LEMAIRE : La Société libre d’Émulation, une histoire riche et vivante (CHiCC, 2003)

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Au fil des générations, dans la mémoire des Liégeois, l’Emulation est restée synonyme de séances d’Exploration du Monde, du Touring Club, de concerts ou pièces de théâtre dans l’écrin confortable qu’était la salle de spectacles.

Toute l’aventure partit d’une bonne idée, celle qui, à la fin du 18e siècle, rassembla plusieurs citoyens soucieux de pourvoir leur ville d’un centre de réunions et d’actions culturelles, dirions-nous aujourd’hui. Créée en 1779 sous la protection éclairée du prince-évêque François-Charles de Velbrück, la Société d’Emulation, constituée sur le modèle des académies qui florissaient alors en France, oeuvrait dans une ambiance de sociabilité érudite ; elle était également chargée de la surveillance de la plupart des établissements scolaires fondés à Liège par ce prince-évêque : la Société pour l’Encouragement des Beaux-Arts, l’Académie de peinture, de sculpture et de gravure, l’Ecole de dessin appliqué aux Arts mécaniques, le Cours de Droit civil et économique, l’Ecole d’accoucheuse,…

Grâce à un don de Velbrück, ses activités avaient pour cadre un petit mais bel édifice de 1762, appelé “Salle des Redoutes”. Elle était située place du Grand Collège dont les constructions seront incorporées plus tard dans l’Université. On y trouvait une bibliothèque, les journaux liégeois et aussi parisiens, un cabinet de physique expérimentale et une salle de réunion où se donnaient des concerts, des conférences et des expositions.

La chute de l’Ancien Régime a entraîné la fermeture des salons de l’Emulation et on peut considérer qu’elle n’a rouvert ses portes qu’en 1809, sous le régime français. L’épithète “libre” a alors été adjointe à son nom. Il y avait eu occupation de troupes dans les locaux et il a fallu reconstituer les collections et le mobilier, faire deuil du cabinet de physique expérimentale dont le matériel avait disparu.

Le 19e siècle fut un siècle d’or pour la Société avec le développement de l’Université car la plupart des professeurs étaient aussi membres de l’Emulation. Les étudiants y avaient entrée libre. On put alors assister à l’audition de conférenciers (dont un des plus acrobatiques fut assurément Paul Verlaine, plutôt éméché), de littérateurs et critiques, d’œuvres musicales, dont certaines dirigées par leurs compositeurs, tels Franz Liszt et des représentants de l’Ecole de Musique russe venus sous l’égide de la Comtesse de Mercy-Argenteau.

Le bâtiment bénéficiera au cours du 19e siècle de modifications importantes, par l’adjonction d’un deuxième étage surmonté d’un fronton triangulaire, et par la rénovation, vers 1850, de la salle néo-gothique par l’architecte Jean-Charles Delsaux. Ulysse Capitaine a établi, en 1862, un catalogue de la bibliothèque qui recensait 2 262 manuscrits. Comme nous le renseigne le Liber memorialis de Renier Malherbe (publié pour le centenaire de l’association), l’Emulation établit très vite des relations avec des sociétés savantes étrangères et compta parmi ses membres résidants, correspondants et honoraires de nombreuses sommités scientifiques nationales et internationales.

Ruines du bâtiment de l’Émulation © histoiresdeliege.wordpress.com

Le siècle suivant débuta par une catastrophe : le soir du 20 août 1914, au début de la première guerre mondiale, une soldatesque, avinée pour la circonstance, fusilla 28 personnes et mit le feu à de nombreuses maisons de la place de l’Université. L’Emulation brûla de fond en comble, avec perte totale de sa bibliothèque, de ses archives, de ses collections et des orgues. Seul vestige conservé de son passé foisonnant : une feuille de titre des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand !

En mars 1918, Emile Digneffe, Président du Conseil, et son collègue Auguste Laloux entamèrent la reconstitution de la Société. La Ville mit à disposition de l’Emulation un ensemble de parcelles expropriées. Dans le projet de l’architecte Julien Koenig, le nouvel immeuble aura une façade, sur la place du Vingt-Août, de 31 mètres de large, avec une surface près de six fois supérieure à celle de l’ancienne. Inspirée du style Louis XVI, elle sera revêtue de petit granit et de brique avec des bas-reliefs sculptés en calcaire de Larochette. En comptant la galerie et la loge royale, la salle pouvait asseoir quelque 600 participants. Dans son prolongement se trouvait la salle d’expositions dont les cimaises ont accueilli des manifestations de l’Union liégeoise du Livre et de l’Estampe (alors filiale de l’Emulation), de l’A.P.I.A.W., de l’Oeuvre des Artistes

Le 17 mai 1939 eut lieu, en grande pompe, l’inauguration de ce nouveau bâtiment qui allait, cette même année, contribuer aux fastes de l’Exposition Universelle de l’Eau, dont le Commissaire du Gouvernement se trouvait être le baron de Launoit, Président de la Société. Hélas, moins d’un an après, la deuxième Guerre mondiale et l’Occupation allaient entraîner, pour l’Emulation, l’indisponibilité de ses locaux. De 1940 à 1948, ils sont réquisitionnés par le Département de la Justice. Ensuite, les trois derniers étages seront loués à la Radio, à l’Université, au Grand Liège ainsi qu’à des services-clubs.

Maison Renaissance © Ph.Vienne

Depuis 1985, le bâtiment de la place du Vingt-Août est loué à la Communauté française pour y abriter la Section des Arts de la Parole du Conservatoire Royal de Musique de Liège. La Société libre d’Emulation est réinstallée depuis 1986 dans la Maison Renaissance, dans une courette de la rue Charles Magnette. Ce petit édifice à tourelle d’angle, vestige subsistant du couvent des Sœurs de Hasque (classé, entièrement restauré en 1931 puis, extérieurement, en 1990) est à la fois son siège administratif, le lieu de certaines activités et le creuset de ses initiatives culturelles.

D’après un texte de Guy Dehalu, Administrateur-Secrétaire général de l’Emulation, Alfred Lamarche, membre de l’Emulation, et Anne-Françoise Lemaire.

  • image en tête de l’article : le nouveau bâtiment de l’Émulation après son inauguration en 1939 © histoiresdeliege.wordpress.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Anne-Françoise LEMAIRE, organisée en novembre 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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GODEAUX : Le tram et le trolleybus de Cointe (CHiCC, 2003)

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À la fin du 19e siècle, Liège possède quatre compagnies de tramways : le Chemin de Fer Américain créé en 1871, Frédéric Nyst et Cie qui exploite l’Est-Ouest en 1880, les RELSE (Liège-Seraing) en 1891 et les Chemins de Fer Vicinaux. Les transports publics se composent encore de diligences et de malles-postes. Cointe, bien qu’entourée de charbonnages, est une oasis de verdure et un lieu de divertissement grâce à ses guinguettes et au pèlerinage célèbre à Saint-Maur. Vu la création du parc de Cointe, pour accéder à ces terrains nouveaux, il s’avère nécessaire de disposer d’un moyen d’accès. Frédéric Nyst propose une liaison nord-sud partant de la gare de Vivegnis et atteignant le plateau, proposition refusée par le conseil communal. Une deuxième proposition vise à prolonger la ligne vers Sclessin et rendrait la ligne viable. Ce projet est également refusé, cette fois par la députation permanente.

Le 20 janvier 1893, une troisième proposition émane de Paul Schmidt, avocat, et elle est acceptée le 3 juillet 1893 pour une durée de 50 ans. Les droits sont immédiatement rétrocédés à une Société du Tramway de Cointe. La ligne, qui fut la première à être électrifiée à Liège, partait du bas de la rue Sainte-Véronique ; elle fut ouverte le 11 août 1895. La pente était de 3 à 5% ce qui est déjà considérable, en courbe constante. Il y avait quatre évitements : un place Sainte-Véronique et trois dans l’avenue de l’Observatoire. La longueur n’était que de 1.500 mètres. Le coût était de 150.000 francs de l’époque !

Il y avait quatre motrices, deux fermées d’une puissance de 25 chevaux construite par la société Electricité et Hydraulique qui deviendra plus tard les ACEC, et deux motrices ouvertes fournies par les Ateliers Germain. Le courant de traction était fourni par la Société Electrique du Pays de Liège. Le dépôt se trouvait à mi-parcours, dans le deuxième virage de l’avenue de l’Observatoire, où se situe maintenant l’arrêt dit “ancien dépôt.” La société était déficitaire mais son but était surtout de valoriser les terrains du parc. Elle intéressait le Liège-Seraing qui la reprit en avril 1905. La proximité de l’exposition laissait augurer un accroissement du trafic. La société souhaitait aussi éviter une prolongation vers Sclessin, ce qui aurait court-circuité la ligne du tram vert par la vallée. Quatre nouvelles motrices de 75 CV (type A) sont fournies par Ragheno. Il faut 15 minutes pour effectuer le trajet. Le prix, au départ de 15 centimes, montera progressivement à 90 centimes à la fin de l’exploitation.

Sauf à la Pentecôte, il n’y avait que deux voitures en ligne. Un projet de liaison du site de l’exposition au plateau par trolleybus AEG fut présenté mais resta sans suite, le matériel n’étant pas fiable. La ligne du tram de Cointe fut alors prolongée par une voie provisoire à travers le parc d’Avroy jusqu’à la rue Raikem où elle retrouvait le trajet de la ligne 9 pour rejoindre le Jardin d’Acclimatation. En 1927, un regroupement des compagnies fait que la ligne de Cointe est cédée aux Tramways Unifiés. En 1929, le trajet est prolongé vers le centre de la ville, place de la République française et ensuite place de la Cathédrale.

Le 31 juillet 1930, apparaissent les premiers trolleybus qui passent par la place des Wallons pour rejoindre l’avenue de l’Observatoire. Ce sont des voitures anglaises Ransomes de 60 CV qui se déplacent à 40 km/h. Le réseau de trolleybus se développant, la société achète de nouveaux trolleybus. L’expérience des véhicules anglais n’ayant pas été concluante, le choix se porte sur la FN : 30 voitures T32, partie électrique CEB et châssis et caisse FN en acier soudé. Le moteur autorise la récupération ce qui permet, en descente, de renvoyer de l’électricité sur la ligne. En 1937, ils seront suivis par 48 nouveaux qui y ressemblent sauf la face avant, et sont plus puissants : 75 CV. Ces véhicules auront des problèmes ; le carter du pont arrière est en aluminium et se brise. Ils devront être remplacés par des carters en acier. Les montants des fenêtres cassaient à hauteur de la ceinture par temps froid. Alors, ces montants ont été renforcés. En 1938, nouvelle commande de 28 trolleys FN dont dix seront livrés avant la guerre et les suivants seront achevés au dépôt Natalis car la FN était, à l’époque, sous séquestre allemand. Les pièces de rechange, et surtout les pneus, deviennent rares et la circulation des trolleybus se raréfie. Le 25 mai 1944, la ligne est interrompue à cause des dégâts causés par les bombardements.

Du 25 mars 1946 au 26 mai 1955, l’exploitation de la ligne est suspendue à plusieurs reprises par suite d’un glissement de terrain survenu avenue de l’Observatoire. Un terminus provisoire est aménagé près de l’ancien dépôt. Dans les voitures, le chauffage est installé, une place pour le percepteur est prévue, une troisième marche facilite l’accès mais ces trolleybus se révèlent inadaptés à la circulation automobile de l’après-guerre. Ils circuleront jusqu’au 16 septembre 1968 et seront remplacés par les autobus.

d’après Jean-Géry GODEAUX

  • Illustration en tête de l’article : ancien dépôt de Cointe (collection Jean Evrard) © histoiresdeliege.wordpress.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Jean-Géry GODEAUX, organisée en mars 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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DE PIERPONT : Un tunnel pour bateaux sous la crête ardennaise ? L’épopée du canal de Meuse et Moselle (CHiCC,2003)

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Guillaume d’Orange-Nassau a reçu le trône des Pays-Bas, de Belgique et la couronne grand-ducale au Luxembourg, trois territoires qui restent différents et le Grand-Duché a un statut particulier : il fait partie de la confédération germanique. Guillaume Ier s’intéresse au développement de son royaume et participe à la constitution de la Société Générale des Pays-Bas. Elle est au départ caissière de l’état, émet des billets de banque, gère un patrimoine foncier et agricole fort important et soutient l’économie nationale. En bon Hollandais, Guillaume Ier développe notre réseau de canaux. Le Grand-Duché a une surface double de celle actuelle : il englobe notre province de Luxembourg actuelle.

Rémi de Puydt, né juste après la Révolution française, est le fils d’un médecin militaire. En 1813, officier des armées napoléoniennes, il est blessé, puis devient receveur des droits et accises au Luxembourg. Après quatre ans d’études d’ingénieur de génie civil à Paris, il s’installe dans le Hainaut où il réalise le canal du Hainaut. De sa rencontre avec Guillaume Ier naît l’idée du canal de Meuse et Moselle, long de 263 km, destiné à relier Liège à Trèves et de faire sortir le Luxembourg de son isolement économique. Un dénivelé de 379 mètres côté mosan et de 305 mètres côté rhénan entraînerait la construction de 205 écluses. Pour franchir la ligne de partage des eaux entre les deux bassins, Rémi de Puydt a l’idée, non pas de creuser une tranchée qui eut été énorme, mais de forer un tunnel (le mot n’existait pas encore, on parlait de ‘galerie souterraine’) à 60 m sous la crête. Il fallait aussi canaliser les rivières, installer des chemins de halage, modifier certains ponts, prévoir des lacs réservoirs pour régulariser le cours en période d’étiage. Le projet prévoyait aussi neuf autres souterrains plus courts pour recouper des méandres de l’Ourthe.

L’empereur romain Claude au 1er siècle après Jésus-Christ avait déjà eu le projet de raccorder la Meuse au Rhin, en passant au nord de Visé. Au 16e siècle, Philippe II d’Espagne, soucieux de créer une frontière naturelle avec les Pays-Bas protestants, reprit l’idée. Quelques siècles plus tard, Frédéric le Grand, célèbre roi de Prusse, revient au projet sans succès. Napoléon rêve aussi d’un canal qui serait passé plus au nord dans les plaines de Hollande, financé par un impôt sur l’eau-de-vie.

Rémi de Puydt parvint à convaincre une série de financiers à la Société Générale et est soutenu par le roi Guillaume Ier. La Société du Luxembourg créée, elle obtient la concession à perpétuité à condition que les travaux soient finis en cinq ans. Nous sommes en 1827. L’évaluation des travaux monte à 100 000 florins, somme considérable, répartie en 2 000 actions de 5 000 florins que l’on peut payer en cinq tranches. Dans l’ensemble de la Hollande, seulement vingt titres sont vendus ! À Bruxelles, cent titres sont acquis essentiellement par les administrateurs. Au Luxembourg, on en vend sept. Guillaume Ier et sa famille souscrivent 500 actions, espérant relancer l’entreprise, mais sans résultat. Malgré tout, les entrepreneurs décident de commencer les travaux par le percement du tunnel. Le chantier est installé près du village de Tavigny [Houffalize]. On attaque la galerie de 2 728 m par les deux extrémités ; la largeur est de 3,5 m et la hauteur de 5,5 m. Le travail avance d’un mètre par jour. 200 à 300 ouvriers sont sur place, ce qui provoque un grand bouleversement social et un choc culturel dans un monde d’agriculteurs.

A part les travaux du souterrain, peu de choses bougent et les finances sont trop faibles. Les travaux à réaliser tout au long du cours de l’Ourthe sont démesurés. Le délai imparti de cinq ans est trop court. En 1829, de Puydt obtient la collaboration d’artificiers de l’armée. Entretemps, la tension contre les Hollandais monte, l’armée néerlandaise est mise en déroute à Bruxelles et se retire. Le gouvernement provisoire proclame l’indépendance. Au Luxembourg, la moitié des communes a pris parti pour la Belgique, l’autre moitié est restée sous le joug des Hollandais et même des Prussiens car, si le territoire est menacé, en vertu des accords de la Confédération germanique, la Prusse vient à la rescousse. Il faudra attendre neuf ans pour que la situation se clarifie.

Rémi de Puydt a été nommé commandant de la garde civique de Mons, puis lieutenant-colonel, commandant en chef des troupes du génie de la jeune armée belge. Beaucoup d’entrepreneurs partent en exil. On continue à creuser le souterrain mais il n’y a plus de liquidités, plus de poudre, la situation politique est de plus en plus compliquée. Guillaume Ier vient de revendre toutes ses parts de la Société Générale, à la Belgique. En août 1831, le gestionnaire des travaux décide d’interrompre le chantier, de façon provisoire espère-t-il. 1130 mètres ont été creusés. En 1839, le traité des 24 articles scelle la situation du Grand-Duché et le territoire est séparé en deux, en suivant la ligne des crêtes. Cela change tout : une frontière coupe désormais le canal et le projet s’enlise complètement. En 1848, le canal de l’Ourthe refait parler de lui. À Londres, trois hommes d’affaires détiennent toutes les actions de la Société du Luxembourg et ils se disent prêts à reprendre les activités. Le canal se limiterait désormais au tronçon entre Liège et La Roche. Entre 1852 et 1857, les travaux reprennent et ce canal a fonctionné jusqu’au milieu du 20e siècle. Puis c’est le chemin de fer qui a progressivement tué cette activité.

Rémi de Puydt sera nommé ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, deviendra député pour l’arrondissement de Mons et, enfin, administrateur de l’établissement belge au Guatemala.

Les terrains expropriés sont revendus progressivement. Actuellement, comme la nature a repris ses droits, l’entrée du tunnel devient de moins en moins visible. La galerie s’est effondrée à près de 400 m, les puits ont été rebouchés, le site, classé, est voué à devenir un refuge pour les chauves-souris.

d’après Géry de Pierpont

  • Illustration en tête de l’article : le tunnel de Bernistap © la-truite.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Géry de Pierpont, organisée en février 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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HALLEUX : L’industrie à Liège du temps de John Cockerill (CHiCC, 2003)

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John Cockerill est un peu l’arbre qui cache la forêt. Il la cache par son génie, par le mythe qui s’est créé autour de son personnage et autour de ses œuvres. Et pourtant, il n’était pas le seul, les vieux ouvriers disaient qu’ils travaillaient “amon Dallemagne“, “amon Michiels” ou “amon Orban” [“chez Orban”] selon qu’on parlait de l’une ou l’autre usine. Il y a tout un monde qu’il faut évoquer. Pourquoi, dans les années 1780-1830, notre région liégeoise est-elle devenue un des pôles du développement industriel européen ? Pourquoi à Liège et pas ailleurs ? Certes, il y avait du minerai de fer, on a recensé 300 anciennes petites mines de fer ; il y avait du charbon, mais il y en avait aussi ailleurs. Il faut chercher la réponse du côté des hommes, de leur savoir, de leurs réactions.

C’est ce monde des années 1780 à 1830 que nous vous invitons à découvrir. Il a donc connu cinq régimes : les derniers princes-évêques, la Révolution française, l’Empire français, le régime hollandais et la Belgique léopoldienne. Il faut pénétrer dans les lieux où se réunit ce monde. Trois grandes sociétés liégeoises sont créées dans les mêmes années : la Loge “La parfaite Intelligence, la société libre d’Emulation et la Société littéraire. Les personnes qui se retrouvent dans ces sociétés sont souvent les mêmes. C’est un univers d’intellectuels, d’aristocrates, de bourgeois qui partagent les mêmes intérêts. Il y a des politiques, des inventeurs, des financiers dont l’idéal est celui des Lumières. C’est à la fois le libre examen et le libre échange. Ils désirent appliquer la méthode scientifique dans tous les domaines, dans les matières de sciences, dans les matières d’éducation, de politique, de religion, d’économie c’est-à-dire qu’ils mettent la science au service de la prospérité publique. Ils veulent introduire toute espèce de nouveau procédé, élever le niveau d’instruction des ouvriers qui sont trop souvent, à ce moment, esclaves de la routine.

Au cours des cinq régimes évoqués ci-dessus, on trouve la même politique d’encouragement et de développement. Velbrück était un ami des encyclopédistes, il était franc-maçon et un des aspects de lui moins connu : ami des arts et des manufactures. Ce concept d’émulation se défini à l’époque comme une honnête rivalité pour l’honneur et pour le bien, une compétition dans le pays pour susciter le plus possible de talents. La société l’Emulation pose des questions : comment prémunir les mineurs contre les accidents, trop fréquents ; comment perfectionner les moyens de pompage dans les mines ; comment fabriquer du fer avec du charbon de terre alors qu’on utilisait le charbon de bois.

Les élites anglaises et américaines venaient étudier à Liège au collège des jésuites anglais, supprimé en 1773. Velbrück y voit l’occasion de créer un enseignement supérieur de la physique et des mathématiques de très haut niveau, ouvert cette fois aux élites liégeoises et européennes. Il crée en même temps le grand collège installé dans l’université, l’académie et des écoles de mathématiques et de géométrie pour les artisans. Il s’agit de doter Liège d’un enseignement spécialisé à la fois du point de vue technique, du point de vue général et même du point de vue médical et juridique. Ces idées seront reprises après la parenthèse révolutionnaire. Le régime français crée un conseil d’agriculture et des arts et manufactures, équivalent de la chambre de commerce. Il crée aussi une société des sciences physiques et médicales.

Les inventeurs sont trouvés dans le même milieu de la société d’Emulation. Ils se tiennent au courant de l’actualité scientifique. Spa est le rendez-vous de toutes les élites industrielles. Autour de l’analyse des eaux, se développe un milieu scientifique avec deux frères ennemis, les frères de Limbourg : Jean-Philippe et Robert, un chimiste et un géologue. Dans leur fourneau de Juslenville, ils font des recherches pour utiliser le charbon de terre en le transformant en coke. Jean-Jacques-Daniel Dony prend la concession de la Vieille Montagne et cherche comment produire du zinc métallique à partir du minerai. Les frères Poncelet de Sedan s’intéressent à la cémentation du fer pour faire de l’acier. Jean Gossuin les invite à Liège où ils entrent en contact avec un chimiste pour expérimenter les céments afin de fabriquer des limes. Ils trouvent un client important : la fonderie de canons créée par les préfets en 1803. Napoléon a, en effet, voulu redonner à Liège sa vocation de grande cité armurière en créant la fonderie de canons. Il y a donc eu interaction entre des savants et des chercheurs. La société d’encouragement de Paris couronnera deux liégeois en 1810 : Cockerill pour ses machines à tisser et à filer, et les frères Poncelet pour leur fabrication de limes en acier. Ils vont ensuite arriver à pouvoir fondre l’acier dans leurs creusets et fabriquer de l’acier coulé. Nous sommes dans un monde d’inventeurs doublés de bons investisseurs et de bons financiers.

Voici maintenant le monde des financiers. John Cockerill est le plus mauvais exemple car c’est un génie de la mécanique qui croit que ses machines sont tellement bonnes qu’il pourra toujours en vendre ! Les Orban sont des petits commerçants qui construisent un haut fourneau, produisent des tôles, fabriquent des bateaux en fer. Les Lamarche démarrent par la mécanique et s’associent avec un constructeur britannique pour construire des machines à vapeur. Pour celles-ci, il faut du fer et ils vont acheter des hauts fourneaux, des charbonnages, des fours à coke. Il sont aussi liés à la politique car une des filles Orban a épousé un avocat du nom de Frère qui deviendra l’illustre Frère-Orban.

Le milieu des travailleurs qui possèdent le savoir-faire et qui ont su s’adapter aux techniques nouvelles joue aussi un rôle important. Les Liégeois ont été forts dans la construction des machines à vapeur parce qu’ils étaient spécialisés dans l’industrie armurière. Puisqu’ils savaient forer et polir des canons de fusils, ils pouvaient faire de même pour les cylindres de machine à vapeur.

Le grand développement liégeois résulte d’un milieu complexe qui interagit. Le capital des uns, le savoir-faire traditionnel des autres, l’innovation technologique des savants, l’appui des politiques, constituent la recette de cette première réussite.

d’après Robert HALLEUX

  • Illustration en tête de l’article : John Cockerill à la Maison de la Métallurgie et de l’Industrie à Liège © cyberliegemagazine.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en janvier 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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HOSAY : Grétry, musicien liégeois (CHiCC, 2004)

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André-Modeste GRETRY est né en 1741 en Outremeuse, rue des Récollets au n°34. Le premier Grétry à être recensé est Arnold, fermier de la Comtesse Marie d’Argenteau, en 1540. Son nom provient d’un petit hameau de la région de Bolland. Le père d’André-Modeste était premier violon à Saint-Martin puis à Saint-Denis. Son fils commence sa carrière musicale à Liège où il va rester pendant 19 ans. Comme il n’existe pas encore d’école musicale, il doit entrer dans la maîtrise d’une église et son père l’introduit à Saint-Denis où il chante comme enfant de chœur. Il s’intéresse plus à la musique théâtrale qu’à la musique religieuse.

Le chanoine Simon de Harlez, de la cathédrale Saint-Lambert, le remarque et lui permet de se rendre à Rome où il sera intégré à la fondation Lambert Darchis. Dans ses mémoires, il raconte son voyage à pied. L’italianisme est en vogue et Grétry entend une troupe de chanteurs italiens qui chante La servante maîtresse de Pergolèse. C’est pour lui une révélation car il découvre l’opéra italien. À Rome, le théâtre Alberti lui commande, en 1766, un opéra qui s’appelle Les vendangeuses. Il obtient un grand succès. Au retour de son voyage, il passe par Genève où il entre en contact avec la musique française et l’opéra comique, alternance de parties chantées et de parties parlées. Il y rencontre Voltaire et Jean-Jacques Rousseau.

Grétry se rend ensuite à Paris. Il va être rebuté par l’art de Rameau qui est assez statique et froid par rapport à l’italianisme. Son premier opéra parisien sera un échec retentissant. Il va alors essayer de faire une synthèse entre l’art français, statique, et l’art italien, plus chaleureux. Il écrit Le huron qui triomphe unanimement dans la capitale française. Grétry était devenu un familier de la cour de Louis XV puis de Louis XVI. Dans ses opéras, il prône des valeurs de la noblesse, des valeurs assez élitistes.

Gretry par Élisabeth Vigée-Lebrun (1785) © BnF

En 1789, il va devoir ajuster sa vision dans des œuvres qui ne seront pas ses meilleures. Il s’installe au boulevard des Italiens, au n°7. Il aura une deuxième gloire sous le Directoire et le Consulat. Il sera admis à l’Institut, où il va siéger à côté de David, et il sera nommé Chevalier de la Légion d’honneur par Bonaparte. Sa santé commence à décliner et il acquiert alors l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau, son philosophe préféré, ermitage où il se retire. Mais il est trop lié au contexte de son époque pour pouvoir continuer à avoir du succès. C’est la différence entre un artiste créateur et un génie créateur. Alors, il n’écrit plus de la musique mais de la littérature intéressante : il consigne son esthétique, sa pensée musicale, il écrit son autobiographie.

Grétry a quitté Liège à 19 ans et y est revenu deux fois au cours de sa vie : en août 1776 et en décembre 1783. Lors de ses deux passages, il a reçu un accueil triomphal. Velbruck l’a nommé son conseiller musical personnel. La société l’Emulation a tenu une séance exceptionnelle en son honneur et la foule se pressa pour l’accueillir. En 1804, il voulait revenir voir sa sœur qui était abbesse dans un couvent près de Huy mais sa santé ne le lui permit pas. Il décède en 1813 et reçoit à Paris des funérailles grandioses. Il est inhumé au Père Lachaise. Il avait émis le souhait d’être enterré à Liège et la Ville a voulu suivre ses volontés mais il y eut un très long procès de 14 ans entre la Ville de Liège et les héritiers de Grétry. Ceux-ci voulaient conserver la dépouille à l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau pour y attirer du public.

Le Conseil d’Etat de Charles X a donné raison à la Ville de Liège qui a fait revenir le cœur dans la Cité ardente. L’urne qui a servi au transfert est restée longtemps dans le cabinet du bourgmestre et elle est maintenant au Musée Grétry. La Ville a lancé en 1836 un concours pour la réalisation de la statue que nous connaissons et dans laquelle le cœur sera déposé. Son érection, face à l’Emulation place du XX Août en 1842, a donné lieu à une fête populaire où se remarqua la présence de Meyerbeer et de Mendelssohn, et Liszt a donné un concert. La statue a été finalement déplacée, 24 ans plus tard, en face du Théâtre Royal.

La maison natale de Grétry, un immeuble de style liégeois Louis XV, a été pendant longtemps la propriété d’une famille d’imprimeurs, les Dubois-Desoer, qui l’a donnée à la Ville de Liège au milieu du 19e siècle. Deux conditions furent exigées : perpétuer les souvenirs attachés aux lieux et faire don des profits éventuels à l’encouragement des études musicales. La collection Grétry a réintégré la maison natale en 1913. Les premiers éléments avaient été mis en place par Jean-Théodore Radoux qui était le directeur du Conservatoire de Liège. Celui-ci avait rassemblé quelques souvenirs de Grétry mais ils n’étaient pas accessibles au grand public.

En 1985, Madame Radoux décédée, les responsables se sont trouvés dans l’embarras. Le musée a été fermé, hélas, pendant plusieurs années jusqu’en 1991. Dans le grenier de l’annexe de la maison de Grétry ont été retrouvés des sculptures et des instruments de musique. La bibliothèque recèle de nombreux écrits musicaux et littéraires de Grétry. On a recensé 125 effigies de Grétry : peintures, dessins, lavis, médailles, bustes… Dans cet intéressant musée, se trouve aussi la copie du célèbre portrait peint par Élisabeth Vigée-Lebrun, dont l’original est au Musée de Versailles (…).

d’après Nathalie HOSAY

  • image en tête de l’article : statue de Grétry à Liège © lespetiteshistoires.be

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Nathalie HOSAY, organisée en mars 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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GILSON : La musique en principauté de Liège au 18e siècle (CHiCC, 2002)

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La période envisagée s’étend entre Henri Dumont, grande figure liégeoise du 17e siècle qui est allé faire carrière auprès du roi de France Louis XIV, et César Franck, un des tout premiers étudiants issu de notre Conservatoire de Liège, qui est allé, lui aussi, faire carrière à Paris. Au 18e siècle, la mode conduisait plutôt les musiciens liégeois vers l’Italie et le goût italien.

A la fin du 17e siècle, un voyageur français, Duplessis, visitant Liège, avait admiré la somptuosité du service à la cathédrale Saint-Lambert. Il a écrit ceci : “Le service s’y fait avec une plus grande cérémonie qu’en aucun lieu que j’aie vu excepté à Rome et à Notre-Dame de Paris. Il y a une musique excellente et très bien entretenue, remplie toujours d’une très grande quantité de voix, et donne envie à tous ceux qui entrent dans cette église d’y arrêter avec attention pour l’entendre”. Par l’évocation de ces deux villes, Rome et Paris, Duplessis avait sans le vouloir désigné la double influence qui se manifestait dans la musique à Liège au 17e siècle. Un événement important allait modifier l’équilibre au profit de l’Italie. En 1699, le chanoine Lambert Darchis fonda à Rome l’Hospice liégeois. Cette fondation devait permettre à de jeunes liégeois, sculpteurs, peintres, musiciens, architectes, étudiants en droit et en médecine, d’aller se perfectionner en Italie sans dépendre du Collège germanique comme c’était le cas auparavant. Dès lors, le mouvement qui orientait déjà si volontiers les musiciens liégeois vers la péninsule s’accentuera. Théâtre, concerts, musique d’église feront de Liège au 18e siècle une province de l’Italie.

En 1728, un jeune homme âgé de 19 ans, élève des jésuites et chantre à la cathédrale Saint-Lambert, se rendait à Rome afin d’y parfaire sa formation. C’est Jean-Noël Hamal. Il était né le 23 décembre 1709 et allait décéder le 26 novembre 1778. Il était fils de Henri-Guillaume Hamal, second maître de chant à la cathédrale, et avait reçu de son père une tradition musicale qui remontait aux origines du style. De ce premier séjour italien qui se termina en 1731, il rapporta le goûût d’une musique nouvelle et plus animée. Celle-ci allait exiger des musiciens plus avertis et des orchestres plus fournis.

Ont existé aussi des clavecinistes à Liège. Un facteur de Theux émigré à Paris apporta des améliorations dans la conception de ces instruments pour les rendre plus expressifs et plus chantants. Il atteignit ce but par l’utilisation de becs en cuir de buffle à la place des becs en plumes de corbeau, ainsi que le placement de genouillères pour actionner les registres. On doit plusieurs pièces de clavecin à Jean-Noël Hamal. À cette époque fleurirent de très nombreux périodiques musicaux, signe d’une grande culture musicale.

De son deuxième séjour en Italie, Hamal rapporte plus de maîtrise mais aussi l’idée de composer de petits opéras-bouffes en langue dialectale. Le théâtre liégeois, c’est, en fait, un ensemble de quatre opéras en langue wallonne mis en musique en 1757-1758 par Jean-Noël Hamal. Il est la source de tout le théâtre en wallon liégeois, tant parlé que chanté. Les librettistes sont notamment le chevalier Simon de Harlez et Jacques-Joseph Fabry, qui deviendra bourgmestre de Liège. Ces messieurs sont des assidus du théâtre de la Baraque, premier théâtre de Liège. Ce dernier s’érigeait sur le quai de la Batte, pas loin de la passerelle Saucy, dans l’espace actuellement dégagé devant la grand-poste. Des troupes italiennes s’y produisent, ce qui inspirera notamment un opéra burlesque en wallon, en 1757, Le voyage de Chaudfontaine.

André-Modeste Grétry est né à Liège le 8 février 1741 et il mourra à Paris le 24 septembre 1813. Il traversera tous les régimes et tirera chaque fois son épingle du jeu. Musicien de la reine Marie-Antoinette, révolutionnaire, il s’est retiré dans l’ermitage de Rousseau. Il est souvent revenu à Liège. Il y chercha un maître qu’il ne trouva pas car il y manquait un conservatoire et des maîtres savants. Alors, il se rendit à Rome.

L’essor du nouvel opéra comique français développé par Grétry (il en a écrit 40) confirme la disparition du théâtre italien à Liège et étouffe le jeune théâtre liégeois en wallon. Hamal retourne à la grande musique des messes et des oratorios.

En 1789, le pays de Liège fit sa révolution, à l’image de la France. La cathédrale fut démolie en 1793 et Henri Hamal, neveu de Jean-Noël, put heureusement sauver une grande partie des partitions qui avaient fait la réputation de la ville aux 17e et 18e siècles. Elles se trouvent maintenant à la bibliothèque du Conservatoire de Liège.

Sous le régime hollandais, la vie musicale renaît et une école de musique, créée en 1826, deviendra conservatoire royal en 1831. Dans la Belgique nouvelle, la ville de Liège ne tardera pas à jouer un rôle musical important.

d’après Philippe GILSON

  • image en tête de l’article : Musée d’Ansembourg © proantic.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Philippe GILSON, organisée en avril 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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MEZEN : Sainte-Walburge, d’une légende à un cimetière (CHiCC, 2008)

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Une légende nous raconte qu’en 712, la fille du Roi d’Ecosse retrouva la vue sur les hauteurs de Liège, à Sainte-Walburge, en découvrant la beauté de la ville, et qu’elle y fit ériger un oratoire.

Mais la première trace historique de ce sanctuaire remonte à 1338, dans un courrier du prince-évêque Adolphe de la Marck. A la même époque, dans ce qui s’appelait “le faubourg Sainte-Walburge”, un Liégeois, un certain Guillaume Gillard del Cange, y fit ériger une construction pour lépreux. Ce type d’établissement, que l’on nommait à l’époque une maladrerie, tenait plus de l’hospice que de l’hôpital et, de par sa nature, exigeait la proximité d’un cimetière. Très vite, ce cimetière devint pour la population “le cimetière des Lépreux”.

Après l’abandon de l’hôpital, pillé par des escrocs, c’est un nommé Pierre Stevart qui racheta le terrain et ce qui restait de l’ancien édifice pour y faire construire une église. Lors des troubles, en effet nombreux à l’époque, les portes de la ville restaient fermées et les habitants n’avaient plus d’accès à une église. Quant au “cimetière des Lépreux”, il fut reconverti en cimetière paroissial, autour de l’église, selon la tradition de l’époque.

Le décret de Napoléon de 1804 modifiera le paysage des cimetières liégeois. Ce décret interdit l’inhumation dans les églises et à l’intérieur des villes. Tous les petits et nombreux cimetières paroissiaux vont disparaître, celui de Robermont est créé. Cependant, le cimetière de Sainte-Walburge subsistera jusqu’en 1866, notamment parce qu’il se trouve en dehors des remparts.

Un seul cimetière sur la rive droite était insuffisant et la décision d’implanter un nouveau cimetière rue Fosse Crahay fut prise par la Ville de Liège en 1868. Le projet de créer un nouveau cimetière sur la rive gauche de la Meuse réunit une belle unanimité. Par contre, le choix du lieu exact d’implantation donna lieu, déjà, à des palabres qui s’éternisèrent cinq mois durant, de mai à octobre 1868. Le conflit portait sur la salubrité des eaux de captage de la Ville, qui aurait pu être mise en cause selon l’endroit où la nouvelle nécropole serait située. En effet, les galeries des fontaines Roland ne sont distantes du site que de 600 mètres.

Finalement, un accord émergea et le Conseil communal vota l’implantation du cimetière de Sainte-Walburge à l’endroit où nous le connaissons actuellement. Il sera inauguré le 20 mars 1874 et une voie d’accès créée pour le relier au faubourg Sainte-Walburge, le boulevard Fosse Crahay.

Bien qu’il ne représente que la moitié des 44 ha de Robermont en superficie, le cimetière de Sainte-Walburge n’a rien à lui envier sur le plan historique, botanique ou environnemental. Même si une telle notion peut surprendre, chaque nécropole possède sa propre philosophie dans l’art funéraire et cette différence apparaît intéressante à analyser dans le cas des deux plus grands cimetières liégeois.

On ne trouve à Sainte-Walburge que peu de sépultures imposantes, beaucoup moins qu’à Robermont, beaucoup moins aussi de personnages qui se rappellent à nous par le nom d’artères importantes de la ville que nous empruntons quotidiennement ; on n’y découvre pas non plus la même recherche architecturale qui fait une partie de l’éclat de Robermont. Par contre, et ceci est symptomatique, d’innombrables médaillons rappellent aux visiteurs la physionomie des défunts, ce qui reste une indication que Sainte-Walburge possède une philosophie plus familiale que Robermont, plus proche de la population qui le fréquente. On y découvre ainsi énormément de personnages néanmoins connus et qui se sont révélés très attachants, parfois surprenants.

Si vous vous promenez dans le cimetière de Sainte-Walburge, vous découvrirez ainsi les sépultures de Emile Sullon, Jean Haust et Théophile Bovy, auteurs wallons, Henri Noinem, Désiré Horrent et Louis Radermecker, résistants, Maurice Destenay, Joseph Bologne et Georges Truffaut, hommes politiques, Jacques Ochs, dessinateur et caricaturiste, Henri Koch, violoniste, Henri Lacroix, guérisseur, Auguste Mindels et Ferdinand Delarge, sportifs, Edgar Scauflaire et Fernand Vetcour, peintres, et Maurice Waha, héros de Sainte-Marguerite, et bien d’autres.

Il est évidemment impossible de citer tous les personnages repris dans le livre, Le cimetière de Sainte-Walburge, 130 ans d’histoire, que j’ai consacré à cette nécropole. Il convient aussi de ne pas négliger l’aspect botanique du cimetière. C’est pourquoi un bel après-midi d’automne vous permettra de passer d’agréables moments dans un environnement bucolique tout en redécouvrant des pans de l’histoire liégeoise.

Chantal MEZEN

[image en tête de l’article : cimetière de Sainte-Walburge © Philippe Vienne]

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Chantal MEZEN, organisée en février 2008 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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FETTWEIS : Les changements climatiques en Belgique, vers des étés de plus en plus chauds et secs (CHiCC, 2024)

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[ULIEGE.BE] Le climat se réchauffe et cela ne fait plus aucun doute que les activités humaines en sont responsables. Mais concrètement, qu’est-ce qui nous attend chez nous à Liège et à quoi devrons-nous nous adapter ? Quel climat allons-nous avoir dans un monde à +2°C (en 2040) ? Comment seront nos étés ? Pourrait-on encore avoir un événement pluvieux extrême comme celui de Juillet 2021 ou doit-on se préparer à des sécheresses extrêmes ? Quels seront les impacts sur nos forêts, l’agriculture ou encore notre santé ?


Après une licence en mathématiques à ULiège en 2000, Xavier Fettweis défend sa thèse sur le climat du Groenland chez le Prof. Jean-Pascal van Ypersele de l’UCL en 2006. De retour à ULiège, il coordonne le développement du modèle régional du climat MAR utilisé notamment pour étudier la fonte des calottes polaires et les changements climatiques en Belgique au Laboratoire de Climatologie qu’il dirige depuis 2017, d’abord en tant que chercheur qualifié du FNRS, puis comme professeur depuis 2023.


A cause des activités humaines, on pourrait gagner en Belgique près de +4°C en 2100 par rapport à 1981-2010 et c’est surtout en été et en Ardenne que la hausse des températures sera la plus importante. Il faudra aussi faire face de plus en plus à des sécheresses en été, entrecoupées de quelques événements pluvieux intenses comme celui de juillet 2021. L’eau manquera donc souvent en été, ce qui impactera durablement nos forêts (qui devront s’adapter) ainsi que des écosystèmes uniques comme celui des Hautes-Fagnes qui ne seront plus en équilibre avec notre climat.

