DADO : L’exposition Emile CLAUS au musée de Deinze (27 septembre 2024 – 26 janvier 2025)

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À l’inverse d’un James Ensor qui détestait l’impressionnisme, le peintre flamand Émile CLAUS (1849-1924), au cœur d’une très belle rétrospective visible en ce moment au musée de Deinze, s’est laissé séduire par ce courant venu de France. Son art, du moins jusque dans les années 1890, incarne plutôt ce que l’on nomme le luminisme, une synthèse entre l’impressionnisme et le réalisme. Le style de Claus est particulièrement marqué par l’art réaliste du Français Jules Bastien-Lepage et du Britannique George Clausen. Son impressionnisme reste en revanche modéré à ses débuts. La lumière et la couleur ne prennent pas le dessus sur le dessin et sur une représentation minutieuse de la réalité, il est question de reflets sur les personnages, les animaux, les éléments de la nature, et de miroitements sur l’eau qui ne masquent en rien le trait du dessin.

Ormes le long du canal (env. 1904)

Pourtant, à mesure que son œuvre évolue, il abandonne de plus en plus cette synthèse entre réalisme et impressionnisme et intègre davantage la lumière et la couleur dans le jeu général de ses représentations. Un peu à la manière d’un Camille Pissarro, il fait appel librement à la technique du néo-impressionnisme, traduisant le pointillé dans une facture différente de Seurat et Signac (qui décomposent la lumière selon des principes physiques et optiques) pour préférer au contraire une touche composée au départ de petits traits nerveux qui finit par des virgules amples et tourbillonnantes. Son pinceau clame la lumière et ses variations de roses, d’oranges et de violets typiques des cieux de la Flandre orientale.

Le vieux jardinier (1886) © La Boverie

Côté thèmes, Claus dépeint à foison l’univers des paysans, sans nécessairement traiter la rudesse du monde rural et sans le militantisme social de Laermans, Meunier ou Léon Frédéric (à l’exception de la célèbre Récolte de betteraves). Face à l’industrie et à l’urbanisation de nos sociétés, il célèbre un paradis champêtre totalement idéalisé et opte pour une vision esthétisante de la réalité ! Aucune des figures qui habitent ses tableaux n’interpelle par son contenu psychologique ou son intériorité tant il importe davantage au maître de s’attarder sur les travaux des champs, la vie au bord de la rivière, les abords de son village d’Astene (où il a élu résidence) et les paysages typiques des bords de la Lys. Claus a très peu peint de villes, exception faite de la série de vues de la Tamise et de Londres, réalisée depuis l’appartement qu’il occupait pendant la Première Guerre mondiale, alors qu’il s’était réfugié en Angleterre.

Les portraits de sa femme Charlotte Du Faux, de sa maîtresse (son élève Jenny Montigny, qui deviendra une excellente artiste à son tour) ou de ses amis (Camille Lemonnier, entre autres) dévoilent les charmes et l’insouciance d’une bourgeoisie aisée éloignée des troubles sociaux qui agitent la Flandre dans le dernier tiers du XIXe siècle. L’ensemble n’en reste pas moins remarquable pour autant et il ne faut surtout pas manquer de faire le déplacement à Deinze pour admirer pas moins de 130 tableaux dont beaucoup issus de collections privées. À voir jusqu’au 26 janvier 2025.

Stéphane Dado


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2024 marque le 100e anniversaire de la mort d’Emile Claus (1849-1924), le plus grand impressionniste de notre pays. Il s’agit d’ailleurs d’un double anniversaire, puisqu’il est né il y a 175 ans. Emile Claus jouissait déjà à l’époque d’une grande renommée en tant que Maître de l’Astène ou Prince du Luminisme. Avec l’œuvre clé La récolte des betteraves et de nombreuses autres œuvres de son œuvre, Emile Claus est inextricablement lié à la collection du musée et à la région de la Lys. La ville de Deinze et le mudel – Musée de Deinze et la région de la Lys ont donc déclaré l’année 2024 année Claus.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction, édition et iconographie | contributeur : Stéphane Dado | crédits illustrations : en-tête CLAUS E., La récolte des betteraves (env. 1889) © MUDEL ; © La Boverie


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DADO : L’exposition Marguerite Radoux à la Galerie des Beaux-Arts (Liège, 2024)

