CHARLIER Jacques, Groupe Total’s / Drapeau transparent / Bruxelles / 24 avril 1967
(impression offset sur plexiglas, 40 x 30 cm, s.d.)
Dès le début de sa carrière, Jacques CHARLIER s’inscrit dans les grands mouvements des années 1960, dont le Pop Art. Avec Marcel Broodthaers, il fréquente les galeries belges les plus en vue, imprégnées d’art minimal et conceptuel. Dès 1975, Charlier continue sa carrière seul. Il interroge et remet en question avec humour le système de l’art. Il s’approprie tous les médias : la peinture, la photographie, l’écriture, la BD, la chanson, l’installation. Il se met en scène en personnage flamboyant et joue avec les codes de la publicité et des médias. (d’après MAC-S.BE)
Jacques Charlier lance en 1966 une petite revue polycopiée, ainsi qu’un groupe organisant des happenings : Total’s. “[Total’s] n’est ni doctrine, ni philosophie, ni politique, ni anarchiste, ni beatnik, ni provo, ni tout ce beau vocabulaire journalistique déformé pour la consommation engendrant un racisme artificiel entre générations et groupes sociaux. Total est le spectacle de la vie et de notre propre vie.” L’un des happenings les plus marquants est celui durant lequel Total’s, un jour de manifestation contre le nucléaire en 1967, défila dans les rues de Bruxelles en distribuant des tracts transparents et en brandissant un drapeau qui l’est tout autant. (d’après JACQUESCHARLIER.BE)
Pierre HOUCMANT (1953-2019) s’inscrit à 19 ans à l’Institut Supérieur des Beaux-arts Saint-Luc de Liège, où il suit les cours du photographe Hubert Grooteclaes jusqu’en 1974. La photographie commerciale ne le séduit guère. Seule la photographie créative l’attire. Occupé par une série qu’il a nommée “Interversions”, il expose beaucoup à l’étranger. Toutefois, la fréquentation de plasticiens influencés par Marcel Duchamp fait basculer ses intérêts vers des réalisations où le concept prime sur l’émotion. Au début des années 1990, il s’intéresse à l’image du corps qu’il fragmente. Parallèlement, il réalise une série de portraits d’écrivains.
Cette photographie fait partie de la série “Interversions”. Elle présente des portraits de femmes fragmentés, reliés à des éléments plastiques. La poésie de la composition laisse au regardeur le soin d’imaginer une narration ou la rêverie de la contemplation. C’est un tirage argentique sur papier baryté.
FAYARD Sébastien, Sébastien Fayard va plaquer sa petite amie
(photographie, 20 x 25 cm, 2014)
Sébastien FAYARD est un comédien et performeur français vivant à Bruxelles. Il a étudié le secrétariat, la comptabilité, le cinéma, la musique, la photographie et le théâtre. Il collabore avec différents metteurs en scène, chorégraphes et artistes plasticiens dont la compagnie System Failure avec qui il se produit régulièrement sur scène. Depuis quelques années, il mène différentes recherches photographiques et vidéographiques et poursuit la série “Sébastien Fayard fait des trucs.” En parallèle, il décline ce projet en petits films dans une série appelée “Sébastien Fayard filme des navets” et sillonne les festivals de courts-métrages européens. (d’après l’ancien site officiel de l’artiste SEBASTIENFAYARDFAITDESTRUCS.COM)
Sébastien Fayard livre ici une série en cours, inédite, de clichés qui détournent, c’est le cas de le dire, des clichés. Le procédé est simple mais inusable : prendre les choses au pied de la lettre, exploiter les ambiguïtés et les doubles sens des phrases toutes faites, des métaphores éculées, des formules journalistiques, des poncifs en vogue. Faisant ses trucs, il en défait pas mal d’autres – des attentes, des snobismes, des poses et des postures, des idées reçues, des présupposés logiques. Pour bien comprendre il faut se méprendre, et accepter surtout un paradoxal et étroit entrelacs entre stupidité et lucidité. (d’après YELLOWNOW.BE)
Michel BEINE (né en 1967) enseigne en cours du soir à Saint-Luc Liège depuis 2004. Photographe-voyageur, il ne dévoile pas largement la réalité. Au contraire, il épure au maximum pour nous faire pénétrer dans des lieux à travers de multiples fragments qui sont autant de pièces d’un puzzle qui construisent une expérience de voyage. Ses images sont davantage des évocations que des illustrations, elles cachent plus que ce qu’elles montrent, laissant à l’imagination la liberté de construire ses pérégrinations. (d’après SPACE-COLLECTION.ORG)
Cette photographie très frontale a été exposée à Huy au début de l’année 2015, accompagnée de textes d’Emmanuel d’Autreppe. Tangerinn… quelques secrets de famille proposait “des histoires de famille. Un secret, ou une infinité. (…). Une mémoire s’échange et se raconte, un puzzle s’ébauche (…) via quelques mots si communs – révélation, transmission, suggestion, trahison… – et à travers le vertige plat, silencieux d’images banales, mais à double fond.” (Galerie Juvénal)
[FRANCETVINFO.FR, 29 février 2024] Femme à la vie romanesque et militante communiste, Tina Modotti a photographié le Mexique de la période post-révolutionnaire, portant un regard empathique sur le petit peuple. Longtemps absente de l’histoire de la photographie, elle est au Jeu de Paume à Paris, jusqu’au 12 mai 2024. Photographe, militante, citoyenne du monde, elle a vécu en Italie, au Mexique, en Union soviétique, en Espagne. Femme au destin exceptionnel, Tina Modotti a longtemps été oubliée. Le Jeu de Paume présente la plus grande exposition en France de son œuvre réalisée pour l’essentiel au Mexique dans les années 1920, avec 240 tirages, pour la plupart d’époque, dont de nombreux inédits.
Tina MODOTTI (1896-1942) est née à Udine (Italie). À partir de 12 ans, elle est ouvrière dans une usine textile. À 16 ans, elle traverse l’Atlantique toute seule pour rejoindre son père émigré à San Francisco où elle travaille comme couturière, mannequin puis fait du théâtre et tourne dans des films muets. Elle écrit aussi des poèmes. “Cette jeune femme qui n’était presque pas allée à l’école a une appétence naturelle pour la culture”, souligne Isabel Tejeda Martín, la commissaire de l’exposition.
Photographier l’humain
En 1921, à Los Angeles, elle rencontre le photographe Edward Weston dont elle devient le modèle et l’amante. Ses portraits nous montrent une femme au visage expressif et intense. En 1922, elle fait un premier séjour au Mexique, pays qui vit une grande effervescence politique et culturelle après la révolution de 1910. Elle convainc Weston d’y retourner avec elle. “Ça me parait important de le souligner, ce n’est pas elle qui part avec Weston mais Weston qui part avec elle”, précise la commissaire. Jusque-là, Modotti était devant l’objectif, elle décide de passer de l’autre côté et demande à Weston de lui apprendre à faire des photographies. Ses images seront toujours marquées par le formalisme qu’il lui enseigne, mais dès le départ, attentive à l’humain et aux injustices sociales, elle développe un style personnel.
L’exposition confronte ses premières images à celles de Weston, sur les mêmes sujets. Quand il réalise des photos posées et mises en scène très formelles de Luz Jimènez, une amie traductrice de langues indigènes, elle la montre en gros plan, avec son bébé et s’intéresse à la relation entre la mère et l’enfant. “Dès 1924, Modotti a un regard très différent de ce que lui a enseigné son maître. C’est important de se souvenir qu’elle a travaillé quand elle était enfant, que c’était une femme de milieu modeste. Pour moi, quand elle passe de l’autre côté de l’appareil et qu’elle photographie les Mexicains, elle reste des deux côtés de l’objectif. C’est ce que j”ai appelé son ‘regard incarné’, un regard empathique”, explique Isabel Tejeda Martín.
Tina Modotti commence avec un gros appareil Corona qu’elle troque en 1926 pour un Graflex, plus léger, qui lui permet de travailler facilement dans la rue où elle photographie le peuple mexicain, les paysans sans terre, les femmes portant des paniers ou des cruches sur la tête, la lessive à la rivière, des scènes de marché, des fêtes populaires.
Photographe des muralistes
Elle est aussi proche des milieux artistiques et intellectuels au moment où ce qu’on a appelé la Renaissance mexicaine, une période où on s’interroge sur ce que c’est qu’être mexicain. Elle est la photographe officielle des artistes muralistes, Diego Rivera, José Clemente Orozco, Jean Charlot. Elle fait connaître le mouvement dans le monde entier et c’est notamment grâce à ses images que le directeur du MoMA à New York, Alfred Barr, découvre le muralisme. Elle est aussi la photographe de Mexican Folkways, une revue dirigée par l’anthropologue américaine Frances Toor, qui parle de l’histoire des peuples indigènes.
Depuis longtemps proche de la gauche, Tina Modotti adhère en 1927 au parti communiste mexicain et met son art au service de la cause politique, produisant des images plus symboliques et allégoriques. En photographiant en plongée, le 1er mai, des paysans qui portent tous le même chapeau, “elle exprime l’unité des paysans, une force qui peut lutter unie”, commente Isabel Tejeda Martín. Pour symboliser la révolution et le communisme, elle fait des natures mortes en associant une faucille, une cartouchière, un épi de maïs et une guitare ou un manche de guitare. Car “la musique a joué un rôle très important dans la révolution mexicaine, comme élément qui unit”, souligne la commissaire.
De nombreuses publications, de Mexico à Berlin
Sa célèbre Femme au drapeau marche avec détermination vers la liberté. Tina Modotti photographie des travailleurs lisant El Machete, le journal du parti communiste, images qui célèbrent l’idée d’une diffusion de la pensée révolutionnaire grâce à l’écrit et évoquent la question de l’importance de l’instruction publique. Tina Modotti est d’ailleurs la photographe d’El Machete.
Revues et journaux “ont été le moyen de diffusion le plus important de l’œuvre de Modotti qui a beaucoup publié au Mexique, mais aussi aux États-Unis, en Union soviétique et énormément en Allemagne”, explique Isabel Tejeda Martín. Elle n’a pas exposé sauf à la Bibliothèque nationale de Mexico en 1929.
L’année suivante, accusée à tort d’avoir participé à un complot pour assassiner le président, elle est expulsée du Mexique. Elle passe quelques mois à Berlin mais elle est déprimée. Elle produit quelques photos ironiques, un couple bien nourri au zoo, des bonnes sœurs à côté d’une statue dénudée. Seule la maternité lui inspire de l’empathie.
