Apprendre à traduire : à l’ère de l’IA, faut-il encore faire des exercices de thème et de version ?

Temps de lecture : 5 minutes >

[THECONVERSATION.COM, 4 décembre 2024] “Si les outils de traduction font des miracles, pourquoi s’exercer à transposer des textes d’une langue à une autre ?”, se demandent les étudiants. Loin d’être anodin, cet apprentissage permet de se sensibiliser réellement aux subtilités et au fonctionnement de la langue qu’on apprend.

DeepL fait des miracles, pourquoi devrais-je alors apprendre à traduire ?“, s’interroge un étudiant dans un cours de version. Les cours de thème (traduire un texte du français vers la langue étudiée) et de version (traduire un texte d’une langue étudiée en français) occupent une place importante au sein de la formation universitaire française, en licence de langues jusque dans les épreuves des concours du second cycle. Au lycée déjà, les élèves découvrent les subtilités inhérentes au fait de passer d’une langue à une autre et, dans le cadre des enseignements de langues et cultures de l’Antiquité, ils s’exercent régulièrement à la traduction.

Dans un contexte général où la traduction neuronale, alimentée par l’intelligence artificielle, rivalise de plus en plus avec la traduction humaine, l’intérêt de cet apprentissage peut susciter une remise en question.

Des objectifs de cours à clarifier

Sans aborder les débats historiques qui jalonnent l’évolution de la traduction en tant que pédagogie et de la traductologie en tant que discipline, on notera que de nombreuses recherches ont souligné le “statut étrange de la traduction à l’université, souvent fondé sur une mauvaise appréhension de son intérêt“, selon les mots de l’universitaire Fayza El Qasem.

Bien que les enseignants établissent des objectifs pédagogiques précis aux cours de thème et de version, de nombreux étudiants peinent encore à en percevoir les finalités. Il n’échappe à personne que la phrase “Attention, n’utilisez surtout pas de traducteur automatique !” a longtemps fait partie des consignes transmises aux étudiants, sous prétexte que la qualité de la traduction y est déplorable. Seuls les dictionnaires étaient autorisés.

© Shutterstock

Aujourd’hui, les enseignants des cours de thème et de version peuvent-ils encore éviter les traducteurs automatiques malgré leur amélioration évidente ?

On rappellera que les compétences visées dans les cours de thème et de version vont de la compréhension d’un texte et du fonctionnement des langues à travers les analyses linguistiques (grammaire, vocabulaire, procédés de traduction) jusqu’à la traduction d’un paragraphe, comme moyen d’évaluation des acquis en langues. L’extrait à traduire est généralement issu du registre littéraire ou journalistique et ne s’ouvre que rarement à la traduction dite pragmatique (textes quotidiens, professionnels).

Au cours des dernières années, les critiques n’ont pas manqué. Des études récentes ont insisté sur l’intérêt croissant d’intégrer des outils technologiques dans l’enseignement de la traduction.

Au-delà de la traduction, comprendre et analyser les subtilités linguistiques
Les cours de thème et de version constituent cependant de véritables laboratoires linguistiques. On y pratique l’analyse approfondie d’un texte source en invitant les apprenants à décortiquer les structures linguistiques et extralinguistiques que les logiciels de traduction peinent encore à saisir. En thème ou en version, il ne s’agit pas simplement de traduire des segments isolés, mais d’en saisir le sens global, de repérer les figures de style ou encore, la tonalité, etc.

Chaque niveau d’analyse permet une traduction “acceptable”, certes, mais favorise surtout une manipulation fine de la langue, transposable à d’autres contextes. Tel est le cas de la traduction des ambiguïtés syntaxiques ou des jeux de mots, de l’humour ou encore des néologismes.

Les travaux de la linguiste Natalie Kübler et de ses collègues en langue de spécialité montrent davantage “les limites de ces systèmes de [traduction automatique][…] notamment dans le traitement des syntagmes nominaux complexes, aussi bien au niveau du syntagme lui-même (variations possibles dans la juxtaposition des constituants, identification des constituants coordonnés…) comme au niveau du texte (instabilité des choix de traduction, identification adéquate du domaine de spécialité…)“.

La traduction automatique, aussi performante qu’elle soit, reste cependant imparfaite malgré ses progrès. Si elle se montre efficace lors de traductions simples et littérales, elle peine souvent à capter les nuances contextuelles essentielles. C’est ainsi que la traduction d’expressions idiomatiques (par exemple “les carottes sont cuites”, “les dindons de la farce”), des modes d’emploi ou de certaines publicités, produit parfois des rendus éloignés du sens original, jusqu’à produire de faux sens.

© Shutterstock

Les cours de thème et de version peuvent être l’occasion de sensibiliser et d’accompagner les étudiants vers une utilisation raisonnée de la traduction automatique. Il s’agit aussi d’un espace pour s’entraîner à repérer et à corriger les écueils précédemment cités, tout en renforçant la compréhension des systèmes linguistiques des langues étudiées. À long terme, cette capacité d’analyse revêt une importance fondamentale dans leur futur contexte professionnel. Communicants, journalistes, traducteurs ou enseignants de langues, ces étudiants seront souvent amenés à naviguer entre diverses sources d’information, parfois entachées de deepfakes pour justifier les échecs éventuels que les traducteurs automatiques génèrent.

Renforcer la compréhension interculturelle

Outre le renforcement des éléments linguistiques que permettent d’étayer les cours de thème et de version, la prise en compte des spécificités culturelles constitue un élément d’apprentissage à part entière, notamment parce que la traduction est, entre autres, un moyen de médiation entre deux cultures.

D’ailleurs lorsque le traductologue canadien Jean Delisle parle de la dimension culturelle de la traduction, il recourt à la métaphore de l’”hydre à cent-mille têtes” pour en souligner la nature multiple et dynamique.

La capacité à détecter et à comprendre les différences culturelles aide ainsi à prévenir les malentendus qui peuvent si facilement surgir en langue étrangère et qui sont parfois déjà présents dans la langue source. L’extrait humoristique de Juste Leblanc avec les confusions entre l’adverbe “juste” et le prénom “Juste”, dans le film Le Dîner de cons, l’illustre.

Finalement, en nous éloignant du caractère parfois artificiel des pratiques adoptées dans l’enseignement du thème et de la version et en tenant en compte de l’évolution socio-économique de la société jointe à l’utilisation de l’intelligence artificielle, ces cours pourraient (re)gagner l’intérêt initial du parcours d’apprentissage des langues. Actualisés, ils seraient à même d’offrir aux étudiants une compréhension plus claire des exigences des métiers liés aux langues, métiers qui requièrent aujourd’hui des compétences humaines spécifiques, complémentaires mais distinctes de celles des machines.

La question qui se pose aujourd’hui n’est plus “Pourquoi enseigner le thème et la version à l’heure de l’IA ?“, mais plutôt “Comment ?” “Laisser exister la relation avec les systèmes d’IA, là où partout on ne parle souvent que de leurs usages, c’est aussi laisser place à la dimension indéterminée de leur intelligence inhumaine”, comme on peut le lire dans l’ouvrage d’Apolline Guillot, Miguel Benasayag et Gilles Dowek intitulé L’IA est-elle une chance ?

Anissa Hamza-Jamann, Université de Lorraine


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, Le Caravage, Saint-Jérôme écrivant (1606) © Galerie Borghese (Rome) ; © Shutterstock | N.B. Jérôme est le Patron des traducteurs.


Plus de presse en Wallonie…

TAROT : Arcane majeur n° 06 – L’Amoureux

Temps de lecture : 20 minutes >

L’Amoureux est la sixième lame du Tarot de Marseille. Il représente un jeune homme entre une femme âgée et une jeune femme avec au dessus de lui un chérubin qui va tirer une flèche vers son cœur. Le symbole du chérubin est l’ouverture du cœur, le jeune homme découvre l’amour et l’univers des sentiments. L’Amoureux symbolise l’expression de ses sentiments. Le consultant apprend à connaître ce qu’il ressent et le partage avec son entourage. L’Amoureux exprime ce qu’il ressent et cela est bien accueilli par ses proches. L’Amoureux attire et développe des relations. L’Amoureux est une image de la rencontre et de l’échange affectif avec des personnes qui sont ou qui deviennent des proches. Il est question d’une intimité et d’une douceur de vivre. Avec L’Amoureux les situations sont agréables et les relations sont faites de tendresse. On aime et on se sent aimé. De plus L’Amoureux exprime la capacité de faire les choix du cœur. Dans sa face sombre, L’Amoureux est une image de souffrance et de désamour. Les sentiments deviennent douloureux. C’est aussi la difficulté de faire un choix. Le consultant reste dans l’hésitation et se retrouve bloqué. C’est une incertitude et un balancement entre des options sans parvenir à une décision.” [d’après ELLE.FR]

    1. Lame droite : Grande passion, née le jour = union, mariage.
      1. A côté – LE BATELEUR (droite) Hésitations sur décisions à prendre.
      2. A côté – LE CHARIOT : Les projets seront anéantis, cause départ. Révélation d’infidélité. Trahison.
    2. Lame renversée : Gros rhume. Fièvre.
      1. A côté – LE BATELEUR (renversé) : Rupture pour cause indécision.

1. L’Amoureux ou le choix et l’engagement (Tarot de Marseille, Christiane Laborde)

L’arcane six du tarot de Marseille représente un jeune homme, surmonté d’un Cupidon ailé armé d’une flèche, face à deux jeunes femmes qui sollicitent, toutes les deux, son attention. La scène peut évoquer un épisode de la mythologie gréco-romaine connu sous le nom du choix d’Hercule. Une fois son éducation terminée, le jeune héros rencontre, à un croisement de routes, deux jeunes femmes, nommées Plaisir et Vertu. Plaisir incarne la recherche du plaisir des sens et de l’amour, source de satisfactions immédiates mais éphémères, et Vertu, la quête austère d’une gloire future. Hercule choisit de suivre Vertu et réalise les exploits qui assureront sa notoriété pour la postérité. Il fait ainsi un choix déterminant qui engage sa vie et sa destinée, ce qui correspond au message transmis par l’arcane de L’Amoureux. Certains tarots nomment parfois cet arcane Les Amants, représentés par un couple également surmonté d’un Cupidon. Mais que l’arcane mette en scène un jeune homme face à deux jeunes femmes ou un couple d’amoureux, l’arcane VI concerne toujours les relations amoureuses, d’autant que Cupidon est le fils de Vénus, la déesse de l’Amour.

L’enfant Bateleur est désormais devenu adolescent (même costume bariolé et même blondeur). Une fois son éducation achevée, il s’ouvre à la découverte de l’amour et choisit d’y consacrer sa vie.

Le nombre six

Étymologiquement, six et sexe ont la même racine. L’arcane six de L’Amoureux concerne le domaine de la vie amoureuse et inclut la sexualité, ce qui signifie que la voie du tarot n’est pas une voie d’ascétisme. Le message de l’arcane va cependant au-delà d’une simple incitation au plaisir des sens, car le nombre six est aussi le nombre dédié à l’harmonie, la beauté et l’amour.

Le nombre six est celui du sceau de Salomon. Il représente une étoile à six branches, constituée par l’imbrication de deux triangles inversés, dont l’un a la pointe orientée vers le haut et l’autre vers le bas. Cette figure géométrique, dont les représentations les plus anciennes datent de quatre mille ans avant notre ère, symbolise l’harmonisation des principes opposés obtenue par le dépassement des oppositions qui la constituent, particulièrement celles du masculin et du féminin. Une énergie nouvelle peut alors naître de leur complémentarité, comme l’union de l’eau et du feu libère l’énergie de la vapeur.

Interprétation symbolique de L’Amoureux

La connotation amoureuse de l’arcane six laisse penser que l’amour ouvre une voie vers un état de conscience supérieur. Lorsqu’il est sublimé, il devient un chemin vers le divin (y compris dans son aspect sexuel). C’est le message de l’amour courtois chanté par les troubadours du Moyen-Age et par les poètes de la Renaissance. Ils décrivent l’amour entre un homme et une femme comme le premier degré de la voie qui conduit à l’amour divin. C’est aussi le message transmis par le tantra, pratique initiatique sacrée à la fois physique et spirituelle. Cette conception de l’amour sert de terreau au message de L’Amoureux.

Invitation de L’Amoureux

Comme Pétrarque et Laure, Dante et Béatrice et, avant eux, les amants courtois de la fin’amor, L’ Amoureux du tarot est invité à s’engager, corps et âme, dans la voie de l’amour et à lui consacrer sa vie. Cet élan amoureux doit cependant être dépouillé de sa dimension possessive pour tendre vers une conception plus élevée de l’amour, seule capable de combler le besoin d’élévation et de fusion avec le divin qui s’exprime à travers lui.

Car l’expérience amoureuse rapproche l’être du mystère de la création. Elle ne se limite pas aux relations sexuelles, mais se caractérise par une ouverture du coeur. Elle invite à rechercher la beauté dans toutes les relations humaines et toutes les créatures vivantes – végétales et animales-, mais aussi dans les arts, la culture et tout ce qui élève l’âme et permet de cultiver l’harmonie, en soi et autour de soi.

Prière Navajo

Maintenant va de l’avant comme quelqu’un qui a la longue vie,
Va de l’avant comme quelqu’un qui est heureux,
Va avec le bonheur et la longue vie,
Va mystérieusement.

Pour les Indiens Navajos, marcher dans la beauté, principalement celle de la Nature, est un chemin spirituel, en harmonie avec l’Univers.

L’arcane affirme le libre arbitre de L’Amoureux qui, pour la première fois, choisit, en conscience, l’orientation qu’il veut donner à sa vie en s’engageant dans la voie de l’amour.

Ombre de L’Amoureux

L’amour conditionnel, la possessivité, la jalousie ou encore le chantage et la manipulation sont les manifestations de l’aspect négatif de L’Amoureux.

L’arcane peut suggérer l’immaturité affective (L’Amoureux est encore un adolescent). Cette absence de confiance en soi peut aussi révéler la peur d’aimer, par crainte de souffrir et empêcher de vivre des relations basées sur l’acceptation et le respect de l’autre, particulièrement dans la relation amoureuse.

L’Amoureux peut encore mettre en lumière les doutes qui empêchent de faire des choix engageant sa vie. Car tout choix entraîne un renoncement, et il ne peut exister de choix sans renoncement librement accepté – sous peine de frustration.

L’Amoureux et nous

L’Amoureux nous encourage à prendre nos décisions en conscience, dans l’ouverture du coeur, sans subir les influences de nos vies passées, de notre famille et de la société. Il nous invite à être libres et à vivre intensément en saisissant  toutes les opportunités de manifester les élans de notre coeur. De nos choix dépend notre progression.

Dans un tirage

Sens général. L’Amoureux est l’arcane du choix et de l’engagement. Lorsqu’il se présente dans un tirage, c’est pour indiquer que la personne se trouve devant la  nécessité de prendre une décision qui engage sa vie. Il peut s’agir d’une relation amoureuse, ou plus largement d’une situation où elle est invitée à suivre l’élan de son coeur et à rechercher ce qui peut lui procurer le plus de plaisir et de satisfaction.

Plan personnel. L’arcane de L’Amoureux invite à cultiver l’harmonie en soi, autour de soi et avec les autres, particulièrement dans ses relations amoureuses ce qui n’est possible que lorsgu’on a pacifié les conflits qui existent en soi. Pour aimer et accepter l’autre dans toute sa complexité, il faut d’abord s’aimer et s’accepter soi-même.

Plan spirituel. L’Amoureux invite à s’engager dans la voie de l’ouverture du coeur comme dans une voie spirituelle menant à la fusion avec les énergies supérieures de l’Amour et de la Beauté.


2. L’Amoureux ou Le choix de l’amour (Intuiti)

Le jeune Werther découvre son amour pour Lottie quand il est encore dans son carrosse, avant même qu’il ne la rencontre pour la première fois. Même si l’on pouvait conclure à une intervention divine, en réalité, c’est le jeune homme qui décide de tomber amoureux : il croit que la seule voie pour vivre sa liberté passe par Lottie.  C’est bien de cela qu’il s’agit : choisir la bonne voie, celle qui nous rendra heureux en fin de compte, même s’il nous faut renoncer aux autres choix, même si le chemin choisi semble le plus risqué ou le plus difficile. Découvrir ce que nous aimons réellement peut sembler dangereux, cela nous mène souvent à des carrefours périlleux, avec, d’une part, les choix faciles ou sans danger et, d’autre part, le courage nécessaire pour renoncer à la conformité et emprunter notre vraie voie.

C’est le moment du choix : “Qu’est-ce que j’aime le plus ? Qu’est-ce qui me retient ? Qu’est-ce qui me fait ressentir si fort que c’est là le chemin à emprunter ?

Vous aimerez cette carte si vous avez dépassé ce conflit, si vous avez déjà déterminé ce que vous aimez et ce que vous n’aimez pas, et que vous en êtes sorti indemne.  A contrario, cette carte est angoissante pour ceux qui ont peur de devoir faire ce genre de choix : “Dois-je quitter mon job qui me fait tant souffrir ? Mais que vont dire les gens ? Que vont penser mes parents ?” L’Amoureux nous pousse vers ce que nous aimons mais nous invite aussi à réfléchir : “Est-ce que j’aime réellement ce que je fais ? Et si j’aime ça, pourquoi suis-je si fatigué ? Qu’est-ce qui me manque ?

L’HISTORIETTE. Un beau matin, elle laisse tomber son sac sur le sol et part en courant. Elle quitte sa maison, son travail et ses amis. Sur la route, elle rencontre un cheval  et continue à galoper jusqu’au moment où elle quitte le sol. Son coeur bat bien trop vite pour qu’elle s’arrête. Ce n’est pas qu’elle vole dans les airs : simplement, elle retrouve sa vraie nature.

LA RECOMMANDATION : “Faites-le à votre manière ou ne le faites pas !


3. L’Amoureux (Jodorowsky)

Cliquez sur l’image pour accéder à la boutique wallonica…

EXTRAIT : “Union. Vie émotionnelle. Le nom de cette carte n’est pas, comme on l’a parfois dit, Les Amoureux mais L’Amoureux au singulier. Pourtant nous y voyons plusieurs personnages : quatre de forme humaine (les trois personnes et l’ange) et, si on le veut bien, deux entités qui sont la terre et le soleil. Parmi eux, qui est L’Amoureux ? Le personnage central, souvent interprété comme un garçon ? Le personnage de gauche, dans lequel certains lecteurs voient un travesti ? Ou encore l’ange, ce petit Cupidon qui pointe sa flèche depuis le ciel ? Ces questions se posent car l’Arcane VI est probablement, avec La Maison Dieu, l’une des cartes les plus ambiguës du Tarot, et une de celles qui ont été le plus mal comprises. Le VI représente, dans la numérologie du Tarot, le premier pas dans le carré Ciel. C’est le moment où l’on cesse d’imaginer ce qui nous plairait pour commencer à faire ce que l’on aime.

La tonalité majeure de cette carte concerne le plaisir, la vie émotionnelle.  C’est la raison même pour laquelle elle est si complexe, si riche de significations contradictoires. Elle ouvre le champ à d’innombrables projections, on peut lui attribuer mille interprétations qui seront toutes justes à un moment donné. Que se passe-t-il au sein de ce trio ? Est-ce une querelle, un marchandage, un choix, une union ? Les deux personnages de gauche se regardent pendant que celui de droite regarde dans le vide. L’humanité entière peut être comprise à travers cette carte. Les relations de ses protagonistes sont extrêmement ambivalentes.

La position des mains des personnages est particulièrement intéressante à observer. Cinq mains dans des positions diverses symbolisent la complexité des relations en jeu. Le premier personnage, à gauche de la carte, pose sa main droite sur l’épaule du deuxième, dans un geste de protection ou de domination, pour le pousser ou le retenir. Sa main gauche touche le bas du costume du garçonnet. On peut interpréter le mouvement de son index tendu comme un désir de glisser vers le sexe, ou au contraire un interdit à le faire. Le garçon a sa main droite (à notre gauche) appuyée contre sa ceinture. On note au passage que celle-ci, jaune à trois bandes, est la même que celle de la femme de gauche. Si l’on admet la ceinture comme symbole de la volonté, ce détail unit les deux personnages. Mais à qui appartient la main, à notre droite, qui touche le ventre de la jeune femme ? Le garçon et elle-même ont un vêtement à manches bleu foncé, si bien le mouvement de ce bras est ambigu. Ils font en quelque sorte « bras commun». Si le garçon touche le ventre de la jeune fille au niveau du sexe, la direction de son regard va cependant vers la gauche. La carte aura une signification bien différente si l’on considère que c’est son bras à elle qui protège ou indique son ventre alors que le garçon garde sa main dans le dos…

La femme de droite porte une coiffe composée de quatre fleurs à cinq pétales. Elle pourrait représenter une belle conscience poétique et néanmoins solide. Le coeur violet des fleurs concentre la sagesse de l’amour, voire la capacité de se sacrifier. La femme de gauche porte une couronne de feuilles vertes, active (la bande rouge), et si l’on accepte qu’il s’agit de laurier, on peut dire qu’elle a une mentalité de triomphatrice ou de dominatrice.

On peut spéculer à l’infini sur les relations des trois personnages : un garçon qui présente sa fiancée à sa mère ; une femme qui découvre son mari avec une maîtresse;  un homme tenu de faire un choix entre deux femmes ou, comme le veut l’interprétation traditionnelle, entre le vice et la vertu ; une maquerelle offrant prostituée à un passant ; une jeune fille qui demande à sa mère la permission d’épouser le garçon qu’elle a choisi ; une mère amoureuse de l’amant de sa fille ; une mère préférant l’un de ses deux enfants à l’autre…

Les interprétations sont inépuisables. Toutes nous conduisent à dire que L’Amoureux est une carte relationnelle qui représente le début de la vie sociale. C’est le premier Arcane où il y a plusieurs personnages présentés au même niveau. Les disciples du Pape étaient plus petits que lui et de dos). C’est une carte d’union et de désunion, de choix sociaux et émotionnels. Plusieurs indices présents dans la carte orientent vers la notion d’union. D’une part, le chiffre 6 dans l’alphabet hébreu est associé à la lettre Vav, le clou, qui représente l’union. D’autre part, on remarque entre les jambes des personnages des taches de couleur (bleu ciel puis rouge) qui représentent, elles aussi, une continuité, une union entre eux. Sur un plan symbolique, on pourrait dire que les trois personnages représentent trois des instances de l’être humain : l’intellect, le centre émotionnel et le centre sexuel qui s’unissent pour ne faire qu’un.

La terre est labourée sous les pieds des personnages. Cela signifie que, pour arriver au VI, il faut avoir fait un travail préalable, psychologique, culturel et spirituel. C’est ainsi que l’on en arrive à réaliser ce que l’on aime, ce que l’on veut. Les chaussures rouges du personnage central sont les mêmes que celles du Mat et de l’Empereur : on peut les considérer comme trois degrés d’un même être. On note aussi que, entre  ce personnage et sa voisine du côté droit, la terre s’arrête, il n’y a que la tache rouge. On peut alors voir en eux une représentation de l’animus et l’anima, deux aspects masculin et féminin d’une seule personne.

L’orthographe AMOVREUX avec le ‘V’ à la place du ‘U’ crée un lien visuel et sonore avec le mot Dieu de LA MAISON DIEV. On pourrait dire que le soleil, qui verse ses rayons sur la scène, représente le grand Amoureux cosmique, la divinité comme source d’amour universel qui nous conduit à l’amour conscient et inconditionnel. Le petit Éros lui sert de messager et nous suggère, étant représenté sous les traits d’un enfant, que cet amour se renouvelle constamment.

Dans une lecture

Cette carte ambiguë nous incite à nous questionner sur notre état émotionnel : comment va notre vie affective ? Sommes-nous en paix ou en conflit ? Faisons-nous ce que nous aimons ? Quelle place l’amour a-t-il dans notre vie ? La situation qui nous occuppe a-t-elle des racines dans notre passé, et lesquelles ? On peut s’interroger sur la place qui nous a été attribuée au sein de la famille, travailler à identifier les projections que nous reportons sur notre entourage actuel. L’Amoureux sera, au choix, un des personnages de la carte, dont les relations pourront être commentées par le (la) consultant(e). Quelle que soit la question, il sera utile de rappeler que L’Amoureux central demeure le grand soleil blanc qui irradie, illuminant tous les vivants sans discrimination.

Et si L’Amoureux parlait …

Je suis le soleil de l’Arcane, le soleil blanc : presque invisible mais éclairant tous les personnages. Je suis cette étoile : la joie d’exister, et la joie que l’autre existe. Je vis dans l’extase. Tout me donne du bonheur : la Nature, l’univers entier, l’existence de l’autre sous toutes ses formes – cet autre qui n’est autre que moi.

Je suis la conscience qui brille comme une étoile de lumière vivante au centre de votre coeur. Je me renouvelle à chaque instant, à tout moment je suis en train de naître. À chaque battement de votre coeur, je vous unis avec l’univers entier. C’est de moi que partent les liens infinis qui vous unissent à toute création. Ah, le plaisir d’aimer ! Ah, le plaisir de m’unir ! Ah, le plaisir de faire ce que j’aime ! Messager de la permanente impermanence, je renais à chaque seconde. Je suis comme un archer nouveau-né qui lance des flèches vers tout ce que ses sens peuvent capter.

Je ne suis pas la gentillesse, je ne suis pas l’ambition du bien-être ou du triomphe. Je suis l’amour inconditionnel. Je vous apprendrai à vivre dans l’émerveillement, la reconnaissance, la joie.

Lorsque je pénètre en vous, comme dans les personnages de l’Arcane, je communique l’amour divin à la moindre de vos cellules. Je souffle sur votre mental comme un ouragan chaleureux qui élimine du langage la critique, l’agression, la comparaison, le mépris, et toutes les gammes de l’orgueil qui séparent le spectateur de l’acteur. Je m’insinue dans votre énergie sexuelle pour adoucir toute brutalité, tout esprit de conquête, de possession. Je confère au plaisir la délicatesse sublime d’un ange qui éclate. Lorsque je me dissous dans votre corps, c’est pour le détacher de la dictature des miroirs et des modèles, du regard des autres, de la douleur des comparaisons. Je lui permets de vivre sa propre vie, d’assumer sa lumière et sa beauté. Dans le coeur où j’habite, je chasse les illusions de l’enfant mal-aimé. Comme la cloche d’une cathédrale, je répands dans le sang la vibration pénétrante de l’amour, dénuée de toute rancune, de toute demande émotionnelle travestie en haine, et de toute jalousie, qui n’est que l’ombre de l’abandon. Je vous initie au désir de ne rien obtenir qui ne soit aussi pour les autres. L’île du moi se transforme en archipel.

Tout concourt à augmenter ma joie, même ce que vous interprétez comme des circonstances négatives : le deuil, la difficulté, la petitesse, les obstacles. J’aime les choses et les êtres tels qu’ils sont, avec leurs infinies possibilités de développement. À chaque instant, je les vois et je suis prêt à participer à leur épanouissement, mais aussi à accepter qu’ils demeurent tels quels.

Vie sociale, Joie • Aimer ce que l’on fait • Faire ce que l’on aime • Nouvelle union • Choix à faire • Plaisir • Beauté • Amitié • Couple à trois • Tomber amoureux(se) • Conflit émotionnel • Séparation • Dispute • Terrain incestueux • La fratrie • Idéal et réalité • Premiers pas dans la joie de vivre • Amour conscient • Amour inconditionnel • La voie de la Beauté…


4. Les Amoureux (Vision Quest)

L’ESSENCE : DÉVOUEMENT – Amour à tous les niveaux, dans toutes les dimensions, aussi bien platonique qu’érotique – Profonde fusion – Dissolution – Retour – Compagnon et Compagne spirituelle – Ami et amie du coeur..

LE MESSAGE INTÉRIEUR : Pour pouvoir vous dévouer véritablement, vous devez être fort, et non pas faible ! Souvent les personnes pensent que c’est uniquement la faiblesse qui se dévoue. Mais c’est exactement le contraire. On doit avoir la force de se dévouer à l’amour sans rien attendre en retour, sans même savoir si l’amour va nous répondre… Ceci ne peut se produire que s’il existe une grande confiance universelle. Votre force d’amour est le cadeau le plus important
de votre vie. Ne la laissez pas s’affaiblir, même si elle est accompagnée de douleur. Le feu de l’amour est le chas de l’ aiguille par lequel chacun de nous doit passer dans sa vie. Si nous refusons cette chance, nous restons inassouvis.
.

LA MANIFESTATION EXTÉRIEURE : Décidez-vous pour la force de l’amour en vous. Cette force ne coule pas seulement vers une personne. Il existe plusieurs aspects de l’amour. Ne vous limitez pas vous-même, mais permettez au flux de votre vie et de votre force d’amour de couler. Le moment est opportun pour s’accorder la présence d’un ou d’une partenaire. Apprenez à différencier quels sont les énergies et souhaits du coeur que vous donnez et recevez. L’amour spirituel et l’harmonie intérieure peuvent être d’ordre sexuel pour s’accomplir, mais pas obligatoirement. Notre sexualité est un cadeau formidable de la nature.
D’une part, pour le maintien de tous les êtres vivants, et, d’autre part, elle est un chemin merveilleux pour apprendre le dévouement et la fusion les plus intimes qui existent avec la force divine.


5. L’Amoureux (tarot maçonnique)

“Pour aller à la conquête de son unité, l’individu est amené à faire un choix : sortant de l’école du centaure Chiron, il se trouve à la croisée des deux triangles qui forment le sceau de Salomon.

A la jonction du jour et de la nuit, le personnage est au centre de deux attirances ; d’un côté la passivité, la vie affective, et de l’autre la rigueur de l’ascèse nécessaire à la recherche de la lumière. C’est aussi le choix entre la voie de l’intuition (mystique) et celle de l’étude (gnostique).

La flèche du sagittaire est, dans les “Upanishad” le symbole de l’intuition fulgurante ; celle décochée par Eros est animée par les sentiments d’amour, de désir, de générosité. L’arc est le symbole des tensions d’où jaillissent nos désirs liés à l’inconscience enfoui dans l’oeuf primal.

L’énergie qui anime l’être humain est doublement marquée par la rencontre d’un courant vertical (dynamisme de l’esprit) et horizontal (sentiment, “affectus”). Dans l’image, l’être est double, divisé même entre deux figures : l’une ondoyante et attirante, l’autre rigide comme une colonne.

Le niveau, outil du maçon opératif, permet le contrôle de l’équilibre nécessaire à ce stade du Travail du Compagnon.”


6. Les amoureux de la forêt (Forêt enchantée)

“Les Amoureux de la forêt sont placés à Beltane, l” mai, la fête des rites de printemps et le portail vers l’été. Dans cette position, ils équilibrent les suites d’Arcs et de Flèches et les éléments feu et air, et représentent l’échange délibéré d’énergie qui engendre la conscience féconde.

DESCRIPTION : Un homme et une femme se tiennent côte à côte, vêtus du vert et du brun de la Forêt enchantée. Ce sont Robin des Bois et Lady Marian, les Amoureux de la forêt, réincarnés maintes fois sous toutes sortes de noms. Entre eux se trouve un poteau enrubanné de mai, généré par leur échange d’énergie et symbolisé ici par un bouleau. Des guirlandes vertes montent autour de lui en spirale vers le ciel, représentant les énergies ascendantes de la Terre qui rencontrent les énergies descendantes du ciel. Les Amoureux de la forêt créent une étincelle de vie qui génère une troisième force ou énergie. Les pieds-de-veau sont en fleur au moment de Beltane. Ils symbolisent l’union masculine et féminine à cette époque de l’année, ainsi que les énergies génératrices conférant plénitude et harmonie à ce moment du cycle de l’année.

SIGNIFICATION : Les Amoureux de la forêt représentent en même temps l’équilibre dans les relations et l’union sexuelle. Nous sommes tous des fragments holographiques de l’univers, renfermant en nous à un quelconque degré l’ensemble de la création et des archétypes de l’Arcane majeur. À mesure que nous pénétrons dans la grande forêt de la vie, nous cherchons la richesse et l’harmonie émotionnelles sur le plan le plus profond. À partir de là, l’amour fleurit, nous enlaçant encore plus étroitement dans une existence où les différences disparaissent et les scories de la cupidité et de la possessivité sont brûlées dans les feux de la vie.

Le véritable amour vient de l’union de deux énergies polaires pour créer une troisième force ou conscience. C’est un échange d’énergie et de passion, pas la domination de l’une ou de l’autre mais un transfert délibéré de volonté et de respect. Pour être complets, nous devons apprendre à accepter et à montrer de l’amitié à tous les aspects de notre personnalité, masculin et féminin, clair et obscur, processus qui permet une circulation naturelle en nous du cycle des saisons. Si nous n’accueillons pas tous les archétypes, ils se sentent reniés et mal à l’aise, comme des fantômes frappant à la fenêtre, cherchant à se faire connaître.

À mesure de notre progression, nous trouvons l’équilibre de notre personnalité à travers nos relations. Certains hommes créatifs et sensibles sont équilibrés par une « chasseresse » forte. Certaines femmes attentives et artistes sont équilibrées
par un aspect masculin très motivé. Le genre physique peut varier, mais la polarité fonctionnera ou échouera.

Pour aimer réellement, nous devons être complets, accepter tous les aspects de notre personnalité et accepter cette même complétude chez autrui. La polarité varie d’un jour à un autre, d’un moment à un autre, mais l’individu réellement complet possède tous les éléments fragmentés de sa personnalité et est capable de les affronter chez les autres. La joie de l’union est entière et facile. L’amour est sa propre récompense.

POINTS ESSENTIELS DE LA LECTURE : Sur un plan personnel, l’amour est un don universel au coeur généreux, et la personne en quête trouvera l’équilibre grâce à l’harmonie et à la guérison intérieures. La polarité est l’élément clé du flux et du reflux naturels de l’engagement émotionnel. Les Amoureux de la forêt représentent la force spirituelle positive de l’énergie émotionnelle créative et du désir universel d’harmonie. Les habitants de la Forêt verdoyante révèrent et respectent les rites de l’amour en tant que force assurant le déroulement du cycle de la création et la stabilité émotionnelle. Amenez toujours avec vous la lumière de l’amour et laissez-la éclairer les recoins les plus sombres de votre monde et vous soutenir dans toutes vos actions.

Racines et branches
Union bénie | Amitié | Rites de printemps | Equilibre polaire des âmes | Désir | Cerf blanc arthurien | Amour éternel | Voeu sacré


7. Nemetona (tarot celtique)

“Si les temples des Celtes (cercles de pierres au plus profond de la forêt) s’appelaient nemeton, Nemetona ne peut qu’être la mère du bois, la déesse-arbre vêtue de feuilles et d’écorce. À cette image de sérénité et de paix, de secret et de fraîcheur, il vient toutefois s’en ajouter une autre, bien moins pacifique, qui présente aussi Nemetona comme une divinité guerrière, une sorte de Victoire, compagne du dieu Mars. Guerre et paix, tendresse et passion, harmonie et rivalité : tels sont du reste les traits caractéristiques de la déesse mère celtique, déesse du combat et de l’ amour, de la fertilité et de la lutte. On retrouve d’ ailleurs la même ambivalence dans le sentiment amoureux, considéré comme une entité abstraite indépendante, intense, violent, très doux et toujours tourmenté. Le panthéon celtique compte deux divinités de l’ amour : le jeune Oengus, fils du Dagda, épris d’une femme changée en cygne ; et la belle Ainè, vénérée encore aujourd’hui au solstice d’été, quand elle apparaît au sommet des collines aux jeunes filles amoureuses.

LA CARTE : Comme l’amour sentimental, spirituel ou physique, dont les trois visages nous tourmentent et nous charment, Nemetona, qui préside au repos et à la guerre, à la tendresse et à la passion, revêt ici une apparence triple. Le caractère lié à la végétation ressort non seulement de la coiffure et de l’habit faits respectivement de feuilles et d’écorce, mais aussi du teint verdâtre et du vert franc et brillant des iris. L’expression différente de chacun des trois visages souligne de son côté l’idée du changement et de l’incertitude propre à cette carte : celui du milieu est énergique et combatif, tandis que les deux autres sont soucieux et mélancoliques.

SIGNIFICATION ÉSOTÉRIQUE : Rien de ce qui vit dans l’univers n’est rigoureusement fixe : tout est sujet à changer, en se balançant souvent de part et d’autre et en naviguant vers son contraire. Il n’existe pas de vérité unique : chaque vérité a plusieurs facettes, plusieurs aspects, car l’absolu se cache derrière le relatif. L’amour est la seule énergie capable de concilier les contraires, par la force de cohésion de l’âme : dans l’amour, les contraires se rejoignent ; les doutes s’aplanissent et la fluctuation qui nous fait souvent perdre notre chemin se transforme en joyeuse certitude.

MOTS CLEFS : amour, rencontre, doute, choix, art, agriculture.

A L’ENDROIT : rencontre de l’âme soeur, amour, projets de mariage ; fidélité, dévouement, choix décisif ; amitié, altruisme ; art, beauté, affinité ; fécondité physique et intellectuelle ; réussite aux examens, épreuves surmontées ; récoltes agricoles ; alliances utiles ; santé recouvrée grâce à une alimentation saine ; parents, prétendants, enfants, animaux domestiques.

A L’ENVERS : hésitations, doutes, insatisfaction, frustration ; tromperies, tentations, rencontres mettant l’avenir en péril ; conflits, désirs inassouvis, instabilité, obstacles ; échec à une épreuve ; sexualité débridée ou inhibée, séparation, célibat, fiançailles repoussées ; sacrifice, froideur, égoïsme ; projets hasardeux, affaires en suspens ; dépression, risque de maladie ou d’accident, stérilité, malaises, troubles intestinaux, affections des reins, du sein et de la gorge.

LE TEMPS : mercredi, septembre.

SIGNE DU ZODIAQUE : Gémeaux, Taureau, Balance.

LE CONSEIL : laissez la force de l’ amour rythmer vos journées et guider vos choix : grâce à elle, toutes les décisions que vous prendrez contribueront à répandre la lumière en vous et tout autour de vous.


