KAPWANI KIWANGA (née en 1978)

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[LESPRESSESDUREEL.COM] Dans ses travaux, Kapwani Kiwanga (née en 1978 à Hamilton, Ontario, vit et travaille à Paris) met à profit sa formation dans le champ des sciences sociales afin d’élaborer des projets de recherches singuliers dans lesquels elle incarne le rôle d’un chercheur. Sa méthode consiste à créer des systèmes et des protocoles qui agissent comme des filtres au travers desquels elle observe les cultures et leurs capacité de mutation. Ses projets donnent lieu à des installations, des vidéos, des œuvres sonores ou des performances. De manière générale, sa pratique interroge des notions telles que l’afrofuturisme, les luttes anticoloniales et leur mémoire, ainsi que les cultures populaires et vernaculaires.

Kapwani Kiwanga a fait des études d’anthropologie et de religions comparées à l’université McGill (Montréal, Canada). Elle a suivi le programme La Seine à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, puis celui du Fresnoy (Studio national d’art contemporain) à Tourcoing. Elle fut artiste en résidence à la MU Foundation à Eindhoven (Pays-Bas) et à la Box, à Bourges. Kapawni Kiwanga a été nommée Commissioned Artist par The Armory Show, où elle a présenté en parallèle une exposition monographique en 2016. Deux fois nominés aux BAFTA, ses films ont reçu plusieurs récompenses lors de festivals internationaux. Elle est lauréate du prix Marcel Duchamp 2020.

Les œuvres de Kapwani Kiwanga ont déjà été présentées au Centre Pompidou et au Jeu de Paume à Paris, au Glasgow Center of Contemporary Art, au Museum of Modern Art de Dublin, à la Biennale internationale d’art contemporain d’Almeria, à Salt Beyoglu à Istanbul, à la South London Gallery, au Kassel Documentary Film Festival, au Kaleidoscope Arena Rome ou encore à Paris Photo. Kapwani Kiwanga a été sélectionnée pour représenter le Canada à la Biennale de Venise 2024.


“Flowers for Africa” (2020)

[CENTREPOMPIDOU.FR, 13 novembre 2020] Anthropologue de formation avant d’aborder les arts visuels, Kapwani Kiwanga, 42 ans, utilise des méthodes issues de champs disciplinaires variés. Elle inscrit sa démarche dans une pluralité d’histoires pour mieux déconstruire les récits qui sous-tendent la géopolitique contemporaine et les asymétries de pouvoirs. Le projet Flowers for Africa a été initié en 2013 et se poursuit aujourd’hui. En effectuant des recherches iconographiques, l’artiste canadienne s’est concentrée sur la présence des fleurs lors d’événements diplomatiques liés à l’indépendance de pays africains. Disposées sur les tables des négociations, sur les estrades lors d’allocutions, ces compositions florales deviennent des témoignages ambigus de ces moments historiques. Chaque œuvre de la série prend la forme d’un protocole selon lequel l’artiste demande à son détenteur de recréer, pour pouvoir l’exposer, la composition florale de l’image d’archive de référence aussi précisément que possible, tout en intégrant une part inévitable d’interprétation. Vouées à faner tout au long de leur présentation, ces fleurs invitent à une réflexion sur le temps, au-delà de l’idée du monument et de la commémoration, pour s’inscrire dans la tradition des vanités.

Parlez-nous du travail que vous avez présenté pour le prix Marcel Duchamp

Kapwani Kiwanga – C’est un travail qui a commencé en 2013. J’étais au Sénégal en résidence et je cherchais dans leurs archives. Je me suis intéressée à la question des indépendances africaines. Il m’a semblé que la meilleure façon d’aborder cette idée était à travers les arrangements floraux, présents dans les images fixes et les images en mouvement. La plupart des images que je regardais au Sénégal étaient des images fixes. J’ai commencé à me demander comment je pouvais recréer, repenser, réagir à ces moments à travers ce point d’entrée, en tant que témoin de ces événements.

L’idée était d’éviter de faire une déclaration permanente ou une sculpture comme une sorte de monument à un moment passé comme si on essayait de s’y accrocher. Il s’agissait plutôt de le reconnaître et de le laisser s’évanouir dans l’histoire – c’est là qu’est née l’idée des fleurs coupées.

Kapwani Kiwanga

Pour être en accord avec la réalité du passé – que l’on peut revisiter mais qui a disparu – l’idée était d’éviter de faire une déclaration permanente ou une sculpture comme une sorte de monument à un moment passé comme si on essayait de s’y accrocher. Il s’agissait plutôt de le reconnaître et de le laisser s’évanouir dans l’histoire – c’est là qu’est née l’idée des fleurs coupées, pour leur permettre de suivre leur cours et de se dessécher et se flétrir, ce qui est important. Il semble que ce sera le travail de ma carrière, ou plutôt de ma pratique…

Vous avez étudié la littérature, l’anthropologie et la religion comparée à l’université McGill, quelle influence cela a-t-il dans votre travail ?

KK – J’étais inscrite à l’origine en littérature, mais les références ne me parlaient pas. Je cherchais plus de diversité et j’ai trouvé cela en anthropologie. La religion comparée, comme on l’appelait, était pour moi une façon d’étudier la philosophie du point de vue de différents milieux culturels. Cela m’a aussi donné beaucoup de liberté au sein du département des religions – j’ai pu aussi faire beaucoup de projets indépendants. J’ai pu graviter autour de professeurs que je trouvais intéressants et poursuivre des études indépendantes.

Pouvoir sauter d’une discipline à l’autre, d’une idée à l’autre, avec une liberté de curiosité, de ne pas avoir à diviser le monde en disciplines : l’art m’a permis de faire cela.

Kapwani Kiwanga

Ce que j’ai étudié en religion n’a fait que compléter l’anthropologie en termes de visions du monde diverses et variées. Il se trouve que les institutions séparent les sujets et font des divisions taxonomiques, puis à un moment donné, elles décident que ce sera une nouvelle discipline. Mais c’est vraiment la même chose. C’est une exploration. Il y a différentes méthodes. En anthropologie il y avait tant de façons créatives et expérimentales d’écrire l’ethnographie. Elles sont toutes aussi importantes.

Comment êtes-vous devenue artiste ?

KK – C’est une sorte de route – une longue route ! Au cours de ma deuxième année d’université, je me suis dit que je voulais faire du cinéma documentaire. Je suis donc partie en Europe. J’ai plus ou moins appris par moi-même en ayant la chance de recevoir des commandes pour travailler pour la télévision. J’ai fait cela pendant quelques années puis je me suis dit : Pourquoi ne pas essayer l’art contemporain ou visuel – même si je ne savais pas ce que cela signifierait pour moi ? Et c’est là que je suis venue en France et que j’ai suivi deux programmes de troisième cycle différents, où j’ai pu explorer ce que serait la création artistique pour moi. C’est ainsi que tout a commencé.

Je m’intéresse souvent à des structures historiques. Dans le monde dans lequel nous vivons, il y a beaucoup d’asymétries de pouvoir. Je les reconnais, je les vois, nous les observons tous. La question est de savoir comment elles sont apparues…

Kapwani Kiwanga

Je suis désormais à Paris, cette ville que j’aime et que je déteste en même temps… il y a quelque chose d’intéressant dans ce genre de double attraction. Pouvoir sauter d’une discipline à l’autre, d’une idée à l’autre, avec une liberté de curiosité, de ne pas avoir à diviser le monde en disciplines : l’art m’a permis de faire cela.

Comment travaillez-vous ?

KK – Cela change à chaque projet. En ce moment, mon studio est chez moi, je suis donc ici tous les jours. Je n’ai pas de studio au sens très classique du terme, avec un seul matériau que je découpe chaque jour. Je travaille sur tellement de supports différents. Mon studio est plutôt un endroit où l’on assemble des choses, où on les accroche, où l’on voit comment elles fonctionnent ensemble, où l’on fait des recherches. Mais souvent, la production proprement dite se fait en dehors de mon studio et dans les ateliers des autres…

Vous avez déclaré : “Les asymétries de pouvoir sont probablement l’idée qui me pousse le plus dans mon travail”. Expliquez-nous…

KK – Je m’intéresse souvent à des structures historiques. Dans le monde dans lequel nous vivons, il y a beaucoup d’asymétries de pouvoir. Je les reconnais, je les vois, nous les observons tous. La question est de savoir comment elles sont apparues… Dans quel monde sommes-nous ? Où nous trouvons-nous ? Le pouvoir est toujours là. C’est très compliqué de ne pas le voir. Pour moi, du moins. Peut-être que d’autres personnes ne le voient pas. Mais c’est comme ça que je vois le monde. Les rapports de pouvoir sont une structure récurrente et une façon de comprendre nos interactions.

Quelle œuvre d’art vous a le plus marquée ?

KK – On me pose souvent cette question, et je ne sais jamais comment y répondre. C’est très difficile pour moi de dire qu’il y a eu un mouvement, un artiste ou une œuvre qui m’a marquée. Il y a plutôt une masse d’expériences, de lectures et de points de vue. Je commence à les formuler ensemble pour voir les liens. C’est plus un réseau ou des écosystèmes d’idées et de pensées – il n’y en a pas une qui soit centrale.

Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’exposer ici au Centre Pompidou, avec les trois autres artistes nommés ?

KK – Pour moi, c’est vraiment symbolique, parce que j’ai vraiment commencé à faire mon travail d’artiste en France. Faire une exposition au Centre Pompidou, c’est bien sûr toujours agréable. La visibilité est importante, mais pour moi, cela a été une belle année de collégialité, cela ressemblait plus à de la solidarité qu’à de la compétition. J’ai déjà participé à des expositions collectives, pas dans ce contexte particulier. Je veux que mon travail soit vu par les gens, et pas seulement par les gens de l’art. C’est une invitation à parler, à penser, à explorer. J’essaie de créer des espaces ou des œuvres qui invitent à la réflexion. Les gens en tireront ce qu’ils veulent. Je n’ai pas envie d’essayer d’imposer un point de vue à qui que ce soit.

Propos recueillis par Sabine Mirlesse


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, partage, édition et iconographie | sources : lespressesdureel.com ; centrepompidou.fr  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : en-tête, Remediation (2023) © Carey Shaw ; Flowers for Africa (2020) © Bertrand Prévost.


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KENDRICK, Mathieu dit SOWAT (né en 1978)

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[CONNAISSANCEDESARTS.COM, 14 juin 2019] Après des années passées dans les entrailles d’édifices abandonnés, Sowat anime ses toiles d’une nouvelle calligraphie de signes liquides.

Sowat a grandi sous le soleil marseillais et l’azur californien, l’œil gorgé de couleurs. Il couvre de graffitis les voies ferrées de la capitale méditerranéenne et s’émerveille à Los Angeles devant la calligraphie du chollo writing des gangs mexicains. Puis, en 2010, il rencontre Lek, figure majeure du graffiti parisien. Inséparable, le binôme explore les lieux abandonnés, chantiers et autres ruines urbaines pour les couvrir, en secret et la nuit, d’images éclatantes qui épousent la structure des bâtiments comme des peintures rupestres. Le duo fait entrer l’art de la rue dans des friches intérieures insoupçonnées, puis filme ses interventions. Ils séduisent Jean de Loisy, qui leur permet de “s’éclater” clandestinement – l’adrénaline est indispensable – dans les sous-sols du Palais de Tokyo. Ce qui les amène à y réaliser le film Tracés directs avec Jean Villéglé et d’autres artistes du Street Art, et à exposer à la galerie d’agnès b., en 2013.

Deux ans plus tard, ils se retrouvent à la Villa Médicis, dont ils “enturbannent” la loggia avec des bandes de plastique bleu. Mais en se frottant au monde de l’art, Sowat prend goût au travail solitaire de l’atelier. Ses grandes toiles éclaboussent l’œil avec le geste énergique du graffiti. Ses couleurs explosent,  brouillées, les encres sont pulvérisées en mille petites taches hypnotiques. Leur effet répétitif fait songer aux papiers peints, à Mark Tobey, à Pollock et surtout à… Georges Seurat ! Un pointillisme réalisé non à la pointe du pinceau mais à la pointe du bambou. Il est parvenu à unir deux mondes longtemps inconciliables, celui de la rue et celui du musée.

Elisabeth Vedrenne


© Sowat

[LEFEUVREROZE.COM] Sowat est un artiste franco-américain basé à Paris. Sa longue et complice collaboration avec Lek nourrit, depuis toujours, sa démarche personnelle : grands voyageurs, acteurs d’interventions in situ et aux œuvres spectaculaires car inscrites dans l’espace public, ils tirent des itinérances du duo Lek & Sowat une expérience du sensible qui vient enrichir leurs parcours individuels. Après une année à la Villa Médicis (2015-2016), ils reviennent à Paris en résidence à la Cité internationale des arts. C’est dans son atelier sur le site de Montmartre que Sowat a ainsi pu bénéficier de ce temps particulier qu’est celui de la résidence d’artiste, en retrait des regards que l’on croise ou qui vous scrutent dans l’espace public un temps de recherche, de suspens du quotidien, et d’expérimentation, où il approfondit ses essais de calligraphies sur toile et papier.

Dans son atelier, Sowat aborde ainsi plus intimement certains aspects de sa démarche, tout en explorant plus avant le calligraffiti, qui est au cœur de sa pratique picturale. Pour cela, il fait appel à des matériaux généralement considérés comme appartenant à des mondes antinomiques (celui du graffiti et celui des beaux-arts) : Sowat est un passeur et son œuvre comme une passerelle entre ces deux univers.

Ce temps d’atelier, un retrait du monde, aura permis à Sowat d’affiner son geste artistique. Ses œuvres témoignent d’un langage multiforme, qui tient tout d’abord de la citation : la technique du tag chère à Sowat vient servir les formes, volutes, torsions, taches et lignes d’écritures qui s’inspirent directement de diverses esthétiques calligraphiques très repérées dans l’espace urbain : le Cholo writing de Los Angeles (où habite la moitié de la famille de l’artiste), les inscriptions en latin dans la pierre et le marbre des édifices romains, les calligraphies arabes observées au Maroc ou aux Émirats Arabes Unis, le graphisme de l’alphabet hébreu redécouvert lors d’une intervention à Tel Aviv, ou encore les idéogrammes chinois regardés de près lors d’un séjour à Hong Kong. Sowat inscrit d’abord sa pratique d’écriture peinte dans des références globales, pour certaines : référence à la grande histoire millénaire ou la micro-histoire de villes-mondes (comme Los Angeles), tirées de ses nombreux voyages, qu’il va ensuite s’approprier.

​Les toiles de Sowat sont autant de déclinaisons d’un nouvel alphabet formant des phrases qui se transmuent. Son travail est ainsi d’abord une célébration du signe, se traduisant par une effervescence organisée, voulue par l’artiste transformé en alchimiste démiurge, qui se joue de sa propre maîtrise technique : en apposant sur la peinture, et sur son geste artistique, de l’eau et d’autres “fluides” qui vont réagir ensemble et faire évoluer les motifs sur la toile, il laisse ainsi la part des choses naturelles modifier et transformer le phrasé de ses toiles.

La puissance iridescente de ces œuvres nous laisse entrevoir, à distance, des pluies diluviennes, des forêts chamarrées profondes, d’essaims tremblotants, ou, quand on s’approche, des textes et des formes d’écritures, recouverts de parures de camouflages, qui nous permettent de retracer et revenir à l’origine de l’œuvre, au plus près du geste de l’artiste.

Bénédicte Alliot, DG de la Cité internationale des arts


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercialisation et correction par wallonica | sources : Connaissance des arts ; Le Feuvre & Roze | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © artshebdomedias.com ; © Sowat.


