Dès potron-minet ou dès potron-jacquet ?

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[LALANGUEFRANCAISE.COM, 28 avril 2023] De nos jours, l’expression dès potron-minet est tombée en désuétude. Pourtant, cette manière de désigner le matin est particulièrement amusante — sans doute plus encore que vous ne l’imaginez, comme vous le découvrirez à la lecture de ces lignes. En effet, si le “minet” fait, sans surprise, référence à notre ami le chat, le “potron” dont il est question ici revêt une étymologie beaucoup plus graveleuse. Mais, ne faisons pas durer le suspense : nous vous détaillons dans cet article la définition, l’origine et l’usage de l’expression “dès potron-minet”.

Définition de l’expression “dès potron-minet”

“Dès potron-minet” signifie “de bon matin”. On nomme, par cette expression à la sonorité singulière, la période qui suit directement le lever du jour. D’un registre familier, la formule n’est que rarement neutre : elle comprend souvent un sous-entendu moqueur ou péjoratif. Ainsi, la personne qui se lève “dès potron-minet” est considérée comme trop matinale ; un rendez-vous organisé “dès potron-minet” est jugé trop contraignant, et ainsi de suite.

La langue française comporte de nombreuses équivalences pour désigner ce moment de la journée. Citons les tournures très poétiques “aux aurores”, “au point du jour” ou “aux premières lueurs” ; la plus pragmatique “au pied du lit” ; ou les plus amusantes “au chant de l’alouette”, “au chant du coq” et “avec les poules”. Mais pour briller en société, c’est l’adverbe rare “matutinalement” que nous vous conseillons d’employer !

Comme souvent, les traductions de cette expression dans les langues étrangères sont assez savoureuses : si l’on retrouve en portugais du Brésil l’image de la chanson du coq (“ao cantar do galo”), on utilise en anglais une locution beaucoup plus cocasse, “at sparrow’s fart”, qui signifie littéralement… “au pet du moineau”. Vous trouvez cela grivois ? Attendez de connaître l’étymologie de notre “potron-minet” avant de vous moquer !

Origine de l’expression “dès potron-minet”

En effet, les origines de l’expression “dès potron-minet” sont assez peu glorieuses ! La formule remonte au XIXe siècle ; si sa définition est restée la même, sa forme a évolué au fil des années, avant de se figer à l’aube des années 1900.

Vers 1640, on trouve d’abord dans le patois bourguignon l’expression “pauitrou-jaiquai”, qui donne en ancien français “le poitron-jacquet”. Le terme est constitué du mot latin posterio, dont la traduction française “postérieur, arrière-train” est assez transparente ; et de “jacquet”, un vocable populaire pour dénommer l’écureuil. Vous l’aurez compris, au sens littéral, “le poitron-jacquet” signifie “le derrière de l’écureuil” !

Plus tard, le petit rongeur laisse sa place à un chat, ou un “minet”, et l’expression désignant le matin devient “dès potron-minet”, soit “dès que l’on voit le derrière du chat”. Pourquoi donc tous ces noms d’animaux ? Tout comme le coq, l’alouette ou les poules évoquées précédemment, l’écureuil et le chat sont considérés comme très matinaux : ils se lèvent en même temps que le soleil, déjà pleins d’énergie et de vivacité. Quant à la référence à leur arrière-train, gageons qu’il s’agit-là d’une touche de poésie à la française !

Exemples de l’usage de l’expression “dès potron-minet”

Katsu, en se réveillant dès potron-minet, arrachait la bonne, Miyo, à son sommeil pour qu’elle fit cuire du riz. Il restait quatre ou cinq sacs de riz clandestin, datant de la période de la guerre, quoique un peu entamé par les bestioles.

