[RTBF.BE, 25 février 2012] La Mama Roma, cabaret vedette des nuits liégeoises, a fermé ses portes. L’aventure aura duré près de 40 ans. Vendredi soir, une page de la vie nocturne liégeoise s’est tournée avec la fermeture de la Mama Roma. Ce cabaret situé dans le Carré et spécialisé dans les spectacles de transformistes a fait les belles heures de la Cité ardente. Il a permis de supprimer les ghettos en rapprochant les communautés gays et hétéros. Son propriétaire a décidé de fermer l’établissement. Le rideau est tombé sur ce lieu mythique que fut la Mama Roma. Costumes extravagants, talons vertigineux, faux cils à rallonge, strass et paillettes… Les travestis ont égayé les nuits liégeoises.
Valentine Deluxe se souvient avoir commencé comme aspirante-bigoudi. “L’aspirant-bigoudi, c’est le stagiaire. On doit faire une formation en bigoudi-perruque, avec une option hauts-talons. C’est la base du métier évidemment.” Vendredi soir, pour Laszlo, une page se tournait. “Une très lourde page… C’est dommage que ça ferme mais que voulez-vous, c’est comme ça. On ne peut rien faire d’autre. C’est une institution qui disparaît.” The Show must go on… le spectacle continue mais avec une troupe itinérante.
Patricia Scheffer et Vincent Brichet
ÉTAIT-CE BIEN EN 1978 ?
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“Avez-vous remarqué comme il est difficile parfois de déterminer avec précision le début d’un événement ou le départ d’une aventure? L’histoire de l’aviation ou du cinéma n’a pas débuté un jour X à une heure X parce que, subitement, un avion a volé 15 mètres ou que 3 spectateurs ont vu des images animées tressauter devant leur yeux apeurés. Non, bien sûr. Avant d’en arriver là, il aura fallu une somme de hasards, de recherches, de désespoirs, de signes avant-coureurs difficiles parfois à déceler pour dire : Enfin, la grande aventure commence !
Il en est de même pour le Mama Roma Show (dans des proportions bien réduites, restons les pieds sur terre !). Dire que tout a commencé en 1978 est un peu simpliste. Il y avait déjà 15 ans que Louis faisait tordre de rire des salles entières dans des scènes comiques. Henri faisait déjà du théâtre (savez-vous qu’il est diplômé du Conservatoire d’Art Dramatique ?) et il réalisait déjà — mal ! — des petits costumes à 5 sous.
Mais ce fut effectivement en avril 78 que leur réunion put présager du futur Mama Roma Show. C’étaient des débuts héroïques ! Il fallait entasser tout un matériel hétéroclite dans une 2 CV, monter dare-dare quelque chose qui ressemblait à une scène, brancher 2 ou 3 loupiotes qui devaient servir de projecteurs, pour se faire entendre par une sono dont même Pathé-Marconi en 1870 n’aurait pas voulu. Mais l’enthousiasme était là !
Bien vite, Michel courut au secours du groupe nouveau-né pour former une équipe technique capable de régler tous ces problèmes avec l’aide de Hans-Dieter, seul homme en Belgique, probablement, à pouvoir s’appeler habilleuse.
Ils furent nombreux les restaurants, les dancings où les spectateurs purent s’esbaudir – ah! le divin mot – du spectacle du Mama Roma Show. Et encore, s’il n’y avait eu que de petits Belges qui purent profiter de l’occasion. En 1979, trois villes américaines découvraient le rire Mama Roma. A New York, San Francisco et Los Angeles, ces Américains qui ont déjà tout-vu-tout-entendu ont craqué devant les petits Belges. Mais, même les contrats les plus attirants n’ont pas pu les éloigner d’un public liégeois qui ne soupçonnait pas encore leurs capacités.
Ensuite, l’Espagne. Au pays des travestis plus-femme-que-femme, il y eut bien des yeux écarquillés à leur descente d’avion en voyant les poils ornant des poitrines larges, mais, le choc passé, ce fut le délire à Séville et Torremolinos. Parlez-en à Louis et Henri, ils passeront des nuits entières à vous raconter leurs aventures hispanoaméricaines.