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PELZER, Micheline (1950-2014)

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Micheline Pelzer est née à Liège en 1950 et décédée à Paris en 2014.  Fille de Jacques Pelzer, imprégnée de jazz dès son enfance, elle s’essaye très tôt à la batterie, en autodidacte. Ses débuts sont marqués par l’esthétique free. En 1969, elle participe, à Rome, au Big Band monté par Steve Lacy. Elle part ensuite pour les Etats-Unis : elle étudie avec Jack De Johnette et s’intègre au milieu du jazz new- yorkais. Sous le pseudonyme involontaire (erreur d’impression sur la pochette !) de “Michelin Prell”, elle enregistre avec Wayne Shorter l’album Moto Grosso Feio (sur lequel on retrouve des géants comme Chick Corea, John Mc Laughlin, Ron Carter et Dave Holland !).

De retour en Europe, Micheline Pelzer fait partie du groupe Moshi aux côtés de Barney Wilen et de Michel Graillier (1971-1972), puis joue dans l’Open Sky Unit de Jacques Pelzer (avec Steve Houben et le pianiste U.S. Ron Wilson). Depuis lors, elle fait la navette entre Liège et Paris, joue dans le big-band féminin formé par Jacques Helian (musique du film La Banquière), dans le quartette tout aussi féminin de la guitariste française Marie-Ange Martin (Ladies First) (1983-1986) et en trio avec Michel Graillier et Hélène Labarrière (1987).

Jean-Pol SCHROEDER


ISBN 978-2870094686

Cette notice est extraite du Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie publié sous l’égide du Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique en 1991, chez Pierre Mardaga Editeur. Quelques contributeurs : Marianne Klaric (éditeur scientifique), Emile Henceval et Marc Danval (directeurs de publication, rédacteurs en chef) et les auteurs : Michel Derudder, Bernard Legros, Robert Pernet, Robert Sacré, Jean-Pol Schroeder.

L’ouvrage est aujourd’hui quasiment introuvable : Jean-Pol Schroeder nous a gracieusement autorisés à publier dans wallonica.org l’ensemble des notices auxquelles il avait contribué. C’est toujours ça de sauvé !

Pour en lire plus, cliquez ici…


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © amazon.com


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MAUPETIT : Sans titre (2016, Artothèque, Lg)

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MAUPETIT Léa, Sans titre
(impression numérique, 40 x 30 cm, 2016)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Lea-Maupetit
Léa Maupetit © leykamverlag.at

Née en 1991, Léa MAUPETIT est une illustratrice française, vivant et travaillant à Paris. Après avoir obtenu son diplôme en typographie  en 2015, Léa a développé son propre style d’illustration, basé sur le travail des couleurs vives et lumineuses, avec des compositions pleines de vie et d’humour. Ses clients sont issus de différents horizons tels que le textile et le motif (Des Petits Hauts, Smallable), l’identité visuelle (East Village Marcher, Daphnis et Chloe), la presse (The New York Times, L’Instant Parisien, Milk Magazine, Scoop Magazine, Doolittle), les éditeurs de livres (Milan), etc.

(d’après LEAMAUPETIT.FR)

Cette image est tirée d’un ensemble publié par l’éditeur liégeois Ding Dong Paper en 2016. Deux mains enserrent un bouquet de fleurs aux formes exubérantes. Une phrase, “Sorry I’m late”, laisse au spectateur le soin d’imaginer l’histoire qui se cache derrière le bouquet.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Léa Maupetit  ; leykamverlag.at | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

Caché dans un tableau de Picasso pendant un siècle, un surprenant personnage sort de l’ombre

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[CONNAISSANCE DES ARTS, 8 juin 2023] Lors de la restauration du tableau Le Moulin de la Galette de Pablo Picasso, les équipes du Guggenheim Museum de New York ont découvert un petit chien caché sous les couches de peinture. Le célèbre tableau est actuellement présenté au public dans l’exposition “Young Picasso in Paris.

Qui aurait pensé que pendant toutes ces années se cachait là un petit chien ? Cinquante ans après sa mort, Pablo Picasso (1881-1973) continue à nous réserver des surprises. Le 12 mai dernier, à l’occasion de l’ouverture de son exposition “Young Picasso in Paris“, le Guggenheim Museum à New York (États-Unis) a partagé une récente découverte faite sur l’un des tableaux présentés. Lors de la restauration et des analyses scientifiques du Moulin de la Galette (vers 1900), les équipes du musée ont identifié un repentir inédit. Il s’agirait d’un Cavalier King Charles Spaniel au poil auburn portant un nœud rouge, placé sur une chaise, à l’avant-plan de l’œuvre, avant d’être finalement recouvert par l’artiste.

Identifier les pigments pour révéler la version antérieure du tableau

Les restaurateurs du Guggenheum Museum, en collaboration avec les experts du Metropolitan Museum of Art de New York et de la National Gallery of Art de Washington, l’ont mis au jour en retirant la couche de crasse et le vernis jauni qui altéraient la compréhension de l’œuvre. Lors des analyses chimiques, et notamment de la spectrométrie de fluorescence X, qui a permis d’obtenir la cartographie chimique de la peinture, les spécialistes ont pu identifier les pigments utilisés par Picasso et générer une image de ce à quoi ressemblait la version antérieure du tableau avec l’animal caché tout ce temps.

“Nous voyons de plus en plus que cela faisait partie du processus de travail de Picasso”, explique Julie Barten, restauratrice au Guggenheim Museum, au média américain CNN. “Au fur et à mesure qu’il développait une composition, il peignait certains éléments ou les transformait en de nouveaux détails de composition. Et, très souvent, il laissait des aspects des compositions originales sous-jacentes qu’un spectateur qui regarderait de très près pouvait voir.” Aujourd’hui, le canidé n’est pas visible à l’œil nu, on le devine seulement sous une forme sombre indiscernable (un manteau sur une chaise ?).

Le chien reconstitué par les restaurateurs © Propriété de Picasso, 2023
Un chien qui prend un peu trop de place

Pourquoi Picasso a-t-il retiré le petit chien de sa composition ? Si les experts n’ont pas d’explication certaine, une des hypothèses de l’équipe du Guggenheim Museum serait qu’entre les robes, les hauts-de-forme en soie noire et les longs manteaux, l’animal de compagnie aurait volé la vedette aux figures du tableau. “Je ne suis pas sûr qu’un chien, et en particulier un chien de compagnie, ait un sens dans l’atmosphère sombre, malaisante et chargée d’érotisme que Picasso a si brillamment évoquée dans cette image”, décrit Tom Williams, professeur d’histoire de l’art à la Belmont University de Nashville, au New York Times. Quand Picasso débarque à Paris pour l’Exposition universelle de 1900, il n’a que 19 ans. Il découvre et peint alors une ville moderne et sa vie nocturne, dont ce lieu mythique de Montmartre, le bal public du Moulin de la Galette, qui a inspiré de nombreux artistes tels que Pierre-Auguste Renoir, Henri de Toulouse-Lautrec et Vincent van Gogh. Ginguette réputée au début des années 1830, elle est transformée dès 1890 en cabaret fermé. Picasso la représente en capturant un instant de cette société parisienne venue danser et se divertir le temps d’une soirée.

Un symbole du désir ?

Il n’était pas rare de croiser des chiens dans les lieux publics au début du XXe siècle. D’après le musée, le peintre espagnol aurait pu en profiter pour ajouter d’autres niveaux de lecture à son tableau. Ici, le chien symbolise-t-il peut-être la compagnie, le luxe voire le désir ? Toutefois, la lumière étant concentrée à l’avant-plan, l’être à poils long aurait détourné l’attention du spectateur. L’artiste a certainement préféré mettre en avant les figures en mouvement et l’espace de sa composition.

Quoi qu’il en soit, en plus de faire réapparaître toutes les subtilités de la toile, des textiles aux expressions, en passant par la touche du pinceau du jeune Picasso, cette restauration permet d’en découvrir toujours plus sur le processus créatif du maître de l’art moderne.

Agathe HAKOUN


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Propriété de Pablo Picasso


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JACQUEMIN, Frédéric (1965-2021)

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Frédéric Jacquemin est né à Ixelles en 1965. Il fait des études musicales à l’Académie Grétry (Liège) de 1975 à 1981. Il découvre le jazz et participe au Séminaire de Jazz du Conservatoire de Liège de 1982 à 1983 et y suit les cours de Bruno Castellucci. Il commence à se mêler aux jam-sessions. De 1983 à 1985, il suit des cours particuliers avec Georges-Elie Octors. Il accompagne divers artistes de variété (dans ce créneau, il fera partie des formations de chanteurs locaux comme Jacques Hustin ou Alec Mansion, mais aussi de vedettes internationales comme Salvatore Adamo).

Il est engagé dans le Big Band du Jazz Club de Wégimont et s’initie au travail en grande formation. En 1985, il s’inscrit au Conservatoire de Bruxelles. En 1986 il parfait sa formation aux côtés du batteur français André Ceccarelli, joue avec le guitariste Robert Grahame. Son travail personnel est orienté vers la fusion mais aussi vers le jazz “classique”. Il devient le batteur régulier du quartette de Robert Jeanne et joue à l’occasion avec Guy Cabay, Jacques Pelzer, Jacques Pirotton, Steve Houben, Stéphane Martini, Gino Lattucca, etc. Frédéric Jacquemin est un batteur éclectique.

Jean-Pol SCHROEDER


Le batteur belge Frédéric Jacquemin est décédé à l’âge de 56 ans
Frédéric Jacquemin © DR

[RTBF.BE, 7 septembre 2021] Batteur belge vivant à Paris, Fred Jacquemin voit le jour un trois juillet à Bruxelles. Il commence à jouer professionnellement, à la fois comme percussionniste à l’Opéra de Wallonie, et comme batteur dans les bals. Assez rapidement, il gagne sa vie, ce qui lui permet d’acheter et d’écouter de nombreux disques qui constitueront les bases de sa culture musicale.

En 1981, il rencontre le saxophoniste Pierre Vaiana, qui le pousse à s’inscrire au séminaire de jazz de Liège, où il restera quelques années, croisant de nombreux musiciens et/ou professeurs : Bill Frisell, Kermit Driscoll, Bruno Castellucci, Michel Hatzigeorgiou, Jean-Louis Rassinfosse

En 1996, il fait une autre rencontre déterminante, celle du bassiste Thierry Fanfant, qui le présente à Michel Fugain avec qui il part en tournée. Au fil des rencontres professionnelles, il enchaîne les engagements, joue dans des émissions de télé (notamment celles de Nagui), et s’installe finalement à Paris en 1997. Il tourne ensuite avec de nombreux artistes de variété (Bernard Lavilliers, les L5, Pierre Rapsat, Sanseverino…), tout en travaillant avec de grands noms du jazz (Toots Thielemans, Judy Niemack, Lee Konitz, Michel Herr…).

Frédéric était membre du Quatuor Fabrice Alleman, une formation qui a reçu le Prix Nicolas Dor lors du Liège Jazz Festival en 1997 et a sorti le CD “Loop The Loop” sur le label Igloo un an plus tard. Lors du référendum belge sur le jazz organisé par les radios belges RTBF et VRT, cet album a été élu meilleur CD belge de l’année 1998. Un deuxième CD est sorti en 2004, intitulé “Côtés De La Vie“.

Frédéric Jacquemin était considéré comme un batteur talentueux, polyvalent, flexible et créatif.  (d’après RTBF.BE)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | sources : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) ; rtbf.be | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © rtbf.be


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JACOB, Léon (1903- ?)

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Au début des années 20, Léon JACOB joue dans différents cabarets et music-halls liégeois. Excellent lecteur, il reproduit les musiques jazzy imprimées, sans laisser beaucoup de place à l’improvisation. En 1925, il est engagé au Moulin Rouge (à Paris) au sein du Virginian Six (aux côtés, notamment, d’un autre Liégeois exilé, Charles Lovinfosse, du saxophoniste Alfred Hoffman et du sax lorrain Jean Bauer qui lui fait découvrir les disques de Bix Beiderbecke et de Red Nichols). Il joue avec ce même orchestre à Etretat, puis à Bucarest (une des premières formations de jazz à se produire en Roumanie).

En 1926, il quitte les Virginian pour former le Jacob’s Jazz (orchestre presque entièrement composé de musiciens belges Oscar Thisse, Marcel Raskin, etc.) qui, après quelques tournées, deviendra pour un temps l’orchestre régulier de Joséphine Baker ! On le trouve ensuite aux côtés de Loulou Gasté et de José Lamberty avec lequel il revient de temps à autre se produire à Liège où tous deux sont considérés comme de véritables vedettes.

Rentré définitivement en Belgique en 1929, il travaille à l’Exposition de Liège (1930). Pendant les années 30, il se produira encore avec différentes formations de peu d’importance où, jouant sur sa réputation, on continue de le présenter comme une vedette du jazz. En fait, Jacob ne deviendra jamais un soliste de la classe de ceux qui se rencontrent désormais en Belgique à cette époque ; il disparaîtra d’ailleurs de la scène musicale à la fin des années 30.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Le Moulin Rouge dans les années 1920 © mamzelleswing.com


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YANG, Jiechang (né en 1956)

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Diplômé de l’Académie des beaux-arts de Guangzhou et formé auprès des grands maîtres taoïstes, Yang Jiechang manie le pinceau depuis l’âge de 3 ans. Initié à la calligraphie et à la peinture chinoise traditionnelle, l’artiste est invité à se rendre à Paris afin d’y exposer ses œuvres dans l’exposition mythique du Centre Pompidou en 1989, Les Magiciens de la Terre. Cette invitation change le cours de sa vie et il décide de s’installer définitivement en France.

La série d’œuvres exposée, Cent couches d’encre, sera développée par l’artiste jusqu’au début des années 2000. Elle s’identifie par l’emploi en épaisseur de couches successives d’encre traditionnelle, obtenue par distillation de charbon de bois de cyprès, de différentes huiles essentielles, résines et extraits de plantes médicinales ; le traitement précis du papier de riz et des bandes de gaze permet à l’artiste de fixer la matière en épaisseur, par la répétition, et de jouer à la fois du relief et de la brillance sur fond mat. Devenues figuratives, ses peintures récentes sur soie de style Gong-bi maintiennent la technique de l’artiste bien maîtrisée consistant à tenir son minuscule pinceau dans un axe parfaitement vertical au support, afin d’y impulser dans l’instant un trait clair, prononcé et pointu.

“Underground Flowers” ©Ph.Vienne

L’usage de la céramique ou de la sculpture dans l’œuvre Underground Flowers (1989-2009) est une extension calligraphique, sur un nouveau support, de ce que l’artiste ne peut réaliser en peinture. Composée de 2009 os en porcelaine de la Dynastie Ming (1368-1644) présentés dans des caissons en bois, elle incarne une réflexion sur le temps et les bouleversements politiques mondiaux surgis entre 1989 et 2009. Initialement créée pour la Biennale de Lyon, l’installation est exposée en 2015 lors de La Chine Ardente à Mons (Belgique), au Muséum d’Histoire Naturelle (Hors les Murs FIAC 2015) et à la galerie au sein de Quinte-Essence, air – eau – terre – feu – éther  en 2015 (…).

En 2017, l’œuvre Allah, Jesus, Buddha and your Bones est présentée lors de l’exposition Corps et Âmes et Chuchotements de la Terre à la galerie [Jeanne Bucher Jaeger] (…) Afin de célébrer les 30 années de collaboration avec Yang Jiechang, la galerie organise en 2019 l’exposition Dark Writings, en résonance avec la rétrospective majeure intitulée Three Souls and Seven Spirits qui lui est consacrée au Shanghai Minsheng Art Museum.

