Comment des mots sortent du dictionnaire ?

Temps de lecture : 7 minutes >

[CAMINTERESSE.FR, 21 janvier 2023] Depuis 1906, quelque 10.000 termes ont été supprimés du Petit Larousse. Certains sont devenus obsolètes, mais pour d’autres, cette disgrâce est plus mystérieuse.

Les milliers de mots qui remplissent nos dictionnaires ne cessent de se renouveler. Dans cette communauté de noms, de verbes, d’adjectifs, d’adverbes, il y a ceux qui arrivent. L’édition 2023 du Petit Larousse a accueilli mégafeu (incendie hors norme), vaccinodrome (lieu de vaccination mis en place pour lutter contre une épidémie), ou encore halloumi (fromage fabriqué à Chypre). Dans le même temps, d’autres termes disparaissent. Alors que les ajouts ont lieu chaque année, ces purges, plus rares, sont effectuées tous les dix à vingt ans environ. En 2012, des verbes comme musiquer (mettre en musique), gaminer (faire l’enfant), ont ainsi été effacés. Et cette saignée est moins marginale qu’on ne le croit. En comparant l’édition du Larousse de 1906 avec celle de 2002, le lexicologue Jean Pruvost a comptabilisé plus de dix mille mots radiés ! Dans le dictionnaire de l’Académie française, le plus ancien, des milliers de termes sont aussi tombés aux oubliettes au fil des neuf éditions successives, depuis la première en 1694.

Des mots que l’on n’utilise plus

Pourquoi des mots sont-ils ainsi rayés des pages des dictionnaires ? Tout simplement parce qu’on ne les emploie plus. Certes, mais pourquoi, un beau jour, a-t-on cessé de les utiliser ? Les raisons sont les plus diverses. Ils peuvent par exemple qualifier un métier qui s’est éteint. On ne rencontre plus de coffretier (artisan spécialisé dans les coffres) dans nos villes, ni de bouquetier (vendeur de bouquets de fleurs). Dès lors, les noms qui les désignent sont peu à peu tombés en désuétude…

Les mots disparus racontent une France rurale et préindustrielle dont nous n’avons plus guère de souvenirs. Une France, par exemple, où d’infinies variétés de fruits et de légumes existaient par autant de noms délicieusement évocateurs. La cuisse-madame ou la mouille-bouche, effacés du Petit Larousse, qualifiaient jadis deux variétés de poires. À noter, d’ailleurs, que ces termes ont subi des sorts différents selon les dictionnaires : la cuisse-madame a été préservée dans celui de l’Académie française – mais la mouille-bouche en a été radiée.

Parfois, des technologies disparaissent, et avec elles les termes y afférents. Magnétoscoper, ainsi, a été supprimé du Petit Larousse en 2012, car il renvoie à une pratique obsolète. Mais la frontière entre oubli et souvenir est parfois ténue : si le verbe qui lui est rattaché s’en est allé, le nom magnétoscope a sauvé sa peau. Pourquoi ? Parce que cet appareil est encore vivace dans nos mémoires. “En règle générale, nous gardons le mot-souche pour laisser un repère, mais nous supprimons l’action qui lui est liée”, justifie Carine Girac, directrice du département dictionnaires et encyclopédies aux éditions Larousse.

La mode a aussi sa part de responsabilité

Par exemple, l’usage du substantif drink (à la place de “verre”) était courant chez les jeunes, dans les années 1960-1970, à l’heure de l’apéritif. Puis il est devenu, dans les décennies suivantes, ringard. Il a alors cessé d’être employé. Mais n’aurait-il pas pu rester dans le Petit Larousse, comme témoignage d’une époque ? En vérité, la question a provoqué un sérieux débat au moment de réactualiser ce dictionnaire, en 2012. Linguistes et lexicologues des éditions Larousse se sont affrontés entre partisans et adversaires du drink. Et ces derniers l’ont emporté : “Nous avons finalement décidé d’éliminer ce mot car il se comprend tout seul, sans définition“, conclut Carine Girac. Il faut bien procéder à des arbitrages puisque les pages d’un dictionnaire ne sont pas extensibles sans fin – hormis Le Petit Robert, troisième dictionnaire de référence, qui a choisi de ne pas retirer de mots mais d’ajouter ”vieilli’ ou ‘vieux’ quand il s’agit d’un terme dont on ne se sert plus guère ou plus du tout.