8. Les Amoureux (Johannes Fiebig, ill. Dali)

Dali Pinxit

PARADIS ET OMBRE – Beaucoup se souviennent de l’histoire de l’Expulsion du Paradis telle qu’elle est décrite dans la Bible et dans d’autres récits. L’histoire du Retour au Paradis, de la Vie éternelle qui commence le jour du Jugement dernier, est en revanche méconnue et appartient pourtant à la tradition occidentale. Ce jour du Jugement dernier est aujourd’hui !

Nous aspirons à l’amour, mais en secret nous avons peutêtre peur de pouvoir aimer et/ou d’être aimé. Notre bonheur en amour dépend beaucoup des objectifs et représentations que nous lions au mot amour. Tant que nous sommes à la recherche de notre moitié, nous courons le risque de nous réduire de moitié. Ou bien nous recherchons un maximum de ressemblance personnelle : réfléchissez dans quelle mesure cette idée vous porte.

Si vous cherchez quelqu’un avec qui vous êtes d’accord à tout point de vue, qui vous connaît exactement et vous comprend, une seule personne remplit ces conditions : vous-même. Plus les différences sont marquées, plus les points communs sont enrichissants ! À partir du moment où nous sommes capables d’aimer les différences, un nouveau paradis s’ouvre alors à nous ! Sur ce chemin, ombres et nuages noirs doivent être transpercés. Seul l’amour basé sur l’individualité et l’originalité de l’individu arrive au nouveau paradis et atteint le paroxysme (comme la silhouette de l’ange sur l’image) dans des moments de bonheur suprême qui outrepassent la portée de chaque homme.

CONSEILS PRATIQUES -Le petit ange de la carte incarne aussi l’enfant des deux amoureux. Cela peut être pris au sens propre comme au sens figuré. Tout type de relation, y compris la relation avec soi-même ou la relation avec des partenaires commerciaux, porte au sens figuré un enfant : des résultats productifs – preuve vivante d’une collaboration collégiale – porteurs de vie et d’avenir.

RÉFÉRENCES ARTISTIQUESNeptune et Amphitrite (1516), Gemaldegalerie, Berlin, par Jan Gossaert, nommé Mabuse, né à Maubeuge (Hainaut) entre 1470 et 1480, mort à Bréda en 1532.


RETOUR A L’INDEX DES ARCANES…


Lisons encore les symboles en Wallonie…

VIENNE : Sérénade d’automne (2024)

Temps de lecture : 3 minutes >

Le problème, c’est le chien. Et les souvenirs, aussi. Surtout, peut-être. A cause de tout cela, même si souvent l’envie lui est venue, il ne l’a jamais fait. Ce soir encore, il hésite. Il était pourtant presque décidé. Se lève, se sert un Talisker dont la chaleur tourbée le rassure. Un verre, juste un, pour y puiser le courage, pas davantage, surtout ne pas tomber dans une torpeur nostalgique. De quoi d’ailleurs ? Ce n’est pas de nostalgie qu’il s’agit, plutôt d’une curiosité teintée de tristesse. Un peu d’inquiétude aussi, une forme de culpabilité sans doute.

Le moteur de la voiture a été moins hésitant que lui à démarrer. Au dehors, il pleut. Il déteste ça mais, pour ce qu’il a à faire, cela lui semble préférable. La route, il la connaît, de toute manière. Ce n’est pas qu’il l’a repérée, non, répétée plutôt, tant de fois, avant et après, maintes fois, comme aujourd’hui, il a pris la route avant de rebrousser chemin. Ce soir, ce sera différent, c’est différent, il le sent bien. Même s’il la parcourt dans le silence, pas de musique, contrairement à son habitude. Il est déjà presque arrivé. Deuxième sortie dans le rond-point, ensuite première à droite, et puis. Garer la voiture plus loin, même s’il faut marcher cent mètres sous la pluie, ne pas attirer l’attention, surtout, en aucun cas. Il verrouille les portières et se met en marche.

La rue est calme, il y a généralement peu de trafic, surtout à cette heure, pas de piétons non plus, par ce temps qui voudrait. Il longe les façades des maisons, toutes du même côté, le trottoir d’en face borde un parc d’où émanent des odeurs d’humus, les feuilles mortes en décomposition, l’automne est déjà bien avancé. Trois maisons sont légèrement en retrait, précédées d’un jardinet, c’est celle de droite qui l’intéresse. D’où se découpe le rectangle jaunâtre d’une fenêtre éclairée. Il s’approche doucement. Il sait qu’à moins d’un bruit intempestif, d’une sonnerie ou d’un chat, le chien ne réagira pas. Il sait que personne ne se lèvera pour baisser le volet dont le mécanisme est depuis si longtemps grippé qu’il faudrait le remplacer. Il sait qu’en choisissant le bon angle, entre le coin du mur et les rideaux, il pourra embrasser du regard la quasi totalité de la pièce sans risquer d’être vu. Il hésite une dernière fois.

Assise à la table, elle lui tourne le dos. Il en était certain d’avance. Lui n’aurait jamais pu s’asseoir dos à la fenêtre, imaginer des regards pesant sur lui à son insu. Elle, si, absorbée par l’écran de son laptop tandis qu’elle écrit. Pour peu, il la verrait sourire. De cela aussi, il est persuadé. Parce que pendant si longtemps, quand même, c’est à lui qu’elle a écrit. En souriant. Et pas seulement écrit. De cette maison, il n’y a pas grand-chose qu’il a oublié. Si ce n’est l’odeur, peut-être. La décoration a changé, forcément. C’était un besoin aussi, sans doute. Mais il reconnaît encore ce vase qu’il détestait. Et un dessin d’enfant au mur. Il se demande si. Mais justement, la voilà qui entre.

Il a un brusque mouvement de recul. Pourtant, la porte du salon est dans l’angle mort, en entrant, elle ne peut l’apercevoir. Ce n’est pas de cela qu’il a peur, il en est bien conscient. Elle a changé, plus que tout le reste, évidemment à cet âge-là. Il l’observe attentivement alors qu’elle s’assoit à côté de sa mère. Il la voit rire, les sent complices, sourit pour lui-même dans l’obscurité humide. Elles sont bien, se dit-il, elles ont l’air heureuses. Il s’écarte de la fenêtre. De la pointe du pied, il efface l’empreinte de ses chaussures dans la terre meuble, la dernière trace de lui. Dans la voiture, il allume l’autoradio.

Philippe VIENNE


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : rédaction | source : inédit | commanditaire : wallonica | auteur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Spa, chemin des Fontaines © Philippe Vienne


Plus de littérature…

PROPAGANDE CHINOISE en ESPERANTO : Cinq héros sur le mont Langja (Pékin, 1977)

Temps de lecture : 4 minutes >

La propagande est une technique, quel qu’en soit le contenu, de simplement édifiant (ex. santé publique) à ouvertement fasciste. Elle nécessite un discours partagé et la mise en oeuvre de dispositifs visuels que l’on retrouve également dans ce marketing qui, hélas, baigne notre espace mental quotidien, visuel et/ou sonore. Reste que certains objets, supports de propagande, ne sont pas dénués d’une réelle flamboyance esthétique, quand ce n’est pas l’humour qui en est la caractéristique la plus remarquable. Nous en voulons pour preuve la collection de cartes postales commerciales que nous avons réunie pour vous dans la DOCUMENTA.

C’est cette considération qui nous a également amenés à vous proposer en téléchargement gratuit dans la DOCUMENTA un authentique petit fascicule de propagande chinoise, daté de 1977 et rédigé en… esperanto ! Nous livrons ici à votre curiosité éclairée la transcription de quelques vignettes (traduites par des robots puis révisée par nos soins avec le souci de conserver la grandiloquence kitsch de l’original). Tout ceci, en laissant, bien entendu, la responsabilité des propos guerriers tenus au Parti Communiste Chinois :

Cinq héros sur lE mont Langja

À l’automne 1941, les agresseurs japonais lancèrent une opération de ratissage vers le [Sanhi-êahar-Hebei-a], une région frontalière contrôlée par le Parti communiste chinois. Lorsque les ennemis atteignirent la région montagneuse de Langja à l’ouest du comté de Ji dans la province du Hebei, une troupe de la Huitième Armée [de Route] décida de se déplacer vers une ligne extérieure pour les exterminer. Cinq camarades, le caporal Ma Bauju, le caporal suppléant Ge Genlin et les combattants Hu Delin, Hu Fucaj et Song Hjueji, restèrent là pour couvrir le transfert et arrêter les ennemis. Ces cinq héros, avec un réel esprit d’abnégation, ont délibérément attiré les ennemis vers un précipice. Ils ont mené une bataille déterminée contre les ennemis et ont courageusement sauté dans un abîme, après avoir jeté sur les ennemis leurs dernières grenades. Ces héros incarnent la noblesse et l’héroïsme du peuple armé dirigé par le Parti communiste chinois.

1. À l’automne 1941, les agresseurs japonais balayèrent la région frontalière de [Sanhi-Cahar-Hebei]. Selon la stratégie du Président Mao, certains corps de la Huitième Armée [de la Route] ont combattu dans la région de la rivière [Ji§uj] et du mont Langja et, sous l’action conjointe des milices, ont fortement attaqué les ennemis.

2. Le 25 septembre, les agresseurs japonais répartissaient soudain leurs forces de tous côtés pour assiéger notre régiment. Les commandants du régiment décidèrent de retirer immédiatement les troupes et ordonnèrent au sixième groupe de la septième compagnie de laisser cinq combattants derrière eux pour bloquer l’avancée de l’ennemi et surveiller le transfert secret de notre force principale en utilisant le terrain favorable de [Kipantuo] sur le mont Langja.

3. Le plus gros des troupes s’est déplacé rapidement cette nuit-là et seuls les cinq combattants sont restés sur place. Ils se souvenaient clairement des paroles des officiers du régiment : ils lutteraient courageusement pour retenir l’avancée des ennemis et les battraient durement.

4. Au clair de lune, ils ont chacun pris quelques grenades laissées par l’état-major du régiment et les ont enterrées comme des mines au pied de la montagne, jusqu’à mi-hauteur de celle-ci.

5. Après cela, les combattants se sont tous cachés dans la zone la plus stratégique de Kipantuo. Le vent de la montagne soufflait, mais personne n’avait froid et le cœur de chacun était plein d’indignation.

6. Au deuxième cri du coq, tout à coup, un incendie apparut au pied de la montagne : les ennemis avaient incendié un village et les habitants subi à nouveau de lourdes pertes. En voyant les tirs s’intensifier, les combattants étaient remplis de haine.

7. C’est alors qu’ils entendirent vaguement les pleurs d’une femme, plus bas dans la montagne, qui se rapprochaient de plus en plus. Les villageois sont en marche vers nous ! Ce serait terrible s’ils marchaient sur les mines enterrées ! Le vice-caporal Ge Genlin s’est levé d’un bond, a signalé la situation à un caporal et a immédiatement dévalé la montagne…

La suite est disponible dans la DOCUMENTA. Cliquez ici… Mais, rassurez-vous : l’histoire finit (presque) bien !

35. Comme s’il s’agissait d’un assaut ordinaire, le caporal cria en sautant dans le gouffre : “Camarades ! Sautez après moi !” et les autres sautèrent aussi. C’est alors qu’un écho solennel retentit dans toute la vallée : “A bas l’impérialisme japonais ! Vive le Parti communiste chinois !


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : dématérialisation, partage, traduction, édition et iconographie | sources : collection privée | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © Parti Communiste Chinois.


Plus de politique mais en Wallonie ?

La vraie tarte brésilienne est… belge (recette)

Temps de lecture : 3 minutes >

La version française

[ENCOREUNGATEAU.COM] En matière d’imposture, je crois qu’on ne peut pas mieux faire que la tarte brésilienne ! Premièrement ce n’est pas une tarte et deuxièmement elle n’est pas brésilienne ! Mais alors, qu’est ce que la tarte brésilienne ? Et pourquoi appelle-t-on une brioche belge tarte brésilienne ? C’est ce que je vous propose de découvrir aujourd’hui.

La tarte brésilienne est à peu près aussi brésilienne que moi, c’est dire ! Il s’agit en fait d’une pâtisserie originaire de Belgique et qui se compose d’une brioche garnie de crème pâtissière recouverte de chantilly et de pralin. Elle ne tient donc pas son nom de ses origines mais de sa composition. En pâtisserie, on appelle brésilienne un mélange de noisettes et d’amandes concassées et caramélisées, plus communément connu sous le nom de pralin

Céline


La version wallonica

© rtbf.be

Recette belge comme son nom ne l’indique pas ! La brésilienne c’est des noisettes grillées caramélisées. Cela ressemble un peu au pralin français qui, lui, contient des noisettes et des amandes. La tarte est une pâte levée (vous pouvez utiliser une pâte brisée prête à l’emploi de chez madame GrandeSurface), de la crème pâtissière, de la chantilly et recouverte de brésilienne.

N.B. Prévoir un moule de 24cm avec un bord haut (3,5cm)

Brésilienne :
      • 100 g noisettes,
      • 30 gr sucre,
      • 12 cl d’eau,
      • 1 pincée de sel,
      • arôme vanille.

Pour préparer la brésilienne : grillez les noisettes quelques minutes à la poêle. Frottez-les dans un essuie de cuisine pour enlever les peaux. Portez à ébullition 30gr de sucre, 12cl d’eau, 1 pincée de sel et l’arôme de vanille. Quand il est doré, mélangez les noisettes dedans et débarrassez le mélange sur une plaque. Laissez refroidir. Concassez-les avec un grand couteau.

Crème pâtissière (elle doit refroidir !) :
      • 50 cl lait demi écrémé,
      • 1 gousse de vanille,
      • 4 jaunes d’œufs,
      • 90 gr sucre en poudre,
      • 40 gr maizena.

Pour préparer la crème pâtissière : Chauffez le lait dans une casserole avec la gousse de vanille fendue en 2 et grattée. Dans 1 saladier, mélangez les œufs et le sucre jusqu’à ce que le mélange blanchisse. Incorporez la maizena. Quand le lait frémit, retirez la gousse et versez-le sur les oeufs/sucre en mélangeant bien puis reversez le tout dans la casserole. Laissez épaissir sans cesser de mélanger. Laissez refroidir. Puis déposer un film plastique au contact et mettez au frigo.

La pâte levée :
      • 20 gr de levure fraîche de boulanger,
      • 60 gr de lait demi-écrémé,
      • 1 pincée de sucre,
      • 300 gr de farine T45
        Farine T45
         ? Appelée farine blanche, cette farine est la plus utilisée en cuisine et est totalement débarrassée du son. Elle est particulièrement employée pour les pâtisseries fines comme les crêpes ou les financiers. Attention tout de même à sa consommation car son indice glycémique est très élevé.
      • 140 gr de beurre doux,
      • 1 œuf,
      • 40 gr de sucre en poudre.

Pour préparer la pâte levée : délayez la levure dans le lait tiède avec une pincée de sucre. Sur le plan de travail, faites un puits avec la farine. Ajoutez le beurre en dés. Sablez du bout des doigts. Versez le mélange lait, levure, œufs et sucre. Amalgamez avec les mains. Pétrissez 10 minutes. Formez une boule. Laissez reposer 1 heure dans un endroit tiède.

Chantilly :
      • 20 cl de crème liquide entière bien froide,
      • 200 gr de mascarpone,
      • 40 gr sucre glace.

Pour préparer la chantilly : Fouettez la crème fraîche avec le mascarpone et ajoutez le sucre en 2 fois. Gardez au frigo.

Tous les composants étant ainsi préparés, sur votre plan de travail fariné, abaissez la pâte au rouleau et déposez-la dans le moule à tarte. Piquez le fond avec une fourchette et laissez lever 15 minutes.

Cuisez la pâte à blanc (à savoir : mettez un papier sulfurisé avec des fruits secs sur la pâte pour faire poids) pendant 20 minutes dans un four chauffé à 180° jusqu’à ce que les bords soient dorés. Enlevez le papier sulfurisé et les fruits secs. Laissez tiédir. Mettez ensuite la crème pâtissière à la spatule. Puis la chantilly. Puis la brésilienne…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : encoreungateau.com ;  Sophie Adans, Chef | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © encoreungateau.com ; © rtbf.be.


Passer à table en Wallonie…

DE PIERPONT : Un tunnel pour bateaux sous la crête ardennaise ? L’épopée du canal de Meuse et Moselle (CHiCC,2003)

Temps de lecture : 4 minutes >

Guillaume d’Orange-Nassau a reçu le trône des Pays-Bas, de Belgique et la couronne grand-ducale au Luxembourg, trois territoires qui restent différents et le Grand-Duché a un statut particulier : il fait partie de la confédération germanique. Guillaume Ier s’intéresse au développement de son royaume et participe à la constitution de la Société Générale des Pays-Bas. Elle est au départ caissière de l’état, émet des billets de banque, gère un patrimoine foncier et agricole fort important et soutient l’économie nationale. En bon Hollandais, Guillaume Ier développe notre réseau de canaux. Le Grand-Duché a une surface double de celle actuelle : il englobe notre province de Luxembourg actuelle.

Rémi de Puydt, né juste après la Révolution française, est le fils d’un médecin militaire. En 1813, officier des armées napoléoniennes, il est blessé, puis devient receveur des droits et accises au Luxembourg. Après quatre ans d’études d’ingénieur de génie civil à Paris, il s’installe dans le Hainaut où il réalise le canal du Hainaut. De sa rencontre avec Guillaume Ier naît l’idée du canal de Meuse et Moselle, long de 263 km, destiné à relier Liège à Trèves et de faire sortir le Luxembourg de son isolement économique. Un dénivelé de 379 mètres côté mosan et de 305 mètres côté rhénan entraînerait la construction de 205 écluses. Pour franchir la ligne de partage des eaux entre les deux bassins, Rémi de Puydt a l’idée, non pas de creuser une tranchée qui eut été énorme, mais de forer un tunnel (le mot n’existait pas encore, on parlait de ‘galerie souterraine’) à 60 m sous la crête. Il fallait aussi canaliser les rivières, installer des chemins de halage, modifier certains ponts, prévoir des lacs réservoirs pour régulariser le cours en période d’étiage. Le projet prévoyait aussi neuf autres souterrains plus courts pour recouper des méandres de l’Ourthe.

L’empereur romain Claude au 1er siècle après Jésus-Christ avait déjà eu le projet de raccorder la Meuse au Rhin, en passant au nord de Visé. Au 16e siècle, Philippe II d’Espagne, soucieux de créer une frontière naturelle avec les Pays-Bas protestants, reprit l’idée. Quelques siècles plus tard, Frédéric le Grand, célèbre roi de Prusse, revient au projet sans succès. Napoléon rêve aussi d’un canal qui serait passé plus au nord dans les plaines de Hollande, financé par un impôt sur l’eau-de-vie.

Rémi de Puydt parvint à convaincre une série de financiers à la Société Générale et est soutenu par le roi Guillaume Ier. La Société du Luxembourg créée, elle obtient la concession à perpétuité à condition que les travaux soient finis en cinq ans. Nous sommes en 1827. L’évaluation des travaux monte à 100 000 florins, somme considérable, répartie en 2 000 actions de 5 000 florins que l’on peut payer en cinq tranches. Dans l’ensemble de la Hollande, seulement vingt titres sont vendus ! À Bruxelles, cent titres sont acquis essentiellement par les administrateurs. Au Luxembourg, on en vend sept. Guillaume Ier et sa famille souscrivent 500 actions, espérant relancer l’entreprise, mais sans résultat. Malgré tout, les entrepreneurs décident de commencer les travaux par le percement du tunnel. Le chantier est installé près du village de Tavigny [Houffalize]. On attaque la galerie de 2 728 m par les deux extrémités ; la largeur est de 3,5 m et la hauteur de 5,5 m. Le travail avance d’un mètre par jour. 200 à 300 ouvriers sont sur place, ce qui provoque un grand bouleversement social et un choc culturel dans un monde d’agriculteurs.

A part les travaux du souterrain, peu de choses bougent et les finances sont trop faibles. Les travaux à réaliser tout au long du cours de l’Ourthe sont démesurés. Le délai imparti de cinq ans est trop court. En 1829, de Puydt obtient la collaboration d’artificiers de l’armée. Entretemps, la tension contre les Hollandais monte, l’armée néerlandaise est mise en déroute à Bruxelles et se retire. Le gouvernement provisoire proclame l’indépendance. Au Luxembourg, la moitié des communes a pris parti pour la Belgique, l’autre moitié est restée sous le joug des Hollandais et même des Prussiens car, si le territoire est menacé, en vertu des accords de la Confédération germanique, la Prusse vient à la rescousse. Il faudra attendre neuf ans pour que la situation se clarifie.

Rémi de Puydt a été nommé commandant de la garde civique de Mons, puis lieutenant-colonel, commandant en chef des troupes du génie de la jeune armée belge. Beaucoup d’entrepreneurs partent en exil. On continue à creuser le souterrain mais il n’y a plus de liquidités, plus de poudre, la situation politique est de plus en plus compliquée. Guillaume Ier vient de revendre toutes ses parts de la Société Générale, à la Belgique. En août 1831, le gestionnaire des travaux décide d’interrompre le chantier, de façon provisoire espère-t-il. 1130 mètres ont été creusés. En 1839, le traité des 24 articles scelle la situation du Grand-Duché et le territoire est séparé en deux, en suivant la ligne des crêtes. Cela change tout : une frontière coupe désormais le canal et le projet s’enlise complètement. En 1848, le canal de l’Ourthe refait parler de lui. À Londres, trois hommes d’affaires détiennent toutes les actions de la Société du Luxembourg et ils se disent prêts à reprendre les activités. Le canal se limiterait désormais au tronçon entre Liège et La Roche. Entre 1852 et 1857, les travaux reprennent et ce canal a fonctionné jusqu’au milieu du 20e siècle. Puis c’est le chemin de fer qui a progressivement tué cette activité.

Rémi de Puydt sera nommé ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, deviendra député pour l’arrondissement de Mons et, enfin, administrateur de l’établissement belge au Guatemala.

Les terrains expropriés sont revendus progressivement. Actuellement, comme la nature a repris ses droits, l’entrée du tunnel devient de moins en moins visible. La galerie s’est effondrée à près de 400 m, les puits ont été rebouchés, le site, classé, est voué à devenir un refuge pour les chauves-souris.

d’après Géry de Pierpont

  • Illustration en tête de l’article : le tunnel de Bernistap © la-truite.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Géry de Pierpont, organisée en février 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

HALLEUX : L’industrie à Liège du temps de John Cockerill (CHiCC, 2003)

Temps de lecture : 4 minutes >

John Cockerill est un peu l’arbre qui cache la forêt. Il la cache par son génie, par le mythe qui s’est créé autour de son personnage et autour de ses œuvres. Et pourtant, il n’était pas le seul, les vieux ouvriers disaient qu’ils travaillaient “amon Dallemagne“, “amon Michiels” ou “amon Orban” [“chez Orban”] selon qu’on parlait de l’une ou l’autre usine. Il y a tout un monde qu’il faut évoquer. Pourquoi, dans les années 1780-1830, notre région liégeoise est-elle devenue un des pôles du développement industriel européen ? Pourquoi à Liège et pas ailleurs ? Certes, il y avait du minerai de fer, on a recensé 300 anciennes petites mines de fer ; il y avait du charbon, mais il y en avait aussi ailleurs. Il faut chercher la réponse du côté des hommes, de leur savoir, de leurs réactions.

C’est ce monde des années 1780 à 1830 que nous vous invitons à découvrir. Il a donc connu cinq régimes : les derniers princes-évêques, la Révolution française, l’Empire français, le régime hollandais et la Belgique léopoldienne. Il faut pénétrer dans les lieux où se réunit ce monde. Trois grandes sociétés liégeoises sont créées dans les mêmes années : la Loge “La parfaite Intelligence, la société libre d’Emulation et la Société littéraire. Les personnes qui se retrouvent dans ces sociétés sont souvent les mêmes. C’est un univers d’intellectuels, d’aristocrates, de bourgeois qui partagent les mêmes intérêts. Il y a des politiques, des inventeurs, des financiers dont l’idéal est celui des Lumières. C’est à la fois le libre examen et le libre échange. Ils désirent appliquer la méthode scientifique dans tous les domaines, dans les matières de sciences, dans les matières d’éducation, de politique, de religion, d’économie c’est-à-dire qu’ils mettent la science au service de la prospérité publique. Ils veulent introduire toute espèce de nouveau procédé, élever le niveau d’instruction des ouvriers qui sont trop souvent, à ce moment, esclaves de la routine.

Au cours des cinq régimes évoqués ci-dessus, on trouve la même politique d’encouragement et de développement. Velbrück était un ami des encyclopédistes, il était franc-maçon et un des aspects de lui moins connu : ami des arts et des manufactures. Ce concept d’émulation se défini à l’époque comme une honnête rivalité pour l’honneur et pour le bien, une compétition dans le pays pour susciter le plus possible de talents. La société l’Emulation pose des questions : comment prémunir les mineurs contre les accidents, trop fréquents ; comment perfectionner les moyens de pompage dans les mines ; comment fabriquer du fer avec du charbon de terre alors qu’on utilisait le charbon de bois.

Les élites anglaises et américaines venaient étudier à Liège au collège des jésuites anglais, supprimé en 1773. Velbrück y voit l’occasion de créer un enseignement supérieur de la physique et des mathématiques de très haut niveau, ouvert cette fois aux élites liégeoises et européennes. Il crée en même temps le grand collège installé dans l’université, l’académie et des écoles de mathématiques et de géométrie pour les artisans. Il s’agit de doter Liège d’un enseignement spécialisé à la fois du point de vue technique, du point de vue général et même du point de vue médical et juridique. Ces idées seront reprises après la parenthèse révolutionnaire. Le régime français crée un conseil d’agriculture et des arts et manufactures, équivalent de la chambre de commerce. Il crée aussi une société des sciences physiques et médicales.

Les inventeurs sont trouvés dans le même milieu de la société d’Emulation. Ils se tiennent au courant de l’actualité scientifique. Spa est le rendez-vous de toutes les élites industrielles. Autour de l’analyse des eaux, se développe un milieu scientifique avec deux frères ennemis, les frères de Limbourg : Jean-Philippe et Robert, un chimiste et un géologue. Dans leur fourneau de Juslenville, ils font des recherches pour utiliser le charbon de terre en le transformant en coke. Jean-Jacques-Daniel Dony prend la concession de la Vieille Montagne et cherche comment produire du zinc métallique à partir du minerai. Les frères Poncelet de Sedan s’intéressent à la cémentation du fer pour faire de l’acier. Jean Gossuin les invite à Liège où ils entrent en contact avec un chimiste pour expérimenter les céments afin de fabriquer des limes. Ils trouvent un client important : la fonderie de canons créée par les préfets en 1803. Napoléon a, en effet, voulu redonner à Liège sa vocation de grande cité armurière en créant la fonderie de canons. Il y a donc eu interaction entre des savants et des chercheurs. La société d’encouragement de Paris couronnera deux liégeois en 1810 : Cockerill pour ses machines à tisser et à filer, et les frères Poncelet pour leur fabrication de limes en acier. Ils vont ensuite arriver à pouvoir fondre l’acier dans leurs creusets et fabriquer de l’acier coulé. Nous sommes dans un monde d’inventeurs doublés de bons investisseurs et de bons financiers.

Voici maintenant le monde des financiers. John Cockerill est le plus mauvais exemple car c’est un génie de la mécanique qui croit que ses machines sont tellement bonnes qu’il pourra toujours en vendre ! Les Orban sont des petits commerçants qui construisent un haut fourneau, produisent des tôles, fabriquent des bateaux en fer. Les Lamarche démarrent par la mécanique et s’associent avec un constructeur britannique pour construire des machines à vapeur. Pour celles-ci, il faut du fer et ils vont acheter des hauts fourneaux, des charbonnages, des fours à coke. Il sont aussi liés à la politique car une des filles Orban a épousé un avocat du nom de Frère qui deviendra l’illustre Frère-Orban.

Le milieu des travailleurs qui possèdent le savoir-faire et qui ont su s’adapter aux techniques nouvelles joue aussi un rôle important. Les Liégeois ont été forts dans la construction des machines à vapeur parce qu’ils étaient spécialisés dans l’industrie armurière. Puisqu’ils savaient forer et polir des canons de fusils, ils pouvaient faire de même pour les cylindres de machine à vapeur.

Le grand développement liégeois résulte d’un milieu complexe qui interagit. Le capital des uns, le savoir-faire traditionnel des autres, l’innovation technologique des savants, l’appui des politiques, constituent la recette de cette première réussite.

d’après Robert HALLEUX

  • Illustration en tête de l’article : John Cockerill à la Maison de la Métallurgie et de l’Industrie à Liège © cyberliegemagazine.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en janvier 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

HOSAY : Grétry, musicien liégeois (CHiCC, 2004)

Temps de lecture : 4 minutes >

André-Modeste GRETRY est né en 1741 en Outremeuse, rue des Récollets au n°34. Le premier Grétry à être recensé est Arnold, fermier de la Comtesse Marie d’Argenteau, en 1540. Son nom provient d’un petit hameau de la région de Bolland. Le père d’André-Modeste était premier violon à Saint-Martin puis à Saint-Denis. Son fils commence sa carrière musicale à Liège où il va rester pendant 19 ans. Comme il n’existe pas encore d’école musicale, il doit entrer dans la maîtrise d’une église et son père l’introduit à Saint-Denis où il chante comme enfant de chœur. Il s’intéresse plus à la musique théâtrale qu’à la musique religieuse.

Le chanoine Simon de Harlez, de la cathédrale Saint-Lambert, le remarque et lui permet de se rendre à Rome où il sera intégré à la fondation Lambert Darchis. Dans ses mémoires, il raconte son voyage à pied. L’italianisme est en vogue et Grétry entend une troupe de chanteurs italiens qui chante La servante maîtresse de Pergolèse. C’est pour lui une révélation car il découvre l’opéra italien. À Rome, le théâtre Alberti lui commande, en 1766, un opéra qui s’appelle Les vendangeuses. Il obtient un grand succès. Au retour de son voyage, il passe par Genève où il entre en contact avec la musique française et l’opéra comique, alternance de parties chantées et de parties parlées. Il y rencontre Voltaire et Jean-Jacques Rousseau.

Grétry se rend ensuite à Paris. Il va être rebuté par l’art de Rameau qui est assez statique et froid par rapport à l’italianisme. Son premier opéra parisien sera un échec retentissant. Il va alors essayer de faire une synthèse entre l’art français, statique, et l’art italien, plus chaleureux. Il écrit Le huron qui triomphe unanimement dans la capitale française. Grétry était devenu un familier de la cour de Louis XV puis de Louis XVI. Dans ses opéras, il prône des valeurs de la noblesse, des valeurs assez élitistes.

Gretry par Élisabeth Vigée-Lebrun (1785) © BnF

En 1789, il va devoir ajuster sa vision dans des œuvres qui ne seront pas ses meilleures. Il s’installe au boulevard des Italiens, au n°7. Il aura une deuxième gloire sous le Directoire et le Consulat. Il sera admis à l’Institut, où il va siéger à côté de David, et il sera nommé Chevalier de la Légion d’honneur par Bonaparte. Sa santé commence à décliner et il acquiert alors l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau, son philosophe préféré, ermitage où il se retire. Mais il est trop lié au contexte de son époque pour pouvoir continuer à avoir du succès. C’est la différence entre un artiste créateur et un génie créateur. Alors, il n’écrit plus de la musique mais de la littérature intéressante : il consigne son esthétique, sa pensée musicale, il écrit son autobiographie.

Grétry a quitté Liège à 19 ans et y est revenu deux fois au cours de sa vie : en août 1776 et en décembre 1783. Lors de ses deux passages, il a reçu un accueil triomphal. Velbruck l’a nommé son conseiller musical personnel. La société l’Emulation a tenu une séance exceptionnelle en son honneur et la foule se pressa pour l’accueillir. En 1804, il voulait revenir voir sa sœur qui était abbesse dans un couvent près de Huy mais sa santé ne le lui permit pas. Il décède en 1813 et reçoit à Paris des funérailles grandioses. Il est inhumé au Père Lachaise. Il avait émis le souhait d’être enterré à Liège et la Ville a voulu suivre ses volontés mais il y eut un très long procès de 14 ans entre la Ville de Liège et les héritiers de Grétry. Ceux-ci voulaient conserver la dépouille à l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau pour y attirer du public.

Le Conseil d’Etat de Charles X a donné raison à la Ville de Liège qui a fait revenir le cœur dans la Cité ardente. L’urne qui a servi au transfert est restée longtemps dans le cabinet du bourgmestre et elle est maintenant au Musée Grétry. La Ville a lancé en 1836 un concours pour la réalisation de la statue que nous connaissons et dans laquelle le cœur sera déposé. Son érection, face à l’Emulation place du XX Août en 1842, a donné lieu à une fête populaire où se remarqua la présence de Meyerbeer et de Mendelssohn, et Liszt a donné un concert. La statue a été finalement déplacée, 24 ans plus tard, en face du Théâtre Royal.

La maison natale de Grétry, un immeuble de style liégeois Louis XV, a été pendant longtemps la propriété d’une famille d’imprimeurs, les Dubois-Desoer, qui l’a donnée à la Ville de Liège au milieu du 19e siècle. Deux conditions furent exigées : perpétuer les souvenirs attachés aux lieux et faire don des profits éventuels à l’encouragement des études musicales. La collection Grétry a réintégré la maison natale en 1913. Les premiers éléments avaient été mis en place par Jean-Théodore Radoux qui était le directeur du Conservatoire de Liège. Celui-ci avait rassemblé quelques souvenirs de Grétry mais ils n’étaient pas accessibles au grand public.

En 1985, Madame Radoux décédée, les responsables se sont trouvés dans l’embarras. Le musée a été fermé, hélas, pendant plusieurs années jusqu’en 1991. Dans le grenier de l’annexe de la maison de Grétry ont été retrouvés des sculptures et des instruments de musique. La bibliothèque recèle de nombreux écrits musicaux et littéraires de Grétry. On a recensé 125 effigies de Grétry : peintures, dessins, lavis, médailles, bustes… Dans cet intéressant musée, se trouve aussi la copie du célèbre portrait peint par Élisabeth Vigée-Lebrun, dont l’original est au Musée de Versailles (…).

d’après Nathalie HOSAY

  • image en tête de l’article : statue de Grétry à Liège © lespetiteshistoires.be

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Nathalie HOSAY, organisée en mars 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

Rétablir des passerelles : ode aux traducteurs et traductrices

Temps de lecture : 5 minutes >

[LES-PLATS-PAYS.COM, 29 janvier 2024] Créateurs éminemment discrets, passeurs de culture qui jouent un rôle primordial dans la visibilité des écrivains, les traducteurs ouvrent des fenêtres dans le ciel des Lettres, décloisonnent, font découvrir au public francophone un nombre impressionnant d’auteurs flamands et néerlandais.

Au fil de plusieurs échanges avec Hans Vanacker, secrétaire de rédaction de la revue Septentrion, l’idée m’est venue d’écrire une ode aux traducteurs et aux traductrices sans qui, dans la tour de Babel des langues, chaque idiome demeurerait dans sa solitude, incompris des autres cultures. Nulle visée exhaustive dans cette convocation des traducteurs littéraires qui œuvrent à la découverte d’auteurs néerlandophones.

Ancien directeur de la Maison Descartes à Amsterdam et du Réseau franco‐néerlandais à Lille, directeur de la collection Lettres néerlandaises chez Actes Sud, immense traducteur, médiateur culturel qui assure le rayonnement et la circulation des Lettres, Philippe Noble a fait connaître en France, au public francophone, des auteurs néerlandais et flamands majeurs : Cees Nooteboom, Harry Mulisch, Etty Hillesum, Multatuli, Arnon Grunberg, David Van Reybroeck, Stefan Hertmans, Miriam Van Hee, Judith Herzberg… sans oublier le Journal d’Anne Frank.

Figure majeure du paysage de la traduction littéraire, dans un entretien avec Olivier Sécardin, Noble définit “le traducteur [comme] un chercheur d’un genre particulier”. Il a également mis ses compétences et son amour de la littérature au service de traductions du français vers le néerlandais, jetant son dévolu sur Marcel Proust.

On doit à Daniel Cunin, infatigable explorateur d’œuvres de romanciers, de poètes, de dramaturges, de bédéistes, d’essayistes flamands, la découverte en français d’un nombre impressionnant d’auteurs. Sa curiosité l’a porté vers les bandes dessinées aussi bien que vers le rivage poétique (Benno Barnard, Hester Knibbe – qu’il a traduite en collaboration avec Kim Andringa -, Radna Fabia, Gerry van der Linden). Art de la langue, de la perception intime de la musicalité, de l’appropriation-interprétation du texte, la traduction est avant tout une écoute, une transposition qui joue avec les puissances de la langue d’origine et de la langue d’arrivée.

Cette activité de transposition, Daniel Cunin l’a exercée en offrant une version française des poèmes mystiques écrits par Hadewijch d’Anvers, en brabançon (moyen néerlandais) au XIIIe siècle. Artiste d’un dialogue horizontal entre différentes langues, le traducteur est aussi le magicien d’un échange vertical qui ramène sur la scène du présent des textes plus anciens.

Écrivain, essayiste, traducteur d’auteurs polonais (Witkiewicz notamment), russes, tchèques, néerlandais, anglais, Alain van Crugten est le grand passeur de l’œuvre immense de Hugo Claus.

Depuis sa traduction en 1985 du chef-d’œuvre de Claus, Le Chagrin des Belges, Van Crugten a fait passer dans son alambic de traducteur bien des romans et des pièces de Claus, Honte, Le Passé décomposé, Le Dernier lit et autres récits, Mort de chien… L’autre géant des lettres flamandes qu’Alain van Crugten a fait découvrir aux francophones n’est autre que Tom Lanoye. De Méphisto for ever, La Langue de ma mère, Sang et Roses, Mamma Medea à Tombé du ciel, Esclaves heureux, Décombres flamboyants, le continent Tom Lanoye nous est rendu accessible en français.

