TAROT : Arcane majeur n° 06 – L’Amoureux

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L’Amoureux est la sixième lame du Tarot de Marseille. Il représente un jeune homme entre une femme âgée et une jeune femme avec au dessus de lui un chérubin qui va tirer une flèche vers son cœur. Le symbole du chérubin est l’ouverture du cœur, le jeune homme découvre l’amour et l’univers des sentiments. L’Amoureux symbolise l’expression de ses sentiments. Le consultant apprend à connaître ce qu’il ressent et le partage avec son entourage. L’Amoureux exprime ce qu’il ressent et cela est bien accueilli par ses proches. L’Amoureux attire et développe des relations. L’Amoureux est une image de la rencontre et de l’échange affectif avec des personnes qui sont ou qui deviennent des proches. Il est question d’une intimité et d’une douceur de vivre. Avec L’Amoureux les situations sont agréables et les relations sont faites de tendresse. On aime et on se sent aimé. De plus L’Amoureux exprime la capacité de faire les choix du cœur. Dans sa face sombre, L’Amoureux est une image de souffrance et de désamour. Les sentiments deviennent douloureux. C’est aussi la difficulté de faire un choix. Le consultant reste dans l’hésitation et se retrouve bloqué. C’est une incertitude et un balancement entre des options sans parvenir à une décision.” [d’après ELLE.FR]

    1. Lame droite : Grande passion, née le jour = union, mariage.
      1. A côté – LE BATELEUR (droite) Hésitations sur décisions à prendre.
      2. A côté – LE CHARIOT : Les projets seront anéantis, cause départ. Révélation d’infidélité. Trahison.
    2. Lame renversée : Gros rhume. Fièvre.
      1. A côté – LE BATELEUR (renversé) : Rupture pour cause indécision.

1. L’Amoureux ou le choix et l’engagement (Tarot de Marseille, Christiane Laborde)

L’arcane six du tarot de Marseille représente un jeune homme, surmonté d’un Cupidon ailé armé d’une flèche, face à deux jeunes femmes qui sollicitent, toutes les deux, son attention. La scène peut évoquer un épisode de la mythologie gréco-romaine connu sous le nom du choix d’Hercule. Une fois son éducation terminée, le jeune héros rencontre, à un croisement de routes, deux jeunes femmes, nommées Plaisir et Vertu. Plaisir incarne la recherche du plaisir des sens et de l’amour, source de satisfactions immédiates mais éphémères, et Vertu, la quête austère d’une gloire future. Hercule choisit de suivre Vertu et réalise les exploits qui assureront sa notoriété pour la postérité. Il fait ainsi un choix déterminant qui engage sa vie et sa destinée, ce qui correspond au message transmis par l’arcane de L’Amoureux. Certains tarots nomment parfois cet arcane Les Amants, représentés par un couple également surmonté d’un Cupidon. Mais que l’arcane mette en scène un jeune homme face à deux jeunes femmes ou un couple d’amoureux, l’arcane VI concerne toujours les relations amoureuses, d’autant que Cupidon est le fils de Vénus, la déesse de l’Amour.

L’enfant Bateleur est désormais devenu adolescent (même costume bariolé et même blondeur). Une fois son éducation achevée, il s’ouvre à la découverte de l’amour et choisit d’y consacrer sa vie.

Le nombre six

Étymologiquement, six et sexe ont la même racine. L’arcane six de L’Amoureux concerne le domaine de la vie amoureuse et inclut la sexualité, ce qui signifie que la voie du tarot n’est pas une voie d’ascétisme. Le message de l’arcane va cependant au-delà d’une simple incitation au plaisir des sens, car le nombre six est aussi le nombre dédié à l’harmonie, la beauté et l’amour.

Le nombre six est celui du sceau de Salomon. Il représente une étoile à six branches, constituée par l’imbrication de deux triangles inversés, dont l’un a la pointe orientée vers le haut et l’autre vers le bas. Cette figure géométrique, dont les représentations les plus anciennes datent de quatre mille ans avant notre ère, symbolise l’harmonisation des principes opposés obtenue par le dépassement des oppositions qui la constituent, particulièrement celles du masculin et du féminin. Une énergie nouvelle peut alors naître de leur complémentarité, comme l’union de l’eau et du feu libère l’énergie de la vapeur.

Interprétation symbolique de L’Amoureux

La connotation amoureuse de l’arcane six laisse penser que l’amour ouvre une voie vers un état de conscience supérieur. Lorsqu’il est sublimé, il devient un chemin vers le divin (y compris dans son aspect sexuel). C’est le message de l’amour courtois chanté par les troubadours du Moyen-Age et par les poètes de la Renaissance. Ils décrivent l’amour entre un homme et une femme comme le premier degré de la voie qui conduit à l’amour divin. C’est aussi le message transmis par le tantra, pratique initiatique sacrée à la fois physique et spirituelle. Cette conception de l’amour sert de terreau au message de L’Amoureux.

Invitation de L’Amoureux

Comme Pétrarque et Laure, Dante et Béatrice et, avant eux, les amants courtois de la fin’amor, L’ Amoureux du tarot est invité à s’engager, corps et âme, dans la voie de l’amour et à lui consacrer sa vie. Cet élan amoureux doit cependant être dépouillé de sa dimension possessive pour tendre vers une conception plus élevée de l’amour, seule capable de combler le besoin d’élévation et de fusion avec le divin qui s’exprime à travers lui.

Car l’expérience amoureuse rapproche l’être du mystère de la création. Elle ne se limite pas aux relations sexuelles, mais se caractérise par une ouverture du coeur. Elle invite à rechercher la beauté dans toutes les relations humaines et toutes les créatures vivantes – végétales et animales-, mais aussi dans les arts, la culture et tout ce qui élève l’âme et permet de cultiver l’harmonie, en soi et autour de soi.

Prière Navajo

Maintenant va de l’avant comme quelqu’un qui a la longue vie,
Va de l’avant comme quelqu’un qui est heureux,
Va avec le bonheur et la longue vie,
Va mystérieusement.

Pour les Indiens Navajos, marcher dans la beauté, principalement celle de la Nature, est un chemin spirituel, en harmonie avec l’Univers.

L’arcane affirme le libre arbitre de L’Amoureux qui, pour la première fois, choisit, en conscience, l’orientation qu’il veut donner à sa vie en s’engageant dans la voie de l’amour.

Ombre de L’Amoureux

L’amour conditionnel, la possessivité, la jalousie ou encore le chantage et la manipulation sont les manifestations de l’aspect négatif de L’Amoureux.

L’arcane peut suggérer l’immaturité affective (L’Amoureux est encore un adolescent). Cette absence de confiance en soi peut aussi révéler la peur d’aimer, par crainte de souffrir et empêcher de vivre des relations basées sur l’acceptation et le respect de l’autre, particulièrement dans la relation amoureuse.

L’Amoureux peut encore mettre en lumière les doutes qui empêchent de faire des choix engageant sa vie. Car tout choix entraîne un renoncement, et il ne peut exister de choix sans renoncement librement accepté – sous peine de frustration.

L’Amoureux et nous

L’Amoureux nous encourage à prendre nos décisions en conscience, dans l’ouverture du coeur, sans subir les influences de nos vies passées, de notre famille et de la société. Il nous invite à être libres et à vivre intensément en saisissant  toutes les opportunités de manifester les élans de notre coeur. De nos choix dépend notre progression.

Dans un tirage

Sens général. L’Amoureux est l’arcane du choix et de l’engagement. Lorsqu’il se présente dans un tirage, c’est pour indiquer que la personne se trouve devant la  nécessité de prendre une décision qui engage sa vie. Il peut s’agir d’une relation amoureuse, ou plus largement d’une situation où elle est invitée à suivre l’élan de son coeur et à rechercher ce qui peut lui procurer le plus de plaisir et de satisfaction.

Plan personnel. L’arcane de L’Amoureux invite à cultiver l’harmonie en soi, autour de soi et avec les autres, particulièrement dans ses relations amoureuses ce qui n’est possible que lorsgu’on a pacifié les conflits qui existent en soi. Pour aimer et accepter l’autre dans toute sa complexité, il faut d’abord s’aimer et s’accepter soi-même.

Plan spirituel. L’Amoureux invite à s’engager dans la voie de l’ouverture du coeur comme dans une voie spirituelle menant à la fusion avec les énergies supérieures de l’Amour et de la Beauté.


2. L’Amoureux ou Le choix de l’amour (Intuiti)

Le jeune Werther découvre son amour pour Lottie quand il est encore dans son carrosse, avant même qu’il ne la rencontre pour la première fois. Même si l’on pouvait conclure à une intervention divine, en réalité, c’est le jeune homme qui décide de tomber amoureux : il croit que la seule voie pour vivre sa liberté passe par Lottie.  C’est bien de cela qu’il s’agit : choisir la bonne voie, celle qui nous rendra heureux en fin de compte, même s’il nous faut renoncer aux autres choix, même si le chemin choisi semble le plus risqué ou le plus difficile. Découvrir ce que nous aimons réellement peut sembler dangereux, cela nous mène souvent à des carrefours périlleux, avec, d’une part, les choix faciles ou sans danger et, d’autre part, le courage nécessaire pour renoncer à la conformité et emprunter notre vraie voie.

C’est le moment du choix : “Qu’est-ce que j’aime le plus ? Qu’est-ce qui me retient ? Qu’est-ce qui me fait ressentir si fort que c’est là le chemin à emprunter ?

Vous aimerez cette carte si vous avez dépassé ce conflit, si vous avez déjà déterminé ce que vous aimez et ce que vous n’aimez pas, et que vous en êtes sorti indemne.  A contrario, cette carte est angoissante pour ceux qui ont peur de devoir faire ce genre de choix : “Dois-je quitter mon job qui me fait tant souffrir ? Mais que vont dire les gens ? Que vont penser mes parents ?” L’Amoureux nous pousse vers ce que nous aimons mais nous invite aussi à réfléchir : “Est-ce que j’aime réellement ce que je fais ? Et si j’aime ça, pourquoi suis-je si fatigué ? Qu’est-ce qui me manque ?

L’HISTORIETTE. Un beau matin, elle laisse tomber son sac sur le sol et part en courant. Elle quitte sa maison, son travail et ses amis. Sur la route, elle rencontre un cheval  et continue à galoper jusqu’au moment où elle quitte le sol. Son coeur bat bien trop vite pour qu’elle s’arrête. Ce n’est pas qu’elle vole dans les airs : simplement, elle retrouve sa vraie nature.

LA RECOMMANDATION : “Faites-le à votre manière ou ne le faites pas !


3. L’Amoureux (Jodorowsky)

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EXTRAIT : “Union. Vie émotionnelle. Le nom de cette carte n’est pas, comme on l’a parfois dit, Les Amoureux mais L’Amoureux au singulier. Pourtant nous y voyons plusieurs personnages : quatre de forme humaine (les trois personnes et l’ange) et, si on le veut bien, deux entités qui sont la terre et le soleil. Parmi eux, qui est L’Amoureux ? Le personnage central, souvent interprété comme un garçon ? Le personnage de gauche, dans lequel certains lecteurs voient un travesti ? Ou encore l’ange, ce petit Cupidon qui pointe sa flèche depuis le ciel ? Ces questions se posent car l’Arcane VI est probablement, avec La Maison Dieu, l’une des cartes les plus ambiguës du Tarot, et une de celles qui ont été le plus mal comprises. Le VI représente, dans la numérologie du Tarot, le premier pas dans le carré Ciel. C’est le moment où l’on cesse d’imaginer ce qui nous plairait pour commencer à faire ce que l’on aime.

La tonalité majeure de cette carte concerne le plaisir, la vie émotionnelle.  C’est la raison même pour laquelle elle est si complexe, si riche de significations contradictoires. Elle ouvre le champ à d’innombrables projections, on peut lui attribuer mille interprétations qui seront toutes justes à un moment donné. Que se passe-t-il au sein de ce trio ? Est-ce une querelle, un marchandage, un choix, une union ? Les deux personnages de gauche se regardent pendant que celui de droite regarde dans le vide. L’humanité entière peut être comprise à travers cette carte. Les relations de ses protagonistes sont extrêmement ambivalentes.

La position des mains des personnages est particulièrement intéressante à observer. Cinq mains dans des positions diverses symbolisent la complexité des relations en jeu. Le premier personnage, à gauche de la carte, pose sa main droite sur l’épaule du deuxième, dans un geste de protection ou de domination, pour le pousser ou le retenir. Sa main gauche touche le bas du costume du garçonnet. On peut interpréter le mouvement de son index tendu comme un désir de glisser vers le sexe, ou au contraire un interdit à le faire. Le garçon a sa main droite (à notre gauche) appuyée contre sa ceinture. On note au passage que celle-ci, jaune à trois bandes, est la même que celle de la femme de gauche. Si l’on admet la ceinture comme symbole de la volonté, ce détail unit les deux personnages. Mais à qui appartient la main, à notre droite, qui touche le ventre de la jeune femme ? Le garçon et elle-même ont un vêtement à manches bleu foncé, si bien le mouvement de ce bras est ambigu. Ils font en quelque sorte « bras commun». Si le garçon touche le ventre de la jeune fille au niveau du sexe, la direction de son regard va cependant vers la gauche. La carte aura une signification bien différente si l’on considère que c’est son bras à elle qui protège ou indique son ventre alors que le garçon garde sa main dans le dos…

La femme de droite porte une coiffe composée de quatre fleurs à cinq pétales. Elle pourrait représenter une belle conscience poétique et néanmoins solide. Le coeur violet des fleurs concentre la sagesse de l’amour, voire la capacité de se sacrifier. La femme de gauche porte une couronne de feuilles vertes, active (la bande rouge), et si l’on accepte qu’il s’agit de laurier, on peut dire qu’elle a une mentalité de triomphatrice ou de dominatrice.

On peut spéculer à l’infini sur les relations des trois personnages : un garçon qui présente sa fiancée à sa mère ; une femme qui découvre son mari avec une maîtresse;  un homme tenu de faire un choix entre deux femmes ou, comme le veut l’interprétation traditionnelle, entre le vice et la vertu ; une maquerelle offrant prostituée à un passant ; une jeune fille qui demande à sa mère la permission d’épouser le garçon qu’elle a choisi ; une mère amoureuse de l’amant de sa fille ; une mère préférant l’un de ses deux enfants à l’autre…

Les interprétations sont inépuisables. Toutes nous conduisent à dire que L’Amoureux est une carte relationnelle qui représente le début de la vie sociale. C’est le premier Arcane où il y a plusieurs personnages présentés au même niveau. Les disciples du Pape étaient plus petits que lui et de dos). C’est une carte d’union et de désunion, de choix sociaux et émotionnels. Plusieurs indices présents dans la carte orientent vers la notion d’union. D’une part, le chiffre 6 dans l’alphabet hébreu est associé à la lettre Vav, le clou, qui représente l’union. D’autre part, on remarque entre les jambes des personnages des taches de couleur (bleu ciel puis rouge) qui représentent, elles aussi, une continuité, une union entre eux. Sur un plan symbolique, on pourrait dire que les trois personnages représentent trois des instances de l’être humain : l’intellect, le centre émotionnel et le centre sexuel qui s’unissent pour ne faire qu’un.

La terre est labourée sous les pieds des personnages. Cela signifie que, pour arriver au VI, il faut avoir fait un travail préalable, psychologique, culturel et spirituel. C’est ainsi que l’on en arrive à réaliser ce que l’on aime, ce que l’on veut. Les chaussures rouges du personnage central sont les mêmes que celles du Mat et de l’Empereur : on peut les considérer comme trois degrés d’un même être. On note aussi que, entre  ce personnage et sa voisine du côté droit, la terre s’arrête, il n’y a que la tache rouge. On peut alors voir en eux une représentation de l’animus et l’anima, deux aspects masculin et féminin d’une seule personne.

L’orthographe AMOVREUX avec le ‘V’ à la place du ‘U’ crée un lien visuel et sonore avec le mot Dieu de LA MAISON DIEV. On pourrait dire que le soleil, qui verse ses rayons sur la scène, représente le grand Amoureux cosmique, la divinité comme source d’amour universel qui nous conduit à l’amour conscient et inconditionnel. Le petit Éros lui sert de messager et nous suggère, étant représenté sous les traits d’un enfant, que cet amour se renouvelle constamment.

Dans une lecture

Cette carte ambiguë nous incite à nous questionner sur notre état émotionnel : comment va notre vie affective ? Sommes-nous en paix ou en conflit ? Faisons-nous ce que nous aimons ? Quelle place l’amour a-t-il dans notre vie ? La situation qui nous occuppe a-t-elle des racines dans notre passé, et lesquelles ? On peut s’interroger sur la place qui nous a été attribuée au sein de la famille, travailler à identifier les projections que nous reportons sur notre entourage actuel. L’Amoureux sera, au choix, un des personnages de la carte, dont les relations pourront être commentées par le (la) consultant(e). Quelle que soit la question, il sera utile de rappeler que L’Amoureux central demeure le grand soleil blanc qui irradie, illuminant tous les vivants sans discrimination.

Et si L’Amoureux parlait …

Je suis le soleil de l’Arcane, le soleil blanc : presque invisible mais éclairant tous les personnages. Je suis cette étoile : la joie d’exister, et la joie que l’autre existe. Je vis dans l’extase. Tout me donne du bonheur : la Nature, l’univers entier, l’existence de l’autre sous toutes ses formes – cet autre qui n’est autre que moi.

Je suis la conscience qui brille comme une étoile de lumière vivante au centre de votre coeur. Je me renouvelle à chaque instant, à tout moment je suis en train de naître. À chaque battement de votre coeur, je vous unis avec l’univers entier. C’est de moi que partent les liens infinis qui vous unissent à toute création. Ah, le plaisir d’aimer ! Ah, le plaisir de m’unir ! Ah, le plaisir de faire ce que j’aime ! Messager de la permanente impermanence, je renais à chaque seconde. Je suis comme un archer nouveau-né qui lance des flèches vers tout ce que ses sens peuvent capter.

Je ne suis pas la gentillesse, je ne suis pas l’ambition du bien-être ou du triomphe. Je suis l’amour inconditionnel. Je vous apprendrai à vivre dans l’émerveillement, la reconnaissance, la joie.

Lorsque je pénètre en vous, comme dans les personnages de l’Arcane, je communique l’amour divin à la moindre de vos cellules. Je souffle sur votre mental comme un ouragan chaleureux qui élimine du langage la critique, l’agression, la comparaison, le mépris, et toutes les gammes de l’orgueil qui séparent le spectateur de l’acteur. Je m’insinue dans votre énergie sexuelle pour adoucir toute brutalité, tout esprit de conquête, de possession. Je confère au plaisir la délicatesse sublime d’un ange qui éclate. Lorsque je me dissous dans votre corps, c’est pour le détacher de la dictature des miroirs et des modèles, du regard des autres, de la douleur des comparaisons. Je lui permets de vivre sa propre vie, d’assumer sa lumière et sa beauté. Dans le coeur où j’habite, je chasse les illusions de l’enfant mal-aimé. Comme la cloche d’une cathédrale, je répands dans le sang la vibration pénétrante de l’amour, dénuée de toute rancune, de toute demande émotionnelle travestie en haine, et de toute jalousie, qui n’est que l’ombre de l’abandon. Je vous initie au désir de ne rien obtenir qui ne soit aussi pour les autres. L’île du moi se transforme en archipel.

Tout concourt à augmenter ma joie, même ce que vous interprétez comme des circonstances négatives : le deuil, la difficulté, la petitesse, les obstacles. J’aime les choses et les êtres tels qu’ils sont, avec leurs infinies possibilités de développement. À chaque instant, je les vois et je suis prêt à participer à leur épanouissement, mais aussi à accepter qu’ils demeurent tels quels.

Vie sociale, Joie • Aimer ce que l’on fait • Faire ce que l’on aime • Nouvelle union • Choix à faire • Plaisir • Beauté • Amitié • Couple à trois • Tomber amoureux(se) • Conflit émotionnel • Séparation • Dispute • Terrain incestueux • La fratrie • Idéal et réalité • Premiers pas dans la joie de vivre • Amour conscient • Amour inconditionnel • La voie de la Beauté…


4. Les Amoureux (Vision Quest)

L’ESSENCE : DÉVOUEMENT – Amour à tous les niveaux, dans toutes les dimensions, aussi bien platonique qu’érotique – Profonde fusion – Dissolution – Retour – Compagnon et Compagne spirituelle – Ami et amie du coeur..

LE MESSAGE INTÉRIEUR : Pour pouvoir vous dévouer véritablement, vous devez être fort, et non pas faible ! Souvent les personnes pensent que c’est uniquement la faiblesse qui se dévoue. Mais c’est exactement le contraire. On doit avoir la force de se dévouer à l’amour sans rien attendre en retour, sans même savoir si l’amour va nous répondre… Ceci ne peut se produire que s’il existe une grande confiance universelle. Votre force d’amour est le cadeau le plus important
de votre vie. Ne la laissez pas s’affaiblir, même si elle est accompagnée de douleur. Le feu de l’amour est le chas de l’ aiguille par lequel chacun de nous doit passer dans sa vie. Si nous refusons cette chance, nous restons inassouvis.
.

LA MANIFESTATION EXTÉRIEURE : Décidez-vous pour la force de l’amour en vous. Cette force ne coule pas seulement vers une personne. Il existe plusieurs aspects de l’amour. Ne vous limitez pas vous-même, mais permettez au flux de votre vie et de votre force d’amour de couler. Le moment est opportun pour s’accorder la présence d’un ou d’une partenaire. Apprenez à différencier quels sont les énergies et souhaits du coeur que vous donnez et recevez. L’amour spirituel et l’harmonie intérieure peuvent être d’ordre sexuel pour s’accomplir, mais pas obligatoirement. Notre sexualité est un cadeau formidable de la nature.
D’une part, pour le maintien de tous les êtres vivants, et, d’autre part, elle est un chemin merveilleux pour apprendre le dévouement et la fusion les plus intimes qui existent avec la force divine.


5. L’Amoureux (tarot maçonnique)

“Pour aller à la conquête de son unité, l’individu est amené à faire un choix : sortant de l’école du centaure Chiron, il se trouve à la croisée des deux triangles qui forment le sceau de Salomon.

A la jonction du jour et de la nuit, le personnage est au centre de deux attirances ; d’un côté la passivité, la vie affective, et de l’autre la rigueur de l’ascèse nécessaire à la recherche de la lumière. C’est aussi le choix entre la voie de l’intuition (mystique) et celle de l’étude (gnostique).

La flèche du sagittaire est, dans les “Upanishad” le symbole de l’intuition fulgurante ; celle décochée par Eros est animée par les sentiments d’amour, de désir, de générosité. L’arc est le symbole des tensions d’où jaillissent nos désirs liés à l’inconscience enfoui dans l’oeuf primal.

L’énergie qui anime l’être humain est doublement marquée par la rencontre d’un courant vertical (dynamisme de l’esprit) et horizontal (sentiment, “affectus”). Dans l’image, l’être est double, divisé même entre deux figures : l’une ondoyante et attirante, l’autre rigide comme une colonne.

Le niveau, outil du maçon opératif, permet le contrôle de l’équilibre nécessaire à ce stade du Travail du Compagnon.”


6. Les amoureux de la forêt (Forêt enchantée)

“Les Amoureux de la forêt sont placés à Beltane, l” mai, la fête des rites de printemps et le portail vers l’été. Dans cette position, ils équilibrent les suites d’Arcs et de Flèches et les éléments feu et air, et représentent l’échange délibéré d’énergie qui engendre la conscience féconde.

DESCRIPTION : Un homme et une femme se tiennent côte à côte, vêtus du vert et du brun de la Forêt enchantée. Ce sont Robin des Bois et Lady Marian, les Amoureux de la forêt, réincarnés maintes fois sous toutes sortes de noms. Entre eux se trouve un poteau enrubanné de mai, généré par leur échange d’énergie et symbolisé ici par un bouleau. Des guirlandes vertes montent autour de lui en spirale vers le ciel, représentant les énergies ascendantes de la Terre qui rencontrent les énergies descendantes du ciel. Les Amoureux de la forêt créent une étincelle de vie qui génère une troisième force ou énergie. Les pieds-de-veau sont en fleur au moment de Beltane. Ils symbolisent l’union masculine et féminine à cette époque de l’année, ainsi que les énergies génératrices conférant plénitude et harmonie à ce moment du cycle de l’année.

SIGNIFICATION : Les Amoureux de la forêt représentent en même temps l’équilibre dans les relations et l’union sexuelle. Nous sommes tous des fragments holographiques de l’univers, renfermant en nous à un quelconque degré l’ensemble de la création et des archétypes de l’Arcane majeur. À mesure que nous pénétrons dans la grande forêt de la vie, nous cherchons la richesse et l’harmonie émotionnelles sur le plan le plus profond. À partir de là, l’amour fleurit, nous enlaçant encore plus étroitement dans une existence où les différences disparaissent et les scories de la cupidité et de la possessivité sont brûlées dans les feux de la vie.

Le véritable amour vient de l’union de deux énergies polaires pour créer une troisième force ou conscience. C’est un échange d’énergie et de passion, pas la domination de l’une ou de l’autre mais un transfert délibéré de volonté et de respect. Pour être complets, nous devons apprendre à accepter et à montrer de l’amitié à tous les aspects de notre personnalité, masculin et féminin, clair et obscur, processus qui permet une circulation naturelle en nous du cycle des saisons. Si nous n’accueillons pas tous les archétypes, ils se sentent reniés et mal à l’aise, comme des fantômes frappant à la fenêtre, cherchant à se faire connaître.

À mesure de notre progression, nous trouvons l’équilibre de notre personnalité à travers nos relations. Certains hommes créatifs et sensibles sont équilibrés par une « chasseresse » forte. Certaines femmes attentives et artistes sont équilibrées
par un aspect masculin très motivé. Le genre physique peut varier, mais la polarité fonctionnera ou échouera.

Pour aimer réellement, nous devons être complets, accepter tous les aspects de notre personnalité et accepter cette même complétude chez autrui. La polarité varie d’un jour à un autre, d’un moment à un autre, mais l’individu réellement complet possède tous les éléments fragmentés de sa personnalité et est capable de les affronter chez les autres. La joie de l’union est entière et facile. L’amour est sa propre récompense.

POINTS ESSENTIELS DE LA LECTURE : Sur un plan personnel, l’amour est un don universel au coeur généreux, et la personne en quête trouvera l’équilibre grâce à l’harmonie et à la guérison intérieures. La polarité est l’élément clé du flux et du reflux naturels de l’engagement émotionnel. Les Amoureux de la forêt représentent la force spirituelle positive de l’énergie émotionnelle créative et du désir universel d’harmonie. Les habitants de la Forêt verdoyante révèrent et respectent les rites de l’amour en tant que force assurant le déroulement du cycle de la création et la stabilité émotionnelle. Amenez toujours avec vous la lumière de l’amour et laissez-la éclairer les recoins les plus sombres de votre monde et vous soutenir dans toutes vos actions.

Racines et branches
Union bénie | Amitié | Rites de printemps | Equilibre polaire des âmes | Désir | Cerf blanc arthurien | Amour éternel | Voeu sacré


7. Nemetona (tarot celtique)

“Si les temples des Celtes (cercles de pierres au plus profond de la forêt) s’appelaient nemeton, Nemetona ne peut qu’être la mère du bois, la déesse-arbre vêtue de feuilles et d’écorce. À cette image de sérénité et de paix, de secret et de fraîcheur, il vient toutefois s’en ajouter une autre, bien moins pacifique, qui présente aussi Nemetona comme une divinité guerrière, une sorte de Victoire, compagne du dieu Mars. Guerre et paix, tendresse et passion, harmonie et rivalité : tels sont du reste les traits caractéristiques de la déesse mère celtique, déesse du combat et de l’ amour, de la fertilité et de la lutte. On retrouve d’ ailleurs la même ambivalence dans le sentiment amoureux, considéré comme une entité abstraite indépendante, intense, violent, très doux et toujours tourmenté. Le panthéon celtique compte deux divinités de l’ amour : le jeune Oengus, fils du Dagda, épris d’une femme changée en cygne ; et la belle Ainè, vénérée encore aujourd’hui au solstice d’été, quand elle apparaît au sommet des collines aux jeunes filles amoureuses.

LA CARTE : Comme l’amour sentimental, spirituel ou physique, dont les trois visages nous tourmentent et nous charment, Nemetona, qui préside au repos et à la guerre, à la tendresse et à la passion, revêt ici une apparence triple. Le caractère lié à la végétation ressort non seulement de la coiffure et de l’habit faits respectivement de feuilles et d’écorce, mais aussi du teint verdâtre et du vert franc et brillant des iris. L’expression différente de chacun des trois visages souligne de son côté l’idée du changement et de l’incertitude propre à cette carte : celui du milieu est énergique et combatif, tandis que les deux autres sont soucieux et mélancoliques.

SIGNIFICATION ÉSOTÉRIQUE : Rien de ce qui vit dans l’univers n’est rigoureusement fixe : tout est sujet à changer, en se balançant souvent de part et d’autre et en naviguant vers son contraire. Il n’existe pas de vérité unique : chaque vérité a plusieurs facettes, plusieurs aspects, car l’absolu se cache derrière le relatif. L’amour est la seule énergie capable de concilier les contraires, par la force de cohésion de l’âme : dans l’amour, les contraires se rejoignent ; les doutes s’aplanissent et la fluctuation qui nous fait souvent perdre notre chemin se transforme en joyeuse certitude.

MOTS CLEFS : amour, rencontre, doute, choix, art, agriculture.

A L’ENDROIT : rencontre de l’âme soeur, amour, projets de mariage ; fidélité, dévouement, choix décisif ; amitié, altruisme ; art, beauté, affinité ; fécondité physique et intellectuelle ; réussite aux examens, épreuves surmontées ; récoltes agricoles ; alliances utiles ; santé recouvrée grâce à une alimentation saine ; parents, prétendants, enfants, animaux domestiques.

A L’ENVERS : hésitations, doutes, insatisfaction, frustration ; tromperies, tentations, rencontres mettant l’avenir en péril ; conflits, désirs inassouvis, instabilité, obstacles ; échec à une épreuve ; sexualité débridée ou inhibée, séparation, célibat, fiançailles repoussées ; sacrifice, froideur, égoïsme ; projets hasardeux, affaires en suspens ; dépression, risque de maladie ou d’accident, stérilité, malaises, troubles intestinaux, affections des reins, du sein et de la gorge.

LE TEMPS : mercredi, septembre.

SIGNE DU ZODIAQUE : Gémeaux, Taureau, Balance.

LE CONSEIL : laissez la force de l’ amour rythmer vos journées et guider vos choix : grâce à elle, toutes les décisions que vous prendrez contribueront à répandre la lumière en vous et tout autour de vous.


8. Les Amoureux (Johannes Fiebig, ill. Dali)

Dali Pinxit

PARADIS ET OMBRE – Beaucoup se souviennent de l’histoire de l’Expulsion du Paradis telle qu’elle est décrite dans la Bible et dans d’autres récits. L’histoire du Retour au Paradis, de la Vie éternelle qui commence le jour du Jugement dernier, est en revanche méconnue et appartient pourtant à la tradition occidentale. Ce jour du Jugement dernier est aujourd’hui !

Nous aspirons à l’amour, mais en secret nous avons peutêtre peur de pouvoir aimer et/ou d’être aimé. Notre bonheur en amour dépend beaucoup des objectifs et représentations que nous lions au mot amour. Tant que nous sommes à la recherche de notre moitié, nous courons le risque de nous réduire de moitié. Ou bien nous recherchons un maximum de ressemblance personnelle : réfléchissez dans quelle mesure cette idée vous porte.

Si vous cherchez quelqu’un avec qui vous êtes d’accord à tout point de vue, qui vous connaît exactement et vous comprend, une seule personne remplit ces conditions : vous-même. Plus les différences sont marquées, plus les points communs sont enrichissants ! À partir du moment où nous sommes capables d’aimer les différences, un nouveau paradis s’ouvre alors à nous ! Sur ce chemin, ombres et nuages noirs doivent être transpercés. Seul l’amour basé sur l’individualité et l’originalité de l’individu arrive au nouveau paradis et atteint le paroxysme (comme la silhouette de l’ange sur l’image) dans des moments de bonheur suprême qui outrepassent la portée de chaque homme.

CONSEILS PRATIQUES -Le petit ange de la carte incarne aussi l’enfant des deux amoureux. Cela peut être pris au sens propre comme au sens figuré. Tout type de relation, y compris la relation avec soi-même ou la relation avec des partenaires commerciaux, porte au sens figuré un enfant : des résultats productifs – preuve vivante d’une collaboration collégiale – porteurs de vie et d’avenir.

RÉFÉRENCES ARTISTIQUESNeptune et Amphitrite (1516), Gemaldegalerie, Berlin, par Jan Gossaert, nommé Mabuse, né à Maubeuge (Hainaut) entre 1470 et 1480, mort à Bréda en 1532.