Il arrive enfin que des mots, ni obsolètes ni démodés, disparaissent sans que l’on sache pourquoi. Le lexicologue Jean Pruvost ne peut s’empêcher d’en regretter certains, qui mériteraient selon lui une deuxième chance. Inartificiel, par exemple. C’est un mot qui se trouvait “chez Montaigne et Littré, plaide-t-il. N’est-ce pas l’un des idéaux d’aujourd’hui, bénéficier d’une vie inartificielle” ? Il ne faut cependant jamais désespérer : Maille, qui désignait une petite monnaie sans valeur, a disparu de notre langue au XVe siècle. Et ce sont les rappeurs de la fin du XXe siècle qui ont réveillé ce terme, en en faisant, dans leurs chansons, un synonyme d’argent. Les mots ne meurent jamais pour toujours, et les dictionnaires seront toujours prêts à leur faire une nouvelle place !

Liste de mots enlevés du dictionnaire :

      • Architriclin n. m. Celui qui était chargé de l’ordonnance d’un festin dans l’Antiquité romaine.
        (…) comme l’architriclin des noces de Cana goûte à l’eau transformée en vin (…)” Paul Claudel.
      • Assoter v. t. Rendre sot ou rendre sottement amoureux.
        Comme elle est assotée du jeune Robin” Molière.
      • Délicater v. t. ou pron. Gâter, traiter avec trop de délicatesse.
        On gâte les enfants à force de les délicater“.
      • Gobelotter v. t. ou int. Boire à petits coups.
        Vous ne me disiez pas que vous aviez gobelotté au cabaret (…)” Voltaire.
      • Impugner v. t. Combattre une proposition, un droit.
        Ceux qui ne travaillent pas tant à bien concevoir une chose qu’à l’impugner (…)” René Descartes.
      • Chasse-cousin n. m. Mauvais vin et, par extension, ce qui fait fuir les parasites.
        “(…) elle avait son vinaigre tourné, son chasse-cousin, si imbuvable, qu’on se montrait d’une grande discrétion” Émile Zola.
      • Lendore n. Personne lente, paresseuse, qui semble toujours endormie.
        Je ne sais pas à quoi elle pense, cette lendore-là” Honoré de Balzac.
      • Poiloux n. m. Homme misérable, sans qualité.
        Toute la France, toute la cour, poiloux ou autres (…) attendent à la porte” Marquis d’Argenson.
      • Sade adj. Gentil, agréable.
        Ces femmes jolies qui, (…) gentes en habits et sades en façons” Mathurin Régnier. C’est de ce mot que vient maussade !
      • Futurition n. f. Caractère d’une chose future.
        Ce qui n’a aucune possibilité n’a aucune futurition” Fénelon.
      • Afforage n. m. Droit féodal qui se payait à un seigneur sur la vente du vin.
        Les religieux ont certain droit seigneurial en ladite ville de Laigny, appelé droit d’afforaige ou tavernerie,” Charles du Cange.
      • Crapoussin, sine n. Personne de taille petite et contrefaite.
        Ces crapoussins-là, quand ça vient au monde, ça ne se doute guère du mal que ça fait” Émile Zola.
      • Chipotier, tière n. Celui ou celle qui chipote.
        Je ne suis pas un chipotier (…) Il n’y aura pas de difficultés entre nous” Edmond et Jules de Goncourt.

Tous ces mots ont été supprimés au fil des huit dictionnaires de l’Académie française publiés depuis 1694. La neuvième édition est en cours.

Nina Mir


Cliquez ici…

L’Académie française propose sur son site une liste, partagée à titre d’exemple, des mots qui ont été retirés de son Dictionnaire. Pour l’afficher, cliquez sur le logo ci-dessus…


Comment le Petit Larousse choisit de supprimer des mots

© rtbf.be

[d’après LEPOINT.FR, 15 novembre 2018] Alors que l’on parle beaucoup des nouveaux mots du dictionnaire, ceux qui en sortent font beaucoup moins de bruit. Pourtant, ils sont nombreux…

À l’occasion de la nouvelle édition du Petit Larousse, de nouveaux mots font leur apparition alors que d’autres sont supprimés. Beaucoup moins médiatisés que la première catégorie, des mots disparaissent après avoir été jugés trop peu utilisés dans la vie de tous les jours… Parmi les mots qui ont quitté le Petit Larousse, il y a, par exemple, aumusse, boursicaut, amphigourique, ou encore lourderie qui était défini comme tel au début du XXe siècle : “Lourderie ou lourdise, n.f. Faute grossière contre le bon sens, la bienséance”.

