Et si les réseaux sociaux devenaient une chance pour nos démocraties ?

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[THECONVERSATION.COM, 11 janvier 2024] Alors que le président libertarien Javier Milei, récemment élu en Argentine, a largement profité des réseaux sociaux lors de sa campagne présidentielle, notamment pour séduire les plus jeunes générations, d’autres personnalités politiques envisagent au contraire de quitter ces mêmes réseaux. En France, c’est la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui a initié ce mouvement, déclarant en novembre dernier que X (ex-Twitter) constituait “une arme de destruction massive de nos démocraties.” Force est de constater que depuis de nombreuses années, les réseaux sociaux dominants, dont le modèle d’affaires repose sur l’économie de l’attention favorise structurellement le clash et la polarisation des opinions.

Selon ce modèle économique, il s’agit de “maximiser l’engagement” des utilisateurs afin de vendre leur “temps de cerveau” et leurs données personnelles à des entreprises susceptibles de les cibler avec leurs publicités. Dès lors, tout ce qui compte pour gagner en visibilité sur ce type de réseau, est de trouver la ligne de fracture – chez chaque utilisateur ou dans la société – et d’enfoncer le coin, afin d’obtenir plus de clics et plus de vues, alimentant ainsi le “business de la haine” des géants du numérique, qui tirent profit de cette cacophonie.

Le résultat, tel que décrypté par l’écrivain et politologue italien Giuliano da Empoli, est le suivant : tandis qu’hier la politique était “centripète” – il fallait rallier autour d’un point d’équilibre –, elle est devenue aujourd’hui centrifuge. L’expression d’”ingénieurs du chaos” trouve alors tout son sens : pour conquérir le pouvoir, la politique consiste désormais à exploiter au mieux les dynamiques d’infrastructures, ici de communication, pour éclater la société en tous points.

Faire évoluer le modèle économique et l’architecture des réseaux sociaux

Comment changer la donne ? Il parait difficile d’imaginer l’ensemble des démocrates pratiquer la politique de la terre brûlée et quitter les réseaux sociaux dominants tant que l’espoir est encore à leur régulation. De même, nous ne pouvons uniquement nous en remettre à la bonne volonté de quelques autres réseaux dominants faisant pour l’instant office de refuge, tant que leur modèle demeure fondé sur la captation de l’attention.

Si nous devons poursuivre nos efforts pour “trouver des réponses politiques à la colère”, nous ne pouvons pas non plus nous aveugler sur les velléités autoritaires ou nationalistes exploitant les failles des réseaux sociaux les plus utilisés. Néanmoins, nous pouvons les priver de l’infrastructure qui les fait émerger comme forces politiques de premier plan partout dans le monde. Pour cela, nous devons faire évoluer le modèle économique et l’architecture des réseaux sociaux. Car il faut bien se rendre compte, dans la lignée de la pensée du professeur de droit Lawrence Lessig, que l’architecture numérique est normative : de même que l’architecture de nos rues détermine nos comportements, l’architecture des réseaux sociaux détermine la façon dont nous nous y exprimons et dont nous y interagissons.

© Générationlibre

De manière générale et par définition, le principe des “followers”, qui consiste à suivre des personnalités en particulier, ne favorise pas l’expression de points de vue diversifiés, mais plutôt les comportements mimétiques, la concurrence, la rivalité et in fine la dévalorisation de soi comme des autres.

Plus spécifiquement, X/Twitter et Thread sont construits pour faire se rencontrer absolument tous les sujets, points de vue et personnes d’opinions très diverses sur un flux unique et assurer des interactions directes au vu et au su de tous.

Autre architecture, autre ambiance, il en va autrement si l’on se rassemble autour d’un sujet, que ce soit pour en débattre ou seulement pour échanger. Sans qu’ils soient exempts de très nombreux défauts, TrustCafé, Reddit, Twitch, Discord donnent l’opportunité de créer des salons de discussion thématiques ou de regrouper des communautés en un espace et in fine d’avoir un débat plus approfondi. Mastodon repose quant à lui sur une structure décentralisée, c’est-à-dire que “chaque serveur Mastodon est totalement indépendant, mais capable d’interagir avec les autres pour former un réseau social mondial.” Cela permet d’éviter de cultiver l’animosité sociale. Des communautés irréconciliables n’ont pas à se côtoyer, ce qui permet d’éviter de propager le conflit de manière inopportune.

Reprendre la main sur les algorithmes

C’est pour orienter les réseaux sociaux vers des architectures permettant de créer des espaces de débat, d’apprentissage, d’échanges et de coopération que nous devons agir en premier lieu, avant même de nous intéresser à la modération des contenus qui y circulent. Le règlement européen sur les services numériques le permet en théorie, mais il faudra que la Commission européenne se mobilise en ce sens. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Jusqu’à présent, le débat a bien plus porté sur le nombre de modérateurs de tel ou tel réseau ou le nombre de contenus retirés que sur la structure des réseaux sociaux en elle-même. Ce qui risque surtout de nous épuiser pour un résultat très relatif.

Pour nous assurer que les réseaux servent une société démocratique où le débat, la construction collective et l’écoute sont privilégiés, nous devrions nous préoccuper de la manière dont les infrastructures numériques sont conçues, développées et financées. Comme les réseaux sociaux dominants sont structurellement fondés sur l’économie de l’attention, l’enfermement de leurs utilisateurs et l’amplification des contenus polémiques et choquants, nous devrions aussi décider de ne plus laisser aux mains du seul réseau social, c’est-à-dire d’une entreprise privée, le monopole de déterminer le flux algorithmique, soit le choix des contenus apparaissant sur nos fils d’actualités.

Une telle proposition est une exigence minimale pour tendre vers une plus grande réappropriation des réseaux sociaux par les utilisateurs. Elle a d’ailleurs déjà été faite sous diverses formes, que ce soit par des spécialistes du numérique, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), des journalistes ou des chercheurs. Ainsi, il s’agit non plus seulement de forcer la plate-forme à accentuer tel ou tel paramètre de leur algorithme mais de contester le fait que la recommandation soit le seul fait de la plate-forme.

Pour justifier ce principe, nous pouvons nous demander si une fois une taille critique et une certaine concentration du marché atteintes, il est bien légitime de laisser uniquement à des entreprises privées le soin de décider ce qui doit être vu ou ce qui doit être invisibilisé dans l’espace médiatique numérique. Quand bien même certains d’entre nous souhaiteraient s’abandonner aux algorithmes de TikTok ou de Twitter, pourquoi tout un chacun devrait-il s’y plier ? Est-ce à un acteur unique de déterminer les critères en fonction desquels les contenus apparaissent ou disparaissent de nos écrans ?

Reconnaître les réseaux sociaux comme des espaces publics

La chose doit encore être affirmée : oui les réseaux sociaux dominants sont des espaces publics. Ce ne sont plus seulement des cafés que l’on est libre ou non de fréquenter. L’analogie ne fonctionne plus. Ils ont un impact structurant sur nos sociétés, que l’on y soit ou non.

2011 : les “printemps arabes” © Maxime Johnson

De plus, si tout le monde peut virtuellement s’exprimer sur les réseaux, ceux qui auront le plus de vues sont ceux qui joueront les codes du réseau et sponsoriseront leurs comptes ou publications. Ce qui laisse sur le bas-côté ceux qui ne peuvent pas ou refusent de jouer à ce jeu malsain de la mésestime de soi, des autres et du clash constant.

La prétendue liberté d’expression masque le sévère contrôle qui s’exerce sur la recommandation et la hiérarchie qu’elle recèle : l’apparence d’horizontalité (celle de tous les usagers exprimant leurs opinions ou leurs avis publiquement) masque une extrême verticalité (celle des entreprises décidant des critères de ce qui sera vu ou non).

Pour restaurer les libertés d’expression et de pensée, il nous faut donc décorréler l’intérêt du réseau social à voir promu tel ou tel contenu et l’intérêt social ou personnel à s’informer ou échanger sur tel ou tel sujet.

Œuvrer pour des infrastructures numériques démocratiques

Cela n’est désormais plus une seule affaire d’imagination ou de prospective. Regardons Bluesky (le réseau social alternatif créé par Jack Dorsey, l’un des fondateurs de Twitter) ou Mastodon : les flux algorithmiques y sont à la main des utilisateurs.

Sur Bluesky, les utilisateurs les plus chevronnés, des médias ou autres tiers de confiance peuvent proposer à l’ensemble des utilisateurs des algorithmes de leur cru. Et le choix est particulièrement simple à opérer pour un effet immédiat. Sur Mastodon, le classement chronologique reste la clef d’entrée vers les contenus publiés, mais le principe même du logiciel libre permet à l’administrateur comme à l’utilisateur de développer les fonctionnalités de curation de contenus qu’il souhaite. Cela ne veut pas dire que tout le monde doit savoir coder, mais que nous pouvons avoir le choix entre de nombreux algorithmes, paramètres ou critères de recommandations qui ne sont pas seulement le fait de la plate-forme.

Regardons aussi des projets comme Tournesol : cette plate-forme de recommandation collaborative de contenus permet à de nombreux citoyens de participer en évaluant les contenus en fonction de leur utilité publique (et non en fonction d’intérêts privés ou d’agendas politiques déterminés). Grâce à de telles initiatives, il devient possible de découvrir des vidéos pertinentes et pédagogiques que des réseaux sociaux dominants ou une plate-forme comme YouTube n’auraient probablement pas recommandées.

Toutes ces initiatives nous montrent qu’il est possible d’œuvrer pour des infrastructures numériques démocratiques. Nous ne sommes qu’à un pas politique de les valoriser. Et entendons-nous bien, l’objectif n’est pas de nous anesthésier en empêchant le désaccord. Bien au contraire ! Le but est de vivifier la démocratie et renforcer l’intelligence collective en exploitant tout le potentiel des réseaux sociaux.