Ce n’est plus un secret pour personne que le climat est en train de réchauffer et il n’y a maintenant plus aucun doute que ces anomalies climatiques sont dues aux activités humaines car naturellement, on irait plutôt vers une glaciation dans 100.000 ans. Depuis 1850, la concentration des gaz à effet de serre a augmenté de près de 50 % à cause des activités humaines et il n’y a plus aucun doute que cette augmentation explique la hausse des températures observée. Au début des années 2000, le GIEC restait encore prudent sur le lien entre activités humaines et hausse de température car seuls les modèles suggéraient une hausse des températures qui n‘était pas (encore) observée. Depuis lors, les changements climatiques se multiplient (hausse du niveau des mer, retrait des glaciers, fonte des calottes polaires, augmentation du nombre et intensité de canicules….) et si on veut reproduire avec les modèles du climat ce qui est observé, on est obligé de tenir compte de l’augmentation des concentrations des gaz à effet serre liée aux activités humaines. Cela a permis au GIEC de conclure sans équivoque dans son 6ème rapport (en 2021) que seules les activités humaines peuvent expliquer le réchauffement climatique observé. Bref, il n’y a plus lieu aujourd’hui d’être climato-sceptique même s’il y a 20-30 ans, une telle position restait défendable.

Figure 1: Evolution de la température annuelle à Liège simulée par la modèle MAR d’ULiège forcé par les réanalyses ERA5 (~ observations) en bleu et par 6 modèles globaux du GIEC (en rouge) en utilisant le scénario SSP370.

Et en Belgique, qu’en est-il ? Par rapport à la période 1981-2010 (respectivement 1850), on a gagné près de +1°C (respectivement +2°C) sur la période 2011-2022 et ce, en particulier en Ardenne et en été. Les précipitations annuelles ont peu changé ; par contre, les chutes de neige ont déjà diminué de près de 25 % en moyenne sur la dernière décennie. Malheureusement, cette tendance ne va pas s’inverser dans les prochaines années. Même si, à la suite des Accords de Paris (COP21, 2015), on aurait pu espérer limiter le réchauffement climatique à +1.5°C en 2100 par rapport à 1850 (scénario SSP126 du GIEC), on est malheureusement aujourd’hui loin de cet objectif avec les engagements réellement pris jusqu’ici (COP28, 2023). Le scénario le plus probable actuellement est une hausse de la température globale de ±3.5°C en 2100 par rapport à 1850, ce qui correspond au 2éme moins « pire » scénario du GIEC (scénario SSP370) montré sur la Figure 1 pour la ville de Liège. On peut notamment y voir que les modèles sous-estiment le réchauffement actuellement observé (courbe en bleu) et donc que ces chiffres sont donc la fourchette basse de ce qui nous attend, hélas.

Figure 2: Statistiques observées (basées sur le modèle MAR forcé par les réanalyses ERA5) et projetées (basées sur MAR forcé par 6 modèles globaux) pour différentes périodes selon le scénario SSP370 pour Liège.

En Belgique, le hausse de température sera tout d’abord la plus marquée en Ardenne qu’en Flandre où la Mer du Nord (qui met beaucoup plus de temps à se réchauffer que l’atmosphère) va en quelque sorte atténuer le réchauffement climatique dans un premier temps (voir Figure 3). En hiver, c’est surtout les nuits qui vont devenir moins froides alors qu’en été, c’est surtout les maximums de température qui s’envoler.

Alors que la température annuelle augmenterait de près de +1.5°C en moyenne en Région Wallonne en 2040 (Monde à +2°C) par rapport à 1981-2010, la hausse de température atteindra par contre +2°C en été en Ardenne. N’oublions pas que la période de référence pour le GIEC est 1850-1900 et donc un Monde (i.e. la température moyenne globale) à +2°C selon le GIEC correspond à une Belgique à +3°C selon cette même période de référence. A l’échelle annuelle, la quantité de précipitations changerait peu mais par contre, les précipitations diminueront significativement en été alors que seuls les hauts sommets de nos Ardennes verront encore un peu de neige à la fin de ce siècle.

Figure 3: a) Anomalie de la température annuelle simulée en ~2040 (Monde à +2°C) par rapport à 1981-2010. b) pour la température en été (Juin-Juillet-Aout). c) pour les précipitation annuelles (en % par rapport à la moyenne 1981-2010) et d) pour les précipitation en été selon le modèle MAR.

Après les inondations de juillet 2021, il est légitime de se poser la question de savoir si cet événement est dû au réchauffement climatique et s’il pourrait se répéter. Pour répondre à ces questions, nous avons forcé notre modèle du climat MAR avec des observations depuis 1950 et avec plusieurs scénarios futurs du GIEC. Tout d’abord, par comparaison au maximum de précipitation sur 3 jours observé dans la Vallée de la Vesdre depuis 1950, 3 événements ressortent 7-9 octobre 1982, 12-14 septembre 1998 et 13-15 juillet 2021. Déjà en 1982 et 1998 la Vallée de la Vesdre avait été inondée mais la quantité de précipitation tombée en moyenne sur la Vallée en Juillet 2021 (160mm/3jours) surpasse largement la quantité tombée en 1982 (105mm/3jrs) et 1998 (115mm/3jours) ce qui explique le caractère exceptionnel de l’événement de juillet 2021. Dans les projections futures, on constate tout d’abord que ce genre d’événement n’est pas suggéré dans les simulation MAR forcées par les scénarios du GIEC avant 2020 ; ce qui montre que sans le réchauffement climatique lié aux activités humaines, un événement d’une telle intensité aurait été improbable. Après 2020, le modèle suggère malheureusement que cet événement pourrait se répéter 2-3 fois d’ici 2050. Après 2050, si on limite le réchauffement global à +1.5°C, le climat de la Belgique serait alors très favorable à ce genre d’événements qui pourraient devenir récurrents (tous les 10-20 ans). Si par contre le climat continue à se réchauffer, les étés deviendraient alors trop chauds et secs pour favoriser de tels événements qui resteront toutefois probables.

Le problème en été serait alors plutôt les sécheresses et les canicules favorisant des feux de forêts. Il est important de noter que nos forêts ne sont (ou ne seront) plus en équilibre avec le climat actuel et sont donc malades favorisant la présence de bois morts augmentant ce risque d’incendie. Pour ce qui est des autres événements extrêmes locaux comme les orages, tornades, rafales de vent…, il reste encore beaucoup d’incertitudes car les modèles du climat ne sont pas encore capables de les représenter explicitement. La hausse des températures permettrait d’augmenter l’intensité de ces événements locaux car il y aurait plus d’énergie pour les alimenter mais les connaissances actuelles ne suggèrent pour le moment pas de changement dans leurs fréquences. Toutefois, une chose est sûre, avec l’augmentation du bâti et des surfaces imperméables, un même événement du passé fera plus de dégâts qu’avant. Enfin, il est important de noter que la variabilité interannuelle (c-à-d. le fait d’avoir une succession d’années humides ou sèches) des précipitations aussi bien annuelles qu’en été va augmenter significativement en Wallonie (voir Figure 8). Cela suggère notamment qu’on aura plus souvent des étés secs (1 été sur 3 contrairement à 1 sur 6 actuellement) compensés par des étés plus humides (1 été sur 5 contrairement à 1 sur 6 actuellement) expliquant qu’en moyenne la diminution projetée des précipitations reste faible.

Pour rester en équilibre avec un climat qui leur est favorable, les écosystèmes vont soit devoir s’adapter, soit migrer en altitude ou en latitude pour retrouver un climat plus froid. Un exemple d’écosystèmes chez nous qui ne pourra ni monter en altitude ni en latitude est celui qu’on retrouve dans nos Hautes-Fagnes et qui a besoin d’un climat froid et humide. Les Hautes-Fagnes risquent donc à terme de s’assécher en surface et donc se reboiser.

Autres exemples d’écosystèmes qui ne sera plus en équilibre avec notre climat, ce sont les forêts d’épicéas et de hêtres qui sont des arbres avec des racines peu profondes et donc très sensibles aux sécheresses estivales qui devraient malheureusement s’intensifier et se multiplier dans le futur.

Jusqu’à maintenant, on considérait en Belgique que les ressources en eau étaient infinies, en particulier en Ardenne. Ce ne sera bientôt plus le cas car notre climat va progressivement s’approcher de celui du Gers (au Sud-Ouest de la France) où on ne compte plus les petites retenues au fond des vallées stockant les pluies hivernales pour irriter l’agriculture en été. Ces petites retenues permettraient aussi d’atténuer les conséquences d’événements de pluie extrêmes déjà intensifiés par l’augmentation de l’imperméabilisation des sols, indépendamment des changements climatiques. Enfin, il faudra s’adapter  aux grosses chaleurs en construisant des maisons passives à la chaleur et plus au froid comme jusque maintenant.

Xavier Fettweis, climatologue


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Xavier FETTWEIS, organisée en août 2024 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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HEUSCHEN : Waterloo, morne plaine ? (CHiCC, 2001)

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“Waterloo, morne plaine ?” Il est tentant d’emprunter ce titre à Victor Hugo, chantre inégalé d’une des batailles les plus ancrées dans l’imaginaire collectif, notamment en Wallonie. En réalité, le champ de bataille de Waterloo n’est pas une plaine, mais l’essentiel n’est pas là. D’entrée de jeu, il me paraît plus important de souligner ma préoccupation de ne pas faire de la stratégie en chambre, mon manque de goût pour l’uniformologie et mon pacifisme, que l’étude de l’époque napoléoniennne ne cesse de renforcer.

Quelle est la situation de notre région, au moment où l’Armée française du Nord va y pénétrer, en juin 1815 ? Nous sommes, par la volonté de l’Angleterre, finalement devenus hollandais, bien que la rive droite de la Meuse ait failli tomber dans l’escarcelle de la Prusse. A la nouvelle du retour de Napoléon en France, une armée prussienne de 120.000 hommes stationne entre Charleroi et Liège. Liège, où, quelques jours avant Waterloo, le vieux Maréchal Blücher échappe de peu à un massacre par les troupes saxonnes, en principe alliées des prussiens ! Entre la mer du Nord et Mons, se trouve une armée hétéroclite de 90.000 hommes, anglo-écossais, mercenaires allemands combattants pour l’Angleterre, Hanovriens, Nassauviens, Brunswickois et Hollandais. La dénomination “Hollandais-belges” est évidemment trompeuse. Qu’on le veuille ou non, nous sommes hollandais, et les anciens grognards engagés dans l’armée des Pays-Bas le savent bien, eux qui ont été rétrogradés, et qui comprennent tout à coup qu’ils vont devoir tirer sur leurs anciens compagnons d’armes. Durant les cent-jours, beaucoup d’entre eux désertent et vont retrouver leurs anciens régiments dans l’armée impériale, refusant la curieuse proposition de Napoléon qui voulait que les belges s’engagent dans un “régiment étranger”.

La France sait qu’elle est lancée dans une course de vitesse. En principe, le temps travaille contre elle. En quelques semaines , Davout et Carnot, qui ont tous deux des adjoints liégeois, rééquipent une armée efficace, dont 125.000 hommes vont se porter en Belgique, en se regroupant discrètement vers Beaumont et Philippeville, alors françaises. La troupe a retrouvé l’état d’esprit des armées de la République, et est animée d’un désir de vengeance, surtout chez ceux qui ont fréquenté les prisons prussiennes ou les pontons anglais. Le plan de bataille est admirablement conçu, mais le nouveau chef d’Etat-major, le détesté et détestable Maréchal Soult, oublie de convoquer la cavalerie, ce qui épuise cette arme en marches forcées dès avant la campagne. Où sont les grosses épaulettes ? En fuite à Gand, avec Louis XVIII, terrées dans leurs châteaux, ou, choix étrange de Napoléon, reléguées dans des rôles secondaires, comme le très intelligent Suchet ou comme Jourdan, le vainqueur de Fleurus et d’Esneux-Sprimont en 1794. Passons sur la trahison du général de Bourmont, qui n’eut aucune conséquence pratique mais a permis à des générations d’historiens bonapartistes de trouver une cause à la défaite qui n’impliquait pas “l’Idole” .

Le 15 juin 1815, l’année du Nord passe la Sambre à Charleroi et se porte principalement vers l’armée prussienne. Le choc, brutal, a lieu à Ligny le lendemain. 78.000 Français affrontent 83.000 Prussiens. Le corps d’armée stationné à Liège n’a pas eu le temps de rallier. Les pertes sont sévères : 10.000 Français et 20.000 Prussiens. Tous seront soignés par les services de l’admirable Percy, chirurgien de la ligne, tandis que son confrère Larrey, le chirurgien de la Garde, sera à Waterloo. Cette “dernière victoire” de Ligny n’est pas complète. Vingt mille Français exécutent une navette inutile entre Ligny et les Quatre-Bras, à l’Ouest, où le maréchal Ney, à qui, la veille de la campagne, Napoléon a confié l’aile droite, tergiverse. Hésitation qui permet aux alliés de renforcer leur position à ce carrefour, bien que Wellington ne prenne pas conscience du danger. Celui qui deviendra beaucoup plus tard, et pour d’autres raisons, “The Iron Duke”, assiste à un bal et pense que Napoléon, qu’il craint cependant, est encore loin. Après le massacre réciproque des Quatre-Bras, 5.000 morts dans chaque camp, l’Empereur, le 17 juin, avec les deux tiers de l’armée, se lance dans une poursuite frénétique des anglo-germano-hollandais. Hasard ou pas, la course s’achève juste avant le village de Waterloo. Un an auparavant, Wellington avait repéré l’endroit pour y attendre “Bony” au cas où celui-ci s’échapperait de l’Ile d’Elbe. La cuvette de Waterloo offrait à Wellington la possibilité d’user de la tactique, éprouvée en Espagne, de la contrepente, à savoir placer ses troupes à l’abri d’une crête et y attendre l’offensive adverse pour la fusiller à bout portant. En même temps, Napoléon confie 33.000 hommes, beaucoup trop ou beaucoup trop peu, au dernier promu des Maréchaux, Grouchy, afin de poursuivre les Prussiens supposés en déroute.

Le 18 juin 1815, entre Mont-Saint-Jean et Belle Alliance, au matin, 75.000 alliés font face à 75.000 Français. Parmi ces derniers, autant de Wallons que dans le camp d’en face, ce qui met à mal la fiction d’une armée hollando-belge soudée face à un envahisseur venu du sud. Les phases de la bataille sont terribles dans leur simplicité : une attaque de diversion par l’aile gauche, menée par un frère de Napoléon, et, qui va s’épuiser à essayer de prendre une ferme brabançonne à la baïonnette, une avancée de la droite en colonnes serrées, magnifiques cibles pour les artilleurs alliés, de sanglants combats de cavalerie, où l’on s’étripe pour un drapeau, une dizaine de charges de la cavalerie française, menée par l’imprudent Ney, contre des carrés anglais qui plient mais ne rompent point, et pour terminer, une offensive désespérée d’une partie de la Garde. Depuis plusieurs heures, les autres bataillons de la Garde tentent de contenir les Prussiens, qui depuis le début de l’après-midi se répandent de plus en plus nombreux sur le flanc français. Lorsque, pour la première fois, le cri “La Garde recule !” retentit, c’est la panique. Il ne reste aux carrés de vielle et moyenne garde qu’à écrire la dernière page de l’épopée, et au Général Cambronne à, peut-être, prononcer un certain mot.

Waterloo est une des batailles les plus meurtrières de l’époque. Environ 50.000 hommes, dont 30.000 Français restent sur le terrain, morts ou blessés. Certains blessés français ne seront pris en charge que quatre jours après la bataille. On dit qu’à la moisson suivante, les blés de Waterloo étaient particulièrement beaux. L’armée Grouchy, qui n’a pas marché au canon, mais elle n’a fait qu’appliquer les ordres plus ou moins clairs de Napoléon et de Soult, prend Wavre, puis fait retraite avec ses blessés par Namur, avec la complicité de la population, pas fâchée de jouer un tour aux Prussiens.

Une autre issue à Waterloo était-elle possible ? Il est à peu près certain que, sans l’arrivée des hommes de Blücher , le front allié aurait fini par céder. Le 19 juin 1815, l’armée française aurait bivouaqué à Bruxelles. L’espoir de Napoléon était de forcer ses adversaires à signer un traité de paix, qui lui aurait conservé nos régions. Espoir fou, même à supposer que les Anglais reprennent le bateau à Ostende, ce que manifestement Wellington avait préparé, et que les Prussiens fuient vers la Rhénanie. Espoir vain, car plus de 400.000 Russes et Autrichiens se préparaient à entrer en Alsace, où ils n’auraient rencontré qu’un rideau de troupes. 1814 recommençait, en plus terrible sans doute.

Qui a gagné le 18 juin 1815 ? L’Angleterre, qui gagne enfin la guerre séculaire avec la France, les familles Wellington et Rothschild, la Prusse, qui s’installe sur le Rhin, la Hollande, qui trouve une légitimité qu’elle va matérialiser par l’orgueilleux “Lion”, et, provisoirement, l’Ancien régime. Quinze ans plus tard, la Révolution gronde à nouveau partout en Europe, et notamment en Belgique. Paradoxalement, c’est une armée française qui, en 1831-32, interviendra au nom des Puissances pour sauver le jeune Royaume de Belgique.

Qui a perdu à Waterloo ? la France, qui rentre dans le rang, paye une lourde contribution de guerre, perd la Savoie, la Sarre, le Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse et Bouillon. Napoléon, mais il veillera à écrire sa propre légende à Sainte-Hélène. Les généraux français déchus, parfois fusillés, et les grognards, notamment liégeois, qui cultiveront leur nostalgie, comme l’exprime si bien la chanson Li Pantalon trawé.

Les visiteurs du champ de bataille ne s’arrêtent pas toujours à la Colonne Hugo, le seul monument local consacré à une personne qui n’a pas participé au combat. La colonne reproduit quelques mots que Victor Hugo, pionnier de l’idée européenne, devait prononcer en 1849, au Congrès de la Paix : “Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées”.

Patrick HEUSCHEN

  • image en tête de l’article : Clément-Auguste Andrieux, “La Bataille de Waterloo, 18 juin 1815” © RMN-Grand Palais

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Patrick HEUSCHEN, organisée en janvier 2001 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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HALLEUX : La seconde révolution industrielle dans le bassin liégeois 1860-1917 (CHiCC, 2002)

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Le concept de révolution industrielle a été créé au moment de la révolution de 1830 par un littérateur qui remarquait un parallèle entre les événements politiques, c’est-à-dire l’indépendance belge et les grands changements que l’on voyait dans l’industrie. On percevait l’aurore de temps nouveaux, comme l’a écrit un poète : “Oui, l’industrie est noble et sainte, son règne est le règne de Dieu.” Une révolution industrielle, c’est un changement de système technique, c’est-à-dire un ensemble constitué par des matériaux et des méthodes de transformation, et des énergies.

Pendant le moyen-âge nous avons vécu sur un matériau qui était le fer produit avec du charbon de bois et l’énergie hydraulique. Au début du 19e siècle, l’énergie hydraulique atteint ses limites et les forêts se déboisent terriblement. C’est à cette époque que s’introduit, à Liège d’abord, un nouveau système technique. Au charbon de bois, on substitue le coke, du charbon de terre que l’on a cuit pour le débarrasser des matières volatiles. Les premières machines à vapeur créées en Angleterre s’introduisent aussi chez nous. Pourquoi à Liège ? Parce qu’il y avait de la houille et du minerai facile à extraire. Mais surtout une conjonction entre, d’une part un savoir-faire traditionnel et, d’autre part, un dynamisme de la bourgeoisie et d’une aristocratie investisseuse.

Le peintre Léonard Defrance affectionne les représentations des usines, des manufactures et des charbonnages. Le commanditaire de ces tableaux se fait représenter dans son usine avec ses ouvriers et souvent avec un vieillard pensif qui personnifie le passé et un petit enfant qui personnifie l’avenir, Jean-Jacques Daniel Dony invente un procédé de fabrication du zinc, son usine sera reprise par Mosselman qui va fonder la Vieille-Montagne. Nous trouvons un certain nombre d’hommes nouveaux qui ne sont pas des techniciens : les Orban qui sont des merciers, les Lamarche qui sont des marchands de tabac et de denrées coloniales, les Michiels, les Dallemagne, les Beer. Tous ces gens débutent en achetant un fourneau ou un charbonnage. Ils essaient de créer une usine intégrée où on commence par les matériaux extraits du sol, et où on va jusqu’à la fabrication des machines. C’est l’origine des sociétés comme la Société de Sclessin, la Société d’Angleur, la Société de Grivegnée, les deux fabriques d’Ougrée qui vont donner Ougrée-Marihaye et la Société d’Espérance. Ce sont des entreprises familiales montées par des hommes de négoce qui s’approprient les nouvelles techniques. Ils font venir des techniciens anglais qui construisent les nouveaux outils. Le haut-fourneau liégeois conçu pour le charbon de bois ne convient plus pour le coke. Mais très vite, les Anglais seront dépassés par les techniciens locaux.

John Cockerill n’a pas fait d’études. C’est essentiellement un ouvrier formé par son père avec un prodigieux génie entreprenant qui commence par construire des machines à filer et à tisser. De là, il découvre l’opportunité des machines à vapeur puis, partant d’un atelier de construction de ces machines, il construit un haut-fourneau, des fours à coke, achète des houillères et des mines de fer. Il inonde l’Europe de ses produits. C’est un vrai génie mais un piètre gestionnaire. Il connaîtra des revers et ainsi mourra d’une manière triste et mystérieuse en Russie en essayant de rétablir ses affaires.

Certes, ces hommes ont un certain savoir. Aujourd’hui, les ingénieurs ont étudié à l’université. À cette époque, ce sont généralement des ouvriers formés sur le tas qui ont suivi des cours de dessin industriel et qui viennent de toute l’Europe. L’Université de Liège a été fondée en 1817 en même temps que l’usine Cockerill et a eu des écoles spéciales des mines et des arts et manufactures. A cette époque les ingénieurs ne vont pas dans l’industrie, ils font carrière dans les grands corps de l’État : ponts et chaussées, corps des mines, et plus tard au chemin de fer. Les industriels se fient plutôt à leur chef fondeur, leur chef puddleur, leur chef mécanicien qui tous ont de l’or dans les mains.

Le paysage est encore très rural. Petit à petit, les usines s’entourent de maisons, de corons. Par cette imbrication entre les zones d’habitats, nos usines vont se trouver à l’étroit et cela va les handicaper par la suite.

Un système technique est condamné à saturer. Vers 1860, le fer ne répond plus à certaines contraintes notamment pour faire des rails. L’acier apparaît alors. De nouvelles énergies apparaissent. L’électricité, la dynamo inventée par Zénobe Gramme, les moteurs à combustion interne : à gaz inventé par Lenoir. Ensuite à essence, puis le moteur diesel. Ces moteurs légers et plus puissants vont s’imposer sur la route puis dans l’air. L’école industrielle de Liège, créée à l’initiative de la Société libre d’Émulation, date de 1826. Quant à l’école industrielle de Seraing, elle est créée à l’initiative du docteur Kuborn et a le souci d’actualiser sans arrêt ses cours pour suivre le progrès scientifique. Désormais, il faudra de plus en plus de science et une nouvelle génération d’ingénieurs, sortis de l’université et de l’Institut Montéfiore. Ils vont entrer dans l’industrie, ils vont se frayer un chemin jusqu’au conseil d’administration et ils vont souvent s’allier aux filles des grandes dynasties industrielles.

Le minerai de fer de notre bassin ne convient plus pour l’acier et celui de la Lorraine prend le relais. Il faut des capitaux importants pour adapter les usines et les premières fusions ont lieu. Les rapports sociaux changent vers 1886 avec la crise et les luttes ouvrières. Entre 1914 et 1918, toutes les industries liégeoises ont été démantelées par l’occupant dans le but de détruire un concurrent commercial. Paradoxalement, ces destructions ont été une chance car avec le dynamisme qui nous caractérisait et qui caractérisait nos industriels, très vite, ils vont rebâtir avec du matériel ultramoderne.

La situation fut différente en 1945 car les besoins étaient énormes et nos usines ont tourné à plein rendement pendant quelques années. Seulement, l’outil n’a pas été modernisé assez vite et est devenu obsolète.

d’après Robert HALLEUX

  • Illustration en tête de l’article : Léonard Defrance, “Intérieur de fonderie” © Walker Art Gallery

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en mai 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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DEMOULIN : Les relations diplomatiques entre la Principauté de Liège et le Roi de France (CHiCC, 2002)

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Dès 1581 se sont installés dans l’évêché de Liège les Wittelsbach qui ont cumulé sur leur tête, dans le prolongement du concile de Trente, différents évêchés de l’Empire. Cette “dynastie” s’est perpétuée par des neveux ou des parents. Un des premiers protagonistes fut Ernest de Bavière dont un portrait se trouve dans le remarquable château de Brühl, au sud de Bonn. Il tenta de préserver son électorat de Cologne des avancées du protestantisme et des armées du roi de Suède. C’est lui qui a cédé à la Ville l’hôpital qui portait son nom. Cette dynastie s’est terminée en 1763 lorsque son lointain descendant Jean-Théodore est mort. Il fut le principal restaurateur des appartements intérieurs du Palais des Princes-Évêques. Le prince recevait les ambassadeurs de France. Ceux-ci étaient en possession d’instructions décrivant les relations entre les deux états. La vision que les Français avaient des Liégeois à la fin du 17e siècle ne manque pas de piquant : “Les Liégeois sont donc spirituels, civils, accostables et hospitaliers. Ils ont le jugement  subtil, ils sont propres pour toutes sortes d’affaires, braves dans la guerre et dans les combats. Ils sont néanmoins fainéants et paresseux, ils sont opiniâtres, mutins, et plus portés à la discorde qu’au travail, à cause de leur témérité et de leur audace naturelle. Ils parlent un roman ou français fort grossier et corrompu qu’ils tâchent le plus qu’ils peuvent de tourner en bon français et de rendre poli, particulièrement les personnes de condition, la noblesse et les honnêtes gens. Ils ont beaucoup de piété et ils sont fort zélés pour la défense de la religion catholique.”

La principauté était très morcelée. Elle comprenait trois parties : le comté de Looz, actuelle province de Limbourg, qui se prolonge sur Liège et vers le Condroz ; l’Entre Sambre et Meuse, qui est profondément détaché ; et le marquisat de Franchimont. Comment cet état a-t-il survécu pendant mille ans ? Il a existé bien avant la date symbolique de 980 et a disparu officiellement le 1er octobre 1795 lorsqu’il a été rattaché par la Convention à la France, ainsi que les Pays-Bas autrichiens. Principauté d’empire qui comprenait trois états : l’état primaire, l’état noble, l’état tiers. À sa tête, l’évêque et prince reçoit théoriquement la souveraineté. Il est élu à partir des temps modernes par le chapitre de Saint-Lambert et est assisté dans sa mission par deux conseils : le conseil privé et la chambre des comptes. Le conseil privé a notamment pour mission de correspondre avec les cours étrangères, il doit préparer et négocier les alliances. Les déclarations de guerre devaient cependant être votées par les états. L’état primaire était en fait constitué exclusivement par les chanoines de la cathédrale Saint-Lambert, qui étaient à la fois les électeurs du prince-évêque et les représentants de tout le clergé de la principauté. L’état noble a été progressivement limité à 16 quartiers de noblesse ce qui réduisait le nombre de ses représentants. L’état tiers ne comprenait pas de représentants de la population des campagnes.

À partir du traité de Westphalie en 1648, un nouvel équilibre entre les puissances s’est établi qui durera jusqu’à la période impériale de Napoléon. La politique française a évolué en fonction des intérêts politiques, économiques et stratégiques de Versailles. La principauté était un lieu de passage idéal entre la France et la Hollande, alliée privilégiée de la France contre les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche. Elle se trouvait aussi sur le trajet vers l’Allemagne. Il y avait une série de forts : Dinant, Huy, Liège, puis de la ville de Maastricht, en co-souveraineté commune entre la principauté et le duché de Brabant. Bouillon sera le verrou de la défense des terres liégeoises jusqu’en 1678 où Louis XIV s’en empare. Après le désastre de 1468, les Liégeois se sont rendu compte que la neutralité était le meilleur parti à prendre pour leur sauvegarde. Le passage de troupes ennemies, particulièrement au 18e siècle, fut négocié avec les belligérants : fourniture de munitions, de fourrage et, comme conséquence positive, la liberté de commerce.

Henri IV va témoigner, à la fin de sa vie, d’un intérêt un peu suspect pour nos régions puisqu’il était sensible à la présence proche de Charlotte de Montmorency. Cette dernière avait fui ses avances à Bruxelles. En 1635, Richelieu fait alliance avec les Provinces Unies pour dépecer les Pays-Bas autrichiens et se les partager ; il est vraisemblable que son intention était de faire subir le même sort à l’évêché de Liège. Sébastien Laruelle fut assassiné parce qu’il aurait eu pour objectif d’appeler au secours les troupes françaises au moment où le prince Ferdinand de Bavière était, lui, allié de l’Espagne. L’histoire de Liège a été ponctuée d’assassinats politiques et le problème est de savoir qui en est le commanditaire. On connaît mieux le commanditaire de l’assassinat de saint Lambert au début du 8e siècle, on a des hésitations au sujet de Laruelle en 1637. Nous sommes mal informés sur ce qui s’est passé plus récemment ! Richelieu avait l’idée que la rive gauche du Rhin devienne la frontière naturelle de la France. Le prince-évêque reprit par la force la ville qui était en rébellion et fit construire la citadelle, non pour se protéger d’un éventuel ennemi, mais pour mater la population.

En 1714, les Autrichiens reçoivent les Pays-Bas et veulent y développer les activités économiques, avec une volonté de couper les liens entre la principauté et la France. Un réseau de routes fut créé pour faciliter les liaisons des villes entre elles et aussi avec les autres régions, pour devenir un lieu d’entrepôt. Encore actuellement, Liège est le deuxième port fluvial européen. Louis XV adopta une politique de protectorat courtois : faire de ce petit état liégeois une plaque tournante sur le plan économique. En 1722, un ministre plénipotentiaire écrivait : “Le gouvernement de Liège est libre et les Liégeois veulent l’être dans leurs choix” ; il avait bien compris le caractère de ses voisins.

d’après Bruno DEMOULIN

  • image en tête de l’article : “La résidence du Prince Evêque” par Johann Georg Bergmuller © chokier.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Bruno DEMOULIN, organisée en février 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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DOURASSOF : L’immigration russe à Liège et l’église orthodoxe du Laveu (CHiCC, 2004)

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Cette église est construite dans le style de Novgorod, qui date du 14e siècle. Quand les premiers émigrés russes sont arrivés à Liège, la Ville leur a cédé un bâtiment rue Mère-Dieu. En 1944, un V1 est tombé sur cette église un dimanche. Or, par chance (ou par miracle ?), le prêtre était malade et avait pu prévenir ses paroissiens qu’il ne pourrait célébrer l’office. Tout a été détruit, seul l’iconostase a été sauvé. En 1948 a démarré le projet de construire une nouvelle église. Evidemment, les fidèles n’étaient pas fortunés, aussi l’évêché catholique a-t-il donné de l’argent ; une somme importante fut également offerte par la Reine Elisabeth. Un concert a été organisé puis on a collecté, auprès des immigrés, la valeur d’une brique de l’édifice. Ce dernier a été consacré en 1953.

© Ph. Vienne

Le toit est surmonté de cinq coupoles dont le zinc fut offert par l’usine Cuivre & Zinc. Traditionnellement, les fenêtres sont petites et sans vitraux, pour se préserver du froid. L’iconostase est une cloison qui sépare la nef, où se trouvent les fidèles, de l’autel auquel seuls les prêtres ont accès. Sur cette sorte de mur est représentée l’histoire du christianisme. Au centre se trouvent les portes royales sur lesquelles on voit l’Annonciation avec l’ange Gabriel. À droite, figure la représentation du Christ et, à gauche, la Vierge, la Mère de Dieu avec le Christ enfant. Les portes latérales sont appelées les portes des diacres et y sont dessinés soit les archanges, soit les deux premiers martyrs saint Étienne et saint Valentin. L’église est consacrée à saint Alexandre Nevski et à saint Séraphin, qui sont représentés à l’extrême droite de l’iconostase. Le rang supérieur évoque la vie du Christ. Sur le côté, on trouve saint Nicolas et saint Vladimir. Une icône de sainte Barbe évoque le dur travail qu’ont effectué de nombreux immigrés russes. Saint Georges est le patron des nouveaux arrivants venus de Géorgie. Toutes ces décorations constituent un enseignement de la religion à l’intention des fidèles. Pendant onze siècles, cet enseignement était commun à celui de l’église catholique et la liturgie reste très proche. La langue utilisée dans les offices est le slavon.

© lavenir.net

La première vague d’immigration russe a eu lieu après la Première Guerre mondiale, suite à la révolution d’octobre 1917. Plus d’un million et demi de personnes on dû quitter l’empire à ce moment-là. Des liens existaient déjà entre Russes et Belges car, depuis 1880, des entreprises belges étaient présentes en Russie dans les mines de charbon ou de minerais. Ils étaient aussi présents grâce à la construction des réseaux de tramways et du Transsibérien, long de plus de 10 000 km. Nos entreprises participaient au développement industriel du pays tandis que de nombreux Russes venaient chez nous, attirés par les industries et l’université. Un grand nombre de ces immigrés provenaient de l’armée blanche qui avait combattu les bolcheviks. Ces Russes avaient quitté la Crimée pour Constantinople, d’où ils cherchaient à gagner l’Europe occidentale. Le cardinal Mercier a fondé, en 1921, l’Aide belge aux Russes pour leur permettre , par l’octroi de bourses, de reprendre des études universitaires. Cent cinquante enfants furent accueillis à Liège, puis à Bruxelles où un pensionnat éduquera plusieurs centaines de jeunes. Les immigrés ont voulu construire des églises et notamment à Uccle, avenue de Fré. Cette communauté était constituée principalement d’anciens militaires et de leurs familles. Ils étaient conservateurs, monarchistes, respectueux de l’ordre des choses. Par contre, les jeunes s’expatriaient facilement, notamment au Congo et en Amérique du Sud.

Après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle vague d’immigrés est venue remplacer la première, déjà clairsemée. C’étaient des personnes déplacées, des prisonniers russes envoyés par Hitler pour travailler en Allemagne. En 1945, ils n’osaient pas rentrer chez eux de peur de se retrouver dans un goulag. Ils se sont tournés vers l’Occident qui avait besoin de travailleurs pour les mines de charbon. C’est ainsi qu’ils sont nombreux dans le bassin liégeois où ils se mêlent rapidement à la population ouvrière. Ils cherchaient surtout à survivre et n’avaient aucun rêve politique. Le besoin de retrouver leurs racines les amena à l’église. Leurs enfants se sont bien intégrés. Après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du régime soviétique, un jumelage a été réalisé entre deux paroisses : Saint-Barthélémy de Liège et une petite communauté au nord de Saint-Pétersbourg. L’aide permit la construction d’une église et l’offre d’une iconostase de 44 icônes réalisées à Liège, dans l’atelier de Madame Gottschalk.

La troisième vague est arrivée récemment, à Liège. Ce sont qui ont fui la dislocation de l’URSS, surtout des Russes provenant des républiques d’Asie centrale, chassés par les autochtones musulmans de ces républiques devenues autonomes.

Voilà un survol de cette communauté que les Liégeois ont accueillie depuis trois-quarts de siècle, avec cette chaleur humaine qui les caractérise !

d’après Maya DOURASSOF

  • image en tête de l’article © Philippe Vienne

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Maya DOURASSOF, organisée en octobre 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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VIENNE : Dijon et le pays des ceps d’or (CHiCC, 2001)

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En Bourgogne, au Moyen Age, grâce au sol calcaire, les moines ont abondamment planté des vignes pour les besoins du culte. Plus tard, les laïcs ont continué la viticulture pour les plaisirs de la table. Or donc, aux alentours de Dijon, les viticulteurs ont de tout temps accordé un soin jaloux à leurs vignobles, d’abord avec des moyens rudimentaires ensuite à l’aide de techniques plus efficaces. Une tapisserie représente un vigneron tout habillé en train d’écraser les raisins avec ses pieds. Par contre, jadis, de jeunes vignerons nus comme des vers se glissaient dans de grandes cuves et allaient piétiner les grappes de raisins. Ils ont été appelés les “bareuzais“. À Dijon, sur la place François Rude, s’élève la sculpture du “bareuzai” devenu le symbole de la Bourgogne vineuse. En septembre, en pleines “fêtes de la vigne”, la ville pavoise aux couleurs du folklore international : des groupes venus du monde entier s’y rassemblent et animent la cité pendant toute une semaine.

Le fondateur de la fameuse dynastie de Bourgogne, c’est Philippe le Hardi. Il a donné une vive impulsion à l’activité artistique de Dijon, il a aimé la bonne chère, le jeu et les femmes. Son successeur a été Jean sans Peur, un prince rongé d’orgueil mais très maladroit pour gérer les affaires de l’état. Philippe le Bon, troisième Duc de Bourgogne et sans doute le plus célèbre, était né à Dijon et mort à Bruges. Il s’est conduit durant toute sa vie comme un prince fort habile, ambitieux, mécène et bon vivant. Philippe le Bon a profondément aimé les fêtes et les festins. Les historiens rapportent la magnificence d’un banquet donné par lui à Lille et à l’issue duquel son fils Charles le Téméraire et tous les seigneurs de sa Cour, ont fait le vœu de partir en croisade pour repousser les Turcs. Les serments ont été prononcés sur la tête d’un faisan vivant d’où sa dénomination : Festin du Vœu du Faisan.

Les femmes ont beaucoup intéressé Philippe le Bon. Il paraît qu’il eut 30 maîtresses et, bien entendu, 17 bâtards affichés ainsi que plusieurs filles illégitimes. Un des bâtards de Philippe le Bon a été baptisé David de Bourgogne et, grâce à son père, il a été nommé évêque d’Utrecht, principauté située à un croisement de l’Europe entre l’Allemagne et l’Angleterre. Son fils légitime, Charles le Téméraire, est devenu un seigneur plein de convoitises territoriales. Il a voulu englober Liège dans son domaine ducal mais nos révoltes à son encontre nous ont valu les trop célèbres sac et carnage de la ville en 1468. Désireux d’être pardonné, il a offert à Liège, trois ans plus tard, un reliquaire, joyau d’orfèvrerie. Il est conservé dans le trésor de la cathédrale Saint-Paul à Liège.

Prononcez “Dijon” et immédiatement les personnes pensent “moutarde”. Elles ont bien raison car elle y est confectionnée depuis six siècles ! L’usine Amora-Maille s’est édifiée près du canal de Bourgogne et il est bon de savoir que la production de ce condiment peut atteindre les 100 tonnes par jour !

Une artère fluviale a également enrichi Dijon et ses environs : le canal de Bourgogne. Ce vénérable chemin d’eau qui a 180 ans s’étire sur 242 km et joint l’Yonne à la Saône. Le déclin commercial s’est amorcé à la fin du 19e siècle. Heureusement, de nos jours, la vocation de ce merveilleux canal, c’est la plaisance. Quant aux cyclistes, ils apprécient beaucoup les chemins de halage.

Les Chemins de Fer de Bourgogne gardent le souvenir d’un de leurs ingénieurs du P.L.M. qui a eu la fibre littéraire : Henri Vincenot. Il a été tour à tour rédacteur en chef du magazine “La Vie du Rail”, écrivain, peintre, sculpteur et conteur. Henri Vincenot est né à Dijon et il est mort à Commarin, à 77 ans. Citons, parmi ses ouvrages : Le Pape des escargots, La Billebaude, Le maître des abeilles et bien d’autres…

Ici est née une armada de personnalités artistiques variées. Tout d’abord, Jacques Bénigne Bossuet, fils d’un avocat, a étonné le monde théologique parisien par sa précocité oratoire. Puis, Jean-Philippe Rameau qui est devenu à Paris claveciniste, organiste, compositeur d’opéras. Il a été le contemporain de Bach et de Haendel. Le plus connu des Dijonnais, c’est Gustave Eiffel. Il a réalisé la structure métallique de la Statue de la Liberté de Bartholdi, édifié en rade de New-York ; au Portugal, le pont sur el Douro à Porto et, enfin, la Tour Eiffel enviée dans le monde entier ! Enfin, le célèbre chanoine Kir dont l’attitude courageuse pendant la Deuxième Guerre Mondiale lui a valu d’être élu maire de Dijon, puis député. Sympathique défenseur des petits salariés, des anciens combattants, des travailleurs âgés, le nom du chanoine Kir ne s’est pas oublié. Il a donné son nom au célèbre apéritif à base de crème de cassis.

Dès la sortie sud de la capitale, les rangées de vignes nous font rêver. Certes, l’harmonie entre une plante, un sol et un climat permet d’avoir la bonne maturité pour obtenir un vin remarquable. Cependant, la solide paysannerie locale, de par son travail opiniâtre, a largement contribué au succès de la culture de la vigne. Les vignobles de la Côte d’Or sont plantés sur des coteaux exposés au levant. Ces terres valent plus chers que les parcelles des Champs-Elysées à Paris !

À Chenôve, au Clos du Roi et du Chapitre, nous remarquons un pressoir du 13e siècle qui a pu presser en une fois la vendange de 100 pièces de vin et la pièce représente 228 litres. Cela veut dire plus de 30 tonnes de vendanges ! Sur ces bornes de bois s’est assise, dit-on, Marguerite de Bourgogne pour suivre le foulage du raisin. Ce travail était fait par de jeunes hommes dévêtus et la princesse a pu ainsi en admirer la plastique. Femme de sang royal, Marguerite de Bourgogne a possédé aussi du sang chaud car elle a collectionné les amants !