Bernard Cerquiglini, linguiste et professeur à l’université Paris-Diderot, déclare : “Dire qu’on a ôté un mot magnifique, c’est un crève-cœur.” Et de nuancer : “Le Larousse est chaque année une photographie de l’évolution de notre société.” Alors qu’environ 150 mots font leur entrée tous les ans dans le dictionnaire, un petit comité d’environ trois ou quatre personnes se réunit tous les dix ans pour choisir les mots qui le quitteront. “Au fond, nous sommes tous des sortes d’Albert Cinoc, malheureux à l’idée d’ôter un mot du dictionnaire“, assure Bernard Cerquiglini. Depuis la première édition du Petit Larousse illustré en 1906, près de 10 000 mots ont été supprimés, alors que 18 000 ont été ajoutés.

Ainsi, Patrick Vannier, rédacteur au service du dictionnaire de l’Académie, estime qu’environ 500 mots sont supprimés entre chaque édition (il peut parfois y avoir plus de dix ans entre deux éditions). “On en sort quelques-uns, mais on le fait un peu à regret, car on considère que l’Académie française a quand même une mission patrimoniale, donc on essaie d’éviter d’en sortir trop“, explique-t-il.

Des enquêtes de terrain pour ne pas se tromper

Après une proposition du service du dictionnaire, ce sont les académiciens eux-mêmes qui décident quel mot sera conservé ou amené à disparaître. Pour être sûrs qu’ils prennent la bonne décision, des enquêtes de terrain peuvent avoir lieu. “Pour un mot du vocabulaire de la charpenterie, on avait contacté quelqu’un qui avait été charpentier depuis plus de soixante ans et avait écrit un ouvrage sur le vocabulaire de la charpenterie. Il ne l’avait jamais rencontré. Dans ce cas-là, on sort le mot parce que si même les plus grands spécialistes n’en ont pas entendu parler, ça ne sert à rien de le conserver“, raconte Patrick Vannier.

De son côté, Le Petit Robert a fait le choix de ne sortir aucun mot de son dictionnaire. Même si la place commence à manquer, Marie-Hélène Drivaud, la directrice éditoriale, se félicite des nouvelles techniques de composition numérique qui “aident bien pour varier l’interlignage de manière absolument imperceptible.

Quelques exemples de nos chers disparus :

      • Accordé,e : fiancé, fiancée,
      • Accul : lieu sans issue,
      • Branloire : sorte de balançoire,
      • Claquedent : gueux, misérable,
      • Déprier : retirer une invitation,
      • Galantin : homme ridiculement galant, amoureux,
      • Hippomanie : passion des chevaux,
      • Hollander : passer des plumes dans la cendre chaude, pour les dégraisser,
      • Jaculatoire : se dit d’une prière courte et fervente (oraison jaculatoire),
      • Jobarder : duper en se moquant,
      • Lourderie : faute grossière contre le bon sens, la bienséance,
      • Libertiner : vivre dans le désordre,
      • Racleur : mauvais joueur de violon…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : caminteresse.fr ;  lepoint.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © rtbf.be ; © academie-francaise.fr.


Lire la presse en Wallonie…

LAROCHE : Dictionnaire des clichés littéraires (2003, rééd. 2022)

Temps de lecture : 6 minutes >

L’un des traits principaux de ces dissertations était une mélancolie chérie et caressée ; un autre, un jaillissement opulent et excessif de “beau langage” ; un autre, la tendance à empiler à tire-larigot des mots et des phrases particulièrement prisés jusqu’à ce qu’ils soient usés jusqu’à la corde […] On peut remarquer, en passant, que l’on trouvait là la moyenne habituelle de dissertation, dans lesquelles le mot “enchanteur” est exagérément caressé et l’expérience humaine décrite comme “une page de la vie”…

Voilà le décor tel que posé par Mark Twain dans Les aventures de Tom Sawyer (1876), lorsqu’il décrit le terrible soir de l’Examen, au cours duquel les enfants du village doivent, les uns après les autres, se lever, venir à l’avant de la scène sous le regard d’avance mécontent du Maître et réciter quelques poèmes ou dissertations dont l’originalité littéraire n’est pas le plus grand atout. En quelques traits limpides, Twain montre la vanité de l’exercice et règle son compte à l’usage répété des clichés littéraires. C’est également la préoccupation principale d’Hervé Laroche, comme il l’explique dans l’introduction de son jubilatoire Dictionnaire des clichés littéraires, que nous avons reproduite ci-après…

