Dans l’Antiquité, la sorcière était déjà le symbole d’un pouvoir féminin redouté

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[THECONVERSATION.COM, 7 novembre 2024] Si l’on associe habituellement la sorcière à l’époque médiévale, on trouve déjà des figures féminines qui jettent des sorts et sont décrites comme néfastes et castratrices dans les textes grecs et latins de l’Antiquité. Dans son ouvrage Sorcières, la puissance invaincue des femmes (Zones, 2018), l’essayiste Mona Chollet rappelle très justement que les grandes chasses aux sorcières se sont déroulées en Europe, aux XVIe et XVIIe siècles. La répression impitoyable de ces femmes jugées déviantes est un fait moderne.

On trouve cependant dans les textes grecs et latins de l’Antiquité des figures féminines que l’on peut qualifier de sorcières, dans le sens où elles jettent des sorts (sortes en latin) et sont vues comme des êtres nocifs. Quelles sont donc les principales caractéristiques de ces sorcières antiques ?

Les dix types de femmes selon Sémonide d’Amorgos

Rappelons tout d’abord que c’est le genre féminin presque dans son ensemble qui est le plus souvent présenté, dans l’Antiquité gréco-romaine, comme une calamité. Dans son poème Sur les femmes, composé au VIIe siècle av. J.-C., le poète grec Sémonide ou Simonide d’Amorgos classe les femmes en dix catégories dont huit sont associées à des animaux et deux à des éléments naturels. À partir de son œuvre, nous pouvons établir la typologie suivante :

Seule « l’abeille », c’est-à-dire la femme mariée et mère, possède des qualités aux yeux du poète. La sorcière appartient à la catégorie de la renarde ; mais elle peut aussi tenir de la jument ou, au contraire, de la truie, comme nous allons le voir.

Déshumaniser les humains

Circé est l’une des premières figures féminines de la littérature occidentale. Elle apparaît pour la première fois dans l’Odyssée, le fameux poème épique composé par Homère, vers le VIIIe siècle av. J.-C. On la retrouve encore, plus tard, dans l’œuvre d’Hygin (67 av.-17 apr. J.-C.), auteur de fables latines. Le fabuliste raconte que Circé s’était éprise du dieu Glaucus qui repoussa ses avances, car il était amoureux de la belle Scylla. Furieuse, Circé se venge de sa rivale avec cruauté. Elle verse un violent poison dans la mer, à l’endroit où Scylla a coutume de se baigner ; ce qui a pour effet de transformer la victime en chienne à six têtes et douze pattes (Hygin, Fables, 199).

Reléguée dans une île nommée Eéa en raison de ses crimes, Circé n’a de cesse d’y faire le mal. Elle transforme en bêtes les hommes qui ont le malheur de débarquer sur son île. Elle leur fait boire un kykeon, potion enivrante, composée de vin, miel, farine d’orge et fromage, auxquels elle mélange une drogue. Après les avoir ainsi étourdis, elle les transforme en fauves, en loups ou en porcs, d’un coup de sa baguette magique (Homère, Odyssée, X, 234-235). Circé règne sur une sorte de zoo, entourée des animaux qu’elle a elle-même créés et dompte pour son plus grand plaisir. Par ses maléfices, elle incarne la régression de l’humanité devenue monstrueuse ou bestiale.

Dans le roman d’Apulée, Les Métamorphoses, une vieille courtisane nommée Méroé change en castor l’amant qui l’a délaissée et le contraint à s’amputer lui-même de ses testicules (Apulée, Les Métamorphoses, I, 9). La sorcière déshumanise les hommes, tout en les privant de leur virilité.

Tuer des femmes et des enfants

Pasiphaé, sœur de Circé, possède, elle aussi, des pouvoirs néfastes. Pour se venger des infidélités de son époux, le roi de Crète Minos, elle lui administre une drogue qui ne lui fait aucun mal mais provoque la mort de ses maîtresses. “Quand une femme s’unissait à Minos, elle n’avait aucune chance d’en réchapper. […] Chaque fois qu’il couchait avec une autre femme, il éjaculait dans ses parties intimes des bêtes malfaisantes et toutes en mouraient”, écrit le mythographe grec Apollodore (Bibliothèque, III, 15, 1).

Chez le poète latin Horace, la sorcière Canidia découpe le corps d’un enfant encore vivant dont elle extrait le foie et la moelle, ingrédients qui lui serviront à confectionner ses philtres (Horace, Épodes, V).

