HALLEUX : La seconde révolution industrielle dans le bassin liégeois 1860-1917 (CHiCC, 2002)

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Le concept de révolution industrielle a été créé au moment de la révolution de 1830 par un littérateur qui remarquait un parallèle entre les événements politiques, c’est-à-dire l’indépendance belge et les grands changements que l’on voyait dans l’industrie. On percevait l’aurore de temps nouveaux, comme l’a écrit un poète : “Oui, l’industrie est noble et sainte, son règne est le règne de Dieu.” Une révolution industrielle, c’est un changement de système technique, c’est-à-dire un ensemble constitué par des matériaux et des méthodes de transformation, et des énergies.

Pendant le moyen-âge nous avons vécu sur un matériau qui était le fer produit avec du charbon de bois et l’énergie hydraulique. Au début du 19e siècle, l’énergie hydraulique atteint ses limites et les forêts se déboisent terriblement. C’est à cette époque que s’introduit, à Liège d’abord, un nouveau système technique. Au charbon de bois, on substitue le coke, du charbon de terre que l’on a cuit pour le débarrasser des matières volatiles. Les premières machines à vapeur créées en Angleterre s’introduisent aussi chez nous. Pourquoi à Liège ? Parce qu’il y avait de la houille et du minerai facile à extraire. Mais surtout une conjonction entre, d’une part un savoir-faire traditionnel et, d’autre part, un dynamisme de la bourgeoisie et d’une aristocratie investisseuse.

Le peintre Léonard Defrance affectionne les représentations des usines, des manufactures et des charbonnages. Le commanditaire de ces tableaux se fait représenter dans son usine avec ses ouvriers et souvent avec un vieillard pensif qui personnifie le passé et un petit enfant qui personnifie l’avenir, Jean-Jacques Daniel Dony invente un procédé de fabrication du zinc, son usine sera reprise par Mosselman qui va fonder la Vieille-Montagne. Nous trouvons un certain nombre d’hommes nouveaux qui ne sont pas des techniciens : les Orban qui sont des merciers, les Lamarche qui sont des marchands de tabac et de denrées coloniales, les Michiels, les Dallemagne, les Beer. Tous ces gens débutent en achetant un fourneau ou un charbonnage. Ils essaient de créer une usine intégrée où on commence par les matériaux extraits du sol, et où on va jusqu’à la fabrication des machines. C’est l’origine des sociétés comme la Société de Sclessin, la Société d’Angleur, la Société de Grivegnée, les deux fabriques d’Ougrée qui vont donner Ougrée-Marihaye et la Société d’Espérance. Ce sont des entreprises familiales montées par des hommes de négoce qui s’approprient les nouvelles techniques. Ils font venir des techniciens anglais qui construisent les nouveaux outils. Le haut-fourneau liégeois conçu pour le charbon de bois ne convient plus pour le coke. Mais très vite, les Anglais seront dépassés par les techniciens locaux.

John Cockerill n’a pas fait d’études. C’est essentiellement un ouvrier formé par son père avec un prodigieux génie entreprenant qui commence par construire des machines à filer et à tisser. De là, il découvre l’opportunité des machines à vapeur puis, partant d’un atelier de construction de ces machines, il construit un haut-fourneau, des fours à coke, achète des houillères et des mines de fer. Il inonde l’Europe de ses produits. C’est un vrai génie mais un piètre gestionnaire. Il connaîtra des revers et ainsi mourra d’une manière triste et mystérieuse en Russie en essayant de rétablir ses affaires.

Certes, ces hommes ont un certain savoir. Aujourd’hui, les ingénieurs ont étudié à l’université. À cette époque, ce sont généralement des ouvriers formés sur le tas qui ont suivi des cours de dessin industriel et qui viennent de toute l’Europe. L’Université de Liège a été fondée en 1817 en même temps que l’usine Cockerill et a eu des écoles spéciales des mines et des arts et manufactures. A cette époque les ingénieurs ne vont pas dans l’industrie, ils font carrière dans les grands corps de l’État : ponts et chaussées, corps des mines, et plus tard au chemin de fer. Les industriels se fient plutôt à leur chef fondeur, leur chef puddleur, leur chef mécanicien qui tous ont de l’or dans les mains.

Le paysage est encore très rural. Petit à petit, les usines s’entourent de maisons, de corons. Par cette imbrication entre les zones d’habitats, nos usines vont se trouver à l’étroit et cela va les handicaper par la suite.