Invité à la Manufacture de Sèvres, Yang Jiechang a collaboré avec les artisans décorateurs de la Manufacture en utilisant la technique oubliée de la pâte-sur-pâte pour la réalisation de son œuvre Tale of the 11th Day. L’artiste signe une série de onze vases intitulée Tale of the 11th Day ou Conte du 11ème Jour exposée d’octobre à décembre 2021 à la Galerie de Sèvres, Paris, puis présentée au Musée Guimet du 6 juillet au 24 octobre 2022 dans le cadre de la Carte Blanche que le Musée national des arts asiatiques – Guimet consacre à l’artiste.

d’après JEANNEBUCHERJAEGER.COM


“Tale of the 11th day” © Philippe Vienne

Né en 1956 à Foshan en Chine, Yang Jiechang manie le pinceau depuis ses trois ans. Diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Guangzhou et formé par de grands maîtres taoïstes, c’est auprès d’eux qu’il est initié à la calligraphie et à la peinture chinoise traditionnelle, dont il s’inspire énormément dans ses œuvres.

En 1989, Yang Jiechang participe à l’exposition Les Magiciens de la Terre au Centre Pompidou (Paris). C’est un coup de foudre pour la capitale française et l’Europe en général, au point qu’il choisit de s’y installer. Il vit et travaille toujours aujourd’hui entre Paris et Heidelberg en Allemagne. Depuis 1989, l’artiste a participé à des expositions et biennales dans le monde entier, comme la Gwangju Biennale (2002), la Biennale de Venise (2003), la Guangzhou Triennale (2003/2005), La Force de l’Art, première Triennale de Paris (2006), la Liverpool Biennale (2007), la Biennale d’Istanbul (2007), la Biennale de Moscou (2009), le French May (Hong Kong 2001/2015), le Metropolitan Museum (New York, 2013), Carambolages (Grand Palais, Paris, 2016), Art and China after 1989: Theater of the World  (Guggenheim Museum, New York, 2017/2018), The Street (Maxxi, Rome, 2018), Minsheng Art Museum (Shanghai, 2019).

Tale of the 11th Day

Pour sa collaboration avec la Manufacture de Sèvres, Yang Jiechang réinvente une de ses œuvres, déjà intitulée Tale of the 11th Day : une série de tableaux mêlant les techniques de peinture traditionnelle chinoise et sa touche propre.

Cette série de tableaux et la série de vases qui en découlent sont inspirées du Décaméron de Boccace. Ecrit aux alentours de 1350, l’ouvrage rapporte l’histoire de dix jeunes gens, enfermés dans une villa près de Florence, lors d’une épidémie de peste. Ils se racontent chacun leur tour des histoires pendant dix jours, chaque jour étant consacré à une thématique différente.

Dans son Tale of the 11th Day, Yang Jiechang invente un 11jour au Décaméron, où humains et animaux communiquent, jouent et s’accouplent dans des paysages paradisiaques. L’artiste imagine un monde utopique où tout n’est qu’amour et harmonie. Les vases sont décorés grâce à la technique de la pâte-sur-pâte, qui crée de délicats bas-reliefs de porcelaine blanche posés sur des fonds subtils aux couleurs pastel.

La collaboration avec les artisans de la Manufacture

Tout commence avec un dessin de l’artiste confié aux artisans de Sèvres. Le dessin en 2D doit être adapté à la forme curviligne du vase et doit tenir compte du retrait de la pâte de porcelaine subi lors de la cuisson (perte en moyenne de 15 % du volume une fois cuit).

La seconde étape est la confection des vases. Ils sont tournés, puis une couverte de couleur leur est apposée. Spécificité et difficulté de cette technique exigeante, les décors se font sur une pièce crue, la pièce est donc extrêmement fragile et le travail d’autant plus exigeant.

Les dessins de Yang Jiechang sont reproduits sur un poncif, sorte de papier calque que l’artisan perce de tout petits points en suivant les lignes du dessin. Il fait passer à travers le poncif une poudre de charbon pour en reporter les contours.

L’artisan pose ensuite au pinceau, couche par couche, de la pâte de porcelaine liquide, aussi appelée barbotine. Il monte ainsi des bas-reliefs délicats, jouant avec les transparences que permet ce matériau. Entre chaque couche, il faut attendre que la précédente sèche, ce qui en fait une technique longue et laborieuse.

La pièce est dégourdie (première cuisson à 980°) puis l’artisan reprend les contours de ses motifs à l’aide d’un bâtonnet de buis. La pièce part à l’atelier d’émaillage puis au four pour une cuisson finale au grand feu à 1280°.

d’après SEVRESCITECERAMIQUE.FR


BARONIAN : Maigret, un héros très variable

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[LE CARNET & LES INSTANTS, n°212, été 2022] Mis en scène par Georges SIMENON dans septante-six romans et vingt-six nouvelles publiés de 1931 à 1972, le commissaire Maigret est, fort probablement, le héros le moins figé de toute la littérature policière, ne serait-ce que par rapport à ses plus illustres concurrents, Sherlock Holmes et Hercule Poirot.

Et d’abord, d’une histoire à l’autre, il n’a pas toujours le même âge : il a tantôt vingt-six ans (l’âge de ses débuts à la PJ), tantôt quarante-cinq, tantôt encore plus de soixante, et il lui arrive de s’occuper d’une affaire criminelle alors qu’il est déjà à la retraite ou ne dispose d’aucun pouvoir légal pour mener une enquête en bonne et due forme, que ce soit à Paris, en province et à l’étranger (jusqu’aux États-Unis). Surtout, son attitude, ses humeurs et sa psychologie varient à des degrés divers, selon l’époque à laquelle Simenon a écrit son roman ou sa nouvelle.

Dans la plupart des dix-neuf premiers romans édités par Fayard de 1931 à 1934, puis dans les six suivants chez Gallimard de 1942 à 1944, on voit ainsi Maigret beaucoup s’agiter, aller et venir sans répit de gauche à droite et de droite à gauche comme dans La nuit du carrefour (1931), râler tant et plus comme dans Signé Picpus (1944), être un emmerdeur, un casse-pieds et un type collant comme dans L’inspecteur Cadavre (1944). Et même, carrément, maltraiter un suspect comme au dernier chapitre de La maison du juge (1942), où, sortant de ses gonds, furieux, exaspéré, il hurle “Ta gueule !” à un brave et inoffensif boucholeur de L’Aiguillon-sur-Mer, qu’il est en train de passer sur le gril.

Dans La danseuse du Gai-Moulin (1931), qui se déroule à Liège, Simenon prête à Maigret des méthodes de déduction à la Sherlock Holmes, et dans Un crime en Hollande (1931), il n’hésite pas à l’assimiler à Hercule Poirot. Dès le début de ce roman, en effet, Maigret établit la liste de sept personnes, toutes susceptibles d’avoir pu assassiner un professeur de l’école navale d’une petite ville portuaire, Delfzijl, au nord-est de la Frise (c’est là que Simenon a écrit Pietr-le-Letton, la première enquête de Maigret), et étudie en détail leur emploi du temps, à la minute près, les déplacements qu’ils ont effectués la nuit du crime, au mètre près. Jusqu’à procéder à une reconstitution minutieuse des faits et, par là, à éliminer objectivement les suspects, avant de démasquer le coupable. Sa placidité et sa patience légendaires sont, en revanche, mises à rude épreuve dans des romans, dont les titres sont révélateurs tels que Maigret se fâche (1947), Maigret a peur (1953) ou encore La colère de Maigret (1963).

© Jacques de Loustal

Ce qui frappe aussi, c’est que Simenon suit l’évolution de son héros non seulement à travers les années qui passent, mais en outre à travers les modes de vie quotidiens de la société française, de 1931 à 1972, l’année de Maigret et M. Charles, l’ultime enquête du commissaire. Quelques exemples parmi des dizaines d’autres : le bureau qu’occupe Maigret au Quai des Orfèvres possède un gros poêle à charbon dans les premières aventures, mais un chauffage central dans les dernières. Où, on ne s’en étonnera pas, Maigret a troqué son vieux chapeau melon, qu’il aimait porter renversé sur la nuque, contre un chapeau feutre, et son large et pesant pardessus noir au col de velours contre une modeste gabardine… Et dans Liberty Bar (1932), après être descendu du train à la gare d’Antibes, son faux-col lui serrant le cou, il prend place à bord d’un “fiacre surmonté d’un taud en toile crème, avec de petits glands qui sautillaient tout autour“, tiré par cheval hennissant, dont on entend “le bruir mou des sabots sur le bitume amolli” ! Il y est notamment question de phonographe, de TSF, de Rudolf Valentino, de gentiane…

Les dernières aventures ont toutes pour cadre l’époque à laquelle Simenon  les a écrites. En témoigne en particulier Maigret et le fantôme, qui a paru en 1964 et où, par contraste, il est cette fois question de réveil pourvu de “chiffres phosphorescents” indiquant les heures et les minutes, de télévision et de soirées que des couples passent devant leur téléviseur, de tourne-disque, de scooter, de cafetière électrique, de cuisine “ressemblant davantage aux cuisines modèles des expositions qu’à celles qu’on trouve d’habitude dans les vieilles maisons de Paris“, du métier d’esthéticienne, lequel ne s’est réellement développé qu’après la Seconde Guerre mondiale…

Sans oublier qu’on dispose “maintenant d’un spécialiste de la balistique dans les laboratoires de la PJ, sous les combles du Palais de Justice“. Sans oublier non plus que Maigret, qui a alors vingt-huit ans de carrière, est secondé par une cohorte d’inspecteurs et d’adjoints, alors qu’ils n’étaient que quelques-uns autour de lui, au cours de ses premières enquêtes.

Ce sont le cinéma et la télévision, ce sont Jean Gabin, Jean Richard, Michael Gambon, Bruno Cremer et Rowan Atkinson, qui ont figé, presque pétrifié, le personnage de Maigret, lui ont conféré une image immuable. Ce n’est pas Simenon.

Jean-Baptiste Baronian


EAN 9782363712981

“En 1987, Jean-Baptiste BARONIAN est un des cofondateurs de l’association internationale Les Amis de Georges Simenon, dont il est nommé président et qui édite, entre autres, les Cahiers Simenon. Par la suite, il publie de très nombreux articles sur le romancier liégeois et lui consacre six livres : Simenon, l’homme à romans (2002), Simenon ou le roman gris (2002), Portrait du romancier au dictaphone (2011), Le Paris de Simenon (2016), Simenon romancier absolu (2019) et Maigret docteur ès crimes (2019)…”

La biographie complète de Jean-Baptiste Baronian (né en 1942) est disponible sur le site de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique dont il est “Membre belge littéraire”…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage et iconographie | sources : Le carnet & les instants | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : entête de Jacques de Loustal © loustal.com | Le carnet et les instants fait partie des magazines préférés pour notre revue de presse.


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BARONTINI, Raphaël (né en 1984)

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Raphaël BARONTINI (né en 1984, en France, vit et travaille à Saint-Denis, France) déploie un travail pictural singulier et audacieux passant d’une pratique classique sur toile à des pièces textiles et en volume de grandes échelles pouvant être performatives. Il questionne le portrait et les symboliques de représentations dans une esthétique du collage mêlant photographie, impressions sérigraphiques et impressions numériques. Ses œuvres prennent la forme de drapeaux, bannières, tentures, tapisseries ou encore de costumes d’apparat telles des capes. Ses grandes scénographies et ses performances permettent d’appréhender les différents visages de sa production.

Le médium de la peinture, permet à l’artiste d’interroger les codes de l’histoire de l’art classique, tout en développant un langage et des techniques contemporaines riches et colorées.

Les sujets, les motifs et les documents d’archives qu’il utilise attirent l’attention sur des questions rhétoriques et post-coloniales. Il confronte celles-ci aux récits historiques qui dominent encore aujourd’hui l’Histoire de cultures ou de territoires ayant vécu l’esclavage ou la colonisation.L’artiste propose d’autres narrations que celles communément diffusées et recrée une “contre-histoire” empreinte parfois de fantaisie. Il a choisi de dépeindre et mettre en scène des héros, réels ou imaginaires, d’Afrique des Caraïbes. Raphaël Barontini, est influencé par les processus de créolisation et les philosophies de penseurs antillais comme Edouard Glissant.

Ses pensées sur la rencontre et la transformation des imaginaires et des cultures comme source d’inattendu et de création viennent soutenir de façon directe sa matrice artistique.

Les œuvres de Raphaël Barontini ont été exposées dans des institutions du monde entier, notamment le SCAD Museum of Art (Savannah, E-U), le MAC VAL (Vitry-sur-Seine, France), le MO.CO (Montpellier, France), le Museum of African Diaspora (San Francisco, E-U), le New Art Exchange Museum (Nottingham, E-U). Il a également participé aux biennales internationales de Bamako, Mali, de Casablanca, Maroc, de Lima, Pérou, et de Thessalonique, Grèce. En 2020, il a été choisis par LVMH Métiers d’Art pour accomplir une résidence à Singapour. [d’après MARIANEIBRAHIM.COM]
 

© Raphaël Barontini

Sa peinture convoque des motifs aussi différents que le dieu crocodile Sobek surgissant du Nil, les cow-boys américains, les rites vaudou caribéens et les héros chevaleresques du Moyen Âge européen. Raphaël Barontini peint, ainsi, à la manière d’un apprenti sorcier culturel puisant à toutes les mythologies. Le syncrétisme revendiqué de sa peinture, hétéroclite et anachronique dans son iconographie, chatoyante et baroque dans son esthétique, forme ainsi un univers “avale-tout“. Le jeune artiste français originaire d’Italie et de la Guadeloupe se réfère volontiers au concept de “créolisation” de l’écrivain Édouard Glissant. La mise en contact de plusieurs cultures en un endroit du monde – la peinture pour Barontini – envisagée comme une porte ouverte sur des mondes nouveaux, infinis, imprévisibles, dépassant le simple métissage ou la seule synthèse. L’expansion, il en est aussi question dans la forme. Dès sa sortie des Beaux-Arts de Paris en 2009, Barontini délaisse la toile classique pour peindre sur drapeaux, bannières ou vêtements portables. La peinture s’offre la troisième dimension : elle se porte, elle se meut lors de performances, elle contamine tout.

Cette peinture expansive et exubérante dévoile ses dernières prises au Studio des Acacias by Mazarine en juillet [2021]. À l’invitation de LVMH Métiers d’Art, Raphaël Barontini a passé plusieurs mois à Singapour dans la tannerie Heng Long, spécialisée dans le tannage des peaux de crocodile. L’ensemble des œuvres réalisées à l’occasion de cette résidence artistique est exposé dans l’espace du XVIIe arrondissement par le fonds de dotation Reiffers Art Initiatives avec le soutien de la galerie Mariane Ibrahim. “Ma première réflexion fut relative aux symboliques et aux imaginaires que pouvait véhiculer ou convoquer l’usage d’une peau de crocodile”, explique l’artiste dans l’ouvrage consacré à ce nouveau travail. “J’ai entrepris une vaste recherche d’images, de documents, d’œuvres, d’objets… à travers différentes cultures et époques.” Une œuvre monumentale de plus de quatre mètres donne consistance au dieu égyptien Sobek orné habituellement d’or et de pierres. L’immense peau de Sobek se transforme en bijou colossal rappelant les bleus, ors et turquoises et la tradition des barques funéraires de l’ancienne Égypte : le cuir du crocodile, dans ses reflets, s’approche des minéraux comme les turquoises et les lapis-lazuli. Divinité du Nil, de l’eau et de la fertilité, le saurien donne son nom à l’exposition : Soukhos est, en grec, la traduction de “crocodile“.

