GALLIENNE, Alicia (1970-1990)

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“J’écris pour être lue” : trente ans après sa mort, la poétesse Alicia GALLIENNE enfin exaucée. Les poèmes intenses de la jeune femme, disparue à 20 ans, sont rassemblés dans “L’autre moitié du songe m’appartient“.

C’est une tombe toute blanche au cimetière du Montparnasse, non loin du cénotaphe de Baudelaire. Une alcôve de verdure grimpante, avec une grande croix sculptée et un quatrain gravé dans la pierre. (…) Mon âme saura s’évader et se rendre (…).

Morte à 20 ans d’une maladie du sang, Alicia Maria Claudia Gallienne a écrit des centaines de poèmes entre 1986 et 1990. Qu’importe ce que je laisserai derrière moi, pourvu que la matière se souvienne de moi, pourvu que les mots qui m’habitent soient écrits quelque part et qu’ils me survivent”, écrivait-elle à Sotogrande, dans la propriété de sa famille maternelle en Espagne.

Les quatre lignes inscrites sur sa tombe, déjà érodées par le temps, sont longtemps restées la seule trace visible de son œuvre. Quelques années encore et les mots se fondront dans le grain de la pierre. Envolés, comme la dernière image d’Alicia dans son cercueil, le visage serti dans la mantille blanche des mariées sévillanes.

Peu après sa mort, afin de ne pas la laisser seule dans la sépulture de Montparnasse, sa mère, Silvita, avait fait rapatrier d’Andalousie la dépouille d’un grand-oncle d’Espagne, un comte de Castilleja de Guzmán, trépassé en 1970, année de la naissance d’Alicia. [d’après LEMONDE.FR]


Le plus grand bonheur de Guillaume Gallienne est l’édition posthume des poèmes de sa cousine Alicia, décédée à 20 ans d’une maladie du sang  rare et incurable. Le comédien révèle au grand jour une aventure humaine forte, au delà de la mort.
 
La poésie est-elle, selon vous, un moyen de transcender la mort ?
C’est l’un des grands sujets de nombreux poètes. Pour ma cousine, écrire des poèmes était sa manière de chanter la vie. En la lisant après sa mort, je me dis qu’elle savait ce qu’il allait lui arriver. Mais de son vivant, j’ai eu l’occasion de la lire et à aucun moment je n’ai pensé qu’elle se sentait condamnée.
 
Ce recueil de poèmes peut-il être considéré comme le journal de bord d’une jeune femme malade sachant que sa vie sera courte ?
Pas vraiment. Elle n’a pas eu l’intention de poétiser une autobiographie. C’est un besoin de poésie pure avec diverses inspirations, très personnelles. C’était son monde. Elle vivait dans les livres, elle ne pouvait s’empêcher d’écrire, surtout la nuit, malgré la fatigue Elle n’en n’avait, presque, pas le choix.
 
Écrire, est-ce s’inscrire dans une forme d’immortalité ?
Totalement. Ma cousine le dit clairement : “Pourvu que mes mots me survivent”.
 
Malgré la gravité de sa maladie, elle ne se plaint jamais. C’était une battante… jusqu’au bout !
Il n’y a chez elle aucun apitoiement. Cela se ressent dans son écriture. Alicia, elle était très forte, le contraire de la résignation. Pour elle, le courage est une vraie forme d’intelligence.
 
Quand Jean-Marie Le Clézio explique que son ouvrage est merveilleux, avez-vous l’impression que votre cousine est entrée au panthéon des écrivains ?
C’est vrai que les propos d’un prix Nobel de littérature m’ont profondément touché, tout comme d’autres témoignages provenant notamment de Leila Slimani, des inconnus sur les réseaux sociaux. Je salue le travail de l’écrivaine Sophie Nauleau qui a réuni les poèmes de ma cousine, elle en a édité une grande partie. Ce n’est pas juste quelques poèmes mais cela s’inscrit comme une oeuvre. J’espère qu’ils seront un jour proposés à des lycéens.
 