Anne Alombert & Jean Cattan


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Plus de presse en Wallonie…

VACCA : L’indispensable inutilité du point-virgule

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[TRENDS.LEVIF.BE, 13 octobre 2022] Venise, 1494. Aldus Manutius, imprimeur et éditeur, publie le texte de l’humaniste Pietro Bembo intitulé De Aetna, un récit qui relate sous forme de dialogues une ascension de l’Etna. Il lui faut à tout prix domestiquer la prose éruptive de son auteur s’il veut que ses lecteurs – même cultivés, le texte est rédigé en latin – puissent s’y retrouver.

Nous sommes à la Renaissance, la ponctuation est encore une affaire personnelle et des signes naissent comme nos start-up d’aujourd’hui. Afin de ménager des respirations dans le texte, Manutius a une idée. Pourquoi pas une virgule chapeautée d’un point pour baliser son texte ? Une pause plus appuyée qu’une virgule et un peu moins qu’un point. C’est ainsi que voit le jour le plus controversé des signes de ponctuation : le point-virgule.

Aussitôt on se l’arrache ; il connaît un succès foudroyant ; il pousse sa petite corne de pages en pages à travers les publications des Humanistes. Il devient signe de ralliement et s’invite partout : dans les essais philosophiques, les recueils de poésie, les textes juridiques, la grande littérature et aussi les romans populaires…

Paul Vacca © roularta

Mais très vite, son statut hybride déconcerte et dérange. Par quel bout prendre ce drôle d’attelage ? Et surtout qu’en faire ? Certains se retrouvent impuissants face à ce signe fourbe et fuyant. N’a-t-il pas, par essence, le cul entre deux chaises (ni point, ni virgule, mais un peu des deux quand même) ? D’autres n’ont que mépris pour ce signe bâtard. Pour le romancier américain Donald Barthelme, “ils sont aussi laids qu’une tique sur le ventre d’un chien.

Adulé, incompris et honni ; tel fut longtemps le destin du point-virgule. Cecelia Watson, historienne et philosophe des sciences, raconte dans Semicolon (éditions 4th Estate), un ouvrage passionnant consacré au point-virgule, comment ce signe typographique a toujours développé un don particulier pour provoquer des querelles autour des questions de langage, de classe sociale ou d’éducation, et envenimé les débats savants ou littéraires. En 1837, deux professeurs de droit de l’Université de Paris se seraient même battus en duel pour lui !

Aujourd’hui, c’est plutôt un autre sentiment qu’il provoque : l’indifférence. Largement délaissé par les écrivains, enseigné du bout des lèvres, utilisé avec embarras, incompris ou simplement ignoré : il est devenu vieillot, académique, snob ou ringard. Alors pourquoi diable s’encombrer d’un signe que visiblement plus personne ne comprend ni n’utilise ? Tout ne serait-il pas plus simple si l’on s’en débarrassait ?

Mais voilà, retirez les points-virgules que Marcel Proust a placés avec minutie comme autant de précieuses chevilles dans la Recherche du temps perdu et, soudain, c’est tout l’édifice romanesque qui s’écroule. C’est également grâce aux points-virgules distillés par Virginia Woolf que nous pouvons nous glisser dans les flux de conscience de Clarissa dans Mrs Dalloway : une pensée rebondit, se métamorphose en une犀利士
autre ; des sentiments s’enchaînent, se bousculent au sein d’une seule et même phrase ; au moment même où elles prennent naissance chez elle. Et enfin, confisquez les points-virgules à Michel Houellebecq et ce sont autant de rapprochements incongrus, aussi malicieux que certains haïkus, qui s’évaporent : “Il n’arrivait plus à se souvenir de sa dernière érection ; il attendait l’orage.

Mais le point-virgule a un atout maître : lui n’assène rien, il préfère suggérer ; il pose un lien, mais ne l’impose pas. Il est espace de liberté bienvenu, une oasis dans notre société toujours plus polarisée. N’est-ce pas ce qui devrait rendre ce signe inutile totalement indispensable aujourd’hui ?

Paul Vacca, romancier


© twitter

Ce point-virgule est bien plus qu’un tatouage : quelle est sa signification ?

[LALIBRE.BE, 13 juillet 2015] Que signifie le tatouage point virgule ? Et d’où vient l’idée ? Les tatouages composés d’un point-virgule ont fait récemment leur apparition en nombre sur les réseaux sociaux. Ils symbolisent la lutte contre la dépression…

Les poignets tatoués de ce signe font partie du projet Semicolon. L’idée ? Se tatouer un point virgule pour lutter contre la dépression, l’addiction, l’automutilation et les tendances suicidaires. L’initiative a été lancée en 2013 par une Américaine, Amy Bleuel, suite au suicide de son père. “Le point virgule est choisi par un auteur qui pourrait décider de terminer la phrase, mais qui ne le fait pas“, peut-on lire sur le site du projet, “l’auteur, c’est vous. Et la phrase c’est votre vie.” Le point virgule marque donc le tournant qu’on peut prendre dans sa propre vie. L’emplacement de ce point-virgule sur le poignet n’est pas choisi au hasard puisque c’est l’endroit où des personnes peuvent se tailler les veines. Une variation est de mettre le point-virgule à la place du “i” dans le mot “continue“.

Les détracteurs du tatoo point-virgule. Cette thérapie virtuelle collective pose toutefois question, comme le souligne la psychosociologue spécialisée dans les tatouages, Marie Cipriani, dans une carte blanche pour le Nouvelobs. “L’injonction “tatouez-vous ce symbole si vous êtes une personne fragile” me dérange. Marquer volontairement son corps par un signe évoquant la faiblesse “avouée” ainsi en s’appuyant sur l’argument d’un appel à l’aide est surprenant, écrit-elle, il y a un côté copier-coller qui va totalement à l’encontre des fondements de l’histoire du tatouage ancestrale qui perdure encore de nos jours.” Elle explique aussi le potentiel impact stigmatisant d’un tel tatouage, qu’elle recommande donc de ne pas faire sur un coup de tête.

La rédaction, lalibre.be


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Plus de Wallons et de Bruxellois à la libre tribune…

LUONG : Parties intimes

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[EDL.LAICITE.BE, article du 12 avril 2022] Bonjour datas, adieu vie privée ! Les réseaux sociaux sem­blent avoir introduit une zone intermédiaire entre l’espace privé et l’espace public, brouillant les frontières de l’intime au profit d’un étrange “extime”. Un déficit d’intériorité à reconquérir ?

C’est une conversation comme tant d’autres, où les téléphones sont de la partie, avec les photos des absents que l’on montre et les zooms qui permettent de jauger. Il y a ce couple dont on vient de parler, qui a posté un selfie aux sports d’hiver, tout sourire, un cœur en légende suivi d’un quelconque nombre d’années ensemble. On pourrait croire qu’ils exposent leur vie privée, sauf que les gens autour de la table la connaissent. Dans cette vie privée là, le cœur est ailleurs ou brisé ou en passe de l’être. Dans cette vie privée là, on ne sourit pas sans caméra. On le sait, et pourtant, un instant, on y croit. L’image fait presque foi.

© DP

Les réseaux sociaux, au fond, portent bien leur nom. C’est moins l’intime qu’on y expose que ce qui est socialement désirable, moyennant quelques imperfections pour le cachet d’authenticité. Mais après tout, est-ce si différent du temps où l’on se rendait à la messe en habits du dimanche pour attester de l’unité familiale ? À ce jeu, on attend surtout les femmes, garantes perpétuelles des enfants bien élevés et du linge plus blanc que blanc. “Dans nos sociétés, ce qui est considéré comme l’espace privé, c’est la maison, qui est traditionnellement l’espace des femmes, tandis que l’espace public est considéré comme plus masculin“, rappelle Jacques Marquet, sociologue de la famille et de la sexualité à l’UCLouvain. “Autrefois, on attendait des femmes qu’elles montrent une image positive de la famille à l’extérieur. Certaines pratiques observées sur les réseaux sociaux semblent perpétuer ce rôle social qui consiste à faire “bonne figure”.

Réseaux sociaux : un continuum

En sociologie du numérique, il y a deux manières de concevoir les choses“, explique Laura Merla, également sociologue de la famille à l’UCLouvain. “Une première conception reviendrait à dire que cette sphère numérique est une sphère à part entière, qui n’existait pas auparavant et qui chamboule profondément nos façons d’interagir, de socialiser, de nous présenter vis-à-vis de l’extérieur : il y aurait une rupture, un avant et un après. Une autre approche revient plutôt à dire que la sphère numérique est une sphère de socialisation et de sociabilité parmi les autres, dans laquelle on déploie des manières de faire qui font écho à celles présentes dans le monde matériel.” Ainsi de l’aspect très genré des pratiques numériques, qui établissent une forme de continuum avec la distribution traditionnelle des rôles dans les sphères privées et publiques. “Les plateformes sont pensées pour un public plutôt féminin ou masculin. Instagram, par exemple, est clairement pensé au départ pour un public féminin, avec une mise en scène, une exposition de soi et du corps beaucoup plus présente“, poursuit Laura Merla, qui étudie particulièrement les usages adolescents. “Les garçons sont moins producteurs de contenus où ils mettent en scène leur propre image. Ils reçoivent donc beaucoup de moins de commentaires insécurisants sur leur physique.