Gevrey-Chambertin, vin mondialement connu, était le préféré de l’empereur Napoléon Ier. Faisant partie de ce fameux cru, la maison-forte remonterait à l’An mil et elle a un riche passé historique. Le château du Clos de Vougeot a été une propriété cistercienne puisqu’elle avait été construite par Jean Loisier, abbé de Cîteaux. Elle est restée dans les mains des moines durant près de 700 ans, c’est-à-dire jusqu’à la Révolution. Enfin, le vin rosé de Marsannay-la-Côte, pas très connu des touristes, est également un bon cru.

Nous quittons les vignobles pour nous diriger vers une région très bucolique : l’Auxois. Nous apprécions beaucoup la flore sauvage qui pousse sur le surplomb des falaises de Baulme-la-Roche. Nous avons beaucoup aimé le panorama découvert de ce belvédère naturel qui rappelle une description écrite par Henri Vincenot : “De chaque côté triomphait l’Auxois comme une mer houleuse de pâturages, une mer bordée par les falaises de Baume, par les douces collines boisées, tout cela noyé dans la brule des beaux jours…” Et c’est sur ces merveilleuses images que s’achève notre voyage historique et touristique en Bourgogne.

Claudine et Robert VIENNE

  • image en tête de l’article : vignobles Château de Marsannay ©destinationdijon.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Claudine et Robert VIENNE, organisée en janvier 2001 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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KENENS : Femmes oubliées par l’Histoire (CHiCC, 2003)

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Le rôle de la femme a longtemps été essentiellement domestique et fortement soumis à l’autorité paternelle. À l’école, le conditionnement idéologique conduisait à la reproduction des rôles selon le sexe. Il n’était pas question pour une femme de faire de la politique. Le droit de vote n’a été accordé aux femmes qu’après la guerre [en 1948], et il a fallu une importante grève des femmes de la FN à Herstal pour obtenir ce qui paraît pourtant normal : à travail égal, salaire égal. Au 21e siècle, cette situation n’est pas encore “normale” partout…

Dans les cours d’histoire, les femmes sont souvent oubliées. Pythagore disait, six siècles avant notre ère : “Il y a un principe bon qui a créé l’ordre, la lumière et l’homme, et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la femme.” Et près de deux siècles plus tard, Aristote renchérissait en écrivant : “La femelle est femelle en vertu d’un manque de qualité.” Xénophon écrivait : “Les dieux ont créé la femme pour les fonctions du dedans et les hommes pour toutes les autres.”

Il y eut cependant des femmes qui se sont réfugiées dans les arts, comme Sappho de Mytilène aux 7e et 6e siècles. Elle visait à Lesbos et, chose rare, elle savait lire et écrire. Elle a écrit des strophes tout à fait originales. Alors que les jeunes femmes devaient vivre sous une stricte surveillance, voyant le moins de choses possible et posant le moins de question possible, elle s’était mise en tête d’enseigner aux femmes à lire, à écrire, à penser. Elle a été condamnée à l’exil et ses oeuvres ont été en grande partie détruites. Une célèbre fresque de Pompéi la représente, livre ouvert à la main gauche et tenant rêveusement le stylet de la main droite.

Cependant, la femme de la Rome antique est complètement absente du droit romain et ses rapports sont de la compétence du domus dont le père, le beau-père, le mari sont les chefs tout-puissants. Cela nous montre que l’oppression des femmes dans la pensée occidentale n’est pas uniquement le fruit de la pensée religieuse catholique, même si elle y a participé. La ségrégation suivant le sexe est une pensée dont on retrouve des traces antérieurement dans des sociétés non monothéistes. Les hommes étaient les seuls auteurs et interprètes des textes sacrés ou prétendument tels. Certains produisirent des traductions carrément déformantes comme la création de la femme à partir d’une côte d’Adam alors que le texte hébreu initial est précis et dit “la femme créée à côté d’Adam” !

Même au 20e siècle, la femme reste pour l’homme un mystère, peut-être parce qu’elle représente “l’autre”. Le philosophe français contemporain Emmanuel Levinas a écrit : “L’altérité s’accomplit dans le féminin”  en oubliant la réciprocité évidente de ce propos. La hiérarchie des sexes se produit dans des domaines très inattendus. En 1867, Charles Blanc écrivait : “Le dessin est le sexe masculin de l’art, la couleur en est le sexe féminin. Il faut que le dessin assure la prépondérance sur la couleur.” Un peu plus tard, quand la peinture sera reconnue comme élément essentiel, Henri Matisse dira : “La couleur est l’élément viril de la peinture, le dessin en étant la part féminine.”

Nietzsche a rédigé une série d’aphorismes cinglants, notamment : “Quand les femmes deviennent savantes, c’est généralement dû à un dysfonctionnement de leurs organes génitaux” ! Sigmund Freud prétend que “la femme est un continent noir à la libido et à l’énergie pulsionnelle passive”  et il associe l’actif au masculin. Quant à Jacques Lacan, il dit que l’androcentrisme reste fondamental, qu’il permet de comprendre la position dissymétrique dans les liens amoureux.

Pourquoi cette condition inférieure des femmes a-t-elle pu défier le changement depuis des millénaires ? Tant que les femmes n’ont pas pu dire “nous” comme les noirs, les homosexuels ou les travailleurs. Par leur condition, elles ne connaissent pas cette promiscuité spatiale qui est indispensable pour s’organiser. Au Moyen Âge, elles s’étaient trouvées devant une seule alternative : le couvent ou le mariage. Certaine se sont réfugiées dans l’univers monial où elles pouvaient s’instruire et vivre relativement indépendantes des hommes. Certaines abbesses ont pris beaucoup d’importance. En pleine Inquisition, elles seront réprimées.

En 1789, les femmes se mobilisent et descendent dans la rue. En 1791, Olympe de Gouges a rédigé la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, mais elle sera guillotinée en 1793.

Flora Tristan est née en 1803 ; mariée à 18 ans, découragée, elle part à 22 ans sous un nom d’emprunt. Première enquêtrice sociale, elle a pris des notes en Angleterre, au Pérou et dans diverses villes françaises pour rédiger d’intéressants rapports sur les conditions de travail de ces populations. Flora Tristan est, en fait, la grand-mère du célèbre peintre Paul Gauguin.

Clémence Royer fut co-fondatrice, dans la Grande loge maçonnique symbolique écossaise, d’un atelier de Droit Humain en 1894. C’était une obédience masculine où l’on a permis une initiation de femmes de manière clandestine et transgressive. Elle a été la première femme à enseigner à La Sorbonne et elle a traduit le livre de Charles Darwin sur l’origine des espèces. Ses compétences reconnues, elle a été la première femme à être décorée de la Légion d’Honneur. Il faut croire que la qualité de ses travaux avait impressionné les hommes !

La bibliothèque Marguerite Durand est le seul lieu en France qui rassemble la mémoire des femmes. Brillante sociétaire de la Comédie Française, Marguerite Durand a décidé de faire don de toutes ses archives à la Ville de Paris.

d’après Myriam KENENS

  • image en tête de l’article : Flora Tristan © alternatives-economiques.fr
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Myriam KENENS, organisée en juin 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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MASUY : Historique des espaces verts de Cointe (CHiCC, 2024)

Temps de lecture : 9 minutes >

Nous allons parcourir les paysages de Cointe à travers les siècles en partant de la plaine de Sclessin pour arriver au terril Piron en suivant un corridor écologique. Les corridors écologiques offrent en effet aux espèces des conditions favorables à leur déplacement (dispersion et/ou migration) et à l’accomplissement de leur cycle de vie. Ils correspondent aux voies de déplacement préférentielles empruntées par la faune et la flore.

Antiquité et Moyen Âge

Il y a 2000 ans, la vallée de Sclessin était marécageuse et la colline était couverte par la forêt d’Avroy, composée principalement de chênes, de hêtres et de frênes.

A partir du Moyen-Âge, Cointe fut partagé entre trois juridictions : la Libre Baronnie d’Avroy et la Seigneurie de Fragnée, qui toutes deux dépendaient de la Principauté de Liège, et l’avouerie d’Ougrée-Sclessin qui dépendait de la principauté de Stavelot-Malmédy. Elle se situait à l’abbaye du Val Benoît.

A partir du 10ème siècle, la vallée fut défrichée et les terrains entourant l’abbaye du Val Benoît furent cultivés ou utilisés comme pâturages. La première mention écrite de la culture de la vigne à Sclessin date de 1092 mais une étude palynologique récente de l’Université de Liège montre que la culture de la vigne sur le versant sud-ouest de la colline remonte à l’époque mérovingienne. Le sol de ces coteaux, composé de schiste, accumulait la chaleur le jour pour la restituer la nuit, créant des conditions idéales pour la viticulture.

La grande forêt d’Avroy était peuplée d’animaux sauvages tels lièvres, renards, chevreuils, sangliers et même quelques loups. A cette époque,  les Princes-Evêques de Liège aimaient y chasser.

A partir du 16ème siècle, la colline fut défrichée afin de permettre l’extension des pâturages, des vergers, des vignes, des cultures céréalières, potagères et houblonnières. Une autre cause du déboisement est la fabrication du charbon de bois nécessaire aux forgerons et aux cloutiers. Des meules de carbonisation se situaient à l’actuelle place du Batty.

Si on regarde la carte de Ferraris, ci-dessous, datant de 1778, on observe que le plateau de Cointe est encore à l’époque très peu peuplé et que le paysage est essentiellement champêtre.

Carte de Ferraris © geoportail.wallonie.be

Développement industriel

Le sous-sol de la colline était riche en houille et les veines de charbon affleuraient au sol. Le charbon fut exploité initialement à ciel ouvert, puis à partir du 13e siècle, des puits peu profonds appelés bures ont été utilisés. Afin de pouvoir creuser plus profondément, des galeries d’assèchement (arènes) furent creusées pour évacuer les eaux d’infiltration, permettant ainsi une exploitation plus importante des veines de charbon.

Sous le régime français, en 1797, les propriétés de l’abbaye du Val Benoît furent vendues à vil prix, et elles finissent par appartenir à Pierre Joseph Abraham Lesoinne, avocat à Liège. Son fils Nicolas réactiva le charbonnage du Val Benoît en 1824 et une de ses filles, Émilie épousa Édouard van der Heyden à Hauzeur. Il fut le patron à Sclessin du premier moulin à vapeur de Belgique, machinerie au cœur d’une importante minoterie.

Dès 1870, Sclessin va connaître un essor industriel prodigieux en exploitant systématiquement et intensivement le sous-sol grâce à plusieurs sièges charbonniers du Val Benoît.

Cette période fut marquée par une transformation majeure du paysage de la plaine de Sclessin. Les prairies et les cultures disparaissent et, à la fin du 19ème siècle, la culture de la vigne est pratiquement abandonnée. En effet, un parasite, le phylloxéra de la vigne, attaqua les vignes en provoquant une maladie du même nom. De plus, l’industrialisation permit aux entreprises d’offrir des salaires hebdomadaires garantis et un travail à l’abri des intempéries aux fils de vigneron qui abandonnèrent alors le travail de la terre. Dans le même temps, la culture houblonnière, qui permit l’extension florissante de plus de 500 brasseries dans les années 1800, fut atteinte de la rouille et disparut.

Le parc privé

Parc privé de Cointe et l’Observatoire © Philippe Vienne

Dès 1876, la famille Hauzeur envisagea la mise en valeur des terrains qu’elle possédait sur le plateau de Cointe avec la création d’un parc résidentiel privé de haut standing. Cette partie de la colline était encore entièrement boisée.

Les travaux débutent en 1881 par l’aménagement des voiries du parc ainsi que la création d’une route en provenance de la vallée, l’avenue des Thermes qui deviendra l’avenue Constantin de Gerlache. L’Institut d’astrophysique, première construction du parc, fut érigé entre 1881 et 1882 selon les plans de l’architecte liégeois Lambert Noppius. Vint ensuite la construction de belles villas dont la villa L’Aube de Gustave Serrurier-Bovy en 1903.

Les laiteries à la fin du 19e siècle sont à la mode et on en trouve plusieurs sur le plateau de Cointe dont la laiterie du Parc. Elles attirent les familles de la bonne société qui viennent s’y restaurer et se distraire.

Dans le parc privé, en 1905, Monsieur Armand de Lairesse installa huit grandes serres à l’arrière de la villa Les Tamaris. Il y cultiva des orchidées qu’il exporta sous forme de fleurs coupées emballées dans du papier de soie et placées dans de grands paniers plats en osier. Elles ont disparu aujourd’hui.

Parc communal de Cointe

Parc communal de Cointe – Champ des Oiseaux © Philippe Vienne

Le parc public est créé par arrêté royal du 26 février 1900 en vue de l’exposition universelle de 1905. Il va se situer au lieu-dit Champ des oiseaux qui était encore un endroit assez sauvage avec des champs et des prairies.

Conçu par l’architecte de jardin Louis Van der Swaelmen, le parc se compose d’une section paysagère et d’une zone boisée d’aspect plus sauvage. Il comporte également une rocaille parcourue de sentiers abritant des plantes vivaces aux floraisons colorées. L’avenue de Cointe, rebaptisée en 1921 boulevard Kleyer, est l’une des principales artères du parc, offrant une vue panoramique sur la ville et ses environs.

Il accueillit l’annexe de l’Exposition universelle de 1905, avec le palais de l’horticulture belge. Un vaste terrain fut destiné aux démonstrations d’horticulture et de culture maraîchère, ainsi qu’aux concours agricoles et aux compétitions sportives. Après l’Exposition universelle de 1905, le terrain affecté aux exhibitions sportives servit aux manœuvres de l’armée. Puis la ville le reconvertit en espace public avec pistes d’athlétisme, courts de tennis, hall omnisports et plaine de jeux pour enfants.

La superficie totale de ce magnifique espace vert est de 14,7 hectares et il est aujourd’hui entretenu grâce à une gestion différenciée (fauchage tardif, éco-pâturage, plantes annuelles mellifères, nichoirs, maintien des arbres morts, tonte différenciée, absence de pesticides…) par le service des Plantations de la Ville de Liège. Il contient de nombreux arbres remarquables qui sont exceptionnels par leur âge, leur situation, leur espèce ou leur degré de rareté. La plupart de ces arbres provenaient de contrées lointaines, plantés au 19ème siècle pour instruire ou étonner. Les arbres, aujourd’hui vieillissants, présentant des maladies ou des pourritures, constituent un danger pour les usagers et doivent parfois être abattus. Ils sont remplacés par des arbres indigènes.

Le Bois d’Avroy

Bois d’Avroy © Philippe Vienne

Le domaine du Bois d’Avroy, fut constitué progressivement par la famille de Laminne dès le début du 19e siècle. Il s’étendait sur 35 hectares et un château y fut construit de style Louis XVI. En 1910 et 1912, le château et les terrains furent vendus à la société anonyme des charbonnages du Bois d’Avroy. Autour du charbonnage, dans le quartier des Bruyères, subsistaient plusieurs fermes entourées de cultures et de pâturages.

A partir de 1966, le charbonnage commença à vendre ses terrains. On y construisit un ensemble d’immeubles situés au niveau de la rue Julien d’Andrimont ainsi que l’ONEM rue Bois d’Avroy. En 1978, un des terrains servit à la construction de l’école Saint-Joseph des Bruyères qui deviendra plus tard l’internat de l’État (aujourd’hui MDE).

Ce qui restait du terrain appartenant à la famille de Laminne, c’est à dire 4 hectares, fut vendu au début des années 1990 à un promoteur immobilier. Après bien des vicissitudes, un petit complexe immobilier verra le jour n’occupant que la partie à front du boulevard Kleyer.

Le reste des terrains, d’une surface de 5 hectares, entourant ces différents immeubles n’a plus été entretenu et a permis à la végétation et à la faune de s’installer et de se développer en toute quiétude. On y trouve plusieurs espèces communes (écureuils, hérissons, fauvettes, pics, papillons, noisetiers, ormes) et des espèces en danger comme le crapaud alyte accoucheur (Alytes obstetricans) et le coléoptère lucane cerf-volant (Lucanus cervus) qui est une espèce protégée en Wallonie et en Europe.

La prairie des Bruyères

Prairie des Bruyères © Philippe Vienne

Le quartier résidentiel des Bruyères s’est construit sur une partie des terrains du charbonnage du Bois d’Avroy dans les années 1970. Sur ces terrains se situaient plusieurs fermes. Entre les numéros 65 et 95 de la rue des Bruyères, il y avait, à cet endroit, un ravin abrupt d’une bonne dizaine de mètres entre les cotillages des maraîchers Leblanc et Galand. C’est au fond de ce ravin que se trouvait l’œil de l’arène de Sclessin. Les eaux étant chaudes, les Galand semaient sur les bords, la première salade qu’ils livraient au marché avait quinze jours d’avance sur les autres maraîchers. Louis Leblanc, après les bombardements de 1944, a comblé ce ravin et l’a transformé en prairie où paissaient ses vaches. Aujourd’hui, les vaches ont disparu et un fermier vient y faire les foins.

Le terril Piron

Terril Piron © Philippe Vienne

Le charbonnage de la Haye, déjà présent au sommet de la rue Saint-Gilles, inaugura en 1875 un siège supplémentaire à l’emplacement d’une ancienne bure dite Piron. Jusqu’en 1930, le charbonnage va déverser ses résidus miniers au Bois Saint-Gilles.

Depuis, le terril Piron, qui  couvre une superficie d’environ 7 hectares, présente un plateau herbeux, sur lequel deux terrains de football ont été aménagés et qui, aujourd’hui, sont abandonnés, ainsi que des pentes abruptes et thermophiles. La végétation y est diversifiée incluant des pelouses sèches et des espèces rares. La colonisation par les ligneux y est de plus en plus importante, y compris sur les pentes abruptes. Le site héberge une population d’orvet fragile (Anguis fragilis) et de lézard des murailles (Podarcis muralis), ainsi que le crapaud calamite (Bufo calamita) surtout en bas du versant. Le lucane cerf-volant (Lucanus cervus) est régulièrement aperçu dans le périmètre du terril.

Quel avenir pour demain ? Le plan nature de la Ville de Liège

Le Plan Communal de Développement de la Nature (PCDN) de la Ville de Liège a pour but d’intégrer durablement la nature et la biodiversité dans le développement social et économique du territoire. Il vise à établir un diagnostic précis de la nature et de la biodiversité pour orienter les actions de préservation et de restauration des milieux naturels.

La carte des réseaux écologiques thématiques synthétisés montre le maillage écologique de la Ville de Liège. Le maillage écologique est l’ensemble des habitats susceptibles de fournir un milieu de vie temporaire ou permanent aux espèces végétales et animales afin d’assurer leur survie à long terme. Le maillage écologique de Liège se compose de zones centrales, de zones de développement et d’éléments de liaison. Les zones centrales sont prioritaires pour la conservation de la biodiversité. Les zones de développement, quant à elles, sont adaptées pour accueillir la biodiversité tout en supportant des usages anthropiques. Les éléments de liaison, tels que les alignements d’arbres le long des voiries et les haies, permettent la connectivité entre ces zones en formant des corridors écologiques. Les corridors écologiques sont importants pour le brassage génétique des populations.”

On peut observer sur la carte ci-dessous les espaces verts de Sclessin et Cointe qui sont repris en zone de centrale et en zone de développement.

Carte des réseaux écologiques thématiques simplifiés © liege.be

La Ville de Liège désire aussi lutter contre le réchauffement climatique. Elle a déployé dans ce but son plan Canopée. Il consiste à planter plus de 24.000 arbres à l’horizon 2030 tant dans l’espace public que dans les espaces privés. Elle a formé des citoyens, bénévoles, dans chaque quartier afin qu’ils deviennent des passeurs d’arbres. Ils peuvent prodiguer des conseils en matière de plantation et de soins ainsi qu’informer sur les bonnes pratiques et la réglementation en vigueur. Grâce à ce plan, le quartier de Sclessin devrait voir le pourcentage d’arbres plantés sur son territoire augmenter de 30 à 40 %.

La Ville de Liège désire que chaque usager de la ville trouve un espace public de qualité et vert à 10 minutes à pied (voir stratégie PEP’S). Elle s’en donne les moyens grâce aux différentes actions qu’elle entreprend.

Béatrice MASUY

Bibliographie sélective :

      • SCHURGERS P., Cointe au fil du temps…, Liège, 2006
      • DEJAEGERE J., Sclessin autrefois, Noir Dessin Production, 2014
      • WARZÉE C., Liège autrefois, Cointe-Haut-Laveu-Saint-Gilles-Burenville, Noir Dessin Production, 2013
        (Bibliographie complète sur demande)

Image en tête de l’article : Prairie des Bruyères (rue des Buis) © Philippe Vienne


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Béatrice MASUY, organisée en juin 2024 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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HENOUMONT : 1944… les bombes ! (CHiCC, récits de témoins)

Temps de lecture : 3 minutes >

TOUT SUBIR…

Ce printemps-là, les bombes américaines, chaque jour, tombaient sur Liège. On mourait sans haine, car elles annonçaient le retour de la liberté. Pour un pont sur la Meuse, Kinkempois et Fétinne furent rasés. Le 20 juin 1944, une circulaire de police relevait 131 immeubles détruits, 554 inhabitables et 1.907 endommagés.

Je me souviens… J’ai vu partir en fumée les servants d’une batterie de défense anti-aérienne allemande, près du pont. On regardait, on ne comptabilisait pas la mort : elle était présente à chaque minute. Du ciel, tombaient les bombes et on aurait dit qu’un train, locomotive en tête, crevait les nuages. L’été vint et, un jour, dans le ciel, je vis passer au-dessus de la ville un étrange engin pétaradant. Le lendemain, le Pays Réel annonça qu’Hitler envoyait sur Londres ses armes secrètes dont on avait douté alors que les fuyards allemands de plus en plus nombreux les annonçaient imminentes. Un jour de septembre, une nuit plutôt, les GI’s furent là. Toute ma vie, je me souviendrai de ces six hommes casqués et silencieux. Puis ce fut la Libération. La guerre était finie, gagnée…

Au vrai, le plus dur était à venir. Un jour de décembre, alors que Noël était proche, les Allemands revinrent en force en Ardenne et sur Liège, les V1 et les V2 ne cessèrent de tomber, jour et nuit. Je vous parle de Liège parce que j’y étais. Londres et Anvers encaissèrent davantage, mais on a oublié que ma ville fut au troisième rang des cités sinistrées. Les Liégeois apprirent à vivre comme les rats dans les caves. On y descendit les lits, un poêle, de quoi vivre. Il fallait néanmoins travailler. Les cafés et les cinémas étaient ouverts. Le quotidien était assuré. On mourrait dans les gravats s’accumulant, comme si Liège était un volcan.

Entre les ruines, là où il y avait eu une rue, il n’y avait plus qu’un sentier. La nuit, on écoutait les V1 tournoyer dans le ciel. On les entendait venir du côté de l’Allemagne ou de la Hollande où se trouvaient les rampes de lancement. Le V1 s’arrêtait, il y avait un instant de silence et puis… l’explosion ! On redoutait davantage les V2, invisibles et silencieux, creusant des cratères où il ne restait plus que des bouts de bois et des briquaillons. J’ai pleuré de rage en entendant à la radio allemande, un copain de lycée passé du mauvais côté, chanter : “Valeureux Liégeois, sans vitres, ni toits !

Ce qui me stupéfie encore aujourd’hui, c’est que l’homme s’accoutume à cela ! Les Allemands étaient aux portes de Liège ; on écoutait la radio où les noms de Stoumont et de Manhay disaient combien ils étaient proches. Mais on s’accrochait, la guerre ne pouvait durer, elle était gagnée et nous étions libérés.

D’octobre à mars 1945, l’ensemble de l’arrondissement de Liège fut frappé par mille cinq cents V1 et V2 tandis que le cœur de la ville était atteint par deux cents engins. Le Vinave d’île, la place du Marché, furent frappés de plein fouet. J’habitais entre les deux… Il y eut plus de 1.649 victimes et plus de 2.800 blessés, 2.800 maisons détruites et 25.000 appartements et demeures inhabitables.

Vous devinez pourquoi je consacre cette chronique à ce rappel d’un passé déjà lointain, oublié, inimaginable pour les jeunes générations. Pourtant en mai 1945, les survivants que nous étions, biffèrent de leur mémoire ces jours de guerre, ces nuits d’apocalypse. L’homme peut… TOUT SUBIR !

René HENOUMONT

Pour lire la brochure complète (PDF-OCR), cliquez ici…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : dématérialisation, correction, partage, édition et iconographie | sources : brochure “1944… les bombes !” de la CHiCC, téléchargeable dans la DOCUMENTA (dématérialisation en cours) | contributeur : Patrick THONART | crédits illustrations : © Fonds Desarcy – Musée de la Vie wallonne.


Témoigner encore en Wallonie…

KATTUS : Lire, le propre de l’homme ? (CHiCC, 2024)

Temps de lecture : 11 minutes >
Vous qui êtes en train de lire cet article, vous n’êtes ni analphabète, ni illettré. Vous avez été scolarisé et avez donc eu accès à l’apprentissage du code, l’alphabet, utilisé par notre langue pour garder une trace écrite des productions langagières. Vous avez peu à peu fixé les démarches de base de la lecture et avez pu progressivement accéder au sens des textes. Au fil de votre enfance et de votre scolarité, la lecture vous est devenue automatique et familière, et jamais vous ne l’oublierez.
Pourtant, aujourd’hui, environ 10 % de la population adulte, qui est néanmoins passée par l’école, est exclue de cet accès autonome aux textes du quotidien. En effet, toutes ces personnes, plus d’un million de citoyens en Belgique, ne sont pas arrivées, au terme de leur scolarité, à automatiser suffisamment les démarches de base de la lecture. Leur déchiffrage des textes, lent et fastidieux, entraine chez eux un sentiment de découragement car la lecture dans ces conditions pénibles ne permet pas d’accéder au sens des textes. Arrivés à l’âge adulte, ces lecteurs en grande difficulté souffrent de ce qu’on appelle l’illettrisme qui les exclut de toute une série de plaisirs ou de droits. Ils souffrent surtout d’un sentiment de honte et se sentent des citoyens ‘de seconde zone’.
Dans notre société de l’hyper-écrit où toute démarche quotidienne passe par la lecture-écriture d’un texte, ils se sentent particulièrement abandonnés. Un exemple simple : acheter un billet de train à l’automate d’une gare. Cela requiert des compétences de lecture déjà très affinées : adopter la bonne stratégie face à la page d’accueil qui se présente comme un plan dont il faut comprendre comment l’aborder, savoir repérer et sélectionner les informations pertinentes qui correspondent à son projet de voyage et à son statut personnel de voyageur, auto-évaluer les résultats de sa lecture pour éventuellement revenir en arrière et effectuer d’autres choix, lire suffisamment vite et supporter le stress lié à l’impatience palpable de la file des voyageurs derrière soi…
Par ailleurs, les performances en lecture des jeunes de 15 ans posent également question. Les enquêtes internationales qui testent leurs compétences ou les résultats qu’ils obtiennent aux épreuves de lecture de la Fédération Wallonie-Bruxelles montrent qu’un tiers environ d’entre eux sont de mauvais, voire de très mauvais lecteurs. Ils arrivent difficilement à percevoir le sens littéral des textes simples qui leur sont proposés, ils n’accèdent pas à leurs implicites ni ne perçoivent clairement leurs intentions.
Cela a des conséquences multiples, tant sur la qualité de leurs apprentissages scolaires (or, l’échec scolaire mène souvent à l’exclusion sociale) que sur leurs capacités de développement personnel. Cela pose également question du point de vue de leur participation à la vie démocratique et citoyenne, en particulier aujourd’hui, à la veille des élections européennes auxquelles ils sont invités à participer dès l’âge de 16 ans. Comment en effet, sans avoir de compétences solides en lecture, porter un regard éclairé sur le programme des partis auxquels ils vont confier la responsabilité de les représenter, comment adopter une distance critique par rapport aux multiples influences dont ils sont l’objet à travers les discours dominants de leur famille ou des réseaux sociaux ?
Il importe donc aujourd’hui d’offrir à chacun une information solide sur les vertus de la lecture, comme le dit Michel Desmurget, chercheur en neurosciences cognitives, dans une interview accordée au Vif en novembre 2023 : Là où les écrans récréatifs sapent consciencieusement le développement des enfants, la lecture construit minutieusement leur humanité : langage, culture, imagination, créativité, expression orale et écrite… La lecture est incontestablement le vecteur d’émancipation le plus puissant à offrir à un enfant défavorisé.”

Mais d’autres signes montrent au contraire que la lecture ne se porte pas si mal. Si un tiers des élèves de 15 ans sont de piètres lecteurs, un autre tiers manifeste des compétences correctes en lecture et le dernier tiers est constitué de bons ou très bons lecteurs, capables d’aborder des textes complexes et d’adopter un positionnement critique à leur égard. Autres signes positifs, en vrac : l’ouverture toute récente de la nouvelle bibliothèque B3 à Liège, qui comptabilise 10.000 nouvelles inscriptions en quelques mois et accueille aujourd’hui un nombre impressionnant de jeunes ; succès croissant de plusieurs librairies indépendantes qui proposent de multiples activités autour de la lecture ; prix Horizon (prix du deuxième roman) qui réunit tous les deux ans un jury constitué de plus de 1000 lectrices et lecteurs, etc. Qu’est-ce donc qui attire tant de personnes vers cette pratique qui peut paraître lente et fastidieuse en comparaison des multiples occupations divertissantes qu’offrent les nouvelles technologies ? En quoi cette pratique, éminemment singulière et secrète, consiste-t-elle ?

Finalement, qu’est-ce que c’est, lire ?
“La lecture d’un texte peut être définie comme une activité de construction de sens, réalisée par un lecteur dans un contexte particulier” (Giasson et Goigoux, 1997).

1. C’est une activité intense, très prenante, au point que pour le lecteur, le monde extérieur s’efface. Voyez à cet égard les très belles photos qu’André Kertesz a publiées dans son recueil On reading.

2. Le sens du texte advient à la confluence de trois “forces” qui contribuent chacune à construire le sens : celui-ci n’est pas donné une fois pour toutes et pour tous, chaque lecteur le construit personnellement, en intégrant les éléments fournis par le texte et en se situant dans un contexte de lecture particulier.

            Lecteur           →          SENS           ←        Texte

                                                     ↑

                                               Contexte

Alberto Manguel (écrivain, traducteur, auteur d’Une histoire de la lecture, docteur Honoris Causa de l’ULg) explique : Lire ne consiste pas en un processus automatique d’appréhension du texte comparable à la manière dont un papier photosensible est impressionné par la lumière, mais en un processus labyrinthique de construction, commun à tous et néanmoins personnel.”

3. Que signifie enfin “construire le sens” ? Il s’agit d’une opération complexe au cours de laquelle le lecteur doit s’efforcer de :

      • comprendre, c’est-à-dire construire le sens littéral (C’est écrit dans le texte),
      • interpréter, c’est-à-dire construire le sens inférentiel (C’est écrit entre les lignes),
      • apprécier, c’est-à-dire construire le sens personnel (Est-ce que j’apprécie ce texte ? Suis-je d’accord avec son contenu ? Me fait-il penser à une expérience que j’ai vécue, un autre texte que j’ai lu ? Que signifie-t-il exactement pour moi ? Qu’est-ce que j’en garde pour ma propre vie ?).
Comment s’y prend-on pour lire ?

Le lecteur doit mettre en œuvre de multiples processus et stratégies de lecture. En voici quelques-unes, particulièrement importantes :

      • Ne pas se contenter de déchiffrer le texte, même si cette démarche est essentielle, mais se centrer sur la production de sens.
      • Déchiffrer suffisamment rapidement pour arriver à produire du sens. En effet, un déchiffrage trop lent, qui ne parvient à saisir que quelques lettres à la fois lors de chaque déplacement de l’œil, ne permet pas d’accéder au sens, notre mémoire de travail étant limitée à 7 éléments maximum. Comparez une saisie lente et balbutiante du texte  comme “Le – cro – co – di – le – a – tra – ver – sé – la – ri – viè – re – pour – at – tra – per – la – ga – zel – le.” à une saisie rapide et experte comme “Le crocodile a traversé la rivière – pour attraper la gazelle.” La vitesse de déchiffrage a une incidence directe sur la compréhension du texte.

      • Avoir confiance en lui-même, être dans un état de “sécurité lecturale“.
      • Disposer des connaissances lexicales nécessaires et des connaissances du monde lui permettant d’avoir accès à l’univers culturel du texte.
      • Prélever des indices pertinents dans le texte, les mettre en relation les uns avec les autres pour réaliser des inférences et anticiper la suite.

      • Mettre en œuvre les stratégies de lecture pertinentes en fonction de son projet de lecture : lire de A à Z, ou repérer les informations importantes et les sélectionner avant d’approfondir sa lecture, etc.
      • Prendre en compte les caractéristiques formelles du texte lu, par exemple sa structure.
      • Être conscient de l’influence du contexte de la lecture, par exemple les conditions physiques dans laquelle a lieu cette activité (on ne lit pas de la même façon dans le métro ou dans son lit, sur papier ou sur écran), ou l’époque à laquelle la lecture a lieu (on lit aujourd’hui Tintin au Congo comme un texte empreint de racisme alors qu’à l’époque de sa publication, on le lisait comme un texte divertissant).

On constate donc une extrême complexité de ce que le lecteur doit convoquer pour comprendre, interpréter et évaluer les textes, eux-mêmes très variés, et cela dans une grande diversité de contextes de lecture. Cette complexité provoque indéniablement chez les lecteurs les plus fragiles des déficits de lecture de différentes sortes auxquels il convient de remédier, tant à l’école que dans le milieu de vie.

Les deux remèdes essentiels, en dehors d’un travail plus spécifique effectué par les professionnels de la lecture que sont les enseignants, sont les suivants :

      • familiariser les enfants avec l’univers du livre, la culture de l’écrit, la diversité de ses usages, et ce depuis le plus jeune âge,
      • clarifier la nature de l’activité de lecture, à savoir ne pas seulement déchiffrer, mais construire le sens littéral des textes, le sens inférentiel et surtout, le sens personnel.
De la lecture à la littérature

Face à la multiplication des documents de toutes sortes auxquels nous avons accès aujourd’hui, en particulier la mixité de ceux-ci composés d’images et de texte, d’oral et d’écrit, le concept de lecture devient un peu étroit. Il est progressivement remplacé par celui de littératie, défini par l’OCDE de la façon suivante : aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités.

L’Association Belge pour la Lecture, section Francophone (ABLF) a repris sous la forme d’un nuage de mots les éléments constitutifs à ses yeux de la littératie.

      • En bleu : l’essentiel de la littérature
      • En vert : les différents types de documents à lire  aujourd’hui
      • En orange : les multiples opérations de la littératie
      • En rouge : les objectifs que l’on peut choisir de poursuivre en lisant
Lire, à quoi bon ? Apports et vertus de la lecture

Plusieurs enjeux de la lecture peuvent être distingués : d’abord ceux qui sont liés à la vie quotidienne et à la vie professionnelle, assez évidents : en effet, sans capacité de lire, impossible de s’insérer dans notre société caractérisée par la surabondance de textes de toutes sortes.

Mais la lecture possède aussi de nombreuses vertus en ce qui concerne le développement personnel des lecteurs.

Le plaisir, d’abord et avant tout : lire rime avec rire et plaisir ! Lire est aussi l’anagramme de lier, (re)lier les lecteurs à la pensée de l’auteur du texte, mais aussi les relier entre eux, en communauté de lecteurs partageant un ami commun, le livre.

En quoi consiste exactement ce plaisir de la lecture ? On peut en distinguer au moins trois composantes :

      • le plaisir de s’identifier aux personnages du récit, de vivre leurs aventures, dans leur univers, comme le faisait Madame Bovary. Cette facette du plaisir de lire s’appelle d’ailleurs le bovarysme,
      • vient ensuite le plaisir de l’interprétation : inférer, anticiper et vérifier la pertinence de sa réflexion,
      • enfin le plaisir que l’on éprouve devant une forme nouvelle, procuré non pas tant par ce que l’auteur dit que par la façon dont il le dit, par le ton propre qui est le sien et qui touche chez le lecteur un point sensible, par son inventivité ou sa beauté.

Outre le plaisir qu’elle procure à ses adeptes, la lecture possède de nombreuses autres vertus, comme l’expriment les auteurs de la plaquette Lire est le propre de l’homme, de l’École des loisirs :

      • Arthur Hubschmidt, cofondateur de l’École des loisirs : “Je suis protégé par des amis discrets et passionnants. Je n’ai plus peur. Je sais qu’une inépuisable chaine d’ami(e)s m’attend.”
      • Jean-François Chabas : “Le livre a structuré mon intellect, nourri ma morale et ma sensibilité.”
      • Agnès Desarthe : “C’est un miroir, une machine à remonter le temps, une porte ouverte sur l’autre.”
      • Valérie Zénatti : “Les livres nous apprennent le courage, le goût de la justice, l’audace, la rêverie.”
      • Claude Ponti : Nous sommes libres de savoir, de comprendre, de choisir et d’agir, parce que nous savons lire et que nous lisons. Nous sommes des êtres de culture et de choix. Rien ne garantit que nous fassions les bons choix, mais comme nous lisons, nous choisissons, nous décidons.”
      • Geneviève Brisac : “Pourquoi lisons-nous ? N’est-ce pas dans l’espoir d’une vie plus dense, de journées plus vastes ? Une vie plus dense, plus ronde, des journées plus vastes, plus claires, un monde plus lumineux, un avenir vivable, un passé compréhensible.”
      • Daniel Pennac : “Chaque lecture est un acte de résistance. De résistance à quoi ? A toutes les contingences. Toutes. …/… Une lecture bien menée sauve de tout, y compris de soi-même.”

Autre enjeu de la lecture : la vie citoyenne. La lecture est toujours perçue comme une menace par ceux qui détiennent le pouvoir, car lire, c’est se doter de connaissances, découvrir d’autres modes de fonctionnement, se doter d’un libre arbitre et devenir à même de se libérer des emprises dont on est l’objet. D’ailleurs, comme le précise Alberto Manguel, “L’histoire de la lecture est éclairée par une suite apparemment sans fin d’autodafés. Le livre est le fléau des dictatures. Puisqu’on ne peut désapprendre l’art de lire une fois qu’il est acquis, reste à en limiter la portée.” Lire et élire sont deux verbes qui ont plus à voir entre eux que leur simple consonance…

Enfin, si l’on accepte l’idée que les lecteurs peuvent transposer à la vie quotidienne les procédures qu’ils mettent inévitablement en œuvre lorsqu’ils lisent, on peut encore répertorier quelques apports supplémentaires de la lecture :

      • Lorsqu’on lit, on anticipe. Comme le dit Philippe Meirieu, “L’écrit nous permet de ne pas rester dans l’immédiateté, d’introduire du sursis, de la distance, de la réflexion”. Or, les technologies modernes de notre société consumériste nous plongent souvent dans l’immédiateté de la satisfaction de nos besoins ou de nos envies. Pour notre bonheur individuel ou collectif ?
      • Lire nous invite à relier les informations entre elles, à considérer le texte et les questions qu’il pose comme un ensemble, un système. Cette vision systémique apparaît aujourd’hui indispensable dans notre société technologique excessivement guidée par une réflexion héritée du Discours de la méthode de Descartes, à savoir la division des questions-problèmes en unités plus petites qui constituent alors des questions-problèmes simples, auxquelles on apporte des réponses simples, qui elles-mêmes deviennent des questions-problèmes, etc. Lire, c’est être plus intelligent (étymologiquement, inter-legere = relier). Ménandre : Ceux qui savent lire voient deux fois mieux…”
      • Lire, c’est développer son empathie à l’égard de l’Autre. “C’est le cadeau empoisonné de la littérature, dit avec humour Geneviève Brisac, comprendre que jamais personne ne vécut sur Terre sans avoir son propre point de vue.” Or, faire société est grandement facilité lorsqu’on arrive à envisager que le point de vue de l’autre, différent du nôtre, s’explique et mérite d’être pris en compte.
      • Et bien entendu, lire donne accès à l’imaginaire et à la créativité, deux capacités dont nous avons tant besoin aujourd’hui pour nous éloigner des modèles dominants délétères dans lesquels nous sommes englués et ainsi développer de nouvelles pistes.
Lire, le propre de l’homme ?

On a longtemps considéré que les activités suivantes étaient de bonnes candidates au titre de “propre de l’homme” : la guerre, la fabrication d’outils, l’art, le deuil, l’enseignement, la séduction, l’agriculture, la démocratie, la paresse, le langage, le rire… Mais les récents travaux des éthologues nous apprennent qu’il n’en est rien. Bien entendu, les observateurs de l’espèce humaine retrouvent tous ces comportements chez nous, et à un niveau de complexité inégalé. François Verheggen, professeur de zoologie à l’Université de Liège, se demande ainsi dans son récent ouvrage intitulé La cigale et le zombie si ce niveau de complexité ne serait pas, finalement, le propre de l’homme. Or, comme le montre le début de cet article, la lecture est une activité éminemment complexe…

Nancy Huston, autrice de l’essai L’espèce fabulatrice explique quant à elle que ce qui distingue l’espèce humaine des autres espèces, ce serait le fait que seuls les humains (se) racontent des histoires, dont ils gardent trace, depuis environ 5000 ans, en recourant à l’écrit et donc à la lecture : Le Sens humain se distingue du sens animal en ceci qu’il se construit à partir de récits, d’histoires, de fictions.”