La créolisation est en marche dès ce nom-titre : liquide, il coule d’un pays à l’autre pour revêtir d’autres formes et significations. Le crocodile se transformera, en Europe, en dragon. Et le Saint Georges luttant avec le dragon de Raphaël, en inspiration assumée de Raphaël Barontini. Sur les tuniques de cuir fendues, les capes à collerette, les chaps, jambières et grands drapeaux déployés sous nos yeux cohabitent à égalité des figures noires héroïques, des statuettes nigérianes et des chasseurs de dragons sérigraphiés. Cultures populaires, photographies ethnographiques, arts décoratifs, héros mythiques et “grande peinture” s’hybrident, dans une volonté déclarée de ne jamais hiérarchiser ni séparer. Barontini affirme ce principe jusque dans ses pratiques, entremêlant peinture au pinceau et à l’aérographe – culture classique et graffiti, techniques manuelles, mécaniques et numériques. J’ai développé un véritable intérêt pour la peinture de cour, sa théâtralité et la question du costume, de l’apparat : capes royales et accessoires sacrés, confie l’artiste. Et j’adore tout autant des peintres parfois taxés de kitsch comme Peter Saul, ses couleurs pop, saturées et acides. J’éprouve un grand plaisir dans l’usage des couleurs. Et je revendique une très grande liberté dans l’utilisation des choses : une peinture classique comme un objet rituel d’Afrique de l’Ouest. Je déconstruis ainsi le récit dominant pour imaginer le mien, pluriel, hybride. J’offre aussi un espace à d’autres récits originaires d’Afrique, des Caraïbes, d’Asie… et d’autres types de représentations des sociétés qui ont subi l’esclavage et la colonisation.”

“Je déconstruis le récit dominant pour imaginer le mien, pluriel, hybride. J’offre aussi un espace à d’autres récits originaires d’Afrique, des Caraïbes, d’Asie… et d’autres types de représentations des sociétés qui ont subi l’esclavage et la colonisation.”

Le désordre et la disharmonie à l’œuvre trouvent naturellement un écho dans l’idée du carnaval, moment partagé par toutes les aires culturelles où les codes de genre, sociaux, raciaux sont inversés et bousculés. Cette libération des corps, déroutante et cathartique, offre à l’artiste une panoplie de masques, de costumes et de parures réinterprétés dans un style afro-futuriste. La relation avec le mouvement est purement esthétique. Si Barontini questionne, lui aussi, l’art et les changements sociaux, il ne le fait qu’à la marge, à travers à la science-fiction et la technologie. Si l’afro-futurisme, à la manière du comics Black Panther, pouvait parfois jouer au jeu du “What if…” (et si la colonisation n’avait pas eu lieu, et si l’esclavage n’avait pas existé en Afrique, que seraient devenues ces cultures ?) Barontini, au contraire, ne fuit jamais la réalité de la colonisation et de l’esclavage. Il tente simplement d’en imaginer une échappatoire au travers de mondes réconciliés et d’une utopie colorée. [d’après NUMERO.COM]


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Raphaël Barontini ; Evan Jenkins & Mariane Ibrahim Gallery


Plus d’arts visuels…

 

GALLIENNE, Alicia (1970-1990)

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“J’écris pour être lue” : trente ans après sa mort, la poétesse Alicia GALLIENNE enfin exaucée. Les poèmes intenses de la jeune femme, disparue à 20 ans, sont rassemblés dans “L’autre moitié du songe m’appartient“.

C’est une tombe toute blanche au cimetière du Montparnasse, non loin du cénotaphe de Baudelaire. Une alcôve de verdure grimpante, avec une grande croix sculptée et un quatrain gravé dans la pierre. (…) Mon âme saura s’évader et se rendre (…).

Morte à 20 ans d’une maladie du sang, Alicia Maria Claudia Gallienne a écrit des centaines de poèmes entre 1986 et 1990. Qu’importe ce que je laisserai derrière moi, pourvu que la matière se souvienne de moi, pourvu que les mots qui m’habitent soient écrits quelque part et qu’ils me survivent”, écrivait-elle à Sotogrande, dans la propriété de sa famille maternelle en Espagne.

Les quatre lignes inscrites sur sa tombe, déjà érodées par le temps, sont longtemps restées la seule trace visible de son œuvre. Quelques années encore et les mots se fondront dans le grain de la pierre. Envolés, comme la dernière image d’Alicia dans son cercueil, le visage serti dans la mantille blanche des mariées sévillanes.

Peu après sa mort, afin de ne pas la laisser seule dans la sépulture de Montparnasse, sa mère, Silvita, avait fait rapatrier d’Andalousie la dépouille d’un grand-oncle d’Espagne, un comte de Castilleja de Guzmán, trépassé en 1970, année de la naissance d’Alicia. [d’après LEMONDE.FR]


Le plus grand bonheur de Guillaume Gallienne est l’édition posthume des poèmes de sa cousine Alicia, décédée à 20 ans d’une maladie du sang  rare et incurable. Le comédien révèle au grand jour une aventure humaine forte, au delà de la mort.
La poésie est-elle, selon vous, un moyen de transcender la mort ?
C’est l’un des grands sujets de nombreux poètes. Pour ma cousine, écrire des poèmes était sa manière de chanter la vie. En la lisant après sa mort, je me dis qu’elle savait ce qu’il allait lui arriver. Mais de son vivant, j’ai eu l’occasion de la lire et à aucun moment je n’ai pensé qu’elle se sentait condamnée.
Ce recueil de poèmes peut-il être considéré comme le journal de bord d’une jeune femme malade sachant que sa vie sera courte ?
Pas vraiment. Elle n’a pas eu l’intention de poétiser une autobiographie. C’est un besoin de poésie pure avec diverses inspirations, très personnelles. C’était son monde. Elle vivait dans les livres, elle ne pouvait s’empêcher d’écrire, surtout la nuit, malgré la fatigue Elle n’en n’avait, presque, pas le choix.
Écrire, est-ce s’inscrire dans une forme d’immortalité ?
Totalement. Ma cousine le dit clairement : “Pourvu que mes mots me survivent”.
Malgré la gravité de sa maladie, elle ne se plaint jamais. C’était une battante… jusqu’au bout !
Il n’y a chez elle aucun apitoiement. Cela se ressent dans son écriture. Alicia, elle était très forte, le contraire de la résignation. Pour elle, le courage est une vraie forme d’intelligence.
Quand Jean-Marie Le Clézio explique que son ouvrage est merveilleux, avez-vous l’impression que votre cousine est entrée au panthéon des écrivains ?
C’est vrai que les propos d’un prix Nobel de littérature m’ont profondément touché, tout comme d’autres témoignages provenant notamment de Leila Slimani, des inconnus sur les réseaux sociaux. Je salue le travail de l’écrivaine Sophie Nauleau qui a réuni les poèmes de ma cousine, elle en a édité une grande partie. Ce n’est pas juste quelques poèmes mais cela s’inscrit comme une oeuvre. J’espère qu’ils seront un jour proposés à des lycéens.
Grâce à votre cousine, on redécouvre un genre méconnu, mal aimé même
L’autre jour, une amie me disait que la poésie la laissait de marbre. En lisant l’ouvragé de ma cousine, elle a été bouleversée, ajoutant même : “Là, je comprends tout”. C’est à la fois très bien écrit, avec des mots assez simples. Il n’y a pas de références mythologiques. Pas besoin d’être érudit pour comprendre la poésie d’Alicia.
Mais alors, pourquoi avoir attendu 30 ans après sa mort pour sortir son oeuvre ?
Car cela ne m’appartenait pas, c’était la propriété de ma tante. De plus, à la disparition d’Alicia, des gens nous avaient découragés de les publier. On en était resté là jusqu’à ce que mon oncle, ayant perdu 2 enfants sur 3 suite à une maladie de sang, est décédé. On est alors arrivé à la fin d’un cycle pour ouvrir tous les cartons… [lire la suite de l’interview sur LAMONTAGNE.FR]

Encore davantage (mardi 19 mai 1987)
À  mon père

Le jour de la belle étoile,
Et la nuit du grand soleil,
Dans le désert des paroles à peine prononcées,
Les yeux qui traversent le sommeil
Ont leur générosité.
Mais, les tiens sont encore plus purs
Que des jours ou des nuits.
Tes yeux ouverts,
Je les aime plus et davantage
Qu’il n’y paraîtra jamais…
Ils savent soulager sans dire,
Et dire sans se refermer.
Dans le secret des étoiles et les nuits pleines de lunes,
Dans le réconfort de la sagesse et les lunes habitées,
Il n’est pas pour moi de meilleurs refuges
Que tes yeux où toujours je me retrouve,
Sans jamais rien avoir à demander.
Et, quand tout a été donné,
J’aime dans tes yeux
Trouver encore davantage,
Car tes yeux seuls sont inépuisables à m’aimer,
Sous le ciel de l’été,
Ou les jardins de l’orage.

  • Illustration en tête de l’article : Alicia Gallienne © famille Gallienne

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © famille Gallienne


Plus de littérature…

LEGNINI, Eric (né en 1970)

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Eric Legnini est né en Belgique, le 20 février 1970, à Huy, près de Liège, dans une famille d’émigrés italiens. Un père guitariste amateur, une mère cantatrice, professeur de chant au Conservatoire municipal : le petit Eric est au piano dès l’âge de six ans et passe son enfance entre Bach et Puccini — l’architecture musicale portée à son plus haut degré d’abstraction incandescente et l’âme mise à nu dans la voix humaine transfigurée par le chant… Il lui faudra attendre le début des années 80 et la découverte d’un disque d’Erroll Garner pour entr’apercevoir d’autres horizons musicaux, notamment dans l’art du clavier…

Doué d’une excellente oreille, il réinvente au piano ces harmonies étranges saisies au vol et très vite se laisse prendre aux sortilèges du jazz — Eric a trouvé là son langage. Débute alors une intense période d’apprentissage. Avec la complicité d’un camarade de conservatoire, le batteur Stéphane Galland, puis bientôt de Fabrizio Cassol (deux musiciens qui bien des années plus tard seront à l’origine du groupe expérimental Aka Moon) Eric Legnini, embrassant dans une même soif de découverte toute l’histoire du jazz moderne et traditionnel, se fait rapidement son petit panthéon personnel : McCoy Tyner pour l’intensité dramatique, Chick Corea pour la lisibilité et la technique infaillible, et Keith Jarrett pour ses conceptions révolutionnaires en matière de relecture des standards. Toujours en compagnie de Stéphane Galland, il monte ses premiers groupes de jazz et de fusion, et dés le milieu des années 80 écume tous les clubs de la scène belge en quête de jam sessions où s’aguerrir, tous genres confondus…

C’est là qu’il rencontre, en 1987, l’une des grandes figures du jazz belge et européen, le saxophoniste Jacques Pelzer qui l’invite à jouer avec lui en duo puis à rejoindre sa formation. Une étape décisive et fondatrice qui oblige le jeune pianiste à approfondir sa connaissance du répertoire des standards et le propulse d’un coup au rang des sidemen les plus prometteurs de la jeune scène belge. Il enregistre alors son premier disque en leader pour le label Igloo, “Essentiels” et décide dans la foulée de partir étudier aux Etats-Unis.

On est en 1988, Eric a à peine 18 ans. Il restera deux ans à New York — le temps de prendre le pouls très funky de la mégapole (c’est l’avènement du rap de Public Enemy et Ice-T — l’autre grande passion de Legnini), de grappiller quelques cours à la Long Island University auprès de Richie Beirach, mais surtout de “faire le métier”, sur le tas, en participant chaque soir à des jam sessions homériques en compagnie de la fine fleur du jeune jazz de l’époque (Vincent Herring, Branford Marsalis, Kenny Garrett…). Très impressionné par le style précis et volubile de Kenny Kirkland, Legnini comprend par son truchement l’importance décisive d’Herbie Hancock dans l’histoire du piano jazz, et dès cet instant oriente de façon radicale son jeu dans le sens de ce free hard bop moderniste propre à l’esthétique Blue Note des années 60.

C’est sous la double influence de Kirkland et d’Hancock qu’Eric Legnini fait son retour en Belgique en 1990. Aussitôt nommé professeur de piano dans la section jazz du Conservatoire Royal de Bruxelles, il retrouve Jacques Pelzer avec qui il enregistre pour Igloo un nouveau disque, “Never Let Me Go”, et dans la foulée intègre l’orchestre de Toots Thielemans, accumulant à ses côtés, pendant presque deux ans, concerts et tournées dans le monde entier. Multipliant les projets tous azimuts (il commence dès cette période à travailler énormément en studio pour des séances de funk, de rap et de musiques électronique…), pilier incontournable désormais de la scène jazz belge, Eric Legnini voit sa vie basculer en 1992 lorsqu’il rencontre dans un club bruxellois, deux musiciens italiens, membres alors de l’ONJ de Laurent Cugny, le trompettiste Flavio Boltro et le saxophoniste Stefano Di Battista. L’entente est immédiate entre les trois hommes qui décident illico de travailler ensemble. Pourquoi ne pas monter un groupe et aller tenter sa chance à Paris ?

Fin 1993, c’est le grand saut. Di Battista et son orchestre partent à la conquête de la Capitale. Un répertoire séduisant, résolument hard bop ; une fougue, un talent et une joie de jouer particulièrement communicatifs : il ne leur faut que quelques mois pour enflammer les esprits et gagner leur pari. Aldo Romano les remarque, les prend sous son aile : le succès est fulgurant. Un premier disque “Volare” en 1997 pour Label Bleu, unanimement salué par la critique, finit d’établir ce tout jeune quintet comme “le nouveau groupe dont on parle”

C’est un nouveau départ pour Eric Legnini. Pianiste indispensable à l’équilibre du quintet (il demeurera jusqu’à l’album “Round About Roma”, paru en 2003, le fidèle compagnon du saxophoniste italien), Legnini voit rapidement sa réputation grandir auprès des autres musiciens.

Sollicité de toute part il débute des collaborations de longue haleine avec les frères Belmondo, Eric Lelann (“Today I Fell In Love”) ou encore Paco Sery (“Voyages”). Très souvent associé au batteur André Ceccarelli, il devient par ailleurs l’un des sidemen les plus recherché de la place de Paris, accompagnant un grand nombre de musiciens tels que: Joe Lovano, Mark Turner, Serge Reggiani, Aldo Romano, Enrico Rava, Philippe Catherine, Didier Lockwood, Henri Salvador, Christophe, Dj Cam, Sanseverino, John McLaughlin, Yvan Lins, Mike Stern, Bunky Green, Zigaboo Modeliste, Yusef Lateef, Raphaël Sadiq, Manu Katché, Pino Palladino, Eric Harland, Kyle Eastwood, Joss Stone, Natalie Merchant, Raoul Midon, Kurt Elling, Vince Mendoza, Michaël Brecker, Dianne Reeves, Milton Nascimento, etc. Eric Legnini ne négligera pas les sessions de studio non plus, en accumulant les enregistrements, pas loin d’une centaine à ce jour !

Apprécié en studio pour sa musicalité et son savoir-faire, Legnini commence également dès cette époque à travailler comme directeur artistique sur un certain nombre de disques de variété — activité qui trouvera son apothéose en 2004 avec non seulement la co-réalisation de l’ultime opus du grand Claude Nougaro, “La note bleue” (Blue Note), mais la production sous le pseudonyme de Moogoo au sein du collectif Anakroniq, du premier disque de la jeune révélation r’n’b “made in  France”, Kayna Samet, “Entre deux Je” (Barclay), travail très raffiné concrétisant à la fois son amour des voix et de la musique noire (soul, hip hop).

