Martine est-elle toujours une icône de la littérature jeunesse ?
[RTBF.BE, 30 mars 2024] Martine est née en 1954 de l’imagination de Marcel Marlier et Gilbert Delahaye. Elle fête cette année ses 70 ans avec la parution de deux nouveaux livres : une nouvelle aventure sous forme de chasse au trésor Martine à Paris et un livre-hommage Martine l’éternelle jeunesse d’une icône de Laurence Boudart. À l’occasion des septante ans de Martine, l’équipe de Plan Cult s’est posé une question : comment fait-elle pour traverser les générations sans prendre une ride ?
Née en 1954, Martine est aujourd’hui une référence dans le monde de la littérature jeunesse, 60 albums différents traduits en une quarantaine de langues et plus de 160 millions d’exemplaires vendus mais aussi des milliers de couvertures détournées. Mais quelles sont les raisons de ce succès ? Et ce succès est-il toujours d’actualité ?
Martine est-elle toujours une icône ?
Pour le savoir nous avons rencontré Laurence Boudart, Docteure en lettres modernes et autrice du livre Martine l’éternelle jeunesse d’une icône. Laurence Boudart explique qu’aujourd’hui Martine est encore connue du grand public, car elle est rentrée dans l’imaginaire collectif, même les gens qui n’ont jamais lu Martine connaissent Martine.
Martine est sortie du livre pour rentrer dans l’univers d’Internet dans l’univers des memes, dans l’univers des détournements, dans l’univers des parodies et est devenu une icône presque pop.
L’une des particularités de Martine c’est qu’elle est comme nous, dans les histoires de Martine, “il n’y a pas d’extraordinaire, pas de fée, pas de magie, pas de pouvoir secret, pas d’évènements qui sortent du normal.” Cette normalité permet aux lecteurs de s’identifier au personnage et d’être séduit par cette petite fille qui lui ressemble.
Martine est-elle en phase avec les héroïnes de 2024 ?
Daniel Delbrassine, professeur de littérature jeunesse à l’Université de Liège, nous explique que les héroïnes jeunesses d’aujourd’hui quittent les rôles de petites filles sages pour aller vers des rôles de filles “libres“.
Des filles libres qui choisissent leurs amours, qui choisissent leur carrière et parfois même qui ont un rôle qu’on pourrait dire dominant par rapport à leur partenaire masculin.
Martine n’est pas la plus rebelle des héroïnes mais malgré tout elle a quand même réussi à rester dans le coup. Pour Laurence Boudart, “un autre des secrets de longévité de Martine c’est le fait qu’elle a réussi à s’adapter au changement de la société. Ça se voit par exemple dans la mode, dans les vêtements qu’elle porte mais aussi dans l’attitude qu’elle a face aux évènements.“
[LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS.NET, septembre 2024] Connue de toutes et tous, souvent admirée et parfois décriée, Martine est une héroïne intemporelle qui affiche septante ans d’existence littéraire au compteur. Depuis 1954, ses soixante albums se sont vendus à plus de 120 millions d’exemplaires en français et 45 millions en langues étrangères. Comment cette création de la maison d’édition belge Casterman est-elle née et comment a-t-elle su séduire des millions de lecteurs au fil des générations ? Plongée au cœur de la petite fabrique Martine…
Une héroïne est née
Dans l’immédiat second après-guerre, la littérature pour la jeunesse est en pleine ébullition. En tant que lecreurs en herbe, les enfants du baby-boom constituent un nouveau marché à prendre, à qui les éditeurs souhaitent proposer un divertissement de qualité. À l’époque, la bande dessinée connait, on le sait, un développement important en Belgique francophone, notamment à travers des magazines comme Spirou ou Tintin. Ces périodiques se profilent comme des espaces de lancement de nouveaux héros, que l’on retrouve ensuite dans les albums à succès que publient les grandes maisons francophones, telles Dupuis, Lombard ou Casterman. Parallèlement à celui de la BD, un aurre secteur destiné à l’enfance se déploie : l’album illustré. C’est ainsi qu’apparait en 1953, au sein de la maison d’édition Casterman, la collection pour l’enfance Farandole. Celle-ci va rapidement accueillir une ribambelle d’albums animaliers destinés aux enfants de 5 à 8 ans. Très colorées, ces histoires se présentent sous la forme de livres d’une vingtaine de pages reliées sous une solide couverture cartonnée, où textes et images dialoguent. La production en série de ces nouveaux venus dans le paysage éditorial est facilitée par les évolutions de l’imprimerie offset. Celle-ci permet une fabrication en grand nombre à prix réduit et, par conséquent, une présence massive dans de nombreux points de vente, à un tarif accessible à toutes les bourses.
Dans ce contexte d’effervescence, Louis-Robert Casterman demande à deux de ses collaborateurs, Gilbert Delahaye et Marcel Marlier, d’imaginer une nouvelle héroïne. Le secteur manque en effet d’un personnage féminin en laquelle les petites filles et, dans une moindre mesure, les petits garçons pourraient se reconnaitre. Certes, le concurrent français Hachette vient juste de lancer la série Caroline, du nom de cette fillette aux couettes blondes et à la dynamique salopette rouge imaginée par Pierre Probst. Mais une place reste à prendre sur le marché franco-belge pour une héroïne qui puisse servir de modèle d’identification.
Le directeur de la maison tournaisienne connait bien le travail de Gilbert Delahaye (1923-1997), dont il apprécie le style d’écriture. Né en Normandie, ce poète franco-belge vit à Tournai depuis l’enfance. En 1944, il intègre la maison Casterman comme typographe-correcteur et, en 1949, il crée, avec plusieurs autres auteurs, le groupe Unimuse, du nom de cette association tournaisienne qui stimule et fédère, aujourd’hui encore, l’activité poétique du Tournaisis. Quant à Marcel Marlier (1930-2011), après avoir terminé des études en arts décoratifs à l’École Saint-Luc de Tournai et s’être fait remarquer en illustrant des livres religieux et pédagogiques, il intègre Casterman en 1951. L’éditeur lui confie l’illustration d’albums animaliers de la nouvelle collection Farandole ainsi que l’exécution des couvertures de romans classiques pour la jeunesse, tels ceux de la comtesse de Ségur, d’Alexandre Dumas ou de Pearl Buck. Entre 1953 et 1980, il assume l’illustration d’une cinquantaine d’albums, en plus de ceux de la série Martine, comme, entre autres, les histoires de Jean-Loup et Sophie. Ces douze aventures sont entièrement conçues par Marlier, qui prend en charge le scénario et l’illustration.