La question “dis-moi qui tu traduis et je te dirai qui tu es” vaut pour tout traducteur. Faisons l’hypothèse que dans le cas de Marie Hooghe, les autrices et auteurs qu’elle a élus forment comme un autoportrait en creux. La quantité, le nombre des traductions impressionne autant que la diversité des registres (pièces de théâtre, biographies, littérature de jeunesse…). D’une insatiable curiosité, Marie Hooghe a notamment traduit des œuvres de Hugo Claus, de Louis Paul Boon, de Jef Geeraerts ou encore d’Ivo Michiels, d’Erwin Mortier, de Kristien Hemmerechts et de Paul Van Loon.

Mentionnons aussi l’importance de Maddy Buysse (1908-1994, traductrice de livres de Hugo Claus, Johan Daisne, Ivo Michiels et Harry Mulisch), Henry Fagne (1907-1978, traducteur de Guido Gezelle et Paul van Ostaijen), Anne-Marie de Both-Diez (1922-2009, traductrice notamment de Hella S. Haasse), Liliane Wouters (1930-2016, connue dans le monde francophone comme l’autrice de la pièce de théâtre La Salle des profs, mais aussi traductrice de textes et poésie en moyen néerlandais et de Guido Gezelle).

Il y a aussi Marnix Vincent (1936-2016, traducteur de Willem Elsschot, Hugo Claus, Gerard Reve, Leonard Lolens, Stefan Hertmans et Jozef Deleu, fondateur et ancien rédacteur en chef de Septentrion), Annie Kroon (Hella S. Haase, Anna Enquist,…), Xavier Hanotte, Isabelle Rosselin (plusieurs auteurs néerlandophones de renom). Et des traducteurs – poètes – écrivains comme Jan H. Mysjkin (traducteur, souvent en collaboration avec Pierre Gallissaires, de Paul van Ostaijen, Hans Faverey, Gerrit Kouwenaar et autres), Henri Deluy (1931-2021), Bart Vonck, Katelijne De Vuyst et d’autres.

Enfin, fondateur de la collection Bibliothèque flamande aux éditions du Castor astral, Francis Dannemark (1955-2021) a fait connaître auprès du public francophone des auteurs incontournables tels que Willem Elsschot ou Jef Geeraerts. Ce rôle de passeur est également assumé par les éditions Tétras Lyre, avec leur collection De Flandre.

Les passeurs de la jeune générarion

La traduction repose aussi sur la transmission d’un enseignement, sur la relève par les nouvelles générations formées par leurs prédécesseurs. La philosophie, la pensée de la traduction évolue, se métamorphose, varie d’un pays, d’un continent à l’autre. Les critères scientifiques, esthétiques des traductions, les approches du texte source sont soumises à des devenirs. Certaines traductions “vieillissent”, sont prisonnières d’un contexte historique déterminé, d’habitudes et de choix de traduction qui n’ont parfois plus cours des décennies plus tard. Histoire de regard, d’attention portée à tel ou tel aspect de l’écriture, éternelle question de la fidélité / trahison, du respect / recréation, du rapport entre la lettre et l’esprit tel que l’évoque saint Paul dans Épitres aux Corinthiens (“La lettre tue, mais l’esprit vivifie”).

Parmi les nombreux passeurs de la jeune génération, citons Kim Andringa (traductions poétiques surtout, d’œuvres de Hans Faverey, Charlotte Van den Broeck, Lucebert…) Françoise Antoine (traductrice de Jeroen Olyslaegers, Gerbrand Bakker, Annelies Verbeke…), Noëlle Michel (autrice et traductrice de romans d’Ewoud Kieft, de Hanna Bervoets, d’essais, de livres jeunesse…), Emmanuelle Tardif (traductrice entre autres de Lize Spit et Anna Enquist…), Guillaume Deneufbourg (traducteur notamment de Simone van der Vlugt) et Bertrand Abraham (traducteur de Jeroen Brouwers, Gerbrand Bakker, Tommy Wieringa, Douwe Draaisma, Martin Bossenbroek…).

À l’heure d’un appauvrissement de la diversité linguistique, où des idiomes meurent chaque jour, à l’heure où l’anglais, comme langue hégémonique, règne en maître au niveau mondial des échanges tant économiques que culturels, un fossé sépare linguistiquement le milieu littéraire de Flandre et des Pays-Bas (entièrement tourné vers l’anglais) et le milieu littéraire francophone. Plus que jamais, les traducteurs et traductrices rétablissent des passerelles qui sont comme des liens vivants entre des langues désormais chapeautées et menacées par la langue et la culture anglo-saxonne dominante.

Les traducteurs et traductrices s’avancent comme ce peuple de diplomates que Philippe Noble évoque dans l’entretien précité: “De mon point de vue, la traduction est une transaction, une sorte de négociation diplomatique, c’est‐à‐dire un compromis, entre la notion du texte source qu’a le traducteur (sa “lecture” du texte, qui n’est pas une lecture infaillible, mais qui a au moins l’ambition d’être “fidèle”) et ce qu’il croit pouvoir être transmis à la culture d’accueil”.

Véronique Bergen, écrivaine


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : les-plats-pays.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © jovensdiscipulos.com.


Savoir-traduire en Wallonie et à Bruxelles…

Halloween, une nuit à tombeaux ouverts

Temps de lecture : 5 minutes >

[THECONVERSATION.COM, 27 octobre 2021] Halloween, fête automnale des morts, des fantômes et des sortilèges, connaît un destin troublé : de retour dans la “vieille Europe” au milieu des années 1990 et promue dans l’Hexagone par des instigateurs zélés – parc d’attraction et chaîne de fast-food à l’appui – cette fête suscite l’engouement ou le dédain. Regain festif et païen pour les uns, cheval de Troie de “l’impérialisme culturel américain” pour les autres, cette célébration paganiste ne laisse pas indifférent. L’Église catholique [italienne], émue de “l’influence néfaste” de la bacchanale, a même créé Holyween (soirée de prières en réaction), afin de donner un coup de balai aux histoires de sorcières.

Le premier intérêt d’Halloween, c’est la pluralité d’analyses auxquelles ce “néo-rite païen” donne lieu. Halloween marque le retour de “vieilles lunes” et de fêtes oubliées, ou qui étaient simplement en sommeil… attendant qu’on les exhume en quelque sorte. Ses origines sont tout à la fois celtiques et mexicaines. A l’origine, la même volonté de célébrer les morts, et de manifester aussi sa peur conjuratoire, avant d’entrer dans l’hiver et le cycle des nuits courtes, période anxiogène s’il en est.

La mort comme continuation de la vie

Les conquistadors espagnols découvrant le Mexique furent impressionnés par un rituel aztèque pratiqué de très longue date et qui leur paraissait sacrilège. Car, à l’inverse des Espagnols qui voyaient la mort comme la fin de la vie, les Aztèques la considéraient comme sa continuation. Ils gardaient des crânes comme des trophées et les exhibaient durant ces fêtes pour symboliser la renaissance et pour honorer les morts qui revenaient selon eux en visite à cette époque de l’année. Ne parvenant pas à éliminer ce rite, les Espagnols en fixèrent la date en même temps que celle d’une fête chrétienne : la Toussaint.

C’est le Jour des Morts, “el Dia de los Muertos“. C’est une fête joyeuse, moment où les âmes de ceux qui sont partis viennent rendre visite aux vivants. Cette fête dure deux jours, les 1er et 2 novembre.

A cette occasion, les Mexicains édifient des autels en souvenir de ceux qu’ils aimaient et déposent des offrandes sur leurs tombes. Et nombre de lieux publics sont décorés avec des représentations ironiques de la mort, des squelettes dansant et chantant comme des vivants, avatars exotiques et mouvants des danses macabres médiévales. Ces processions lancinantes ont été immortalisées (si l’on peut dire) par l’ouverture impressionnante du James Bond 007 Spectre en 2016.

C’est sur une base mythique et festive similaire que s’est développée l’Halloween européenne. Il était encore question de célébrer les défunts en parodiant la mort sous la forme de courges. Le rite est à tous égards païen, et il est compréhensible qu’il ne pût être en odeur de sainteté : on célèbre bruyamment les morts et les sorcières, on joue à faire (se) peur, on se grime de manière effrayante.

Outre-Atlantique, cette fête est célébrée depuis longtemps, puisqu’importée par les premiers immigrants au XVIIe siècle. Tous les 31 octobre, les enfants grimés en sorcières, fantômes et revenants déambulent en petits groupes dans les rues de leurs quartiers. Ils sonnent aux portes des maisons et exigent des friandises, au cri de “treat or trick“, “une faveur ou un sort“. En échange de menus présents, ces enfants, dont les masques effrayants symbolisent des âmes en peine, garantissent la tranquillité aux foyers visités. Halloween bénéficie d’un emblème fort, ces citrouilles évidées, édentées et emplies de bougies, qui exposées aux fenêtres et dans les vitrines, donnent à la soirée son côté inquiétant, irréel et morbide.

Un rite d’inversion

D’un point de vue anthropologique, Halloween exprime des angoisses à l’œuvre dans toutes les sociétés, même les plus rationnelles en apparence : la peur de la mort et l’exorcisation de celle-ci via des pratiques ritualisées, durant une parenthèse festive conjuratoire : ainsi, les masques représentent des revenants et des fantômes, à un moment de l’année où l’hiver et la nuit s’installent pour quelques longs mois. Dans l’esprit, il s’agit de s’accommoder la sphère des morts, de pactiser avec ceux-ci, via offrandes et travestissements. Et le rite théâtralise ces peurs, il leur donne un tour parodique qui en une parenthèse impartie, constitue une soupape.

© laboiteverte.fr

Même dans sa forme contemporaine, Halloween continue à être essentiellement un rite d’inversion, puisqu’il s’agit de la nuit où tout est renversé, inversé, à commencer par les rapports d’autorité. Et les parents y jouent le rôle de dupes, encourageant leurs enfants à quêter et manger des friandises, allant là à l’encontre des principes de politesse et de modération inculqués en temps ordinaire.

Faire des enfants les acteurs principaux d’Halloween est très américain : ceci aboutit à une version ludique, néo-païenne et scénarisée, parenthèse carnavalesque dédramatisant le rapport ambigu que cette société entretient à la mort et à l’au-delà. Elle n’est revenue sur le Vieux Continent qu’assez récemment, au tournant des siècles. Il semble qu’il y ait plusieurs raisons à ce retour en grâce (in)attendu.

Une fête “marketée”

Halloween se soutient depuis quelques années d’une promotion médiatique et publicitaire conséquente, en partie portée par des firmes américaines, sur fond de menus, cadeaux, animations et soirées spéciales. Et pour les commerçants, à l’affût de journées spéciales favorisant la décoration thématique et les promotions, Halloween constitue un moment idéal, entre la fin de l’été et la période des fêtes de fin d’année.

Et Dieu dans tout ça ? Avec Halloween, il est question de rites, de mythes, de morts, de surnaturel après tout. Le sacré auréole cette fête de son nimbe pâle. Et il est important de constater que cette journée jouxte deux autres fêtes des morts et du souvenir, puisqu’elle s’est immiscée entre la Toussaint et le 11 Novembre ; pour lentement se substituer à celles-ci en les phagocytant dans l’esprit des jeunes générations. Pour les jeunes enfants, spontanément, Halloween, c’est “la fête des morts“.

L’émergence d’Halloween confirme qu’un calendrier économique et/ou néo-païen se substitue aux fêtes religieuses et républicaines traditionnelles, ou se fait une place à côté d’elles. Plus largement, ceci entérine la mondialisation de nombre de fêtes, alors qu’on fête ici de plus en plus le Nouvel An chinois, et que Noël connaît un réel succès dans nombre de pays asiatiques.

De petits carnavals païens

Déplorer (pour les conservateurs) ce déplacement du religieux vers la sphère plus vaste du sacré, ou son renoncement en un “néo-paganisme“, ne sert pas à grand-chose. Les évolutions de la notion de fête, de sacré, de rites sont des questions autrement plus intéressantes. Notre société productiviste, qui n’a plus le temps de s’arrêter quelques jours pour festoyer, a inventé de nouveaux types de liens courts, ludiques, mièvres et kitsch (la Saint-Valentin). Tous ces néo-rites païens ne durent qu’une soirée. Les rites traditionnels exigeaient du temps, un temps spécifique, long et lent. Ainsi, le Carnaval, et sa semaine de célébrations et de festivités. Halloween ou le beaujolais sont de petits carnavals automnaux permettant à peu de frais (une soirée) une trouée de liesse, de partage et de rire dans un début d’hiver morose et froid.

Mais le grotesque et le morbide revendiqués d’Halloween, épousant la fascination de l’époque pour zombies et morts-vivants (cf. le succès de Walking Dead et le revival des films d’épouvante) recouvrent un travestissement plus profond.

Le temps d’une soirée, les générations se mêlent et jouent ensemble, faisant semblant d’éprouver de l’effroi, tout en exprimant dans ce “jeu profond” quelque chose d’obscur, mêlant rire et angoisse, peur et joie ; quelque chose de précisément anthropologique, interrogeant les structures profondes, et les systèmes symboliques permettant de les lire en filigrane.

Pascal Lardellier, Sur les traces du rite (2019)


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © lemonde.fr ; © laboiteverte.fr.


D’autres habitudes quotidiennes en Wallonie…

Comment des mots sortent du dictionnaire ?

Temps de lecture : 7 minutes >

[CAMINTERESSE.FR, 21 janvier 2023] Depuis 1906, quelque 10.000 termes ont été supprimés du Petit Larousse. Certains sont devenus obsolètes, mais pour d’autres, cette disgrâce est plus mystérieuse.

Les milliers de mots qui remplissent nos dictionnaires ne cessent de se renouveler. Dans cette communauté de noms, de verbes, d’adjectifs, d’adverbes, il y a ceux qui arrivent. L’édition 2023 du Petit Larousse a accueilli mégafeu (incendie hors norme), vaccinodrome (lieu de vaccination mis en place pour lutter contre une épidémie), ou encore halloumi (fromage fabriqué à Chypre). Dans le même temps, d’autres termes disparaissent. Alors que les ajouts ont lieu chaque année, ces purges, plus rares, sont effectuées tous les dix à vingt ans environ. En 2012, des verbes comme musiquer (mettre en musique), gaminer (faire l’enfant), ont ainsi été effacés. Et cette saignée est moins marginale qu’on ne le croit. En comparant l’édition du Larousse de 1906 avec celle de 2002, le lexicologue Jean Pruvost a comptabilisé plus de dix mille mots radiés ! Dans le dictionnaire de l’Académie française, le plus ancien, des milliers de termes sont aussi tombés aux oubliettes au fil des neuf éditions successives, depuis la première en 1694.

Des mots que l’on n’utilise plus

Pourquoi des mots sont-ils ainsi rayés des pages des dictionnaires ? Tout simplement parce qu’on ne les emploie plus. Certes, mais pourquoi, un beau jour, a-t-on cessé de les utiliser ? Les raisons sont les plus diverses. Ils peuvent par exemple qualifier un métier qui s’est éteint. On ne rencontre plus de coffretier (artisan spécialisé dans les coffres) dans nos villes, ni de bouquetier (vendeur de bouquets de fleurs). Dès lors, les noms qui les désignent sont peu à peu tombés en désuétude…

Les mots disparus racontent une France rurale et préindustrielle dont nous n’avons plus guère de souvenirs. Une France, par exemple, où d’infinies variétés de fruits et de légumes existaient par autant de noms délicieusement évocateurs. La cuisse-madame ou la mouille-bouche, effacés du Petit Larousse, qualifiaient jadis deux variétés de poires. À noter, d’ailleurs, que ces termes ont subi des sorts différents selon les dictionnaires : la cuisse-madame a été préservée dans celui de l’Académie française – mais la mouille-bouche en a été radiée.

Parfois, des technologies disparaissent, et avec elles les termes y afférents. Magnétoscoper, ainsi, a été supprimé du Petit Larousse en 2012, car il renvoie à une pratique obsolète. Mais la frontière entre oubli et souvenir est parfois ténue : si le verbe qui lui est rattaché s’en est allé, le nom magnétoscope a sauvé sa peau. Pourquoi ? Parce que cet appareil est encore vivace dans nos mémoires. “En règle générale, nous gardons le mot-souche pour laisser un repère, mais nous supprimons l’action qui lui est liée”, justifie Carine Girac, directrice du département dictionnaires et encyclopédies aux éditions Larousse.

La mode a aussi sa part de responsabilité

Par exemple, l’usage du substantif drink (à la place de “verre”) était courant chez les jeunes, dans les années 1960-1970, à l’heure de l’apéritif. Puis il est devenu, dans les décennies suivantes, ringard. Il a alors cessé d’être employé. Mais n’aurait-il pas pu rester dans le Petit Larousse, comme témoignage d’une époque ? En vérité, la question a provoqué un sérieux débat au moment de réactualiser ce dictionnaire, en 2012. Linguistes et lexicologues des éditions Larousse se sont affrontés entre partisans et adversaires du drink. Et ces derniers l’ont emporté : “Nous avons finalement décidé d’éliminer ce mot car il se comprend tout seul, sans définition“, conclut Carine Girac. Il faut bien procéder à des arbitrages puisque les pages d’un dictionnaire ne sont pas extensibles sans fin – hormis Le Petit Robert, troisième dictionnaire de référence, qui a choisi de ne pas retirer de mots mais d’ajouter ”vieilli’ ou ‘vieux’ quand il s’agit d’un terme dont on ne se sert plus guère ou plus du tout.

Il arrive enfin que des mots, ni obsolètes ni démodés, disparaissent sans que l’on sache pourquoi. Le lexicologue Jean Pruvost ne peut s’empêcher d’en regretter certains, qui mériteraient selon lui une deuxième chance. Inartificiel, par exemple. C’est un mot qui se trouvait “chez Montaigne et Littré, plaide-t-il. N’est-ce pas l’un des idéaux d’aujourd’hui, bénéficier d’une vie inartificielle” ? Il ne faut cependant jamais désespérer : Maille, qui désignait une petite monnaie sans valeur, a disparu de notre langue au XVe siècle. Et ce sont les rappeurs de la fin du XXe siècle qui ont réveillé ce terme, en en faisant, dans leurs chansons, un synonyme d’argent. Les mots ne meurent jamais pour toujours, et les dictionnaires seront toujours prêts à leur faire une nouvelle place !

Liste de mots enlevés du dictionnaire :

      • Architriclin n. m. Celui qui était chargé de l’ordonnance d’un festin dans l’Antiquité romaine.
        (…) comme l’architriclin des noces de Cana goûte à l’eau transformée en vin (…)” Paul Claudel.
      • Assoter v. t. Rendre sot ou rendre sottement amoureux.
        Comme elle est assotée du jeune Robin” Molière.
      • Délicater v. t. ou pron. Gâter, traiter avec trop de délicatesse.
        On gâte les enfants à force de les délicater“.
      • Gobelotter v. t. ou int. Boire à petits coups.
        Vous ne me disiez pas que vous aviez gobelotté au cabaret (…)” Voltaire.
      • Impugner v. t. Combattre une proposition, un droit.
        Ceux qui ne travaillent pas tant à bien concevoir une chose qu’à l’impugner (…)” René Descartes.
      • Chasse-cousin n. m. Mauvais vin et, par extension, ce qui fait fuir les parasites.
        “(…) elle avait son vinaigre tourné, son chasse-cousin, si imbuvable, qu’on se montrait d’une grande discrétion” Émile Zola.
      • Lendore n. Personne lente, paresseuse, qui semble toujours endormie.
        Je ne sais pas à quoi elle pense, cette lendore-là” Honoré de Balzac.
      • Poiloux n. m. Homme misérable, sans qualité.
        Toute la France, toute la cour, poiloux ou autres (…) attendent à la porte” Marquis d’Argenson.
      • Sade adj. Gentil, agréable.
        Ces femmes jolies qui, (…) gentes en habits et sades en façons” Mathurin Régnier. C’est de ce mot que vient maussade !
      • Futurition n. f. Caractère d’une chose future.
        Ce qui n’a aucune possibilité n’a aucune futurition” Fénelon.
      • Afforage n. m. Droit féodal qui se payait à un seigneur sur la vente du vin.
        Les religieux ont certain droit seigneurial en ladite ville de Laigny, appelé droit d’afforaige ou tavernerie,” Charles du Cange.
      • Crapoussin, sine n. Personne de taille petite et contrefaite.
        Ces crapoussins-là, quand ça vient au monde, ça ne se doute guère du mal que ça fait” Émile Zola.
      • Chipotier, tière n. Celui ou celle qui chipote.
        Je ne suis pas un chipotier (…) Il n’y aura pas de difficultés entre nous” Edmond et Jules de Goncourt.

Tous ces mots ont été supprimés au fil des huit dictionnaires de l’Académie française publiés depuis 1694. La neuvième édition est en cours.

Nina Mir


Cliquez ici…

L’Académie française propose sur son site une liste, partagée à titre d’exemple, des mots qui ont été retirés de son Dictionnaire. Pour l’afficher, cliquez sur le logo ci-dessus…


Comment le Petit Larousse choisit de supprimer des mots

© rtbf.be

[d’après LEPOINT.FR, 15 novembre 2018] Alors que l’on parle beaucoup des nouveaux mots du dictionnaire, ceux qui en sortent font beaucoup moins de bruit. Pourtant, ils sont nombreux…

À l’occasion de la nouvelle édition du Petit Larousse, de nouveaux mots font leur apparition alors que d’autres sont supprimés. Beaucoup moins médiatisés que la première catégorie, des mots disparaissent après avoir été jugés trop peu utilisés dans la vie de tous les jours… Parmi les mots qui ont quitté le Petit Larousse, il y a, par exemple, aumusse, boursicaut, amphigourique, ou encore lourderie qui était défini comme tel au début du XXe siècle : “Lourderie ou lourdise, n.f. Faute grossière contre le bon sens, la bienséance”.

Bernard Cerquiglini, linguiste et professeur à l’université Paris-Diderot, déclare : “Dire qu’on a ôté un mot magnifique, c’est un crève-cœur.” Et de nuancer : “Le Larousse est chaque année une photographie de l’évolution de notre société.” Alors qu’environ 150 mots font leur entrée tous les ans dans le dictionnaire, un petit comité d’environ trois ou quatre personnes se réunit tous les dix ans pour choisir les mots qui le quitteront. “Au fond, nous sommes tous des sortes d’Albert Cinoc, malheureux à l’idée d’ôter un mot du dictionnaire“, assure Bernard Cerquiglini. Depuis la première édition du Petit Larousse illustré en 1906, près de 10 000 mots ont été supprimés, alors que 18 000 ont été ajoutés.

Ainsi, Patrick Vannier, rédacteur au service du dictionnaire de l’Académie, estime qu’environ 500 mots sont supprimés entre chaque édition (il peut parfois y avoir plus de dix ans entre deux éditions). “On en sort quelques-uns, mais on le fait un peu à regret, car on considère que l’Académie française a quand même une mission patrimoniale, donc on essaie d’éviter d’en sortir trop“, explique-t-il.

Des enquêtes de terrain pour ne pas se tromper

Après une proposition du service du dictionnaire, ce sont les académiciens eux-mêmes qui décident quel mot sera conservé ou amené à disparaître. Pour être sûrs qu’ils prennent la bonne décision, des enquêtes de terrain peuvent avoir lieu. “Pour un mot du vocabulaire de la charpenterie, on avait contacté quelqu’un qui avait été charpentier depuis plus de soixante ans et avait écrit un ouvrage sur le vocabulaire de la charpenterie. Il ne l’avait jamais rencontré. Dans ce cas-là, on sort le mot parce que si même les plus grands spécialistes n’en ont pas entendu parler, ça ne sert à rien de le conserver“, raconte Patrick Vannier.

De son côté, Le Petit Robert a fait le choix de ne sortir aucun mot de son dictionnaire. Même si la place commence à manquer, Marie-Hélène Drivaud, la directrice éditoriale, se félicite des nouvelles techniques de composition numérique qui “aident bien pour varier l’interlignage de manière absolument imperceptible.

Quelques exemples de nos chers disparus :

      • Accordé,e : fiancé, fiancée,
      • Accul : lieu sans issue,
      • Branloire : sorte de balançoire,
      • Claquedent : gueux, misérable,
      • Déprier : retirer une invitation,
      • Galantin : homme ridiculement galant, amoureux,
      • Hippomanie : passion des chevaux,
      • Hollander : passer des plumes dans la cendre chaude, pour les dégraisser,
      • Jaculatoire : se dit d’une prière courte et fervente (oraison jaculatoire),
      • Jobarder : duper en se moquant,
      • Lourderie : faute grossière contre le bon sens, la bienséance,
      • Libertiner : vivre dans le désordre,
      • Racleur : mauvais joueur de violon…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : caminteresse.fr ;  lepoint.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © rtbf.be ; © academie-francaise.fr.


Lire la presse en Wallonie…

GILSON : La musique en principauté de Liège au 18e siècle (CHiCC, 2002)

Temps de lecture : 4 minutes >

La période envisagée s’étend entre Henri Dumont, grande figure liégeoise du 17e siècle qui est allé faire carrière auprès du roi de France Louis XIV, et César Franck, un des tout premiers étudiants issu de notre Conservatoire de Liège, qui est allé, lui aussi, faire carrière à Paris. Au 18e siècle, la mode conduisait plutôt les musiciens liégeois vers l’Italie et le goût italien.

A la fin du 17e siècle, un voyageur français, Duplessis, visitant Liège, avait admiré la somptuosité du service à la cathédrale Saint-Lambert. Il a écrit ceci : “Le service s’y fait avec une plus grande cérémonie qu’en aucun lieu que j’aie vu excepté à Rome et à Notre-Dame de Paris. Il y a une musique excellente et très bien entretenue, remplie toujours d’une très grande quantité de voix, et donne envie à tous ceux qui entrent dans cette église d’y arrêter avec attention pour l’entendre”. Par l’évocation de ces deux villes, Rome et Paris, Duplessis avait sans le vouloir désigné la double influence qui se manifestait dans la musique à Liège au 17e siècle. Un événement important allait modifier l’équilibre au profit de l’Italie. En 1699, le chanoine Lambert Darchis fonda à Rome l’Hospice liégeois. Cette fondation devait permettre à de jeunes liégeois, sculpteurs, peintres, musiciens, architectes, étudiants en droit et en médecine, d’aller se perfectionner en Italie sans dépendre du Collège germanique comme c’était le cas auparavant. Dès lors, le mouvement qui orientait déjà si volontiers les musiciens liégeois vers la péninsule s’accentuera. Théâtre, concerts, musique d’église feront de Liège au 18e siècle une province de l’Italie.

En 1728, un jeune homme âgé de 19 ans, élève des jésuites et chantre à la cathédrale Saint-Lambert, se rendait à Rome afin d’y parfaire sa formation. C’est Jean-Noël Hamal. Il était né le 23 décembre 1709 et allait décéder le 26 novembre 1778. Il était fils de Henri-Guillaume Hamal, second maître de chant à la cathédrale, et avait reçu de son père une tradition musicale qui remontait aux origines du style. De ce premier séjour italien qui se termina en 1731, il rapporta le goûût d’une musique nouvelle et plus animée. Celle-ci allait exiger des musiciens plus avertis et des orchestres plus fournis.

Ont existé aussi des clavecinistes à Liège. Un facteur de Theux émigré à Paris apporta des améliorations dans la conception de ces instruments pour les rendre plus expressifs et plus chantants. Il atteignit ce but par l’utilisation de becs en cuir de buffle à la place des becs en plumes de corbeau, ainsi que le placement de genouillères pour actionner les registres. On doit plusieurs pièces de clavecin à Jean-Noël Hamal. À cette époque fleurirent de très nombreux périodiques musicaux, signe d’une grande culture musicale.

De son deuxième séjour en Italie, Hamal rapporte plus de maîtrise mais aussi l’idée de composer de petits opéras-bouffes en langue dialectale. Le théâtre liégeois, c’est, en fait, un ensemble de quatre opéras en langue wallonne mis en musique en 1757-1758 par Jean-Noël Hamal. Il est la source de tout le théâtre en wallon liégeois, tant parlé que chanté. Les librettistes sont notamment le chevalier Simon de Harlez et Jacques-Joseph Fabry, qui deviendra bourgmestre de Liège. Ces messieurs sont des assidus du théâtre de la Baraque, premier théâtre de Liège. Ce dernier s’érigeait sur le quai de la Batte, pas loin de la passerelle Saucy, dans l’espace actuellement dégagé devant la grand-poste. Des troupes italiennes s’y produisent, ce qui inspirera notamment un opéra burlesque en wallon, en 1757, Le voyage de Chaudfontaine.

André-Modeste Grétry est né à Liège le 8 février 1741 et il mourra à Paris le 24 septembre 1813. Il traversera tous les régimes et tirera chaque fois son épingle du jeu. Musicien de la reine Marie-Antoinette, révolutionnaire, il s’est retiré dans l’ermitage de Rousseau. Il est souvent revenu à Liège. Il y chercha un maître qu’il ne trouva pas car il y manquait un conservatoire et des maîtres savants. Alors, il se rendit à Rome.

L’essor du nouvel opéra comique français développé par Grétry (il en a écrit 40) confirme la disparition du théâtre italien à Liège et étouffe le jeune théâtre liégeois en wallon. Hamal retourne à la grande musique des messes et des oratorios.

En 1789, le pays de Liège fit sa révolution, à l’image de la France. La cathédrale fut démolie en 1793 et Henri Hamal, neveu de Jean-Noël, put heureusement sauver une grande partie des partitions qui avaient fait la réputation de la ville aux 17e et 18e siècles. Elles se trouvent maintenant à la bibliothèque du Conservatoire de Liège.

Sous le régime hollandais, la vie musicale renaît et une école de musique, créée en 1826, deviendra conservatoire royal en 1831. Dans la Belgique nouvelle, la ville de Liège ne tardera pas à jouer un rôle musical important.

d’après Philippe GILSON

  • image en tête de l’article : Musée d’Ansembourg © proantic.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Philippe GILSON, organisée en avril 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

MEZEN : Sainte-Walburge, d’une légende à un cimetière (CHiCC, 2008)

Temps de lecture : 3 minutes >

Une légende nous raconte qu’en 712, la fille du Roi d’Ecosse retrouva la vue sur les hauteurs de Liège, à Sainte-Walburge, en découvrant la beauté de la ville, et qu’elle y fit ériger un oratoire.

Mais la première trace historique de ce sanctuaire remonte à 1338, dans un courrier du prince-évêque Adolphe de la Marck. A la même époque, dans ce qui s’appelait “le faubourg Sainte-Walburge”, un Liégeois, un certain Guillaume Gillard del Cange, y fit ériger une construction pour lépreux. Ce type d’établissement, que l’on nommait à l’époque une maladrerie, tenait plus de l’hospice que de l’hôpital et, de par sa nature, exigeait la proximité d’un cimetière. Très vite, ce cimetière devint pour la population “le cimetière des Lépreux”.

Après l’abandon de l’hôpital, pillé par des escrocs, c’est un nommé Pierre Stevart qui racheta le terrain et ce qui restait de l’ancien édifice pour y faire construire une église. Lors des troubles, en effet nombreux à l’époque, les portes de la ville restaient fermées et les habitants n’avaient plus d’accès à une église. Quant au “cimetière des Lépreux”, il fut reconverti en cimetière paroissial, autour de l’église, selon la tradition de l’époque.

Le décret de Napoléon de 1804 modifiera le paysage des cimetières liégeois. Ce décret interdit l’inhumation dans les églises et à l’intérieur des villes. Tous les petits et nombreux cimetières paroissiaux vont disparaître, celui de Robermont est créé. Cependant, le cimetière de Sainte-Walburge subsistera jusqu’en 1866, notamment parce qu’il se trouve en dehors des remparts.

Un seul cimetière sur la rive droite était insuffisant et la décision d’implanter un nouveau cimetière rue Fosse Crahay fut prise par la Ville de Liège en 1868. Le projet de créer un nouveau cimetière sur la rive gauche de la Meuse réunit une belle unanimité. Par contre, le choix du lieu exact d’implantation donna lieu, déjà, à des palabres qui s’éternisèrent cinq mois durant, de mai à octobre 1868. Le conflit portait sur la salubrité des eaux de captage de la Ville, qui aurait pu être mise en cause selon l’endroit où la nouvelle nécropole serait située. En effet, les galeries des fontaines Roland ne sont distantes du site que de 600 mètres.

Finalement, un accord émergea et le Conseil communal vota l’implantation du cimetière de Sainte-Walburge à l’endroit où nous le connaissons actuellement. Il sera inauguré le 20 mars 1874 et une voie d’accès créée pour le relier au faubourg Sainte-Walburge, le boulevard Fosse Crahay.

Bien qu’il ne représente que la moitié des 44 ha de Robermont en superficie, le cimetière de Sainte-Walburge n’a rien à lui envier sur le plan historique, botanique ou environnemental. Même si une telle notion peut surprendre, chaque nécropole possède sa propre philosophie dans l’art funéraire et cette différence apparaît intéressante à analyser dans le cas des deux plus grands cimetières liégeois.

On ne trouve à Sainte-Walburge que peu de sépultures imposantes, beaucoup moins qu’à Robermont, beaucoup moins aussi de personnages qui se rappellent à nous par le nom d’artères importantes de la ville que nous empruntons quotidiennement ; on n’y découvre pas non plus la même recherche architecturale qui fait une partie de l’éclat de Robermont. Par contre, et ceci est symptomatique, d’innombrables médaillons rappellent aux visiteurs la physionomie des défunts, ce qui reste une indication que Sainte-Walburge possède une philosophie plus familiale que Robermont, plus proche de la population qui le fréquente. On y découvre ainsi énormément de personnages néanmoins connus et qui se sont révélés très attachants, parfois surprenants.

Si vous vous promenez dans le cimetière de Sainte-Walburge, vous découvrirez ainsi les sépultures de Emile Sullon, Jean Haust et Théophile Bovy, auteurs wallons, Henri Noinem, Désiré Horrent et Louis Radermecker, résistants, Maurice Destenay, Joseph Bologne et Georges Truffaut, hommes politiques, Jacques Ochs, dessinateur et caricaturiste, Henri Koch, violoniste, Henri Lacroix, guérisseur, Auguste Mindels et Ferdinand Delarge, sportifs, Edgar Scauflaire et Fernand Vetcour, peintres, et Maurice Waha, héros de Sainte-Marguerite, et bien d’autres.

Il est évidemment impossible de citer tous les personnages repris dans le livre, Le cimetière de Sainte-Walburge, 130 ans d’histoire, que j’ai consacré à cette nécropole. Il convient aussi de ne pas négliger l’aspect botanique du cimetière. C’est pourquoi un bel après-midi d’automne vous permettra de passer d’agréables moments dans un environnement bucolique tout en redécouvrant des pans de l’histoire liégeoise.

Chantal MEZEN

[image en tête de l’article : cimetière de Sainte-Walburge © Philippe Vienne]

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Chantal MEZEN, organisée en février 2008 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

FETTWEIS : Les changements climatiques en Belgique, vers des étés de plus en plus chauds et secs (CHiCC, 2024)

Temps de lecture : 7 minutes >

[ULIEGE.BE] Le climat se réchauffe et cela ne fait plus aucun doute que les activités humaines en sont responsables. Mais concrètement, qu’est-ce qui nous attend chez nous à Liège et à quoi devrons-nous nous adapter ? Quel climat allons-nous avoir dans un monde à +2°C (en 2040) ? Comment seront nos étés ? Pourrait-on encore avoir un événement pluvieux extrême comme celui de Juillet 2021 ou doit-on se préparer à des sécheresses extrêmes ? Quels seront les impacts sur nos forêts, l’agriculture ou encore notre santé ?


Après une licence en mathématiques à ULiège en 2000, Xavier Fettweis défend sa thèse sur le climat du Groenland chez le Prof. Jean-Pascal van Ypersele de l’UCL en 2006. De retour à ULiège, il coordonne le développement du modèle régional du climat MAR utilisé notamment pour étudier la fonte des calottes polaires et les changements climatiques en Belgique au Laboratoire de Climatologie qu’il dirige depuis 2017, d’abord en tant que chercheur qualifié du FNRS, puis comme professeur depuis 2023.


A cause des activités humaines, on pourrait gagner en Belgique près de +4°C en 2100 par rapport à 1981-2010 et c’est surtout en été et en Ardenne que la hausse des températures sera la plus importante. Il faudra aussi faire face de plus en plus à des sécheresses en été, entrecoupées de quelques événements pluvieux intenses comme celui de juillet 2021. L’eau manquera donc souvent en été, ce qui impactera durablement nos forêts (qui devront s’adapter) ainsi que des écosystèmes uniques comme celui des Hautes-Fagnes qui ne seront plus en équilibre avec notre climat.

Ce n’est plus un secret pour personne que le climat est en train de réchauffer et il n’y a maintenant plus aucun doute que ces anomalies climatiques sont dues aux activités humaines car naturellement, on irait plutôt vers une glaciation dans 100.000 ans. Depuis 1850, la concentration des gaz à effet de serre a augmenté de près de 50 % à cause des activités humaines et il n’y a plus aucun doute que cette augmentation explique la hausse des températures observée. Au début des années 2000, le GIEC restait encore prudent sur le lien entre activités humaines et hausse de température car seuls les modèles suggéraient une hausse des températures qui n‘était pas (encore) observée. Depuis lors, les changements climatiques se multiplient (hausse du niveau des mer, retrait des glaciers, fonte des calottes polaires, augmentation du nombre et intensité de canicules….) et si on veut reproduire avec les modèles du climat ce qui est observé, on est obligé de tenir compte de l’augmentation des concentrations des gaz à effet serre liée aux activités humaines. Cela a permis au GIEC de conclure sans équivoque dans son 6ème rapport (en 2021) que seules les activités humaines peuvent expliquer le réchauffement climatique observé. Bref, il n’y a plus lieu aujourd’hui d’être climato-sceptique même s’il y a 20-30 ans, une telle position restait défendable.

Figure 1: Evolution de la température annuelle à Liège simulée par la modèle MAR d’ULiège forcé par les réanalyses ERA5 (~ observations) en bleu et par 6 modèles globaux du GIEC (en rouge) en utilisant le scénario SSP370.