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Quand ils étaient en Belgique, ils se faisaient entourer sur scène épisodiquement de Dominique, Jean-Pierre, Marc, Dany, Alain, Philippe et bien d’autres, quand un remplacement au pied levé permit à Hans-Dieter de sauter la barrière. Il était sur scène, lui qui travaillait toujours dans l’ombre, les projecteurs étaient enfin sa récompense.
Il fut suivi quelques mois plus tard par Margot (qui connaît son vrai prénom ? Patrick ?) qui, bien avant son âge, était entrée dans la légende des gargottes de Liège. Ah ! brave Margot, grande buveuse devant l’Éternel, mais avec un coeur grand comme ça, toujours prête à dégrafer son corsage (Brassens a bien dû trouver son inspiration quelque part !).
Pour le spectacle du Trocadéro en 86, le groupe s’élargira encore avec l’aide des Green Mummy’s, groupe à la personnalité bien marquée, et qui réalisera toutes les chorégraphies du Mama Roma Show.
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Plus rien ne fait reculer les ambitions du Mama Roma Show. Il faut dire qu’il y eut 5 créations au Théâtre du Trocadéro (deux heures et demie d’éclats de rire à chaque fois), que le théâtre du Vaudeville à Charleroi les a accueillis à 8 reprises, le Casino de Chaudfontaine 6 fois (pour le bal des Hautes Études Commerciales, le bal de la Chambre des Entrepreneurs, de la Chambre des Agents Immobiliers de Belgique, etc.), le Casino de Middelkerke, qu’ils ont participé au Triathlon du Coeur en 85, qu’ils ont fêté le 40e anniversaire de la Libération de Verviers avec le Kiwanis, qu’ils se sont partagé le succès avec Paul Louka au festival Écoute, c’est du belge organisé par le Cirque Divers, qu’ils ont fait mourir de rire les journalistes sportifs invités lors du 30e anniversaire de Télé-Coo (ah! les têtes de Roger Laboureur, Guy Lemaire et les autres), sans compter toutes les salles, petites et grandes, de Visé, Hasselt, Rochefort, Verviers, Durbuy, etc., qui n’ont pu garder leur sérieux en les voyant.
Si le succès ne s’est jamais démenti en Belgique, c’est pourtant en Allemagne que le groupe a rencontré le meilleur accueil. A Cologne et à Dusseldorf pour les Hautes Instances de la Mode, c’est debout que le public les applaudit. A toutes les occasions, on les réclame. A Troisdorf, c’est l’inauguration du cinéma Hollywood, à Siegburg une foire en plein air où ils passent en vedettes, à Aix-la-Chapelle le lancement du carnaval 1986. Après avoir tant bourlingué, l’enthousiasme est resté le même, les projets sont nombreux, les espoirs encore plus fous (et permis). Si des spectacles à Panama, Mexico et Paris ne sont pas encore réalité, ils ne sont plus du domaine du rêve, les contacts sont établis et les “petits Liégeois” du Mama Roma Show ne sont pas au bout de leur chemin. Ils ont encore dans la tête des milliers de facéties à vous faire découvrir pour votre plaisir … et le leur.
MAMA ROMA SHOW: KEKSEKSA 1 ?
Comment voulez-vous donner une définition de vous-même en restant objectif ? Comment voulez-vous donner une définition de quelque chose que des milliers de spectateurs ont vu avec des yeux chaque fois différents, dans des lieux différents, à des occasions différentes? Car le Mama Roma Show est un spectacle tellement souple qu’il peut s’adapter à toutes espèces de manifestations. Les sketches courts et rapides se succèdent dans un rythme d’enfer, permettant des durées variables de 20 à 120 minutes, en une ou plusieurs parties. Un spectacle souple qui peut se produire dans de petites et de grandes salles, parfait pour assurer des diners-spectacles en restaurants, pour animer des soirées dansantes dans les bals ou les discothèques, et même pourquoi pas, en privé. Comment voulez-vous donner une définition d’un spectacle toujours en évolution ? Si le personnel de scène reste le même (il serait impossible de se passer d’un des composants du groupe), les sketches s’affinent sans cesse et se renouvellent régulièrement laissant libre cours à l’imagination et l’improvisation.