Yukio Mishima, Une matinée d’amour pur

J’annonce dans cette froide nuit : “La tombe n’est pas le but !” et ne reçois nulle réponse, pas même un écho qui me renverrait ce fait à la face. Mais ma bouche ne pivote pas bien et mes paupières s’alourdissent à mesure que vient la torpeur d’acier, je m’endormirais volontiers si je pouvais seulement être sûr que ma raison me reviendra dès potron-minet (…)

Joanna Scott, La Mouche la plus belle

Ils avaient pris un hôtel en ville avant de se rendre, dès potron-minet, au domicile du suspect. Le lieutenant de garde, au Quai des Orfèvres, avait trouvé tous les renseignements à son sujet. Son adresse. Son état civil. Son casier judiciaire.

Franz-Olivier Giesbert, L’Abatteur

Je m’assois à un bout de la table et trace La Belle au bois dormant, Le Lac des cygnes. Ça en fait toute une page. Cependant, les nombreux tchékistes qui tournicotent autour de moi (ils iront moucharder demain dès potron-minet) de redoubler d’attention ; sûr et certain qu’elle est en train de livrer le plan de nos usines d’armement. Mais que puis-je faire ? Leur dire que je suis illettrée, que je ne sais pas écrire ?

Maïa Plissetskaïa, Moi, Maïa Plissetskaïa

Un article de Nicolas Lafarge-Debeaupuis


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Plus de presse en Wallonie-Bruxelles…

DEHAYBE, Roger (1942-2023)

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Le liégeois Roger Dehaybe (né en 1942 à Saint-Ghislain), ancien n°2 de la francophonie dans le monde, est décédé ce vendredi à l’âge de 81 ans. Durant toute sa vie, ce romaniste liégeois se battit inlassablement pour faire rayonner la langue française dans le monde.

[AGORA-FRANCOPHONE.ORG, 13 avril 2021] Rencontre chaleureuse et éclairante avec Roger Dehaybe qui a tenu les rênes du Commissariat général aux relations internationales de la Communauté française de Belgique avant de prendre celles de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie. Un itinéraire de plus de 20 ans, retracé dans son livre Le choix de la Francophonie, un parcours belge et international paru aux Éditions du Cygne, qu’il évoque, avec nous, en toute franchise.

Nouvelles de Flandre : Parlez-nous de vous…

Roger Dehaybe : Je tiens tout d’abord à vous remercier de m’accueillir dans vos colonnes. Je connais votre association et je sais les efforts que vous développez pour permettre à nos compatriotes francophones de Flandre de, tout simplement, ne pas renoncer à leur culture ! Un Liégeois est bien placé pour comprendre cet attachement à notre langue ! Notre grande fête : le 14 juillet ! Je me suis intéressé très tôt à la langue française et je me destinais à son enseignement ; j’ai donc suivi des études de philologie romane. Durant mes études à l’université de Liège, j’ai fondé avec quelques amis une compagnie théâtrale : le théâtre de la Communauté, toujours actif et initiateur dans notre Communauté française du théâtre action.

N.d.F. : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la Francophonie ?

R.D. : Militant politique, j’ai participé à plusieurs cabinets ministériels. Culture, Éducation, Economie aux cotés de Pierre Falize, de Jacques Hoyaux, de Jean-Maurice Dehousse. Ces fonctions m’ont mis très tôt en contact avec d’autres pays francophones et m’ont fait découvrir la créativité de bien des sociétés en même temps que les difficultés de bon nombre de pays du Sud. J’ai perçu aussi l’intérêt pour les francophones belges de nouer des partenariats avec d’autres peuples francophones et perçu la force du multilatéral fondé sur une communauté linguistique pour apporter des réponses collectives aux grands défis, diversité culturelle, éducation, protection des minorités… J’ai découvert aussi que mon pays, la Belgique, était sans doute le seul pays du monde à considérer la langue française non comme une langue internationale mais comme une langue régionale !

N.d.F. : Quelles sont les principales étapes de votre parcours professionnel ?