Et en Belgique, qu’en est-il ? Par rapport à la période 1981-2010 (respectivement 1850), on a gagné près de +1°C (respectivement +2°C) sur la période 2011-2022 et ce, en particulier en Ardenne et en été. Les précipitations annuelles ont peu changé ; par contre, les chutes de neige ont déjà diminué de près de 25 % en moyenne sur la dernière décennie. Malheureusement, cette tendance ne va pas s’inverser dans les prochaines années. Même si, à la suite des Accords de Paris (COP21, 2015), on aurait pu espérer limiter le réchauffement climatique à +1.5°C en 2100 par rapport à 1850 (scénario SSP126 du GIEC), on est malheureusement aujourd’hui loin de cet objectif avec les engagements réellement pris jusqu’ici (COP28, 2023). Le scénario le plus probable actuellement est une hausse de la température globale de ±3.5°C en 2100 par rapport à 1850, ce qui correspond au 2éme moins « pire » scénario du GIEC (scénario SSP370) montré sur la Figure 1 pour la ville de Liège. On peut notamment y voir que les modèles sous-estiment le réchauffement actuellement observé (courbe en bleu) et donc que ces chiffres sont donc la fourchette basse de ce qui nous attend, hélas.

Figure 2: Statistiques observées (basées sur le modèle MAR forcé par les réanalyses ERA5) et projetées (basées sur MAR forcé par 6 modèles globaux) pour différentes périodes selon le scénario SSP370 pour Liège.

En Belgique, le hausse de température sera tout d’abord la plus marquée en Ardenne qu’en Flandre où la Mer du Nord (qui met beaucoup plus de temps à se réchauffer que l’atmosphère) va en quelque sorte atténuer le réchauffement climatique dans un premier temps (voir Figure 3). En hiver, c’est surtout les nuits qui vont devenir moins froides alors qu’en été, c’est surtout les maximums de température qui s’envoler.

Alors que la température annuelle augmenterait de près de +1.5°C en moyenne en Région Wallonne en 2040 (Monde à +2°C) par rapport à 1981-2010, la hausse de température atteindra par contre +2°C en été en Ardenne. N’oublions pas que la période de référence pour le GIEC est 1850-1900 et donc un Monde (i.e. la température moyenne globale) à +2°C selon le GIEC correspond à une Belgique à +3°C selon cette même période de référence. A l’échelle annuelle, la quantité de précipitations changerait peu mais par contre, les précipitations diminueront significativement en été alors que seuls les hauts sommets de nos Ardennes verront encore un peu de neige à la fin de ce siècle.

Figure 3: a) Anomalie de la température annuelle simulée en ~2040 (Monde à +2°C) par rapport à 1981-2010. b) pour la température en été (Juin-Juillet-Aout). c) pour les précipitation annuelles (en % par rapport à la moyenne 1981-2010) et d) pour les précipitation en été selon le modèle MAR.

Après les inondations de juillet 2021, il est légitime de se poser la question de savoir si cet événement est dû au réchauffement climatique et s’il pourrait se répéter. Pour répondre à ces questions, nous avons forcé notre modèle du climat MAR avec des observations depuis 1950 et avec plusieurs scénarios futurs du GIEC. Tout d’abord, par comparaison au maximum de précipitation sur 3 jours observé dans la Vallée de la Vesdre depuis 1950, 3 événements ressortent 7-9 octobre 1982, 12-14 septembre 1998 et 13-15 juillet 2021. Déjà en 1982 et 1998 la Vallée de la Vesdre avait été inondée mais la quantité de précipitation tombée en moyenne sur la Vallée en Juillet 2021 (160mm/3jours) surpasse largement la quantité tombée en 1982 (105mm/3jrs) et 1998 (115mm/3jours) ce qui explique le caractère exceptionnel de l’événement de juillet 2021. Dans les projections futures, on constate tout d’abord que ce genre d’événement n’est pas suggéré dans les simulation MAR forcées par les scénarios du GIEC avant 2020 ; ce qui montre que sans le réchauffement climatique lié aux activités humaines, un événement d’une telle intensité aurait été improbable. Après 2020, le modèle suggère malheureusement que cet événement pourrait se répéter 2-3 fois d’ici 2050. Après 2050, si on limite le réchauffement global à +1.5°C, le climat de la Belgique serait alors très favorable à ce genre d’événements qui pourraient devenir récurrents (tous les 10-20 ans). Si par contre le climat continue à se réchauffer, les étés deviendraient alors trop chauds et secs pour favoriser de tels événements qui resteront toutefois probables.

Le problème en été serait alors plutôt les sécheresses et les canicules favorisant des feux de forêts. Il est important de noter que nos forêts ne sont (ou ne seront) plus en équilibre avec le climat actuel et sont donc malades favorisant la présence de bois morts augmentant ce risque d’incendie. Pour ce qui est des autres événements extrêmes locaux comme les orages, tornades, rafales de vent…, il reste encore beaucoup d’incertitudes car les modèles du climat ne sont pas encore capables de les représenter explicitement. La hausse des températures permettrait d’augmenter l’intensité de ces événements locaux car il y aurait plus d’énergie pour les alimenter mais les connaissances actuelles ne suggèrent pour le moment pas de changement dans leurs fréquences. Toutefois, une chose est sûre, avec l’augmentation du bâti et des surfaces imperméables, un même événement du passé fera plus de dégâts qu’avant. Enfin, il est important de noter que la variabilité interannuelle (c-à-d. le fait d’avoir une succession d’années humides ou sèches) des précipitations aussi bien annuelles qu’en été va augmenter significativement en Wallonie (voir Figure 8). Cela suggère notamment qu’on aura plus souvent des étés secs (1 été sur 3 contrairement à 1 sur 6 actuellement) compensés par des étés plus humides (1 été sur 5 contrairement à 1 sur 6 actuellement) expliquant qu’en moyenne la diminution projetée des précipitations reste faible.

Pour rester en équilibre avec un climat qui leur est favorable, les écosystèmes vont soit devoir s’adapter, soit migrer en altitude ou en latitude pour retrouver un climat plus froid. Un exemple d’écosystèmes chez nous qui ne pourra ni monter en altitude ni en latitude est celui qu’on retrouve dans nos Hautes-Fagnes et qui a besoin d’un climat froid et humide. Les Hautes-Fagnes risquent donc à terme de s’assécher en surface et donc se reboiser.

Autres exemples d’écosystèmes qui ne sera plus en équilibre avec notre climat, ce sont les forêts d’épicéas et de hêtres qui sont des arbres avec des racines peu profondes et donc très sensibles aux sécheresses estivales qui devraient malheureusement s’intensifier et se multiplier dans le futur.

Jusqu’à maintenant, on considérait en Belgique que les ressources en eau étaient infinies, en particulier en Ardenne. Ce ne sera bientôt plus le cas car notre climat va progressivement s’approcher de celui du Gers (au Sud-Ouest de la France) où on ne compte plus les petites retenues au fond des vallées stockant les pluies hivernales pour irriter l’agriculture en été. Ces petites retenues permettraient aussi d’atténuer les conséquences d’événements de pluie extrêmes déjà intensifiés par l’augmentation de l’imperméabilisation des sols, indépendamment des changements climatiques. Enfin, il faudra s’adapter  aux grosses chaleurs en construisant des maisons passives à la chaleur et plus au froid comme jusque maintenant.

Xavier Fettweis, climatologue


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Xavier FETTWEIS, organisée en août 2024 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

Spéculoos (recette)

Temps de lecture : 4 minutes >

[d’après JOURSHEUREUX.FR] Les spéculoos, ces délicieux biscuits épicés ont une histoire qui remonte à plusieurs siècles en Europe. Découvrons ensemble l’origine de ces petits trésors croustillants, leurs différences avec les Speculaas néerlandais, leur mode de fabrication et leurs valeurs nutritionnelles.

L’histoire des spéculoos

Les origines des spéculoos remontent à plusieurs siècles en Europe, mais leur popularité s’est particulièrement développée au cours du xxe siècle en Belgique. À l’origine, les spéculoos étaient conçus comme une alternative abordable aux speculaas néerlandais, qui étaient plus riches en épices (les spéculoos étaient moins épicés en raison du coût élevé des épices importées en Belgique). L’un des aspects les plus intriguants de l’histoire des spéculoos est leur forme traditionnelle. Ces biscuits étaient souvent moulés en forme de moulins à vent, de personnages de la nativité ou d’animaux, en particulier pendant la période de Noël. Aujourd’hui, la plupart des spéculoos sont fabriqués sous forme de rectangles simples, mais la tradition des moules en forme perdure.

Speculaas, spéculoos : quelle différence ?

Les speculaas et les spéculoos, deux types de biscuits belges, présentent des similitudes tout en ayant quelques différences. Les speculaas, originaires des Pays-Bas, sont préparés avec un mélange d’épices traditionnel incluant de la cannelle, de la muscade, du clou de girofle et du gingembre, et ont une texture plus croquante. Ils sont souvent façonnés en formes spécifiques, telles que des moulins à vent ou des figures folkloriques néerlandaises.

En revanche, les spéculoos, d’origine belge, utilisent des épices similaires mais ont tendance à être plus moelleux. Ils sont généralement présentés sous forme de biscuits rectangulaires ornés de motifs géométriques. Le nom “speculaas” est prédominant aux Pays-Bas, tandis que “spéculoos” est plus couramment utilisé en Belgique et dans les pays francophones pour désigner ces biscuits aux saveurs épicées et sucrées.

Spéculos, spéculoos, spéculaus ?

L’orthographe traditionnelle du mot est “spéculoos“, correspondant au nom flamand du biscuit et largement adoptée en Belgique. La prestigieuse maison Dandoy, établie en 1829 à Bruxelles, préserve cette orthographe. Le plus grand producteur belge de spéculoos, la biscuiterie Lotus, suit également cette tradition orthographique. Le Petit Larousse mentionne à la fois “spéculoos” et “spéculos” pour refléter les variantes. En France, l’orthographe “spéculos” est une variante apparue suite à la réforme orthographique de 1990, mais elle demeure peu courante et est généralement signalée en fin d’article dans le Petit Larousse. Enfin, l’orthographe “spéculaus” est une version francisée, bien qu’elle n’ait pas réussi à devenir majoritaire dans l’usage francophone. Le dictionnaire Petit Robert propose également les deux orthographes, tandis que la maison Dandoy utilise parfois l’orthographe “spéculaus” sur son enseigne lumineuse à Bruxelles, ajoutant ainsi une touche de diversité à ce délicieux biscuit.

Comment sont fabriqués les spéculoos ?

Les spéculoos sont des biscuits délicieusement épicés fabriqués à partir d’ingrédients simples mais savoureux. Pour les préparer, on commence par mélanger du beurre ramolli avec du sucre brun pour créer une base crémeuse. Ensuite, on incorpore un mélange d’épices spécifiques, généralement composé de cannelle, de gingembre, de clous de girofle, de noix de muscade, de poivre blanc et de cardamome, afin de donner aux biscuits leur saveur caractéristique. On ajoute ensuite de la farine (froment), éventuellement de la fécule de maïs et de la poudre d’amande pour former une pâte. Après avoir reposé au réfrigérateur, la pâte est étalée et découpée en formes de biscuits. Ces biscuits sont ensuite cuits au four jusqu’à ce qu’ils soient légèrement dorés autour des bords, puis laissés à refroidir sur une grille. Le refroidissement permet aux spéculoos de durcir et de prendre leur texture croustillante.

Valeurs nutritionnelles des spéculoos

Les spéculoos sont des biscuits délicieusement croquants et épicés qui, bien que délicieux, sont également relativement riches en calories et en sucres : calories par portion (2 biscuits) : 80 à 100 calories ; glucides : 10 à 15 grammes ; matières grasses : 3 à 5 grammes ; protéines : 1 à 2 grammes ; fibres alimentaires : moins d’un gramme. Ces valeurs peuvent légèrement varier en fonction de la marque et de la recette spécifique des biscuits. Il est recommandé de les consommer avec modération dans le cadre d’une alimentation équilibrée.

Allergènes contenus dans les spéculoos

Les spéculoos peuvent contenir plusieurs allergènes courants, dont le gluten issu de la farine de blé, le lait sous forme de beurre, les œufs, les fruits à coque comme les noix ou les amandes, et parfois des traces de soja.

d’après joursheureux.fr


Spéculoos (la meilleure recette)

N.B. La pâte doit se faire le jour avant et se cuit… le lendemain de la veille.

Ingrédients (pour 40 spéculoos)

      • 500g de farine
      • 500g de farine fermentante
      • 1 paquet de levure chimique
      • 700g de cassonade brune
      • 2 cuillères à café d’épices à spéculoos (ou 4 épices)
      • 1 pincée de sel
      • 3 œufs
      • 400g de margarine
      • 1/2 tasse d’eau tiède
      • 2 cuillères à café d’arôme d’amande amère

Préparation

Préparation de la pâte (la veille)
      • Mélangez au robot tout ce qui est sec : les 2 farines, la levure, la cassonade, les épices et le sel.
      • Faites fondre le beurre (il ne doit pas être chaud).
      • Ajoutez le beurre, les œufs, l’eau et l’arôme d’amande amère.
      • Laissez reposer au moins une nuit en couvrant la pâte d’un film plastique. Elle va développer ses arômes.
Cuisson
      • Le lendemain, faites chauffer le four à 190 degrés.
      • Sur la plaque recouverte d’un papier cuisson, disposez les pâtons (55-60 g). Prélevez une cuillère à soupe de pâte, roulez-la dans vos mains pour former une boulette ronde ou allongée et applatissez la légèrement.
      • Cuisez au four 15 minutes exactement.
      • Décollez-les avec précaution et laissez-les refroidir sur une grille.

Notez que les spéculoos se conservent très bien dans une boîte hermétique.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : joursheureux.fr ;  Sophie Adans, Chef | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © tasteoffrancemag.com ; © DR.


Encore faim ?

Gougères aux épinards (recette bourguigonne)

Temps de lecture : 2 minutes >

Les “gougères aux épinards et au cantal” sont de petites bouchées à base de pâte à choux, d’épinards et de cantal (vous l’aviez deviné). Pour le cuisinier wallon, elles ont ceci de particulier que le fromage est mélangé à la pâte à choux encore tiède, avant la cuisson. C’est une spécialité bourguignonne (Auxerre) très appréciée pour l’apéritif ou en entrée avec une salade. Si l’origine bourguignonne est difficile à prouver, la mention de goiere est déjà attestée à la fin du XIVe siècle, dans le sens de ‘tarte au fromage’. On trouve des gougères dans toutes les bonnes boulangeries de Bourgogne, voire au-delà…

© Disney

Dans le dessin animé de 2000, Kuzco, l’empereur mégalo, un des personnages les plus savoureux (l’ineffable Kronk) sert un plat de gougères aux épinards qui s’avèrent tout aussi savoureuses. Ci-dessous, la recette est partagée par une contributrice du réseau wallonica, qui espère également “ne pas pourrir le groove de l’empereur.”

Ingrédients

      • 50 gr de beurre
      • 17 cl d’eau
      • 100 gr de farine
      • 3 œufs
      • 100 gr de fromage à pâte dure (cantal ou comté, gruyère, parmesan…)
      • 75 gr de pousses d’épinards
      • noix de muscade, sel, poivre

Préparation

      • Préchauffez le four à 180 degrés.
      • Hachez les épinards et rapez le fromage.
      • Pour faire la pâte à choux : porter l’eau à ébullition avec le beurre coupé en morceaux. Retirez du feu, ajoutez la farine d’un coup et mélangez vivement. Remettez ensuite sur le feu et laissez sécher la pâte 2 minutes (une fine croûte se forme au fond de la casserole).
      • Versez la pâte dans un saladier pour la faire refroidir 5 minutes.
      • Ajoutez les œufs un à un vivement.
      • Ajoutez les épinards, le fromage, le sel, le poivre et la noix de muscade (toujours bon avec les épinards !).
      • A l’aide de 2 cuillères, formez des petits choux.
      • Déposez-les sur la plaque du four garnie d’une feuille de cuisson.
      • Faites cuire 25 à 30 minutes.
      • Il est très important de ne pas ouvrir le four pendant la cuisson sinon les choux ne lèvent pas !
      • Servez seuls ou avec une salade…

HEUSCHEN : Waterloo, morne plaine ? (CHiCC, 2001)

Temps de lecture : 6 minutes >

“Waterloo, morne plaine ?” Il est tentant d’emprunter ce titre à Victor Hugo, chantre inégalé d’une des batailles les plus ancrées dans l’imaginaire collectif, notamment en Wallonie. En réalité, le champ de bataille de Waterloo n’est pas une plaine, mais l’essentiel n’est pas là. D’entrée de jeu, il me paraît plus important de souligner ma préoccupation de ne pas faire de la stratégie en chambre, mon manque de goût pour l’uniformologie et mon pacifisme, que l’étude de l’époque napoléoniennne ne cesse de renforcer.

Quelle est la situation de notre région, au moment où l’Armée française du Nord va y pénétrer, en juin 1815 ? Nous sommes, par la volonté de l’Angleterre, finalement devenus hollandais, bien que la rive droite de la Meuse ait failli tomber dans l’escarcelle de la Prusse. A la nouvelle du retour de Napoléon en France, une armée prussienne de 120.000 hommes stationne entre Charleroi et Liège. Liège, où, quelques jours avant Waterloo, le vieux Maréchal Blücher échappe de peu à un massacre par les troupes saxonnes, en principe alliées des prussiens ! Entre la mer du Nord et Mons, se trouve une armée hétéroclite de 90.000 hommes, anglo-écossais, mercenaires allemands combattants pour l’Angleterre, Hanovriens, Nassauviens, Brunswickois et Hollandais. La dénomination “Hollandais-belges” est évidemment trompeuse. Qu’on le veuille ou non, nous sommes hollandais, et les anciens grognards engagés dans l’armée des Pays-Bas le savent bien, eux qui ont été rétrogradés, et qui comprennent tout à coup qu’ils vont devoir tirer sur leurs anciens compagnons d’armes. Durant les cent-jours, beaucoup d’entre eux désertent et vont retrouver leurs anciens régiments dans l’armée impériale, refusant la curieuse proposition de Napoléon qui voulait que les belges s’engagent dans un “régiment étranger”.

La France sait qu’elle est lancée dans une course de vitesse. En principe, le temps travaille contre elle. En quelques semaines , Davout et Carnot, qui ont tous deux des adjoints liégeois, rééquipent une armée efficace, dont 125.000 hommes vont se porter en Belgique, en se regroupant discrètement vers Beaumont et Philippeville, alors françaises. La troupe a retrouvé l’état d’esprit des armées de la République, et est animée d’un désir de vengeance, surtout chez ceux qui ont fréquenté les prisons prussiennes ou les pontons anglais. Le plan de bataille est admirablement conçu, mais le nouveau chef d’Etat-major, le détesté et détestable Maréchal Soult, oublie de convoquer la cavalerie, ce qui épuise cette arme en marches forcées dès avant la campagne. Où sont les grosses épaulettes ? En fuite à Gand, avec Louis XVIII, terrées dans leurs châteaux, ou, choix étrange de Napoléon, reléguées dans des rôles secondaires, comme le très intelligent Suchet ou comme Jourdan, le vainqueur de Fleurus et d’Esneux-Sprimont en 1794. Passons sur la trahison du général de Bourmont, qui n’eut aucune conséquence pratique mais a permis à des générations d’historiens bonapartistes de trouver une cause à la défaite qui n’impliquait pas “l’Idole” .

Le 15 juin 1815, l’année du Nord passe la Sambre à Charleroi et se porte principalement vers l’armée prussienne. Le choc, brutal, a lieu à Ligny le lendemain. 78.000 Français affrontent 83.000 Prussiens. Le corps d’armée stationné à Liège n’a pas eu le temps de rallier. Les pertes sont sévères : 10.000 Français et 20.000 Prussiens. Tous seront soignés par les services de l’admirable Percy, chirurgien de la ligne, tandis que son confrère Larrey, le chirurgien de la Garde, sera à Waterloo. Cette “dernière victoire” de Ligny n’est pas complète. Vingt mille Français exécutent une navette inutile entre Ligny et les Quatre-Bras, à l’Ouest, où le maréchal Ney, à qui, la veille de la campagne, Napoléon a confié l’aile droite, tergiverse. Hésitation qui permet aux alliés de renforcer leur position à ce carrefour, bien que Wellington ne prenne pas conscience du danger. Celui qui deviendra beaucoup plus tard, et pour d’autres raisons, “The Iron Duke”, assiste à un bal et pense que Napoléon, qu’il craint cependant, est encore loin. Après le massacre réciproque des Quatre-Bras, 5.000 morts dans chaque camp, l’Empereur, le 17 juin, avec les deux tiers de l’armée, se lance dans une poursuite frénétique des anglo-germano-hollandais. Hasard ou pas, la course s’achève juste avant le village de Waterloo. Un an auparavant, Wellington avait repéré l’endroit pour y attendre “Bony” au cas où celui-ci s’échapperait de l’Ile d’Elbe. La cuvette de Waterloo offrait à Wellington la possibilité d’user de la tactique, éprouvée en Espagne, de la contrepente, à savoir placer ses troupes à l’abri d’une crête et y attendre l’offensive adverse pour la fusiller à bout portant. En même temps, Napoléon confie 33.000 hommes, beaucoup trop ou beaucoup trop peu, au dernier promu des Maréchaux, Grouchy, afin de poursuivre les Prussiens supposés en déroute.

Le 18 juin 1815, entre Mont-Saint-Jean et Belle Alliance, au matin, 75.000 alliés font face à 75.000 Français. Parmi ces derniers, autant de Wallons que dans le camp d’en face, ce qui met à mal la fiction d’une armée hollando-belge soudée face à un envahisseur venu du sud. Les phases de la bataille sont terribles dans leur simplicité : une attaque de diversion par l’aile gauche, menée par un frère de Napoléon, et, qui va s’épuiser à essayer de prendre une ferme brabançonne à la baïonnette, une avancée de la droite en colonnes serrées, magnifiques cibles pour les artilleurs alliés, de sanglants combats de cavalerie, où l’on s’étripe pour un drapeau, une dizaine de charges de la cavalerie française, menée par l’imprudent Ney, contre des carrés anglais qui plient mais ne rompent point, et pour terminer, une offensive désespérée d’une partie de la Garde. Depuis plusieurs heures, les autres bataillons de la Garde tentent de contenir les Prussiens, qui depuis le début de l’après-midi se répandent de plus en plus nombreux sur le flanc français. Lorsque, pour la première fois, le cri “La Garde recule !” retentit, c’est la panique. Il ne reste aux carrés de vielle et moyenne garde qu’à écrire la dernière page de l’épopée, et au Général Cambronne à, peut-être, prononcer un certain mot.

Waterloo est une des batailles les plus meurtrières de l’époque. Environ 50.000 hommes, dont 30.000 Français restent sur le terrain, morts ou blessés. Certains blessés français ne seront pris en charge que quatre jours après la bataille. On dit qu’à la moisson suivante, les blés de Waterloo étaient particulièrement beaux. L’armée Grouchy, qui n’a pas marché au canon, mais elle n’a fait qu’appliquer les ordres plus ou moins clairs de Napoléon et de Soult, prend Wavre, puis fait retraite avec ses blessés par Namur, avec la complicité de la population, pas fâchée de jouer un tour aux Prussiens.

Une autre issue à Waterloo était-elle possible ? Il est à peu près certain que, sans l’arrivée des hommes de Blücher , le front allié aurait fini par céder. Le 19 juin 1815, l’armée française aurait bivouaqué à Bruxelles. L’espoir de Napoléon était de forcer ses adversaires à signer un traité de paix, qui lui aurait conservé nos régions. Espoir fou, même à supposer que les Anglais reprennent le bateau à Ostende, ce que manifestement Wellington avait préparé, et que les Prussiens fuient vers la Rhénanie. Espoir vain, car plus de 400.000 Russes et Autrichiens se préparaient à entrer en Alsace, où ils n’auraient rencontré qu’un rideau de troupes. 1814 recommençait, en plus terrible sans doute.

Qui a gagné le 18 juin 1815 ? L’Angleterre, qui gagne enfin la guerre séculaire avec la France, les familles Wellington et Rothschild, la Prusse, qui s’installe sur le Rhin, la Hollande, qui trouve une légitimité qu’elle va matérialiser par l’orgueilleux “Lion”, et, provisoirement, l’Ancien régime. Quinze ans plus tard, la Révolution gronde à nouveau partout en Europe, et notamment en Belgique. Paradoxalement, c’est une armée française qui, en 1831-32, interviendra au nom des Puissances pour sauver le jeune Royaume de Belgique.

Qui a perdu à Waterloo ? la France, qui rentre dans le rang, paye une lourde contribution de guerre, perd la Savoie, la Sarre, le Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse et Bouillon. Napoléon, mais il veillera à écrire sa propre légende à Sainte-Hélène. Les généraux français déchus, parfois fusillés, et les grognards, notamment liégeois, qui cultiveront leur nostalgie, comme l’exprime si bien la chanson Li Pantalon trawé.

Les visiteurs du champ de bataille ne s’arrêtent pas toujours à la Colonne Hugo, le seul monument local consacré à une personne qui n’a pas participé au combat. La colonne reproduit quelques mots que Victor Hugo, pionnier de l’idée européenne, devait prononcer en 1849, au Congrès de la Paix : “Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées”.

Patrick HEUSCHEN

  • image en tête de l’article : Clément-Auguste Andrieux, “La Bataille de Waterloo, 18 juin 1815” © RMN-Grand Palais

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Patrick HEUSCHEN, organisée en janvier 2001 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

HALLEUX : La seconde révolution industrielle dans le bassin liégeois 1860-1917 (CHiCC, 2002)

Temps de lecture : 4 minutes >

Le concept de révolution industrielle a été créé au moment de la révolution de 1830 par un littérateur qui remarquait un parallèle entre les événements politiques, c’est-à-dire l’indépendance belge et les grands changements que l’on voyait dans l’industrie. On percevait l’aurore de temps nouveaux, comme l’a écrit un poète : “Oui, l’industrie est noble et sainte, son règne est le règne de Dieu.” Une révolution industrielle, c’est un changement de système technique, c’est-à-dire un ensemble constitué par des matériaux et des méthodes de transformation, et des énergies.

Pendant le moyen-âge nous avons vécu sur un matériau qui était le fer produit avec du charbon de bois et l’énergie hydraulique. Au début du 19e siècle, l’énergie hydraulique atteint ses limites et les forêts se déboisent terriblement. C’est à cette époque que s’introduit, à Liège d’abord, un nouveau système technique. Au charbon de bois, on substitue le coke, du charbon de terre que l’on a cuit pour le débarrasser des matières volatiles. Les premières machines à vapeur créées en Angleterre s’introduisent aussi chez nous. Pourquoi à Liège ? Parce qu’il y avait de la houille et du minerai facile à extraire. Mais surtout une conjonction entre, d’une part un savoir-faire traditionnel et, d’autre part, un dynamisme de la bourgeoisie et d’une aristocratie investisseuse.

Le peintre Léonard Defrance affectionne les représentations des usines, des manufactures et des charbonnages. Le commanditaire de ces tableaux se fait représenter dans son usine avec ses ouvriers et souvent avec un vieillard pensif qui personnifie le passé et un petit enfant qui personnifie l’avenir, Jean-Jacques Daniel Dony invente un procédé de fabrication du zinc, son usine sera reprise par Mosselman qui va fonder la Vieille-Montagne. Nous trouvons un certain nombre d’hommes nouveaux qui ne sont pas des techniciens : les Orban qui sont des merciers, les Lamarche qui sont des marchands de tabac et de denrées coloniales, les Michiels, les Dallemagne, les Beer. Tous ces gens débutent en achetant un fourneau ou un charbonnage. Ils essaient de créer une usine intégrée où on commence par les matériaux extraits du sol, et où on va jusqu’à la fabrication des machines. C’est l’origine des sociétés comme la Société de Sclessin, la Société d’Angleur, la Société de Grivegnée, les deux fabriques d’Ougrée qui vont donner Ougrée-Marihaye et la Société d’Espérance. Ce sont des entreprises familiales montées par des hommes de négoce qui s’approprient les nouvelles techniques. Ils font venir des techniciens anglais qui construisent les nouveaux outils. Le haut-fourneau liégeois conçu pour le charbon de bois ne convient plus pour le coke. Mais très vite, les Anglais seront dépassés par les techniciens locaux.

John Cockerill n’a pas fait d’études. C’est essentiellement un ouvrier formé par son père avec un prodigieux génie entreprenant qui commence par construire des machines à filer et à tisser. De là, il découvre l’opportunité des machines à vapeur puis, partant d’un atelier de construction de ces machines, il construit un haut-fourneau, des fours à coke, achète des houillères et des mines de fer. Il inonde l’Europe de ses produits. C’est un vrai génie mais un piètre gestionnaire. Il connaîtra des revers et ainsi mourra d’une manière triste et mystérieuse en Russie en essayant de rétablir ses affaires.

Certes, ces hommes ont un certain savoir. Aujourd’hui, les ingénieurs ont étudié à l’université. À cette époque, ce sont généralement des ouvriers formés sur le tas qui ont suivi des cours de dessin industriel et qui viennent de toute l’Europe. L’Université de Liège a été fondée en 1817 en même temps que l’usine Cockerill et a eu des écoles spéciales des mines et des arts et manufactures. A cette époque les ingénieurs ne vont pas dans l’industrie, ils font carrière dans les grands corps de l’État : ponts et chaussées, corps des mines, et plus tard au chemin de fer. Les industriels se fient plutôt à leur chef fondeur, leur chef puddleur, leur chef mécanicien qui tous ont de l’or dans les mains.

Le paysage est encore très rural. Petit à petit, les usines s’entourent de maisons, de corons. Par cette imbrication entre les zones d’habitats, nos usines vont se trouver à l’étroit et cela va les handicaper par la suite.

Un système technique est condamné à saturer. Vers 1860, le fer ne répond plus à certaines contraintes notamment pour faire des rails. L’acier apparaît alors. De nouvelles énergies apparaissent. L’électricité, la dynamo inventée par Zénobe Gramme, les moteurs à combustion interne : à gaz inventé par Lenoir. Ensuite à essence, puis le moteur diesel. Ces moteurs légers et plus puissants vont s’imposer sur la route puis dans l’air. L’école industrielle de Liège, créée à l’initiative de la Société libre d’Émulation, date de 1826. Quant à l’école industrielle de Seraing, elle est créée à l’initiative du docteur Kuborn et a le souci d’actualiser sans arrêt ses cours pour suivre le progrès scientifique. Désormais, il faudra de plus en plus de science et une nouvelle génération d’ingénieurs, sortis de l’université et de l’Institut Montéfiore. Ils vont entrer dans l’industrie, ils vont se frayer un chemin jusqu’au conseil d’administration et ils vont souvent s’allier aux filles des grandes dynasties industrielles.

Le minerai de fer de notre bassin ne convient plus pour l’acier et celui de la Lorraine prend le relais. Il faut des capitaux importants pour adapter les usines et les premières fusions ont lieu. Les rapports sociaux changent vers 1886 avec la crise et les luttes ouvrières. Entre 1914 et 1918, toutes les industries liégeoises ont été démantelées par l’occupant dans le but de détruire un concurrent commercial. Paradoxalement, ces destructions ont été une chance car avec le dynamisme qui nous caractérisait et qui caractérisait nos industriels, très vite, ils vont rebâtir avec du matériel ultramoderne.

La situation fut différente en 1945 car les besoins étaient énormes et nos usines ont tourné à plein rendement pendant quelques années. Seulement, l’outil n’a pas été modernisé assez vite et est devenu obsolète.

d’après Robert HALLEUX

  • Illustration en tête de l’article : Léonard Defrance, “Intérieur de fonderie” © Walker Art Gallery

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en mai 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

Kombucha : description, origine et recette

Temps de lecture : 9 minutes >

[DOCTONAT.COM] C’est une boisson fermentée des feuilles de la plante Camellia sinensis, le théier. Il s’agit donc d’un thé (vert, noir, blanc, Oolong…) qui est fermenté, auquel est ajouté des sucres, des levures acétiques et des bactéries et que l’on fait fermenter pendant une semaine. Ainsi, il est appelé “champignon du thé” ou “mère”. Il produit de l’alcool qui aide les bactéries à produire des principes actifs. Les feuilles sont retirées de la préparation. Il est possible aussi d’en produire à partir de la plante rooibos.‌ Il semble avoir des propriétés antioxydantes équivalentes, cependant il a été très peu étudié.

Le processus de fermentation produit une variété de composés antioxydants qui permettraient une détoxification, grâce à la saccharolactone, sa principale substance active. Elle est reconnue pour favoriser la longévité. Il contient plus d’antioxydants que les autres formes de thé, mais les études comparatives ne sont pas suffisamment nombreuses pour connaître ses effets par rapport aux catéchines et à la vitamine C.

Les organismes essentiels, qui composent la “mère” ou “champignon” du kombucha (jusqu’à 163 souches de levures ont été détectées), produisent des acides acétique, lactique et gluconique. Les bactéries acétiques ont, pendant des siècles, permis de produire des aliments et des boissons fermentées tels que le vinaigre, le kéfir (d’eau) et la bière lambic (de fermentation spontanée). Après fermentation, certains composants de cette boisson se dégradent : les catéchines (18 à 48%), les théaflavines et les théarubigines (5 à 11% après 18 jours de fermentation). Les polyphénols du thé vert et ceux, produits dans le processus de fabrication du thé noir, sont encore présents dans cette boisson. De l’alcool est produit lors de la fermentation, sa teneur en alcool est généralement inférieure à 1%.‌‌

Bien que le kombucha peut présenter de nombreux bienfaits pour la santé, une préparation inappropriée peut provoquer une toxicité et entraîner la mort. Des normes d’hygiène non respectées et une période de fermentation trop longue peuvent contribuer à sa toxicité. Cependant, il semble être sans danger pour la consommation humaine lorsqu’il est correctement traité et consommé avec modération.

Lorsqu’il n’est pas consommé directement après fermentation, il est pasteurisé ou des conservateurs sont ajoutés, afin d’éviter une croissance microbienne excessive.

Les bienfaits supposés du kombucha sur la santé humaine ont été établis à partir d’études in vitro, ainsi qu’à partir d’études réalisées sur des aliments fermentés, ainsi que sur le thé et leurs principes actifs. A ce jour, une seule étude sur l’être humain existe, et elle est en cours de réalisation.

Les avantages pour la santé, démontrés par les études in vitro et in vivo, sont nombreux :

      • activité antimicrobienne ;
      • amélioration des fonctions hépatiques et gastro-intestinales ;
      • stimulation immunitaire, détoxification ;
      • propriétés antioxydantes et antitumorales ;
      • stimulation immunitaire ;
      • inhibition du développement et de la progression de certains cancers, des maladies cardiovasculaires, du diabète et des maladies neurodégénératives ;
      • fonction normale du système nerveux central.

Des composants isolés du kombucha montrent aussi des bienfaits intéressants. Ainsi, les bactéries lactiques Pediococcus pentosaceus et Pediococcus acidilactici, présentent des propriétés probiotiques qui pourraient être utiles à l’industrie agro-alimentaire. Les levures Coriolus versicolor et Lentinus edodes pourraient avoir un bénéfice protecteur avec une action immunomodulatrice potentiellement bénéfique dans les allergies.

Le micro-écosystème de cette boisson a montré pouvoir survivre à des conditions de vie correspondant à celles de la planète Mars, pendant 18 mois ! Dans une étude, il a été utilisé pour produire du levain, servant à fabriquer le pain. La durée de conservation du pain a été prolongée de 5 à 10 jours, à température ambiante.


Comment le kombucha s’est-il créé ?

[REVOLUTIONFERMENTATION.COM] Pour faire du kombucha, il faut du thé, du sucre et une mère de kombucha. Et pour faire une mère de kombucha, il faut… du kombucha ! Alors, d’où vient le premier kombucha ? Le kombucha n’a pas été créé par l’être humain. Sa naissance est un phénomène naturel. Comme dans le cas de l’œuf ou la poule, on ne peut pas identifier l’apparition du premier kombucha. Toutefois, on est capable de deviner ce qui s’est passé!

En effet, le monde qui nous entoure est peuplé de microorganismes à l’affût de milieux à coloniser pour se développer. Le premier kombucha est né par hasard, dans une tasse de thé sucré oubliée sur le rebord d’une fenêtre. Des bactéries et des levures se seraient installées dans la tasse de thé sucré et se seraient multipliées. Elles auraient ainsi créé une pellicule gélatineuse, auraient mangé le sucre et acidifié le thé. À l’époque, la fermentation, c’était de la magie !

Devant cette transformation, les personnes de l’époque auraient goûté au thé fermenté, et l’auraient tellement apprécié qu’ils auraient ajouté un peu de thé sucré pour l’allonger. Ce thé se serait transformé à son tour en kombucha. La pellicule gélatineuse capable de faire du kombucha aurait ainsi été entretenue et baptisée mère de kombucha (ou encore champignon de kombucha). La mère se serait ensuite transmise à travers les époques, jusqu’à nous parvenir aujourd’hui.

Quand et où le kombucha est-il né ?

Pour que du kombucha puisse se créer spontanément, il faut du thé, du sucre et des microorganismes. Comme le kombucha est un phénomène naturel, on peut essayer de déduire son origine en recherchant quand et où les ingrédients du kombucha se sont rencontrés pour la première fois.

      • Microorganismes : ils sont aussi vieux que la vie elle-même. Les microorganismes sont présents partout sur terre depuis plusieurs milliards d’années.
      • Sucre : les premières traces de cultures sucrières remontent à 6000 ans en Asie du Sud-Est. Le sucre est arrivé 500 ans plus tard en Chine.
      • Thé : la consommation de thé a vraisemblablement débuté dans la région du sud-est de la Chine il y a près de 5000 ans.

En conclusion, il est donc très probable que le premier kombucha soit apparu spontanément, il y a près de 5000 ans dans le sud-est de la Chine. Cependant, nous n’avons aucun moyen de le savoir avec certitude.

Légendes du kombucha

Plusieurs légendes et mythes se partagent l’origine du kombucha. Si l’hypothèse présentée plus haut est la plus probable, voici trois légendes à propos de la naissance du kombucha.