Pour se venger d’une femme enceinte qui l’a insultée, Méroé lui jette un sort afin qu’elle ne puisse pas accoucher. Son ventre deviendra gros comme un éléphant, mais son enfant ne verra jamais le jour (Apulée, Les Métamorphoses, I, 9).

Détruire la nature

C’est aussi, de manière plus générale, la fertilité de la nature tout entière qu’anéantit la sorcière. Le poète latin Lucain imagine, dans La Pharsale, l’effrayante Erichtho. Elle ne vit pas parmi les humains mais dans une nécropole. Son maigre corps ressemble à un cadavre. Pendant les nuits orageuses et noires, elle court dans la campagne, empoisonne l’air et réduit à néant la fertilité des champs. “Elle souffle, et l’air qu’elle respire en est empoisonné“, écrit Lucain (La Pharsale, VI, 521-522). Comble de l’horreur, elle dévore des cadavres : elle boit le sang qui s’écoule des plaies des condamnés à mort, pendus ou crucifiés. “Si on laisse à terre un cadavre privé de sépulture, elle accourt avant les oiseaux, avant les bêtes féroces” (Lucain, La Pharsale, VI, 550-551).

Une célibataire sans enfants

Circé n’est ni mariée, ni mère.”Elle ne tire aucune jouissance des hommes qu’elle a ensorcelés […] ; ils ne lui sont d’aucun usage“, précise Plutarque (Préceptes de mariage, 139 A). On n’imagine pas, en effet, Circé faisant l’amour avec des porcs ou avec des fauves. Elle demeure donc célibataire et vierge. Cependant, le héros Ulysse parviendra à déjouer ses maléfices et à coucher avec elle. En la possédant, il lui fait perdre son statut d’électron libre. Tout est bien qui finit bien. Soumise, Circé devient une femme ‘normale’ au regard des représentations sociales de la Grèce antique. La renarde est transformée en abeille, selon la catégorisation de Sémonide. Réduite au rôle d’épouse aimante, elle accouchera de trois fils, écrit le poète grec Hésiode (Théogonie, 1014).

Une femme exotique

Circé habite une contrée lointaine, à l’extrémité occidentale du monde connu de l’époque. Elle est perçue comme une étrangère. Sa sœur Médée, elle aussi experte en philtres magiques, vit en Colchide, dans l’actuelle Géorgie, à la marge cette fois orientale du monde grec. Son nom serait à l’origine de celui des Mèdes, peuple du nord-ouest de l’Iran, selon l’historien antique Hérodote (Histoires, VII, 62). Circé et Médée incarnent une altérité féminine exotique.

Chez Apulée, Méroé porte le même nom que la capitale de la Nubie, aujourd’hui au nord du Soudan (Apulée, Les Métamorphoses, I, 7-9). Cette fois, c’est l’Afrique qui représente l’étrangeté. La sorcière est en relation avec les confins du monde.

Jeune fille charmeuse ou vieille femme hideuse

Circé est extrêmement séduisante et désirable avec sa belle chevelure et sa voix mélodieuse, attributs d’une féminité au fort potentiel érotique. C’est une ‘femme-jument’, selon la typologie de Sémonide d’Amorgos. Sur les céramiques grecques du Vᵉ siècle av. J.-C., elle apparaît comme une élégante jeune femme, vêtue d’un drapé plissé. De belles boucles ondulées s’échappent de sa chevelure noire, couronnée d’un diadème. La sorcière se confond alors avec la figure de la femme fatale.

HERMANS Charles, Circé la tentatrice (1881) © Collection privée

Dans cette même veine, à la fin du XIXe siècle, le peintre [belge] Charles Hermans imagine une Circé de son temps, jeune courtisane qui vient d’enivrer son riche client, sans doute pour mieux le dépouiller de son portefeuille. Brune et pulpeuse, elle évoque une gitane, adaptation moderne de l’exotisme de Circé.

Les auteurs d’époque romaine imaginèrent, quant à eux, des sorcières répugnantes physiquement que Sémonide d’Amorgos aurait rangées dans la catégorie des ‘truies’. Des vieilles dégoûtantes (Obscaenas anus), selon l’expression d’Horace qui propose une évocation saisissante de ce type féminin, à travers le personnage de Canidia. Son apparence est effrayante : ses cheveux hirsutes sont entremêlés de vipères. Elle ronge “de sa dent livide l’ongle jamais coupé de son pouce” (Horace, Épodes, V). Cheveux, ongles et dents constituent les contours anormaux de la sorcière, tandis que, de sa bouche, émane un souffle empoisonné “pire que le venin des serpents d’Afrique” (Horace, Satires, II, 8).

