DAGUIN, Clara (née en 1987)

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[FR.FASHIONNETWORK.COM, 29 octobre 2023] Cette créatrice franco-américaine, âgée de 36 ans, est née à Levallois-Perret en région parisienne puis a grandi dans la Silicon Valley californienne, qui est considérée comme le berceau de l’innovation technologique. Avec un père ingénieur en électronique, la digitalisation et la dématérialisation deviennent rapidement ses sujets de prédilection.

Diplômée en design graphique du California College of the Arts en 2009, Clara Daguin passe six mois en Inde puis rentre en France, où elle laisse libre cours à sa passion pour la mode. Son master de “Fashion design” de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad) de Paris en poche, elle enchaîne avec un stage chez Margiela.

La styliste en herbe participe ensuite au 31e Festival international de mode et photographie de Hyères, en avril 2016. Avec sa collection de vêtements hybrides à l’allure futuriste, qui s’illuminent en fonction des battements du cœur de la mannequin, elle se hisse parmi les finalistes. Et crée sa marque éponyme dans la foulée.

En utilisant la mode comme un medium, Clara Daguin explore la relation (parfois ambiguë) entre les corps et les nouvelles technologies. Dans son travail artistique, la créatrice de mode basée dans le nord-est de Paris, à deux pas du Centquatre (XIXe arrondissement), crée des tenues poétiques, interactives et résolument expérimentales, sur lesquelles elle attache des circuits électroniques intégrés, des microprocesseurs, des piles, de fins câbles, des LED, des fibres optiques ou encore des capteurs de lumière et de température.

“Depuis 2016, je constate que beaucoup de gens qui se sont lancés dans la fashion tech en sont partis, car c’est vraiment compliqué d’intégrer la technologie dans une collection commerciale, qui puisse se vendre, admet Clara Daguin. Il me faut parfois plusieurs mois pour créer certaines tenues sur-mesure”, ajoute l’entrepreneure qui pilote une équipe de trois personnes et qui recherche “un binôme orienté business”.

​”Certes il y a eu un engouement pour la fashion tech ces dernières années mais c’est difficile d’en vivre. Je prête souvent mes pièces pour des éditos presse et des shootings et je fais également du consulting pour des marques plus établies”, confie la créatrice qui jongle au quotidien entre une créativité sans limite et la réalité commerciale du secteur de la mode.

Dans son “modèle économique pluridisciplinaire”, Clara Daguin propose “la location de pièces couture, plébiscitée par des VIP, qui négocient souvent à la baisse les tarifs” ainsi qu’une petite offre de prêt-à-porter sur son site web (avec notamment des foulards en coton à 45 euros et des bombers oversize aux détails réfléchissants proposés à 750 euros).

Elle compte dans sa clientèle des célébrités internationales comme la musicienne islandaise Björk (pour sa performance à Coachella en avril, elle portait la veste bleu nuit “Sun” brodée de 1.430 ampoules LED réagissant au son), le chanteur nigérian Burna Boy (pour son concert à Paris en mai dernier) ou encore l’artiste monténégrine Vladana Vučinić qui, ​pour la demi-finale de l’Eurovision 2022, avait enfilé une somptueuse robe bardée de LED s’illuminant et rayonnant selon les fluctuations de la musique.

Cette dernière est issue de la flamboyante collection Cosmic Dance, présentée en janvier dernier pendant la semaine de la haute couture à Paris à la maison Baccarat, spécialiste du cristal avec qui elle collabore sur un plan créatif depuis deux ans. Clara Daguin fait rayonner ses pièces combinant broderies artisanales et technologies pointues avec des collaborations cosmiques.

En 2021, la créatrice geek a imaginé cinq robes époustouflantes conçues avec l’incubateur Advanced Technology and Projects (ATAP) de Google et sa technologie “Jacquard” (un tissu intelligent et tactile). Cette collection baptisée “Oracle” a été présentée au musée Grévin à Paris, et elle a ensuite été déclinée numériquement. Ces NFT sont commercialisés au prix de 111,87 euros sur le site de mode virtuelle DressX.

Avec ses collaborations audacieuses, la styliste s’essaie au mass-market. “Je vais dévoiler au printemps une capsule imaginée avec La Redoute”, sourit-elle. Les pièces, commercialisées en édition limitée par l’enseigne nordiste dès le mois de mars prochain, arborent “un côté sportif avec des matières réfléchissantes”. Au programme: une robe, un pantalon et une veste bomber.

Egalement passionnée par la décoration et l’architecture d’intérieur, Clara Daguin travaille sur des œuvres murales et des tapisseries géantes (de 9 mètres sur 5) réagissant aux sons, qui seront exposées à partir de début décembre dans l’église Saint-Eustache à Paris, près du Forum des Halles.


© Clara Daguin

[FRANCETVINFO.FR, 4 mai 2023] En utilisant la lumière tel un matériau, Clara Daguin confronte haute couture et haute technologie pour une mode qui s’inscrit entre le monde physique et le digital. Etonnant.

Clara Daguin, qui est née en France, mais a grandi dans la Silicon Valley en Californie, s’empare de ces deux cultures pour son travail où s’entrelacent savoir-faire et technologie, broderie et électronique, naturel et artificiel. Elle se sert de la mode pour explorer comment la technologie accompagne nos corps – digitalisation, dématérialisation, surveillance – et utilise la lumière tel un matériau. La créatrice, qui a créé sa marque en 2017 à l’issue de sa participation au Festival International de mode, de photographies et d’accessoires d’Hyères, collabore également avec des artistes, des chercheurs et des institutions. En janvier 2023, elle a présenté une robe confectionnée avec 400 pampilles de cristal Baccarat, une collaboration entamée en 2021 lors de l’exposition Harcourt Show.

Rencontre et explications avec la créatrice Clara Daguin.

Franceinfo Culture : pourquoi s’intéresser à la technologie ?

Clara Daguin : J’ai toujours fait de la couture depuis que je suis petite mais je ne la voyais pas comme un moyen d’expression artistique : c’était juste quelque chose que j’aimais faire. Aux Etats-Unis, où j’ai grandi, j’ai suivi un Bachelor de graphisme. J’ai choisi ce domaine car je trouvais intéressant de pouvoir utiliser plein de techniques différentes. Là-bas, la première année, on peut tout expérimenter : j’ai testé la peinture, la photographie, la gravure… J’aimais faire des logos, de l’identité visuelle, des sites internet, des choses interactives et des vidéos.

En 2010, j’ai vécu six mois en Inde : j’ai vu des artisans de mode, des matières incroyables, de la broderie, cela m’a donné envie d’acheter des matériaux et de recommencer un peu à réaliser des choses. Là-bas, j’étais embauchée par une entreprise française d’urbanisme pour créer leur site internet. Quand je suis rentrée vivre à Paris, j’ai continué avec eux mais l’artisanat et ses matériaux m’étaient restés en tête. Je me suis inscrite à un cours de stylisme de mode de la mairie de Paris et j’ai envisagé cela comme un projet artistique, créatif. J’ai, alors, fait des dessins puis une collection.

Vous avez créé votre marque à l’issue de votre participation au Festival international de mode d’Hyères.

Après les cours à la mairie de Paris, j’ai postulé à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs où j’ai fait un master de design/vêtements. J’avais comme professeur Elisabeth de Senneville qui était une des premières créatrices à utiliser des matières techniques, de la fibre optique… J’adorais son cours. Certains d’entre nous ont ainsi participé à un workshop avec le MIT (Massachusetts Institute of Technology) : il s’agissait de hacker des chaises Ikea avec un microprocesseur et des capteurs pour leur donner une nouvelle utilité. Là, j’ai compris que tout ce que je faisais en graphisme – le côté interactif – pouvait être appliqué à un objet. Cela m’a alors obsédée. Ma collection de diplôme était axée sur les recherches matières avec des tubes en textile pour représenter l’idée de data [données numériques], d’informatique, de technologie. J’avais commencé à intégrer de la vraie fibre optique mais cela ne marchait pas bien, c’était un premier test.

Pour le Festival de Hyères, j’ai retravaillé ma collection en intégrant une fibre optique plus souple et un peu moins de broderie. L’idée de ma collection Body Electric était que la technologie uniformise : sur mes vêtements j’ai réalisé des découpes à différents endroits. Cela permettait de voir ce qui était caché, de révéler une partie lumineuse du corps, de dévoiler un peu le côté cyborg de l’humain.

En 2016, il y avait un foisonnement autour de la Fashion Tech, les gens étaient super intéressés et ils faisaient des choses avec des leds ou des trucs interactifs. J’ai été invitée à voyager pour présenter ma collection et à faire des conférences sur cette technologie. Je me suis dit alors qu’il y avait un réel intérêt pour ce travail et qu’il fallait continuer. En parallèle, je travaillais en free-lance en broderie dans un atelier et pendant les Fashion Weeks pour Alexander McQueen. L’année suivante, j’ai fait une deuxième collection pour le Festival de Hyères ce qui m’a permis de travailler de nouvelles pièces.

Vous êtes un peu touche-à-tout : au salon Première Vision, vous avez réalisé une installation interactive

En 2018, j’ai travaillé avec le salon Première Vision qui m’a proposé de créer une pièce pour le Wearable Lab dans le cadre d’une exposition où des entreprises présentaient des solutions techniques innovantes. J’avais un espace d’exposition de 100 m2 pour présenter Aura Inside, ma pièce sur mesure. En fait, c’était une robe ouverte en deux parties, le devant et le dos, à l’intérieur desquelles le visiteur pouvait se glisser. Un motif s’illuminait quand les gens rentraient dedans. L’exposition s’intitulait Reveal The Invisible.

Ensuite, j’ai participé pendant deux saisons à Designers Appartement [‘incubateur-showroom’ organisé par la Fédération de la Couture et de la mode où la créatrice a présenté une collection de prêt-à-porter féminin, dans laquelle on retrouve les codes de la pièce expérimentale Aura Inside. Après j’ai eu envie d’explorer, de pousser plus loin la technologie et de me recentrer sur l’expérimentation.

Une de vos pièces a demandé 3 000 heures de travail !

En 2019, pendant la semaine de la haute couture, à la Chapelle Expiatoire à Paris, j’ai présenté Atom. Cette seule pièce avait demandé 3 000 heures de travail, en effet. Elle était accompagnée d’une bande-son car elle réagissait aux différents sons. L’idée était que visuellement tout évoque les ondes sonores, avec de la broderie et des perles. Lors du Festival de Hyères, j’avais réalisé des petites broderies tandis que là le vêtement était entièrement brodé. Avec le temps, on évolue tant dans le choix des matériaux utilisés que dans la programmation. De fin 2019 à l’été 2022, j’étais salariée du concept-store de Dover Street Parfums Market et j’ai fait aussi du consulting, après j’ai réalisé une robe pour l’Eurovision.

C’était pour la chanteuse représentant le Montenegro en 2022. Comment est née cette collaboration ?

J’ai fait une robe lumineuse sur mesure. Vladana Vučinić m’a contacté sur Instagram. Elle m’a dit “je veux être la chose la plus lumineuse sur scène.” J’ai alors réalisé des dessins pour cette robe qui s’illumine au niveau du thorax puis derrière le corps en une sorte de halo. Ma robe réagissait aux fluctuations de la mu­sique. La pièce avait été pensée par rapport à la scénographie qui représentait un soleil cinétique.

Certaines de vos robes sont le fruit d’un partenariat avec Google ATAP

En 2021, j’ai mis en scène cinq robes lumineuses interactives en partenariat avec les ingénieurs de Google ATAP (Advanced Technology and Projects). J’avais une carte blanche artistique pour intégrer la connectivité dans mes vêtements grâce à la technologie Jacquard by Google, un fil très fin et conducteur. Leur ingénieur s’occupait de la programmation et m’indiquait pour chaque modèle à quel endroit il fallait connecter le microprocesseur à la broderie.

La performance s’articulait autour d’Oracle : l’histoire d’une diseuse de bonne aventure – interprétée par la mannequin et muse Axelle Doué – qui lisait les lignes de la paume de la main de son interlocutrice de façon numérique. La technologie était brodée sous forme de fil dans les gants portés par Axelle les transformant en capteurs. Ces derniers renvoyaient les informations pour éclairer avec plus ou moins d’intensité l’une des quatre robes – inspirées des élements : eau, feu, terre et eau – de cette performance.

Elles ont même été disponibles dans l’univers virtuel grâce à la plateforme DressX

Quand j’ai fait cette collaboration avec Google, DressX [entreprise qui créée des vêtements digitaux pouvant être portés en filtre grâce à la réalité augmentée] s’est greffée sur cette collaboration et a digitalisé certaines de mes pièces pour sa plateforme. Je trouve cela super intéressant de pouvoir acheter des pièces virtuelles, digitales, adaptées à la morphologie de la personne.

Vous avez débuté en 2021 une collaboration avec Baccarat qui s’est poursuivie cette saison. 

En 2021, j’avais été invitée par Laurence Benaïm à l’exposition Hartcourt Show, une exposition de onze jeunes créateurs de mode réinterprétant l’iconique verre Harcourt. En janvier 2023, pendant la semaine de la haute couture, j’ai présenté Cosmic Dance, ma nouvelle collaboration. Là, j’ai confectionné une robe avec 400 pampilles de cristal Baccarat, lumineuses. Une toute petite Led – glissée de chaque côté de chaque pampille en cristal – illuminait la robe. C’était très upcycling !

Quels sont vos projets ? 

J’ai un projet avec la danseuse Véronika Akopova. Cette chorégraphe fait partie des sélectionnés de la bourse Mondes nouveaux du Ministère de la Culture. Sa pièce  Murmurations sera jouée au château d’Azay-Le-Rideau, en juin prochain avec cinq danseurs ainsi que des drônes-oiseaux, puisque la danseuse évoque leur disparition. Je réalise les costumes avec des matières réfléchissantes dont les motifs reprennent des photos d’oiseaux en mouvement.

Sinon, je prête mes robes pour les shootings photo à des magazines, ce qui fait de la visibilité. Je loue aussi certaines de mes pièces – j’ai une vingtaine de modèles – pour des concerts ou des clips vidéos. Et pour 2024, on va faire une collaboration avec La Redoute.

Vous considérez-vous comme créatrice, artiste ou ingénieure ?

Je me pose la question tous les jours. C’est un peu un mélange, artiste, créatrice et ingénieure mais j’ai toujours besoin d’un ingénieur extérieur pour écrire le code. Je fais aussi un peu de prêt-à-porter, des pièces très basiques comme des casquettes phosphorescentes et des foulards dont les motifs évoquent la lumière… disponibles sur mon site internet. Je suis créatrice de mode avec mes vêtements couture mais je peux aussi faire des objets, des collaborations et des partenariats avec d’autres maisons, me diversifier et dans cet esprit, je me sens alors plus artiste. La led évolue en devenant de plus en plus petite et forte donc cela permet d’explorer plein de choses.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, édition et iconographie | sources : fr.fashionetwork.com ; francetvinfo.fr | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Clara Daguin | visiter le site de Clara Daguin


Plus de scène en Wallonie-Bruxelles…

SERRA, Richard (1938-2024)

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[RTBF.BE, 27 mars 2024] L’artiste américain Richard Serra, figure majeure de l’art contemporain avec des œuvres monumentales constituées de plaques d’acier CorTen, est mort mardi [26 mars 2024] à 85 ans, selon le New York Times qui cite son avocat.

Il s’est éteint chez lui dans l’État de New York des suites d’une pneumonie, selon le quotidien américain. Exposé des grands musées américains au désert du Qatar, Richard Serra a livré des œuvres massives, arrondies, à l’aspect pourtant minimaliste, poussant la réflexion sur l’espace et l’environnement.

Né à San Francisco d’une mère d’origine juive russe et d’un père espagnol, il se forme à Paris puis s’installe dans les années 1960 dans un New York en plein bouillonnement artistique. A la fin de cette décennie, il publie un manifeste puis révèle une œuvre fondatrice, One ton prop (House of cards), quatre plaques de plomb de 122 x 122 cm, maintenues en équilibre par leur propre poids, à la manière d’un château de cartes.