R.D. : Après mes études, j’ai travaillé 2 ans à la RTBF Liège et ai contribué à la mise en place de Radio-Télévision Culture (RTC) aux côtés de Robert Stéphane. Ensuite, j’ai occupé des fonctions dans l’administration de l’Université de Liège, notamment celle de directeur de résidence universitaire et responsable des relations extérieures. J’ai été le directeur de cabinet de Jean-Maurice Dehousse, Ministre de la Culture en 1977 et en 1980 à la Présidence du gouvernement de la Région Wallonne. C’est durant cette période que j’ai noué avec Charles-Etienne Lagasse, directeur de Cabinet de François Persoons, des liens très forts qui me permettront de mieux comprendre les problèmes rencontrés par les Francophones de Bruxelles. En janvier 1983, Charles Etienne sera un de mes adjoints pour mettre en place l’instrument de politique extérieure des francophones de Wallonie et de Bruxelles, le CGRI aujourd’hui WBI. En 1997, lors du Sommet francophone de Hanoï, j’ai été nommé administrateur général de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (aujourd’hui l’OIF) aux côtés successivement des Secrétaires Généraux Boutros-Boutros Ghali et ensuite, le Président Abdou Diouf, jusqu’en 2006, où j’ai été désigné Commissaire de l’année Senghor.

N.d.F. : Quel est votre meilleur souvenir au cours de votre carrière ? Et le pire ?

R.D. : Le meilleur souvenir est, certainement, la participation de la Communauté française de Belgique au premier Sommet de la Francophonie, en février 1986. Une reconnaissance formidable de notre capacité internationale. Avec Lucien Outers, notre premier Délégué général à Paris, nous étions parvenus à convaincre les partenaires, surtout la France pays hôte, de nous accueillir sur un pied d’égalité avec les États. À l’époque, une vraie première et un statut que nous enviaient nos amis québécois. Mon principal regret, sans doute mon incapacité à convaincre les autorités de la Francophonie de réunir au moins une fois les représentants des 32 gouvernements des entités ou pays qui ont la langue française comme une de leurs langues nationales. A mon sens, ils devraient constituer le noyau dur de la Francophonie. Il est donc urgent de faire le point sur leurs difficultés et leurs besoins.

N.d.F. : Lors de nos reportages, plusieurs intervenants ont pointé du doigt le manque de visibilité de la Francophonie. Que leur répondez-vous ?

R.D. : Selon moi, c’est le message confus de la Francophonie qui est la cause de ce manque de visibilité. Comment faire comprendre que cette Francophonie réunit des pays qui, de fait, n’ont aucun rapport à la langue française ? Comment faire prendre au sérieux le discours de la Francophonie sur l’égalité femme-homme alors qu’elle accepte en son sein le Qatar comme associé et comme observateurs la Hongrie, qui refuse de signer la convention d’Istanbul contre la violence faite aux femmes, et la Pologne, qui interdit l’IVG ? Comment convaincre que la Francophonie est un acteur de la démocratie politique quand on voit la situation confuse de tant de pays membres ?

N.d.F. : Dans votre livre, vous expliquez que, suite à la réduction des moyens disponibles, la Francophonie doit cesser de se disperser et s’attacher à des chantiers prioritaires (p. 153). Quels sont ces chantiers prioritaires ?

R.D. : En 2007, le budget disponible pour les programmes de coopération s’élevait à 52 millions d’euros (sans les salaires). En 2021, ce budget n’est plus que de 22,5 millions. Un montant dérisoire quand on connait les besoins des pays membres et le nombre de projets envisagés ! Il est donc plus qu’urgent de resserrer les actions sur des programmes pour lesquels la Francophonie peut apporter effectivement une plus-value. Donc, à mes yeux, principalement tout ce qui touche à la langue française et à la diversité culturelle, à l’éducation…

N.d.F. : Qu’apporte la Francophonie à la Fédération Wallonie Bruxelles et vice versa ?