Grâce à votre cousine, on redécouvre un genre méconnu, mal aimé même
L’autre jour, une amie me disait que la poésie la laissait de marbre. En lisant l’ouvragé de ma cousine, elle a été bouleversée, ajoutant même : “Là, je comprends tout”. C’est à la fois très bien écrit, avec des mots assez simples. Il n’y a pas de références mythologiques. Pas besoin d’être érudit pour comprendre la poésie d’Alicia.
 
Mais alors, pourquoi avoir attendu 30 ans après sa mort pour sortir son oeuvre ?
Car cela ne m’appartenait pas, c’était la propriété de ma tante. De plus, à la disparition d’Alicia, des gens nous avaient découragés de les publier. On en était resté là jusqu’à ce que mon oncle, ayant perdu 2 enfants sur 3 suite à une maladie de sang, est décédé. On est alors arrivé à la fin d’un cycle pour ouvrir tous les cartons… [lire la suite de l’interview sur LAMONTAGNE.FR]
 

Encore davantage (mardi 19 mai 1987)
À  mon père

Le jour de la belle étoile,
Et la nuit du grand soleil,
Dans le désert des paroles à peine prononcées,
Les yeux qui traversent le sommeil
Ont leur générosité.
Mais, les tiens sont encore plus purs
Que des jours ou des nuits.
Tes yeux ouverts,
Je les aime plus et davantage
Qu’il n’y paraîtra jamais…
Ils savent soulager sans dire,
Et dire sans se refermer.
Dans le secret des étoiles et les nuits pleines de lunes,
Dans le réconfort de la sagesse et les lunes habitées,
Il n’est pas pour moi de meilleurs refuges
Que tes yeux où toujours je me retrouve,
Sans jamais rien avoir à demander.
Et, quand tout a été donné,
J’aime dans tes yeux
Trouver encore davantage,
Car tes yeux seuls sont inépuisables à m’aimer,
Sous le ciel de l’été,
Ou les jardins de l’orage.

  • Illustration en tête de l’article : Alicia Gallienne © famille Gallienne

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © famille Gallienne


Plus de littérature…

SIDIBE, Malick (1935-2016)

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“Malick SIDIBE est avec Seydou Keïta l’un des grands noms de la photographie africaine, et sera comme lui tardivement reconnu en Europe. Né d’une famille peule en 1936, dans le sud du Mali, il s’intéresse vite à la photo et ouvre le Studio Malick à Bamako, qu’il tiendra de 1958 à sa mort en 2016.

Il y devient “l’Oeil de Bamako”, réputé pour ses prises de vues souvent funk, toujours spontanées mais parfaitement cadrées. Il photographie aussi les soirées et nuits de Bamako, avec un instinct et une rapidité dont se souviennent les très nombreuses personnes qui ont défilé devant son objectif. Avec un appareil photo moyen-format carré et des moyens réduits à l’essentiel, il parvient à capter l’essence du mouvement et l’état d’esprit de toute une génération.

Il est le premier africain à recevoir le prix international de la fondation Hasselblad, en 2003. Il est récompensé de nombreux prix et distinctions dont celle de chevalier des arts et des lettres en 2002, un Lion d’or à la biennale de Venise en 2007, puis en 2010 par un prix World Press Photo. La Fondation Cartier lui offre une vaste rétrospective, Mali Twist, en 2017.” (lire la suite et voir les photos sur LAGALERIEDESPHOTOGRAPHES.FR)

“Combat des amis avec pierres” (1976) © legaleriedesphotographes.fr

“En total look sixties, ils posent radieux, brandissant fièrement un vinyle ou dansant avec une énergie qui les traverse de bout en bout. Leurs gestes, leurs œillades vous invitent à rentrer dans leur monde. Et notre regard s’attarde, saisi soudain par une impression d’étrangeté. On pense à un club new-yorkais mais quelque chose cloche. Sur certains clichés, le sol poussiéreux nous fait plus penser à une arrière-boutique. Sur d’autres, les motifs géométriques des tentures à l’arrière-plan nous interrogent. A juste titre, puisque ces scènes n’ont pas été prises aux Etats-Unis, mais bien à Bamako, à l’heure des indépendances africaines. Le photographe qui les a immortalisées s’appelle Malick Sidibé […].