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Lisons encore les symboles en Wallonie…

Quand la découverte d’un trésor nous met sur les traces d’un voleur…

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[ARTIPS.FR, 15 novembre 2024] Qu’est-ce qui se cache là-dessous ?  Belgique. En 2019, l’archéologue Marleen Martens est appelée sur un nouveau dossier. Un particulier français vient de déclarer une découverte sur son terrain belge : en creusant, il serait tombé sur de vieilles pièces. Selon la loi du pays, il devrait en être le propriétaire, Marleen n’a qu’à faire quelques vérifications. Mais une fois sur place, l’archéologue trouve la situation plutôt louche.

En effet, on lui présente deux seaux remplis de… 14 154 pièces romaines. Parmi elles, se trouvent des “Antoniniens”, du nom d’un empereur du 3e siècle. À cette époque troublée, les Romains enterraient leurs trésors pour éviter les vols. Mais Marleen est sceptique devant leur nombre considérable. Y aurait-il anguille sous roche ?

Commence alors une enquête de longue haleine entre autorités belges et douanes françaises. Très vite, le couperet tombe : ces pièces proviennent en fait de plusieurs régions de France. Si le pilleur, adepte du détecteur de métaux, a menti, c’est que la loi française considère que ces vestiges archéologiques appartiennent à tout le monde : personne ne peut se les approprier ! Le pilleur espérait profiter de la loi belge pour “blanchir” ses découvertes illégales.

Et ce n’est pas tout… Les enquêteurs découvrent chez lui plus de 13 000 objets précieux : bracelets de la préhistoire, fibules (épingles de métal) romaines, boucles de ceinture médiévales ou encore monnaies gauloises. On retrouve même un rare dodécaèdre romain, un mystérieux objet à 12 faces, dont on ignore l’usage.

Mais ces trouvailles sont loin d’être une bonne nouvelle pour les archéologues. Les œuvres ont été arrachées à leur contexte initial : il est désormais impossible de connaître leur passé et de fouiller de manière scientifique le lieu de leur découverte. De précieuses informations sur notre histoire commune ont ainsi disparu. Le pillage archéologique, s’il enrichit quelques-uns illégalement, appauvrit donc nos connaissances. Voilà pourquoi il est important d’avoir des experts vigilants comme Marleen Martens ! Comme le souligne l’Institut national [français] de recherches archéologiques préventives (INRAP) : “Le pillage revient à déchirer des pages de notre histoire.

d’après Adeline Pavie, artips.fr


Le Dodécaèdre Romain, un Mystère de l’Antiquité

[CHRONIQUESARCHEO.COM, 20 February 2024] Le dodécaèdre romain représente l’un des mystères les plus fascinants de l’antiquité. Ces objets, dispersés à travers les anciennes terres de l’Empire romain, continuent de susciter l’étonnement et la curiosité parmi les historiens, les archéologues et les passionnés d’histoire. Malgré de nombreuses recherches et théories, la fonction exacte et l’origine de ces artefacts en bronze ou en pierre demeurent un sujet de débat. Avec leurs douze faces pentagonales percées de trous de dimensions variées, les dodécaèdres romains sont un témoignage intrigant de l’ingéniosité et des mystères de la civilisation romaine. Cet article vise à explorer les différentes facettes de ces objets insolites, de leur découverte à leurs hypothétiques fonctions, tout en mettant en lumière leur importance culturelle et archéologique. En nous plongeant dans l’univers des dodécaèdres romains, nous espérons non seulement en apprendre davantage sur ces objets mystérieux mais aussi sur les peuples qui les ont créés et utilisés.

Découverte et Description

Les dodécaèdres romains ont été découverts pour la première fois dans les régions autrefois occupées par l’Empire romain, s’étendant de l’Angleterre à la Hongrie et du nord de l’Italie à la Syrie. Ces artefacts datent généralement du IIe au IVe siècle après J.-C., une période où l’Empire romain était à son apogée. Leur répartition géographique vaste et parfois disparate soulève des questions sur leur utilisation et leur signification au sein de la société romaine.

Dodécaèdre romain en bronze découvert à Leopoldwal (Tongres, BE) en 1939 © Musée gallo-romain de Tongres

Physiquement, le dodécaèdre romain est un objet en trois dimensions composé de douze faces pentagonales. Chacune de ces faces est percée d’un trou rond ou carré de diamètre variable, allant de quelques millimètres à plusieurs centimètres. Les dodécaèdres sont généralement fabriqués en bronze, bien que quelques exemples en pierre aient également été trouvés. Leurs tailles varient, mais la plupart mesurent entre 4 et 11 centimètres de diamètre. De petites boules sont souvent présentes aux sommets, ajoutant à leur aspect énigmatique.

Ces objets, malgré leur apparence uniforme, présentent des variations subtiles qui suggèrent une fabrication méticuleuse et possiblement des fonctions spécifiques. Les archéologues ont recensé plus d’une centaine de ces dodécaèdres, mais aucun contexte archéologique précis n’a permis de déterminer leur usage avec certitude. Leur découverte dans des lieux variés, tels que des sites résidentiels, des tombes ou près de voies romaines, ajoute à la complexité de leur étude.

La précision de leur conception et la diversité des lieux de découverte posent un défi captivant pour les chercheurs. Chaque dodécaèdre romain découvert apporte de nouvelles données mais aussi de nouvelles énigmes sur la vie et les croyances des Romains. Cette section a pour but de dresser un portrait détaillé de ces objets, en se basant sur les découvertes archéologiques actuelles, pour poser les fondations nécessaires à la compréhension de leur potentiel mystère.

Théories sur l’utilisation des dodécaèdres romains

La fonction exacte des dodécaèdres romains reste un sujet de débat parmi les chercheurs, plusieurs théories ayant été proposées pour expliquer leur utilité et leur signification au sein de la société romaine. Ces hypothèses varient grandement, reflétant la complexité et l’énigmatique nature de ces objets.

Une des théories les plus populaires suggère que les dodécaèdres pourraient avoir été utilisés comme des instruments de mesure astronomique ou géométrique. Les trous de tailles variées, alignés de manière précise, pourraient permettre de mesurer les angles des étoiles ou du soleil à différents moments de l’année, servant ainsi de calendrier ou d’outil pour déterminer les saisons agricoles. Cette hypothèse est appuyée par la précision géométrique de leur conception, mais manque de preuves concrètes pour étayer son argumentation.

Une autre théorie avance que ces artefacts avaient une fonction religieuse ou spirituelle. Certains pensent que les dodécaèdres auraient pu être utilisés dans le cadre de pratiques religieuses, peut-être en relation avec un culte de la nature ou des divinités spécifiques. Cette idée est renforcée par la découverte de dodécaèdres dans des tombes ou des lieux considérés comme sacrés, bien que cette utilisation reste spéculative.

Il a également été suggéré que les dodécaèdres pouvaient être des objets du quotidien, utilisés comme des dés à jouer, des poids pour des filets de pêche ou même des bougeoirs. Cependant, la sophistication et l’apparente uniformité de leur conception semblent contredire l’idée d’une utilisation purement utilitaire ou ludique.

Enfin, certains chercheurs ont proposé que les dodécaèdres étaient des objets d’enseignement ou de démonstration mathématique, utilisés pour éduquer ou montrer les principes géométriques. Bien que séduisante, cette théorie, comme les autres, manque de preuves directes liant les dodécaèdres à des pratiques éducatives spécifiques de l’époque.

Bien que diverses théories aient été avancées pour expliquer l’utilisation des dodécaèdres romains, aucune n’a pu être définitivement prouvée. Le mystère de leur véritable fonction continue de fasciner et de défier les chercheurs, symbolisant la richesse et la complexité de l’histoire romaine.

Importance culturelle et archéologique

L’étude des dodécaèdres romains dépasse la simple curiosité pour leur fonction mystérieuse ; elle offre une fenêtre précieuse sur la civilisation romaine, révélant des aspects de leur quotidien, de leurs croyances et de leur savoir-faire technique. Ces artefacts, par leur présence à travers l’Europe, témoignent de l’étendue et de l’influence de l’Empire romain, ainsi que de la diversité des cultures qu’il englobait.

Sur le plan culturel, les dodécaèdres peuvent être perçus comme le reflet de la complexité et de la sophistication de la société romaine. Leur conception précise et leur diffusion dans différentes provinces de l’Empire suggèrent une importance qui dépasse la simple utilité. Que ce soit comme objets de mesure, instruments religieux, ou symboles éducatifs, ils illustrent la capacité de cette civilisation à créer des objets chargés de signification et d’esthétisme.

Archéologiquement, chaque découverte de dodécaèdre apporte son lot de connaissances sur les sites romains et leur contexte. Leur analyse contribue à mieux comprendre les échanges commerciaux, les interactions culturelles et les mouvements de populations au sein de l’Empire. Par exemple, la répartition géographique des dodécaèdres pourrait indiquer des voies commerciales ou des centres de production spécifiques, offrant des indices sur l’organisation économique et sociale de l’époque.

En outre, les dodécaèdres romains soulignent l’importance de l’archéologie pour déchiffrer le passé. Ils rappellent que de nombreux aspects de civilisations anciennes restent à découvrir et à comprendre. Leur mystère incite à une démarche scientifique rigoureuse, mêlant l’analyse matérielle à l’étude historique, pour tenter de percer les secrets de l’histoire humaine.

Bien au-delà de leur fonction originelle encore inconnue, les dodécaèdres romains sont un symbole de l’ingéniosité et de la diversité culturelle de l’Antiquité. Ils représentent un défi constant pour la recherche historique et archéologique, offrant des pistes de réflexion sur les connaissances, les croyances et les pratiques des peuples de l’Empire romain.

Le Dodécaèdre Romain dans la Culture Populaire

Le mystère entourant le dodécaèdre romain a transcendé les cercles académiques pour captiver l’imagination du grand public. Cette fascination se reflète dans diverses expressions de la culture populaire, où le dodécaèdre est parfois présenté comme un artefact ancien doté de pouvoirs mystérieux ou comme un symbole de connaissances perdues.

Dans la littérature, les dodécaèdres romains ont inspiré des auteurs de science-fiction et de fantasy, qui les ont intégrés dans leurs récits comme des éléments clés de l’intrigue, souvent associés à des civilisations anciennes avancées ou à des technologies oubliées. Ces œuvres contribuent à perpétuer le mystère et l’émerveillement autour de ces objets, en les plaçant au cœur de mystères à résoudre ou de quêtes héroïques.

Au cinéma et à la télévision, le dodécaèdre a également fait des apparitions, servant de catalyseur pour des aventures archéologiques ou comme objet mystique doté de pouvoirs inexpliqués. Ces représentations, bien qu’éloignées des théories scientifiques, témoignent de l’attrait universel des dodécaèdres et de leur potentiel à inspirer des histoires captivantes.

Sur internet, les forums et les blogs dédiés à l’histoire et à l’archéologie regorgent de discussions et de spéculations sur les dodécaèdres romains. Des passionnés du monde entier partagent leurs théories, leurs découvertes et leurs créations artistiques inspirées par ces artefacts, contribuant à un corpus grandissant de réflexions et d’interprétations qui enrichit le débat autour de leur signification.

Enfin, les dodécaèdres romains sont également présents dans le domaine de l’éducation et de la vulgarisation scientifique, où ils sont utilisés pour éveiller la curiosité des étudiants et du public sur l’histoire et l’archéologie. Par le biais d’expositions, de conférences et de publications, ces objets mystérieux servent de point de départ pour explorer la complexité de l’histoire humaine et l’importance de la recherche scientifique.

Dali a placé La Cène dans un dodécaèdre régulier, symbole de l’Univers pour Platon. Le dodécaèdre possède 12 faces et il y a 12 apôtres…

À travers ces multiples représentations, le dodécaèdre romain continue de fasciner et d’inspirer, témoignant de la capacité des mystères du passé à éveiller l’imagination et à encourager la découverte. Leur présence dans la culture populaire est un vibrant rappel de l’intérêt indéfectible de l’humanité pour son héritage et les énigmes de l’histoire.

Découvertes Récentes de Dodécaèdre Romain

Les recherches et les fouilles archéologiques continuent de mettre au jour de nouveaux exemplaires de dodécaèdres romains, enrichissant notre compréhension de ces objets mystérieux et de leur distribution à travers l’ancien Empire romain. Chaque nouvelle découverte apporte son lot de données, offrant de précieuses informations sur les matériaux utilisés, les techniques de fabrication et les contextes de leur utilisation.

Récemment, un dodécaèdre en parfait état a été trouvé dans le nord de la France, dans une région riche en vestiges de l’époque romaine. Cette découverte a été particulièrement remarquable en raison de la préservation exceptionnelle de l’objet et de la possibilité d’y détecter des traces d’usure, suggérant son utilisation réelle dans la vie quotidienne romaine. L’analyse des matériaux a révélé des alliages spécifiques qui pourraient indiquer une production locale ou régionale, offrant des indices sur les réseaux économiques de l’époque.

Une autre découverte notable s’est produite en Suisse, où un dodécaèdre a été extrait d’un site archéologique associé à un ancien camp militaire romain. Cette trouvaille a suscité un intérêt particulier pour les chercheurs qui étudient l’expansion militaire romaine et son impact sur la diffusion des objets culturels et technologiques. L’emplacement du dodécaèdre dans un contexte militaire pourrait éventuellement éclairer son utilisation potentielle dans des pratiques ou des rituels spécifiques au sein de l’armée romaine.

En Espagne, la découverte d’un petit groupe de dodécaèdres dans une même zone résidentielle antique a lancé des débats sur leur possible fonction sociale ou communautaire. Cette concentration inhabituelle soulève la question de savoir si ces objets pouvaient servir de marqueurs sociaux ou avaient une signification collective pour les habitants de la région.

Ces découvertes récentes, parmi d’autres, continuent d’alimenter la curiosité et le débat scientifique autour des dodécaèdres romains. Elles montrent que, malgré des siècles de recherche, les secrets de l’antiquité romaine ne sont pas entièrement dévoilés, offrant de nouvelles perspectives et défis pour les chercheurs et historiens modernes.

Les dodécaèdres romains demeurent l’un des mystères les plus captivants de l’archéologie antique. Malgré des siècles de découverte et d’étude, la fonction et la signification de ces objets énigmatiques continuent d’échapper à notre compréhension complète. Les différentes théories proposées, qu’elles envisagent une utilisation astronomique, religieuse, quotidienne ou éducative, témoignent de la complexité de la civilisation romaine et de la diversité de ses pratiques et croyances.

Ces artefacts nous rappellent que, malgré les avancées de la science et de l’histoire, il reste encore de nombreuses facettes de nos ancêtres à explorer et à comprendre. Les dodécaèdres romains, par leur mystère persistant, invitent les chercheurs à poursuivre leurs investigations, utilisant à la fois les méthodes traditionnelles et les technologies modernes pour percer les secrets du passé.

La fascination qu’ils suscitent, tant dans le domaine académique que dans la culture populaire, souligne l’importance de l’archéologie dans notre quête de connaissance sur les civilisations anciennes. Alors que de nouvelles découvertes continuent d’être faites, chaque dodécaèdre romain trouvé est un rappel de l’ingéniosité humaine et un puzzle historique de plus à résoudre.

Les dodécaèdres romains ne sont pas seulement des objets d’étude pour les historiens et les archéologues ; ils sont des symboles de notre quête perpétuelle pour comprendre notre passé et, à travers lui, nous-mêmes. Le mystère qui entoure ces artefacts antiques est un puissant moteur de curiosité et de recherche, nous incitant à continuer d’explorer, d’apprendre et de nous émerveiller devant les réalisations de nos ancêtres.

La rédaction du site chroniquesarcheo.com


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : artips.fr ; chroniquesarcheo.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Musée  de la Rhénanie à Bonn ; © Musée gallo-romain de Tongres | N.B. Un lecteur fidèle nous souffle dans l’oreillette les dodécaèdres pourraient également avoir servi de gabarit pour des pièces de monnaie, des pierres précieuses ou semi-précieuses.


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Dans l’Antiquité, la sorcière était déjà le symbole d’un pouvoir féminin redouté

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[THECONVERSATION.COM, 7 novembre 2024] Si l’on associe habituellement la sorcière à l’époque médiévale, on trouve déjà des figures féminines qui jettent des sorts et sont décrites comme néfastes et castratrices dans les textes grecs et latins de l’Antiquité. Dans son ouvrage Sorcières, la puissance invaincue des femmes (Zones, 2018), l’essayiste Mona Chollet rappelle très justement que les grandes chasses aux sorcières se sont déroulées en Europe, aux XVIe et XVIIe siècles. La répression impitoyable de ces femmes jugées déviantes est un fait moderne.

On trouve cependant dans les textes grecs et latins de l’Antiquité des figures féminines que l’on peut qualifier de sorcières, dans le sens où elles jettent des sorts (sortes en latin) et sont vues comme des êtres nocifs. Quelles sont donc les principales caractéristiques de ces sorcières antiques ?

Les dix types de femmes selon Sémonide d’Amorgos

Rappelons tout d’abord que c’est le genre féminin presque dans son ensemble qui est le plus souvent présenté, dans l’Antiquité gréco-romaine, comme une calamité. Dans son poème Sur les femmes, composé au VIIe siècle av. J.-C., le poète grec Sémonide ou Simonide d’Amorgos classe les femmes en dix catégories dont huit sont associées à des animaux et deux à des éléments naturels. À partir de son œuvre, nous pouvons établir la typologie suivante :

Seule « l’abeille », c’est-à-dire la femme mariée et mère, possède des qualités aux yeux du poète. La sorcière appartient à la catégorie de la renarde ; mais elle peut aussi tenir de la jument ou, au contraire, de la truie, comme nous allons le voir.

Déshumaniser les humains

Circé est l’une des premières figures féminines de la littérature occidentale. Elle apparaît pour la première fois dans l’Odyssée, le fameux poème épique composé par Homère, vers le VIIIe siècle av. J.-C. On la retrouve encore, plus tard, dans l’œuvre d’Hygin (67 av.-17 apr. J.-C.), auteur de fables latines. Le fabuliste raconte que Circé s’était éprise du dieu Glaucus qui repoussa ses avances, car il était amoureux de la belle Scylla. Furieuse, Circé se venge de sa rivale avec cruauté. Elle verse un violent poison dans la mer, à l’endroit où Scylla a coutume de se baigner ; ce qui a pour effet de transformer la victime en chienne à six têtes et douze pattes (Hygin, Fables, 199).

Reléguée dans une île nommée Eéa en raison de ses crimes, Circé n’a de cesse d’y faire le mal. Elle transforme en bêtes les hommes qui ont le malheur de débarquer sur son île. Elle leur fait boire un kykeon, potion enivrante, composée de vin, miel, farine d’orge et fromage, auxquels elle mélange une drogue. Après les avoir ainsi étourdis, elle les transforme en fauves, en loups ou en porcs, d’un coup de sa baguette magique (Homère, Odyssée, X, 234-235). Circé règne sur une sorte de zoo, entourée des animaux qu’elle a elle-même créés et dompte pour son plus grand plaisir. Par ses maléfices, elle incarne la régression de l’humanité devenue monstrueuse ou bestiale.

Dans le roman d’Apulée, Les Métamorphoses, une vieille courtisane nommée Méroé change en castor l’amant qui l’a délaissée et le contraint à s’amputer lui-même de ses testicules (Apulée, Les Métamorphoses, I, 9). La sorcière déshumanise les hommes, tout en les privant de leur virilité.

Tuer des femmes et des enfants

Pasiphaé, sœur de Circé, possède, elle aussi, des pouvoirs néfastes. Pour se venger des infidélités de son époux, le roi de Crète Minos, elle lui administre une drogue qui ne lui fait aucun mal mais provoque la mort de ses maîtresses. “Quand une femme s’unissait à Minos, elle n’avait aucune chance d’en réchapper. […] Chaque fois qu’il couchait avec une autre femme, il éjaculait dans ses parties intimes des bêtes malfaisantes et toutes en mouraient”, écrit le mythographe grec Apollodore (Bibliothèque, III, 15, 1).

Chez le poète latin Horace, la sorcière Canidia découpe le corps d’un enfant encore vivant dont elle extrait le foie et la moelle, ingrédients qui lui serviront à confectionner ses philtres (Horace, Épodes, V).

Pour se venger d’une femme enceinte qui l’a insultée, Méroé lui jette un sort afin qu’elle ne puisse pas accoucher. Son ventre deviendra gros comme un éléphant, mais son enfant ne verra jamais le jour (Apulée, Les Métamorphoses, I, 9).

Détruire la nature

C’est aussi, de manière plus générale, la fertilité de la nature tout entière qu’anéantit la sorcière. Le poète latin Lucain imagine, dans La Pharsale, l’effrayante Erichtho. Elle ne vit pas parmi les humains mais dans une nécropole. Son maigre corps ressemble à un cadavre. Pendant les nuits orageuses et noires, elle court dans la campagne, empoisonne l’air et réduit à néant la fertilité des champs. “Elle souffle, et l’air qu’elle respire en est empoisonné“, écrit Lucain (La Pharsale, VI, 521-522). Comble de l’horreur, elle dévore des cadavres : elle boit le sang qui s’écoule des plaies des condamnés à mort, pendus ou crucifiés. “Si on laisse à terre un cadavre privé de sépulture, elle accourt avant les oiseaux, avant les bêtes féroces” (Lucain, La Pharsale, VI, 550-551).

Une célibataire sans enfants

Circé n’est ni mariée, ni mère.”Elle ne tire aucune jouissance des hommes qu’elle a ensorcelés […] ; ils ne lui sont d’aucun usage“, précise Plutarque (Préceptes de mariage, 139 A). On n’imagine pas, en effet, Circé faisant l’amour avec des porcs ou avec des fauves. Elle demeure donc célibataire et vierge. Cependant, le héros Ulysse parviendra à déjouer ses maléfices et à coucher avec elle. En la possédant, il lui fait perdre son statut d’électron libre. Tout est bien qui finit bien. Soumise, Circé devient une femme ‘normale’ au regard des représentations sociales de la Grèce antique. La renarde est transformée en abeille, selon la catégorisation de Sémonide. Réduite au rôle d’épouse aimante, elle accouchera de trois fils, écrit le poète grec Hésiode (Théogonie, 1014).

Une femme exotique

Circé habite une contrée lointaine, à l’extrémité occidentale du monde connu de l’époque. Elle est perçue comme une étrangère. Sa sœur Médée, elle aussi experte en philtres magiques, vit en Colchide, dans l’actuelle Géorgie, à la marge cette fois orientale du monde grec. Son nom serait à l’origine de celui des Mèdes, peuple du nord-ouest de l’Iran, selon l’historien antique Hérodote (Histoires, VII, 62). Circé et Médée incarnent une altérité féminine exotique.

Chez Apulée, Méroé porte le même nom que la capitale de la Nubie, aujourd’hui au nord du Soudan (Apulée, Les Métamorphoses, I, 7-9). Cette fois, c’est l’Afrique qui représente l’étrangeté. La sorcière est en relation avec les confins du monde.

Jeune fille charmeuse ou vieille femme hideuse

Circé est extrêmement séduisante et désirable avec sa belle chevelure et sa voix mélodieuse, attributs d’une féminité au fort potentiel érotique. C’est une ‘femme-jument’, selon la typologie de Sémonide d’Amorgos. Sur les céramiques grecques du Vᵉ siècle av. J.-C., elle apparaît comme une élégante jeune femme, vêtue d’un drapé plissé. De belles boucles ondulées s’échappent de sa chevelure noire, couronnée d’un diadème. La sorcière se confond alors avec la figure de la femme fatale.

HERMANS Charles, Circé la tentatrice (1881) © Collection privée

Dans cette même veine, à la fin du XIXe siècle, le peintre [belge] Charles Hermans imagine une Circé de son temps, jeune courtisane qui vient d’enivrer son riche client, sans doute pour mieux le dépouiller de son portefeuille. Brune et pulpeuse, elle évoque une gitane, adaptation moderne de l’exotisme de Circé.

Les auteurs d’époque romaine imaginèrent, quant à eux, des sorcières répugnantes physiquement que Sémonide d’Amorgos aurait rangées dans la catégorie des ‘truies’. Des vieilles dégoûtantes (Obscaenas anus), selon l’expression d’Horace qui propose une évocation saisissante de ce type féminin, à travers le personnage de Canidia. Son apparence est effrayante : ses cheveux hirsutes sont entremêlés de vipères. Elle ronge “de sa dent livide l’ongle jamais coupé de son pouce” (Horace, Épodes, V). Cheveux, ongles et dents constituent les contours anormaux de la sorcière, tandis que, de sa bouche, émane un souffle empoisonné “pire que le venin des serpents d’Afrique” (Horace, Satires, II, 8).

Qu’elle soit irrésistiblement séduisante ou d’une laideur repoussante, la sorcière antique incarne un pouvoir féminin considéré comme néfaste et castrateur ; elle symbolise une forme de haine de l’humanité et même de toute forme de vie. Elle est l’incarnation fantasmée d’une féminité à la fois contre-nature et, pourrions-nous dire, contre-culture.

Christian-Georges Schwentzel, historien


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, WATERHOUSE John William, Circé Invidiosa (détail, 1892) © Musée national d’Australie-Méridionale ; HERMANS Charles, Circé la tentatrice (1881) © Collection privée .


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THONART : Raison garder est un cas de conscience.s (2024)

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Elections communales obligent. C’est l’histoire du Bourgmestre de Liège qui va au Conseil communal. Il est toujours de bon ton de commencer un article par une bonne nouvelle : il se sent en sécurité. Plus encore : en pénétrant dans la salle, il y a quelques instants, il savait où il allait s’assoir et il savait qu’il serait flanqué des mêmes collègues que d’habitude. Dans la même veine, toutes les interventions de la séance, il les prévoit et les attend au juste moment où elles sont prévues dans le protocole qui fixe le déroulement des débats. Et pour le conforter dans le sentiment rassurant qu’une règle universelle est d’application (dans la salle du Conseil communal à tout le moins), l’ensemble des personnes, des objets et des décors est à sa place, des cravates (éventuelles) des Conseillers aux dorures des portes, des micros aux galettes sur les sièges.

J’ai longtemps cherché dans la littérature (comme on dit) pour trouver une communauté aussi éprise d’absence de surprise, aussi peu désireuse d’aventure et aussi bien organisée pour se donner un sentiment permanent de… sécurité. Je n’en ai trouvé qu’une : les Hobbits de la Comté.

Voici ce que Tolkien, l’auteur du Hobbit puis du Seigneur des Anneaux, en dit dans les années 1950 (vous allez voir, la ressemblance est troublante), je le cite : “Les Hobbits sont un peuple effacé mais très ancien, qui fut plus nombreux dans l’ancien temps que de nos jours, car ils aiment la paix et la tranquillité et […] s’ils ont tendance à l’embonpoint et ne se pressent pas sans nécessité,  […] Ils ont toujours eu l’art de disparaître vivement et en silence quand des gens qu’ils ne désirent pas rencontrer viennent par hasard de leur côté […] Et, pour ce qui était de rire, de manger et de boire, ils le faisaient bien, souvent et cordialement, car ils aimaient les simples facéties en tout temps et six repas par jour (quand ils pouvaient les avoir) […] et ils étaient très considérés, non pas seulement parce que la plupart d’entre eux étaient riches, mais aussi parce qu’ils n’avaient jamais d’aventures et ne faisaient rien d’inattendu : on savait ce qu’un Hobbit allait dire sur n’importe quel sujet sans avoir la peine de le lui demander…

Alors, que nous dit donc ce besoin obsessionnel de sécurité, manifestement aussi typique des Conseillers communaux que des Hobbits ? Est-il limité à la vie au Conseil ou bien la nécessité de pouvoir faire confiance à notre environnement est-elle plus fondamentale chez l’Humain ? Renoncer à Sauron, chez Tolkien, ou renvoyer la rassurante présence du dieu dans les coulisses, nous a-t-il condamné à rechercher ailleurs une légalité rassurante, c’est-à-dire le sentiment qu’il y a dans l’air que nous respirons tous un ordre des choses qui garantit que ce nous attendons du monde autour de nous, se passera comme nous l’attendons ?

Dieu est mort“, soit, la cause est entendue mais, une fois la Loi divine sortie du décor, il revient de se pencher sur une injonction beaucoup moins facile à gérer au jour le jour : “Tu es ta propre loi,” nous disent les moralistes. Facile à dire. Me voilà tenu de devenir mon propre pouvoir législatif, mon pouvoir exécutif et, surtout, mon propre pouvoir judiciaire : si je suis coupable de quoi que ce soit, c’est moi qui prononcerai la sentence, dans ma délibération intime ! En clair : non seulement tout phénomène, tout événement qui réduit ma sécurité m’obligera à réagir mais je me tiendrai personnellement responsable de ma décision d’agir…

Quand on y regarde de plus près, nous sommes au quotidien, comme les bons citoyens à la fin du siècle des Lumières : la Révolution a raccourci d’une tête tout ce qui ressemblait à l’autorité usurpée du Roi et éloigné du débat public les donneurs de leçons en soutane. C’était assurément un véritable moment de vertige où le bon citoyen ne disposait plus d’aucun catéchisme auquel se conformer, ni de lettres de cachet auxquelles obéir aveuglément ! Que s’est-il passé alors ? Quelles leçons en tirer ?

Les uns (et c’est tout à leur honneur) ont gardé raison et se sont appliqués à convenir de nouvelles règles de vivre-ensemble telle que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, souvent ornée, je cite, de “l’œil suprême de la Raison qui vient dissiper les nuages de l’erreur qui l’obscurcissaient.” Ainsi, sans l’aval du Roi ou du Clergé, des hommes et des femmes faisaient la lumière sur un ensemble de droits dont ils convinrent qu’ils étaient naturels, qu’ils soient individuels ou communs, délimitant un périmètre civilisé, où chacun devait pouvoir se sentir en sécurité.

Les autres (parmi lesquels certains des uns) ont vécu cette liberté soudaine comme des veaux que l’on met à l’herbe pour la première fois : de la pure sauvagerie ! Ils ont couru dans tous les sens ou sont restés terrés près du tracteur ; ils se sont blessés aux barbelés ou se sont assommés mutuellement à coups de cornes et de sabots ; les routiniers ont longuement meuglé qu’ils ne trouvaient plus leurs granulés pendant que les bien-sevrés s’explosaient la caillette en broutant comme des fous !

Toutes proportions gardées, tout phénomène nouveau provoquant un état d’insécurité individuelle semble également être, pour chacun d’entre nous, comme un chaos à expérimenter, comme un lendemain de prise de Bastille : pas de règles auxquelles se conformer ; pas encore assez de confiance dans une situation inédite et une lourde inquiétude quant à la capacité de faire face à l’expérience directe, celle qui est proche de la réalité.

Et d’ailleurs, n’est-ce pas également à ce moment-là, alors que nous ne nous sentons pas en sécurité, alors que nous n’avons pas confiance, que nous aurions tendance à projeter sur le monde des explications qui nous sont propres, des fabulations qui nous rassurent : à savoir, nous raconter des histoires où la Princesse épouse le Prince, où il ne pleut pas pendant le match du gamin et où nous retouchons des impôts ? En un mot comme en cent : des histoires où les gens et les choses respectent une règle du jeu et dans lesquelles la fin tourne à notre avantage.

Nos fabulations (c’est ainsi que Nancy Huston les baptise), nos fabulations face à l’insécurité et leur capacité à nous empêcher de raison garder : c’est bien notre sujet, en trois séries de mots-clefs. Nous commencerons par les 3 premiers d’entre eux : confiance, puissance et légalité.

Première série, d’abord, la confiance

Un philosophe de l’Université de Louvain, Mark Hunyadi, y consacre son livre Faire confiance à la confiance, paru en 2023. Une réelle découverte pour moi. Il y aura un avant et un après. L’auteur s’y étonne du nombre important des occurrences du mot ‘confiance’ dans tous nos discours, sans que la chose ne reçoive de définition claire.

Nous vivons dans des sociétés individualistes“, commence-t-il, c’est-à-dire que la volonté individuelle, l’affirmation de soi, semble y être le moyen suprême pour briser toutes les limitations. Comme souvent dit : c’est au point qu’on est passé du “je pense donc je suis” au “je crois donc j’ai raison.

Qui plus est, précise Hunyadi, le numérique permet à chacun de vivre comme dans un cockpit d’avion, dans un espace protégé où chacun peut, de manière fiable, piloter du bout des doigts son environnement médiatisé. Tout y est sécurisé autant que faire se peut et, de manière quasi libidinale, le numérique satisfait tous nos désirs sans faillir… à condition de choisir uniquement ce qui est sur le menu ! Pas question ici de souhait alternatif, d’option divergente ou de créativité, pas question de pensée négative (c’est une notion positive, à savoir une pensée libre qui serait capable de critiquer le système dans lequel elle pense). Si l’on parle de liberté aujourd’hui, insiste Hunyadi, “c’est une liberté de supermarché !

Pensez à votre dernière commande de pizza en ligne. Vous aviez fortement envie de manger une, je cite, “pizza blanche, pommes de terre, mozzarella, et romarin” en regardant Les Aventuriers de l’Arche perdue devant votre nouveau super-écran de 77 pouces de diagonale. Pas de chance, la pizza n’est plus au menu des plats livrés par votre fournisseur habituel. C’est donc avec la “quatre fromages” plébiscitée par les clients habituels de la plateforme que vous avez vécu la vraie aventure… dans vos pantoufles.