Qu’elle soit irrésistiblement séduisante ou d’une laideur repoussante, la sorcière antique incarne un pouvoir féminin considéré comme néfaste et castrateur ; elle symbolise une forme de haine de l’humanité et même de toute forme de vie. Elle est l’incarnation fantasmée d’une féminité à la fois contre-nature et, pourrions-nous dire, contre-culture.

Christian-Georges Schwentzel, historien


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, WATERHOUSE John William, Circé Invidiosa (détail, 1892) © Musée national d’Australie-Méridionale ; HERMANS Charles, Circé la tentatrice (1881) © Collection privée .


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Connaissez-vous Françoise d’Eaubonne, la pionnière de l’écoféminisme ?

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[THECONVERSATION.COM, 18 novembre 2024] Si l’on associe souvent le mouvement écoféministe au monde anglo-saxon – où il s’est largement développé depuis les années 1970 – c’est une figure française, Françoise d’Eaubonne, qui est à l’origine du terme et du concept. Cette penseuse est aussi, et surtout, comme la plupart des figures du mouvement d’ailleurs, une femme d’action.

Née en 1920 au sein d’une famille bourgeoise, désargentée et fortement politisée, elle est d’abord autrice de romans et d’essais qu’elle écrit dès l’âge de 13 ans ; elle en publiera plus d’une centaine.

Infatigable militante, elle s’engage au Parti communiste après la Seconde Guerre mondiale, pour le quitter dix ans plus tard, s’insurgeant contre la position du parti préconisant aux soldats de rester dans les rangs de l’armée mobilisée lors de la guerre d’Algérie. Elle signera en 1960 le Manifeste des 121, pour le droit à l’insoumission.

Fortement influencée par Simone de Beauvoir qui deviendra son amie, elle participe dans les années 1970 à la création du Mouvement de libération des femmes (MLF), signe le Manifeste des 343 appelant à la légalisation de l’avortement, co-fonde le Front homosexuel d’action révolutionnaire et participe à l’attentat contre la centrale de Fessenheim.

En 1974, elle publie Le Féminisme ou la mort dans lequel elle emploie pour la première fois le terme d’écoféminisme.

Elle crée dans la foulée le Front féministe, rebaptisé plus tard Écologie et féminisme. Elle peaufine sa pensée écoféministe dans Écologie et féminisme. Révolution ou mutation ?, démontrant la proximité et l’imbrication des causes environnementales et féministes au sens large.

L’écoféminisme, une pensée en action

Le parcours de vie et l’œuvre de Françoise d’Eaubonne témoignent du profond engagement intellectuel et politique que réclame l’écoféminisme : au-delà de l’élaboration conceptuelle, il est surtout question d’agir pour la cause des femmes, des minorités et de l’environnement. Dans ce contexte, le corps occupe une place centrale : elle en souligne l’importance dans un texte court, De l’écriture, du corps et de la révolution où l’on peut lire :

Les coups, les opérations à vif, l’avortement, l’accouchement, il a tout vécu en défiant l’ennemi et se redressait en chantant.

Il s’agit d’incarner la connexion de l’être humain avec la nature, reconnaître que nous ne sommes pas en dehors ni au-dessus du monde naturel ; comme le souligne la philosophe Terri Field dans un article de mars 2000 : “Il est de l’intérêt des philosophes de l’environnement de commencer à théoriser l’incarnation avec une perspective spécifiquement écoféministe.”

L’incarnation, le corps, constituent les éléments centraux de cette approche : ils sont les moyens par lesquels nous, humains, nous connectons, ressentons, comprenons et in fine prenons soin – ou non – de notre environnement.

Répondre aux urgences sociales et environnementales

En 1965, un rapport scientifique alertait déjà la Maison Blanche d’un potentiel dérèglement climatique et de graves problèmes environnementaux.

Dès 1972, Françoise d’Eaubonne annonçait les prémices de sa théorie écoféministe en concluant dans son ouvrage Le Féminisme : Histoire et actualité :

Le prolongement de notre espèce est menacé aujourd’hui grâce à l’aboutissement des cultures patriarcales, par une folie et un crime. La folie : l’accroissement de la cadence démographique. Le crime : la destruction de l’environnement.