Les années 60 en Afrique de l’Ouest sont synonymes de bonheur et de fête. Le colon s’en est allé –du moins c’est ce que l’on pense. La radio nouvellement installée se fait la bande-son des prises de conscience politique, sociale et culturelle. Elle branche ainsi le continent sur les musiques que le reste du monde écoute. Guitares électriques et cuivres font exploser les horizons sonores du pays. Mais, surtout, les nouveaux rythmes joyeusement délurés que sont le twist, le rock’n’roll et la musique yéyé rendent la jeunesse bamakoise complètement folle.

Les disques vinyles qui circulent dans la nouvelle capitale parachèvent cette révolution culturelle. “Nous voulions nous affranchir à la fois de la tradition dans laquelle nous avions été élevés par nos parents et de la modernité imposée par l’Etat”, explique au bout du fil Manthia Diawara, écrivain, réalisateur et professeur de littérature comparée à l’Université de New York, qui grandit dans le Bamako de ce temps-là. Il se remémore les jeunes filles qui jetaient leurs minijupes par la fenêtre et sortaient en boubous traditionnels avant d’aller se changer un peu plus loin.

Car toute la jeunesse s’amusait alors à se regrouper dans des “clubs” qu’ils baptisaient du nom de la star qui les inspirait: Sylvie Vartan, Johnny Hallyday, les Rolling Stones, les Beatles… Chaque “club” adoptait le style vestimentaire de son idole et se retrouvait pour boire et danser. Toute occasion était bonne pour faire une surprise-party. Manthia Diawara faisait partie des Rockers de Bamako, un groupe qui avait même co-organisé un Woodstock africain.

Malick Sidibé est un des rares photographes de la ville. Il a quelques années de plus que ces jeunes assoiffés de liberté, et –contrairement à la plupart des adultes de l’époque– pose un regard bienveillant sur leurs frasques et leurs déhanchements. On lui passait commande et, chaque soir de fête, il enfourchait son vélo et partait faire la tournée des soirées. Dans chacune d’elles une table lui était réservée. Une soirée sans Malick Sidibé n’était pas une soirée réussie. “Je signalais mon arrivée par un coup de flash, on me faisait le passage pour rentrer, tout le monde était content, ça jaillissait tout de suite et l’ambiance montait… J’assistais à leurs fêtes comme à une séance de cinéma ou de spectacle. Je me déplaçais pour capter la meilleure position, je cherchais les occasions, un moment frivole, une attitude originale ou un gars vraiment rigolo. Les jeunes, quand ils dansent, sont captés par la musique. Dans cette ambiance, on ne faisait plus attention à moi”, expliquait le photographe dans le premier livre que lui a consacré celui qui deviendra son ami et ambassadeur, André Magnin (Malick Sidibé, Editions Scalo, 1998), aujourd’hui un collector.

Joint par téléphone, ce dernier explique: “Le rock, le twist ont permis pour la première fois aux jeunes Maliens de se toucher. Ils ont permis à la drague d’apparaître. Les jeunes filles particulièrement pouvaient légitimement craindre d’être prises en photo, parce qu’elles n’étaient pas censées se montrer dans ces tenues. Mais comme l’amour envers cette jeunesse transparaissait dans les clichés de Malick Sidibé, comme il donnait une belle image de cette génération, les jeunes se sont entièrement livrés à son appareil. Dans tous les pays d’Afrique, il y avait des photographes qui faisaient un travail similaire à celui de Malick Sidibé, mais ce qui le distingue des autres, c’est ce rapport de confiance absolu qu’il a su créer avec ses sujets.” Sitôt rentré, Malick Sidibé développait ses tirages en noir et blanc afin que, dès le lendemain, elles soient disponibles à la vente pour la modique somme de 200 francs CFA l’image (50 centimes suisses).” [lire la suite sur LETEMPS.CH]


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © lagaleriedesphotgraphes.fr


Plus d’arts visuels…

Archéologie : à la Réunion, une prison pour enfants de l’époque coloniale révèle son histoire

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Pour la première fois en France, un “bagne d’enfants” fait l’objet d’une étude archéologique approfondie. Les fouilles menées par l’INRAP sur l’ancienne colonie pénitentiaire de l’îlet à Guillaume, à la Réunion, mettent en lumière l’organisation (habitat, ateliers, lieux de culte, etc.) et la chronologie du site.