Dans ce contexte de vie médiatisée, où la liberté est limitée par ce qu’offrent les systèmes, l’auteur déplore la diminution de la confiance, non pas à cause d’une augmentation de la méfiance mais, simplement, parce que tout un chacun a moins besoin de la confiance ! La digitalisation de la majorité de nos activités fait rentrer celles-ci dans des cases et des tableaux qui limitent fortement le risque de ne pas voir nos attentes comblées, à la condition que nous restions dans le cadre donné.

Par exemple : ai-je vraiment besoin de faire confiance à Mère Nature lorsque, sans surprise, je reçois un billet de 50 €, que j’ai demandé au travers d’une suite de menus sur l’écran d’un terminal, après m’être identifié grâce à un code secret ?

C’est ici qu’il devient nécessaire de définir cette confiance naturelle qui, selon Hunyadi, est à la base même de notre relation au monde. Pour ce faire, il prend l’exemple assez limpide d’un conducteur au volant de son véhicule. Imaginez : il fait beau ;  vous êtes au volant de votre voiture sur une route de campagne en ligne droite ; vitesse autorisée 90 km/h ; une voiture vient dans l’autre sens à la même vitesse ; elle est sur l’autre bande ; vous allez vous croiser sans ralentir et… continuer votre chemin.

Que s’est-il passé ? Rien. Mais vous avez pris un risque énorme (une collision frontale à 90 + 90 = 180 km/h) parce que vous avez eu confiance dans le fait que l’autre conducteur n’allait pas se dérouter et vous emboutir. Aucune explication rationnelle, aucun contrat avec des petites lettres à la fin, aucun fétiche pendu à votre rétroviseur ne garantissait votre sécurité. Vous avez agi comme s’il était dans l’ordre des choses, dans la légalité naturelle, que la collision n’aurait pas lieu et, d’ailleurs, vous êtes là, aujourd’hui, à me lire, après un pari où vous avez misé votre vie et celle de vos passagers.

C’est de cette confiance-là que parle Hunyadi. Une confiance sans laquelle notre vie serait impossible : comment s’asseoir sans la conviction que la chaise n’est pas en caoutchouc, comment trinquer sans être persuadé que le vin qu’on va boire n’est pas un lavement et comment aller marcher en forêt sans être intimement convaincu du bénéfice qu’on en recevra ?

Partant, voilà une définition plus praticable de la confiance : j’ai confiance quand j’agis comme si les attentes de comportement que j’ai envers le monde où je vis n’étaient pas susceptibles d’être déçues. On fait ça 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ! Cette confiance procède donc plutôt de notre relation au monde, avant que d’être une relation au risque même…

Se sentir en sécurité, c’est donc être en confiance et avoir la conviction que les attentes de comportement que nous avons envers notre environnement seront satisfaites, et que nous pouvons agir dans le cadre d’une certaine légalité, un certain ordre des choses, qui garantit cette sécurité.

D’accord, mais que ce passe-t-il alors si nous ne pouvons avoir pleinement confiance dans notre environnement ; en d’autres termes, lorsque notre sentiment de sécurité n’est pas à 100 % ?

Hunyadi ne répond pas spécifiquement à la question et son propos passe peut-être à côté d’une autre dimension, qui, selon moi, participe également du sentiment de sécurité : la puissance ressentie par chacun. Là où je n’ai pas pleinement confiance, peut-être le sentiment de ma propre puissance peut-il compenser et permettre une équation du type : x % de confiance + y % de puissance = 100 % de sécurité.

Illustrons cela : si une jeune liégeoise descend dans le Carré après minuit (j’ai des noms !), elle ne peut se sentir en sécurité que accompagnée de sa bande (ceci pour la puissance) et que après quelques shots de mauvaise vodka (ceci pour la confiance). Si, il y a de nombreuses années de cela, je descendais dans le même Carré, quelle que soit l’heure, quel que soit le déficit de confiance que je puisse avoir ressenti alors, ma taille et mon poids le compensaient allègrement et je me sentais suffisamment en sécurité.

Mais qu’en est-il alors lorsqu’un homme ou une femme, comme vous et moi, n’a pas pleinement confiance dans son environnement et que, de plus, le sentiment de sa propre puissance est insuffisant pour que, dans son cerveau, le voyant “sécurité” reste au vert ?

Je ne parle pas ici d’inquiétudes globales, comme l’avenir de nos enfants, les orangs-outans qui ne seront bientôt plus que des fantômes, la droite extrême qui prend ses aises dans nos démocraties (les dernières du modèle probablement), ou même l’omniprésence de prothèses numériques de 7 pouces de diagonale qui nécrosent les cervicales de nos ados.

Non, au quotidien, dans des situations où nous ressentons un enjeu personnel et où règne l’inconfort quand nous délibérons dans notre petite tête, nous pouvons avoir le sentiment que notre sécurité – donc, la somme de notre confiance et de notre puissance – n’est pas suffisante pour que nous puissions toujours agir avec une pensée claire, sans inquiétude, sans aveuglement ; en d’autres termes : pour que nous puissions “raison garder” (comme le disait déjà Marie de France, au XIIe siècle), puisque la sécurité semble en  être une condition…

Deuxième série, la confrontation

Jusque-là, nous avons évoqué les trois premiers mots-clefs : confiance, puissance et légalité. On continue…

Tous les phénomènes qui arrivent à notre conscience (à nos consciences, comme on va le voir) n’appellent pas de notre part des réactions simples, des réflexes comme ceux qui réveillent le chat : il sent qu’il a faim, il se lève, va manger, passe par sa litière puis revient digérer sur son coussin. Si c’est la vie rêvée pour un chat ou un Hobbit, c’est la honte pour un honnête individu : être libre et probe demande une délibération intérieure, appelle un travail d’objectivation, nécessite l’analyse des informations traitées, suppose un jugement critique et non-dogmatique des options disponibles, et implique une décision d’agir qui devra être efficace et, accessoirement… juste. Par parenthèse, c’est le très britannique Stephen Fry – un homme selon notre coeur – qui s’indignait devant l’obsession de l’être humain à vouloir être juste, plutôt qu’à vouloir être efficace. Nous en reparlerons…

Qu’il s’agisse de décisions graves ou de choix plus anodins, quand nous sommes confrontés à des phénomènes trop originaux pour notre périmètre de sécurité – réduisant par là notre taux de confiance naturelle – nous devons mettre en oeuvre les trois mots-clefs de la deuxième série, c’est-à-dire : l’aliénation, l’attention et les consciences (au nombre de trois, elles donnent leur “s” au titre de l’article : “Raison garder est un cas de consciences“).

J’insiste ici : souvent, quotidiennement même, alors que nous en avons besoin, nous ne percevons pas de légalité dans nos échanges avec le monde, nous ne décelons pas un ordre des choses qui réduirait notre expérience directe à une résolution de problèmes simples et concrets, avec mesure et raison, sans aveuglement, un peu comme la vie de ce foutu chat qui continue à dormir sur le coussin.

Hélas, le monde, tel qu’il se présente à nous, dépasse notre entendement, c’est un fait (sinon, nous n’aurions pas eu besoin d’inventer des notions comme le mystère et ou l’absurde). Souvent, chaque jour, nos attentes de comportement envers lui sont détrompées, frustrées et nous vivons la surprise voire… l’aventure (“l’aventure ? beurk !” dit le petit Hobbit qui venait justement de s’endormir pour digérer un peu).

Pour jouer sur les mots : dans cette confrontation avec les phénomènes de l’existence, notre quête du sens est peut-être l’exact contraire de notre sens de la quête !

Le sens de la Vie auquel Sisyphe a renoncé et que certain attendent toujours, comme ils attendent Godot ; ce sens tant recherché, qui fait l’objet de mille quêtes, serait-il platement la recherche de l’assurance, sécurisante, que les choses obéissent à une légalité et que nous pouvons avancer en toute confiance puisque, dans ce cas, le déroulement de l’avenir existe déjà et, qu’en gros, il ne nous reste plus qu’à apprendre à lire le futur avec une appli de gsm, dans notre fauteuil ou sur le coussin, à côté du chat.

Je veux insister sur ce point : ma proposition (qui n’est pas originale, d’ailleurs) est que le Sens de la vie vécu comme un objet idéal, pré-existant quelque part, qu’il nous faut atteindre et gagner au terme d’une quête que l’on voudra longue, aventureuse et difficile, est un Graal romantique tout à fait encombrant pour la Raison. Quelque part, dans le monde des Idées de Platon, dans le sublime de l’Olympe où festoient les Dieux, dans l’au-delà du Grand Barbu, derrière la bouille incroyable de Superman ou entre les seins de Lilith, la première femme, il y aurait un Grand Secret, un mode d’emploi universel, multilingue et illustré, prêt pour le téléchargement dans le répertoire de votre choix : dans le répertoire “religion”, dans celui dédié aux initiations, dans celui des intuitions chamaniques ou dans cet autre répertoire où se rangent les raisonnements cartésiens sur l’essence des choses…

Sans moi ! La Joie de découvrir la légalité ou l’harmonie, nait de l’exercice de soi, de la pratique de sa propre puissance, de son humanité. C’est autre chose alors de penser que, au contraire de l’option idéaliste, notre lot est de continuellement éprouver notre puissance face à ce qui nous advient par aventure. “Ce qui ne me tue pas me rend plus fort“, disait Nietzsche entre deux Xanax : voilà bien les termes qui donnent sens à notre quête. Nous nous sentirons et nous serons plus forts à chaque décision prise librement, à chaque acte raisonné que nous poserons sans faire appel à un dogme quelconque, souvenez-vous : “Sapere Aude“, Ose savoir par toi-même, disait Kant. Nous serons plus forts à chaque lecture critique mais apaisée du “bruit et de la fureur” d’un monde dont la complexité rend, hélas, notre confiance spontanée assez difficile. C’est ainsi que le déficit de confiance qui nous colle à la peau pourra être compensé par notre puissance personnelle.

L’idée est belle et résonne encore du bruit chevaleresque des sabots (ou des noix de coco, selon la référence…) de Lancelot, de Galahad et autres Arthur. Mais, hélas, nous ne sommes pas Indiana Jones et, manifestement, les humains, comme les Hobbits – ou les Conseillers communaux – n’ont pas réellement le goût de l’aventure.

Diable. Le monde est trop complexe pour moi, je me tue à le dire ! Je ne perçois pas spontanément comment les choses tombent juste. Je n’ai plus confiance en la légalité de la vie, parce que je ne la reconnais pas dans ce qui m’arrive, à moi. Comment dès lors me sentir en sécurité ? Comment avoir assez confiance ?

Qu’à cela ne tienne : puisque le monde comme il va ne me donne pas confiance, puisqu’il dépasse mon entendement, je vais en fabuler un autre à ma mesure où la légalité des choses sera évidente et m’y projeter, m’y aliéner ! Ce sera une expérience virtuelle (le contraire d’un voyage spirituel) que d’être un moi augmenté dans un environnement sécurisé

    • Regardez dans votre bus, cet ado qui ‘scrolle’ sur son gsm avec les écouteurs sur les oreilles, on dirait un singe avec une banane. Comment lui en vouloir, la femme mûre assise en face de lui fait la même chose : deux singes, deux bananes. Et ils ne se parleront pas…
    • Regardez ce manager qui, dans son langage Corporate, a trouvé un slot pour tirer les Lessons Learned avec son N+1, lors d’un meeting One-2-One, alors qu’il est overbooké.
    • Et regardez l’indigence intellectuelle qui permet à des dirigeants, même grimés en Van Gogh avec un pansement sur l’oreille, de fantasmer à haute voix une nation entière qui serait faite d’êtres humains divisés en deux groupes exclusifs, grossièrement définis : nous et les autres !

Dans les trois cas, je ne vois que projection de soi dans un monde virtuel, fabulé, qui réduit la réalité à un périmètre compréhensible sans effort, dans lequel le sujet inquiet se projette par facilité, en recherce de sécurité. Souvenez-vous, Hunyadi évoquait un cockpit d’avion, à ce propos. Face à l’insécurité comme nous l’avons définie, l’aliénation est l’option libidinale du moindre effort : je me projette dans une autre situation puisque la mienne me semble trop difficile.

On pourrait dire : “Choisis ton camp, camarade. A chaque baisse de la confiance, feras-tu face à l’expérience directe de ta propre réalité complexe ou te projetteras-tu dans un monde virtuel, simple, binaire, partagé entre les bisounours et les terroristes du Hamas ?

Petite parenthèse. Avant d’aller plus loin, il nous faut encore parler d’un truc bizarre qu’on appelle communément… la réalité. Selon Jacques Lacan : “Le réel, c’est quand on se cogne.” Soit, la formule est belle. Mais que penser de cette assertion à l’ère des neurosciences, alors que l’hypnose permet de réaliser des opérations chirurgicales avec des scalpels bien réels, bien coupants, sans douleur et sans narcose complète ?

Plus proche de notre propos, Marie-Louise von Franz, une élève de Jung, affirme en 1972 : “Il nous est impossible de parler d’une réalité quelconque si ce n’est sous la forme d’un contenu de notre conscience.” Voilà la clef : nous ne vivons la réalité qu’au travers de sa représentation dans notre conscience. Si les phénomènes au travers desquels nous percevons cette réalité mettent en danger notre sentiment de sécurité, nous avons alors beau jeu de truquer la représentation que nous en avons, en fait : de nous aliéner dans une représentation moins risquée de ce qui nous arrive.

Plus tard, en 1985, Endel Tulving d’ailleurs aurait pu réécrire la phrase de von Frantz comme ceci : “Il nous est impossible de parler d’une réalité quelconque si ce n’est sous la forme d’un contenu de nos trois consciences.

Nous en avons déjà parlé ailleurs : mort en 2023, Tulving était un psychologue estonien établi au Canada qui a développé un modèle original où trois formes de conscience correspondent chacune à un type de mémoire :

      1. la conscience a-noétique concerne nos fonctionnements les plus automatiques (faire du vélo, nager, jouer d’un instrument ou réagir sous l’influence d’un trauma…).
      2. La conscience noétique permet d’évoquer des choses qui ne sont pas présentes, pas perceptibles dans l’immédiat, c’est là qu’on retrouve les représentations du monde.
      3. Enfin, la conscience auto-noétique est centrée sur la représentation de soi : c’est ce que je me raconte à propos de moi-même.

Cette taxonomie des consciences est basée sur la racine grecque “noûs” qui signifie “connaissance, intelligence, esprit” ; elle est directement héritée des travaux de Edmund Husserl, le père de la phénoménologie, une discipline de la philosophie contemporaine qui exclut l’abstraction, pour se concentrer sur les seuls phénomènes perçus. Je le cite : “Toute conscience est conscience de quelque chose.

Que ces théories soient exactes ou non importe peu ici. Si elles ne font pas obligatoirement autorité auprès de tous les chercheurs en neurosciences, ce n’est pas déterminant pour nous : adoptons-les simplement comme des occasions généreuses d’alimenter nos exercices de pensée. Pour mémoire, les “exercices de pensée” ou “expériences de pensée” (“thought experiments” en anglais) sont des outils puissants utilisés, entre autres, en philosophie morale, pour tester des concepts, pour aller jusqu’au bout d’un raisonnement : on imagine un scénario hypothétique et on lui applique le concept que l’on veut éprouver. Vous avez peut-être entendu parler de l’exercice du Chat de Schrödinger qui permet d’explorer les paradoxes de la physique quantique, l’exercice du Dilemme du tramway en philosophie morale ou encore l’exercice de la Chambre de Mary en psychologie cognitive : “Mary est une scientifique qui connaît tout ce qu’il y a à savoir sur la vision des couleurs, mais elle a toujours vécu dans une pièce en noir et blanc et n’a jamais vu de couleurs elle-même. Si Mary venait à sortir de sa pièce et voyait la couleur rouge pour la première fois, apprendrait-elle quelque chose de nouveau ?

Ceci boucle la boucle avec le problème de la réalité : pour nous, n’est objet du réel que ce dont nous avons conscience, au travers de sa représentation. Partant, quand on parle d’aliénation, la réalité que nous allons déformer par nos fabulations est aussi précisément celle qui est à notre portée, celle qui vit au creux de nos consciences.

Pour y voir plus clair, passons donc en revue les trois consciences selon Tulving et trouvons chaque fois des exemples de deux réactions possibles devant l’insécurité : soit l’aliénation qui traduit la fuite, soit l’attention qui implique la confrontation. Pour ne pas vous jouer la carte du suspense, je précise déjà que ces deux réactions pourraient être au nombre de trois, nous l’allons voir. Donc, face à une situation nouvelle (donc insécurisante), deux options ambivalentes :

    1. OPTION 1 – L’aliénation > le sujet s’évade vers des Paradis Perdus ou
    2. OPTION 2 – L’attention > le sujet regarde ses mains et agit à propos.
Conscience auto-noétique

Allons-y. En vedette américaine, j’ai le plaisir de vous présenter la conscience auto-noétique ! Elle va être notre plat de résistance. Tulving la définit comme suit, en 1985 : “La conscience autonoétique (connaissance de soi) est le nom donné au type de conscience qui permet à un individu de prendre conscience de son existence et de son identité dans un temps subjectif qui s’étend du passé personnel au futur personnel, en passant par le présent.” Traduit par l’anthropologue Paul Jorion en 2023, cela donne : “La conscience autonoétique est la conscience réfléchie de soi : la capacité de situer son expérience actuelle dans le cadre d’un récit de sa propre vie qui s’étend au passé et à l’avenir.” En clair, c’est l’aquarium personnel où nagent les histoires que je me raconte à propos de moi-même : c’est mon moi héroïque et narratif. “Héroïque” parce qu’il faut reconnaître que chacun se vit souvent comme un personnage libéré des contingences du quotidien (du calibre de Héraclès, Athéna, Superman, Achab, Galadriel, Harley Quinn ou… Gollum), plutôt que comme une personne qui doit faire la vaisselle tous les jours ou soigner ses cors au pied. “Narratif” parce que, précisément, le vocabulaire que nous utilisons pour nous décrire nous-mêmes, seuls devant le miroir, est celui de la fiction et des rêves. De même, la logique de notre auto-fiction est, comme celle des contes, des romans et des séries, peu rationnelle et elle ne tient pas compte de tous les aspects de la réalité pour faire avancer le scénario.

Qu’est-ce alors que raison garder devant cet aquarium d’histoires de tout type, traitées par notre conscience auto-noétique : des histoires exaltées, des faits divers interprétés comme moches, des légendes auto-dénigrantes, accusatrices ou follement admiratives ?

En 1947, Paul Diel propose un baromètre pour évaluer ces auto-fictions. Il explique que tout va bien tant que l’image que j’ai de moi (= ce que je me raconte à mon propos) correspond à mon activité effective (= ce que je fais vraiment).

Si c’est le cas, je suis satisfait de ma vie et… vogue la galère : pas besoin de se poser des questions. Par exemple : pourquoi Simenon aurait-il douté de sa capacité à écrire des romans policiers intimistes ? Les problèmes auraient commencé s’il avait voulu se lancer dans le Tour de France avec ses petits mollets…

Si ce n’est pas le cas, alors je le sais car l’écart entre ce que je pense de moi et ce que je fais effectivement est à la mesure de l’angoisse qu’il va provoquer chez moi. Je sais que je triche et cela m’angoisse. Selon Diel :

      • je triche par vanité, parce que je suis loyal envers une image de moi un peu trop sublime (du genre : “moi, vous savez, je ne suis pas capable de mentir, ce serait trop vilain“).
      • Je triche par culpabilité, parce que je suis timide, que je me sens nul et que j’évite tout ce qui pourrait me montrer que c’est vrai (du genre : “moi, vous savez, je ne suis pas capable de mentir, je suis tellement timide que je rougis tout de suite“).
      • Je triche par sentimentalité, parce que je veux qu’on m’estime, qu’on m’aime (du genre : “moi, vous savez, je suis incapable de mentir car je sais combien c’est important pour vous”).
      • Enfin, je triche par accusation, parce que j’en veux aux autres de ne pas m’estimer à ma juste valeur (du genre : “moi, vous savez, je ne suis pas capable de mentir, c’est pas comme mon mari. N’est-ce pas, chéri ?”).

Diel était un spécialiste des mythes et de leur interprétation et il parle dans ce cas des quatre catégories de la fausse motivation (vanité, culpabilité, sentimentalité et accusation) ; en clair, il parle des quatre manières de ne pas bien motiver nos actions parce que l’on porte un regard biaisé, aliéné sur les phénomènes. Il considère que cet écart, qu’il baptise la vanité (dans le sens de ce qui est vain, vide ; ce que j’ai appelé l’aliénation), est la faute originelle dans les mythes. Cette vanité serait la clef de lecture de tous les comportements déviants ou, en d’autres termes, de nos actions mal motivées, des actes que nous posons pour de mauvaises raisons.

Diel va plus loin et avance que cette notion d’aliénation permet également la lecture des mythes qui racontent l’origine de l’humain et de sa curieuse destinée : c’est à cause de sa vanité morale qu’Adam se voit condamné gagner son pain à la sueur de son front, lui qui voulait savoir le bien et le mal sans en faire d’abord l’expérience ; c’est à cause de sa vanité sexuelle qu’Héraklès souffrira des brûlures infligées par une peau empoisonnée que Déjanire, son épouse, lui a jeté sur le dos, au point qu’il devra plonger dans un bûcher allumé par son fils pour être purifié ; c’est à cause de sa vanité technique que Prométhée ose voler l’outil suprême, le feu, pour le donner aux hommes, et qu’il ne pourra également qu’être puni par Zeus…

Ainsi, à la lecture de Diel, on comprend assez bien l’option numéro 1 (pour mémoire : l’option Je m’évade vers des Paradis Perdus) : pour fuir devant une situation désagréable, insécurisante, je vais m’identifier (dans ma délibération, dans ma tête) à une version de moi plus sublime, je vais adopter une posture où je me sentirai plus en sécurité, je vais m’aliéner en adoptant l’attitude d’un personnage qui n’est pas le moi qui agit. Mais je vais ainsi créer un écart angoissant entre ma posture et mon action effective. A tout ceux pour qui ceci n’est pas encore clair, je recommande de revoir le film Psychose de Hitchcock et puis on en reparle.

Couche en plus. Vu que je triche et que je le sais, je ne vais pas manquer de me justifier en insistant sur le fait que je reste “loyal envers moi-même” : pas de chance, si je suis loyal dans ce cas c’est envers le mauvais cheval. Qui de nous n’a connu un proche qui se disait “loyal envers lui-même“, martelant “mais, c’est parce que je suis comme ça“, afin de justifier une posture empruntée, qui ne correspondait pas à ses actes. Et malheur à celui qui vexerait le quidam en question : en mettant en doute sa sublimité, il s’exposerait à toute la violence possible. En fait, la violence individuelle ne prend-elle pas toujours racine dans une vexation et la vexation ne trahit-elle pas toujours une posture plus ou moins sublime de celui – ou celle – que l’on offusque ?

Reprenons notre fil. Option 1 : je me sens insécurisé dans une situation nouvelle alors, dans ma vision de moi-même, je fuis et je m’assimile à une version de moi plus sublime, donc plus intouchable, en vertu d’une légalité imaginaire qui laisserait tranquilles les gens comme mon moi sublime. On parlera clairement d’aliénation dans ce cas : j’agis en me conformant à un modèle… qui est irréel.

Je me dois d’évoquer ici une variante moins toxique de cette option de fuite : dans une situation où je me sens insécurisé, je vais faire un pas de côté et imaginer ce que ferait un héros… à ma place. Il n’y aura pas d’action de ma part si ce n’est que je vais peut-être m’apaiser au travers de l’exercice de pensée “Comment mon héros aurait-il réagi dans cette situation ?

En matière de ‘héros’, c’est Daniel Boorstin qui remet les pendules à l’heure, aussitôt qu’en 1962 ! Dans son livre intitulé L’image : un guide des pseudo-événements en Amérique, il explique la différence entre les héros et les célébrités. Il y a cette formule magnifique : “les célébrités sont célèbres parce qu’elles sont connues.” Autre chose est de parler d’héroisme : pour Boorstin, un héros pose des actes libres et courageux, par une espèce de surcroît d’humanité, et peut nous servir d’exemple. On pense à Charlier-Jambe-de-bois, à Saint-Exupéry, à Rosa Parks, à Edward Snowden, etc.

…ou à mon collègue de travail. Loin de moi de vouloir flatter un collègue, mais il est des héroismes discrets qui méritent le souvenir. “Je me souviens” dirait Perec : nous devions voter collectivement sur une proposition fort discutée, j’avais des doutes réels sur l’attitude à adopter et, fraîchement débarqué dans l’équipe, j’étais tétanisé. J’ai voté “pour” alors que je pensais “relativement contre.” J’ai suivi le troupeau, je n’étais pas sûr de moi mais la quantité de bras levés a eu raison de mes doutes. Je n’en suis pas fier. C’est alors qu’à l’annonce “Les votes contre ?” du responsable, un seul bras s’est levé, le sien. Il y a eu de la beauté dans cet instant et j’ai appris de ce discret courage, de cette main levée seule contre tous, de ce moment que j’ai toujours vécu comme un acte de pensée libre.

Face à l’adversité, on peut donc fuir et se conformer à un modèle imaginaire et sublime. Option 1, c’est l’aliénation qui ne fait pas du bien. On peut aussi faire un tour de passe-passe avec un modèle exemplaire pour apprendre de ce qu’il ou elle aurait fait à notre place. Dira-t-on que c’est une aliénation qui fait du bien à retardement ?

Identifier et puis réduire l’aliénation : voilà donc un premier chantier balisé depuis de longues années tant par les spiritualités de l’intime que par les psychologues et psychanalystes de tous poils et, bien entendu, par les apôtres du développement personnel. Tous proposent des recettes plus ou moins onéreuses (posez la question à Woody Allen…), des trucs ou des méthodes exigeantes pour réduire cet écart toxique qui, ramené à notre travail intime, nous verrait intervenir… dans le vide, à côté de notre “moi”. Car il n’est pas question ici d’appel à l’humilité ou à la discrétion : lutter contre cette aliénation qui nous fait boîter l’âme, c’est faire preuve, à chaque petite victoire, de plus d’attention, de plus de présence effective à notre activité effective. Souvenez-vous : Montaigne parlait de “vivre à propos.”

Alors, amie lectrice, lecteur, retrouve ton coeur réel, ajuste ton regard et corrige l’angle d’attaque de ta délibération !

La conscience a-noétique

La conscience auto-noétique était le gros morceau, passons plus rapidement sur les deux autres manières de vivre l’expérience d’être soi. Le deuxième chantier voudrait nous voir explorer l’aliénation et son option opposée, l’attention, dans le giron de la conscience a-noétique. Ce deuxième moi, ce moi atavique et sauvage qui, s’il n’est pas le plus primitif, reste peut-être le plus difficile à concevoir, car il ne se paie pas mots ! D’où le terme de ‘sauvage.’

De quoi parle-t-on ici ? Je cite Tulving : “la mémoire procédurale est dite anoétique car elle s’exprime directement dans les comportements et l’action, sans conscience.” Pour mémoire, citons aussi notre anthropologue national, Paul Jorion : “La conscience anoétique, peut-être la plus insaisissable de toutes, est une expérience qui n’implique ni conscience de soi ni connaissance sémantique. Elle comprend, par exemple, des sentiments de justesse ou d’injustice, de confort ou d’inconfort, de familiarité, de malaise, de présence ou d’absence, de fatigue, de confiance, d’incertitude et de propriété. Il s’agit par exemple du sentiment que l’objet que l’on voit du coin de l’œil est bien un oiseau, du sentiment, en rentrant chez soi, que les choses sont telles qu’on les a laissées (ou pas), du sentiment que l’on est en train de contracter une maladie. Chez l’homme, ces sensations anoétiques se situent en marge de la conscience et ne sont que rarement au centre de l’attention. Chez d’autres animaux, il est possible que l’anoétique soit tout ce qu’il y a.”

Pour ramener notre propos dans le giron de la philosophie, on peut également citer Alan Watts, un grand apôtre britannique de la pensée zen dans les années 60-70 du siècle dernier. Je le cite : “Le Zen ne confond pas la spiritualité avec le fait de penser à Dieu pendant qu’on épluche des pommes de terre. La spiritualité zen consiste seulement à éplucher les pommes de terre.” Quel magnifique rappel à l’ordre : arrête ton bla-bla et regarde tes mains !

Regarde tes mains” ! Nous avons tous déjà dit cela à un ado (ou un partenaire) qui pose négligemment un objet sur le bord de la table, avec le regard déjà ailleurs. Au bord du vide, l’objet en question est en position instable, c’est un flacon en verre et il devient la seule raison pour que le chat se réveille, quitte son coussin et donne le petit coup de patte qui manquait pour que le flacon tombe sur le carrelage de la cuisine et provoque catastrophes, réprimandes et nettoyages énervés. “Comme tu es distrait“, “Comme tu es distraite“, entendra-t-on tonner dans la maison, “c’est insupportable, fais attention ! Regarde donc tes mains quand tu fais quelque chose !” Et le paternel de donner un coup de pied fâché dans le coussin du chat, avant de se rasseoir en ruminant contre la distraction coupable.

Mais est-ce toujours la distraction qui est coupable de cette aliénation envers la matière ? Ce défaut d’attention (puisque nous avons opposé les deux termes) ne peut-il procéder d’autre chose ?

Les neurosciences, encore elles, n’expliquent pas encore tout mais, aujourd’hui, elles concluent que le cerveau est avant tout une machine à anticiper et, comme nous l’avons vu, idéalement dans un contexte de confiance, ce qui est loin d’être toujours le cas. Pour faire court, lorsqu’il s’active suite à la perception d’un phénomène, quel qu’il soit, le cerveau conçoit notre fonctionnement à venir (la fuite, la sidération ou l’attaque) selon les attentes de comportement qu’il a envers l’environnement où le phénomène a été perçu. Or, ces attentes ne sont pas toujours fondées sur la confiance. Que l’on pense aux traumatismes, par exemple : allez savoir pourquoi Indiana Jones a tellement peur des serpents, pourquoi les limaces effraient tant ma dernière ado et pourquoi, quand je reçois un recommandé, je fais de la tachycardie. D’où le terme ‘atavique’ : il y a là un héritage qui persiste à nous brouiller l’écoute.

C’est un des phénomènes identifiés par les neurosciences : face aux phénomènes que nous percevons, notre cerveau peut se lancer sur deux pistes différentes, activant une zone active ou une autre, les deux étant distinctes.

Souvenez-vous du conseil de sagesse : “Changez le changeable, acceptez l’inchangeable.Viktor Frankl lui ajoute d’ailleurs l’option : “pour réduire la souffrance, changez votre attitude à l’égard du problème.” Il revenait alors des camps de concentration ! Et bien, au niveau cognitif, notre cerveau peut faire tout cela, tant qu’il garde raison… Il peut être proactif et raisonner en termes de résolution de problèmes, en utilisant la logique, en identifiant des modèles et en pensant de manière plus réfléchie. Il peut, par contre, s’avérer hyper-réactif, plus impulsif, et croire qu’il lui faut répondre rapidement aux stimuli environnementaux. Il le fait ainsi parce que, souvent, il part du sentiment d’insécurité dont nous avons parlé et qu’il active l’amygdale qui nous invite à réagir avant de penser.

C’est très pratique quand on est attaqué par un lion mais, au quotidien, c’est également inconfortable et peut générer une angoisse ou un inconfort continu. C’est, par ce fait, également une Invitation au voyage, un appel à l’aliénation dont nous parlons, car la conscience a-noétique peut également s’enfuir, s’aliéner dans un ensemble de perceptions hypnotisantes : l’ado ou le joggeur qui garde les écouteurs sur les oreilles diminue son lien avec l’environnement qu’il traverse ; le gamin ou la fille en bonnet qui arrête sa voiture ‘tunée’ au feu rouge et qui fait vibrer le tarmac en poussant les basses de sa sono n’est pas dérangé par le chant des oiseaux. Ce sont ici des caricatures (bien réelles, par contre) mais elles traduisent une posture cognitive bien précise : pour rester dans un environnement connu (entendez : sécurisé), je le transporte avec moi, là où je vais, transformant les autres environnements en toile de fond, en décor en deux dimensions.

Pour vous représenter la chose, asseyez-vous dans une pièce fermée et pensez à la différence entre le poster grandeur nature du lion de tout à l’heure, là, sur le mur (en deux dimensions, donc) et un lion réel, devant vous, en trois dimensions, avec l’odeur. L’expérience cognitive est différente, non ? Pour le lion aussi, d’ailleurs.

Être distrait reviendrait-il à ne pas participer physiquement de son environnement, à le traiter comme une image en deux dimensions, plus inoffensive que le monde réel, lui en trois dimensions, avec tambours et trompettes ? Après une expérience violente, quelle qu’elle soit, l’individu traumatisé aurait-il tendance à marquer son rejet du réel enduré, en ne jouant pas le jeu avec la matière qui l’entoure ou qu’il faut ingérer, dans certains cas ?