Vingt ans après…

Vingt ans après sa première parution, ce dictionnaire a été augmenté d’une  petite centaine d’entrées. Les entrées déjà existantes ont été revues et parfois étendues. Mais, le lecteur doit s’ en douter, les clichés ne se renouvellent pas à la même vitesse que le vocabulaire des adolescents. Par essence, le cliché dure ; il est une forme de la permanence littéraire. Il s’agit donc plus d’un approfondissement que d’un renouvellement.

Certes, il y a bien quelques tendances qu’on peut se risquer à pointer. Les téléphones ont largement accédé au vrombissement qui était auparavant l’apanage des autos. Après les nécessaires épreuves qu’impose la vie dans un roman, le personnage cherche aujourd’hui à se reconstruire. C’est sans doute dans le registre de l’imprécis délibéré que le cliché connaît sa plus nette extension. Si l’imperceptible, l’indicible, l’indéfinissable sont depuis longtemps des incontournables du cliché, ils reçoivent aujourd’hui le renfort du vague, de l’approximatif et de l’improbable. De l’indéfinissable au vague, il y a sans doute un glissement : le flou prend peut-être le pas sur l’inaccessible (qui, rassurons-nous, se porte toujours bien). On peut se risquer à voir là l’expression d’une époque qu’on nous dit être en manque de repères, ou quelque chose de cet ordre.

Mais le constat le plus évident, c’est que, vingt ans après, on avance toujours comme un automate, alors qu’il n’y a plus d’automate depuis longtemps et qu’aujourd’hui les robots dansent bien mieux que moi (il faut avouer que ce n’est pas difficile). On s’emmitoufle toujours dans de vieux plaids, on noircit toujours des carnets ou des cahiers. On gravit toujours les escaliers au lieu de les monter et on les dévale au lieu de les descendre. On s’appuie toujours contre les chambranles des portes dans des moments difficiles. Ça palpite toujours énormément, et les songes restent préférables aux simples rêves.

Certains clichés s’épuisent doucement. L’entropie littéraire est implacable, quoique lente. Ils ont évolué vers leur forme figée et peinent désormais à nimber le texte d’une ineffable aura poétique. Sans doute d’autres ont-ils tout simplement disparu. Je ne me suis pas soucié d’en faire l’inventaire, rebuté par ce travail d’entomologiste.

Et puis, pour une large part, cela a été fait dans un ouvrage phénoménal auquel je tiens à rendre un hommage appuyé. Cet ouvrage n’existait pas lors de la première édition de ce dictionnaire, ou du moins l’encre n’en avait-il pas encore séché. Il s’agit du Dictionnaire des cooccurrences de Jacques Beauchesne, paru en 2001 chez Guérin, et étendu ensuite par les filles de l’auteur, après sa disparition prématurée en 2009. L’entreprise de Jacques Beauchesne peut être comprise comme une tentative de noyer le cliché dans la langue, tout comme on peut noyer le poisson (chose en principe impossible, mais pourtant accomplie quotidiennement par des millions de gens). Le Dictionnaire des cooccurrences comprend environ 5000 entrées, toujours des substantifs. À chaque substantif sont associées une liste d’adjectifs et une liste de verbes. Prenons par exemple effroi, puisque c’est le sentiment qui m’a saisi lorsque j’ai découvert le Dictionnaire des cooccurrences (et aussi parce que cette entrée est relativement brève) :

Effroi : communicatif, énorme, immense, indescriptible, indicible, inexplicable, insurmontable, léger, mortel, passager, salutaire, subit, terrible, vague. Apaiser, calmer, créer, inspirer, jeter, provoquer, répandre, semer, susciter l’/un – (+ adj.) ; causer, éprouver, inspirer, provoquer, ressentir de /’- ; contenir, maîtriser son – ; défaillir, être glacé/saisi, frémir, haleter, mourir, pâlir, trembler d’- ; vivre dans l’-.