Les quatre plaques d’acier de l’artiste américain Richard Serra, qui font partie de l’installation “Est-Ouest/Ouest-Est”, dans le désert du Qatar, à environ 70 kilomètres de Doha (2022) © Guiding Architects

Il passe ensuite à de grandes plaques d’acier CorTen d’un brun-orangé, comme rouillées, exposées à New York, Washington, Bilbao, ou encore Paris. En 2014, il plante même de sombres tours dans le sable du Qatar, si loin qu’il faut un 4×4 et une bonne carte pour s’y rendre, à 70 km de la capitale, Doha. “Quand on voit mes pièces, on ne retient pas un objet. On retient une expérience, un passage”, disait-il en 2004.

L’acier CorTen : un matériau détourné

Ce matériau, habituellement réservé au monde de la construction et de l’architecture, a la particularité de changer de couleur au fil du temps. Il passe du gris à l’orange, jusqu’au marron foncé après quelques années. Et si l’artiste voue un tel intérêt aux pièces immenses, c’est parce que son matériau principal n’est pas l’acier mais bien l’espace, qu’il aime exploiter dans ses dimensions les plus démesurées. Pour arriver à un tel résultat, Richard Serra conçoit d’abord des maquettes, puis, il fait des tests grâce à un logiciel de calcul, pour finalement faire appel à des usines qui produisent ces grandes plaques singulières. Un monde qu’il connaît bien, car il a lui même travaillé dans une aciérie pour financer ses études.

Richard Serra s’inscrit comme l’un des fondateurs du minimalisme, une branche de l’art contemporain qui voit le jour dans les années soixante aux États-Unis. La spécificité de ce courant artistique réside dans la “soustraction”. Les formes brutes et épurées embrassent la doctrine du “less is more” caractéristique principale du mouvement.

Rédaction / Belga


© arch daily

[CONNAISSANCEDESARTS.COM, 27 mars 2024] Richard Serra est décédé ce mardi 26 mars à 85 ans. Connu pour ses œuvres monumentales en acier Corten, l’artiste était un des plus grands sculpteurs de notre époque.

“Je considère l’espace comme un matériau. L’articulation de l’espace a pris le pas sur d’autres préoccupations. J’essaie d’utiliser la forme sculpturale pour rendre l’espace distinct”, disait Richard Serra. Hier, le sculpteur est décédé à l’âge de 85 ans des suites d’une pneumonie, à son domicile dans l’État de New York, selon les informations du New York Times. Il était un des plus grands artistes contemporains, dont les œuvres monumentales ont été exposées de New York au désert du Qatar, en passant par Paris. Retour sur la vie de celui qui a poussé l’art minimal à son paroxysme et qui a fait de l’acier Corten des sculptures labyrinthiques à vivre.

Remettre à l’honneur le matériau

Richard Serra est né en 1939 à San Francisco. Aujourd’hui encore, il se souvient de sa passion précoce du dessin qui le conduit, dès 4 ans, à s’abandonner avec bonheur au plaisir de créer. “Ma mère avait décidé très tôt que mon frère serait avocat et moi artiste. Ce qui s’est passé.” La première rupture date de 1961, année où il intègre la section art de Yale. L’université est alors un formidable pôle de confrontation entre différentes disciplines artistiques, invitant chaque semaine les artistes new-yorkais à venir enseigner. Ses professeurs seront Philip Guston, Frank Stella, Robert Rauschenberg, Ad Reinhardt et Josef Albers. Son horizon s’élargit.

Quelques années plus tard, en 1966, ses premières pièces sont encore marquées par l’activisme de Yale. Il expérimente, s’interroge sur la définition du geste artistique. Son environnement, ses amis l’encouragent. À la fin des années 1960, dans cet incroyable creuset artistique qu’est New York, il croise toute la jeune génération d’artistes. Robert Smithson, Donald Judd, Philip Glass, Steve Reich deviennent ses amis. Il faut tout remettre en question, détruire pour reconstruire. Bruce Nauman, Eva Hesse produisent des sculptures sans véritables formes. Il découvre Yvonne Rainer et ses performances dansées, la manière dont elle interroge le temps, la position du corps et de l’objet, la façon dont elle ouvre ou ferme l’espace.

Jeter, suspendre, enrouler

L’expérience, voilà sans doute le moyen de se dégager de l’art minimal qui règne en maître dans les débats artistiques. Un temps, le film lui permet cela. Hand Catching Lead (1968), par exemple, voit sa main tenter de saisir au vol un morceau de plomb. L’œuvre est sans statut, oscillant entre performance et répétition d’un geste jusqu’à l’absurde. La rupture intervient vraiment en 1967 avec To Lift, sculpture constituée d’une plaque de caoutchouc dressée par un pieu. La matière molle répond à une forme élémentaire s’affirmant dans l’espace comme pur mystère. La logique de remettre à l’honneur le matériau, de le plier à sa volonté trouve son aboutissement dans Verb List, série de verbes recopiés sur une feuille : rouler, marquer, jeter, suspendre, enrouler, couper, retourner, empiler, arranger, localiser… Dès lors, son œuvre sera placée sous le signe de ces actions simples. Bulle ou Double Roll (toutes deux de 1969) se présentent sous la forme d’une feuille de plomb roulée sur elle-même.

© Guggenheim Museum Bilbao

One Ton Drop (House of Cards) de la même année marque un autre tournant. Quatre plaques de plomb sont dressées les unes contre les autres dans un équilibre précaire. Dès lors, ses œuvres joueront de ce paradoxe : une sculpture vaut pour sa forme mais également par la connaissance que nous avons des matériaux et de la gravité. One Ton Drop (House of Cards) est aussi un affranchissement des conventions de la sculpture. Serra cherche à séparer l’œuvre de son contexte, à détruire jusqu’à l’idée même de socle. Or, même posée directement au sol, une sculpture se sert de ce dernier comme socle. Telle une peinture, elle est une figure sur un fond, celui de son environnement. Elle reste image. Cette “convention picturale”, il convient de la détruire pour qu’enfin la sculpture trouve son autonomie. En 1970, deux expériences cruciales le convainquent de la validité de ses intuitions.

Arpenter et regarder

En aidant Robert Smithson pour la réalisation de la fameuse Spiral Jetty, il découvre qu’une forme simple peut générer une expérience forte pour peu qu’elle intègre des dimensions qui excèdent le corps humain. Le visiteur est au coeur de l’oeuvre et ne peut, par le regard, en saisir toutes les composantes. L’œuvre ne doit plus (et ne peut plus) être fabriquée par les mains de l’artiste. L’atelier devient simple bureau où des assistants ingénieurs calculent les contraintes techniques des quelques esquisses. L’importance du dessin, de la lithographie et de l’édition dans l’œuvre de Serra trouve là son origine, dans sa volonté de produire lui-même des oeuvres, de poursuivre par d’autres moyens les joies d’une activité d’atelier.

La seconde expérience, encore plus cruciale, est sa découverte des jardins zen japonais avec en leur centre le Ma, cette fameuse idée entremêlant vide et énergie. Pulitzer Piece: Stepped Elevation (1970- 1971) sera l’une de ses premières vastes interventions dans le paysage, constituée de trois immenses lames d’acier. Avec ce matériau capable de s’incarner dans des formes monumentales, Serra enrichit son vocabulaire. Il n’est alors pas le premier à mettre l’accent sur le matériau. Rodin, en son temps, avait inauguré ce mouvement. La représentation intégrait et exposait les données physiques de la matière, sa lourdeur, son refus de se laisser creuser, d’obéir au geste de l’artiste. Mais c’est vers Picasso que s’était tourné le jeune Serra au début 1964, attiré notamment par les assemblages en métal de 1912-1913 comme Guitare, alors exposée au MoMA, à New York. De son séjour en France et en Italie en 1965, il avait aussi retenu de Brancusi ses formes élémentaires et sa capacité à jouer des surfaces, opposant par exemple le poli au rugueux.

Organiser l’espace avec l’acier

Avec l’acier, Serra allait trouver une qualité de rendu sans équivalent, ni particulièrement beau, ni dépourvu d’intérêt. En cela, il s’opposait d’une certaine manière à Carl Andre et ses damiers de métal posés à même le sol. Bien que brut, le matériau chez Carl Andre garde une certaine sensualité, renforcée par l’effet de composition. La sensualité, Serra la trouvera dans l’acier Corten, alliage spécifique rendant la matière inoxydable. Avec le temps, la surface se couvre automatiquement d’une couche protectrice passant du vert à l’orange, puis au rouge ou au brun foncé. Mais l’acier reste pour lui une manière d’organiser l’espace, comme il ne cessera de l’affirmer.

Ses grandes interventions du début des années 1980 dans les espaces publics marquent ce changement d’échelle. Tantôt courbes et sinueuses, tantôt verticales et anguleuses telles des tours, elles activent l’espace public en le perturbant et en contraignant le visiteur à les intégrer dans son expérience. Au contraire des sculptures produites à la même époque par Bernar Venet, elles s’opposent également à l’architecture et à son formalisme. Le concept n’est pas du goût de tous. Commandé par le gouvernement américain, Tilted Arc, installé sur Federal Plaza à New York, se retrouve sous le feu des projecteurs : une pétition des habitants du quartier entraîne le gouvernement à ordonner sa destruction. Un procès très médiatisé s’ensuit, Serra défendant sa propriété morale sur l’œuvre.

C’est dans ce contexte qu’il installe la double ellipse Clara-Clara dans le jardin des Tuileries à Paris. L’exemple ne lui sera d’aucune utilité. Tilted Arc est finalement détruit en 1989 alors qu’il enchaîne les commandes à travers le monde, posant même en France quelques œuvres imposantes (Philibert et Marguerite à Bourg-en-Bresse, Octagon for Saint Eloi à Chagny, Single Double Torus pour LVMH à Paris). La création en 1996 des premières Torqued Ellipse démontre sa volonté d’intégrer plus intimement le temps propre à chaque espace. Conçues comme des ellipses en apesanteur, ces formes contraignent le spectateur à se perdre entre les parois courbes d’un espace clos sur lui-même.

Le contenu c’est votre propre expérience alors que vous marchez dans, à travers, et autour de l’ensemble du champ sculptural.

Richard Serra

Le temps s’étire, la matière enserre, se referme sur le corps du visiteur avant de l’expulser dans le noyau central, vide. Le succès est immédiat. L’installation au Dia: Beacon est un tel succès que le Guggenheim de Bilbao commande à l’artiste pas moins de huit sculptures monumentales similaires. L’installation The Matter of Time (2005) est immédiatement saluée comme une œuvre charnière dans l’art contemporain. La rétrospective au MoMA en 2007 confirme cet engouement du public, enfin conquis par ces sculptures accélératrices d’expérience.

Marcher dans le champ sculptural

En 2008, pour la seconde édition de Monumenta, Richard Serra propose une Promenade dans la nef du Grand Palais. Constituée de cinq éléments imposants, dressés verticalement, décalés les uns par rapport aux autres et légèrement “décadrés”, cette installation monumentale invite le visiteur au déplacement et à la découverte de multiples points de vue. De ce mouvement surgissent divers questionnements sur le regard, la mémoire, la compréhension d’une œuvre, la construction d’une expérience cognitive et sensible.

“Vous n’avez pas besoin de connaître quoi que ce soit sur l’histoire de la sculpture ou sur l’histoire de l’art pour comprendre, voir et percevoir ce travail conçu en relation avec l’espace. […] Il ne s’agit pas juste de grandes plaques en l’air, mais le contenu c’est votre propre expérience alors que vous marchez dans, à travers, et autour de l’ensemble du champ sculptural. […] Il n’y a de contenu ni dans les plaques, ni dans l’acier, ni dans le rythme des cinq plaques”, avouait Richard Serra. La présentation, sous l’impulsion d’Alfred Pacquement s’enrichissait de nombreuses intervention extérieures, laissant cinéastes, écrivains, philosophes exprimer leur relation à Serra. En parallèle, les œuvres Clara-Clara et Slat étaient respectivement réinstallées dans le Jardin des Tuileries à Paris et à la Défense.

En 2012, il plante une immense sculpture heptagonale de 24 m de haut composée de sept plaques d’acier convergentes, sur le port de Doha (Qatar). L’œuvre imite un minaret et reflète la culture islamique, au bord du golfe. Deux ans plus tard, l’artiste installe des tours dans le désert qatari, à 70 km de la capitale, pour la sœur de l’émir, cheikha Al-Massaya Bint Hamad Al-Thani. Après la crise sanitaire due au Covid-19, Richard Serra revient à Paris pour présenter Transmitter (2020) dans le vaste espace d’exposition de Gagosian au Bourget. En parallèle, le Centre Pompidou présente une rétrospective de trois jours de films et de vidéos de Serra tirés de la collection du musée ainsi que de celle du Museum of Modern Art de New York.

Du Guggenheim Museum au Reina Sofía de Madrid, en passant par le Kunstmuseum Basel, de nombreuses institutions ont rendu hommage à Richard Serra sur les réseaux sociaux. Jusqu’au 30 avril, la galerie Lelong & Co. à Paris présente quant à elle Casablanca (2022) une suite de six œuvres graphiques réalisées en collaboration avec le maître imprimeur Xavier Fumat à l’atelier Gemini G.E.L. de Los Angeles et montrées pour la première fois dans la capitale. Dans ces œuvres gravées, l’artiste a poussé l’estampe à ses limites en les recouvrant de matière noire. Pour Larry Gagosian “Richard Serra était un titan qui a transformé la définition même de la sculpture et du dessin. Plus que cela, il nous a changé, notre façon de voir et de ressentir notre chemin vers une expérience élémentaire et sublime. Il nous a mis au centre de son art. Avant le matériau, l’espace, le poids et la mesure, c’était notre expérience qui lui tenait le plus à cœur.”

Agathe Hakoun & Damien Sausset


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation, correction et décommercialisation par wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article :  “The Matter Of Time” © edition.cnn.com ; © Guiding Architects ; © Guggenheim Museum Bilbao ; © arch daily.


Plus d’arts visuels en Wallonie et à Bruxelles…

Sergueï Rachmaninov, compositeur trop populaire ?

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[RADIOFRANCE.FR/FRANCEMUSIQUE, 31 mars 2023] Rien qu’avec ses concertos pour piano, Sergueï Rachmaninov s’impose dans l’histoire de la musique du XXe siècle. Le reste de l’œuvre de ce compositeur et pianiste virtuose, encore méconnue du grand public, nous en dit plus sur ce créateur victime de son époque et surtout de son succès.

Le nom de Sergueï Rachmaninov évoque avant tout de puissantes compositions pour piano, une sonorité russe unique et séduisante. À sa mort en 1943, Rachmaninov est considéré comme l’un des plus grands virtuoses du clavier : le pianiste des pianistes. On le considère aussi comme l’auteur de certaines des plus belles pages pour piano, grâce notamment à son célèbre Prélude en ut dièse mineur et ses concertos. Pourtant, en 1954, la prestigieuse encyclopédie de la musique occidentale, le Grove Dictionary of Music and Musicians, résume l’œuvre et l’héritage de Rachmaninov en seulement quelques phrases : “Sa musique est bien construite et produit de l’effet, mais elle est monotone dans sa texture, laquelle consiste essentiellement en mélodies artificielles et débordantes, accompagnées par toutes sortes de formules dérivées d’arpèges. L’énorme succès populaire qu’a connu Rachmaninov de son vivant pour une poignée d’œuvres ne saurait durer, d’autant que ce succès n’a jamais été du goût des musiciens“, écrit le musicologue et critique musical britannique Eric Blom.

On reproche notamment à Rachmaninov d’avoir été “en tant que pianiste […] l’un des meilleurs artistes de son temps ; en tant que compositeur, on ne peut prétendre qu’il ait appartenu à son temps.” Il est donc à la fois adulé par le public pour une petite partie de ses œuvres seulement mais rejeté par la critique musicale qui voit en lui un compositeur trop populaire et romantique, en retard sur son époque.