Je ne peux pas prétendre au statut de victime traumatisée, je n’ai pas été victime d’une violence que j’aurais ressentie comme plus grande que moi, qui m’aurait submergée, mais, après une journée difficile au boulot, un pneu crevé sur l’autoroute ou un Avertissement-Extrait de rôle trop gourmand, je sais que j’ai le même réflexe de fuite. Merci aux Suites pour violoncelle de Bach de me permettre, dans mon salon, de réduire le monde à un décor éloigné en deux dimensions, bien distinct des sensations sonores qui m’aliènent, certes, mais dans une réalité virtuelle faite d’harmonie, où règne une légalité rassurante.

Ce que Kant préconisait comme base d’un comportement moral authentique semble bien être l’enjeu dans ce cas également. Selon lui, il importe de reconnaître l’Autre comme une fin en soi (“an Sich“), ‘dans ses trois dimensions’ dirions-nous, et non comme un moyen d’atteindre une autre finalité. Je pense que chacun d’entre vous peut parfaitement entendre ce discours. Emmanuel Levinas insistait dans ce contexte sur le visage de l’autre, qui, une fois son existence reconnue, permet un comportement moral envers lui.

Dame Raison, voilà donc la mission qui t’incombe dans le périmètre a-noétique : identifie les postures de fuite qui réduisent l’environnement ressenti à une image (cognitive) en deux dimensions et, pour que survive paisiblement ton sujet, amène-le à plus d’attention envers les choses qui constituent son périmètre de Vie.

Ce qui était vendu dans les années septante (du siècle dernier) comme la quintessence de l’Esprit du Zen est, aujourd’hui toujours, au centre de notre quête de satisfaction : regarde tes mains, quand tu pèles les pommes de terre !

Pour illustrer ceci, quoi de mieux qu’un poème, en l’espèce un poème de Mary Oliver que je vous traduis ici :

Le matin, je descends sur la plage
où, selon l’heure, les vagues
montent ou descendent,
et je leur dis, oh, comme je suis triste,
que vais-je–
que dois-je faire ? Et la mer me dit,
de sa jolie voix :
Excuse-moi, j’ai à faire.

Alors, lecteur, fais silence, enlace ce que tu prends en mains, renifle-le, soupèse-le, mire ses trois dimensions et palpe toutes ses aspérités avant de passer à l’acte !

On le voit, des trois manières de se sentir en vie, l’expérience a-noétique est peut-être la plus directe, voire la plus pure : rien d’étonnant à ce qu’elle fasse office de Graal dans l’Esprit du Zen. Ceci, probablement parce qu’elle n’est pas systématiquement dévoyée par la logique des mots : par nos fictions ou par la logique des discours explicatifs…

La conscience noétique

Il nous reste enfin à rapidement régler nos comptes avec ces derniers, qui sont la monnaie courante de notre troisième et dernière conscience, la noétique, celle qui s’occupe de nos représentations du monde sans nous impliquer dedans !

Autant la conscience a-noétique parle le langage des sensations et des réflexes, dans l’aquarium de notre conscience noétique, ne nagent que mots, concepts et rapports logiques.

La conscience noétique, c’est la vielle gloire, la Gloria Swanson des consciences sauf que… historiquement, on l’a appelée Raison alors qu’elle n’était qu’amas d’explications. Or, pour la Raison éveillée, expliquer n’est pas justifier. Si on prend les dossiers Strauss-Kahn, Depardieu ou Weinstein : une libido soi-disant démesurée, le stress des responsabilités et une absence systématique au ‘cours de philosophie et de citoyenneté’ peuvent constituer pour les susdits et leurs avocats des explications aux actes d’agression sexuelle et aux harcèlements qui ont été commis mais, en aucun cas, ils ne peuvent en constituer une justification.

Et c’est bien le problème que nous avons avec notre conscience noétique. Pour faire court : elle est toujours prête à nous expliquer le pourquoi de certaines de nos actions mais, quand il s’agit d’évaluer si ces dernières sont justifiées ou satisfaisantes, Madame-je-sais-tout n’a que des dogmes, des modèles et des savoirs pré-établis à nous proposer. C’est en ceci qu’on peut la dire ‘dogmatique‘ et, fondée sur la logique comme elle est, on n’hésitera pas à la dire ‘technique‘ également.

Ainsi, mon moi dogmatique et technique a une longue histoire, qu’à force nous trouvons naturelle, à tort selon moi. Dans la droite ligne de la théorie des Idées de Platon, toute une tradition philosophique s’est construite en Occident, fondée sur la recherche de la Vérité (ou des cinquante nuances de vérité, plus récemment). Vérité il devait y avoir, qu’elle soit transcendantale ou matérielle, car la connaissance devait être basée sur la certitude, fondement impératif pour pouvoir déduire par spéculation les règles de la morale. Dans cette vision du monde, la morale était donc une question de conformité !

Et c’est là qu’est l’os… Il n’est de vérité (et donc de conformité rassurante) que dans les limites convenues d’un domaine technique : nous sommes en classe de physique et on nous apprend que ceci entraîne cela. OK. Dans un domaine qui touche au vital, l’absence de vérité disponible pour fonder une décision oblige chacun au jugement : cela implique une intervention personnelle du sujet.

Si l’on revient à notre besoin de ressentir une légalité autour de nous, dans ce qui nous arrive, la conscience noétique nous proposera des explications techniquement exactes dans un discours donné : ma religion, mon histoire familiale, la physique quantique, le comportement du voisin ou le côté prédateur qui dort en tout individu mâle.

C’est précisément ce qui agace notre grand-breton Stephen Fry chez les humains d’aujourd’hui : cette manie de vouloir être, avant toute chose, juste et de se justifier par des explications qui prouvent qu’on est conforme à un dogme, quel qu’il soit, à la logique ou à la tradition. Fry préfère manifestement viser l’efficacité et assume le vertige de, chaque fois, devoir juger de quel comportement on fera le meilleur usage. Montaigne appelait cela : vivre à propos !

Et voilà l’aliénation débusquée : par sentiment d’insécurité devant l’obligation de choisir et la possibilité de se tromper, on fuit vers une représentation du monde sécurisée puisque constituée d’explications, de causes et de leurs conséquences logiques, de règles auxquelles il suffira de se conformer.

Ici aussi, l’attention exigera un travail de déconstruction des biais cognitifs pour expérimenter une réalité moins construite, limitée à un périmètre utile à la prise de décision. Il s’agira de se méfier des explications qui font plaisir, de tester un regard plus vierge  d’histoire devant les phénomènes perçus et de renvoyer tous les savoirs du monde à ce qu’ils sont : l’occasion d’un exercice de pensée.

Alors, lecteur, lectrice, étudie et lis tout ce que tu veux sur tous les savoirs du monde mais n’oublie pas qu’ils occultent un peu la fulgurance des parfums.

Troisième série, la Raison en action

Nous arrivons au bout de la promenade. Nous avons épluché une série de termes (confiance, puissance, légalité, aliénation, attention et conscience.s) que nous avons mis en relation. Pour ne pas vous assommer avec plus de spéculations, je vous propose de travailler les trois derniers termes (raison, âme et valorisation) au travers d’un exercice de pensée bien concret.

Nous sommes à Cockerill, dans les ateliers de maintenance (je peux vous les dessiner : j’ai travaillé à CMI, aujourd’hui John Cockerill). Tous les bancs de travail sont occupés par des cols-bleus qui usinent, ébarbent, polissent, ajustent, montent, démontent, alignent ou rejettent des pièces métalliques ou des assemblages qui rentrent par un côté et en ressortent par l’autre. La vie, quoi, le corps réel de l’atelier.

Tout au fond, au sommet d’un escalier métallique (à Cockerill, what else ?), une porte vitrée qui ouvre sur le bureau des ingénieurs. Leur local est vaste et surplombe l’atelier. C’est un grand plateau de bureaux paysagers. Du côté des fenêtres du fond, trois grandes tables, une par équipe d’ingénieurs : il y a l’équipe des ingénieurs d’auto-noétique, celle des ingénieurs de noétique et, sur la droite, la table des ingénieurs noétique, les “ingénieux ingénieurs” comme disent les autres. Chacune des tables est présidée par un chef d’équipe. A proximité de l’entrée, il y a le bureau de l’ingénieur-chef, le seul à avoir un téléphone… qui sonne souvent.

Chaque fois que le téléphone apporte une nouvelle demande, un incident ou ressort un problème qui doit être résolu, l’ingénieur-chef qui, vous l’avez compris, joue pour nous le rôle de la Raison, l’ingénieur-chef convoque les représentants des trois tables à une réunion technique, dans son bureau. Selon le sujet, il demande à un des trois délégués de présenter le cas, son interprétation, la solution qu’il préconise et de la commenter, ceci, avant de donner la parole aux deux autres délégués qui réagissent à la proposition.

Notre ingénieur-chef, la Raison, n’est pas nécessairement logique ou scientifique : il doit composer avec des paramètres qui ne sont pas toujours techniques ! Qui plus est, lui (tout comme ses ingénieurs, d’ailleurs) doit respecter les seuls objectifs qui lui sont imposés : assurer la continuité de l’atelier.

Tout serait parfait s’il n’y avait un problème : les trois tables d’ingénieurs reflètent pour nous trois manières de percevoir les phénomènes et, si chaque équipe vise sincèrement la survie de l’atelier, elle le fait selon sa propre interprétation ! Et nous avons vu combien celle-ci peut être faussée par des aliénations diverses et variées.

Vous l’avez compris, chacun des délégués va partir de son point de vue et poursuivre un objectif unique : assurer la pérennité du moi, je, ego, myself, dans des représentations propres à son équipe, à savoir…

      • comment je survis dans le monde où je pense vivre (pour l’équipe noétique), quitte à fabuler des explications fumeuses ou des visions du monde partisanes ;
      • comment je survis dans le monde que je ressens (pour l’équipe a-noétique), quitte à devenir hypersensible ou à pratiquer les sensations extrêmes pour me sentir bien en vie (il y aurait-il des motards parmi vous ?) ;
      • comment je survis vu la manière dont je me conçois (pour l’équipe autonoétique), quitte à me prendre pour Brad Pitt ou CatWoman.

Les trois approches de la « réalité » ne sont pas toujours compatibles et les discussions sont parfois houleuses, voire confuses. Les propositions sont quelquefois difficiles à départager et, pire encore, il arrive qu’au moment de la réunion, un des cols blancs soit déjà descendu à l’atelier pour discuter en direct avec les ouvriers. Il s’agit constamment de comprendre, de comparer, de donner sa juste valeur à chacune des positions puis, dans la limite des infos disponibles, de décider de la marche à suivre. Ca s’appelle délibérer.

Voilà probablement pourquoi il est plus impératif de venir entraîner notre Raison sur wallonica.org, plutôt que d’aller transpirer chez MultiGym (même si l’un n’empêche pas l’autre) : chaque fin de journée, notre ingénieur-chef doit avoir concilié des points de vue divergents (ce qui ne veut pas dire mal intentionnés), faire rapport des décisions prises et soumettre les indicateurs de pertinence (satisfaisant ou pas satisfaisant ?).

Mais à qui rapporte donc notre Raison ? Dans notre scénario, elle a une position de cadre mais elle ne siège pas au Comité de direction ? Elle coordonne et donne sa juste valeur vitale aux propositions qui lui sont faites par chacune des trois équipes : elle les valorise. C’est une fonction d’encadrement. Mais qui est son interlocuteur hiérarchique ? Qui est garant de la stratégie qui réunirait nos trois modes de conscience ?

Spinoza disait “…car nous avons une idée vraie.” Il parlait de cette petite fenêtre au creux de nous, qui est ouverte sur la légalité de la Vie, par laquelle nous voyons ce qui est juste ou injuste en nous, avant tout commentaire, malgré toutes nos aliénations (celles-ci faisaient d’ailleurs l’objet de son petit ouvrage posthume, en 1677, Le traité de la réforme de l’entendement). Peut-être serait-ce le moment de restaurer la notion d’âme, que l’on définirait, à la suite de Spinoza, comme le siège de l’idée vraie en nous. L’idée vraie, l’âme dans ce cas, ne serait rien de plus que ce nombril permanent qui nous relie avec le seul sens de la Vie, à savoir : continuer à vivre. Pour l’âme définie ainsi, tout le reste est littérature…

Voilà, c’est fini. Comment résumer ce que vous venez d’endurer ? Simplement : “raison garder” c’est considérer les propositions faites par chacune des trois consciences comme des exercices de pensée. Notre Raison garde comme seule mission d’identifier et de réduire nos aliénations, nos artifices, pour nous amener à une plus grande attention envers la Vie qui se présente à nous. C’est seulement à cette condition que nous pouvons juger de la conduite à adopter au jour le jour et… vivre à propos, comme disait l’autre.

Il vous manque encore notre exercice de pensée du jour. Je propose que chacun d’entre vous se transporte dans l’atelier de maintenance de notre exemple et teste la question : que se passerait-il dans mon atelier si ma Raison était restée chez elle pour cause de grippe ? On en parle ?

Patrick Thonart


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Plus de parole libre en Wallonie ?

Préjugé : le vert porte malheur… (podcast)

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[RADIOFRANCE.FR/FRANCECULTURE, 16 juillet 2024] “Yeux verts, yeux de vipère !” Si ce jeu de mots date de 1830, la mauvaise réputation des yeux verts, elle, est attestée depuis la Rome antique. Comment l’idée fausse selon laquelle le vert porterait malheur s’est-elle forgée ?

Synonyme de nature perverse, d’esprit faux et de débauche, les yeux verts sont les yeux des traîtres, des prostituées, de Judas, voire du Diable en personne. Les elfes, les fées, les trolls, les korrigans, les farfadets ou les lutins, ces personnages effrayants sont, depuis le Moyen Âge, presque toujours verts, de même que leur lointain descendant le Martien. “Dans les images comme dans la réalité, [la] tonalité verdâtre est toujours inquiétante, sinon mortifère“, écrit l’historien Michel Pastoureau. “C’est la couleur de la moisissure, de la maladie, de la putréfaction et surtout des chairs décomposées. Par là même, c’est aussi celle des cadavres et (…) des revenants.

Pourquoi la couleur verte a-t-elle été bannie des théâtres ?

Le vert qui fait peur est un vert aqueux, visqueux, désaturé. La reine Victoria, par exemple, l’avait en horreur et elle l’a chassée de tous les palais royaux anglais, notamment de Buckingham Palace. C’est surtout au théâtre que les superstitions sur le vert sont les plus tenaces : cette couleur est bannie de la scène. Les comédiens la proscrivent aussi bien sur les costumes que dans les décors ou dans la salle. Les chroniques flamandes au Moyen Âge rapportent en effet que plusieurs acteurs seraient morts après avoir joué le rôle de Judas, traditionnellement vêtu de vert. Teindre un costume en vert vif a longtemps été un exercice difficile : il fallait utiliser une matière colorante très toxique appelée le verdet, qu’on obtenait à partir de l’oxydation du cuivre. Cette couleur était certes éclatante mais très dangereuse, car ses vapeurs pouvait entraîner l’asphyxie et la mort. Les réticences des acteurs sont compréhensibles !

Outre la teinture, l’éclairage a contribué également à éloigner le vert de la scène : contrairement au rouge ou au jaune, les tissus verts se voient mal, ce qui n’était, on l’imagine bien, pas du goût des comédiens et encore moins des comédiennes qui s’estimaient trop peu mises en valeur.

Maudit au théâtre, le vert l’est aussi à bord des bateaux car la couleur passe pour attirer l’orage et la foudre. C’est sans doute la raison pour laquelle il est absent du code international des signaux maritimes. Cela expliquerait aussi pourquoi, en 1637, un étrange édit de Colbert demande aux officiers de marine de détruire tous les navires à coque verte.

Le vert, une couleur protectrice

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Dans le domaine des croyances, le vert est en réalité une couleur ambivalente. Des enquêtes d’opinion réalisées dans plusieurs pays européens révèlent que si le vert est détesté par 20 % des sondés (au motif qu’il porterait malheur), il est aussi la couleur préférée par 20 % d’entre eux, car pour certains le vert protège des esprits malfaisants.

En Allemagne et en Autriche, les portes des étables ont longtemps été peintes en vert pour éloigner la foudre, les sorciers et les esprits malins. Aujourd’hui encore, en Irlande et au Danemark, beaucoup croient que les imperméables et les parapluies verts protègent mieux de la pluie que les autres, comme si le vert protégeait de l’averse.

Parfois préjugé et superstitions se rencontrent. Les deux sont à combattre, mais, dans le doute, n’essayons pas d’ouvrir un parapluie à l’intérieur !

Pour écouter le podcast de France Culture…


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Plus de traditions et de folklore au quotidien en Wallonie…

Les méchants ont-ils disparu de la littérature jeunesse ?

Temps de lecture : 7 minutes >

[RTBF.BE, 7 février 2024] Les grands méchants, aux pensées les plus maléfiques et aux traits physiques les plus inquiétants ont l’air moins méchants qu’avant dans la littérature jeunesse. C’est ce qu’a constaté Charles Knappek du magazine français Livres Hebdo.

Un loup par exemple, souvent symbole de danger dans la forêt, ne fait plus aussi peur qu’avant. Désormais, le loup est végétarien et donc plus vraiment une menace pour les humains. Même chose pour les sorcières. Depuis les films Disney avec Angelina Jolie, on sait désormais que Maléfique, la méchante sorcière de la Belle au Bois Dormant de Disney, inspirée de Charles Perrault et des frères Grimm, n’est en réalité pas vraiment méchante. Son côté démoniaque s’est révélé après avoir été elle-même victime d’un humain durant sa jeunesse, ce qui explique et pardonne sa vilaine transformation. En résumé, les méchants d’aujourd’hui ont des circonstances qui atténuent leurs crimes au vu de leur passé difficile.

Les classiques avec les grands méchants n’ont plus la cote dans l’édition littéraire

Livres Hebdo a donc posé la question à quelques éditeurs jeunesse lors d’un salon littéraire, sur cette compassion envers les méchants. Même s’il n’y a pas de volonté affichée de rendre les méchants plus gentils, les éditeurs remarquent qu’ils reçoivent moins de propositions de nouveaux livres avec des personnages très méchants et que la demande pour les classiques avec des méchants est de moins en moins forte. Les parents achètent moins les histoires de féminicides de Barbe-Bleue et ils achètent moins les histoires de grand méchant loup, ou avec des sorcières qui mettent des enfants dans des fours comme dans Hansel et Gretel.

Pourquoi ? Peut-être parce que certains parents pensent que le monde est déjà trop dur comme ça, et qu’il faut protéger les enfants. Et donc leur éviter les livres avec des méchants très méchants. Ce qui va à l’encontre de ce qu’écrivait le pédagogue américain Bruno Bettelheim, à savoir que les histoires de méchants aident les enfants à affronter leurs angoisses et à devenir adulte.

Pourquoi les méchants sont-ils moins caricaturaux qu’avant ?

Deborah Danblon, libraire et chroniqueuse littéraire à La Première, spécialiste de la littérature jeunesse, dégage aussi d’autres constats :

      • Les méchants vraiment méchants, cela n’existe plus en littérature jeunesse ou en culture jeunesse. Dark Vador a eu une enfance difficile, Voldemort aussi.
      • Les méchants d’aujourd’hui sont moins caricaturaux que les méchants d’hier. Ils sont plus “intérieurs”, ils n’ont plus de griffes et de longues dents, mais on en rencontre toujours. Parfois ils sont drôles comme dans la BD Mortelle Adèle où l’héroïne martyrise son chat. Ou alors ils ont des bons côtés aussi, comme dans les romans anglais Cherub. On assiste donc à l’apparition de méchants plus réalistes, finalement, dotés de nuances. Ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose.
      • Autre élément de réflexion très intéressant : les anciens contes avec des méchants, c’était avant tout des histoires écrites pour les adultes. Et même pour les femmes adultes parce que, que ce soit dans Barbe Bleue, le Chaperon rouge ou Blanche Neige, le but du conte était d’avertir les jeunes femmes des dangers sexuels qui les menaçaient. Ce n’était pas des histoires pour enfants à la base. Et ce côté avertissement, prise de conscience du danger, s’est dilué aujourd’hui.

Bref, des méchants, il y en a encore en littérature jeunesse. Même s’ils sont différents des anciens. Et ce qui est sûr, c’est que des gentils, il y en a toujours. C’est cela le plus rassurant.

Gorian Delpâture, rtbf.be



Hansel & Gretel illustré par Arthur RACKHAM (1909) © Constable & Cy

Comment les méchants ont disparu des contes pour enfants

[MILKMAGAZINE.NET, 3 avril 2024] Effrayants, maléfiques, cruels, les méchants semblent progressivement déserter les histoires destinées à la jeunesse. À qui la faute ? Et si c’étaient les parents qui avaient les chocottes ?

 À chaque enfant sa technique, plus ou moins bien rôdée. Se cacher derrière le canapé, se boucher les oreilles, pleurer à chaudes larmes ou bien se forcer à écouter, quitte à en trembler de la tête aux pieds. Comme un rite initiatique de l’enfance, la figure des “méchants” est cette incarnation symbolique du mal qui nourrit depuis des siècles la littérature puis les dessins animés, quelles que soient les cultures. Antipathiques, repoussants ou bien carrément cruels, les “méchants” qui peuplent les grandes histoires leur ont permis de devenir de véritables chefs-d’œuvre, tout en terrorisant au passage des générations d’enfants qui projetaient sur eux leurs réservoirs d’angoisses, de peurs et de cauchemars. Parmi les plus célèbres, il y a bien sur ceux des contes de la littérature, mais aussi, en très bonne place sur la liste des personnalités préférées des Français version grosse frousse et moins de 16 ans, toute la flopée de méchants imaginés et portés à l’écran par la multinationale du divertissement, Walt Disney Studio. Avec la sortie de son dernier film, Wish, certains commentateurs remarquaient qu’après une disparition quasi complète dans les précédents opus de toute présence maléfique (dans lesquels les héros étaient invités à se dépasser eux-mêmes plutôt que de lutter contre un oncle régicide ou une marâtre ignoble), Disney renouait avec la tradition du méchant en portant à l’écran un bad guy très 2023 : beau, charismatique, adoré des foules, mais terriblement mal intentionné.

Avis de disparition

Sans pot de départ ni avis de recherche, il semblerait donc que les vrais méchants aient tranquillement délaissé les histoires destinées à la jeunesse. Au cinéma, mais aussi dans la littérature, comme le notait la chroniqueuse Mathilde Wagman dans l’émission Le Book Club de France Culture, en octobre dernier : Parmi les livres que j’ai lus depuis la rentrée, force est de noter que j’arrive au même constat : nulle trace de terrible, de féroce méchant dans les parutions récentes. D’où cette question : la cruauté aurait-elle déserté la littérature jeunesse ? La littérature jeunesse est un corpus qui date seulement des années 1960, précise Delphine Saulière, directrice des rédactions Bayard Jeunesse. Le conte n’en fait pas partie puisqu’il s’agissait d’histoires à destination des adultes, avec une vision sociologique différente. Il est vrai que, dans ce corpus récent, donc, qu’est la littérature jeunesse, le ton s’est adouci. Les histoires portent plus sur les émotions et la psychologie du personnage, moins sur la présence d’archétypes.”

La fiction peut être intéressante et structurante pour aider à penser la cruauté au travers de figures, plutôt que de laisser les enfants se débrouiller seuls avec cette dimension.

Virginie Martin-Lavaud, Le monstre dans la vie psychique de l’enfant (2009)

Il suffit de se balader dans les rayons jeunesse des librairies pour voir que les choses ont bien changé depuis les contes de Perrault. Les loups sont ridiculisés par les grands-mères et se sont refait une Street Cred auprès des enfants en devenant carrément un doudou. Les ogres n’aiment plus les enfants car ils sont végétariens et les monstres aident les plus petits à appréhender leurs émotions à grands renforts de couleurs. Il faut déjà noter cet abandon, assez violent, du genre littéraire qu’est le conte. Perrault n’écrivait certes pas pour les enfants, mais le conte traditionnel avec un côté fantastique où il était possible d’inventer des mondes, des ogres et des personnages pas réels mais métaphoriques, a un peu disparu de la littérature jeunesse, explique Isabelle Péhourticq, directrice éditoriale d’Actes Sud Junior. Ce qu’on lit aux petits aujourd’hui, ce sont des histoires ancrées dans le présent, qui permettent d’appréhender les relations avec les amis, les animaux. Les auteurs ont peut-être à cœur de sortir de la caricature, d’affiner les traitements psychologiques des personnages. Désormais, le méchant n’est jamais simplement méchant, on cherche à lui donner des raisons biographiques qui nous permettent de l’excuser, ou le faire se repentir, afin d’apparaître plus inoffensif que ce qu’on avait pu penser de lui au début.

La stratégie de l’évitement

Si le genre a muté, c’est déjà parce que la société a changé. Comme tout produit culturel, la littérature jeunesse reflète son époque. Une société en demande de protection de façon phénoménale, perfusée aux mauvaises nouvelles et aux scènes aux contenus sensibles via les réseaux sociaux. Des angoisses que cette génération de parents eux-mêmes malmenés par les images violentes des journaux télévisés durant l’enfance sont bien décidés à épargner à leurs propres enfants.

En 2016, une enquête menée en Grande-Bretagne révélait qu’un tiers des parents interrogés évitaient de raconter des histoires qui faisaient peur à leurs enfants. Une manière de projeter sur eux nos propres angoisses en les protégeant de la violence du monde, quitte à les en couper. Pour les 40 ans de J’aime lire, il y a six ans, j’étais revenue sur 40 ans d’anciens numéros et d’histoires, se souvient Delphine Saulière. Clairement, il y en a plein que jamais je ne publierais aujourd’hui ! On le ressent tous les jours dans les retours des parents ou lors des comités de lecture. Si les histoires sont trop dures, trop tristes, ou avec des personnages trop méchants, on va irrémédiablement recevoir des messages de parents ou d’enseignants. Les adultes veulent avoir le contrôle sur ce que leurs enfants peuvent lire puisqu’ils n’ont pas le contrôle sur ce qu’ils voient ou qu’ils entendent. Je me souviens même d’un groupe de parents test réunis au moment du lancement de la nouvelle formule de Phosphore, destinée à de grands ados. Ils nous suppliaient de faire un magazine positif, dépassés par ces enfants qui leur échappent !”

Il serait pourtant malvenu de voir dans cette nouvelle inclinaison du genre une forme de censure exercée par les éditeurs. Au contraire, les auteurs, souvent parents eux-mêmes, ont tendance à édulcorer leurs propres imaginaires. Nous ne commandons pas d’histoires, nous sommes comme des aspirateurs à contenus. Et je peux vous dire que, depuis peut-être cinq ans, je n’ai pas reçu d’histoires avec un vrai méchant dans nos comités de lecture, assure Delphine Saulière. Les auteurs se contraignent pour épouser l’époque. Nous dépendons de l’imaginaire des auteurs et de la société.

Fonction symbolique et nécessité cognitive

Faut-il se réjouir de cette disparition ? Les parents peuvent-ils pousser un “ouf” de soulagement en tournant les pages de l’histoire du soir sans risquer de terroriser des enfants reclus sous leurs couettes ? Pas vraiment. Car, en réalité, le méchant n’est pas seulement là pour faire peur.

Dans la littérature, il représente un arc narratif qui permet de faire décoller l’histoire, si tant est qu’il est manié avec intelligence. Il est aussi un moyen de créer de la réflexion et de donner un sentiment de contrôle à l’enfant. Un pouvoir thérapeutique très clairement mis en scène dans Psychanalyse des contes de fées, ouvrage dans lequel Bruno Bettelheim, pédopsychiatre, fait du conte un rite de passage entre l’univers de l’enfance et le monde des parents. Les méchants y sont méchants, faciles à identifier et, surtout, punis à la fin. Les parents ont tendance à vouloir surprotéger leurs enfants, et délaissent les contes traditionnels en choisissant des récits qui n’ont plus la même valeur symbolique sur le plan narratif. Ils vont se tourner vers des histoires qui édulcorent la méchanceté et la cruauté”, note Virginie Martin-Lavaud, psychologue clinicienne auprès de l’Éducation nationale et autrice du Monstre dans la vie psychique de l’enfant (Erès, 2009). Or, poursuit-elle, cette stratégie n’est, selon moi, pas pertinente car les enfants ont, dans leur propre expérience, pu être confrontés à la cruauté. La fiction peut être intéressante et structurante pour aider à penser cette cruauté au travers de figures, plutôt que de les laisser se débrouiller seuls avec cette dimension. Et le méchant de l’histoire, un moyen pour l’enfant d’utiliser la fiction pour mettre les choses à distance. Sans avoir à se priver d’un rituel millénaire de transmission de la culture.

Raphaelle Elkrief

Ce que le «2» dit de nous

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[d’après LIBERATION.FR, 1 janvier 2018] “Monarque absolu” de notre logique binaire, il est aussi celui de l’accouplement avec lequel commence la société. Avec lui, vient l’autre. Méditation pour un 2 janvier.

La fête de l’épiphanie, qui commémore la venue du “Messie venu et incarné dans le monde”, a lieu le 6 janvier, c’est les Rois, tout le monde sait cela. On sait moins que, depuis 1802, année de la naissance de Victor Hugo, les deux événements sont indépendants, cette célébration peut se tenir le premier dimanche qui suit le 1er janvier, selon un décret du cardinal Caprara, légat du pape Pie VII. Ainsi, le 2 janvier, le jour d’après, est tout de même premier en quelque chose : c’est le premier jour possible pour la fête des Rois. C’est arrivé en 2011. Hasard de la numérologie, cela se produira de nouveau en… 2022.

En mathématiques, le nombre 2 est chargé de significations et lourd de promesses. Pour un mathématicien, 2 est d’abord le premier (si, si) des nombres premiers. Vous savez ces nombres entiers qui ne sont divisibles par aucun nombre plus petit (sauf le 1). Euclide a montré, il y a deux mille cinq cents ans, qu’ils sont une infinité. L’une des raisons de la fascination pour les nombres premiers est que tout nombre entier est représentable d’une manière unique comme produit de nombres premiers. Ainsi, 12 = 2 × 2 × 3, 2018 = 2 × 1009, et mis à part l’ordre des facteurs, ces décompositions sont intangibles. C’est la raison pour laquelle le nombre 1 a été exclu de la liste : multipliez par 1 autant de fois que vous voudrez, vous ne changerez pas le résultat. C’est la version multiplicative de la tête à Toto.

Ainsi, 2 est premier, ce qui n’est pas son moindre titre de gloire, et c’est même le seul nombre premier pair, ce qui le met souvent à l’écart, mais il paraît qu’il ne s’en offusque pas, dans beaucoup de démonstrations mathématiques.

Le nombre 2 a aussi ses victimes. Le fameux théorème de Pythagore doit son nom au philosophe de Samos qui l’a énoncé au VIe siècle avant notre ère, mais il était connu des Mésopotamiens plus de mille ans auparavant. Dans un triangle rectangle, le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des longueurs des deux autres côtés. Considérons le carré de côté 1. Cet énoncé stipule donc que le carré de la diagonale est égal à 2. Selon une légende vraisemblable, Hippase de Métaponte, un pythagoricien, aurait découvert que cette diagonale ne peut être mesurée avec la même règle que le côté, aussi rapprochées que soient les graduations. Cela ne vous choque peut-être pas outre mesure (c’est l’expression qui convient) mais cette découverte mettait à mal l’entière conception du monde en vigueur dans cette école de pensée : “Toute chose est nombre.” Si le monde était censé être entièrement explicable par les nombres, comment pouvait-on concevoir que cette simple diagonale soit réfractaire à toute mesure raisonnable, c’est-à-dire rationnelle comme l’on dit aujourd’hui ? Porteur de cette terrible nouvelle, le pauvre Hippase aurait été jeté par-dessus bord ou sauvagement poignardé par ses condisciples. Ainsi, le nombre 2, pour innocent qu’il paraisse, aurait engendré le premier martyr de la science.

Pythagore © Le devoir

La résonance du 2, dans le monde des mathématiques, est infinie. L’un des concepts essentiels dans le développement de cette science, et particulièrement à notre époque, est celui de “dualité”. Il s’agit là du deux du miroir, de celui de la symétrie, mais décliné et approfondi par des siècles de réflexion. L’évolution des mathématiques nous a progressivement amenés de l’étude des objets et des notions conçues pour modéliser le réel, vers l’étude des relations entre ces objets. Compter, c’est d’abord énumérer, donc additionner, mais la tentation est grande de pouvoir revenir sur ses pas : on définit alors l’opération duale qui est la soustraction. Sous une forme très générale, on peut dire que la dualité est, en substance, une opération de traduction de concepts, relations ou structures vers d’autres concepts, relations ou structures, effectuée d’une manière “biunivoque” : à chaque élément d’un monde correspond un et un seul élément de l’autre monde. Le plus souvent cette liaison est d’ailleurs subtilement réversible : si, à partir d’un objet A, on a obtenu un objet (dual) B, et que l’on réitère l’opération sur B, on retrouve A. Prendre le dual du dual, vous ramène au point de départ. Ouf.