Un autre exemple :

Cliché : biaisé, classique, commode, dépassé, éculé, en vogue, facile, habituel, inusable, outré, persistant, raciste, réducteur, répandu, ressassé, sexiste, simpliste, tenace, usé, vieux. Employer, emprunter, éviter, sortir, véhiculer un/des -(s) (+ adj.) ; avoir recours, recourir à un/des -(s) ; abuser, sortir un/des -(s) ; accumuler, combattre, éviter les -(s) ; tomber dans les -(s).

Les voilà donc, les clichés, dissimulés dans les plis de ce Dictionnaire des cooccurrences, ayant reçu leurs papiers légaux leur conférant la qualité fort sérieuse de cooccurrence apparemment inoffensifs. Voire utiles. Car le Dictionnaire des cooccurrences est une entreprise dépourvue de la moindre ironie : il s’agit d’offrir à tout écrivant un outil permettant de ne pas chercher ses mots ou, plus exactement, de les trouver rapidement et efficacement. L’auteur en a d’ailleurs réalisé une version simplifiée pour les enfants et les écoles. Outil modeste, outil besogneux, d’une ambition folle/généreuse/immense/ manifeste/ tenace, d’un sérieux absolu/imperturbable/inébranlable, il a le charme des entrepreneurs ou aventuriers qui ne doutent de rien sans pour autant être sûrs de tout. Je le recommande chaleureusement, quoique son prix conséquent ne le mette pas facilement à la portée de l’ écrivain désargenté.

Malheureusement (ou heureusement pour moi), si ce Dictionnaire des cooccurrences constitue indéniablement une solide base de travail, indispensable pour se mettre le pied à l’étrier du cliché, il a ses limites. Tout d’abord, il procède à partir des substantifs, confinant les adjectifs et les verbes dans un rôle de comparse, et négligeant les adverbes, pourtant si précieux. Ensuite et surtout, du fait de son principe même, qui est de fournir des associations nom-adjectif et nom-verbe, les clichés sont livrés démontés, en kit. On voit tout le travail qui attend un auteur pour composer des ensembles plus longs et plus élaborés, ne serait-ce que pour arriver à des choses aussi simples que Plongé dans un abîme de tristesse ou Les gouttes de pluie tambourinaient sur les vitres dans un bruit d’enfer. On mesure les efforts nécessaires pour produire un bijou comme :

Pas une nuit où je ne me réveille en sursaut, trempé, suffoquant, avec le cœur qui tremble et déraille comme une chaîne de vélo.

Cette seconde édition trouve là sa raison d’être (en dehors de la vanité de l’auteur). Poussé dans mes retranchements par cette redoutable machine à fabriquer du cliché ordinaire, j’ai pensé qu’il fallait, désormais, encourager l’audace et la créativité. Cependant, la créativité en matière de cliché est une affaire délicate : par définition, un cliché n’est pas créatif, et si une formulation est créative, ce n’est pas un cliché. Ce qui peut être créatif, ce sont des assemblages inédits de clichés, des associations surprenantes, des accumulations paroxystiques, comme : La chape de plomb qui irradiait de lui jusque-là avait perdu de son pouvoir nocif.

EAN 9782363083135

Dans les entrées du dictionnaire, ces exemples nouveaux sont annoncés par un “Plus audacieux” ou équivalent. Ils sont évidemment tous authentiques, à quelques minimes modifications près. Il s’agit toujours de livres publiés chez des éditeurs reconnus et presque tous sont tirés de livres ayant connu un grand succès, souvent primés ou distingués. Les autres exemples, s’ils sont bien entendu inspirés par des lectures accumulées, sont en revanche le plus souvent de mon cru.

De plus, pour permettre aux lecteurs qui le désirent de tester leurs capacités en tentant d’imiter les auteurs virtuoses, un exercice spécifique a été ajouté. Comme il ne faut pas se dissimuler la difficulté d’une telle ambition, deux exercices plus simples sont également proposés. Les trois exercices, dont la difficulté croissante est soigneusement étalonnée, forment un ensemble qui ajoute une dimension ludique au projet pédagogique qui fonde cet ouvrage : donner à tout auteur, débutant ou confirmé, les ressources nécessaires pour former de beaux clichés, ceux qui ravissent les éditeurs, les critiques et les lecteurs.

Hervé LAROCHE, Dictionnaire des clichés littéraires (2022)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | source : arlea.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Gabriela Manzoni.


Se documenter en Wallonie-Bruxelles…

D’où vient le pétrichor, cette bonne odeur de la terre après la pluie ?