Elle quitte Berlin pour Moscou où elle travaille pour le Secours rouge international, organisation de solidarité, qui l’envoie en Espagne où elle va être très active pendant toute la guerre civile, s’occupant de l’organisation des hôpitaux, de l’évacuation d’enfants, coordonnant un congrès antifasciste.
Jamais oubliée au Mexique
Quand elle fuit l’Espagne franquiste en 1939, après la défaite des Républicains, c’est une femme épuisée et détruite qui regagne sous un faux nom le Mexique où elle est toujours interdite de séjour. Elle y mourra en 1942, à 45 ans, d’une crise cardiaque.
On ignore si Tina Modotti a fait des photos en Union soviétique et en Espagne. “Certains disent qu’elle a jeté son appareil photo dans une rivière, d’autres qu’elle a passé toute la Guerre d’Espagne avec un appareil au cou”, raconte Isabel Tejeda Martín. Elle a eu une vie romanesque et ses biographes l’ont beaucoup romancée. Par exemple, certains avancent qu’elle a été empoisonnée, ce que sa famille n’a jamais confirmé, expliquant qu’elle souffrait depuis longtemps de problèmes cardiaques.
On connaît aujourd’hui environ 400 tirages de la photographe, mais on continue à en découvrir. “Quand j’ai commencé à travailler sur Tina Modotti, au milieu des années 1990 en Italie, elle apparaissait très peu dans l’histoire de la photographie”, souligne Isabel Tejeda Martín. “Quand elle était mentionnée, c’était comme modèle et compagne d’Edward Weston ou comme élève du photographe américain.” Le maccarthysme et l’anticommunisme aux États-Unis et le fait qu’elle soit une femme peuvent expliquer cette exclusion.
Mais la commissaire de l’exposition rappelle que Tina Modotti n’a jamais été oubliée au Mexique où elle reste une référence absolue pour les photographes mexicains, d’Agustín Gimènez à Manuel Alvárez Bravo.
Valérie Oddos, France Télévisions – Rédaction Culture
[HARPERSBAZAAR.FR] Elle voulait changer le monde, à commencer par le sien, et s’y est investie de tout son cœur. Même si sa période créatrice n’a duré que sept ans et que sa production reste modeste (autour de 300 images), Tina Modotti s’est affirmée en tant que photographe passionnée, avant-gardiste, savourant l’existence jusqu’à l’excès, au mépris des conventions.
Quatre-vingts ans après sa disparition, son œuvre engagée fait l’objet d’une ambitieuse rétrospective au Jeu de Paume (Paris). L’occasion de redécouvrir la vie rocambolesque de cette sensuelle Italienne, devenue l’une des plus grandes artistes du XXe siècle – Madonna et Mick Jagger sont de fervents admirateurs.
Née en 1896, elle quitte son Italie natale à l’âge de 17 ans pour rejoindre son père et sa sœur à San Francisco, qui y sont installés depuis quelques années. Ici, la jeune femme travaille d’abord en tant que couturière, puis mannequin cabine dans un grand magasin, avant de se tourner vers le cinéma où, repérée par un chasseur de têtes, elle se révèle en actrice du muet. Elle emménage ensuite à Los Angeles, où elle fréquente les milieux bohèmes et rencontre le photographe, déjà célèbre, Edward Weston. Ils deviennent amants et partent vivre au Mexique, durant la période post-révolutionnaire.
Le pays connaît à cette époque un formidable bouillonnement culturel porté par une vie artistique intense. Tina Modotti s’initie alors à la photographie et acquiert très vite une renommée internationale. Citoyenne engagée, proche de Diego Rivera et Frida Kahlo, elle aspire à l’invention d’une société nouvelle qu’illustrent et incarnent ses convictions communistes, livrant un constant combat social, intellectuel et pictural. Ses images, à la limite de l’abstraction, mettent à vif les douleurs humaines, pour montrer la frontière, fragile, entre splendeur et misère. “J’essaie de réaliser non de l’art mais d’honnêtes photographies”, disait-elle avec humilité.
En 1930, accusée de complicité dans un acte terroriste, elle quitte le Mexique et abandonne la photo. Une crise cardiaque, à l’âge de 45 ans, met un point final à l’existence hors du commun de cette passionnée qui a eu plusieurs compagnons, posé nue, fumé le cigare et fut l’une des premières femmes à porter le jean : pas si banal il y a presque cent ans.
(photographie numérique sur Plexiglas, 42 x 60 cm, 2016)
Frédéric WINAND est né le 15 février 1990 à Liège, où il réside actuellement. Il obtient une licence d’arts plastiques et visuels à l’Ecole Supérieure des Arts Saint-Luc où il présente, pour clôturer ses trois années d’études, Utopitev, une balade photographique au travers de la nuit. Depuis lors, il poursuit ses recherches sur la nuit et le noir, les interactions entre les humains et les corps célestes, le vide et le plein, le plein de vide, le temps et la distance, les années-lumière, les jeux et les mots, les jeux de mots, et la solitude des étoiles. (F. Winand)
La photo est floue. A tel point que le spectateur doit l’observer un certain temps avant de discerner un personnage, vêtu d’une chemise orange. Le texte : “een land valt uiteen in twee kampen. het ene streeft naar onhafankelijkheid. misschien is dit geen fictie.” vient alors nous éclairer. Il s’agit d’une référence à l’émission Bye bye Belgium émission spéciale de la RTBF diffusée le 13 décembre 2006. Il s’agissait d’un faux documentaire. Alors que les téléspectateurs viennent de regarder le Journal télévisé, une édition spéciale diffusée en direct interrompt la programmation. Le présentateur du journal télévisé, François de Brigode, annonce la déclaration unilatérale d’indépendance de la Flandre…
Photographe belge né à Namur et domicilié à Habay-la-Neuve. C’est en 2008, suite à une blessure au genou, que Michaël MASSART renonce au sport et se tourne vers la photographie. Autodidacte et “touche à tout”, il se concentre sur ses deux domaines de prédilection : les portraits et les photos de paysages (notamment en pose longue). Transmettre une émotion, surprendre, construire et mettre en scène l’image de façon originale font partie de ce qu’il recherche à travers ses travaux.
Cette photographie fait partie de la série “Very Fast Trip”, que l’artiste présente ainsi : “c’est une fable contemporaine sur l’obsolescence programmée, la surconsommation. Ce que notre société porte aux nues aujourd’hui est jeté à la poubelle le lendemain. Grandeur et décadence : les meilleures ennemies du monde. Autour de ce sujet et avec une certaine dose d’humour, j’ai tenté de retracer le parcours d’un objet de consommation en lui donnant vie sous les traits (du moins partiellement) d’un homme.[…] Je vous propose donc de partager les aventures de notre “héros” de la surconsommation depuis son “déballage” jusqu’à sa mort… son recyclage, en passant par ses moments de gloire, d’impression d’être le roi du monde, d’excès, de lendemains difficiles, de nostalgie, de remises en question et de lutte pour tenter de survivre dans ce monde bien ingrat vis-à-vis de ses “stars” déchues…”
Né en 1952, formé à l’ICADI (Liège) et à l’Académie des Beaux-Arts de Liège, Jean-JacquesSYMUL enseigne la photographie dans cette école de 1976 à 2013. Il présente de nombreuses expositions autant personnelles que collectives, publie dans des revues d’art. Son travail est axé sur le quotidien, non pas pour sa valeur anecdotique, mais transcendé par son regard de photographe.
Comme le dit Pierre-Yves Rollin (secteur arts plastiques, Province du Hainaut), “les photographies de Jean-Jacques Symul s’inscrivent dans une tradition littéraire, picturale et même cinématographique qui associe le paysage naturel à une visualisation des états d’âme”. Que signifient ce feuillu émergent d’une forêt de conifères ou cette clairière verdoyante tranchant dans un sous-bois désolé ? Au-delà de l’évident intérêt plastique des photographies, le spectateur est convié à élaborer une interprétation personnelle, intime…
Matthieu MARRE est photographe. Il a suivi un cursus universitaire en ethnologie et en anthropologie. Il s’intéresse à l’intime où il espère déceler une sincérité des choses. Il attend de la photographie un regard décalé des évidences qui nous sont données. C’est un regard amoureux empreint d’une distance. En 2015, il publie L’oublié aux éditions Yellow Now(Liège). En 2016, il intègre le studio Hans Lucas.
Cette photographie est tirée d’une série intimiste. Matthieu Marre y montre des images du quotidien. “C’est une photo de la mère de ma fille. A l’époque de la photo, cette dernière n’avait que quelques mois et était encore allaitée.” (M. Marre) “Il semble y avoirpeu à dire des photographies de Matthieu Marre, qu’elles ne disent elles-mêmes mieux que les mots. Ainsi en va-t-il de certaines images, de certains univers dont la grâce sans prétention peut vous toucher à la manière d’un petit coup de foudre ou d’une révélation, et susciter en vous un désir de contemplation, d’observation voire de recueillement timide et silencieux, ample toutefois dans sa respiration. …)”(d’après YELLOWNOW.BE)
Sébastien FAYARD est un comédien et performeur français vivant à Bruxelles. Il a étudié le secrétariat, la comptabilité, le cinéma, la musique, la photographie et le théâtre. Il collabore avec différents metteurs en scène, chorégraphes et artistes plasticiens dont la compagnie System Failure avec qui il se produit régulièrement sur scène. Depuis quelques années, il mène différentes recherches photographiques et vidéographiques et poursuit la série “Sébastien Fayard fait des trucs.” En parallèle, il décline ce projet en petits films dans une série appelée “Sébastien Fayard filme des navets” et sillonne les festivals de courts-métrages européens. (d’après SEBASTIENFAYARDFAITDESTRUCS.COM)
Sébastien Fayard livre ici une série en cours, inédite, de clichés qui détournent, c’est le cas de le dire, des clichés. Le procédé est simple mais inusable : prendre les choses au pied de la lettre, exploiter les ambiguïtés et les doubles sens des phrases toutes faites, des métaphores éculées, des formules journalistiques, des poncifs en vogue. Faisant ses trucs, il en défait pas mal d’autres – des attentes, des snobismes, des poses et des postures, des idées reçues, des présupposés logiques. Pour bien comprendre il faut se méprendre, et accepter surtout un paradoxal et étroit entrelacs entre stupidité et lucidité. (d’après YELLOWNOW.BE)
Après des études de photographie à l’Ecole supérieure de l’Image “Le 75”, Jacky LECOUTURIER (né en 1948) devient lui-même professeur dans cette école dès 1972, année durant laquelle il réalise sa première exposition personnelle. Lors de ses pérégrinations en France, en Italie ou en Corse, Jacky Lecouturier a capté ces instants où nos sens sont soudainement mis en alerte par le cadre naturel d’un paysage. (d’après OUT.BE)
Cette image appartient à une série de photographies prises en Corse. Elles ont été exposées à la galerie Détour à Namur et à la galerie Quai 4 à Liège. Le journaliste Alain Delaunois évoque cette série en ces termes : “Les images de Jacky Lecouturier, en petits polaroïds retrouvés ou en tirages récents, n’idéalisent pas la nature, mais la restituent dans ce qu’elle a parfois de spectral. Ainsi, lorsque la lune, pleine, grosse, ronde, apparaît par une grande nuit bleue, on pourrait craindre qu’elle n’annonce l’instant fatal, l’accident final. Et pourtant, nous pourrions également parier sur la lumière argentine de l’astre lunaire, et sur ce qu’elle peut amener d’heureux, d’harmonieux et de propice au repos, dans la conjonction de la fraîcheur et de la tranquillité nocturne.”
