Il était une petite fois, une petite souris qui souriait tout le temps : sur les photos, elle souriait ; dans son landau, elle souriait déjà ; sur les bancs de l’école, elle souriait ; sur les chemins, elle souriait (même si elle avait un peu peur dans l’ombre des arbres sombres). Et, en découpant ses petits légumes en petits cubes jolis, elle souriait. Et, en trottant crânement dans les rues de son Village, elle souriait. Et, quand elle s’écrasait le petit orteil sur le pied du lit, et bien, elle souriait aussi (mais un peu moins). Tout le monde trouvait cela chouette, une souris qui sourit, tellement chouette qu’on l’avait baptisée Souricette, ce qui, à vrai dire, n’avait rien à voir mais traduisait bien le fait que Souricette, on l’aimait bien, elle.
Parce que, un peu comme dans les contes, la mère de Souricette était une loutre des rivières. Pourtant, on l’appelait Loutre-Mère. Les gens du Village se sentaient un peu mal à l’aise avec elle : beaucoup admiraient sa créativité, son entrain et son courage ; ils saluaient sa culture et ses broderies, goûtaient ses gâteaux et, quand ils y étaient invités, se promenaient dans son jardin, parmi ses fleurs.
Mais d’autres, aussi, la trouvaient – comment dire ? – un peu bizarre, justement. C’est vrai : une loutre bien léchée, c’est bien. Mais ils trouvaient un peu spéciale cette dame-loutre qui, sans prévenir, pouvait plonger dans le plus sombre remous de la rivière et resurgir plus tard, beaucoup plus tard, sur l’autre rive, une fois en souriant au soleil de l’après-midi et une autre fois en se faufilant à l’abri des racines, toute grondante et soufflante… souffrante, peut-être. Pour les gens du Village qui la croisaient, il était difficile de savoir quel sourire employer, faute de pouvoir s’y préparer. En plus, cette mère de famille bien huilée (ça, ils ne le comprenaient pas non plus) ne pétait jamais, au grand jamais ! Ce qui n’était pas le cas de Souricette.
Chanson :
Et Souricette trottinait,
A chaque pas lâchant un pet.
“Proutprout et proutprout”
Chantait-elle sur sa route…
Rivière oblige : le père de Souricette, lui, était un castor et, comme tous les castors de la région, il s’entraînait au ping-pong tous les weekends. Il fallait le voir sauter derrière les tables, la queue dressée pour smasher ou, le plus souvent, faire des balles bien tournantes qui trompaient la vigilance de ses adversaires. Seulement, c’étaient là ses seules heures de gloire : le reste du temps, il s’affairait à ses petites affaires et on avait bien du mal à savoir où il traînait, quand on le cherchait. Voilà bien un bricoleur qui bricolait des bricoles : vous ai-je dit qu’il aimait aussi les broccoli ?
Père Castor était comme les autres castors : avec l’âge, ses blagues devenaient de plus en plus prévisibles et ponctuaient lourdement tous les repas familiaux. Reste que Souricette lui souriait aussi – bonne fille qu’elle était – et que, plus d’une fois, son paternel avait taillé l’effigie de sa jolie petite souris souriante dans une souche, derrière le verger. Mais où se cachait-il donc quand les chasseurs sont venus, avec leurs fusils dressés ?
Chanson :
De la naissance à la mort,
Personne n’a vraiment tort,
Mais on a tous dans le cœur,
Un castor prompt à avoir peur.
La belle enfant n’était pas seule et la famille était rassemblée, quand les chasseurs l’ont trouvée. De Père Castor, point, ou alors caché dans un coin. En haut, la Loutre-Mère était déjà couchée et, en bas, les autres enfants jouaient près de la cendrée. Souricette avait un frère, un blaireau sévère à la vue courte. Dans le Village, on l’appelait : le P’tit-Père Sévère. Il avait la patte lourde et l’odeur musquée.
Quand le canon du fusil a défoncé la porte de la maison, Souricette ne souriait plus et c’est à l’ombre de P’tit-Père Sévère qu’elle a dû son salut, fuyant se cacher dans le placard des Balais Oubliés de Cendrillon, avant qu’il ne la rejoigne pour s’y terrer à son côté.
Les minutes ont succédé aux minutes et les deux enfermés n’osaient bouger d’un poil. Combien d’heures ont-ils passé, à transpirer dans leurs odeurs mélangées, combien d’heures avant qu’ils ne réalisent que les chasseurs avaient renoncé, en se bouchant le nez. Souricette les avait bien vu partir, le danger était écarté mais… on ne sait jamais. C’est quand elle s’est retournée vers P’tit Père et qu’elle a vu ses yeux qui brillaient dans le noir et la fixaient avec autorité que la petite souris n’a pas sourit et que, vite, elle est partie.
Chanson :
A chaque blaireau que tu croises,
Regarde la face rayée et décide :
Les striures de lumière masquent-elles son ombre,
L’ombre de ses rayures rongent-elles sa lumière ?
Le drame était passé et Souricette avait grandi. Elle était devenue belle et bien tournée. Tant et si belle qu’un paon qui passait au Village la remarqua et demanda fissa sa main à son papa. Rantantan le Paon (puisque c’est comme cela qu’il se faisait appeler) habitait la Ville et Père-Castor n’hésita qu’un petit peu : il commençait seulement à réfléchir aux conséquences de sa décision (que Loutre-Mère avait déjà prise, d’ailleurs) que Souricette était déjà arrimée au cou du volatile et que les enfants du Village faisaient déjà une farandole autour des deux amoureux. La parade s’éloignait ainsi sur la route et la silhouette des deux amants se détachait sur un coucher de soleil que Rantantan avait souvent auparavant emprunté à un copain.