Un romantique parmi les modernistes

Les œuvres de jeunesse de Rachmaninov révèlent un style lyrique forgé sous l’influence des grands maîtres russes du XIXe siècle, dont Tchaïkovski, Rimski-Korsakov, Taneyev et Rubinstein. De ces premières influences naît progressivement une voix personnelle, plus ample et expressive, mais la philosophie musicale de Rachmaninov restera fermement enracinée dans une tradition spirituelle et romantique russe du XIXe siècle.

Alors que sa carrière de compositeur s’étend sur les premières décennies du XXe siècle, désormais dominées par le modernisme en musique, Rachmaninov se retrouve en nette contradiction avec la musique de ses contemporains. Sa musique est empreinte d’émotion à une époque où l’on se méfie du sentiment en musique.

Héritier d’une tradition musicale passée, la musique de Rachmaninov est ainsi critiquée autant par les conservateurs russes que par les modernistes. En Europe et aux États-Unis, ses œuvres se heurtent aux partisans du nouveau modernisme européen et surtout allemand, qui relèvent dans la musique de Rachmaninov un manque de modernité et de rigueur formelle. Rachmaninov se retrouve ainsi coincé entre le passé et l’avenir, sa musique rejetée par les arbitres du bon goût musical.

“Je ne suis pas un compositeur intellectuel mais plutôt émotionnel. Je ne traite pas dans des abstractions ou des tortures cérébrales et des postures. Je me sers d’une narration musicale, afin de raconter une histoire en musique comme le font les écrivains avec les mots. Je souhaite envelopper l’auditeur dans une chaleur, lui révéler et lui ouvrir de riches paysages, afin de le transporter vers un monde idéal. Pas utopiste, car il y a un sous-courant de tristesse dans ma musique. Mais un endroit où la souffrance et la paix sont transcendées en un tout guérissant”, se défend Rachmaninov dans une interview publiée en octobre 1959 dans le magazine HiFi Review.

Alors que la modernité en musique est à l’ordre du jour , Rachmaninov reste sans vergogne dans les modèles romantiques du XIXe siècle : raison suffisante pour que la critique musicale rejette son œuvre. D’autant plus que celle-ci semble (trop ?) plaire à son public.

Rachmaninov jouant pour sa petite-fille Sophie (New York, 1927) © AP Photo

Un compositeur à succès malgré lui

Démodé et considéré comme sans intérêt aux yeux de la critique, Rachmaninov souffre paradoxalement du succès démesuré et écrasant de ses premières œuvres, dont le Concerto pour piano n°2 et surtout le Prélude en ut dièse mineur. La popularité de ce dernier est telle qu’on surnomme le compositeur “Monsieur ut dièse mineur”. Le succès de ces œuvres est donc bien la preuve du manque de sérieux de cette musique, selon les critiques : “le public vénère Rachmaninov parce qu’il a atteint le centre du goût musical du philistin moyen”, résume le critique russe Vyacheslav Karatygin en 1913.

La popularité des concertos pour piano de Rachmaninov perdure également bien après sa mort. Leur succès ne cesse de croître au point de s’émanciper des salles de concert pour rejoindre celles du septième art. En seulement dix ans, le deuxième concerto figure dans pas moins de cinq bandes-originales de cinéma : Brief Encounter (1945), I’ve always loved you (1946), September Affair (1950), Rhapsody (1954) et The Seven Year Itch (1955), sans parler de l’influence de l’œuvre sur les générations à suivre de compositeurs de musiques hollywoodiennes. Le deuxième concerto sera même repris comme “échantillon” dans la chanson All by Myself d’Eric Carmen en 1975. Le troisième concerto, quant à lui, figure dans la bande originale du célèbre film Shine (1993).

Dans l’ombre de ces œuvres devenues des monuments de la culture musicale populaire se cachent d’autres œuvres de Rachmaninov largement négligées, dont Les Cloches, poème pour orchestre symphonique, chœur et solistes, les Variations sur un thème de Chopin, les Variations Corelli, les Études-Tableaux, trois opéras (Aleko, Le Chevalier Avare et Francesca da Rimini), ainsi que plusieurs dizaines de chansons et onze œuvres pour chœur.

Si les œuvres tardives de Rachmaninov révèlent une évolution progressive et une ouverture aux idées modernistes, sans pour autant trahir les valeurs romantiques chères au compositeur, ces développements ont lieu au sein d’un style déjà défini aux yeux de son public, d’un style à connotation populaire et hautement romantique. Malgré la sophistication de ses compositions tardives, la musique de Rachmaninov reste toujours celle du compositeur du célèbre Prélude en ut dièse mineur.

Victime de la révolution

Le 8 mars 1917 éclate en Russie le mouvement révolutionnaire qui mène au renversement du régime tsariste et, par conséquence, à la fin de l’Empire russe. Contraint de fuir son pays et de ne plus jamais y retourner, Rachmaninov met de côté sa carrière de compositeur, alors en pleine évolution stylistique. Le musicien en exil décide de s’installer aux États-Unis pour des raisons financières, et choisit la scène comme source de revenus principale.

Au-delà d’un manque d’inspiration dû au départ soudain de sa terre natale, le rythme exténuant de sa nouvelle vie de pianiste virtuose lui laisse peu de temps pour se concentrer sur la composition. En conséquence, Rachmaninov n’écrit aucune œuvre originale entre 1918 et 1925, et de 1926 jusqu’à sa mort en 1943 ne signe que six nouvelles compositions, dont sa Symphonie n°3. Il révise par ailleurs certaines de ses œuvres précédentes et compose de nombreuses transcriptions pour piano afin d’enrichir son répertoire de pianiste virtuose.

Au moment où Rachmaninov se met à nouveau à composer, il découvre un paysage musical ayant considérablement changé, presque méconnaissable : “Je me sens comme un fantôme errant dans un monde devenu étranger. Je ne peux pas me débarrasser de l’ancienne façon d’écrire et je ne peux pas acquérir la nouvelle. J’ai fait un effort intense pour ressentir la manière musicale d’aujourd’hui, mais elle ne me vient pas”, écrit Rachmaninov en 1939 dans une lettre à Leonard Liebling, éditeur de la publication américaine Musical Courier.

Ses dernières œuvres présentent de nombreuses qualités remarquables, mais souffrent inévitablement d’une comparaison avec les œuvres plus modernes et marquantes de ses contemporains, dont le célèbre Sacre du Printemps de Stravinsky et le Pierrot Lunaire de Schoenberg. À cela s’ajoute la censure de ses œuvres sous le nouveau régime russe. Alors que la politique anti-religieuse du nouveau régime soviétique prend pour cible l’Église orthodoxe russe, les grandes œuvres sacrées de Rachmaninov comme Les Vêpres et La Liturgie de saint Jean Chrysostome, op. 31 sont censurées. En 1931, Rachmaninov se voit de nouveau ciblé par son pays natal lorsqu’il signe une lettre envoyée au New York Times critiquant le régime soviétique pour sa violence. En réponse, sa musique est interdite en URSS pendant plusieurs années, accusée de représenter “l’attitude décadente des classes moyennes inférieures” et jugée “dangereuse sur le plan musical dans la guerre des classes actuelle”, selon un communiqué officiel soviétique.

Le dernier des romantiques

En 1980, l’encyclopédie Grove décide finalement, pour sa nouvelle édition, de mettre à jour son entrée concernant Sergueï Rachmaninov. Désormais reconnu comme une figure majeure de la musique du XXe siècle, le compositeur devient alors “le dernier grand représentant de la fin du romantisme russe”. Reconnu depuis quelques décennies seulement comme un compositeur de premier ordre, Rachmaninov n’a jamais perdu l’espoir que sa musique soit comprise : “Le public comprendra et aimera toujours la musique romantique. Les tonalités amères d’aujourd’hui finiront par disparaître. Certes, ils reflètent notre époque, mais ils ne reflètent pas la chaleur et la profondeur de la compassion dans la nature humaine qui est intemporelle”, résume Rachmaninov dans son interview avec Glenn Quilty, publiée en 1959.

En restant hors de son temps, en survolant l’intellectualisation de la musique moderne, en privilégiant l’émotion, Rachmaninov aurait-il ainsi acquis en quelque sorte une forme d’intemporalité ?

Léopold Tobisch


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ANDRE, Carl (1935-2024)

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[CONNAISSANCEDESARTS.COM, 25 janvier 2024] Derrière l’austérité de l’homme se cachait le talent d’un grand artiste qui a révolutionné la sculpture. Carl ANDRE, pionnier de l’art minimal et maître de l’épure, est décédé mercredi 24 janvier à l’âge de 88 ans.

Lorsque l’on demandait à Carl Andre (né en 1935) ce que représentait pour lui la rétrospective organisée en 2016 par le musée d’Art moderne de Paris, qui couronnait plus d’un demi-siècle de création, la réponse était à l’image du personnage, modeste : “Rien, si ce n’est que j’ai toujours espéré que mes œuvres soient une source de plaisir pour celui qui les regarde, comme elles le sont pour moi lorsque je les crée”. Pionnier de l’art minimal, l’artiste est décédé le 24 janvier 2024 à l’âge de 88 ans. En 1988, il avait été accusé puis acquitté du meurtre de son épouse, l’artiste Ana Mendieta, décédée le 8 septembre 1985 d’une chute depuis le 34e étage de l’immeuble où résidait le couple à New York.

Une œuvre à la beauté épurée

L’artiste au Dia: Beacon à New York en 2015 © Bill Jacobson studio

Depuis le milieu des années 1960, Carl Andre avait développé une œuvre à la beauté épurée, qui n’a jamais cessé de se développer et de s’intensifier, tout en restant fidèle à des principes définis dès le temps des premières sculptures : il ne sera jamais question de figuration, mais simplement de forme, de matière et d’espace. Après ses études à la Phillips Academy d’Andover, près de Boston, Carl Andre a débuté par la peinture dans les années 1952-1953, à l’époque où l’expressionnisme abstrait (Jackson Pollock, Willem de Kooning…) régnait en maître aux États-Unis.

“Supprime le langage en toi.”

En 1954, lors d’un voyage en Europe, il avait découvert les œuvres de Constantin Brancusi (1876-1957) et s’était émerveillé devant la pureté minérale et l’ordonnancement parfait des mégalithes du site de Stonehenge. Arrivé à New York trois ans plus tard, Carl Andre avait partagé un temps l’atelier de Frank Stella. En 1958, alors en pleine réalisation de ses Black Paintings aux lignes labyrinthiques, ce dernier avait prodigué à son camarade le conseil suivant : “N’imite pas mon travail. Supprime le langage en toi, et travaille directement avec le matériau concret tel qu’il se présente dans la réalité”. Il n’en n’avait pas fallu plus à Carl Andre pour ranger ses pinceaux et décider de se consacrer à l’art en trois dimensions, tout en composant en parallèle une série de poèmes, à partir d’associations de mots qu’il choisit tant pour leur sens et leur pouvoir d’évocation que pour leur beauté visuelle et leur sonorité.

Il a procédé de la même manière en sculpture. Dès la fin des années 1950, les œuvres de Carl Andre résultaient en effet, elles aussi, d’assemblages d’éléments indépendants, qu’il sélectionnait pour leurs formes géométriques simples et leur matière brute ou industrielle (le bois, la pierre, la brique, le métal). En 1959, l’artiste avait produit sa toute première série, Pyramid, hommage non dissimulé à la Colonne sans fin de Constantin Brancusi. Pour des raisons financières, il avait ensuite travaillé durant cinq ans en tant que mécanicien et conducteur pour la Compagnie des chemins de fer de Pennsylvanie, dans le New Jersey.

Vers une sculpture horizontale

C’est au milieu des années 1960 que l’artiste avait pris son envol. Sa première exposition personnelle a eu lieu en 1965, à la galerie Tibor de Nagy, à New York, un an avant la manifestation fondatrice de ce que l’on appellera l’art minimal, ou le minimalisme. Organisée au Jewish Museum de New York, Primary Structures : Younger American and British Sculptors réunit pour la première fois Donald Judd, Dan Flavin et Carl Andre, qui est alors le seul à proposer une œuvre sculpturale plane, un alignement d’une centaine de briques posées sur le sol.

Certes, Carl Andre a été l’un des pionniers du minimalisme. Mais il détestait les étiquettes. “Les mots en “isme”, c’est de la connerie. La seule chose qui compte, c’est l’art”, affirmait-il, en expliquant que le minimalisme était d’abord, à ses yeux, un état d’esprit. Pour créer, il avait besoin de faire le vide, de se libérer de ce qu’il savait de l’art et de la sculpture, afin de proposer quelque chose de nouveau. Très vite, il a révolutionné  la sculpture en abandonnant la verticalité, celle de la grande statuaire et des bustes classiques, pour développer un travail qui se déploie principalement à l’horizontale, au gré d’installations au sol qui font corps avec l’espace. L’inspiration d’une sculpture naissait d’ailleurs, le plus souvent, de l’endroit où elle devait être installée.

3 œuvres phares 

      • Vues de poèmes (1958-2010, installation),
      • Lament for the children (1976, installation),
      • Margit endormie (1989, technique mixte, dimensions variables)

Carl Andre n’avait pas d’atelier, ou plutôt, il en avait des milliers. “Je ne réalise pas de dessins, pas d’esquisses préparatoires, pas de maquettes. J’ai simplement des matériaux, un espace, et la chance de pouvoir travailler”, résumait l’artiste. Chacune de ses créations résulte d’un assemblage de modules, qu’il qualifiait d’éléments ou de particules. Si l’œuvre finale est souvent monumentale, elle est toujours composée d’unités de taille modeste. Pour que l’artiste puisse les porter, les déplacer et les agencer à sa guise, sans avoir à mobiliser une armée d’assistants.

Un nouveau rapport à l’œuvre

Carl Andre s’est imposé comme un maître de l’épure qui juxtaposait, empilait, construisait, plus qu’il ne sculptait. “Les origines de mon travail se situent dans le savoir-faire de la classe ouvrière : pose de briques, carrelage et maçonnerie. Ce n’est pas l’aspect visuel des briques que j’aime dans ma sculpture, c’est le fait de pouvoir les placer, de créer en tant qu’individu une œuvre de taille relativement conséquente, en manipulant moi-même les briques”, confiait-il en 2015, à l’occasion de l’exposition Icônes américaines, organisée au Grand Palais, à Paris.

Carl Andre avec sa grande barbe des années 1970 © Keystone

Si le principe de l’installation est répandu dans l’art contemporain, il n’en était pas de même dans les années 1960. Au même titre que Donald Judd (ses Stacks constitués d’éléments alignés verticalement, accrochés au mur), Carl Andre a bouleversé l’idée que l’on se faisait du statut de l’œuvre d’art, en s’effaçant derrière elle, en ne transformant pas la matière. En la désacralisant aussi. Si l’œuvre est minimaliste, le geste de l’artiste l’est tout autant. La nature même de son travail in situ instaure un nouveau rapport avec le spectateur, qui découvre ses pièces en se déplaçant, en les traversant, en marchant dessus (Zinc-Lead Plain ou encore 144 Tin Squares, créée à New York en 1975 et faite de carrés d’étain).

Habiter l’espace

La question de l’espace est centrale. Celui de l’œuvre, mais aussi celui qu’elle occupe. D’où le titre de la rétrospective organisée en 2016 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, La sculpture comme lieu. L’artiste jouait avec les volumes, les proportions, la géométrie, la symétrie, les perspectives, les rythmes, selon un principe de série, de répétition, de variations (les Équivalents, un ensemble d’œuvres comprenant toutes le même nombre de briques, mais assemblées différemment). Épurées, silencieuses, ses pièces ne relèvent ni du décor, ni de l’architecture.