Construite en 1864 par les missionnaires de la congrégation du Saint-Esprit, cette colonie pénitentiaire de mineurs, établie sur l’îlet à Guillaume, à la Réunion, a accueilli plus de 3.000 enfants en 15 ans. Ils étaient placés sous la garde très stricte des frères spiritains, qui les faisaient notamment travailler à la construction de bâtiments, pour les “redresser” suite à une condamnation par la justice des enfants. Ce pénitentiaire, placé sur le plateau de 5 hectares d’une falaise isolée surplombant la rivière Saint-Denis, a été très peu étudié par les chercheurs. L’INRAP, avec le soutien du département, entreprend donc de le documenter depuis octobre 2020 en croisant archives et études archéologiques.

(Re)dresser les enfants

En 1850, une loi sur l’emprisonnement des enfants crée le statut des colonies pénitentiaires agricoles, comme celle de l’îlet à Guillaume. Elle impose une discipline très dure aux enfants qui y sont envoyés et préconise leur mise au travail dans les champs ou dans les industries avoisinantes. Dans Surveiller et punir (1975), Michel Foucault les considère comme des “cloîtres” ou des “prisons”. La colonie de l’îlet à Guillaume ne fait pas exception.

En effet, durant les quinze années de son existence, les missionnaires n’ont pas ménagé les enfants, les faisant travailler aux champs, à la forge, à la scierie ou dans la basse-cour. Les conditions de vie des petits bagnards seront malheureusement rarement dénoncées. En outre, les enfants ont probablement contribué à la construction de nombreux bâtiments du site (terrasses, forge et chapelle provisoire) comme le laisse supposer la présence de pierres taillées de petites dimensions. Ils auraient également réalisé les dallages de la voirie principale.

Pour prévenir les évasions, le site n’était pourvu d’aucun mur d’enceinte ni d’aucune barricade. Son implantation dans une forêt isolée et hostile suffisait à décourager les plus téméraires. Une case, celle du frère Alexandre, était située au seul point de sortie pour s’assurer qu’aucun détenu ne prenne la fuite.

Vestiges de la communauté pénitentiaire © INRAP
Des fouilles inédites

Les recherches menées sur la colonie de l’îlet à Guillaume se situent au croisement du travail d’archives et des fouilles archéologiques. Le premier, assuré par Véronique Blanchard, permet une revue exhaustive de toute la documentation existante sur le pénitencier. De leurs côtés, des archéologues, topographes et archéobotanistes, sous la houlette de Thierry Cornec, analysent le lieu en profondeur. Ils ont d’abord entrepris de comprendre l’ordre dans lequel ont été construits les bâtiments et par qui. Les fouilles ont mis en lumière l’organisation de la colonie, la fonction des bâtiments mais aussi les méthodes d’approvisionnement en eau grâce à la mise au jour d’un système de canalisations.

Ces observations ont été rendues possibles par des modélisations au Lidar (détection laser). Cette technologie de sonde a permis de reconstituer numériquement l’ensemble du site en 3D. Des prélèvements du sol vont enfin permettre de savoir quel genre d’agriculture pratiquait la colonie grâce à des analyses archéobotaniques.

Entre sa fermeture en 1879 et les années 1950, le lieu avait été complètement délaissé par les autorités. Si un plan du site a bien été réalisé en 1999, une documentation approfondie était nécessaire pour comprendre le rôle et le fonctionnement de ce lieu qui a mis au travail forcé plusieurs milliers d’enfants.” [lire l’article sur  CONNAISSANCEDESARTS.COM]

  • Lire aussi sur GEO.FR
  • Illustration de l’article : Section des routes. Frère Isaac (1868) © Congrégation du Saint-Esprit via connaissancedesarts.com

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © connaissancedesarts.com ; INRAP


Plus de presse…

SAINT-EXUPERY (trad. Guy FONTAINE) : Li p’tit prince (2012)

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SAINT-EXUPERY Antoine de -, Li p’tit prince (Neckarsteinach, Tintenfass, 2012, traduit en wallon liégeois par Guy FONTAINE)


[extrait du chapitre XXI]

“[…] C’è-st-adon qu’atouma li r’nå.