Ivan Alechine (né en 1952), à la fois poète et photographe, est l’auteur d’une œuvre marquée par le voyage, tantôt ancrée dans le vrai, à la manière d’un reportage, tantôt détachée du monde comme une sorte de ready-made poétique. Fils du peintre Pierre Alechinsky, Ivan Alechine passe son enfance à côtoyer les derniers peintres et poètes surréalistes et les membres du groupe Cobra […]. A l’âge de dix-huit ans, il participe à une mission d’ethnomusicologie en plein cœur du pays Mongo, en République démocratique du Congo. […] Au seuil des années 90, ce sera la découverte décisive du Mexique où il résidera longuement, à plusieurs reprises, auprès des Indiens Huichols. “La première fois que je suis allé à Tuxpan de Bolaños, c’était en 1995. Puis beaucoup entre 2011 et 2016. J’y retourne à la fin de cette année (2017). J’ai assisté à quasiment toutes les cérémonies importantes et je dois posséder quelques milliers de photographies digitales / numériques en couleur.”
La photo de Tatéïnexa a aussi été prise en 2012 à Tuxpan de Bolaños. En octobre, la cérémonie Tatéïnexa se déroule pendant deux jours et deux nuits. Il s’agit la fête du jeune maïs, des courges et des enfants de moins de cinq ans. Le chaman qui préside à la cérémonie chante une partie de l’histoire de son peuple. Il bénit les enfants, le maïs et les courges de chaque famille. C’est une fête très importante et très ancienne qui raconte l’origine de leur histoire, de leur pensée. Elle est aussi appelée la fête du tambour. Le chaman et ses assistants frappent en continu un tambour pendant la cérémonie.
Né en 1986, Sébastien VAN MALLEGHEM est un photographe indépendant, né en Belgique en 1986. Axé sur des projets de longue haleine, il a suivi pendant quatre ans le quotidien nocturne des policiers et poursuivra son reportage sur la justice dans les prisons belges durant plus de trois ans. Il terminera sa trilogie à propos de la Justice en travaillant sur le monde criminel. En parallèle, Sébastien photographie la Scandinavie entre 2013 et 2016, un travail qui va aboutir sur la publication d’un livre en 2017. (d’après 24H01.BE)
Cette image fait partie de la série Nordic Noir, prise entre 2012 et 2016 en Scandinavie. Le livre issu de cette série est paru en septembre 2017 aux éditions André Frère. Dans cette série, “sa veine documentaire cède le pas à une dimension plus poétique et introspective. Épris des terres scandinaves depuis une résidence en Norvège, Sébastien Van Malleghem a poussé depuis lors ses pérégrinations du Danemark à l’Islande, en passant par la Finlande et la Suède. Nordic Noir est le récit visuel de ce périple contrasté. Avec ses paysages à couper le souffle et hors du temps, ses scènes de vie ou portraits acides, la série tient davantage de la constellation que du chemin linéaire. Dans l’éclatement des émotions qui la composent, le photographe saisit la juste mesure entre le sublime et le banal, le grandiose et l’intime.”
Pierre HOUCMANT (1953-2019) s’inscrit à 19 ans à l’Institut Supérieur des Beaux-arts Saint-Luc de Liège, où il suit les cours du photographe Hubert Grooteclaes jusqu’en 1974. La photographie commerciale ne le séduit guère. Seule la photographie créative l’attire. Occupé par une série qu’il a nommée “Interversions”, il expose beaucoup à l’étranger. Toutefois, la fréquentation de plasticiens influencés par Marcel Duchamp fait basculer ses intérêts vers des réalisations où le concept prime sur l’émotion. Au début des années 1990, il s’intéresse à l’image du corps qu’il fragmente. Parallèlement, il réalise une série de portraits d’écrivains.
Cette photographie fait partie de la série “Interversions”. Elle présente des portraits de femmes fragmentés, reliés à des éléments plastiques. La poésie de la composition laisse au regardeur le soin d’imaginer une narration ou la rêverie de la contemplation. C’est un tirage argentique sur papier baryté.
“Le fait de parler des lieux, c’est parler de l’humain” explique Eva NIELSEN (née en 1983). L’artiste franco-danoise brouille depuis plusieurs années les repères du paysage et de la peinture. Depuis 2010, elle met en scène des lieux à la fois familiers et étranges : une zone périurbaine désertée, une ferme abandonnée… Architectures de béton, stores, mobiliers urbains, tramés par la sérigraphie, structurent le territoire de la nature, comme celui de la toile. Malgré leur architecture marquée par la modernité, ces lieux semblent n’appartenir à aucun espace-temps déterminé. Eva Nielsen donne là une forme possible aux espaces anonymes, aux “non-lieux”, dont Marc Augé a souligné dans sa recherche d’une “anthropologie de la surmodernité” combien ils sont aujourd’hui les lieux de passage obligés d’un paysage mondialisé. Semblant être de nulle part, sans présence humaine, les paysages dépeints par Eva Nielsen pourraient être cet entourage immédiat que nous ne voyons plus. S’attachant à représenter une utopie moderne abandonnée, ses peintures résonnent comme un futur dans le passé, un retour de demain sur le présent.
Cette “surmodernité” est aussi celle de la peinture aujourd’hui. Eva Nielsen explore les frontières entre photographie et peinture, entre peinture et impression mécanique, un enjeu qu’elle sait être devenu une quête au long cours de l’histoire de l’art depuis Andy Warhol et Gerhard Richter. Les tableaux sont réalisés à partir de photographies, documentés par des marches et des explorations, aussi bien européennes qu’américaines. Pour accentuer le contraste entre le noir et blanc de l’impression photographique et cette tonalité sourde et lumineuse héritée du paysage scandinave, Eva Nielsen travaille chaque œuvre en deux temps, celui de la sérigraphie et celui des aquarelles, des encres, des acryliques. Elle fait, cependant, de la sérigraphie un usage unique, à rebours de ses capacités de reproduction. Elle n’en conserve que l’effet esthétique de la trame mécanique, tout comme elle a parfois expérimenté l’imprimante pour ses dessins préparatoires.
Peindre aujourd’hui pose la question du temps long dans une époque de l’instantané et du tout-image. Tout voir, est-ce ne rien voir ? À ses paysages architecturés, l’artiste a ajouté récemment la maladie du “voir”. Sa dernière série Lucite (2015-…) tient son nom d’une allergie à la lumière. L’horizon de ses peintures s’est ostensiblement voilé. Le statut du regardeur est redoublé : nous sommes en position de voyeur, à la fois du tableau, et de la maison de l’autre, que l’on tente d’apercevoir à travers le treillage qui recouvre la surface de la toile. Le voilage rejoint également un motif emblématique de l’histoire de l’art, le pli, théorisée par Gilles Deleuze, thème baroque par excellence, mais devenu ici le pli d’un grillage bon marché.
Au moyen de la sérigraphie, Eva Nielsen trompe l’œil avec des effets qui subliment la nature et le bâti. “Ce panorama zéro semblait contenir des ruines à l’envers”, note Robert Smithson à propos de Passaic, ville sans histoire du New Jersey dont les monuments ordinaires (ponts, parkings ou bacs à sable) lui inspirent en 1967 un texte fondateur sur le chaos des cités à l’épreuve du temps. Eva Nielsen l’a lu et approuvé, tout comme Manhattan Transfer de Dos Passos. Élevée dans le 91, elle qui transite entre Paris et Yerres connaît par cœur ces zones intermédiaires peuplées d’architectures précaires.
Des perspectives de non-lieux
Ses “odyssées suburbaines” forment par sédimentation des “spectrogéographies”. Autrement dit, des perspectives furtives de non-lieux. Sa méthode “vandale” varie et si, à l’origine, la sérigraphie masquée par des bandes de ruban adhésif précédait la peinture, l’inverse est devenu vrai. Personnelle ou d’emprunt, l’image source imprimée à même la toile, sur des chutes d’organza ou de cuir, est maculée d’huile, d’acrylique, d’aquarelle ou d’encre de Chine.Si bien que le regard ne sait plus où se poser, fouillant la surface et le fond en quête d’indices, perdant sur tous les plans, faute de mise au point.
Eva Nielsen ne lui facilite pas la tâche. Ses effets de textures ajoutent des filtres, sortes de vitres embuées ou de moustiquaires à trous qui, tels des souvenirs-écrans, cachent plus qu’ils ne montrent la scène : un paysage désolé hanté par des machines du futur déjà hors d’usage, des cabanes sinistres ou, depuis peu, des humains.Ses mondes hallucinés portent des noms savants, tels Thalweg, Zoled ou Polhodie…
Insolare est à l’avenant. Mené avec la commissaire Marianne Derrien dans le cadre du programme BMW Art Makers (programme qui permet aux artistes et curateurs de montrer et produire une création expérimentale à travers le prisme de l’image contemporaine), ce projet tâte le “terrain hostile” des marais de Camargue. Ce site naturel où la vie stagne et grouille se mue en collages humides pleins de sel, de coups de soleil. Désireuse de montrer une réalité “tant rurale qu’industrielle”, les créations de l’artiste offre une visibilité sur “la qualité vitale” des marais de Camargue.
Jacques Froidevaux, Hubert Froidevaux et Miguel-Angel Morales composent le collectif PLONK & REPLONK fondé en 1995 dans le Jura suisse. Dès 1997, le trio détourne des cartes postales Belle Epoque… Fait peu connu, leur collection de gâteaux est l’une des plus importantes du Vieux-Continent. L’ajout d’une touche absurde, notamment dans leurs légendes, confère aux œuvres une portée critique et humoristique.