Très remarqué pour sa participation active au disque “Wonderland” (B Flat) des frères Belmondo (primé “meilleur album jazz français” aux Victoires de la musique 2005), ainsi que pour son travail de réalisation sur le disque de Daniel Mille “Après la pluie” (Universal Jazz), Eric Legnini est aujourd’hui non seulement l’une des valeurs sûres du jazz européen, mais l’un des artistes les plus actif, productif et éclectique du petit monde musical parisien.

A 35 ans, Legnini, en pleine maturité stylistique, décide enfin de sortir de l’ombre et signe, avec “Miss Soul”, son premier disque en leader sur un label français. L’occasion de révéler au plus grand nombre un univers musical personnel riche, séduisant et parfaitement original dans sa façon de multiplier les connexions entre tradition et modernité, art savant et expression populaire. L’occasion de (re)découvrir un grand musicien.

C’est riche de toute son expérience de sideman et de producteur que Legnini fait retour à l’épure toute classique du trio en compagnie du contrebassiste Rosario Bonaccorso et du batteur Franck Agulhon. A partir d’un répertoire choisi, mêlant habilement compositions originales, standards (plus ou moins célèbres !) et chanson pop re-songée (Björk), Legnini plonge résolument au plus intime d’une tradition proprement afro-américaine du piano jazz portée à son plus haut degré de perfection par des musiciens comme Junior Mance, Ray Bryant, Les McCann ou encore Phineas Newborn auquel ce disque rend continuellement hommage. Une musique directe, chaleureuse, gorgée de swing et de gospel, qui sans passéisme ni nostalgie, célèbre la modernité intemporelle du jazz.

Eric Legnini ©Olivier Lestoquoit

En 2008, il achève avec Trippin’, le dernier volet du triptyque (Miss Soul, Big Boogaloo) qui l’impose comme l’un des maîtres de l’art du trio à la française, où sa science des standards se double d’une connaissance des classiques soul. Puis ce sera The Vox (2011), un disque qui redit jusque dans son titre son désir de lendemains enchantés (il invite la chanteuse Krystle Warren). “Avec la voix, tout devient plus clair, plus lisible. Au premier degré.”, confiait- il alors… Eric Legnini se verra décerner pour cet album une victoire du Jazz. En 2013, il signe l’album Sing Twice! : Tout est dit dans le titre. Ce jeu de mot raisonne fort à propos sur la carrière d’Eric Legnini. Chante à deux fois, donc ! Cela fait doublement sens chez celui qui, depuis Miss Soul en 2005, a pris sept ans de réflexions avant d’en arriver là. Entendez un album qui flirte bien souvent avec la pop. Tout son parcours plaide pour l’ubiquité du quadragénaire, qui s’est fait la main auprès des plus fameux improvisateurs de sa Belgique natale.

Sing Twice ! est nominé aux Victoires du Jazz la même année. Dix doigts majeurs – trente si l’on ajoute le batteur Franck Agulhon et le contrebassiste Thomas Bramerie – et trois voix majuscules, voilà la formule alchimique (relevée ça et là d’une section de cuivres, d’une guitare funky, de quelques percussions de l’Afro Jazz Beat) qui le compose. Les voix c’est d’abord celle d’Hugh Coltman, croisé lors de l’émission “One Shot Not” sur Arte. C’est ainsi qu’Eric convie le chanteur anglais lors d’un premier concert à l’automne 2011. “Il apportait une tournure plus blues, plus soul, plus Stevie.” Tant et si bien que désormais Hugh devient un membre à part entière du groupe, comme le confirment les trois thèmes superlatifs où son timbre singulier, un brin dandy pouvant prendre les accents d’un falseto blues, fournit la couleur principale de cet album aux reflets multiples : soul pop. Deux autres chanteuses mettent d’ailleurs leur grain de soul sur cette galette, lui donnent des couleurs complémentaires : la malienne Mamani Keita, dans une veine plus clairement afro funk, et l’américano-japonaise Emy Meyer dans un registre nettement plus folk. “Avec Mamani, j’ai réussi à achever ce que j’avais entamé sur The Vox. L’Afrique très présente est cette fois incarnée par cette griotte qui habite avec une intense énergie les deux titres que je lui ai proposés. Quant à Emy, elle offre un autre point de vue, plus clairement folk pop.”

Depuis, Eric Legnini poursuit son travail de compositeur, réalisateur d’albums (Kellylee Evans…), joue au sein de groupes all star comme le quartet avec Manu Katché, Richard Bona et Stefano di Battista ; il crée également à Jazz à la Villette en septembre 2014 un programme autour du mythique album de Ray Charles “What’d I say” (avec les voix de Sandra Nkaké, Alice Russell, Elena Pinderhughes), dirige le projet “Jazz à la Philharmonie” en février 2015 avec un groupe composé de 10 musiciens parmi lesquels Joe Lovano, Jeff Ballard, Ambrose Akinmusire, Stefano di Battista…

2015 est une année où on le voit continuer à multiplier les projets : tournée avec le projet “What’d I say”, enregistrement pour le label Impulse! de l’album “Red & Black Light” avec Ibrahim Maalouf, qui le conduira pour des concerts sold out partout en France et en Europe jusqu’à l’apothéose à l’AccorHôtelArena de Bercy le 14 décembre 2016 !

2017 marque le grand retour d’Eric Legnini sur disque en leader : Waxx Up sort au printemps et sera le troisième volet du triptyque consacré à la voix et initié avec l’album “The Vox” en 2011. Il convie son trio (Franck Agulhon à la batterie et Daniel Romeo à la basse électrique) ainsi que des cuivres et des voix : Yael Naïm, Charles X, Mathieu Boogaerts, Michelle Willis, Hugh Coltman ou encore Natalie Williams.

D’emblée, le premier titre donne le cap. “I Want You Back”, plus qu’une introduction, mieux qu’une mise en bouche, une voie à suivre. Trois minutes trente, tous d’un bloc, au service d’une chanson. Pourvu que ça groove. Direct, Eric Legnini change de casquette, et du coup de braquet, avec cette nouvelle galette : le pianiste émérite mute en producteur, attentif à la puissance d’une mélodie, à la classe d’une rythmique. Waxx Up : une bonne baffle en pleine tête, à l’image du visuel qui orne la pochette ! Parce que de toutes les manières, c’est la cire noire qui a toujours été sa matière première. Tel est le diapason d’un album qui sonne comme une somme de 45-tours, des titres taillés pour des voix au pluriel des suggestifs du maître de céans : Eric Legnini. [d’après CONSERVATOIRE.BE]


KLASEN, Peter (né en 1935)

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L’artiste peintre, photographe et sculpteur allemand Peter KLASEN naît à Lübeck en 1935. Maître des contrastes, il est fasciné par l’hostilité de la ville moderne et par les représentations du corps à l’état de marchandise.

“Peter Klasen grandit au sein d’une famille sensible aux arts : son oncle Karl Christian Klasen, élève d’Otto Dix, est un peintre expressionniste de paysages et de portraits et son grand-père, mécène et collectionneur. Peter Klasen commence ainsi très jeune à dessiner et à peindre. Il s’initie aux techniques de la lithographie et de l’aérographe. La lecture de Dostoïevski, Kafka et Thomas Mann le marque profondément.

De 1956 à 1959, Peter Klasen étudie à l’École Supérieure des Beaux-Arts de Berlin, alors école d’avant-garde, et devient l’ami de Georg Baselitz. En 1959, lauréat du prix du Mécénat de l’industrie allemande, il obtient une bourse d’étude et s’installe à Paris. Là, Klasen s’intéresse aux cinéastes de la Nouvelle Vague (Godard, Truffaut, Chabrol,…). Il fait la relecture des écrits théoriques de Dada et du Bauhaus, et développe le concept de l’intégration de la photographie dans son travail pictural.

Peter Klasen est, dans les années 60, un des fondateurs du mouvement artistique nommé Nouvelle Figuration ou Figuration Narrative. Il élabore alors un langage plastique personnel : il explore et réinterprète les signes de notre environnement urbain et, plus généralement, de notre société. Il s’intéresse aux images exploitées par les mass média et dénonce, par ses métaphores picturales, l’uniformisation du cadre de vie occidental. Ses peintures et œuvres graphiques invitent à une réflexion critique sur le monde qui nous entoure.

Peter Klasen réalise ses premiers “tableaux-rencontres” où s’opposent des images découpées et leur représentation peinte à l’aérographe. C’est aussi le moment où apparaît sur ses toiles l’image morcelée du corps féminin tirée d’affiches publicitaires, de cinéma et de magazines : ce sera une constante dans son œuvre jusqu’en 1973. Klasen se fait l’écho d’une réalité déchirée où se mêlent des objets de consommation courante (téléphone, appareil électrique…), des objets de séduction (rouge à lèvres), des objets liés au corps et à la maladie (thermomètre, stéthoscope, seringue, pilule…).” [d’après ARTCOMOEDIA.FR]


L’atelier de Peter Klasen à Vincennes © Jean Picon

“L’artiste a installé son atelier dans un havre de paix de près de 500 mètres carrés, niché entre deux petites forêts de bambous, à Vincennes. Un lieu où les conditions de travail ont été créées “pour y voir un peu plus clair“. La première sensation, une fois la porte franchie, est celle d’une grande bouffée d’air frais. À l’image des toiles pluridimensionnelles du peintre allemand, le lieu est scindé en plusieurs espaces de vie et de travail parfaitement compartimentés, mais cohabitant dans une harmonie quasi japonisante. Du mur d’entrée donnant sur rue au bout du jardin jouxtant le haut espace exclusivement dédié à l’atelier, c’est un parcours de près de soixante mètres de long qui attend les hôtes de l’artiste.

Pour rejoindre le saint des saints, l’impétrant traverse d’abord un premier sas, à l’air libre, puis un second, derrière de grandes baies vitrées, garni de hauts bambous dialoguant avec de mystérieuses sculptures africaines. Son regard se perd en hauteur, cherchant la canopée au son des chants d’oiseaux, avant que la voix de Peter Klasen ne le ramène sur terre. L’artiste, disponible et chaleureux, raconte avec passion l’histoire de cette ancienne usine à métaux qu’il a transformée en atelier, en 1983, avec son épouse disparue il y a huit ans : “Nous l’avons découverte par une petite annonce parue dans Le Figaro. Il en fallait 450.000 francs, une somme relativement dérisoire à l’époque pour tout cet espace.”

La ville de Vincennes s’étant très tôt embourgeoisée, peu d’usines s’y sont implantées au tournant du XXe siècle, laissant la part belle aux spectaculaires réhabilitations d’anciens locaux industriels en ateliers ou lofts aux villes de Montrouge ou Châtillon, au sud de Paris. “Ce type de volume est rare et, par conséquent, je n’ai pas beaucoup de confrères dans les environs proches.” Pendant plusieurs mois, l’artiste et sa femme réinventent le lieu de fond en comble pour le rendre habitable : suppression d’un ancien pont roulant, démolition de certains murs, restructuration des pièces… “Il y avait tellement de lumière qu’il a fallu condamner des fenêtres zénithales, un comble !”, se souvient encore Peter Klasen, d’un ton amusé ; l’artiste s’offre pourtant chaque été des bains de lumière méridionale dans son atelier de Châteauneuf-Grasse, à une vingtaine de kilomètres au nord de Cannes, où il retrouve sa “bande parisienne“.

Dans son atelier vincennois, qu’il dit “dépouillé mais ordonné”, le peintre, filant décidément la métaphore, assure avoir créé les conditions de travail idéales “pour y voir un peu plus clair”. Le précédent atelier que Peter Klasen a occupé entre 1973 et 1983 était situé place Falguière, à Montparnasse, au cœur de la vie artistique parisienne. “C’était un endroit très agréable mais bien trop petit et plutôt pensé pour des peintres de chevalet travaillant à l’ancienne.” Par chance, l’artiste occupe le premier étage de ce bâtiment de douze ateliers et peut ainsi faire passer ses grands formats… par la fenêtre !

Dialogue avec les maîtres
Peter Klasen en 2013 © peterklasen.com

Si ses études aux Beaux-Arts de Berlin l’ont préparé, dans les années 1950, à se mesurer à la peinture classique, l’enseignement d’avant-garde, encore mâtiné de cet esprit pionnier directement issu du Bauhaus, privilégiait l’émancipation des futurs créateurs. “J’y ai été formé à la construction de l’image, quel que soit le médium utilisé, car c’est bien la technique qui est à la disposition des artistes et non l’inverse”, résume-t-il. Guère étonnant dès lors que l’exposition personnelle dont il fait actuellement l’objet à la galerie Eva Hober, à Paris, soit titrée “Dialogue avec les maîtres”, le peintre de 82 ans tenant à préciser qu’il prend cet événement “très au sérieux”.

À son arrivée à Paris en 1959, le jeune homme rencontre les peintres de sa génération, dont Corneille avec qui il se lie d’amitié et qui devient vite l’un de ses mentors. “Je suis venu en France pour me nourrir de ces échanges. C’était fascinant de pouvoir croiser Picasso, Breton, Giacometti et parfois leur parler…” Sa collection personnelle plus de deux cents œuvres anciennes ou tridimensionnelles, stockées dans des entrepôts à Cergy-Pontoise et Noisy-le-Sec, mais également des créations d’autres artistes  est pour l’essentiel inaccessible aux néophytes.

À Vincennes, les amateurs n’ont accès qu’à des pièces relativement récentes. Impossible toutefois de ne pas citer ces grands maîtres du design dont Peter Klasen possède quelques pépites dans son atelier : une applique à deux bras de Serge Mouille au-dessus du bar de la cuisine, deux fauteuils iconiques modèles “670” et leur ottoman de Charles Eames, les célébrissimes fauteuils “LC3” du Corbusier datant de 1959 “parmi les premiers à avoir été numérotés !”  et un spectaculaire bureau de Jean Prouvé perché à l’entresol, surplombant l’atelier. Autant de souvenirs liés à son épouse, née à Saigon d’un père français, militaire de carrière dans la coloniale, et qui a longtemps tenu à Lille un magasin d’ameublement spécialisé dans les années 1930-1950.

Sur des tables ou des étagères, quelques sculptures animalières aux formes art déco et des céramiques des années 1950-1960 complètent élégamment le décor. Peter Klasen, au demeurant parfaitement ambidextre, travaille debout et à plat sur une table où s’amoncellent pochoirs et découpages lestés de poids. La technique de l’aérographe, qu’il emploie depuis toujours, le fait plus ressembler à un chirurgien armé d’un bistouri qu’à un peintre traditionnel. Le plus étonnant, lorsqu’on le rejoint dans son espace de travail, est qu’aucune odeur de peinture n’est perceptible ! En effet, un générateur d’air comprimé propulse de la peinture acrylique ou vinylique inodore à travers un stylet que l’artiste manipule pour composer ses zones de couleurs. “Il m’arrive parfois d’utiliser une impression numérique comme trame de fond. Mais le plus important reste l’intervention manuelle, plus subtile que le procédé sérigraphique. Et c’est justement la modulation de l’aérographe qui donne toute sa force à cet effet de trois dimensions qui ressort de mes tableaux.”