Le premier album né du duo formé par Delahaye et Marlier parait en 1954. Les lecteurs y découvrent le personnage de Martine en visite à la ferme. Encore un peu mal assurée mais déjà très curieuse, la petite fille découvre les animaux qui peuplent l’exploitation en compagnie d’une amie. Dès ce ballon d’essai, le succès est au rendez-vous et la collaboration entre les deux hommes – qui commencent par travailler chacun de leur côté, sans se concerter – devient rapidement très féconde. En effet, Casterman attend des auteurs qu’ils produisent un album par an, dont la sortie est attendue pour l’automne. La fibre poétique de Delahaye s’associe au réalisme de Marlier pour créer des atmosphères et des aventures originales, qui ravissent petits et grands. Si les premières histoires se composent de saynètes illustrées indépendantes les unes des autres, la trame narrative s’étoffe au fil du temps, en même temps que s’estompent progressivement les messages les plus édifiants.
À la mort de Delahaye en 1997, Jean-Louis Marlier, le fils cadet de Marcel, prend le relais. Il assumera l’écriture des douze derniers albums parus entre 1999 et 2010. Dans un document manuscrit conservé aux Archives générales du Royaume à Tournai, Delahaye s’exprime sur cette association : “Illustrateur et scénariste doivent accorder leurs instruments dans la complémentarité. Le hasard n’est pas l’unique explication du succès. Marcel Marlier est un professionnel méticuleux, soucieux du détail, doublé d’un artiste. Nos chemins se sont croisés. Nous étions tous deux sensibles à la poésie de la nature et de l’enfance.“
Portrait et évolution du personnage
La ‘poésie de la nature et de l’enfance’ apparait en effet comme un dénominateur commun à toutes les histoires que vit la fillette. Chaque album explore un thème précis lié à la découverte d’un monde proche et réaliste. Martine est une petite fille enthousiaste et joviale, qui aime jouer, s’amuser et apprendre de nouvelles choses dans un environnement bienveillant et pacifique. En fait, les aventures de Martine parviennent à conjuguer deux éléments apparemment irréconciliables : la normalité et le rêve. Tout en se reconnaissant dans le quotidien de leur héroïne fétiche, qui ressemble au leur, les enfants aspirent à vivre les mêmes aventures qu’elle. Apprendre à nager, grimper en montgolfière, faire du vélo ou du camping, participer à une pièce de théâtre ou à un défilé de chars fleuris, prendre soin d’un moineau tombé du nid ou d’un âne récalcitrant : telles sont quelques-unes des prouesses ordinaires qu’accomplit Martine. Servie par des illustrations à l’esthétique immédiatement reconnaissable, la série invite les enfants à s’immerger dans des histoires simples, qui célèbrent une enfance idéale et rassurante.
Né dans l’essor des Trente Glorieuses, le personnage vit ses premières aventures au sein d’un monde que fascinent le progrès matériel, l’accès aux loisirs et les nouveaux modes de consommation. À partir des années 1970, au diapason de l’évolution de la société qui libère les femmes et tient davantage compte des enfants, Martine gagne en autonomie. Elle s’adonne à de nouvelles activités, notamment sportives, et élargit son horizon. Au cours des décennies 1980 et 1990, certaines trames s’étoffent et des problèmes mineurs apparaissent dans la vie de Martine – comme dans un effet d’écho adouci du monde réel. Avec l’entrée dans le 21e siècle, l’imaginaire fait son apparition dans la série, tandis que la nature, déjà bien présence depuis toujours, acquiert une place prépondérante.
Face à la critique
Tant populaire que commercial, ce succès exceptionnel a aussi donné lieu à de nombreuses critiques. En effet, on a reproché à la série d’entretenir un type d’éducation très genré, qui maintiendrait les petites filles dans une image stéréotypée. On critique Martine pour son univers trop lisse et ses aventures parfaites, on incrimine son côté mièvre et ringard, on se moque de sa plastique désuète, on fustige son discours conservateur. S’il est vrai que l’éditeur lui-même a pris la mesure de certaines adaptations nécessaires en faisant réécrire récemment l’ensemble des albums, de telles accusations demandent cependant à être nuancées. Il faut en effet se souvenir que la série vise avant tout à offrir une image idéalisée de l’enfance. Martine a la chance de grandir au sein d’une famille aimante et dans un univers duquel le malheur et les difficultés majeures sont absents. Elle reçoit de la société et des adultes qui l’encourent le meilleur qu’ils one à lui offrir et ceuxci attendent en retour que Martine se montre reconnaissante et bien élevée. Toutefois, la politesse, le respect et la tolérance ne souffrent dans la série d’aucun filtre genré : garçons et filles s’y prêtent de bonne grâce.
Quant aux activités, elles sont partagées par les uns et les autres. Martine et son frère font la cuisine – mais c’est elle qui dirige les opérations que Jean exécute -, ils s’amusent de conserve à la foire, au parc ou lors d’une fête d’anniversaire, ils font la course à la piscine ou sur les pistes de ski. Les activités que l’on pourrait considérer comme strictement féminines (comme la danse) se comptent sur les doigts d’une main.
Célébrer septante ans d’une existence éditoriale signifie aussi avoir vu le jour à une époque où les femmes venaient à peine d’acquérir le droit de vote en Belgique et où la plupart d’entre elles étaient encore largement cantonnées à l’espace domestique. Les premières aventures de Martine restent naturellement marquées par ce contexte social et véhiculent parfois des représentations propres à ce moment historique. Néanmoins, il est cout à fait possible, en se gardant de mauvaise foi, d’identifier les possibilités d’ émancipation offertes à la coure jeune Martine. Celle-ci s’initie à un large éventail d’activités, sans que jamais sa condition de petite fille ne représente une entrave. En cela, elle peut apparaitre comme un modèle à suivre : celui d’une héroïne du quotidien qui décide et prend des initiatives, loin finalement de l’image dans laquelle on l’a parfois enfermée. Relire la série dans son ensemble permet de saisir le personnage dans toutes ses dimensions et, de ce fait, de mieux comprendre les raisons d’une popularité unique en son genre.