Mais, avec les années (quelques années seulement), les plumes se sont mises à tomber et la parade égayait de moins en moins souvent la souris jolie. Accrochée au cou du volatile, elle se pavana d’abord un peu vainement, laissant loin derrière elle le souvenir de la Nuit des Chasseurs. Reste que d’autres souris faisaient également tourner le cou du paradant volatile et que l’arrière de son plumage était bien moins coloré que le bleu de sa face. Alors, Souricette continua à sourire un peu mais, des paillettes, elle fit vite son deuil, qu’elle fêta avec ses amis les écureuils.
Chanson :
Méfie-toi de la splendeur du paon,
Dont la face te tourne la tête.
Elle sera bien vite passée
Et l’autre face sert à péter.
Souricette marchait dans les bois, quelque temps plus tard, un peu perdue dans ses lendemains de la veille, lorsque qu’apparut Rabouh le Hibou. Ses plumes étaient fort ternes mais le volatile savait chanter la Nuit et tourner la tête d’un tour, comme d’un détour. Quelle magie était-ce donc là : un Janus rotatif doublé d’un musicien du Crépuscule ? Haut perché, l’animal était moins festif que le paon mais combien plus exaltant. “Une petite souris et un vieil oiseau, s’aimaient d’un amour ivre, mais comment survivre, quand on est là-haut ?” Les hiboux mangent les souris ; les souris fuient les hiboux : Souricette le savait bien, qui a entrepris d’amadouer l’oiseau doué. A peine plus grosse qu’une de ses pelotes de réjection, elle allait balayer ses déjections et nourrir de sa vie l’existence du seigneur de nuit qui, malgré son aile blessée, bougonnait avec bagout.
Était-ce de la dévotion face au sombre artiste ? Était-ce jouir à son tour de la lumière de gloires anciennes ? Était-ce la mère ou l’amante qui, tous les matins, faisait entrer le soleil dans leur tanière ? Toujours est-il Souricette y a travaillé plus qu’à son tour et, comme on s’en doute, y a pété généreusement de jour comme de nuit. Jusqu’à ce moment funeste où une odeur lui est montée au nez, qui n’était plus la sienne. D’habitude, les odeurs familières lui montaient directement aux narines et elles étaient rassurantes pour la souris. Mais, cette fois, si l’odeur était connue, elle restait difficile à reconnaître. Sauf si…
Comme un coup de tonnerre, le souvenir de la Nuit des Chasseurs lui est revenu et son cœur lui est remonté jusqu’au bord de la gorge. Était-ce une senteur du vieil hibou ou l’odeur musquée de son frère P’tit Père ? Rôdait-il au pied de l’arbre ? Mais que voulait donc dire cette madeleine de proute ?
Qu’à cela ne tienne ; ni une, ni deux ; courage, fuyons : voilà notre Souricette à nouveau sur les chemins, alertée par une odeur dont elle ne peut que taire l’horreur.
Chanson :
Si la nuit, le hibou règne au faîte
Et fait des tours avec sa tête,
Garde-toi bien d’y grimper,
Tu pourrais y perdre pied.
C’est alors, qu’en chemin, elle rencontre l’ours Biguebaire, souriant et aimable, quoiqu’un peu tracassé par une drôle de machine qu’il vient de fabriquer de ses grosses pattes, là-bas au bord de la clairière fleurie.
“C’est une pétarade à vents“, lui explique-t-il, “le vent du Soir entre par ici et fait un bruit de proute en ressortant par là. L’avantage, c’est que cela ne sent pas mauvais, puisque c’est l’air des fleurs de la clairière. Ecoute, je vais le faire tourner.” Tout à son affaire, Biguebaire s’empare de la manivelle, tourne trois fois puis, dans l’excitation de cette première démonstration, lâche lui-même un vaste et généreux pet d’ours, le genre de flatulence qui vous dénude un bois de sapin !
L’ours un peu marri de l’inconvenance, s’excuse et dit gentiment à Souricette : “C’est toujours comme ça pour nous, les souris, on pète“. “Mais tu n’es pas une souris“, répliqua Souricette, “puisque tu es un Ours“. “Je sais, je sais, tu es gentille de me le dire“, soupira Biguebaire, “je l’ai toujours su mais, tu vois, tu vois, je n’osais pas le vivre“.
“Moi, je suis une souris, pas toi“, insista Souricette. A ces mots, Biguebaire tourna la tête et la regarda trèèès intensément : chacun de ses deux yeux était sooombre comme le fond de sa caverne… Un instant, elle eut peur qu’il ne la dévorât. Mais Biguebaire sourit alors et lui souffla doucement, posant son gros museau sur les lèvres petites de la souris : “Non, toi, tu es une Princesse“. Il l’embrassa longuement et, toujours ensemble, ils pétèrent heureux à jamais… plus un jour.
Chanson :
Et Souricette trottinait,
A chaque pas lâchant un pet.
“Proutprout et proutprout”
Chantait-elle sur sa route…
[INFOS QUALITE] statut : révisé | mode d’édition : rédaction, partage, édition et iconographie | auteur et voix du podcast : Patrick Thonart | crédits illustrations : en en-tête, © Bénédicte Wesel; © DR.
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