Le miracle de la dualité est que cette exploitation de la symétrie enrichit considérablement le champ d’étude initial et permet des avancées spectaculaires. Si un système physique, comme une machine ou même un être vivant, évolue uniquement en fonction de son passé immédiat (disons son état dans la seconde précédente), l’étude mathématique pourra se fonder sur un modèle abstrait où un système évolue en fonction de son futur immédiat, autrement dit, l’état dans lequel il sera dans la seconde suivante. Ce modèle imaginaire, dual théorique sans assise physique du système réel, permettra cependant de décrire et de prévoir l’évolution effective du système considéré.

Le nombre 2 est aussi le “monarque absolu” de notre logique, dite du “tiers exclu” : une assertion est “juste” ou “fausse”, une réponse est “oui” ou “non”, le “courant passe” ou “ne passe pas”. D’où son utilisation systématique en informatique, fondée sur une logique dite “binaire” : à partir de circuits électroniques susceptibles de prendre deux états, on peut mettre le monde en équations, transmettre et recueillir des informations, induire des évolutions, et, finalement, jouer à Dieu. Les ordinateurs quantiques du futur opéreront selon une logique comportant un nombre arbitraire, voire infini, d’états. Ce sera alors la première défaite du nombre 2. Mais nous n’en sommes pas là, et la logique binaire, pourtant si sommaire et restrictive, a encore de beaux jours devant elle. Ce n’est qu’avec une certaine réticence que les applications des mathématiques, et plus généralement les raisonnements humains, entrent dans l’univers inquiétant du peut-être.

L’histoire, qui ne s’arrête pas là, a peut-être débuté avec le nombre 2 qui est évidemment notre premier modèle du couple, qu’il soit homogène ou hétérogène, fondé sur la ressemblance ou sur le contraste. Et le couple est d’abord le lieu de la conversation et de la négociation puisqu’il ne peut contenir de majorité. Si deux ne sont pas d’accord, il faut parler. Ainsi, le nombre 2, à partir duquel commence la société, nous suggère, pour vivre ensemble, une voie fondée sur l’accord plus que sur la contrainte. Il contient en germe la notion de partage : 2 est par nature généreux.

De là à imaginer, en ce 2 janvier, que ce jour d’après soit aussi un jour d’attention et de sollicitude envers tous ceux qui frappent à notre porte parce qu’ils fuient la persécution ou la misère, il n’y a qu’un pas. Si le premier est le jour des vœux, pourquoi ne pas faire du deuxième jour de l’année le jour d’eux ? Car eux sont nous, c’est l’évidence.

Gérald TENENBAUM, mathématicien


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Plus de tribunes libres en Wallonie…

Pourquoi en savons-nous si peu sur les druides ?

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[NATIONALGEOGRAPHIC.FR, novembre 2019] Cette puissante classe sociale celte était une menace pour l’Empire romain avant d’être engloutie par le christianisme, mais leurs origines restent profondément enfouies dans les méandres du passé.

Les druides étaient-ils des prêtres pacifiques ou de dangereux prophètes ? Vouaient-ils un culte à la nature ou préparaient-ils une rébellion ? Nous ne savons pas grand-chose de cette ancienne classe sociale, mais ces lacunes n’ont jamais empêché les spéculations sur leur véritable nature.

Les premiers témoignages détaillés sur les druides remontent au premier siècle avant notre ère, mais il est probable que leur rôle particulier ait trouvé sa place dans les anciennes communautés de ce qui est aujourd’hui devenu la Grande-Bretagne, l’Irlande et la France bien avant cette date. Le témoignage en question provient d’une transcription latine du terme celtique désignant une classe sociale du peuple celte constituée de personnes dévouées à la prophétie et au rituel.

Étant donné que les Celtes avaient une tradition orale, tous les témoignages écrits concernant les druides provenaient de peuples tiers, notamment des Romains. Les druides “s’occupent des choses sacrées, ils dirigent les sacrifices publics et privés, et interprètent tout ce qui a trait à la religion”,  écrivait par exemple Jules César en 50 avant notre ère, après avoir envahi la Gaule. L’empereur avait remarqué leur intérêt pour l’astronomie, l’éducation et la bravoure, ainsi que leur coutume de sacrifier leurs compatriotes gaulois pour s’attirer la grâce des dieux en mettant le feu à de gigantesques effigies humaines en osier où étaient enfermés des hommes vivants.

D’autres auteurs romains ont également été obsédés par l’amour que vouaient les druides au sang et à la mort. Pline l’Ancien évoquait par exemple le goût des druides pour le gui et le sacrifice humain. “Le meurtre d’un homme était pour eux un acte attestant de la plus grande dévotion”, écrivait-il, “et manger sa chair signifiait s’assurer une santé bénie des dieux”. Tacite a même fait état d’une bataille au Pays de Galles au cours de laquelle les druides “ont recouvert leurs autels du sang des captifs et consulté leurs dieux à travers des entrailles humaines.”

Ces dévots païens constituaient une menace existentielle pour les Romains, ces derniers craignaient le pouvoir exercé par les druides sur les communautés celtes conquises par Rome. Dans son livre, Jane Webster suggère que les visions apocalyptiques des druides ainsi que leurs rituels étaient perçus comme des actes de résistance par l’envahisseur romain qui s’est empressé d’éradiquer cette menace dès le commencement du règne d’Auguste, en 27 avant notre ère.

Le chef néodruide Arthur Pendragon assiste au lever de Soleil pendant les festivités du solstice d’hiver de Stonehenge, en 2005 © Chris Young

Les célébrations de l’équinoxe d’automne à travers le monde

Au premier siècle de notre ère, le christianisme commença à se répandre en France et dans les îles Britanniques et au fil des siècles de nombreuses traditions celtes tombèrent derrière son voile. Cependant, les druides continuèrent de faire des apparitions dans la littérature médiévale, ce qui laisse entendre que ces prêtres païens sont plus tard devenus des guérisseurs ou des magiciens. Pourtant, étant donné que nous ne disposons d’aucun témoignage écrit sur les Celtes du pré-christianisme, il est quasiment impossible de vérifier les revendications historiques au sujet des druides. Néanmoins, les druides sont revenus plusieurs fois sur le devant de la scène au cours des millénaires avec notamment une résurgence à l’époque romantique et une réincarnation au XIXe siècle sous la forme du néodruidisme.

Bien que, n’y voyant qu’une exagération de la réalité, les historiens aient fini par rejeter les allégations romaines sur les traditions religieuses prétendument brutales des druides, la controverse autour de leurs rituels macabres a refait surface en 1984. Cette année-là, un coupeur de tourbes avait déterré des restes humains dans le comté de Cheshire, en Angleterre, et sa découverte n’avait rien d’ordinaire : l’Homme de Lindow, comme il fut plus tard nommé, avait été conservé dans la tourbière depuis près de 2 000 ans. À première vue, il était devenu un ‘Homme des marécages’ après avoir été blessé à la tête, poignardé et étranglé avant d’être laissé pour mort dans ces environs marécageux. Son estomac contenait du pollen de gui, ce qui alimenta les spéculations sur sa possible mort lors d’un sacrifice pratiqué, peut-être, par des druides, ou sur le fait qu’il était lui-même un prince druide.

Il est tentant de spéculer sur la véritable nature des druides, mais puisque la plupart des connaissances au sujet de cette ancienne caste sociale émanent de sources secondaires, il est impossible de vérifier la plupart des affirmations. Même le terme en lui-même semble avoir été utilisé pour désigner de manière générale des hommes instruits, des philosophes, des professeurs ou des hommes pieux intéressés par la nature, la justice et la magie. Et l’archéologie n’a pas plus de réponses convaincantes à offrir. “À l’heure actuelle chez les archéologues, il n’existe pas de consensus pour faire le lien entre des preuves matérielles et des druides, même au sein d’un pays donné”, écrivait Ronald Hutton pour le magazine History Today. “Quel que soit le lieu, nous n’avons jamais déterré d’artefact qui ait fait l’unanimité au sein des experts comme relevant du druidisme.” Les druides ont toujours été entourés de magie et de mystère.

Erin Blakemore, journaliste


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Plus de presse…

Qui est Krampus, la créature légendaire qui punit les enfants ?

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[NATIONALGEOGRAPHIC.FR] Qui est Krampus, la créature légendaire qui punit les enfants ? Le Père Noël n’a qu’à bien se tenir : une terrifiante bête de Noël nommée Krampus a envahi la pop-culture pour châtier les enfants qui n’ont pas été sages.

Krampus © Culture Re-View

Père fouettard, nous vous présentons Krampus : cette terrifiante créature mi-chèvre, mi-démon, qui frappe littéralement les enfants pour les forcer à être sages. Krampus n’est pas fait de l’étoffe des rêves : il est doté de cornes, d’épais cheveux noirs et de crocs, porte une lourde chaîne, des cloches qu’il fait tinter avec force et d’un fouet qu’il fait claquer sur la peau des enfants qui n’ont pas été sages. Quand il les attrape, il entraîne les vilains garnements dans le bas monde.

Mais quelles sont les origines de ce “diable de Noël” ?

Krampus, dont le nom est dérivé du mot allemand Krampen, qui signifie griffes, est le fils de Hel dans la mythologie nordique. Ce monstre légendaire a les mêmes caractéristiques que d’autres créatures démoniaques et effrayantes de la mythologique grecque, comme les satyres et les faunes.

Ce légendaire personnage fait partie de la tradition de Noël depuis des siècles en Allemagne, où les fêtes de fin d’année commencent début de décembre.

Krampus est le pendant maléfique de Saint Nicolas, qui récompense les enfants avec des bonbons. D’après le folklore germanique, Krampus arrive dans les villes la veille du 6 décembre, la Krampusnacht. Le 6 décembre est le jour de Saint Nicolas, le Nicolaustag. Les enfants allemands se précipitent au matin pour voir si les chaussures ou les bottes qu’ils ont laissées sur le pas de leur porte contiennent des cadeaux (en récompense de leur bon comportement) ou une baguette (en punition pour leur mauvais comportement).

D’autres manières plus modernes de célébrer le 6 décembre peuvent être observées en Autriche, en Allemagne, en Hongrie, en Slovénie et en République tchèque, où des hommes ivres se déguisent en Krampus et tels des diables envahissent les rues pour le Krampuslauf, (littéralement la pluie de Krampus) tandis que les gens courent partout pour les fuir.

Krampuslauf © The Atlantic

Pourquoi effrayer les enfants avec de si monstrueuses créatures païennes ? Peut-être est-ce là un moyen pour les hommes d’exprimer leur côté animal. De telles impulsions peuvent être le moyen d’exprimer une “double personnalité”, une ambivalence humaine, selon António Carneiro, interrogé par le magazine National Geographic en début d’année au sujet de la résurgence des traditions païennes. Ceux qui se déguisent en monstres “deviennent des êtres mystérieux“, explique-t-il.

VOUS PRÉFÉRERIEZ DES MORCEAUX DE CHARBON ?

Krampus et la peur qu’il suscitait ont disparu pendant plusieurs années – l’église catholique a longtemps interdit les célébrations pouvant créer la panique et durant la deuxième guerre mondiale, les fascistes avaient interdit cette tradition qu’ils associaient aux sociaux-démocrates.

Mais Krampus n’est jamais loin et il fait son grand retour, porté par tous ceux qui abhorrent Noël et qui souhaitent célébrer la saison des fêtes de manière non-traditionnelle. Aux États Unis, on commence à organiser des fêtes pour célébrer Krampus. Même les séries s’y mettent : un épisode d’American Dad a été consacré à ce personnage fallacieux (Minstrel Krumpus), mettant en lumière le mouvement des célébrations anti-Noël.

Bonjour de Krampus © DR

En Autriche “la personnalité hostile” de Krampus est en passe de devenir un objet commercial : chocolats, figurines et cornes en plastique sont chaque année proposées au grand public. La commercialisation à outrance de l’image de ce monstre commence déjà à être critiquée dans le pays.

Il semble que le Père Noël ait de la concurrence.

Tanya Basu


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Plus de savoir-vivre au quotidien en Wallonie-Bruxelles…

LEVY : C – La légende de décembre (1883)

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En décembre, les jours continuent à décroître jusqu’au 21 du mois. Tandis que la durée du jour est de 8 heures 30 minutes le 1er décembre, elle est réduite à 8 heures 11 minutes le 21 de ce mois : nous sommes alors au solstice d’hiver ; les jours ont heureusement atteint leur plus petite durée et les nuits vont commencer à diminuer.

Remarquez toutefois que si les jours augmentent à partir du 21 décembre, c’est le soir seulement qu’on peut s’en apercevoir, car le soleil se couche bien un peu plus tard, mais il ne se lève pas encore plus tôt que les jours précédents. Cette augmentation légère dans la durée du jour est exprimée par le dicton bien connu :

Après la Sainte-Luce,
Les jours croissent d’un saut de puce.

La température continue à décroître : le thermomètre marque en . moyenne 3,7° au-dessus de zéro. Janvier sera plus rigoureux encore.

Nivôse par Louis Lafitte © BnF

Dans le calendrier républicain, nivôse, mois des neiges, commence le 21 décembre. La neige n’aura pas vraisemblablement attendu l’échéance fixée par le calendrier pour recouvrir la terre d’un linceul blanc. Cette neige est attendue avec la plus vive impatience par nos agriculteurs. Grâce à elle, en effet, la terre est préservée des grands froids ; la semence déposée dans le sol est garantie contre la gelée par cet excellent écran, par cette couverture blanche qui est la neige ; de plus, en traversant l’atmosphère, la neige entraîne et dépose sur le sol des poussières, des corpuscules organisés, qui serviront d’aliments aux jeunes plantes.

Le travailleur des champs souhaite en décembre de la neige, nous venons de dire pour quelle raison ; mais il désire aussi de la pluie, du brouillard, un ciel couvert, car ces phénomènes météorologiques excluent la gelée, dont il a peur durant ce mois. C’est ce que veulent dire la plupart des proverbes agricoles.

En décembre froid
Si la neige abonde,
D’année féconde
Laboureur a foi.

Ou encore :

Dans l’Avent le temps chaud
Remplit caves et tonneaux.

Toutefois, c’est moins la chaleur que l’agriculteur demande que l’absence de fortes gelées, surtout quand il n’y a pas de neige. Il demande d’autant moins la chaleur qu’il gèlera, croit-il, au printemps, si l’hiver n’est pas venu à Noël.

Soleil à Noël,
Neige à Pâques.
Qui à Noël cherche l’ombrien (l’ombre)
A Pâques cherche le foyer.

Un grand nombre de proverbes agricoles se rattachent à la grande fête chrétienne dont nous devons parler ici. Et d’abord, d’où vient ce nom : Noël ? Les uns prétendent que ce mot correspond au nom propre Emmanuel, qui vient lui-même de l’hébreu Imnuel, nom formé de trois mots : im (avec) nu (nous) el (Dieu). Nu el, abréviation de im nu el signifierait donc Dieu avec nous. Quelques étymologistes affirment que Noël vient du mot latin natalis, qui signifie naissance ; d’autres enfin pensent que Noël n’est qu’une contraction du mot français nouvel, “à cause de la bonne nouvelle qui fut annoncée aux bergers et bientôt répandue dans le monde entier.” Ce qui donnerait quelque poids à cette dernière étymologie, c’est qu’autrefois, lorsqu’un événement heureux se produisait, il était salué par le peuple aux cris de : Noël ! Noël ! ce qui voulait dire la bonne nouvelle !

L’institution de la Noël est attribuée au pape Télesphore, mort en 183. A cette époque, elle se confondait parfois avec l’Épiphanie. Ce ne fut que sous le pontificat de Jules Ier (337 à 352) que la fête de Noël fut invariablement fixée au 25 décembre.

Décembre était placé dans l’ancienne Rome sous la protection de Vesta, déesse du feu, et de Saturne, père de tous les dieux.

Rome, temple de Vesta et fontaine aux Tritons © riba pix

En l’honneur de Vesta, on entretenait non seulement dans les temples, mais dans la première pièce de chaque maison un feu qui ne devait jamais s’éteindre. C’est pour cette raison que la première chambre de la maison des Romains s’appelait Vestibule.

En décembre les Romains célébraient les Saturnales, fêtes données en l’honneur de Saturne, et la fête des Septimontium, c’est-à-dire la fête des sept collines de Rome.

Enfin décembre s’achève : l’année va rejoindre ses sœurs aînées dans ce pays inconnu où se trouvent, dit-on, les vieilles lunes. Puisse l’année nouvelle être favorable à nous-mêmes, à nos amis, à nos familles, à notre patrie !

Albert LEVY, Cent tableaux de science pittoresque (1883)


Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…

Le PDF complet de l’ouvrage est ici…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | sources : Fonds PRIMO (documenta) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : MONET, Claude, La pie (1868-69) © Musée d’Orsay ; © BnF ; © riba pix.


D’autres symboles en Wallonie-Bruxelles…

VACCA : L’indispensable inutilité du point-virgule

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[TRENDS.LEVIF.BE, 13 octobre 2022] Venise, 1494. Aldus Manutius, imprimeur et éditeur, publie le texte de l’humaniste Pietro Bembo intitulé De Aetna, un récit qui relate sous forme de dialogues une ascension de l’Etna. Il lui faut à tout prix domestiquer la prose éruptive de son auteur s’il veut que ses lecteurs – même cultivés, le texte est rédigé en latin – puissent s’y retrouver.

Nous sommes à la Renaissance, la ponctuation est encore une affaire personnelle et des signes naissent comme nos start-up d’aujourd’hui. Afin de ménager des respirations dans le texte, Manutius a une idée. Pourquoi pas une virgule chapeautée d’un point pour baliser son texte ? Une pause plus appuyée qu’une virgule et un peu moins qu’un point. C’est ainsi que voit le jour le plus controversé des signes de ponctuation : le point-virgule.

Aussitôt on se l’arrache ; il connaît un succès foudroyant ; il pousse sa petite corne de pages en pages à travers les publications des Humanistes. Il devient signe de ralliement et s’invite partout : dans les essais philosophiques, les recueils de poésie, les textes juridiques, la grande littérature et aussi les romans populaires…

Paul Vacca © roularta

Mais très vite, son statut hybride déconcerte et dérange. Par quel bout prendre ce drôle d’attelage ? Et surtout qu’en faire ? Certains se retrouvent impuissants face à ce signe fourbe et fuyant. N’a-t-il pas, par essence, le cul entre deux chaises (ni point, ni virgule, mais un peu des deux quand même) ? D’autres n’ont que mépris pour ce signe bâtard. Pour le romancier américain Donald Barthelme, “ils sont aussi laids qu’une tique sur le ventre d’un chien.

Adulé, incompris et honni ; tel fut longtemps le destin du point-virgule. Cecelia Watson, historienne et philosophe des sciences, raconte dans Semicolon (éditions 4th Estate), un ouvrage passionnant consacré au point-virgule, comment ce signe typographique a toujours développé un don particulier pour provoquer des querelles autour des questions de langage, de classe sociale ou d’éducation, et envenimé les débats savants ou littéraires. En 1837, deux professeurs de droit de l’Université de Paris se seraient même battus en duel pour lui !

Aujourd’hui, c’est plutôt un autre sentiment qu’il provoque : l’indifférence. Largement délaissé par les écrivains, enseigné du bout des lèvres, utilisé avec embarras, incompris ou simplement ignoré : il est devenu vieillot, académique, snob ou ringard. Alors pourquoi diable s’encombrer d’un signe que visiblement plus personne ne comprend ni n’utilise ? Tout ne serait-il pas plus simple si l’on s’en débarrassait ?

Mais voilà, retirez les points-virgules que Marcel Proust a placés avec minutie comme autant de précieuses chevilles dans la Recherche du temps perdu et, soudain, c’est tout l’édifice romanesque qui s’écroule. C’est également grâce aux points-virgules distillés par Virginia Woolf que nous pouvons nous glisser dans les flux de conscience de Clarissa dans Mrs Dalloway : une pensée rebondit, se métamorphose en une犀利士
autre ; des sentiments s’enchaînent, se bousculent au sein d’une seule et même phrase ; au moment même où elles prennent naissance chez elle. Et enfin, confisquez les points-virgules à Michel Houellebecq et ce sont autant de rapprochements incongrus, aussi malicieux que certains haïkus, qui s’évaporent : “Il n’arrivait plus à se souvenir de sa dernière érection ; il attendait l’orage.

Mais le point-virgule a un atout maître : lui n’assène rien, il préfère suggérer ; il pose un lien, mais ne l’impose pas. Il est espace de liberté bienvenu, une oasis dans notre société toujours plus polarisée. N’est-ce pas ce qui devrait rendre ce signe inutile totalement indispensable aujourd’hui ?

Paul Vacca, romancier


© twitter

Ce point-virgule est bien plus qu’un tatouage : quelle est sa signification ?

[LALIBRE.BE, 13 juillet 2015] Que signifie le tatouage point virgule ? Et d’où vient l’idée ? Les tatouages composés d’un point-virgule ont fait récemment leur apparition en nombre sur les réseaux sociaux. Ils symbolisent la lutte contre la dépression…

Les poignets tatoués de ce signe font partie du projet Semicolon. L’idée ? Se tatouer un point virgule pour lutter contre la dépression, l’addiction, l’automutilation et les tendances suicidaires. L’initiative a été lancée en 2013 par une Américaine, Amy Bleuel, suite au suicide de son père. “Le point virgule est choisi par un auteur qui pourrait décider de terminer la phrase, mais qui ne le fait pas“, peut-on lire sur le site du projet, “l’auteur, c’est vous. Et la phrase c’est votre vie.” Le point virgule marque donc le tournant qu’on peut prendre dans sa propre vie. L’emplacement de ce point-virgule sur le poignet n’est pas choisi au hasard puisque c’est l’endroit où des personnes peuvent se tailler les veines. Une variation est de mettre le point-virgule à la place du “i” dans le mot “continue“.

Les détracteurs du tatoo point-virgule. Cette thérapie virtuelle collective pose toutefois question, comme le souligne la psychosociologue spécialisée dans les tatouages, Marie Cipriani, dans une carte blanche pour le Nouvelobs. “L’injonction “tatouez-vous ce symbole si vous êtes une personne fragile” me dérange. Marquer volontairement son corps par un signe évoquant la faiblesse “avouée” ainsi en s’appuyant sur l’argument d’un appel à l’aide est surprenant, écrit-elle, il y a un côté copier-coller qui va totalement à l’encontre des fondements de l’histoire du tatouage ancestrale qui perdure encore de nos jours.” Elle explique aussi le potentiel impact stigmatisant d’un tel tatouage, qu’elle recommande donc de ne pas faire sur un coup de tête.

La rédaction, lalibre.be


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Plus de Wallons et de Bruxellois à la libre tribune…

LEVY : XCI – La légende de novembre (1883)

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Le premier novembre a lieu chaque année la fête de la Toussaint, dont le nom devrait être écrit avec un s final, puisqu’il s’agit de la fête de tous les saints.

La Toussaint est une grande fête dans l’Eglise catholique, une fête solennelle, au même titre que Pâques, la Pentecôte et Noël.

La Toussaint, célébrée à Rome depuis l’an 731, ne fut introduite en France que cent ans après, en 825, sous le pontificat de Grégoire IV.

Au commencement du onzième siècle, Odilon, abbé de Cluny, eut l’idée d’ajouter à la fête des saints des prières pour les morts, et, depuis cette époque, le lendemain de la Toussaint, fut consacré aux trépassés.

Depuis le 22 octobre nous sommes entrés dans le mois républicain qui s’appelle brumaire, mois des brouillards.

La température s’est considérablement, refroidie ; le thermomètre accuse 6 degrés et demi en moyenne. Cependant, alors que chaque jour est plus court et plus froid que le jour qui précède, on a remarqué depuis longtemps que, vers le 11 novembre, le beau temps semblait avoir repris pour quelques heures. Le soleil parait plus clair, plus chaud ; pendant quelques jours on garde encore l’illusion de la belle saison qui vient de disparaître : c’est, dit-on, l’été de la Saint-Martin.

Chaque année vers la mi-novembre on observe un phénomène semblable à relui qui est aperçu vers le 13 août : celui des étoiles filantes. Les étoiles filantes de novembre semblent toutes émaner d’un même point du ciel situé dans la constellation du Lion. Aussi ces étoiles s’appellent Léonides, par opposition aux Perséides d’août.

En novembre les semailles doivent être terminées ; les fruitiers doivent être remplis.

A la Toussaint les blés semés
Et tous les fruits rentrés.

Malgré les quelques heures de répit que nous donne saint Martin, les froids annoncent l’arrivée de l’hiver :

Si l’hiver va droit son chemin,
Vous l’aurez à la Saint-Martin.

Albert LEVY, Cent tableaux de science pittoresque (1883)


Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…

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LEVY : LXXXII – La légende d’octobre (1883)

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Octobre correspond, dans le calendrier républicain, à vendémiaire, nom dérivé de vindemia, qui veut dire en latin vendange.

Vendémiaire en main tenant la coupe
Ouvre l’automne et l’an républicain ;
Les vendangeurs vont en joyeuse troupe
Des ceps dorés détacher le raisin.

A la fin d’octobre, la vendange doit être terminée ; les proverbes agricoles nous disent en effet :

Entre saint Michel et saint François
Prends ta vigne telle qu’elle est.
A la Saint-Denis prends–la,
si elle y est encore.

(Hautes-Alpes)

La vigne ne réussit pas en tous pays. En France, la limite de la culture de la vigne touche au nord l’Océan à Vannes, passe entre Nantes et Rennes, entre Angers et Laval, entre Tours et le Mans, remonte par Chartres, pour passer au-dessus de Paris, puis au-dessous de Laon et au-dessous de Mézières, et atteint le Rhin à l’embouchure de la Moselle.

Sur les 150 millions d’hectolitres de vin qui sont récoltés à la surface du globe, lesquels proviennent presque exclusivement des vignes d’Europe, la France, à elle seule, produit 65 millions d’hectolitres ; l’Italie, 33 millions ; l’Espagne et le Portugal, 23 millions ; l’Allemagne, la Grèce 20 millions. Nous n’aurions pas manqué d’ajouter autrefois, du temps où nous combattions nos ennemis séculaires :

Je songe, en remerciant Dieu,
Qu’ils n’en ont pas en Angleterre !

A Rome, le mois d’octobre était placé sous la protection de Mars, auquel on sacrifiait, le 15, un cheval, october equus (cheval d’octobre). Parmi les fêtes qu’on célébrait, durant ce mois, signalons :

      • Le 11, les Médétrinales, en l’honneur de Médétrina, déesse de la médecine ; on faisait de nombreuses libations de vin, car le vin paraissait être le remède universel.
      • Le 13, les Fontinales, en l’honneur des nymphes des fontaines ; “on jetait des fleurs dans les fontaines et on couronnait les puits avec des guirlandes de fleurs.”
      • Le 19 avait lieu la bénédiction des armes, Armilustres ; on faisait une revue générale des troupes dans le champ de Mars.
      • Le 30, avaient lieu les Vertumnales, en l’honneur du dieu des saisons et des fruits.

La température moyenne du mois continue à décroître : elle était de 15,7° en septembre ; elle descend à 11,3° en octobre. Le jour décroit de 1 heure 43  minutes, savoir de 46 minutes le matin et de 57 minutes le soir ; à la fin du mois, le soleil se lève à 6 heures 47 minutes le matin et se couche à 4 heures 40 minutes le soir.

Bacchus, dieu des vendanges, était largement fêté en Grèce et à Rome. En Grèce, on l’adorait sous le nom de Dionysos et les fêtes des vendanges s’appelaient Dionysiaques. Ces fêtes se distinguaient entre toutes par la gaieté et la liberté extrêmes qui y présidaient ; les esclaves eux-mêmes étaient durant ce temps complètement libres.

A Rome, le dieu des vendanges s’appelait Bacchus et les fêtes qui avaient, pour but d’honorer le dieu, les Bacchanales, étaient l’occasion des plus grandes débauches. Ces fêtes furent supprimées au concile de Constance, en l’an 692.

Albert LEVY, Cent tableaux de science pittoresque (1883)


Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…

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LEVY : XXVIII – La légende d’avril (1883)

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Les Romains donnaient au mois qui succède à Mars le nom d’Aprilis, qui vient du mot latin aperire, qui veut dire ouvrir, soit “parce que, dans ce mois, les bourgeons commencent à s’ouvrir“, soit “parce que la terre semble ouvrir son sein en se couvrant d’une végétation nouvelle.” Du mot latin Aprilis nous avons fait avril.

Eu Grèce, le mois d’avril était consacré à la déesse Cybèle, la mère des dieux, comme l’appelaient les Grecs. C’était à Pessinonte, en Phrygie, que se trouvait le principal temple consacré à Cybèle ; on l’y adorait sous la forme d’une pierre noire qui était, disait-on, tombée du ciel.

Le 1er avril, nous nous égayons aux dépens de nos amis en leur annonçant des nouvelles absolument inexactes, et en leur imposant des démarches inutiles. S’ils se fâchent, il nous suffira d’un mot pour calmer leur colère : “Poisson d’Avril !”

Quelle est l’origine de cette plaisanterie vraiment absurde ? On raconte que le roi Louis XIII faisait garder à vue dans le château de Nancy, un prince de Lorraine : “Le prisonnier trouva moyen de se sauver, le 1er avril, en traversant la Meuse à la nage, ce qui fit dire aux Lorrains que c’était un poisson qu’on avait donné à garder aux Français.

Rappelons d’ailleurs qu’en avril le soleil se trouve dans la constellation zodiacale qu’on appelle les Poissons.

Du commencement à la fin d’avril, les jours augmentent de 1 heure 40 minutes, savoir : de 57 minutes le matin et de 43 minutes le soir.

En avril, la température continue à s’élever et cependant les mauvais temps  ne nous ont point complètement quittés. Vous connaissez le dicton : “Il n’est si gentil mois d’avril qui n’ait son chapeau de grésil.”

Il y a d’ailleurs, dans ce mois, une échéance qui terrifie un grand nombre de paysans et qui suscite chez eux les croyances les plus superstitieuses : je veux parler de la lune rousse. Les agriculteurs appellent lune rousse la lune qui, commençant en avril, devient pleine soit à la fin d’avril, soit au commencement de mai ; ils attribuent à la lumière de la lune la gelée qui, à cette époque de l’année, roussit les plantes. Les agriculteurs se trompent. Les plantes gèlent quand la température baisse et que le ciel est découvert, circonstance qui favorise le refroidissement de la terre. Or il est bien vrai que lorsque la lune brille, le ciel est dégagé , mais on voit que dans ces gelées tardives “la lune n’est pas complice, mais simplement témoin du dégât.

En avril, l’agriculteur souhaite la pluie pendant la première partie du mois :

Pluie d’avril
Remplit grange et fenil.

Mars hâleux,
Avril pluvieux
Font mai joyeux.

Quand il tonne en avril,
Vendangeurs, préparez vos barils.

Albert LEVY, Cent tableaux de science pittoresque (1883)


Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…
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LEVY : XIX – La légende de mars (1883)

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Le fondateur de Rome, Romulus, voulant donner à son peuple un calendrier nouveau, divisa l’année en dix mois de trente jours, suivis de soixante jours complémentaires et consacra le premier de ces mois au dieu Mars dont les Romains le prétendaient issu.

On raconte qu’à Rome, sous le règne de Numa, en l’an 44 de la fondation de la ville, une pierre ayant la forme d’un bouclier tomba du ciel. Les oracles furent consultés.

Ils déclarèrent que le destin de la ville naissante était lié à la conservation du bouclier céleste. Numa fit exécuter par un ouvrier habile onze boucliers absolument semblables à celui-là, afin de déjouer les mauvais desseins de ceux qui tenteraient de s’en emparer. On donna à ces boucliers le nom d’Anciles, d’un mot grec qui veut dire courbe, “parce qu’ils étaient échancrés latéralement de manière qu’ils étaient plus larges vers leurs extrémités qu’à leur partie moyenne.

Ces anciles étaient déposées dans le temple de Mars, sous la garde de douze prêtres appelés saliens (de salire, sauter, ou saltare, danser) parce que chaque année, le premier mars, ils parcouraient la ville “portant au bras les boucliers sacrés et exécutant, au son des instruments de musique, des danses et des chants solennels. Pendant les trois jours que durait cette fête, on ne pouvait ni se marier, ni entreprendre quelque chose d’important.

Vers le 21 mars commence le printemps. Nous sommes à l’équinoxe, ce qui veut dire que la durée du jour est égale à la durée de la nuit. “C’est l’époque du réveil de la nature, c’est le règne des fleurs, c’est la jeunesse de l’année !” En l’honneur du printemps, on célébrait à Athènes et à Rome des fêtes consacrées à Flore, la déesse des fleurs.

La température moyenne qui a atteint en janvier son point le plus bas (2,4°) se relève de plus en plus ; elle était de 4,5° en février, elle est de 6,4° en mars. Ce n’est pas que nous soyons délivrés des froids de l’hiver, car mars est souvent froid et pluvieux ; les pluies, courtes et fréquentes, qui tombent alors que rien ne semblait les faire prévoir, sont connues sous le nom de giboulées.

Les vingt premiers jours de mars, qui terminent le mois républicain de Ventôse, sont en général pluvieux. Avec l’équinoxe du printemps arrive Germinal c’est le temps où la semence confiée à la terre commence à germer.