Bien entendu, être humain, c’est faire partie d’une espèce qui se caractérise par des comportements observables et objectivables. Comme la lecture. Hitler, par exemple, savait lire. Et nos contemporains qui lui ressemblent sont aussi des lecteurs…

Finalement, font-ils, faisons-nous, nous les primates humains, preuve d’humanité, au sens second de ce terme polysémique ? Sommes-nous capables de manifester de la bienveillance, de la compassion envers autrui, de la bonté, de la pitié, de la sensibilité ? Et la lecture peut-elle nous y aider ? On peut y croire, au moins un peu…

Jean KATTUS


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Jean KATTUS, organisée en février 2024 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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PUCCIO et WILKIN : Le bombardement du dépôt des archives de l’État à Liège en décembre 1944 et ses conséquences (CHiCC, 2023)

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Le fonctionnement des Archives de l’État à Liège en 1940-1945 reste relativement mal connu. Jusqu’ici, les chercheurs se sont contentés d’évoquer rapidement le bombardement du 24 décembre 1944 durant lequel de nombreux documents d’Ancien Régime ont été détruits. Les grandes étapes de l’histoire de l’institution durant l’occupation et à la libération, la vie quotidienne de son personnel ou encore son mode de fonctionnement, sont restés dans l’ombre pendant plus de 75 ans. Pourtant, de nombreuses questions restent en suspens. Quelles ont été les difficultés rencontrées par la direction, le personnel scientifique et administratif ? Quelle a été la position de l’institution face aux demandes de l’occupant, notamment dans le cadre des enquêtes d’aryanité ? Des mesures spécifiques ont-elles été prises pour protéger les documents de destructions éventuelles ? Comment les Archives de l’État se sont-elles organisées à la suite des bombardements de 1944-1945 pour protéger les fonds endommagés ? Malgré la perte partielle des documents administratifs dans l’incendie qui a ravagé le dépôt en 1944, les documents conservés aux Archives de l’État à Liège et aux Archives générales du Royaume, les “archives des archives”, permettent de lever le voile sur de nombreuses interrogations.

Aujourd’hui encore, près de 80 ans après les faits, les successeurs de ces hommes et femmes continuent d’œuvrer patiemment à la restauration et à la réhabilitation de ce patrimoine exceptionnel. Les moyens financiers et en personnel font défaut et ce sont principalement des mécènes privés qui aident à la restauration de ces documents papiers. Parmi les 13 fonds d’archives endommagés, un seul a fait l’objet d’un traitement digne de ce nom. Lorsqu’est lancé entre 2007 et 2011 un vaste projet autour des institutions de la principauté de Liège, les Archives de l’État décident d’aller plus loin avec un argument qui saura convaincre : plus que l’histoire de la principauté de Liège, les archives du Tribunal de la Chambre impériale concernent l’histoire du Saint Empire germanique. Si ces précieux procès avaient été délaissés par les archivistes liégeois au lendemain du bombardement, soucieux d’abord de s’intéresser aux institutions centrales de la principauté de Liège, c’est pourtant cette collection qui va connaître, entre 2012 et 2019, le sort le plus enviable.

Laetizia PUCCIO et Bernard WILKIN

Bibliographie 

Puccio L. (dir.), Trésors de procédure : Les dossiers du tribunal de la chambre impériale conservés aux archives de l’état en Belgique (1495-1806), Liège, 2019.

Wilkin B., “Le dépôt des Archives de l’État à Liège face à la Seconde Guerre mondiale”, RHLg 1, 2020, p. 129-140.

  • illustration en tête de l’article : © Archives de l’État à Liège

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Laetizia PUCCIO et Bernard WILKIN a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC, en octobre 2023 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez le programme annuel de la CHiCC

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MEURICE : La folie de la princesse Charlotte de Belgique (CHiCC, 2011)

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La folie de la princesse Charlotte de Belgique, soeur de Léopold II, impératrice du Mexique

La princesse Charlotte, fille de Léopold Ier, épousa Maximilien, frère de l’empereur d’Autriche, un des principaux monarques à l’époque. Sur l’insistance de Napoléon III, Maximilien accepta d’occuper le trône impérial du Mexique. L’aventure échoua et Maximilien fut passé par les armes par les Mexicains. Il aurait pu abdiquer à temps et éviter cette exécution mais la princesse Charlotte s’obstina et l’en dissuada de telle façon qu’apparaît déjà la naissance de sa folie.

La princesse Charlotte a souffert de paranoïa et de schizophrénie. Lorsque Napoléon III réalisa l’échec du corps expéditionnaire français (trente mille hommes) dans l’essai de pacification du Mexique et décida d’abandonner l’aventure, la princesse Charlotte fit le voyage du Mexique en Europe et força par deux fois les portes de Napoléon III afin d’intervenir en faveur de son époux et ce, de façon extravagante. Psychotique, elle souffrait de la folie des grandeurs, à tout prix et contre toute réalité. Elle intervint également dans le même but auprès du pape, allant jusqu’à saisir brutalement la tasse de chocolat du souverain pontife et l’avaler, morte de faim, tant elle craignait d’être empoisonnée.

A l’époque, on connaissait mal la schizophrénie qui était soignée vaille que vaille. De nos jours, avec les progrès du scanner et les neuroleptiques, on aurait pu soigner Charlotte ou, en tout cas, atténuer les effets pervers de ses dérèglements. Les facteurs génétiques semblent intervenir dans le cas des psychoses ainsi qu’un parallèle entre génie et folie. Ainsi, une des filles de Léopold II, Louise, devint folle, de même que la fille de Victor Hugo et celle de Claudel. Léopold II lui-même possédait un caractère très spécial. Dernier parallèle d’ordre médical, le père de Charlotte, Léopold Ier, était âgé de 52 ans lors de sa naissance ; un tel âge, chez un père, favorise de discrètes particularités génétiques.

Charlotte était une enfant surdouée : elle lisait à l’âge de quatre ans, en français et en anglais. Adolescente, elle possédait “l’idéal du pouvoir“, à 18 ans, elle avait “la frénésie du décorum“. Au Mexique, se succèdent les manifestations d’un faste impérial : ils débarquent avec une suite de 85 personnes, 500 malles et un carrosse rococo. Le goût du faste s’allie au goût du pouvoir et à la volonté sincère mais aveugle d’apporter “le bien“. Tout Mexicain pris les armes à la main sera néanmoins passé par les armes. D’où le sort qui sera réservé à l’empereur Maximilien.

Napoléon III possédait des créances importante sur le Mexique, il espérait se voir remboursé par l’exploitation du pays et organiser un empire extra-européen. Ce projet allait faire exploser chez Charlotte la réalisation de ses objectifs trop grandioses et en complète contradiction avec un édifice chimérique. Charlotte souffre d’un contraste entre une brillante et généreuse intelligence et une perception aveugle des contingences de la réalité. Agressive, irritable, nerveuse, paranoïaque, elle viendra plaider en vain la cause de Maximilien en Europe.

En janvier 1868 – Charlotte a 28 ans – le corps de Maximilien est ramené en Europe. Charlotte alternera alors les périodes de calme relatif et des périodes de grande agitation. Elle vivra. au château de Tervueren, détruit en 1879 par un incendie, puis au château de Bouchout. Née en 1840, elle mourra d’une complication de bronchite en 1927, à 87 ans.

d’après le le Dr Emile MEURICE

  • illustration en tête de l’article : © rtbf.be

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence donnée par le Dr Emile MEURICE et organisée en mars 2011 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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BIERLAIRE : Erasme de Rotterdam ou l’humaniste dans tous ses états (CHiCC, 2011)

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Né à Rotterdam, vraisemblablement en 1469, et mort à Bâle en 1536, Érasme est le plus célèbre des humanistes de la Renaissance. S’il sillonne l’Europe et fait de longs séjours, parfois répétés, en France, en Angleterre, en Italie, en Allemagne et dans le canton de Bâle, il reste très attaché à sa terre natale, les Pays-bas, où il passe ses vingt-cinq premières années, puis revient à plusieurs reprises, pour travailler à Louvain, visiter ses amis à Anvers, Bruges ou Gand, fréquenter la cour de Bruxelles ou profiter de l’hospitalité d’un chanoine d’Anderlecht.

Érasme laisse une oeuvre considérable. Pendant près de quarante années, ce chercheur infatigable, qui correspond avec l’Europe entière, publie plusieurs livres par an (ouvrages inédits et/ou rééditions revues et corrigées). C’est par le livre que règne celui qu’on appelle parfois “le prince des humanistes”. Maîtrisant mieux que quiconque en son temps ce nouveau médium qu’est le livre imprimé, il surveille de très près la fabrication de sa production originale dans l’atelier de ses imprimeurs attitrés successifs (Thierry Martens à Anvers et Louvain, Alde Manuce à Venise, Johann Froben à Bâle…), mais est impuissant à contrôler les activités de leurs concurrents, qui diffusent les contrefaçons aux quatre coins de l’Europe.

Si l’Éloge de la Folie est le livre d’Érasme le plus souvent réédité et traduit depuis cinq siècles, les deux ouvrages les plus lus de son vivant sont les Colloques et les Adages. Le premier est un recueil de dialogues familiers entre des personnes de tous âges, des deux sexes et de toutes les professions. Le deuxième est une collection d’expressions proverbiales de l’Antiquité, accompagnes d’un commentaire explicatif plus ou moins long. Érasme ne cessa, tout au long de sa vie, de remettre sur le métier ces livres de classe devenus des classiques, faisant passer le premier d’une dizaine à une soixantaines de dialogues, le deuxième de 818 à 4151 adages.

L’ouvrage le plus important sans doute aux yeux d’Érasme est le Nouveau Testament de 1516, première édition grecque du texte, avec en regard, non pas la traduction latine traditionnelle connue sous le nom de Vulgate, mais une version latine élaborée à partir du texte grec de la traduction des Septante, faite d’après l’hébreu. Aussi Érasme s’attirera-t-il les foudres des théologiens traditionnels qui considéraient le texte de saint Jérôme, vieux de mille ans, comme doué de qualités bibliques, inspiré par Dieu, et donc intouchable.

Aujourd’hui largement accessible dans les principales langues vulgaires, l’oeuvre d’Érasme est écrite en latin. Tous les genres y sont représentés : la lettre (il en écrit des milliers), le dialogue, la controverse, la poésie, la déclamation, le panégyrique, la prosopopée, l’édition de textes, le commentaire de psaumes, la paraphrase des Évangiles et des Épîtres, le manuel scolaire (il écrit même un manuel de savoir-vivre), le traité d’éducation à l’usage des parents, des maîtres, des princes, des chrétiens, des prédicateurs, le livre de prières, le catéchisme, le recueil de proverbes ou de paroles célèbres de personnages de l’antiquité grecque et romaine…

L’activité littéraire d’Érasme se déploie dans trois directions principales, à bien des égards convergentes :

      1. D’abord, La Défense et l’enseignement des belles-lettres, des auteurs antiques, de la rigueur philologique, des arts du langage, grammaire et rhétorique. Érasme exhume, édite, corrige, commente, annote, traduit et finalement répand un nombre considérable de textes anciens, profanes, chrétiens (les Pères de l’Église) et même sacrés. Éducateur dans l’âme, il prodigue des conseils pédagogiques aux parents et aux maîtres, mais rédige aussi des manuels scolaires pour les enfants. Les belles-lettres ne constituent pas pour lui un obstacle à la foi chrétienne, elles peuvent au contraire servir la religion du Christ. Certains païens, d’ailleurs, pourraient faire la leçon aux chrétiens, souligne-t-il volontiers, résumant sa pensée dans le cri paradoxal et provocateur lancé par un personnage de ses Colloques : ” Saint Socrate, priez pour nous”.
      2. Ensuite, le combat en faveur de la paix entre les princes, les nations, les chrétiens. Érasme crie haut et fort que “la guerre n’est douce qu’à ces qui n’en ont pas fait l’expérience” – c’est le titre percutant d’un de ses plus beaux textes pacifistes, avec sa Complainte de la paix, dans laquelle celle-ci se lamente d’être chassée de partout. Militant de la paix, l’humaniste utilise sa plume pour dénoncer les méfaits de la guerre et exhorter les chrétiens “à suivre enfin la doctrine du Christ et à vivre dans la paix qu’elle enseigne”. Même s’il a le sentiment de “prêcher à des sourds”, il ne cesse d’interpeller les hommes de pouvoir : “J’en appelle à vous, Princes, qui gouvernez les affaires du monde et qui représentez parmi les mortels l’image du Christ. Reconnaissez la voix de Notre Seigneur et Maître qui vous exhorte à la paix”.
      3. Enfin, l’éducation à la piété chrétienne, à cette “philosophie du Christ” dont le message est simple : “L’essentiel de la philosophie du Christ consiste à concevoir que toute espérance repose en Dieu qui nous accorde gratuitement Ses dons par l’intermédiaire de Son Fils. La mort de Jésus nous rachète, le baptême nous unit à son corps. Nous devons renoncer aux désirs de ce monde, vivre conformément aux leçons de Jésus et à ses exemples, faire du bien à tous et, si quelque adversité nous surprend, la supporter courageusement dans l’espoir de la récompense future, réservée sans aucun doute aux hommes pieux, lors du retour du Christ. Nous devons progresser dans la vertu, sans toutefois nous attribuer aucun mérite, car Dieu est dispensateur de tout bien.” 

Ce christianisme-là, qu’il prêche même dans l’Éloge de la Folie, son oeuvre la plus connue, encore que souvent mal comprise, est à la portée de tous : “Il y a très peu de savants, mais il n’est interdit à personne d’être chrétien, à personne de posséder la foi, j’aurai même l’audace de dire : à personne d’être théologien”. En soutenant que tout chrétien est apte à parler de Dieu et à s’adresser directement à lui, Érasme ne s’exprime guère autrement que Luther et il ne peut que déplaire  aux théologiens de profession, soucieux de défendre leur magistère. Si l’on ajoute qu’il fait preuve toute sa vie d’une attitude très critique l’égard de l’Église visible de ses tares, on comprend mieux pourquoi il sera censuré de son vivant même et mis à l’Index dès après sa mort. Il y restera jusqu’au XXe siècle, sans jamais cesser d’être lu et redécouvert.

Franz BIERLAIRE

  • illustration en tête de l’article : © e-venise.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Franz BIERLAIRE a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC, en décembre 2011 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez le programme annuel de la CHiCC

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DECHESNE : Osmose entre l’évêché de Liège et le Pays de Liège (CHiCC, 2023)

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Bref aperçu historique de l’évêché de Tongres-Maastricht-Liège et du Pays de Liège, plus connu sous le nom de principauté de Liège, qui n’est pas une entité homogène mais un ensemble de plusieurs comtés sur lesquels règne l’évêque de Liège. Nous utilisons souvent ici les expressions “prince évêque” et “principauté de Liège”. Elles sont principalement connues à Liège et dans le Limbourg. Mais plus je m’informe sur l’histoire de Liège, plus je me sens obligé de les utiliser avec nuances. Sans omettre Albert, prince de Liège du XXe… Suivez le guide !

N.B. L’original du texte retranscrit ici est disponible au téléchargement dans notre documenta : il est riche de notes et d’illustrations (e.a. cartes historiques) qui ne figurent pas ci-dessous…

Cliquez ci-dessus pour afficher le document original…

AVANT-PROPOS

Les nombreuses dates dans le texte sont utiles pour placer les faits exactement dans le temps, et pour pouvoir les comparer à d’autres moments. Avant de développer l’évolution historico-géographique du Pays de Liège, il importe de le situer au sein des territoires qui vont devenir la Belgique.

L’Ancien régime

Après Jules César (“…Les Belges sont les plus braves…“), il faut pratiquement attendre le XVe siècle pour entendre parler des “Belges“, sous Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Justus Lipsus le qualifiait de “Belgii Conditor“, protecteur des “Belges” ; il s’agit probablement des francophones des Pays-Bas méridionaux. Le nom “Belgique” est peu usité durant la révolution brabançonne de 1790 ; c’est en France qu’on le rencontre le plus. L’adjectif “belge” est par contre plus employé. Quant à l’étymologie de “belge“, il faut remonter au celtique pour y retrouver des qualificatifs de belliqueux, braves, furieux, etc.

La Belgique actuelle est formée des

      • Duchés de Brabant, de Luxembourg, de Limbourg (différent de la province actuelle) ;
      • Comtés de Flandre, de Hainaut, de Namur ;
        • Marquisat d’Anvers et différentes seigneuries et les
      • Pays de Liège,
      • Principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy.

La Flandre était un grand comté du royaume de France dont le comte portait le titre de pair de France. Les autres dépendait du Saint empire romain  germanique.

Au XIVe siècle, ces provinces –exceptés Liège et Stavelot-Malmedy– passent aux mains des ducs de Bourgogne, qui les obtiennent grâce à des mariages, des héritages, des achats, des conquêtes.

Ducs de Bourgogne : Philippe le Hardi, Philippe le Bon, Jean sans Peur, Charles le Téméraire © bienpublic.com

L’influence des Bourguignons est telle qu’ils placent leurs enfants illégitimes ou neveux sur les trônes d’évêchés aux pouvoirs temporels, e.a. David de Bourgogne (1456-1496) à Utrecht et Louis de Bourbon (1456-1482) à Liège. Les ducs de Bourgogne règnent ainsi de fait sur ces principautés épiscopales.

Les Bourguignons s’éteignent avec Charles le Téméraire (†1477) et sa fille Marie (†1482). Leurs possessions territoriales passent aux mains des Habsbourg avec Philippe le Beau d’abord puis à Charles Quint d’Espagne. Celui-ci les cède à la branche autrichienne des Habsbourg.

Aussi bien Charles Quint que les Habsbourg autrichiens sont empereurs. Mais ils sont aussi duc de Brabant, de Luxembourg, de Limbourg, comte de Flandre, de Hainaut, de Namur, etc. Ces terres sont à eux, ils en sont les propriétaires.

Partant, il est erroné de dire que la Belgique a été sous domination espagnole, puis autrichienne ; tout comme il est incorrect d’évoquer la “Belgique autrichienne et/ou espagnole“. La Belgique n’a jamais été sous domination espagnole ou autrichienne ! Ni les Espagnols ni les Autrichiens ne régnaient sur nos territoires. Les Habsbourg étaient ici chez eux ; mais ils géraient leurs territoires brabançons, flamands, hennuyers, namurois, etc. depuis Madrid, puis de Vienne !

Pour preuve, les Bourguignons frappaient des monnaies propres à chacune de leurs provinces. Pour s’en convaincre encore, souvenons-nous des Joyeuses Entrées effectuées par les nouveaux souverains, empereurs. Ils juraient sur la Bible de respecter les lois, us et coutumes de leurs nouveaux territoires (Brabant, Flandre, Hainaut, Namur…). D’où la difficulté d’imposer une standardisation des lois “autrichiennes“, comme ils le souhaitaient.

Au contraire, au XVIe siècle, les Espagnols n’étaient pas très heureux –un euphémisme– de voir Charles Quint gouverner à Madrid avec l’aide de seigneurs brabançons et flamands.

Cependant, par convention, on parle de période “espagnole” ou “autrichienne“, par commodité –par facilité ?– pour renvoyer au titre principal du souverain concerné. Le Prof. Cauchies (UCL, St-Louis) qualifie cette situation d’union personnelle. Autre preuve : les monnaies sont frappées par comté, province (Philippe le Bon, duc de Brabant pour les monnaies brabançonnes, par exemple).

En ce qui concerne les entités du Pays de Liège, elles dépendaient aussi de l’empereur, mais l’évêque était un échelon intermédiaire entre le Pays et l’empereur. Il en était de même pour la principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy.

1. Évêché de Tongres / Maastricht / Liège

La Chrétienté a utilisé les divisions administratives romaines en faisant de la Civitas Tongrorum (des Tongres) le siège de l’évêché de Tongres. Saint Materne en serait le premier évêque, au début du IVe siècle. L’abbé de Lobbes, Hériger (Xe S.) cite pourtant des prédécesseurs tout en avouant ne pas en connaître beaucoup sur eux.

Pour des raisons encore hypothétiques, sans doute commerciales, les évêques de Tongres siègent à Maastricht –carrefour plus important que Tongres– depuis saint Servais (345-384 ?) selon les uns, depuis saint Monulphe (549-598) pour d’autres. L’évêché reste cependant toujours Civitas Tongrorum, il n’y avait donc pas d’évêque de Maastricht, mais des évêques de Tongres siégeant à Maastricht.

Détail du diptyque dit “Palude” montrant l’assassinat de Saint-Lambert © Grand Curtius

Le 17 septembre (certain) 705 (au plus tard), Lambert, évêque de Tongres, siégeant donc à Maastricht, est assassiné à Liège où il priait dans une demeure qu’il occupait. il est enterré à Maastricht.

De par l’affluence de pèlerins sur le lieu du martyre, son successeur, saint Hubert (705-729) fait transporter à Liège la dépouille de Lambert quelques années ans plus tard, dans un martyrium, nouvellement bâti. De plus, par la sanctification de Lambert, Liège devient un important site de pèlerinage. Pourtant, rien ne prouve la volonté de saint Hubert de transférer le siège de l’évêché à Liège.

Depuis saint Hubert, on évoque souvent –à tort– l’évêché Tongres-Maastricht-Liège, si pas évêché de Liège. Cela est probablement dû à la présence…

      1. régulière d’Hubert à Liège ;
      2. des reliques de saint Lambert ;
      3. du souhait d’Hubert d’être enterré dans la bourgade de Liège, ce qui est fait jusqu’à son transfert vers l’actuelle ville de Saint-Hubert, en 743.

Le transfert de l’évêché se fera vers l’an 800, quand le martyrium est élevé au rang de cathédrale, à l’initiative de Charlemagne qui avait eu l’occasion de voir de ses propres yeux et à plusieurs reprises l’importance que Liège avait pris sur le plan spirituel, mais surtout en raison de la proximité “familiale” vraisemblable entre Lambert et les Pépinides qui ont une vénération particulière pour saint Lambert. Charlemagne célèbre la Pâques à Liège en 770.

Compte tenu de ces événements, l’appellation évêque de Liège se décline en trois temps :

      1. ± 800 : le martyrium devient cathédrale, donc siège d’évêque. Le premier de ceux-ci serait Gerbald (787-809) ou son successeur Walcaud (810-832), sous l’épiscopat duquel une charte nous donne des informations. Malgré cela, on parle encore de l’évêché de Tungris,
        p.ex. dans le Traité de Meersen (870).
      2. En 882, Liège est citée Civitas (siège d’un évêque) ; Francon (856-900), devient ainsi premier évêque de la Cité épiscopale de Liège. Jusque-là, les évêques résidant à Maastricht sont encore évêques de Tongres ou évêques des Tongrois ou encore episcopus Tungrensis.
      3. 920-945, un premier diplôme portant la mention évêque de Liège est cité sous l’épiscopat de Richer. Le titre d’évêque de Tongres perdura encore, au moins jusqu’à l’époque de Notger (Xe siècle).
a. Importance de l’évêché de Liège

Alors que le Concile de Trente (1545-1563) n’autorise qu’un évêché par évêque, les évêques de Liège étaient quelquefois titulaires de plusieurs sièges. Aux XVIe et XVIIe, les Bavière e.a. sont abonnés à ces privilèges.

Ces princes de l’église de Liège étaient donc quelquefois aussi archevêque de Cologne, donc prince électeur d’empire, évêques de Hildesheim, de Regensburg, de Freising, … ensemble ou séparément. Érard de la Marck (1505-1538) était aussi évêque de Chartres (1507) et archevêque de Valence en Espagne (1520). Pourquoi ce droit octroyé à nos évêques ? Le Pays de Liège jouxtait les pays protestants allemands et “hollandais”. Il fallait donc un prince fort pour enrayer l’avance de la religion réformée et il était difficile de refuser quelque chose aux puissants Wittelsbach de Bavière.

Quant à Érard de la Marck, son lobbying en faveur de Charles Quint pour l’élection impériale (1519), contre François Ier, est tellement prépondérant qu’il lui apporte un archevêché, une abbaye et un chapeau de cardinal… chapeau qui lui avait échappé malgré la promesse de François Ier. Lobbying de vengeance ? Chapeau de cardinal que plusieurs évêques de Liège ont porté.

Avant 1559, l’évêché est impressionnant : 20.000 km², ou 2/3 de la Belgique actuelle. Mais en 1559, Philippe II d’Espagne, qui n’apprécie pas que l’évêque de Liège gère les paroisses sur ses (Philippe) terres, convainc le pape Paul IV de morceler les évêchés existants en créant de quatorze nouveaux évêchés et trois archevêchés, dont celui de Malines.

L’évêché de Liège –et d’autres– perd ainsi toute juridiction sur les paroisses sises sur les territoires de Philippe II et sa surface est pratiquement divisée en deux, elle passe de 20.000 à 11.000 km².

Ne perdons pas de vue les puissants chanoines tréfonciers de la cathédrale Notre-Dame et Saint-Lambert… qui ont donné six papes à la Chrétienté.

2. Principauté, duc, marquis, comte, baron

a. “Principauté”

Charlemagne (748-814) divise son empire en duchés, comtés et marches (marquisats). Ceux-ci sont contrôlés par les missi dominici, les envoyés du seigneur. Par ailleurs, l’empereur –Charlemagne et ses successeurs– nomme aussi les évêques, souvent des nobles, qui lui sont fidèles et formés dans ses écoles.

Les ducs, marquis et comtes sont des gouverneurs disposant de grands pouvoirs : battre monnaie, bâtir des enceintes, lever une armée, Haute et Basse Justice. Ces fonctions ne sont pas héréditaires. Lorsque le titulaire décède, le domaine revient à l’empereur qui désigne un successeur, quelquefois un fils, mais pas systématiquement. En France, le roi Charles le
Chauve, moins puissant à l’intérieur de son royaume, doit reconnaître l’hérédité de la fonction comtale dès 877. Ce n’est qu’en 1024 que l’hérédité des comtés sera officialisée dans l’empire germanique, sous Conrad II. Afin d’éviter ces problèmes d’hérédité, l’empereur germanique cédait les droits régaliens, ou pouvoirs civils, à des ecclésiastiques, évêques, abbés, sans descendance. À leur décès, l’empereur récupère sa terre pour désigner un nouveau comte.

Idée géniale qui est –avec le couronnement d’empereur du Saint empire romain germanique d’Otton I, 962– à l’origine de l’Église impériale (Reichskirche, la Sainte église romaine germanique). La France appliquait déjà cette possibilité mais pas aussi systématiquement que ne le fera l’empire.

Le premier à en bénéficier est Brunon (925-965), frère de l’empereur Otton II, archevêque de Cologne qui devient duc de Basse-Lotharingie. Le deuxième est Notger (972-1008), évêque de Liège, fait comte de Huy, en 985. Liège devient ainsi fille de la Sainte église romaine, comme on peut lire sur le portail de l’actuelle cathédrale Saint-Paul.

Notger, “prince-évêque” ? Notger avait été confirmé dans ses immunités en 980, c.-à-d. qu’il disposait de tous les droits dans les domaines propres à l’évêché/évêque et que son suzerain, le duc de Basse-Lotharingie, n’y avait aucun pouvoir. Par ces immunités et bien qu’il ne porte pas le titre de comte, l’évêque de Liège obtient de fait –en 980 donc– les pouvoirs comtaux sur toutes les terres de saint Lambert.

La Province et la Ville de Liège ont fêté le millénaire de la “principauté“, mais c’était une décision très discutable ; Notger n’a été fait comte qu’en 1985. Comte, Notger envisage alors de transférer le siège épiscopal à Huy, capitale de son comté, ville plus aisée à défendre. Mais c’est trop éloigné du lieu du martyre de saint Lambert et il entoure Liège d’une enceinte. La ville peut dès lors se développer et devenir une grande cité.

Liège, tu dois Notger au Christ
et le tout le reste à Notger.

b. Possessions temporelles

Le domaine temporel de l’évêque s’étend au cours des siècles. Les évêques reçoivent, héritent, acquièrent d’importants domaines, dont voici les principaux (avec le nom de l’évêque bénéficiaire) :

      • 985/07/07 : comté de Huy, Notger. Don de Otton III – Selon certains historiens, c’est d’une certaine manière l’acte fondateur de la “principauté“.
      • 987 : comté de Brugeron (NE de Tirlemont, entre Dyle et Gette), Notger. Don de Otton III. Perdu en 1013, à la Bataille de Hoegaarden, contre le Brabant. Liège conserve Hoegaarden, Beauvechain, Tourinnes-la-Grosse et Chaumont-Gistoux.
      • 1014 : seigneurie de Franchimont, Baldéric II. Deviendra marquisat au XVIe S.
      • 1040 : comté de Haspinga (Hesbaye), Nithard. Don de l’empereur Henri III. Absorbé, fondu dans la “principauté” de sorte que sa situation exacte n’est que supposée dans les environs de Waremme.
      • 1096 : Couvin (castellum de), acheté par Otbert au comte Baudouin II de Hainaut.
      • 1096 : duché de Bouillon. L’évêque Otbert achète le château et le vaste fief de Bouillon à Godefroid IV, duc de Basse-Lotharingie, en besoin de pécunes pour sa croisade. Le duché retourne à la France en 1679 (Traité de Nimègue), pour être remis à la famille de la Tour d’Auvergne. Les évêques de Liège contestant la décision se revendiqueront sans relâche du titre de duc de Bouillon.
      • 1190 (au plus tard) : comté de Duras (Saint-Trond), revient à l’Église de Liège. L’évêque Raoul de Zahringen le cède aux comtes de Looz, comté qui reviendra directement dans le giron de l’évêque de Liège en 1366.
      • 1224 : comté de Moha, Hugues de Pierrepont en hérite du comte Albert II de Dabo-Moha.
      • 1227 : Ville Saint-Trond (Sint-Truiden), Hugues de Pierrepont. Échange de Sint-Truiden, appartenant à l’évêque de Metz contre Maidières (Meurthe et Moselle, France) appartenant à l’évêque de Liège. La double seigneurie sera gérée au temporel par l’évêque de Liège (SE) et l’abbé (NO) de Saint-Trond ; ce dernier dépendant spirituellement de l’évêque de Liège, source d’incessants conflits.
      • 1268 : seigneurie de Malines, Henri III de Gueldre. Rendue au Brabant en 1333.
      • 1366 : comté de Looz (Loon), Jean d’Arckel. Le comte Thierry de Heinsberg décède en 1361. L’évêque de Liège qui en est le suzerain (dans des circonstances encore obscures, mais probablement selon un accord de 1190) récupère définitivement son comté en 1366 lorsque l’héritier renonce à ses droits. L’évêque en proclame l’inaliénabilité.
      • 1568 : comté de Horne, Gérard de Groesbeek.
      • 1531 : le comte Jacques III décède sans enfant. Son frère Jean, chanoine-prévôt –mais pas ordonné prêtre– de Saint-Lambert démissionne pour lui succéder, mais meurt (1540) lui aussi sans descendance. Il lègue son comté à Philippe de Montmorency, fils d’un premier mariage de son épouse. Philippe, dernier comte de Horne, sera décapité –avec le comte Lamoral d’Egmont– sur ordre du duc d’Albe, en 1568. Sa fille se voyant refusé l’héritage, le comté est repris par son suzerain, le comte de Looz, qui est l’évêque de Liège. Acté définitivement en 1614, sous Ferdinand de Bavière. Les comtés de Looz et Horne conserveront jusqu’à la fin de l’Ancien Régime leurs lois, coutumes, institutions particulières et leurs organisations judiciaires.
      • 1740 : baronnie de Herstal, Georges-Louis de Berghes l’achète à Frédéric II de Prusse.
      • Maastricht: dépendait en partie du chapitre de la collégiale/cathédrale Sainte-Marie (Notre-Dame, de l’évêque de Liège) et l’autre partie du chapitre de la paroisse Saint-Servais (du duc de Basse Lotharingie, dépendant de l’empereur, puis des ducs de Brabant en 1204).
Les titres de l’”évêque / prince”

Hugues de Pierrepont (1200-1229) est le premier évêque de Liège à obtenir  le titre de “prince d’empire”, devenant en quelque sorte le premier véritable prince évêque, ou mieux encore évêque prince. Cependant, c’est Ferdinand de Bavière (1612-1650) qui prendra le premier le titre de “prince” dans ses actes.

Dès le XIIIe siècle, l’empereur le désigne sous le vocable “princeps noster dilectus” (notre prince bien aimé). Au XVe, ses sujets et les princes qui correspondent avec lui s’adresse à lui avec “illustrissimus princeps“. Depuis, le XVIIe, le français s’impose avec “prince“. À l’étranger, il est Monseigneur de Liège.

Sur un plan de Liège (1730, L. Thonus, pour G.-L. de Berhes), on lit :

(…) SON ALTESSE SÉRÉNISSIME, ÉVÊQUE ET PRINCE DE Liège, DUC DE BOUILLON, MARQUIS DE FRANCHIMONT, COMTE DE LOOZ, ETC.

Sur un autre plan, on découvre :

CONSTANTIN-FRANÇOIS, DES COMTES DE HOENSBROECK, PAR LA GRÂCE DE DIEU, PRINCE ÉVÊQUE DE Liège, PRINCE DU SAINT-EMPIRE ROMAIN, DUC DE BOUILLON, MARQUIS DE FRANCHIMONT, COMTE DE LOOZ, DE HORNE, ETC. BARON DE HERSTAL ETC. (…)

Tous deux duc de Bouillon ? Alors que le duché de Bouillon est déjà retourné à la France en 1679. Voir plus haut.

Notger par Barthélemy Vieillevoye © Grand Curtius

Important : on écrit évêque avant prince (d’empire), ce qui indique la primauté du titre d’évêque sur les autres, raison pour laquelle sans doute Notger n’a jamais utilisé son titre de comte, évêque étant largement suffisant. Dès lors, il conviendrait de titrer évêque prince plutôt que prince évêque… Combat perdu d’avance, l’appellation prince évêque est trop ancrée.

Par ailleurs, pourquoi n’est-il plus fait mention dans les intitulés ci-dessus des comtés les plus anciens : Huy, Haspinga et Moha ? Ces titres anciens ont disparu parce qu’ils ne recouvraient plus une réalité institutionnelle à la fin de l’Ancien Régime, ils ont “fusionnés” pour former le Pays de Liège. L’appellation principauté pour Liège est donc récente, XIXe S., avant on parlait plutôt du Pays de Liège.

Une principauté féodale ne ressemblait en rien à un de nos États modernes aux frontières linéaires nettes, à l’intérieur desquelles s’exerce une autorité publique de façon uniforme. L’exercice progressif du pouvoir temporel par un prélat a, tout d’abord, induit une sorte d’abus de langage (aux yeux, du moins, de l’homme d’aujourd’hui), confusion aisément compréhensible dans la vie courante. Ainsi rencontre-t-on fréquemment jusqu’au XVIIIe siècle (y compris dans des ouvrages de géographie et sur des cartes), l’expression Diocèse ou Évêché de Liège pour désigner le pays, alors que le diocèse s’étend bien au-delà des limites de la principauté. Il s’agit là d’un usage fort ancien. Au XIIIe siècle encore, le pays (patria) désigne toute l’Ecclesia Leodiensis, tout l’évêché de Liège. Mais cent ans plus tard (XIVe), quand l’évêque lui-même parle du pays de l’évêché de Liège (patria episcopatus leodiensis), il n’entend pas tous les fidèles du diocèse mais seulement les sujets relevant de son autorité temporelle.

Le Pays de Liège était divisé en quartiers, sous-divisions administratives faisant e.a. office de circonscriptions fiscales. Selon le quartier, divers agents –parfois des grands baillis– du prince évêque exécutaient des offices précis. Néanmoins, des comtés (Looz et Horne e.a.) garderont leur nom, leurs propres lois et leur propre Justice, sous leur souverain, l’évêque, vassal de l’empereur. L’intronisation de l’évêque se déroulait en trois langues : latin, françois, thiois (diets).

En 1980, la province de Liège a commémoré –à tort– le millième anniversaire de la principauté. En 980 : Notger se voit confirmer les donations faites à ses prédécesseurs (… confirmé dans ses immunités…) ; c.-à-d. qu’il dispose de “droits régaliens” sur les terres propres de l’évêché. “L’empereur Otton II veut que nul autre que l’évêque (de Liège) ou son délégué n’y puisse exercer pouvoir ou juridiction“. Le suzerain de ces terres –duc de Basse-Lotharingie- n’y a aucun droit. Notger a d’une certaine manière les fonctions de “comte”, dans certains de ses domaines, mais pas le titre. Titre comtal qu’il recevra en 985, avec le comté de Huy. La “principauté” est donc réellement née en 985 !

c. Noblesse au Moyen Âge
      • Prince : les princes de sang sont des membres d’une famille royale. Prince se dit aussi d’un grand seigneur, quel que soit son titre, pas nécessairement d’une principauté. Les princes de l’Église sont les prélats, les cardinaux.
      • Principauté : une principauté, un état dont le souverain est “prince”.
      • Duché : initialement une administration militaire – Le duc est un haut fonctionnaire responsable e.a. de l’ordre public ; il coiffe plusieurs comtés, au début en tout cas (VIIIe–XIVe S.).
      • Marquisat : un comté “+”. Sous Charlemagne, aux marches (frontières) de l’empire, un marquis avait plus de pouvoir pour défendre la frontière impériale. Lorsque la seigneurie de Franchimont devient marquisat au XVIe S., la notion aux marches de l’empire n’existe plus.
      • Comté : administration territoriale ; le comte, comme le duc, est un haut fonctionnaire impérial (royal) disposant de très grands pouvoirs et d’une relative autonomie.
      • Vicomté : en principe un comté plus petit disposant de moins de pouvoir.
      • Baronnie : fief obtenu des mains du roi ou d’un grand prince (duc, comte). Initialement, un baron était appelé seigneur ou messire/sire de… À leur tour, les barons se sont entouré de petit seigneurs locaux. “Le roi de France convoque ses grands barons“, c.-à-d. les principaux ducs et comtes. À l’échelon inférieur, un comte invite ses barons, c.-à-d. les plus importants seigneurs de son comté. Aujourd’hui, la presse parle des hommes de pouvoir : les barons d’un parti politique, des dirigeants d’entreprises.
      • Chevalier : n’était pas un titre de noblesse en soi, mais une “qualité”. Tous les nobles, rois y compris, se devaient d’être armés chevaliers, preuve de courage. Il n’y a pas de terres associées au titre.
      • Bachelier :
        • gentilhommes sans moyens de lever un ban (troupe personnelle) ;
        • jeunes nobles en attente d’être reçu chevalier.
      • Écuyer : au moyen-âge, un jeune noble, au service d’un plus grand seigneur : il portait l’écu de son maître, suzerain.

À notre époque : Bachelier n’existe plus – Chevalier et Ecuyer sont bien des titres de noblesse.

3. Abbayes

En plus de leurs terres régaliennes, les évêques de Liège reçoivent  quelquefois des abbayes, soit à titre personnel, soit pour l’évêché. Les principales sont (avec le nom de l’évêque bénéficiaire) :

      • 888 : Lobbes, évêque Francon.
      • 982 : Fosses,
      • 987 : Gembloux,
      • 992 : Brogne, Aldeneik et Saint-Hubert,
      • 1015 : Florennes, évêque Baldéric II.

Ces abbayes, avec celle de Saint-Laurent, ont contribué à la réputation d’Athènes du Nord qu’avait Liège jusqu’à ce que les université de Bologne d’abord, puis la Sorbonne (Paris) dominent l’enseignement universitaire à partir du XIIIe siècle.

      • 1227 : Waulsort, Hastière, Hugues de Pierrepont.
L’abbaye de Stavelot aujourd’hui © stavelot.be

Les abbayes suivantes sont octroyées à titre personnel, elles seront rendues au décès des bénéficiaires :

      • XVIIe& XVIIe siècles : Stavelot-Malmedy, princes-abbés Gérard de Groesbeek et les Bavière Ernest, Ferdinand et Maximilien-Henri. Il s’agit bien d’un cumul, le prince évêque de Liège cumulant avec prince abbé de Stavelot-Malmedy, état indépendant. La crosse et le glaive définissent bien un prince spirituel et temporel.
      • XVIe siècle : Saint-Michel (Anvers), Érard de la Marck.
      • 1765 : Cheminon (FR), François-Charles de Velbruck (encore chanoine, pas encore évêque).

4. Sens du Pays et les chanoines

Avec l’évêque, le Pays de Liège est gouverné par les trois groupes représentatifs, réunis au sein du Sens du Pays :

      • L’État primaire : Chapitre des soixante chanoines tréfonciers de la cathédrale Notre-Dame et Saint-Lambert. Ils représentent l’ensemble du clergé du Pays de Liège. Ils concentrent entre leurs mains l’avoir, le savoir et le pouvoir. Ces chanoines tréfonciers jouissent d’un statut privilégié, connu partout et ils ont fourni six papes à la Chrétienté.
      • L’État noble : à la fin XVIIIe S., il ne rassemble plus que dix-sept nobles recrutés par cooptation après pu avoir établir la garantie nobiliaire de seize trisaïeuls.
      • L’État Tiers : se compose des représentants des Bonnes Villes (vingt-trois à partir de 1651), c.-à-d. deux bourgmestres par Bonne Ville, souvent de riches bourgeois. Ils sont élus annuellement. Aucun mandataire des six cents communautés villageoises ne siège avec eux.

Les Journées d’État, c.-à-d. les réunions du Sens du Pays, sont convoquées  par le prince ; en principe deux fois ans et durent dix jours.

5. Querelle des Investitures et le Concordat de Worms, 1122

Alors qu’au début de la Chrétienté, les fidèles choisissent leur évêque. Les rois francs barbares, conscients de l’influence grandissante de la religion et des évêques recherchent leur soutien plutôt que l’affrontement. Ces rois vont ainsi nommer eux-mêmes les évêques qu’ils choisissent parmi leur fidèle noblesse.