Archéologie du présent
“La Rêveuse” © artgallerydesign-letouquet.fr

Fasciné depuis toujours par la technologie, Peter Klasen assure être un homme de son temps, “un sismographe, un archéologue du présent parfaitement conscient de la liberté qui nous est donnée aujourd’hui, après un XXe siècle dramatique”. Depuis le début des années 1960, il emprunte, détourne et raille l’iconographie du monde de la consommation et de la publicité. Ayant volontairement tourné le dos à une abstraction alors dominante, le peintre avoue avoir eu très tôt une “fascination ambiguë pour les États-Unis”, tout en assurant se sentir plus proche du pop anglais antérieur au pop art d’Andy Warhol et Roy Lichtenstein et bien plus transgressif de ses amis Allen Jones ou Peter Blake.

“Pop”, le mot est lâché ! Lorsqu’il évoque la figuration narrative, qu’on qualifie parfois d’équivalent français du pop art, Peter Klasen parle toujours à la première personne du pluriel, disant de lui-même et de ses compagnons d’alors : “Nous étions les anticorps de l’omniprésence américaine sur la scène culturelle.” L’artiste, “vrai passionné de classique”, travaille en musique. Mais il lui arrive aussi de peindre en écoutant… de la pop.” [d’après GAZETTE-DROUOT.COM]


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : expertisez.com ; artgallerydesign-letouquet.fr ; peterklasen.com ; Jean Picon


CHENG Xinyi (née en 1989)

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“Xinyi Cheng peint des corps étrangement ténus, indiciblement offerts et irrémédiablement baroques dans leur posture presque “bancale”. Née en 1989 à Wuhan, formée à la sculpture à Pékin et passée par les Etats-Unis (Skowhegan School of Painting and Sculpture et Mount Royal School of Art, Baltimore), Xinyi Cheng vit désormais à Paris où elle est représentée par la galerie Balice Hertling et réalise des toiles inspirées de ses rencontres, des hommes et femmes qui la côtoient au quotidien.

Profondément marquée par l’Impressionnisme dans sa jeunesse, elle développe durant sa formation aux Etats-Unis son vocabulaire pictural marqué par l’ambiguïté d’une utilisation de la couleur aussi douce qu’indiciblement étrange, créant une distance perpétuelle entre un réalisme de situation et une scénographie de son propre sentiment.

Doucement érotique et paisiblement intimiste, son univers multiplie les focales de l’immédiatement familier à la grande histoire de la peinture. Pétries de références artistiques (Degas, Picasso, Toulouse-Lautrec, etc.) ses compositions convoquent un herbier d’hommes et de femmes qui peuplent une vie dont on devine, sans voyeurisme, le spectre émotionnel. Les touches de peinture comme des flammes font frémir la naïveté apparente pour retenir émotion qui fait viscéralement vibrer la toile. Dans la retenue, c’est donc le précipité d’une double intimité qui agite la représentation. La sienne d’abord, ces silhouettes sont celles de ses amis, dans le secret de leurs relations, transfigurés par les sentiments affleurant à leur encontre, Xinyi Cheng glisse sur les peaux, rehausse les détails de la chair, coupant ou recomposant des membres de leurs corps (épaule, sexe, coude, cou…) pour en faire des motifs de scènes réelles ou imaginées.

À travers les corps, leurs représentations, c’est la vie parisienne même de Xinyi Cheng qui s’incarne, ce moment de la rencontre, de la découverte du corps synthétisé dans l’expérience de la proximité, dans sa coexistence construite au fil du temps avec la familiarité. Comme étrangers aux lois de la gravité, ces corps évoluent dans un monde de l’imaginaire qui les remet en scène sans délibérer, sans trancher entre le réel et la fantaisie. En flottant, dans tous les cas, sur le courant paisible et doucereux qui charrie en lui la gravité du médium peinture et la vanité de nos images, le jeu de l’amour, du hasard et de la représentation. [d’après SLASH-PARIS.COM]

North Brother Island (2017) © artviewer.org

Comment inventer une nouvelle peinture au XXIe siècle ? Ils ne sont pas nombreux à faire partie de ce groupe étroit qui réussit à imaginer de nouvelles alternatives, un pas de côté ou mieux un pas en avant dans l’histoire de la peinture en train de se faire. Le poids de l’histoire est lourd sur les épaules des artistes après cette déferlante de génies du XXe siècle qui se sont exprimés à travers l’abstraction, le surréalisme, l’expressionisme, l’art naïf, telle ou telle sorte de bad painting, le Pop Art sensuel ou glacé tout comme les inclassables, les monstres sacrés que furent Picasso ou Matisse ou plus près de nous Sol Lewitt dans sa période tardive et jouisseuse avec ses Wall drawings et encore Kerry James Marshall dans son mélange d’expressions politiques et chromatiques. Ces jours-ci, avant que le courant ne change, l’époque est à la figuration avec beaucoup d’art post-naïf, post surréaliste ou décoratif, un art-artisanal mais il n’y a quasi systématiquement pas d’invention si ce n’est le désir de réagir à une peinture glacée, issue de l’omniprésence de la technologie et de la tentaculaire data qui envahit notre vie quotidienne.

En 2017, l’année même de son arrivée à Paris, j’avais remarqué la très discrète Xinyi Cheng cette peintre née en 1989 à Wuhan. Elle a étudié l’art en Chine, à Baltimore, à la Rijksakademie d’Amsterdam avant de s’installer à Paris en 2017. A l’époque ses peintures déjà très singulières étaient marquées par une forte sensualité. Sa peinture ressemblait en fait à une expression qu’on pourrait rapprocher d’un désir homosexuel tel qu’on l’observe dans certains films, faits de frôlements et d’impudeurs ponctuelles entre hommes. On pouvait souvent voir deux personnages dans des arrêts sur image, nus ou dans des scènes d’intimité, de la vie quotidienne. Les compositions étaient émotionnellement intenses et à l’époque Xinyi m’avait expliqué que pour elle c’était une manière d’aborder le sujet de l’érotisme avec pudeur , d’une certaine manière, en se cachant derrière l’homosexualité qui la fascinait.

Depuis lors elle a grandi et vécu et son talent s’est affirmé, confirmé et ses centres d’intérêt se sont élargis. Elle continue à réaliser des compositions dépouillées, sans décorum, qui se caractérisent par la représentation de situations dans des couleurs contrastés qui constituent une bonne partie du “message”. Elle dit : “Le défi c’est la peinture elle-même. J’aime bien qu’on voit les couches de couleurs les unes sur les autres”. Chaque œuvre prend deux à six semaines pour être réalisée. Elle crée aussi des œuvres sur papier pour lesquelles elle utilise des teintes japonaises spécifiques, mélangées à de la colle d’origine animale. Sa peinture ne semble en rien inspirée de la tradition chinoise mais elle explique commencer à s’intéresser à l’art de son pays d’origine. Dans son atelier de Belleville, une ancienne boutique, ce jour-là il fait très froid . Au mur très peu d’œuvres mais on reconnait un paysage, qui ne la quitte pas, que sa mère a peinte au moment de son départ de Chine. Il n’y a pas beaucoup d’œuvres visibles car Xinyi est l’objet d’une demande intense.

A Paris, le Palais de Tokyo, pour l’instant fermé, Covid oblige, lui consacre un mini show en huit peintures dans son exposition “Anticorps”. L’année dernière elle a reçu le prix d’art de La Baloise à Art Basel et de ce fait, elle est l’objet d’une exposition en 29 peintures et quelques photos à la Hamburger Bahnhof de Berlin (pour l’instant fermée). Récemment, dans le magazine Beaux-Arts, le collectionneur et propriétaire de Christie’s, François Pinault a déclaré : “Je garde un souvenir très vif de ma rencontre avec Xinyi Cheng, formidable jeune peintre chinoise”. On peut donc imaginer qu’il l’exposera lors de l’ouverture de la Collection Pinault à la Bourse de Commerce à Paris, dès que les musées seront autorisés à rouvrir en France. Au printemps une exposition Xinyi Cheng est aussi programmée à Lafayette Anticipations, la fondation des Galeries Lafayette toujours à Paris. Sur Instagram, porte-voix inédit de la promotion de l’art, les posts relatifs à la peintre fleurissent, naturellement de la part de sa galerie française, Balice-Hertling, mais aussi d’opérateurs influents du marché comme le marchand privé installé entre Paris et New York, Philippe Ségalot.

Xinyi elle, reste placide et plutôt silencieuse. Elle joue avec maestria avec les paradoxes et lorsque par exemple on lui demande quelles sont ses références dans l’histoire de l’art elle parle d’abord de la sculpture ou en peinture de l’abstraction. Elle a écrit dans le catalogue de son exposition à Berlin : “Je peins des gens qui me fascinent. Ce sont mes amis et je les trouve beaux et excentriques (…) J’aime venir à l’atelier vers 11 heures du matin et y rester jusqu’au soir. La plupart du temps je suis juste assise comme ça. Je regarde la peinture jusqu’à un moment d’illumination. C’est comme cela que je reste connecté au présent. Par l’attente”. On attend nous aussi… la réouverture des expositions de Xinyi Cheng. [d’après LESECHOS.FR]


SAARIAHO, Kaija (1952-2023)

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“Kaija Saariaho (ou alors Laakonen, son nom de jeune fille) naît en 1952 à Helsinki. C’est, à l’époque, une enfant réservée. À l’école Steiner où ses parents l’ont inscrite, elle dessine beaucoup, se plaisant à entrer dans les sujets parfois abstraits que l’on propose aux jeunes élèves. Elle raconte que parfois,  quand elle ne pouvait se rendre en classe, en raison de sa santé alors fragile, elle passait ses journées, seule, à écouter la radio et les sons de la nature, dans la maison de campagne de sa mère. D’ailleurs, la plupart de ses souvenirs d’enfance sont “acoustiques” : le vent dans les feuilles des arbres, la pluie qui tombe, ou bien l’eau glissant sur la coque en aluminium du bateau de son père, provoquant une étrange résonance, comme filtrée.

La musique arrive alors comme une nécessité. Elle commence à apprendre le violon, le piano, et la guitare, et compose sérieusement à partir de dix-sept ans. Toujours passionnée par les arts plastiques en plus de la musique, elle entre aux Beaux-Arts d’Helsinki, ainsi qu’au Conservatoire en Piano, Orgue, Théorie et Histoire de la Musique, ainsi qu’à l’université où elle étudie la Musicologie, l’Histoire des Arts et la Littérature. Mais à l’aube des années 1970, difficile pour une femme, qui plus est venant d’un milieu d’industriels, de faire carrière dans les arts. C’est pendant cette période de doute que la jeune Kaija, dix-neuf ans, décide de se marier pour s’extraire de la pesanteur familiale. Son époux se nomme Saariaho. Ils divorceront peu de temps après, mais pour symbole de cette liberté acquise, elle gardera son nom.

À l’époque, la jeune musicienne souhaite devenir organiste, musicienne d’église, peut-être plus aisé dans un premier temps. Moins risqué que la composition en tous cas. Mais plus les mois passent, plus le désir de la création se fait sentir, insistant, pressant. En 1976, elle éprouve le besoin d’aller étudier à la célèbre Académie Sibelius auprès de Paavo Heininen. Professeur de composition reconnu, Heininen a aussi la réputation d’être dur avec ses élèves. Devant son enseignement rude, la jeune compositrice peut compter sur le soutien de ses camarades de classe, qui l’encouragent et la soutiennent, comme Magnus Lindberg ou Esa-Pekka Salonen.

Avec ses amis, elle fonde une association, “Oreilles Ouvertes !“. Leur but, lutter contre les tendances nationalistes de la musique finlandaise de l’époque, en voulant diffuser la musique post-sérielle venue d’Allemagne et de France dans leur pays. Au sein du groupe qui mêle compositeurs, interprètes et musicologues, l’émulation est à son comble. On organise des concerts, parfois dans des lieux inattendus, ou des conférences, comme lorsque Kaija Saariaho organise dans ce contexte un séminaire autour de la musique d’Alban Berg. Il fallait alors “montrer sa clairvoyance”.

En 1978, elle fréquente les cours d’été de Darmstadt. Elle y respire l’air de l’avant-garde d’Europe de l’Ouest. En partant, elle n’emporte que deux ouvrages dans ses bagages : le Traité d’Orchestration de Walter Piston, et La Pesanteur et la Grâce de Simone Weil. A Darmstadt, elle découvre l’école spectrale, son infini de nuances, de coloris et de sensations. Les Maîtres se nomment bien sûr Murail, Grisey, Lévinas. C’est à Darmstadt encore qu’elle rencontre Brian Ferneyhough et Klaus Huber, qui enseignent tous deux à Freiburg. Ferneyhough lui dira alors : “Ton cerveau et ton cœur ne sont pas encore réunis”.

Force est de constater que le langage post-sériel ne convient guère à la jeune compositrice. Elle cherche encore, travaillant sans relâche son univers sonore. Son intérêt va en effet rapidement s’orienter vers l’électronique, et l’El Dorado qu’est Paris au début des années 1980, avec l’Ircam créé il y a quelques années. Excitation des découvertes et lenteur infinie des processus. On pourrait ainsi résumer l’ambiance dans les studios parisiens. Pourtant, l’ordinateur est vu par les compositeurs de l’époque comme une base permettant d’accélérer certains calculs… Chose que Saariaho réprouve. Elle insiste avant tout sur son métier, son artisanat, durement acquis auprès de Paavo Heininen à Helsinki.

Paris est une ville qui la séduit. Le bouillonnement des années Mitterrand avec son aspect multiculturel happe la compositrice. C’est aussi dans les studios de l’Ircam qu’elle rencontre son futur mari, le compositeur Jean-Baptiste Barrière, qui deviendra un fidèle compagnon de route et un soutien de tous les instants. Cependant, peu de commandes émaillent cette période pourtant décisive dans sa carrière de compositrice. En 1985, toutefois, le compositeur et chef d’orchestre Paul Méfano découvre sa musique et lui demande une œuvre nouvelle. Ce sera Lichtbogen, pour ensemble et électronique. Comme l’aurore boréale qu’elle décrit, Lichtbogen (“Arc de lumière”), se déploie dans des plages miroitantes et méditatives. La manière y est simple : quelques gammes, des sons tantôt tenus, tantôt écrasés. Des teintes mouvantes, moirées de micro-intervalles.

C’est là qu’est la clé du style Saariaho, ce qui fait la singularité de son esthétique. Une si parfaite maîtrise des couleurs instrumentale qu’elle transforme en un tour de plume chaque membre de l’orchestre en un “Saariaho-instrument”. Tourné vers l’éther des sons harmoniques avec un goût certain pour la parure orchestrale, sa musique se ressent. Chaque battement devient matière, qui se transforme progressivement en scintillement, se fondant dans une texture souvent impalpable, au-travers d’instruments de prédilection, comme la flûte ou le violoncelle.

Pourtant, cela ne l’empêche pas d’aimer passionnément l’écriture vocale, forcément moins malléable que la pâte d’un orchestre de 90 musiciens. Pour la voix, son écriture devient incisive, directe, allant droit au but, et droit au mot. Comment ne pas évoquer ce qui est sûrement à ce jour son “opus magnum” : l’opéra L’Amour de Loin (2000). Inspiré par l’histoire du troubadour Jaufré Rudel (1148-1170) sur un livret original d’Amin Maalouf, le premier opéra de Saariaho témoigne déjà d’une maîtrise du genre confondante, inscrivant d’emblée l’œuvre au rang des classiques de notre temps. Dans l’universel de l’amour contraint par la distance, la peur et la soif d’idéal, elle dresse une partition qui se veut autant narrative que méditative, tellurique et gracile, colorée avant tout, qui ne renie rien et qui donne tout. Et c’est peut-être cela au fond, l’univers de Kaija Saariaho”. (d’après ENSEMBLEINTERCONTEMPORAIN.COM)

“L’Amour de loin” © opera-online.com

“Kaija Saariaho, née Kaija Anneli Laakkonen, est née en Finlande le 14 octobre 1952. Elle étudie les arts visuels à l’université des arts industriels (aujourd’hui Université d’art et de design) d’Helsinki. Elle se consacre à la composition avec Paavo Heininen, à partir de 1976, à l’académie Sibelius où elle obtient son diplôme en 1980. Elle étudie avec Klaus Huber et Brian Ferneyhough à la Musikhochschule de Freibourg-en-Breisgau de 1981 à 1983, puis s’intéresse à l’informatique musicale à l’Ircam durant l’année 1982. Elle vit depuis à Paris. Elle enseigne la composition à San Diego, Californie en 1988-1989 et à l’académie Sibelius à Helsinki de 1997 à 1998, puis à nouveau entre 2005 et 2009.