La terre, déjà préparée, va recevoir durant ce mois : les avoines, les blés de printemps, les pois, les lentilles, les carottes, le lin, le tabac… C’est l’époque favorable pour le semis des arbres résineux : le pin sylvestre, le pin maritime. Le jardinier termine les labours et va semer les laitues, les chicorées, le cerfeuil… La nature, engourdie durant les mois de l’hiver, se réveille ; le soleil nous envoie des rayons plus chauds et plus lumineux. Nos arbres, dont les tiges desséchées se détachaient sur le fond gris et triste du ciel, commencent à porter des bourgeons ; la violette émaille nos parterres… c’est le Printemps !

En mars, les agriculteurs demandent de la sécheresse ; ils craignent tout à la fois les gelées et les chaleurs trop hâtives. Les orages sont aimés du vigneron et redoutés des cultivateurs, ce qui explique que certains dictons soient contradictoires suivant leur provenance. Voici les principaux :

Mars, sec et beau
Remplit caves et tonneaux.

Quand en mars beaucoup il tonne,
Apprête cercles et tonnes.

Quand il tonne en mars
Le fermier enrage…

Janvier le frileux,
Février le grésilleux,
Mars le poudreux,
Font tout l’an plantureux.

Le mois de mars est souvent brumeux. Les agriculteurs prétendent que si  l’on note avec soin les jours de brouillard de Mars, on peut être assuré qu’il y aura en mai des gelées blanchies aux jours correspondants. Le fait n’est pas encore admis par les savants.

Albert LEVY, Cent tableaux de science pittoresque (1883)


Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…
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BIBLE : Les quatre Évangiles traduits en wallon liégeois

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[d’après RTBF.BE, 26 octobre 2023] Les quatre Évangiles viennent d’être traduits en wallon de Liège. Ils sortiront en librairie d’ici deux mois. Voici un court extrait de la parabole du fils prodigue :

11 Jèzus’lzî raconta co cisse fåve-chal : ” In-ome aveût deûs valèts.
12 Li pus djône diha a s’pére : “Pére, dinez-m’mi pårt di l’èritèdje.” Èt l’pére fa lès pårts.

Le traducteur a passé plusieurs années à adapter le texte sacré. Gilles MONVILLE est un ancien professeur de français, professeur de wallon au CRIWE, guide wallon au Trésor de la cathédrale et au Musée de la Vie wallonne. Il a aussi enseigné le wallon de Liège. Son travail sur les quatre Évangiles est une adaptation plus qu’une traduction, parce qu’il a dû passer de la langue très formelle des Évangiles à un registre beaucoup plus familier.

Le texte religieux et l’esprit Tchantchès

La difficulté, c’est de trouver la formule pour transposer des idées. Par exemple, la circoncision. Comment dire ça en wallon ? On n’va nin dîre li circoncision ! C’èst dè bastårdé walon ! C’est du petit wallon ! Donc, on prend l’idée et on dit en wallon : ine cérémon’rèye po-z-arindjî li p’tite trûtchète d’in-èfant qui vint dè v’ni å monde ! Evidemment, c’est une périphrase, mais elle est amusante“.

Gilles Monville, le traducteur © RTBF – François Braibant

Gilles Monville explique que traduire les Évangiles a été pour lui un amusement beaucoup plus qu’un travail : “Je me suis amusé à jouer avec la langue pour remettre à la façon de chez nous les textes d’évangile. Il y a un peu de fantaisie, un peu de l’esprit Tchantchès. C’est plus familier. Parce que le wallon se parle avec le cœur plus qu’avec le cerveau“.

Les quatre Évangiles en wallon sont chez l’imprimeur. Ils sortiront pour les fêtes sous la forme de quatre livres sous un seul coffret. En tout huit cents pages en deux colonnes, celle de droite en wallon et celle de gauche en français, plus une version sonore, histoire de faciliter la lecture, pas toujours aisée, du texte wallon.

François Braibant, rtbf.be


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | source : rtbf.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : les quatre évangélistes représentés au sommet de la tour d’Eben-Ezer (à Eben-Eymael, près de Liège) © rtbf.be


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THONART : L’histoire d’Adamah (2023)

Temps de lecture : 3 minutes >

Assis par terre devant sa caverne, Adamah eut un moment de vertige.

Devant lui, dans le monde entier, les hommes et les femmes étaient en procession, chaque marcheur maintenait les mains sur les épaules du marcheur précédent et portait sur les siennes les mains du marcheur suivant, et les enfant couraient entre les jambes de tous, indifféremment.

Les lignes concentriques formées par les pénitents soulevaient une poussière qui faisait tousser Adamah et le vacarme des voix était violent : pas un qui ne fut en train de parler, sourdement ou avec véhémence, en train de discourir, en solo ou à l’envi. Adamah sentait le vertige monter en lui, à les voir tous passer devant lui, sans le regarder…

Chaque année, la procession ne s’arrêtait que quatre fois : aux solstices et aux équinoxes. Aux équinoxes, le défilé s’arrêtait, les bras retombaient et tous se taisaient. Le silence était assourdissant quand peu à peu les corps dressés se mettaient à hésiter, d’avant en arrière, balançant doucement sans jamais tomber d’un côté ou de l’autre. Puis, les bras remontaient sur les épaules et la marche reprenait, comme les sons qui sortaient à nouveau de chaque bouche, reformant une litanie qui durerait jusqu’au solstice suivant. Au solstice d’été, les rondes s’interrompaient de même, chacun levant les mains triomphalement pour cacher sa peur de la nuit. Au solstice d’hiver, à l’inverse, chacun, dans la foule arrêtée, croisait les bras en baissant la tête pour ressentir l’espoir du soleil vainqueur qui ne manquerait pas de briller à nouveau, un jour.

Adamah ne savait plus ce qui l’avait poussé à quitter la file au moment où elle passait devant sa caverne. Il avait quitté le rang dès l’arrêt, il s’était assis devant chez lui, comme pour prendre souffle, mais il n’était plus reparti. Aujourd’hui, il le savait, il lui fallait quitter la vue de cette danse hypnotique et plonger dans sa caverne, l’explorer. Pourquoi, il ne le savait pas.

Adamah a marché vers le fond de l’ouverture et, au détour d’une pierre, a trouvé le passage. Aidé d’une maigre torche, il a progressé jusqu’à ce qu’aucune lueur du jour ne lui parvienne plus : le chemin était tortueux mais descendait doucement, comme une invitation. Arrivé à un replat, alors qu’un courant d’air soufflait sa torche, Adamah eut peur de l’obscurité. Il réalisa néanmoins qu’il pouvait encore voir et avança de plus belle pour aboutir dans un large espace, baigné de lumière douce.

Au centre de la caverne haute comme un temple, gisait une amande de pierre polie, beaucoup plus grande que lui. La surface lisse était noire comme du granit sombre mais elle tourna au rose profond comme Adamah s’approchait pour la toucher. Il hésita devant l’étrange objet mais une confiance tout aussi étrange le poussa à avancer les mains et à poser les deux paumes sur la pierre. Il sentait qu’elle était chaude alors qu’il attendait un contact minéral et froid. Bien au contraire, l’amande était douce comme la chair. Comme il appliquait ses paumes avec plus de force, elle se mit à rayonner et l’image d’une oasis apparu sur les parois de la caverne.

Adamah savait ce moment sacré et aucune parole ne pouvait dire l’apaisement numineux qu’il ressentait alors. Surpris par l’unité qu’il éprouvait entre lui et l’oasis, il avait d’abord retiré ses mains et l’image avait disparu ; il avait ensuite reposé ses doigts puis ses paumes pleines sur ce nouveau centre de sa vie et l’image avait retrouvé tout son éclat. S’il lui était une loi désormais, c’était celle qu’il faisait sienne alors.

Avec dans l’âme la beauté de l’oasis, Adamah est alors remonté à la surface et a entamé une marche vers le centre des cercles de pénitents, profitant de chaque arrêt saisonnier pour se glisser entre les corps captifs. Selon la force qu’il se sentait, il avançait vers le cœur du mandala humain ou reculait pour une brève retraite, pendant laquelle il ne manquait pas de se ressourcer auprès de l’amande.

Or, un jour, il eut une vision et comprit ce qu’il verrait, une fois arrivé à l’épicentre des marches forcées : un bloc de béton, couvert de peintures nées de mille mains avec un seul motif, répété à l’envi : une oasis. Il pleura d’émotion en pensant aux efforts déployés par ses anciens compagnons de marche puis, se redressa et reprit la route vers sa caverne, franchissant à nouveau chaque cercle aux solstices et aux équinoxes.

Vint le jour où il aperçut au loin l’ouverture de sa caverne. Fort de ses voyages, il leva les yeux et vit des hommes et des femmes qui lui souriaient, chacun posté à l’entrée de cavernes, également creusées dans l’immense montagne… en forme d’amande.

Patrick Thonart

L’Histoire d’Adamah est extraite du livre en cours de rédaction Être à sa place, Manuel de survie des vivants dans un monde idéalisé


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LEVY : LXXIII – La légende de septembre (1883)

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Septembre vient du mot latin septem, qui veut dire sept. Pour n’y plus  revenir, nous rappellerons tout de suite qu’octobre, novembre et décembre viennent des mots latins octo, novem et decem, qui signifient huit, neuf et dix, et se rapportent, comme septembre, à l’ancienne année romaine, dont l’origine était en mars.

En septembre, les jours continuent à décroître. La diminution est de 1 heure 43 minutes, se décomposant ainsi : 46 minutes le matin, et 57 minutes le soir. Vers le 21 juin dernier, le Soleil avait atteint sa plus grande hauteur ; pendant quelques jours cette hauteur ne variant pas, on disait que le Soleil s’était arrêté. Nous étions au solstice d’été ; les jours avaient leur plus grande durée : 16 heures 7 minutes. Puis le Soleil s’est abaissé peu à peu ; les jours ont diminué, les nuits sont devenues de plus en plus longues, et seront redevenus égaux à l’équinoxe d’automne.

En septembre, les matinées et les soirées deviennent très fraîches ; la température moyenne du mois descend à 15,7°, c’est-à-dire qu’elle est inférieure de 3 degrés à la température d’août. En même temps que commence la vendange, on s’occupe des semailles.

Août mûrit, septembre vendange ;
En ces deux mois tout bien s’arrange.

Il faut semer de bonne heure, car plus on attend, plus il faut augmenter le poids de la sentence.

Qui n’a pas semé à la Croix
Au lieu d’un grain en mettra trois.

La Croix se rapporte au 14 septembre, fête de l’Exaltation de la Croix.

Regarde bien, si tu me crois,
Le lendemain de Sainte-Croix.
Si nous avons le temps serein,
Abondance de tous les biens ;
Mais si le temps est pluvieux
Nous aurons l’an infructueux. (Vosges.)

Un peu de pluie est favorable aux semailles, mais les pluies persistantes sont, d’après les agriculteurs , un mauvais présage pour les récoltes futures.

Septembre, a-t-on dit, est le ‘mai’ de l’automne. C’est le bienheureux mois des vacances. Les écoliers s’ébattent en liberté à la campagne ou sur les bords de la mer. Que les jeunes hôtes des plages normandes ou bretonnes n’oublient pas qu’en septembre a lieu la plus forte marée de l’année.

Nous savons que les marées sont dues à l’attraction exercée sur les eaux de  la mer par la Lune et le Soleil. Tous les corps de la nature s’attirent. La Terre attire la Lune et est attirée par elle. Cette double action ne se manifeste pas en général d’une manière visible : les parties solides de notre globe, fortement liées entre elles, paraissent immobiles. Sous l’influence de la Lune, l’océan s’élève durant six heures, s’abaisse pendant le même temps, et cela d’une manière continue.

Albert LEVY, Cent tableaux de science pittoresque (1883)


Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…

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LEVY : LXIV – La légende d’août (1883)

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En l’an 730 de Rome (24 ans avant J.-C.), le Sénat décida que le mois de sextilis (le sixième à partir de mars) prendrait le nom d’Augustus, en mémoire des nombreux services rendus par l’empereur Auguste. D’Augustus nous avons fait Aoust, puis Août. Les Anglais et les Allemands ont exactement conservé le nom romain de ce mois et l’appellent August et Augustus.

On raconte que ce fut l’empereur Auguste lui-même qui provoqua le vote spontané et unanime du Sénat. Et comme sextilis n’avait que trente jours, il en fit ajouter un trente et unième, afin que le mois portant son nom ne fût pas plus court que celui consacré à Jules César ! Pour ne pas modifier la durée de l’année, le jour supplémentaire d’août fut retranché à février, qui jusque-là avait eu 29 jours dans les années ordinaires et 30 jours dans les années bissextiles.

Le mois d’août amène chaque année le retour d’un intéressant phénomène astronomique : l’apparition des étoiles filantes. C’est également en août qu’apparaissent ces globes de feu, de couleur et de grosseur variables, qui semblent courir dans le ciel et qui tout à coup font explosion. On les appelle bolides, du mot grec bolis, trait. Ils se distinguent des étoiles filantes en ce qu’ils sont plus gros et en ce que leur disparition est accompagnée d’une détonation parfois très violente.

En août, la température est encore élevée et, bien que la moyenne descende à 18,5° (elle était de 18,9° en juillet), nous devons compter sur un grand nombre de journées chaudes et orageuses. D’ailleurs tous les ans, vers le 15 août, la température s’élève d’une manière sensible ; ce phénomène, bien connu des agriculteurs, est attribué à la Vierge d’août. Le 18 août finit thermidor et commence, dans le calendrier républicain fructidor, le mois des fruits.

En août se termine la moisson ; nous sommes en pleine fête de l’agriculture. Mais, pour que les opérations de la moisson puissent s’accomplir sans difficulté et donner le résultat le plus favorable, il faut peu de pluie an commencement d’août, une bonne pluie au milieu du mois et un temps sec dans la seconde quinzaine. C’est ce qu’indiquent les proverbes :

Quand il pleut le premier août,
C’est signe qu’il n’y aura pas de regain.
De Saint-Laurent à Notre-Dame
La pluie n’afflige pas l’âme

Albert LEVY, Cent tableaux de science pittoresque (1883)


Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…

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D’autres symboles en Wallonie-Bruxelles…

TAROT : Arcane majeur n° 22 (ou zéro !) – Le Mat

Temps de lecture : 14 minutes >

“L’arcane Le Mat est la vingt-deuxième lame du Tarot de Marseille (ou la lame zéro !). Elle représente un personnage marchand avec son baluchon, son bâton et son chien. C’est le chemin de l’être humain qui emmène avec lui son histoire dans son baluchon et est accompagné de ses instincts, le chien. L’arcane Le Mat symbolise le destin du consultant qui doit avancer dans sa vie, poussé ou retenu par son chien, ses instincts, mais qui n’a pas d’autre choix que de suivre sa route personnelle. Le Mat représente la démarche du consultant, la voie qu’il a prise et qui le mène vers son avenir. C’est le voyageur autant que l’aventurier. Le Mat est une image de liberté et de libération des contraintes. Avec Le Mat le consultant retrouve un espace et un esprit libre, il se dégage des conventions et suit sa voie originale. Le Mat représente la capacité de prendre des risques dans la vie et d’avancer vers des terrains inconnus. Le Mat va de l’avant même s’il ne sait pas où cela va le mener. Il écoute son intuition pour se guider et avancer. Dans sa face sombre, Le Mat ne sait pas où il va et est en train de se perdre. Il n’est pas raisonnable et peut aller à sa perte. Il fuit plutôt que d’affronter les situations. Le Mat n’écoute personne, ne sait pas s’arrêter et reste fixé sur ses idées folles.” [d’après ELLE.FR]


Le Mat (Tarot de Marseille)

    1. Lame droite : Transformation de la situation.
      1. à côté – le Chariot : Grande nouvelle venant de loin ou nouvelle du passé qu’on a enterrée.
      2. à côté – l’Hermite : Un secret sera découvert avec paroles médisantes.
      3. à côté – la Mort / l’Etoile / la Lune : Signe de danger ou de mort.
      4. à côté – le Soleil : Evénement inattendu et imprévu apportant réconfort, soutien et clarté.
    2. Lame renversée : Extravagance – Folie – Insécurité – Il est tombé ou arrêté dans sa marche.

Le Fou ou le Papillon (Intuiti)

DESCRIPTION : Le vrai fou n’est pas celui qui va faire face au danger sans crainte aucune mais plutôt celui qui, en connaissance de cause, va sauter par au-dessus de l’abîme avec le sourire. Dans ses yeux, vous voyez déjà l’énergie qui prépare le grand saut :  une étincelle ardente – souvent confondue avec la folie – qui pourtant est bien plus que ça. C’est l’ardeur de vivre, la confiance dans votre propre idées, une foi aveugle envers vos rêves. C’est ce que Shakespeare évoquait quand il écrivait qu’un fou, un poète et un amant ont quelque chose en commun. Dans cet état d’esprit, nous percevons de nos actions non pas les moyens mais déjà leur fin, tout le reste cesse d’exister, y compris les responsabilités, les peurs, les chemins qu’il faudrait emprunter ou le reste du monde : il n’y a que le présent, libre de tout danger caché. Nous nous trouvons dans un état de conscience augmentée qui ouvre la porte à l’infini et à l’absolu. Nous devenons des acrobates de la vie, libérés, nous pouvons être qui nous voulons, comme dans un jeu de rôle, et nous restons incandescents, en feu et encore en feu, que ce soit au ciel ou au fond de l’abîme. C’est le voyage dans l’infini.
La question est donc : “Quel est mon rapport à la diversité ?  Est-ce que je la ressens comme un plus ou un moins, quelque chose de superficiel ? Dois-je apprendre à me débarrasser de la moitié des choses qui me sont inutiles aujourd’hui ? Est-ce que trop de couleur dans ma vie est un réel plus ou me donne la migraine ?”
Vous aimerez cette carte si vous aimer passer d’un pied à l’autre, acquérir des compétences dans des domaines différents et vous ennuyer dès que vous avez fini d’apprendre. Le contraire est vrai pour tous ceux qui voient dans cette attitude de la superficialité ou un manque de cohérence.
Cet archétype invite à tenter autant d’expériences que possible, à ne jamais rester immobile. Il suggère également de ne pas exagérer : s’il est bon de suivre sa passion même s’il elle vous amène à “papillonner”, elle ne doit pas servir d’excuse pour faire n’importe quoi !

L’HISTORIETTE : Qu’il soit ou non concentré sur son futur, il est perdu dans ses pensées, il éclate de rire ou il est parfaitement maîtrisé, sa vie est habitée par ses rêves. Qu’il agite sa cape ou qu’il porte couronne, qu’il galope dans la lumière ou sombre dans le vide, son âme est habitée par ses rêves. Si changent les villes et les saisons, s’il crie ou marche à l’envers, s’il mange ou boit du poison, s’il est dans les bras de sa mère ou de son père, ou bien qu’il tienne son propre enfant dans les bras, son esprit est habité par ses rêves. Et, qu’il marche dans le monde ou non, son esprit est habité par ses rêves. C’est qu’il est toujours avec un pied au bord de l’abîme et le regard dans les étoiles, sans crainte. Il est son propre rêve. Le plus convoité et celui qu’il craint le plus.

LA RECOMMANDATION : “Prenez du plaisir. Soyez fou !


Le Mat : liberté, grand apport d’énergie (Jodorowsky)

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EXTRAIT : “Le Mat a un nom, mais il n’a pas de numéro. Seul Arcane majeur à ne pas être défini numériquement, il représente l’énergie originelle sans limites, la liberté totale, la folie, le désordre, le chaos, encore la poussée créatrice fondamentale. Dans les jeux de cartes traditionnels, il a donné naissance à des personnages comme le Joker ou l’Excuse, qui peuvent représenter toutes les autres cartes à volonté, sans s’identifier à aucune. La phrase-clé du Mat pourrait être: “Tous les chemins sont mon chemin.”
Cette carte donne une impression d’énergie : on y voit un personnage marcher résolument avec des chaussures rouges, enfonçant dans la terre un bâton rouge. Où va-t-il ? Droit devant lui ? C’est possible, mais on pourrait également imaginer qu’il tourne en cercles autour de son bâton, sans fin. Le Mat fait figure d’éternel voyageur qui chemine dans le monde, sans appartenance ni nationalité. C’est peut-être aussi un pèlerin qui se rend dans un lieu saint. Ou encore, au sens réducteur que beaucoup de commentateurs lui ont donné, un fou qui marche sans finalité vers sa destruction. Si l’on choisit l’interprétation la plus élevée, on verra le Mat comme un être détaché de tout besoin, de tout complexe, de tout jugement, en marge de tout interdit, ayant renoncé à toute demande : un illuminé, un dieu, un géant puisant dans le flux de l’énergie une force libératrice incommensurable.
Sa besace couleur chair est éclairée de l’intérieur par lumière jaune. Le bâton qui lui sert à la porter est bleu ciel et termine en une sorte de cuiller : c’est un axe réceptif qui porte la lumière de la Conscience, l’essentiel, le substrat utile de l’expérience. Dans la main qui tient ce bâton se cache une petite feuille verte, signe d’éternité. Le Mat est aussi un personnage musical, puisque son costume est orné de grelots. On pourrait imaginer qu’il joue la musique des sphères, l’harmonie cosmique. Dans plusieurs éléments de costume, on retrouve des symboles de la trinité créatrice : son bâton porte un petit triangle composé de trois points, un des grelots, blanc, est un cercle divisé par trois traits… On peut y discerner à volonté la trinité chrétienne ou les trois premières séphiroths, l’Arbre de Vie de la Kabbale, ou encore les trois processus fondamentaux de l’existence : création, conservation et dissolution. Le mouvement du Mat est donc guidé par le principe divin ou créateur. Le chemin devient bleu ciel à mesure qu’il le foule : il avance sur une terre pure et réceptive qu’il sacralise à mesure de son cheminement.
A la ceinture du Mat, on trouve encore quatre grelots jaunes qui pourraient correspondre aux quatre centres de l’être humain symbolisés par les Couleurs des Arcanes mineurs du Tarot : l’Épée (centre intellectuel), la Coupe (émotionnel), le Bâton (sexuel et créatif) et les Deniers (corporel). Le Mat produit un apport d’énergie lumineux dans ces quatre centres, qui sont également symbolisés dans les quatre mondes de la Kabbale : Atzliluth, le monde divin ; Briah, le monde de la création ; Yetzirah, le monde de la formation et Assiah, le monde de la matière et de l’action.
L’animal qui le suit, peut-être un chien ou un singe (deux animaux qui imitent l’homme), appuie ses pattes à la base de sa colonne vertébrale, au niveau du périnée, à cet endroit où la tradition hindoue situe le centre nerveux qui concentre les influences de la Terre (chakra mûlâdhâra). Si Le Mat était un aveugle, il serait guidé par son animal, mais ici, c’est lui qui marche devant, tel le Soi visionnaire guidant l’ego. Le moi infantile est dompté ; nul besoin de le séduire pour dominer son agressivité. Il est parvenu à un degré de maturité suffisant pour comprendre qu’il doit suivre l’être essentiel et non lui imposer son caprice. C’est la raison pour laquelle l’animal, devenu réceptif, est représenté en bleu ciel. Désormais ami du Mat, il collabore avec lui et le pousse en avant. La moitié de son corps se trouve hors du cadre de la carte : le fait qu’il marche derrière Le Mat nous permet de penser qu’il représente aussi le passé. Un passé qui ne freine pas l’avancée de l’énergie vers le futur.
Le costume du Mat est rouge et vert : il porte essentiellement en lui la vie animale et la végétale. Mais ses manches bleu ciel indiquent que son action, symbolisée par ses bras, est spiritualisée, et son bonnet jaune porte la lumière de l’intelligence. Sur ce bonnet, on note la présence de deux demi-lunes. L’une, jaune clair et encastrée dans un cercle orange, est tournée vers le ciel. L’autre, située sur la boule rouge qui termine la pointe arrière du bonnet, est tournée vers le bas. La lune rouge représente le don total de l’action, et la lune rouge représente la réception totale de la Conscience.

Liberté • Énergie • Voyage • Recherche • Origine• Cheminement • Essence • Force de libération • L’irrationnel • Chaos • Fuite • Folie”


Le Clown (Vision Quest)

L’ESSENCE : LIBERTÉ – Humour – Innocence – liberté de l’esprit- Joie de vivre – Amour de la vie – Capacité à aimer – Libre de tout désir de possession -Sans ego – En harmonie avec soi-même et la vie..

LE MESSAGE INTÉRIEUR : Le Clown représente le signe joyeux d’une personne qui aspire à la liberté intérieure. Il symbolise votre candeur et votre humour intérieur. II a reconnu que chaque liaison – aussi luxurieuse et profitable soit-elle – et donc pour l’ego si importante à atteindre, ne mène finalement qu’à la confusion. Le clown est libre de vivre sa vérité et libre également d’être la personne qu’il est vraiment. Il a définitivement ôté son masque. Il n’a plus besoin de ce dernier puisqu’il sait qu’il n’a plus rien à perdre. Le clown s’est détaché avant tout sur le plan mental de toutes les contraintes sociales. Le chemin spirituel sur lequel il attire votre attention, s’applique au fait d’ÊTRE et non d’avoir, de posséder ou d’être prisonnier. Il s’adresse à la délectation, au jeu, à la joie de vivre et à la capacité à s’identifier à rien de sérieux.

LA MANIFESTATION EXTÉRIEURE : Le clown fait presque toujours partie des cérémonies religieuses et de la danse des Indiens. C’est un danseur qui plaisante sur les autres sans méchanceté et avec beaucoup d’humour. Il porte quelquefois au bas de son dos une queue de coyote qu’il agite de façon provocatrice dans la foule. Ou alors il joue avec son masque, saute autour des danseurs tel un jeu, leur tire les cheveux et les imite. Une étincelle d’humour, une étincelle d’allégresse est toujours l’un des éléments les plus importants au cours de chacune de ces danses divines. Le Clown attire l’attention du public par son jeu et son innocence sous une forme très importante de l’équilibre dans la vie. Car en effet. chaque énergie a son pôle contraire. Si nous prenons une chose trop au sérieux, nous devenons trop fanatiques. Si nous abordons des choses avec peu de concentration et trop peu de centre, celles-ci ne reçoivent pas assez d’attention pour se développer. Savourez tout ce qui s’offre à vous sans attendre le jour suivant pour avoir plus et toujours plus. Redécouvrez l’élément en vous qui est joueur et créatif. Vous n’avez pas besoin d’avoir tout tout de suite ou de posséder tout ce dont votre cœur se réjouit. Exercez-vous plutôt à ressentir la pure joie d’un plaisir qui ne connaît pas d’emprise et que l’emprise ne dirige pas. Libérez-vous des pensées angoissantes auxquelles vous vous cramponnez. Laissez aussi la légèreté du Clown transgresser les limites de votre vie extérieure que vous vous êtes fixées vous-même. Apprenez à rire de vous-même ! Apprenez à danser avec le Clown en vous. Comprenez que la véritable sagesse et l’humour du Clown dépassent toute connaissance qui relève de l’enseignement.


Le Mat (tarot maçonnique)

“Le Tarot se referme sur lui-même. Cette fermeture n’est pas un blocage. Comme le cercle elle symbolise l’infini. Cet arcane du début ou de fin, peut encore intervenir à tout moment. N’ayant pas de repère chiffré, pas de coordonnées, il se situe en dehors de toutes les références qui résultent de notre éducation et sont base de notre façon d’exister. Cette carte représente la déambulation du personnage d’un univers à l’autre ; univers de perceptions et de sensations différentes. Si on le juge en fonction des critères de notre société c’est le marginal : le Fou. Folie ou Sagesse ? Il n’y a là qu’une différence de point de vue. Sur la carte, les titres et références sont situés hors du cadre. Le mouvement des formes de cette lame indique un déplacement dans le temps (la spirale) et dans l’espace (les rectangles). Ce mouvement poursuivi par la pensée devient une “mise en abîme.” La lettre Schin, renforce cette notion de déplacement, de mouvement spatial.”


Le Vagabond (Forêt enchantée)

“Le Vagabond se tient au cœur du cycle humain, dans le cercle le plus intérieur de la Roue, en suspens entre le commencement et la fin, attendant d’être guidé de l’autre côté de l’abîme de la prise de conscience dans le domaine de la connaissance archétypale.

DESCRIPTION : En équilibre sur le bord d’un escarpement de calcaire blanc, le Vagabond se prépare à passer de l’autre côté de l’abîme et à entrer dans la Forêt enchantée. Devant lui se dessine un léger arc-en-ciel qu’il doit emprunter. Ce saut par-dessus le vide est entrepris les bras ouverts et avec une grande confiance : les ailes de l’imagination et de l’honnêteté porteront le personnage jusqu’à l’herbe luxuriante d’un nouveau chemin.
Vêtu d’écorce, de mousse verte délicate et de feuillage symbolisant l’essence protectrice et curative de la nature, le Vagabond n’est ni homme ni femme, les deux genres se combinent dans son corps androgyne. Ses pieds nus effleurent l’herbe du bord de l’escarpement. De l’autre côté de l’abîme, les arbres à l’ombre immense attendent pour accueillir ce nouvel arrivant dans la Forêt enchantée. Un visage est à peine visible parmi les frondaisons enchevêtrées – c’est peut-être l’esprit du bois.

SIGNIFICATION : En ce moment, les fardeaux du passé sont laissés de côté – soit pour que le Vagabond les reprenne et les emporte avec lui, soit pour qu’il les abandonne derrière lui s’ils sont trop pesants. La Roue de l’année entame son grand cycle, apportant toute une nouvelle gamme de possibilités et de défis. Le Vagabond est prêt à sauter dans l’inconnu – il ne lui faut que la foi.
Le Vagabond représente la sagesse ou le courage de lâcher prise, de faire un pas dans le vide de ce qui est possible. Quelque chose en vous a peut-être déjà amorcé ce saut inconscient, instinctif, à travers l’abîme ; vous savez que le moment d’avancer est venu. Parfois, la peur de la perte ou de l’échec vous fera douter de la validité du changement. Vous voudrez attendre ou hésiterez au moment critique, car la sécurité est confortable, néanmoins, mais la vitesse de la Grande roue a propulsé déjà le véritable cœur du Vagabond dans l’avenir, l’incitant à sauter à travers le vide avec courage et joie. Maintenant, le personnage doit laisser tomber les fardeaux portés pendant si longtemps et se fier aux ailes de l’imagination.
Le Vagabond est en même temps une fin et un commencement. Un voyage est déjà revenu à son point de départ et, à mesure que vous distillez votre expérience de vie dans la mémoire sacrée et laissez de côté le passé et ses fardeaux, l’avenir attend patiemment que vous fassiez le premier pas.
Rappelez-vous que votre sagesse, votre force, vos expériences et vos savoir-faire personnels ne vous aideront pas maintenant. L’esprit honnête de la curiosité humaine vous conduit au-delà de vous-même, dans une nouvelle vie. Cette énergie inconsciente crée un pont arc-en-ciel qui monte et soutient vos pas. Il vous fera passer au-dessus du vide lorsque vous avancez, confiant et plein d’énergie, dans l’inconnu.

POINTS ESSENTIELS DE LA LECTURE : Vous êtes arrivé à un moment décisif de votre vie. Ce peut être l’impression que la chance a tourné ou que quelque chose va prendre place. D’une certaine manière, c’est déjà arrivé. Votre esprit doit avancer et le désir de sauter dans l’inconnu vous attire. Cela signifie abandonner les fardeaux anciens. Le moment est venu d’être clair et de ne pas laisser la peur de l’échec ou la déception envers l’univers vous empêcher d’avancer. Laissez-vous porter par votre imagination dans une nouvelle série de possibilités. Avancez avec espoir et faites bon accueil aux aspects inédits et excitants de l’univers.

Racines et branches
Foi aveugle • Tableau blanc • Enfant intérieur • Saut dans l’inconnu • Suivre votre cœur • Quête de la connaissance ou de la vérité • Pulsion primale • Vision de l’illumination qui vous fait avancer”


Cuchulainn (tarot celtique)

“Bien qu’il soit le fils naturel ou adoptif de Lug, Cuchulainn n’est pas exactement un dieu. Il s’agit plutôt d’une figure héroïque, un guerrier semi-divin doué d’une habileté, d’une force et d’une fureur peu communes : une sorte d’Achille celtique à I’existence glorieuse mais brève, car voué à une fin tragique. Cuchulainn le sait pour en avoir été averti par des signes prémonitoires et par des visions (la corneille Badb, émanation de la sorcière Morrigan, ses armes qui tombent par terre, les lavandières en train de rincer ses vêtements souillés de sang), mais il se prépare quand même à combattre l’inéluctable, afin d’accomplir héroïquement son destin.
Le programme héroïque de Cuchulainn commence dès l’enfance, quand il étrangle le chien du forgeron Culann et se met à son service pour faire amende honorable. Entraîné à l’art du combat tout d’abord par son ami, puis par les guerrières Skatha et Aifa (qui devient sa maîtresse), Cuchulainn développe jusqu’à l’invraisemblable la folle fureur qui l’anime à la bataille, en l’obligeant à frapper aveuglément quiconque, ami ou ennemi, se trouve à sa portée: il se forme alors sur son front une bosse de la taille d’un poing, d’où s’écoule un jet de sang noir du sommet du crâne vers le haut, comme le mât d’un grand navire.