Il s’agissait pour Carl Andre de trouver l’équilibre parfait, pour que chaque œuvre habite l’espace, qu’elle y affirme sa présence sans le contredire, ni le saturer. C’est dans cet esprit qu’avait été conçue cette exposition (la première depuis celle du musée Cantini, à Marseille, en 1997), qui réunissait aux côtés de poèmes, de photographies et d’objets, une quarantaine de pièces emblématiques, de toutes époques. “La sélection a été en partie dictée par la disponibilité des pièces… Un collectionneur, par exemple, a refusé de nous prêter une petite œuvre en métal. Je lui avais demandé, et il m’a répondu qu’il ne pouvait pas, car son chat dormait dessus chaque nuit. J’ai trouvé cela magnifique ! “, avait déclaré l’artiste.

Guillaume MOREL


[I-AC.EU] Carl Andre est l’un des principaux représentants de l’art minimal américain. Après ses études d’art à la Phillips Academy à Anhover, il voyage en Europe. En 1957, il s’installe à New York où il travaille dans une maison d’éditions et partage un atelier avec Frank Stella. Influencé par Brancusi et la peinture de Stella, il commence à s’orienter vers la sculpture. En 1965, il réalise sa première exposition personnelle à la Galerie Tibor de Nagy à New York et, en 1970, une autre au Musée Guggenheim de New York. À partir des années 1970, ses œuvres sont exposées dans les musées du monde entier, entre autres, en 1987 au Stedelijk Van Abbemuseum à Eindhoven, en 1996 au Museum of Modern Art à Oxford et en 2005 à la Kunsthalle de Bâle. De 2014 à 2017, une exposition rétrospective Carl Andre: Sculpture as Place, 1958-2010 lui est dédiée et est présentée au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía (Madrid), à la Nationalgalerie im Hamburger Bahnhof (Berlin), et au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (Paris).

Né dans un milieu de bâtisseurs (son père était menuisier dans un chantier naval), il en garde une prédisposition et un goût pour l’élémentaire, le matériau, confirmés plus tard par ses amitiés artistiques : la proximité de Frank Stella lui apporte une sorte d’exemple moral et formel. Fidélité au matériau, rigueur de l’élaboration, refus de tout symbolisme, nécessité de l’acte créateur éliminant ce qui ne le sert pas strictement sont toujours prioritaires dans ses recherches. Dans un laps de temps très court, Carl Andre aborde les problèmes fondamentaux de la sculpture : rapport au sol, taille directe, signes distinctifs du savoir-faire classique. Considérant que le bois est finalement bien plus intéressant avant d’être découpé, il opte définitivement pour la non-intervention sur le matériau, quel qu’il soit, et l’utilise tel que peut le livrer l’industrie (briques, billots de bois, blocs de béton synthétiques standard, plaques de métal, etc.).

Un axiome essentiel est au fondement de toute l’œuvre de Carl Andre : forme = structure = lieu. Toute réalisation est un objet en relation avec son environnement. Il ne peut donc y avoir de signification, pas d’évocation, pas de savoir-faire de l’artiste. L’œuvre est le signe qui rend présente l’idée, mais la visualisation de l’idée doit être la plus élémentaire possible, afin que l’image (ce qui est vu) fasse le moins appel à l’imaginaire, évite au maximum de solliciter les affects. Ramené ainsi au minimum, c’est davantage le signe d’un volume que le volume lui-même qui prime. Ainsi, de minces plaques posées au sol permettent une appréhension différente de l’objet : on ne tourne plus autour, on marche dessus… L’œuvre échappe alors de manière salutaire à l’immortalité traditionnelle de l’œuvre d’art : comme tout objet, elle peut et doit s’user.

Le refus du façonnage et de ce que Carl Andre appelle ‘l’art d’association‘ le différencie singulièrement des autres artistes minimalistes. Il résulte d’un souci d’évidence et d’un goût pour le contact direct préférés à tout autre considération, formelle, symbolique ou psychologique.

L’art d’association fait que l’image est associée avec d’autres choses que ce que l’œuvre d’art est par elle-même. L’art d’isolation a sa propre localisation sur un minimum d’associations avec des choses autres que l’œuvre elle-même. L’idée est l’exact opposé de l’art d’association. J’essaie de réduire dans mon travail la fonction de production d’image au degré le plus faible…

Carl Andre


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Plus d’arts visuels en Wallonie et à Bruxelles…

GOFFIN, Robert (1898-1984)

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Avant même d’être un des premiers grands propagateurs du jazz, Robert Goffin est d’abord un poète et un homme de lettres : élevé dans une famille où l’on idolâtrait Victor Hugo, il publiera dès l’âge de vingt ans son premier recueil de poèmes ; son travail en faveur du jazz sera d’ailleurs fortement marqué par cette inclination première.

C’est à l’issue de la Première Guerre mondiale que, devenu interprète au 72e bataillon écossais de Vancouver – au sein duquel se trouvaient plus d’un Américain -, il découvre le jazz, puis les danses nouvelles importées des Etats-Unis. Dans son premier livre, il décrira avec un lyrisme qui n’appartient qu’à lui la lente infiltration de la syncope dans la culture et le divertissement occidentaux avec la fascination qui s’installe en lui. Séduit par cette musique “existentialiste ” avant la lettre, Goffin se met à la suivre à la trace.

En 1919, il découvre, à l’Alhambra de Bruxelles les légendaires Mitchell’s Jazz Kings qui initieront les Parisiens eux-mêmes à la syncope : “… Ce fut une des profondes émotions de mon existence. Une espèce de choc physique me marqua pour la vie (…) Quelque chose de nouveau était né pour moi, à côté des vers de Guillaume Apollinaire ou de Blaise Cendrars, et de la peinture du Douanier Rousseau…” (NHJ, p. 79). De Bruxelles à Berlin, de Paris à Amsterdam, Goffin, quoique théoriquement étudiant à l’Université de Bruxelles, écume les dancings et se saoule de musique. Il devient l’ami du trompettiste Arthur Briggs, un des meilleurs jazzmen américains installés en Europe au début des années 20. Après avoir inséré, dès 1920, dans le “Disque Vert” un poème à la gloire du jazz, il publie, en 1922, son fameux recueil Jazz Band, dont la préface a été rédigée par Jules Romains.

Dans la fièvre qui l’anime, il décide de passer “de l’autre côté ” et de devenir lui-même un de ces musiciens qu’il admire tant : c’est ainsi qu’en 1922, au moment où ses études se terminent et où se pose le choix classique – dans son cas : le barreau ou la musique -, il monte de toutes pièces un orchestre appelé Doctors Mysterious Six, une formation d’étudiants dont aucun des membres n’est musicien et qui ne vivra évidemment que l’espace d’une délirante parenthèse. Dès 1923 en effet, Goffin commence à travailler comme avocat, ce qui l’amène à effectuer de fréquents séjours à Paris où il côtoie l’intelligentsia d’alors : Cocteau, Cendrars, Eluard… et bien sûr les musiciens de jazz.

De dancings en conférences, de disques en rencontres, Goffin accumule souvenirs et impressions et envisage bientôt de les réunir en un volume qui serait un hymne à la nouvelle musique. Ce sera chose faite en 1932 : après avoir fait paraître une première version dans la revue de Félix-Robert Faecq Music, Goffin publie cette année-là Aux Frontières du Jazz, son premier livre, et par la même occasion, le premier ouvrage au monde à être consacré exclusivement au jazz. Préfacé par Pierre Mac Orlan, et dédié à Louis Armstrong, Aux Frontières du Jazz vaudra à son auteur d’être reconnu aux quatre coins du monde comme le véritable précurseur de la littérature jazzique.

Les quelques erreurs de perspective, bien compréhensibles vu le manque de recul, n’enlèvent rien au caractère documenté de l’ouvrage ni à la fougue et à la poésie avec lesquelles Goffin défend le jazz. Alors qu’on le représentait habituellement sous les traits d’une “musiquette” synonyme de plaisir et d’artifice, il a pressenti dès le début la profondeur réelle, la dimension non seulement esthétique, mais aussi humaine et sociale du jazz “… (le jazz) est l’expression des peuples opprimés sans patrie et sans terre : c’est le cri de délivrance des nègres et des juifs qui y ont insufflé leur inépuisable solitude et leur cafard abrutissant…”  “Le jazz fut la première forme du surréalisme. C’est le premier besoin qu’éprouvèrent les nègres de neutraliser le contrôle raisonnable pour laisser le champ libre aux manifestations spontanées de l’inconscient…”

C’est notamment suite à la lecture de ce livre que Panassié décidera de publier, en 1934, son propre ouvrage, Le Jazz Hot, dont le succès et la médiatisation feront par la suite oublier quelque peu le travail de Goffin. Entre 1932 et la fin de la décennie, Goffin écrit sur de nombreux sujets qui l’écartent pour quelques temps du jazz. Mais lorsqu’en 1939, il effectue son premier séjour aux Etats-Unis, il replonge de plus belle. De retour en Europe, il écrit une série d’articles antinazis qui lui vaudront de retourner bien plus vite qu’il ne l’avait prévu aux Etats-Unis et pour toute la durée de la guerre.

Conscients de sa valeur et de sa grande culture en matière de jazz, les Américains lui confient la rubrique jazz du magazine Esquire. Goffin participe même avec Léonard Feather à l’organisation des célèbres concerts annuels organisés par Esquire. Il dirige parallèlement à New York le journal La Voix de la France, et fréquente tous les grands exilés du monde des Arts : Chagall, Dali, Maurois, ainsi que le poète américain du jazz Langston Hugues. Pendant son séjour, Goffin publie également un livre intitulé Jazz from the Congo to the Metropolitan, qui ne sera jamais traduit tel quel en français, mais dont la plupart des chapitres paraîtront, remaniés, dans la Nouvelle Histoire du Jazz qu’il publiera à Bruxelles en 1948.

En 1945, il rentre en Belgique et avant de reprendre sa carrière d’avocat, il effectue avec Carlos de Radzitzky une tournée de conférences au cours desquelles il raconte les innombrables souvenirs glanés au fil du temps et tout particulièrement les découvertes qu’il a effectuées durant ses séjours aux U.S.A. L’année suivante, il publie La Nouvelle-Orléans, Capitale du Jazz, étonnante monographie consacrée à la première Mecque de la nouvelle musique. Admirateur inconditionnel de Louis Armstrong, auquel il avait déjà dédié son premier ouvrage et dont il s’était fait un véritable ami, Goffin publie en 1947 aux éditions Seghers une biographie légèrement romancée du grand Satchmo. Un livre qui complète, aujourd’hui encore, les renseignements fournis par l’autobiographie d’Armstrong (Ma Nouvelle-Orléans) et la somme réalisée par James Collier (Louis Armstrong). Ici encore, la perception poétique de la réalité du jazz, permet l’expression d’éléments que la simple histoire objective ne peut aborder et dont la part de “vérité ” est cependant importante.

En 1948 on l’a vu, paraît la Nouvelle Histoire du Jazz. Dans un de ses chapitres, Goffin tente à sa manière de résoudre le conflit existant alors entre les “anciens ” et les “modernes ” en ces années de mutation (Swing contre Revival, Middle contre Be-Bop, etc.) : il propose comme critère décisif en matière de jazz la notion de “transe”, notion hautement imprécise et peu satisfaisante. En réalité, Goffin n’adhérera pas au nouveau jazz qui se construit alors : “… Je ne puis affirmer que cette musique me va droit au cœur. Elle est trop antithétique à l’esprit même de tout ce que le jazz a donné. C’est une rupture intellectuelle qui est difficilement digestible pour un profane…” Ainsi, le premier des grands défenseurs du jazz va prendre des distances pour finalement disparaître purement et simplement de la carte du jazz vivant.

Après 1954, alors qu’il préside le Pen Club de Belgique, il publiera de nombreux romans, essais, etc., ainsi que des ouvrages de gastronomie, mais sur le jazz, plus rien d’important. Par contre, son travail de pionnier et de témoin actif des premiers temps du jazz européen, est aujourd’hui encore, une référence presque mythique : “A chaque fois que je m’y replonge, j’y découvre de nouvelles choses… “ déclare volontiers Robert Pernet. Et on n’a aucune peine à le croire tant étaient riches les pages de Aux Frontières du Jazz. Une richesse qui suffit à faire de Robert Goffin une des personnalités déterminantes de l’Histoire du Jazz.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © rtbf.be 


More Jazz…

 

BELANGER, Genesis (née en 1978)

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Dans ses installations, l’artiste américaine Genesis BELANGER convoque des objets étranges, choisis avec soin pour leur pouvoir symbolique se prêtant à une multiplicité d’interprétations. Des œuvres pop teintées de surréalisme.

Née en 1978 aux États-Unis, Genesis Belanger travaille désormais à Brooklyn (à Williamsburg exactement), dans son atelier – situé à cinq minutes de chez elle – du lundi au vendredi, de 10 à 19 heures, avec une régularité d’horloge. Tout juste quadragénaire, Genesis Belanger offrit un curieux spectacle, cette année [2019], à New York, au 231 Bowery, dans une vitrine jouxtant l’entrée du célèbre New Museum : entre janvier et avril, elle y présentait Holding Pattern, une installation visible depuis la rue. Derrière la vitre, les passants pouvaient contempler un bureau dont le tiroir ouvert livrait sans pudeur son contenu aux regards. Une tablette de chocolat entamée, une petite flasque (d’alcool ?), des bonbons, une brosse à dents et un tube de dentifrice… le tiroir révèle comme les premiers éléments d’un portrait – mais de qui ? Sur le bureau lui-même trônent un hamburger et un pot à crayons : les crayons semblent fondre, comme les doigts de la très grande main posée à côté, caressant une cigarette molle. Dans l’autre moitié de la vitrine, deux lampes sont posées sur une étrange table, à côté d’un sac à main d’où s’échappe, par une bien trop grosse fermeture Éclair, un gant – à moins qu’il ne s’agisse d’une main un peu molle…

Fixée au mur, une horloge nous conforte dans l’idée qu’il s’agit ici d’une insolite salle d’attente. Et c’est bien de cela que s’est inspirée l’artiste : de salles d’attente d’hôpital et d’aéroport des années 60, dans des tonalités nude. Les objets polysémiques de Genesis Belanger sont réalisés en porcelaine, en grès, en béton coulé, jamais vernis. Leur surface, mate, paraît poreuse et leurs couleurs, toujours atténuées, semblent être leur matière même. J’essaie toujours de créer des objets qui existent dans le présent, mais qui transportent un peu de leur passé avec eux, expliquait Genesis Belanger à Katy Donoghue du magazine Whitewall. Lorsque je les choisis, je songe à l’histoire dont ils sont imprégnés, et je sélectionne ceux dans lesquels se superposent plusieurs couches de symboles successives, comme la cigarette, par exemple. La cigarette est cette chose qui nous tue et qui simultanément nous fait nous sentir vivants. Historiquement, les femmes ne fumaient pas. Et puis les publicitaires – des hommes pour la plupart – établirent un lien entre le fait de fumer et l’émancipation des femmes, en imposant l’expression ‘flambeaux de la liberté’ pour désigner les cigarettes, avant d’en encaisser les bénéfices. Cela est révélateur du fonctionnement général du système. Nous pensons fonder nos actions sur nos propres décisions, mais en réalité, nous sommes manipulés.”

C’est une des singularités des sculptures de Genesis Belanger : elles sont difficiles à inscrire dans une époque précise, elles semblent contemporaines, mais portent en elles les strates sédimentées de passés successifs. Leur présence est spectaculaire, mais elles-mêmes ne le sont pas nécessairement. Est-ce parce qu’elles naissent après de longues recherches iconographiques ? Le travail de Mme Belanger repose en partie sur la manière dont il évoque l’histoire de l’art : le téléphone-homard de Salvador Dalí ; la tasse à thé recouverte de fourrure de Meret Oppenheim ; les sculptures molles de Claes Oldenburg ; les objets enveloppés dans du feutre de Man Ray, les œuvres d’Evelyne Axell, de Marisol, de Niki de Saint Phalle, de Tom Wesselmann, de Brian Calvin, d’Al Hansen et de nombreuses autres personnes utilisant le langage pop”, écrit Roberta Smith dans le New York Times.