  • Bondjoû, dèrit li r’nå.
  • Bondjoû, rèsponda li p’tit prince come on bin aclèvé qu’il èst. Mins, il aveût bèl a loukî tot avå, i vèyéve rin.
  • Dji so la, dèrit l’vwès, dizos l’mèlêye.
  • Quî èstez-v’ ? dèrit li p’tit prince. Vos-èstez tot nozé…
  • Dji so li r’nå, d’hati.
  • Vinez don djouwer avou mi, li fa li p’tit prince. Dji so si pèneûs…
  • Dji n’ såreû dèdja, dèrit li rnå, dji n’ so nin aprivwèzé.
  • Ah ! Mande èscuse, fa li p’tit prince.

Mins, après aveûr tûzé pus lon on moumint, i dèrit co :

  • Qu’èst-ce qui çoula vout dîre “aprivwèzer” ?
  • Vos n’èstez nin di d’chal, fa li r’nå, quî cwèrez-v’ don ?
  • Dji cwîre lès-omes, dèrit li p’tit prince. Qu’èst-ce qui çoula vout dîre “aprivwèzer” ?
  • Lès-omes, dèrit li r’nå, il ont dès fiziks èt i tchèssèt. C’èst fwèrt djinnant. Il aclèvèt dès poyes ossu èt çoula m’ahåye bin pus. Cwèrez-v’ ossu dès poyes ?
  • Nonna, dèrit li p’tit prince. Dji cwîre dès camarådes. Qu’èst-ce qui çoula vout dîre “aprivwèzer” ?
  • C’è-st-ine sôrt qu’on-z-a par trop’ roûvi, dérit li r’nå. Ça vout dîre “si loyî onk a l’ôte”.
  • Si loyî onk a l’ôte ?
  • Assûré, dèrit li r’nå. Vos n’èstez co por mi qu’on p’tit gamin come ènn’ a co cint mèye ôtes. Ét dji n’a nin dandjî d’ vos. Ét vos n’avez nin pus dandjî d’ mi. Dji n’ so por vos qu’on r’nå come ènn’ a co traze èt traze mèye. Mins si vos m’aprivwèzez, nos-årans dandjî onk di l’ôte. Vos sèrez por mi come li seûl å monde. Ét dji sèrè por vos come li seûl å monde…
  • Dj’atake a comprinde, dèrit li p’tit prince. I-n-a ‘ne fleûr… dj’ô bin qu’èle m’a-st-aprivwèzé.
  • I s’ pout, dèrit li r’nå. On veût totes sôrts d’afères so l’tère.
  • Oh ! Ci n’èst nin so l’tère, dèrit li p’tit prince.

Li r’nå avizéve bin si d’mander qwè :

  • So ‘ne ôte planète ?
  • Awè.
  • A-t-i dès tchèsseûs so cisse planète-la ?
  • Nèni.
  • Vola ‘ne bone novèle ! Ét dès poyes ?
  • Nèni.
  • Rin po fé plêzîr, sospira li r’nå.

Mins, i riv’na a si-îdèye.