LA CARTE : Il a les traits déformés par la fureur et le regard d’un fou, les cheveux dressés sur la tête et rouges comme le feu ou le sang. Son manteau, rouge lui aussi, s’ouvre pour découvrir les lourdes écailles de la cotte. La fureur de Cuchulainn correspond à la furie du berserkr, le guerrier qui, consumé par l’ardeur du combat, se dépersonnalise et se change en bête féroce. Armé d’un bouclier, d’une cuirasse et d’une épée, le héros se prépare ici à l’assaut, peut-être le dernier, avec ses trois chiens (son nom même signifie chien de Culann) en guise de paladins..

SIGNIFICATION ÉSOTÉRIQUE : La fureur de Cuchulainn est celle du fou qui a su s’affranchir des règles pour déguster entièrement sa coupe de sage folie. Fils de Lug, le dieu habile en tout qui ouvre le jeu, il représente dans un certain sens son complément, à savoir la partie instinctuelle, irrationnelle de notre esprit qui s’avère indissociable de la partie logique et rationnelle.
Ce n’est pas un hasard si l’amour, la créativité et la vaticination relèvent de cette sorte de maladie nécessaire pour faire bouger les roues de la civilisation. Sans l’étincelle créatrice de la folie, il n’y aurait jamais eu ces progrès, ces envolées qui ont rendu certaines cultures du passé magnifiques et immortelles.
L’initié qui travaille la réalisation de l’androgyne qui est en lui sait parfaitement que pour remplir le verre, il faut commencer par le vider. Il convient en d’autres termes de se débarrasser de toute velléité, de toute ambition pour affronter, nu, son propre destin, exactement comme Cuchulainn, mystérieusement dépouillé de son armure qui tombe en morceaux à ses pieds, affronte le duel ultime avec un courage inébranlable.

MOTS CLEFS : fureur, affranchissement des règles, bizarrerie, inéluctabilité, destin.

A L’ENDROIT : fureur, force, héroïsme, acceptation héroïque du destin ; nouveaux projets, changements imprévus ; détermination, énergie, situation positive à saisir au vol, choix à effectuer ; enthousiasme, extravagance, impulsivité, indépendance, idées brillantes, intuition. prévoyance, insouciance, innocence ; arrivée d’un hôte, nouvelle aventure amoureuse ; inconnu, voyages, entreprises positives ; héritage ; guérison prochaine ; passage, lutte couronnée de succès.

A L’ENVERS : lutte vaine, colère, douleur, vide, chaos ; fuite, abandon, dépression ; catastrophe naturelle, bouleversement du destin, fausse route ; blocage, lenteur, apathie, hésitation, immaturité ; manies, excentricité, ostentation, coup de tête, crise existentielle, incohérence, excès, désordre ; matérialisme, amoralité, légèreté, indiscrétion ; entreprise déconseillée, besoin de reconsidérer un projet, optimisme excessif, utopie ; problèmes insolubles, projets stériles ; déception, mensonge, tromperie, envie, arrogance ; vengeance, violence, guerre, espionnage ; jalousie, trahison, violente rupture d’une relation, angoisse pour la famille ; solitude volontaire, indécision à l’égard d’un lien définitif ; voyages risqués, entreprises ratées ; stress, folie, crises de dépression, toxicomanie, alcoolisme, malaises physiques, intoxication ; dangers généralisés.

LE TEMPS : mardi, novembre.

SIGNE DU ZODIAQUE : Scorpion, Verseau.

LE CONSEIL : sortez des schémas préconstitués, oubliez les conditionnements et remettez-vous en piste comme un homme neuf ; c’est seulement après avoir vidé la coupe que vous pourrez la remplir à nouveau.


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Lisons encore les symboles…

LEVY : LV – La légende de juillet (1883)

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Avant Jules César, l’année romaine commençait au 1er mars ; le mois dont nous racontons la légende occupait par conséquent le cinquième rang ; on l’appelait quintilis (cinquième) pour cette raison. L’année même de la mort de Jules César, 44 ans avant Jésus-Christ, Marc-Antoine, voulant honorer la mémoire du conquérant des Gaules, fit remplacer le nom de quintilis par celui de Julius (Jules). De Julius nous avons fait juillet.

Juillet nous amène les grandes chaleurs. Le 19 de ce mois finit Messidor, dans le calendrier républicain, et commence Thermidor, nom dérivé du grec et qui veut dire chaud. C’est en juillet, en effet, qu’ont lieu, dans notre hémisphère, les températures les plus élevées. C’est en juillet que commencent les jours caniculaires, pendant lesquels, disent les proverbes, il faut se métier des ardeurs du soleil. A cette époque de l’année, la belle étoile qu’on nomme Sirius se lève et se couche en même temps que le soleil ; les croyances populaires attribuaient à la présence de cette étoile les chaleurs plus vives de juillet, et, comme Sirius fait partie de la constellation du Chien, en latin canis, dont le diminutif est canicula (petite chienne), l’époque des températures élevées fut appelée canicule.

© Marie Desmares

En juillet, les Grecs célébraient une de leurs plus grandes fêtes : les Panathénées, en l’honneur de Minerve. Le nom de ces fêtes, formé de deux mots grecs : pan, tout, et Athéné, Minerve, indiquent qu’elles étaient suivies par tous les adorateurs de la déesse.

En juillet le Soleil entre dans la constellation de l’Écrevisse (Cancer). D’où vient ce nom : l’Écrevisse ? Les anciens disaient à tort, et on le répète parfois encore aujourd’hui, que l’écrevisse “marche à reculons et obliquement.” Le soleil, arrivé le 21 juin au plus haut point de sa course, commence, à partir de cette époque, à redescendre, à rétrograder, à marcher à reculons : de là le nom d’Écrevisse donné à la constellation dans laquelle le Soleil entrait il y a deux mille ans, vers le 21 juin.

En juillet comme en juin ; les travailleurs des champs redoutent l’abondance des pluies et manifestent leurs craintes à peu près dans les mêmes termes que pour le mois précédent :

Quand il pleut à la Saint-Calais,
Il pleut quarante jours après.
S’il pleut le jour de Saint-Benoît,
Il pleuvra trente-sept jours plus trois.
S’il pleut le jour de saint-Victor,
La récolte n’est pas d’or.

Nous sommes, en effet, en pleine moisson des céréales et la pluie peut contrarier la rentrée des récoltes ; à partir du 15 juillet on coupe les seigles, les orges, les avoines d’hiver et les blés dans le midi de la France…

Albert LEVY, Cent tableaux de science pittoresque (1883)


Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…

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D’autres symboles en Wallonie-Bruxelles…

LEVY : XLVI – La légende de juin (1883)

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Le mot juin vient-il de juniores, jeunes gens, ou de Juno, Junon ? Quelques auteurs, en adoptant la première étymologie, supposent que dans ce mois on célébrait la fête de la jeunesse. Cependant la seconde étymologie parait assez probable, quand on se souvient que chez les Romains le mois de juin était consacré à la déesse Junon.

Du 1er au 21 juin, les jours continuent à augmenter. Du 17 au 25 juin, la durée du jour reste sensiblement la même : Sol stat, le soleil s’arrête ; nous sommes au solstice d’été. Notre dessin montre, pour les divers points de la Terre, la différence entre la durée du jour et celle de la nuit.

En juin, la température s’élève et atteint une moyenne de 17,2°. Dans ce mois, les agriculteurs redoutent l’échéance du 8 juin, jour de la saint Médard :

Quand il pleut, à la Saint-Médard,
Il pleut quarante jours plus tard.

Il est bien évident que si vous prenez ce dicton à la lettre, il est toujours en défaut ; mais on peut l’interpréter. La fête de la saint Médard tombait autrefois vers le 20 juin, jour voisin du solstice d’été. Or, a cette époque de l’année, le soleil occupe pendant quelques jours la même position par rapport à la terre ; la chaleur envoyée par le soleil reste la même durant cette période et, les conditions météorologiques variant peu, on doit supposer que le temps ne changera pas pendant quelques jours. Si donc il pleut à cette époque, la pluie a quelque chance de durée.

Si nos agriculteurs se sont inquiétés aussi vivement de l’influence de saint Médard, c’est, il faut le dire, parce qu’ils redoutent en juin l’abondance des pluies, ainsi que l’attestent certains proverbes agricoles :

Juin pluvieux vide celliers
Et greniers.

Quand il pleut pour Saint-Médard,
La récolte diminue d’un quart.

Eau de Saint-Jean ôte le vin
Et ne donne pas de pain.

C’est en juin que se termine le mois républicain prairial et que commence messidor, mois des moissons. En juin, vers la Saint-Jean, commencent la fauchaison et la fenaison, c’est-à-dire les opérations qui consistent à couper le foin, à le faire sécher sur les prairies et à le rassembler en meules, en bottes, pour le rentrer dans cette partie des bâtiments de l’exploitation qu’on nomme le fenil.

Albert LEVY, Cent tableaux de science pittoresque (1883)


Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…
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[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | sources : Fonds PRIMO (documenta) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, RUBENS Peter Paul, The Presentation of the Portrait of Marie de Medicis (détail montrant le couple Zeus/Héra ou Jupiter/Junon, c. 1622-1625) © Musée du Louvre © Fonds Primo.


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DELVILLE, Jean (1867-1953)

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Artiste-peintre, écrivain, poète et théosophe, Jean DELVILLE (est une figure majeure du domaine idéaliste du Symbolisme belge. Né le 19 janvier 1867, à Leuven (Belgique), il décède en 1953 à Forest-Bruxelles, le jour de son anniversaire, à l’heure même de sa naissance. Suivent quelques repères biographiques [pour en savoir plus, visitez JEANDELVILLE.INFO]

Avant 1900

Son talent est reconnu dès sa formation à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles où il s’est inscrit à l’âge de 13 ans, en 1879. À l’âge de 20 ans, en 1887, Delville dessine son Tristan et Yseult (MRBAB).

DELVILLE J., Tristan et Yseult © MRBAB

Ses thèmes iconographiques étaient jusqu’alors proches du réalisme social. Au Salon de l’Essor où il a commencé à exposer, il donne à voir, en 1889, ses premières études de nus pour le dessin monumental Le Cycle des passions.

DELVILLE J., Le cycle des passions (détail) © MRBAB

​Les années 1890 seront prolifiques pour le jeune Delville. L’artiste va se détacher petit à petit d’une influence réaliste et donner une orientation idéaliste à son œuvre. Dès 1892, il participe aux salons de la Rose+Croix à Paris, là où les artistes belges symbolistes sont reconnus. Il y présente son Orphée mort (en-tête de cet article, MRBAB). À la suite de cette expérience parisienne, Delville va devenir animateur-organisateur de salons à Bruxelles. Il sera membre fondateur de Pour l’Art en 1892.

En 1895, il expose Les Trésors de Satan et obtient une première  reconnaissance institutionnelle avec le premier prix au grand concours de peinture, le Prix de Rome.

En polémiste qu’il était, Delville publie de nombreux articles dans les petites revues de l’époque pour défendre son art idéaliste. C’est à ce propos qu’il organise les Salons d’Art idéaliste à Bruxelles en 1896, 1897, 1898.

DELVILLE J., L’école de Platon © Musée d’Orsay

Au cours de ces mêmes années, pendant ses séjours à Rome, il conçoit L’École de Platon (Musée d’Orsay) qu’il termine à Bruxelles. Cette œuvre va le consacrer définitivement comme maître de l’Art idéaliste au salon d’art idéaliste de 1898. Il fonde la coopérative artistique qui pratiquait l’achat groupé de fournitures artistiques.

À partir de 1900

Delville publie La Mission de l’Art : Etude d’Esthétique Idéaliste en 1900 et peint L’Amour des âmes (Musée d’Ixelles). Il nourrit la volonté de continuer à produire des toiles de grands formats. Par idéal, l’artiste espère pouvoir les insérer dans des lieux publics afin d’en faire profiter un plus grand nombre.

DELVILLE J., Portrait de la femme de l’artiste © MRBAB

Pour assurer des ressources financières plus régulières, il va s’investir dans une charge de professeur à la Glasgow School of Art où il conçoit L’Homme-Dieu (Groeningemuseum, Bruges) et Prométhée (ULB) ; puis en Belgique à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles. Marié avec Marie Lesseine en 1893, le jeune père veut offrir une vie décente à trois de ses six enfants déjà nés. En 1907, il obtient une commande de l’état belge. Commence alors, pour lui, une des périodes les plus heureuses de sa vie. Il peint dans son atelier de l’avenue des 7 Bonniers, à Bruxelles-Forest, les cinq immenses panneaux de La Justice pour la Salle des assises du Palais de Justice de Bruxelles. L’artiste termine ces panneaux en 1914.

La Première Guerre mondiale éclate, il décide de prendre le chemin de l’exil. À Londres il peint des esquisses pour Les Forces (Salle des pas perdus, Palais de Justice de Bruxelles) et La Belgique indomptable (collection privée).

Au milieu des années 1920, avec la création de la société d’art monumental, il conçoit avec cinq autres artistes de sa génération le projet des mosaïques des Arcades du Cinquantenaire, à Bruxelles. Dans l’état d’esprit d’après-guerre, Delville va peindre six panneaux autour du thème La Glorification de la Belgique. En 1924, il est élu membre de l’Académie de Belgique.

DELVILLE J., La roue du monde © KMSKA

Libéré de sa charge professorale à la fin des années 1930, ses six enfants sont tous mariés, il rejoint à Mons sa nouvelle compagne. En 1940, alors qu’il est âgé de plus de 70 ans, Delville y peint parmi d’autres œuvres, La Roue du Monde (KMSK Antwerpen ). Jean Delville continuera à peindre et à écrire jusqu’à la fin de sa vie.

jeandelville.info


Jean Delville à l’oeuvre © 2021 Jean Delville

Je la revois avec les yeux de mon enfance,
la vieille cité calme et triste où je suis né.
Je m’y revois encor, enfant prédestiné
aux émois douloureux du rêve et du silence.

Je la revois avec mon cœur naïf et fier.
Des souvenirs dolents passent dans ma mémoire.
Je suis le héros vain d’une candide histoire,
où mon passé revit, comme si c’était hier.

Et voici le taudis de la maison natale !
Entre ses murs de chaux monta le premier cri
des souffrances que sont ma chair et mon esprit.

Et depuis l’heure où vint ma naissance fatale,
je sens que reste en moi, – l’homme par l’Art hanté –
l’enfant pauvre et obscur que j’ai toujours été.

Delville J., La Ville natale (in Les Splendeurs méconnues)

TÉMOIGNAGE : Jean Delville, mon grand-père

[ACADEMIA.EDU] La tête dans les étoiles, les pieds bien sur terre, Jean Delville notait souvent, en haut de sa correspondance, « en toute hâte » ou « au galop ». Au galop, donc, de 1867 à 1953, une vie et une œuvre aussi foisonnantes l’une que l’autre. Marié, père de famille nombreuse, tout à la fois peintre, écrivain et philosophe, homme de passions, intègre et idéaliste, mon grand-père a toujours mené plusieurs combats de front. Retracer cette vie n’est pas chose aisée. En 1941, il écrit lui-même à son ami journaliste Clovis Piérard, qui tente alors de l’inciter à rassembler ses souvenirs : « C’est maintenant surtout que je regrette d’avoir trop négligé – c’est le mot – de conserver tout ce qui se rapporte à ma carrière d’artiste. Mes études théosophiques m’incitèrent beaucoup à ne pas attacher trop d’importance à la personnalité extérieure. Ce qu’elles m’ont apporté de lumière dans ma vie intérieure – et ce qu’elles m’apportent d’ailleurs encore – a provoqué ce détachement des choses personnelles immédiates et qui fit de moi, dans la vie artistique, un isolé. »

Tout au long de sa vie, Jean a peint des autoportraits. Le premier est conçu alors qu’il a à peine vingt ans. Albert Ciamberlani, dans sa notice Jean Delville, membre de l’Académie, évoque ainsi la personnalité du jeune artiste : « Ceux qui l’ont connu à l’âge de vingt ans se souviennent qu’il était d’une beauté physique remarquable ; son regard était vif, ses cheveux noirs et longs. Sa fierté naturelle indomptable contrastant avec la modestie de ses origines, devant tout à lui-même, à sa confiance en soi et sa volonté de parvenir. Il avait de la voix, de la mémoire musicale, un style aisé et abondant ; il savait parler en public et s’annonçait déjà polémiste. »

À la fin de sa vie, dans l’un de ses derniers autoportraits, il se représente la chevelure blanchie mais encore léonine, le regard toujours perçant. Parlant de son enfance, il écrit alors : « J’étais un enfant solitaire, indépendant et même indiscipliné. On m’appelait le “rêveur.” Un ciel étoilé me plongeait dans le ravissement. J’en sentais profondément le mystère. J’avais aussi le pressentiment très vif de la souffrance de la vie. »

Enfance

Mon grand-père est né le 19 janvier 1867 à 2 heures du matin, rue des  Dominicains à Louvain. Son acte de naissance indique qu’il est né de Barbe Libert, journalière, âgée de trente-trois ans et domiciliée impasse du Werf. Jean n’ayant pas été reconnu par son père, il portera le nom de sa mère jusqu’au mariage de celle-ci avec Victor Delville le 22 septembre 1877.

Victor et Barbe se sont rencontrés à Louvain avant de s’établir à Bruxelles en 1873. Pour le petit garçon, c’est la découverte d’une nouvelle famille. Le père de Victor, François Delville, « une sorte de géant », est chef tailleur dans l’armée belge. Jean raconte que c’est en sa compagnie qu’il rencontre pour la première fois un artiste : « Ce fut pour moi un véritable enchantement d’enfant encore inconscient de sa vocation. » Quant à l’oncle Henri Laboic, chef de musique du régiment des carabiniers, Jean écrit à son propos : « J’aimais beaucoup la musique étant gosse – toutes les musiques qui passaient dans les rues, je les suivais pour écouter –, j’éprouvais une grande admiration pour cet oncle. »

À l’école communale de la rue du Fort, à Saint-Gilles, Jean est un élève  attentif, désireux d’apprendre et curieux, mais il n’apprécie guère l’atmosphère disciplinaire. Un jour, révolté face à un instituteur qui a blessé
un élève, il se dresse sur son banc, le traite de brute et, pour éviter son empoigne, s’échappe en bondissant vers la porte.

Plus tard, en section professionnelle à l’Athénée Bruxelles, sa vocation artistique semble se préciser avec les nombreux croquis dont il illustre ses cahiers. Bien qu’il réponde « médecin » quand on l’interroge sur ce qu’il souhaite devenir plus tard, il demande à son père d’adoption de pouvoir suivre les cours du soir à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles, où il est admis alors qu’il n’a pas encore treize ans. Passionné, travailleur, il progresse vite et est bientôt admis dans la classe de peinture de Jean-François Portaels, où il réussit à se placer premier à la fois en dessin d’après l’antique, en composition historique, en peinture et en figure. Poussé par son esprit d’indépendance, Jean s’en va alors chercher un coin à Forest pour peindre, inspiré par la nature encore sauvage et les magnifiques lumières des ciels toujours changeants. Fervent lecteur, il commence aussi à écrire des poèmes, qu’il publie à partir de 1888 dans La Wallonie d’Albert Mockel, dont il a fait la connaissance, et s’ouvre ainsi les portes de la culture littéraire.

Prémices d’une oeuvre

En 1885, mon grand-père réalise deux dessins dans un asile de nuit. Dans le premier, des hommes et des femmes dorment affalés sur deux tables tandis qu’à l’avant-plan d’autres sont couchés par terre. Dans le second, les figures endormies à même le sol deviennent le centre de la composition. Ces corps allongés et entrelacés annoncent les motifs et les figures de ses dessins dits des Las-d’aller et de sa première œuvre de grandes dimensions, Le Cycle passionnel.

À vingt ans, il perd Moederke – Jeanne Janssens, sa grand-mère maternelle, qui était très fière de dire : « Onze Janneke is een schilder. » Touché par son courage, sa philosophie et les chansons qu’elle composait, toute illettrée qu’elle soit, il l’a veillée seul, la dessinant sur son lit d’agonisante. Il dit de cette époque : « Or déjà j’avais senti que le réalisme n’était pas tout l’art. » Un dessin daté de 1887, Tristan et Yseult, illustre bien ce propos. C’est une composition triangulaire formée par les corps des amants et la coupe vidée du philtre d’amour que brandit Yseult. Leurs jambes sont entravées par un entrelacs de racines sombres d’où s’échappent des papillons lumineux. De l’arrière-plan, une lumière rayonne sur leurs deux corps allongés. La même année, Jean fait ses débuts en exposant à l’Essor, un cercle artistique bruxellois qui promeut une esthétique essentiellement réaliste et impressionniste.

Entre réalisme et symbolisme

Jean travaille sans relâche : « C’est à l’époque de mon premier atelier de Forest, cette vieille écurie humide où les rats et les souris se livraient à leurs ébats et où je travaillais des journées entières sans manger, que des esquisses me hantaient ; j’avais dessiné un grand tourbillon de corps nus entrelacés, roulant dans l’espace, supplice dantesque du cercle voluptueux. » Il parle là du Cycle passionnel, inspiré par La Divine Comédie de Dante, qu’il exposera en 1890 lors de la quatorzième exposition de l’Essor. Jean est dit « vagabond de l’art » car il tire son inspiration de tout : de la tradition réaliste, de la littérature, de sa propre imagination, des paysages qu’il traverse, des effets lumineux de l’aurore, de la nuit, du soleil et de la lune.

Le monde artistique de l’époque bouge, évolue. Le clivage de plus en plus marqué entre l’esthétique réaliste et une peinture plus intellectuelle provoque une scission au sein de l’Essor. Avec d’autres dissidents, Jean fonde en 1892 Pour l’art, un cercle à la vocation idéaliste et dont les principaux objectifs sont l’organisation de salons et de conférences. Début 1892, Ray Nyst, ami de Jean, affiche dans la revue Le Mouvement littéraire sa volonté d’introduire la Rose+Croix en Belgique : peu à peu, un mouvement intellectuel se construit au sein de ce cercle de l’intelligentsia bruxelloise, où la peinture d’idée fait son chemin. Entre les deux expositions de la Rose+Croix organisées par Joséphin Péladan et celles de Pour l’art, Jean se partage entre Paris et Bruxelles, où il s’affirme en tant qu’artiste de la veine symboliste. Ainsi, au Salon de la Rose+Croix du printemps 1893, les peintres belges sont bien présents, avec Jean Delville en tête de file, qui crée à cette époque plusieurs œuvres remarquables : Orphée mort, Mysteriosa, La Fin d’un règne. Son dessin L’Idole de perversité démontre sa capacité à produire des compositions d’une grande complexité symbolique.

Son activité poétique et essayiste s’affirme aussi. Il fait paraître en 1892 Les Horizons hantés, avec cette dédicace au comte de Villiers de L’Isle-Adam : « Vois, – toi seul peux me comprendre. » En 1893, Le Mouvement littéraire publie un extrait de son Dialogue entre nous qui reprend une citation de l’écrivain symboliste français : « Je n’enseigne pas : j’éveille. Nul n’est initié que par lui-même. » Jean a écrit cet ouvrage sous la forme de questions-réponses entre un sceptique et un initié, développant là une argumentation kabbalistique, occulte et idéaliste. Dialogue entre nous présente le cheminement de sa pensée et ses options prises comme homme et comme artiste, options qu’il développe grâce à ses lectures et aux cercles d’amis artistes et écrivains qu’il fréquente : José Hennebicq, Ray Nyst, Victor Rousseau et Albert Ciamberlani seront ses témoins lors de son mariage avec Marie Lesseine, le 9 octobre 1893.

Reconnaissance

Dans le contexte social de la fin de siècle, l’idée de la création d’une coopérative artistique voit peu à peu le jour. Dans le courant du mois de février 1894, c’est Jean qui anime les différentes réunions de lancement du projet. Le 2 mars, il écrit au peintre Jules Du Jardin que sa femme est depuis le matin « entrée en génisse » mais aussi qu’il a « envoyé à tous les périodiques une prière d’ouvrir la liste de souscription pour la coopérative et le communiqué aux quotidiens pour la convocation des actionnaires. » Raphaël, son premier fils, naît le lendemain. Dans son atelier de fortune de Forest, il réalise sa première peinture à l’huile de grand format, Les Trésors de Sathan. Les temps sont durs pour la famille Delville, qui vit dans un dénuement quasi total. Suivant le conseil de Victor Rousseau, Jean s’inscrit au concours du Prix de Rome de peinture, doté pour le lauréat d’une importante bourse pour un voyage en Italie. En juin 1895, il participe à la présélection et, en juillet, il évoque la « séquestration qu[’il] vi[t] depuis huit jours pour le concours de Rome en loge à Anvers. » Homme proactif, il se lance en même temps dans la promotion de son esthétique idéaliste et affronte les critiques de ses opposants. Il est déclaré lauréat du Prix de Rome de peinture en octobre. Peu après, Marie donne naissance à leur second fils, Élie. Puis son premier Salon d’Art idéaliste s’ouvre en janvier 1896. Il peut alors partir pour l’Italie.

Jean vit son départ pour Rome comme une délivrance. Accompagné de sa femme et de ses deux fils, il réside à l’Académie belge. Là, il noue amitié avec le compositeur flamand Lodewijk Mortelmans, Prix de Rome de musique. Le peintre va devoir se plier aux règles que tout lauréat se doit d’observer pour pouvoir percevoir ses subsides. Il étonne les lecteurs de ses rapports envoyés à l’Académie des sciences et des lettres par l’intérêt qu’il porte à la sculpture antique plus qu’à la peinture. En août 1896, dans deux lettres d’Italie publiées sous le titre Les Antiques à Rome dans La Ligue artistique, il fait part de l’émerveillement que lui inspire la statuaire grecque, qu’il découvre aux musées des Antiques du Vatican, du Capitole et des Thermes de Dioclétien. Il trouve là de quoi étayer ses recherches et ses thèses esthétiques : Orphée aux Enfers et L’École de Platon témoigneront de l’aboutissement éclatant de cette réflexion.

En 1897, Jean trouve encore le temps de publier son second recueil de poèmes, Le Frisson du Sphinx. Camille Lemonnier notera : « Quand Delville publia son Frisson du Sphinx, on vit que ses vers reflétaient l’éclat et la subtilité de son art. Il y apparut l’âme ardente et noble, nourrie de Renaissance, qu’il était dans son œuvre peinte. » Il entreprend des allers-retours entre Rome et la Belgique pour mettre sur pied les prochains Salons d’Art idéaliste. À Bruxelles, Marie donne naissance à leur troisième enfant, Elsa. En 1898, alors qu’il en est à terminer son École de Platon, pour laquelle il fait même des études de paons au jardin zoologique d’Anvers, il écrit le 12 février à Mortelmans : « Mon cher Ami, j’ai la douleur de vous faire savoir que notre cher petit ange Elsa n’est plus de ce monde depuis hier soir 11 heures 17. »

Une certaine sécurité financière aidant, Jean se lance dans la construction d’un atelier digne de ce nom et d’une petite maison, drève des Sept-Bonniers, dans le haut de Forest. « La famille va s’agrandir… Serait-ce notre petite Elsa qui veut revenir ? », écrit-il encore à Mortelmans. Eva naît le 3 mars 1899.

DELVILLE J., L’Amour des âmes © Musée d’Ixelles

Il n’a cessé de publier des articles dans des revues pour défendre son esthétique idéaliste. En octobre 1899, la publication de son ouvrage La Mission de l’art représente en quelque sorte l’apothéose de ses recherches philosophiques et esthétiques. La Lumière, le titre symbolique de son éphémère revue, reflète bien l’idée d’un idéal vers lequel tend tout son art et que, à travers sa très belle œuvre L’Amour des âmes, il parvient à exprimer.

Théosophie

Toujours à la recherche de ce qu’il appelle une « rédemption financière », Jean n’obtient pas le poste de professeur qu’il espérait à l’Académie. Déçu, il part enseigner en Écosse, à la Glasgow School of Art, où une place de premier professeur lui est offerte. Son enseignement est reconnu du fait de la qualité des travaux que ses étudiants présentent lors des expositions annuelles des travaux d’élèves organisées par le gouvernement de Londres. Toutefois, le climat écossais et la santé de ses enfants, maintenant au nombre de cinq – se sont ajoutés Mira et Olivier –, ont raison de son enthousiasme. Il sent le besoin de rentrer en Belgique.

Jean peint sa toile de très grand format L’Homme-Dieu en espérant la voir intégrée dans un lieu public. Elle rejoindra la collection du musée Groeninge de Bruges. Son activité d’alors est fortement empreinte de théosophie. Ainsi, à propos de son Prométhée, dont il a fait une première étude à Glasgow, il écrit : « Ma conception de Prométhée est toute différente de tous les Prométhée connus. J’ai donné à cette figure son vrai sens ésotérique. Ce n’est pas le feu physique qu’il apporte à l’humanité, mais le feu de l’intelligence, symbolisé par l’Étoile à cinq points. »

Son expérience professorale de Glasgow est reconnue et appréciée : en janvier 1907, il est nommé premier professeur à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles. À quarante ans, Jean obtient la commande de cinq grands panneaux décoratifs pour la salle de la cour d’assises du palais de justice de Bruxelles. Ce travail doit s’étaler sur cinq à six ans. Le panneau central de 11 mètres sur 4,50 mètres, La Justice, la Loi et la Pitié, sera complété par deux compositions secondaires de 4 mètres sur 3 représentant Moïse avec les Tables de la Loi (La Justice de Moïse) et le Christ rédempteur (La Justice chrétienne). Deux autres panneaux symboliseront la justice terrifiante et torturante du passé (La Justice d’autrefois) et la justice compréhensive et psychologique de l’avenir (La Justice moderne).

Jean connaît alors un grand sentiment de bonheur. Cette commande améliore aussi sa stabilité financière : il décide d’agrandir sa maison en ajoutant une tour au sommet de laquelle il installe une chambre de méditation au plafond étoilé. Dans le jardin planté de peupliers d’Italie s’ébattent alors six enfants : la petite dernière, Annie, est née en 1909. Par ailleurs, son École de Platon a été acquise par le musée du Luxembourg, à Paris. Rasséréné, il peut alors peindre L’Oubli des passions.

Combattre, à nouveau

Lorsque la guerre est déclarée en 1914, mon grand-père vient de terminer son dernier panneau pour le palais de justice. Son médecin lui conseille de prendre du repos à la mer, son foie étant sérieusement atteint. Jean se résout à l’exil en Angleterre avec quatre de ses enfants. Les deux aînés partent à la guerre, dont ils reviendront miraculeusement indemnes.

À Londres, le conflit lui inspire une esquisse pour Les Forces, tableau qu’il terminera en 1924. L’un de ses poèmes, dédié aux soldats d’Albert Ier, est lu lors d’une fête de la Ligue patriotique et des amitiés françaises le 14 avril 1917 au Queen’s Hall de Londres : « Comme un torrent d’amour, de courage et d’honneur, ceux qui se sont battus dans la sainte colère, tel un fils furieux dont on frappe la mère, et que, pour la défendre, on voit soudain debout, pour défendre le sol patrial jusqu’au bout ! » À son retour en Belgique, Jean peindra Les Mères – un groupe de femmes errant sur le champ de bataille où elles retrouvent leurs fils morts. Son dessin La Charité anglaise évoque l’accueil fraternel des Britanniques, symboliquement représenté par la figure d’une femme ouvrant les bras aux exilés terrifiés qui débarquent sur les côtes anglaises.

DELVILLE J., Les Mères © Ville de Dinant

« Éprouver le tourment de peindre ou de dessiner en même temps que la souffrance d’écrire est une expérience intime qui tient parfois du drame », confie-t-il. Il n’empêche : élu en 1924 membre titulaire de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, classe des beaux-arts, section peinture, Jean publiera de nombreux essais dans le Bulletin de l’Académie ainsi que des notices à propos d’artistes disparus dans Annuaire Belgique.

En 1923, mon grand-père travaille d’arrache-pied pendant six mois pour terminer sa très grande toile Les Forces, symbolisant l’opposition entre les forces destructrices de la guerre et les forces de la paix. Par ailleurs, il ne perd pas de vue son désir d’intégrer des œuvres monumentales dans un espace public. À Bruxelles, les galeries de l’hémicycle des Arcades du Cinquantenaire sont vides de décoration. Jamais à court d’idées, Jean pense à les doter de mosaïques chatoyantes. L’idée d’une œuvre collective autour de la glorification de la Belgique séduit ses confrères de l’art monumental : Albert Ciamberlani, Émile Vloors, Constant Montald, Omer Dierickx et Émile Fabry répondent à l’appel. Après de nombreuses difficultés pour parvenir à financer cet ouvrage de trente-six panneaux, la mosaïque de 120 mètres de long est mise en œuvre et terminée.

À soixante ans, Jean publie son quatrième recueil de poésie, Le Chant dans la clarté. Il pense alors faire paraître un nouveau volume, intitulé Hors des mondes, qui ne verra pas le jour mais dont subsistent aujourd’hui tous les poèmes manuscrits.