L’élixir de longévité du kombucha en Chine
Qin-Shi-Huang

La première légende du kombucha remonte à 200 ans avant Jésus-Christ, en Chine. L’Empereur Quin Shui Huang était en quête d’immortalité. Il lança un décret ordonnant que ses sujets trouvent la clé de la vie éternelle. Un des élixirs testés aurait été le lingzhi ou thé de champignon. Sachant que la mère de kombucha est souvent appelée “champignon”, beaucoup d’amateurs de kombucha croient que cet élixir de longévité fait référence au kombucha.

Le kombucha pour soigner l’Empereur du Japon

Une autre légende date de l’an 415 de notre ère, où un docteur du Royaume de Sylla (Corée) aurait été invité à soigner l’Empereur japonais Ingyō. Ce docteur aurait utilisé un thé fermenté pour guérir l’empereur malade. Le nom du docteur était Komu-ha. On y aurait ajouté le suffixe cha (thé, en japonais), et l’histoire nous aurait donné kombu-cha, ou thé du docteur Komu.

La fourmi, le moine et l’Empereur

Une autre légende, originaire de Russie, cette fois-ci, raconte qu’un empereur malade fit appel à un moine doté de pouvoirs de guérison. Le moine promis de traiter la maladie de l’empereur avec une simple… fourmi ! Il déposa la fourmi dans le thé de l’empereur, et lui conseilla d’attendre que la méduse grandisse. Le thé sous la méduse (une mère de kombucha ?) pourrait alors le guérir.

Si aucune de ces trois légendes ne peut être prouvée, on voit un lien très fort entre le kombucha et la santé. La boisson de l’époque devait être consommée sous sa forme très vinaigrée et concentrée en probiotiques.

Le kombucha en Russie

C’est en Russie, que le kombucha est pour la première fois mentionné dans une étude scientifique en 1913, par la chercheuse A.A. Bachinskaya. Cette biologiste russe étudiait des cultures provenant de plusieurs parties de la Russie. Elle décrivait également dans son article les caractéristiques de la mère de kombucha. Le kombucha était alors consommé par une grande partie de la population comme tonique pour la santé. On l’appelait Чайный гриб, soit champignon de thé ou affectueusement грибок ou petit champignon. Les Russes consommaient plusieurs sortes de breuvages fermentés, qui étaient appelés kvass. Le kombucha était aussi appelé kvass de thé.

La même année, le professeur allemand G. Lindau a publié un article sur la consommation du kombucha en Russie. Cet article s’intéressait particulièrement aux bienfaits santé du kombucha. Dans son article, Lindau mentionne que le kombucha est aussi appelé champignon japonais. Comme quoi le kombucha pourrait certainement venir d’Asie !

Le kombucha a continué à être très populaire en Russie jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Avec le sucre et le thé fortement rationnés, la consommation de kombucha a diminué considérablement.

Le kombucha sacré des Italiens

© DP

Dans les années 50, les Italiens ont vécu une histoire d’amour intense avec le kombucha ! Le kombucha s’est répandu dans la population, entouré de divers protocoles et de superstitions. C’était un peu comme une chaîne de lettres ! Pour bénéficier de ses bienfaits, il fallait séparer la mère de kombucha en 4 et en donner 3 parties à ses amis proches avec des instructions claires pour la nourrir. On ne pouvait pas vendre ou jeter sa mère de kombucha, ou alors elle perdrait toutes ses propriétés magiques. Le malheur s’abattait alors sur nous, mais aussi sur tous ceux à qui on avait donné une mère de kombucha ! Le kombucha s’est répandu comme une traînée de poudre dans toutes les sphères de la population. Les autorités ont tenté de mettre fin à la mode du kombucha quand des Italiens se sont mis à voler de l’eau bénite dans les églises. Ils l’ajoutaient à leurs kombuchas, pour en fortifier les bienfaits !

Les années 60 du kombucha

Quelques années plus tard, Rudolf Sklenar, un docteur allemand, découvre la boisson en Russie, et en ramène chez lui pour l’étudier. Il prescrit alors le kombucha pour soigner différents maux : rhumatismes, problèmes intestinaux, goutte… Il publie en 1964 le résultat de ses recherches. C’est à partir des années 60 que de nombreux livres paraissent sur le kombucha, et que les mères commencent à se partager à travers le monde. Le kombucha conquiert l’Europe et se fait adopter aux États-Unis, particulièrement dans les communautés alternatives et hippies.

Le kombucha est alors présenté comme une boisson miraculeuse, capable de prévenir le cancer et même de guérir le sida. Si beaucoup de ses bienfaits miraculeux se sont avérés sans fondements avec les années, plusieurs études ont témoigné des bienfaits santé du kombucha. Comme d’autres aliments fermentés, il contient de bonnes bactéries probiotiques et soutient le système digestif.

L’expansion commerciale du kombucha

C’est en 1995 que la première compagnie de kombucha commercial, GT kombucha, voit le jour aux États-Unis. Au début des années 2000, les compagnies commerciales de kombucha se multiplient partout à travers le monde. On en trouve aujourd’hui sur tous les continents.

Le kombucha a également évolué. La saveur du kombucha n’est plus juste nature et très acide. On boit encore du kombucha pour ses bénéfices santé (faible teneur en sucre, probiotiques, ingrédients naturels), mais aussi comme une alternative à l’alcool, au café et aux boissons gazeuses. Le kombucha est faible en sucre, en caféine et en alcool. Il s’est donc taillé une place de choix dans nos verres ! On trouve désormais du kombucha à toutes sortes de saveurs, du kombucha alcoolisé, du kombucha sans sucre, du kombucha local, et bien plus encore !

En 2019, la taille du marché mondial du kombucha s’élevait à 1,84 milliard USD. Quand on aime le kombucha, difficile de s’en passer ! Plusieurs se sont tournés vers la production du kombucha à la maison, pour en avoir toujours sous la main. Incroyable de penser qu’une colonie de microorganismes a traversé les âges pour parvenir à nos verres !


© Michel Laurent

La recette de LA PETITE SOURCE

lngredients

Par litre d’eau :

      • 1 mère de kombucha (avec culture liquide)
      • 5 sachets de thé vert ou noir
      • 100 g sucre
      • 1 litre d’eau filtrée
      • 100 ml de kombucha
Etapes
Préparation du thé sucré

Placer les sachets de thé dans la jarre. Verser 11 d’eau bouillante, laisser infuser 15 minutes, puis retirer les sachets de thé. Ajouter le sucre et remuer jusqu’à dissolution. Laissez le thé devenir tiède.

Ajout de la mère de kombucha

Ajouter la mère de kombucha avec sa culture liquide. Couvrir le récipient avec le tissu et fixer avec l’élastique. Mettre la jarre dans un endroit bien aéré, à l’abri de la lumière directe du soleil.

Fermentation du kombucha

Laisser fermenter pendant 2 à 3 semaines à température ambiante. Le kombucha est prêt quand son niveau de sucre et d’acidité sont à votre goût. N’utilisez jamais de cuillère en métal dans votre kombucha, mais toujours une cuillère en bois !

Aromatisation (éventuellement)

Retirer la mère de kombucha et 500ml (2 tasses) de kombucha nature. Mettre de côté pour démarrer votre prochaine recette. Ajouter du jus de fruits, de la tisane, du sirop, des fruits hachés ou tout ce que vous voulez pour aromatiser votre kombucha. Consultez des recettes de kombucha pour des saveurs inspirantes.

Embouteillage

Verser le kombucha dans des bouteilles résistantes à la pression. Conserver les bouteilles à température ambiante. Après 3 jours, ouvrir et refermer une bouteille pour tester sa pression. Prolonger la fermentation de quelques jours de plus pour un kombucha plus pétillant. Quand c’est assez pétillant (attention à la pression !), mettre au réfrigérateur.

Notes

Et voilà! Votre kombucha est maintenant prêt à être consommé. Il se conserve au réfrigérateur sans réelle limite de temps. Pour préparer votre prochaine boisson kombucha : lavez la mère sous l’eau courante tiède et recommencez tout le processus.

Vera & Raoul DE BOCK-VAN DE WIELE


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, partage, correction, édition et iconographie | sources : DOCTONAT.COM ; REVOLUTIONFERMENTATION.COM ; contribution privée | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © taomedecine.com ; © revolutionfermentation.com ; © Michel Laurent.


Plus de vie en Wallonie…

DEMOULIN : Les relations diplomatiques entre la Principauté de Liège et le Roi de France (CHiCC, 2002)

Temps de lecture : 4 minutes >

Dès 1581 se sont installés dans l’évêché de Liège les Wittelsbach qui ont cumulé sur leur tête, dans le prolongement du concile de Trente, différents évêchés de l’Empire. Cette “dynastie” s’est perpétuée par des neveux ou des parents. Un des premiers protagonistes fut Ernest de Bavière dont un portrait se trouve dans le remarquable château de Brühl, au sud de Bonn. Il tenta de préserver son électorat de Cologne des avancées du protestantisme et des armées du roi de Suède. C’est lui qui a cédé à la Ville l’hôpital qui portait son nom. Cette dynastie s’est terminée en 1763 lorsque son lointain descendant Jean-Théodore est mort. Il fut le principal restaurateur des appartements intérieurs du Palais des Princes-Évêques. Le prince recevait les ambassadeurs de France. Ceux-ci étaient en possession d’instructions décrivant les relations entre les deux états. La vision que les Français avaient des Liégeois à la fin du 17e siècle ne manque pas de piquant : “Les Liégeois sont donc spirituels, civils, accostables et hospitaliers. Ils ont le jugement  subtil, ils sont propres pour toutes sortes d’affaires, braves dans la guerre et dans les combats. Ils sont néanmoins fainéants et paresseux, ils sont opiniâtres, mutins, et plus portés à la discorde qu’au travail, à cause de leur témérité et de leur audace naturelle. Ils parlent un roman ou français fort grossier et corrompu qu’ils tâchent le plus qu’ils peuvent de tourner en bon français et de rendre poli, particulièrement les personnes de condition, la noblesse et les honnêtes gens. Ils ont beaucoup de piété et ils sont fort zélés pour la défense de la religion catholique.”

La principauté était très morcelée. Elle comprenait trois parties : le comté de Looz, actuelle province de Limbourg, qui se prolonge sur Liège et vers le Condroz ; l’Entre Sambre et Meuse, qui est profondément détaché ; et le marquisat de Franchimont. Comment cet état a-t-il survécu pendant mille ans ? Il a existé bien avant la date symbolique de 980 et a disparu officiellement le 1er octobre 1795 lorsqu’il a été rattaché par la Convention à la France, ainsi que les Pays-Bas autrichiens. Principauté d’empire qui comprenait trois états : l’état primaire, l’état noble, l’état tiers. À sa tête, l’évêque et prince reçoit théoriquement la souveraineté. Il est élu à partir des temps modernes par le chapitre de Saint-Lambert et est assisté dans sa mission par deux conseils : le conseil privé et la chambre des comptes. Le conseil privé a notamment pour mission de correspondre avec les cours étrangères, il doit préparer et négocier les alliances. Les déclarations de guerre devaient cependant être votées par les états. L’état primaire était en fait constitué exclusivement par les chanoines de la cathédrale Saint-Lambert, qui étaient à la fois les électeurs du prince-évêque et les représentants de tout le clergé de la principauté. L’état noble a été progressivement limité à 16 quartiers de noblesse ce qui réduisait le nombre de ses représentants. L’état tiers ne comprenait pas de représentants de la population des campagnes.

À partir du traité de Westphalie en 1648, un nouvel équilibre entre les puissances s’est établi qui durera jusqu’à la période impériale de Napoléon. La politique française a évolué en fonction des intérêts politiques, économiques et stratégiques de Versailles. La principauté était un lieu de passage idéal entre la France et la Hollande, alliée privilégiée de la France contre les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche. Elle se trouvait aussi sur le trajet vers l’Allemagne. Il y avait une série de forts : Dinant, Huy, Liège, puis de la ville de Maastricht, en co-souveraineté commune entre la principauté et le duché de Brabant. Bouillon sera le verrou de la défense des terres liégeoises jusqu’en 1678 où Louis XIV s’en empare. Après le désastre de 1468, les Liégeois se sont rendu compte que la neutralité était le meilleur parti à prendre pour leur sauvegarde. Le passage de troupes ennemies, particulièrement au 18e siècle, fut négocié avec les belligérants : fourniture de munitions, de fourrage et, comme conséquence positive, la liberté de commerce.

Henri IV va témoigner, à la fin de sa vie, d’un intérêt un peu suspect pour nos régions puisqu’il était sensible à la présence proche de Charlotte de Montmorency. Cette dernière avait fui ses avances à Bruxelles. En 1635, Richelieu fait alliance avec les Provinces Unies pour dépecer les Pays-Bas autrichiens et se les partager ; il est vraisemblable que son intention était de faire subir le même sort à l’évêché de Liège. Sébastien Laruelle fut assassiné parce qu’il aurait eu pour objectif d’appeler au secours les troupes françaises au moment où le prince Ferdinand de Bavière était, lui, allié de l’Espagne. L’histoire de Liège a été ponctuée d’assassinats politiques et le problème est de savoir qui en est le commanditaire. On connaît mieux le commanditaire de l’assassinat de saint Lambert au début du 8e siècle, on a des hésitations au sujet de Laruelle en 1637. Nous sommes mal informés sur ce qui s’est passé plus récemment ! Richelieu avait l’idée que la rive gauche du Rhin devienne la frontière naturelle de la France. Le prince-évêque reprit par la force la ville qui était en rébellion et fit construire la citadelle, non pour se protéger d’un éventuel ennemi, mais pour mater la population.

En 1714, les Autrichiens reçoivent les Pays-Bas et veulent y développer les activités économiques, avec une volonté de couper les liens entre la principauté et la France. Un réseau de routes fut créé pour faciliter les liaisons des villes entre elles et aussi avec les autres régions, pour devenir un lieu d’entrepôt. Encore actuellement, Liège est le deuxième port fluvial européen. Louis XV adopta une politique de protectorat courtois : faire de ce petit état liégeois une plaque tournante sur le plan économique. En 1722, un ministre plénipotentiaire écrivait : “Le gouvernement de Liège est libre et les Liégeois veulent l’être dans leurs choix” ; il avait bien compris le caractère de ses voisins.

d’après Bruno DEMOULIN

  • image en tête de l’article : “La résidence du Prince Evêque” par Johann Georg Bergmuller © chokier.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Bruno DEMOULIN, organisée en février 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

 

 

 

DOURASSOF : L’immigration russe à Liège et l’église orthodoxe du Laveu (CHiCC, 2004)

Temps de lecture : 4 minutes >

Cette église est construite dans le style de Novgorod, qui date du 14e siècle. Quand les premiers émigrés russes sont arrivés à Liège, la Ville leur a cédé un bâtiment rue Mère-Dieu. En 1944, un V1 est tombé sur cette église un dimanche. Or, par chance (ou par miracle ?), le prêtre était malade et avait pu prévenir ses paroissiens qu’il ne pourrait célébrer l’office. Tout a été détruit, seul l’iconostase a été sauvé. En 1948 a démarré le projet de construire une nouvelle église. Evidemment, les fidèles n’étaient pas fortunés, aussi l’évêché catholique a-t-il donné de l’argent ; une somme importante fut également offerte par la Reine Elisabeth. Un concert a été organisé puis on a collecté, auprès des immigrés, la valeur d’une brique de l’édifice. Ce dernier a été consacré en 1953.

© Ph. Vienne

Le toit est surmonté de cinq coupoles dont le zinc fut offert par l’usine Cuivre & Zinc. Traditionnellement, les fenêtres sont petites et sans vitraux, pour se préserver du froid. L’iconostase est une cloison qui sépare la nef, où se trouvent les fidèles, de l’autel auquel seuls les prêtres ont accès. Sur cette sorte de mur est représentée l’histoire du christianisme. Au centre se trouvent les portes royales sur lesquelles on voit l’Annonciation avec l’ange Gabriel. À droite, figure la représentation du Christ et, à gauche, la Vierge, la Mère de Dieu avec le Christ enfant. Les portes latérales sont appelées les portes des diacres et y sont dessinés soit les archanges, soit les deux premiers martyrs saint Étienne et saint Valentin. L’église est consacrée à saint Alexandre Nevski et à saint Séraphin, qui sont représentés à l’extrême droite de l’iconostase. Le rang supérieur évoque la vie du Christ. Sur le côté, on trouve saint Nicolas et saint Vladimir. Une icône de sainte Barbe évoque le dur travail qu’ont effectué de nombreux immigrés russes. Saint Georges est le patron des nouveaux arrivants venus de Géorgie. Toutes ces décorations constituent un enseignement de la religion à l’intention des fidèles. Pendant onze siècles, cet enseignement était commun à celui de l’église catholique et la liturgie reste très proche. La langue utilisée dans les offices est le slavon.

© lavenir.net

La première vague d’immigration russe a eu lieu après la Première Guerre mondiale, suite à la révolution d’octobre 1917. Plus d’un million et demi de personnes on dû quitter l’empire à ce moment-là. Des liens existaient déjà entre Russes et Belges car, depuis 1880, des entreprises belges étaient présentes en Russie dans les mines de charbon ou de minerais. Ils étaient aussi présents grâce à la construction des réseaux de tramways et du Transsibérien, long de plus de 10 000 km. Nos entreprises participaient au développement industriel du pays tandis que de nombreux Russes venaient chez nous, attirés par les industries et l’université. Un grand nombre de ces immigrés provenaient de l’armée blanche qui avait combattu les bolcheviks. Ces Russes avaient quitté la Crimée pour Constantinople, d’où ils cherchaient à gagner l’Europe occidentale. Le cardinal Mercier a fondé, en 1921, l’Aide belge aux Russes pour leur permettre , par l’octroi de bourses, de reprendre des études universitaires. Cent cinquante enfants furent accueillis à Liège, puis à Bruxelles où un pensionnat éduquera plusieurs centaines de jeunes. Les immigrés ont voulu construire des églises et notamment à Uccle, avenue de Fré. Cette communauté était constituée principalement d’anciens militaires et de leurs familles. Ils étaient conservateurs, monarchistes, respectueux de l’ordre des choses. Par contre, les jeunes s’expatriaient facilement, notamment au Congo et en Amérique du Sud.

Après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle vague d’immigrés est venue remplacer la première, déjà clairsemée. C’étaient des personnes déplacées, des prisonniers russes envoyés par Hitler pour travailler en Allemagne. En 1945, ils n’osaient pas rentrer chez eux de peur de se retrouver dans un goulag. Ils se sont tournés vers l’Occident qui avait besoin de travailleurs pour les mines de charbon. C’est ainsi qu’ils sont nombreux dans le bassin liégeois où ils se mêlent rapidement à la population ouvrière. Ils cherchaient surtout à survivre et n’avaient aucun rêve politique. Le besoin de retrouver leurs racines les amena à l’église. Leurs enfants se sont bien intégrés. Après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du régime soviétique, un jumelage a été réalisé entre deux paroisses : Saint-Barthélémy de Liège et une petite communauté au nord de Saint-Pétersbourg. L’aide permit la construction d’une église et l’offre d’une iconostase de 44 icônes réalisées à Liège, dans l’atelier de Madame Gottschalk.

La troisième vague est arrivée récemment, à Liège. Ce sont qui ont fui la dislocation de l’URSS, surtout des Russes provenant des républiques d’Asie centrale, chassés par les autochtones musulmans de ces républiques devenues autonomes.

Voilà un survol de cette communauté que les Liégeois ont accueillie depuis trois-quarts de siècle, avec cette chaleur humaine qui les caractérise !

d’après Maya DOURASSOF

  • image en tête de l’article © Philippe Vienne

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Maya DOURASSOF, organisée en octobre 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

Ragù blanc (recette traditionnelle et ancienne du nord et centre de l’Italie)

Temps de lecture : < 1 minute >

Ingrédients

      • 400 g de haché porc et veau (ou veau)
      • 20 cl de crème
      • 30 g de beurre
      • 2 petites branches de céleri
      • 1 oignon
      • Sel, poivre
      • 1 bouquet de sauge
      • 2 feuilles de laurier
      • Parmesan
      • 400 g de pâtes longues

Recette du Chef

    • Dans une sauteuse, faites revenir la viande (avec un peu d’huile d’olive) pour la faire rissoler et la séparer avec une cuillère puisqu’elle aura tendance à faire de gros grumeaux. Quand elle a coloré (elle va prendre du goût), la retirer.
    • Dans la même poêle, faire fondre le beurre puis ajouter l’oignon émincé et le céleri coupé en petits morceaux. Faites les suer.
    • Puis, ajoutez la viande, le laurier, la sauge ciselée, salez et versez la crème.
    • Mélangez et laisser mijoter à feux doux une quarantaine de minutes. La viande doit bien s’imprégner et la sauce ne doit pas trop sécher (ajoutez plus de crème ou de lait si nécessaire).
    • Cuire les pâtes dans de l’eau salée.
    • Ajoutez du parmesan dans la sauce.
    • Mélangez les pâtes dans la sauce.
    • Servir bien chaud en ajoutant du poivre et du parmesan dans l’assiette.

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : Sophie Adans, Chef | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DP.


Encore faim ?

VIENNE : Dijon et le pays des ceps d’or (CHiCC, 2001)

Temps de lecture : 5 minutes >

En Bourgogne, au Moyen Age, grâce au sol calcaire, les moines ont abondamment planté des vignes pour les besoins du culte. Plus tard, les laïcs ont continué la viticulture pour les plaisirs de la table. Or donc, aux alentours de Dijon, les viticulteurs ont de tout temps accordé un soin jaloux à leurs vignobles, d’abord avec des moyens rudimentaires ensuite à l’aide de techniques plus efficaces. Une tapisserie représente un vigneron tout habillé en train d’écraser les raisins avec ses pieds. Par contre, jadis, de jeunes vignerons nus comme des vers se glissaient dans de grandes cuves et allaient piétiner les grappes de raisins. Ils ont été appelés les “bareuzais“. À Dijon, sur la place François Rude, s’élève la sculpture du “bareuzai” devenu le symbole de la Bourgogne vineuse. En septembre, en pleines “fêtes de la vigne”, la ville pavoise aux couleurs du folklore international : des groupes venus du monde entier s’y rassemblent et animent la cité pendant toute une semaine.

Le fondateur de la fameuse dynastie de Bourgogne, c’est Philippe le Hardi. Il a donné une vive impulsion à l’activité artistique de Dijon, il a aimé la bonne chère, le jeu et les femmes. Son successeur a été Jean sans Peur, un prince rongé d’orgueil mais très maladroit pour gérer les affaires de l’état. Philippe le Bon, troisième Duc de Bourgogne et sans doute le plus célèbre, était né à Dijon et mort à Bruges. Il s’est conduit durant toute sa vie comme un prince fort habile, ambitieux, mécène et bon vivant. Philippe le Bon a profondément aimé les fêtes et les festins. Les historiens rapportent la magnificence d’un banquet donné par lui à Lille et à l’issue duquel son fils Charles le Téméraire et tous les seigneurs de sa Cour, ont fait le vœu de partir en croisade pour repousser les Turcs. Les serments ont été prononcés sur la tête d’un faisan vivant d’où sa dénomination : Festin du Vœu du Faisan.

Les femmes ont beaucoup intéressé Philippe le Bon. Il paraît qu’il eut 30 maîtresses et, bien entendu, 17 bâtards affichés ainsi que plusieurs filles illégitimes. Un des bâtards de Philippe le Bon a été baptisé David de Bourgogne et, grâce à son père, il a été nommé évêque d’Utrecht, principauté située à un croisement de l’Europe entre l’Allemagne et l’Angleterre. Son fils légitime, Charles le Téméraire, est devenu un seigneur plein de convoitises territoriales. Il a voulu englober Liège dans son domaine ducal mais nos révoltes à son encontre nous ont valu les trop célèbres sac et carnage de la ville en 1468. Désireux d’être pardonné, il a offert à Liège, trois ans plus tard, un reliquaire, joyau d’orfèvrerie. Il est conservé dans le trésor de la cathédrale Saint-Paul à Liège.

Prononcez “Dijon” et immédiatement les personnes pensent “moutarde”. Elles ont bien raison car elle y est confectionnée depuis six siècles ! L’usine Amora-Maille s’est édifiée près du canal de Bourgogne et il est bon de savoir que la production de ce condiment peut atteindre les 100 tonnes par jour !

Une artère fluviale a également enrichi Dijon et ses environs : le canal de Bourgogne. Ce vénérable chemin d’eau qui a 180 ans s’étire sur 242 km et joint l’Yonne à la Saône. Le déclin commercial s’est amorcé à la fin du 19e siècle. Heureusement, de nos jours, la vocation de ce merveilleux canal, c’est la plaisance. Quant aux cyclistes, ils apprécient beaucoup les chemins de halage.

Les Chemins de Fer de Bourgogne gardent le souvenir d’un de leurs ingénieurs du P.L.M. qui a eu la fibre littéraire : Henri Vincenot. Il a été tour à tour rédacteur en chef du magazine “La Vie du Rail”, écrivain, peintre, sculpteur et conteur. Henri Vincenot est né à Dijon et il est mort à Commarin, à 77 ans. Citons, parmi ses ouvrages : Le Pape des escargots, La Billebaude, Le maître des abeilles et bien d’autres…

Ici est née une armada de personnalités artistiques variées. Tout d’abord, Jacques Bénigne Bossuet, fils d’un avocat, a étonné le monde théologique parisien par sa précocité oratoire. Puis, Jean-Philippe Rameau qui est devenu à Paris claveciniste, organiste, compositeur d’opéras. Il a été le contemporain de Bach et de Haendel. Le plus connu des Dijonnais, c’est Gustave Eiffel. Il a réalisé la structure métallique de la Statue de la Liberté de Bartholdi, édifié en rade de New-York ; au Portugal, le pont sur el Douro à Porto et, enfin, la Tour Eiffel enviée dans le monde entier ! Enfin, le célèbre chanoine Kir dont l’attitude courageuse pendant la Deuxième Guerre Mondiale lui a valu d’être élu maire de Dijon, puis député. Sympathique défenseur des petits salariés, des anciens combattants, des travailleurs âgés, le nom du chanoine Kir ne s’est pas oublié. Il a donné son nom au célèbre apéritif à base de crème de cassis.

Dès la sortie sud de la capitale, les rangées de vignes nous font rêver. Certes, l’harmonie entre une plante, un sol et un climat permet d’avoir la bonne maturité pour obtenir un vin remarquable. Cependant, la solide paysannerie locale, de par son travail opiniâtre, a largement contribué au succès de la culture de la vigne. Les vignobles de la Côte d’Or sont plantés sur des coteaux exposés au levant. Ces terres valent plus chers que les parcelles des Champs-Elysées à Paris !

À Chenôve, au Clos du Roi et du Chapitre, nous remarquons un pressoir du 13e siècle qui a pu presser en une fois la vendange de 100 pièces de vin et la pièce représente 228 litres. Cela veut dire plus de 30 tonnes de vendanges ! Sur ces bornes de bois s’est assise, dit-on, Marguerite de Bourgogne pour suivre le foulage du raisin. Ce travail était fait par de jeunes hommes dévêtus et la princesse a pu ainsi en admirer la plastique. Femme de sang royal, Marguerite de Bourgogne a possédé aussi du sang chaud car elle a collectionné les amants !

Gevrey-Chambertin, vin mondialement connu, était le préféré de l’empereur Napoléon Ier. Faisant partie de ce fameux cru, la maison-forte remonterait à l’An mil et elle a un riche passé historique. Le château du Clos de Vougeot a été une propriété cistercienne puisqu’elle avait été construite par Jean Loisier, abbé de Cîteaux. Elle est restée dans les mains des moines durant près de 700 ans, c’est-à-dire jusqu’à la Révolution. Enfin, le vin rosé de Marsannay-la-Côte, pas très connu des touristes, est également un bon cru.

Nous quittons les vignobles pour nous diriger vers une région très bucolique : l’Auxois. Nous apprécions beaucoup la flore sauvage qui pousse sur le surplomb des falaises de Baulme-la-Roche. Nous avons beaucoup aimé le panorama découvert de ce belvédère naturel qui rappelle une description écrite par Henri Vincenot : “De chaque côté triomphait l’Auxois comme une mer houleuse de pâturages, une mer bordée par les falaises de Baume, par les douces collines boisées, tout cela noyé dans la brule des beaux jours…” Et c’est sur ces merveilleuses images que s’achève notre voyage historique et touristique en Bourgogne.

Claudine et Robert VIENNE

  • image en tête de l’article : vignobles Château de Marsannay ©destinationdijon.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Claudine et Robert VIENNE, organisée en janvier 2001 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

DUMEZIL : Le calendrier était un outil de pouvoir

Temps de lecture : 6 minutes >

[LIBERATION.FR, 29 décembre 2017] Le médiéviste, maître de conférences à l’université de Paris-Nanterre, analyse la lente évolution du découpage des mois et des années en Occident, savant mélange de cultures romaine et catholique.

Caler le rythme de nos jours sur celui des planètes : c’est l’utilité première de notre calendrier. Avec ses 365 jours et ses années bissextiles, il permet de respecter scrupuleusement le temps que met la Terre à tourner autour du Soleil. Transposition de la mécanique des planètes, le calendrier transcrit aussi une partie de notre héritage culturel. Les noms des mois et des jours font écho à l’empire romain, qui célébrait Mars le mardi, Jupiter le jeudi, Jules César en juillet et Auguste en août. Les saints qui patronnent chaque journée, la numérotation des années après Jésus-Christ, ou encore le dimanche chômé sont, quant à eux, les marques d’une appropriation chrétienne.

Si c’est bien le cours des planètes qui règle nos jours et nos nuits, la façon de mesurer le temps est loin d’être immuable. L’historien Bruno DUMEZIL, maître de conférences à l’université Paris-Nanterre, explique comment notre calendrier a pris forme au milieu de mille façons de voir passer le temps.

Notre calendrier est-il vraiment né dans l’Antiquité romaine ?

Beaucoup de choses ont été fixées à cette époque, à tel point que l’on pourrait dire qu’en termes de civilisation, nous sommes encore dans l’Empire romain. Pour être plus précis, notre calendrier est gréco-romain : lorsqu’il a instauré le calendrier julien en 48 avant Jésus-Christ, Jules César a fait appel à des savants d’Alexandrie, issus du monde grec. Le calendrier romain s’est donc inspiré de son ancêtre grec, qui utilisait lui-même des méthodes de calcul égyptiennes.

Les modifications de César ont un intérêt scientifique : en instaurant une année de 365 jours au lieu de 355, et en prévoyant une année bissextile tous les quatre ans, son calendrier se rapproche des 365,25 jours que met la Terre à tourner autour du Soleil. Mais c’est aussi une réforme politique qui lui permet de fixer les jours fériés. Cela avait pour effet d’interrompre les procès et de retarder le début des procédures administratives ou des batailles. C’était un outil de pouvoir.

César invente donc le calendrier politique ?

Non, il existait avant ! Dans la Guerre du Péloponnèse, l’historien Thucydide explique qu’il ne pourra dater les événements relatés qu’en fonction des saisons, chaque cité combattante ayant voulu garder son propre calendrier pour marquer l’opposition avec ses rivales. Cette logique se poursuit à travers le temps : plus tard, au VIe siècle, le roi des Ostrogoths tente de faire adopter son calendrier au roi des Burgondes en lui offrant une horloge.

Il faut donc imaginer qu’à l’ombre du calendrier julien, la fin de l’Antiquité et le début du Moyen Age sont marqués par une diversité de calendriers

Plusieurs calendriers cohabitent, et cela est parfois difficile à gérer. Dans une même ville, la cathédrale et le pouvoir politique n’ont pas le même calendrier. Le rythme du temps varie aussi en fonction des métiers. C’est le cas des métiers judiciaires : les tribunaux ferment pendant les moissons, les vendanges, ou les anniversaires des membres de la famille impériale. Du point de vue religieux, les calendriers chrétien et judaïque cohabitent. Mais, au sein même des communautés chrétiennes, les temps forts de l’année varient en fonction des saints que l’on célèbre. Enfin, n’oublions pas les calendriers agricoles, qui rythment l’année en fonction des saisons et des travaux des champs, et qui ont leurs propres fêtes comme celles de la Saint-Jean.

Face à tout cela, à Rome, l’empereur fait preuve d’un grand pragmatisme. Ainsi, il tolère que les Juifs ne comparaissent pas au tribunal les jours de shabbat. De même, les fêtes païennes sont tolérées. Mais c’est l’intérêt économique qui prime : si des intempéries mettent les moissons en péril, toutes les fêtes sont suspendues pour sauver les récoltes.

Au milieu de tous ces calendriers, c’est donc surtout le catholicisme qui impose ses repères temporels en s’appropriant le calendrier julien. Comment s’enclenche cette évolution ?

Cela commence avec l’empereur Constantin (310-337). Premier à se convertir au catholicisme, il entraîne la cohabitation des temps romain et chrétien dans le calendrier. Au IVe siècle, les empereurs reconnaissent les jours de fête chrétiens et les intègrent au calendrier. L’enjeu était notamment de placer le jour de repos hebdomadaire : cela devait-il être le jeudi, jour de Jupiter, ou le dimanche, jour du Christ ? Rapidement, le dimanche l’emporte dans la loi romaine, mais il faut attendre que l’un des arrière-petits-fils de Clovis impose le changement en 595 pour qu’il s’applique vraiment.

Rome essaie aussi d’imposer son mode de calcul de la date de Pâques, ce qui est difficile car il s’agit d’un événement du calendrier lunaire à intégrer au calendrier solaire. De plus, les contraintes sont nombreuses : elle doit avoir lieu un dimanche, à une période où les jours rallongent, et pas le même jour que la pâque juive. Outre la rivalité avec le calendrier judaïque, il s’agit pour Rome d’imposer son autorité dans le monde chrétien. L’Irlande, convertie au Ve siècle, parvient à conserver un mode de calcul différent jusqu’en 664. Cependant, certains particularismes perdurent. Dans la péninsule Ibérique, le royaume suève de Galice refuse les noms des jours du calendrier chrétien, puisqu’ils font référence à des dieux païens : mardi est le jour de Mars, mercredi celui de Mercure… On décide de numéroter les jours, ce qui explique leur dénomination actuelle en portugais : segunda-feira (lundi), terça-feira (mardi), etc.

Le choix de faire débuter la numérotation des années avec ‘l’incarnation’ (la naissance de Jésus-Christ) est-il aussi le fruit de longues négociations ?

L’idée apparaît chez un clerc grec du VIe siècle, mais il faut attendre le siècle suivant pour qu’un grand historien du monde anglo-saxon, Bède le Vénérable, l’impose en datant tous les événements qu’il relate selon ce principe. Auparavant, la date de la création du monde (début du calendrier juif) a pu être utilisée par les chrétiens. Mais cette date étant très lointaine, elle multiplie les risques d’erreurs de calcul. Au VIe siècle, Grégoire de Tours l’a utilisée pour relater l’histoire de Clovis : certains épisodes de la vie de ce roi sont donc un peu incertains.

Les systèmes de comptage des années sont donc multiples, et les auteurs de l’époque privilégient une datation relative, en prenant pour point de départ l’entrée en fonction d’un empereur, d’un roi ou d’un abbé. Un même document est daté selon plusieurs personnages, au risque de l’erreur : le moine qui chronique la fondation de l’abbaye de Cluny se trompe dans l’une des deux dates qu’il indique. On ignore donc si cette grande abbaye fut fondée en 909 ou en 910.

Le 1er janvier n’est pas un événement religieux. Pourquoi cette date s’est-elle imposée ?

Dans l’Empire romain, ce jour marquait la prise de fonction des consuls et la fête du dieu Janus, où il était d’usage de s’offrir des cadeaux. Au début du Moyen Age, plusieurs évêques expliquent dans leurs sermons qu’il s’agit de rites païens : or, si les gens s’offrent bel et bien des étrennes, la fête a probablement perdu son sens religieux. Certains proposent de changer d’année à Pâques, mais c’est finalement le premier janvier qui reste la date de référence.

Les ruptures au sein du catholicisme – les schismes orthodoxe et protestant – sont-ils importantes pour comprendre la diversité des calendriers ?

La réforme grégorienne du Xe siècle, puis la prise de Constantinople, capitale de l’Empire romain d’Orient, par les Croisés en 1204 entraînent une rupture : les orthodoxes refusent dès lors toute décision venue de Rome. En 1582, ils n’adopteront donc pas le calendrier grégorien mis en place par le pape Grégoire XIII, d’où le décalage des calendriers. De même, lors de la réforme protestante, les luthériens refusent le calendrier grégorien pour marquer leur opposition à Rome. Mais cela n’est que temporaire. Pourtant, ce changement a aussi des fondements scientifiques : le calendrier julien partait du principe que la Terre tourne autour du Soleil en 365,25 jours, alors que ce temps est plus long de quelques minutes. Au fil des années, cela avait créé un décalage de dix jours excédentaires. Grégoire XIII les a donc supprimés en octobre 1582, et il a revu le système des années bissextiles pour éviter que ce décalage se reproduise.

Comment expliquer que notre calendrier grégorien se soit diffusé dans le monde entier ?

Parmi les facteurs d’explication, on peut citer le concile de Trente (1545-1563) qui visait à unifier les pratiques chez les catholiques dans un contexte de guerre de religion, ou la colonisation. Cette diffusion se fait aussi en Europe même : jusqu’au XIXe siècle, les habitants vivaient dans un univers local, sur une trentaine de kilomètres autour de chez eux, où les particularismes locaux du calendrier avaient du sens. Mais à cette période, le monde s’étend et fait naître le besoin d’un temps absolu. Et puis, n’oublions pas l’argument scientifique : ce calendrier est celui qui suit au mieux l’année solaire. C’est sans doute la raison principale.

L’hégémonie de ce calendrier a le mérite de simplifier la datation des événements. Est-ce une facilité pour les historiens ?