Une icône intemporelle
De 1954 à aujourd’hui, Martine a traversé toutes les modes et a intégré subtilement les changements de la société. Son mode de vie, ses activités, la manière donc elle aborde ses aventures mais également son style vestimentaire ont évolué au fil du temps, à rel point que la fillette des Golden Sixties n’a plus grand-chose à voir avec le personnage en jeans et baskets (si, si !) qui mène campagne contre la disparition des insectes. Cependant – et il s’agit là d’un nouveau tour de force à mettre à son actif -, pour la plupart des lecteurs, son image reste intacte et reconnaissable au premier coup d’œil. Il faut dire qu’après avoir connu une destinée internationale hors du commun (ses albums sont traduits dans une trentaine de langues donc, depuis 2023, le chinois), Martine est devenue une icône intermédiale. En 2012, on la retrouve comme personnage d’une série animée comptant une centaine d’épisodes, tandis que, depuis plusieurs années, un site propose de créer soi-même sa propre couverture de Martine. Depuis près de vingt ans, une véritable martinemania envahit Internet et les réseaux sociaux. Rares sont les événements de l’actualité qui ne suscitent pas un détournement humoristique. Loin de nuire au personnage, dont les albums enregistrent aujourd’hui encore des ventes de 400.000 exemplaires en moyenne par an, il semblerait que ces pastiches contribuent à renouveler en permanence la communauté d’initiés. La popularité de Martine rayonne tous azimuts, dans et hors du livre, confirmant sa présence dans l’imaginaire collectif. Inauguré en 2015, le Centre d’interprétation Marcel Marlier, dessine-moi Martine propose un parcours de visite consacré au dessinateur de Martine, né à Herseaux, à quelques encablures de là. Documents d’archives, planches et croquis originaux, témoignages, vidéos et objets prolongent l’expérience de la lecture.
Le renouveau
À partir des années 2010, la série historique aux soixante albums est entièrement réécrite, en accord avec les ayants-droit. Les couvertures sont déclinées dans des tons pastel et le graphisme est revu pour se conformer aux tendances contemporaines. Seuls les dessins de Marcel Marlier restent intacts, tant dans leur composition que dans leur séquençage. Il faut dire que la célébrité de Martine doit énormément au dessinateur qui, infatigablement, six décennies durant, a façonné le visage et l’allure de l’iconique fillette.
À quoi est dû ce changement narratif et comment se manifeste-t-il ? Après avoir analysé le lectorat de Martine, Casterman se rend compte que celui-ci a rajeuni. De 7 à 8 ans à l’origine, l’âge moyen du lecteur se situe désormais autour de 4 à 5 ans – soit un âge où la majorité des enfants ne savent pas encore lire. Il faut donc non seulement que le texte soit adapté à cette tranche d’âge, mais également que la lecture puisse s’accomplir lors d’une seule séance. En outre, certains termes ou concepts devenus obsolètes sont actualisés. Voilà pourquoi les nouveaux textes donnent l’impression d’avoir été raccourcis et simplifiés. Dans le but d’atténuer les stéréotypes de genre et de mieux correspondre aux attentes de la société, quelques titres sont modifiés, tel le célèbre (et critiqué) Martine petite maman, devenu Martine garde son petit frère. Afin de rendre la lecture encore plus dynamique, la dimension dialoguée est renforcée. Toutes ces opérations de réécriture sont confiées à la même personne, Rosalind Elland-Goldsmith, traductrice, autrice et éditrice jeunesse, titulaire d’un doctorat en lettres avec une thèse portant sur l’adaptation des classiques de la littérature jeunesse.
Depuis 2021, Elland-Goldsmith se charge également de la composition et de l’écriture des nouveaux albums de Martine. Alors que les versions originales, les éditions vintage et les albums dérivés continuent d’être commercialisés, ces nouveaux venus dans l’univers Martine suivent une logique thématique. Après Martine au Louvre, Martine au château de Versailles et Martine en Bretagne, sortis, comme jadis, au rythme d’un album par an, Martine à Paris parait en 2024 – Jeux olympiques obligent ! Et le prochain titre est déjà sur les rails : on murmure en coulisses qu’il emmènera l’héroïne sur la Côte d’Azur. Puisque Marcel Marlier avait émis le souhait de ne pas voir son personnage fétiche vivre sous le crayon d’un autre artiste, le principe de ces nouveaux albums est simple. Il consiste à sélectionner des images dans des titres existants pour composer de toutes pièces une aventure inédite, en jouant sur l’association entre dessins et photos originales. Du point de vue narratif, l’autrice veille à varier les styles, en proposant, par exemple, un album épistolaire pour l’aventure bretonne. Avec un rel palmarès et une nouvelle vie éditoriale qui se dessine, gageons que Martine, championne de l’édition franco-belge, n’a pas fini de faire parler d’elle !
“Laurence Boudart sort un bel album récapitulatif sur la brillante carrière éditoriale de Martine qui est ‘née’ en 1954 dans la maison Casterman à Tournai, fille du dessinateur Marcel Marlier et du narrateur Gilbert Delahaye, qui se définissait comme un “poète naïf.” Une paire de pères, en quelque sorte. La longue et belle vie de Martine a commencé quasi par hasard… comme la tarte Tatin ou le Kir. Et le succès fut immédiat. Après l’évocation de ces débuts, l’autrice balaie les très nombreux volumes d’aventures de la petite fille la plus célèbre de Belgique (et pas seulement). Elle en a connu, des aventures !! Elle fait du sport, elle part en vacances, elle va à l’école et aussi à la campagne, elle fait du cheval, elle prend l’avion, elle fait de la musique, de la voile et du camping… j’en passe et des meilleures. L’ensemble des qualités de Martine qui “incarne une jeunesse dynamique et dégourdie, assurée et confiante en l’avenir, prête à multiplier les expériences” tourne un peu au dithyrambe au fil de cette énumération…” [lire la suite de l’article sur LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS]
Née à Huy en 1992, Barbara Salomé FELGENHAUER est diplômée de l’atelier de photographie à l’ESA Saint-Luc à Liège en 2013 et de l’ENSAV La Cambre à Bruxelles en 2022. Elle obtient son master avec la mention grande distinction et le Prix de la Fondation Boghossian 2022 avec son projet Terrapolis. En 2023, elle est lauréate du Prix Fintro, Bruxelles. La même année, trois de ses photographies ont intégré la collection publique du BPS22 en 2023.