Lorsque les princes évêques apparaissent, l’empereur désigne évidemment les comtes et ducs et par ailleurs, il cède des duchés et comtés à des évêques.

À partir du XIe siècle, l’empereur perdant en puissance ce que le pape y gagnait, ce dernier exige son droit à nommer les évêques… qui étaient aussi ducs ou comtes, désignés par l’empereur. La quadrature du cercle ?

La Querelle des Investitures issue de ce problème dure quelques dizaines d’années pour se terminer le 23 septembre 1122 avec la signature du Concordat de Worms, entre le pape Calixte II et l’empereur Henri V. Depuis, dans les principautés épiscopales, c’est le Chapitre des cathédrales qui élit son évêque ! La procédure se déroule en trois temps :

      1. Les chanoines des cathédrales (des principautés épiscopales) élisent l’évêque ;
      2. L’empereur investit temporellement (duc, comte) l’évêque, en lui remettant le sceptre ;
      3. Le pape confirme en remettant la crosse et l’anneau épiscopaux.

Ce qui prouve l’importance des chanoines des cathédrales !

6. “Conclusion” sur l’Ancien régime

La principauté de Liège n’est pas une entité juridique, ni même un territoire entier. Elle est formée d’un amalgame de duché, marquisat, comtés et  seigneuries ; évoluant au cours du temps. Le nom de principauté de Liège est une notion du XIXe siècle, créée par les historiens de la nouvelle Belgique. Ils devaient probablement associer prince et principauté. Les provinces (duché, marquisat, comtés…) qui la composaient ont conservé leur nom, leurs lois, us et coutumes. En effet, l’évêque de Liège était/a été duc de Bouillon, comte de… et de … etc. Il était prince par sa grandeur, pas d’une principauté. Cependant, les premiers comtés accordés à l’évêque de Liège (Huy, Brugeron, Haspinga, Moha) ont pour ainsi dire fusionnés pour former le Pays de Liège. Ce processus a probablement duré plusieurs siècles. On ne les évoque plus dès le XIIIe siècle. Néanmoins, il serait intéressant de savoir à quel titre l’évêque de Liège signait des actes concernant ces comtés-là.

Blason du Pays de Liège : couronne impériale et manteau d’hermine (prince impérial), croix à une branche transversale et crosse (évêque), glaive (prince temporel), blasons (Liège, Bouillon, Franchimont, Looz, Horne)

L’appellation principauté est une extrapolation due à l’importance et la (relative) indépendance du Pays de Liège, ainsi qu’à l’aura de Monseigneur l’évêque de Liège, auréolé du titre de prince d’empire. Cependant, comme pour la Belgique espagnole ou autrichienne, par convention, on parle de principauté, par facilité. Ici aussi, tenter d’éviter l’utilisation de principauté de Liège –pour utiliser Pays de Liège– est un combat perdu d’avance. […]

7. De la fin Ancien régime à aujourd’hui

      • 1789 (18 août), Révolution Liégeoise. Au contraire des Français qui révolutionnent le système, les Liégeois souhaitent un retour au passé,
        avec e.a. l’abrogation du Règlement de 1684 du prince évêque Max.-H. de Bavière et veulent retrouver leurs privilèges d’antan.
      • 1789 : la Révolution française met fin à l’Ancien régime, aux privilèges, à la noblesse, à la religion. La principauté de Liège cesse d’exister. Nous devenons Français le 1er octobre 1795 et sommes incorporés dans le Département de l’Ourte (sic), qui deviendra la province de Liège.
      • 1802 : avec le Concordat signé entre Napoléon et le pape Pie VII en 1801, l’évêché de Liège renaît, sans prince.
      • 1830 : après la courte période des Pays-Bas Unis (1815-1830), nous acquérons une nouvelle indépendance, nouvelle nationalité avec la création de la Belgique.
      • 1839 : Guillaume Ier, roi des Pays-Bas Unis, accepte le Traité des XXIV Articles de 1832 (2e Conférence de Londres) scellant l’indépendance belge. La Belgique rend le Limbourg néerlandais et le Luxembourg. L’évêché de Liège perd ses paroisses aux Pays-Bas, Limbourg néerlandais surtout, dont son séminaire de Rolduc, qui déménage en partie à Sint-Truiden (Petit Séminaire).

8. Prince de Liège au XXe siècle – Albert (°1933)

Au début de l’existence de notre royaume, les fils du roi des Belges recevaient des titres honorifiques, sans territoire ni revenus. L’AR 16/12/1840 précise que l’aîné des fils devenait duc de Brabant, héritier du trône et le puîné fils, comte de Flandre. Les filles ne recevaient pas de titre. Lorsque le duc de Brabant –héritier du trône– se mariait et devenait père avant de monter sur le trône, son fils aîné se voyait octroyer le titre de comte de Hainaut. Deux premiers fils ont profité de ce titre de comte de Hainaut : Léopold (1859-1869), premier fils du futur Léopold II (AR 12/6/1859) et Baudouin (1930-1993), premier fils du futur Léopold III (AR 10/9/1930). Il n’est pas le premier enfant de Léopold (toujours duc de Brabant), mais l’aînée, Joséphine-Charlotte (1927-2005) ne reçoit pas de titre. Les autres enfants des ducs de Brabant ne recevant pas de titre.

Quand Albert vient au monde, le 6/6/1933, il ne reçoit pas de titre car son père Léopold est toujours duc de Brabant. Après l’accident mortel d’Albert Ier, le 17/2/1934, Léopold III (1901-1983) accède au Trône et Baudouin, l’aîné des fils, devient duc de Brabant, prince héritier. Deuxième fils du roi, Albert aurait dû alors légalement recevoir le titre de comte de Flandre. Mais ce titre n’est pas disponible car il est –logiquement– toujours porté par son oncle Charles (1903-1983, régent de 1944 à 1950), deuxième fils du précédent roi Albert Ier et frère du roi régnant, Léopold III. Ce dernier souhaite cependant donner un titre à son fils Albert, et afin d’une part d’honorer Liège pour sa résistance à l’invasion allemande en août 1914 –qui lui vaut la Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur française– et d’autre part, probablement en mémoire du glorieux passé de la principauté épiscopale, Albert, futur roi Albert II, est fait prince de Liège (toujours avec accent aigu – AR 7/6/1934). Ce sera le seul et unique prince de Liège depuis l’indépendance de la Belgique. En effet, de par l’AR 16/10/2001, les titres historiques (comtes de Flandre et de Hainaut) sont abrogés et seul l’héritier(ère) du Trône en reçoit un : duc/duchesse de Brabant, actuellement, Élisabeth, fille du roi Philippe.

Jean-Pierre DECHESNE


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | sources : texte de la conférence de Jean-Pierre DECHESNE | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Degobert ; © bienpublic.com ; © Grand Curtius ; © stavelot.be.


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Jean-Pierre DECHESNE a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez le programme annuel de la CHiCC

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LEONARD : La fête de la Pentecôte à Cointe (avant 1940)

Temps de lecture : 9 minutes >

Le texte qui suit est un inédit, retrouvé par M. Philippe Léonard parmi des documents de son père, M. Jean Léonard (1920-2015). Jean Léonard est né à Liège, rue des Hirondelles, il a habité route sa jeunesse rue du Batty et a fréquenté l’école primaire communale du boulevard Kleyer. Son fils a pensé que ce manuscrit pourrait intéresser la CHiCC, puisqu’il concerne Cointe, et son partenaire wallonica.org pour la publication. De fait, il constitue un témoignage intéressant de la période d’entre-deux-guerres, complémentaire de celui de M. Georges Fransis. On y trouve, notamment, beaucoup de détails techniques concernant le fonctionnement des carrousels de l’époque ainsi que des anecdotes au sujet du… tram.


“Cette fête paroissiale appelée aussi “la fête à Saint-Maur” était la première fête religieuse de la région, aussi était-elle très fréquentée. Elle se déroulait pendant les deux jours fériés de la Pentecôte (le dimanche et le lundi). Les carrousels, partiellement démontés, tournaient encore le mardi.

Elle était appelée “fête à Saint-Maur” par les anciens (à l’époque, nous étions encore des gamins) parce que, au dessus de la rue Saint-Maur, à droite un peu en retrait, existait une petite chapelle vouée à ce saint qui avait la propriété de guérir les rhumatismes. La chapelle était d’ailleurs tapissée d’ex-votos et aux murs pendaient aussi de nombreuses cannes et béquilles, et c’était un pèlerinage de monter cette rampe fort raide.

Le jour de la Pentecôte (le dimanche), c’était la procession avec les bannières, les enfants de chœur et de Marie, les communiants et, pour terminer, le dais sous lequel se tenait le curé. Les cordons étaient tenus par les quatre édiles du quartier, souvent des habitants du parc privé de Cointe (avocats, médecins, industriels, etc.). C’était la fanfare (l’harmonie) des salésiens Don Bosco du Laveu qui donnaient la partie musicale à l’ensemble.

Puis on tirait “les campes.” C’était un alignement de petits cônes tronqués (comme des pots de fleurs), en acier, placés sur une charge de poudre, réunis entre eux par une coulée, de poudre également, qu’allumait un artificier (des petits pots au début puis de plus en plus grands pour terminer — ceux-là “pétaient” plus fort que les autres).

La semaine précédente, les “baraques” (c’est à dire les roulottes) arrivaient et venaient s’installer long du mur du couvent des Filles de la Croix (sur la place et rue du Batty). Parmi ces roulottes, il y avait celles pour le matériel et celles pour l’habitation du patron et celles pour le personnel. Pour le personnel il s’agissait souvent d’une partie de roulotte XXXL dans laquelle étaient installés des lits superposés.

Le manège (“galopant“) allait s’installer sur le haut de la place du Batty, les tirs et les baraques à croustillons sur le côté droit (en descendant). Il y avait également des petits carrousels montés sur le boulevard Kleyer — et, naturellement, nous allions jouer tout autour et l’on entendait les parents crier : “Måssî gamin, n’allez nin co djouwer divins les baraques !” On y allait quand même mais, comme les timons étaient enduits de cambouis, vous voyez déjà les résultats !

L’attraction principale était, bien entendu, le “galopant“, un vrai celui-là, c’est à dire un manège où les chevaux de bois galopaient réellement tandis que, actuellement, les chevaux se contentent de monter et de descendre. Ce n’est plus pareil…

Montage du “galopant

Les chevaux étaient groupés par trois sur une espèce de charrette à deux roues sur un seul essieu montée sur un plancher en bois en trapèze pour que l’ensemble des charrettes assemblées forment une couronne. Cet essieu de charrette était muni d’excentriques (deux par cheval) placés décalés sur l’axe et réunis au cheval (à l’avant et à l’arrière) par deux tiges en acier.

Lorsque l’essieu tournait et que les excentriques étaient enclenchés, leur décalage sur cet essieu provoquait un mouvement de montée et de descente de l’avant ou de l’arrière du cheval qui ressemblait à un galop. Il en était de même pour les quelques nacelles qui alternaient avec les chevaux. Ce mouvement ressemblait à une barque se balançant sur des vagues houleuses.

C’était très bien trouvé mais, évidemment, devait coûter très cher en main d’oeuvre de construction à l’origine et d’entretien à l’usage… Lors du transport par route d’une fête à une autre, les chevaux étaient recouverts chacun d’une bâche épousant leur forme et les protégeant ainsi de la pluie. En route, les excentriques étaient désolidarisés de leurs essieux respectifs pour éviter une usure inutile et la déchirure de la bâche.

Le “galopant” s’installait sur le haut de la place du Batty mais, comme elle était en pente, il fallait d’abord obtenir l’horizontalité de l’ensemble par de nombreux calages à l’aide de madriers et de poutres sur des petits supports semblables à ceux utilisés au cirque, dans la cage des fauves et sur lesquels ils doivent monter. La première pièce maîtresse à installer était le chariot sur lequel était installé, à demeure, la machine à vapeur car c’était sa cheminée qui allait supporter tout le toit du carrousel.

Le toit se montait sur une couronne située autour de la cheminée de manière à pouvoir tourner autour de celle-ci qui restait fixe (elle se montait en deux pièces). Le toit était entraîné par un arbre vertical avec pignon denté qui entraînait une couronne dentée à denture verticale (en échelle), fixée au toit. L’axe vertical était commandé à partir de la machine à vapeur par un jeu de pignons coniques. C’était le toit qui entraînait le plancher [et] donc les chevaux et les nacelles par des barres verticales croisées fixées sur la circonférence intérieure du plancher.

Presque tous les “galopants” avaient une machine à vapeur à chaudière horizontale (comme les locomobiles) mais, exceptionnellement, le carrousel Bluart d’Amay possédait une chaudière verticale et la machinerie était installée à côté. Je crois que les cylindres à vapeur étaient verticaux, mais je n’en suis plus certain…

Les roues supportant les chevaux et les nacelles roulaient dans des rails à gorge constituant ainsi une double couronne. Une seule roue était rendue solidaire de l’essieu destiné à commander les excentriques afin de contrecarrer la différence chemin de roulement intérieur et extérieur (il n’y avait pas de différentiel comme sur une auto !).

Chaque machine à vapeur était commandée par un machiniste à demeure qui actionnait un sifflet à vapeur avant chaque départ. Il y avait aussi une sirène semblable à celle utilisée sur les navires de guerre et dont le son ressemblait à un hennissement de cheval (rappelez-vous le film Les canons de Navarone lorsque, à la fin du film, les navires de guerre défilent devant les canons détruits).

Dolhain–Limbourg. Un galopant “Bairolle” (fabriqué à Liège). Au centre Jacques Bairolle et son épouse Mélanie Saroléa © Lambert Jamers

Les carrousels “galopant” tournaient dans le sens contraire à celui de Maquet qui, lui, tournait dans l’autre sens. Le carrousel Bairolle, un des plus beaux, a été vendu au Canada où il fait les délices des jeunes et des moins jeunes qui, eux, savent encore apprécier les belles choses… On l’a revu à la TV, dans un feuilleton télévisé.

Il y avait aussi, placé à l’avant et monté sur un chariot propre, l’orgue de Barbarie qui jouait des airs à la mode (de l’époque !). C’étaient des cartons perforés qui actionnaient les contacts et les soupapes de chaque sifflet de l’orgue ou le tambour, etc. Les airs de musique n’étaient plus tout à fait récents et dataient même d’avant 1914. Comme ces carrousels étaient appelés à fonctionner dans les campagnes ardennaises ou condruziennes ou hesbignonnes, où l’électricité n’était pas encore installée, il fallait bien la produire sur place. Or, le manège était équipé de plusieurs centaines d’ampoules de toutes les couleurs. C’était vraiment féerique, le soir, lorsqu’il tournait.

Il faut savoir que les camions à essence étaient rares et peu performants à cette époque. Certains avaient été récupérés dans le surplus de la guerre 1914-18 et avaient encore des bandages pleins. Aussi la traction des roulottes était-elle assurée par des locomotives routières, à vapeur (c’est à dire comme un rouleau compresseur à vapeur, sans le rouleau). La locomotive routière avait des roues en acier et, après avoir remorqué deux roulottes, les avoir garées, elle se plaçait le long du carrousel.

A l’avant de la chaudière était fixée une dynamo reliée par une courroie au volant d’inertie de la machine qui, après désolidarisation des roues motrices, n’actionnait plus que la dynamo qui fournissait ainsi du courant continu à tout l’ensemble du manège. Bluart possédait encore un camion à vapeur de construction anglaise (d’avant 1914) qui pouvait également remorquer une roulotte. Le conducteur était à gauche et le chauffeur à droite du sens de la marche (côté porte du foyer).

Tous les panneaux du carrousel (toit, plancher et garnitures intérieures) étaient couverts de tableaux peints par des artistes, le tout entouré de petits miroirs du plus bel effet. Le dimanche, un “trompette” bénévole s’installait devant le limonaire et jouait, accompagnant la musique. Plus tard, les “galopants” se sont modernisés, la machine à vapeur neutralisée, remplacée par un moteur électrique mais la chaudière “hors feu” a été conservée parce que c’était sa cheminée qui soutenait le toit ! Et, finalement, ils ont été garés, vendus, démontés et remplacés par des autos-scooters, beaucoup plus rentables en entretien et au montage-démontage – et puis, d’ailleurs, c’était la grande mode de l’époque.

Il y avait aussi les inévitables baraques à croustillons. A Cointe, c’était Clarembeau, puis les tirs et les baraques à loterie (on gagnait des plats, des vases, des casseroles). Maintenant, ce sont des nounours et des Mickey ! Il y avait aussi des petits carrousels pour les enfants, des petites autos, des vélos mais à une roue et montés en cercle, puis les multiples échoppes vendant des babioles comme sur la Batte à Liège.

Devant les cafés, les terrasses étaient installées et, chez Delhez, dans la salle située rue des Lilas [rue Constantin-le-Paige], on dansait  “au cachet“. C’est à dire que, à chaque danse, un préposé à la collecte passait parmi les danseurs et percevait  cinq, dix ou vingt-cinq centimes. Comme c’était la première fête de l’année dans la région liégeoise, un monde fou montait sur le “plateau”, par calèches, autos, fiacres et, surtout, par le bon vieux tram vert (20 centimes depuis la rue Sainte-Véronique).

Le tram vert (li vî tram di Cointe)

Il reliait le bas de la rue Hemricourt au plateau de Cointe. Le petit dépôt de tram style autrichien, construit en bois, était situé au milieu de l’avenue de l’Observatoire, à droite en montant. La ligne était à voie unique avec des évitements (un cent mètres plus haut que le dépôt, un autre au lieu dit “Champ des Oiseaux” et celui du terminus au plateau. Une voie de manœuvre pénétrait de quelques dizaines de mètres dans le parc privé de Cointe. Elle servait à permettre au tram qui venait d’arriver de reprendre la voie de droite pour le départ. Mais, comme il y avait rarement plus de deux véhicules en ligne, elle ne servait que les jours de grande affluence…

Un raccordement en boucle en face de l’église Sainte-Véronique permettait, via la ligne des trams blancs (TULE n°3) d’atteindre la place Cockerill (face à la Grand Poste) où les renforts de petites motrices vertes du tram de Seraing nous parvenaient. Elles étaient nécessaires les jours de Pentecôte. Entre 1920 et 1930, les moteurs étaient encore desservis par deux hommes, un conducteur et un percepteur, mais le percepteur a été rapidement supprimé.

Comme, entre les deux guerres, les routes étaient recouvertes de pavés ou comme le boulevard Kleyer de gravier (alors que j’étais à l’école communale, je me souviens l’avoir vu asphalter), il y avait souvent des problèmes. Quand il avait plu, le gravier de la rue du Batty ou du Boulevard Kleyer “descendait” vers les rails à gorge du tram et, comme le retour du courant s’effectuait par les roues, la motrice tombait en panne ou déraillait sur les pavés. Comme il n’existait pas de “train de secours” comme aux chemins de fer, on utilisait le système D.

On allait chercher les vieux pensionnés et les chômeurs, toujours assis sur un banc à l’entrée du boulevard, et le percepteur leur demandait d’appuyer avec leur dos contre la paroi du véhicule pendant que lui, ganté de gros gants en caoutchouc et armé d’un fil électrique, assurait le retour du courant en touchant à la fois la roue en acier et le rail. Le tram, avec le conducteur à bord, se dandinait sur les gros pavés mais, sous la poussée des bénévoles, finissait toujours par retomber sur ses rails. Ce n’était pas bien compliqué !

Quand il ne pleuvait pas, c’était nous qui, au bas de la rue du Batty, remplissions les gorges des rails de poussière et alors… c’était la panne ! On était cachés et on regardait le percepteur avec ses gants  réaliser le retour du courant et on n’avait pas besoin des pensionnés puisque, si le tram n’avait plus de courant, il était cependant resté sur ses rails.

On allait chez Dessel-Cloux [?] (au coin de la rue du Puits et des Lilas) chercher des “crick-cracks” pour vingt-cinq centimes. C’étaient des petites gouttes de poudre brunes collées sur des bandes de papier et on en avait vingt-cinq pour une pièce de vingt-cinq centimes. On allait les placer sur les rails du tram, quelques mètres après son emplacement de stationnement et on les disposait sur quelques dizaine de mètres. Lorsque le tram partait, il les écrasait et ça “pétait” vingt-cinq fois !”

Jean Léonard

Le manuscrit original est dans notre documenta !

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : dématérialisation, partage, édition et iconographie | sources : Jean et Philippe Léonard | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Jean Léonard ; P. Schurgers et J. Hariga (photo en tête de l’article) ; © Lambert Jamers.


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DELAITE : L’Académie royale des Beaux-Arts de Liège, presque 250 ans d’histoire aujourd’hui (CHiCC, 2022)

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Liégeoise d’abord

C’est François-Charles de Velbrück, prince-évêque de Liège de 1772 à 1784, qui prit en 1775 la décision de créer une “Académie de peinture, sculpture et gravure” ainsi qu’une “Ecole de dessin relative aux arts mécaniques”. Le peintre Léonard Defrance (1735-1805) et le sculpteur Guillaume Evrard (1709-1793) firent partie du premier corps professoral. Cette première académie occupa d’abord provisoirement deux salles de l’Hôtel de Ville avant de s’installer à partir de 1778 dans un hôtel particulier “Vieille Cour de l’Official”, à proximité de l’actuel Îlot Saint-Michel, jusqu’à la Révolution liégeoise de 1789.

Française ensuite

Sous le Régime français en 1797, Liège, devenue siège de la préfecture du département de l’Ourthe, ouvre une “Ecole Centrale”. Léonard Defrance, encore lui, y est chargé des cours de dessin. Comme toutes les autres écoles centrales de l’Empire, en 1808 l’école de Liège devient lycée et le cours de dessin n’est plus qu’un cours parmi d’autres. Quatre années plus tard, en 1812, à l’instigation des membres de la Société d’Émulation – une société savante instituée elle aussi quelques décennies plus tôt par ce prince éclairé qu’était Velbrück – un projet de création d’une école gratuite de dessin, de peinture, sculpture et architecture voit le jour : ce sera “l’Athénée des Arts”. Celui-ci ne connaîtra cependant qu’une existence éphémère, les circonstances politiques le voulant ainsi. En effet, les cours disparaissent peu après en janvier 1814 : les armées alliées entrent à Liège et mettent fin au Régime français. Cet Athénée des Arts occupait une grande salle de l’hospice Saint-Michel, rue de l’Étuve. Le peintre français Philippe-Auguste Hennequin (1762-1833) en était le directeur.

Puis Hollandaise…

Á la suite du Congrès de Vienne en 1815, Liège, passée sous l’autorité des Pays-Bas, devra attendre 1820 pour que soit créée une “Académie royale de dessin” et qu’ainsi l’enseignement des arts puisse à nouveau être dispensé. Cette académie, dont la direction est assurée par le sculpteur François-Joseph Dewandre (1758-1835), fut d’abord installée dans les locaux de l’ancien Collège des Jésuites wallons (l’actuelle université) avant de déménager en 1825 dans ceux de l’ancien Hospice Saint-Abraham. Cet immeuble, situé en Feronstrée entre Potiérue et la rue Saint Jean-Baptiste, fut démoli en 1963 pour libérer l’espace nécessaire à la construction de la Cité administrative et d’une grande surface commerciale (l’ancienne Innovation).

Belge enfin

Peu après l’Indépendance de la Belgique, désireux de soutenir les arts, un groupe de personnes se forme autour du bourgmestre Louis Jamme et émet diverses propositions qui aboutiront en 1835 à la réorganisation des cours et à la création d’une “Académie royale des Beaux-Arts”. Le peintre verviétois Barthélemy Viellevoye (1798-1855) en sera le premier directeur.

Au fil des années cependant, le nombre des étudiants croissant sans cesse, les locaux de l’ancien hospice deviennent rapidement exigus, mal éclairés, mal aérés, insalubres, surchauffés par les becs de gaz, ils présentent de réels dangers. Aussi, en 1890, l’échevin Gustave Kleyer présente au Conseil communal un projet de construction de nouveaux locaux sur un terrain jadis occupé par le couvent Sainte-Claire non loin de la gare du Palais. Le projet est accepté et les premiers travaux débutent en juillet 1892. L’Académie quittera la rue Feronstrée et l’hospice qui l’accueillait pour le nouveau bâtiment de la rue des Anglais en 1896.

© academieroyaledesbeauxartsliege.be

Le bâtiment

Construit entre 1892 et 1895 par Joseph Lousberg (1857-1912), à cette époque architecte de la Ville de Liège, le bâtiment qui abrite l’Académie royale des Beaux-Arts de Liège est inspiré par l’architecture de la Renaissance italienne.

Son plan comporte quatre ailes qui se répartissent autour d’une cour centrale aménagée en jardin. Tandis que l’aspect général de l’édifice depuis la rue des Anglais paraît très sobre, sévère même, les façades donnant sur la cour révèlent un tout autre esprit : les baies en plein cintre du rez-de-chaussée, les fenêtres à croisée du premier étage, les fenêtres géminées dotées de colonnettes à chapiteau corinthien, la corniche saillante ainsi que le remarquable escalier d’apparat à double révolution révèlent les sources d’inspiration de l’architecte. En cette fin du XIXème siècle, pour abriter une école d’art, il était de bon ton en effet de se référer à une époque de l’histoire qui voit les arts plastiques obtenir reconnaissance et prestige. Ainsi l’académie de Liège possède-t-elle des accents qui peuvent faire penser à un palais italien de la Renaissance.

Le 14 juillet 1895, le roi Léopold II inaugure ce nouveau bâtiment de la rue des Anglais. Les travaux ne s’arrêteront cependant pas là et, quelques années plus tard, avec une entrée située rue de l’Académie, un Musée des Beaux-Arts complète l’ensemble. Pendant plus de septante ans, l’enseignement, la conservation et la promotion des arts plastiques se feront dans des bâtiments contigus constituant ainsi un complexe homogène composé d’un musée, rue de l’Académie, et d’une académie,  rue des Anglais.

Fin des années septante toutefois, tout le quartier est soumis à d’importantes transformations : les infrastructures autoroutières doivent pénétrer jusqu’au cœur de la ville. Le Musée des Beaux-Arts doit laisser la place à l’automobile. Tous les immeubles situés côté chiffres pairs de la rue de l’Académie sont expropriés et détruits. C’est depuis cette époque que se dresse, visible de tous depuis la place de l’Yser (!), l’immense pignon aveugle de l’académie que quelques chétifs peupliers peinent à dissimuler…

Si aujourd’hui le musée a disparu, le bâtiment abritant l’Académie n’a toutefois quasiment rien perdu de la physionomie qu’il présentait en 1895.

L’architecte de l’Académie

Originaire de Baelen, Joseph Lousberg, diplômé de l’Académie en 1883, a fait carrière dans les services de la Ville avant d’être désigné architecte des bâtiments communaux en janvier 1887. Á ce titre, il dessine de très nombreux bâtiments: les écoles du boulevard Ernest Solvay au Thier à Liège (1890), de la rue Maghin (1894), du boulevard Kleyer (1911), de la place Sainte-Walburge (1905), de la place Vieille Montagne dans le quartier du Nord (1906) mais aussi l’annexe de l’Athénée du boulevard Saucy (1903), l’école d’Armurerie de la rue Léon Mignon (1904). C’est également lui qui dessine les plans de l’ancienne bibliothèque des Chiroux en 1904, des crèches de la rue Rouleau (1905) et de la rue du Laveu (1912) ainsi que les pavillons représentant la Ville de Liège aux expositions universelles de Bruxelles, Liège et Gand. Il travaille également à la restauration du Musée Curtius et de l’ancien couvent des Ursulines au pied de la Montagne de Bueren. Il dessine enfin des immeubles pour le privé comme les bâtiments, aujourd’hui détruits, du banc d’épreuve des armes à feu, rue Fond des Tawes, ainsi que de nombreuses maisons particulières dans la région de Dolhain Limbourg.

Dans l’escalier

Ciamberlani © visemagazine.be

Albert Ciamberlani (1864-1956), l’auteur de cette grande peinture décorant aujourd’hui le grand escalier, est né à Bruxelles en 1864 d’un père italien et d’une mère flamande. Après un court séjour à l’Académie de Bruxelles dans la classe de Portaels, il fait partie du groupe l’Essor avant de fonder le cercle “Pour l’Art” avec Jean Delville, Emile Fabry et Victor Rousseau notamment. En cette fin de siècle, ce groupe appartient à la mouvance symboliste. L’esprit littéraire, l’idéalisme et l’allégorie soufflent alors sur les beaux-arts.

En France, Pierre Puvis de Chavannes a ouvert une voie qui renouvelle la peinture monumentale: de grandes compositions claires, statiques, des tonalités mates, des personnages aux gestes lents, le silence. Albert Ciamberlani retient la leçon. “L’hommage aux héros de la colonisation” n’a pas été réalisé pour l’Académie, même si l’oeuvre paraît s’intégrer parfaitement à l’espace de l’escalier. La peinture décorait le pavillon de l’Etat indépendant du Congo à l’Exposition universelle de Liège en 1905. Elle a été achetée en 1929 pour le Musée des Beaux-Arts qui jouxtait jadis l’Académie. Ciamberlani a travaillé pour d’autres lieux: les Hôtels de Ville de Saint Gilles et de Schaerbeek, le Musée de Tervuren, le Cinquantenaire et les Palais de Justice de Louvain et de Bruxelles.

Les députés gantois attendant à la porte du palais de Charles le Téméraire…

Lorsque le musée des Beaux-Arts quitta la rue de l’Académie, ce grand tableau d’histoire resta accroché au mur du couloir du rez-de-chaussée de l’école. Signé Emile Delpérée et daté 1877, cette peinture évoque un épisode de l’histoire médiévale. En 1468 Charles le Téméraire avait mis à sac la ville de Liège. Quelques mois plus tard, le duc de Bourgogne évoquant la possibilité de faire subir le même sort à leur ville, les Gantois envoyèrent leurs députés afin d’implorer sa clémence. L’histoire rapporte que le Téméraire fit patienter la délégation plus d’une heure et demie dans la neige avant de l’autoriser à pénétrer dans le palais. Les députés se prosternèrent ensuite à ses pieds et lui remirent leurs chartes et les bannières de leurs métiers avant de lui dire merci. Delpérée professeur chargé du cours de peinture, comme Chauvin ou Vieillevoye avant lui, s’inscrit dans la tradition d’une peinture qui cherche par l’image à nous instruire et à nous faire réfléchir à partir d’épisodes de l’histoire nationale et locale.

Dans ce tableau, Delpérée multiplie certes les expressions, les visages sont tendus, les corps sont raides, les poings crispés mais surtout il nous propose des visages singuliers comme s’il voulait nous montrer que bien plus qu’un groupe nous avons là, dans ces circonstances, des personnalités individuelles que la peur révèle. Lorsqu’on examine ces visages, leur précision laisse penser que Delpérée a rassemblé là quelques-unes de ses connaissances. S’il est délicat de s’aventurer dans l’attribution de certains visages, on peut toutefois sans hésitation reconnaître Charles Soubre (1821-1895), son collègue professeur de dessin (1854-1889) dont il a épousé la fille.

La bibliothèque et le fonds Henri Maquet

Joseph Lousberg ne s’est pas contenté de dessiner les plans du bâtiment, il a également conçu tout l’aménagement ainsi que le mobilier de certains locaux de l’école comme l’amphithéâtre du premier étage ou, plus significatif encore, la bibliothèque ;  il dessine ainsi toutes les armoires, la galerie, jusqu’au motif des charnières et des serrures.

L’architecte Henri Maquet, né en 1839, a fait ses études à l’Académie de Liège avant de faire carrière à Bruxelles où, notamment, il conçut les plans de l’Ecole royale militaire et où il travailla à la transformation du Palais royal. A sa mort en 1909, en hommage à l’école qui l’avait formé, il lègue son exceptionnelle collection de livres anciens d’architecture. C’est ainsi que la bibliothèque de l’Académie peut offrir, à la consultation, des ouvrages comme les traités d’architecture de Vignole,  Serlio, Palladio, Perrault, Blondel…, les œuvres de Gianbattista Piranese, les livres de Gérard de Lairesse ou encore de Viollet-le-Duc…

L’Académie aujourd’hui

Les locaux de la rue des Anglais abritent trois écoles différentes : l’Académie royale des Beaux-Arts (Ecole supérieure des Arts de la Ville de Liège et ses huit options : peinture, sculpture, gravure, scénographie, vidéo, publicité, illustration et bande dessinée), les humanités artistiques du Centre d’Enseignement secondaire Léonard Defrance et enfin l’enseignement artistique à horaire réduit. C’est également dans ses locaux enfin que divers stages sont organisés durant les mois d’été pour les adultes et pour les enfants.

Philippe DELAITE

      • Pour en savoir plus…
      • image en tête de l’article : façade de l’Académie des Beaux-Arts, Liège © Philippe Vienne

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Philippe DELAITE  a fait l’objet d’une conférence organisée en décembre 2022 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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HALMES : Tous au bain ! Histoire des bains et des piscines à Liège (CHiCC, 2022)

Temps de lecture : 3 minutes >

C’est l’excellent livre de Marcel Conradt qui m’a donné l’idée de proposer une visite guidée consacrée aux lieux de baignade parmi les visites thématiques de l’Office du tourisme de Liège. La conférence suivra le parcours chronologique de cette visite qui, elle, se fait sur le terrain.

Depuis la nuit des temps, l’eau a été utilisée à des fins ludiques et hygiéniques. En témoignent à Liège les bains de la villa romaine de la place Saint-Lambert. On trouve également des bains dans les monastères. Et les Liégeois eux-mêmes n’hésitent pas devant un plongeon dans les eaux de la Meuse.

Au 17e et 18e siècles, on trouvera des étuves, dont l’une donnera son nom à une rue bien connue de Liège, étuves dont la réputation sera parfois mise en cause.

Les bains flottants du Pont Neuf, ouverts en 1840, seront la première véritable piscine à Liège. Ces grands caissons flottants, auxquels on accédait par un escalier au départ du Pont Neuf (actuellement pont Kennedy), permettaient de nager dans le fleuve, un fleuve dont la propreté laissait pourtant à désirer. Ils remportent un grand succès auprès des Liégeois, dont nombre d’entre eux s’y initient à la natation. Le début de la guerre sonnera le glas de leur existence en 1940.

Dès 1867, on trouve un espace communal de baignade à l’île de Malte (à proximité de l’actuel pont Atlas). Sous l’égide du sieur Delval, de nombreux Liégeois s’adonnent aux plaisir de la baignade, dans des eaux encore peu engageantes. Les bains Delval seront fermés en raison des dégâts causés par les inondations de 1926 et des travaux envisagés sur le cours d’eau en 1930. Une piscine en dur, sur la terre ferme, prendra le relais jusque dans les années 60 : les bains de la Constitution.

Au 19e siècle, des bains et lavoirs publics, dans les différents quartiers de la ville, permettent d’accéder à la propreté corporelle et de laver son linge. L’hygiène est un credo important alors que sévissent les épidémies.

Au début du 20e siècle, les Liégeois découvrent la première piscine couverte à Liège. Ce sont les Bains permanents Grétry, situés au boulevard d’Avroy, mais dont l’existence sera de courte durée.

Divers projets de création d’un espace de baignade à hauteur du quai Orban (entre 1930 et 1936) échoueront. A proximité, le plongeur d’Idel Ianchelevici rappelle l’éphémère existence de la piscine du Lido, créée dans la Meuse pour l’Exposition internationale de 1939.

Au début des années 30, une nouvelle école destinée aux jeunes filles est ouverte à l’emplacement des anciens bains Grétry et de la verrerie d’Avroy. Le Lycée de Waha voit le jour et dans ses murs est construite une piscine dont la décoration intérieure vaut le détour.

Mais Liège ne dispose toujours pas d’une piscine publique digne de ce nom. C’est alors qu’à l’initiative de l’échevin Georges Truffaut est présenté le projet des Bains et Thermes de la Sauvenière.

Il s’agit d’un projet d’émancipation sociale par la pratique du sport et l’hygiène des corps. C’est l’architecte Georges Dedoyard qui remporte le concours et réalise le bâtiment dans l’esprit du Bauhaus. Caractéristique particulière : les piscines se trouvent aux 4e et 5e étages. Malgré les vicissitudes de la guerre, la piscine ouvre ses portes en 1942 et rencontre un vif succès auprès des Liégeois. L’établissement sera complété par des installations sportives et une gare d’autobus s’y installera.

Mais le déclin s’annonce dès les années 70 et, en 2009, la Sauvenière fermera définitivement ses portes. C’est la Cité Miroir qui rendra vie à ses murs en y installant un lieu de mémoire dédié à la défense des libertés.

Pour pallier la fermeture de ce lieu emblématique, naîtra, dès 2004, le projet d’une piscine communale à Jonfosse, un projet qui, au bout de longues années, verra enfin sa concrétisation en 2020. La nouvelle piscine accueille les Liégeois dans une structure qui répond aux exigences de notre siècle.

Pour terminer : un clin d’œil à nos installations cointoises : les Thermes Liégeois, à la courte vie, dans le parc privé et la pataugeoire de la plaine de jeu du parc public, dont la petite tortue trône à présent sur le rond-point proche de la place du Batty.

Brigitte HALMES

  • illustration en tête de l’article : Liège, Exposition internationale de 1939, Le Lido © worldfairs.info

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Brigitte HALMES  a fait l’objet d’une conférence organisée en novembre 2022 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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KOKELBERG : Rabelais, moine truculent et médecin voyageur (CHiCC, 2022)

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Quatrième enfant d’un avocat, François RABELAIS naît à La Devinière, propriété familiale située non loin de Chinon, berceau de la famille. Sa date de naissance fait l’objet de controverses : 1483, 1489 ou 1494. Des indices divers peuvent accréditer chacun de ces millésimes. Quoi qu’il en soit, il a vécu à l’époque de Colomb, de Luther, d’Érasme, de François Ier, de Charles-Quint, de Jules II, de Léonard de Vinci et de Michel-Ange. Un bouillon d’Humanisme en pleine Renaissance.

Après une instruction à Seuilly (à 1,5 km de La Devinière), Rabelais devient novice puis moine chez les Cordeliers (“de cordes liés” !) à Angers (1509-1519) puis à Fontenay-le-Comte (1520-1525). Mais ces années passées chez les Franciscains (appelés “cordeliers” en France) l’étouffent. La Sorbonne conservatrice lui interdit même de lire les Évangiles à partir du texte grec. Pour se libérer de ce joug, il passe chez les Bénédictins, plus ouverts au travail intellectuel : le voilà à Maillezais, protégé par Geoffroy d’Estissac (les ruines de l’ancienne abbaye, face au marais poitevin, incitent à visiter la Vendée).

En 1530 cependant, après avoir fréquenté plusieurs universités françaises, il s’inscrit à la réputée Faculté de Médecine de Montpellier. Grâce à son immense savoir et à sa mémoire prodigieuse, il est reçu bachelier en moins de deux mois. Il lui reste à exercer pratiquement le métier pour être certifié médecin. Il va soigner 200 malades à l’Hôtel-Dieu de Lyon ; pendant son passage, la mortalité baisse de 3 %. Dans la foulée, il est engagé comme médecin et secrétaire particulier de Jean du Bellay, évêque de Paris – l’occasion de voyager en Italie.

Ce n’est qu’en 1532 – la quarantaine bien sonnée ! – qu’il publie son premier ouvrage Pantagruel, suivi, vu le succès, de la Pantagruéline Prognostication (satire des faiseurs d’horoscopes) et de Gargantua (père de Pantagruel) en 1534.

A travers Pantagruel et Gargantua, il a l’occasion de préciser ses idées en matière d’instruction et d’éducation. Idéalement, l’élève doit devenir “un abysme de science” et s’intéresser à tout : les langues, les maths, le droit, les sciences naturelles et la diététique – préoccupation très avant-gardiste mais qui s’explique par ses connaissances médicales.

Comme piliers, deux préceptes latins : “Mens sana in corpore sano” et “Utile dulci” : si on joint l’utile à l’agréable, la leçon se retient mieux (ex. le jeu de cartes à finalité mathématique).

Les ouvrages rabelaisiens précités sont enrobés dans des récits plaisants où le gigantisme et la bouffonnerie constituent l’enveloppe… mais comme il l’écrit : “L’habit ne fait point le moine.” Il faut dépasser la forme pour s’attacher au contenu.

A côté de ses leçons pédagogiques, Rabelais ne se prive pas de railler la justice, la Sorbonne et le bas-clergé.

Après un silence de 12 ans, il publie le Tiers Livre, opus dans lequel Panurge, compagnon de Pantagruel, consulte 16 spécialistes pour savoir s’il doit ou non se marier, car le risque d’être cocu semble réel dans le mariage.

Si l’on veut bien se laisser porter par le ton et le rythme de son oeuvre, Rabelais apparaît comme un promoteur de la joie de vivre, laquelle se décline en 4 mots : rire, boire, manger…et desbraguetter. Ce sera l’occasion pour Rabelais de faire exploser sa créativité : des rythmes de phrase très puissants et un vocabulaire richissime.

Ses personnages respirent la Gourmandise : Grandgousier et Gargantua (“car grand tu as”… le gosier) et ses cuisiniers sont affublés de jolis noms : “Saulpicquet”, “Paimperdu”, “Carbonnade” et “Hoschepot”.  Notre époque s’en sert encore !

François Rabelais © causeur.fr

Il convient enfin de souligner avec force cette vérité : Rabelais est le plus grand créateur de mots de notre langue française.

Il a popularisé des expressions toujours en vogue… après 5 siècles : “tirait les vers du nez”, “qui trop embrasse peu estrainct”, “saultoyt du coq a l’asne”. Dans le seul Pantagruel, on recense pas moins de 800 néologismes, entièrement imaginés par Rabelais. C’est à lui que l’on doit des mots comme écrabouiller, excrément, frugal, imposteur, intempéries et quinconce. Et quand il soigne les blessés dans son grand nosocome, on comprend mieux l’adjectif dérivé de ce substantif.