Néanmoins, en réponse à ceux qui supposeraient que les femmes tendent le bâton pour se faire battre, Laura Merla rappelle que même celles qui ne mettent pas en scène leur apparence physique récoltent des commentaires à ce propos. “Un bon exemple est celui des femmes présentes dans les jeux multijoueur en ligne et où elles sont nettement minoritaires. Elles peuvent être attaquées sur leur physique, alors qu’elles utilisent un avatar et qu’elles ne montrent rien de leur vie privée.” On sait aussi à quel point les raids numériques qui s’exercent à l’encontre de certaines femmes publiques ont une forte assise sexiste et sexualisée. “Il y a de nombreuses études qui révèlent que les femmes sont énormément jugées sur leur physique, notamment les femmes politiques. Le monde numérique produit un effet de loupe sur ces mécanismes de domination et d’inégalités. D’un certain point de vue, c’est intéressant, car au moins, c’est un monde qui génère des traces.” Les espaces sociaux numériques semblent ainsi offrir un prolongement palpable à “l’intolérance à la présence des femmes dans l’espace public“, explique la sociologue. Entrer dans certains espaces numériques peut alors équivaloir, pour une femme, à s’accouder au comptoir d’un café de village, à commander une bière et à donner son avis sur le monde. Une petite folie.

Le gouffre derrière l’image
Masque de pierre (-7.000 ans) © DP

Les outils numériques ont modifié en partie le rapport à la vie privée, à la présentation de soi, ont créé et renforcé une culture de l’image de soi qui peut mener à représenter un soi idéalisé“, estime Laura Merla. “Mais tout le monde n’est pas équipé de la même manière pour gérer cette image et cette présentation de soi. L’âge, le milieu, les compétences numériques sont autant de critères qui entrent en ligne de compte.” De même qu’un certain degré d’équilibre psychique, sans quoi le risque est l’établissement d’une confusion entre cette image et son “vrai moi“, un trouble théorisé en psychanalyse comme une construction en “faux self“. Ainsi, si le “faux self” est absolument nécessaire à la vie en société, il est délétère de le voir prendre toute la place au point de ne plus être “personne” derrière ce masque normalement amovible, avec à la clé un sentiment de vide intérieur et d’inauthenticité permanente.

Autre conséquence de cette culture de l’image et de la trop grande fréquentation de l’”extime” d’autrui : une baisse de l’estime de soi, en particulier chez les filles. De ce fait, d’après une étude britannique menée sur plus de 10 000 adolescents de 10 à 15 ans, 40 % des filles utilisant régulièrement les réseaux sociaux – Instagram, Snapchat ou encore TikTok – présentaient des signes de mal-être, de dépression, des troubles du sommeil ainsi qu’une mauvaise image corporelle, soit 35 % de plus que les garçons. Le mécanisme est toujours le même : on a beau savoir que ce n’est pas le reflet de la réalité, notre cerveau, à force d’être exposé à des plages aux Bahamas et à des corps jeunes et minces, enregistre ces images comme normes, rendant la vue sur le parking et le reflet dans la glace proprement déprimants. Les conclusions de cette étude montrent ainsi que plus le temps passé en ligne par les jeunes augmente, moins ils se sentent heureux dans leur vie. Une autre étude réalisée dans le cadre du projet Dove pour l’estime de soi a révélé pour sa part que le fait de se trouver “plus laide que les autres” triple pour atteindre 63 % chez les filles qui passent plus de deux heures par jour sur les réseaux sociaux et qu’une jeune fille prend en moyenne 8,5 selfies avant d’en considérer un digne d’être partagé…

Des frontières redessinées
MUNCH E., Puberté (1894) © DP

La question de l’intimité est fortement associée au corps, à la sexualité, comme l’indique l’expression parties intimes”, rappelle Jacques Marquet. “Les choses ont changé très rapidement de ce point de vue : nous sortons d’une société où on ne pouvait pas parler de sexualité ! En particulier, les femmes. Aujourd’hui, les jeunes échangent beaucoup plus sur leurs pratiques. Est-ce pour cela que les gens n’ont plus de pudeur ? Non, mais les frontières de l’intime se sont déplacées.” Variable dans le temps, la notion d’intime est aussi propre à chaque individu. C’est pourquoi parler de choses intimes demande du tact, une connaissance de l’autre, de l’empathie. “Le désir de partager ses expériences intimes est naturel : les humains sont en quête de légitimation dans toutes les sphères de leur expérience. Nous discutons de nos amours, faisons le récit de nos fantasmes ou parlons de nos corps parce que nous sommes des êtres de langage soucieux de confronter nos expériences“, estimait le philosophe Michaël Fœssel dans une récente interview. “Le problème est de savoir avec qui ce partage s’effectue, et selon quelles modalités. Fondés sur le désir de montrer qui l’on est et ce que l’on vit, les réseaux sociaux donnent l’illusion que ce partage peut être universel. Ils suggèrent qu’une expérience est réelle à condition d’être partagée par le plus grand nombre […] Cela relève moins de l’exhibitionnisme que d’une incertitude sur la signification de ce que nous vivons. Les “pouces bleus”, les likes ou le nombre d’“amis” sur Facebook répondent à cette incertitude, mais d’une manière qui s’avère le plus souvent illusoire. Une expérience intime se réalise en effet dans le sensible. Elle suppose une proximité des corps et des paroles que les instruments numériques ne peuvent que mimer.

Escher MC, Mains © DR

De nos jours, certains jeunes décident ainsi de ne pas être présents sur les réseaux sociaux, non par réaction – parce qu’ils y auraient vécu une mauvaise expérience –, mais par choix. “Nos recherches montrent qu’aujourd’hui, certains ados ne veulent pas être sur les réseaux, qu’ils s’inscrivent en porte-à-faux par rapport à cette représentation de l’adolescent hyper-connecté et renouent avec des usages tels que les lettres. C’est un positionnement réfléchi, une volonté d’incarner un autre mode de vie, une manière de se définir positivement comme n’étant pas sur les réseaux“, relève Laura Merla. Une possibilité aussi de redéfinir l’intime comme ce qu’on a de plus précieux : le temps que l’on prend pour s’adresser à une personne en particulier et non à un public indifférencié, l’intention qu’on y met. Ce qu’on veut donner et partager de soi, non dans l’espoir d’en recevoir de la nourriture narcissique, mais pour créer du lien. Une manière non pas simplement de parler de la maison et de la sexualité mais de penser à partir du foyer et du corps. Michaël Fœssel note ainsi que “dans une société démocratique, l’intime devient un objet de revendications parce que l’espace domestique est aussi un lieu d’injustices et de violences. Il est dès lors inévitable, et même souhaitable, que ce qui était jusque-là considéré comme relevant de la sphère “privée” devienne visible. C’est bien ce que montre le phénomène #MeToo : une politisation de fait des relations entre les sexes, en tant qu’elles demeurent profondément inégalitaires“. Partager l’intime plutôt que de l’exposer, sauver son âme plutôt que son image : un tournant numérique à prendre.

Julie Luong


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De la presse, en veux-tu, en voilà…

BOURDEAUT : J’ai décidé de me séparer de ce téléphone, si intelligent qu’il me rendait parfaitement débile

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[FRANCEINTER.FR] Après l’immense succès de son premier roman, En attendant Bojangles (2016), Olivier BOURDEAUT vient de publier Pactum Salis. Invité pour en parler au micro d’Augustin Trapenard dans Boomerang, l’écrivain s’est lancé à l’antenne dans une très belle ode à l’ennui et à l’observation…

Invité au micro d’Augustin Trapenard, Olivier Bourdeaut affirme que l’ennui est “primordial dans la vie des gens“. Et dans la sienne ? Il estime que l’ennui est même fondateur :

Si je ne m’étais pas ennuyé autant lorsque j’étais enfant, je pense que je n’aurais jamais écrit de romans. C’est bien de laisser son esprit vagabonder, ses yeux s’accrocher à des détails, je pense que ça structure la cervelle – en tous cas ma petite cervelle à moi…

Ode à l’ennui et à l’observation

“Le téléphone intelligent a de nombreuses qualités. Ce n’est pas à moi d’en faire l’article, ses promoteurs s’en chargent à merveille à la télévision, dans les magazines et sur les murs des bâtiments parisiens en rénovation. En tant qu’abominable égoïste, je me moque royalement de ce que font les autres. Je me contente de me satisfaire, tous les jours, de la disparition du téléphone intelligent dans ma vie, il y a maintenant sept ans.

J’ai une chance inouïe : je vis désormais de mon écriture et c’est un luxe.

J’ai la naïveté de penser qu’un peu d’imagination n’est pas pas totalement absurde lorsqu’on écrit des romans. Or, à mon sens, et ce n’est que mon avis, l’imagination est le fruit de deux choses fondamentales : l’ennui, à qui on donne trop souvent un drôle de mauvais rôle, et l’observation, qui n’est pas seulement un terme médical.

Pourquoi observer le monde autour de soi quand on peut lire ses notifications Facebook et regarder des vidéos avec des chatons ? © cosmoglobe

Il s’avère que le téléphone intelligent est le plus féroce ennemi de ces deux activités de fainéants que sont l’ennui et l’observation. Ce charmant objet, si pratique, si nécessaire, si vital, fait peu à peu disparaître ces deux activités primordiales du cerveau humain.

Pourquoi s’ennuyer quand on peut regarder des vidéos de chatons dans une salle d’attente, et pourquoi regarder ses voisins dans la même salle d’attente lorsqu’on peut regarder des notifications Facebook de la plus haute importance, ou encore des vidéos d’abrutis qui se renversent un seau d’eau sur le visage pour sauver un bébé panda ou faire baisser la température terrestre ?