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La nouvelle exposition de la Galerie des Beaux-Arts de Liège met à l’honneur l’art pictural de Marguerite RADOUX (Liège 1873-1943). Fille de Jean-Théodore Radoux (le bouillonnant directeur du Conservatoire de Liège à la source de l’actuelle Salle Philharmonique), petite-nièce de l’homme politique liégeois Charles Rogier, l’un des fondateurs de la Belgique, la jeune femme entame à la fois des études artistiques et musicales (elle se destine au chant), incapable de se limiter à une seule discipline. Si sa carrière de cantatrice s’interrompt pourtant assez vite, faute de réel talent (elle se contente en fin de compte d’interpréter les mélodies de son père, de son frère Charles et de son amie, la compositrice et cheffe d’orchestre Juliette Folville), sa carrière de peintre est de toute évidence d’une autre trempe, l’enseignement que lui dispense Adrien De Witte y est sans doute pour quelque chose.

Sophie Wittemans qui signe le beau catalogue de la rétrospective, rappelle que Marguerite a exposé par moins de 55 fois entre 1897 et 1941. Sa production devait compter près de 200 œuvres, des huiles, pastels et fusains. Une trentaine a pu être retrouvée, alimentant la première rétrospective qui lui est consacrée depuis sa mort.

Sa peinture fut très favorablement reçue par les critiques de son temps ! On y décela un tempérament impérieux, celui d’une jeune femme déterminée à ne pas se laisser impressionner par un monde artistique dominé par les hommes. Elle se définit dès 1898 comme “peintre”, non comme “artiste femme” ou “femme artiste“, choix pour le moins révélateur d’un caractère libre et bien trempé !

Marguerite privilégie d’ailleurs l’art du portrait plutôt que celui des paysages ou de la nature morte, genres dans lesquels ont attendait davantage les femmes à l’époque. Ses modèles, à commencer par son père ou par Juliette Folville (que l’on voit notamment diriger un opéra-comique de Jean-Noël Hamal sur la scène de l’actuelle Salle Philharmonique) sont croqués sur le vif, à gros traits de pinceau. Sa pâte est dense, grasse, épaisse, son geste ne manque pas de rugosité, il souligne avec force les empâtements.

Les tonalités de Marguerite Radoux, souvent sombres jusqu’en 1914, font écho à une palette de couleurs restreinte mais subtile. L’artiste excelle aussi dans ses “tableautins”, ces scènes intimistes, ces moments d’émotion pris sur le vif et qui semblent concurrencer par le geste pictural presque instantané l’art de la photographie.

© Collection privée

En 1910, Marguerite, épouse en secondes noces le Français Fernand Outrières, un substitut du procureur de la République qui la mène successivement à Angoulême, au Havre, puis à Paris. Après la Première Guerre mondiale, son art prend une autre tournure, il est influencé par le fauvisme (a-t-elle vu les œuvres de Raoul Dufy au Havre ?) et par une modernité qui met en avant une pâte aux aplats plus larges.

Vers 1929, elle reçoit sa première commande officielle, émanant du Sénat belge : Charles Magnette, Président de l’institution, lui demande d’être portraituré. C’est la première fois depuis la création de l’institution, qu’un président du Sénat demande à une femme de réaliser son portrait. Le résultat est éblouissant de force et de vérité !

Même si elle revient de temps en temps en Belgique, notamment auprès de sa famille à Esneux (ce qui nous vaut quelques paysages réalisés en extérieur), Marguerite tentera de s’imposer sans succès en France. Sa carrière est notamment compromise par un scandale financier qui éclabousse son mari. Elle réalise cependant quelques belles natures mortes dont une, non datée, est extraordinaire par ses couleurs (plus impressionnistes) et par le jeu de mise en abîme qu’on y décèle (l’arrière-fond de l’œuvre représente le dos d’un tableau, et, très curieusement, l’œil du spectateur a l’impression que les fruits et objets peints à l’avant-plan se confondent avec ce tableau dans le tableau, comme si l’on avait à faire à une peinture de nature morte à l’arrière d’une véritable nature morte).

La Deuxième Guerre mondiale la contraint au silence, elle meurt du reste durant le conflit, dans un hôpital des environs de Paris, circonstances qui expliquent sans doute que son art soit tombé dans l’oubli ! La Galerie des Beaux-Arts de Liège rend heureusement justice à une artiste qui mérite plus que de la simple considération !

Stéphane Dado

A voir jusqu’au 24 novembre 2024 !

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction, édition et iconographie | contributeur : Stéphane Dado | crédits illustrations : en-tête RADOUX Marguerite, Nature morte (vase à fleurs, fruits, coupe, poupée) (1927-28) © Gérald Micheels, Musée des Beaux-Arts de Liège – La Boverie.


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