Il a aussi parlé de “la sepmaine des troys jeudis”, des “calendes grecques” et de “l’année des couilles molles”. En façonnant ce curieux “calendrier”, il a pu observer qu’il ne fallait pas confondre une femme “folle à la messe”… avec une femme “molle à la fesse”. L’inventeur de la contrepèterie, c’est encore lui, le père François !

Jean KOKELBERG

  • illustration en tête de l’article : Pantagruel par Gustrave Doré © BnF.

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Jean KOKELBERG  a fait l’objet d’une conférence organisée en septembre 2022 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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DEGEY, Emile (1920-2021)

Temps de lecture : 5 minutes >

Alors que la Commission Historique et Culturelle de Cointe, Sclessin, Fragnée et du Bois d’Avroy (CHiCC en abrégé) s’apprêtait à fêter son 35e anniversaire, disparaissait son premier président, M. Emile DEGEY, à l’âge de 101 ans  (Sclessin, 6 juin 1920 – Liège, 19 septembre 2021). En guise d’hommage, nous vous proposons de retrouver ci-dessous le texte écrit par l’actuelle présidente, Claire Pirlet, à l’occasion de son centenaire, ainsi que la liste des publications d’Emile Degeÿ disponibles sur wallonica.org

Qui est Emile Degeÿ ?

Le 23 septembre 1986, naissait la Commission Historique de Cointe avec Emile DEGEY pour président. Or, le 6 juin 2020, Monsieur Degey a eu 100 ans et la Commission Historique et Culturelle de Cointe, devenue la CHiCC en septembre 2019, lui souhaite un bon anniversaire.

D’abord instituteur puis directeur de l’école Saint-Louis à Sclessin, Emile Degey a profondément marqué certains de ses élèves et de ses collègues. Ainsi, Gilda Valeriani, une de ses anciennes élèves qui alimente aujourd’hui la page Facebook Sclessin d’hier et d’aujourd’hui, parle de lui en ces termes, dans un texte qu’elle a écrit à l’occasion de son anniversaire : “Il fut notre instituteur et ensuite notre directeur, il est aussi notre passeur de mémoire grâce à toutes les recherches historiques qu’il a accomplies tout au long de sa vie. Il est, pour ma part, une source d’inspiration.”

Qu’a-t-il fait pour que la CHiCC lui rende hommage aujourd’hui ?

Outre le fait qu’il a été le premier président de la Commission Historique de Cointe, il faut rappeler pourquoi ses amis lui ont demandé d’assumer cette fonction. Pour ce faire, sans aucune prétention à l’exhaustivité, nous retiendrons ici quelques éléments parmi tant d’autres qui rappellent le “passeur de mémoire” rigoureux et “l’inspirateur” actif, stimulant et bienveillant qu’a été Monsieur DEGEY.

Passeur de mémoire :

En mars 1979, Emile Degey publie un mémoire de 38 pages agrafées, tapé à la machine et illustré de nombreux croquis, intitulé “Il était une fois… Sclessin !” dont l’écriture claire et précise fait revivre Sclessin : sa terre, ses eaux, son château, la vie sclessinoise, la cité industrielle. C’est le premier essai général approfondi consacré à ce quartier ; il reste une source importante aujourd’hui pour Gilda Valeriani qui continue son œuvre via Facebook et aussi pour quiconque veut aborder ce sujet.

Inspirateur actif et stimulant :

En 1997, Olivier HAMAL, alors président de la Commission Historique devenue entre-temps Commission Historique ET Culturelle, écrivait ceci dans sa préface de l’album “Images de notre passé”:

“A l’occasion de son dixième anniversaire, la Commission Historique et Culturelle, en ce début de l’année 1997, a décidé d’éditer ce bel album de cartes postales et de photographies anciennes des quartiers à parcourir comme une promenade, partant du Bois d’Avroy et conduisant par Cointe et Sclessin jusqu’à Fragnée. Certaines de ces “Images de notre passé” ont déjà été présentées dans différentes expositions. Cependant, pour assurer la plus large diffusion possible de cette documentation remarquable, il a paru intéressant (…) de procéder à sa publication.
Je terminerai en adressant mes plus vifs remerciements à Messieurs Emile Degey et Pol Schurgers pour tout le travail qu’ils ont accompli afin de permettre la réalisation et la sortie de presse de cet album.” 

Inspirateur stimulant et bienveillant

Si Emile Degey, auteur de nombreuses brochures publiées dans la série “Altitude 125” sous l’égide de la Commission, fut une source d’inspiration pour ses élèves, il l’a été aussi pour Pol SCHURGERS, auteur en 2006 du remarquable “Cointe au fil du temps…” (ouvrage malheureusement épuisé aujourd’hui) qui le cite abondamment dans sa bibliographie et introduit sa publication par ces mots :

“J’ai rassemblé ici et complété les informations de toutes sources fiables. De très nombreux extraits proviennent des ouvrages publiés par notre Commission Historique et Culturelle de Cointe, Sclessin, Fragnée et du Bois d’Avroy. Plusieurs de ces ouvrages ont été écrits par Monsieur Emile DEGEY. Je le remercie ici très chaleureusement de m’avoir communiqué un grand nombre de documents et épaulé amicalement dans mes recherches.”

Passeur de mémoire rigoureux :

En 2006 encore, la journaliste Lily PORTUGAELS , informée par Olivier HAMAL alors président de la Commission historique et culturelle dont Emile Degey était devenu président d’honneur, écrira dans un article sur Lambert Lombard pour “La Libre Belgique” ( dans “La Gazette de Liège”) :

“Grâce aux recherches de M. Emile Degey, président d’honneur de cette commission, il semble bien que l’on puisse localiser avec certitude la maison que le prince Erard de la Marck avait offerte à Lambert Lombard qui était son peintre attitré. (…) Emile Degey a retrouvé, aux archives de l’Etat, à Liège, l’acte de vente par lequel Jean-Théodore de Bavière, le 16 août 1762, cédait “en emphytéose et à toujours au dit conseiller Henri Lambert de Groutars, pour lui et ses successeurs, notre maison, prairies, terres, biens et vignobles de la Chèvre d’or”.

On savait que la maison devait être flanquée d’une tour hexagonale. Du coup, quatre possibilités d’habitations pouvaient correspondre à la maison du prince offerte à Lambert Lombard : la Thorette, l’ancienne maison de campagne d’une abbesse, la maison Spineux et le vide-bouteille de la rue Côte d’Or. Ce n’est aucune des quatre, affirme Emile Degey qui le démontre grâce à une carte des vignobles du prince dressée par l’arpenteur C.F. Dervaux et datée du 9 août 1762. On y voyait une seule habitation sans nom que M. Degey a fini par identifier comme étant bien la maison, sous-les-vignes, qui fut celle de Lambert Lombard d’abord, du conseiller Groutars ensuite. On relèvera à ce sujet que la limite entre Sclessin et Tilleur passait entre les deux cheminées de la maison !”

A découvrir tous ces travaux, à lire tous ces remerciements, la nouvelle présidente que je suis depuis un an, après la présidence de Jean-Marie DURLET lequel a prêté sa plume et organisé les conférences de la Commission Historique et Culturelle pendant tant d’années, moi qui n’ai pas pu rencontrer Monsieur DEGEY à cause du confinement dans la maison de repos où il réside aujourd’hui, je pense spontanément aux belles paroles de Jean-Jacques Goldman :

“C’était un professeur, un simple professeur
Qui pensait que savoir était un grand trésor
Que tous les moins que rien n’avaient pour s’en sortir
Que l’école et le droit qu’a chacun de s’instruire

Il y mettait du temps, du talent et du cœur
Ainsi passait sa vie au milieu de nos heures
Et loin des beaux discours, des grandes théories
À sa tâche chaque jour, on pouvait dire de lui …

Qu’il changeait la vie… !”

Merci, Monsieur Degey, d’avoir accepté, avec une bande d’amis, d’inaugurer la Commission Historique de Cointe, Fragnée, Sclessin et Bois d’Avroy ! Merci d’avoir stimulé autour de vous le goût de la culture et de la vie intellectuelle qui permet d’enjamber avec respect les siècles dont on connaît mieux les espoirs et les efforts !

Si, en septembre 2019, la Commission Historique et Culturelle est devenue la CHiCC par facilité,- un acronyme un peu kitsch sans doute, mais notre époque aime les sons qui claquent et qui se retiennent facilement – soyez assuré que l’équipe d’aujourd’hui n’oublie pas ses racines et ce que nous devons à tous ceux qui nous ont précédés. Nous nous emploierons à faire de notre mieux pour continuer à faire vivre ce que vous avez semé et qui existe depuis 34 ans déjà, même s’il nous faut aussi nous adapter à notre époque ludique et technologique et déployer nos ailes sur les réseaux sociaux (page Facebook) et sur les sites internet (wallonica.org) (…).

Claire PIRLET

Mes remerciements à Corinne Collard, fille d’Albert Collard, grâce à laquelle j’ai pu lire “Il était une fois… Sclessin !” et “Cointe au fil du temps” aujourd’hui épuisés, à Olivier Hamal, à Alexandrine Lebire, à Gilbert Lox, à Agnès Mabon et à Philippe Vienne qui, chacun à leur manière, m’ont permis de découvrir la personnalité d’Emile Degey et son importance pour la Commission Historique et Culturelle de Cointe.”

Les publications d’Emile DEGEY disponibles sur wallonica.org :


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © cointe.org


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VIENNE : Maastricht et la Principauté de Liège (CHiCC, 2015)

Temps de lecture : 7 minutes >

Reportons-nous vers l’an 50 avant J.C. Les Romains ont conquis la Gaule malgré la résistance des Gaulois. Ils voyageaient en suivant les voies déjà tracées par les Celtes, qu’ils ont améliorées pour faciliter les déplacements des troupes et du charroi. Une ville prit de l’importance à cette époque : Bavay (Bavacum), ce qui est attesté par la présence des ruines d’un vaste forum. Sept voies importantes partaient de cette ville, ce qui a été matérialisé plus tard en élevant une colonne sur la grand-place.

A la fin du VIe siècle, ce réseau de voies a été repris par la reine des Francs, Brunehaut, qui voulait restaurer les voies de communication. Une de ces voies nous intéresse particulièrement : elle reliait Bavay à Cologne. Elle traversait la Hesbaye par Waremme, passait à Tongres pour aller traverser la Meuse à Maastricht : Mosae trajectum. A Maastricht, la chaussée arrivait par l’actuelle Tongerseweg et Tongersestraat pour rejoindre le pont. Un premier pont avait été construit par les Romains à cet endroit. On en a retrouvé des traces sous la forme de pieux de bois. Des restes de thermes romains ont été retrouvés près de la Stokstraat, à l’endroit appelé “op de thermen”.

La religion chrétienne s’est rapidement enracinée dans la région. Vers 380, l’évêque Servais a déplacé le siège épiscopal de Tongres à Maastricht. Au Moyen Age, son tombeau devient un lieu de pèlerinage. Au VIe siècle, Monulphe fait construire l’église Saint-Servais pour y placer les restes de son prédécesseur. La légende de Saint-Hubert rapporte que le seigneur Hubert négligeait ses devoirs religieux. Parti chasser un vendredi saint, il vit un cerf portant une croix lumineuse. Hubert, saisi d’effroi, se jeta à terre et humblement, il interrogea la vision : “Seigneur ! Que faut-il que je fasse ?” La voix reprit : “Va donc auprès de Lambert, mon évêque, à Maastricht. Convertis-toi. Fais pénitence de tes péchés, ainsi qu’il te sera enseigné. Voilà ce à quoi tu dois te résoudre pour n’être point damné dans l’éternité. Je te fais confiance, afin que mon Église, en ces régions sauvages, soit par toi grandement fortifiée.”

Buste-reliquaire de saint Lambert © tresordeliege.be

Vers l’an 700, assassinat de Saint Lambert à Liège. Lors d’un banquet, Lambert avait refusé de bénir la coupe d’Alpaïde, concubine de Pépin de Herstal et mère de Charles Martel. Son frère Odon a assassiné l’évêque pour venger l’honneur de sa sœur. Hubert devenu évêque ramena à Liège, vers 720, les reliques de Saint Lambert et le siège de l’évêché y fut déplacé mais Maastricht resta la résidence favorite des évêques. Elle détenait les reliques de Saint-Servais, premier évêque des “Tongres” (IVe siècle) mais elle était trop accessible aux Normands, Liège pouvait mieux se protéger sur le Publémont.

De 736 à 814, Charlemagne règne sur toute la région. Une première cathédrale est construite à Liège. En 881, Maastricht fut mise à sac par les Vikings. Fureur normande également à Liège qui est incendiée. En 980, sous le règne de l’évêque Notger (972-1008), le diocèse devient tellement important qu’on peut le qualifier de Principauté. Notger est le véritable fondateur de la Principauté épiscopale de Liège. “Tu dois Notger au Christ et le reste à Notger”. Il décèdera le 10 avril 1008 et aurait été enterré à l’église Saint-Jean à Liège mais on ne retrouve plus la trace de sa sépulture.

Sous son règne, l’enseignement et la culture connaitront un développement sans précédent. Il est l’initiateur d’un nouveau système politique qui se répandra en Europe aux XIe et XIIe siècles : l’Église impériale. L’évêque, qui avait déjà le pouvoir spirituel (“religieux “), possède à partir de ce moment le pouvoir temporel (“politique”). Notger devient ainsi prince-évêque. Il exerce un pouvoir sur les territoires qui ne relèvent pas de l’Église. Cet État indépendant va exister pendant plus de 800 ans au sein du Saint-Empire romain germanique, jusqu’à la Révolution liégeoise.

Les XIe et XIIe  siècles ont été une période de grande prospérité, notamment sous le chapitre de Saint Servais. Vers l’an 1000 ont commencé, à Maastricht, des campagnes de construction massives. Cette activité de construction a entraîné une période d’expansion culturelle dans et autour de Maastricht. L’art mosan atteint un niveau élevé et les peintres et sculpteurs de Maastricht étaient actifs dans de nombreuses régions du Saint-Empire romain germanique. De ce moment date la construction de l’église Notre-Dame avec sa façade fortifiée.

Eglise Saint-Jean © Philippe Vienne

L’église Saint-Jean, avec son clocher rouge, est devenue protestante en 1634. A Saint-Servais, il faut voir la châsse et le buste. Cette basilique est la plus grande. Bien sûr, au cours des siècles, elle a subi beaucoup de transformations et d’améliorations. En 1204, Maastricht est sous l’autorité conjuguée du prince-évêque de Liège et du duc de Brabant. Confirmation d’une première charte de 908. Maastricht devient alors un condominium, une ville sous double autorité. En 1229, la ville, bien qu’elle n’aie pas eu les droits de cité en tant que telle, est autorisée, par le duc Henri Ier de Brabant, à construire des remparts.

Le moulin banal du prince-évêque, où les habitants faisaient faire leur farine, fut repris par les brasseurs en 1442 pour y moudre leur malt. En 1281, un nouveau pont est construit pour remplacer celui qui s’était effondré auparavant. Vers 1375, une seconde muraille est construite. L’économie de la ville est, à l’époque, tournée vers la tannerie. Maastricht était, au Moyen Âge, un important centre religieux et de pèlerinage. Dès le XIIIe  siècle, de nombreux monastères se sont établis dans la ville.

Vers 1400, Maastricht est sous contrôle du Brabant, et fait donc partie des possessions du duc de Bourgogne. Charles le Téméraire, et plus tard Charles Quint et Philippe II d’Espagne, séjournèrent à plusieurs reprises dans la ville et logèrent dans l’Hôtel du gouvernement espagnol. Les fenêtres sont ornées de blasons, notamment celui de Charles Quint. En 1468, sac de Liège par Charles le Téméraire, avec l’aide des Maastrichtois que cela arrange de détruire notre pont.

Au XVIe  siècle, Maastricht, avec ses 15 à 20 000 habitants, était une des plus grandes villes des Pays-Bas. Le développement culturel de la ville fut modeste vers 1500. Le manque de liberté religieuse est pesant. En 1535, 15 anabaptistes, considérés comme hérétiques, sont brûlés sur un bûcher sur la place du Vrijthof. Lors du beeldenstorm (la “crise iconoclaste“) de 1566, les icônes et le mobilier  des églises et chapelles de Maastricht ont en partie été détruits.

En 1567, Maastricht tombe aux mains de Guillaume le Taciturne et des calvinistes opposés à Philippe II. En 1579, l’armée espagnole, commandée par Alexandre Farnese, duc de Parme, assiégea la ville et la reprit le 1er juillet de cette année, après quoi la “re-catholisation” de la ville commença. En 1632, Frédéric-Henri d’Orange-Nassau a conquis la ville après l’avoir assiégée 74 jours. Maastricht s’intègre aux Provinces-Unies protestantes. Le condominium entre le duc de Brabant et Liège fut rétabli. Les conditions de la paix étaient de donner aux protestants et catholiques les mêmes droits afin que les deux aient la liberté religieuse. De cette époque date l’hôtel de ville (1659-1665), autour duquel se tient le marché.

Hôtel de Ville, sur le Markt © Philippe Vienne

En 1673, la Principauté permet à la France d’attaquer de flanc les Pays-Bas (guerre de Hollande contre Guillaume III d’Orange). Maximilien-Henri de Bavière (1650-1688) s’allie à Louis XIV. La ville est prise par Vauban et reste sous domination française jusqu’en 1678. D’Artagnan est tué en défendant le duc de Malborough, ancêtre de Churchill. Suite à ces événements, les fortifications sont renforcées, notamment par la construction du Fort Saint-Pierre qui domine la ville, à peu près à l’emplacement où les Français avaient placé leurs canons.

Au XVIIe  siècle, Maastricht était une petite ville provinciale tranquille. Dans la seconde moitié du XVIIe  siècle, une légère reprise de la vie culturelle eut lieu. De belles maisons du XVIIe et du XVIIIe sont visibles dans le quartier de la Stokstraat et de la Plankstraat. De 1747 à 1748, la ville passa une nouvelle fois brièvement sous domination française après la bataille de Lauffeld. Durant ces périodes, les protestants habitant Maastricht perdirent les droits qui les rendaient égaux aux autres chrétiens.

Le 4 novembre 1794, le commandant français Jean Baptiste Kléber prend Maastricht qui est dès lors annexée par la République française. De 1795 à 1814, elle est le chef-lieu du département français de la Meuse-Inférieure (Liège, c’est le département de l’Ourthe). Tous les habitants deviennent citoyens français. L’héritage de la période française n’est pas considéré comme positif : les églises, les monastères et chapitres sont dissous, les stocks de biens précieux sont vendus ou détruits, les bibliothèques, archives et trésors pillés. Enfin, les anciennes institutions s’occupant des malades, des pauvres et des personnes âgées sont supprimées.

Le 1er  août 1814, Maastricht devient la nouvelle capitale de la province du Limbourg, intégré au Royaume des Pays-Bas en 1815. En 1826, le Zuid-Willemsvaart, un canal, fut ouvert à la circulation. Lors de la Révolution belge de 1830, la garnison en poste à Maastricht, commandée par Bernardus Johannes Cornelis Dibbets, demeura loyale au roi Guillaume Ier .

En août 1831, la Hollande attaque la Belgique. Le 19 avril 1839, Traité des XXIV articles : la ville et la partie orientale du Limbourg ont été intégrées de façon permanente aux Pays-Bas. Traité 
entre la France, l’Autriche, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie, d’une part, et les Pays-Bas de l’autre part, relatif à la séparation 
de la Belgique d’avec les Pays-Bas conclu et signé à Londres le 19 avril 1839.

Entre 1845 et 1850, le canal de Maastricht à Liège fut creusé. La première ligne de chemin de fer, liant Maastricht à Aix-la-Chapelle, fut ouverte en 1853. En 1861, Liège est reliée par la Compagnie du Chemin de Fer de Liège à Maastricht. Ce n’est qu’en 1865 que Maastricht fut connecté au réseau ferroviaire néerlandais. En 1899, rachat de la compagnie par l’Etat belge.

Bonnefanten Museum © Philippe Vienne

En 1834 déjà, Petrus Regout commença à fabriquer du verre et du cristal sur Boschstraat, usine qui fut bientôt suivie par une usine de poterie. Avec le développement des usines, Maastricht devint une importante ville industrielle. Depuis la fusion en 1958 avec “Société Céramique” l’entreprise s’est appelée N.V. Sphinx-Céramique. Après une restructuration, la production a été déplacée vers la Suède en 2010, l’usine de Maastricht étant trop petite pour une production profitable. Dans le quartier Céramique, le Bonnefanten Museum est un ancien bâtiment industriel transformé par l’architecte italien Aldo Rossi. A Maastricht, beaucoup de rues sont appelées “lunet“. Une lunette est un petit ouvrage de fortification extérieur.

Le but premier de l’université du Limbourg, qui a été fondée à Maastricht en 1976, était de relancer l’économie régionale après la fermeture des mines. Elle s’appelle Université de Maastricht (UM) depuis 1996. La collaboration entre les provinces néerlandaise, allemande et belge, qui a commencé en 1976 également, reçoit un statut légal en 1991 (Euregio). La collaboration porte essentiellement sur les universités, les écoles supérieures et le monde de l’entreprise. En 1992, les représentants de 12 pays européens signent, le 7 février, le Traité de Maastricht qui prévoit, entre autres, l’adoption de l’euro.

Robert VIENNE

  • image en tête de l’article : vue de Maastricht © Philippe Vienne

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Robert VIENNE a fait l’objet d’une conférence organisée en 2015 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

 

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VIENNE : Au fil de l’eau, de Liège à Maastricht (CHiCC, 2014)

Temps de lecture : 9 minutes >

On dit souvent que la présence d’un fleuve est un atout pour une ville. Liège n’échappe pas à la règle. Tous les Liégeois aiment leur fleuve et dès les premiers beaux jours, ils se promènent sur ses rives ou s’installent dans le parc de la Boverie, un des rares endroits où l’on peut encore profiter du fleuve depuis que ses quais ont été transformés en autoroute urbaine. Espérons que l’on reviendra à l’avenir à une conception plus humaine.

En regardant le fil de l’eau, on peut se demander où va la Meuse. Bien sûr, on sait qu’elle coule jusqu’aux Pays-Bas et la Mer du Nord mais on ne connaît pas toujours tous les endroits où elle passe. C’est ce que nous allons essayer de découvrir ensemble aujourd’hui.

Elle quitte Liège au Pont Atlas. Connaissez-vous l’origine de ce nom ? Pendant la guerre de 1914-1918, les Pays-Bas étaient neutres et des jeunes Belges essayaient de passer la frontière pour aller rejoindre l’armée belge via l’Angleterre. Mais la frontière était évidemment bien gardée et un pont de bateaux barrait le cours du fleuve. Le 3 janvier 1917 à minuit, en période de crue, le capitaine du remorqueur ATLAS V, Jules Hentjens, emmena vers la Hollande, outre son équipage, 103 passagers dont 94 recrues pour le Front. Il n’a pas hésité à foncer avec son bateau dans le barrage, pourtant défendu par des mitrailleuses, une chaîne et des fils électrifiés (…).

L’ancien canal de Maastricht partait d’ici. Il suivait le tracé de l’actuel boulevard Zénobe Gramme. Il n’en reste qu’une darse avec un chantier. Nous arrivons à l’entrée du canal Albert signalée par la statue du Roi. On aperçoit, à l’arrière-plan, le pont-barrage de Monsin. Sur l’île se situe le Port autonome de Liège. C’est le 2e port fluvial d’Europe, cela mérite d’être rappelé, le premier étant Duisbourg.

Vient ensuite le site de Chertal et son aciérie qui était alimentée par les hauts-fourneaux d’Ougrée et Seraing. Le métal en fusion était amené dans des wagons-thermos et les coils revenaient à Renory pour être traités. Juste à côté subsiste un site romantique et préservé dans un ancien bras de Meuse: le Hemlot à Hermalle.

Le Hemelot © Philippe Vienne

Le village s’est fort développé, étant proche de la ville mais on y trouve encore quelques anciennes maisons. L’une d’elles nous interpelle car elle porte une enseigne : “Les Comtes de Mercy”. Sur la hauteur, en face, à Argenteau, on trouve en effet le château des comtes de Mercy Argenteau. Un livre très intéressant nous conte l’histoire de la famille : “La dernière de sa race” (Noir Dessin Production). Les noms de Mercy et d’Argenteau sont réunis au XVIIe siècle : Claude Florimond, comte de Mercy, maréchal du Saint Empire, adopte comme fils et héritier le comte d’Argenteau dont il apprécie les talents militaires, avec obligation d’unir les noms et armoiries des deux familles. Florimond Claude, comte de Mercy Argenteau, devint ambassadeur d’Autriche à la cour de France. C’est lui qui alla chercher Marie-Antoinette à Vienne pour la conduire à Paris pour ses noces.

A la même époque, Theresa, comtesse de Cabarrus en Espagne, une jeune femme d’une grande beauté, épousa le marquis de Fontenay. A la Révolution, ils s’enfuient à Bordeaux, divorcent et le marquis part à la Martinique. Elle est emprisonnée, rencontre Tallien et le séduit. Elle devient la citoyenne Tallien surnommée Notre Dame de Thermidor parce que son intervention a sauvé bien des personnes de la guillotine. Elle sera de nouveau emprisonnée en même temps que Hortense de Beauharnais mais après la chute de Robespierre, Tallien la fait libérer et l’épouse. Elle divorce en 1802 puis épouse en 1805 François-Joseph comte de Caraman prince de Chimay. Leur fils Alphonse, prince de Chimay, aura une fille Louise qui épouse en 1860 Eugène comte de Mercy Argenteau. Ils n’auront qu’une fille, Rose, la “dernière de sa race”, d’où le titre du livre. Le château a été gravement endommagé en 1914 parce qu’il servait à l’armée belge de point d’observation pour guider les tirs d’artillerie, puis il a été reconstruit.

Le long du canal se situe le site de 120 ha du Trilogiport qui sera un dépôt de conteneurs, arrière-port d’Anvers, relié à l’autoroute par un pont à construire et au chemin de fer à travers le site de Chertal.

Statue de d’Artagnan à Maastricht © Philippe Vienne

Une figure historique a une grande importance dans la région : d’Artagnan. Charles de Batz-Castelmore, comte d’Artagnan, plus connu sous le nom de d’Artagnan, est un homme de guerre français né entre 1611 et 1615 au château de Castelmore, près de Lupiac, en Gascogne (dans le département actuel du Gers) et mort au siège de Maastricht le 25   juin   1673, pendant la guerre de Hollande. On connaît peu de choses du véritable d’Artagnan. Il n’existe de lui qu’un portrait dont l’authenticité n’est pas garantie, et des mémoires apocryphes parus en 1700, soit 27 ans après sa mort. Mélangeant le réel et l’imaginaire, ils furent rédigés par Gatien Courtilz de Sandras à partir de notes éparses laissées par d’Artagnan. L’auteur découvrit la vie du héros gascon pendant un de ses séjours à la Bastille , alors que Baisemeaux (ou Besmaux), ex-compagnon de d’Artagnan, en était gouverneur. Alexandre Dumas s’est inspiré de ces mémoires pour composer son personnage de d’Artagnan, héros notamment des Trois Mousquetaires. Une ferme honore sa mémoire et porte fièrement son nom (rue de Tongres 77 à Haccourt). On y prépare du foie gras de canard et d’oie, un animal très commun dans la région, utilisé aussi dans la recette de l’oie à l’instar de Visé.

Visé depuis Hermalle © Philippe Vienne

Visé a été entièrement brûlée par les Allemands en 1914 et de nombreux habitants tués, sous prétexte qu’il y aurait eu des francs-tireurs. Elle a été reconstruite telle qu’elle était, ce que l’on peut comprendre, mais elle tourne ainsi malheureusement le dos au fleuve. D’Artagnan et Louis XIV auraient été conviés par les notables à un repas à l’hôtel de ville. Un des convives aurait dit familièrement : “Allez, Louis, un pot !”, ce qui fut longtemps objet de plaisanteries à Versailles !

La collégiale renferme la Châsse de Saint Hadelin qui serait la plus ancienne. Elle fait l’objet d’une procession tous les deux ans. Visé compte dans ses murs des compagnies d’arbalétriers et d’arquebusiers. Elles furent créées en 1579 pour les arquebusiers et en 1310 pour les arbalétriers. C’est en effet une particularité de Visé ; alors que partout ailleurs les guildes et corporations ont arrêté leurs activités à la Révolution française, à Visé elles se mirent parfois en sommeil mais ne disparurent jamais. Pour leur part, les arbalétriers ont fêté leur 700e anniversaire en 2010 . Une bulle du pape leur a accordé, fait rare, le droit de pénétrer dans l’église en armes, une tradition qu’ils perpétuent une fois par an, le deuxième dimanche du mois d’août. Ils défilent ensuite dans les rues sous la bannière de leur saint patron, Saint-Georges.

“Le Pont des Allemands” à Visé © Philippe Vienne

De belles maisons subsistent sur la rive gauche au quartier dit Devant-le-Pont qui est aussi un refuge pour de nombreux oiseaux, notamment des oies évidemment. En aval du pont et du port de plaisance, un imposant viaduc barre la vallée. Il fait partie de la ligne 24 surnommée “ligne des Allemands”. Avant la première guerre mondiale, un projet de chemin de fer reliant directement l’Allemagne au port d’Anvers sans passer par Liège et ses plans inclinés dormait dans les cartons, son coût paraissant trop élevé. Mais pour les Allemands, cette ligne avait un intérêt stratégique et ils l’ont construite en peu de temps. Elle voit passer actuellement un important trafic de fret provenant d’Aix-la-Chapelle par Montzen et rejoignant à Glons la ligne de Tongres et Hasselt. L’amateur peut y admirer les locomotives de diverses sociétés privées.

A partir du pont-barrage de Lixhe, pourvu d’échelles à saumons, le fleuve marque la frontière. La rive droite est néerlandaise, la gauche belge et on remarque une politique différente pour lutter contre les inondations. Côté belge, de hauts murs, côté néerlandais des prairies inondables. En saison, un bac permet de traverser la Meuse à partir de Lanaye pour rejoindre le village d’Eijsden. En effet, il n’y a plus de pont avant Maastricht. Le village est pittoresque. Le château d’Eijsden est remarquable ; il appartient à la famille de Liedekerke. Parfaitement entretenu, on peut se promener librement dans le jardin, un cadre magnifique pour des photos de mariage.

La gare, d’apparence banale, a connu un événement historique. L’empereur d’Allemagne Guillaume II s’était installé en mars 1918 au château du Neubois à Spa. Son quartier général occupait l’hôtel Britannique, actuellement internat de l’Athénée. Ayant abdiqué le 9 novembre 1918, il a quitté Spa à bord de son train spécial avec l’intention de se réfugier aux Pays-Bas qui étaient neutres mais il est resté bloqué à la frontière, le gouvernement hésitant à l’accueillir, ce qui a permis aux nombreux belges évacués (dont ma mère) de le conspuer sans risque.

Le canal Albert est parallèle à la Meuse et nous amène à Lanaye. Un bras de Meuse a été rectifié et est devenu un lac idéal pour les sports nautiques. On y trouve un club nautique, un camping, une plage bien aménagée et très propre. Les écluses de Lanaye ont longtemps constitué ce qu’on appelait “le bouchon de Lanaye”. Les néerlandais s’opposaient à toute amélioration de ce passage et de la traversée de Maastricht. Cela a motivé la construction du canal Albert. Maintenant ces écluses seront bientôt complétées d’une quatrième. Elles permettent de rejoindre le fleuve.

Lanaye © Philippe Vienne

A gauche, le canal continue son trajet vers Anvers en traversant l’impressionnante tranchée de Caster. Dans la roche a été creusé le fort d’Eben-Emael dont on aperçoit un accès. Le général Brialmont qui avait conçu la ceinture de fortifications entourant Liège avait déjà signalé un point faible dans la région de Visé ce qui avait amené à la construction de cet ouvrage. De l’avis de tous les spécialistes, ce fort était réputé imprenable mais les Allemands ont atterri dessus en 1940… avec des planeurs ! Ce qui n’était pas prévu. Pourquoi des planeurs? Parce qu’ils sont silencieux donc indétectables la nuit. On peut se promener sur le plateau et découvrir certaines tourelles.

Revenons aux écluses. Sur la colline opposée au fort, c’est la Montagne Saint-Pierre où se dressait le château de Caster. On peut y accéder par un sentier qui réserve un beau panorama. La ferme de Caster date du 17e siècle. Les bâtiments ont été construits autour d’une grande cours rectangulaire (ferme carrée). La maison porte l’année 1908. La maçonnerie de la maison se compose de briques et de bandes de pierre calcaire dans un style “Renaissance mosane”. Cette ferme sur la colline appartenait jadis au château de Caster. Le dernier château de Caster a été construit en 1888 par Alfons de Brouckère, à côté d’un autre vieux château. En 1936, le château, la ferme et les terrains avoisinants furent acquis par l’industrie cimentière. Desnsoldats allemands et américains furent même stationnés sur ces terrains pendant les Première et Deuxième Guerre Mondiale. Après, le château tomba progressivement en décadence et, en 1972, il fut ravagé par un violent incendie. Peu après, il fut démoli complètement. Aujourd’hui, seule la ferme monumentale est restée. Il est donc important que ce monument soit préservé et restauré ! J’ai retrouvé aussi cette inscription sur le tombeau de la famille Nagelmackers à Angleur : Jules Nagelmackers y est décédé en septembre 1878, donc dans l’ancien château. Mais sur place, je n’ai retrouvé pour ma part qu’un pont qui reliait deux parties du parc, et la glacière.

La Montagne Saint-Pierre © Philippe Vienne

La Montagne Saint-Pierre est une réserve naturelle, truffée de grottes creusées pour extraire la roche et dont certaines ont servi de champignonnières. Elles abritent maintenant des oiseaux tels que les chauves-souris ou les hiboux. Une partie de la colline est exploitée par les carrières de calcaire nécessaire à la cimenterie : ENCI (Eerste Nederlandse Cement Industrie) qui fait partie du même groupe allemand que CBR : Heidelberg Cement.

Et nous arrivons à Maastricht. Nous terminerons sur cette ville qui a fait partie de la Principauté de Liège, qui a failli être belge en 1830 et mériterait à elle seule une conférence. Le pont est situé à peu près à l’endroit où les romains en avaient déjà construit un, ce qui a donné le nom à la ville. Le bâtiment du gouvernement provincial a accueilli le Traité de Maastricht. Cette passerelle vous rappelle quelque chose ? Elle évoque les ponts du canal Albert, le pont de l’autoroute au Val Benoît et aussi le viaduc de Millau. C’est normal, ces trois ouvrages ont été calculés par le bureau Greisch de Liège. Une occasion de rappeler que nous avons aussi des entreprises performantes et pas seulement des friches industrielles.

Maastricht © Philippe Vienne

Les murailles de Maastricht nous ramènent à d’Artagnan qui y a trouvé la mort lors du siège de la ville par Louis XIV en 1673. Une statue rappelle son souvenir. Les Liégeois soutenaient Louis XIV alors que les Maastrichtois auraient par contre secondé le duc de Bourgogne lors du sac de Liège en 1468. Après Maastricht, à Lanaken, la Meuse redevient un petit fleuve tranquille, la plupart de ses eaux étant dérivées dans les différents canaux. A l’endroit appelé Smeermaas, on a l’impression que l’on pourrait traverser à pied.

Robert VIENNE

  • image en tête de l’article : la Meuse et la Dérivation au pont de Fragnée ©Philippe Vienne

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Robert VIENNE a fait l’objet d’une conférence organisée en 2014 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

 


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DEGEY : Et voici les robots ! (CHiCC, 1994)

Temps de lecture : 5 minutes >

L’euphorie de la Libération fut de courte durée, car bientôt allaient apparaître dans le ciel liégeois de redoutables engins de mort et de destruction, les V1 et les V2.

Les V1 appelés aussi “bombes volantes” ou “robots” (de “Vergeltunngswaffe 1” : arme de représailles n°1) sont de petits avions sans pilote, munis d’une tonne d’explosif et propulsés par réaction.

Caractéristiques principales
Longueur hors tout : 7,85 m
Longueur du fuselage : 5,55 m
Diamètre du fuselage : 0,85 m
Longueur du tube propulsif : 3,50 m
Envergure : 5,40 m
Profondeur d’aile : 1,04 m
Poids (environ) : 3000 kg
Explosif (environ) : 1000 kg
Vitesse : 580 à 620 km/h.
Portée maximum : 300 km

Le V2 (“Vergeltungswaffe 2”) est une fusée géante supersonique dont le tir rappelle celui d’un projectile d’artillerie. Les premiers V2 opérationnels apparurent dès septembre 1944.

Caractéristiques principales
Poids à vide : 13,5 tonnes
Poids au départ : 23 tonnes
Charge explosive : 910 kg
Combustible : Alcool: 3400 kg
Oxygène liquide : 5000 kg
Longueur : 14,50 m
Diamètre : 1,70 m
Vitesse  : 4800 km/h
en fin de combustible : 2000 m/s
en chute : 1500 m/s
Altitude : 96 000 m
Rayon d’action : 360 km

Nous sommes à Sclessin, le 21 novembre 1944, par une belle journée d’arrière-saison. L’école Saint-Hubert a tant bien que mal rouvert ses portes… Mes petits élèves s’appliquent sur un exercice quand soudain un curieux bruit de moteur se fait entendre. Un bruit de grosse moto qui remorquerait des casseroles ! C’est une forteresse volante qui va atterrir à Bierset”, dis-je, rassurant. Et tout mon petit monde de s’approcher des fenêtres espérant voir une forteresse volante de plus près. Au même moment, le bruit cesse brutalement et nous apercevons une espèce de petit avion qui, survolant l’église, plonge silencieusement vers le sol, tel un oiseau de proie. Reconnaissant un robot, je hurle : “A plat ventre !”

Tous se couchent comme un seul homme, car on connaît la “musique”. Ils ont vécu les bombardements du mois de mai, mes gamins ! Broummm ! … Une forte déflagration fait vibrer ce qui reste encore de vitres aux fenêtres de la classe et, nous relevant, nous voyons une colonne de fumée monter du côté de la rue du Parc (rue des Marécages). Un enfant qui habite dans cette rue a compris… Il se précipite aussitôt hors de la classe en hurlant : “Maman ! Maman !” Impossible de le rattraper !

Le temps de nous ébrouer un peu, de commenter l’événement et déjà des mères affolées et hagardes viennent rechercher leur progéniture. Heureusement pas de victime, seulement des dégâts matériels aux toitures et aux vitres du voisinage car l’engin a percuté le petit terril qui fait face à la rue du Parc, de l’autre côté du chemin de fer.

C’était la première bombe volante d’une série de 39 qui allaient s’abattre sur Sclessin. Pendant près de deux mois, du 21 novembre 44 au 16 janvier 45, les habitants de l’agglomération liégeoise vont vivre dans les caves. Les attaques par V1 et par V2 se déroulèrent en deux périodes successives : du 20 novembre au 3 décembre, puis du 16 décembre au 2 février, faisant pleuvoir sur l’agglomération quelque 970 V1 et une quarantaine de fusées V2.

148 tombèrent sur la ville faisant 374 tués et 997 blessés, sinistrant quelque 47 258 immeubles. 87 tombèrent sur Ougrée dont 39 à Sclessin, faisant 97 tués, 178 blessés et sinistrant 1 246 immeubles. 2 141 bombes tombèrent sur notre province faisant 1 045 tués, 1 978 blessés graves, 7 000 blessés légers et endommageant 63 652 immeubles. Le nombre de tués fut relativement faible, 1 par bombe, tandis qu’il fut de 2,5 à Londres et 2,8 à Anvers. La moyenne des impacts au kilomètre carré fut de 5,7 pour l’agglomération et 7,2 pour la ville de Liège (Anvers ville 5,3 agglomération anversoise 4,2 et Londres 1,5). C’est surtout vers la mi-décembre que les impacts furent le plus nombreux, et particulièrement la veille de Noël, quand Von Rundtsedt déclencha l’offensive des Ardennes.

C’est à Anvers que les V2 furent les plus meurtriers : le 27 novembre, sur le coup de midi, une fusée explose au carrefour de l’avenue de France, creusant un cratère d’une vingtaine de mètres de diamètre au milieu de  la chaussée. On releva 128 morts et près de 200 blessés. Le 16 décembre, le jour choisi par Von Rundstedt pour déclencher son offensive, une autre fusée tombe sur le cinéma Rex, où on joue “Magic in Music” avec Allan Jones, Susanne Foster et Margaret Lindsay. Des décombres on retirera 271 morts et près de 2 000 blessés.

La plupart de ces engins furent lancés de l’Eifel. Les V2 étaient les plus redoutables, car étant supersoniques, on n’entendait le bruit de propulsion qu’après l’explosion. Et nos Liégeois s’installèrent dans leurs caves, rapidement aménagées. On y installa des poêles dont les buses sortaient par les soupiraux… ce qui provoqua plus d’un juron quand un noctambule, dans le “black-out”, heurtait une de ces précieuses buses.

La gare de Sclessin © garesbelges.be

La vie suivait quotidiennement son train-train malgré les robots, et, le soir venu, on regagnait les caves aménagées en chambre à coucher. Quelques planches sur des caisses, une paillasse et la famille avait un lit ! Notre petit Jean-Marie dormait dans une niche à vin, sous l’escalier de la cave. Rue du Parc, j’ai pu admirer une cave aménagée avec un tel soin que les bois de soutènement, ajoutés par le papa mineur pour  renforcer les voûtes avaient été couverts de tapis à fleurs… pour faire plus joli.