J’ai réalisé il y a sept ans que j’étais beaucoup trop sensible aux vidéos de chatons et aux notifications Facebook pour pouvoir y résister. J’ai donc décidé de me séparer de ce téléphone, si intelligent qu’il me rendait parfaitement débile…

Depuis, lorsque je sors d’une salle d’attente, je sais combien de personnes s’y trouvaient, j’ai tenté de deviner ce qu’ils faisaient comme métier, quelle maladie ils pouvaient bien avoir et j’ai construit dans ma petite cervelle pleine d’ennui le roman de leur vie. Le monde n’est plus dans le fond de ma poche mais sous mes yeux, et c’est bien suffisant pour me rendre heureux.


[INFOS QUALITE] statut : validé | source : interview d’Olivier Bourdeaut (avec pubs) par Augustin Trapenard, sur FRANCEINTER.FR (article du 22 janvier 2018) | mode d’édition : compilation (et corrections) par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick THONART | crédits illustrations : © boligàn © cosmoglobe


Débattons-en…

META, la déclaration d’intention idéologique de Zuckerberg

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Le relookage de Facebook n’est pas une affaire d’image : c’est une question de vision

En 2011, le joueur de basket professionnel Ron Artest a changé de nom pour se faire appeler Metta World Peace. «À mesure que je me suis mis à évoluer en tant que personne et que les choses ont commencé à influencer ma vie, je suis tombé amoureux de la méditation, du zen et de la culture indienne», a déclaré Metta Sandiford-Artest (son nouveau nom) en 2019. Le monde du basketball a plongé dans la perplexité. À l’époque, Artest sortait d’une longue période au cours de laquelle il s’était acquis une réputation d’agressivité (et d’excellence dans la défense). Il avait un jour frappé un fan des Detroit Pistons venu le défier sur le terrain. Pendant des années, quel que soit le match, le plus susceptible de commettre une faute technique, c’était toujours lui.

Aujourd’hui, c’est la planète entière qui tombe dans des abîmes de perplexité devant le changement de nom de l’entreprise Facebook rebaptisée META, préfixe dérivé du mot grec signifiant après ou au-delà. Son PDG, Mark Zuckerberg, qui a étudié l’antiquité grecque et romaine lorsqu’il était dans un collège privé, a écarté l’équivalent latin post, probablement pour éviter d’associer une entreprise de surveillance et de publicité mondiale notoire pour saper la démocratie et les droits humains avec une marque de céréales de petits déjeuner ou un journal basé dans la capitale américaine.

Si le nom de Metta World Peace détonnait avec la réputation du joueur sur le terrain, même s’il correspondait mieux à son état d’esprit zen du moment, META a exactement l’effet inverse. C’est l’accomplissement de la vision à long terme de l’entreprise et le prolongement de sa personnalité. En changeant de nom, World Peace tournait le dos à son passé et à sa réputation. En se baptisant META, Facebook persiste et signe dans tout ce qu’il est et tout ce qu’il est devenu.

Jusqu’au bout du rêve

META est la proclamation explicite d’un projet. Cela fait presque dix ans que Zuckerberg décrit sa vision et emmène son entreprise dans cette direction avec divers moyens et sous diverses formes. Son rêve –sa folie des grandeurs– n’a jamais été censé s’arrêter à la frontière de nos téléphones. Comme la gestion de nos vies sociales, culturelles et politiques à grands renforts d’algorithmes ne lui suffisait pas, Zuckerberg a acheté et développé des technologies qui introduisent le style Facebook dans les cryptomonnaies, la réalité virtuelle et les interactions commerciales. En gros, avec META et les plus vastes projets qu’il a exposés fin octobre, Zuckerberg a annoncé qu’il voulait dominer la vie elle-même. Il veut le faire totalement, partout, constamment et commercialement.

Si vous aimez la manière dont Facebook et Instagram semblent lire dans vos pensées ou écouter votre voix grâce à leur surveillance généralisée, leur collecte de données comportementales, l’apprentissage automatique prédictif et un design addictif, alors vous allez adorer vivre dans un métavers. Celui-ci ajoutera en effet des données biométriques, l’analyse des mouvements de vos yeux et un ensemble d’indices comportementaux bien plus riches au mélange qui guide déjà les algorithmes qui nous guident, nous.

Si l’influence toujours plus grande qu’exerce l’entreprise de Zuckerberg sur les opinions politiques et la vision du monde de votre tonton vous plaît, vous comme lui allez vraiment apprécier la manière dont les valeurs intrinsèques de META vont diriger sa vie sociale, commerciale et intellectuelle.

Si vous appréciez à quel point votre ado de fils est accro aux jeux vidéo, imaginez les profondeurs dans lesquelles il va plonger lorsqu’il découvrira la pornographie en réalité virtuelle grâce à un puissant système de recommandations guidé par l’intérêt manifesté par d’autres jeunes gens comme lui.

Et si l’influence excessive qu’exerce Instagram sur l’image que votre fille a d’elle-même vous enchante, alors vous adorerez constater à quel point la stimulation constante de messages immersifs d’un métavers va l’affecter.

Dystopie et utopie
Mark Zuckerberg en 2019 © Nicholas Kamm – AFP

Zuckerberg rêve depuis longtemps de construire ce que je décris dans mon livre, Antisocial Media, comme «le système d’exploitation de nos vies». Depuis plus de dix ans, il achète des entreprises et des technologies qu’il assimile à Facebook, auquel il ajoute la capacité d’exécuter des transactions financières et des recherches, d’abriter des vidéos et de lancer des mondes en réalité virtuelle. Il convoite depuis longtemps le statut dont jouit WeChat en Chine: celui des yeux omniscients du pouvoir à travers lesquels tout le monde doit effectuer ses tâches quotidiennes, de l’appel d’un taxi à son paiement en passant par l’utilisation d’un distributeur de nourriture, sans oublier la prise de rendez-vous chez le médecin.

Aujourd’hui, Zuckerberg a mis un nom sur sa vision, un nom bien plus évocateur que celui que j’avais choisi. Au lieu d’emprunter une analogie informatique du XXe siècle, il a sorti une vision dystopique de la science-fiction et lui a donné un petit aspect utopique –en tout cas, c’est ce qu’il croit.

META est supposé évoquer le métavers, un concept décrit par l’auteur de science-fiction Neal Stephenson dans son roman de 1992, Le samouraï virtuel. Pensez au métavers comme à un grand mélange de plateformes de réalité virtuelle d’une part, avec lesquelles les utilisateurs peuvent vivre des expériences au-delà de leurs environnements dits réels, et de réalité augmentée d’autre part, à travers laquelle la vision du monde réel inclut des stimulations et des informations supplémentaires, peut-être au moyen de lunettes, peut-être par le biais d’une autre interface qui n’a pas encore été inventée.

Le meilleur cas d’usage pour cette conscience à plusieurs niveaux, cette possibilité d’avoir le corps à un endroit tout en ayant l’attention divisée entre plusieurs interfaces et stimuli différents (avec une décomposition totale du contexte) semble être, à en croire Zuckerberg lui-même, que «vous allez pouvoir participer à un fil de messagerie pendant que vous serez au milieu d’une réunion ou en train de faire tout à fait autre chose et personne ne s’en rendra compte».

Je ne suis pas entrepreneur dans les nouvelles technologies, mais il me semble qu’investir des milliards de dollars par le biais de milliers d’experts extrêmement bien formés pour trouver la solution à un problème que personne ne semble avoir envie de résoudre est un mauvais emploi de ressources. Or il se trouve que les ressources comme l’argent, la formation et la main-d’œuvre sont extrêmement concentrées chez une poignée d’entreprises internationales, dont Facebook. Donc elles peuvent faire ce genre de choix ineptes et nous, nous devons vivre avec.

Une confiance inébranlable

Il importe de clarifier qu’il ne s’agit pas d’un changement de nom ou d’un rebranding autant que d’une déclaration d’intention idéologique. Imaginez, à l’aube de l’expansion de la Compagnie britannique des Indes orientales dans le sous-continent indien en 1757, que quelqu’un ait renommé l’entreprise «l’Empire britannique». Voilà qui aurait été osé. Eh bien ça, ça l’est aussi.

Il ne s’agit donc pas d’une démarche de relations publiques, d’une réaction à tous les puissants écrits critiques tant intellectuels que journalistiques qui ont révélé au cours des dix dernières années la nature toxique de Facebook. Malgré les occasionnelles réactions aux observations dont il fait l’objet, la confiance avec laquelle Zuckerberg façonne et dirige nos vies à notre place reste inébranlable. Malgré la foule d’enquêtes, de fuites, de plaintes, d’articles, de livres et d’indignation généralisée, l’usage de Facebook continue de croître à un rythme constant et l’argent continue de couler à flot.

Zuckerberg n’a jamais reçu de signal du marché lui intimant d’être plus modeste ou de changer sa façon de faire. Soyons clairs sur cette vision : elle a beau se construire sur les rails du vieil internet, il ne s’agit pas d’un internet nouveau ou remis au goût du jour. Les nœuds du nouveau réseau, ce sont des corps humains. Et la plus grande partie de l’architecture essentielle sera entièrement propriétaire.

Le changement vers META n’est pas non plus un rejet du nom Facebook. La principale application et le site, ce que les initiés de l’entreprise appellent Blue, resteront Facebook. Au bout d’un moment, nous pouvons nous attendre à ce qu’Instagram et WhatsApp fusionnent totalement avec Blue, ne laissant qu’une seule grande appli, totalement unifiée, avec des éléments distribuant des images et des vidéos grâce à une interface de style Instagram (ou TikTok) et un service de messagerie cryptée proposant des fonctionnalités de style WhatsApp.

Donc, ne vous attendez pas à de l’immobilisme. Mais n’espérez pas non plus que “Facebook” ne soit plus prononcé à brève échéance. Cela n’arrivera pas davantage que nous n’avons cessé d’utiliser et de dire “Google” malgré le changement de nom de la société rebaptisée Alphabet.