Leurs fameux photomontages d’inspiration rétro ont contaminé les formats les plus divers: livres, affiches, cartes postales, autocollants, cimaises, animations, théâtre. Parmi leurs influences, on peut citer Erik Satie, Alphonse Allais, Glen Baxter, Gary Larson ou Pierre Dac. Fait peu connu, leur collection de gâteaux est l’une des plus importantes du Vieux-Continent. Pur produit d’un Arc jurassien en lévitation, Plonk & Replonk étonne donc son monde par l’amour irraisonné que ses membres vouent à ce plan d’eau notoire qu’est le lac Léman. Cette passion apparaissait dans toute sa démesure en 2008 déjà dans l’exposition qu’ils lui consacrèrent sans retenue au Musée du Léman, à Nyon. Aux dernières nouvelles, Plonk & Replonk s’apprêtent à commercialiser le Léman sous la forme d’une eau minérale gazeuse naturelle aux miraculeuses vertus diurétiques et conditionnée en pratiques jéroboams de cinq litres. (d’après PLONKREPLONK.CH)
Plonk & Replonk est déjà bien présent dans wallonica.org :
Photographe indépendant depuis 1974 et réalisateur de documentaires, Baudoin LOTIN (né en 1953) vit et travaille à Maizeret (Andenne). Il expose ses photographies (Belgique, Canada, Espagne, Les rencontres d’Arles en France, Mexique). Il participe à des missions photographiques (comme Tbilissi 3 en Géorgie). Il poursuit un travail sur le Mexique publié aux Presses Universitaires de NamurMexique : Photographies (1985) et El silencio de la Palabras : Petites histoires mexicaines(2003). Lauréat d’une bourse du Ministère de la Communauté Française de Belgique et d’une Bourse des amis de l’Unesco (Louvain-la-Neuve), du Prix national Photographie ouverte (Charleroi), Baudoin Lotin a également participé à la création de galeries et d’ateliers pour la photographie (1981 -2012).
Cette photographie, que l’on pourrait croire en noir et blanc, est en couleur. Saisissant un contraste de lumière entre la pénombre d’un intérieur et la lumière provenant de l’extérieur, le photographe donne au dispositif du rideau devant la fenêtre un aspect sculptural. L’image évoque un moment vide auquel on ne sait quel sens donner, et l’imagination peut l’étirer jusqu’à un rideau de théâtre… une fenêtre sur le monde, une ouverture vers le connu ou l’inconnu.
Ce matin, je n’ai pas le moral. Je suis stressé. Un dossier administratif en attente depuis des semaines m’obnubile. “Mais quand vont-ils enfin se décider à me répondre ?” me dis-je en me retournant dans mon lit. Les injonctions m’envahissent. “Je dois bosser, répondre au mail d’untel, payer le gaz…” Et au fond de moi je sens que toutes ces tâches ne seront pas pour aujourd’hui. La veille je me suis démené derrière mon ordinateur pour avancer dans la rédaction de mon livre. Aujourd’hui, j’ai besoin d’ancrage… je dois perdre mon temps pour en gagner.
Je finis d’avaler ma tasse de café, j’enfile une tenue adéquate, attrape mon appareil photo et saute dans ma voiture. Passé le nécessaire moment de pollution véhiculaire, je me retrouve le long de l’Ourthe dans un petit plan d’eau à l’écart du cours d’eau principal.
La nature m’accueille. Une libellule sur le chemin me salue et prend la pose au soleil. Quelques mètres plus loin, un héron semble me dire “ah… on t’attendait”. Je me faufile parmi les herbes touffues et me love dans un recoin discret, le long de l’eau. A peine arrivé, j’aperçois un castor se faufiler dans un fourré… Vraiment la matinée s’annonce sous les meilleurs auspices.
Soudain, un voyant s’allume sur mon appareil photo. C’est la batterie qui menace de me laisser tomber. Mais quand ? Dans dix, cinquante clichés ? Je décide de fonctionner à l’économie. Je ne déclencherai que lorsque ça en vaudra vraiment la peine.
Les minutes passent et mon stress se dégonfle comme un ballon de baudruche. J’entends le bruit du vent, les chants des oiseaux. Pas encore de martin-pêcheur à l’horizon mais il ne saurait tarder… Ah je l’aperçois d’un peu loin. Oui il est bien là, posé sur une branche… Il s’en va… Une heure passe. Je continue ma méditation, ma contemplation.
Une autre heure. J’hésite à plier bagage mais je sens qu’aujourd’hui j’aurai droit à un cadeau si je me montre patient. J’ai là, juste en face de moi, une branche qui rendrait envieux n’importe quel être vivant se sentant un tant soit peu martin-pêcheur. Je suis certain qu’il finira par s’y poser. Je le sens, là entre mon cœur et mes tripes.
Le récit serait moins beau s’il ne s’y était pas posé. Il s’y pose une première fois brièvement… Première série de photographies… Maudite feuille dans le champ.
Je me sens veinard et en verve… je prends mon téléphone et commence à rédiger la chronique que vous lisez en cet instant. Deuxième arrêt au même endroit…. Merci la nature… Une troisième et une quatrième visite. C’est un festival de martins-pêcheurs… Ma batterie tient miraculeusement. Je suis comblé. Et dans le même temps. Je vous ai écrit ces quelques lignes.
Vraiment, aujourd’hui il fallait que je perde du temps…
La pratique de la photographie animalière prend de multiples formes et méthodes. Parmi celles-ci, deux techniques principales sortent du lot. Soit le photographe part en balade pour découvrir ce que la nature a à lui offrir. C’est la billebaude. Soit il s’assied, se camoufle plus ou moins sommairement et attend. C’est l’affût.
Dans le cas de la billebaude, qu’importe l’endroit exact pourvu que le photographe parcoure une région propice. Il erre au gré de son envie et de son instinct. Pour un affût, la nécessité de passer plusieurs heures au même endroit pousse au contraire à anticiper au maximum. Heure d’arrivée, chemin d’accès, période de l’année, localisation et même angle de prise de vue, rien n’est laissé au hasard. Le photographe prend réellement rendez-vous avec la nature mais il ne sait jamais vraiment si elle va lui poser un lapin ou pas. Les grands photographes ne jurent que par cette technique de l’affût. Plus respectueuse de la nature, elle permet de prendre des clichés sans même que l’animal ne se doute de votre présence alors que la billebaude causera invariablement des rencontres inattendues qui se concluront par la fuite du sujet.
Ce matin-là, je pars en mode “affût”. Ça ne m’arrive pas souvent car il s’agit d’une sorte de quitte ou double cruel. On investit davantage d’énergie dans la préparation et dans l’attente ce qui peut amplifier proportionnellement la déception lorsque l’on revient bredouille. Je pars donc me poster pour tenter de photographier un martin-pêcheur. Cette petite flèche bleue a la vue particulièrement aiguisée et, s’il est capable de repérer un poisson à une grande distance, il ne manquera pas de vous repérer si vous êtes en mouvement. Le seul moyen de tirer son portrait est donc d’identifier une belle branche stationnant à quelques dizaines de centimètre de l’eau, de se planter à distance respectable et d’attendre qu’il vienne s’y poser. Bien sûr, choisir une heure matinale et un lieu propice augmentent fortement les chances de rencontre.
Je choisis pour cela un bel endroit à la biodiversité remarquable, les marais au pied du château de Colonster… Un espace de nature magique où les castors ont radicalement changé faune et flore en quelques années.
Je me couche sous les herbes, me recouvre d’un filet de camouflage. Et, Enfer ! le martin est déjà là. Mais trop près… à deux mètres de moi juste derrière de hautes herbes. Je tente de ne pas faire de mouvement brusque tout en orientant imperceptiblement mon objectif vers lui. Les herbes me gênent pour faire la mise au point. Une photo floue, une autre… Il me surprend, il s’envole. C’est fini.
S’écoule ensuite une très longue heure… je suis immobile, attentif aux mouvements dans mon champs de vision. J’ai l’espoir qu’il revienne pêcher dans les environs et en attendant, je passe mon temps en prenant quelques portraits de poules d’eau. Ah, il se pose… Un peu loin cette fois mais il ne m’a pas vu. Le bal de la pêche commence. J’observe pour la première fois de ma vie un martin-pêcheur à l’œuvre. Spectacle fascinant d’efficacité et de patience.
Le martin était finalement bien là au rendez-vous, je l’y retrouvai ensuite à plusieurs reprises mais le perdis de vue l’hiver venu.
Cher martin-pêcheur, vivement notre prochaine séance d’affût : toi attendant patiemment qu’un poisson passe à ta portée et moi que tu viennes te poser à proximité.
Enseignant du secondaire et assistant à l’ULG (agrégé de chimie), Christian CADET (1946-1988) développe une pratique autodidacte de la photographie et fréquente le club photo de Trooz et d’Angleur (enseigne la photographie par la suite).
Prise en 1974 en Ardèche, le photographe séjournait dans un petit village de la région. L’appareil utilisé est un Rolleiflex (négatif 4×4).
L’image résonne avec les images des années 70 et témoigne d’une liberté, d’un rapport au corps et d’une pratique de la culture qui ont évolué depuis. Si l’utilisation du noir et blanc concorde avec l’époque, elle résulte également d’un choix, et permet à l’artiste de travailler l’ombre et la lumière dans l’image pour rendre des tons de noirs dans l’image.
François GOFFIN est né en 1979, dans le Condroz. Il fait des études de photographie au 75 à Bruxelles, “mais ça démarre surtout après”, avec sa première exposition à la galerie Contretype à Bruxelles. Il expose la même année notamment au Centre culturel de Marchin et à la Biennale de la Photo d’architecture à La Cambre. En 2007, il prend part à l’exposition Et le bonheur ! (Biennale de photographie en Condroz) et expose au Centre Wallonie-Bruxelles de Paris et au Museu de Arte Brasileira de Sao Paolo (Brésil) dans le cadre de l’exposition CO2 – Bruxelles à l’infini initiée par Contretype. En 2008, il remporte avec la série Réminiscence le Prix Médiatine 2008 et expose la série Les choses simples au Centre culturel de Namur. En 2009 paraît sa première monographie aux Editions Yellow Now. (d’après CONTRETYPE.ORG)
“L’air de rien, François Goffin fait ses images ; ou pour être plus précis, on peut dire qu’il les recueille sur le chemin d’une vie qui est la sienne. Mais ces choses vues, ces endroits, ces visages, regardent aussi les autres. […] Pour lui, ce sont les événements les plus normaux en apparence qui sont les plus étranges. Les plus sidérants, même. Dans ce travail, pas d’invention, de reconstitution, mais une attention nerveuse et joyeuse à ce qui est. Une image peut-être en effet regardée comme un seul vers de poésie, ou une petite phrase glanée au hasard d’un livre. Un seul regard pour de multiples résonnances spirituelles.” (d’après VINALMONT.BE)
Ce matin, le paysage liégeois s’est paré d’une fine couche de neige. Le soleil pointe son nez parmi les nuages. La météo est idéale pour une petite balade photographique.