Un système technique est condamné à saturer. Vers 1860, le fer ne répond plus à certaines contraintes notamment pour faire des rails. L’acier apparaît alors. De nouvelles énergies apparaissent. L’électricité, la dynamo inventée par Zénobe Gramme, les moteurs à combustion interne : à gaz inventé par Lenoir. Ensuite à essence, puis le moteur diesel. Ces moteurs légers et plus puissants vont s’imposer sur la route puis dans l’air. L’école industrielle de Liège, créée à l’initiative de la Société libre d’Émulation, date de 1826. Quant à l’école industrielle de Seraing, elle est créée à l’initiative du docteur Kuborn et a le souci d’actualiser sans arrêt ses cours pour suivre le progrès scientifique. Désormais, il faudra de plus en plus de science et une nouvelle génération d’ingénieurs, sortis de l’université et de l’Institut Montéfiore. Ils vont entrer dans l’industrie, ils vont se frayer un chemin jusqu’au conseil d’administration et ils vont souvent s’allier aux filles des grandes dynasties industrielles.

Le minerai de fer de notre bassin ne convient plus pour l’acier et celui de la Lorraine prend le relais. Il faut des capitaux importants pour adapter les usines et les premières fusions ont lieu. Les rapports sociaux changent vers 1886 avec la crise et les luttes ouvrières. Entre 1914 et 1918, toutes les industries liégeoises ont été démantelées par l’occupant dans le but de détruire un concurrent commercial. Paradoxalement, ces destructions ont été une chance car avec le dynamisme qui nous caractérisait et qui caractérisait nos industriels, très vite, ils vont rebâtir avec du matériel ultramoderne.

La situation fut différente en 1945 car les besoins étaient énormes et nos usines ont tourné à plein rendement pendant quelques années. Seulement, l’outil n’a pas été modernisé assez vite et est devenu obsolète.

d’après Robert HALLEUX

  • Illustration en tête de l’article : Léonard Defrance, “Intérieur de fonderie” © Walker Art Gallery

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en mai 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

DEPREZ : Quand le feu… (s.d., Artothèque, Lg)

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DEPREZ Jean-Claude, Quand le feu…
(monotype, 64 X 45 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Jean-Claude DEPREZ effectue ses études à l’Institut supérieur des Beaux-arts Saint-Luc à Liège. Dès sa sortie, en 1974, il se lance dans des expositions collectives en Belgique ou à l’étranger, essentiellement des dessins, réalisés dans une veine hyperréaliste. Il est inspiré par la ville, le monde de la nuit, le blues, mais aussi les écrivains de la beat generation, ou la musique rock, Tom Waits, Patti Smith… En 1992, il se lance dans la réalisation de monotypes.

Ce grand monotype en noir et blanc évoque puissamment les aciéries du bassin liégeois. L’assemblage de points de vue dans un style très réaliste rend une certaine idée de la violence de l’activité industrielle. La technique du monotype consiste à encrer une plaque de verre, y poser une feuille, puis une “feuille de réserve”, celle sur laquelle on va dessiner. Chaque trait, fait sur la feuille de réserve, s’imprimera sur la feuille originale, qui constituera l’œuvre. Celle-ci sera donc unique.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Jean-Claude Deprez ; ouvertures.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

PONTHUS : A LA LIGNE – Feuillets d’usine (2019)

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Joseph PONTHUS (1978-2021) avait tiré de son travail d’ouvrier dans une usine agroalimentaire de Bretagne “A la ligne“, un ouvrage en vers libres et sans ponctuation qui a connu un grand succès en 2019. Il est mort à l’âge de 42 ans… L’usine, donc, écrit-il : “Je n’y allais pas pour faire un reportage / Encore moins préparer la révolution / Non / L’usine c’est pour les sous / Un boulot alimentaire / Comme on dit / Parce que mon épouse en a marre de me voir traîner dans le canapé en attente d’une embauche dans mon secteur / Alors c’est / L’agroalimentaire / L’agro / Comme ils disent / Une usine bretonne de production et de transformation et de cuisson et de tout ça de poissons et de crevettes / Je n’y vais pas pour écrire / Mais pour les sous.” [LEMONDE.FR]


ça a débuté comme ça
Moi j’avais rien demandé mais
Quand un chef à ma prise de poste me demande
si j’ai déjà égoutté du tofu
Égoutter du tofu
Je me répète les mots sans trop y croire
Je vais égoutter du tofu cette nuit
Toute la nuit je serai un égoutteur de tofu