Elle travaille actuellement à Bruxelles dans son atelier au sein des Ateliers Mommen.
De la série “J’ai rêvé l’obscur”, d’après le livre Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique de Starhawk, publié en 1982 aux USA.
“J’ai rêvé l’Obscur s’inspire librement d’écoféminisme et de ses dimensions païenne et spirituelle. Il propose une autre vision du monde inspiré de diverses croyances, fait de déesses, de vierges et de sorcières, de rocailles et de grottes, de mythes et de rêves… Ici, on parlera de puissance plutôt que de pouvoir. C’est l’univers des forces invisibles de la Nature, un monde où l’on (re)ferait corps avec la Terre. Il relie le spirituel au politique, le sacré au profane. Ce propos n’a aucune visée dogmatique. C’est une attraction, une spiritualité qui m’est propre.” d’après BARBARASALOMEFELGENHAUER.BE
[FONDATIONCARTIER.COM] Lauréate du prix W. Eugene Smith en 1987 puis du prix Hasselblad en 2008 – la plus haute distinction photographique – Graciela ITURBIDE est une figure majeure de la photographie latino-américaine. Depuis plus de 50 ans, elle crée des images qui oscillent entre approche documentaire et regard poétique : “J’ai cherché la surprise dans l’ordinaire, un ordinaire que j’aurais pu trouver n’importe où ailleurs dans le monde”. Si elle est aujourd’hui célèbre pour ses portraits d’Indiens Seris du désert de Sonora ou ceux des femmes de Juchitán ainsi que pour ses essais photographiques sur les communautés et traditions ancestrales du Mexique, Graciela Iturbide porte également depuis toujours une attention quasi spirituelle aux paysages et aux objets (…).
La photographie est un rituel pour moi. Partir avec mon appareil, observer, saisir la partie la plus mythique de l’homme, puis pénétrer dans l’obscurité, développer, choisir le symbolique.
Graciela Iturbide
Graciela Iturbide s’initie à la photographie dans les années 1970 au côté de Manuel Àlvarez Bravo (1902-2002) qu’elle suit dans ses voyages, dans les villages et les fêtes populaires mexicaines où elle le voit chercher le bon endroit, attendre que quelque chose se produise puis photographier, presque invisible, sans déranger, ce qui l’intéresse. Il devient le mentor de la jeune photographe et partage avec elle sa sensibilité et son approche humaniste du monde. L’exposition présente un grand nombre de photographies des personnes qu’elle rencontre ou des objets qui la surprennent et l’enthousiasment lors de ses différentes pérégrinations au Mexique mais aussi en Allemagne, en Espagne, en Équateur, au Japon, aux États-Unis, en Inde, à Madagascar, en Argentine, au Pérou, au Panama – entre les années 1970 et les années 1990. Parmi les séries emblématiques de cette période figurent Los que viven en la arena [ceux qui habitent dans le sable] (1978) pour laquelle Graciela Iturbide a longtemps séjourné au sein de la communauté Seri, dans le désert de Sonora, au nord-ouest du pays ; Juchitán de las mujeres (1979-1989), étude consacrée aux femmes et à la culture zapotèques, dans la vallée d’Oaxaca, au sud-est du Mexique, ou encore la série White Fence Gang (1986-1989) réalisée auprès des cholos, des gangs d’origine mexicaine à Los Angeles et à Tijuana.
Au réalisme magique auquel on l’a souvent associée, Graciela Iturbide préfère l’idée d’une “dose de poésie et d’imagination” qui pousse plus loin l’interprétation documentaire et trouve dans les voyages à travers le monde l’opportunité de connaître et de s’étonner : “la connaissance est double : lorsque vous voyagez, vous découvrez des choses à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de vous-même, à travers votre solitude.”
En ce moment, c’est le travail sur les éléments qui m’attire. Plutôt qu’une dérive vers l’abstraction, on pourrait peut-être parler d’une plus grande concentration de symboles […] [Pour l’Inde] je me suis lancé le défi de ne montrer aucun visage, mais uniquement des symboles qui condensent des traditions culturelles ou simplement des situations humaines.
Graciela Iturbide
Outre les photographies qui ont fait la notoriété de l’artiste, l’exposition Heliotropo 37 révèle son travail photographique récent, rarement présenté jusqu’ici. Au fil des années, ses prises de vues se vident de toute présence humaine et son attention se porte vers les matières et les textures, révélant le lien métaphysique qui unit l’artiste aux objets, à la nature et aux animaux. Naturata, réalisée entre 1996 et 2004 au jardin botanique d’Oaxaca, initie cette disparition progressive : plantes et cactus, retenus par des cordes, enveloppés dans des sacs en toile de jute, s’estompent sous les voiles et les filets.
À la fin des années 1990, Graciela Iturbide sillonne la Louisiane et contemple les paysages désolés du sud des États-Unis. Dans les années 2000 et 2010, c’est en Inde et en Italie qu’elle poursuit sa quête d’objets et de symboles. Elle photographie les enseignes publicitaires, les amoncellements de chaussures ou de couteaux aux devantures des boutiques, les antennes relais ondulant sous le vent, les maisons abandonnées envahies par la végétation.
En 2021, à l’initiative de la Fondation Cartier, Graciela Iturbide se rend à Tecali, un village près de Puebla (Mexique) où l’on extrait et taille l’albâtre et l’onyx. Fait rare dans sa carrière, elle abandonne alors le noir et blanc pour y photographier en couleur les pierres rosées ou blanches en cours de polissage. Les blocs d’albâtre sur lesquels sont parfois visibles des écritures ou des gravures se détachent sur le ciel cristallin tels des totems (…).