J’attrape mon appareil photo et prends le chemin des coteaux de la Citadelle de Liège. Petit coin de nature aux beautés insoupçonnées, il accueille quantités d’oiseaux peu avares de leurs beautés mais pour la plupart des promeneurs, complètement invisibles. Beaucoup avancent d’un pas rapide, promenant leurs chiens. D’autres prennent soin de leurs corps lors d’un jogging matinal. Et d’autres encore se baladent en famille se demandant des nouvelles les uns des autres. Ils entendent bien pépier de ci de là mais sans se retourner. Sans se demander d’où provient ce chant mélodieux.
C’est normal, l’endroit est archi-connu et fait partie de notre routine quotidienne. Pourquoi encore se retourner ? C’est lors de nos vacances que nous nous asseyons pour admirer la vue, pas au détour d’un simple parc à deux pas de chez nous. Et pourtant, cet endroit si quotidien est chargé de beautés à la portée de chacun, mais mésestimées.
J’arrive au cœur des bois et ralentis le pas. Je m’adosse contre un tronc d’arbre et prends le temps de repérer l’origine des bruits qui m’entourent. Par-là, des mésanges se poursuivent dans les taillis, par ici des corneilles s’en prennent à une buse. Ah, j’aperçois un écureuil qui grignote une noix. Je tente de trouver un angle satisfaisant pour le prendre en photo. Je lutte avec mon autofocus qui semble prendre un malin plaisir à faire le point sur la moindre branchette entre moi et le petit mammifère. Trop tard, l’écureuil a fichu le camp. Belle rencontre mais qui n’aura pas de témoin.
Je reprends ma route et avance à pas de loup dans une petite sente moins fréquentée. Les pépiements redoublent d’intensité. Lorsque je repère une sittelle torchepot. Elle se pose et se balade nonchalamment sur un vieil arbre mort recouvert d’une fine pellicule de neige. Le soleil, la neige, un fond dégagé, pas de branchette énervante entre elle et moi. La photo est prise, l’oiseau s’envole. Ce jour-là, ce fut aussi de belles photos de rouges-gorges et de geais. Rien d’exceptionnel, je n’avais croisé ni un loup ni un tetra lyre… mais vraiment, la beauté était bien présente dans cet océan de banalité.
La plupart des rencontres sont le fruit d’un pur hasard. Vous étiez venu tenter de photographier un oiseau quand se présente devant vous un tout autre type de bestiole. Ces rencontres me procurent la plupart du temps un grand choc émotionnel. Je n’étais pas préparé à rencontrer ce renard, presque en pleine journée, dans un endroit connu pour être le paradis des oiseaux (quoiqu’il doive y trouver son compte lui aussi).
Ce matin-là, je pars à la rencontre du gorge-bleue un petit migrateur qu’on ne rencontre qu’à la saison des amours, dans certaines réserves naturelles. Grandes étendues d’eau et joncs à profusion sont requis. Je me lève donc à l’aube, m’équipe de mon attirail de photographe : pantalon imperméable me permettant de m’asseoir par terre sans être trempé, veste de camouflage, appareil photo équipé de son téléobjectif. Je monte dans la voiture et parcours la petite demi-heure qui me sépare d’un endroit tout à fait étonnant : les bassins de décantation d’Hollogne-Sur-Geer. Ces anciens bassins servent à la purification de l’eau issue d’une râperie de betterave et offrent à une faune avicole bigarrée, bruyante et nombreuse, un espace de jeu de toute beauté. L’endroit est bien connu des photographes et nous nous retrouvons souvent une petite dizaine à écumer les lieux.
Arrivé sur place, je me positionne près des roseaux espérant voir mon Graal bleu apparaître. Une heure, puis deux ; je pars ensuite observer les bassins, tentant de récupérer mon coup par une photographie moins exceptionnelle de quelques canards. Quelques dizaines de clichés relativement ordinaires plus tard, je fais demi-tour et reprends le chemin de la voiture. Soudain, j’écarquille les yeux, quelle est cette forme qui bouge près des anciens tuyaux de circulation d’eau ? Un renard ? Mais il est déjà 10h du matin ! Comment est-ce possible ? En fait, ces questions je me les suis posées après. Je ne sais quel réflexe me fait tendre mon appareil et appuyer sur la détente tout en priant pour que la mise au point se fasse correctement. J’ai eu le temps de prendre sept clichés en six secondes, les données EXIF de mes photos faisant foi, avant que le renard ne disparaisse au détour du chemin. Six secondes, trois respirations, sept photographies et cinq pensées au moins (“abaisse toi pour ne pas lui faire peur“, “fais la mise au point sur ses yeux“, “est-ce que les iso ne sont pas trop élevés ?“, “ne tremble pas“, “refais la mise au point pour être sûr…”). Le renard est parti. Mes mains tremblent. J’ai une montée d’adrénaline. C’est la première fois que je prends la photographie d’un renard, enfin plutôt d’une renarde, en face-à-face. Je vérifie la qualité du cliché. Même si ce n’est pas ma meilleure photo, elle me plait, justement parce qu’il s’agissait d’une rencontre inattendue.
Et pourtant ? Était-ce si inattendu que cela ? N’est-ce pas justement cette surprise que le photographe espère vivre ? Attendre l’inattendu. Je me suis levé tôt, j’ai réservé du temps dans ma semaine, j’ai préparé mon matériel et je suis resté attentif à mon environnement jusqu’au dernier instant. C’est finalement cet état d’esprit qui me plaît. Le plaisir de se laisser surprendre. Une leçon de photographe et probablement une leçon de vie.
Brigitte GRIGNET (née en 1968) se tourne vers la photographie en 1998. Elle étudie alors avec Joan Liftin et Mary Ellen Mark à l’International Center of Photography à New York, où elle a vécu pendant 15 ans. En 2011, elle a été récompensée par une bourse de la Aaron Siskind Foundation aux Etats-Unis, pour le projet sur lequel elle a travaillé pendant 7 ans dans le sud du Chili, La Cruz del Sur, dans lequel elle s’attache à enregistrer un mode de vie amené à disparaître, avec ses structures sociales et ses traditions culturelles séculaires. Entre autres prix internationaux, elle est la lauréate d’une Magnum Emergency Fund Grant (2016) pour son projet Welcome, qui documente la réalité des mineurs non accompagnés en Belgique.
Brigitte Grignet raconte les histoires de personnes ordinaires et leur volonté indomptable de survivre des situations difficiles, leur quête continuelle afin de construire et vivre une vie digne et pleine de grâce. Ici, une charrette est immobilisée dans un gué. La scène se passe au Chili.
Nadine FIS a étudié à l’Académie de Verviers. Elle a reçu le prix de la Ville de Verviers en 2006 pour la sculpture.
Cette œuvre s’inscrit dans une série de sérigraphies dont QR Code (autre œuvre de l’artothèque) fait partie. L’artiste explore ici la peau comme potentielle surface d’impression. Elle interroge la valeur non marchande du corps. La phrase “Wash with similar colors” (“Laver avec des couleurs similaires“) inscrite sur le bras du modèle, la typographie utilisée, et le sens des signes font référence aux étiquettes de nos vêtements. Se dessine une certaine ambiguïté entre le calme de l’image et la violence évoquée par certaines actions proposées par les instructions.
“Il était une fois un œil qui vivait avec un seul objectif : capturer la vie sans l’arrêter. Lors vint un jour où…” Quel régal vivifiant qu’il ne s’agisse pas ici d’un conte de fée (n’en déplaise au bon Henri Gougaud) mais bien d’une belle histoire : l’ami Benoît Naveau est cet œil aussi précis que généreux et le télé-objectif qu’il promène dans nos bois & buissons lui permet une capture douce de la vie comme elle s’offre, sans violence aucune.
Pourquoi ressent-on autant l’exaltation que le respect quand on est face aux Sittelles torchepot, aux Mésanges bleues (cfr. en-tête) ou aux Grimpereaux des jardins que Benoit nous partage sans réserve sur les réseaux sociaux et, désormais, dans wallonica.org également ? Peut-être ressent-on avec lui cet instant unique -qui ne sera pas le suivant- où il doit appuyer sur le déclencheur pour figer un avatar de la Grande Mère, cette nature biodiverse où nous vivons quelquefois comme des aveugles. Au moins, Benoît est-il borgne en ce pays de cécité, et les longs affûts qu’il impose à son œil unique inspirent le respect dû aux courageux qui prennent le temps de regarder, aux poètes dont le surplus d’humanité nous permet d’entrevoir plus que les faits divers.
Les “CARNETS DE L’ŒIL” formeront -dans wallonica.org– une série d’articles où nous avons choisi de tenter une expérience qui se veut originale. Chaque article naîtra d’un cliché de Benoît et sera un florilège des savoirs inspiré par celui-ci : poèmes, haikus (haikai ?), documentation scientifique, extraits et citations, topo du site, liens vers les sites et blogs de nos confrères qui ont également publiés sur le sujet de la photo, planches scannées du Fonds Primo de notre DOCUMENTA et, naturellement, vos contributions pertinentes… en veux-tu, en voilà. Cette page en sera la table des matières et chacun des articles offrira des hyperliens vers 11 autres articles de la série. Alors, avec nous, cliquez curieux !
Dès le début de sa carrière, Jacques CHARLIER s’inscrit dans les grands mouvements des années 1960, dont le Pop Art. Avec Marcel Broodthaers, il fréquente les galeries belges les plus en vue, imprégnées d’art minimal et conceptuel. Dès 1975, Charlier continue sa carrière seul. Il interroge et remet en question avec humour le système de l’art. Il s’approprie tous les médias : la peinture, la photographie, l’écriture, la BD, la chanson, l’installation. Il se met en scène en personnage flamboyant et joue avec les codes de la publicité et des médias. (d’après MAC-S.BE)
Jacques Charlier reprend la composition d’une œuvre très célèbre de Félicien Rops : Pornocratès. L’œuvre de Rops présente une femme quasi nue, les yeux bandés, tenant en laisse un cochon, qui semble la guider d’un pas conquérant. L’interprétation de Charlier à libéré le cochon et c’est la femme qui en a repris la pose victorieuse, laissant libre cours à maintes interprétations… La photographie a été réalisée par Laurence Charlier.