Genesis Belanger © Steve Benisty

Au célèbre domaine viticole de la Romanée-Conti, en Bourgogne, où Genesis Belanger exposera l’été prochain [2020] et où je m’entretiens avec elle, l’artiste confie se sentir finalement plus concernée par le Bauhaus que par le surréalisme, expliquant que les objets surréalistes sont beaux parce qu’ils sont extraordinaires, tandis que les objets du Bauhaus sont beaux tout en étant ordinaires. De fait, ces oscillations subtiles reflètent les sinuosités du parcours de Genesis Belanger. Elle étudia à la Rhode Island School of Design et à la Cooper Union avant de passer un diplôme de fashion design à la School of the Art Institute de Chicago. Elle déménagea ensuite à New York et travailla cinq ans comme conceptrice  d’accessoires pour la publicité (pour Chanel, Tiffany & Co., Victoria’s Secret…), avant de reprendre des études au Hunter College de New York, où elle obtint son diplôme en 2009. La publicité, ce sont des gens brillants qui utilisent des langages visuels pour manipuler notre désir au service du capitalisme. Les jugements moraux mis à part, cela me fascine. La beauté n’est pas vide. Ça peut être un outil puissant”, confie-t-elle, et l’on comprend à demi-mots que ses œuvres et installations sont des pièges très sophistiqués qui se jouent de nos désirs, de nos goûts, et nous manipulent allègrement à leur tour.

Elle exposa en compagnie d’Emily Mae Smith (A Strange Relative, novembre-décembre 2018) dans la galerie new-yorkaise d’Emmanuel Perrotin, qui lui a aussi consacré cette année un mini stand à la FIAC. Si leurs ateliers sont installés sur le même palier du même building de Brooklyn, elles semblent surtout partager une approche décomplexée de l’art qui n’entend pas s’affranchir de l’histoire des arts ni la considérer comme un simple mood board. Belanger inflige à ses sculptures la même précision maniaque et la même ambition généalogique que celle que Smith impose à ses impeccables peintures. À cette réserve près : les terres cuites de Belanger, une fois livrées à la cuisson, échappent provisoirement à son contrôle, et le résultat la satisfait rarement – peu importe, elle recommence, ne se souciant pas des pièces qui cassent. Elle dispose en effet, dans son atelier, d’un petit cimetière pour œuvres brisées ou ratées, et parvient parfois à empêcher sa mère de les emporter chez elle. Elle dit garder de son enfance itinérante la force de ne s’attacher à rien, et de son parcours en zigzag entre les beaux-arts, la publicité et la mode, une certaine capacité à voir, au-delà de la matière, ce que les objets signifient secrètement. “Les objets peuvent être des substituts de nous-mêmes. À New York, on est jugé sur ses chaussures. Les hommes se jugent en fonction de leur montre ou de leurs boutons de costume. Des petits marqueurs statutaires qui font office de passeports au sein des classes sociales.”

d’après NUMERO.COM


[INFOS QUALITÉ] statut : actualisé | mode d’édition : partage, décommercialisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : Genesis Belanger, All Your Future Endeavors (2022) © Pauline Shapiro ;   © Steve Benisty.


Plus de sculpture en Wallonie-Bruxelles ?

WOODHULL, Victoria (1838-1927)

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Depuis son investiture par le parti démocrate, Hillary Clinton se targue d’être la première femme candidate à la présidentielle américaine pour [le] scrutin 2016. Pourtant, la vraie pionnière s’appelait Victoria Woodhull. Son nom reste inconnu pour beaucoup d’entre nous, et pourtant, il y a 144 ans, elle était bien la première femme candidate à la présidentielle de novembre 1872.

Victoria Woodhull avait été choisie par le “Equal Rights Party“, créé à l’époque à l’issue d’une convention de l’association nationale américaine pour le droit de vote des femmes. Son colistier était un homme, un militant du nom de Frederick Douglass, ancien esclave devenu abolitionniste.

A l’époque, leur candidature fait sensation, mais elle restera symbolique, et ce pour plusieurs raisons. Victoria Woodhull est une femme, et en ce temps-là, elle n’a pas encore le droit de vote. Les Américaines ne l’obtiendront dans le pays qu’en 1920, après la ratification du XIXe amendement de la constitution.

Autre problème, Victoria Woodhull n’a que 34 ans au moment de se présenter. Or la constitution impose que le président ait au minimum 35 ans au moment de prendre son poste. Enfin, le jour du scrutin, elle est arrêtée pour publications obscènes dans l’hebdomadaire qu’elle dirigeait alors avec sa sœur.

Un parcours fascinant

Née le 23 septembre 1838, dans une famille de 10 enfants, elle utilise très jeune ses dons de médium pour gagner un peu d’argent sur les routes. Avec sa sœur Tennessee Claflin, elles deviennent les premières femmes agents de change à la bourse de New York. Puis elle dirigeront ensemble un hebdomadaire radical intitulé Woodhull and Claflin’s weekly dans lequel Victoria publiera la première traduction aux Etats-Unis du Manifeste du Parti communiste.

Mais cette pionnière est surtout connue pour son militantisme féministe. Elle se bat pour le droit de vote des femmes et l’amour libre. Elle réclame que les femmes puissent choisir par exemple son mari, chose impossible dans cette Amérique du XIXe siècle où les femmes étaient assujetties aux hommes. Ses positions font scandale.

Combien de votes obtint-elle le jour de scrutin ? L’histoire ne l’a pas retenu, tout comme elle semble avoir oublié son nom…

d’après INFORMATION.TV5MONDE.COM


© thevictoriawoodhullsaga.com

En 1872, Victoria Woodhull est la première femme candidate à l’élection présidentielle américaine. Pour le végétarisme, contre la prostitution, pour une journée de 8 heures, pour “l’amour libre” ! Victoria Woodhull a révolutionné les mœurs de son époque.

Victoria Woodhull naît le 23 septembre 1838 dans l’Ohio, issue d’une famille pauvre – presque du quart-monde – comme le souligne Eliane Van Den Ende. Elle est le 7e poussin d’une famille de 10 enfants et s’est réellement construite elle-même. Son père est un escroc, sa mère une servante et elle se découvre un talent pour la voyance. A l’époque le spiritisme est très répandu.

Victoria Woodhull a 15 ans lorsque son médecin Canning Woodhull en tombe éperdument amoureux. Après quelques mois, elle se marie. Avec Canning, ils auront deux enfants, dont un retardé mentalement.

Canning et Victoria vivent des revenus de Victoria en tant que voyante. Elle donne des conférences, et c’est elle qui fait vivre sa famille. Une famille recomposée car elle divorce de Canning qui abuse d’elle, et se remarie, puis redivorce et puis se remarie, un schéma assez atypique en 1800.

Voyante et guérisseuse

Victoria Woodhull se fait d’abord connaître pour ses talents de voyance et de guérisseuse. Les Américains, à l’époque, sont très friands de cela. Durant cette époque de la guerre de sécession, on croit que l’esprit ne meurt pas et qu’on peut communiquer avec ces esprits. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, les femmes et les féministes sont très spiritistes, car en fait le spiritisme est une religion qui n’est pas machiste. Les femmes ont du pouvoir, elles sont les intermédiaires entre la terre et l’au-delà.

Mais le parcours de Victoria Woodhull est pour le moins diversifié. Après sa carrière de voyante, elle monte un bureau de change avec sa sœur. Elles sont aidées par Cornelius Vanderbilt, capitaine d’industrie et armateur. Il est veuf, et un peu isolé et il veut communiquer avec sa mère défunte, Victoria sera son intermédiaire et il deviendra son partenaire.

Féministe dans l’âme, et grande pionnière

Victoria Woodhull mène de nombreux combats. Elle essaye, par exemple, de promouvoir des vêtements confortables pour les femmes. A l’époque, cela fait scandale. Elle est une des premières femmes à plaider ouvertement pour des jupes plus courtes, pour que cela ne traîne pas la boue, par exemple.

Elle aussi la première femme à s’exprimer devant le parlement américain. Elle donne une conférence pour le comité judiciaire et c’est la première femme à le faire, ce qui la donne favorite pour toutes les suffragettes. Elle y exprime l’idée que tous les citoyens peuvent voter, alors pourquoi pas les femmes ? Elle se fera d’ailleurs rabrouer par un citoyen qui lui répond lors de cette réunion, “vous n’êtes pas un citoyen américain parce que vous êtes une femme“, ce à quoi elle rétorque “les pères fondateurs qui ont fait la constitution n’ont jamais parlé d’hommes ou de femmes, chaque personne est un citoyen américain.”

Sans langue de bois

Victoria Woodhull est aussi une très bonne oratrice. Elle avait un charme charismatique et a rapidement séduit les foules. Pour elle, les États Unis vont très mal et elle pense qu’une femme doit être à la tête du pays. Elle considère donc qu’il faut rentrer en politique pour parler de ses idées et surtout se faire entendre. Elle crée son propre journal, “Woodhull and Claflin’s weekly.” Un journal assez virulent, sans langue de bois, où elle dénonce des situations, des hommes, ce qui lui vaut des procès et même des journées au cachot. Dans son journal, elle défend des idées de communisme et de Karl Marx. Elle traduit et publie même le manifeste du parti communiste.

Elle annonce son intention de se présenter à l’élection présidentielle de 1872. Et ce malgré le fait que les femmes américaines n’aient pas le droit de vote, et bien qu’elle n’ait pas l’âge minimum fixé à 35 ans, elle en a 34 à l’époque. Au cours de ses meetings qui réunissent des milliers de personnes, Victoria Woodhull réclame l’égalité dans tous les domaines entre les hommes et les femmes, entre les noirs et les blancs. Elle ose aussi revendiquer le droit à l’amour libre.

Dans son journal, elle dénonce notamment les adultères d’un pasteur virulent pourfendeur de l’amour libre qui selon lui met en danger la famille traditionnelle et la religion. Malheureusement, les bulletins en faveur de Victoria Woodhull ne seront jamais décomptés et le score obtenu par la première candidate à l’élection présidentielle américaine restera inconnu à jamais.

d’après RTBF.BE


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Dans la presse en Wallonie-Bruxelles…

L’incroyable histoire du Musée de l’Art mauvais

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“Le mauvais art est quand même de l’art, aussi bien qu’une mauvaise émotion est une émotion quand même”. C’est ainsi que Marcel Duchamp, célèbre artiste du XXème siècle, justifie en 1917 son œuvre Fontaine”, constituant simplement en un urinoir de porcelaine renversé. Cette citation aurait parfaitement sa place à l’entrée du Museum Of the Bad Art. Voici l’histoire extraordinaire d’un lieu qui célèbre les œuvres ratées.

Le MOBA, the Museum Of the Bad Art (le musée de l’Art mauvais) est une galerie située dans le Massachusetts qui a pour vocation de collectionner et d’exposer le pire de l’Art” selon les mots de l’un des fondateurs. Créé par un groupe d’amis son histoire commence par… une plaisanterie !

Il était une fois, un tableau dans une poubelle…

Scott Wilson est un antiquaire américain exerçant dans la ville de Boston. Un soir de 1994, alors qu’il se rend chez Jerry Reilly et sa femme Mary Jackson, Scott remarque entre deux poubelles un tableau abandonné. Intéressé par le cadre, il reprend sa route, l’œuvre sous le bras. Arrivé chez ses amis, alors qu’il s’apprête à déchirer l’horrible toile, ces derniers lui soumettent l’idée de la conserver et de commencer une collection.

La peinture est intitulée Lucy in the field with flowers” et marquera le début de l’aventure. Les trois amis se prêtent au jeu et interrogent alors leur entourage sur l’éventuelle possession d’œuvres picturales d’une qualité esthétique douteuse. Quelques semaines plus tard, le trio organise une soirée dans la maison du couple afin d’y dévoiler le fruit de leur recherche. L’événement est un succès. Les amis reçoivent alors de nouvelles peintures et organisent de nouvelles réceptions, si bien qu’un an plus tard, la maison du couple Reilly/Jackson s’avère trop petite pour accueillir les centaines de personnes qui se précipitent lors de chaque rendez-vous.

La vitesse supérieure

Puis un matin de 1995, c’est un autobus rempli de personnes âgées en voyage organisé qui se gare devant la petite demeure. La situation devenait incontrôlable” explique Louise Reilly Sacco, actuelle Directrice par intérim permanent du MOBA. Le musée déménage alors dans le sous-sol d’un théâtre délabré de la ville de Dedham, juste à coté des toilettes pour hommes. Selon le journal South China Morning Post, cet emplacement aurait été choisi afin de maintenir le taux d’humidité nécessaire à la bonne conservation des toiles mais aussi de participer à l’ambiance générale de l’exposition.

En 2008, une seconde antenne est ouverte dans le théâtre de Somerville, une bourgade située 20km plus au Nord (les toiles étant de nouveau accrochées à proximité des petits coins par choix de la direction). Par ailleurs, le MOBA organise de nombreuses expositions extérieures toutes aussi atypiques. Il faut par exemple citer Awash in the Bad Art”, durant laquelle 18 œuvres ont été plastifiés et exposés dans un tunnel de lavage automobile. En 2003, l’exposition Freaks of nature” se concentra sur les paysages de travers. Quant à celle intitulée I just can’t stop”, elle ne présenta que des œuvres où l’artiste, dans un élan de créativité, aurait donné quelques coups de pinceaux en trop, rendant le résultat final irrécupérable.

Anonyme, “Sad Monkeys and Woman” © MOBA
“Eileen”, le mystérieux tableau volé

En plus de ses nombreux événements, le musée a connu une publicité inattendue grâce à un étrange fait-divers. Un soir de 1996, l’œuvre Eileen”, récupérée dans une poubelle et représentant un portrait de femme sur un fond bleu, fut dérobée par effraction. La direction du musée porta plainte et proposa une récompense de 6,50 $ pour le tableau volé. Mais aucune réponse, malgré l’augmentation de la prime à 36 $. L’objet ne présentant aucune valeur, la police classa rapidement l’affaire dans la catégorie “autres larcins”.

Mais en 2006, rebondissement dans l’affaire ! Le MOBA reçut une lettre anonyme, réclamant une rançon de 5000 $ contre restitution de l’œuvre. Incapable de payer cette somme, la direction ignora la lettre. Mais quelques semaines plus tard, l’œuvre fut retrouvée emballée sur le paillasson du musée, sans aucune explication.

Sélection des œuvres : une exigence particulière

Mais n’allez pas croire que le MOBA se résume à une vaste plaisanterie. Espérer obtenir un crochet n’est pas à la portée de tous. Neuf œuvres sur dix ne sont pas retenues parce qu’elles ne sont pas assez mauvaises selon nos très bas critères” explique Mary Jackson. Nous collectionnons des objets réalisés dans l’honnêteté, pour lesquels les gens ont tenté de faire de l’art jusqu’à ce que les choses tournent mal”. Ainsi, les tableaux d’enfants, les œuvres kitsch ou volontairement de mauvais goût ne peuvent être sélectionnés.

Selon Dean Nimmer, professeur à l’école des Arts du Massachusetts, le MOBA applique le même type de critères d’acceptation qu’un musée des Beaux-Arts, mais pour le mauvais Art.

Malgré cette exigeante sélection, de nombreuses critiques accusent le musée d’être un lieu de moqueries envers certains artistes. La direction se défend de telles accusations, expliquant que si le musée cherche à se moquer d’une chose, c’est de la communauté artistique et non des artistes. “Notre musée est un hommage à l’enthousiasme artistique”.

d’après URBANATTITUDE.FR


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : en tête de l’article, Andrea Schmidt, La Joconde © MOBA ; © MOBA.