[VOGUE.FR, 14 avril 2021] À 78 ans, Graciela Iturbide est sans conteste la photographe mexicaine actuelle la plus reconnue dans le monde. Depuis presque un demi-siècle, ses images en noir et blanc documentent la vie de son pays natal. Son regard humaniste et poétique convoque le mystère dans le quotidien à travers des images d’oiseaux en vol, de funérailles d’enfants, la silhouette vue de dos d’une indienne Seri, cheveux lâchés, s’avançant au-dessus du désert de Sonoran (Mujer Angel, 1986). Ou encore le portrait d’une fière marchande d’iguanes portant les reptiles sur sa tête, sans doute son plus célèbre cliché, devenu le symbole d’une photographie féminine, libre et indépendante. Une vie que cette fille de bonne famille catholique mariée à 19 ans et mère de trois enfants s’est construite de toutes pièces en choisissant de divorcer pour devenir l’assistante du grand photographe Manuel Álvarez Bravo. Dans le cadre de notre enquête sur la photographie mexicaine au féminin, nous avons posé quelques questions à celle qui demeure pour la jeune génération, une icône absolue.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
J’essaie de tirer avantage du confinement lié à la pandémie en organisant mes archives de négatifs. J’ai aussi réalisé des tirages pour des expositions à venir.
Quelle est votre relation auMexiqueen tant que photographe ?
Cette relation est très intime. J’aime profondément mon pays, j’en ai pris vraiment conscience lorsque j’ai commencé à travailler dans les territoires indigènes où j’ai vécu pendant quelque temps (notamment à Oaxaca, dans le Juchitán, ndlr). C’est mon professeur, le photographe Manuel Álvarez Bravo qui m’a ouvert les yeux sur la richesse de la culture traditionnelle mexicaine. Malheureusement, à cause de la violence liée aux cartels de la drogue qui mine le pays, ce n’est plus si facile de voyager pour rencontrer ces communautés, de prendre le temps de les photographier.
Que voulez-vous exprimer dans vos images ?
La photographie a toujours été extrêmement importante pour moi, c’est à la fois une thérapie et une passion. Je photographie ce que je découvre, ce qui m’enthousiasme et me surprend. Avec le temps, j’arrive à obtenir un ensemble d’images qui traitent du même sujet, alors je fais des expositions ou je publie des livres.
Est-ce difficile d’être une femme photographe au Mexique ?
En ce qui me concerne cela été surtout un avantage ! Quand j’ai voyagé dans les communautés indigènes, j’ai vécu avec les femmes dans leurs propres maisons et nous sommes devenues amies. Etre une des leurs m’a permis de créer une relation très forte, non seulement avec elles mais aussi avec toute la communauté. J’ai toujours travaillé de cette manière : avec un appareil photo à la main et la complicité des gens.
Aujourd’hui vous êtes un modèle pour les jeunes générations de photographes. Quel regard portez-vous sur la scène féminine mexicaine actuelle ?
Beaucoup de femmes photographes formidables travaillent au Mexique, dans des champs aussi différents que le journalisme, le documentaire, l’art conceptuel…J’ai été très chanceuse de pouvoir rencontrer nombre d’entre elles, notamment Maya Goded, à qui j’ai servi de tutrice à certaines occasions. Quand elles sollicitent mes conseils : je leur dis souvent que la photographie nécessite beaucoup de temps et de patience. Il faut aussi une très grande passion et de la discipline pour bien exercer ce métier.
[GALERIE-INSTITUT.COM] Né en 1897 à Antheit en Belgique, Paul Delvaux reçoit une éducation bourgeoise vécue comme un carcan. Il étudie l’architecture à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, orientation qu’il abandonne après un an. Il revient à l’Académie en 1919 dans l’atelier de Constant Montald professeur de peinture décorative et monumentale.
Après les années d’apprentissage et de recherche de soi, traversées par l’influence de grandes tendances telles que le post-impressionnisme et l’expressionnisme très marqué par James Ensor, plusieurs inspirations rencontrées dans la première moitié des années trente conduisent Delvaux vers l’élaboration de son univers.
Le musée Spitzner, musée anatomique et forain, sorte de cabinet de curiosité, découvert en 1932, lui révèle une “Poésie du Mystère et de l’Inquiétude.” Au printemps 1934, l’exposition Minotaure organisée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles par Albert Skira (créateur avec Tériade en 1932 de la revue parisienne homonyme) et Edouard-Léon-Théodore Mesens (l’un des fondateurs du surréalisme en Belgique) constitue un autre moment décisif dans l’œuvre de Delvaux. Dans l’exposition, Mystère et mélancolie d’une rue de Giorgio de Chirico, 1914 (collection privée), le marque profondément. Des sentiments semblables de mélancolie, de silence, et d’absence, sinon de vide – malgré la présence de personnages –, se retrouvent dans sa peinture. L’œuvre du peintre lui “enseigne la poésie de la Solitude.” A ces deux découvertes majeures s’ajoute la peinture de son compatriote René Magritte, surréaliste depuis près de dix ans. Sa peinture partage avec celle de Magritte une forme de mystère poétique ainsi qu’une facture lisse et une attention très soignée aux détails.
A la fin des années trente, les fondements de l’œuvre de Delvaux telle que nous la connaissons, profondément onirique, sont établis. Le peintre orchestre des rencontres insolites d’objets dans des atmosphères figées et silencieuses, peuplées de figures absentes les unes aux autres. Le monde de rêverie poétique de Delvaux présente des analogies évidentes avec le surréalisme. L’artiste participe en 1938 à l’Exposition internationale du surréalisme organisée par Breton et Paul Eluard à la galerie des Beaux-Arts à Paris, avec Propositions diurnes (La Femme au miroir) peint en 1937 (Boston, Museum of Fine Arts). La même année, L’Appel de la nuit, 1938 (Édimbourg, National Galleries of Scotland) est reproduite dans Le Dictionnaire abrégé du surréalisme.