Temps de lecture : 4 minutes >

[RADIOFRANCE.FR/FRANCULTURE, 18 juin 2023] En été, après une averse, on se prend souvent à emplir ses poumons de l’odeur qui se dégage du sol. Cette odeur, c’est le pétrichor, une fragrance caractéristique dont les composants proviennent à la fois de la végétation et du sol.

Après des jours de sécheresse, les premières gouttes de pluie tombent sur un sol écrasé de chaleur. Lorsque l’averse cesse, vous vous surprenez à vous emplir les poumons, nez tendu, narines dilatées, pour vous imprégner de cette odeur qui émane soudain du sol. Cette odeur caractéristique, typique de l’été et des températures élevées, est nommée “pétrichor”, un néologisme créé à partir du grec ancien et qui signifie “sang de pierre” (prononcé [pétrikor]). On doit ce nom à deux scientifiques australiens, la chimiste Isabel Joy Bear, et le minéralogiste Roderick G. Thomas, qui, en 1964, tentent de comprendre pour la première fois pourquoi la pluie, qui n’a pas d’odeur, peut soudain dégager un parfum si enivrant. Ils ne sont pas les premiers scientifiques à se poser la question : en avril 1891 déjà, la revue The Chemical News publiait un article signé Thomas Lambe Phipson, dans lequel ce dernier décrivait “l’odeur émise par les sols après une forte pluie” , qu’il avait observé pour la première fois “dans le sol crayeux de Picardie”. Selon lui, cette odeur était due “à la présence de substances organiques étroitement liées aux huiles essentielles des plantes”, les sols poreux absorbant “la fragrance émise par des milliers de fleurs.

Une huile végétale pour protéger les plantes

L’intuition de Thomas Lambe Phipson sera confirmée par l’étude des deux scientifiques australiens. Publiée dans la revue Nature, elle explique les mécanismes chimiques à l’œuvre et le lien entre chaleur, pluie, et plantes. Le pétrichor est dû à plusieurs facteurs, parmi lesquels on retrouve une huile végétale, sécrétée par les plantes pour se protéger et pour signaler le ralentissement de la croissance des racines et de la germination des graines lorsque le temps est trop chaud. Cette huile végétale s’accumule rapidement, sur les feuilles d’abord, mais aussi dans les roches poreuses, voire le bitume qui recouvre les routes.

Lorsque la pluie se met enfin à tomber, c’est cette huile végétale, longtemps accumulée, qui se trouve libérée. Les premières gouttes de pluie, en venant s’écraser sur le sol, se vaporisent sous forme d’aérosol, emportant avec elle une partie de la sève végétale et la libérant dans l’air.

Une odeur créée par des bactéries

L’odeur du pétrichor n’est pas uniquement due à cette huile végétale, mais également à un autre composé, nommé géosmine. C’est à cette molécule que l’on doit la fragrance terreuse et musquée qui s’élève d’un sol encore chaud après la pluie. Elle est produite par de très nombreux micro-organismes présents dans le sol, essentiellement les actinobactéries et les cyanobactéries telluriques : c’est notamment ce composé organique volatil, qui donne à la terre labourée ou mouillée son odeur particulière.

Pour l’être humain, l’odeur est d’autant plus saisissante qu’il y est particulièrement sensible : notre nez est capable de détecter la géosmine en suspension dans l’air à des concentrations extrêmement faibles de moins de cinq parties par milliard (ppb). Cette même molécule, très appréciée lorsqu’on la détecte dans l’atmosphère, nous paraît paradoxalement intolérable une fois décelée dans l’eau : c’est la géosmine qui confère parfois à celle-ci son goût terreux, voire boueux, unanimement abhorré.

© abc science

L’odeur du pétrichor, évidemment, ne se ressent pas avec la même intensité selon que l’on soit en ville, à la campagne ou encore en forêt : s’il y a beaucoup moins de bactéries, et donc de géosmines, dans les zones urbanisées, il y a en revanche beaucoup plus d’ozone présent dans l’air. C’est notamment le cas par temps orageux, où l’ozone créé par les décharges électriques des éclairs dans le ciel est porté par les vents : ce gaz, qui donne une odeur distinctive à l’air et qui peut parfois évoquer l’eau de Javel, crée un contraste encore plus saisissant et rend l’odeur du pétrichor plus distincte encore.