Comme l’écrira plus tard la Gazette Illustrée, “la stoïque population liégeoise vécut d’affilée 300 heures de cauchemar, de terreur, de ruines, de deuils, d’asphyxies, de larmes, de faim et de froid.” Même notre Meuse se mit de la partie en se payant une petite crue hivernale qui obligea maints Sclessinois à camper sur pilotis dans leurs caves inondées… !

Les caves étaient devenues le centre des réunions familiales. D’une cave à l’autre, on s’interpellait, on papotait, car des ouvertures hâtivement pratiquées dans les murs mitoyens permettaient à plusieurs immeubles de communiquer entre eux, un moyen de faciliter les sauvetages. On y écoutait la radio quand le courant n’était pas coupé ; alors on y vivait “à la chandelle” comme au bon vieux temps. On y cuisinait, on y mangeait, on y ravaudait, on y jouait aux cartes, mais toujours sur le qui-vive, prêtant l’oreille, car on entendait venir les vilains oiseaux avec leur roucoulement sinistre !

Même le chat du voisin se précipitait à l’abri dès qu’il entendait leur ronron ! Et quand on ne les entendait plus… ils allaient tomber. Avec l’habitude, on prévoyait leur trajectoire. “Celui-là, c’est pour le Pont d’Ougrée… Celui-là, c’est pour le Laveu… Celui-là, c’est pour les Guillemins… Aïe, ci-châl c’est po nos’autes !”  Et puis : “Il a pété” Phrase devenue tellement coutumière à Liège qu’elle servit de titre à une revue du Troca : “Il a pété” !

On ne sortait que pour se rendre au travail, porter secours aux victimes ou pour aller en quête de ravitaillement. Certains Sclessinois délaissèrent leur maison pour aller coloniser des abris plus sûrs ou prétendus tels ! Il y eut une colonie dans le tunnel du “Corbeau”, au-dessus de la rue Sous-les-Vignes, aux confins de Tilleur, une autre dans un tunnel de la houillère du Bois d’Avroy débouchant rue Galilée, une centaine encore de “colons” dans les fours de la briqueterie de Gérimont (TDS), d’autres enfin dans les abris du Pays de Liège et des Ateliers de la Meuse. Une douzaine élit même domicile dans les chambres à mines de la pile du pont de Renory se trouvant à la gare de Sclessin.

Désirant donner des précisions sur les points de chute des robots dans nos quartiers, nous avons voulu consulter les journaux de l’époque. Hélas, dans La Meuse, comme dans la Gazette de Liége, aucune mention de ces deux mois de bombardements… Et nous nous sommes rappelé que pendant ces deux mois dramatiques, la censure américaine avait interdit de publier quelque information que ce soit susceptible de renseigner l’ennemi sur les effets ou la précision de ses tirs.

Emile DEGEY

  • illustration en tête de l’article : un V2 vient de tomber au pied de la colline de Cointe © lameuse.sudinfo.be

Brochure éditée par “ALTITUDE 125”, la Commission Historique et Culturelle de Cointe, Sclessin, Fragnée et du Bois d’ Avroy.


NOEL : Promenade à travers Cointe et Fragnée de jadis (CHiCC, 1991)

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“Quelques rappels d’histoire locale et quelques constatations avant d’entamer notre promenade. FRAGNEE : Ce vocable vient d’un mot latin, FRAXINUS, signifiant “frêne” c’était donc – à l’origine – un endroit couvert de frênes, une frênaie. A l’heure actuelle, dans les jardins et les talus de Cointe et de Fragnée, les frênes restent nombreux. Le nom de FRAGNEE remonte fort loin dans le temps. La plus ancienne mention que je connaisse (mais est-ce la première ?) se rencontre dans le testament de NOTGER, peu après l’an mil. Ceci témoigne qu’à ce moment, l’existence et la dénomination du lieu-dit est déjà une chose bien acquise. Par après, FRAGNEE est cité fréquemment au Moyen-Age, notamment dans des documents concernant la cathédrale Saint-Lambert ou l’abbaye du Val-Benoît. Toutefois, il s’écrivait autrement et de façon variable selon les auteurs et les époques. C’est ainsi qu’on trouve, par exemple, FRANGEIS, FRAIGNEEZ, FRAIGNEE,… avec, parfois, la précision “DEHORS LIEGE”.

Avant les fusions de communes (1977), COINTE relevait de deux communes différentes : LIEGE et OUGREE, la place du Batty marquant le début de cette dernière. Je prendrai ici, en considération, l’ex-COINTE/LIEGE uniquement. Jadis, et jusqu’à la Révolution française, la zone “liégeoise” de Cointe et l’essentiel de ce que nous appelons aujourd’hui Fragnée formait un tout. Indépendant de la ville de Liège et faisant partie du domaine de la cathédrale Saint-Lambert, c’était la SEIGNEURIE DE FRAGNEE. Ainsi, Cointois et Fragneurois, sommes-nous plus que des voisins , nous sommes des frères issus d’une même origine.

Tant que subsista la Seigneurie de Fragnée, et encore au 19ème siècle, nous avions bien des choses en commun. Nous relevions d’une même paroisse, Sainte-Véronique. Ensuite, la paroisse Sainte-Marie ayant vu le jour en 1869, Cointe en fit partie jusqu’à la création de la paroisse Notre-Dame de Lourdes, à Cointe (1911). Toutefois, Cointe bénéficia bien plus tôt d’une chapelle. Dédiée à la Vierge et à Saint-Mathieu, avant de l’être à Saint-Maur, la chapelle de Cointe remonte, dans ses origines, au début du XVème siècle. On l’appelait aussi chapelle de l’ermitage de Fragnée… Quant à Fragnée d’aujourd’hui, il faut attendre 1649 pour qu’il dispose d’une chapelle : la chapelle du Paradis, située là où le quai de Rome fait angle avec la rue de Fragnée. A la différence de Saint-Maur, toujours debout, cet oratoire a été démoli en 1881.

Pour une part c’étaient les mêmes voies de communication qui, venues de la plaine (ou l’inverse !) se continuaient sur le plateau, après avoir escaladé la colline. Ainsi – nous en reparlerons plus loin – le Grand Jonckeu, ou celles qui, aujourd’hui coupées par le chemin de fer, sont devenues les rues Bovy/Albert Mockel et Lesoinne/Saint-Maur. On constate que de mêmes grands propriétaires possédaient des terres à l’emplacement tant de Cointe que de Fragnée actuels : ainsi, sous l’Ancien Régime, l’abbaye du Val-Benoît, la famille de ROSEN après la Révolution, Maximilien LESOINNE, parmi d’autres. Des cotillages, des vergers, des houblonnières se rencontraient également là où nous parlons maintenant de Cointe et de Fragnée. La vigne, quant à elle, n’était guère présente dans la Seigneurie de Fragnée, mais recherchait des coteaux mieux exposés, tels ceux du Petit-Bourgogne à Sclessin. Autre “apanage” commun, la houillerie et l’exploitation des “fosses” de charbon.

Au début du 20ème siècle, l’EXPOSITION UNIVERSELLE de 1905, se situa partiellement à Cointe-Liège et Cointe-Sclessin (ensemble, sur 19 ha) et à Fragnée (sur 4 ha). Aujourd’hui encore, nous appartenons au même Commissariat de Police (3ème Division). Cependant, à partir du 19ème siècle, les deux quartiers commencent à connaître des destinées différentes.
Le premier et le plus fondamental élément de rupture fut la création du chemin de fer (1842), qui coupa littéralement la plaine de Fragnée des escarpements de Cointe. Ensuite, Fragnée connaîtra un important développement économique et urbain, lié partiellement à la présence de la gare. En 1866, et dans les années suivantes, toute une série de rues nouvelles, bien rectilignes, quadrilleront Fragnée. Peu après, l’église Sainte-Marie fut construite ; sa consécration date de 1874.

Cointe, pour sa part, verra se tracer (vers 1885), l’avenue de l’Observatoire, mais l’église du Sacré-Cœur et de Notre-Dame de Lourdes (dite Basilique de Cointe) ne sera édifiée que dans l’entre-deux-guerres, de même que le Mémorial Interallié. Fragnée sera doté de toute une série de “grandes” écoles, secondaires et supérieures, appartenant à tous les réseaux. Dans l’ordre chronologique de leur établissement :

    • l’Ecole Normale des Rivageois, inaugurée en 1874. Elle est devenue assez récemment l’Athénée Royal et l’Institut d’Enseignement Supérieur Pédagogique de l’Etat.
    • l’Ecole Supérieure de Commerce Sainte-Marie (enseignement libre), rue de Harlez, en 1908.
    • l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales (HEC) (enseignement privé), installée rue Sohet, depuis 1914.
    • la Faculté des Sciences Appliquées de l’Université (enseignement de l’Etat), établie au Val-Benoît dans l’entre-deux-guerres.
    • enfin, l’Institut Communal des Arts Décoratifs et Industriels (ICADI), rue de Fragnée, postérieurement à la seconde guerre mondiale.

Cointe rétorquera qu’il possède l’Institut d’Astrophysique depuis 1882. D’accord, mais c’est l’ancien Sclessin…

L’Exposition de 1905 a eu des conséquences fort différentes à Cointe et à Fragnée. Pour Cointe, c’est l’établissement de la Plaine des Sports et le tracé
de la partie sud du boulevard Gustave Kleyer (appelé d’abord boulevard de Cointe). Fragnée a été bien plus marqué par l’Exposition :

    • régularisation du cours de la Meuse et construction du pont de Fragnée, dit aussi “Pont de l’Exposition” (à la place des seuls “passages d’eau” antérieurs, sinon le Pont du Val-Benoît qui, lui, date de 1842).
    • démolition de bien des maisons vétustes au quai de Rome (quai de Fragnée). Celles-ci furent remplacées par de splendides maisons bourgeoises, témoignages de l’essor économique liégeois d’alors.
    • création de l’avenue de l’Exposition (aujourd’hui avenue Emile Digneffe), qui sera par la suite, elle aussi, bordée de fort belles maisons.

Quels changements dans la physionomie de ce quartier entre 1900 et 1914 !

Le choc suivant sera dû à la phase terminale de la seconde guerre mondiale. Bombardements des Alliés et V1 et V2 allemands n’ont pas plus épargné Cointe que Fragnée, hélas ! De part et d’autre, les victimes humaines furent nombreuses ; les destructions, considérables. Toutefois, les suites furent très différentes. Quand il s’agit de reconstruire à Fragnée, et plus particulièrement au quai de Rome, un phénomène nouveau d’urbanisme se développa sur une énorme échelle : des promoteurs rachetèrent en masse les maisons sinistrées et y élevèrent des buildings. Dans une très large mesure, une population, anciennement étrangère au quartier, s’y installa.

Dans la ville de Liège, avant 1940, rares étaient les buildings ; c’est Fragnée qui lança – si on peut dire – la mode de ce type de construction. Par ailleurs, ces grands et très hauts immeubles masquèrent complètement la merveilleuse vue, que de la Meuse, on avait sur les collines bordant le fleuve. C’est bien triste !… Le paysage est complètement défiguré.

Les années récentes ? Les voies rapides, la construction de la Cité Administrative (rue Paradis) ont encore modifié le visage de Fragnée. Cointe, pour sa part, paye maintenant un lourd tribut au trafic moderne, tout le bas de l’avenue de l’Observatoire ayant été sacrifié à la liaison E25-E40.

Venons-en maintenant à la promenade qui fait plus particulièrement l’objet de cette petite communication. Nous allons suivre un document conservé aux Archives de l’Etat (Cour de Justice de Fragnée, registre 16 (1712-1742), folios 122 à 123 v°). Il est daté de 1734 et intitulé CERQUEMENAGE. En ancien français, ce terme signifiait “bornage et/ou recherche de bornes anciennes”. Dans le cas qui nous occupe, c’est plutôt une inspection des chemins ; elle a été faite à la demande de l’autorité responsable. Ce texte est bien évocateur… d’autant plus que le même dépôt conserve une carte (sommaire, il est vrai) de la même époque, peut-être établie pour appuyer le cerquemenage.

© Juliette Noël

Me basant sur ce dessin, j’ai dressé le plan repris ci-dessus. Il donne le tracé approximatif des chemins anciens, auquel est superposé celui des rues actuelles qui en ont pris la suite ; les chemins anciens aujourd’hui disparus et les rues et voies de communication de création contemporaine.

Suivez sur cette carte l’itinéraire des vérificateurs. Je vous donne l’essentiel du texte, dans l’orthographe de l’époque. J’ai toutefois ajouté des signes de ponctuation et certains accents. J’ai créé aussi des paragraphes, pour rendre plus compréhensible le déroulement du circuit. Je n’ai pas repris ce qui est dit de la largeur des chemins. Vous trouverez, si nécessaire, à quoi correspondent aujourd’hui, les mentions du XVIIIème siècle.

“CERQUEMENAGE ET RECORD.

L’an mille sept cent trente quattre, du mois de juillet, le treizième jour, pardevant nous la Cour et Justice de Fraignée, spécialement assemblée,… comparut personnellement noble seigneur Jean-Antoine de Libert de Flémalle, chevalier du Saint Empire et grand bailli de Messeigneurs du très illustre chapitre cathédral de Liège, lequel ensuitte d’une Ordonnance et Recès de Messeigneurs les Directeurs des affaires de la très illustre Eglise Cathédrale de Liège… requis de nous ladite justice de procéder à un cerquemenage général des chemins de ladite hauteur et communauté…

Premier avons commencé au Rivage de Moeuse où tend (= où débute) la voie appelée au présent la ruelle des Hours (rue Paradis), qui tend (= qui longe) le long de la juridiction d’Avroy jusqu’à la voie du Grand Jonckeux (Ce chemin important venait de loin. Il prenait naissance vers le coin des rues Saint-Gilles et Louvrex actuelles. Son tracé était rien moins que rectiligne. Au-delà de Sainte-Véronique et du couvent des Guillemins, il pénétrait sur le territoire de la Seigneurie de Fragnée. Nous en retrouvons des vestiges impasse et rue Jonckeu. Il quittait alors la plaine pour suivre un tracé assez proche d’une partie de la rue Mandeville actuelle). Etant arrivé dans la voie dudit Grand Jonckeux avons trouvé une autre voie qui tend (= qui va) à la tour de Scorgne…et montant plus avant dans la voie vers la Fleur de Lys (la tour de Scorgne et la Fleur de Lys étaient situés dans les parages de l’actuelle avenue de l’Observatoire, là où s’élèvent les grands buildings ).

Etant parvenu à un héritage (= un bien) appartenant à la veuve du sieur Pannée (= Paneye, d’où la rue Panaye actuelle) et autres de la juridiction d’Avroy…jusqu’au coin du bien de la Fleur de Lys…où, étant parvenu, avons repris la piedsente (= le sentier) qui tend sur Quinte…praticable à pied et à cheval. Etant arrivé sur Quinte aux Tilleux (= tilleuls) avons trouvé une piedsente allant en Badare (la ruelle Badare, c’est plus ou moins l’emplacement de la rue des Jonquilles et de la rue Constantin le Paige) appelée présentement Saint-Maur… qui aboutit à la voie de Saint-Maur, qui se rend au milieu de Fraignée.

Remontant vers le puit, qui est au-dessus de Saint-Maur…avons trouvé un chemin ou piedsente remontant sur Quinte… item (= de même) proche des Tilleux sur Quinte est une autre voie se rendant à la tour de Monsieur de Rosen…aboutissant au Jonckeux. Item dudit Quinte, avons continué le chemin Destreau (GOBERT se contente, à DESTREAU, d’écrire “chemin entre Cointe et la Meuse, à proximité du monastère du Val-Benoît”), laissant à droite partie de l’endroit de Quinte confinant avec la juridiction de Sclessin, dont on n’a pas scu discerner aucune borne. Et poursuivant ledit chemin Destreau jusqu’à la Moeuse… laissant, à gauche à l’entrée, le chemin appelé présentement la Cheravoie (rue du Chera), qui conduit droit à la porte de devant du monastère du Val-Benoît.

rue des Cailloux © mapio.net

En outre, poursuivant ledit chemin Destreau, l’avons trouvé à la descente remplie de broussailles et impraticable, pour lequel défaut le seigneur notre officier (= celui qui est investi d’une charge, d’un office”) at demandé enseignement (= ordre)… de le rendre praticable, ce qu’avons accordé…(il s’agit probablement de ce que le plan du 18ème siècle appelle “la piedsente des Sarts”, en notant qu’elle est bouchée. Ce serait donc aujourd’hui la ruelle des Cailloux et la rue des Hirondelles).

Etant parvenu à la Moeuse, avons trouvé ledit chemin ou piedsente… jusqu’au coin de la muraille dudit monastère du Val-Benoît, où il y a une image (= probablement une statue ou un bas-relief) de la Vierge, au coin de laquelle il se trouve un chemin qui entre dans le monastère à porte cochère… traversant la cour dudit monastère, où il y a un grand et vieux tilleux et de là se rendant à la porte de devant aboutissant au Cheravoie.

Aiant poursuivi le long de la Moeuse, depuis ladite image jusqu’au coin de la muraille dudit Val-Benoît vers Liège, avons trouvé une piedsente aboutissant à un endroit nommé le Poncay, où autrefois la bache (= la barque) abordait et au présent une nake ou nasselle à passer hommes et chevaux, laquelle piedsente ou voie continuant le long de la muraille du Val-Benoît vers le Pellé Thier… au bout de laquelle il y a un fossé et des pieux plantez, empèchant de passer à cheval et en voiture, pour quel obstacle le seigneur notre officier et demandé enseignement de les faire ôter et arracher, ce qu’avons accordé…

De là, avons trouvé une voie tendant aux Marets vers le Jonckeux… Item, une autre voie tendant à la chapelle de Fraignée, appelée la Ruelle du Paradis (la ruelle du Paradis est l’ancien chemin de Liège à Huy. Aujourd’hui, il forme d’abord la rue Ernest Solvay, puis la place du Général Leman, et enfin et surtout, la rue de Fragnée). Etant parvenu le long de ladite voie… avons trouvé une piedsente qui tend du Maret à la Moeuse ( il s’agit de la rue du Vieux-Mayeur)… Et puis continuant ledit chemin de Paradis, avons trouvé une voie traversant ladite terre du Val-Benoît, appelée la ruelle du Dickay (la rue du Dickay, c’est aujourd’hui la rue Lesoinne et la rue Saint-Maur, qui la prolonge de l’autre côté du chemin de fer), qui tend en droite ligne à Saint-Maur…

Et finalement, étant arrivé à laditte chapelle de Fraignée appelée communément la chapelle du Paradis, avons trouvé une piedsente le long de la Moeuse, tendant (= allant) depuis un bout de la juridiction jusqu’à l’autre (actuellement le quai de Rome), à passer à pied et à cheval. Là même, ledit seigneur Grand baillif de Libert at demandé copie authentique du prémis, pour en user ainsi et comme il trouvera de droit convenable…

A quoi ressemblait le paysage ? Comment le sol était-il occupé ? Pour 1827 , un plan cadastral va nous le dire. Mon étude concerne la paroisse Sainte-Marie actuelle. Celle-ci est délimitée ainsi : le côté gauche de la rue des Guillemins (numéros impairs) ; la place des Guillemins et la gare ; puis la traversée des voies de chemin de fer ; la rue Mandeville ; la rue Marcel Thiry ; la retraversée des voies du chemin de fer ; la rue Ernest Solvay ; le côté droit de la rue de la Canonnerie c.à.d. la limite de Liège et de Sclessin. De là, le retour vers la ville par le quai Banning et le quai de Rome, puis le côté droit de l’avenue Blonden (numéros pairs). Nous retrouvons alors la rue des Guillemins: la boucle est bouclée.

Voilà comment cette étendue était répartie :

    • seulement 5% de maisons, bâtiments et cours,
    • mais à peu près 42% de cotillages (sorte de jardins maraîchers),
    • 17% de houblonnières,
    • 12% de prés et pâtures,
    • 10% de vergers,
    • 10% de jardins,
    • 2% de pépinières et d’arbustes,
    • 2% de divers (jardins d’agrément, mares et pièces d’eau, bâtiments commerciaux et industriels…)

Quelle métamorphose !”

Juliette NOEL

  • image en tête de l’article : Place de Fragnée (auj. Place Général Leman) ©histoiresdeliege.wordpress.com

Brochure éditée par “ALTITUDE 125”, la Commission Historique et Culturelle de Cointe, Sclessin, Fragnée et du Bois d’ Avroy.


MARECHAL : L’explosion du pont du Val-Benoît et du vieux pont d’Ougrée (CHiCC, 1994)

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Une journée radieuse

“Les vacances scolaires et les congés payés touchent à leur fin et ne seront bientôt plus qu’un souvenir… Il a fait chaud, voire étouffant, toute cette journée du jeudi 31 août 1939. Vers la fin de l’après-midi, les roulements lointains du tonnerre se font entendre puis se rapprochent insensiblement de la vallée et de la ville.

Les terrasses des cafés aux abords des Guillemins sont pleines lorsque commencent à tomber les premières grosses gouttes qui s’écrasent sur le pavé brûlant, annonciatrices de l’averse qui menace. Dans la Salle des Pas Perdus de la gare, des femmes en toilettes légères, des hommes coiffés d’un chapeau de paille, lisent distraitement au passage, les grands titres des quotidiens qui évoquent l’imminence de la seconde guerre mondiale en Europe.

“Encore une fausse alerte de plus ! Depuis les mois qu’on en parle de cette guerre qui ne nous concerne pas !”

Déjà, les premiers pêcheurs à la ligne avec leur lourd et encombrant attirail débouchent des quais pour gagner le refuge de la place devant lequel stationnent les trams blancs n°1 et n°4 qui les ramèneront chez eux, après une journée de détente sur les rives de l’Ourthe ou de l’Amblève. Sur le quai de la gare, un coup de sifflet strident et prolongé retentit. Le chef de gare, au képi amarante, vient de libérer l’express international de Liège-Luxembourg. Il est 18 heures 39 très précises.

Lentement, lourdement, avec force jets de vapeur et projections d’escarbilles, le convoi s’arrache à regret aux quais sur lesquels quelques mouchoirs s’agitent… Deux minutes à peine se sont écoulées que déjà, le train ralentit puis stoppe devant le signal “carré d’arrêt”, situé à peine à trente mètres du quai de Rome. Dehors, le ciel s’est obscurci et la pluie tombe drue.

Durant trois minutes et trente secondes, l’arrêt se prolonge avant que le feu vert autorise le convoi à reprendre sa progression vers la première travée qui surplombe le quai. Il vient à peine de parcourir cinquante mètres qu’il aperçoit déjà la locomotive “haut-le-pied” qui vient de la gare de triage de Kinkempois et va entrer en gare…

L’explosion

Il est exactement 18 heures 45 lorsqu’une formidable déflagration ébranle et secoue dans leurs fondements les quartiers de Fragnée et de Renory, jonchant les trottoirs de carreaux cassés et de gravats. Les deux ponts métalliques parallèles du chemin de fer qui enjambaient la Meuse viennent de voler en éclats. Les fils électriques des deux rives sont complètement arrachés et d’énormes blocs de béton sont retombés dans toutes les directions.

Les maisons des rues de Namur, d’Angleur (rue aujourd’hui disparue), du Vieux Mayeur, du quai de Rome, de l’avenue de l’Exposition (avenue Emile Digneffe) et de l’avenue des Tilleuls sur la rive gauche, ainsi que celles d’Angleur et de Renory, rues de la Rampe, Vapart, du Centenaire, Boileau, Romaine, etc. sont ravagées et fortement endommagées. Les habitants, eux, n’ont vu ni flammes, ni fumée mais ils ont perçu une âcre odeur de poudre.

Très rapidement, toutes les rues convergeant vers la place de Fragnée (place du Général Leman) sont barrées par un cordon de policiers, de soldats et de gendarmes, tandis que les pompiers s’affairent sur les lieux du sinistre. Aux premières nouvelles, le bruit court qu’en raison des événements actuels, le nouveau pont a été miné dans ses quatre piles et que la foudre s’est abattue sur l’un des fils reliant le contact aux mines. De fait, par suite de la violence de l’explosion, les quatre piles ont bien volé en éclats et la charpente métallique des ponts jumeaux s’est effondrée dans le fleuve.

Les deux locomotives se trouvaient à ce moment précis au-dessus du quai de Rome. Un des deux machinistes et un des chauffeurs ont été tués sur le coup. Quant au chauffeur de la seconde locomotive, il n’est que grièvement blessé. Il est évident que d’autres victimes ont également trouvé la mort dans pareille catastrophe ! On sait en effet que depuis la mobilisation de 1938, le pont est gardé militairement par un détachement du 3ème Génie. Certains de ces soldats ont été, eux aussi, tués sur le coup. Tel est le premier bilan qui, malheureusement, s’avère provisoire.

Car au moment de l’effondrement du pont et de ses charpentes, une voiture
militaire roulait sur le quai de Rome. Or, elle est restée coincée sous l’amas des charpentes avec ses occupants. D’autres victimes ont dû être surprises par l’effondrement du mur du quai où l’on suppose que plusieurs passants s’étaient abrités de la pluie. Quant aux voyageurs de l’international, il semblerait qu’il n’y ait que des blessés parmi eux.

Les pompiers qui opèrent sur les lieux sont placés sous les ordres du commandant Delhaes et du lieutenant Laurent, que vinrent rejoindre peu après le Général circonscriptionnaire de Krahe accompagné du Colonel Lambert ainsi que l’Échevin Auguste Buisseret, le Commissaire en Chef Strauven et d’autres autorités. Un détachement militaire a été désigné pour aider au sauvetage des victimes tandis que les forces de l’ordre éloignent et tiennent à distance respectueuse les nombreux curieux. A mesure qu’on les découvre, les blessés sont acheminés vers les hôpitaux de la ville.

L’état des lieux

Le train express a sa locomotive versée sur le flanc gauche et repose sur la charpente, cheminée encastrée entre deux longerons du pont. La machine “haut-le-pied” est complètement renversée sur le flanc gauche et, à 22 heures, continuait à cracher de la vapeur.

Le récit du chef de convoi

A 18 heures 39, l’international quitte la gare des Guillemins vers Gouvy, avec, outre la locomotive, quatre wagons métalliques. Dans le premier wagon se trouvent à ce moment vingt-huit voyageurs tandis que le chef de convoi est dans le fourgon en tête de train, immédiatement derrière le tender. Deux minutes après son départ, le train est stoppé à 30 mètres du quai de Rome et y stationne pendant 3 minutes et demie avant de reprendre sa progression vers le pont.

Au moment précis où le signal vient de libérer la voie et que le convoi a parcouru une cinquantaine de mètres environ, la déflagration se produit. La locomotive et le tender au charbon disparaissent dans le vide tandis que le fourgon reste suspendu entre piles et rails, entraînant avec lui le premier wagon et disloquant le train au milieu de jets de vapeur et de nuages de poussières.

Le chef de convoi parvient à se dégager par ses propres moyens mais tous les environs sont jonchés de débris, de poutrelles, de blocs de béton et de pierres de taille, tandis que les voies et leurs rails sont tordus. Se précipitant alors vers la voiture suspendue, il constate que les voyageurs y gisent pêle-mêle parmi les débris de bois et de fer.

Les soldats tués

Quatre sentinelles avaient pris faction des deux côtés du pont. Toutes furent projetées dans le vide, mais l’une seulement a été blessée au pied. Par contre, les quatre soldats qui se reposaient au corps de garde ont été tués et ensevelis sous les décombres. De la camionnette qui passait sous le pont, seul un sergent a été tué sur le coup. Quant aux soldats relevés blessés, ils ont été hospitalisés à l’hôpital militaire de Saint Laurent.

La descente du Parquet

Le Parquet, représenté par le juge d’instruction Dumoulin, accompagné des substituts Delange et Guyaux, assistés du greffier Mezen est descendu sur les lieux à 20 heures, accompagné de l’Auditeur Militaire et rejoint par le Procureur Général M. Destexhe. Dès 21 heures 30, un barrage infranchissable était mis en place par l’armée à l’entrée des rues d’Angleur, de Namur et du quai de Rome, à hauteur de l’avenue des Tilleuls.

Les secours

Un personnel nombreux d’ambulanciers et de sauveteurs, venus de la permanence de la rue Darchis puis de l’Exposition de l’Eau à Coronmeuse, rallia rapidement les lieux sinistrés tandis que des secouristes venus de Huy et de Visé rejoignaient leurs collègues sur place assurant, avec le concours de l’armée, le transport des blessés vers les hôpitaux et visitant les maisons endommagées.

Premier bilan officiel

Civils tués :

  • Vandermissen Pierre, de Sclessin, passait sur la rive droite,
  • Dawans Jules, de Cointe, pêchait sous le pont,
  • Debras Joseph, de Jupille, chauffeur de l’express,
  • Woters Albert, de Saint-Trond,
  • Crespin François, d’Angleur, machiniste de la loco “haut-le-pied”,
  • Berthelier Anthony, docteur en médecine de Seraing, passait sous le pont en voiture.

Soldats tués :

  • Thomsin Edmond, de Liège,
  • Corvers Victor, de Herstal,
  • Knapen Julien, de Wandre,
  • Hendrick Joseph, de Dolhain,
  • Vanderelst René, de Bruxelles.

Trois civils sont en outre portés disparus.

De nombreux blessés légers ont pu regagner leur domicile et quarante-sept, plus ou moins sérieusement atteints demeurent hospitalisés, dont aucun ne paraît en danger de mort. Ils ont été répartis en majeure partie entre l’hôpital des Anglais et le sanatorium de Sainte Rosalie.

Les répercussions en ville

La déflagration ayant endommagé les installations de la centrale électrique de Rivage-en-Pot, le quartier sud de la ville – depuis la rue du Pont d’Avroy jusque et y compris Fragnée – a été plongé dans la plus complète obscurité. Seuls les tramways circulent normalement, tandis que, dans les cafés et restaurants, on s’éclaire à l’aide de bougies ou de lampes à pétrole.

Le lendemain

Les premiers journaux de ce vendredi 1er septembre ont éclipsé de leur première page le récit détaillé de la tragédie locale pour faire place au titre-phare qui relègue tous les autres au second plan de l’actualité : “LES HOSTILITÉS ONT COMMENCE CE MATIN SUR TOUTE LA FRONTIÈRE POLONO-ALLEMANDE.” Et ce ne sera qu’en pages intérieures que nous retrouverons les informations qui nous concernent plus directement et plus intimement.

Le train Liège-Luxembourg sur le pont du Val-Benoît © chokier.com
Le réseau ferroviaire

Un service de voyageurs Verviers-Liège-Longdoz a été mis en place et fonctionne régulièrement. Les lignes de l’Ourthe et de l’Amblève ont vu reporter leur terminus à la gare d’Angleur. La tête de ligne de Herve se situe à Chênée.  Un service d’autobus Liège-Angleur-Chênée et retour assure le transbordement des voyageurs en provenance ou à destination de Liège-Guillemins. Les trains internationaux Bruxelles-Cologne sont détournés vers Angleur.

La navigation fluviale

En Meuse, le trafic est évidemment interrompu, les transbordements et détournements y étant impossibles. Seule solution envisagée : créer une passe pour bateaux. Si en temps normal l’enlèvement de parties de ponts écroulés aurait pris une quinzaine de jours, nous ne sommes plus – hélas ! – en temps ordinaire : les hommes sont sous les drapeaux et les moyens matériels font défaut. Néanmoins, toutes les mesures seront prises pour un commencement des travaux de déblaiement dans les plus brefs délais.

Les dégâts matériels

A Fragnée, à Renory, à Angleur, c’est un spectacle de ruines et de désolation. Dans les rues, ce ne sont qu’amas de vitres cassées, de volets brisés ou arrachés, de blocs de pierre ou de béton, de gravats qui jonchent le sol, d’arbres coupés ou entaillés, de portes, de fenêtres, de tuiles arrachées. Dans le parc de l’Université, rue du Val-Benoit (actuellement rue Ernest Solvay) jusqu’à Sclessin, pelouses et jardins sont saccagés et chaque demeure a subi des dommages plus ou moins importants. Par ordre de police, le nettoyage ainsi que le déblaiement s’opèrent rapidement tandis que les maisons présentant des risques pour les passants sont barricadées.

Qu’en pensent les Liégeois ?

Les bruits les plus stupéfiants et les plus alarmistes courent parmi la population, dont le plus fréquent est qu’il s’agit d’un acte de sabotage imputable à la 5ème Colonne pro-nazie et prélude à une invasion de notre territoire déclaré neutre par le Roi. Ces rumeurs sont telles qu’un appel est lancé au public pour qu’il fasse preuve de sang-froid et que prenne fin la ruée des automobilistes vers les pompes à essence -pareil affolement risquant fort, dans l’état actuel de nervosité- de tourner à la panique. Réflexion faite cependant, comment expliquer qu’au même moment et à quelques kilomètres à peine en amont, la foudre se soit abattue sur deux ponts ? Ce sera toutefois le titre des journaux de ce 2 septembre qui cristallisera l’attention de nos concitoyens : “LA DÉCLARATION DE GUERRE ANGLO-FRANÇAISE A L’ALLEMAGNE EST ATTENDUE POUR CE SAMEDI APRES-MIDI.

Les jours qui suivirent

Le lundi 4 septembre parait le premier communiqué militaire français : “LES OPÉRATIONS ONT COMMENCE : PARIS, CALME – LONDRES, ALERTE PENDANT LA PREMIÈRE NUIT DE GUERRE.” En outre, dans tous les quotidiens liégeois, parait un appel du Bourgmestre Xavier Neujean à ses concitoyens, qui tient à préciser ce qui suit : “La situation internationale plonge les Liégeois dans l’inquiétude, la catastrophe du Val-Benoit endeuille la Cité. Néanmoins, comme en septembre 1938, la population donne l’exemple du sang-froid et de la confiance. Qu’elle garde avec fermeté cette louable attitude. Elle doit, au surplus, être convaincue :
1°- que si les événements l’exigeaient, l’armée belge est prête et qu’elle accomplira intégralement son devoir,
2°.- que, de son côté, l’autorité civile veille et prend les mesures propres à garantir la sécurité et le ravitaillement de chacun.
Le calme et l’ordre s’imposent. Ne nous laissons pas envahir par des agitations déprimantes.”

Les marques de sympathie

La ville reçoit les visites des Ministres responsables, du Bourgmestre de Bruxelles, Adolphe Max, et des condoléances affluent de toutes les régions d’Europe. La Reine Elisabeth se rend sur les lieux – dès le lendemain soir du drame – interrogeant les habitants, s’informant de leurs impressions et prodiguant des mots de consolation et de réconfort, après s’être rendue au chevet des blessés dans les différents hôpitaux de la région.

L’évolution de la situation

La Régie du Gaz informe la population que seuls, les quartiers de Rivage-en-Pot et de Garde-Dieu seront encore dépourvus temporairement de gaz. Le menuisier de la rue du Vieux Mayeur, Mr Léon Boverie qui avait été hospitalisé à Saint Laurent vient de succomber à ses blessures.

La réparation des dommages

Elles sont environ 200 familles à avoir subi des dommages matériels dus à l’explosion du pont, mais par surcroît occasionné de sérieux dégâts à bien des immeubles, dans un rayon de plusieurs centaines de mètres. Les assureurs alertés, ont pris contact entre eux et, en attendant le résultat de leurs concertations, des policiers s’enquièrent à domicile, des dommages occasionnés et leurs rapports sont concentrés dans les commissariats concernés. Tout semble indiquer que ce sera à l’un de nos Ministères qu’incomberont les frais de reconstruction ou de reconstitution de mobilier.

La marche des événements
    • 5 septembre 1939 : le déblaiement du pont commence, effectué par des civils. Les pompiers ont fourni le matériel adéquat.
    • 6 septembre 1939 : un cadavre est retiré des décombres entre les deux culées de l’ancien pont de pierre du Val-Benoit. Il s’agit du disparu Mr Joseph Lemme, de la rue de Kinkempois à Fragnée (aujourd’hui rue Auguste Buisseret).
    • 7 septembre 1939 : le corps d’un second disparu, Mr Beaudouin, de Sclessin, est retrouvé sous la culée de l’ancien pont où il s’était probablement réfugié.
    • 11 septembre 1939 : inauguration de la ligne Kinkempois – Fexhe. Venant de Bruxelles, est arrivée à Bierset, une automotrice rouge, dont le but était d’effectuer le voyage inaugural de la nouvelle ligne reliant Fexhe-le-Haut-Clocher à Kinkempois. On savait déjà que – depuis des années – cette voie était appelée à doubler le trafic des marchandises entre les points cités, pour dégorger le passage de ces trains sur la voie internationale Ostende-Herbesthal.

A bord de l’automotrice avaient pris place le Ministre des Transports Marck, MM. Parien, Président du Comité Permanent de la SNCB, Rulot, Directeur Général, Lemaire, Directeur des Voies, entourés de nombreuses autres personnalités. Vinrent les rejoindre à Kinkempois, MM. de Spirlet et de Wasseige, des Chemins de Fer du Nord Belge. C’est à 20 km/heure que s’est effectuée cette première reconnaissance du parcours.

Dès le début du mois, des équipes d’ouvriers et d’ingénieurs évaluées à 2.000 hommes ont entamé le travail de mise en service de cette ligne, afin de rétablir – après l’explosion du pont du Val-Benoit – une liaison par fer entre les rives droite et gauche de la Meuse. Ce travail – commencé le samedi 2 septembre 1939 – donnait la certitude que dès le jeudi 14 au soir, on pourrait envisager le passage des trains. Et effectivement, dès le vendredi matin, une voie complètement terminée permit le passage des convois de marchandises. Il n’y avait pas moins de 25 km de rails à mettre en place, à calibrer, à ajuster sur billes, etc., ce qui constituait un gros oeuvre dont on imagine difficilement l’ampleur et les difficultés.

Il n’en reste pas moins vrai que la seconde voie sera achevée dimanche soir, ce qui permettra le trafic des voyageurs, dès lundi prochain. La longueur totale de la nouvelle voie est d’environ 12 km. Son point de départ se situera à Voroux-Goreux où -dès à présent- vont commencer les travaux de construction de cette gare appelée à remplacer celle d’Ans. Le terminus se trouvant à Kinkempois, autre centre de formation, le trafic des marchandises -de et vers l’Est- reçoit de la sorte une solution dont les projets étaient établis depuis longtemps. Dès l’inspection des voies accomplies, les personnalités reprirent aussitôt la direction de Bruxelles, visiblement satisfaites.

    • 20 septembre 1939 : le passage des bateaux sous le pont du Val-Benoit est rouvert dès l’après-midi.
    • 26 septembre 1939 : les travaux de déblaiement imposent un arrêt de 3 jours à la navigation pour permettre de couper les poutrelles affaissées dans le fleuve.
    • 29 septembre 1939 : Mr Auguste Buisseret, échevin libéral de Liège, est intervenu auprès du Directeur Général de la SNCB pour examiner la situation de la gare des Guillemins et des commerces avoisinants. Celui-ci a déclaré que la nouvelle ligne de Fexhe serait affectée uniquement au trafic des marchandises et qu’un pont en bois allait être reconstruit pour faire passer les trains-express au Val-Benoit. Sauf crues anormales, il devrait être achevé fin décembre.
    • 6 octobre 1939 : les restes de Mr Joseph Dawance, de l’avenue de l’Observatoire, ont été retirés à hauteur de la rue d’Angleur, au quai de Rome.
    • 27 et 28 novembre 1939 : la crue, due aux pluies torrentielles sur la région a interrompu momentanément le trafic fluvial.
    • 6 décembre 1939 : la crue finie, la navigation a repris sur la Meuse.
      – 6 février 1940 : situation sans gravité pour la Meuse où la navigation avait été interrompue depuis le 10 janvier.
    • 15 février 1940 : le Sénateur Auguste Buisseret, échevin de Liège, interpelle le Ministre des Communications sur les lenteurs de reconstruction du pont du Val-Benoit. Le Ministre Delfosse annonce que les travaux de déblaiement sont terminés et que la construction du pont provisoire commencera dans quelques jours. Son délai sera de trois mois.
En conclusion

Le rédacteur du journal “La Meuse” de l’époque concluait sa relation des faits par cette phrase prémonitoire : “En voyant les ravages causés par l’explosion d’un pont miné et suite à des circonstances fortuites, on se demande ce qu’il resterait de la ville si – par nécessité militaire – tous les ponts devaient sauter !”

Il ne croyait pas si bien dire puisque le 11 mai suivant – au lendemain de l’invasion de notre pays – le Génie belge cette fois, faisait sauter tous les ponts -sauf deux sur le Canal Albert- qui s’avéraient vitaux pour la défense d’Eben-Emael, fort réputé le plus inexpugnable de l’Europe d’alors ! Et le pont du Val-Benoit, à peine reconstruit, sauta allègrement une seconde fois, ce jour-là.

Ajoutons – pour la petite histoire – que la Deutsche Reichbahn mit moins de temps à le reconstruire que nos compatriotes et que -quatre ans plus tard- malgré leurs raids diurnes successifs à haute altitude et leur “carpet bombing” les Forteresses volantes de l’U.S. Air Force ne parvinrent jamais à le couper définitivement, ni complètement y interrompre le trafic !

Le vieux pont d’Ougrée © chokier.com
Et ce 31 août, au vieux pont d’Ougrée ?

Remontons voulez-vous, le temps et revenons-en à ce jeudi radieux de 1939, mais à quelques kilomètres à peine en amont du pont du Val-Benoit dont il vient d’être longuement question.