Deux années de suite Delvaux voyage en Italie. Il visite Rome, Florence, Naples, Pompéi et Herculanum. Des décors d’architecture antique s’imposent de plus en plus dans sa peinture, sans doute influencés par la peinture italienne. Son œuvre est fortement nourrie d’histoire de l’art de l’Antiquité à ses contemporains en passant par la Renaissance italienne et nordique, l’École de Fontainebleau, Poussin, Ingres, etc. On y reconnait une figure, un geste, une attitude, les architectures en perspective très construites.
Les principaux thèmes autour desquels s’articule son travail sont également quasiment fixés à la fin des années trente. Le motif des gares plongées dans un climat de mystère, les éléments d’architecture classique, la femme, nue ou partiellement vêtue, fil rouge de tout son œuvre.
“Delvaux a fait de l’univers l’empire d’une femme toujours la même qui règne sur les grands faubourgs du cœur, où les vieux moulins de Flandre font tourner un collier de perles dans une lumière de minerai” écrit André Breton en 1941 [Genèse et perspective du surréalisme, 1941]. L’artiste confie quant à lui “c’est toujours la même femme qui revient avec, quand elle est habillée, la même robe ou à peu près. Quand elle est nue, j’ai un modèle qui me donne plus ou moins la même anatomie. La question n’est pas de changer [les éléments], la question est de changer le climat du tableau. Même avec des personnages qui sont les mêmes on peut faire des choses tout à fait différentes.”
Quant aux hommes, ils sont à peu près toujours représentés par la même figure masculine, du moins lorsque ce n’est pas l’artiste lui-même. L’homme est vêtu de couleurs sombres, le plus souvent affairé. Il incarne pour Delvaux “l’homme de la rue“, c’est-à-dire “un petit bonhomme avec un menton en galoche et un grand chapeau boule assez volumineux” – l’on pense bien sûr à Magritte. Deux personnages masculins extraits des illustrations des Voyages extraordinaires de Jules Verne, aux éditions Hetzel, imprègnent son œuvre : le géologue Otto Lidenbrock et l’astronome Palmyrin Rosette. On retrouve Otto Lidenbrock dans Les Phases de la lune 1939 (New York, MoMA). Enfin, les squelettes, sont un autre motif récurrent. Ils apparaissent un peu plus tardivement. L’artiste en dessine d’après nature au musée d’Histoire naturelle en 1940. Surtout armatures de l’être vivant, les squelettes sont pour lui des personnages expressifs et vivants. Il les représente à contre-courant, dans la vie, dans des situations du quotidien, dans un bureau, un salon, etc.
Après la guerre les expositions collectives et personnelles ainsi que les grandes rétrospectives en Belgique et à l’étranger se multiplient. L’œuvre de Delvaux commence à conquérir les Etats-Unis. Jusqu’aux milieu des années soixante, la réception de son œuvre est cependant mitigée. Ses envois à la Biennale de Venise sont régulièrement fustigés pour leur immoralité et leur caractère scandaleux. Sa rétrospective au Stedelijk Museum voor Schone Kusten d’Ostende en 1962 crée de nouveau un scandale : elle est sanctionnée d’interdit aux mineurs.
En 1950, Delvaux est nommé professeur de peinture monumentale à l’École nationale supérieure des arts visuels de Bruxelles (La Cambre) où il enseigne jusqu’en 1962. Sa première expérience de décoration date de quelques années antérieures, avec le décor du ballet Adame Miroir de Jean Genet, créé le 31 mai 1948 sur la scène du Théâtre Marigny à Paris. Son poste de professeur à La Cambre favorise indubitablement la multiplication des commandes de décorations, qui vont se prolonger bien au-delà de ses années d’enseignement : la salle de jeux du Kursaal d’Ostende (1952), la maison Gilbert Périer, directeur de la Sabena à Bruxelles (1954-1956), le Palais des congrès de Bruxelles (1959), l’Institut de Zoologie de l’Université de Liège (1960), le Casino de Chaudfontaine (1974), les costumes du ballet de Roland Petit, La Nuit transfigurée (1976), la station de métro Bourse de Bruxelles (1978).
L’œuvre de Delvaux atteint la reconnaissance et la consécration dans les années soixante, qui ont pour toile de fond les révolutions culturelles et les mouvements de libération. En parallèle des rétrospectives à Lille, Paris, Bruxelles et des grandes expositions autour du surréalisme auxquelles il participe, il accumule les nominations et les récompenses prestigieuses jusqu’à la fin des années soixante-dix, en particulier des institutions royales de Belgique.
En France, il est nommé Chevalier de la Légion d’Honneur en 1975 et en 1977 devient membre de l’Institut de France. 1979 voit la création de la Fondation Paul Delvaux, dont l’un des objectifs est la constitution d’un musée à Saint-Idesbald à l’initiative de son neveu Charles Van Deun. Le musée Paul Delvaux est officiellement inauguré en 1982. A plus de quatre-vingt ans l’artiste continue de peindre.
A la mort de sa femme, Tam (Anne-Marie de Maertelaere), le 21 décembre 1989, Delvaux cesse son activité. Le célèbre Salon des Indépendants, à Paris, lui consacre en 1991 une rétrospective Paul Delvaux Peintures-Dessins 1922-1982. Son quatre-vingt-dixième anniversaire est célébré par des expositions en Belgique, en France et au Japon. Il meurt dans sa maison de Furnes en Belgique le 20 juillet 1994.
Anne Coron
Ne m’oublie pas… Où l’on voit une ombre du passé rôder dans des tableaux.
[NEWSLETTERS.ARTIPS.FR] 1929. Paul Delvaux, jeune figure de la peinture belge, rencontre une certaine Anne-Marie de Martelaere, dite Tam. Par chance, c’est un coup de foudre réciproque ! Hélas, leurs proches ne voient pas cette union d’un bon œil. La mère autoritaire de Paul s’y oppose, tandis que les parents de Tam ne veulent pas d’un peintre au succès timide et à la fortune incertaine. La mort dans l’âme, Paul promet de ne plus revoir Tam. De cet épisode malheureux, l’artiste garde un goût amer…
Côté carrière cependant, l’artiste progresse. En 1934, alors que Paul Delvaux cherche son style, c’est la révélation : il vit un choc esthétique face aux œuvres de Giorgio De Chirico. Sa voie sera celle du surréalisme, un mouvement qui explore l’inconscient et les rêves. Dans ses toiles, Delvaux compose alors un univers peuplé d’éléments récurrents liés à ses obsessions : des gares, des squelettes, de mystérieux personnages masculins parfois tirés de romans de Jules Verne, et surtout des femmes. Tantôt nues, tantôt vêtues de longues robes, ces figures évanescentes et inaccessibles ne croisent jamais le regard des autres. Peut-être symbolisent-elles Tam, l’amour perdu de Paul ?