L’improvisation ! Bien sûr toute relative, mais il faut voir Louis improviser suivant son humeur et les réactions du public, une Flamande bon pied bon oeil toute droite sortie de ses préoccupations agricoles. Une composition à chaque fois différente mais n’ayant qu’un but : vous faire rire. Le rire est d’ailleurs le maître-mot du Mama Roma Show. Impossible de résister, inutile de se pincer pour avoir mal, la rate va se dilater. Du début à la fin du spectacle, c’est une série de coups de poing pacifiques et drôles qui peut vous entraîner jusqu’à l’épuisement si vous vouliez résister. Le rire, le propre de l’homme-femme. Car le Mama Roma Show est aussi un spectacle de travestis. Non pas comme les travestis ambigus, pailletés et emplumés que l’on connaît généralement. C’est un spectacle de travestis disons non conventionnels, ne dédaignant pas les beaux costumes et la belle mise en scène, mais dont le principal attrait est de ne jamais se prendre au sérieux. C’est un festival d’auto-dérision qui prend le spectateur à contre-pied et le plonge dans une connivence directe, et qui établit un contact sensible entre la scène et la salle. D’ailleurs, si les fous rires sont nombreux dans la salle, il en est de même sur scène.
MAMA ROMA SHOW : KEKSEKSA 2 ?
L’artiste s’amuse autant que le spectateur, c’est peut-être là la clé du succès du Mama Roma Show.
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Comment définir un spectacle pareil, puisque le rire est indéfinissable ? Ce qui fait rire une personne peut faire pleurer une autre. Mais le Mama Roma Show est construit à plusieurs niveaux. Du rire franc et généreux au 1er degré, du rire subtil au 2e degré, et pour le 3e degré un clin d’oeil toutes les dix secondes. Certains psychologues et politiciens (l’un n’étant pas nécessairement l’autre) y ont vu des choses qui nous avaient totalement échappé. Le côté visuel du comique est très appuyé, ce qui permet au Mama Roma Show d’être une attraction de niveau international, tant au point de vue de la qualité que de la compréhension du comique. Le Mama Roma Show, il faut l’avoir vu, c’est un spectacle d’ambiance, vif, endiablé, et par-dessus tout d’une drôlerie irrésistible.
Le rire, simple et bonne chose de la vie, est aussi nécessaire que le pain et le vin. Simple, voire ! Le spectateur qui pleure de joie ne pensera jamais aux heures de répétitions et de préparation d’un sketch. Si certains sont prêts en quelques heures (l’étincelle jaillit parfois rapidement, tellement évidente), d’autres nécessitent des costumes compliqués, des répétitions, des essais, des changements, puis des représentations en public qui lui permettent d’évoluer et de trouver enfin sa ligne forte. Le spectateur ne pensera jamais aux efforts consentis pour son plaisir, aux désespoirs qui nous atteignent parfois quand on ne réussit pas d’emblée à trouver le bon truc, aux heures de maquillage, aux recherches et aux problèmes techniques, il ne verra que son bonheur.
Il est vrai que tout ce qui se passe derrière le rideau n’a aucune importance. C’est le résultat final que le spectateur gardera en mémoire. Quand nous vous voyons, vous le public, partir après une représentation le rire aux lèvres, l’oeil humide de bonheur, nous pensons : “En voilà encore qui, ce soir, vont bien dormir, heureux et contents.” Et c’est cela qui nous permet de nous coucher. Heureux et contents…”
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Pour lire la suite, téléchargez le PDF OCR du programme (bien illustré) du spectacle de 1986 au Trocadero de Liège, sur notre DOCUMENTA…
Vous y trouverez la distribution complète du show avec Louis, Hans-Dieter, Patrick, Philippe, Eugène, Henri et pire encore…
[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : Collection privée | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Mama Roma sprl ; © eden liège.
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