Une odeur devenue parfum

Reste à savoir pourquoi l’odeur de l’huile végétale et de la géosmine combinées nous plaît tant une fois qu’elle a été libérée par la pluie. Les raisons précises pour lesquelles cette fragrance nous est si agréable restent floues. L’hypothèse la plus communément admise part simplement du fait que le pétrichor, avec son odeur terreuse et végétale, est associé à une odeur positive pour l’environnement, et par extension pour l’être humain.

Sans surprise, le pétrichor est désormais un élément couramment utilisé en parfumerie. Bien avant que la science n’établisse son origine, il était déjà extrait de la terre, à Kannauj, en Inde, pour créer un parfum nommé mitti attar, ou parfum de la Terre. Depuis, il est devenu un composé commun des maisons de parfumerie, et se décline dans de célèbres parfums, tel Après l’ondée de Guerlain. Même si rien ne vaudra jamais, évidemment, l’odeur de la pluie après l’orage…

Pierre Ropert


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | source : franceculture | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DP ; © abc science.


Plus de presse en Wallonie-Bruxelles…

Petit abécédaire de mots réfractaires à la traduction

Temps de lecture : 2 minutes >

Parce que certaines expressions réticentes à la traduction sont de véritables casse-têtes pour les traducteurs : voici 20 langues et 20 mots réputés intraduisibles. Le métier du traducteur n’est jamais de tout repos : il peut avoir affaire au vocabulaire très technique d’une traduction médicale ou d’une traduction financière, il peut avoir affaire au délai inhumain d’une traduction urgente (c’est un traducteur qui le dit) ou même avoir affaire aux deux choses réunies dans une traduction juridique urgente pour laquelle l’agence de traduction s’est engagée auprès d’un client pressé qui attend déjà. Mais le plus épineux pour un traducteur peut être la confrontation avec des mots… (littéralement) intraduisibles :

    1. Allemand – Freizeitstress : Le stress provoqué par le temps libre et toutes les activités réalisées pour l’occuper.
    2. Arabe – Ya’aburnee : Le désir de mourir avant l’autre pour ne pas avoir à supporter de le perdre.
    3. Coréen – Nunchi : La capacité de savoir lire l’état émotionnel des autres.
    4. Ecossais – Tartle : Le moment de doute au moment de présenter quelqu’un dont le nom nous échappe.
    5. Espagnol – Sobremesa : Le temps passé après un repas à parler à table.
    6. Grec – Meraki : Faire quelque chose avec amour et créativité, en y mettant tout son cœur.
    7. Hébreu – Hore shakul : La perte d’un enfant.
    8. Indonésien – Jayusm : Une blague tellement mal racontée qu’on ne peut s’empêcher d’en rire.
    9. Inuit – Iktsuarpok : L’anxiété qui force à regarder constamment dehors pour voir si quelqu’un arrive.
    10. Japonais – Kyoikumama : La mère qui fait pression sur ses enfants pour qu’ils réussissent dans leurs études.
    11. Letton – Kaapshljmurslis : Le fait de se sentir à l’étroit dans les transports publics durant les heures de pointe.
    12. Néerlandais – Voorpret : Le plaisir ressenti par anticipation avant que quelque chose d’agréable ne se passe.
    13. Norvégien – Forelsket : L’euphorie du premier amour.
    14. Philippin – Gigil : L’envie irrépressible (ressentie surtout par les grand-mères vis-à-vis de leurs petits-enfants) de mordre ou pincer quelque chose d’irrésistiblement mignon.
    15. Sanskrit – Mudita : Le bonheur provoqué par le bonheur de l’autre.
    16. Serbe – Inat : Porter préjudice à quelqu’un d’autre tout en se faisant du mal à soi-même par obstination.
    17. Suédois – Mangata : Le reflet de la lune ressemblant à un chemin dans la mer.
    18. Tchèque – Litost : La torture de se rendre compte soudain de sa propre misère.
    19. Tshiluba (Congo) – Ilunga : Une personne disposée à pardonner n’importe quel abus la première fois, à la tolérer la deuxième fois, mais jamais si cette offense se reproduit une troisième fois.
    20. Yaghan (Terre de Feu) – Mamihlapinatapai : Le regard ineffable que s’échangent deux personnes qui partagent un même désir.

Et pour finir, une expression française que vous pouvez vous amuser à essayer de traduire dans vos autres langues : notre très chère grasse matinée !” [d’après Mathieu, traducteur]


Traduire, trahir encore…