Suivant de quelques secondes à peine la première déflagration, une seconde -tout aussi violente- ébranlait à nouveau la vallée, se répercutant d’échos en échos et prolongeant sinistrement la première. A son tour, le vieux pont d’Ougrée venait de se volatiliser ! Et les causes en étaient identiques : la foudre avait fondu sur les cordons reliés aux charges de dynamite des piles qui se déchiquetaient tandis que le tablier s’effondrait et que le plancher se consumait, parsemant le fleuve de leurs débris.

Là aussi, l’explosion lança à plusieurs centaines de mètres, tant sur la rive gauche que sur la rive droite et dans les rues avoisinantes, des pierres de tous calibres. Ce fut une véritable grêle qui s’abattit dans les carreaux des habitations qui volèrent en éclats ou cédèrent au déplacement d’air. Ici encore, l’affolement fut indescriptible !

L’armée, qui montait la garde au pont, et la police accoururent aussitôt pour interdire toute circulation, d’autant plus qu’une nourrice de gaz avait été défoncée et que l’on pouvait craindre à tout instant une autre explosion. Seuls le sang-froid et le réflexe des autorités permirent d’alerter à temps les services compétents qui coupèrent immédiatement l’arrivée de gaz.

Et les sentinelles ?

Sur la rive droite, le soldat Pierre Laurent, de Seraing, fut précipité à l’eau avec sa guérite. Comme il savait nager, il parvint tant bien que mal à se frayer un passage parmi les débris flottants et à regagner la rive où il fut secouru. Sur la rive gauche, le soldat Georges Boulanger, de Saint-Gilles, subit le même sort mais ne fut pas retrouvé.

“Au repos des bateliers”

Quai Vercourt, à la terrasse couverte du café de ce nom, avaient pris place quelques consommateurs. L’un d’eux, Mr Frédéric Ordignon, d’origine italienne, habitant rue de Tilleur, est tué sur le coup : tête et membres déchiquetés. Une jeune femme de 22 ans, Eva Martin , épouse Tihon, de Seraing, a la tête enlevée en partie. A l’intérieur, le patron, Mr Bertho et sa serveuse sont légèrement blessés par des pierres et des bris de verre. Un passant est également blessé, mais sans gravité.

A l’hôpital d’Ougrée-Marihaye

Presque toutes les victimes du pont d’Ougrée ont été transférées à cet hôpital tout proche où le personnel s’empresse à leur chevet. Elles sont au nombre de vingt-trois. Outre les blessés, on relève un mort : Mme Gustave Baes, batelière, dont le chaland est amarré au port de Renory et qui a succombé à une fracture du crâne provoquée par une pierre projetée par le souffle.

Les disparus

Le lendemain, vendredi 1er septembre, dès 8 heures, on apprend qu’une jeune fille de 18 ans accompagnée d’une fillette de 5 ans ont été vues aux abords du pont et n’ont pas encore réintégré leur domicile sérésien. Il s’agit de Mlle Yvonne Lejeune et sa nièce, la petite Lacroix, que le vieux père recherche. A également disparu, Mr Alphonse Meul, époux Jamar, rue de la Préfecture à Sclessin. Cet homme a quitté la veille son domicile vers 17 heures pour se rendre à la pharmacie, près de la gare d’Ougrée et, comme il devait attendre ses médicaments, a préféré se diriger malgré l’averse, vers le vieux pont.

Spectacle de désolation

Du vieil ouvrage d’art que l’on envisageait de démolir, il ne reste que les piles, fortement écornées et les deux extrémités pavées. Du tablier en bois, il ne subsiste rien. Un témoin oculaire -l’industriel bien connu, Mr Boinem, qui se trouvait rue Joseph Wauters, à l’entrée de son garage- se compare à un artiste de music-hall autour duquel des poignards viennent se ficher avec violence de part et d’autre, tant les projectiles les plus divers le frôlèrent, l’épargnant par miracle.

Quai Louva, un mur en béton de la nouvelle salle de spectacle est éventré. Au café Taskin, ce ne sont que débris de verre, murs troués et lézardés par des projections de pierres. Au sol, une flaque de sang achève de sécher car le patron a été blessé. Deux verres de bière à demi-pleins entourent une casquette. Ils ont été étonnamment épargnés par le déplacement d’air. Sous le pont, depuis le matin, un pêcheur attendait ses prises. Il s’est retrouvé indemne après l’explosion ! Dans la rue J. Wauters, deux pierres sont tombées sur le lit dans lequel deux enfants reposaient. Ils n’ont pas une égratignure !

Les recherches ont pris fin

Les courageux sauveteurs qui, depuis jeudi soir, ont pratiqué sans relâche des sondages dans le fleuve afin de retirer de celui-ci ses proies viennent de voir leurs recherches aboutir, hélas !

Dimanche 3 septembre, vers 9 heures, le corps de Mr A. Meul a été repêché à une centaine de mètres en amont du nouveau pont d’Ougrée. Le corps et le visage couverts de blessures étaient méconnaissables. Quelques instants plus tard – au même endroit – ils harponnaient le corps de Mlle Y. Lejeune. Tandis que ces deux dépouilles étaient acheminées vers la morgue, d’autres sauveteurs repéraient deux autres corps, coincés entre des groupes de chalands amarrés à la rive gauche. Il s’agissait de la sentinelle Georges Boulanger, affreusement mutilé, et de la petite Lacroix.

Il reste le fleuve

Dès le vendredi de la catastrophe, les Ponts et Chaussées ont entamé les travaux de désencombrement du lit du fleuve, en vue d’y établir des passes accessibles aux bateaux qui desservent les usines du bassin industriel. Le sondage préalable, le harponnage des fractions de pont, l’amarrage de celles-ci constituent une série d’opérations excessivement délicates. De plus, le fleuve effectuant une courbe à hauteur de l’ancien pont, rend la navigation plus difficile encore et oppose une sérieuse résistance au pilotage. Cette situation nécessite un gabaritage de la profondeur des passes dont la hauteur doit être d’au moins 2 mètres nonante.

Et le pont ?

Il est peu probable qu’en raison du nouveau pont érigé non loin de l’ancien, on reconstruise ce dernier. Si passage il devait encore y avoir, il ne serait plus utilisé que par les piétons et afin de permettre aux services du gaz et de l’électricité de tirer parti de ces raccordements. Mais ceci est une autre histoire et seul l’avenir incertain et lointain nous l’apprendra…

René MARECHAL

  • image en tête de l’article : Le pont du Val-Benoît © chokier.com

Brochure éditée par “ALTITUDE 125”, la Commission Historique et Culturelle de Cointe, Sclessin, Fragnée et du Bois d’ Avroy.


 

FRANSIS : Recueil de souvenirs et d’anecdotes sur Cointe autrefois (CHiCC, 1989)

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A travers tout
  • “1735 : Un moulin à vent existait à Cointe, d’après L. BETHUNE : “Il agitait ses longs bras lançant dans l’air ambiant un bruit monotone et plaintif “. De nos jours, j’ai pu constater que les maisons ouvrières n° 28 et 30, de la rue du Professeur Mahaim, ont été bâties sur les fondations de cet ancien moulin.
  • 1882 : Ouverture de l’Observatoire de l’Université de Liège, dans le parc privé, lui aussi de création récente. C’est là, au n°5 de l’avenue de Cointe, que j’ai vu le jour, en 1900.
  • 1883 : Existence d’une pièce d’eau, devant la chapelle Saint Maur (ce que l’on désigne sous le nom de “flot”, dans les villages wallons). Renseignement donné jadis par Mr FONTAINE, venu habiter rue des Cailloux, en 1883.
  • vers 1910 :
    • Il y avait encore une pompe publique d’eau alimentaire, à bras, à l’angle des rues St.Maur et du Puits. Une autre pompe publique fonctionnait, rue du Batty.
    • A partir de la pompe, la rue du Puits était une ruelle étroite, entre deux haies, sans aucune bâtisse. A hauteur du n° 46, elle avait sa largeur actuelle. Les maisons du côté droit existaient jusqu’à la rue du Loup. Les habitants de cette rue obtinrent plus tard, suite à une pétition, la dénomination “des Hirondelles”.
    • Dans le parc, au bout de l’avenue des Ormes, se situait l’hôtel des Thermes Liégeois qui, progressivement, se transforma en établissement de jeu. Le dimanche matin, il n’était pas rare de découvrir, aux environs, un suicidé qui, dans la nuit du samedi, avait vainement tenté de se refaire une fortune !
    • Au bout de l’avenue des Platanes, l’asile de la “Vieille-Montagne”, desservi par les sœurs de St. Vincent de Paul, orphelinat pour filles et home pour ouvriers pensionnés de cette usine. Plus tard, adjonction d’un ” Hôpital de Cointe”.
Cointe avant 1905

On m’a souvent posé la question : “Quid, avant la création du boulevard Kleyer et l’expo de 1905 ?”  J’avais, jadis, posé la même question à mes parents :

  • Les premiers mètres de la chaussée carrossable du boulevard de Cointe, sont établis sur la démolition d’une ferme de la place du Batty. Un peu plus haut, on a rasé un ensemble de bicoques vétustes, dénommé le “Chaffour”. Au premier tournant, face au n° 22 actuel, une autre ferme a été expropriée et les arbres des prairies, déracinés. En contrebas du “Point de Vue”, on peut encore se rendre compte de l’emplacement de la maison du jardinier BARET, un ami de mon père. Sur le monticule, en face, se situait un poste de police.
  • La plaine des sports fut créée sur des champs de blé dont on avait enlevé et emporté la couche de terre arable.
  • Le boulevard de Cointe n’a perdu son nom qu’après le décès de Gustave Kleyer, bourgmestre de Liège, de 1900 à 1921. La largeur actuelle de ses accotements, le boulevard ne l’a obtenue que plus tard. A gauche, en profitant de la disparition d’une épicerie et d’un café de la place du Batty, ainsi que d’un prélèvement sur les jardins de l’hôtel du Champ des Oiseaux – hôtel acheté par le couvent des Filles de la Croix pour en faire la Bibliothèque paroissiale et une école primaire pour filles.
  • A droite, l’actuelle voie de desserte pavée, devant les n° 4 et suivants, s’appelait “rue de Bourgogne”, sur laquelle venait s’accoler un étroit sentier qui traversait la plaine des sports et rejoignait l’autre partie de la rue de Bourgogne, qui a conservé son nom.
    Cette rue longeait ensuite l’enceinte du riche et important couvent de Bois l’Évêque. On peut lire -dans un ancien roman d’auteur belge- les noms des Demoiselles de la noblesse brabançonne, en pension chez les Dames du Sacré-Cœur à Cointe.
    On disait que la règle de l’ordre de ces religieuses prévoyait -à côté de l’ouverture d’un pensionnat pour filles fortunées- celle de classes primaires pour filles du peuple. Ce fut là, longtemps, la seule et unique école primaire de Cointe.
  • Les garçons devaient – eux – descendre à l’école communale de Sclessin ou aux Rivageois, à Fragnée. Malheureusement, en 1944, un gigantesque incendie
Vue de l’Exposition universelle depuis Cointe © users.belgacom.net/warzee
Cointe en 1905

L’ouverture à Cointe d’une annexe de l’Exposition Universelle de Liège 1905, nous vaut, chaque dimanche et jours fériés, la visite, à notre domicile, de la famille venant d’autres provinces. Le programme est, presque chaque fois, identique : une visite assez rapide de l’annexe à Cointe, après un repas vite expédié, une présence plus importante à l’exposition principale, sur la rive droite de la Meuse.

Papa -titulaire d’un abonnement- les accompagne souvent. Moi -bambin de cinq ans, exempt du droit d’entrée- je suis parfois autorisé à me joindre à la visite de Cointe. Malgré mon jeune âge, je constate que mes oncles, venant des villes, ont des goûts différents de nos cousins hesbignons. Les premiers s’attardent à parcourir l’ensemble des modèles de maisons d’employés construites boulevard Montéfiore en vue de l’Exposition. Ils s’intéressent au lâcher laborieux de montgolfières, contrarié par un vent violent.

Les Hesbignons discutent dans le stand agricole. J’ai gardé le souvenir d’une exhibition de volailles et d’un concours de vaches laitières, qui fut copieusement arrosé -ainsi que les spectateurs que nous étions- un orage ayant percé en plusieurs endroits, la toiture du pavillon !

Une troisième catégorie de visiteurs : les supporters, accompagnant les fanfares villageoises. A tour de rôle -selon un calendrier distribué longtemps à l’avance- elles viennent montrer leurs talents sur un kiosque dont je situe l’emplacement à l’extrémité des courts de tennis actuels n° 2 et 3, de la plaine des sports. Ce kiosque survécut de très nombreuses années à l’Expo.

Comme nous nous étonnions de voir un cousin non-musicien nanti d’un instrument de musique, il nous avoua que, pour avoir accès au kiosque, sa société devait compter 25 exécutants. Pour faire nombre, il accompagnait, avec une trompette dont l’embouchure était obstruée. Coup classique, paraît-il !

Pour se rendre d’une exposition à l’autre, nos visiteurs profitaient du tramway de Cointe qui a provisoirement reporté son terminus, du boulevard d’Avroy à l’actuelle place d’Italie, une des entrées de l’Expo.

Un jour de semaine, Maman attire mon attention sur -fait rare à l’époque- le passage d’une suite de voitures automobiles. Dans l’une, est assis un grand vieillard à barbe blanche : le roi Léopold II. Je présume qu’il se rend à l’entrée de l’Expo, à Fragnée, par l’avenue de Cointe, l’avenue de la Laiterie et l’avenue des Thermes (actuellement avenue Constantin de Gerlache).

Ceux de Saint-Maur

1909 : On apprend que la nouvelle paroisse de Cointe portera le nom “Notre-Dame de Lourdes”. De nombreux paroissiens diront : “Pourquoi pas Paroisse St Maur  ?” Afin d ‘apaiser ces mécontents, Mr le Curé de Gruyter dénommera “Ecole St.Maur”, l’établissement qu’il ouvre rue du Loup. La famille HAUZEUR, propriétaire du parc fait don de la prairie, entre la rue du Chera et l’avenue de Cointe, pour y bâtir la future église paroissiale. En attendant, Mr le Curé y érige une chapelle provisoire en blocs durs. Devant son insuffisance, elle sera ensuite agrandie en planches.

La guerre et de nombreuses années passent… Une destinée nouvelle se profile conséquemment dans le parc, suite à l’ élévation de la future église paroissiale en basilique. De nouveaux plans sont dressés. Ils contiennent aussi le remplacement de l’étang du rond-point de l’avenue de Cointe, par une majestueuse statue du Sacré-Cœur ! Tout semble enfin en ordre. Patatras ! Opposition de l’Institut d’Astrophysique ! Mr le Curé l’annonce dans son homélie, disant : “Je ne pensais pas que les étoiles étaient si près de la terre !” 

Après quoi, un projet éphémère d’église sur les terrains du couvent, à l’angle de la place du Batty et du boulevard Kleyer, précédera le déplacement vers le Château Tart, rue St Maur. Là, s’installent les Pères Dominicains qui vont gérer la paroisse pendant quatre ans.

Revenons en arrière… Au début du siècle, le nom de Cointe n’était guère connu parmi les couches laborieuses des communes industrielles des environs de Liège, mais bien Saint Maur. Quelques exemples, parmi d’autres :

    • A Sclessin, à l’école, pour nos condisciples , nous étions “ceux de Saint Maur”, en dépit de nos rectifications : “Cointe”.
    • A Ans, en 1908, au baptême d’un cousin, ma tante nous accueille “sa famille de Saint Maur”.
    • A Grâce-Hollogne, vers la même époque, les voisins de mon oncle ne situent pas Cointe, mais bien Saint Maur. Ce qui ne manque pas d’une certaine logique, si l’on tient compte de la succession de collines dominant Liège : Saint Maur – Saint Gilles – Saint Martin – Saint Nicolas – Sainte Walburge. Ces lieux et paroisses ont conservé leurs noms, sauf Saint Maur !
Entrée des troupes allemandes à Liège © sambre-marne-yser.be
Cointe, août 1914

Le jeudi 6 août 1914, matin, une batterie d’artillerie belge, venant de Tirlemont, débarque en gare des Guillemins et vient aussitôt installer ses canons dans la prairie, entre l’avenue des Platanes et la rue de Cointe (aujourd’hui, rue du Professeur Mahaim). Cette batterie  se retire, après l’envoi de salves en direction du Bois Saint-Jean, dernier épisode de la bataille du Sart Tilman. Au même moment, revenant de cette bataille nocturne, des piottes (soldats de ligne) isolés, se reposent rue du Chera. Passent également au trot en direction de Saint Gilles, des escadrons du 2ème Lanciers, régiment dont faisait partie le cavalier FONCK, premier soldat belge tombé en 1914-18, tué le 4 août, matin, à Thimister. Place du Batty, la croix de Genève flotte sur le couvent, que la Croix-Rouge a transformé en hôpital militaire, pour soigner les blessés belges de la Bataille de Liège.

Le dimanche 9 août 1914, vers midi, précédé d’une patrouille de uhlans, le 20ème d’infanterie aus Rügen (Rügen est une île de la mer Baltique ) arrive à Cointe. Ce régiment a fait partie de la 11ème division allemande, dont le but était de pénétrer à Liège, en forçant le passage, dans l’intervalle entre les forts de Fléron et de Chaudfontaine, dans la nuit du 5 au 6 août. Échec et repli de la division jusqu’aux environs de Herve, en commettant nombre d’atrocités sur le parcours, sous le faux prétexte que des particuliers auraient tiré sur la troupe !

Le 6 août, les troupes belges des intervalles reçoivent l’ordre du Général LEMAN de rejoindre le gros de l’armée du Roi Albert, sur la Jette et au-delà. Le chemin devient libre et le 20ème peut revenir. A Cointe, cela grouille de casques à pointe. Les gradés logent dans les villas du parc, la troupe campe dans les écoles, laiteries, salles de danse, locaux de l’Observatoire et les fermes.

Les soldats -des Poméraniens- reconnaissent l’incendie de fermes et le meurtre de civils, accusés d’avoir empoisonné les puits (ce qu’on leur a fait croire) ! Nous n’étions pas rassurés, malgré que des sous-officiers nous disaient en français : “Ici, la population est correcte, nous le serons aussi”. Les fantassins des plaines se plaignent du caractère montagneux de la région liégeoise et font la moue en apprenant que la frontière française est encore éloignée de plus de cent kilomètres. Ils se figuraient la Belgique comme un pays minuscule bien plus étroit à traverser !

La mission du 20ème chez nous est de creuser des tranchées dominant la vallée de la Meuse car son Etat-Major redoute une attaque française. Une deuxième ligne de tranchées est établie à l ‘extrémité des jardins de l’Observatoire. Cette tranchée est bientôt la cible des artilleurs belges du fort de Boncelles. Malheureusement, le tir est un peu court ! Plusieurs obus tombent -entre les avenues du Hêtre et des Platanes- sur la tribune et les vestiaires du terrain du Football Club Liégeois. On m’a dit que le tir de Boncelles fut un peu plus efficace aux environs de la rue des Mésanges, ce secteur étant occupé par le 39ème Prussien.

L’attaque française ne s’étant pas produite, nos hôtes indésirables nous quittent dans l’après-midi du vendredi 14 août, en partance pour la France. Immédiatement après leur départ, j’ai lu, sur la porte d’entrée de l’Observatoire, une affichette -signée par le Colonel, avec cachet du régiment- dont traduction grosso-modo : “Les militaires ne peuvent toucher les instruments scientifiques exposés dans les salles. Les contrevenants seront punis, ainsi que ceux qui dégraderaient le mobilier et les locaux.”

En ville, cela se déroula moins bien car le 20 août, nous apprenions que la soldatesque ivre avait brûlé des maisons et fusillé des civils, place de l’Université (actuellement place du XX Août) et rue des Pitteurs. Pendant ce temps, profitant de l’absence des autorités civiles, des habitants de Cointe se rappellent que leurs aïeux trouvaient la houille à fleur de sol. Bientôt, la plaine des sports du boulevard Kleyer est criblée de petites fosses de 60 centimètres, où l’on se procure gratuitement le charbon. Des mineurs de métier, à leur tour, creusent des galeries étançonnées , à deux mètres de la surface. Certains font même, sur place, le commerce de combustible ! La police, s’étant réorganisée avant la fin du mois, vient mettre fin à cette extraction illicite et obliger les profiteurs à remblayer.

Nous entrons alors dans une longue et pénible période, de plus de cinquante mois d’occupation… Aussi, est-ce avec une immense satisfaction que nous assistons, peu après l’armistice du 11 novembre 1918, pendant quelques jours, au reflux par le boulevard de Cointe (aujourd’hui Kleyer), la rue du Chera, l’avenue des Thermes, du Groupe III des armées du Feldmaréchal von Hindenburg. Hélas ! moins de 22 ans après, devenus Hitlériens, “ils” reviendront. Mais cela est une autre histoire que je laisse à un autre le soin d’écrire.”

Georges FRANSIS

  • image en tête de l’article : Cointe, le jet d’eau et l’Observatoire © Philippe Vienne

Brochure éditée par “ALTITUDE 125”, la Commission Historique et Culturelle de Cointe, Sclessin, Fragnée et du Bois d’ Avroy.


 

VIENNE : Une histoire liégeoise : Georges Nagelmackers et l’Orient Express (CHiCC, 2014)

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Le fondateur

“Je vais commencer par vous raconter ce soir une histoire d’amour. Il était une fois un jeune homme de bonne famille qui était amoureux mais les familles n’étaient pas d’accord car l’objet de sa flamme était sa jolie cousine. Ce jeune homme, Ingénieur des Mines de l’Université de Liège, s’appelait Georges Nagelmackers. Il était le fils d’une famille de banquiers bien connue à Liège. La famille possédait un château qui existe encore à Angleur, qui a été heureusement restauré par la SPI. Il abrite le siège de PME et des logements sociaux. En face, on trouve une ferme datant du XVIIe siècle. Et c’est au cimetière de la Diguette, un endroit peu connu, que j’ai retrouvé la trace de la famille grâce à cet imposant monument funéraire. On y voit que Georges Nagelmackers était né le 25 juin 1845.

Pour lui faire oublier son grand amour, on envoya le jeune homme âgé de 22 ans en voyage très loin, aux Etats-Unis. La Guerre de Sécession (1861-1865) venait de se terminer. Il se consola de son chagrin mais revint avec un autre amour : celui des trains. Il avait découvert là-bas les trains de luxe créés par monsieur Mortimer Pullman. Le chemin de fer, invention européenne, y avait pris un essor extraordinaire. C’était le moyen idéal pour conquérir les vastes espaces et amener le “progrès” dans le moindre recoin du pays. Les distances étant très longues, des trains comprenant des voitures-lits transportaient les voyageurs dans des conditions de confort encore inconnues. Le promoteur de ces trains s’appelait Georges Mortimer Pullman. En 1865 sa voiture prototype “Pioneer” avait transporté la dépouille du Président Lincoln ce qui avait fait sa renommée.

Georges Nagelmackers le rencontra. Il se mit en tête dès ce moment de faire la même chose sur le continent. Mais l’Europe n’est pas l’Amérique. Plus de 100 ans plus tard, l’union de l’Europe n’est pas encore complète, alors, imaginez à ce moment ! Elle était morcelée en de nombreux états, jaloux de leurs prérogatives. Un réseau de chemin de fer la parcourait, constitué de compagnies différentes, même au sein d’un seul pays, avec des normes techniques non encore unifiées. Cela impliquait parfois le changement de train aux frontières sans parler des contrôles douaniers. L’Europe ne réunissait pas les conditions idéales pour y faire circuler des trains de luxe la traversant de part en part. Pourtant, l’idée était exaltante et Georges Nagelmackers était enthousiaste. En attendant de réaliser son projet, il entra dans les affaires familiales qui comprenaient des mines et des hauts-fourneaux (Mines et Hauts Fourneaux de la Vesdre, Les Hauts-Fourneaux du Luxembourg, les Houillères réunies de Cheratte).

Le 20 avril 1870, il publia son “Projet d’installation de wagons-lits sur les chemins de fer du continent“. La guerre de 1870 commencera le 19 juillet ce qui retarda un peu son projet. Il entreprit alors une vaste croisade auprès des financiers d’une part, et auprès des hommes politiques d’autre part pour résoudre les problèmes administratifs. Georges Nagelmackers trouva très vite un appui auprès de notre roi Léopold II, tant sur le plan financier que diplomatique. Il fonda en 1872 à Liège  la “Compagnie de Wagons-lits“.  Au lieu d’un couloir central avec les lits disposés de chaque côté et séparés par des tentures, rappelez-vous le film de Billy Wilder en 1959 “Certains l’aiment chaud” avec Tony Curtis, Jack Lemmon et Marilyn Monroe, sa voiture comprenait des compartiments séparés.  Cette formule qui n’eut pas de succès aux Etats-Unis où les voyageurs trouvaient les marchepieds dangereux et préféraient pouvoir circuler dans le train pour plus de convivialité fit le succès en Europe où l’on préférait plus d’intimité. Une première autorisation d’exploitation fut accordée entre Ostende et Berlin, puis avec la France et l’Autriche pour faire circuler un train de Paris à Vienne. Ces premiers services commencèrent en 1873.

L’entreprise était financièrement difficile. L’investissement dans ces voitures était très important et les seuls revenus étaient les suppléments que chaque voyageur devait payer pour les utiliser. Les banquiers familiaux se retirèrent, jugeant l’entreprise trop risquée. Nagelmackers se tourna alors vers Londres, la principale place financière du monde et c’est là qu’il rencontra un Américain original, le colonel William d’Alton Mann, avec qui il s’associa. Celui-ci avait fait breveter une voiture-lits très luxueuse mais de conception opposée à celle de Pullman. Très vite apparut un nouveau matériel : les voitures comportaient des compartiments fermés mais ouvrant sur un couloir latéral et elles étaient montées sur bogies ce qui procure un confort inégalé.

L’association avec Mann ne dura pas et le colonel rentra aux Etats-Unis en 1875. Ses parts furent rachetées au moins en partie par Léopold II lui-même, qui permit aussi d’utiliser le lion héraldique de Belgique dans les armes de la nouvelle compagnie fondée le 4 décembre 1876 : “Compagnie internationale des wagons-lits” ayant son siège à Bruxelles. La première voiture-restaurant fut mise en service en 1882. Le 4 octobre 1883, le premier Orient Express qu’on appelle encore Train Express d’Orient quitte la gare de l’Est à Paris (anciennement gare de Strasbourg). Les voyageurs atteignent Constantinople mais au prix d’un transfert en bateau de Varna en Bulgarie à cette ville. Parmi les premiers voyageurs, Georges Nagelmackers a invité de nombreux journalistes qui ne manqueront pas de relater l’événement. C’est le premier voyage de presse ! Les commentaires sont élogieux. L’envoyé spécial du Times relate qu’il a pu se raser sans se couper ! Georges Nagelmackers démontrera le confort de la suspension en versant du champagne dans une coupe sans en renverser une goutte.

Pullman, implanté en Angleterre, tente aussi, sans succès, de s’établir sur notre continent car Nagelmackers a obtenu une exclusivité.  La concurrence cessera en 1908 lorsque Sir Davidson Dalziel rachetera la compagnie Pullman. Sa fille avait épousé René Nagelmackers, fils de Georges.

L’expansion

En 1884, la société est renommée « Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens ». Elle dispose de 22 accords dont 16 services réguliers, exploite 53 voitures dont 2 en Angleterre entre Londres et Douvres, en concurrence d’ailleurs avec Pullman. Le trajet de Paris à Vienne prend alors 27 heures 53’ soit 10 heures de moins que les meilleures relations ! Le 1er juin 1889, l’Orient Express rejoint enfin Constantinople sans changements, en 67h35 soit un gain de 14 heures.

Léopold II fut en quelque sorte le parrain de la compagnie, le premier à lui faire confiance. Il fut aussi un client assidu, passionné par le chemin de fer, mais aussi par la danseuse Cléo de Mérode (1875-1966), ce qui l’attirait souvent à Paris ! Différents itinéraires sont adoptés. Par exemple par Ostende, Cologne, Vienne. Mais aussi Calais, Paris, Strasbourg et Vienne, puis Budapest, Belgrade, Sofia. En 1906, le tunnel du Simplon est ouvert, le plus long d’Europe : 19 km, ce qui donnera le Simplon Orient Express par Venise mais pour aller plus loin, l’Autriche impose le passage par Vienne. Nous ne les détaillerons pas tous mais une ligne jusqu’à Saint-Pétersbourg est aussi ouverte et les trains de luxe circulent jusqu’à Moscou pour rejoindre le transsibérien.

Théo Van Rysselberghe : “Portrait de Georges Nagelmackers” © christies.com

Ce portrait de Georges Nagelmackers a été peint par Théo Van Rysselberghe en 1897, donc à l’âge de 52 ans. Une dernière satisfaction lui fut donnée d’admirer, à l’exposition internationale de Liège, la millième voiture-lits et la voiture-restaurant n°999. Il mourut le 10 juillet 1905 donc à 60 ans à Villepreux-les-Clayes (78450) près de Paris, où il avait élu domicile.

La première guerre mondiale

En août 1914, le trafic est interrompu en grande partie par la guerre et du matériel est réquisitionné car le chemin de fer est, à l’époque, le seul moyen pour déplacer rapidement les troupes et le matériel. L’Allemagne a d’ailleurs créé sa propre compagnie : la Mitropa, en  utilisant momentanément le matériel pris à la Cie des Wagons-lits. Le siège de la compagnie est transféré de Bruxelles, occupée, à Paris où il restera. Un autre avatar survient en 1918 : les Bolcheviques nationalisent les propriétés de la Compagnie des Wagons-Lits en Russie (161 voitures-lits, les ateliers, hôtels, etc.).

Une voiture-restaurant va s’illustrer pendant cette période : la 2419D. Une voiture typique de cette époque : caisse en bois de teck verni sur châssis métallique monté sur bogies. Elle a été choisie par le Maréchal Foch avec quelques autres pour y installer son quartier général mobile. Le 11 novembre 1918, l’armistice y fut signé dans la clairière de Rethondes près de Compiègne et la voiture resta exposée dans la cour des Invalides à Paris sous les intempéries ce qui la détériora. Elle fut restaurée en 1927 grâce à l’intervention d’un mécène américain, Arthur Flemming. En 1940, l’histoire se renouvela en sens inverse et Hitler fit emmener la 2419 à Berlin comme trophée. En 1945, elle fut détruite. Deux version s’opposent. Hitler aurait donné l’ordre de la faire sauter afin qu’elle ne serve pas de cadre à son humiliation, ou elle aurait été incendiée accidentellement. La France tenait cependant à ce souvenir et on retrouva en Espagne une voiture presque identique que l’on transforma comme l’originale et que l’on replaça dans son musée.

L’âge d’or

Après la Première Guerre Mondiale, les services reprennent mais beaucoup de matériel a été détruit. Le traité de Versailles prévoit que dorénavant l’Orient Express passera par l’Italie grâce au tunnel du Simplon, récemment ouvert. Il passera par Venise pour rejoindre ensuite Belgrade et son itinéraire habituel. En effet, les alliés souhaitent éviter la traversée de l’Allemagne et de l’Autriche, pays jugés peu sûrs. Ils n’avaient pas tout à fait tort…

Les années 20 voient l’acquisition d’un matériel résolument moderne : les voitures sont entièrement métalliques. Une nouvelle livrée apparaît sur les voitures : bleu nuit rehaussée de filets jaunes. Elles circulent d’abord sur la liaison Paris-Côte d’Azur ce qui donnera à ces trains le surnom de “train bleu“. On voit apparaître une décoration particulièrement  luxueuse : des décors de Lalique, des marqueteries splendides. C’est l’âge d’or de ces trains de luxe qui attirent une clientèle avide de plaisir. Ce sont les Années Folles. Le réseau s’étend vers la Turquie et jusqu’au Caire. En 1936, on peut voyager de Londres à Paris et plus sans changer de voiture grâce au Night Ferry qui transporte le train sur la Manche.

Quelques anecdotes

Lors du premier voyage, la reine Elisabeth de Roumanie, poétesse connue sous le nom de Carmen Sylva, a tenu à lire ses œuvres aux visiteurs qui faisaient halte dans son pays.

En juillet 1896, le père de Nubar Gulbenkian dût se sauver des persécutions des Turcs contre les Arméniens. Il enroula son fils dans un tapis pour le cacher et prendre le train. C’est ainsi qu’il survécut et devint un magnat du pétrole. Imaginez la surprise des voyageurs en entendant le tapis émettre des vagissements !

Le roi Ferdinand de Bulgarie adorait les trains. Alors, quand l’Orient Express arrivait sur son territoire, il le faisait arrêter et exigeait de monter à bord de la locomotive et de conduire lui même. Il aimait la vitesse et dépassait largement les limites, malgré les protestations de l’équipe de conduite. Pour éprouver le matériel, il s’amusait à freiner brusquement ce qui n’était pas du goût des passagers du restaurant ni du personnel. Que de crèmes renversées ! Les protestations affluaient sur le bureau de Nagelmackers. Finalement, le roi promit de se contenter de faire accrocher sa voiture personnelle au train et Georges Nagelmackers reçut une décoration.

Basil Zaharoff, le célèbre trafiquant d’armes que Hergé a pris comme modèle dans “L’Oreille cassée”, s’est épris de la duchesse de Marquesa que son mari tentait d’étrangler.

Une nuit, en Turquie, des brigands ont pris les passagers en otage contre une rançon de cinquante mille dollars.

Quelques objets ont été oubliés dans le train : un portefeuille contenant 7.000 $, un gros diamant, un soutien-gorge en dentelle grise.

L’Orient Express fut bloqué quelques fois par la neige mais en février 1929, cela dura pendant plusieurs jours, non loin d’Istanbul. Malgré les efforts du personnel, il faisait froid dans les voitures (-25° dehors) car il fallait économiser le charbon. Les provisions diminuaient et deux passagers courageux offrirent de partir à la chasse. Ils revinrent avec… un loup. Enfin, la locomotive chasse-neige apparut et le train repartit. Alors qu’on tendait aux passagers un registre pour y consigner leurs réclamations, ceux-ci exhibèrent un document signé de tous attestant que le personnel du train a fait tout son possible pour atténuer leur sort :

“Nous voyageurs du Simplon-Express N° 3 le considérons comme notre devoir de certifier que le personnel du train resté bloqué dans la neige à Tcherkesekeuy durant cinq jours et par un temps épouvantable a fait des efforts surhumains afin que la commodité des voyageurs ait à souffrir le moins possible. Au risque de leur santé, ils sont montés sur les toits des wagons en pleine tempête afin de les approvisionner d’eau, et, manquant de charbon, tous, sans exception, ont fait leur devoir jusqu’au bout. Tcherkesekeuy, 5 février 1929.”

Le 12 septembre 1931, un fasciste hongrois fit sauter un viaduc. La locomotive et neuf voitures furent précipitées dans le ravin. Une vingtaine de personnes furent tuées sur le coup et  cent-vingt grièvement blessées.

Roger Broders, affiche pour le Simplon-Orient-Express (1921) © elbe.paris
La deuxième guerre mondiale

Mais la Deuxième Guerre Mondiale arrive et provoque de nouveau une interruption de la plupart du trafic international. Les voitures sont de nouveau réquisitionnées par les différentes armées.

Le 13 novembre 1945, le Simplon-Orient–Express reprend son service de Paris à Istanbul. A côté des voitures-lits sont attelées des voitures ordinaires. Petit à petit, ce train perd son caractère de train de luxe. Nous passerons sur les difficultés créées par le rideau de fer, les troubles en Grèce avec les partisans communistes, qui aboutiront au “régime des colonels“. Par contre, des liaisons sont créées avec Oslo et Stockholm. De nouvelles voitures sont quand même construites pour remplacer celles détruites par la guerre. Mais la clientèle s’est tournée vers les lignes aériennes qui desservent maintenant toutes les grandes villes avec une rapidité que ne peut concurrencer le train.

Il faudra attendre l’arrivée du TGV, mais c’est une autre affaire. Le 19 mai 1977 a lieu le dernier départ effectif de la voiture-lits Paris-Istanbul. Pour la petite histoire, au lieu de partir à 23h56, il ne partira qu’à 0h20, donc le 20 mai ! Voilà pourquoi les dates diffèrent selon les auteurs… Un problème que connaissent bien les historiens.

La fin et la renaissance

Le matériel ancien n’est plus adapté aux normes techniques et à l’augmentation de la vitesse, il est trop lourd et trop luxueux pour les besoins actuels. Quelques voitures avaient été cédées aux chemins de fer espagnols et portugais qui les utilisèrent jusque dans les années 1970. Mais déjà en octobre 1976 un Suisse, M. Albert Glatt (Intraflug), avait réuni quelques voitures historiques (restaurant, bar, salon) et organisait des voyages au départ de Zurich. Il arrivait même à faire tracter son train par des locomotives à vapeur dans les pays de l’Est ou en Turquie. On donna le nom de Nostalgie-Orient-Express à ce train.

En octobre 1977, cinq voitures de l’Orient-Express furent mises en vente à Monte-Carlo. Ces voitures intéressaient des collectionneurs, forcément fortunés, dont l’Anglais James B. Sherwood qui en acheta deux, pour le prix respectivement de 320.000 et 300.000 francs français. Son idée était de reconstituer l’Orient-Express car il avait racheté l’hôtel Cipriani à Venise. Cette entreprise allait coûter onze millions de livres, ce qui a nécessité la création d’une société et la recherche de capitaux. Tout d’abord, il dut se mettre à la recherche d’autres voitures permettant de reconstituer le train.

De plus, il voulait non seulement faire revivre la rame continentale, mais aussi celle, constituée de pullmans, qui reliait Londres à Folkestone. Ses recherches le menèrent partout en Europe. Les voitures retrouvées, il fallait ensuite les restaurer. Une dizaine le furent dans les ateliers de la Compagnie des Wagons-Lits qui existaient encore à Ostende à Sas-Slijkens, les bâtiments ont été détruits seulement en 2013. Les autres voitures sont été restaurées en Allemagne. Et déjà le 25 mai 1982, le nouveau Venise-Simplon-Orient-Express était inauguré à la gare de Victoria à Londres. Il circule maintenant 2 fois par semaine.

La Compagnie Internationale des Wagons-Lits, et du Tourisme depuis 1967, existe toujours. Elle assure des prestations de restauration sur les TGV. Comme l’indique son nouveau nom, elle s’intéresse aussi à l’hôtellerie. Elle avait déjà repris Cook Travel Company avant la guerre. Après une OPA mouvementée, elle est entrée en 1990 dans le groupe ACCOR qui comprend notamment les hôtels Mercure, Novotel, Etap, la location de voitures Europcar, les agences de voyage Carlson Wagonlit Travel,…

De son côté, la CIWLT a également voulu préserver un souvenir de son passé prestigieux. Stimulée sans doute par le succès du VSOE, elle a restauré un train de 8 voitures qui circule maintenant sous le nom de Pullman Orient Express. On peut le louer : si le cœur vous en dit… La compagnie vend également des copies de vaisselle et de différents objets en rapport avec les célèbres trains.

L’Orient Express dans la littérature et le cinéma

Ce train mythique a inspiré les écrivains et les cinéastes :

  • Maurice Dekobra a écrit “La madone des Sleepings”
  • Graham Greene a écrit “Orient-Express” en 1932. Il est d’ailleurs passé par Liège au cours de son voyage et il a été fasciné par les lueurs des hauts-fourneaux.
  • Agatha Christie a rédigé son célèbre “Le crime de l’Orient-Express” en 1934.
  • Alfred Hitchcock a réalisé en 1938 son film “The lady vanishes” (“Une femme disparaît”) à bord d’une voiture de l’Orient-Express.
  • James Bond (Sean Connery) a pris ce train en 1963 pour “Bons baisers de Russie”.
  • En 1974, Sidney Lumet a tourné “Le crime de l’Orient-Express”.

D’autres auteurs ont été inspirés par ces trains prestigieux. On ne peut les citer tous. Il est certains qu’ils emportent une part de mystère, et de nostalgie à l’égard d’une vie luxueuse qui n’était certes pas celle de tout un chacun à l’époque mais qui fait encore rêver aujourd’hui. C’étaient des années où on prenait encore le temps de vivre. N’est-ce pas cela le plus précieux ?

Depuis décembre 2003, la SNCB a supprimé tous ses trains de nuit, ainsi que la restauration et même le mini-bar à bord de ses trains. Ainsi prend tristement fin, en Belgique uniquement, une aventure qui a révolutionné le monde ferroviaire 127 ans plus tôt. Les hommes d’aujourd’hui ne sont-ils plus capables de sauvegarder, tout en le faisant évoluer si nécessaire, le patrimoine que leur ont légué les générations précédentes ? Il faut des années pour faire un arbre et 5 minutes pour le couper…

Mais je ne veux pas finir sur une note pessimiste. Le TGV a pris le relais. Ce n’est plus le luxe d’antan mais quand même un certain confort et un nouveau luxe, signe des temps : une vitesse incomparable ; il ne faut que 5 heures pour rallier Marseille.”

Robert VIENNE

 

  • Illustration en tête de l’article : L’Orient Express © vanity fair.fr

Bibliographie

  • “L’aventure des chemins de fer”, texte de Jean des Cars, éditions Duponchelle
  • “La grande aventure des chemins de fer”, par Alain Frerejean, éditions Flammarion
  • “L’âge d’or du voyage en train”, par Patrick Poivre d’Arvor, éditions Chêne
  • “Venise Simplon Orient Express”, par Shirley Sherwood, éditions Payot
  • “La Compagnie des Wagons-lits“, par Coudert, Knepper et Toussirot, édition La Vie du Rail

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Robert VIENNE a fait l’objet d’une conférence organisée en 2014 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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