Des petits garçons et leurs jouets

Si META est peut-être l’annonce la plus affichée de cette intention de construire un métavers qui lui permettra de surveiller, monétiser et gérer tout ce qui concerne nos vies, il n’est pas le seul à le tenter, ni nécessairement le mieux placé. Alphabet introduit sa technologie de surveillance et d’orientation prédictive dans les véhicules, les thermostats et les produits à porter (comme des lunettes) depuis plus de dix ans. Il continue à imposer la manière de Google de collecter des données et de structurer notre relation à la géographie et au savoir dans un nombre croissant d’éléments de nos vies quotidiennes.

Apple vend la montre qui surveille le rythme cardiaque et l’activité sportive que je porte au poignet à ce moment même, et promet de protéger toutes mes données personnelles de la convoitise d’autres grandes méchantes entreprises accros aux données comme Alphabet et META. Son objectif à long terme est le même, mais sa stratégie est différente : construire un métavers de confiance avec des consommateurs riches des pays industrialisés soucieux du respect de leur vie privée. Il construit le métavers gentrifié.

Amazon investit directement dans la science des données et les projets de réalité virtuelle que d’autres entreprises pourraient développer mais qu’Amazon serait capable d’introduire sur le marché. En attendant, il pousse les systèmes de surveillance Echo et Echo Dot sur nos paillasses de cuisine et nous convainc que commander de la musique et des produits avec nos voix est un confort dont nous ne pouvons plus nous passer.

Et pendant ce temps, le milliardaire farfelu Elon Musk comble ses propres illusions de grandeur en finançant des projets d’intelligence artificielle et de réalité virtuelle qu’il espère contrôler.

En gros, nous avons au moins quatre des entreprises les plus riches et les plus puissantes de l’histoire du monde rivalisant pour construire un énorme système de surveillance et comportemental commercial dont ils sont sûrs et certains que nous ne voudrons pas nous passer ni dépasser. Ce sont des petits garçons qui vendent des jouets, mais ils ne rigolent pas. Et nous sommes tout à fait susceptibles de craquer, comme nous avons craqué pour tout ce qu’ils nous ont déjà vendu.

Les chances sont fort minces que nous trouvions la volonté politique de prévoir et de limiter les conséquences indésirables et la concentration des pouvoirs qui ne manqueront pas d’accompagner cette course à l’érection et à la domination d’un métavers. Il nous faudrait pour cela différer collectivement et mondialement une gratification immédiate pour privilégier notre sécurité sur le long terme. Or nous n’avons pas voulu le faire pour sauver la banquise arctique et les récifs coralliens. Nous ferions bien de ne pas faire trop confiance à notre volonté ou à nos capacités lorsqu’il s’agit de faire ralentir Mark Zuckerberg et consorts. On dirait bien qu’à la fin, ce sont toujours les petits garçons et leurs jouets qui gagnent.

Siva Vaidhyanathan

  • L’article original (avec pubs) est de Siva Vaidhyanathan. Traduit par Bérengère Viennot, il est paru sur SLATE.FR le 23 novembre 2021.
  • L’illustration de l’article est © slate.fr

S’informer encore…

PRINCE, Richard (né en 1949)

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© artdesigntendance.com
Biographie

“Richard PRINCE, peintre et photographe américain, naît en 1949 dans la zone américaine du Canal de Panama. Il fait partie depuis les années 1980 des voix les plus influentes du monde artistique international. Richard Prince grandit près de Boston. Arrivé à New York dans les années 1970, il est employé au département des archives de Time Life, chargé de classer des coupures de presse par sujet ou par auteur. Passant son temps à découper des journaux et des magazines, il s’intéresse à tous les déchets qui restent de son travail, les publicités, les bandes dessinées, les annonces, etc. qu’il commence à collectionner. A cette époque, il côtoie la mouvance “Pictures Generation”, une génération de jeunes artistes qui compte entre autres Cindy Sherman, Robert Longo, Barbara Kruger ou encore Jeff Koons. Richard Prince commence à photographier des images publicitaires, présentes dans la sphère quotidienne et qui font partie de l’univers culturel de tout un chacun. Champion d’un art appelé “appropriation art”, son travail consiste donc à re-photographier des photographies existantes, comme si elles étaient ses propres œuvres.

Au début des années 1980, il acquiert une grande notoriété avec l’une de ses premières re-photographies, celle de l’actrice Brooke Shields âgée de 10 ans, nue et maquillée, prise à l’origine en 1975 par Garry Gross, et publiée dans le magazine Playboy. Prince se l’approprie en lui donnant le titre d’une photographie célèbre d’Alfred Stieglitz, Spiritual America.

© phillips.com

Richard Prince se fait connaître en exposant dans des formats géants des images de la culture populaire re-photographiées et recadrées. Il se réapproprie notamment les publicités Marlboro avec son célèbre cow-boy en supprimant tout slogan. Sur des images vierges de toute identité marchande, les cow-boys apparaissent alors comme de véritables icônes pop, sur fond de soleil couchant, ridiculisant les symboles d’une pseudo mythologie héroïque américaine. Son procédé implique de sortir l’image de son contexte publicitaire tout en conservant son caractère exagéré. Les photos amplifient ou soulignent certaines caractéristiques.

Au fil des ans, Richard Prince s’approprie d’autres thèmes comme les gangs, la rébellion et la sexualité. Outre le recyclage des images, il manie constamment l’autodérision, particulièrement perceptible dans la série des “jokes paintings”, textes humoristiques souvent éculés, ou dans la série des tableaux transposant des planches de bandes dessinées (celles du magazine New Yorker le plus souvent).

A partir de 2002, Richard Prince réalise la série des Nurses, une quarantaine de toiles représentant des infirmières troublantes et mystérieuses, dotées de titres éloquents, Nympho Nurse ou Debutante Nurse, à partir des couvertures bon marché de romans de gare. Cette série l’amène à collaborer avec Marc Jacobs pour Louis Vuitton en 2007.

Richard Prince réalise également tout un travail graphique basé sur des couvertures de livres populaires qu’il collectionne.

L’oeuvre de Richard Prince a été consacrée à de nombreuses reprises, aux Etats-Unis comme en Europe, notamment à la galerie Serpentine à Londres en 2008 et au Guggenheim Museum à New York en 2007. (d’après MOREEUW.COM)

 

Richard Prince sur Instagram : #escroc ou #génie ?

En 2014, Prince propose une nouvelle démarche artistique : le repérage de portraits sur Instagram, réseau social basé sur la publication d’images. La première étape de son travail d’artiste repose sur un commentaire “posté” sous la photo simulant un lien de proximité avec l’auteur de la photo, en utilisant par exemple des émoticônes. Ensuite, il fait une capture d’écran de  l’image, incluant son commentaire. Il fait reproduire cette capture d’écran en de grandes dimensions. Cette démarche est effectuée sans l’autorisation des auteurs des photos. Les propriétaires de ces “posts” sont de parfaits inconnus, mais aussi des célébrités ou amis de Prince (comme Pamela Anderson).

Ses “œuvres” sont présentées lors de l’exposition New Portraits à la Galerie Gagosian entre septembre et octobre 2014. Elles sont vendues pour une valeur moyenne de 100.000 dollars chacune. Aucun des auteurs originaux n’a bénéficié de cette vente. Ceux-ci questionnent alors la démarche de Prince : Prince est-il un simple voleur d’images, quelqu’un qui pratique sciemment le plagiat, ou sa démarche est-elle réellement celle d’un artiste créateur ? (…)

En guise de réponse, certains propriétaires réagissent et décident de vendre à leur tour leurs photographies à prix cassé. Un pied de nez à la démarche de Richard Prince ! Ainsi, @SuicideGirls (compte Instagram regroupant des  photographies de femmes tatouées et percées, souvent nues) répond à Prince en proposant à son tour des reproductions à 90 dollars (au lieu de 90.000 !) où un commentaire est ajouté : l’auteur de l’œuvre originale a alors le dernier mot. Suicidegirls  utilise la même démarche que Prince et se réapproprie par ce biais ses images. D’autres, au contraire, comme @doederrere se moque bien de l’utilisation que peut faire Richard Prince de leur compte Instagram et de sa valeur mercantile.

La pratique artistique de Prince n’est pas sans rappeler celle de Marcel Duchamp et du célèbre “ready-made”. De la même manière que l’auteur de la Fontaine, Prince expose des œuvres telles quelles, sans y apporter de modification majeure. En effet, le commentaire posté sous l’image, qui est une sorte de signature de l’artiste, est la seule participation de Prince à l’œuvre. Ce commentaire protège son travail car c’est celui-ci qui fait de l’œuvre une œuvre originale et empreinte de la personnalité de l’auteur. Le travail de Prince est donc exclu du plagiat selon la loi.

La clause la plus fréquente sur les réseaux sociaux stipule que l’utilisateur du service accorde une licence mondiale, non exclusive, qui donne au réseau social un droit d’usage des contenus qu’il héberge. Cette clause est en fait le principe même du réseau social : partage et échange de contenus au sein du réseau, voire avec d’autres réseaux sociaux. Certaines clauses protègent le contenu original partagé par d’autres utilisateurs pour éviter ce qu’on peut qualifier d’appropriation “sauvage” ou de parasitisme. Ces deux notions expriment le fait de bénéficier d’un travail original et de sa valeur sans y participer. Ces pratiques sont qualifiées de vol par certains journaux, comme L’Express dans un article paru le 22 mai 2015. Cependant, un artiste peut revendiquer son “originalité” et, aux Etats-Unis, il existe le principe du “fair use”. Ce principe considère qu’il n’y a pas atteinte au droit d’auteur si la reproduction propose une finalité critique, de commentaire ou de reportage. Contourner les clauses des réseaux sociaux est donc possible car celles-ci ne sont pas toujours adaptées dans le cas de l’appropriation.” (lire la suite sur ARTDESIGNTENDANCE.COM)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : artdesigntendance.com ; phillips.com


Plus d’arts visuels…

HORVILLEUR : La laïcité est devenue synonyme d’athéisme. Mais ça ne l’a jamais été…

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Delphine HORVILLEUR en 2020

Le jour où j’ai appris la mort de Samuel Paty, l’assassinat d’un enseignant parce qu’il avait « osé » pour enseigner la liberté d’expression, montrer à ses élèves des caricatures de Mahomet, j’ai posté sur les réseaux sociaux une caricature. J’ai choisi parmi tant d’autres une vieille couverture de Charlie. On y voit trois rouleaux de papier toilette, qui déroulent l’enseignement des trois monothéismes, avec pour titre grossier “Aux chiottes toutes les religions !”. Si la plupart des gens ont compris ce que je cherchais à exprimer par la reproduction de ce dessin de Cabu, la réaction de certains m’a invitée à réfléchir.