  • Mi vèye, c’è-st-on djoû tot fî parèy qui l’ôte. Dji tchèsse lès poyes, lès-omes mi k’tchèssèt. Totes lès poyes si ravizèt, èt tot lès-omes si ravizèt ossu. C’èst todi l’ minme djeû. Mins si vos m’aprivwèzez, mi vèye sèrè come pline di solo. Dji rik’noherè l’ brut d’on pas qui sèrè difèrint d’ tos lès-ôtes. Lès-ôtes mi font rintrer d’zos tère. Li vosse mi houkrè foû di m’ trô, come li musike dès-ôbådes. Èt adon, loukiz ! Vos vèyez, låvå, lès tchamps d’ frûmint ? Dji n’ magne nin dè pan. Li frumint, por mi, ci n’èst rin. Lès tchamps d’ frumint ni m’ fèt rapinser a rin. Èt çoula, c’èst bin trisse. Mins, vos-avez lès dj’vès coleûr d’ôr. Adon, ci sèrè mèrvèye qwand vos m’årez aprivwèzé. Li frumint, qu’èst come di l’ôr, mi frè sov’ni d’vos. Èt dj’ årè bon d’ôre li brut dè vint gruziner d’vins lès frumints.

Li r’nå s’ têha èt r’louka tot on tins li p’tit prince.

  • S’i v’ plêt… aprivwèzez-m’ ! Dèrit-i.
  • Dji vou bin, rèsponda li p’tit prince, mins dji n’a nin tot plin dè tins. Dj’a dès camarådes a d’hovri èt co tant dès-afêres a-z-aprinde.
  • On n’ kinohe bin qui çou qu’on aprivwèzêye, dèrit li r’nå. Lès-omes ni prindèt pus l’ tins dè rin k’nohe. Il atchèt tot, tot fêt ‘mon lès martchands. Mins come i-n-a nou martchand d’ camarådes, lès-omes n’ont pus nou copleû. Si vos ‘nnè volez onk, aprivwèzez-m’.
  • Qui fåt-i fé, diha li p’tit prince ?
  • I v’ fårè tot plin dèl paciyince, rèsponda li r’nå. Po-z-ataker, vos v’s-alez asîre on pô lon d’ mi, come çoula, so l’ wazon. Dji v’ riloukrè d’in-oûy èt vis n’ dîrez nin. Tot djåzant, on s’pôreût må comprinde. Mins tos lès djoûs, vos v’ pôrez asîre on pô pus près…

Li lèd’dimin, li p’tit prince riv’na.

  • Åreût mî valou dè riv’ni a l’ minme eûre, dèrit li r’nå. Si vos v’nez, dihans-gn’, so l’ côp d’ qwatre eûres après nône, vès lès treûs-eûres, dj’atakrè di m’ rafiyî. Pus’ l’ôrlodje va-t-èle toûrner, pus’ sèrè-djdju tot binåhe, a qwatre eûres, dji sèrè so dès tchôdès cindes èt dji m’ tourmètrè, dji pôrè inso k’nohe li pri dè boneûr ! Mins si vos v’nez tot l’ minme qwand, dji n’ sårè nin quéle eûre dji m’ gålioter l’ coûr.. i fåt dès règues, dès-acostumances.
  • Qu’èst-ce qui c’èst dès-acostumances ? dèrit li p’tit prince.
  • Èco ‘ne sacwè qu’on-z-a par trop’ roûvi, dèrit li r’nå. C’èst çou qui fêt qu’on djoû n’èst nin come lès-ôtes, qui lès-eûres ni sont nin lès minmes. Par ègzèmpie, mès tchèsseûs : li djûdi, i dansèt avou lès crapôdes dè viyèdje. Adon, li djûdi è-st-on tot bê djoû por mi. Dji m’ va porminer avå lès cinses èt lès polis sins nol imbaras… Lès tchèsseûs îrît-i fé leûs treûs pas tot l’ minme quwand, qui lès djoûs sèrît turtos lès minmes, èt dji n’ sèreû måy påhûle.

Insi, li p’tit prince a-t-i aprivwèzé li r’nå. Èt qwand foûrit l’ moumoint d’ènn’ aler :

  • Ah ! dèrit li r’nå… dji m’ va plorer.
  • Vos n’avez qu’a ‘nnè prinde a vos minme, dèrit li p’tit prince, dji n’ vis volève nou må, mins vos-avez pîlé po-z-esse aprivwèzé.
  • Bin sûr, dèrit li r’nå.
  • Mins vos-alez plorer ! dèrit li p’tit prince.
  • Bin sûr, dèrit li r’nå.”