Plus d’arts visuels…

CHILDRESS, Nina (née en 1961)

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Nina CHILDRESS est une artiste contemporaine franco-américaine dont la pratique s’articule essentiellement autour de la peinture. Elle a également été la chanteuse du groupe punk Lucrate Milk de 1979 à 1983 et membre du collectif les Frères Ripoulin de 1985 à 1989. Depuis le début des années 1980, Nina Childress développe une peinture figurative, colorée et radicalement hantée par les tendances esthétiques dominantes. Street Art Pop flashy et télévisuel durant les années 1980… Structures réalistes graphiques et typographiques dans le courant des années 1990… Kawaii pastel, flou et soft porn au tournant des années 2000… Photoréalisme trashy et aberrations chromatiques durant les années 2000… Remix des oldies, de l’École de Paris à la photographie des années 1960-1970, durant les années 2010… La peinture ultra-esthétique de Nina Childress forme une archéologie du goût […].

© Gaby Esensten

Née à Pasadena en 1961, Nina Childress vit à Paris depuis 1966. Sa grand-mère paternelle américaine, Doris Childress, était peintre ; le troisième époux de sa grand-mère maternelle française, Georges Breuil, était peintre. Ses parents fréquentent Christo et Jeanne-Claude ; à 12 ans, elle découvre la peinture de David Hockney. En 1977, Nina Childress passe le concours de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Si elle quitte rapidement les Arts Déco, elle y aura néanmoins rencontré Masto Lowcost, Lombrick Laul, Raoul Gaboni et Helno, avec qui elle forme le groupe Lukrate Milk. D’abord groupe de Street Art, Lukrate Milk devient groupe de musique punk en 1979. Jusqu’à la séparation en 1983, avec le déménagement de Masto Lowcost en face des locaux d’Actuel, où se retrouvaient notamment les Frères Ripoulin. Nina Childress rencontre ainsi le collectif (dont Pierre Huyghe et Claude Closky, étudiants aux Arts Déco) ; collectif qu’elle rejoint en 1985.

Dès 1983, Nina Childress participe à la Biennale de Paris avec le groupe punk Einstürzende Neubauten. L’une de ses premières expositions personnelles en tant que peintre, “Nina en Bretagne“, se déroule en 1984 à la Galerie Arlogos (Nantes). En 2007, Nina Childress commence à travailler avec la Galerie Bernard Jordan. Courant 2009, le Frac Limousin lui consacre l’exposition “La haine de la peinture“, et le MAMCO de Genève l’exposition “Détail et Destin“. Pour cette dernière, Nina Childress expose de larges peintures remixant, dans un style coloré, très maîtrisé et légèrement trash, des photographies d’icônes féminines. Tel Sissi couronnée (2007), Le Tombeau de Simone de Beauvoir (2008-2009), Marjorie Lawrence (2009)… Où le kitsch, esthétique et biographique, affleure. En 2015, le CRAC à Sète lui consacre l’exposition “Magenta“, présentant ses peintures des années 2010. Soient des peintures remixant le souvenir idyllique des années 1970.

d’après PARIS-ART.COM


“Blurriness (mirror 3), huile sur toile (2002) © ninachildress.com

Depuis les années 1980, la peintre Nina CHILDRESS produit une œuvre à la fois subversive, hallucinée et nostalgique où la culture populaire s’entrechoque avec les canons de la peinture classique. Rencontre avec une artiste inclassable.

Du post-punk à la peinture

Scotchée devant les œuvres du peintre Hockney à seulement douze ans, Nina Childress sait dès ce moment quelle est sa vocation. Sa réalisation connaît toutefois des détours. A l’aube des années 1980, devenue la voix et l’égérie du groupe post-punk Lucrate Milk dès les années 1980, elle plante les Arts Déco, met de côté ses pinceaux, pour briller sur la scène underground sous le nom de Nina Kuss. A la dissolution du groupe, l’artiste s’engage dans une autre aventure collective en intégrant le groupe d’artistes des Frères Ripoulin tourné vers la figuration libre où gravitèrent notamment Pierre Huyghe et Claude Closky.

En peinture, le piège c’est de trouver un truc et de s’y limiter parce qu’on vous demande de faire ça et parce que c’est facile. Au tout début de mon travail, je voulais justement trouver ce truc-là qui allait marcher et faire que je serais légitime. Donc je creusais, j’essayais des choses. Et puis un jour, je me suis dit que ça suffisait, qu’il fallait juste peindre. Cette liberté-là, je l’ai acquise après avoir essayé plein de choses.

Elle est depuis une peintre prolifique, exposée de multiples fois dans des institutions prestigieuses comme en témoigne Lobody Noves Me à la Fondation Pernod Ricard l’année dernière [2019] qui marqua la première rétrospective parisienne d’envergure de la peintre. En parallèle de sa pratique, Childress a enseigné à l’École nationale supérieure d’art de Nancy avant d’être nommée professeure de peinture à celle de Paris en octobre 2019.

Une esthétique versatile

Nina Childress est une artiste qui embrasse ensuite toutes les possibilités de son médium sans les épuiser pour autant et fait cohabiter tous les styles, du pop art à l’hyperréalisme en passant par l’abstraction. Une écriture picturale versatile qui trouve son point d’orgue dans son système d’alternance entre le “good” et le “bad”, c’est-à-dire une version bonne et une version mauvaise de la même toile. Sorte de série B picturale, la deuxième version propose une vision irrévérencieuse de son sujet dont l’humour – qu’elle doit notamment à son expérience en tant que caricaturiste à Libération – rappelle parfois les œuvres de Picabia. Elle nous en dit plus sur cette version “bad” de sa peinture …

C’est aussi une sorte de relâchement parce que je suis quelqu’un d’un peu perfectionniste. Je fais des tableaux assez léchés, mais le “bad” me permet de temps en temps de travailler encore plus vite et plus salement. Faire un tableau rapidement qui tienne est bien plus difficile que de prendre son temps et de réfléchir. J’aime beaucoup les tableaux où l’on sent qu’il y a eu cette énergie.

Nina CHILDRESS, 1080 Chaises blanches sur fond blanc (2020) © Adagp

Par certains aspects, son esthétique travaille la notion de cliché. D’une part, ses peintures s’appuient de photographies qu’elle collecte dans les magazines et sur internet. D’autre part, l’artiste s’empare d’images iconiques tant du côté de l’histoire de l’art avec L’Enterrement  (une relecture hallucinée de l’œuvre iconique de Gustave Courbet) que du côté des vedettes telles que Vartan mais aussi Beauvoir, ou encore la James Bond Girl Britt Ekland. De ces reprises se dessine en filigrane une véritable interrogation sur le rapport que nous entretenons avec la notion de féminité, qu’elle décline dans des galeries de portraits, toujours reconnaissables pour leur palette criarde et leur peinture fluo.

Je pense que pour moi, ce sont des sortes de surfaces de projection et j’essaie de raconter des choses à travers.

La peinture maintenant est devenu un cliché en soi. Comme j’ai dû me construire pendant les dures années de la mort de la peinture, il fallait bien que je trouve une façon de l’accepter avec ses clichés.

d’après FRANCECULTURE.FR


 


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Plus d’arts visuels…


Splendeur et misère du hula

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L’histoire du hula est intimement mêlée à celle de Hawaii, son évolution suit celle du pouvoir politique ainsi que les mutations de la société. La situation de la danse avant la découverte des îles par les Européens demeure bien évidemment inconnue, faute de témoignages écrits ou iconographiques. Seuls les récits des premiers explorateurs, dont James Cook qui découvrit l’archipel en 1778, permettent d’appréhender la réalité. Cook lui-même n’a pu assister à une cérémonie de hula, il écrit : “Nous ne vîmes pas les danses dans lesquelles ils se servent de leurs manteaux et bonnets garnis de plumes ; mais les gestes des mains que nous vîmes à d’autres occasions, quand ils chantaient, nous montrèrent qu’elles doivent ressembler à celles des îles méridionales,  bien qu’il y ait moins d’art dans leur exécution. “

Ce n’est qu un demi-siècle plus tard, avec Willlam Ellis, que vont apparaître les premières descriptions de la danse et que le terme de hula, alors transcrit “hura“, va faire son apparition dans la langue anglaise. La danse et le chant, qui composent le hula, forment un tout indissociable, à caractère sacré. La danse ne constitue donc pas un divertissement, accessible à tous, mais bien un rite, confié à un corps de danseurs spécialement éduqués et entraînés, soumis à la stricte observance de tabous (kapu, en hawaiien). Si, à l’origine, les interprètes étaient aussi bien des hommes que des femmes, seuls les hommes pouvaient pratiquer le hula durant les cérémonies du culte au temple. Ce n’est que plus tard, lorsque les guerres, puis les cultures, occupèrent trop les hommes pour leur permettre de consacrer les années d’entraînement rigoureux nécessaires à la formation d’un danseur de hula, que les femmes prirent leur place.

Nathaniel B. Emerson fait le récit d’une scène d’initiation de danseurs de hula ; ainsi découvre-t-on que, le jour précédent son admission dans la corporation, peu avant minuit, le danseur se plongeait, en compagnie des autres, dans l’océan. Ce “bain de minuit” était soumis à un rituel bien particulier : la nudité totale, considérée comme “l’habitat des dieux“, était requise et, à l’aller comme au retour, il n’était permis que de regarder devant soi; se retourner, regarder à gauche ou à droite était formellement proscrit.

Les dieux auxquels les danses étaient consacrées, dans l’espoir de se les concilier, étaient nombreux mais, parmi ce panthéon, Laka était considérée comme la protectrice (“au-makua“) du hula ; des sacrifices lui étaient offerts, des prières et des chants lui étaient dédiés qui révèlent l’étendue de son domaine : “Dans les forêts, sur les crêtes des montagnes se tient Laka, Séjournant à la source des brumes, Laka, maîtresse du hula…”

Le terme de hula est en fait un terme générique, regroupant une variété de styles dont le nom évoque généralement les gestes ou les instruments utilisés. Ainsi, par exemple, en est-il du hula kala’au, les kala’au étant des bâtons de bois, de longueurs inégales, que l’on frappe l’un contre l’autre. William Ellis en donne une description précise : “Cinq musiciens avancèrent d’abord, chacun avec un bâton dans la main gauche, de cinq ou six pieds de long, environ trois ou quatre pouces de diamètre à une extrémité et se terminant en pointe de l’autre. Dans sa main droite, il tenait un petit bâton de bois dur, de dix à neuf pouces de long, avec lequel il commença sa musique, en frappant le petit bâton sur le grand, battant la mesure tout le temps avec son pied droit sur une pierre, placée sur le sol, à côté de lui, dans ce but. “

Autre danse décrite par Ellis, le hula solennel ou hula ‘ala’apapa est accompagné du ipu huta, “une grande calebasse, ou plutôt deux, une de forme ovale d’environ trois pieds de haut, l’autre parfaitement ronde très soigneusement attachée à celle-ci, ayant aussi une ouverture d’environ trois pouces de diamètre au sommet”, toujours selon Ellis. On peut encore citer le hula noho i lalo (danse assise), le hula pa’i umauma (où l’on frappe sur une caisse), le hula pahu (danse du tambour), le hula kuolo (danse agenouillée), le hula’uli ‘uli…

Les instruments le plus couramment utilisés sont donc les bâtons de bois (kala’au), la calebasse (ipu hula), le tambour (pahu hula) composé d’un rondin évidé sur lequel est tendue une peau de requin, la gourde-hochet (‘uli’uli), les bracelets en dents de chiens (kupe’e niho ‘ilio), le bambou (pu’ili)… En fait, les trois grandes familles d’instruments sont représentées par les quelque dix-sept instruments dénombrés par les musicologues.

Le roi David Kalakaua devant Iolani Palace (Honolulu) © fr.m.wikipedia.org

Intimement liée à la religion, la danse va suivre son déclin. La société hawaiienne, soumise à un système de kapu strict, va progressivement connaître une mutation. Kamehameha Ier avait réussi pour la première fois l’unification de l’archipel (vers 1795), accroissant son prestige et celui de la fonction royale. À un système politique fort et autoritaire correspondait une religion omniprésente aux mains d’un clergé puissant ; le roi est alors assimilé aux divinités. À la mort de Kamehameha Ier, en 1819, son fils Liholiho règne sous le nom de Kamehameha II. Le jeune roi est soumis à la pression de sa mère et de l’épouse favorite du roi défunt, Kaahumanu, qui cherchaient à affaiblir le pouvoir des prêtres. En effet, la religion est un obstacle à l’ambition de ces femmes, puisque les kapu les excluent, notamment, des débats politiques. Ainsi Kamehameha II décidera-t-il l’abandon de la religion de ses ancêtres et ceci avant même l’installation des premiers missionnaires. Ces derniers, à leur arrivée, trouveront donc une société en pleine mutation, à la recherche de nouvelles valeurs et s’implanteront d’autant plus facilement.

Les missionnaires vont introduire les chants religieux, les hymnes qui vont séduire les Hawaiiens pour qui ce type d’harmonie est inconnu. Les hommes d’église vont jouer de cette fascination pour mieux introduire leur religion ; les Hawaiiens vont apprendre ces hymnes (appelés par eux himeni) par cœur, avec l’influence que l’on devine sur leurs compositions musicales ultérieures et même sur l’orchestration des hula traditionnels. De plus, les missionnaires vont user de leur influence pour interdire le hula, jugé obscène en raison de la lascivité de certains de ses gestes.

A partir de cet instant, l’occidentalisation de la musique hawaiienne est inéluctable : de nouveaux instruments sont introduits par les immigrants (la guitare, venant de la côte ouest des États-Unis, la braguinha, venant de Madère, et désormais appelée ukulele) Cet instrument, qui passe pour typiquement hawaiien, est donc une importation récente. Le roi Kamehameha V lui-même décide de s’attribuer un orchestre royal à l’instar des souverains européens ; il demande au gouvernement prussien de lui envoyer un chef-d’orchestre confirmé : c’est ainsi que Heinrich Wilhelm Berger débarque à Hawaii, en 1872. Berger, naturalisé Hawaiien en 1879 et surnommé le “Père de la musique hawaiienne”, va arranger à l’occidentale de nombreux chants hawaiiens et composer bon nombre d’œuvres “dans le style hawaiien”, achevant le processus d’occidentalisation de la musique.

C’est également dans la seconde moitié du XIXe siècle que va affluer la main-d’oeuvre d’origine étrangère, en raison notamment de l’essor de la production du sucre. En effet, les Hawaiiens considéraient qu’ils avaient assez de terres pour satisfaire leurs propres besoins. Le labeur monotone des plantations ne les attirait nullement ; ainsi décida-t-on de faire venir des Chinois en leur offrant des contrats de travail à long terme. Il en ira de même des Japonais, des Philippins, des Portugais… Les mariages mixtes vont très vite se multiplier et Hawaii va devenir une société pluri-culturelle, perdant aussi de son identité.

Le règne de David Kalakaua (1874-1891) se caractérise par une “renaissance hawaiienne”. Le roi, soucieux de ses prérogatives, fait promulguer une nouvelle constitution qui restaure l’autorité royale. De même, il suscite un retour aux valeurs hawaiiennes traditionnelles. Sous son règne, le hula, agonisant parce que jugé obscène par les missionnaires, ressuscite. Un pan entier de la culture hawaiienne est néanmoins à jamais perdu et, malheureusement, cette renaissance finira avec la disparition du souverain.

La reine Liliuokalani et la couverture de son oeuvre © homeyhawaii.com

Sa soeur, la reine Liliuokalani, est elle-même compositrice, mais elle opère une sorte de synthèse entre les thèmes hawaiiens anciens et les influences occidentales qui aboutit à une production assimilable à de la variété. Sa création la plus célèbre, Aloha Oe est un “hit” à Hawaii depuis plus de quatre-vingts ans. Malgré les conseils de son entourage, la reine Liliuokalani cherchera à poursuivre, sur le plan politique, le projet de son frère : renforcer le pouvoir royal. Les Américains, dont les intérêts financiers dans le royaume sont d’importance, voient cela d’un mauvais œil. En janvier 1893, avec l’aide des marines, un groupe de citoyens américains renverse la reine et la contraint à abdiquer. Un gouvernement provisoire est constitué par des citoyens américains, qui proclame la république. Le 14 juin 1900, Hawaii devient, malgré elle, un territoire américain.