Photographe liégeoise née en 1985, Elodie LEDURE conjugue dans son travail personnel une forte attirance pour les beautés incongrues du paysage et l’expression d’un sentiment singulier face aux volumes, au bâti, à l’environnement construit. […] Elle a résidé en Suisse et en République tchèque, tâté de la photographie de plateau et de la presse d’actualité. Exposée régulièrement en Belgique, en France (Festival Circulations), aux Pays-Bas, elle signait en 2014 avec “Apnée“, chez Yellow Now, son premier livre personnel, peu de temps après avoir achevé une imposante mission sur l’architecture à Liège (éd. Mardaga). (CONTRETYPE.ORG)
“Sous ses dehors francs, le travail d’Élodie Ledure est un labyrinthe. Il faut se donner le temps de la réflexion et tenter de trouver, dans une intuition somnambule, la clé des doutes, leur résolution paisible, le grand dehors au bout des tunnels. […] Une façon de se déceler intimement, de se rencontrer soi dans la contemplation du monde externe, dans toute la fascinante opacité de ses apparences, de ses énigmes de surface, dans l’illusion de sa profondeur – mais toujours orientée par l’appel de l’air libre.” (Emmanuel d’Autreppe)
Son travail a longtemps été éclipsé par celui de son célèbre compagnon : Robert Capa. Militante antifasciste et photographe de guerre, Gerda TARO a couvert la guerre civile espagnole. Morte jeune, elle a sombré dans l’oubli, avant que son travail ne soit redécouvert en 2007.
Longtemps son travail est resté inconnu. Née le 1er août 1910, en Allemagne, Gerda Pohorylle fuit son pays quand Hitler arrive au pouvoir. Arrivée en France, elle rencontre, en 1934, le photographe hongrois Endre Ernő Friedmann, dont elle devient la compagne. Avec lui, elle se met à la photographie, mais leurs photos se vendent mal. Elle invente alors son personnage : Endre Ernő Friedmann devient ainsi Robert Capa, le photographe américain, plus chic et plus mondain que son alter ego. Elle choisit pour elle même le pseudonyme de Gerda Taro.
Une militante antifasciste
Ensemble, les deux compagnons couvrent la guerre civile espagnole aux côtés des troupes républicaines. Robert Capa y prend la photo qui lui vaut sa renommée, intitulée Mort d’un Soldat républicain.
Militante antifasciste, Gerda Taro peine à se faire un nom et reste dans l’ombre de son compagnon. En 1936, elle part couvrir, seule, le bombardement de Valence.
Le 25 juillet 1937, alors que Robert Capa est rentré en France, Gerda Taro meurt écrasée, par accident, par un char républicain. Son enterrement, le 1er août 1937 en France réuni plusieurs milliers de personnes, dont Pablo Neruda et Louis Aragon, qui prononcent son éloge funèbre.
“Ce qui est pire que la mort c’est la disparition”
En 1938, Robert Capa publie un livre en sa mémoire, qui réunit des clichés qu’ils ont réalisés ensemble, sans toutefois qu’il soit fait mention de leur véritable auteur, comme le rappelait François Maspero, auteur de l’ouvrage L’Ombre d’une photographe, Gerda Taro, en 2006 dans l’émission Du Jour au lendemain :
Gerda Taro, c’est pire qu’un effacement. […] Ce qui est pire que la mort c’est la disparition. Or effectivement, à un moment Gerda Taro a disparu de la mémoire. On a beaucoup accusé Capa, qui était son compagnon, et qui tout de suite après la mort de Gerda Taro a publié un livre d’hommage qui s’appelle “Death in making”, La Mort en action, et ce livre est signé Robert Capa et en sous-titre “Photos de Robert Capa et Gerda Taro”. Ensuite il y a toute une série de photos et personne ne sait lesquelles sont de Taro et lesquelles de Capa. Mais tous les versos des tirages qui sont déposés dans les agences de photo, particulièrement chez Magnum, portent la mention Gerda Taro et cette mention est soit rayée, soit superposée pour être remplacée par “Copyright Robert Capa, Magnum”.”
Il faut attendre 2007 pour que le travail de Gerda Taro soit redécouvert : dans une valise retrouvée à Mexico, 4500 négatifs de la Guerre d’Espagne sont retrouvés. Ils sont de Gerda Taro, Robert Capa et David Seymour, et permettent de reconsidérer le travail réalisé par la photographe de guerre, la première à avoir trouvé la mort lors d’un conflit.
Nous sommes en mai 1937, à Valence, qui vient d’être bombardée. Gerda Taro y photographie à la fois la ville et les gens. Cette photo-là est prise à l’extérieur de la morgue de Valence, collée à l’hôpital. Des gens attendent de savoir ce qu’il est advenu de leurs proches.
C’est le regard de cette femme qui me touche. Elle regarde Gerda Taro, elle nous regarde nous aussi. Dans ce regard, on sent la dureté de la guerre qu’elle subit. Comme si elle nous permettait de nous plonger dans ces journées terribles et de comprendre ce qu’est la guerre quand on ne la vit pas. La guerre, c’est aussi l’attente, l’inquiétude.
Ce cliché provient des négatifs que l’on a retrouvés dans les années 90 dans “la valise mexicaine”, dans laquelle étaient soigneusement archivés des milliers de négatifs pris pendant la guerre d’Espagne par Capa, Taro et Chim [le pseudo de David Seymour, ndlr].
En regardant le déroulement des négatifs sur lesquels figure ce cliché, on comprend comment Taro travaille : elle passe devant cette grille, prend plusieurs photos avec son Leica, et à un moment donné, elle passe en vertical pour prendre cette photo. Elle cherchait le bon cliché et elle en est contente. Elle passe ensuite à autre chose.
Cette photo montre l’évolution professionnelle de Gerda Taro. Elle est un peu plus aguerrie, et c’est un reportage qu’elle fait seule, sans Robert Capa. Cette photo est choisie pour faire la une du magazine Regards, dans un reportage qui sera crédité sous son nom. Elle est aussi publiée dans le journal Ce soir, le quotidien communiste fondé en 1937 par Aragon. La photo y est intitulée Le martyre de Valence.
Né en 1947, Ivan Coupra grandit à Sinnamary. Il se forme à la photographie à l’École Louis Lumière, à Paris. À son retour au pays, il prend le nom de Vano.
En 1976, Vano ouvre un studio à Cayenne. Il y voit défiler tous les habitants du département qui viennent se faire tirer le portrait. Il se déplace pour photographier les mariages et les communions. Alliant l’œil photographique qui capte un regard à un véritable doigté d’artisan qui peaufine ses tirages lors du développement, la collection de portraits de Vano est exceptionnelle et intense.
En 1989, Vano ferme son studio à Cayenne et devient le photographe officiel du Conseil régional. Il suivra son cousin Élie Castor lors de tous ses déplacements sur le territoire et dans l’Hexagone. Le photographe découvre la Guyane des communes isolées, accessibles uniquement en pirogue. La création de dispensaires dans ces villages éloignés le marque fortement. En arpentant ainsi le territoire, Vano devient également le témoin d’une Guyane en pleine métamorphose.
Vano abandonne la photo avec l’arrivée du numérique. Il quitte ce monde en juin 2018. Plus de 13 000 négatifs reflètent sa prolifique carrière et constituent un patrimoine précieux pour la Guyane.
S’il a passé sa vie à mettre les autres en lumière, Vano, lui, préfère rester dans l’ombre. Car Ivan Coupra de son vrai nom est un grand timide qui ne se montre plus guère et déteste (faire) parler de lui. “On m’a demandé d’apparaître à la télévision, souffle-t-il au moment de nous recevoir chez lui, dans le quartier de la Madeleine à Cayenne. Mais ça, jamais ! Je me suis toujours caché derrière un appareil photo. Je faisais ce que je voulais de mes modèles. Je me sentais fort… “
Avant notre entretien, il prévient aussi Muriel Guaveïa, la co-directrice des Rencontres photographiques de Guyane : “Jeudi (lors du vernissage, ndlr), je ne ferai pas de discours. Sinon, je ne viendrai pas. Mes photos parlent pour moi.” Tout est dit ? Pas vraiment. Car lorsqu’il se sent en confiance, Vano devient bavard. Intarissable même.
Né à Cayenne en 1947, le jeune Ivan est un artiste né. “On ne devient pas photographe, confie-t-il. On naît photographe. C’est un don je crois.” Le jeune homme refuse de reprendre la bijouterie de son père mais, devant l’insistance de son oncle, part suivre des études d’optique dans le Jura. Quand il revient en Guyane, il est embauché chez le seul opticien de Cayenne, Robez Masson. “Je montais les verres dans l’arrière-boutique, se souvient-il. Et puis un jour, on m’a demandé si je voulais faire les photos d’identité.”
Le déclic est immédiat. Car depuis qu’il a vu le film Z, avec Yves Montand, Vano a un rêve secret. “Il utilisait un Nikon à moteur et je me suis dit qu’un jour, j’en aurai un aussi. J’adorais ce bruit clac clac clac clac” (il tente de reproduire le son émis par le moteur). Le photographe restera d’ailleurs toujours fidèle à cette marque d’appareil.
