribunal administratif de Paris, avait pour tâche de se pencher sur la requête de deux associations proches des milieurs catholiques intégristes, Promouvoir et Action pour la dignité humaine, qui demandaient que le film d’animation américain Sausage Party soit plutôt interdit aux mineurs de moins de seize ans qu’à ceux de moins de douze en raison du « trouble » qu’il pouvait susciter auprès de « ce jeune public et de leurs parents »…​

Lire la suite sur TELERAMA.FR (15 décembre 2016)

Talking Sex Robots With Warm Genitals Will Be on Sale Next Year

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They’ll cost about $15,000 and, presumably, a little bit of your dignity.
A trip to Westworld costs $40,000 a day, but by next year, you’ll be able to simulate at least part of the experience for less than half that price, because a new line of upsettingly realistic sex robots is going to hit the market. They might not have cowboy hats by default, but they do have warm genitals. Writing in The Daily Mail, robotics expert David Levy predicted that sex robots with the ability to talk and respond to touch will be commercially available in 2017.​..

Lire l’article (en anglais) de James GREBEY sur INVERSE.COM (31 octobre 2016)

Plus de presse…

5 trucs pour lui toucher la bite sans passer pour une salope

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Vous mourez d’envie de lui toucher la bite mais vous n’osez pas ? Pas de panique ! Madame Gorafi a pensé à tout pour que vous puissiez vous faire plaisir sans avoir l’air d’une salope !

  1. Allez-y franchement ! Puis prétendez que vous ne l’avez pas fait exprès. Par exemple, touchez-lui la bite puis dites « je suis désolée, ma main est obsédée ces derniers temps ! » ou « Oh excuse-moi, je savais pas que ta bite était ici ! ». Ça marche à tous les coups !…”

Lire la suite des bons conseils de madame Gorafi sur LEGORAFI.FR (3 mars 2016)

On veut de l’amour…

Désir féminin : une histoire excitante

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L’absence d’appétit sexuel, ce grand mal féminin? En 2015, les pharmas ont promu une pilule ad hoc. On en oublierait presque que, pour nos ancêtres, la puissance sexuelle de ces dames était supérieure à celle des hommes.

Prenez deux femmes. La première a rendez-vous avec son amant et, comme elle est superstitieuse, elle s’adonne à une petite incantation préliminaire: «Excite-toi! / Excite-toi! / Bande! / Bande! / Excite-toi comme un cerf! / Bande comme un taureau sauvage! / Fais-moi l’amour six fois comme un mouflon! / Sept fois comme un cerf! / Douze fois comme un mâle de perdrix! / Fais-moi l’amour parce que je suis jeune! / Fais-moi l’amour parce que je suis ardente! / Fais-moi l’amour comme un cerf! / Et moi (…) moi, je t’apaiserai!»

La seconde ne parle pas de «ça». Elle est «pleine d’attentions délicates, prête à tout sacrifice raisonnable et tellement pure de cœur que tout désir sexuel lui (est) inconnu et qu’elle (éprouve) plutôt une répulsion à cet égard, mais elle (est) si dévouée à son mari bien-aimé qu’elle (est) toute disposée à lui sacrifier ses sentiments et ses désirs.»

Question : laquelle de ces deux figures nous apparaît comme la plus traditionnelle? Et laquelle la plus transgressivement moderne? Non, la plus jeune n’est pas celle qu’on croit…”

Lire la suite de l’article d’Anna LIETTI sur HEBDO.CH (24 décembre 2015)

Plus d’amour ?

LAWRENCE : textes

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Et il lui sembla qu’elle était comme la mer, toute en sombres vagues s’élevant et se gonflant en une montée puissante jusqu’à ce que, lentement, toute sa masse obscure fût en mouvement et qu’elle devint un océan roulant sa sombre masse muette. Et, tout en bas, au tréfonds d’elle-même, les profondeurs de la mer se séparaient et roulaient de part et d’autre, en longues vagues qui fuyaient au loin, et, toujours, au plus vif d’elle-même, les profondeurs se séparaient et s’en allaient en roulant de chaque côté du centre où le plongeur plongeait doucement, plongeait de plus en plus profond, la touchant de plus en plus bas ; et elle était atteinte de plus en plus profond, de plus en plus profond, et les vagues d’elle-même s’en allaient en roulant vers quelque rivage, la laissant découverte ; et, de plus en plus près, plongeait l’inconnu palpable, et de plus en plus loin roulaient loin d’elle les vagues d’elle-même qui l’abandonnaient, jusqu’à ce que soudain, en une douce et frémissante convulsion, le fluide même de son corps fût touché ; elle se sut touchée ; tout fût consommé ; elle disparut. Elle avait disparu, elle n’était plus, elle était née : une femme.

L’amant de Lady Chatterley (1928)

ISBN 9782070387434

“Le roman le plus connu de D.H. Lawrence. Son succès repose sur l’idée que c’est le chef-d’œuvre de la littérature érotique, l’histoire d’une épouse frustrée, au mari impuissant, et qui trouve l’épanouissement physique dans les bras vigoureux de son garde-chasse. Mais l’importance du livre est dans la peinture d’un choc historique et social qui constitue le monde moderne. Entre la communauté rurale anglaise et le monde industriel, c’est tout le tissu d’un pays qui se déchire. La forêt du roman, où vit Mellors, le garde-chasse, représente le dernier espace de sauvagerie et de liberté ; lady Chatterley l’y retrouve et s’y retrouve, tout en voyant basculer son univers habituel. Ce roman poétique doit être lu comme un mélange de voyage initiatique, de descente aux enfers, comme une grande lamentation sur l’état de l’Angleterre, aux échos bibliques. L’intrigue amoureuse séduit à une première lecture ; mais le roman a une valeur historique et symbolique…” (en savoir plus via GALLIMARD.FR)

ISBN 9782070295968

En 2006, Pascale Ferran (FR) adapte au cinéma une version antérieure du roman (Lady Chatterley et l’homme des bois) dont Jacques MANDELBAUM dira dans LEMONDE.FR (31 octobre 2006) : “La transposition de Pascale Ferran ne tire pas ses qualités du parfum de scandale provoqué, à l’époque, par la charge érotique du roman. Resserré autour de la relation entre les deux amants, le film tient au contraire tout entier dans la manière, admirable, dont est mis en scène leur insensible rapprochement, surmonté le grand écart social, culturel et physique qui fonde la mutuelle attirance de la belle fiévreuse et de la brute suspicieuse. Pour dire le vrai, on aura très rarement vu au cinéma l’amour et le sexe, la réticence et l’abandon, l’attente et la jouissance, le sentiment et la chair aussi bien filmés qu’à travers le lent apprivoisement de cet homme et de cette femme, pour cette raison qu’ils sont manifestement pensés, et donc filmés, ensemble. La beauté primitive et sensuelle qui habite le film, l’attention qu’il porte à la nature et à la matérialité des choses, aux couleurs, aux tons et aux rythmes changeants à travers lesquels se noue et se consomme la rencontre entre ces deux personnages, tout cela contribue à rendre caduques les questions de morale et de pudeur qui se posent ordinairement en la matière…”


Plus d’amour ?