Entre les messages d’athées militants qui me congratulaient : “Bravo ! Quel courage pour un rabbin d’admettre enfin la vérité !” et ceux de croyants offusqués qui me disaient : “Eh ben bravo ! Quelle honte pour un rabbin de cracher ainsi sur toutes les religions !“, la confusion était finalement la même : les uns et les autres pensaient que j’étais ce que je postais

Ravis ou choqués, tous avaient lu ce post au premier degré. Aucun d’eux, cinq ans après janvier 2015, ne percevait apparemment la différence entre le message littéral d’une caricature (auquel on peut individuellement adhérer ou pas) et le devoir collectif de lutter pour son absolue légitimité dans l’espace public, quelle que soit notre croyance.

Alors voilà comment, en 2020, nous devons encore le dire : une société libre garantit à chacun la possibilité de penser, de rire, et de poster contre soi. Cela implique d’accepter pour réfléchir de s’offusquer et de se faire violence. Tout débat qui nous élève fait violence à nos idées, précisément pour ne pas faire violence à des hommes. La différence est assez simple. Elle passe par la distance critique et par l’auto-dérision. Et peu importe en quoi on croit, elle dit toujours en substance : “Aux chiottes le premier degré !“.

Delphine Horvilleur sur son site : TENOUA.ORG


Elle est à la fois l’une des rares femmes rabbins de France, une ardente défenseure de la laïcité et une intellectuelle engagée dans le dialogue avec le monde musulman. Entretien avec l’auteure de Comprendre le monde, au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty.

Madame Figaro. – Dans une tribune publiée hier sur votre site Tenou’a, vous défendez, au nom de la liberté d’expression, l’idée de penser contre soi. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Delphine Horvilleur. – Ce post est né après que j’ai publié une caricature de Charlie Hebdo pour réagir à l’assassinat de Samuel Paty. Il s’agit d’une vieille couverture sur laquelle on voit les trois religions (catholique, musulmane et juive, NDLR) inscrites sur du papier toilette déroulé, et titrée «Aux chiottes toutes les religions !». J’ai volontairement choisi cette caricature où il était question d’une critique des trois religions, parce que je crois qu’on est dans un moment où les leaders religieux doivent être capables d’incarner une auto-critique. Et j’ai été très étonnée de voir que beaucoup de gens l’ont pris au premier degré. Quand certains, athées convaincus, m’ont dit «vous avez enfin compris, les religions sont toutes à jeter», d’autres ont été choqués que, en tant que rabbin, j’attaque les religions. Ce qui m’a le plus troublée, c’est de m’apercevoir que beaucoup pensent qu’on est ce que l’on poste ; c’est de voir que beaucoup ne sont pas capables de faire preuve de deuxième degré à un moment où on devrait tous publier ces caricatures, pas pour dire qu’on est d’accord avec leur message littéral, ni d’ailleurs nécessairement avec leur message caché, mais pour dire à quel point on luttera, et on luttera jusqu’au bout, pour qu’elles aient le droit d’exister sur la place publique, et pour qu’elles continuent de raconter quelque chose de notre société et de notre histoire.

Dans votre post, vous affirmez qu’«une société libre passe par la distance critique et par l’autodérision». Cette autodérision et cette prise de distance dont vous parlez, qu’en a-t-on fait ?

Le propre des moments de crise est qu’on les vit comme des citadelles assiégées, sur un mode de défiance. On devient suspicieux à l’égard de tous ceux qui expriment des critiques, jusqu’à devenir nous-mêmes incapables d’autocritique. On voit bien ce qu’il s’est passé vis-à-vis de l’humour ces dernières années. On fait partie d’une génération où l’on pouvait regarder, ados, des sketches qu’on ne pourrait plus voir aujourd’hui. Pas parce qu’on a moins d’humour mais parce qu’on a pris conscience que dans un contexte de crise et de tension identitaires, on peut continuer à rire de tout, mais plus avec tout le monde. Et cela a un impact sur notre capacité de mise à distance des événements.

C’est-à-dire ?

Désormais, on hésite à rire, on ne sait plus de quoi on peut rire, qui va se vexer, qui va être offensé, offusqué. Caroline Fourest est très juste quand elle parle de cette génération offensée, on vit dans un monde dans lequel les gens ne tendent plus l’oreille qu’à l’offense qu’on leur impose, pas à la contradiction. Alors qu’il n’y a rien qui nous fasse plus grandir que d’être contredit, que de penser contre soi. C’est là où le symbole de l’assassinat d’un enseignant de la République est si fort et bouleversant pour tant d’entre nous. On sait au fond de nous que c’est ce que l’école nous promettait qu’elle allait nous apprendre : penser contre nous-même. On arrive enfant avec un bagage, culturel, identitaire, religieux, et l’école nous aide à l’interroger.

Il faudrait donc réapprivoiser, ou réaffirmer, cet esprit critique…

Il faut surtout s’assurer de ne pas y renoncer, et ce dans tous les domaines de nos vies. C’est très difficile à enseigner. À l’école, cela passe avant tout par l’histoire, cette matière qu’enseignait justement Samuel Paty. Rien ne nous apprend mieux la théologie que l’histoire ; on ne peut tout simplement pas comprendre sa religion si on ne comprend pas par quoi et par qui elle a été influencée, et pourquoi elle est le produit des temps et des espaces qu’elle a traversés. Quand on sera capables de raconter nos histoires religieuses à travers les influences qu’elles ont subies, on aura un outil formidable pour lutter contre le fondamentalisme religieux. Parce que ce qui colle à la peau de tous les fondamentalistes quels qu’ils soient, c’est qu’ils sont tous allergiques à l’histoire. Ils sont tous chronophobes, détestent tous l’idée que leur religion a pu évoluer, qu’elle a pu être influencée par d’autres, parce que cela va à l’encontre de leur obsession pour la pureté, la pureté des corps, la pureté des femmes, la pureté des pratiques, la pureté de leur histoire. Si vous commencez à leur expliquer à quel point leur religion est emprunte d’influences extérieures et conditionnée par un contexte, alors vous avez avec vous un outil extrêmement puissant de destruction de leur discours.

Il y a eu les tueries de Toulouse et Montauban en mars 2012, l’attentat de Charlie Hebdo en janvier 2015, celui du Bataclan en novembre, puis celui du 14 juillet 2016 à Nice, l’assassinat du père Hamel… Et aujourd’hui celui de Samuel Paty. Comme à chaque fois, on assiste à un sursaut d’humanisme. Et aujourd’hui, peut-être, à un tournant dans la prise de conscience ?

J’adorerais pouvoir vous dire oui. Le danger, c’est qu’il y ait une retombée d’émotions. La date de la rentrée scolaire, le 2 novembre prochain, est très critique pour notre société. Parce qu’un peu de temps aura passé, l’émotion sera retombée, et là on verra vraiment ce que l’on fait. Mettre tout sous le tapis et regarder ailleurs peut paraître impensable, et pourtant on sait qu’on l’a déjà fait en plein d’occasions. D’autant qu’on va être rattrapés par d’autres actualités, la question du reconfinement ou pas, le couvre-feu, la psychologie des enfants, la contamination des familles… Il va y avoir d’autres urgences et la vraie question, c’est comment on va être capable de s’astreindre à une forme de discipline d’enseignement qui se joue à l’école, certes, mais aussi dans la façon dont les parents vont parler à leurs enfants le jour de la rentrée, dans la manière qu’on aura tous de ne faire qu’un, et d’admettre qu’il y a des valeurs sur lesquelles on ne transigera pas.

Que faire de cette colère qui traverse la France depuis vendredi ?

La colère, c’est comme la peur. La peur peut susciter ou au contraire inhiber l’action. La colère, c’est pareil, elle peut vous enfermer un peu plus sur vous-même, avec un ressentiment qui débouchera toujours sur de la haine ; ou alors elle peut vous mener à l’action. Il faut que chacun d’entre nous, dans son domaine des possibles, se pose la question de quelle alliance il crée, de ce qu’il décide de faire ou de ne plus faire.

Que penser des réseaux sociaux, cet endroit où l’on est finalement au summum de la liberté d’expression, mais «où la haine s’étale aussi sans filtre» comme le dit Leïla Slimani ?

Sans aucun doute, les réseaux sociaux ont joué un rôle majeur dans l’appauvrissement de la pensée, en nous invitant continuellement à simplifier nos messages, en ne tolérant plus quoi que ce soit qui serait implicite, en nous permettant de constituer des communautés autour de nous, des gens qui pensent comme nous, qui votent comme nous, qui lisent les mêmes livres, qui ont les mêmes références culturelles… En réalité, on a anéanti, ou on est en phase d’anéantissement, du débat possible entre nos cultures. L’autre problème, c’est que le jeunes s’informent sur les réseaux sociaux. Ils croient que quand c’est sur une chaîne YouTube c’est vrai. Un point crucial à travailler avec l’école, c’est de les faire se questionner sur leurs sources d’information. À une époque, on disait «d’où tu parles, toi ?» Et en fait, le «d’où tu parles», il est génial, parce que c’est exactement la question qu’il faut poser aux jeunes aujourd’hui : d’où tu parles ? D’où détiens-tu l’information qui te permet de dire ce que tu dis ?