R.D. : La Francophonie est un espace extraordinaire de coopération pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. Des liens étroits ont pu se nouer avec d’autres gouvernements francophones mais aussi, et c’est également important, entre des institutions, des associations, des créateurs. La Fédération est reconnue comme un partenaire prioritaire, non seulement à cause de son apport financier (la FWB est le 3ème bailleur de la Francophonie après la France et le Canada) mais surtout, à cause du haut niveau de ses experts impliqués dans les programmes de l’OIF et des opérateurs. Par exemple, nos universités sont bien actives au sein de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) et la RTBF est une des chaines fondatrices de TV5 Monde. Notre participation à la Francophonie aux côtés de grands États constitue également au plan interne, une affirmation politique forte de notre capacité internationale.

N.d.F. : Comment voyez-vous l’avenir de la langue française dans le monde ?

R.D. : Je ne suis pas pessimiste car la démographie peut nous rassurer. L’Afrique francophone connaît une progression aussi rassurante pour la langue qu’interpellante pour le développement. Les chiffres en attestent. C’est, effectivement, la démonstration de l’utilité du français pour le développement de ces pays qui les convaincra de garder cette langue commune en partage. L’avenir de notre langue est donc lié à la place que nous parviendrons à lui garder pour le développement du Sud. Mais la langue française doit aussi apparaître pour l’ensemble du monde, Nord comme Sud, comme porteuse de modernité. Je me réjouis, à cet égard, que le Sommet de 2021 (Tunisie) soit consacré à la question du numérique, de l’accès et des contenus en français. Nous devons aussi tirer les vraies conséquences du Brexit car c’est l’anglais qui se positionne en concurrent de notre langue et je comprends mal pourquoi certains entendent maintenir une place aussi importante à l’anglais dans les échanges européens.

N.d.F. : Que pensez-vous de l’isolement de la minorité francophone en Flandre ?

R.D. : Une situation regrettable et qui devrait davantage mobiliser les francophones. La Francophonie prétend exprimer son soutien aux peuples francophones. Ainsi, les minorités francophones de bien des pays bénéficient de la solidarité active de l’OIF et de ses opérateurs. Par exemple, les 3.000 francophones de Sainte Lucie, les 80.000 du Vanuatu, les 120.000 de Chypre, les 128.000 de Lituanie… Mais qui se préoccupe des 310.000 francophones de Flandre ? Ne peut-on imaginer que la Francophonie apporte son soutien à l’APFF afin que celle-ci puisse aider des associations situées en Flandre pour poursuivre leurs activités en français ? Sans doute, vu notre organisation politique interne, la Fédération Wallonie Bruxelles ne peut intervenir pour des activités qui se situent sur le territoire de l’autre Communauté mais, puisque la Belgique fédérale est membre de la Francophonie elle devrait soutenir une telle démarche !

Anne-Françoise COUNET, Nouvelles de Flandre


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Plus de presse en langue française…

Terme français (presse) : marronnier

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[DICO-PRESSE.COM] Dans l’argot journalistique, le marronnier est un article ou un reportage qui revient de façon cyclique. Les sujets traités dans les marronniers sont la plupart du temps d’actualité froide et dont l’intérêt d’un point de vue informatif est limité. Quelques exemples de marronniers fréquents : les prix de l’immobilier, la rentrée des classes, le salaire des cadres, les francs-maçons, etc. Il existe toutefois quelques marronniers au contenu informatif avéré et susceptibles de permettre une analyse inédite d’un fait. On donnera comme exemple : les changements de certains prix au 1er janvier, la modification d’un taux d’usure.

[LES CAHIERS SCIENCE & VIE n°207, 2022] […] Au XIXe siècle, tous les 20 mars, les  premiers bourgeons d’un marronnier du jardin des Tuileries faisaient chaque année les gros titres des journaux… pour annoncer le printemps sans grand risque de se tromper.

Au pied de cet arbre, l’anecdote croise la grande histoire. Deux gardes suisses, tués lors de la prise des Tuileries en 1792, furent inhumés à ses pieds et l’arbre devint alors un lieu de recueillement secret de royalistes en mal d’Ancien Régime.