Je me dis que je vais vivre une expérience particulière
dans ce monde déjà parallèle qu’est l’usine
de dix-neuf heures jusqu’à quatre heures trente
ce qui en comptant la demi-heure de pause quotidienne me fera un bon neuf heures de boulot

Je commence à travailler
J’égoutte du tofu
Je me répète cette phrase
Comme un mantra
Presque
Comme une formule magique
Sacramentelle
Un mot de passe
Une sorte de résumé de la vanité de l’existence du travail du monde entier de l’usine
Je me marre

J’essaie de chantonner dans ma tête
Y a d’la joie
du bon Trenet pour me motiver
Je pense aux fameux vers de Shakespeare où le monde est une scène dont nous ne sommes que les mauvais acteurs

Je pense que le Tofu c’est dégueulasse et que s’il n’y avait pas de végétariens je ne me collerais pas ce chantier de fou de tofu

Les gestes commencent à devenir machinaux
Cutter
Ouvrir le carton de vingt kilos de tofu
Mettre les sachets de trois kilos environ chaque
sur ma table de travail
Cutter
Ouvrir les sachets
Mettre le tofu à la verticale sur un genre de passoire horizontale en inox d’où tombe le liquide saumâtre
Laisser le tofu s’égoutter un certain temps

Un certain temps
Comme aurait dit Fernand Raynaud pour son fût du canon
J’essaie de me souvenir des sketches de Fernand Raynaud en égouttant du tofu
Je me souviens que ma grand-mère adorait me les montrer à la télé quand j’étais gamin
Je me souviens
je me souviens de Georges Perec
Forcément
J’égoutte du tofu

De temps en temps
Les grands sacs où j’entrepose mes déchets
cartons et sachets plastique
Je les emporte aux poubelles extérieures
C’est bien ça
Aller aux poubelles
ça change un peu

Celui qui n’a jamais égoutté de tofu pendant neuf heures de nuit ne pourra jamais comprendre
Il n’y a aucune gloire à en tirer
Pas de mépris pour les non-ouvriers
Le mépris
Je pense au chef-d’oeuvre de Godard

Les heures passent ne passent pas je suis perdu
Je suis dans un état de demi-sommeil extatique
Mais je ne rêve pas
Je ne cauchemar pas
Je ne m’endors pas
Je travaille

J’égoutte du tofu
Je me répète cette phrase
Comme un mantra
je me dis qu’il faut avoir une sacrée foi dans la paie qui finira bien par tomber
dans l’amour de l’absurde
ou dans la littérature
Pour continuer
Il faut continuer
Égoutter du tofu
De temps à autre
Aller aux poubelles

La pause arrive à une heure dix du matin
Clope Café Clope Un Snickers Clope
Mais c’est l’heure
La pointeuse
C’est reparti

J’égoutte du tofu
Encore trois heures à tirer
Plus que trois heures à tirer
Il faut continuer
J’égoutte du tofu
Je vais continuer
La nuit n’en finit pas
J’égoutte du tofu
La nuit n’en finit plus
J’égoutte du tofu

On gagne des sous
Et l’usine nous bouffera
Et nous bouffe déjà
Mais ça on ne le dit pas
Car à l’usine
C’est comme chez Brel
“Monsieur
On ne dit pas
On ne dit pas”


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DELRUELLE, Gérard (1933-2019)