L’américanisation achèvera l’acculturation : désormais, c’est le jazz qui domine la scène musicale et les airs traditionnels sont accommodés à cette sauce. Sur le continent américain, les danseurs de hula se produisent en attraction dans les music-halls et les cirques. Hollywood récupère le hula, dont elle fait un accessoire de sa machine à fabriquer du rêve. Elvis Presley interprétera le Aloha Oe de la reine Liliuokalani et, dans les années ’50, le hula va inspirer une nouvelle mode, celle du hula hoop (le terme fait son entrée dans la langue anglaise en 1958). Le 21 août 1959, Hawaii devient le cinquantième état des Etats-Unis.

Il faut attendre les années ’70 pour voir se dessiner une réaction à cette acculturation massive. De jeunes Hawaiiens cherchent à retrouver les chants et les gestes de leurs ancêtres et, en quête d’authenticité, questionnent les anciens. C’est seulement à cette époque que les mouvements corporels retrouvent de cette lascivité qui les avait fait proscrire par les missionnaires. Mais faute de témoignages suffisants, ces reconstitutions, comme celles de l’époque de Kalakaua, sont hypothétiques. Aussi d’aucun préfèrent-ils créer de nouvelles chorégraphies, inspirées de la tradition ; par exemple, une nouvelle version de la cérémonie d’initiation est instituée, basée en partie sur les récits d’Emerson. Cela atteste néanmoins d’une volonté, de la part d’une population jeune, devenue minoritaire sur le territoire de ses ancêtres, de retrouver son identité et d’en assurer la pérennité.

Parallèlement, le développement du tourisme, devenu la première source de revenu de l’archipel, favorise l’éclosion de spectacles soi-disant traditionnels ; on assiste ainsi à une évolution paradoxale : d’une part des spectacles “grand public” livrant une imagerie hollywoodienne et, d’autre part, de nouvelles écoles de hula cherchant à retrouver une gestuelle et, partant, une philosophie proches de la tradition.

Philippe Vienne

  • Image en tête de l’article : danseuse hawaiienne, années ’60 © Alan Houghton
  • Cet article est une version remaniée d’un article publié dans la revue “Art&fact” n°11 (1992), sous le titre “Le Hula, splendeur et misère de la danse à Hawaii“, où l’on trouvera les notes et références bibliographiques.
  • Plus de Hawaii sur wallonica.org…

[INFOS QUALITE] statut : publié | mode d’édition : transcription, droits cédés | source : Philippe Vienne | commanditaire : wallonica | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Alan Houghton ; homeyhawaii.com ; fr.m.wikipedia.org


Plus d’arts de la scène…

BEACH, Amy (1867-1944)

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Amy Beach est une compositrice née à la fin du XIXe siècle qui participera à la création d’un véritable style classique américain. Première compositrice américaine à avoir une symphonie publiée, elle tentera toute sa vie de donner conseils aux autres femmes désireuses de vivre de leur musique et participera à la création de la Société des Femmes Compositrices Américaines en 1925.

Première compositrice américaine à avoir une symphonie publiée

Née dans le New Hampshire aux Etats-Unis en 1867, Amy BEACH montre dès la plus tendre enfance un certain talent pour la musique, qu’elle découvre avec sa mère, pianiste et chanteuse amateur. C’est auprès de cette dernière qu’elle est initiée au piano avant de donner ses premiers récitals à sept ans. La famille s’installe à Boston en 1875 où Amy continue sa formation auprès des compositeurs Ernst Perabo ainsi que Carl Baermann tout en démarrant sa carrière de musicienne professionnelle. Elle épouse le docteur Harris Aubrey Beach en 1885 et ne se consacrera plus à la composition jusqu’au décès de son mari en 1910. Elle entamera alors une tournée européenne qui ne s’achèvera qu’à son retour dans le Nouveau Monde au début de la Première Guerre Mondiale.

Amy Beach est la première compositrice américaine à avoir une symphonie publiée. Sa Gaelic Symphony en mi mineur opus 32écrite en 1894, sera jouée et applaudie pour la première fois devant une audience en 1896, à Boston. Très certainement inspirée par les écrits d’Antonín Dvořák, alors directeur du Conservatoire national de New York, sur la musique américaine ainsi que son avenir qui résiderait dans la diversité de ses cultures populaires, Amy Beach s’inspire de vieilles musiques anglaises, écossaises ou encore irlandaises qui font écho à ses origines. C’est au fil des années qu’elle deviendra de plus en plus sensible et ouverte à la culture amérindienne et afro-américaine, incorporant certains chants traditionnels dans sa propre musique.

“One of the boys”

Le succès de cette symphonie est tel que le compositeur George Whitefield Chadwick lui écrit : “Je ressens toujours un frisson de fierté lorsque j’entends une belle nouvelle œuvre d’un d’entre nous, et en tant que tel, vous devrez être comptée, que vous le vouliez ou non, comme l’un des garçons.” Amy Beach fait partie de l’Ecole de Boston, un groupe de six compositeurs qui aurait contribué à la création d’un style musical classique proprement américain.

Parmi plus de 300 compositions publiées, de nombreuses chansons, du chant choral, un opéra en un acte, des œuvres pour piano, du répertoire de chambre mais aussi orchestral dans un style rempli de chromatismes, d’appoggiatures, des sixtes augmentées et d’évitements de la dominante empreint d’un romantisme tardif qui évoluera vers un style plus expérimental, s’éloignant de la tonalité pour jouer, par exemple, avec des gammes par tons.

A côté de son répertoire musical, Amy Beach écrira également pour des journaux et donnera conseil à de nombreux jeunes musiciens et compositeurs, particulièrement aux femmes. En 1925, elle participe à la création de la Société des Femmes Compositrices Américaines dont elle deviendra la présidente. Suite à des problèmes de santé, Amy Beach se retire de la vie musicale en 1940 et décédera quatre années plus tard.

[d’après RTBF.BE]


Descendante des premiers colons de la Nouvelle-Angleterre, Amy CHENEY, de son nom de jeune fille, étudie dans une école privée de Boston le piano et l’harmonie. Elle fait ses débuts comme pianiste professionnelle en 1883 dans un concerto d’Ignaz Moschele. En 1885, à l’âge de dix-huit ans, elle épouse un chirurgien de Boston, le docteur Henry Harris Aubrey BEACH, de vingt-cinq ans son aîné. Mettant de côté sa carrière de concertiste, elle se consacre à la composition sous le nom d’Amy Beach. Après des œuvres principalement dédiées au piano, elle se lance bientôt dans un projet ambitieux, une Messe, qui sera créée par la Haendel and Haydn Society of Boston en 1892. Amy Beach sera la première femme compositeur à être jouée par cet organisme. Après la mort de son mari en 1910, elle reprend activement sa carrière de concertiste et effectue une grande tournée en Europe qui s’achèvera en 1914, année où elle regagne les Etats-Unis et s’installe à New York.

Amy Beach a composé pour des genres aussi variés que la musique de chambre, le concerto, la sonate, la symphonie  ou encore l’opéra. On lui doit également de nombreuses mélodies pour voix et piano dans le style romantique.

Amy Beach en 5 dates :
      • 1883 :  Fait ses débuts de pianiste-concertiste à Boston ;
      • 1885 :  Epouse le docteur H.H.A. Beach ;
      • 1892 :  Première femme compositeur jouée par la Haendel and Haydn Society of Boston ;
      • 1896 :  Création de la Gaelic Symphony  sur des airs populaires irlandais par l’Orchestre Symphonique de Boston ;
      • 1914 :  S’installe définitivement à New York après une tournée en Europe.
Amy Beach en 6 œuvres :
      • 1890 : Grande Messe pour chœurs et orchestre, op. 5
      • 1897 : Symphonie gaélique  en mi mineur op. 32
      • 1907 : Quintette avec piano  en fa dièse mineur op. 67
      • 1923 : Peter Pan, pour chœur de femmes et piano op. 101
      • 1926 : Valse-fantaisie tyrolienne  op. 116
      • 1932 : Cabildo, opéra de chambre en un acte pour solistes, chœurs, récitant, violon, violoncelle et piano op. 149

[d’après FRANCEMUSIQUE.FR]

  • image en tête de l’article : Amy Beach © Library of Congress

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BIG EYES : l’arnaque était presque parfaite

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L’histoire de Margaret Keane aurait pu commencer dans une banlieue acidulée semblable au décor d’Edward aux mains d’argent (1990) de Tim Burton. En réalité, l’artiste, née en 1927, a grandi à Nashville dans le Tennessee, parmi de nombreux ex-agriculteurs ruinés par la Grande Dépression. Celle qui changera son prénom pour Margaret s’appelle alors Peggy Doris Hawkins. Dès l’âge de dix ans, la petite fille peint des enfants dotés d’yeux noirs anormalement grands qui fixent tristement le spectateur tels des chiots en détresse. Placés devant un fond neutre, dans une ruelle grise ou devant un grillage, ces petits personnages aux airs d’orphelins affamés, qui versent une larme ou serrent dans leurs bras un petit chat, provoquent le malaise…

Après une école d’art à Nashville, l’adolescente de dix-huit ans part étudier à la Traphagen School of Design de New York. Elle épouse un homme qu’elle finit par fuir avec leur petite fille Jane, née en 1950. Pour survivre, la blonde aux yeux clairs, coiffée d’un casque platine à la Marilyn Monroe, dessine des portraits de passants dans la rue. Mais ses drôles d’enfants suppliants, qu’elle peint inlassablement, ne trouvent pas preneur. À l’époque, le sexisme va bon train et on respecte peu les femmes artistes. D’autant plus que Margaret est particulièrement timide et n’a pas la fibre commerciale…

Lors d’une foire d’art à ciel ouvert organisée à San Francisco, au début des années 1950, l’Américaine rencontre Walter Keane. Ce séduisant quarantenaire originaire du Nebraska et ex-agent immobilier lui dit être peintre, lui aussi. Chez lui s’amoncellent des croûtes montmartroises inspirées, assure-t-il, d’un séjour à Paris… mais qui, plus tard, s’avèreront ne pas être de sa main ! En 1955, le beau parleur insiste pour l’épouser à Honolulu. Deux ans plus tard, il emmène les toiles de Margaret (signées sobrement de leur nom commun, Keane) dans un club beatnik de San Francisco, le “Hungry i”… qui se prononce “hungry eye” (“œil affamé”). Sans doute une première preuve de son talent pour le marketing.

Entre deux cocktails, le bonimenteur conclut une vente, puis, deux, puis trois… Un jour, la jeune femme comprend que son mari se fait passer pour l’artiste. Prise de court, elle le confronte. Mais Walter lui lance que ses œuvres sont plus faciles à vendre ainsi et que l’essentiel est de gagner de l’argent. Aurait-elle même réussi à en écouler une seule sans ce petit arrangement ? Changer de version les exposerait à des poursuites judiciaires, ajoute le manipulateur. Apeurée, Margaret joue le jeu, se rendant ainsi complice du mensonge…

En un clin d’œil, la situation s’emballe. Exposés à San Francisco, New York et Chicago, les “big eyes” (“grands yeux”) partent comme des petits pains. Très vite, les voilà déclinés en posters, cartes postales, assiettes en porcelaine et aimants à frigo vendus dans les supermarchés et les stations essence ! Le couple déménage dans une villa de luxe avec piscine. En interview, l’imposteur se compare sans ciller au Greco, parle de lui à la troisième personne et raconte que ces enfants lui ont été inspirés par ceux qu’il aurait vus en 1946, se battant pour des restes de nourriture dans un Berlin ravagé par la guerre. Prise au piège, Margaret s’enferme dans une honte silencieuse.

Margaret Keane parmi ses œuvres © Margaret Keane / vulture.com

En 1964, l’œuvre Tomorrow Foreverun cortège d’enfants aux grands yeux de toutes les origines, est accrochée à l’Exposition universelle de New York. Avant d’être retirée suite à des plaintes. Car il y a un fossé entre le succès commercial des tableaux et leur réception par les critiques, qui les considèrent comme mièvres et terriblement kitsch. “Si c’était si mauvais, il n’y aurait pas tant de gens pour aimer ça”, répond Andy Warhol ! Aujourd’hui, Margaret Keane est vue comme un précurseur du surréalisme pop et du lowbrow art, né à Los Angeles à la fin des années 1970. Mouvements qui ne craignent pas le “populaire” ni le “mauvais goût” et dont l’un des plus célèbres représentants, l’artiste Mark Ryden (adulé par les stars d’Hollywood), s’inspire d’elle jusqu’au plagiat.

Walter Keane a tenté sans succès de peindre des “big eyes”. Jaloux et frustré, il s’est mis à boire et force son épouse à peindre seize heures par jour, enfermée à double tour dans un atelier à rideaux tirés où personne, pas même sa fille, n’est autorisé à entrer. Son bourreau l’appelle toutes les heures, lui défend d’avoir des amis, frappe son petit chien, la trompe et la menace de mort. Tout en invitant, tout sourire autour de sa piscine, des célébrités dont les très populaires Beach Boys.

À bout, Margaret divorce en 1965, s’envole pour Hawaii avec sa fille et s’y remarie avec un écrivain. En 1970, elle annonce à la radio être la véritable auteure des toiles. Un défi est alors organisé : elle et son ex-mari doivent peindre devant les médias en plein milieu de l’Union Square de San Francisco. Mais Walter ne s’y rend pas et Margaret l’attaque en justice. Lors du procès ouvert en 1986, elle exécute devant le juge et les jurés, en 53 minutes, un tableau typique de son style. Acculé, l’imposteur prétexte une douleur à l’épaule pour échapper à l’exercice qui exposerait au grand jour son inaptitude…

Margaret gagne. En appel, ses 4 millions de dollars de dommages et intérêts sont annulés, mais peu importe : la voilà enfin reconnue et capable de signer ses toiles de son nom. Son ex-mari clamera être l’auteur des toiles jusqu’à sa mort en 2000, mais le film Big Eyes (2014) de Tim Burton, très fidèle à la réalité (avec les talentueux Amy Adams et Christoph Waltz dans le rôle des Keane) achève de rétablir les faits. Aujourd’hui, l’artiste âgée de 93 ans signe des portraits d’enfants plus joyeux qu’auparavant. Libérés de l’injustice et du poids du secret… [d’après BEAUXARTS.COM]

Plus d’oeuvres de Margaret Keane…

  • Illustration en tête de l’article : Margaret Keane, It’s Play Time © Margaret Keane

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Bettman / Getty ; Margaret Keane / vulture.com


Plus de presse…

NAM JUNE PAIK (1932-2006)

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“Nam June Paik est un artiste coréen considéré comme le fondateur de l’art vidéo. Il est né à Séoul le 20 juillet 1932 et est décédé à Miami le 29 janvier 2006. Son génie est d’avoir compris que l’apparition de la télévision avait changé le monde.

Les débuts

Après des études de musique et d’histoire de l’art en Corée puis au Japon en 1952 (fuyant un pays en guerre), Nam June Paik part en 1956 terminer sa formation universitaire en Allemagne. Il se spécialise en collage sonore à partir de bandes audio et disques vinyles. En 1958, il travaille auprès du compositeur Karlheinz Stockhausen (pionnier de la musique électroacoustique) au Laboratoire de Recherche du studio de musique électronique de Radio Cologne – où travaillent également les compositeurs René Köring et Mauricio Kagel. A cette époque, Nam June Paik produit ses propres concerts, expositions et “actions musicales”, performances pendant lesquelles il s’attaque aux instruments de musiques (il brise, par exemple, un violon sur scène) dans le but “d’éliminer la musique traditionnelle”. En 1961, il participe à la pièce musicale de Karlheinz Stockhausen, Originale, en réalisant une performance pendant que l’œuvre du compositeur allemand et ses propres montages sonores sont joués simultanément. C’est dans le cadre des représentations de la pièce Originale, que l’intérêt de Nam June Paik pour le médium vidéo va augmenter.