Sa vie à mons

À Émilie Leclercq, mon grand-père écrit : « Le dieu vaincu par l’amour, couleurs somptueuses… Une première idée du rythme plastique réalisé, la toile mesure 4 mètres de haut par 1,50 mètre de large et forme un panneau décoratif… L’œuvre a été inspirée par notre amour… » À soixante-six ans, il s’établit à Mons avec elle, sans cesser d’écrire, de peindre et d’exposer. « J’ai repris ma
liberté d’âme ! », s’enthousiasme-t-il. De cette année 1933 date aussi Le Rêve d’amour, un grand triptyque qu’il exposera à la Société royale des beaux-arts. Encore combatif malgré son âge, il s’implique dans la défense des artistes en militant pour la création d’un conseil supérieur des beaux-arts.

Alors qu’il a pris sa pension de l’Académie des beaux-arts de Bruxelles en janvier 1938, ses contacts avec son ami Clovis Piérard s’intensifient à travers une collaboration journalistique régulière entre 1938 et 1939 dans le
journal La Province, dont Piérard est le directeur. La guerre sonnera la fin de cette association. Jean publie alors Au-dessus des neutralités, la conscience et, dans une lettre du 2 septembre 1939, lance à son ami : « Je suppose que la presse belge est encore une presse libre et qu’il est encore permis, malgré les recommandations, d’appeler un chat un chat, un Hitler un bandit et un Staline un scélérat… Je ne crois pas que notre neutralité ne va guère jusqu’à devoir se taire devant le crime. »

Il monte encore une exposition de ses dernières œuvres à la salle Saint-Georges de Mons et vient de terminer une toile de grand format, La Roue du monde, lorsque la ville est bombardée par les Allemands. Le 5 mai 1940, la Belgique est envahie. Le 15 mai, à soixante-treize ans, il part pour la France, dans l’Allier, où il assiste « à la déroute finale ». À son retour, les autorités allemandes le somment de justifier ses activités hors des frontières belges pour qu’il soit rétabli dans ses droits d’académicien. Choqué par ce nouveau conflit, il peint Le Fléau, travaillant autant que possible : dès qu’il aura du charbon pour chauffer son atelier, déclare-t-il alors, il commencera une grande toile, Les Âmes errantes.

Novateur selon son idéal

En 1944, Jean confie à Armand Eggermont : « J’essaie d’être novateur selon mon idéal et non selon une tendance particulière et de mode. Quand je dessine ou peins, ce qui me préoccupe le plus, c’est la mesure dans laquelle je peux exprimer un sentiment, une pensée, dans une forme plastique et une couleur expressive. Je conçois mon œuvre comme un poème. Je ne sépare pas la peinture de la poésie. » Dans une autre lettre qu’il lui a adressée un peu plus tôt, il s’étonne, non sans humour : « J’ai appris que la Coopérative artistique, s’étant souvenue que j’en suis son fondateur (il y a cinquante ans), a cru bon de placer mon effigie à l’étalage des magasins de la rue du Midi. Me voilà en pleine réclame commerciale : c’est un petit phénomène de me voir, moi, le moins pratique des hommes, fonder une institution utilitaire. »

Le 4 septembre 1944, le palais de justice de Bruxelles est bombardé. En réponse à un courrier d’un M. Bourguignon de la Coopérative artistique, il exprime son désarroi : « En hâte, ce mot pour vous dire que j’ai bien reçu votre lettre, laquelle m’a trouvé en pleine et douloureuse émotion de l’incendie du palais de justice et de la perte totale de ma principale œuvre décorative de la cour d’assises ! En effet, cinq grands panneaux ont disparu dans les flammes du palais ! Cinq belles années de ma vie d’artiste anéanties par les ignobles vandales d’Hitler… » Une nouvelle salle des assises sera conçue, où les esquisses des cinq panneaux remplaceront les œuvres détruites dans le bombardement. En 1946, son tableau Les Forces trouvera une place dans la galerie de la salle des Pas-Perdus, où il se trouve toujours.

Le retour à Bruxelles

Jean revient vivre à Bruxelles. Il confie dans une lettre à sa femme Marie : « Je sens déjà une grande ombre noire descendre sur toutes mes pensées : c’est le remords qui vient… » À M. Bourguignon, il écrit encore : « Je ne suis pas encore tout à fait remis du choc des émotions que j’ai subi, ces jours derniers, en m’évadant définitivement de Mons, où la rupture est totale, et de retrouver brusquement Mme Delville, ma pauvre femme, mes fils, mes filles et leurs enfants !… Il me faudra encore du temps pour remettre de l’ordre dans ma vieille vie d’artiste bouleversée. » Il peint alors La Vision de la paix, en quelque sorte son testament pictural. Mais, vaincu par l’âge, il commence à renoncer à certains projets.

Ainsi, le 15 août 1948, il informe Armand Eggermont : « Changement radical : je renonce définitivement à l’exposition de Forest. Motif : je ne vois pas la possibilité de remplir la salle. Trop de toiles manqueront et diminueront l’intérêt artistique. De plus, mon état de santé ne me permet plus de supporter les fatigues. » Néanmoins, il continue à publier des textes qui interrogent le devenir de l’art : Que sera l’art de demain ? ; L’Esthétique peut-elle devenir une science ? ; La Conscience artistique ; Les Valeurs esthétiques ; Le Rôle social de l’artiste.

À peine un an avant sa disparition, Jean se livre ainsi à M. Bourguignon : « Je deviens perclus de jour en jour !… Peut-être est-ce le commencement de la fin ? En tout cas, je dois vous dire un cordial adieu à vous tous et présenter mes meilleurs souhaits de prospérité à la Coopérative artistique en vous exprimant à tous mes plus profonds sentiments d’amitié ! » À quelques jours de sa mort, il est informé de la mise en place définitive des grandes esquisses de la Justice dans la nouvelle salle de la cour d’assises. Il décède à Forest le 19 janvier 1953, à un quart d’heure de son anniversaire de naissance.

Miriam DELVILLE

[Cet article est extrait du catalogue de l’exposition Jean Delville (1867-1953) présentée au musée Félicien-Rops, Province de Namur, du 25 janvier au 4 mai 2014 (production du service de la culture de la Province de Namur ; commissariat de l’exposition : Véronique Carpiaux, musée Félicien-Rops, Province de Namur, et Miriam Delville, succession Delville)]


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : jeandelville.info ; academia.edu | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © MRBAB ; © Musée d’Orsay ; © KMSKA ; © Musée d’Ixelles ; © Ville de Dinant.


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Christine l’Admirable, la prédicatrice perchée

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[LECHO.BE, 8 janvier 2022] Christine l’Admirable, une figure excentrique de la chrétienté médiévale, fait l’objet d’un livre de deux récits, mettant en lumière ce destin du Moyen Âge.

Il existe un point commun entre Nick Cave, le chanteur, poète et star internationale et Sylvain Piron, médiéviste à l’EHESS. Ils se sont tous deux intéressés à Christine l’Admirable, une figure excentrique de la chrétienté médiévale. Pour ceux et celles qui connaissent la chanson Christina the Astonishing, il faut savoir que tous les faits dont Nick Cave parle, ceux de son retour à la vie après avoir été déclaré morte, celle de son dégoût pour l’odeur humaine et pour son habitude de la fuir en ne vivant qu’en haut des arbres ou des tours ou de sauter dans la Meuse et de partir en nageant, tout cela est avéré.

Nous le savons d’abord par le texte de Thomas de Cantimpré, un contemporain de Christine l’Admirable qui décidé de rédiger sa biographie, traduite ici par Sylvain Piron et Armelle Le Huerou. En dehors des miracles et des comportements radicaux de Christine l’Admirable, nous sommes aussi plongés dans un mouvement particulier de la fin du XIIᵉ siècle se déroulant dans les actuels Liège et Louvain : des femmes dévouées à Dieu, mais refusant d’être sous la tutelle des ordres monastiques et créant donc les béguinages (bien que Christine ne soit pas une béguine).

Le texte s’accompagne d’un passionnant appareil critique rédigé par Sylvain Piron, qui interprète et explique le comportement (terrorisant les nobles et bourgeois) de Christine l’Admirable, son rapport à la prière, mais aussi au corps, en le mettant en lien avec d’autres pratiques spirituelles comme certaines formes de chamanisme qui subsistait à l’époque. Admirable.

Timour SANLI


© Magali Lambert / Agence VU – Musée du château de Dourdan

[INEXPLORE.COM, 30 mai 2022] Grande mystique du Moyen Âge, Christine l’Admirable a cumulé toute sa vie les miracles et les manifestations paranormales. Récit de la vie d’une sainte belge peu commune.

Orpheline très jeune de parents paysans, Christine mène avec ses sœurs une vie religieuse dans le village de Brustem, près de Liège en Belgique.

Nous sommes dans les années 1170 environ, et elle est affectée à la tâche de garder les bêtes. Elle raconte déjà que le Christ la visite souvent lorsqu’elle est seule dans les pâturages. On ne sait pas bien comment, mais elle perd la vie une première fois, la date est totalement incertaine ainsi que son âge, les récits divergent. Tout le village est rassemblé dans l’église, ses sœurs sont éplorées quand soudain, Christine se redresse dans son cercueil et se lève, les bras en croix. La légende raconte qu’elle serait entrée en lévitation au-dessus de l’assemblée. Ensuite, Christine relate ce qui serait aujourd’hui une EMI [eW : Expérience de Mort Imminente] : elle a voyagé dans le purgatoire, vu aussi l’enfer et y a reconnu des personnes croisées jadis. “Après cela, je fus transportée au paradis, devant le trône de la majesté divine…“, raconte-t-elle par le biais du théologien Thomas de Cantimpré, contemporain et compatriote de la sainte, qui fut aussi son biographe. Dieu lui propose de rester auprès de lui, ou bien de repartir sur Terre pour “y souffrir les peines de l’âme immortelle dans un corps mortel, sans dommage pour lui. Tu arracheras à leurs peines, par les tiennes, toutes les âmes dont tu as eu pitié dans le lieu du purgatoire et tu convertiras à moi les vivants par l’exemple de ta peine et de ta vie.” Sans hésiter, Christine revient dans son corps pour accomplir sa tâche divine.

© DP

À partir de ce moment-là, Christine commence une vie d’ascète, sans domicile la plupart du temps, courant les bois, dormant dehors dans le plus grand dénuement, afin d’expier pour les âmes en peine. Au début, elle rencontre beaucoup d’embûches et d’incompréhension de la part de ses contemporains qui, au lieu de la voir sainte, la croient possédée. Il faut dire qu’elle enchaîne les étranges phénomènes : elle se jette dans des eaux glacées ou dans des fours et en ressort sans blessures. Parfois, elle est prise dans les turbines du moulin et ses os semblent brisés en mille morceaux, cependant elle reprend sa marche au sortir de l’eau. Emprisonnée par ses sœurs effrayées, elle se nourrit de son propre sein, dont coule une huile sainte qui soigne ses blessures… Après quelque temps, ses proches l’acceptent comme elle est et s’ensuivent des prédictions comme le massacre de 1213, la prise de Jérusalem par les Sarrasins, ou de manière plus proche, des événements liés aux personnes l’entourant. Au cours de ses prédictions, ainsi qu’à d’autres moments, elle est souvent saisie par l’extase et les transes, ce qui rappelle que les traditions chamaniques n’étaient pas si loin au Moyen Âge.

L’auteur Sylvain Piron a fait un travail remarquable sur l’œuvre de Thomas de Cantimpré, l’hagiographe de Christine l’Admirable, dont il analyse le récit phrase par phrase. Sans affirmer la véracité de tous les faits, il tente de voir ce qui relève des contes de l’époque, des récits populaires et des vrais événements qui ont pu se produire. Christine meurt de vieillesse au couvent des Bénédictins en 1224. Elle fut longtemps vénérée dans sa région et son histoire est parvenue jusqu’à nous.


EAN9782931146002

[d’après LIBREL.BE] La Vie de Christine l’Admirable ressemble à un roman gothique d’Italo Calvino, à ceci près que l’ouvrage fut rédigé en 1232 à Saint-Trond en Hesbaye [eW : Christine est de Brustem, près de Saint-Trond, en Principauté de Liège] par un jeune dominicain, huit ans après son décès, sur la foi de témoignages recueillis sur place avec la plus grande circonspection. La protagoniste du récit est l’une de ces nombreuses femmes du diocèse de Liège qui avaient choisi de mener une vie sainte sans entrer dans une institution établie. Elle constitue en même temps une anomalie, tant les pénitences qu’elle s’inflige sortent de l’ordinaire et s’apparentent parfois au comportement de chamanes. Son cas invite ainsi à réfléchir à la persistance dans les dévotions médiévales de mémoires plus anciennes. Ses manières étranges, auxquelles Nick Cave a été sensible en lui consacrant une chanson, conduisent à poser la question de la réalité du merveilleux dans l’histoire. L’ouvrage Christine l’Admirable. Vie, chants et merveilles se compose d’une traduction de sa Vie, dont le texte latin fait l’objet d’une édition critique présentée en annexe, de commentaires historiques et d’un essai d’interprétation anthropologique.

Table des matières

      • Présentation
      • Traduction de la Vie de Christine l’Admirable de Thomas de Cantimpré
      • I. Le travail de la mémoire
      • II. Circonstances
      • III. Au fil du texte
      • IV. Un tissu de merveilles
      • V. L’anomalie Christine
      • Conclusion – Pour une pragmatique de l’extase
      • Principes d’édition du texte
      • Édition de la Vita Christinae Mirabilis, suivie de l’abréviation d’Henri Bate de Malines
      • Notes
      • Remerciements

d’après l’éditeur VUESDELESPRIT.ORG


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : lecho.be ; inexplore.com ;  vuesdelesprit.org ; librel.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, peinture d’église © DR ; © Magali Lambert / Agence VU – Musée du château de Dourdan.


Plus de symbolique en Wallonie-Bruxelles…

LEVY : XXXVII – La légende de mai (1883)

Temps de lecture : 4 minutes >

L’origine du mot mai n’est pas bien nettement établie. Quelques auteurs soutiennent que, chez les Romains, ce mois était consacré à la déesse Maïa, fille d’Atlas et nièce de Mercure. D’autres savants pensent que ce même mois était consacré aux anciens, aux sénateurs, et que le mot mai dérive du ternie latin majores, qui veut dire hommes âgés ; cette dernière explication se trouverait justifiée par le nom du mois suivant, juin, qui parait avoir été consacré aux jeunes gens, en latin juniores. C’est en mai que se tenaient, sous les Carlovingiens, les assemblées politiques. Les Champs de Mai avaient succédé aux Champs de Mars. Ces assemblées générales disparurent après la ruine de l’empire carlovingien ; les champs de mai furent remplacés par les Étals Généraux, dont la première convocation eut lieu en 1302, sous Philippe le Bel, et dont la dernière eut lieu en 1789, à la veille de notre grande révolution.

Le mois de mai correspond à floréal dans le calendrier républicain ; c’est le mois des fleurs. Les Romains célébraient chaque année, à la fin d’avril et au commencement de mai, la fête de Flore. La déesse des fleurs, adorée en Grèce sous le nom de Chloris, avait des autels à Rome. Tous les ans avaient lieu les florales, fêtes qui se célébraient durant cinq nuits et qui consistaient en chasses et en représentations mimiques et dramatiques.

La fête de Flore est encore célébrée, tous les ans, dans une ville de France. En 1323, le roi Charles le Bel sanctionna la fondation, à Toulouse, de la célèbre académie des jeux floraux qui s’appelait alors Collège du gai savoir. Cette institution, restaurée par Clemence Isaure vers 1490, fut érigée en Académie par Louis XIV en 1694. Tous les ans, le 3 mai, ont lieu des concours de poésie : l’ode la meilleure est récompensée d’une amarante d’or ; la violette d’argent, l’églantine d’argent, le souci d’argent, récompensent la pièce de vers alexandrins, le morceau en prose, l’idylle qui ont été couronnés.

LILIEN Ephraim Moses, “My Most Beautiful Lady, May I Dare” (début XXe) © DP

En mai, les jours augmentent de 1 heure 16 minutes ; la température s’élève d’une manière très sensible. Cependant certaines journées du mois sont encore froides et les agriculteurs redoutent avec raison l’effet désastreux des gelées tardives. Ces gelées de mai peuvent se produire, soit parce que sous l’influence des vents du nord la température générale de l’air s’abaisse au-dessous de zéro, soit parce que la température du sol s’abaisse par rayonnement au-dessous de zéro, la température de l’air pouvant être d’ailleurs de 3 ou 4 degrés de chaleur. Dans ce dernier cas, on peut parfois éviter l’effet désastreux de la gelée en brûlant au-dessus du champ qu’on veut préserver des huiles lourdes qui produisent des nuages artificiels destinés à diminuer le rayonnement du sol.

Ces gelées de mai peuvent arriver à une époque quelconque du mois, mais il a été bien constaté, depuis de longues années, qu’il y a toujours un refroidissement de la température vers les 11, 12 et 13 mai. Cette remarque n’avait pas échappé à l’esprit observateur des agriculteurs, qui donnaient aux saints Mamert, Pancrace et Servais, auxquels sont consacrés ces trois jours de mai, les noms de saints de glace.

EVENEPOEL Henri, La promenade du dimanche au Bois de Boulogne (1899) © Ville de Liège

Autrefois, le 1er mai était un jour férié. Les paysans avaient l’habitude de planter un arbre qu’on appelait le mai.

Le 16 du mois a lieu la Saint-Honoré, fêle des boulangers et des pâtissiers.

En mai, les agriculteurs des différents départements sont loin d’être d’accord entre eux. Les uns désirent que les pluies d’avril prennent fin ; les autres ne les redoutent pas. Ces appréciations différentes tiennent évidemment aux différences de climat. Mais une voix unanime déplore les gelées tardives qui sont cependant fréquentes durant ce mois :

Au mois de mai
Il faudrait qu’il ne plût jamais.

(Vaucluse)

Mai pluvieux
Rend le laboureur joyeux.

(Hautes-Alpes)

Ces deux proverbes sont, on le voit, absolument opposés.

Mars sec, avril humide, chaud mai
Temps à souhait.

(Aube, Nord, Marne)

Gelée d’avril ou de mai
Misère nous prédit au vrai.

(Nièvre)

Du mois de mai la chaleur
De tout l’an fait la valeur.

(Meuse, Oise)

En mai, les travaux de jardinage deviennent très importants : on récolte les petits pois, les artichauts, les fraises, etc. Le 20 mai finit le mois républicain de floréal et commence prairial. La nature présente à cette époque de l’année sa plus grande activité.

Albert LEVY, Cent tableaux de science pittoresque (1883)


Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…
Le PDF complet de l’ouvrage est ici…

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D’autres symboles en Wallonie-Bruxelles…

HUSTON N., L’espèce fabulatrice (2008)

A quoi ça sert d’inventer des histoires, alors que la réalité est déjà tellement incroyable ?L’Espèce fabulatrice est la réponse à cette question liminaire. Ou l’Art de la fiction, selon Nancy Huston.

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PLUVIAUD J.F., Discours de la méthode maçonnique (2011)

A la différence des nombreux ouvrages consacrés à l’histoire ou à la symbolique de la franc-maçonnerie, Discours de la méthode maçonnique est un véritable « mode d’emploi » de la méthode maçonnique. A l’usage du grand public comme des francs-maçons, Jean-François Pluviaud explique de manière claire et rigoureuse le pourquoi et le comment de cette suite d’exercices spirituels que sont la pratique des rituels et l’interprétation des mythes et des symboles. Dépouillé de tout un vocabulaire ésotérique, qui, souvent encombre les ouvrages de franc-maçonnerie, l’ouvrage fait apparaître la franc-maçonnerie pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une véritable école de l’éveil, une méthode d’accroissement de la conscience et de la lucidité en même temps qu’une école du savoir-vivre, dans la grande tradition des écoles philosophiques de l’Antiquité.

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Lire une recension de l’ouvrage…

COLLECTIF, Le livre des symboles (2011)

Le Livre des symboles allie essais originaux et incisifs sur des symboles particuliers à des images représentatives provenant de tous les horizons et de toutes les époques de l’histoire. Les textes très accessibles s’associent de façon originale à près de 800 magnifiques images en couleurs pour transmettre les dimensions voilées du sens. Chacun de ces quelque 350 essais examine les origines psychiques d’un symbole donné et la manière dont il évoque les processus et dynamiques psychiques. Les racines étymologiques, les jeux d’opposition, le paradoxe et l’ombre, les différentes manières dont les diverses cultures ont fait naître une image symbolique: tous ces facteurs sont pris en compte. Rédigés par des auteurs spécialisés dans les domaines de la psychologie, de la religion, de l’art, de la littérature et de la mythologie comparée, les essais entrent en résonance de manière à refléter les correspondances inattendues de la psyché. Il n’existe pas de définitions immuables, qui auraient tendance à écraser les symboles ; un symbole encore essentiel demeure partiellement inconnu, attire notre attention et s’offre sous de nouvelles manifestations et de nouveaux sens au cours du temps. Plutôt que de proposer de simples catégories, Le Livre des symboles met en lumière la manière dont on passe de l’expérience visuelle d’une image symbolique dans l’art, la religion, la vie ou les rêves, à l’expérience directe de ses résonances personnelles et psychologiques. Le Livre des symboles établit de nouvelles références pour l’exploration consciencieuse des symboles et de leurs significations et intéressera une grande diversité de lecteurs: artistes, designers, rêveurs et interpréteurs de rêves, psychothérapeutes, autodidactes, amateurs de jeux vidéos, lecteurs de BD, chercheurs en religion et en spiritualité, écrivains, étudiants et tous ceux qui s’intéressent au pouvoir des images archétypales.

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GOUGAUD H., Le rire de la grenouille (2008)

Nous sommes aujourd’hui, face à notre avenir incertain, comme nos ancêtres qui craignaient de ne plus voir le soleil. La réponse à cette peur qui parfois nous agite réside dans les contes et leur sagesse immémoriale. Eux seuls savent transformer les menaces en miracles. Mais encore faut-il les écouter. Fais comme moi, disent ces simples récits. Ne sois rien qu’une conscience éveillée, capable de capter tout ce qui peut la nourrir. La grosse patte du lion ne peut capturer le papillon. Face à la mort, aux pouvoirs, à tout ce qui enferme, sclérose ou pétrifie, sois un papillon. Schéhérazade invente et dit des contes pour tenir la mort à distance. Et la vie prend le dessus. Ainsi les contes ont traversé les pestes, les guerres ou les révolutions. De page en page, Henri Gougaud les interroge et ils lui répondent : Imite-moi et tu survivras. N’aie pas peur de te transformer sans cesse. À la fois drôle et apaisant, ce récit singulier, truffé d’histoires, est un vrai livre de sagesse.

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Nous on aime…

PENA-RUIZ Henri, Grandes légendes de la pensée (2015)

“Le nez de Cléopâtre qui a changé le monde, le feu de Prométhée, la chute d’Icare… Ces mythes et histoires sont à l’origine même de notre civilisation. Peut-on mieux définir l’amour-passion qu’en évoquant Tristan et Yseut ? ou l’aveuglement par l’histoire si connue d’oedipe ? Henri Pena-Ruiz nous invite, comme dans une conversation entre amis, à réfléchir sur les conquêtes de la culture et de la technologie, le bonheur illusoire ou la paralysie de l’indifférence.”

Il n’est pas si difficile de penser la vie et le monde. Ni les grandes questions qui nous tourmentent. Venus du fond des âges, des images et des récits nous y aident. L’amour passion de Tristan et Yseut, l’envol de l’homme-oiseau Icare, le déluge qui submerge l’ancien monde, l’aveuglement d’Oedipe qui réalise son destin en voulant le fuir, l’hésitation de César avant de franchir le Rubicon, le nez de Cléopâtre, maîtresse de l’empereur de Rome… L’idée de réunir ce patrimoine d’images et de récits qui parlent à l’imagination et guident la pensée avait inspiré un premier livre, le Roman du monde. Le succès de cet ouvrage a conduit à la série d’émissions de radio proposée par France-Culture durant l’été 2005, Grandes Légendes de la pensée. Le genre retenu pour ces émissions devait conduire à son tour à un nouveau livre, plus restreint dans le choix des légendes, et surtout marqué par le souci de les évoquer très librement, comme on le fait dans une conversation entre amis. Voici donc un livre d’initiation, aussi simple et ludique que possible, que l’on pourra lire à sauts et à gambades, comme le disait Montaigne. Il s’agit de raconter la pensée, et de donner en peu de pages des repères essentiels, tirés des grands moments de la culture, pour aider à la réflexion sur les choses de la vie.

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Ce livre est dans la boutique wallonica…
… et dans le blog encyclo !

CHEVALIER J. et GHEERBRANT, Dictionnaire des symboles (2000)

C’est trop peu de dire que nous vivons dans un monde de symboles, un monde de symboles vit en nous. De la psychanalyse à l’anthropologie, de la critique d’art à la publicité et à la propagande idéologique ou politique, sciences, arts et techniques essaient de plus en plus aujourd’hui de décrypter ce langage des symboles, tant pour élargir le champ de la connaissance et approfondir la communication que pour apprivoiser une énergie d’un genre particulier, sous-jacente à nos actes, à nos réflexes, à nos attirances et répulsions, dont nous commençons à peine à deviner la formidable puissance. Des années de réflexions et d’études comparatives sur un corpus d’informations rassemblées par une équipe de chercheurs, à travers des aires culturelles recouvrant la durée de l’histoire et l’étendue du peuplement humain, les auteurs ont tenté de donner à voir le cours profond du langage symbolique, tel qu’il se ramifie dans les strates cachées de notre mémoire. Chacun sentira bien l’importance de ce Dictionnaire. Plus de mille six cents articles, reliés par des comparaisons et des renvois, souvent restructurés à la suite d’une longue maturation, permettent de mieux approcher la nudité du symbole, que la raison dans sa seule mouvance ne parviendrait pas à saisir. Cette somme unique ouvre les portes de l’imaginaire, invite le lecteur à méditer sur les symboles, comme Bachelard invitait à rêver sur les rêves, afin d’y découvrir la saveur et le sens d’une réalité vivante.

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LEVY : X – La légende de février (1883)

Temps de lecture : 3 minutes >

Le second des deux mois ajoutés par le roi Numa au calendrier des Romains fut consacré à Neptune parce que les pluies, à Rome, étaient très abondantes à cotte époque de l’année. Il faut remarquer que, dans notre calendrier républicain, février correspond à Pluviôse, mois des pluies.

Le mois qui nous occupe ne porte pas le nom du dieu auquel il était consacré. Le roi Numa l’appela februarius du mot latin februare qui signifie purifier. A cette époque de l’année avaient lieu, en effet, des fêtes publiques expiatoires appelées Fébruales. Ces fêtes, qui commençaient le 1er février et qui duraient huit jours, avaient été instituées en l’honneur des morts. En signe de deuil, les magistrats ne portaient que la toge blanche des simples particuliers, au lieu de la toge blanche ornée d’une bande de pourpre qu’ils revêtaient d’ordinaire et qu’on appelait la toge prétexte. Des sacrifices étaient faits aux dieux infernaux en l’honneur des morts qu’on voulait honorer. Pendant la durée des fêtes il n’était permis à personne de se marier.

L’église catholique célèbre tous les ans, le 2 février, la fêle de la Purification de la Vierge. En ce jour, on faisait autrefois des processions avec des chandelles allumées, d’où le nom de Chandeleur donné à cette fête. Le pape Gélase, en 472, fit supprimer cette cérémonie ; néanmoins le nom de Chandeleur est encore conservé dans nos campagnes.

Février n’a que vingt-huit jours ; tous les quatre ans on lui ajoute un jour complémentaire : cette année-là est dite bissextile.

C’est en février que s’achève le carnaval, fête renouvelée certainement de certaines cérémonies grotesques qui avaient lieu à Rome sous le nom de Saturnales. Carnaval vient de deux mots latins, carne, chair, et vale, adieu ; il annonce en effet le carême, temps pendant lequel, dans la religion catholique, on doit s’abstenir de viande. Le carnaval commence le jour des Rois et finit le mercredi des Cendres, quarante jours avant Pâques. Comme la date de la fête de Pâques varie d’une année à l’autre, la durée du carnaval est également variable.

Au point de vue météorologique, février présente un phénomène très singulier. Tous les ans, vers le 13 février, on observe pendant quelques jours un refroidissement de la température ; ce phénomène météorologique, avant d’avoir été constaté par les savants, avait été remarqué des agriculteurs, qui donnaient à cette période le nom de Saints de glace de février.

Février, disent les agriculteurs, doit être froid et pluvieux pour que les récoltes soient excellentes. C’est ce que rappellent les proverbes suivants :

Neige, eau, pluie, brouillard de février
Vaut du fumier.

Si février laisse les fossés pleins,
Les greniers deviendront pleins.

Albert LEVY, Cent tableaux de science pittoresque (1883)


Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…
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D’autres symboles en Wallonie-Bruxelles…

LEVY : I – La légende de janvier (1883)

Temps de lecture : 4 minutes >

Les premiers Romains n’avaient qu’une année de dix mois, commençant en mars et finissant en décembre. Ces dix mois, de trente jours chacun, étaient suivis de soixante jours appelés complémentaires. Ce fut, dit-on, le roi de Rome Numa Pompilius qui ajouta janvier et février au calendrier romain : janvier occupait le onzième rang ; février le douzième.

Janvier s’appelait alors januarius, en l’honneur du roi Janus qui avait, suivant la légende, offert l’hospitalité au dieu Saturne, poursuivi par Jupiter. Janus était représenté avec deux visages, tournés l’un à droite, l’autre à gauche, parce que Saturne reconnaissant lui avait donné le pouvoir de connaitre le passé et de deviner l’avenir. Le fondateur de Rome consacra un temple a Janus, temple célèbre dont les portes n’étaient ouvertes qu’en temps de guerre, et il institua des fêtes appelées Januales qui se célébraient le premier januarius. De januarius, nous avons fait janvier.

Notre année commence actuellement au 1er janvier : il n’en a pas toujours été ainsi. Les noms des quatre derniers mois, septembre, octobre, novembre, décembre, qui veulent dire septième, huitième, neuvième et dixième mois, rappellent qu’il fut un temps ou l’année commençait en mars.

Charlemagne emprunta à l’Italie l’usage de commencer l’année à Noël. Au XXe siècle, on abandonna l’usage de dater de la Nativité de Jésus-Christ et l’origine de l’année fut placée à Pâques. En 1563, le roi Charles IX décida que désormais l’année commencerait le 1er janvier. L’édit fut appliqué seulement en 1567.

Le 5 octobre 1793, l’assemblée politique qui s’appelle la Convention décréta qu’à l’avenir l’année commencerait en même temps que l’automne, c’est-à-dire le 22 septembre, à minuit. Il se trouva que précisément la proclamation de la République avait eu lieu le 22 septembre 1792. Un décret du 10 septembre 1805 abolit le calendrier républicain et rétablit l’ancien à partir du 1er janvier 1806 : c’est celui que nous suivons aujourd’hui.

“Janus bifrons” (bi-fronts) par Adolphe Giraldon (1855-1933) pour le Larousse mensuel illustré de janvier 1911 © DP

On raconte que les Romains avaient l’habitude d’offrir à leurs rois, le 1er janvier, des branches d’arbres cueillies dans certains bois consacrés à la déesse Strenua, qui personnifiait la force ; ces présents s’appelaient Étrennes, du nom de la déesse. Quand les rois disparurent de Rome, les particuliers échangèrent entre eux des cadeaux le premier janvier. Nous avons conservé et même étendu l’usage des étrennes.

En janvier, deux fêtes d’origines bien différentes doivent nous arrêter un instant : la fête des Rois et la saint Charlemagne. Le 6 janvier, l’Eglise catholique célèbre “la venue des rois mages qui, partis de l’Orient, s’étaient rendus a Bethléem pour adorer Jésus-Christ.” Ce jour-là, on apporte sur les tables la belle galette dorée qui renferme la fève, signe de la royauté. On coupe le gâteau en autant de parts, plus une, qu’il y a de convives et le plus jeune de la famille désigne au hasard celui ou celle à qui chaque morceau doit échoir. Le morceau qui reste doit être distribué à un pauvre. Les collégiens fêtent le 28 janvier la saint Charlemagne, sous ce prétexte que Charlemagne fut le fondateur de l’Université.

Du commencement à la fin de janvier, les jours augmentent de 1 heure 5 minutes environ, savoir : 22 minutes le matin et 43 minutes le soir. C’est en janvier qu’on trouve les jours les plus froids de l’année, principalement vers les 2, 3, 7 et 10 du mois.

En janvier, les agriculteurs redoutent la pluie : c’est ce qu’expriment les deux proverbes suivants :

Janvier d’eau chiche
Fait le paysan riche.

Le mauvais an
Entre en nageant.

Albert LEVY, Cent tableaux de science pittoresque (1883)


Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…
Le PDF complet de l’ouvrage est ici…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | sources : Fonds PRIMO (documenta) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © nomen.fr.


D’autres symboles en Wallonie-Bruxelles…