Le travail de Kaija Saariaho s’inscrit dans la lignée spectrale avec, au cœur de son langage depuis les années quatre-vingt, l’exploration du principe d’ “axe timbral”, où “une texture bruitée et grenue serait assimilable à la dissonance, alors qu’une texture lisse et limpide correspondrait à la consonance”. Les sonorités ductiles du violoncelle et de la flûte se prêtent parfaitement à cette exploration continue : Laconisme de l’aile pour flûte (1982) ou Près pour violoncelle et électronique (1992) travaillent entre sons éthérés, clairs et sons saturés, bruités.

Son parcours est jalonné de nombreux prix qui couronnent ses œuvres les plus importantes : Kranichsteiner Musikpreis pour Lichtbogen (1986), œuvre qui révéla la tonalité personnelle et lumineuse de Kaija Saariaho au sein de l’esthétique spectrale ; Prix Ars Electronica et Italia pour Stilleben (1988), qui joue avec virtuosité sur les errements de la conscience avec le médium radiophonique. Dans les années deux mille, son œuvre sera encore maintes fois récompensée – Nordic Council Music Prize (2000), Prix Schock (2001), American Grawemeyer Award for Music Composition (2003), Musical America Composer (2008), Wihuri Sibelius Prize (2009), Léonie Sonning Music Prize (Danemark, 2011), Grand prix lycéen des compositeurs en 2013 pour Leino Songs. En 2018, la fondation BBVA lui décerne le prix Frontiers of Knowledge pour sa contribution à la musique contemporaine.

Les années quatre-vingt marquent l’affirmation de son style, fondé sur des transformations progressives du matériau sonore, qui culmine avec le diptyque pour orchestre Du cristalà la fumée. Dans cette même veine, citons les pièces NoaNoa, Amers, Près et Solar, écrites en 1992 et 1993. Suit une brève période de remise en cause, au moment même où la compositrice se trouve projetée sur la scène internationale à la faveur de nombreuses commandes. La composition de l’Amour de loin, opéra sur un livret d’Amin Maalouf, mis en scène par Peter Sellars, signe une nouvelle étape où les principes issus du spectralisme, totalement absorbés, se doublent d’un lyrisme nouveau.

Après cet opéra, dont l’enregistrement par Kent Nagano fait l’objet du Grammy Award 2011, Saariaho composera de nombreuses pièces orchestrales pour de prestigieuses formations, un deuxième opéra, Adriana Mater, une passion sur la vie de Simone Weil, La passion de Simone, deux œuvres encore réalisées avec Sellars et Maalouf, et en 2008, un monodrame sur un livret de ce dernier d’après Madame du Châtelet Émilie, créé par Karita Mattila à l’Opéra de Lyon en 2010. En 2012, elle compose Circle Map, pièce pour orchestre et électronique, dont six poèmes de Rumi lus en persan servent de matériau pour la réalisation de la partie électronique et d’inspiration pour l’écriture orchestrale. Son opéra Only the Sound Remains (2015), mis en scène par Peters Sellars et inspiré de deux pièces du théâtre Nô traduites par Ezra Pound, est créé en 2016 à l’Opéra d’Amsterdam.

Son travail de composition s’est toujours fait en compagnonnage avec d’autres artistes, parmi lesquels le musicologue Risto Nieminen, le chef Esa-Pekka Salonen, le violoncelliste Anssi Karttunen (artistes finlandais tous issus du groupe “Korvat Auki !” (“Ouvrez les oreilles !”), collectif fondé dans les années soixante-dix à Helsinki, et auquel Saariaho collabora) ; la flûtiste Camilla Hoitenga, les sopranos Dawn Upshaw et Karita Mattila, ou encore, le pianiste Emmanuel Ax”. (d’après BRAHMS.IRCAM.FR)

Visiter le site de Kaija Saariaho

  • Illustration en tête de l’article : Kaija Saariaho © Priska Ketterer

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : operaonline.com ; Priska Ketter


Le Baiser de Brancusi est enfin libre

Temps de lecture : 6 minutes >

“Peut-être avez-vous déjà arpenté le cimetière du Montparnasse. Peut-être avez-vous vu le cénotaphe de Baudelaire et sa statue grise. La tombe de Marguerite Duras ornée de pots plantés de stylos. Celle de Gainsbourg, remplie de photos en noir et blanc. Avez-vous déjà marché jusqu’au bout, au bord du mur, dans la 22e division ? C’est là, dans un coin caché loin de l’allée centrale que vous apercevrez une curieuse caisse en bois trouée d’un cercle, haute de plus d’un mètre. Elle surplombe une tombe de 1910 – attention, n’approchez pas : un panneau vous l’interdit, trois caméras et deux alarmes la surveillent nuit et jour.

Tatiana Rachewskaïa (1887-1910) est morte à l’âge de 23 ans, pendue dans sa chambre. Dans un médaillon sur sa stèle, une photographie la montre coiffée d’un chapeau blanc, le regard triste. Issue de la bonne société de Kiev, elle avait débarqué à Paris quelque temps auparavant et s’était inscrite à la faculté de médecine. C’est là qu’elle avait rencontré le médecin d’origine roumaine Solomon Marbais de l’Institut Pasteur, qui non seulement lui donna des cours particuliers, mais devint aussi son amant. À la fin de l’idylle, dans la grande tradition des romans russes, elle se suicida par amour. Les obsèques eurent lieu en décembre. “Sa mère était venue de Moscou. Elle avait convaincu le prêtre de donner, selon la coutume rituelle, un cierge à toutes les personnes présentes et le bedeau chantait : “pardonnez-lui tous ses péchés”…” peut-on lire sous la plume de son ami Ilya Ehrenbourg, un écrivain révolutionnaire. Le docteur Marbais propose à la famille de Tatiana d’orner sa tombe – et justement, il connaît un sculpteur Roumain très prometteur : Constantin Brancusi.

Le jeune Brancusi vient alors de quitter l’atelier de Rodin, convaincu que rien ne pousse à l’ombre des grands arbres”. Pour lui, la sculpture a une fonction spirituelle ; l’apparence importe moins que sa réalité invisible, au cœur de la matière. Sa première version du Baiser, son œuvre majeure, date de 1905. Il y en aura quarante ; chaque nouvelle tentative est plus épurée, tendant plus encore vers l’abstraction que la précédente. Celle qui orne la tombe de Tatiana est la seconde et la seule qui ait été réalisée en ‘taille directe’. La seule qui mesure 90 cm de hauteur et qui montre les amants de la tête aux pieds. Sans ébauche, sans étude préparatoire, Brancusi ne dégage pas les amants de la pierre : ils sont la pierre. Ils en révèlent la pensée, l’esprit, l’essence cosmique de la matière”. Le Baiser est un bloc de calcaire à peine dégrossi dans lequel se dessinent deux bustes de profil collés l’un à l’autre. Seuls les cheveux et le bombé d’un sein distinguent l’homme de la femme. Les corps symétriques s’unissent si parfaitement que vus de face, on pourrait croire à un seul être. Leurs jambes accolées rappellent la tradition roumaine selon laquelle deux arbres plantés côte à côte, près d’une tombe, évoquent la force de l’amour face à l’éternité. “J’ai voulu évoquer non seulement le souvenir de ce couple unique mais celui de tous les couples du monde qui ont connu l’amour avant de quitter la vie” déclare Brancusi en installant son œuvre sur la tombe de Tatiana, en échange d’un billet de 200 Francs.


MONUMENTS ET PATRIMOINE 06.07.2021
Le Baiser de Brancusi : le Conseil d’État déclare que la sculpture ne quittera pas le cimetière de Montparnasse
Le Baiser de Brancusi : le Conseil d’État déclare que la sculpture ne quittera pas le cimetière de Montparnasse
Le Baiser de Brancusi au cimetière du Montparnasse © Wikimedia Commons / Constantin Brancusi
Le Conseil d’État a récemment confirmé la légalité du classement au titre des Monuments historiques du Baiser de Brancusi, qui orne une tombe du cimetière du Montparnasse. Cette décision, très attendue, pourrait signer le retour de la sculpture dans le prestigieux registre et la protéger définitivement des velléités des ayants droit.

Le Baiser de Brancusi : le Conseil d’État déclare que la sculpture ne quittera pas le cimetière de Montparnasse

Le Baiser de Brancusi : le Conseil d’État déclare que la sculpture ne quittera pas le cimetière de Montparnasse
Le Baiser de Brancusi au cimetière du Montparnasse © Wikimedia Commons / Constantin Brancusi

Le Conseil d’État a récemment confirmé la légalité du classement au titre des Monuments historiques du Baiser de Brancusi, qui orne une tombe du cimetière du Montparnasse. Cette décision, très attendue, pourrait signer le retour de la sculpture dans le prestigieux registre et la protéger définitivement des velléités des ayants droit.MONUMENTS ET PATRIMOINE 06.07.2021
Le Baiser de Brancusi : le Conseil d’État déclare que la sculpture ne quittera pas le cimetière de Montparnasse
Le Baiser de Brancusi : le Conseil d’État déclare que la sculpture ne quittera pas le cimetière de Montparnasse
Le Baiser de Brancusi au cimetière du Montparnasse © Wikimedia Commons / Constantin Brancusi
Le Conseil d’État a récemment confirmé la légalité du classement au titre des Monuments historiques du Baiser de Brancusi, qui orne une tombe du cimetière du Montparnasse. Cette décision, très attendue, pourrait signer le retour de la sculpture dans le prestigieux registre et la protéger définitivement des velléités des ayants droit.MONUMENTS ET PATRIMOINE 06.07.2021
Le Baiser de Brancusi : le Conseil d’État déclare que la sculpture ne quittera pas le cimetière de Montparnasse
Le Baiser de Brancusi : le Conseil d’État déclare que la sculpture ne quittera pas le cimetière de Montparnasse
Le Baiser de Brancusi au cimetière du Montparnasse © Wikimedia Commons / Constantin Brancusi
Le Conseil d’État a récemment confirmé la légalité du classement au titre des Monuments historiques du Baiser de Brancusi, qui orne une tombe du cimetière du Montparnasse. Cette décision, très attendue, pourrait signer le retour de la sculpture dans le prestigieux registre et la protéger définitivement des velléités des ayants droit.

L’ŒUVRE RATTRAPÉE PAR SA VALEUR

Après les obsèques, après les pleurs, la petite section 22 de la division 22 tomba dans le sommeil pendant près de 100 ans – elle devient le repaire secret des amoureux et des amants de passage : un écrivain raconte même dans son journal ses ébats aux pieds du Baiser. Et comme toutes les belles choses de ce monde, elle est soudain rattrapée par sa propre valeur, et la tombe entre dans la tourmente.

Le 4 mai 2005 à New York, chez Christie’s, un marbre de Brancusi explose le record mondial pour une sculpture en dépassant les 27 millions de dollars. Tout de suite, le marchand d’art parisien Guillaume Duhamel se met en route. Il retrouve au fin fond de la Russie les heureux descendants de Tatiana Rachewskaïa, la suicidée par amour. S’ils ne connaissent ni Brancusi ni leur aïeule, ils découvrent la tombe dès leur arrivée à Paris et font aussitôt valoir leurs droits – la statue leur appartient, et par l’entremise de Duhamel, ils veulent la vendre aux enchères. Le seul Baiser en taille directe. Le seul qui montre les amants de la tête aux pieds : l’œuvre peut atteindre les 50 millions, estimation basse.

INTERDICTION DE REGARDER LA STATUE

S’ensuit un bras de fer entre les ayants droit et l’État français qui durera 15 ans. L’œuvre de Brancusi est déclarée ‘Trésor National’. Elle est inscrite par le préfet de Paris au titre des Monuments Historiques, la rendant inamovible. Ce dernier considère que la tombe et la statue sont indissociables, elles forment un ‘immeuble’, et pour preuve : la stèle sur laquelle repose le Baiser est signée par Brancusi et porte l’épitaphe à la chère aimable chérie”. Le marchand d’art et la famille saisissent le tribunal et interdisent aux passants de regarder leur statue : c’est alors que la caisse en bois fait son apparition. S’ils sont déboutés en 2018, ils font appel : nous avons de nouveaux éléments” déclare Duhamel. Des factures de la maison de marbrerie en face du cimetière prouvent que la signature et l’épitaphe ont été commandées séparément de la statue, et ne sont pas de la main de Brancusi. Bam.

Le 11 décembre dernier, la cour a donc rappelé que pour bénéficier de l’inscription au titre des monuments historiques, “un bien mobilier doit avoir été conçu aux fins d’incorporation matérielle à cet immeuble, au point qu’il ne puisse en être dissocié sans atteinte à l’ensemble immobilier lui-même.” Or, l’œuvre est dissociable. Complètement dissociable. Et désormais libre. Pour la cour, le préfet a commis une erreur juridique, entraînant l’annulation de son arrêté : la statue n’est plus inscrite aux monuments historiques. Combien de temps avant de retirer la caisse en bois ? Combien de temps avant que la sculpture ne s’envole, laissant Tatiana solitaire ? Une chose est sûre : à quelques allées de là dans le cimetière du Montparnasse, Constantin Brancusi se retourne dans sa tombe.” (d’après MARIANNE.NET)

  • Lire aussi “Brancusi : la suicidée, le baiser et les millions” sur LEXPRESS.FR
  • Illustration : Brancusi, Le Baiser © LEXPRESS.FR

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © express.fr


Plus de matière…

ERBELDING : Hawaï 4 (s.d., Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

ERBELDING Patricia, Hawaï 4
(impression numérique rehaussée à la cire, 53 x 44 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Patricia Erbelding © galerie-insula.com

Née en 1958, Patricia ERBELDING vit et travaille à Paris. C’est une artiste associée au mouvement de la “nouvelle abstraction” française. Elle participe à de nombreuses expositions individuelles et collectives principalement en Europe, au Japon et aux Etats-Unis depuis 1991. Son travail artistique pluridisciplinaire aborde, en plus de la peinture et des collages, des domaines d’expression comme la sculpture, la photographie et les livres d’artiste en collaboration avec des écrivains et des poètes. (d’après ERBELDING.FR)

Cette impression numérique rehaussée à la cire d’abeille fait partie d’une série sur l’archipel d’Hawaï. L’utilisation de la cire rappelle les travaux de l’artiste autour de la rouille : la cire servait alors à stopper l’oxydation. Cette œuvre issue d’une photographie évoque les autres facettes du travail de l’artiste par sa palette réduite et son traitement qui confine à l’abstraction.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Patricia Erbelding ; galerie-insula.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

[DOCUMENTA]  : artiste Patricia ERBELDING

BALTHUS : La Rue (1933)

Temps de lecture : 4 minutes >

“La Rue”, 1933, huile sur toile, 195 x 240 cm © Balthus / lesechos.fr

Balthus s’est toujours refusé au commentaire de son œuvre : “Les tableaux, on n’en parle pas, on les peint. J’ai toujours pensé que si on me demande d’en parler, c’est qu’ils ne remplissent pas leur mission. A toute question, la réponse se trouve dans les tableaux.” [interview à Paris-Match, 1992] C’est donc dans le tableau, et ceux qui l’ont sans doute influencé, que nous chercherons des réponses.