Je voudrais peindre un tableau fabuleux dans lequel je vivrais, dans lequel je pourrais vivre.
Paul Delvaux
C’est en tout cas ce style mélancolique, empreint d’une douce étrangeté, qui fait le succès de ses toiles. Delvaux vit sa consécration sans jamais oublier Tam, qui lui manque toujours malgré le temps qui passe. Mais le hasard fait parfois bien les choses…. À l’été 1948, alors qu’il passe ses vacances sur la côte belge, Paul Delvaux reconnaît une voix familière dans une librairie. C’est celle de Tam ! Désormais gouvernante, elle ne s’est jamais mariée. Paul n’hésite pas : il décide cette fois de n’écouter que son cœur et d’enfin vivre aux côtés de son grand amour, rencontré vingt ans plus tôt. Et lorsque Tam s’éteindra, après de belles et longues années en commun, Paul posera définitivement ses pinceaux…
2024 – Ceci n’est pas une pipe, mais bien un anniversaire : joyeux anniversaire le surréalisme ! Il y a cent ans, en 1924, André Breton publiait le Manifeste de ce mouvement d’avant-garde qui a inspiré écrivains et artistes de tout poil en France comme ailleurs… et notamment chez de proches voisins… la Belgique a aussi joué un rôle majeur dans son histoire, avec des créateurs géniaux comme René Magritte, Paul Delvaux mais aussi Jane Graverol et Raoul Ubac. [NEWSLETTERS.ARTIPS.FR]
“La FONDATION PAUL DELVAUX créée en 1979 veille aux intérêts de l’artiste selon les désirs formulés par le peintre lui-même, qui lui légua ses Collections, ses Archives et la gestion de ses Droits d’auteurs. Elle participe à une meilleure connaissance de l’oeuvre et, à ce titre, elle mène un travail de recherche et elle initie ou participe à des projets destinés à tous les publics tant en Belgique qu’à l’étranger…“
Née à Nancy en 1969, Hélène BASCOUL a grandi à Paris et vit aujourd’hui à Brest. Elle a obtenu une licence d’Arts-Plastiques à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne en 1993. En 2006, elle passe le BAFA (encadrements enfants/ados) avec une spécialisation Arts-Plastiques.
En 2013, elle crée l’association La Pince : animations d’ateliers de Gravure, Arts-plastiques et d’Art-Thérapie appliqué pour tout public. Formée en Art-Thérapie appliquée en 2017, elle anime des ateliers pour publics fragilisés. Elle reste 10 ans au sein de cette association, puis anime aujourd’hui des ateliers de gravure en taille douce à l’Atelier papier. Elle participe à de nombreuses expositions collectives.
L’aquatinte est la technique de prédilection de l’artiste et ses œuvres font la part belle aux jeux d’ombres et de lumières, du visible et de l’invisible…
“Mes gravures parlent d’expériences personnelles et de la vie quotidienne. J’y montre des lieux habités, des visages, portraits, la fragilité du présent. Parler du quotidien signifie également que je vis proche des rêves ou de l’espace de l’inconscient, avec ce que cela a à voir avec l’intimité, le ressenti, les émotions. La vie inconsciente, les temps mêlés et emmêlés, font figure de poésie. Les jeux de mots aussi ou les jeux d’enfant, du passé et du présent. Ainsi j’aime trouver de la poésie dans le quotidien […] “
Transcription du catalogue de l’exposition au Musée de l’Ancienne Abbaye de Stavelot (20 juin – 20 septembre 1975) et au Service provincial des Affaires culturelles de Liège (30 septembre – 25 octobre 1975) sous les auspices du Ministère de la Culture française et du Service provincial des Affaires culturelles de Liège. L’intégralité du catalogue (et ses illustrations) est téléchargeable dans documenta.wallonica.org…
COMITÉ DE PATRONAGE
Messieurs Fr. Van Aal, Ministre de la Culture francaise ; G. Mottard, Gouverneur de la Province ·de Liège ; M. Laruelle, Député permanent ; E. Moureau, Député permanent ; G. Bassleer, Député permanent ; J. Remiche, Administrateur général de la Culture française ; Ph. Roberts-Jones, Conservateur en Chef des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique ; M. Witteck, Conservateur en Chef de la Bibliothèque Royale de Belgique ; J. Stiennon, Président de la Société Royale des Beaux-Arts de Liège ; J. Hendrickx, Conservateur du Musée des Beaux-Arts et de l’Art Wallon de Liège ; J. Moxhet, Bourgmestre de la Ville de Stavelot.
COMITÉ ORGANISATEUR
Mademoiselle Cl. de Rassenfosse ; Messieurs L. Lebeer, ; J. Charlier, Directeur des Affaires culturelles de la Province de Liège ; Th. Galle, Conservateur du Musée de l’Ancienne Abbaye de Stavelot ; R. Léonard, Conseiller au Ministère de la Culture francaise ; J. Parisse, critique d’art ; J.-G. Watelet, historien.