ISBN 978-3-937467-51-1

“Vendu à plus de 130 millions d’exemplaires dans le monde, Le Petit Prince, de l’écrivain français Antoine de St-Exupéry, est traduit en plus de 220 langues et dialectes [et en morse !]. Il n’existait pas encore de traduction en wallon liégeois. C’est désormais chose faite, grâce à Guy Fontaine, bien connu des fidèles de Liège-Matin, et grand passionné du wallon sous toutes ses formes.

“L’idée de cette traduction en wallon liégeois vient d’un éditeur allemand” explique Guy Fontaine. “Il avait racheté chez Gallimard les droits pour les adaptations et les traductions dans les langues régionales. Il existait déjà une version du Petit Prince en wallon de Charleroi, en picard borain, et il aurait voulu une version en liégeois. Je m’y suis collé!”

Particularité pour le traducteur : rester le plus fidèle possible à l’original de Saint-Exupéry: “Le traducteur doit être vraiment en retrait total. C’est l’œuvre originale qui importe” poursuit Guy Fontaine. “Donc il y a un peu une frustration parce qu’on a tendance à vouloir adapter et donner un côté plus wallon à la chose mais le texte est très beau, donc on y trouve son compte”.

Une histoire universelle et qui, peut-être, grâce au wallon, trouvera de nouveaux lecteurs…” [lire la suite de l’article de A. DELAUNOIS sur RTBF.BE…]


Guy Fontaine est né en 1945. C’est de 1978 à 1994, à la radio de la RTBF, que le billet wallon hebdomadaire qu’il diffuse le rend le plus célèbre : billets transformés de 1994 à 2001, en sketchs avec Gabrielle Davroy. En 2001, ses 1.000 Mots wallons sont publiés. Depuis, il est devenu… évêque orthodoxe à Liège.


Dessine-moi… un Petit Prince

[LEXPRESS.FR, 7 septembre 2011] Bande dessinée, film, expo, le héros de Saint-Exupery se réinvente toujours. L’écrivain Marie Desplechin évoque ce qui fait l’essence du livre, qui s’adresse à l’enfant que nous avons été.

“Au titre de chef-d’oeuvre du XXe siècle, qui aurait misé un kopeck sur Le Petit Prince, fantaisie enfantine écrite et illustrée par l’auteur, publiée pour la première fois aux Etats-Unis en 1943 ? Bon, Martin Heidegger, d’accord. Il écrit, en 1949, pour l’édition allemande : “Ce n’est pas un livre pour enfants, c’est le message d’un grand poète qui soulage toute solitude et par lequel nous sommes amenés à la compréhension des grands mystères de ce monde. C’est le livre préféré du professeur Martin Heidegger.” Martin Heidegger n’est peut-être pas le type le plus sympathique de la période, il n’est pas non plus le dernier des neuneus. Son “livre préféré” est aujourd’hui n° 2 au classement international des lectures et des ventes, toutes catégories confondues. Soit n° 1 parmi les œuvres de fiction (on range usuellement la Bible parmi les “non-fictions”). Un livre traduit en 220 langues. Et qui compte à ce jour 145 millions d’exemplaires vendus.

Sans gâcher le plaisir qu’on a à voir Martin Heidegger encenser Le Petit Prince, on aimerait faire tourner les tables pour avoir avec lui une petite controverse posthume. Comment, alors que le livre leur est explicitement destiné, peut-il affirmer qu’il ne s’agit pas d’un livre pour enfants ? Qu’y a-t-il de si chétif, de si étranger, dans l’enfance, qu’elle doive être tenue à l’écart du “message d’un grand poète qui soulage de toute solitude” ? Drôle d’hommage que celui du professeur quand il dénie à l’auteur la gloire d’avoir écrit le livre qu’il voulait écrire. Prétendant une chose (avoir écrit un livre pour les enfants), il en aurait fait une autre […]”

Marie Desplechin


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : citation, partage, compilation | source : Editions Tintenfass ; LEXPRESS.FR | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Editions Tintenfass / RTBF / RTC Liège | remerciements à Eric Rozenberg


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