EAN 9782369354079

La principale thèse de l’autrice peut se résumer ainsi : la double exploitation de la femme et de la nature par l’homme – entendu respectivement comme genre masculin et genre humain – a généré une ‘bombe démographique’ qui conduira à la destruction de notre environnement. Pour elle, ni le socialisme ni le capitalisme n’ont réussi à offrir de véritables résultats dans la protection de l’environnement, parce que ni l’un ni l’autre ne remettent en cause le sexisme universel qui sous-tend l’ordre des sociétés. Pour elle, la solution consisterait en une prise totale de pouvoir des femmes sur leur pouvoir de procréation pour limiter drastiquement la croissance démographique et par conséquent les besoins de production et d’exploitation des ressources naturelles. C’est cette attention centrale portée aux femmes en tant que “procréatrices” qui cristallisera les nombreuses critiques des mouvements féministes et environnementalistes, qui taxeront Françoise d’Eaubonne d’essentialiste.

Ces attaques témoignent d’une mécompréhension de la complexité de la tâche que s’est fixée Françoise d’Eaubonne : reconnaître une réalité naturelle (ce sont les femmes qui portent et mettent les enfants au monde), tout en les désessentialisant (elles ne sont pas naturellement faites pour devenir mères). Pour elle, l’assignation à la procréation et à la maternité relève bien d’une construction sociale ; le contrôle démographique par les femmes elles-mêmes les libérerait du “‘handicap’ de la grossesse“.

L’épineuse question démographique

Les positions de Françoise d’Eaubonne sont souvent présentées comme néo-malthusiennes et vivement critiquées à ce titre : les politiques de contrôle démographique apparaissent comme des répressives, réduisant les libertés, notamment celle d’avoir des enfants.

La thèse selon laquelle le contrôle démographique viendrait pallier l’épuisement des ressources est également depuis longtemps réfutée par nombre d’économistes, selon lesquels le progrès technologique apporterait la solution au problème.

De nombreux travaux scientifiques (comme ici en 2008 et là en 2021) montrent cependant que des politiques démographiques bien menées seraient plus efficaces que d’autres mesures, comme la réduction technologique des émissions de gaz à effet de serre par exemple.

Les autrices et auteurs ne s’aventurent toutefois pas à dévoiler le contenu de telles politiques démographiques : la question reste centrale mais personne n’ose l’aborder tant elle est épineuse et cela à double titre. Premièrement, d’un point de vue historique comme le souligne la géographe Joni Seager, “le contrôle de la population est un euphémisme pour le contrôle des femmes”.

Deuxièmement, d’un point de vue idéologique, cette approche remet en cause les institutions et l’ordre social établi. Si Malthus prônait le retardement de l’âge du mariage et l’imposition de limites au nombre d’enfants par famille, se situant ainsi dans une structure patriarcale, d’Eaubonne propose la prise en main totale des femmes sur la procréation, renversant l’ensemble du système.

Il s’agirait d’opérer une mutation de la totalité, une révolution féministe qui comprendrait la disparition du salariat, des hiérarchies compétitives et de la famille, promouvant un nouvel humanisme. Pour d’Eaubonne,

…ce grand renversement [ne serait pas] le “matriarcat”, certes, ou le “pouvoir aux femmes”, mais la destruction du pouvoir par les femmes. Et enfin l’issue du tunnel : la gestion égalitaire d’un monde à renaître (et non plus à “protéger” comme le croient encore les doux écologistes de la première vague). Le féminisme ou la mort.

Virginie Vial


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © lalsace.fr ; © Le passager clandestin | Pour mémoire : Françoise d’Eaubonne a vécu et aimé à Liège, en Roture, pendant plusieurs années.


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DOMS, Paula Emilie (1878-1951)

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[ACADEMIA.EDU, 2023] Si le mois de juillet 1900 marque la fin de la dernière année académique du XIXe siècle, pour Paula DOMS, jeune femme qui vient d’avoir 22 ans le 15, ce mois de juillet lui apporte tous les espoirs d’une brillante carrière : elle est la première femme à avoir conquis le titre de docteur en sciences physiques et mathématiques à l’université libre de Bruxelles.