Pour être plus précis, il faudrait parler des tableaux, car il existe deux versions de “La Rue” : la première date de 1929, la seconde, plus aboutie, de 1933. La toile représente une rue d’une ville pré-haussmannienne dans laquelle l’artisanat trouve encore sa place. Il s’agit de la rue de Bourbon-le- Château à Paris, rue qui menait à l’atelier de Balthus situé place Furstenberg. La palette est sombre, dominée par les ocres ; bon nombre de personnages sont mis en place que l’on retrouvera dans la version “définitive”, d’autres vont disparaître. Ainsi, les passants dont le charpentier cache le visage, ou le triporteur et la charrette. En revanche, des enfants apparaissent. Les contours des formes se font plus nets, les tons plus chauds avec l’apparition du rouge.

Un personnage est mis en évidence, il s’agit justement du charpentier. En effet, non seulement il est entièrement vêtu de blanc qui le rend plus visible encore, mais la planche qu’il porte se superpose à la diagonale du tableau qu’il traverse comme un fantôme sans visage, indifférent à ce qui l’entoure. S’agissant d’un métier de la construction, on peut dire qu’il est la matérialisation de l’architecture même de la toile. Architecture solidement établie, constituée d’horizontales et de verticales déterminant des formes rectangulaires conférant à l’ensemble un aspect stable, solide.

Cette organisation du tableau en architecture rappelle évidemment Piero della Francesca, tout comme la géométrisation des formes et les aplats évoquant la fresque. On connaît l’admiration de Balthus pour Piero dont il est allé copier les fresques à Arezzo. C’est donc tout naturellement dans le cycle d’Arezzo, “La Légende de la Vraie Croix“, qu’il faut aller chercher le modèle de Balthus pour son charpentier. Il existe d’ailleurs un dessin de Balthus, antérieur d’une dizaine d’années, qui en est directement inspiré.

A gauche, un garçon tente de retenir une jeune fille qui, visiblement, cherche à échapper à son emprise. Son vêtement est rouge, couleur de la fougue, de la passion. Cette scène traduit les rapports ambigus, complexes, des adolescents tourmentés par l’éveil de leur sexualité. Un thème récurrent, qui traverse tout l’œuvre de Balthus, et qu’il traitera également deux ans plus tard en illustrant “Les Hauts de Hurlevent” d’Emily Brontë.

Devant eux, la petite fille, se livre à un jeu bien plus innocent. Mais son mouvement fait écho à celui de l’adolescente, le préfigurant peut-être. De même, la balle – rouge – avec laquelle elle joue peut symboliser le fruit défendu. Comme souvent chez Balthus, à l’instar des artistes médiévaux, les enfants ont l’air d’adultes en réduction. L’adolescent, ou le jeune homme, en costume brun clair qui vient à la rencontre du spectateur a une tête ronde et des yeux écarquillés qui rappellent un personnage d’un autre artiste de la Renaissance italienne, Masaccio. Ce jeune homme regarde ailleurs, il semble indifférent au monde qui l’entoure. Il se dirige vers l’atelier de Balthus, peut-être est-il son double (Balthus n’a encore que 25 ans quand il peint cette toile) ?

La femme de dos, en noir, le croise ; on a même l’impression qu’elle va le bousculer. Ce duo de personnages peut être mis en parallèle avec celui qui figure plus loin dans le tableau : la femme qui porte un enfant dans les bras, enfant qui semble vouloir lui échapper et regarde lui aussi le spectateur. On peut imaginer que le jeune homme du premier plan est la même personne, devenue adulte, prenant son indépendance et partant dans une direction opposée à celle de la figure maternelle.

Tous les personnages sont, selon les termes de Camus, “pétrifiés, non pas pour toujours mais pendant un cinquième de seconde, après lequel le mouvement reprendra”, comme un arrêt sur image. Il est à noter que toutes ces figures se partagent la rue, se croisent comme autant de destins, mais n’interagissent pas. Il n’est pas interdit d’y voir une discrète dénonciation de l’indifférence, de l’égoïsme, dans une société des années ’30 qui n’est pas sans rappeler la nôtre à bien des égards.

Antonin Artaud écrivait que “Balthus peint d’abord des lumières et des formes”. Nous nous sommes beaucoup occupés des formes, voyons un peu la lumière. Comme chez Piero della Francesca, les ombres portées sont quasiment inexistantes. D’une manière plus générale, dans l’œuvre de Balthus, la lumière semble sourdre de partout : les objets et les corps (les paysages même quelquefois) sont comme phosphorescents. La lumière cependant ne scintille pas : les toiles de Balthus se caractérisent par leur matité, évoquant la fresque (on y revient toujours).

La fascination exercée par son œuvre provient sans doute, comme l’écrit Camus, du fait que “cette peinture dépayse d’autant plus qu’elle est plus réaliste”.

Philippe  VIENNE

Bibliographie
  • Balthus (catalogue d’exposition), Centre Pompidou, Paris, 1983
  • DE BEAUVAIS, P., Balthus chez Courbet, dans Paris-Match Spécial Arts, 1992
  • LEYMARIE, J., Balthus, Genève, 1982
  • VIRCONDELET, A., Mémoires de Balthus, 2016
En savoir plus…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : rédaction | source : inédit | commanditaire : wallonica | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Balthus ; lesechos.fr


Voir encore…

FREUNDLICH, Otto : l’abstraction au service de la paix

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FREUNDLICH Otto, La Rosace II (1941) © Musée de Pontoise

Il a côtoyé toutes les avant-gardes, de l’expressionnisme à Abstraction-Création en passant par Dada. Otto Freundlich mérite sa place de pionnier de l’abstraction, aux côtés de František Kupka, Vassily Kandinsky et Piet Mondrian. À proximité du Bateau-Lavoir où il a séjourné, le musée de Montmartre organise une grande rétrospective sur ce peintre mésestimé, humaniste voguant entre la France et l’Allemagne, déporté et assassiné au camp de Sobibor en 1943.

Allemand à Paris entre deux guerres mondiales, Otto FREUNDLICH (1878–1943) porte décidément bien son nom, celui-ci signifiant “amical”. Son destin s’écrit dans la tragédie du siècle, s’ouvrant dans la Pologne annexée à l’Empire allemand en 1878 pour s’achever dans l’horreur de l’Holocauste, soixante-cinq ans plus tard. D’origine juive, Freundlich est protestant par son éducation. Ses parents voulant d’abord en faire un dentiste, il ne s’affirme que tardivement comme artiste, à Munich en 1904. Dans la cité bavaroise où la vie artistique bouillonne d’expositions et de styles nouveaux, Freundlich fait la connaissance de Paul Klee et de Vassily Kandinsky, futures têtes pensantes de l’expressionnisme. Comme eux, il s’intéresse à la théorie des correspondances entre peinture et musique.

L’ambition de Freundlich ? Peindre le rythme ! D’abord au moyen de la figuration. Il arrive à Paris en 1908 et loue un atelier à Montmartre, au Bateau-Lavoir, où il se lie avec son voisin, un certain Pablo Picasso. Désirant composer ses propres Demoiselles d’Avignon”, Freundlich va passer trois années à épurer ses figures pour les fondre dans la masse : “Composition” (1911) marque un saut dans l’abstraction, parallèle à ceux de Kupka, Kandinsky et Robert Delaunay au même moment.

Dans cette évolution, le passage par le vitrail s’avère déterminant : Freundlich l’expérimente dans les ateliers de restauration de la cathédrale de Chartres en 1914, juste avant la guerre. “La décomposition est plus mystérieuse que la composition”, professe-t-il alors. Cet assemblage de pièces de verre, cette découpe à même la lumière lui inspirent un style pictural qu’on pourrait qualifier de patchwork. Freundlich décompose, donc, par des croquis méticuleux ne laissant pas de place à l’imprévu.

Otto Freundlich, Composition, 1938–1941 (vitrail) © Musée de Pontoise

En 1914, l’homme s’engage côté Allemand, mais déchante vite. L’horreur de la guerre imprime en lui un pacifisme intransigeant. Marqué par la Révolution russe de 1917 puis par le mouvement spartakiste de 1918–1919, Freundlich revendique son socialisme. À Berlin, il fréquente Raoul Hausmann, Hannah Höch et Otto Dix, entre autres membres du club Dada. En 1919, il manque d’intégrer le Bauhaus, fondé par Walter Gropius à Weimar. Freundlich ne dénonce pas la guerre aussi radicalement que les Dadaïstes, mais veut la conjurer par l’abstraction à même, pour citer l’ouvrage manifeste de Kandinsky, de réinstaurer du Spirituel dans l’art. [lire la suite sur BEAUXARTS.COM]


Plus d’art visuel…

JANIK & ARNAUT : La danse du serpent

Temps de lecture : < 1 minute >

Les danseurs français Janik & Arnaut ont eu un succès fort mérité, dans les années 1950, avec cette troublante Danse du serpentJanine JANIK (1931-1985) et Christian ARNAUT (1912-2003) forment un ensemble rare, érotique et sinueux : contrairement aux numéros de Music-Hall du genre, Arnaut soulève rarement sa partenaire avec l’aide des bras, il semble plutôt la guider et influencer ses contorsions reptiliennes. Voyez plutôt…


Plus d’art de la scène…

FLOR, Joseph Charles dit FLOR O’SQUARR (1830-1890)

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Flor O’Squarr par Nadar © BNF

Des problèmes d’identification se posent parfois en raison des multiples pseudonymes (Perkeo, Un bourgeois de Bruxelles, Le dragon vert,…) utilisés par cet homme de lettres fécond mais, surtout, en raison des différents prénoms qui lui sont attribués : Oscar Charles, Charles Oscar, Charles, Joseph Charles et Charles Marie. De recherches effectuées au Service de la Population de la Ville de Bruxelles, il apparaît que Charles Marie est en fait le prénom de son fils aîné (1852-1921), lequel, pour ne rien simplifier, écrivit également sous le pseudonyme de Flor O’Squarr.

Joseph Charles est cependant bien son prénom officiel, puisque c’est celui qui apparaît tant sur son acte de naissance que sur son acte de décès. On peut donc penser qu’Oscar aurait été un surnom, qui lui aurait été attribué ou qu’il se serait choisi, et qu’il aurait transformé en O’Squarr.

De Bruxelles à Spa, en passant par Paris

Quoi qu’il en soit, Joseph Charles Flor, dit Flor O’Squarr, est né à Bruxelles le 22 mars 1830, fils de Charles Flor, perruquier, et de Joséphine Pourbaix. Il abandonne ses études de médecine à l’Université de Bruxelles pour débuter, à dix-neuf ans, une carrière de journaliste. Au recensement de 1856, il apparaît comme étant marié à Rosalie Lemaire, avec laquelle il a deux fils : Charles Marie, né en 1852, et Auguste, né en 1854.

Flor O’Squarr a, semble-t-il, toujours habité Bruxelles (rue Longs Chariots, Galerie du Roi, rue des Bouchers). Il a cependant dû vivre un temps à Paris, puisqu’il est entré au Figaro en 1868 et qu’il a été engagé volontaire durant la guerre de 1870. A l’issue de celle-ci, il revient néanmoins à Bruxelles, décoré de la médaille militaire. De même, s’il a séjourné à Spa, c’était sans doute comme beaucoup de ses contemporains, en villégiature. Il ne s’y est en tout cas jamais fait domicilier, son nom n’apparaissant pas dans les registres de la Population. C’est cependant à Spa qu’il est mort, le 21 août 1890, d’une rupture d’anévrisme, et qu’il est enterré.

Tombe de Flor O’Squarr au cimetière de Spa (allée n°8, n°350) © Philippe Vienne

Flor O’Squarr a beaucoup voyagé. Outre Paris et la France, il est l’auteur d’un Voyage en Suisse (1868), en collaboration avec Louis Ghémar et Nadar. Il s’est également rendu en Espagne, en 1873, pour le journal L’Etoile. Il est l’auteur de nombreux récits et essais ayant trait à la Baltique et la Scandinavie, et le traducteur de plusieurs œuvres de la romancière suédoise Emilie Carlen, ce qui donne à penser qu’il a également visité ces régions. Sa mère a, par ailleurs, quitté Bruxelles pour Saint-Pétersbourg, en 1853. Flor O’Squarr aurait également séjourné à Rio de Janeiro en 1851.

Fils de 1830

Travailleur infatigable, bourru, sarcastique, parfois polémique, Flor O’Squarr a collaboré à une vingtaine de journaux (L’Observateur belge, La Chronique, Le Journal des dames et des Demoiselles, Le Figaro,…). Ses sujets de prédilection étaient l’art, la littérature et la politique. Il lui est arrivé quelquefois d’écrire entièrement un journal, de la première à la dernière ligne. A côté de cela, il fut le traducteur, outre Emilie Carlen, d’une quarantaine de romans anglais (Mayne-Reid, Swift, Dickens,…) et l’auteur de très nombreuses comédies et revues (Bruxelles sens dessus dessous, Recette contre les belles-mères, L’Hôtel des Illusions, Les maîtres zwanzeurs du Treurenberg,…). Dans Ouye ! Ouye !! Ouye !!!, Flor O’Squarr crée le personnage de Van Koppernolle, garde civique de Poperinghe, dont Eugène De Seyn dit qu’il fut “le type du citoyen belge (…) populaire, même en France”. Essais, pamphlets, romans, poésies, paroles de chansons figurent également au répertoire des œuvres de Flor O’Squarr.

Ses revues, simples, directes, railleuses, connurent un succès prolongé et certains événements qu’elles rapportent et moquent demeurent d’une brûlante actualité. Ainsi, dans Quel plaisir d’être Bruxellois !, ces Wallons s’estimant opprimés et se plaignant que “Il y a trop longtemps qu’on sacrifie tout aux Flamands”. Né avec la Belgique, Flor O’Squarr paraît comme elle animé par un farouche esprit d’indépendance et un souci de justice. Il aurait sans doute fait siennes ces paroles, tout aussi actuelles, qu’il prête à un de ses personnages : “Fils de 1830, où sont vos libertés ? “

Philippe Vienne

Pièces de Flor O’Squarr conservées en Belgique

  • Bruxelles sens dessus dessous (1862) – Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles (BR)
  • Ouye ! Ouye !! Ouye !!! (1864) – BR
  • Les Bêtes malades (1866) – BR
  • Quel plaisir d’être Bruxellois ! (1874) – Bibliothèque Générale de l’Université de Liège

Bibliographie

  • DE SEYN E., Dictionnaire biographique des Sciences, des Lettres et des Arts en Belgique – tome I, Bruxelles, 1935.
  • FABER F., Histoire du Théâtre Français en Belgique depuis son origine jusqu’à nos jours d’après des documents inédits reposant aux Archives Générales du Royaume – tome V, Bruxelles, 1880.
  • VIENNE P., Flor O’Squarr et Spa, in Histoire et Archéologie spadoises, n° 56, décembre 1988, p. 157-165.
  • Nécrologie dans L’Éventail, 24 août 1890.

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction | commanditaire : wallonica.org | auteur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © BNF ; Philippe Vienne | remerciements à Alexandrine Demblon


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