Aujourd’hui, l’histoire s’exerce de moins en moins à travers la fascination de la date exacte, comme lorsque nous apprenions que Charles Martel a arrêté les Arabes à Poitiers en 732… ce qui n’est pas si sûr. L’importance est plutôt de situer les événements les uns par rapport aux autres, ce qui donne du sens à la logique de datation relative du Moyen Age. Cela permet à l’historien de mieux saisir le temps vécu par les personnes de l’époque : l’an mil n’avait pas beaucoup de sens, car peu de gens savaient que l’on changeait de millénaire ! En revanche, se trouver dans la quatrième année de tel règne avait une signification. Ainsi, plutôt que de dire que nous passons à 2018, il peut être plus intéressant de penser que nous sommes “dans la première année du règne de Macron.

Une interview de Thibaut Sardier, liberation.fr


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : d’après liberation.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, calendrier des travaux agricoles correspondant aux 12 mois de l’année (vers 1400).


Plus de presse en Wallonie…

KENENS : Femmes oubliées par l’Histoire (CHiCC, 2003)

Temps de lecture : 4 minutes >

Le rôle de la femme a longtemps été essentiellement domestique et fortement soumis à l’autorité paternelle. À l’école, le conditionnement idéologique conduisait à la reproduction des rôles selon le sexe. Il n’était pas question pour une femme de faire de la politique. Le droit de vote n’a été accordé aux femmes qu’après la guerre [en 1948], et il a fallu une importante grève des femmes de la FN à Herstal pour obtenir ce qui paraît pourtant normal : à travail égal, salaire égal. Au 21e siècle, cette situation n’est pas encore “normale” partout…

Dans les cours d’histoire, les femmes sont souvent oubliées. Pythagore disait, six siècles avant notre ère : “Il y a un principe bon qui a créé l’ordre, la lumière et l’homme, et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la femme.” Et près de deux siècles plus tard, Aristote renchérissait en écrivant : “La femelle est femelle en vertu d’un manque de qualité.” Xénophon écrivait : “Les dieux ont créé la femme pour les fonctions du dedans et les hommes pour toutes les autres.”

Il y eut cependant des femmes qui se sont réfugiées dans les arts, comme Sappho de Mytilène aux 7e et 6e siècles. Elle visait à Lesbos et, chose rare, elle savait lire et écrire. Elle a écrit des strophes tout à fait originales. Alors que les jeunes femmes devaient vivre sous une stricte surveillance, voyant le moins de choses possible et posant le moins de question possible, elle s’était mise en tête d’enseigner aux femmes à lire, à écrire, à penser. Elle a été condamnée à l’exil et ses oeuvres ont été en grande partie détruites. Une célèbre fresque de Pompéi la représente, livre ouvert à la main gauche et tenant rêveusement le stylet de la main droite.

Cependant, la femme de la Rome antique est complètement absente du droit romain et ses rapports sont de la compétence du domus dont le père, le beau-père, le mari sont les chefs tout-puissants. Cela nous montre que l’oppression des femmes dans la pensée occidentale n’est pas uniquement le fruit de la pensée religieuse catholique, même si elle y a participé. La ségrégation suivant le sexe est une pensée dont on retrouve des traces antérieurement dans des sociétés non monothéistes. Les hommes étaient les seuls auteurs et interprètes des textes sacrés ou prétendument tels. Certains produisirent des traductions carrément déformantes comme la création de la femme à partir d’une côte d’Adam alors que le texte hébreu initial est précis et dit “la femme créée à côté d’Adam” !

Même au 20e siècle, la femme reste pour l’homme un mystère, peut-être parce qu’elle représente “l’autre”. Le philosophe français contemporain Emmanuel Levinas a écrit : “L’altérité s’accomplit dans le féminin”  en oubliant la réciprocité évidente de ce propos. La hiérarchie des sexes se produit dans des domaines très inattendus. En 1867, Charles Blanc écrivait : “Le dessin est le sexe masculin de l’art, la couleur en est le sexe féminin. Il faut que le dessin assure la prépondérance sur la couleur.” Un peu plus tard, quand la peinture sera reconnue comme élément essentiel, Henri Matisse dira : “La couleur est l’élément viril de la peinture, le dessin en étant la part féminine.”

Nietzsche a rédigé une série d’aphorismes cinglants, notamment : “Quand les femmes deviennent savantes, c’est généralement dû à un dysfonctionnement de leurs organes génitaux” ! Sigmund Freud prétend que “la femme est un continent noir à la libido et à l’énergie pulsionnelle passive”  et il associe l’actif au masculin. Quant à Jacques Lacan, il dit que l’androcentrisme reste fondamental, qu’il permet de comprendre la position dissymétrique dans les liens amoureux.

Pourquoi cette condition inférieure des femmes a-t-elle pu défier le changement depuis des millénaires ? Tant que les femmes n’ont pas pu dire “nous” comme les noirs, les homosexuels ou les travailleurs. Par leur condition, elles ne connaissent pas cette promiscuité spatiale qui est indispensable pour s’organiser. Au Moyen Âge, elles s’étaient trouvées devant une seule alternative : le couvent ou le mariage. Certaine se sont réfugiées dans l’univers monial où elles pouvaient s’instruire et vivre relativement indépendantes des hommes. Certaines abbesses ont pris beaucoup d’importance. En pleine Inquisition, elles seront réprimées.

En 1789, les femmes se mobilisent et descendent dans la rue. En 1791, Olympe de Gouges a rédigé la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, mais elle sera guillotinée en 1793.

Flora Tristan est née en 1803 ; mariée à 18 ans, découragée, elle part à 22 ans sous un nom d’emprunt. Première enquêtrice sociale, elle a pris des notes en Angleterre, au Pérou et dans diverses villes françaises pour rédiger d’intéressants rapports sur les conditions de travail de ces populations. Flora Tristan est, en fait, la grand-mère du célèbre peintre Paul Gauguin.

Clémence Royer fut co-fondatrice, dans la Grande loge maçonnique symbolique écossaise, d’un atelier de Droit Humain en 1894. C’était une obédience masculine où l’on a permis une initiation de femmes de manière clandestine et transgressive. Elle a été la première femme à enseigner à La Sorbonne et elle a traduit le livre de Charles Darwin sur l’origine des espèces. Ses compétences reconnues, elle a été la première femme à être décorée de la Légion d’Honneur. Il faut croire que la qualité de ses travaux avait impressionné les hommes !

La bibliothèque Marguerite Durand est le seul lieu en France qui rassemble la mémoire des femmes. Brillante sociétaire de la Comédie Française, Marguerite Durand a décidé de faire don de toutes ses archives à la Ville de Paris.

d’après Myriam KENENS

  • image en tête de l’article : Flora Tristan © alternatives-economiques.fr
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Myriam KENENS, organisée en juin 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

KADARÉ, Ismaïl (1936-1924)

Temps de lecture : 6 minutes >

[LETEMPS.CH, 1er juillet 2024] Ismaïl Kadaré, 88 ans, est décédé lundi matin [1er juillet], ont annoncé son éditeur et l’hôpital de Tirana à l’AFP. L’écrivain est décédé d’une crise cardiaque, a précisé l’hôpital. Il y est arrivé “sans signe de vie”, les médecins lui ont fait un massage cardiaque, mais il “est mort vers 8h40”.

L’auteur albanais a bâti une œuvre monumentale en usant des lettres comme d’un outil de liberté sous la tyrannie communiste d’Enver Hoxha, une des pires dictatures du XXe siècle. Ethnographe sarcastique, romancier alternant grotesque et épique, Ismaïl Kadaré, a exploré les mythes et l’histoire de son pays, pour disséquer les mécanismes d’un mal universel, le totalitarisme. “L’enfer communiste, comme tout autre enfer, est étouffant”, avait dit à l’AFP l’écrivain dans une de ses dernières interviews, en octobre. Juste avant d’être élevé au rang de grand officier de la Légion d’honneur par le président français Emmanuel Macron. “Mais dans la littérature, cela se transforme en une force de vie, une force qui t’aide à survivre, à vaincre tête haute la dictature”.

L’Europe perdue “deux fois”

La littérature “m’a donné tout ce que j’ai aujourd’hui, elle a été le sens de ma vie, elle m’a donné le courage de résister, le bonheur, l’espoir de tout surmonter”, avait-il expliqué, déjà affaibli, depuis sa maison de Tirana, la capitale albanaise.

Quelle meilleure métaphore de la terreur hideuse de l’opprimé que ces têtes des vizirs en disgrâce exposées au public dans La niche de la honte (1978), une évocation de l’occupation ottomane qui revient dans plusieurs ouvrages, comme Les tambours de la pluie (1970). “J’appartiens à l’un des peuples des Balkans, le peuple albanais, qui ont perdu l’Europe deux fois : au XVe siècle, durant l’occupation ottomane, puis au XXe siècle, durant la période communiste”, expliquait l’écrivain en janvier 2015, après les attentats de Paris, au journal français Le Monde.

Son œuvre, riche d’une cinquantaine d’ouvrages – romans, essais, nouvelles, poèmes, théâtre – traduits dans 40 langues, a été en partie écrite sous Hoxha, qui, jusqu’à sa mort en 1985, a dirigé d’une main de fer son pays hermétiquement clos. Pour Ismaïl Kadaré, le joug ne pouvait être une excuse : l’écrivain a pour devoir de s’octroyer une liberté totale, d’“être au service de la liberté”. “La vérité n’est pas dans les actes mais dans mes livres qui sont un vrai testament littéraire”, disait-il à l’AFP en 2019.

Ville de pierres

Né à Gjirokastër (comme Hoxha), sa “ville de pierres” (1970) du sud de l’Albanie, il publie son premier roman en 1963, Le Général de l’armée morte : un officier italien va en Albanie exhumer ses compatriotes tués pendant la Seconde Guerre mondiale.

Ismaïl Kadaré écrit depuis l’enfance qui l’a vu découvrir dans une bibliothèque familiale le Macbeth de Shakespeare, un de ses héros avec Eschyle, Cervantès, Dante ou Gogol.

Au début des années 1960, il étudie à l’Institut Maxime Gorki à Moscou, une pépinière du réalisme soviétique, un genre littéraire qu’il prend en horreur tant “il n’y avait pas de mystère, pas de fantômes, rien.” Il raconte cet apprentissage dans Le Crépuscule des dieux de la steppe (1978). La décision d’Hoxha de couper les ponts avec l’URSS de Nikita Khrouchtchev ramène Ismaïl Kadaré en Albanie.

De cette rupture naît Le grand hiver (1973), dans lequel apparaît Hoxha. Le livre est plutôt favorable à Tirana, mais les plus fervents adorateurs du tyran le jugent insuffisamment laudateur et réclament la tête de l’écrivain “bourgeois”. Hoxha, qui se pique d’être un amateur de littérature, vole à son secours. Dans ses mémoires, sa veuve, Nexhmije Hoxha, raconte comment son époux, souvent exaspéré, sauve plusieurs fois Ismaïl Kadaré, brièvement député au début des années 1970.

Protégé par sa renommée quand d’autres sont condamnés aux travaux forcés, voire exécutés, il a été critiqué pour ce statut de “dissident officiel”. Ismaïl Kadaré a lui toujours nié toute relation particulière avec la dictature. “Contre qui Enver Hoxha me protégeait-il ? Contre Enver Hoxha”, expliquait-il à l’AFP en 2016.

La littérature est mon plus grand amour

Ismaïl Kadaré se considérait comme un écrivain qui “essayait de faire une littérature normale dans un pays anormal”. Le poème des Pachas rouges (1975) le contraint à l’autocritique publique et les archives de l’ère Hoxha montrent qu’il a souvent frôlé l’arrestation. Sous l’épée de Damoclès de l’appareil policier, soumis à une surveillance aussi étouffante que constante, il s’exile en 1990, ce qu’il raconte dans son Printemps albanais (1997).

Jusqu’à la fin, Ismaïl Kadaré écrivait “tout le temps”. “Je note des idées, j’écris des petits récits, j’ai des projets”, racontait-il encore en octobre d’une voix fatiguée à l’AFP. “Car la littérature est mon plus grand amour, le seul, le plus grand incomparable avec toute autre chose dans ma vie”. Et comme elle, “l’écrivain n’a pas d’âge”.

Si l’Albanie fut son décor exclusif, sa condamnation de la tyrannie était elle, universelle – comme il l’expliquait de La discorde (2013) : “Si l’on se mettait à rechercher une ressemblance entre les peuples, on la trouverait avant tout dans leurs erreurs.”


Gjirokastër © getyourguide.fr

[ICI.RADIO-CANADA.CA, 2 juillet 2024] L’Albanie portera mardi et mercredi [2 et 3 juillet] le deuil d’Ismaïl Kadaré, géant de la littérature décédé lundi, qui avait fait de sa plume une arme contre les dictatures. Une “voix monumentale” qui s’éteint, mais qui laisse derrière elle une œuvre puissante et libre.

Les 2 et 3 juillet, tous les drapeaux du pays seront en berne, a annoncé le premier ministre Edi Rama. Mercredi matin marquera le temps de l’hommage national au héros des lettres albanaises, avec des cérémonies à l’opéra, tandis que radio et télévision publiques joueront des marches funèbres.

Ismaïl Kadaré est désormais sur le piédestal de l’éternité, et aucun mot ne me vient, avait salué plus tôt dans la journée M. Rama, en hommage au plus grand monument de la culture albanaise.

Je le remercie pour le plaisir extraordinaire qu’il nous a offert de voyager dans un monde d’événements, de personnages, d’émotions, qu’il a fait vivre avec l’aisance d’un magicien.

Edi Rama, premier ministre albanais

“…Et pour l’amertume qu’il a provoquée chez les médiocres et les jaloux avec son succès retentissant”, avait ajouté le premier ministre, reprenant le message publié pour l’anniversaire de celui qui s’est éteint sans avoir reçu le Nobel de littérature, pour lequel il avait pourtant si souvent été envisagé.

Publié dans des dizaines de langues, Ismaïl Kadaré a cependant connu le succès dès les années 1970, et placé l’Albanie sur la carte littéraire mondiale. “C’est l’auteur qui a redimensionné la littérature et toute la société albanaise, grâce à ses œuvres publiées au milieu des ténèbres, et aussi après. Il a beau avoir quitté ce monde, sa mission ne s’arrête pas, explique Persida Asllani, responsable du département de littérature à l’Université de Tirana.

Lueur de la créativité

© Ph. Vienne
Réagissant à son décès, le premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, a salué un auteur qui, depuis les ténèbres de la dictature, a su être la lueur de la créativité, de la liberté, du génie. Il a été obligé, comme beaucoup de ses compatriotes, de vivre sous le joug de contraintes politiques et artistiques. Et pourtant, il a su trouver le moyen d’illuminer, de questionner et de rire. La présidente kosovare, Vjosa Osmani, a pleuré la perte d’une voix monumentale, un trésor qui n’existe qu’une fois par génération.

Monument de la littérature mondiale, mon ami Ismaïl Kadaré nous a quittés. Ses œuvres étaient des hymnes solaires à la liberté et des manifestes implacables contre toutes les formes de totalitarisme”, a salué sur X Jack Lang, ancien ministre de la Culture de la France, où l’écrivain a longtemps vécu.

Ismail Kadaré est considéré depuis quelques années comme l’un des plus grands écrivains de notre temps. C’est un honneur d’avoir eu le privilège de publier son œuvre. Les échos douloureux de ses mots résonnent encore aujourd’hui.

Communiqué des éditions Fayard

Cette œuvre, riche d’une cinquantaine d’ouvrages – romans, essais, nouvelles, poèmes, théâtre – traduits dans 40 langues, a été en partie écrite sous la dictature d’Enver Hoxha, qui, jusqu’à sa mort en 1985, a dirigé sans pitié un pays hermétiquement clos. Les mots de Kadaré avaient, eux, réussi à passer les frontières.

Il a fait vivre l’histoire

Avec son style brillant, il a fait vivre l’histoire, il a pu dire la vérité sur ce qui s’est passé durant le communisme – mais pas seulement. Et pas seulement en Albanie, car il était aussi un fin connaisseur de la région et des Balkans, dit dans les rues de la capitale albanaise, Tirana” (Katerina Hysenllari, une étudiante de 24 ans).

Ce qui est écrit sur le Panthéon à Paris, ‘Aux grands hommes, la patrie reconnaissante’, vaut également pour Kadaré, abonde Shezai Rrokaj, professeur de langue à l’Université de Tirana. “Ce grand génie nous a appris à connaître notre littérature et à apprécier l’art d’écrire.”

Engagement pour la liberté

Figure de ce petit pays de 2,5 millions d’habitants connu pour ses eaux cristallines, ses sites antiques et la réputation sulfureuse de certains de ses cartels, Ismaïl Kadaré était devenu en 2005 le premier vainqueur de l’International Booker Prize pour l’ensemble de son œuvre, a rappelé l’organisation sur X. Sa mort est une perte pour la littérature albanaise et pour la littérature mondiale. “Mais les écrivains sont soumis à d’autres lois : un écrivain ne nous quitte que physiquement, son œuvre reste pour des siècles”, assure Zylyftar Bregu, 41 ans, passionné de littérature.

L’homme politique français Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), lié à l’Albanie par sa mère, a salué un homme de lettres passionné. “Il nous laisse l’héritage de ses ouvrages puissants”, a écrit sur X M. Muselier. “Sa plume aura été inlassablement alimentée par son engagement pour la liberté : ses mots résonnent ce matin.”


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage | sources :  le temps.ch ; ici.radio-canada.ca | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : portrait d’Ismaïl Kadaré © kosovapress.com ; © getyourguide.fr ; Philippe Vienne


Lire encore…


Préjugé : le vert porte malheur… (podcast)

Temps de lecture : 3 minutes >

[RADIOFRANCE.FR/FRANCECULTURE, 16 juillet 2024] “Yeux verts, yeux de vipère !” Si ce jeu de mots date de 1830, la mauvaise réputation des yeux verts, elle, est attestée depuis la Rome antique. Comment l’idée fausse selon laquelle le vert porterait malheur s’est-elle forgée ?

Synonyme de nature perverse, d’esprit faux et de débauche, les yeux verts sont les yeux des traîtres, des prostituées, de Judas, voire du Diable en personne. Les elfes, les fées, les trolls, les korrigans, les farfadets ou les lutins, ces personnages effrayants sont, depuis le Moyen Âge, presque toujours verts, de même que leur lointain descendant le Martien. “Dans les images comme dans la réalité, [la] tonalité verdâtre est toujours inquiétante, sinon mortifère“, écrit l’historien Michel Pastoureau. “C’est la couleur de la moisissure, de la maladie, de la putréfaction et surtout des chairs décomposées. Par là même, c’est aussi celle des cadavres et (…) des revenants.

Pourquoi la couleur verte a-t-elle été bannie des théâtres ?

Le vert qui fait peur est un vert aqueux, visqueux, désaturé. La reine Victoria, par exemple, l’avait en horreur et elle l’a chassée de tous les palais royaux anglais, notamment de Buckingham Palace. C’est surtout au théâtre que les superstitions sur le vert sont les plus tenaces : cette couleur est bannie de la scène. Les comédiens la proscrivent aussi bien sur les costumes que dans les décors ou dans la salle. Les chroniques flamandes au Moyen Âge rapportent en effet que plusieurs acteurs seraient morts après avoir joué le rôle de Judas, traditionnellement vêtu de vert. Teindre un costume en vert vif a longtemps été un exercice difficile : il fallait utiliser une matière colorante très toxique appelée le verdet, qu’on obtenait à partir de l’oxydation du cuivre. Cette couleur était certes éclatante mais très dangereuse, car ses vapeurs pouvait entraîner l’asphyxie et la mort. Les réticences des acteurs sont compréhensibles !

Outre la teinture, l’éclairage a contribué également à éloigner le vert de la scène : contrairement au rouge ou au jaune, les tissus verts se voient mal, ce qui n’était, on l’imagine bien, pas du goût des comédiens et encore moins des comédiennes qui s’estimaient trop peu mises en valeur.

Maudit au théâtre, le vert l’est aussi à bord des bateaux car la couleur passe pour attirer l’orage et la foudre. C’est sans doute la raison pour laquelle il est absent du code international des signaux maritimes. Cela expliquerait aussi pourquoi, en 1637, un étrange édit de Colbert demande aux officiers de marine de détruire tous les navires à coque verte.

Le vert, une couleur protectrice

© DP

Dans le domaine des croyances, le vert est en réalité une couleur ambivalente. Des enquêtes d’opinion réalisées dans plusieurs pays européens révèlent que si le vert est détesté par 20 % des sondés (au motif qu’il porterait malheur), il est aussi la couleur préférée par 20 % d’entre eux, car pour certains le vert protège des esprits malfaisants.

En Allemagne et en Autriche, les portes des étables ont longtemps été peintes en vert pour éloigner la foudre, les sorciers et les esprits malins. Aujourd’hui encore, en Irlande et au Danemark, beaucoup croient que les imperméables et les parapluies verts protègent mieux de la pluie que les autres, comme si le vert protégeait de l’averse.

Parfois préjugé et superstitions se rencontrent. Les deux sont à combattre, mais, dans le doute, n’essayons pas d’ouvrir un parapluie à l’intérieur !

Pour écouter le podcast de France Culture…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : France Culture | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : ©  MGM ; © DP.


Plus de traditions et de folklore au quotidien en Wallonie…

MASUY : Historique des espaces verts de Cointe (CHiCC, 2024)

Temps de lecture : 9 minutes >

Nous allons parcourir les paysages de Cointe à travers les siècles en partant de la plaine de Sclessin pour arriver au terril Piron en suivant un corridor écologique. Les corridors écologiques offrent en effet aux espèces des conditions favorables à leur déplacement (dispersion et/ou migration) et à l’accomplissement de leur cycle de vie. Ils correspondent aux voies de déplacement préférentielles empruntées par la faune et la flore.

Antiquité et Moyen Âge

Il y a 2000 ans, la vallée de Sclessin était marécageuse et la colline était couverte par la forêt d’Avroy, composée principalement de chênes, de hêtres et de frênes.

A partir du Moyen-Âge, Cointe fut partagé entre trois juridictions : la Libre Baronnie d’Avroy et la Seigneurie de Fragnée, qui toutes deux dépendaient de la Principauté de Liège, et l’avouerie d’Ougrée-Sclessin qui dépendait de la principauté de Stavelot-Malmédy. Elle se situait à l’abbaye du Val Benoît.

A partir du 10ème siècle, la vallée fut défrichée et les terrains entourant l’abbaye du Val Benoît furent cultivés ou utilisés comme pâturages. La première mention écrite de la culture de la vigne à Sclessin date de 1092 mais une étude palynologique récente de l’Université de Liège montre que la culture de la vigne sur le versant sud-ouest de la colline remonte à l’époque mérovingienne. Le sol de ces coteaux, composé de schiste, accumulait la chaleur le jour pour la restituer la nuit, créant des conditions idéales pour la viticulture.

La grande forêt d’Avroy était peuplée d’animaux sauvages tels lièvres, renards, chevreuils, sangliers et même quelques loups. A cette époque,  les Princes-Evêques de Liège aimaient y chasser.

A partir du 16ème siècle, la colline fut défrichée afin de permettre l’extension des pâturages, des vergers, des vignes, des cultures céréalières, potagères et houblonnières. Une autre cause du déboisement est la fabrication du charbon de bois nécessaire aux forgerons et aux cloutiers. Des meules de carbonisation se situaient à l’actuelle place du Batty.

Si on regarde la carte de Ferraris, ci-dessous, datant de 1778, on observe que le plateau de Cointe est encore à l’époque très peu peuplé et que le paysage est essentiellement champêtre.

Carte de Ferraris © geoportail.wallonie.be

Développement industriel

Le sous-sol de la colline était riche en houille et les veines de charbon affleuraient au sol. Le charbon fut exploité initialement à ciel ouvert, puis à partir du 13e siècle, des puits peu profonds appelés bures ont été utilisés. Afin de pouvoir creuser plus profondément, des galeries d’assèchement (arènes) furent creusées pour évacuer les eaux d’infiltration, permettant ainsi une exploitation plus importante des veines de charbon.

Sous le régime français, en 1797, les propriétés de l’abbaye du Val Benoît furent vendues à vil prix, et elles finissent par appartenir à Pierre Joseph Abraham Lesoinne, avocat à Liège. Son fils Nicolas réactiva le charbonnage du Val Benoît en 1824 et une de ses filles, Émilie épousa Édouard van der Heyden à Hauzeur. Il fut le patron à Sclessin du premier moulin à vapeur de Belgique, machinerie au cœur d’une importante minoterie.

Dès 1870, Sclessin va connaître un essor industriel prodigieux en exploitant systématiquement et intensivement le sous-sol grâce à plusieurs sièges charbonniers du Val Benoît.

Cette période fut marquée par une transformation majeure du paysage de la plaine de Sclessin. Les prairies et les cultures disparaissent et, à la fin du 19ème siècle, la culture de la vigne est pratiquement abandonnée. En effet, un parasite, le phylloxéra de la vigne, attaqua les vignes en provoquant une maladie du même nom. De plus, l’industrialisation permit aux entreprises d’offrir des salaires hebdomadaires garantis et un travail à l’abri des intempéries aux fils de vigneron qui abandonnèrent alors le travail de la terre. Dans le même temps, la culture houblonnière, qui permit l’extension florissante de plus de 500 brasseries dans les années 1800, fut atteinte de la rouille et disparut.

Le parc privé

Parc privé de Cointe et l’Observatoire © Philippe Vienne

Dès 1876, la famille Hauzeur envisagea la mise en valeur des terrains qu’elle possédait sur le plateau de Cointe avec la création d’un parc résidentiel privé de haut standing. Cette partie de la colline était encore entièrement boisée.

Les travaux débutent en 1881 par l’aménagement des voiries du parc ainsi que la création d’une route en provenance de la vallée, l’avenue des Thermes qui deviendra l’avenue Constantin de Gerlache. L’Institut d’astrophysique, première construction du parc, fut érigé entre 1881 et 1882 selon les plans de l’architecte liégeois Lambert Noppius. Vint ensuite la construction de belles villas dont la villa L’Aube de Gustave Serrurier-Bovy en 1903.

Les laiteries à la fin du 19e siècle sont à la mode et on en trouve plusieurs sur le plateau de Cointe dont la laiterie du Parc. Elles attirent les familles de la bonne société qui viennent s’y restaurer et se distraire.

Dans le parc privé, en 1905, Monsieur Armand de Lairesse installa huit grandes serres à l’arrière de la villa Les Tamaris. Il y cultiva des orchidées qu’il exporta sous forme de fleurs coupées emballées dans du papier de soie et placées dans de grands paniers plats en osier. Elles ont disparu aujourd’hui.

Parc communal de Cointe

Parc communal de Cointe – Champ des Oiseaux © Philippe Vienne

Le parc public est créé par arrêté royal du 26 février 1900 en vue de l’exposition universelle de 1905. Il va se situer au lieu-dit Champ des oiseaux qui était encore un endroit assez sauvage avec des champs et des prairies.

Conçu par l’architecte de jardin Louis Van der Swaelmen, le parc se compose d’une section paysagère et d’une zone boisée d’aspect plus sauvage. Il comporte également une rocaille parcourue de sentiers abritant des plantes vivaces aux floraisons colorées. L’avenue de Cointe, rebaptisée en 1921 boulevard Kleyer, est l’une des principales artères du parc, offrant une vue panoramique sur la ville et ses environs.

Il accueillit l’annexe de l’Exposition universelle de 1905, avec le palais de l’horticulture belge. Un vaste terrain fut destiné aux démonstrations d’horticulture et de culture maraîchère, ainsi qu’aux concours agricoles et aux compétitions sportives. Après l’Exposition universelle de 1905, le terrain affecté aux exhibitions sportives servit aux manœuvres de l’armée. Puis la ville le reconvertit en espace public avec pistes d’athlétisme, courts de tennis, hall omnisports et plaine de jeux pour enfants.

La superficie totale de ce magnifique espace vert est de 14,7 hectares et il est aujourd’hui entretenu grâce à une gestion différenciée (fauchage tardif, éco-pâturage, plantes annuelles mellifères, nichoirs, maintien des arbres morts, tonte différenciée, absence de pesticides…) par le service des Plantations de la Ville de Liège. Il contient de nombreux arbres remarquables qui sont exceptionnels par leur âge, leur situation, leur espèce ou leur degré de rareté. La plupart de ces arbres provenaient de contrées lointaines, plantés au 19ème siècle pour instruire ou étonner. Les arbres, aujourd’hui vieillissants, présentant des maladies ou des pourritures, constituent un danger pour les usagers et doivent parfois être abattus. Ils sont remplacés par des arbres indigènes.

Le Bois d’Avroy

Bois d’Avroy © Philippe Vienne

Le domaine du Bois d’Avroy, fut constitué progressivement par la famille de Laminne dès le début du 19e siècle. Il s’étendait sur 35 hectares et un château y fut construit de style Louis XVI. En 1910 et 1912, le château et les terrains furent vendus à la société anonyme des charbonnages du Bois d’Avroy. Autour du charbonnage, dans le quartier des Bruyères, subsistaient plusieurs fermes entourées de cultures et de pâturages.

A partir de 1966, le charbonnage commença à vendre ses terrains. On y construisit un ensemble d’immeubles situés au niveau de la rue Julien d’Andrimont ainsi que l’ONEM rue Bois d’Avroy. En 1978, un des terrains servit à la construction de l’école Saint-Joseph des Bruyères qui deviendra plus tard l’internat de l’État (aujourd’hui MDE).

Ce qui restait du terrain appartenant à la famille de Laminne, c’est à dire 4 hectares, fut vendu au début des années 1990 à un promoteur immobilier. Après bien des vicissitudes, un petit complexe immobilier verra le jour n’occupant que la partie à front du boulevard Kleyer.

Le reste des terrains, d’une surface de 5 hectares, entourant ces différents immeubles n’a plus été entretenu et a permis à la végétation et à la faune de s’installer et de se développer en toute quiétude. On y trouve plusieurs espèces communes (écureuils, hérissons, fauvettes, pics, papillons, noisetiers, ormes) et des espèces en danger comme le crapaud alyte accoucheur (Alytes obstetricans) et le coléoptère lucane cerf-volant (Lucanus cervus) qui est une espèce protégée en Wallonie et en Europe.

La prairie des Bruyères

Prairie des Bruyères © Philippe Vienne

Le quartier résidentiel des Bruyères s’est construit sur une partie des terrains du charbonnage du Bois d’Avroy dans les années 1970. Sur ces terrains se situaient plusieurs fermes. Entre les numéros 65 et 95 de la rue des Bruyères, il y avait, à cet endroit, un ravin abrupt d’une bonne dizaine de mètres entre les cotillages des maraîchers Leblanc et Galand. C’est au fond de ce ravin que se trouvait l’œil de l’arène de Sclessin. Les eaux étant chaudes, les Galand semaient sur les bords, la première salade qu’ils livraient au marché avait quinze jours d’avance sur les autres maraîchers. Louis Leblanc, après les bombardements de 1944, a comblé ce ravin et l’a transformé en prairie où paissaient ses vaches. Aujourd’hui, les vaches ont disparu et un fermier vient y faire les foins.

Le terril Piron

Terril Piron © Philippe Vienne

Le charbonnage de la Haye, déjà présent au sommet de la rue Saint-Gilles, inaugura en 1875 un siège supplémentaire à l’emplacement d’une ancienne bure dite Piron. Jusqu’en 1930, le charbonnage va déverser ses résidus miniers au Bois Saint-Gilles.

Depuis, le terril Piron, qui  couvre une superficie d’environ 7 hectares, présente un plateau herbeux, sur lequel deux terrains de football ont été aménagés et qui, aujourd’hui, sont abandonnés, ainsi que des pentes abruptes et thermophiles. La végétation y est diversifiée incluant des pelouses sèches et des espèces rares. La colonisation par les ligneux y est de plus en plus importante, y compris sur les pentes abruptes. Le site héberge une population d’orvet fragile (Anguis fragilis) et de lézard des murailles (Podarcis muralis), ainsi que le crapaud calamite (Bufo calamita) surtout en bas du versant. Le lucane cerf-volant (Lucanus cervus) est régulièrement aperçu dans le périmètre du terril.

Quel avenir pour demain ? Le plan nature de la Ville de Liège

Le Plan Communal de Développement de la Nature (PCDN) de la Ville de Liège a pour but d’intégrer durablement la nature et la biodiversité dans le développement social et économique du territoire. Il vise à établir un diagnostic précis de la nature et de la biodiversité pour orienter les actions de préservation et de restauration des milieux naturels.

La carte des réseaux écologiques thématiques synthétisés montre le maillage écologique de la Ville de Liège. Le maillage écologique est l’ensemble des habitats susceptibles de fournir un milieu de vie temporaire ou permanent aux espèces végétales et animales afin d’assurer leur survie à long terme. Le maillage écologique de Liège se compose de zones centrales, de zones de développement et d’éléments de liaison. Les zones centrales sont prioritaires pour la conservation de la biodiversité. Les zones de développement, quant à elles, sont adaptées pour accueillir la biodiversité tout en supportant des usages anthropiques. Les éléments de liaison, tels que les alignements d’arbres le long des voiries et les haies, permettent la connectivité entre ces zones en formant des corridors écologiques. Les corridors écologiques sont importants pour le brassage génétique des populations.”

On peut observer sur la carte ci-dessous les espaces verts de Sclessin et Cointe qui sont repris en zone de centrale et en zone de développement.

Carte des réseaux écologiques thématiques simplifiés © liege.be

La Ville de Liège désire aussi lutter contre le réchauffement climatique. Elle a déployé dans ce but son plan Canopée. Il consiste à planter plus de 24.000 arbres à l’horizon 2030 tant dans l’espace public que dans les espaces privés. Elle a formé des citoyens, bénévoles, dans chaque quartier afin qu’ils deviennent des passeurs d’arbres. Ils peuvent prodiguer des conseils en matière de plantation et de soins ainsi qu’informer sur les bonnes pratiques et la réglementation en vigueur. Grâce à ce plan, le quartier de Sclessin devrait voir le pourcentage d’arbres plantés sur son territoire augmenter de 30 à 40 %.

La Ville de Liège désire que chaque usager de la ville trouve un espace public de qualité et vert à 10 minutes à pied (voir stratégie PEP’S). Elle s’en donne les moyens grâce aux différentes actions qu’elle entreprend.

Béatrice MASUY

Bibliographie sélective :

      • SCHURGERS P., Cointe au fil du temps…, Liège, 2006
      • DEJAEGERE J., Sclessin autrefois, Noir Dessin Production, 2014
      • WARZÉE C., Liège autrefois, Cointe-Haut-Laveu-Saint-Gilles-Burenville, Noir Dessin Production, 2013
        (Bibliographie complète sur demande)

Image en tête de l’article : Prairie des Bruyères (rue des Buis) © Philippe Vienne


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Béatrice MASUY, organisée en juin 2024 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

MUNIER : les mots endormis (podcast)

Temps de lecture : 4 minutes >

[RADIOFRANCE.FR/FRANCECULTURE, 28 décembre 2017] À l’heure qu’il est, on va réveiller les mots endormis, fatigués ou désuets, mais qui n’ont pas quitté le dictionnaire et se révèlent pleins de ressources.

EAN 9782234084315

Laure de Chantal et Xavier Mauduit publient chez Stock Crapoussin & Niguedouille, la belle histoire des mots endormis. Des mots qu’ils ont choisis parce qu’ils leur ont claqué à l’oreille, par leur sonorité mais aussi le sel dont ils se sont chargés au gré de leurs périples et de leurs occurrences dans la langue littéraire ou populaire. “Écouter le doux frou-frou de la langue française, c’est écouter le récit des civilisations“, résument-ils. Car “avant d’atterrir dans notre bouche, les mots ont fait le tour du monde.

Dans le Dictionnaire de l’Académie française, septième édition, il y a environ vingt-mille mots d’origine étrangère sur un total de trente-deux mille. Toute langue est donc un carnaval perpétuel de mots migrants… Ainsi notre zizanie – un sport national – elle vient du fin fond de l’histoire, qui commence à Sumer avec l’invention de l’écriture, outil éminemment stratégique destiné à enregistrer les comptes des récoltes – le zizon est la mesure du blé – ainsi que du bétail. Dans l’Antiquité, ce sont de lourds enjeux, qui justifient des expéditions guerrières et des annexions. C’est ainsi que “les mots sèment aux quatre vents des accents exotiques sur les dictionnaires“, et qu’ils “sont immortels.“.

Mais revenons à nos moutons : crapoussin, vous avez dû voir ça se précipiter sous le sapin de Noël pour déballer fiévreusement les cadeaux. Mais la connotation n’a pas toujours été si charmante, qui mêle la posture de la grenouille à la grâce ébouriffée du poussin. Son sens premier, dès le XVIIIe siècle, désignait “un petit homme trapu et contrefait“, une sorte de crapaud bloqué à un stade infantile de son développement : “chétif, replet, bedonnant…” Et c’est ainsi qu’il apparaît dans Le Père Goriot ou dans L’Assommoir.

Quant à niguedouille, le mot “incarne la franchise, l’humour moqueur et la liberté de notre langue“, car “il chante la fête au village, où l’on danse le rigaudon“. Non, les niguedouilles ne sont pas nés des amours entre un nigaud et une andouille, mais ils fleurent bon la marmite médiévale. Les académiciens lui ouvrent la porte cochère de leur dictionnaire dans sa huitième édition comme synonyme de bêta : aux innocents les mains pleines ! Les éditorialistes l’intronisent pour se moquer des grands sans les nommer, ce qui est bien commode en période de censure de la presse, d’autant que la rime est riche avec patrouille et bredouille, voire avec “la gidouille, le gros ventre du Père Ubu dans la pièce de Jarry.

Pour les auteurs, tous ces mots ont “la langue bien pendue” et “les essayer, c’est les adopter.” Alors, de coquecigrue pour baliverne à pimpesouée la délicate et précieuse, pour faire un tabac au réveillon de la St Sylvestre, procurez-vous et surtout offrez le bouquin !

L’argot, réservoir de mots biscornus et imagés

On dit qu’il se perd, mais c’est parce qu’il se transforme en permanence, faisant feu de tout bois, même les mots endormis et hors d’usage, comme daron, que Littré donne pour vieilli, mais qui a repris du service chez les jeunes.