Sa famille

En septembre 1876, Émile DOMS avait été désigné pour enseigner les langues germaniques à l’Athénée Royal de Mons. Originaire de Mechelen, il était le cadet d’une famille de huit enfants ; il était né le 22 mai 1851 de père et de mère cultivateurs à Muizen : Corneille et Anne Catherine STEVENS.

L’année suivante, le 18 août 1877, Émile avait épousé Elisa THAON, fille d’Henri et d’Apoline BALTUS.

Au moment de son mariage, le 23 mars 1845, Henri THAON était directeur à l’école primaire supérieure du gouvernement à Jodoigne ; c’est là que naîtront ses quatre premiers enfants ; cinq autres naîtront à Aarschot où Henri THAON avait été nommé directeur d’école moyenne en 1852 ; il est décédé dans cette ville à l’âge de 59 ans, le 20 décembre 1872. Après le décès de son mari, Apoline a quitté Aarschot pour venir s’établir à Sint-JoostTen-Node, ce qui explique que le mariage d’Emile DOMS et d’Elisa THAON a eu lieu dans cette commune le 18 août 1877.

Le 15 juillet 1878 naît à Mons Paula-Émilie DOMS. Mais, dès la rentrée scolaire suivante, Émile DOMS quitte Mons. Nous le retrouvons en 1884 à Sint-Jans-Molenbeek. Il décède le 22 août 1896, à l’âge de 45 ans ; il habitait alors au n° 76 de l’avenue des Arquebusiers à Sint-Joost-Ten-Node. Sa fille Paula y habitera jusqu’à la fin de sa vie. 1896 est également l’année où Paula entre à l’université.

L’actuaire

Son diplôme en poche, Paula DOMS doit faire un choix de carrière ; l’enseignement ne l’attire pas, elle préfère se tourner vers le secteur bancaire où sa formation de mathématicienne peut lui ouvrir les portes de l’actuariat. Elle postule donc un emploi à la Caisse Générale d’Épargne et de Retraite (CGER). Mais, à cette époque, aucune femme n’a jamais été engagée dans ce secteur et l’acceptation de la candidature de Paula n’est pas une partie gagnée d’avance.

Heureusement, pendant ses études, elle a suivi les cours de Compléments de mécanique rationnelle que dispense le professeur Lucien ANSPACH (1857-1915). Celui-ci l’a remarquée, bien entendu parce qu’elle était la seule jeune fille de l’auditoire mais également et surtout pour son potentiel. Outre la notoriété qu’il a acquise dans le domaine scientifique, Lucien ANSPACH est le fils d’Eugène Guillaume ANSPACH (1833-1890) qui a été directeur de la Banque nationale ; il est également le neveu de Jules ANSPACH (1829-1879), ancien bourgmestre de Bruxelles, et surtout, il est l’époux de Jeanne Eugénie ORBAN (1859-1911), petite cousine de Claire-Hélène ORBAN (1815-1890), l’épouse de Hubert-Joseph-Walthère FRÈRE-ORBAN (1812-1896), fondateur de la CGER. Aussi, quand le professeur ANSPACH intervient auprès de cette institution pour que la candidature de Paula soit acceptée, il leur est difficile de ne pas tenir compte de son souhait : Paula sera engagée pour une période d’essai de cinq mois. En 1901, elle devient ainsi la première femme à entrer dans le secteur bancaire – et elle restera la seule femme dans ce secteur pendant une vingtaine d’années. Ce secteur avait été jusqu’alors un sanctuaire essentiellement réservé aux hommes.

Paula DOMS © bnp-paribas-fortis

Après cinq mois de stage en actuariat, elle est nommée définitivement. Petit à petit, elle gagne la confiance de ses chefs qui lui reconnaissent des qualités d’ordre, de précision et une bonne connaissance en sciences actuarielles. Cependant, ils ne verraient pas d’un bon œil cette jeune femme gravir les échelons au point d’atteindre un jour une position hiérarchique qui la propulserait à la tête du personnel. Paula est donc « invitée » à déclarer « spontanément » que telle n’est pas son intention.

Si elle effectue le travail d’un actuaire, elle n’en a pas le titre et n’a que le statut d’une simple employée « hors cadre ». Et cela durera pendant 26 ans. En 1927 (Paula a alors 49 ans), son salaire est enfin celui d’un sous-chef de bureau. Pour qu’il soit celui d’un chef de bureau, il aurait fallu que le rapport de son supérieur direct indique « très bon, de premier ordre », mais il a omis « de premier ordre »… par erreur ! (erreur qui ne sera jamais corrigée). Elle restera pendant toute sa vie professionnelle un « agent hors cadre », exerçant les fonctions de chef de service mais sans en porter le titre (et sans en avoir le salaire !) car ce titre était exclusivement attribué aux hommes.