À la naissance du descendant de Napoléon 1er, un 20 mars 1811, les canons tonnent la bonne nouvelle tandis que le marronnier des Suisses éclate de bourgeons. Il prend alors le nom de marronnier du Roi de Rome qui sera à nouveau sous la Restauration et la monarchie de Juillet, lieu de recueillement, mais pour les grognards cette fois.

Une star donc, dont la floraison fera désormais l’objet de papiers récurrents et donnera aux journalistes en mal d’inspiration un sujet tout trouvé, réutilisable à date fixe. Le marronnier de presse était né. […]

Philippe Bourbeillon

Dessin de Marcel Capy © BnF

C’est le printemps ! parole de marronnier des Tuileries

[LEFIGARO.FR, 18 mars 2016] “Le marronnier du 20 mars fut longtemps la providence des journalistes en mal d’informations ; il annonçait le printemps comme le zouave du pont de l’Alma annonce la crue” dixit Le Figaro du 20 mars 1928. L’origine du terme marronnier dans le journalisme provient donc de cet arbre fameux par sa précocité et dont toute la presse parisienne se fait l’écho. C’est une des légendes parisiennes populaires du XIXème siècle. Feuilletons Le Figaro et retraçons les différentes explications qui ont rendu cet arbre célèbre.

La première hypothèse de cette précocité remonterait à la période révolutionnaire :

On l’a remarqué souvent : la végétation est plus drue et plus belle aux lieux qu’ont marquées de grandes hécatombes ; et la légende n’attribue-t-elle pas la précocité du marronnier du 20 mars à l’enfouissement autour de ses racines des heureux Suisses du 10 août ?

Le Figaro du 14 juillet 1885

Il s’agit d’un épisode de la terreur en août 1792. Les Tuileries sont attaquées par les révolutionnaires. Les 950 gardes suisses fidèles au roi sont massacrés et enterrés sous les branches d’un marronnier. Les années suivantes, l’arbre fleurit prématurément. Bien qu’un arbre n’ait pas d’opinion politique, il passe alors pour royaliste.

Mais les partisans de Napoléon contestent cette légende :

Le marronnier dont nous parlons a conquis son renom de précocité parce qu’il aurait fleuri le jour de la naissance du roi de Rome, qui vint au monde le 20 mars.

Le Figaro du 26 mars 1908

Il s’agit de Napoléon II, fils unique de Napoléon et de Marie-Louise, né le 20 mars 1811, qui reçoit le titre d’empereur et roi de Rome ; il meurt prématurément à l’âge de 21 ans en 1832. Après la révolution de 1830, un culte autour de Napoléon II s’installe et s’amplifie. Et voilà que notre arbre passe pour Bonapartiste ! Les Napoléoniens s’approprient aussi la légende au nom du retour de Napoléon de l’île d’Elbe en mars 1815. Ainsi un vieux gardien du jardin des Tuileries, dix-sept ans d’ancienneté, répond au journaliste du Figaro :

Monsieur, me dit-il, on s’imagine que le marronnier du 20 mars doit sa célébrité à la floraison prématurée qu’il étala aux yeux de la foule le jour du retour de l’île d’Elbe : c’est une grave erreur…

Le Figaro du 21 mars 1873

Le marronnier du 20 mars aurait été situé à l’angle de la grande allée, au dessus des statues d’Hippomène et d’Alcante au niveau de l’exèdre nord (bassin) © lefigaro.fr

D’autres cherchent des hypothèses plus scientifiques. Mais pourquoi donc ce marronnier a des bourgeons et des fleurs le 20 mars alors que la végétation est encore endormie :

Voilà la question que tout le monde se pose et nous croyons être agréable à nos lecteurs en leur donnant la clef de ce mystère. C’est tout simplement une question de drainage. Le marronnier du 20 mars se trouve placé près d’un carré à hémicycle, et dans l’allée circulaire de ce carré, au plus près de l’arbre, il existe un puisard en maçonnerie, contenant des tuyaux destinés sans doute à l’arrosement. Ces tuyaux sont probablement devenus inutiles, puisque la pierre qui recouvrait le puisard a été recouverte par le sable de l’allée mais il est hors de doute que l’air chaud et humide du puisard agit sur les racines de l’arbre, et se trouve être ainsi la cause de sa précocité.