Comment expliquer que la jeunesse, si libre au XXIe siècle, puisse tomber dans le panneau du fondamentalisme religieux ?

Refuser la complexité du monde, c’est toujours tentant. Il y a quelque chose de radical dans la simplification du débat, et la radicalité a toujours tenté la jeunesse, et c’est normal. Il y a d’ailleurs une responsabilité très forte des modèles de la jeunesse, les animateurs de télévision, les youtubeurs, les influenceurs, les sportifs… Qui n’apportent pas la subtilité, la complexité, l’humour fin, et, je le redis, l’esprit critique, dont les jeunes ont besoin. Il y a une expression qu’on a beaucoup entendue dans la jeunesse ces dernières années : «tu me manques de respect». C’est intéressant de réfléchir à ça. Qu’est-ce que c’est que de respecter quelqu’un ? C’est savoir le contredire, le plus souvent. Protéger à tout prix quelqu’un d’une autocritique, c’est, au contraire, lui manquer de respect. C’est considérer qu’il est trop infantile, ou sous-développé, pour être capable de faire face à un questionnement, à une interrogation de ses repères.

À travers votre discours, on comprend aussi qu’il y a cet enjeu de croire en la laïcité tout en étant croyant (religieusement)…

Beaucoup de gens ont l’impression qu’on est laïque ou religieux, qu’on est croyant ou pas croyant. C’est comme s’il fallait choisir entre la science et la religion, c’est absurde. Pour moi, la laïcité et l’attachement à une religion cohabitent parfaitement. Je reconnais à la laïcité la bénédiction de me permettre de vivre la religion telle que je la vis. Je me sens profondément attachée à la laïcité parce que pour moi, elle est un cadre qui permet qu’aucune conviction, aucune croyance et aucun dogme ne sature l’espace dans lequel je vis. La laïcité est une garantie d’oxygénation permanente parce qu’il y a toujours un espace autour de moi qui reste vide de ma croyance ou de celle de mon voisin. Pour beaucoup, et on en revient à l’appauvrissement de la pensée et du vocabulaire, la laïcité est devenue synonyme d’athéisme. Mais ça ne l’a jamais été.

Depuis l’attentat, on entend çà et là des gens dire : les hommages c’est bien, maintenant, il faut du courage. «Ça ne peut plus se passer dans le pacifisme», dit Elisabeth Badinter. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Il n’est pas question aujourd’hui d’être pacifiste, ou de baisser les bras, ou de trouver un compromis avec des assassins. Il y a un combat à mener, et comme dans tous les combats, y compris dans les combats militaires, il faut penser les alliances. Il n’y aurait rien de pire que de se tromper d’ennemi, et de commencer à se déchirer entre gens qui sont d’accord sur le fond, mais peut-être pas nécessairement sur la forme que doit prendre ce combat. Aujourd’hui, l’enjeu est là, il est dans comment on fait pour trouver des alliances qui soient salutaires, tout en étant conscient, lucide, que oui, nous sommes en guerre.”

Lire l’interview originale (avec force pubs) de Marion GALY-RAMOUNOT sur LEFIGARO.FR (article du 22 octobre 2020)


Plus de laïcité ?

THIELLEMENT : Pourquoi je quitte les réseaux sociaux…

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“Ça ressemble à une rupture amoureuse, en fait. C’est une décision aussi difficile qu’une séparation et sa seule qualité serait d’être apaisée et irrévocable. Je quitte les réseaux sociaux. Ce n’est pas un au-revoir mais un adieu. Une opération comme celle-là ne peut se faire qu’une fois dans sa vie, alors il faut bien choisir son moment, et encore plus les mots pour le faire. Ça fait douze ans que je passe difficilement une semaine sans poster sur Facebook, et encore plus difficilement une demi-journée sans lire ce que les autres ont posté. Parfois je poste plusieurs fois le même jour. J’ai fait des pauses d’un mois tous les ans, et un peu plus d’un mois cette année. Souvent j’ai hésité à partir, mais je n’y croyais pas vraiment. J’étais comme ces personnes qui menacent sans arrêt de se suicider, ou comme le narrateur de la chanson « By the Time I Get to Phoenix » dont l’amoureuse lit le message de rupture accroché sur la porte mais qui ne doute pas que celui qui l’a rédigé reviendra encore : il a dit qu’il la quitterait si souvent déjà. Facebook, je t’aime mais je dois m’en aller.

Je suis sur Facebook depuis douze ans. Douze ans : c’est plus long que ma plus longue relation amoureuse. Je me suis longtemps méfié de Facebook, puis je m’y suis inscrit. J’ai posté timidement, puis je m’y suis lâché. J’ai travaillé avec Facebook comme support. J’ai écrit avec Facebook comme médium. J’ai pensé avec Facebook comme sujet. Je l’ai adoré, je l’ai détesté, j’en ai fait mon journal intime et mon bureau des hypothèses, et maintenant je suis à un moment de ma vie où je dois impérativement passer à autre chose : c’est une question de survie de l’âme. Mais si je m’en vais, ça doit être pour de bon. Ce n’est pas pour garder Twitter ou Instagram, ou même Messenger, et ce n’est pas pour y avoir des émissaires, des informateurs ou des comptes fantômes, comme tant de faux absents. Ce n’est pas pour faire semblant. Je dois partir cette fois, mais partir vraiment, sans me retourner. La facebookerie est pleine de fantômes, d’espions, de taupes, de demi-êtres. Surtout, elle est pleine de morts : les comptes des disparus continuent à apparaître, et leurs commentaires reviennent lorsqu’elle produit ses fameux souvenirs : « Pacôme, il y a cinq ans, vous avez publié ceci ! » Oh, well. Les morts continuent à fêter leurs anniversaires, et certains vivants, bloqués ou vous ayant bloqués, sont introuvables. Un seul like vous manque et tout est dépeuplé. […]

Certes, à travers les réseaux sociaux, on a pu voir émerger quelque chose comme une « conscience collective » de tout ce qui cloche dans le monde, mais ensuite le coût politique a été très cher, et les divisions ont été trop nombreuses, sur n’importe quel sujet souvent secondaire et inutilement clivant. Nous avons été des enfants qui combattaient dans un monde de robots surarmés, et les robots ont gagné. Maintenant nous vivons dans leur monde. Et puis il y a eu le covid et le confinement. Plus de deux mois de statuts sarcastiques et de vidéos-clubs, au milieu d’une pandémie de désespoir et d’engueulades sur les vertus de l’hydroxychloroquine. C’est là que j’ai vraiment commencé à craquer. S’il y avait une chose sur laquelle je ne me sentais strictement aucune légitimité, c’était de discuter de la politique sanitaire. Qu’est-ce que j’en savais ? Oui, je détestais le capitalisme, mais à part ça ? Et là, les réseaux sociaux sont apparus clairement comme ce qu’ils avaient toujours été : une consolation, une manière de se tenir chaud, une façon de se rassurer collectivement, mais aussi de s’engueuler pour rien, sur rien. L’expression d’un désir collectif d’avoir toujours raison, mais dans un monde qui va à sa perte. […]

Mais surtout aujourd’hui, j’ai besoin d’autre chose. Je n’ai plus besoin de savoir ce qu’a posté tel ou tel, j’ai envie de les lire sur la durée. Et surtout je suis fatigué de cette injonction à réagir à tout et à n’importe quoi. Je ne veux plus savoir ce qu’untel « pense » d’un événement. S’il a quelque chose à en dire, je préfère lire le livre qu’il écrira sur ce sujet que son dernier statut énervé. Ça ne me dérange pas d’attendre un an pour connaître un point de vue. Ce qui me dérange, au contraire, c’est de savoir que celui-ci a été donné sans travailler un minimum sur le sujet. J’ai toujours détesté les chroniqueurs télé : cette engeance lamentable qui se pavane à longueur de plateaux, tous ces soiffards de l’opinion qui occupent leurs journées à pousser des gueulantes chez Pascal Praud ou chez Cyril Hanouna. Je trouve que, sur Facebook, même les meilleurs esprits finissent par leur ressembler. Je n’ai pas d’opinion sur Donald Trump. Ou si j’en ai une, elle n’est étayée par rien, elle ne vaut rien, juste une discussion entre amis. Un dîner entre amis dans une trattoria me suffira largement ; je n’ai pas besoin de faire ça en public. […]

Voilà. C’est tout. Je ne me retire pas, je déménage. Je ne fais pas mes adieux à la scène, je vais dans un autre théâtre. Je passe sur un blog : c’est plus petit, plus discret, mais vous verrez, on s’y sentira très bien et, pour ce que j’ai à y faire, c’est beaucoup plus adapté qu’un stand au milieu d’une foire d’empoigne. On pourra parler tout bas. On pourra s’embrasser discrètement. On fermera les portes et on dansera jusqu’au petit matin sans que déboulent des inconnus bourrés complètement cons et agressifs qui cherchent la baston. Depuis que j’ai pris cette décision, j’ai l’impression de commencer à vivre, à vivre enfin. Je ne trouve pas que la vie était mieux avant Facebook ; je pense qu’elle sera mieux après. On se retrouve de l’autre côté. “

Pacôme Thiellement

Lire l’article complet sur le blog de Pacôme THIELLEMENT : LE LIVRE SANS VISAGE (12 octobre 2020) ou en savoir plus sur l’auteur en visitant son site PACOMETHIELLEMENT.COM


 

Débattons, débattons…

KIRKPATRICK : “Facebook est conçu pour diffuser la peur et la colère”

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Mark Zuckerberg, le patron de Facebook © EPA

Auteur de “The Facebook Effect“, le seul ouvrage dans lequel Mark Zuckerberg s’est exprimé et a ouvert les portes de son groupe lors des toutes premières années du réseau social, l’Américain David Kirkpatrick porte aujourd’hui un regard différent et sévère sur l’évolution du géant de Menlo Park. Cet ancien chef de la rubrique internet et technology du magazine Fortune, […], estime que le réseau social représente un danger majeur pour les démocraties.