En 1938, Paula a 60 ans et, en tant que femme, elle devrait avoir le droit de partir à la retraite. Mais une bonne actuaire que l’on sous-paie est précieuse, aussi décide-t-on — très exceptionnellement ! — de la considérer comme un membre du personnel masculin : elle partira à 65 ans, c’est-à-dire en 1943.

La femme engagée

Pendant toute sa vie, Paula DOMS est restée très proche de son Alma Mater : elle est membre des Anciens de l’ULB et elle se retrouve régulièrement à la table d’honneur lors du banquet de la Saint-Verhaegen. Elle reste ainsi en contact avec ses anciens professeurs, et plus particulièrement avec Lucien ANSPACH. C’est d’ailleurs par son intermédiaire qu’elle entre en relation avec Georges TOSQUINET (1860-1931) qui, comme ANSPACH, était un membre de la première heure de la loge des Amis philanthropes et, plus tard, ils feront partie de l’atelier 45 de Le Droit Humain, dont TOSQUINET fut Vénérable Maître dès sa création en 1911. Et lorsque cette loge va favoriser la création de la loge mixte en 1928, Paula DOMS y adhérera. Elle y restera jusqu’à sa mort.

En 1906, Georges TOSQUINET avait créé la Société belge pour la propagation de la crémation. Paula DOMS va devenir une ardente partisane de cette idée. Quand, la crémation étant mal perçue en Belgique, TOSQUINET fonde en 1913 une société destinée à faciliter les incinérations à l’étranger — la Société coopérative belge de crémation — Paula DOMS fera partie des membres fondateurs.

Lorsque Georges TOSQUINET meurt en novembre 1930, la crémation n’est toujours pas autorisée en Belgique ; selon son vœu, il sera incinéré à Paris. L’inhumation de ses cendres a eu lieu au cimetière d’Uccle-Calevoet le mercredi 12 novembre.

Jusqu’à ce moment, Paula DOMS était restée silencieuse. Si  elle était membre de Le Droit Humain, elle en était un membre passif. D’ailleurs, quand en 1928, le journal La Dernière Heure publie une enquête sur Les femmes et les carrières libérales, elle écrit : “Je ne puis vous parler de femmes diplômées qui exercent d’autres professions que moi, médecins, avocates, professeurs, etc., elles sont mieux à même que moi d’en parler. Quant à la mienne, elle est d’ordre tout à fait spécial, et comme je suis la seule femme en Belgique exerçant cette profession, on ne peut tirer aucune conclusion générale de la carrière que je me suis faite. Vous raconter les difficultés que j’ai eues au début (il y a 25 ans) et tout ce qui s’en est suivi serait vous faire une autobiographie, et celle-là, je ne tiens absolument pas à ce qu’elle soit publiée dans n’importe quel journal que ce soit.

© belgicana

Mais après la mort de Georges TOSQUINET, Paula va sortir de sa réserve. Au mois de mai 1931, elle reprend le flambeau et prononce un discours qualifié de « chaud » en faveur de la crémation lors d’une réunion de l’Union Rationaliste à Bruxelles, groupement dont elle est commissaire. L’assemblée
ce jour-là était présidée par Louis VAN HOOVELD (1876-1855) ; aux côtés de Paula, se trouvaient — entre autres — Marcel DIEU alias Hem Day (1902-1969), Léo CAMPION (1905-1992) et Louise DE CRAENE-VAN DUUREN (1875-1938).

L’année précédente déjà, lorsque Louise DE CRAENE avait pris la direction du mouvement Porte ouverte, Paula DOMS l’avait assurée de son soutien, en même temps que d’autres membres de Le Droit Humain.

En 1933, Paula fera partie du conseil d’administration de sa loge et, après la Seconde Guerre mondiale, elle se consacre entièrement à en reconstruire l’Obédience ; en 1946, elle deviendra Grand Maître national de la Fédération belge Le Droit Humain.

Paula DOMS s’est éteinte en novembre 1951 à 73 ans. Elle a été incinérée au crématorium d’Uccle.

Emile PEQUET


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