Parfois, c’est l’inverse : l’argot refile quelques jolis mots au dictionnaire de l’Académie. Comme cambrioler, ou patibulaire qui désignait au Moyen Âge le gibet en argot, et qui a dérivé jusqu’à définir la mine d’un individu promis à l’échafaud.

EAN 9782321011163

L’argot des Coquillards, qui fleurissait la langue de Villon, nous a légué à travers le temps des termes passés dans le langage courant, comme la louche, pour la main ou encore picoler. Aurore Vincenti en a rassemblé un plein bouquet dans Les mots du bitume, publié par Le Robert. De Rabelais aux rappeurs, les mots de la rue témoignent d’une vigoureuse créativité. Daron, par exemple, serait une sorte de mot-valise formé de l’ancien français dam, qui signifiait seigneur et de baron, l’ensemble connotant le pouvoir et l’autorité. Le père, mais aussi le patron. Et ça marche également au féminin. Pénave est un équivalent de jacter, parler et peut se conjuguer, il vient du romani, la langue des Tsiganes : je pénave comme un rabouin, c’est-à-dire comme un bohémien… Ambiancer – on vous le souhaite pour le réveillon – qui signifie à la fois “mettre de l’animation, séduire, chauffer” vient du français d’Afrique et du nouchi, la langue hybride parlée en Côte d’Ivoire par la jeunesse urbanisée, “un joyeux mélange de langues africaines, comme le baoulé ou le dioula, et d’anglais“. Ambiancer peut avoir également une connotation érotique et il a débarqué par chez nous dans les années 2000…

Jacques Munier


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : France Culture | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : un “crapoussin” ©  rue des Archives.


Parler encore en Wallonie…

WISMANN : Et voilà pourquoi l’allemand met le verbe à la fin

Temps de lecture : 6 minutes >

[LETEMPS.CH, 12 décembre 2016] C’est dans la syntaxe que se joue le choc, jubilatoire, des univers mentaux. La démonstration de Heinz Wismann, philosophe allemand à Paris, auteur de Penser entre les langues. Dans un français parfait.

Le Temps : Dans votre livre Penser entre les langues, vous écrivez, à propos du ‘Hochdeutsch’: “Cette langue qui, pour être parlée, suppose que les locuteurs soient libérés de la contingence des affects.” C’est exactement l’argument avancé par les Alémaniques pour défendre leur emploi du dialecte. Les Allemands parlent-ils donc aussi le dialecte en famille ?

Heinz Wismann : Par ‘Hochdeutsch’, on désigne la langue allemande codifiée, imposant le respect strict de ses règles syntaxiques. Et j’observe qu’à partir du moment où, entre deux locuteurs, l’affect s’en mêle, où la tonalité de l’échange devient plus familière, la syntaxe est malmenée. Mais cela ne veut pas dire que tous les Allemands parlent en famille un dialecte comme en Suisse. De fait, la plupart du temps, ils parlent une langue intermédiaire, volontiers teintée d’inflexions dialectales mais, surtout, syntaxiquement en rupture avec le carcan du pur Hochdeutsch, qui est terriblement contraignant.

– Pourquoi l’est-il ?

– Le français place le déterminant après le déterminé : Une tasse à café. En allemand, c’est l’inverse: Eine Kaffeetasse. Si vous appliquez ce principe à la structure de la phrase, vous obtenez une accumulation d’éléments chargés de déterminer quelque chose qui n’est formulé que plus tard. De la part du locuteur, cela demande une discipline de fer. C’est pourquoi les présentateurs des informations télévisées lisent en général leur texte : il est malaisé d’improviser correctement en Hochdeutsch. Par ailleurs, cette structure syntaxique limite la spontanéité de l’échange car elle oblige l’interlocuteur à attendre la fin de la phrase pour savoir de quoi il est question. D’où les remarques critiques de Madame de Staël sur l’impossibilité d’avoir une conversation en allemand…

– … parce qu’on ne peut pas interrompre un Allemand qui parle. Est-ce cela, le propre de la conversation : interrompre son vis-à-vis ?

– Aux oreilles d’un Allemand, les Français sont des gens qui parlent tous en même temps. Mais s’ils peuvent se permettre de s’interrompre, c’est parce qu’ils évoluent dans une structure syntaxique où l’essentiel est posé d’emblée et l’accessoire suit. Ainsi, le ‘gazouillis’ des salons français vanté par Madame de Staël consiste à emboîter le pas à celui qui parle comme on relance un ballon, à faire circuler la parole dans un esprit de connivence.

– Mais d’où vient la rigidité de l’allemand ? Est-ce du fait que, contrairement à la plupart des idiomes européens devenus langues nationales, le ‘Hochdeutsch’ n’était pas, à l’origine, une langue parlée ?

– L’histoire du Hochdeutsch est compliquée. Elle puise son origine dans la traduction des Evangiles par Luther. On a bien affaire à la grammaticalisation d’un dialecte, mais à l’aide du grec ancien. On peut dire, pour faire court, qu’avant d’être adopté comme langue nationale, le Hochdeutsch a été une langue littéraire, puis administrative, mais pas vraiment parlée.

– Chaque langue, écrivez-vous, véhicule un rapport particulier au réel. Et l’instrument privilégié de ce ‘vouloir dire’, c’est la syntaxe. Que ‘veut dire’ cette bizarrerie allemande qui consiste à placer le verbe à la fin de la phrase?

– Elle dit que le verbe est essentiel. Elle indique que l’action verbale, élément ultime de la chaîne des déterminations successives, porte l’ensemble de l’énoncé. Par contraste, la phrase latine est conçue à partir du sujet, sur lequel s’appuie le reste de l’énoncé. Il y a un rapport d’équivalence avec l’attribut, qui s’accorde en genre et en nombre : La femme est grande. Entre les deux, l’’auxiliaire’ joue un rôle subalterne de copule. En allemand, le verbe est beaucoup plus puissant. On dit La femme est grand, ce qui suppose quelque chose comme un verbe grand être où ce qui en français est attribut revêt une fonction adverbiale. On retrouve cette différence fondamentale dans la notion même de ‘réalité’ : la res latine est une entité nettement circonscrite, distincte, à la limite immobile. La Wirklichkeit provient du verbe wirken, agir. Elle correspond à une réalité essentiellement dynamique. Certes, on peut aussi dire Realität en allemand, mais seulement pour constater un état de fait, le plus souvent assorti d’une nuance de regret : les rides qui se creusent sur mon front sont une Realität, pas une Wirklichkeit. On a affaire à deux univers mentaux, qui mettent l’accent l’un sur le mouvement, l’autre sur la localisation.

– Mais la langue ne crée pas ex nihilo notre rapport au réel : d’où vient cette différence ?

– Schématiquement, on peut dire que le principe de spatialisation est central dans les régions où le soleil est mâle et la vue dégagée. C’est le cas des pays latins. En Allemagne, au nord en général, la brume voile la perception visuelle. Dans la forêt profonde surtout, c’est l’ouïe qui domine. L’oreille guette les bruits, qui évoluent d’un instant à l’autre.

– Toutes les langues du nord ne mettent pas le verbe à la fin…

– Disons que l’allemand est la langue qui a poussé à l’extrême son propre principe de cohérence. Prenez l’horizon métaphorique du mot appartenance : en français, il évoque un appartement. En allemand Zugehörichkeit contient le verbe hören, entendre : on appartient à un groupe si l’on est capable d’entendre son appel. Le rapport au réel passe par l’ouïe. C’est pourquoi la musique constitue l’une des contributions principales des germanophones à la culture universelle. Avec la philosophie spéculative, qui est son corollaire. La ‘logique’ hégélienne peut en effet être lue comme l’équivalent d’une phrase allemande ininterrompue alignant tous les éléments possibles du verbe être. On retrouve le même souci d’exhaustivité dans le traitement du thème musical (Durchführung) de la sonate clas­sique.

– Les Allemands seraient plus portés sur l’action que les Français ?

– Ils ont vraiment, je crois, une plus grande capacité à se projeter vers l’ailleurs. On le voit sur la scène économique mondiale, où ils sont très présents. Pourquoi les industriels français sont-ils si faibles à l’exportation ? Ils sont trop bien dans l’Hexagone, cet espace parfait !

– Vous dites également du français que c’est une langue ‘allusive’ et ‘compactée’. En cela, elle est donc sœur jumelle de l’anglais, qui devrait pourtant être plus proche de l’allemand…

– L’anglais a en commun avec le français d’avoir été façonné par l’usage de cour. D’où son caractère idiomatique : lorsqu’on demande pourquoi, en anglais, telle chose se dit de telle manière, on vous répond “parce que c’est comme ça”. Il n’y a pas de règle, il faut maîtriser la convention, laquelle change selon le milieu où se reflète la hiérarchie sociale. Le français, à un degré moindre, a ce même caractère idiomatique, l’allemand pas du tout : socialement, c’est une langue nettement plus égalitaire.

– Mais pourquoi dites-vous que le français est ‘compacté’ ?

– Le propre du courtisan, c’est de parler des choses ‘à bon entendeur’. La grande prouesse de la Princesse de Clèves consiste à évoquer une passion amoureuse sans jamais la désigner explicitement. La conséquence de cette culture du demi-mot est que, de Montaigne à Madame de La Fayette, des dizaines de milliers de vocables ont été abandonnés. Racine écrit ses tragédies avec mille cinq cents mots. Ardeur lui sert à désigner une foule de choses différentes, de l’amour à la haine en passant par le courage au combat. C’est ce qui fait dire à certains que le français est la langue européenne la plus proche du chinois.

– Quand on colle aux choses, on ne voit rien, seule la distance rend lucide, écrivez-vous : être bilingue, ça rend intelligent ?

– Chaque langue portant en elle un reflet du réel, quand je décolle de la mienne pour aller vers une autre, j’enrichis ma capacité à percevoir de la réalité. Je me donne une chance de développer une intelligence réflexive, c’est-à-dire d’aller voir ailleurs et de revenir enrichi de ce que j’ai compris en m’écartant de moi. J’oppose cette attitude au syndrome identitaire, qui est la forme la plus stupide de l’affirmation de soi : on est fier de n’être que ce que l’on est. C’est très appauvrissant.

– Mais rassurant, car pour prendre de la distance, il ne faut pas avoir peur de tomber…

– Bien sûr que c’est rassurant, et les populismes de toutes espèces exploitent aujourd’hui honteusement cette tendance naturelle à vouloir rester entre soi. S’éloigner est toujours “une petite douleur“, comme dit Hegel dans ses récits pédagogiques. Mais il insiste sur les gratifications bien plus grandes, à la fois intellectuelles et affectives, que procure l’expérience du retour. Il recommande donc de fonder l’enseignement sur l’approfondissement de cette expérience, pour laquelle les langues étrangères, y compris les langues mortes, jouent un rôle essentiel.

– Mais pourquoi une telle régression identitaire aujourd’hui ?

– C’est comme si les gens ne trouvaient pas d’autre moyen de résister à la mondialisation. On vit dans un monde très ouvert, mais c’est une fausse ouverture car notre perception de l’ailleurs passe généralement par un filtre unique: celui du globish, cette langue de service, dénuée de toute dimension connotative, qui réduit à la portion congrue notre rapport au réel. L’anglais international ne reflète guère que l’univers des marchandises.

– Vous êtes contre toute idée de langue unique ?

– Oui. La nostalgie d’un paradis pré-babélique est très régressive. Le principe de vie, c’est la différenciation : vive la prolifération des langues !

– Le plurilinguisme n’est-il pas le privilège d’une élite ?

– C’est un privilège auquel tout le monde a droit. Sous prétexte de démocratisation, l’école d’aujourd’hui abaisse son niveau d’exigence et, ce faisant, creuse l’écart social. Elle n’a aucune excuse pour ne pas jouer son rôle, qui est d’arracher les enfants au monolinguisme infantile afin de leur donner accès à d’autres univers mentaux.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercialisation, édition et iconographie | sources : letemps.ch | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustration : Lucas Lenglet, “untitled (frei)”, 2019 © Lucas Lenglet / Philippe Vienne.


Plus de tribunes en Wallonie…

CONLANGUES : Les langues elfiques de Tolkien, plus populaires que l’espéranto

Temps de lecture : 4 minutes >

[LIBERATION.FR, 30 janvier 2017] L’écrivain britannique Tolkien et le médecin polonais Zamenhof ont créé les deux langues imaginaires les plus populaires au monde. Cent ans après, le Dothraki, inventé par David J. Peterson pour la série Game of Thrones, trouve sa source à la fois dans l’espéranto et les langues de Tolkien.

JRR Tolkien a commencé à écrire la Chute de Gondolin après la Première Guerre mondiale, tandis qu’il tentait de se remettre de la fièvre des tranchées, contractée au cours de la bataille de la Somme, il y a cent ans de cela. La Chute de Gondolin est la première histoire de ce qui deviendra son ‘legendarium’ soit toute l’œuvre consacrée aux aventures elfiques, une mythologie qui sous-tend les trois romans du Seigneur des Anneaux. Mais au-delà de la fiction, JRR Tolkien était également passionné par une autre forme de création : la construction de langages imaginaires.

En cette même année 1916, à l’autre bout de l’Europe, Ludwik Zamenhof mourait dans son pays d’origine, la Pologne. Lui aussi avait été obsédé toute sa vie par l’invention de nouveaux langages, et en 1887, il sortait un livre pour présenter la langue qu’il avait créée de toutes pièces. La méthode était signée du pseudonyme Doktoro Esperanto (“docteur qui espère“, en espéranto !), qui par extension devint le nom de la langue elle-même.

La création de langues imaginaires, ou ‘conlangues’ est riche d’une longue histoire, qui remonte au XIIe siècle. Tolkien et Zamenhof sont sans aucun doute ceux qui ont remporté les plus grands succès en la matière. Pourtant, leurs objectifs étaient très différents ; leurs inventions respectives mènent à deux pistes diamétralement opposées.

Zamenhof, un juif polonais qui a grandi dans un pays où la xénophobie était monnaie courante, pensait qu’avec un langage universel, on pourrait enfin aspirer à une coexistence pacifique. Il écrit ainsi que si le langage est “le moteur essentiel de la civilisation“, “la difficulté à comprendre les langues étrangères cause de l’antipathie, voire de la haine, entre les gens.” Son projet était de créer un langage simple à apprendre, sans lien avec une nation ou une culture particulière, qui aiderait à unir l’humanité.

En tant que ‘langue auxiliaire internationale’, l’espéranto a connu un franc succès. Tout au long de son histoire, plusieurs millions d’individus l’ont pratiqué. Et même s’il est difficile de faire des estimations exactes, aujourd’hui encore, jusqu’à un million de personnes le parlent. Il existe un grand nombre de livres en espéranto, et il y a même un musée de l’espéranto en Chine. Au Japon, Zamenhof est honoré comme un dieu par une branche du shintoïsme dont les adeptes parlent l’espéranto. Pourtant, le rêve d’harmonie mondiale de Zamenhof est resté utopique. Et à sa mort, tandis que la Première Guerre mondiale déchirait l’Europe, son optimisme n’était plus du tout d’actualité.

Langues imaginaires

JRR Tolkien était lui-même un fervent supporter de l’espéranto ; il pensait qu’une telle langue pourrait aider les pays d’Europe à cheminer vers la paix après la Première Guerre mondiale. Mais sa motivation pour créer de nouveaux langages était toute autre. Il ne cherchait pas à améliorer le monde, mais plutôt à en créer un nouveau, un univers de fiction. Il qualifiait son intérêt pour l’invention linguistique de ‘vice secret’, et disait que son but était esthétique plutôt que pragmatique. Il se plaisait avant tout à faire correspondre le son, la forme et le sens de façon originale.

Pour donner corps aux langues qu’il inventait, il avait besoin de les appuyer sur une mythologie. En tant qu’entités vivantes, toujours en évolution, les langues tirent leur vitalité de la culture de ceux qui les utilisent. C’est exactement ce qui a conduit Tolkien à créer son univers de fiction. “L’invention des langues est à l’origine de tout“, écrit-il ainsi, “Les histoires ont été inventées plutôt pour fournir un monde aux langues et non l’inverse.

Qu’en est-il des ‘conlangues‘ aujourd’hui ? Cent ans après la mort de Zamenhof, à bien des égards, l’art de la construction linguistique est plus populaire que jamais. Citons le Dothraki, dans Game of Thrones. Cette langue a été inventée par David J Peterson pour la série tirée des romans de George RR Martin. Or, le Dothraki trouve sa source à la fois dans l’espéranto et dans les langues imaginées par Tolkien.

C’est en prenant un cours sur l’espéranto à l’université que Peterson s’est d’abord intéressé aux conlangues. Martin, de son côté, admet que sa saga est, à bien des égards, une réponse au Seigneur des Anneaux. Il inclut d’ailleurs mille références linguistiques au monde de Tolkien, comme autant d’hommages : le mot ‘warg’, par exemple, qui signifie “une personne qui peut projeter sa conscience dans les esprits des animaux“, est un mot que Tolkien emploie pour désigner une espèce de loup.

Il semble donc que la tradition tolkienienne de construction d’un monde fantastique ait mieux fonctionné que l’espéranto. Il y a peut-être deux raisons à cela.

La première est linguistique. Paradoxalement, le concept de Tolkien est plus proche de la façon dont les langues fonctionnent dans le monde réel. Ses langues elfiques, telles qu’elles sont représentées dans son œuvre, sont vivantes et évolutives. Elles reflètent la culture des communautés qui les parlent.

Le principe d’une langue auxiliaire internationale est de fournir un code stable, qui peut être facilement appris par n’importe qui. Mais les langues humaines ne sont jamais statiques ; elles sont toujours dynamiques, toujours diversifiées. Donc, l’espéranto comporte un défaut fondamental dans sa conception même.

Et la deuxième raison ? Eh bien, peut-être que de nos jours, nous avons plus envie de nous consacrer à la création de mondes fantastiques, plutôt que de chercher comment réparer le monde réel.

Philip Seargeant, The Open University


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, édition et iconographie | sources : liberation.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © AI Translator.


Traduire encore en Wallonie…

MORET : Notice sur Jean Del Cour (1900)

Temps de lecture : 27 minutes >

Transcription de
MORET J., Notice sur Jean Del Cour, sculpteur liégeois,
avec 20 reproductions de ses œuvres maîtresses
(Liège : imprimerie Bénard, 1900)

© collection privée

Hamoir, patrie de Jean Del Cour

Au bord de la charmante et pittoresque rivière de l’Ourthe, au fond d’un des plus larges vallons qu’elle arrose, au milieu de terres arables, de vertes  prairies, de bois touffus couronnant les montagnes qui l’encerclent, est assise Hamoir, patrie du sculpteur Jean Del Cour (1627-1707).

Xhignesse, un petit hameau situé à un quart de lieue plus bas, sur la rive droite, était jadis le centre paroissial. Son intéressante église romane démontre la haute antiquité de cette paroisse qui, outre Xhignesse et Hamoir, comprenait encore Hamoir-Lassus, Sy et Filot. Son territoire appartenait au Comté de Logne et au pays de Stavelot, tandis qu’au spirituel elle ressortissait à l’évêché de Liège.

Au XVIIe siècle, Hamoir, quoique ne comprenant que 70 à 80 habitations, ne manquait pas d’activité. Grâce à sa situation géographique sur la route d’Allemagne vers la capitale de la principauté, non loin de Stavelot, de Liège
et de Huy, ce bourg desservi par la navigation, avait son commerce, ses forges, ses carrières, ses extractions de minerais. Il était, enfin, le siège de la Haute Cour de Justice de Xhignesse et Hamoir.

C’est à Hamoir que naquit, en 1627, Jean Del Cour. Mais si cette jolie localité des rivages de l’Ourthe peut s’enorgueillir d’avoir été le berceau du plus grand sculpteur belge au XVIIe siècle, l’illustre cité de Liège peut également le revendiquer comme l’un de ses fils glorieux. Elle fut sa patrie d’élection ; l’artiste y parcourut toute sa longue et laborieuse carrière.

La famille Del Cour ; son état de fortune

Jean Del Cour était le descendant de deux anciennes familles du pays. On retrouve, dans les archives ; la trace de ses ancêtres jusqu’au  commencement du XVIe siècle.

Il eut pour père Gilson le scrinier (menuisier), dit Del Cour; nom que sa famille reçut du quartier de Hamoir, où elle était établie. Sa mère s’appelait Gertrude de Verdon, nom également tiré d’un certain emplacement de Xhignesse. Après Jean, naquirent Jean-Gilles qui devint peintre, Marie, Dieudonnée et Nicolas qui reçut la prêtrise en 1668.

La petite fortune des parents Del Cour consistait surtout en biens-fonds et leur assurait une honnête aisance. Ils s’appliquèrent cependant, avec ténacité, au travail : Gilson, à son métier de menuisier et à la culture de ses terres ; Gertrude, à la direction de sa maison et à un trafic de détail.

Ils acquirent ainsi les ressources nécessaires pour donner à leurs enfants une éducation supérieure. Eux-mêmes leur enseignèrent la probité, l’énergie, l’activité et ces leçons excellentes ne furent pas perdues. C’est au foyer familial que Jean Del Cour puisa, sans nul doute, ces principes de vie simple et austère, ces vertus de modestie et d’activité, qui, non moins que son talent, font l’honneur de sa carrière artistique.

On peut suivre, pour ainsi dire, d’une étape à l’autre, par les actes publics, la  progression de la fortune des parents Del Cour, malgré les sacrifices qu’ils durent s’imposer pour l’instruction artistique de leurs fils. Un dénombrement des biens des habitants de Hamoir dressé en 1664, par ordre du prince-abbé de Stavelot, nous renseigne sur la situation de Gilson Del Cour, à la fin de sa vie : ses biens, cens et rentes sont estimés à 6.035 florins, somme assez considérable pour l’époque.

C’était le résultat de toute une vie de labeur, d’ordre et d’économie. Aussi son intelligence, son énergie de caractère, son honorabilité, en même temps que son état de fortune, l’avaient désigné vers 1659, au choix du souverain, pour remplir les fonctions d’échevin à la Cour de Justice. Cette haute fonction couronnait dignement toute une existence d’honneur et de travail, à laquelle la mort vint soudainement mettre un terme. Il fut frappé de mort subite à Durbuy, le jour de St-Jacques 1664; le lendemain, il était enterré dans l’église de Xhignesse.

La jeunesse de Jean Del Cour ; ses études à Huy

L’histoire se montre fort parcimonieuse de détails sur la jeunesse et la carrière de Jean Del Cour. De ses biographes, le peintre Abry, seul, l’a connu ; les deux autres, Saumery et le chanoine Hamal, ont vécu au XVIIIe siècle et n’ont pu guère recueillir que des souvenirs de la tradition. Nous allons réunir ici leurs minces données, en y ajoutant quelques découvertes personnelles, faites dans les archives ou ailleurs.

Jean Del Cour fut envoyé à Huy pour y faire ses études primaires et ses humanités. Il fit au Collège des Pères Augustins des progrès remarquables qui permettaient d’augurer que ses études achevées, il pourrait prétendre à quelque charge importante dans cette société liégeoise du XVIIe siècle, si féconde en jurisconsultes distingués et en savants éminents. Un manuscrit latin sur les bas-reliefs de la colonne Trajane, conservé à l’Université de Liège, que Del Cour copia, en 1681, nous prouve que la langue latine lui était familière.

Son apprentissage à Liège

Mais il eut bientôt d’autres aspirations. Les aspects si variés de la belle et pittoresque nature de la contrée natale avaient éveillé dans sa jeune âme, le goût du beau. Jean sentit naître en lui, à l’âge de l’adolescence, la vocation artistique ; à quinze ans, sa décision est prise : il sera sculpteur.

Il quitte alors le Collège et se rend à Liège, où il se met sous la direction des deux maîtres les plus réputés dans la capitale de la principauté : le peintre Gérard Douffet, l’un des premiers disciples de Rubens, et le moine sculpteur de la Chartreuse, Arnold Henrard qui avait été en Italie, élève de Duquesnoy. Douffet enseigna au jeune Del Cour, le dessin ; le frère Robert lui apprit à pétrir la glaise et à manier l’ébauchoir.

Il n’est pas aisé de découvrir dans l’art de Del Cour ce qu’il doit à ses maîtres liégeois. On a conservé bien peu d’œuvres de ces artistes. Nous ne connaissons de Gérard Douffet que l’Invention de la sainte Croix et la Glorification de saint François d’Assise qui se trouvent à la Pinacothèque de Munich. L’église St-Antoine à Liège possède une copie du second tableau. Il ne nous reste du frère Robert que les statues de Constantin et de sainte Hélène en l’église Ste-Croix, et à la Cathédrale St-Paul, une petite Vierge, dans laquelle se retrouve le type de la sainte Suzanne de Duquesnoy. C’est bien peu pour établir une comparaison avec les œuvres de leur disciple Del Cour.

Tout ce qu’on peut dire, c’est que Douffet, dont l’influence fut  prépondérante sur la génération nouvelle des artistes du XVIIe siècle, et imprima à la peinture liégeoise d’alors, ce caractère personnel qui la distingue des autres écoles, dut inspirer au jeune sculpteur un amour sincère de la nature.

D’autre part, le frère Robert lui communiqua son admiration pour la statuaire antique et pour les œuvres de la Renaissance, dont il se montra un imitateur fervent.

Ainsi s’expliquent, chez Del Cour, ces deux recherches de la nature et de la beauté classique, qui d’ordinaire s’unissent si harmonieusement dans ses œuvres. Ce qui est certain, c’est que le disciple reçut de ses deux maîtres, à l’âge si fragile de la jeunesse, le complément des leçons familiales, à savoir la gravité et la dignité de la vie, qui marquèrent également son existence.

L’apprentissage de Del Cour dura six ans. Ses progrès dans l’art étaient tels que, bientôt, ses maîtres n’eurent plus rien à lui apprendre. Au reste, les événements lamentables, provoqués par les nouvelles dissensions des Chiroux et des Grignoux, qui se disputaient le pouvoir dans la Cité depuis 1630, précipitèrent son départ. Son maître Gérard Douffet est sur la liste des proscrits en 1648 ; Del Cour le suivit sans doute dans son exil. Il rentra dans sa famille, pour faire ses adieux et ses préparatifs de départ. L’heure était venue pour le jeune sculpteur d’accomplir le pèlerinage obligé de tous les artistes de l’époque sur la terre classique de l’art ; d’aller sous le beau ciel d’Italie, à la recherche de maîtres plus habiles et d’y étudier la beauté sous ses formes les plus nobles.

Jean Del Cour en Italie

Encore une fois, nous ne connaissons rien du séjour de Jean Del Cour en Italie. Les biographes sont à ce sujet d’un laconisme regrettable. Et cependant un artiste, qui demeure neuf ans au delà des Alpes, n’y reste pas inactif : si Del Cour y travailla pour le compte d’autrui, il dut également y produire des œuvres qui lui sont propres.

Le jeune Liégeois s’en alla donc, d’une ville à l’autre, fixant son attention  sur les glorieuses reliques du passé. Rien n’échappe à sa curiosité : statues, bas-reliefs, médailles, pierres gravées, tout devient pour lui un sujet d’étude et une source féconde d’utiles enseignements.

Les monuments de l’antiquité, dont ses maîtres liégeois lui avaient parlé avec enthousiasme, firent sur sa jeune âme d’artiste la plus profonde impression et affinèrent le goût naturel du beau qui s’était éveillé en lui dès son adolescence. Mais Rome, la ville merveilleuse de l’art, et le Bernin, dont la gloire resplendissait au delà des frontières, l’attirèrent bientôt.

Del Cour chez le chevalier Bernin ; la Sculpture romaine au XVIIe siècle ;  retour au pays.

Del Cour ne tarda pas à se faire recevoir dans l’atelier de l’illustre sculpteur à qui les papes, les patriciens et les plus hauts dignitaires de la Cour romaine confiaient l’exécution des travaux les plus magnifiques, celui que ses admirateurs ont appelé le Michel-Ange du XVIIe siècle et ses adversaires l’homme le plus néfaste qui existât pour l’art. La critique moderne, plus équitable dans ses jugements, regarde le chevalier Jean-Laurent Bernin comme l’artiste le plus grand, le plus représentatif d’une époque nouvelle. Son temps était épris d’originalité excessive, de pittoresque grandiose, d’aspirations surhumaines, de sentiments raffinés, de passions effrénées. Qui, mieux que le Bernin, traduisit toute cette tendance ? Il accomplit pour la sculpture l’œuvre rédemptrice que les Carrache avaient tentée en peinture ; il fut l’ouvrier qui adapta le mieux la plastique aux exigences d’un siècle avide de recherches, ardent de vouloir et d’audace et qu’à cause de cela on a eu le tort d’appeler époque de décadence.

Et c’est ce maître génial, dernier rayon de la Renaissance italienne, qui compléta à Rome l’éducation artistique de Jean Del Cour, qui imprima sa marque indélébile sur le talent de son disciple, mais dont l’exagération, malheureusement trop fréquente, n’eut jamais de prise sur le sculpteur wallon, à l’âme fougueuse, calme et pondérée à la fois. Le sage équilibre de la race wallonne, à laquelle il appartenait, sauva l’élève des erreurs du maître.

Le chevalier Bernin ne fut pas longtemps sans remarquer ce jeune homme, de manières distinguées, sérieux de caractère, actif et laborieux, habile déjà à manier le ciseau. Il l’admit bientôt dans son intimité, le fit travailler sous ses yeux, ce qu’il faisait pour tous les élèves de mérite, lui prodiguant ses conseils et lui dévoilant tous les secrets de son art.

Del Cour devint un aide précieux pour le grand sculpteur. Sous sa haute  direction, il travailla, avec beaucoup d’autres artistes dont l’histoire conserve les noms, aux importants travaux que le Bernin exécuta à cette époque. Des recherches dans les archives romaines feraient probablement découvrir la part qui revient à Del Cour dans leur élaboration. Le maître italien essaya de le retenir auprès de lui, lui promettant une brillante destinée à la Cour papale. Ce fut en vain.

Le jeune sculpteur wallon avait au cœur l’amour indéracinable de la patrie. Il avait résolu de se fixer à Liège et d’y vivre de son art. Il revint au pays en 1657 et, dans le voyage de retour, il traversa la France, visitant les villes les
plus considérables du royaume, afin d’y rencontrer les ouvrages dignes d’admiration ou les maîtres dont l’enseignement lui serait utile.

Liège pendant la seconde moitié du XVIIe siècle

L’horizon politique de la capitale de la principauté, si sombre à la fin du règne de Ferdinand de Bavière, s’était un peu rasséréné sous son successeur. Les dissensions civiles avaient été étouffées par la force ; un calme relatif avait succédé aux sanglantes agitations provoquées par la lutte des factions. La tranquillité devait durer vingt ans. L’ambition de Louis XIV amena sur notre pays, durant le dernier quart du XVIIe siècle, des misères extrêmes ; c’est en particulier sur le sol liégeois que la lutte entre la France et les puissances alliées se porta.

Le XVIIe siècle fut, pour le pays de Liège, une époque de calamités profondes ; et cependant bien peu furent aussi fécondes en grands hommes. Les artistes, peintres, sculpteurs et graveurs, s’y comptent en grand nombre et, sans avoir trouvé à Liège de brillantes destinées, ils y vécurent honorablement, grâce aux travaux que leur commandèrent les églises, les couvents ou des mécènes généreux.

On doit donc admirer cette résolution du jeune sculpteur Del Cour, qui reste inébranlablement attaché à sa patrie, et qui s’établit dans une cité appauvrie où le succès et le profit seraient plutôt médiocres, alors que devant lui, s’offrait une brillante situation à l’étranger.

Voyage de Del Cour à Paris

Le Bernin devait encore le tenter quelques années plus tard. Il était venu en France, en 1665, sur l’invitation du ministre Colbert, élaborer de nouveaux plans pour le Louvre. Del Cour fit expressément le voyage de Paris, pour aller saluer son vieux maître. Celui-ci revit avec plaisir son ancien disciple et le pressa de nouveau de l’accompagner en Italie. Ses instances furent inutiles, comme aussi la tentative que fit vraisemblablement un compatriote, l’illustre médailleur Varin qui, établi à la Cour de France, depuis 1628, y était arrivé à une fortune brillante.

Il eut alors l’occasion d’admirer le talent des deux artistes rivaux, dans l’exécution du buste de Louis XIV, et de profiter de leurs leçons. Peut-être, en juxtaposant les œuvres, trouverait-on, dans le buste du chancelier Lambert de Liverlo, que Del Cour modela vers 1673, quelque souvenir du maître italien et de Varin.

Vingt ans plus tard, Del Cour dont le talent s’était affirmé en des œuvres puissantes, fut invité par Vauban, à s’établir à Paris pour modeler la statue de Louis XIV, qui 0devait couronner le monument de la place des Victoires. L’artiste refusa de nouveau de quitter sa patrie, alléguant son grand âge et ses infirmités.

Jean Del Cour s’établit définitivement à Liège

Après son voyage à Paris, Jean Del Cour revint donc à Liège, qu’il ne devait plus quitter. La mort de son père, décédé inopinément à Durbuy le 25 juillet 1664, lui imposait des charges nombreuses. Sa mère était vieille, et il devenait désormais le chef de la famille, auquel on aurait recours dans les circonstances graves.

Le 9 juin 1667, il prend en location, dans le paisible quartier de l’Isle, une importante demeure, située rue Soeurs-de-Hasque, à l’enseigne du St-Esprit, appartenant au jurisconsulte Christophe Van der Maesen ; il l’occupa jusqu’à la fin de sa vie.

Vers 1676, après son second voyage d’Italie, son frère Gilles, devenu peintre distingué, s’y établit lui-même. Les deux Del Cour n’eurent plus, dès lors, qu’un seul atelier et un même foyer.

Evénements de la famille

On comprend cette décision. La mort avait frappé autour d’eux. Leur frère Nicolas, devenu prêtre sur le tard, était mort prématurément en 1672 ; leur mère était elle-même décédée un an plus tard et leurs sœurs étaient entrées
en religion. Ils se reconstituèrent un foyer en vivant ensemble, jusqu’à ce que la mort vint les séparer.

Le peintre Jean Gilles Del Cour mourut subitement le 19 août 1695 et Jean Del Cour le 3 avril 1707. Tous deux furent enterrés auprès de leur mère qui, décédée dans la maison du sculpteur le 23 juillet 1673, avait reçu la sépulture dans l’église de St-Martin-en-Isle.

La tombe des parents Del Cour

Détail qui intéressera certainement les lecteurs : nous avons découvert, dans la vieille église de Xhignesse ; où Jean Del Cour reçut le baptême, la pierre tombale de ses parents et de son frère Nicolas. Dans le pavé de la chapelle de gauche se trouve encastrée une grande dalle de pierre portant avec les armoiries des Del Cour et des Verdon l’inscription suivante :

TOMBEAU
D’HONORABLE GILSON DEL COUR
ESCHEVIN DE HAMOIR
LEQUELLE TRESPASSAT LE 25 JULLET 1664
DE GERTRUD DE VERDON SON ESPEUSE
LAQUELLE TRESPASSAT LE 23 JULLET 1673
EST ENTERRÉE DANS LÉGLISE PAROCHIALLE
DE ST-MARTIN A LIEGE
ET DE VENERABLE MRE NICOLAS LEURS FILS
QUI TRESPASSAT LE PREMIER JANVIER 1672
PRIE DIEU POUR LEURS AMES.

Dispositions testamentaires de l’artiste

Jean Del Cour fut donc le dernier survivant de la famille. Il écrivit, le 25 octobre 1702, ses dispositions testamentaires. Il laissait à ses cousines, Catherine et Jeanne Verlaine, l’usufruit de ses biens. Ceux-ci, après la mort de ses héritières, serviraient à la construction d’une chapelle à Hamoir, sous le titre de Notre-Dame de Lorette. Del Cour demandait qu’elle fût édifiée “sur le pré Jouga, dessur la crestalle”, au dessus de la fontaine, étant, disait-il, la “scituation fort ressemblante à celle de Notre Dame de Lorette dans la marque d’Ancône en Italie.”

Chapelle de Hamoir – la Maison de l’Office

Par suite de malencontreuses circonstances, l’édification de la chapelle fut retardée de plusieurs années. La bâtisse commencée en 1737 ne fut achevée qu’en 1739. La consécration en fut faite, le 23 septembre de la même année,
par Mgr Jacquet, suffragant de Liège. La chapelle fondée par Jean Del Cour demeura debout jusqu’en 1869. La population de Hamoir s’était accrue notablement durant le XIXe siècle, et les nécessités spirituelles du nouveau centre paroissial exigeaient sa démolition pour faire place à un temple plus spacieux.

Ainsi disparut tout ce qui avait rapport à Jean Del Cour dans son lieu natal : et la chapelle qui avait été bâtie de ses deniers, et la maison familiale qu’il avait laissée pour servir de demeure au prêtre chargé de desservir la chapelle et de donner l’instruction à la jeunesse. Cette habitation s’appela plus tard à cause de cela la Maison de l’Office. Elle fut vendue par le Gouvernement français.

Le nom de Del Cour tombe dans l’oubli à Hamoir et à Liège — Glorification de l’artiste

Le peuple de Hamoir oublia jusqu’au nom de Del Cour. Dans cette jolie localité des bords de l’Ourthe, rien ne rappelle le génial artiste, qui est son unique illustration et qui, lui, ne renia jamais son lieu d’origine. Jean Del Cour aimait à l’ajouter à la signature latine de son nom et de sa profession : Joannes Del Cour, sculptor ex Hamoir.

Quelque modeste monument, élevé à sa mémoire, par ses compatriotes, témoignera-t-il enfin de leur reconnaissance à l’artiste qui rendit leur localité célèbre à jamais et qui montra un judicieux souci de son avenir et de ses intérêts ?

Pourvoir à l’édifice d’une église et à l’instruction de l’enfance, c’était certes faire œuvre utile, et au développement matériel de la localité, et au perfectionnement intellectuel et moral de ses futurs habitants. Jean Del Cour couronnait ainsi sa brillante carrière, par un acte de clairvoyance et de sagesse en faveur de ses concitoyens et par une véritable action de grâces au Divin Auteur de son talent.