Durant cette période, Nam June Paik côtoie l’avant-garde de l’époque (notamment Joseph Beuys, John Cage, George Maciunas, Merce Cunningham, le couple de plasticiens Christo et Jeanne-Claude, etc.) et rejoint finalement, en 1962, le groupe artistique Fluxus (issu du mouvement dada qui mélange aussi bien la musique, la performance, l’art plastique et l’écriture). Dès le départ, l’œuvre de Nam June Paik est marqué par ces influences hétérogènes, transdisciplinaires et expérimentales.

La naissance de l’Art vidéo

En mars 1963, lors de l’exposition Fluxus « Music/Electronic Television », il présente à la galerie Parnass de Rölf Jährling à Wuppertal une installation composée de 13 téléviseurs posés à même le sol dont l’image déréglée par des générateurs de fréquence ne diffuse rien d’autre que des rayures et des striures. Cette “Exposition de musique et de télévision électronique”, qui fait écho à la technique du langage indéterminé et variable employé par John Cage dans ses “pianos déréglés” (dont le premier happening remonte à 1952), est considérée aujourd’hui comme la première œuvre d’art vidéo. A cette époque, le mot vidéo, n’étant pas encore connu, c’est donc à posteriori que son acte fut reconnu comme “art vidéo” (vers 1972-1973, quand on commence à prendre conscience des spécificité de ce medium).

Nam June Paik n’est pas le premier artiste à détourner la télévision de son usage habituel. A peu près à la même période, l’Allemand Wolff Vostell projette la vidéo expérimentale  Sun in your head et le Français Jean-Christophe Averty diffuse une série d’émissions télévisuelles absurde Les Raisins verts. L’innovation qui le démarque des autres vient de ce que les œuvres de Nam June Paik sont déjà des installations, maîtrisées, produisant des images électroniques abstraites et indépendantes de la télévision. En 1964, Nam June Paik rencontre la violoncelliste Charlotte Moorman avec qui il collabore pour de nombreuses performances.

L’œuvre de Nam June Paik

L’ensemble de l’œuvre de Nam June Paik se compose d’installations vidéos dans lesquels il introduit des instruments de musique et des moniteurs de télévision qu’il modifie pour les détourner de leur fonction initiale. Dans sa série “robots”, il empile des postes de télévision jusqu’à leur donner une forme anthropomorphique. A la différence du cinéma, l’art vidéo consiste moins à filmer qu’à travailler la matière de l’image électronique. Nam June Paik manipule les images et les sons, en les superposant, les altérant, les étirant et les accélérant  jusqu’à les rendre méconnaissables. En révélant le procédé technique de la télévision, Nam June Paik dévoile le simulacre de l’image télévisuelle et met à jour sa nature idéologique et technologique. A la fois sculptures et mise en scène sonore et visuelle, les installations de Nam June Paik offrent aux visiteurs, une expérience sensorielle totale. (lire l’article complet sur CAHIERDESEOUL.COM)

Nam June Paik, “Watchdog II” (1997) © cahierdeseoul.com

“L’artiste qui a su le mieux imaginer et exploiter le potentiel artistique de la vidéo et de la télévision est, sans aucun doute, le créateur d’origine coréenne Nam June Paik. Grâce à son abondante production d’installations, de vidéos, d’émissions de télévision globales, de films et de performances, Nam June Paik est parvenu à modifier notre perception de l’image temporelle dans l’art contemporain (…).

Les explorations artistiques initiales de Paik dans le domaine des mass médias et, plus précisément, de la télévision, font l’objet, en 1963, de sa première exposition en solitaire: Exposition of Music-Electronic Television (Exposition de télévision électronico-musicale), organisée à la Galerie Parnass de Wuppertal, en Allemagne. Cette exposition, dans laquelle des appareils de télévision distribués dans une salle, installés sur les côtés et placés à l’envers ont été préparés par l’artiste pour déformer la réception des transmissions, est cruciale. À cette occasion, il crée également des vidéos interactives visant à transformer le rapport des spectateurs avec le média. Ces premiers pas marquent l’éclosion de Paik, qui, plus de 40 ans durant, développera d’innombrables idées et inventions qui ont joué un rôle essentiel dans l’introduction et l’acceptation de l’image électronique en mouvement dans la sphère de l’art.

En 1964, Paik s’installe à New York pour poursuivre ses travaux autour de la télévision et de la vidéo et, à la fin des années 60, se constitue en chef de file d’une nouvelle génération d’artistes désireux de créer un nouveau langage esthétique basé sur la télévision et les images en mouvement. Dans les années 70 et 80, il travaille comme professeur et se consacre activement à la promotion d’autres artistes et au développement du potentiel de ce média émergent. À côté d’une remarquable séquence de films vidéo et de projets pour la télévision – comprenant des collaborations avec ses amis Laurie Anderson, Joseph Beuys, David Bowie, John Cage et Merce Cunningham– il met sur pied une série d’installations qui ont radicalement transformé la production vidéo et redéfini la pratique artistique (…).

Paik a créé de nombreuses pièces de petit format qui ne laissent pas, toutefois, d’être représentatives de son œuvre. Vidéo Bouddha (Video Buddha) (1976), par exemple, contient des références aux antiques rites funéraires coréens et présente une sculpture du Bouddha, mi-enterrée dans un monticule de terre, qui se contemple dans un moniteur vidéo en circuit fermé. Chaise TV (TV Chair) (1968) est le résultat d’un traitement ironique de Paik de la réception de la télévision. Dans cette pièce, un moniteur remplace le siège d’une chaise de sorte que, dès que quelqu’un s’y assied, l’écran est caché par le corps. Paik fait également preuve de son intérêt pour l’humanisation de la technologie dans Famille de robots (Family of Robot) (1986), une série de sculptures de personnages vidéo construites avec d’anciens appareils de radio et de télévision. D’autres exemples révèlent comment certaines collaborations de Paik ont surgi de nouvelles expériences visuelles, comme le montre l’œuvre Synthétiseur Vidéo Paik-Abe (Paik-Abe Video Synthetizer) (1969), un dispositif de traitement d’images vidéo développé en partenariat avec Shuya Abe. Autre exemple des expérimentations de Paik, Violoncelle TV (TV Cello) (1971), l’une des nombreuses pièces créées par l’artiste pour sa collaboratrice au long cours de performances, Charlotte Moorman, détourne la vidéo en un instrument musical/visuel d’un autre ordre.

Paik est l’auteur d’un groupe remarquable de nouvelles œuvres fondées sur la technologie laser. En collaboration avec le spécialiste du laser Norman Ballard, Paik crée Modulation en synchro (Modulation in Sync) (2000), installation à grande échelle qui évoque la relation dynamique existant entre la nature et la lumière qui comprend les pièces Doux et sublime (Sweet and Sublime) (dessins multicolores à base de faisceaux laser projetés sur le plafond) et L’échelle de Jacob (Jacob’s Ladder) (une cascade traversée par le laser). Une autre installation de sculptures laser, Trois éléments (Three Elements) (2000), utilise le laser pour créer un espace virtuel et redéfinit la forme et les matériaux de la sculpture. Finalement, dans son œuvre la plus récente, Cône laser (Laser Cone) (2001), Paik manipule les faisceaux pour qu’ils s’entrecroisent sur une énorme surface conique qui enveloppe le spectateur dans une articulation graphique de lumière. Ces projets sont à mettre en rapport avec des créations antérieures comme Couronne TV (TV Crown) (1965), dans laquelle il déformait les tubes à rayons cathodiques des téléviseurs pour créer des dessins linéaires ou La lune es la TV la plus ancienne (Moon is the Oldest TV) (1965) où il évoquait les phases de la lune. “[lire l’article complet sur GUGGENHEIM-BILBAO.EUS]

  • Illustration en tête de l’article :  Nam June Paik, “TV Buddha” (1974) © cahierdeseoul.com

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Plus d’arts visuels…

WITKIN, Joel-Peter (né en 1939)

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“Poussin in Hell” (détail), Paris, 1999 © Galerie Baudoin Lebon

“Joël-Peter WITKIN est né le 13 septembre 1939 à Brooklyn (New York). Actuellement il vit et travaille à Albuquerque (Nouveau Mexique).

A l’âge de 6 ans, il assiste  avec sa mère et son frère à un carambolage impliquant plusieurs véhicules à Brooklyn. “De l’ombre des véhicules retournés, a roulé vers moi ce que j’ai pris pour un ballon, mais comme il roulait  plus près et finissait par s’arrêter contre le trottoir où je me trouvais, j’ai pu voir qu’il s’agissait de la tête d’une petite fille”. Cette expérience traumatisante allait influencer inconscienment sa création.

Dès l’âge de 16 ans, il découvre sa véritable passion : le dessin et la photographie. Il est fasciné par le bizarre ; une de ses premières photographies qu’il réalise, pleine d’audace, est un rabbin certifiant avoir vu dieu. Remarqué par Edouard Steichen, ce dernier expose ses clichés au musée d’Art moderne de New York. Il suit une formation de sculpteur a laquelle il renonce parce qu’il affirme que ses photographies sont en soi des sculptures mais obtient une licence de Beaux-Arts en 1974.

Enrôlé dans l’armée, il devient l’assistant d’un médecin légiste et son travail est de photographier les corps sans vie de soldats accidentés. Il reste dans l’armée pendant trois ans et revient à New York pour se consacrer à sa passion et entre à l’université d’Albuquerque en 1976 pour se perfectionner. Il devient professeur de photographie et s’adonne à sont art, avec un goût pour le morbide qui choque à chacune de ses expositions. Assemblages de morceaux de cadavres, foetus, malformations de naissance, étrangeté sexuelle… Pourtant à Paris, à New York, les experts reconnaissent le travail artistique de ces clichés en noir et blanc qui ont  pour but de saisir toute la beauté et la laideur du monde.” [lire l’article complet sur ACTUART.ORG]

“La Giovanissima”, Mexico, 2007 ©news.artnet.com

Joel-Peter Witkin trouble, bouleverse, choque. De l’étrange au morbide, maniant des réalités crues dans de fantasmagoriques mises en scène, ses photographies radicales exhibent une condition humaine, dont l’artiste exalte la majesté comme le désespoir. Soudain, les certitudes se déplacent. Le vice et la vertu, la vie et la mort, le beau et le monstrueux deviennent les complices d’une humanité en souffrance. Depuis quatre décennies, l’artiste s’affranchit avec malice des dogmes esthétiques hérités de la Renaissance. De corps nus en chairs inertes, il transfigure ses modèles pour en saisir l’âme. Ses canons de beauté embrassent la différence, le handicap, la maladie ou l’accident.

Car l’humain est au cœur de son œuvre, dans sa chair, son désir, sa faiblesse, sa noblesse aussi. Si l’être –mort ou vif– est de toutes ses productions, des compositions baroques aux natures mortes, il est aussi l’expression de sa foi. Mon travail s’appuie sur la nature de l’homme et son rapport au divin“, explique-t-il. […]

Chaque image, du négatif au tirage, travaillée en tant qu’œuvre plastique à part entière, est soumise à maintes manipulations de retouches, découpes, collages, grattages ou abrasions. “Joel élabore ses photographies avec minutie, s’autorisant un long processus créatif. Entre les premiers dessins préparatoires, la prise de vues qui leur sera fidèle et le tirage final, il peut s’écouler entre six mois et un an”, explique Baudoin Lebon, qui a produit et assisté l’artiste dans la réalisation d’une cinquantaine d’images à l’Institut médico-légal de Paris.

“Chinese Adam and Eve”, Shanghai, 2015 © Galerie Baudoin Lebon

Dans cet élan, réinterprétant des figures mythologiques (Bacchus au purgatoire, Leda donnant à son amant un préservatif) ou bibliques (saint Sébastien), restituant la pose des portraits de la Renaissance ou le réalisme de personnages baroques, ses compositions revisitent l’esthétique occidentale. Jérôme Bosch, Francisco Goya, Otto Dix, Picasso notamment, m’ont considérablement marqué. Ils m’ont ouvert des portes, ont rendu ma vision du monde plus claire, rappelle-t-il. De même, sans les expressionnistes, je ne serais jamais devenu photographe : ils ont abattu dans l’art les barrières physiques et psychologiques de tout ce qui les avait précédés”.

Ainsi, le photographe suspend le temps présent, tout en explorant une veine à part dans l’histoire de la photographie contemporaine. Des quelque six cents images et mises en scènes qu’il a réalisées jusqu’à présent, Witkin retient une leçon d’humanité, de compassion et d’amour. Je voudrais que mes photographies soient aussi fortes que la dernière image que l’on voit avant de mourir.” [lire l’article complet sur CONNAISSANCEDESARTS.COM]


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : connaissancedesarts.com ; Galerie Baudoin Lebon ; news.artnet.com


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SCHREIDEN : Poor Lonesome Cowboy (1987, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

SCHREIDEN Luc, Poor Lonesome Cowboy
(photographie, 30 x 45 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Luc Schreiden © be.linkedin.com

Lors de ses études en Psychologie à l’Université de Liège, Luc SCHREIDEN suivi tous les cours accessibles auprès de Philippe Dubois, professeur spécialisé en photographie, vidéo et cinéma. En 1983, il réalise une première série noir et blanc sous son impulsion. Un reportage sur la côte Ouest des Etats‐Unis en 1990 constitue un point de repère dans son parcours. Au fil des années, il a compilé des épreuves argentiques puis numériques qui se déclinent en recherches personnelles, portraits et captures d’instants particuliers. En parallèle, il exerce en tant que psychologue et enseigne comme Maître de Conférences dans le master en psychothérapie ULg – UCL. Les deux facettes de son activité côtoient de près la nature humaine.

Cette photographie est tirée d’une série réalisée aux Etats-Unis en 1990. C’est un portrait étonnant d’un homme vendant des chevaux à bascule. Il semble perdu le long d’une route à l’orée d’une zone désertique. Le décalage entre ces chevaux de bois et les mythes de la conquête de l’Ouest crée un effet à la fois dérisoire et humoristique.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Luc Schreiden ; Linkedin | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

NEWMAN, Barnett (1905-1970)

Temps de lecture : 2 minutes >

Barnett Newman: The Late Work, The Menil Collection, March 2015 © artbooks.yupnet.org

Né à Manhattan en janvier 1905, Barnett NEWMAN est le fils d’un couple d’immigrés polonais juifs qui lui inculquent une éducation religieuse. Après le lycée, il s’inscrit à l’Université de New York pour étudier la philosophie. Pendant ses études, il fréquente les galeries et les musées et peint des œuvres impressionnistes. Dès ses 25 ans, il devient, tout en continuant à peindre, critique d’art et commissaire d’expositions. Dans le contexte de crise mondiale des années 1930, Newman pense l’art par rapport aux événements politiques. « La peinture est finie, nous devrions tous l’abandonner » écrit-il dès le début de la Seconde Guerre Mondiale. Après Pearl Harbor, Hiroshima et la découverte des camps, l’impuissance de la peinture lui paraît plus évidente encore. 

Barnett Newman, The Stations of the Cross, Lema Sabachthani, Twelfth Station [detail], 1965 © art-critique.com

(…) Newman souhaitait que ses tableaux soient le lieu d’une communion du spectateur avec lui-même et avec les autres. « J’espère que ma peinture peut donner à chacun, comme elle l’a fait pour moi, la sensation de sa propre totalité, de sa propre existence séparée, de sa propre individualité, et en même temps de sa connexion avec les autres, qui existent aussi séparément » écrivait-il. Lui qui fut l’un des rares artistes de sa génération à refuser de participer au programme gouvernemental d’aide aux artistes (Work Progress Administration) estimant que cet argent était celui de l’isolationnisme donnait à l’abstraction un potentiel social, voire politique. Ainsi écrivait-il : « On m’a demandé ce que signifiait vraiment ma peinture par rapport à la société, par rapport au monde, par rapport à la conjoncture. J’ai répondu que si mon travail était correctement compris, ce serait la fin du capitalisme et du totalitarisme d’État. Mon travail, en termes d’impact social, signifie la possibilité d’une société ouverte, d’un monde ouvert et non d’un monde institutionnel fermé. » (lire l’article complet sur art-critique.com)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : artbooks.yupnet.org ; art-critique.com


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