Pour expliquer sa frondaison exceptionnelle et sa vigueur, un botaniste explique ce phénomène par la fusion de deux arbres :

Le marronnier du 20 mars est la résultante de deux souches plantées l’une près de l’autre, et qui se seraient soudées dans leur croissance pour ne faire qu’un seul et même sujet. Cette hypothèse est d’autant plus admissible que la fusion de deux végétaux voisins en un seul est fort commune : des jardiniers ont exploité ce phénomène pour obtenir des légumes monstrueux.

Le Figaro du 21 mars 1873

Alors qu’un pèlerinage s’organisait donc aux Tuileries pendant des années pour saluer les premiers bourgeons du marronnier officiel, petit à petit, il perd son record de précocité. À Paris, la plupart des marronniers bourgeonnent avant lui. Sur un ton humoristique Le Figaro en mars 1899 relate ce phénomène en parlant des marronniers rivaux qui compliquent la tâche de l’informateur :

Et s’il n’y avait que les personnes pour faire la critique, voila les végétaux qui s’en mêlent. Peu à peu, des marronniers jaloux se sont piqués d’honneur pour avoir des pousses deux ou trois jours avant l’époque indiquée. À l’heure actuelle, c’est une lutte implacable. Le Figaro annonce l’autre jour, que le marronnier du 20 mars est devancé depuis le 11 par le sixième arbre en face du Cirque d’été, en partant du rond-point. Aussitôt, le premier arbre de l’avenue Montaigne, en face du no 2, réclame. Il a des feuilles, lui, depuis le 3. À lui donc le prix de précocité !! Le Figaro enregistre sa réclamation, croyant en être quitte. Ah bien oui ! Voilà un autre marronnier, placé avenue Montaigne, près de la place de l’Alma, qui nous écrit une lettre furibonde. “Si vous aviez fait une enquête sérieuse, nous dit-il, vous auriez pu constater que, dès le 25 février, j’étais couvert d’une partie de mes feuilles. Chacun a son amour-propre. Je demande, et au besoin je requiers l’insertion de ma réponse, ainsi que le prescrit la loi”…

Le Figaro du 24 mars 1899

La santé du marronnier du 20 mars devient de plus en plus fragile. On apprend sa mort vers 1911. Son tronc robuste et ses plus solides branches sont conservés. L’arbre n’est pas abattu mais juste consolidé pour éviter les accidents. Il est entouré d’un grillage qui peu à peu est recouvert de lierres. C’est en novembre 1913 qu’il vit ses derniers instants. Le journaliste du Figaro au hasard d’une promenade assiste à sa chute :

C’était la dernière minute, véritablement la dernière. Alors, si mélancolique qu’il fût, le tableau se composa admirablement. Comme dans l’eau-forte de Legros, deux ou trois hommes raidirent le lien… et la masse ligneuse, en un clin d’œil, fut à terre, s’écrasant sur le sol avec un bruit de sourd mais puissant coup de canon. Les vieux bras vermoulus s’émiettèrent en fragments d’une surprenante blancheur. Une vingtaine de promeneurs et une cinquantaine d’enfants eurent ce spectacle. Il n’y eut pas de cris, mais quelques poitrines soupirèrent.

Une légende s’est éteinte : ce qui fait dire au chroniqueur Le Masque de Fer, en Une du Figaro du 21 novembre 1913 : “Je suis très triste qu’on ait abattu ce vieil arbre des Tuileries. C’était pour les Parisiens un véritable ami. Une vieille branche.

Marie-Aude Bonniel


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