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“Ingénieur civil spécialisé dans la métallurgie, Gérard DELRUELLE est diplômé de l’Université de Liège en 1957 et commence sa carrière professionnelle au sein de la Société métallurgique de Prayon, société dont son père Jules-Émile et son oncle, André, sont responsables et où son frère aîné, Jacques, est administrateur. Attaché à la direction (1959-1973), il devient rapidement responsable du département Recherche et Développement. En 1972/3, définitivement ébranlée par le premier choc pétrolier, la société est cependant mise en liquidation. Gérard Delruelle devient alors administrateur-délégué de la SA Mechim (1974-1978), et le vice-président de son Comité de Direction de 1979 à 1983. En 1978, il est aussi président du Conseil d’administration de la Sogep, et sera administrateur-délégué de la Sybetra, un ensemblier industriel actif au Moyen Orient et filiale de la Société générale de Belgique.
Parallèlement, il a été séduit par le projet politique d’Omer Vanaudenhove qui transforme le Parti libéral en une formation qui se veut plus ouverte au monde catholique, s’affiche belgicaine et se présente désormais sous le nom de PLP-PVV. Le succès est au rendez-vous en mai 1965, puisque le Parti pour la Liberté et le Progrès double quasiment sa représentation. Parmi les élus de l’arrondissement de Liège, Gérard Delruelle s’ouvre les portes de la Chambre des représentants, sans nécessairement partager tout le projet Vanaudenhove. Membre de la Commission des Finances et de la Commission des Affaires économiques, il contribue à introduire la représentation des cadres dans la loi sur l’organisation de l’économie. Si l’élan libéral est coupé au soir des élections de mars 1968, notamment par l’émergence en Wallonie du Rassemblement wallon, G. Delruelle conserve son mandat de député et se montre particulièrement sensible aux revendications wallonnes. Au sein du Groupe de Travail pour les Problèmes communautaires (dit Groupe des XXVIII) qui se réunit en 1969, Gérard Delruelle apporte son appui, au nom du PLP-PVV, à la proposition de François Perin (président du RW) de confier aux régions un pouvoir normatif de décision dans certaines matières : « Il faut donner du pouvoir et des compétences aux trois régions. […] La Wallonie doit recevoir quelque chose sur le plan économique en échange de l’autonomie culturelle que réclame la Flandre. Donnez aux régions des milliards pour régler leurs problèmes prioritaires ». Ayant reçu des garanties du gouvernement (été et automne 1970), les libéraux wallons – dont G. Delruelle et P. Descamps – apportent leurs voix pour former la majorité nécessaire à l’adoption de la révision de la Constitution (décembre 1970) reconnaissant le principe des trois régions et des trois communautés.
Président de la Commission des Affaires économiques au sein du PLP wallon, G. Delruelle rate sa réélection lors du scrutin de novembre 1971, pâtissant de la montée en puissance du Rassemblement wallon, alors deuxième parti de Wallonie et bien implanté à Liège. En cours de législature, cependant, il est repêché comme sénateur coopté, pendant un très bref moment (8 novembre 1973-30 janvier 1974), de la démission de Henri Maisse jusqu’à la chute du gouvernement sur l’affaire Ibramco. À l’heure du PRLw, dont il est un des membres-fondateurs, il siégera encore une législature à la Chambre des représentants, entre 1977 et 1978. N’étant plus candidat, il reste un proche des libéraux liégeois, de Jean Gol en particulier.
En 1983, Gérard Delruelle est nommé à la présidence de la SA Cockerill-Sambre fonction qu’il exerce jusqu’en 1988. Quand il quitte le groupe, à la demande de Jean Gandois, il emmène avec lui ce qu’il reste de Metalprofil, ex-leader dans le secteur des profilages en acier : cette société s’est transformée en Polypal et était déficitaire durant les années 1980. À la tête du holding Polysoc qu’il préside et qui détient 100% du capital de Polypal Europe SA, G. Delruelle devient le patron d’une société liégeoise, basée aux Hauts-Sarts, mais au rayonnement européen. Spécialisée dans la conception, la fabrication et la vente de rayonnage de stockage industriel, elle est entrée en bourse en 1990, avant d’être l’objet d’une OPA amicale d’un groupe anglais qui achète l’entreprise pour 1,63 milliard de francs en 1992. G. Delruelle reste le patron du holding Polysoc.

Sources :

    • Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse ;
    • Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique (Bruxelles, 1996) ;
    • Philippe DESTATTE, dans Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région (Namur, 2005).”

Paul DELFORGE

Lire la suite de l’article de Paul DELFORGE (Institut Jules Destrée, 2012) sur CONNAITRELAWALLONIE.WALLONIE.BE



Plus de politique, plus de contrat social…

Le HF6 de Seraing a été dynamité ce vendredi (vidéo)

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Dynamitage du HF6 à Seraing (c) RTBF

“Le Haut Fourneau 6, symbole du bassin sidérurgique liégeois, a été dynamité vendredi en milieu d’après-midi sous les yeux des hauts dirigeants d’ArcelorMittal qui, par cet acte hautement symbolique, ont tenu à respecter l’accord global signé en 2014 avec la Région wallonne et les organisations syndicales. Quelque 20 kilos de charge ont été nécessaires pour faire tomber ce géant d’acier culminant à 80 m d’altitude et construit fin des années 50. Sa mise en service remonte à avril 1959 par la compagnie Epérance-Longdoz qui fusionnera 11 ans plus tard avec Cockerill avant de battre sous pavillon ArcelorMittal…”

Voir la vidéo sur RTBF.BE (16 décembre 2016)


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