Portraitiste, le Cayennais immortalise la société guyanaise dans ce qu’elle a de vrai, de simple, de beau. Quand son cousin Elie Castor accède à la présidence du conseil général, Ivan en devient le photographe officiel. Et se rend régulièrement à l’Assemblée nationale ou accompagne François Mitterrand au sommet de Rio. Personne n’échappe alors à son objectif. Dans ses rêves les plus fous, Vano est toujours photographe. Mais aujourd’hui, ses anciens appareils sont exposés chez lui, comme dans un musée (une collection impressionnante comprenant même un appareil en bois datant du XIXe siècle). On y trouve aussi ses portraits fétiches et une vitrine abritant de vieux films ainsi que sa carte de presse. “J’ai arrêté, dit-il. Je déteste le numérique, c’est trop facile. Avant, la photographie était une véritable science. Mais je ne regrette rien, j’ai eu beaucoup de chance. “
Sofie VANGOR est née en 1981. Sa mère était collagiste, peintre et graveur. Son père était également plasticien et, influence de leur duo artistique oblige, “entré en gravure”, lui aussi. Ses œuvres, il les imprimait en pressant son corps contre des annuaires téléphoniques. Pour Sofie, cette technique plutôt atypique ressemble étrangement à une première immersion dans cet esprit “corps à œuvre” qui va, par la suite, devenir le fil rouge de son parcours artistique. Dès 14 ans, elle étudie la peinture, la gravure et l’image imprimée à l’Académie des Beaux-Arts de Liège. Membre du collectif La Poupée d’Encre, elle est aussi enseignante et assistante en gravure à l’Académie des Beaux-Arts de Liège. Ce statut, elle en parle comme d’une respiration au milieu d’un travail autobiographique intense et percutant. (d’après WAWMAGAZINE.BE)
En octobre 2012, Sofie Vangor donne naissance à deux jumeaux prématurés. D’un jour à l’autre, Sofie Vangor plonge dans un univers inconnu, loin de son travail de plasticienne. Cette fois, il s’agit de mener une bataille pour la survie de ses enfants. Et si cette lutte pour la vie ne lui laisse ni le temps, ni l’énergie de créer, l’artiste va tout de même remplir des carnets, sorte de traces écrites de ces 90 jours entre parenthèses, 90 jours de “peau à peau” avec ses enfants. Cette expérience a finalement donné naissance à une exposition qui mêle les peintures, gravures, broderies et vidéos de l’artiste et les installations d’autres femmes : 90 jours, une nouvelle vie. Cet autoportrait de l’artiste porte un masque de louve, qui évoque l’instinct maternel, dans son aspect le plus sauvage. (d’après WAWMAGAZINE.BE)
Né à Nantes en 1974, Ludovic JAUNATRE a été diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles en 2013. Il a notamment exposé à la galerie Satellite à Liège en 2014. Ludovic Jaunatre mène ses recherches plastiques à travers diverses actions où la photographie tient une place centrale mais se décline sous forme d’expositions évidemment, mais aussi de livre auto-édités, de diaporamas ou encore dans le cadre de Wilderness, un projet collectif, mené à l’occasion de la “nofound photo fair”, à Paris. (d’après GALERIESATELLITE.WORDPRESS.COM)
Ludovic Jaunatre semble poursuivre une quête qui l’amène, série après série, à tenter de s’approcher des relations entre la nature humaine et la nature tout court. Le portrait et le paysage sont omniprésents dans son travail, toujours se répondant dans la continuité d’une énigme silencieuse et d’une parenté étrange. La simplicité du portrait de Manu (fond blanc, peau blanche, crinière de cheveux roux, frontalité), loin de l’appauvrir, renforce encore la force plastique de cette photographie. (d’après GALERIESATELLITE.WORDPRESS.COM)
Alix Cléo ROUBAUD est née à Mexico en 1952. Fille d’un diplomate et d’une peintre, elle a voyagé toute son enfance avant d’étudier la psychologie, la littérature, l’architecture et la philosophie à Ottawa, puis à Aix-en-Provence. Elle pratique la photographie en amateur, de façon occasionnelle avant de progressivement se diriger, vers une vraie recherche esthétique.
Sa carrière photographique est très brève, l’essentiel de sa production est concentré sur quatre années, les dernières de sa vie, de 1979 à 1983, puisque, souffrant depuis son plus jeune âge de problèmes respiratoires, elle meurt à 31 ans d’une embolie pulmonaire.
600 tirages, souvent uniques
Elle a laissé 600 tirages argentiques que son mari, le poète Jacques Roubaud, à donnés à de grandes institutions, dont la BnF mais aussi la Maison européenne de la photographie, le Musée national d’art moderne, la Bibliothèque municipale de Lyon et le Musée des beaux-arts de Montréal.
Pour Alix Cléo Roubaud, l’important ce sont les tirages : dès qu’elle a obtenu le résultat souhaité, c’est-à-dire celui qui est en adéquation avec l’émotion ressentie, elle détruit les négatifs. Avec ces tirages, qu’elle fait elle-même, elle veut ranimer une sensation, un souvenir. “La destruction du négatif sera un garde-fou contre la tentation d’approcher à nouveau le souvenir du monde que la photographie enferme“, écrit-elle.
Des souvenirs qui s’effacent dans le blanc du papier
Ces épreuves uniques, donc rares, c’est elle qui les a faites. Dans la chambre noire, elle se livre à une multitude d’expérimentations, utilisant plusieurs négatifs en surimpression, dédoublant un même personnage (souvent elle-même), dessinant des traits avec un faisceau lumineux. Les contours de l’image s’estompent parfois progressivement dans le blanc, pour marquer l’effacement du souvenir, comme dans ces photos d’enfance qu’elle a rephotographiées pour les retravailler. Ailleurs, c’est dans l’obscurité que les figures s’enfoncent.
Faire sentir que ce n’est pas le réel
En 1980, Jean Eustache tourne Les photos d’Alix, où elle parle de son travail au fils du réalisateur. Dans le court-métrage qui décale subrepticement les commentaires des images, Alix Cléo Roubaud explique qu’elle fait des contretypes “pour avoir une photographie plus photographique, plus éloignée de la réalité, pour bien faire sentir que c’est une photographie et pas le réel.“
Le champ de ses explorations photographiques, c’est essentiellement l’intime, souvent la chambre, dernière chambre d’adolescente chez ses parents, ou les chambres d’hôtel où elle capte son reflet et celui de son mari dans une glace. Celui-ci, elle nous le montre sur la même image, allongé à lire et assis en reflet juste à côté, créant un climat étrange. Dans ces chambres, elle nous fait voir sa vie amoureuse, sans excès d’impudeur.
L’autoportrait, souvent nu, est un des thèmes récurrents de son œuvre. Son corps est malade : depuis petite elle souffre d’asthme aigu et se sent menacée par l’obscurité et la mort. Elle crée sa série 15 minutes la nuit au rythme de la respiration allongée avec l’appareil photo sur sa poitrine souffrante. Elle y saisit des cyprès en vitesse lente, l’obturateur fixé à 15 minutes, en impliquant tout son corps dans la prise de vue. Dans sa série Si quelque chose noir elle imagine sa mort : dans une pièce dépouillée, elle se tient nue, se dédouble, s’allonge au sol, se revoit petite fille… La série, conçue comme un haiku, est accompagnée d’un texte aussi important que les images.
La photographie indissociable de l’écriture
Car l’écriture est une part importante de la création d’Alix Cléo Roubaud, elle est indissociable de sa pratique photographique. Pendant des années, elle a écrit son journal, dont une partie a été publiée par son mari après sa mort (Journal 1979-1983) où elle parle de la photographie. Et des textes accompagnent souvent ses images ou en font même partie, manuscrits ou tapés à la machine, photographiés et intégrés en surimpression.
Ses photos ont peu été montrées de son vivant et après sa mort, même si elle a participé à une importante exposition à Créteil en 1982 et si la série Si quelque chose noir était à Arles en 1983 […].
Tiré épreuve des cyprès de St-Felix. Prise la nuit avec ouverture de 01-15 minutes. Légère oscillation de bas en haut de l’appareil due sans doute à ma respiration.
(Journal, Alix Cléo Roubaud, le 20 novembre 1980)
Ce sont les mots employés par Alix Cléo Roubaud au sujet de sa photographie 15 minutes la nuit au rythme de la respiration. Ce cliché où nous peinons à discerner le paysage en raison de son flou résulte de la respiration de l’artiste. Elle se serait allongée nue face à ces cyprès, laissant l’appareil ouvert plusieurs minutes en le posant sur sa poitrine. Véritable “autoportrait par le souffle” d’après Héléne Giannecchini, ce cliché nous invite à entrer dans l’intimité de l’artiste en nous dévoilant, d’une manière assez inédite, son corps malade. Depuis son plus jeune âge elle souffre d’asthme aigu, des problèmes de santé qui la condamnait à mourir précocement, elle s’éteindra à l’âge de ses 31 ans suite à une embolie pulmonaire. Bien plus qu’une simple photographie d’un paysage flou, “ce saisissant paysage bougé réunit le vécu de la photographe (Alix Cléo Roubaud allongée par terre face à une haie de cyprès) et ses réflexions conceptuelles”. Le travail d’Alix Cléo Roubaud est marqué par des réflexions liées à sa pratique photographique mais aussi par des réflexions sur le temps, le corps et la mort, thèmes abordés tout au long de son œuvre.
L’artiste est une grande lectrice de Benjamin et cela se ressent au sein même de sa pratique photographique. Pour reprendre les termes de Benjamin dans l’œuvre à l’époque de sa reproductibilité technique, les clichés de l’artiste possèdent une aura importante étant donné qu’ils sont uniques. Le tirage de son positif une fois réalisé, elle détruit le négatif, ne laissant ainsi qu’une seule version du positif. Elle prend et développe ses clichés un peu à la manière qu’avaient les impressionnistes de peindre leurs tableaux : en teintant la réalité de sa vision. C’est donc par et à travers la photographie que l’artiste nous transmet et nous partage ses émotions et ses réflexions. D’abord à travers le corps, et plus particulièrement le sien, qui prendra une place importante dans son travail. Elle se mettra en scène, souvent nue, dans plusieurs de ses séries d’autoportraits.
Cela n’est pas sans rappeler le travail d’une autre jeune femme photographe morte précocement elle aussi : Francesca Woodman, pratiquant elle aussi l’autoportrait de nu. Tout comme Roubaud, Francesca Woodman menait également des réflexions sur la technique photographique et l’écrit. Son corps pouvait apparaître comme un spectre au milieu d’espace en décrépitude. À travers leurs corps les deux artistes, marquées par un destin tragique, nous font part de leur féminité, de leur sensualité et parfois même de leur érotisme, mais aussi de quelque chose de plus sombre : la maladie (que ce soit l’asthme d’Alix Cléo Roubaud ou bien la dépression de Francesca Woodman). Un peu à la manière dont le corps pouvait être considéré pendant la Grèce Antique, le corps peut être ici considéré comme une idole : on ne voit pas seulement son corps nu, son corps fait appel à quelque chose qui le dépasse et nous pousse à nous interroger sur le temps et la mort. Que son corps paraisse tantôt fantomatique car translucide, tantôt dupliqué ou qu’il soit suggéré par les traces du mouvement qu’il laisse comme pour le cliché 15 minutes la nuit au rythme de la respiration, il sera intégré de manière atypique.