Interview de Johann HARSCOËT parue dans LECHO.BE (13.04.2019)

Vous avez connu Mark Zuckerberg dès 2006, alors que Facebook n’était encore qu’un phénomène universitaire américain. Avez-vous anticipé que ce réseau social deviendrait ce qu’il est aujourd’hui?

Je pense que personne, pas même Mark Zuckerberg, n’avait vraiment envisagé que cette société deviendrait aussi extraordinairement importante, avec 2,3 milliards d’utilisateurs. Facebook a été créé au meilleur moment (2004) et a pu bénéficier d’un parfait timing avec l’arrivée de l’iPhone en 2007. Cela dit, même s’il était impossible de prévoir une telle évolution, on a su que des difficultés graves allaient naître lorsque le réseau a commencé à atteindre une taille critique. D’autant plus que Mark Zuckerberg s’est toujours totalement désintéressé des questions relatives aux conséquences sociales et politiques de son réseau. Je me souviens avoir échangé à ce sujet avec un employé de Facebook, qui m’avait confié que sa principale inquiétude était de voir que Mark Zuckerberg fuyait ces problématiques.

Mark Zuckerberg a-t-il changé par rapport au jeune homme qu’il était il y a une douzaine d’années?

Je dirais, au contraire, qu’il ressemble encore trop à celui qu’il était à l’époque. Il est toujours aussi sûr de lui, de façon presque inquiétante. Il n’écoute pas les autres, sans doute parce qu’il a acquis un tel pouvoir qu’il peut se permettre de se passer des avis différents du sien. Il continue de diriger Facebook comme si cette société n’avait pas atteint une taille inédite dans l’histoire, avec une présence dans chaque pays et un contrôle direct aux citoyens. Il refuse toujours délibérément de s’engager sur des questions éthiques…

Facebook communique pourtant beaucoup sur sa responsabilité, sur sa lutte contre les “fake news” et les discours de haine. Il a même récemment engagé l’ancien vice-premier ministre du Royaume-Uni, Nick Clegg, pour lui confier le titre de directeur de la communication…

Je ne pense pas que le fait d’engager un RP de haut niveau — qui est en l’occurrence un ancien homme politique — va régler le problème. Facebook communique beaucoup, de façon très contrôlée, mais cela ne signifie pas qu’il s’engage vraiment pour les citoyens.

Lors de mon plus récent entretien avec Mark Zuckerberg, sur la scène d’une conférence Techonomy, il y a deux ans, je lui ai demandé exactement six fois si Facebook avait une responsabilité spécifique du fait de sa taille, et le cas échéant comment il comptait s’y prendre pour assumer cette responsabilité unique. De façon tragique, Mark Zuckerberg a totalement évité de répondre à cette question. Depuis l’élection du président Trump en 2016, l’ingérence des Russes, le phénomène des “fake news” et le scandale Cambridge Analytica, il utilise tout le temps le mot “responsabilité” mais uniquement par stratégie de communication. Il n’a jamais utilisé ce mot avant d’être forcé à le faire.

Quel a été l’événement le plus dommageable pour Facebook ces dernières années?

Au niveau de l’image, il est difficile de définir quel scandale a été le plus dommageable. L’impact le plus grave de Facebook dans le monde n’a peut-être pas été celui dont on a le plus parlé. On peut plutôt évoquer le fait que ce réseau a facilité les violences, tueries et génocides dans les pays où l’incapacité de Facebook à contrôler les messages haineux et manipulateurs a été dramatiquement mise en évidence.

Vous avez écrit que Facebook représente une menace pour la démocratie. Sa politique d’éradication des “fake news” et des discours de haine est-elle insuffisante?

Facebook a fait beaucoup de progrès, mais principalement en langue anglaise et aux Etats-Unis. Le problème, c’est qu’il y a, chaque jour des élections dans le monde entier. Dans les 180 pays où il opère, chaque personnalité ou mouvement politique cherche à profiter du système, voire à en abuser.

Facebook reste hautement manipulable dans les autres pays que les États-Unis, des pays où il fait moins face aux menaces de réglementation ou de restriction. C’est ce qui explique les vagues de violences qui ont été déclenchées en Inde, au Sri Lanka, en Birmanie, en Indonésie, aux Philippines, en Afrique du Sud ou au Brésil. D’ailleurs, le problème ne concerne pas seulement le site Facebook mais aussi ses filiales Instagram ou WhatsApp.

Le père de la réalité virtuelle, Jaron Lanier, a affirmé que le modèle économique de Facebook reposait sur la “modification des comportements”, une déviance par rapport aux principes de bases de l’industrie publicitaire, qui consistent selon lui à convaincre sans tromper. Partagez-vous son analyse?

Jaron Lanier connaît très bien Facebook et a compris le caractère toxique de son modèle, qui place l’attention des utilisateurs au-dessus de tout. Celui-ci consiste à capter à tout prix l’attention des utilisateurs pour générer des revenus publicitaires.

À cette fin, les algorithmes conçus spécifiquement pour retenir l’attention misent essentiellement sur les seules émotions qui permettent de le faire de façon très efficace: la peur et la colère. Malheureusement Facebook n’a jamais voulu renoncer à ce design intrinsèque.

La réputation de Facebook était excellente jusqu’à la fin des années 2000. Quel a été le tournant? L’enrôlement de Sheryl Sandberg en tant que Chief Operating Officer? L’introduction en bourse? L’explosion de l’utilisation des smartphones?

L’arrivée de Sheryl Sandberg (2008). C’est elle qui a fait transformer Facebook en machine à capter l’attention. C’est à partir de là que les algorithmes de diffusion de la colère et de la peur ont été prioritaires. Elle a brillamment transformé cette machine, sans anticiper le moment fatidique où cette machine deviendrait hors de contrôle. Et maintenant que cette machine est cassée, elle ne sait pas comment la réparer. Mais comme rien d’autre ne l’intéresse que de générer des profits et écrire ses livres personnels…

L’ironie de l’histoire, c’est que Facebook a cessé d’être un réseau social et s’est égaré au moment même où Sheryl Sandberg a écrit ses deux livres et que Mark Zuckerberg a fait le tour des Etats-Unis pour promouvoir sa fondation. Facebook est devenu hors de contrôle au moment où ses deux leaders ont pris leurs distances avec leurs responsabilités.

L’action Facebook a enregistré une chute spectaculaire l’été dernier mais se reprend quelque peu depuis le début de l’année. Peut-on s’attendre à ce que son modèle économique devienne plus agressif?

Il est très difficile de prédire ce qui va se passer mais j’ai du mal à imaginer que les choses évoluent dans le bon sens. Facebook a un choix à faire entre les profits et l’éthique. Deux choix contradictoires et inconciliables au vu de la nature de ce groupe. On sait que Wall Street n’a aucune appétence pour l’éthique et va demander que Facebook génère toujours plus de croissance, quels que soient les outils.

Facebook aura du mal à croître en renonçant aux algorithmes de captation de l’attention. De l’autre côté, il risque de perdre sa légitimité dans les pays où il exerce de façon trop prononcée sa logique de profits. Mais il est clair que le cours de l’action est désormais voué à décliner.

De nombreuses démocraties ont été déstabilisées au cours de la décennie écoulée. N’y a-t-il pas un souci plus global, qui concerne l’ensemble des réseaux sociaux?

Instagram a en effet un impact très négatif, est très facilement manipulable. Mais YouTube réagit plus rapidement face aux contenus sensibles. Twitter est relativement petit par rapport à Facebook, et le leadership a été plus honnête et engagé dans sa volonté de corriger certains problèmes similaires à ceux de Facebook. En outre, Twitter génère moins de profits et peut donc moins investir dans la modération et la surveillance des contenus.
Facebook dispose de moyens quasiment illimités pour surveiller les discours de haine, de “fake news”, etc. Mais il ne le fait qu’a minima, sous la contrainte.

Interview de Johann HARSCOËT parue dans LECHO.BE (13.04.2019)


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Mes données sur Internet ou le consentement prisonnier

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“Faut-il renoncer à maîtriser la circulation de nos données ? Le point sur ces informations personnelles que les acteurs du marché pillent, avec notre accord.

Vous avez l’impression d’être espionné sur le Web et personne ne vous croit? Faites le test de Lightbeam sur votre ordinateur. L’application du navigateur Firefox pour internautes paranos permet de visualiser le voyage de vos informations personnelles au fur et à mesure que vous passez d’une page à l’autre, et c’est bluffant. Tentez ce qui suit. Réservez un voyage, vérifiez l’itinéraire sur Google Maps, et prévenez vos amis sur Facebook: vous vous êtes rendu sur trois sites ou applications; mais, avec ses graphes mobiles qui mangent tout l’écran en quelques minutes, Lightbeam vous montre que, en réalité, une centaine de sites partenaires et régies publicitaires sont au courant de votre visite et ont obtenu de nouvelles données sur vous, sans aucun consentement de votre part…”

Lire la suite de l’article de Catherine FRAMMERY sur LETEMPS.CH (11 février 2018)


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