Sa vie modeste et sans ambition, active et laborieuse, dévouée à sa famille et à tous ceux qui l’entouraient, élèves et praticiens ; la consécration du produit de sa fortune au bien de ses compatriotes, honorent autant Del Cour que ses œuvres les plus remarquables.

La double auréole de la vertu et du talent illumine son front. L’humilité de son existence et, reconnaissons-le, l’indifférence de la Cité pour ses savants et ses artistes, alors qu’elle porte tous ses efforts et ses soucis vers les progrès de l’industrie et du commerce, furent cause que le nom de Del Cour tomba dans l’oubli et que sa renommée s’obscurcit.

Le moment est venu de faire œuvre de justice. Que l’illustre cité de Liège, si féconde en grands hommes, dans toutes les sphères des connaissances humaines, ceigne enfin l’un de ses fils les plus méritants du laurier immortel de la gloire et inscrive son nom dans les fastes de l’Histoire.

Le talent du sculpteur Del Cour

Caractériser le talent de Del Cour en quelques lignes est chose difficile. Il se manifesta, en effet, sous des aspects si divers, qu’il faudrait, pour en parler comme il le mérite, passer en revue la plupart des œuvres de l’artiste. C’est évidemment impossible dans une notice aussi brève que celle-ci, où nous n’avons d’autre but que vulgariser la connaissance du sculpteur liégeois.

En attendant un travail de plus longue haleine, nous nous contenterons de noter ici les propriétés distinctes qui marquent le talent de Del Cour en rappelant ses œuvres. De la sorte, nous en ferons une revue succincte, que nous avons, à dessein, laissée de côté dans la biographie de l’artiste. Nous compléterons ces notes rapides par la nomenclature des œuvres encore existantes que des renseignements d’histoire, d’archives ou des comparaisons critiques nous permettent de lui attribuer avec raison.

La grâce et l’élégance de ses œuvres

Jean Del Cour, dit-on, fut l’interprète de la grâce et de l’élégance. A considérer cette Vierge noble et douce, idéalement belle, de la Fontaine de Vinâve-d’Ile, cette mère tendrement protectrice de son enfant, dans laquelle l’artiste a saisi la nature sur le vif, nous sommes en présence d’un type exquis, suave, qui restera toujours vivant et qui appartient bien à Del Cour.

Le charme est plus prenant dans les Trois Grâces qui ornent le perron de la Fontaine du Marché. Dans leur superbe beauté à peine voilée, dans l’élégance gracieuse de leur mouvement harmonieusement cadencé, tout en remplissant noblement leur office de cariatides, soutenant la pomme de pin, symbole de l’union civique, elles semblent trois sylphides aériennes qui continuent, dans l’espace, les rondes populaires de nos joyeux cramignons, où se révèlent la grâce et l’élégance natives de notre jeunesse wallonne.

Et si de là, nous passons aux Anges nombreux dont Del Cour peupla nos autels, surtout à ceux de Hasselt qui en sont comme les types achevés, nous avons devant nous des êtres surhumains, d’un charme juvénile et troublant, vraie création de notre artiste.

Ces œuvres suffiraient, à elles seules, à consacrer et à immortaliser son talent, à nous faire savourer la suave poésie dont son âme wallonne était pleine, à nous faire constater l’étude approfondie des maîtres italiens, d’un Raphaël, d’un Corrège, que certainement il avait faite durant son séjour en Italie.

L’énergie et la vigueur de son ciseau

Que Del Cour soit le merveilleux interprète de la grâce, cela ne peut être mis en doute. Mais borner à cela notre jugement sur l’artiste serait une erreur et une injustice. Ce qui fait la grandeur de son talent, c’est, avant tout, l’énergie, la vigueur, la robustesse.

Ces qualités essentielles se retrouvent même dans ses œuvres gracieuses ; mais elles se manifestent davantage dans certaines statues de sainteté. Beaucoup seraient à citer ; bornons-nous à indiquer le saint Joseph à l’attitude tragique de l’église St- Antoine, le saint Jacques au geste triomphant et victorieux, et le saint Hubert aux traits extatiques de l’église St- Jacques, le saint Bernard au port noble et décidé d’orateur sacré à Hasselt.

Partout, on peut admirer des lignes souples et harmonieuses, un équilibre plein de justesse, une simplicité noble, une énergie cachée, une sobriété qui révèlent le coup de ciseau du statuaire aux idées larges, puissantes, vraies, sincères ; on se sent en présence d’un maître plein de virilité.

C’est que Del Cour fut sculpteur, dans la véritable et complète acception du mot. Il possède le tempérament et la méthode de son art ; il en observe fidèlement et toujours les lois immuables.

Sa virtuosité dans la draperie

Ajoutez à cela qu’il fut un virtuose consommé. Pas de plus habile que lui pour jeter une draperie, pour la fouiller, la creuser, l’onduler, la mouvoir, la faire claquer au vent, créant des jeux extraordinaires d’ombres et de lumières. On a voulu lui en faire un grief, mais au vrai, c’est une force de plus à son actif, car malgré tout, il reste naturel, jusque dans le caprice. Qu’on ne croie pas d’ailleurs qu’il n’ait fait que de l’art agité ; il est calme, quand le sujet le commande. Le saint Jean- Baptiste prêchant dans le désert à la Cathédrale de Liège, la sainte Scolastique à St-Jacques, saint Bernard à Hasselt et bien d’autres, sont revêtus de draperies larges, tranquilles. Il n’y a pas à le nier ; Del Cour fut logique dans ses travaux : il eut le sens exact et juste de l’adaptation de la forme au sujet à traiter.

Mais là où la fantaisie lui est permise, alors qu’il semble s’abandonner à toute sa fougue, il est toujours maître de lui-même et ses draperies les plus mouvementées demeurent soumises aux règles de la sculpture. Elles participent à la vie du corps qu’elles enveloppent et lui communiquent quelque chose de leur chaleur et de leur mouvement.

Sans doute, une vision trop rapprochée donne une vive impression à l’œil ébloui ; mais qu’on n’oublie pas que ces images furent faites pour être placées haut, dans les transepts et les nefs de nos églises. Il fallait à la piété chrétienne, à l’époque où vivait Del Cour, des figures de saints vivantes, impressionnantes, afin de marquer le contraste avec les murs nus et froids des temples protestants. L’art devait exprimer les sentiments sublimes des héros du catholicisme, pour en pénétrer les âmes et les attacher à la Religion qui les avait produits.

Sa modération et sa noblesse ; influence de Del Cour sur la sculpture liégeoise

Del Cour ne pouvait travailler autrement qu’il a fait ; sous peine d’être rétrograde, il devait être l’interprète des tendances et des exigences de son temps. Qui lui en ferait un reproche, ne comprendrait rien à cette loi qui régit l’art et qui en fait l’expression ordinaire du milieu social où il naît, où il vit, où il se développe. Reconnaissons-le : l’art à cette époque ne sut pas toujours garder une sage mesure ; le Bernin et surtout ses disciples décadents exercèrent, par leur exagération dans le mouvement et la sensiblerie dans l’expression, une influence néfaste sur la sculpture italienne.

Il n’en fut pas de même pour Del Cour, élève, lui aussi, du Bernin. Il resta dans de justes limites de mouvement et d’expression. Il se montra toujours noble, digne, plein de grandeur. C’est un honneur à lui rendre, que ses exemples influencèrent heureusement les sculpteurs liégeois, ses contemporains et ses successeurs ; ceux-ci accentuèrent le charme, l’élégance, la préciosité, mais ils furent fidèles au caractère de noblesse et de grandeur imprimé par Del Cour à toutes ses œuvres.

Origine de ses qualités

Et si nous cherchons l’origine des qualités essentielles de son art, nous ne pouvons les trouver que dans la race à laquelle il appartient. C’est là qu’elles plongent leurs racines. Artiste wallon, le grand statuaire liégeois manifeste un art fougueux, imprévu, spontané, généreux, alerte, enthousiaste, mais qui est avant tout intellectuel, vigoureux, mesuré.

Ampleur de son talent

Nous voudrions pouvoir décrire toute l’ampleur de son talent. Il eut un faible pour les représentations de l’enfance sous les traits angéliques.

Il portraitura de grands personnages dans tout le faste de leur costume, le chancelier Lambert de Liverlo, l’évêque d’Allamont, la jeune comtesse de Hinnisdael.

Dans maintes statues, nous reconnaissons de vrais portraits de moines, de religieuses, de gens d’église ou autres, qui lui servirent sûrement de modèles. Et comment dépeindre la véritable beauté classique de certaines de ses figures ? Il profita largement des magnifiques exemples de la renaissance italienne et s’assimila parfaitement la pureté, la noblesse de ses créations.

Il parvint à idéaliser souverainement les traits de l’Homme-Dieu. Son Christ au tombeau de la Cathédrale l’un des plus beaux du genre, son Crucifix du Musée archéologique, sont des modèles de grandeur divine, qu’on surpassera difficilement.

Son étude de la nature

Jean Del Cour ne fut si excellent artiste qu’en étudiant la nature sur le vif, lui  faisant rendre tout ce qu’elle pouvait donner, l’élevant par la force de son génie, à la hauteur de l’idéal, que sa claire et solide intelligence, servie par une extraordinaire habileté, avait entrevu dans ses rêves de beauté, la revêtant enfin de grandeur, de noblesse, de grâce, de charme et de tendresse.

Excellence de son Art

Telle est l’excellence du talent de Del Cour que, selon nous, il faut le regarder comme le digne continuateur de nos célèbres imagiers d’autrefois qui portèrent au loin, jusque dans la capitale des rois de France, le renom de la sculpture liégeoise. Son nom glorieux mérite de figurer à côté de ceux de Jean de Liège, Jean Pépin de Huy, ses illustres devanciers.

Et parmi les maîtres modernes, sans le faire monter au rang d’un Michel-Ange, on peut affirmer à bon droit qu’il égale en talent et en maîtrise les artistes italiens et français, dont la célébrité est consacrée depuis longtemps. S’il eut vécu à Rome, en France, ou même en Flandre, Jean Del Cour n’eût pas attendu une glorification si tardive.

Il est plus que temps que la Cité de Liège rende justice au sculpteur qui l’adopta pour sa seconde patrie ; qu’elle proclame son génie et le salue comme l’une de ses plus belles et plus pures gloires artistiques.

Nomenclature des œuvres de Jean Del Cour

Les œuvres que nous citons ici sont celles qui nous restent et qui ont été identifiées grâce aux indications laissées par les biographes de l’artiste, aux découvertes dans les archives, ou par leur comparaison avec des œuvres authentiques.

    • A Liège
      • La Fontaine de St-Jean-Baptiste, rue Hors-Château. Il y avait là une ancienne fontaine, surmontée par un amas de rochers. En 1667, le Conseil de la Cité la fit réédifier. Nous ne savons quel changement fut apporté à l’architecture du monument : ce qui est certain, c’est que Del Cour l’adorna d’une porte-relief en bronze, représentant le baptême du Christ et de trois dauphins sculptés dans la pierre ; il couronna le tout d’un St- Jean-Baptiste colossal en bronze. (PL IX.)
      • La Fontaine du Perron ou des Trois Grâces, sur le Marché, fut reconstruite par Del Cour à partir de 1693. Il surmonta le perron des figures, en marbre blanc, des trois Grâces, soutenant la pomme de pin. La corniche placée au-dessus des arcades était décorée de six bustes en marbre blanc, représentant des Vertus. En 17 17, afin de les garantir contre les intempéries de l’air, qui les menaçaient de la ruine, on les rentra à l’Hôtel de Ville, où ils ornent aujourd’hui le dessus des portes de la salle des Pas-Perdus. (Pl. XX.)
      • La Fontaine de la Vierge, en Vinâve-d’Ile (1695-1696). La Vierge en bronze fut fondue, dit-on, avec le métal d’un ancien perron qui existait auparavant sur cette fontaine et avec les débris de cuivre du balcon de l’antique Violette ou Maison de Ville, incendiée lors du bombardement de la cité par le général français le marquis de Boufflers, en 1691. (Pl. V.)
      • La Fontaine de la maison Wodon-Mercken, en Féronstrée, nos 121- 123, ancien hôtel seigneurial ; la cour fut ornée par Del Cour, sur la fin du XVIIe siècle, d’une fontaine. Le bas-relief, représentant le Christ conversant avec la Samaritaine, est en stuc ; la fontaine fut surmontée, vers le milieu du XVIIIe siècle, d’une copie en chêne de la Vierge du Vinâve-d’Ile. (Pl. XIV.)
      • Églises.
        • A Saint-Paul se conserve, attaché au-dessus de la porte intérieure de l’entrée principale, le grand crucifix de bronze, posé autrefois sur le Pont des Arches, d’où il fut enlevé à la Révolution. Le modèle fut exécuté par Del Cour en 1663 et la fonte en fut faite par Perpète Wespin, de Dinant. Le Christ au tombeau, placé aujourd’hui dans la chapelle supérieure, à droite du chœur, provient du mausolée que Walthère de Liverlo et Marie d’Ogier s’étaient fait élever en 1696, dans l’église du couvent des Sépulchrines, dit des Bons-Enfants. (Pl. III.)
          Dans la même chapelle, saint Jean-Baptiste prêchant au désert, et les Anges adorateurs, statues en bois. Le saint Jean-Baptiste appartenait à l’ancienne église de St-Jean-Baptiste. (Pl. IV.) Les anges proviennent de l’ancienne abbaye de Ste-Claire.
          Dans le choeur, se voit un aigle-lutrin en cuivre dont le modèle fut donné par Del Cour.
          Dans la première chapelle de gauche, derrière la chaire de vérité, à l’autel se trouve un bas-relief en marbre blanc représentant les Adieux de saint Pierre et de saint Paul, avant de marcher au martyre.
          Le pendant de ce bas-relief, le Christ donnant les clefs à saint Pierre, se trouve au Musée diocésain, dans les cloîtres de St-Paul ; ces deux bas-reliefs proviennent de l’ancienne Collégiale St-Pierre.
        • Au Musée diocésain on peut voir encore une tête d’ange et deux petits bas-reliefs de Del Cour. La statue de Vierge, qu’on lui attribue, n’est pas de sa main, mais sort probablement de son atelier.
        • A St- Jacques. Dans le porche, sous la tour, se voient quelques-unes des statues que Del Cour exécuta pour le transept de cette église : Saint Jacques le Mineur (Pl. XV.) ; Saint Hubert ; Saint Benoît ; Sainte Scolastique (Pl. XVI.) ; Saint Roch.
        • Le Musée des Beaux-Arts, (salle des moulages), conserve le saint Henri, qui provient également de St- Jacques.
        • A St-Denis. Aigle-lutrin dans le chœur ; un petit crucifix en ivoire, dans la salle du Conseil de fabrique.
        • A Ste-Catherine. La statue de la martyre. (Fin du XVIIe siècle.)
        • Aux Rédemptoristes, autrefois l’église des Carmes déchaussés. Au dessus de la porte d’entrée, les lions qui supportent l’écusson avec les armoiries de la maison de Bavière.
        • A St-Antoine. Dans le chœur, saint Joseph et saint Bonaventure. Dans les bas côtés, le Christ Rédempteur ; (Pl. VI.) La Vierge (1693) (Pl. VIL) ; L’Ange gardien ; Saint Sébastien ; Saint Roch ; Saint François d’Assise ; Saint Antoine de Padoue ; La chaire de vérité et plusieurs socles de statues, avec têtes d’anges.
        • A St-Servais. Deux anges adorateurs à l’autel de la Vierge ; un petit Christ en bois.
        • A St-Martin. Dans la chapelle du Sacrement, les bas-reliefs en marbre blanc, que le chanoine de Gymnich commanda à Del Cour ; Le grand Christ ; un crucifix en buis dans le chœur.
        • A St-Pholien. Un petit saint Roch ; Sainte Barbe.
        • A St-Nicolas (Outremeuse). Deux anges soutenant une couronne à l’autel de l’antique madone, et le grand Christ du fond de l’église.

Les maquettes d’un grand nombre de ces statues sont conservées au Musée diocésain, au Musée des Beaux-Arts et au Musée archéologique. Celui-ci possède également un beau Christ de Del Cour (Pl. II) ; ainsi que le buste de Lambert de Liverlo, chancelier du prince-évêque de Liège (Pl. XVII) et un coq qui a dû servir d’enseigne. L’Hôtel d’Ansembourg possède également quelques dessins de l’artiste ; qui proviennent de la collection Hamal.

En dehors de Liège, les seules œuvres connues aujourd’hui sont :

    • A Amay. La Vierge assise du maître-autel ; Deux anges adorateurs et les symboles de la Foi et de l’Espérance, également au maître-autel ; un calvaire avec deux anges.
    • A Huy. Dans l’Eglise St-Mengold, la pierre tombale en marbre blanc des Martini (1687) sous le jubé. (Pl. XVIII.)
    • A Xhignesse. Deux anges et une porte de tabernacle.
    • A Dolhain. Deux anges adorateurs.
    • A Spa. Le médaillon de la Confrérie du saint Sacrement (1669).
    • A Tongres. En l’église de l’hôpital, le mausolée de la comtesse de Hinnisdael (1097-1098). (Pl. XIX.)
    • A Hasselt. En l’église Notre-Dame, l’autel où se remarquent surtout une Immaculée (Pl. X) ; un saint Bernard (Pl. XI) et deux anges adorateurs (Pl. XII et XIII). Ces statues sont en marbre blanc. Dans la même église, la chaire de vérité. Tous ces objets proviennent de l’abbaye de Herckenrode.
    • A Gand. Le mausolée de l’évêque d’Allamont qui fut chanoine de Saint-Lambert (1673).

Cette notice est un résumé très succinct d’un travail plus étendu sur Del Cour que l’auteur se propose de faire paraître prochainement. Les seuls biographes de l’artiste ont été jusqu’ici :

      • Louis Abry, Les Hommes illustres de la nation liégeoise.
      • Louis Abry, Recueil héraldique, paru sous le nom de Loyens.
      • Saumery, Les Délices du pays de Liège.
      • Le chanoine Hamal, dans un manuscrit aujourd’hui détruit, qu’ont mis à profit d’abord le baron de Villenfagne dans les Recherches sur  l’histoire de la ci-devant principauté de Liège et les Mélanges de littérature et d’histoire, ensuite Helbig, dans ses deux ouvrages la Peinture au pays de Liège et la Sculpture et les Arts plastiques au pays de Liège et sur les bords de la Meuse.

Justin MORET (1900)


PLANCHES

Les reproductions que nous donnons ici ont été exécutées d’après des clichés que, sur notre désir, M. le docteur Mathien, M. Kinon et d’autres, ont bien voulu prendre des œuvres attribuées à Del Cour.

Planche I. Portrait du sculpteur

(photo du Dr Mathien) Portrait du Sculpteur JEAN DEL COUR à l’âge de 58 ans par son frère Jean-Gilles (Musée des Beaux- Arts de Liège)
© Le Grand Curtius (Liège)

Planche II. Petit crucifix en bois

(photo du Dr Mathien) Petit crucifix en bois (Musée Archéologique)

Planche III. Christ au tombeau

(photo du Dr Mathien) Christ au tombeau (1696, mausolée de Walthère de Liverlo et de Marie d’Ogier, autrefois dans l’église du Couvent des Bons-Enfants, aujourd’hui à la Cathédrale de Liège)
© cirkwi

Planche IV. Saint Jean-Baptiste prêchant au désert

Planche IV. (photo du Dr Mathien) Saint Jean-Baptiste prêchant au désert (1682, statue en bois de l’ancienne église de Saint- Jean-Baptiste, aujourd’hui à la Cathédrale de Liège)
© Flamenc

Planche V. La Vierge

Planche V. (photo du Dr Mathien) Vierge (1695-1696, statue en bronze de la Fontaine du Vinâve-d’Île)
© RTBF

Planche VI. Le Christ rédempteur

Planche VI. (Photo du Dr Mathieu) Le Christ rédempteur (Statue en bois de l’église Saint-Antoine, à Liège)

Planche VII. Vierge de Montaigu

Planche VII. (photo du Dr Mathien) Vierge dite de Montaigu (1693, église Saint-Antoine, à Liège)
© Grand Curtius (Liège)

Planche VIII. Ange gardien

Planche VIII. (photo du Dr Mathien) Ange gardien (statue en bois dans l’église Saint- Antoine, à Liège)

Planche IX. Fontaine de Saint-Jean-Baptiste

Planche IX. (photo du Dr Mathien) Fontaine de Saint-Jean-Baptiste (1667, rue Hors-Château, à Liège)

Planche X. L’immaculée

Planche X. (photo de M. Kinon) L’immaculée (1685, statue en marbre blanc de l’ancien autel de Herckenrode, aujourd’hui dans l’église de Notre-Dame, à Hasselt)

Planche XI. Saint-Bernard

Planche XI. (photo de M. Moreau) Saint-Bernard (1685, statue en marbre blanc de l’ancien autel de Herckenrode, aujourd’hui dans l’église de Notre-Dame, à Hasselt)

Pl. XII. Ange adorateur du Sacrement du miracle

Planche XII. (photo de M. Kinon) Ange adorateur du Sacrement du miracle (1685, statue en marbre blanc de l’autel de Herckenrode, aujourd’hui dans l’église de Notre-Dame, à Hasselt)

Planche XIII. Ange adorateur du Sacrement du miracle

Planche XIII. (photo de M. Kinon) Ange adorateur du Sacrement du miracle (1685, statue en marbre blanc de l’autel de Herckenrode, aujourd’hui dans l’église de Notre-Dame, à Hasselt)

Planche XIV. Jésus conversant avec la Samaritaine

Planche XIV. (photo du Dr Mathien) Jésus conversant avec la Samaritaine (vers 1700, fontaine de la maison Wodon-Mercken, bas-relief en stuc, surmonté d’une copie en chêne de la Vierge du Vinâve-d’Île)

Planche XV. L’apôtre Saint-Jacques-le-mineur

Planche XV. (photo du Dr Mathien) L’apôtre Saint-Jacques-le-mineur (statue en bois dans l’église Saint-Jacques, à Liège)

Planche XVI. Sainte-Scolastique

Planche XVI. (photo de M. Piron) Sainte-Scolastique (statue en bois dans l’église Saint-Jacques, à Liège)

Planche XVII. Chancelier Lambert de Liverlo

Planche XVII. (photo du Dr Mathien) Chancelier Lambert de Liverlo (1673, buste en bronze)

Planche XVIII. La vie et la mort

Planche XVIII. (photo de M. Kinon) La vie et la mort  (1687, marbre tombal des Martini, dans l’église Saint Mengold, à Huy)

Planche XIX. Statue en marbre blanc

Planche XIX. (photo de M. Kinon) Statue en marbre blanc du mausolée de la comtesse de Hinnisdael, morte à 22 ans (1697-1698, église de l’hôpital, à Tongres)

Planche XX. Les trois Grâces

Planche XX. (photo du Dr Mathien) Les trois Grâces (1693, groupe en marbre de la Fontaine du Perron, sur la place du Marché, à Liège, d’après le moulage du Musée des Beaux Arts)
Le livret intégral est disponible dans la documenta…

DEL COUR, Jean (1627-1707)

[CONNAITRELAWALLONIE.WALLONIE.BE] DEL COUR Jean (Hamoir 1627, Liège 04/04/1707). Sculpteur admiré de son temps, Jean Del Cour n’a pas perdu de sa notoriété avec le temps. Ses œuvres multiples de style baroque contribuent à l’éclat de Liège, de l’église Saint-Jacques (où un triomphal ensemble présente deux de ses chefs-d’œuvre, le Saint Jacques le Mineur et l’Immaculée Conception) au pont des Arches (il y avait érigé un christ en bronze grandeur nature) en passant par certaines chambres du palais des princes-évêques, par les bas-reliefs de l’église Saint-Martin, voire par la fontaine de Vinâve-d’Île surmontée d’une Vierge à l’Enfant. Il choie aussi la cathédrale Saint-Bavon à Gand, et d’autres églises à Spa, Herkenrode, Huy, etc.

Aîné de cinq enfants, dont le peintre Jean-Gilles, Jean Del Cour a appris le travail du bois auprès de son père menuisier et abandonné ses études au profit du dessin et de la sculpture ; il a fréquenté l’atelier de Robert Henrard, lui-même disciple de François du Quesnoy. Très tôt remarqué, il fait le voyage à Rome (1648-1657) avant de contribuer, dans la principauté de Liège, à l’épanouissement du style baroque fortement tempéré de classicisme. Ses sujets sont principalement destinés aux édifices religieux, mais pas seulement ; il manie avec dextérité toutes les matières (bois, marbre, terre, etc.). Les œuvres de Jean Del Cour s’imposent à celles de ses prédécesseurs et le maître devient le fondateur de l’école liégeoise de sculpture des XVIIe et XVIIIe siècles. Sculpteur, architecte, maçon, entrepreneur, on lui doit encore un Christ au tombeau en marbre blanc (destiné aux Sépulchrines et conservé à la cathédrale Saint-Paul), mais surtout la « réparation » de la grande fontaine du Marché de Liège : en fait, il va l’embellir par la présence de Trois Grâces et la mise en valeur du fameux perron liégeois ; le souvenir du sculpteur reste associé à cet édifice, même si ce que l’on voit aujourd’hui diffère beaucoup avec les intentions de l’artiste.

Paul Delforge, Institut Jules Destrée


MORET, Justin (1862-1928)

[MAITRON.FR, mars 2021] MORET Justin (abbé, Fraiture-en-Condroz – aujourd’hui commune de Tinlot, pr. Liège, arr. Huy – 24 avril 1862 − 15 mai 1928). Prêtre, soutien de la démocratie chrétienne dans la région de Verviers (pr. Liège, arr. Verviers). Ordonné prêtre et nommé vicaire dans la paroisse Saint-Joseph à Verviers le 24 mai 1885, l’abbé Justin Moret est un des prêtres qui soutiennent au début des années 1890 la jeune démocratie chrétienne verviétoise, animée par les avocats, Henri Boland, Alphonse Collard-Bovy et Henri Maquinay. Justin Moret contribue au développement du mouvement syndical à Verviers. Le 8 novembre 1892, il fonde un syndicat chrétien des peintres qui participe aux adjudications publiques de travaux de peinture. Dès qu’un chantier lui est adjugé, son exécution est donnée à des syndiqués au chômage, désignés par tirage au sort. Collaborateur du journal de l’Union démocratique chrétienne de Verviers, Le Démocrate, l’abbé Moret est éloigné de Verviers en juillet 1893 en raison d’articles jugés “inconvenants” par le curé-doyen de Verviers. Il est nommé curé à Velroux (aujourd’hui commune de Grâce-Hollogne, pr. Liège, arr. Liège). Il sera ensuite désigné curé de Surlemez (anciennement commune de Couthuin, aujourd’hui commune d’Héron, pr. Liège, arr. Huy) en juillet 1913 et y restera jusqu’à son décès.

Freddy Joris


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : transcription, partage, correction, édition et iconographie | sources : collection privée ; connaitrelawallonice.wallonie.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : collection privée ; rtbf.be | Remerciements à Eric Rozenberg.


Plus de sculpture en Wallonie…

VAN HEULE : Le meuble liégeois (1952)

Temps de lecture : 7 minutes >

Cette notice sur le meuble liégeois devait paraître dans la feuille intitulée ART MOSAN éditée à Liège, à l’occasion de l’exposition de 1951. En dernière minute, l’article de fond ayant dépassé les limites prévues, la notice ci-dessous, déjà imprimée en épreuve, dut être supprimée. Très aimablement, M. G. Thone et M. J. Lejeune m’ont proposé d’en faire un tirage spécial en y ajoutant une série de planches dont les clichés m’ont été prêtés par l’Institut archéologique liégeois. Que tous trouvent ici l’expression de ma reconnaissance.

H. van Heule

Si l’art est né d’une conception spiritualiste, son évolution est due à une suite de courants étrangers, d’échanges, auxquels chaque peuple apporte son génie propre. D’où différenciation dans l’unité. S’il est un art dans lequel les Liégeois ont excellé, c’est bien celui du meuble.

Le meuble est né d’une nécessité, celle de rendre la vie plus commode [sic] et de conserver des objets précieux en les mettant à l’abri des déprédations ou des tentations.

Au début, bancs, sièges pliants, tabourets pour s’asseoir, planches sur tréteaux en guise de table, lits, coffres formés de lourdes planches maintenues à queue d’aronde, c’était rustique. La recherche, l’élégance vinrent ensuite.

Les coffres furent d’ailleurs, avec les lits, les seuls gros meubles jusqu’à la fin du XIVe siècle. À l’occasion, ils servaient même de lit. Sinon, on y entassait vêtements, vaisselle, tapis, et, quand on en possédait, les bijoux. On ne s’encombrait pas, en ce temps-là. De plus, en cas d’alerte ou de déménagement, ce qui était fréquent, le tout demandait un minimum de préparation au départ. Les coffres chargés étaient emportés par l’animal de bât, cheval ou âne, ou posés sur un char.

Au cours des âges, les coffres s’étaient agrémentés de pentures en fer forgé, de solides serrures par surcroît de sécurité. S’ils étaient robustes, ils étaient aussi très pesants. On chercha à les rendre plus maniables. Les coffres furent travaillés à panneaux dès avant le XIVe siècle, travail de menuiserie plus souple, qui leur conférait une certaine élégance grâce au jeu des ombres et des lumières. Bientôt les panneaux s’ornèrent de fines arcatures inspirées par les dessins des fenestrages de nos églises, de serviettes plissées ou parchemins repliés. De menuisier, l’artisan passait ébéniste, sculpteur ; il devenait un artiste.

Quelques beaux coffres gothiques sont conservés dans nos musées liégeois, celui du Musée diocésain date du XIVe siècle ; d’autres, au musée Curtius, appartiennent aux XVe et XVIe siècles.

De la conjugaison du menuisier et de l’ébéniste, les productions allaient devenir aussi heureuses que fécondes. Les types de meubles se multiplièrent afin de s’adapter aux nécessités d’une existence rendue plus facile. L’artiste, protégé, pourra donner libre cours à son imagination : le meuble en série est une invention moderne. Les coffres reposèrent, sur une base les rendant mieux à portée de la main. Du coffre posé sur une base, tout naturellement on passa au dressoir.

Au XVIe siècle, les églises, les monastères, par destination plus sédentaires, disposant de plus d’espace, souvent aussi d’un personnel artisanal très compétent, purent s’offrir le luxe d’imposantes armoires, dont quelques-unes ont réussi à braver les siècles.

Comme pour les coffres, le décor, d’inspiration architecturale au début, empruntera ensuite des motifs puisés dans la nature tout en les stylisant. Témoins, le coffre et l’armoire influencés par le style gothique anglais (gothique Tudor), avec leurs moulures formant des courbes, des contrecourbes : décor en X autour desquels s’enroulent des pampres, conservés au musée Curtius.

Sous le souffle d’un courant venu d’Italie lors du règne d’Erard de la Marck (1505-1538), le style Renaissance, si en honneur dans la péninsule et en France, fait son entrée dans l’art liégeois. Il s’y est tempéré. L’armoire liégeoise du deuxième quart et du milieu du XVIe siècle, tout en gardant une structure encore gothique, s’orne de personnages dans des arcatures, même de motifs puisés au répertoire des céramistes. Les pentures ont un rôle plus discret. Evidemment, tous ces meubles sont devenus rarissimes.

Autre changement d’aspect au XVIIe siècle, le type du meuble brabançon prédomine : lourds bahuts avec corps supérieur en retrait et corniche débordante ; décor en méplats, pastilles en chapelet, pointes de diamants, godrons, mufles de lion retenant un anneau en cuivre. Les pentures ont disparu. Le chêne ciré a la prédilection des Liégeois. Les incrustations d’ébène, recherchées aux Pays-Bas, sont plus rarement employées. Les tables sont à traverses ou entretoises, les sièges aux lignes nettes et rigides, recouverts de cuir ou de tapisserie, agrémentés de clous de cuivre. A côté des gros bahuts, viennent se ranger les meubles d’importation dans le goût italien : ces charmants cabinets à multiples tiroirs en bois d’essences variées, incrustés d’écaille, d’ivoire, de cuivre ou d’étain, dont beaucoup furent l’œuvre des Fokkerhout, à Anvers. C’était cossu et bien en rapport avec le costume aux lourdes étoffes, avec la pompe de cette époque. Tous ces beaux meubles résultent de commandes que seuls pouvaient se permettre certaines catégories de personnages, disposant aussi chez eux de place suffisante pour les caser. En effet, c’est du XVIIe siècle que date l’essor de la grande industrie liégeoise, source de sa prospérité.

Mais, pour nous, le meuble liégeois, c’est le meuble du XVIIIe siècle. Cette période est aussi la mieux connue, parce que plus proche de nous ; le temps, de sa dent vorace, n’est pas encore arrivé à en avoir raison.

Le soleil de Louis XIV éblouissait tout l’Occident, mais ses rayons n’aveuglèrent pas les Liégeois. Mesurés et réfléchis, ils surent, intelligemment adapter le faste français en le ramenant à leurs proportions. Et voilà pourquoi, avec goût, avec tact, nos huchiers créèrent des œuvres parfaites.

Au XVIIIe siècle, le standard de vie s’était considérablement amélioré. Liège, capitale d’un petit Etat quasi indépendant, comptait un important patriciat, tant ecclésiastique que séculier. Que d’hôtel construits ou transformés à partir de 1691, après le bombardement de la ville par le marquis de Boufflers !

Que l’on songe à l’hôtel de ville, aux hôtels particuliers d’une si harmonieuse architecture de la rue Hors-Château, de Féronstrée, du Mont-Saint-Martin, de la Basse Sauvenière, et j’en passe; aux maisons plus modestes, mais si jolies quand même, des rues Neuvice, du Pont, de la place du Marché. La décoration intérieure ne pouvait que suivre : sculptures des portes, des lambris, des volets, des hottes de cheminée, des départs d’escaliers, encadrements de trumeaux ou de tableaux ; stucages des plafonds et des murs ; peintures décoratives dans le goût chinois, singeries (sous Louis XV) ; paysages, scènes de genre ou religieuses ; riches tapisseries de Bruxelles ou d’Audenarde… De tels cadres ne pouvaient que servir d’écrin à de beaux meubles.

Les ébénistes liégeois ne faillirent pas à leur tâche. Fort d’une longue tradition, le travail du bois n’avait plus aucun secret pour eux. En plein chêne, ils manièrent le ciseau ou la gouge avec dextérité, avec souplesse et légèreté, évitant les reliefs exagérés. Chez eux tout était mesure et équilibre.

Les créations se multiplièrent en raison même du confort enfin découvert : chaises aux sièges rembourrés ou cannés, aux dossiers de mieux en mieux adaptés aux courbes du dos, fauteuils savamment étudiés en fonction de leur destination, invitant au repos ou à la causerie, Les tables, elles, sont toujours de petite dimension. On continue à se servir de planches posées sur tréteaux pour les repas réunissant de nombreux convives. Mais le triomphe des ébénistes liégeois est incontestablement l’armoire, que ce soit le bahut à simple ou à deux corps, souvent le corps supérieur vitré ; que ce soit la garde-robe, l’horloge en gaine, le bureau à abattant, appelé scriban, les commodes à trois ou quatre tiroirs, rectilignes avec les styles Louis XIV ou Louis XVI, galbées ou mouvementées pour le Louis XV. Presque toujours, ces meubles sont à pans coupés, ce qui leur confère un caractère de légèreté en adoucissant le profil. Souvent, ils forment des combinaisons : un dessus plein ou vitré se posait tout aussi aisément sur une commode ou un scriban que sur un bahut à deux ou trois portes, munis ou non de tiroirs.

Toutes les fantaisies se donnaient libre cours suivant le caprice du client qui passait la commande. Aux moulures, tantôt symétriques, tantôt asymétriques, selon l’ordonnance Louis XIV ou Louis XV, rectilignes avec le style Louis XVI, s’ajoutent de fins décors inspirés de la nature : branches fleuries auxquelles se mêlent les palmettes Louis XIV, les coquilles Régence, les rocailles, les courbes et contrecourbes Louis XV.

Bahut Louis XIV liégeois © drouot.com

Les styles Louis XIV et Louis XV furent connus à peu près en même temps à Liège. Nos ébénistes les amalgamèrent et créèrent un style Régence, bien à eux, qui s’éloigne du calme, de la statique du décor Louis XIV et rejette l’exubérance agitée du décor Louis XV. Il fait incontestablement leur gloire et leur tresse une couronne impérissable. Quant aux meubles Louis XVI, leurs moulures en sont fréquemment brisées : chapelets formés de bâtonnets, de perles, ou les deux motifs associés, alliés à de délicats décors floraux accompagnés de trophées, de nœuds de ruban plissé très gracieux. La décoration du meuble liégeois de l’époque Louis XVI est infiniment plus légère que celle de ses prédécesseurs, plus gracile, et, comme en France, malgré la délicatesse des sculptures, elle annonce la décadence.

Le bois de chêne ciré continuait à avoir la faveur des Liégeois, mais les meubles de marqueterie n’étaient pas dédaignés. Ceux-ci semblent avoir été fabriqués plus particulièrement dans la région de Verviers, témoins les nombreux scribans, les commodes mouvementées ou galbées que l’on y trouve.

Une étude approfondie du meuble liégeois est encore à faire. Il serait possible de mieux dégager les différents centres où œuvrèrent nos artistes, parce qu’ici, le régionalisme joue son plein effet. De plus, les recherches dans les archives permettraient peut-être de rendre un juste hommage à des artistes restés inconnus et d’ajouter leur nom à ceux des Lejeune, des Mélotte, des Herman, dont nous sommes justement fiers.

H. van HEULE, Conservatrice honoraire
des musées archéologiques liégeois

Téléchargez la brochure complète ici…

Tous les meubles figurés sur les planches disponibles dans la DOCUMENTA, ainsi que beaucoup d’autres, sont exposés dans les Musées de la Ville de Liège :


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : transcription, correction, édition et iconographie | sources : collection privée |  contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, le Musée d’Ansembourg © Visitez Liège ; © drouot.com.


Documenter encore en Wallonie…