Habituellement, excepté pour les autoportraits, le corps cherche à s’effacer. On essaie d’éviter l’impact que peut avoir le corps du photographe dans la prise de vue, or ici c’est tout le contraire, c’est même son corps évoqué par le souffle qui est le sujet premier dans la série 15 minutes la nuit au rythme de la respiration. Michaux faisait remarquer qu’il ne suffisait pas d’enlever ses habits pour faire du nu mais que le nu était “une technique de l’âme”. Ce qui compte alors dans ses photographies de nus ce n’est peut-être pas tant ce que l’on peut voir que ce que cela évoque en excès : son âme, son intimité, ses réflexions.
Ce n’est pas une coïncidence d’utiliser le médium qu’est la photographie car ce dernier possède un lien privilégié en ce qui concerne les réflexions sur le temps et la mort. La photographie “c’est l’endroit où la « culture » rencontre la « nature » (mort, temps, sacré, sexe), mettant au jour des expériences auxquelles toutes les cultures se confrontent sous des guises diverses”. La photographie d’Alix Cléo Roubaud est témoin du temps qui passe, en laissant l’appareil ouvert elle réussit à obtenir des clichés emplis de mouvements. Cette question du temps qui passe et qui s’écoule fait forcément appel à une réflexion sur la mort. Roland Barthes et André Bazin développent une pensée du présentisme. D’abord avec André Bazin considérant d’une part que la photographie est objective car ne fait pas intervenir l’homme et, d’autre part, que c’est une représentation absolument ressemblante au réel. Avec la photographie ce n’est plus la main humaine qui va peindre la réalité, mais c’est la réalité elle-même qui va s’imprimer sur la pellicule. André Bazin parlera d’un “transfert de réalité de la chose sur sa reproduction” qu’on ne peut trouver ni dans la peinture, ni dans la sculpture et faisant ainsi la spécificité de la photographie. Puis avec le “ça a été” développé par Roland Barthes attestant du fait que si une chose est présente sur la photo c’est qu’elle a bien existé et qu’au moment de la prise était présente.
En ayant bien ces conceptions en tête nous allons questionner le rapport qu’a la photographie notamment avec la question de la mort. Dans LaPhotographie au service du surréalisme,Rosalind Krauss disait :
Car la photographie est une empreinte, une décalcomanie du réel. C’est une trace – obtenue par un procédé photochimique – liée aux objets concrets auxquels elle se rapporte par un rapport de causalité parallèle à celui qui existe pour une empreinte digitale, une trace de pas, ou les ronds humides que des verres froids laissent sur une table. La photographie est donc génétiquement différente de la peinture, de la sculpture ou du dessin. Dans l’arbre généalogique des représentations, elle se situe du côté des empreintes de mains, des masques mortuaires, du suaire de Turin, ou des traces des mouettes sur le sable des plages.
Rosalind Krauss, Photography in the Service of Surrealism
Les analogies ici développées, et plus particulièrement celle du masque mortuaire, montrent bien le rapport étroit qu’entretient la photographie avec la mort. Par ailleurs, le travail d’Alix Cléo Roubaud puise, entre autre, son inspiration dans la poésie médiévale japonaise : le Rakki Taï. Le Rakki Taï est un genre poétique s’évertuant à dompter ses démons et la mort. Elle écrira dans son Journal à ce sujet :
« style du double » dans la poésie médiévale japonaise art visant à dompter ses démons, ruser avec la mort
« oeuvre de l’ombre »
devait montrer la « doublure des choses (…) à la fois l’instant qui précède ou qui succède à la photo, qu’on ne voit pas ; elle est donc l’image de notre mort. Ces choses pourraient ne pas être là, après tout : mais moi non plus, et avec moi, disparaître le monde – telle est la folie de la photographie »
Alix Cléo Roubaud, Journal
Si on s’attarde encore un peu sur André Bazin, la photographie serait un moyen de combattre la mort par le procédé photographique lui-même. La photographie aurait ce pouvoir d’arracher au temps quelque chose de la présence des êtres. On chercheraità fixer artificiellement les apparences charnelles de l’être, d’où le développement du “complexe de la momie” chez André Bazin puisque “fixer artificiellement les apparences charnelles de l’être, c’est l’arracher au fleuve de la durée : l’arrimer à la vie”. La photographie serait quelque part la création d’une effigie permettant de garder en vie l’être présenté en photo. Cela Roubaud l’a bien compris, elle sait qu’elle va mourir.
je vais mourir.
Tu vas me perdre, mon amour. Je n’ai aimé que toi.
Je mérite la mort. Je mérite la mort, stupide, inutile, amoureuse. Tu me verras morte Jacques Roubaud.
On viendra te chercher.Tu identifieras mon cadavre. Tu ne sais rien de Dieu. prépare-toi à ma mort. tu m’aimes pour les raisons de la vie
sottement tu oublies les raisons de la mort.
Alix Cléo Roubaud, Journal
Ce rapport qu’a la photographie avec son référent est cependant à nuancer. Les théories de Barthes et Bazin posent en axiome la photographie comme garante d’une représentation juste du réel, d’un prélèvement de ce dernier. De ce point de vue, la photographie est une trace du réel et possède un rapport indiciel au sens où on l’entend dans la sémiotique de Peirce. Les signes indiciels sont des “traces sensibles d’un phénomène, une expression directe de la chose manifestée. L’indice est prélevé sur la chose elle-même. L’indice existe du seul fait qu’une trace a été produite par un événement”, typiquement il n’y a pas de fumée sans feu, la fumée atteste de la présence du feu. Appliqué à la photographie cela revient à dire que ce qui est sur l’image “a été”. Mais cette théorie pose un problème : cette relation indicielle qu’a la photographie avec son référent ne peut être comprise comme telle que lorsque cette relation laisse la place à un interprétant qui “peut se rapporter à l’objet non pas directement mais par l’image obtenue de lui par enregistrement. Mais s’en tenir à cela, c’est s’en tenir à un point de vue strictement objectif.”
C’est ici que se pose le problème, la personne regardant la photographie peut évacuer cette relation indicielle et considérer l’image pour elle-même sans la faire fonctionner comme indice : “ll est parfaitement possible que quelqu’un qui regarde des images photographiques se moque de les faire fonctionner comme des indices, se contentant de les considérer comme des images, c’est-à-dire des icônes. On peut en effet regarder des images photographiques en suspendant toute considération relative à l’existence de son objet, pour ne considérer que son image. C’est ce que tout un chacun fait du reste avec la plupart des images photographiques qui ont pour fonction de communiquer ou d’illustrer.” Et même si la personne regardant cette image s’évertue à faire fonctionner cette relation indicielle, l’objet auquel se réfère l’image ne peut pas être atteint en tant que tel mais seulement par le biais de son image : “rien ne garantit que ce qu’on identifie dans l’image corresponde réellement à ce qui a été photographié. La photographie n’atteste pas mes propres identifications, mais seulement que quelque chose a été photographié. Or si absolument rien ne permet d’assurer la coïncidence entre ce que je tiens pour l’objet de la photographie et son référent réel, la relation indicielle est non seulement incertaine du point de vue cognitif, mais elle est plus radicalement une relation qui vise un objet qu’elle n’atteint jamais, du moins tel qu’elle le devrait : directement comme l’objet réel qui a réellement affecté la surface sensible d’un appareil photo.”
Autrement dit c’est par la personne qui regarde une image que l’une ou l’autre des relations vont être activées. La perception d’une dimension indicielle n’est pas posée par la nature de la photographie même, elle nécessite une contextualisation en dehors de l’image elle-même. La photographie n’est donc jamais purement et strictement indicielle, pour lui donner un sens il faut la contextualiser : cette “preuve ou empreinte ne sont pas des objet autonomes : elles ne deviennent des traces qu’en vertu d’un rapport sémiotique établi par l’enquête, qui reconstitue la corrélation effacée par la disparition de la cause.” La définition ontologique de l’image, défendue par Bazin et Barthes, est ici abandonnée au profit d’une définition plus contextuelle voire psychologique.
Pour en revenir à l’œuvre d’Alix Cléo Roubaud, les écrits ajoutés à ses clichés permettent une contextualisation de ses images et leur donnent davantage de sens. On oscille entre ce rapport indiciel, car oui, Alix Cléo Roubaud a bien été (en atteste les écrits d’elle et de son mari, Jacques Roubaud), mais le caractère fictionnel s’ajoute et embellit le réel, notamment dans la mise en scène de ses clichés où son corps se fait double, translucide et où il prend toute sa portée en rapport avec ses écrits et la connaissance de son vécu. Car à travers ses œuvres elle défie la mort qui l’attend.
Comme nous l’avons remarqué plus haut, le nu photographique dans la démarche d’Alix Cléo Roubaud n’est pas anodin, la mise en scène de sa propre mort dans certains de ses clichés est aussi une autre manière de combattre la mort, de la contrôler, de se l’approprier : “la mort, évoquée et vécue à travers l’image, est soustraite au régime arbitraire de la nature pour être soumise à l’ordre humain.”“Dans la mesure où elle est représentée”, rappelait Fornari, “elle n’obéit plus aux lois de la nature mais aux désirs des hommes.” A ce juste titre, Roland Barthes écrivait dans sa chambre claire que la photographie est “un futur antérieur dont la mort est l’enjeu”. En plus de combattre la mort et l’angoisse que cela peut générer chez l’artiste, ses clichés vont devenir, à la manière du mythe de Dibutades, l’ombre qui restera d’elle pour consoler son mari. En plus du médium photographique suggérant un rapport avec la mort, cette dernière est évoquée de manière poétique dans toute son œuvre : tantôt apparaissant comme une ombre, tantôt comme un spectre de lumière. Paradoxalement nous pouvons dire que ses clichés sont pleins de vie. En effet, le mouvement est omniprésent dans ses œuvres, or quel était le meilleur moyen à l’époque des photographies post mortem d’attester qui était vivant sur une photo ? Le mouvement. Le mouvement atteste de la vie, il anime le corps.
Quoi qu’il en soit, l’oeuvre d’Alix Cléo Roubaud, que ce soit à travers son oeuvre photographique ou ses écrits, nous permet de rentrer dans l’intimité de l’artiste et de saisir les enjeux et les réflexions philosophiques qu’une telle pratique peut susciter. La photographie comme médium semble ici avoir une importance cruciale concernant les questionnements autours du temps, du corps et de la mort, ce que beaucoup de spécialistes de la photographie tenteront d’éclaircir. Alix Cléo Roubaud nous apporte sa propre conception de ces thématiques en mettant son art au service de ses réflexions.