Les organisateurs remercient
le Ministère de la Culture francaise et la Direction des Affaires culturellles de la Province de Liège pour leur collaboration importante,
les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique (n° 8),
le Musée des Beaux-Arts et de l’Art Wallon de Liège (numéros 13, 14, 36 bis),
le Service des Collections artistiques de l’Université de Liège (numéros 45, 55, 56, 112 bis),
la S.A. Imprimerie et journal “La Meuse” à Liège (n° 132),
Mesdames S. Anspach (numéros 19, 71) ; L. Dubru (n° 104bis) ; L. de Rassenfosse (numéros 6, 7, 16, 18, 22, 32, 33, 34, 46, 48, 51, 58, 61, 62, 63, 65, 67, 74, 75, 76, 88, 121, 129) ; Fr. Stiennon-de Neuville (numéros 2, 3, 4, 49) ; R. Waaub (n° 57) ; Mesdemoiselles Cl. de Rassenfosse (numéros 10, 11, 12, 15, 23, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 35, 37, 38, 39, 40, 44, 47, 50, 53, 60, 64, 68, 72, 73, 77, 82, 83, 84, 85, 109, 110, 113, 114, 115) ; A. Humblet (n° 36) ; Monsieur et Madame R. Soyeur-Delvoye (numéros 116, 117, 118, 119, 120, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 130, 131) ; Messieurs G. Comhaire (n° 70) ; R. Crespin (n° 69) ; J. Donnay (n° 24) ; A. Glesener (numéros 17, 21) ; M. et Mme P .-Fr. Mathieu ( n° 1) ; L. Ortmans ( numéros 81, 111, 112) ; J. Stiennon (numéros 5, 41, 42, 43) ; G. Thiry (numéros 9, 20, 52, 54, 59) ; pour les prêts généreux consentis.
L’affiche de l’exposition a été aimablement réalisée par P.-Fr. Mathieu. La section relative à G. Serrurier-Bovy a été conçue par MM. Watelet et Soyeur. Le Musée de l’Ancienne Abbaye leur exprime ses vifs remerciements.
Le milieu du XIXème siècle voit le renouveau de l’école artistique liégeoise. Nous nous trouvons devant une pléiade de grands noms : Adrien de Witte, François Maréchal, Auguste Donnay, Emile Berchmans, Armand Rassenfosse…
Tous s’essayent à différentes techniques : ils gravent, peignent, illustrent, créent des affiches, travaillent en étroite collaboration avec les meilleurs écrivains, forment des cercles artistiques. Ils établissent à Liège un climat propice à l’élaboration de grands travaux et à l’innovation. L’Académie compte de grands artistes parmi ses maîtres et ses élèves. Rops et Rassenfosse trouvent une technique nouvelle en gravure, un vernis mou appelé le Ropsenfosse.
Malheureusement, aujourd’hui, ces grands talents sont un peu oubliés, trop de noms venus de l’étranger avec leur publicité tapageuse ont submergé le patrimoine artistique local.
Nous devons au Musée de l’ancienne abbaye de Stavelot et à son dynamique conservateur Monsieur Théo Galle d’avoir mis en valeur deux de ces grands artistes.
L’été dernier, en effet, nous avons pu apprécier à Stavelot le génie de Félicien Rops, sa vive imagination, son inspiration variée. Continuant sur cette lancée, nous assistons cette année à un brillant hommage à Armand Rassenfosse, hommage auquel est associé Serrurier-Bovy, précurseur du mobilier et de l’architecture 1900.
Rassenfosse, cet incomparable peintre de la femme, ce merveilleux illustrateur et affichiste, ce grand graveur, nous est présenté ici dans toute sa splendeur décorant avec harmonie les ensembles mobiliers de Serrurier-Bovy.
Ces oeuvres nous paraissent d’une étrange actualité à l’heure du modern style, de ses arabesques harmonieuses, de ses coloris vifs et du flou de ses tissus.
Il était donc grand temps de célébrer ces deux grands artistes de chez nous qui ne sont pas toujours estimés à leur juste valeur et nous devons féliciter M. Théo Galle de cette heureuse initiative et de la possibilité qu’il nous offre de présenter ensuite cette exposition à Liège, terre natale de Rassenfosse et de Serrurier-Bovy.
M. LARUELLE, Député Permanent
A PROPOS D’ARMAND RASSENFOSSE
Au moment où se prépare l’exposition des oeuvres d’Armand RASSENFOSSE, mes souvenirs ressurgissent, évoquant une époque datant d’un demi-siècle.
Il y a 50 ans, je connaissais cet éminent artiste, habile dessinateur, graveur exceptionnel, ami de Félicien ROPS. avec qui il rechercha et trouva une nouvelle formule de vernis qu’on appela le ROPSENFOSSE.
Il était contemporain d’Emile BERCHMANS, d’Adrien DE WITTE, d’Auguste DONNAY, de François MARECHAL, de Georges KOISTER : une belle équipe qui fit grand honneur à la Cité Ardente où Auguste BENARD et Paul JASPAR jouèrent aussi un rôle important.
Je fus mis en contact avec RASSENFOSSE. A l’initiative de son Président, le Député permanent Gilles GERARD, un ancien chef d’atelier d’imprimerie, la Commission spéciale de l’Education populaire proposa à la Députation permanente l’édition de gravures susceptibles d’embellir les foyers de nos travailleurs. La Maison BENARD fut chargée de ce travail et c’est avec Armand RASSENFOSSE, à qui l’idée souriait beaucoup et qui apportait l’autorité de son jugement, qu’on allait traiter et qu’allaient se nouer de bien agréables relations.
On commença par reproduire les deux tableaux de DELPEREE : La Paix de Fexhe et la Remise du Perron par Marie de Bourgogne qui ornent l’escalier d’honneur du Palais provincial : c’était l’hommage à la Démocratie. L’année suivante, ce fut dans l’oeuvre même du Maître qu’on choisit cette Ouvrière du Charbonnage et cette Marchande de Beurre, évocatrices du petit peuple de chez nous. Puis, pour une troisième année, sur la suggestion de RASSENFOSSE, on édita deux dessins rehaussés de Paul JASPAR qui évoquaient un “site retrouvé” qui restituait aux Liégeois le Mont St-Martin jusqu’alors dissimulé par les grands arbres du Boulevard de la Sauvenière. Ce fut la fin d’une série intéressante.
Bientôt cependant, nous allions retrouver RASSENFOSSE. Il nous confia un splendide dessin : Maternité, qui allait marquer le début d’une édition annuelle justifiée par la célébration de la Fête des mères. La parution de cette oeuvre fut saluée avec enthousiasme et devait justifier la continuation de cette initiative qui assura la diffusion, par dizaines de milliers, de gravures reproduisant l’oeuvre de nos meilleurs artistes. Le nom de RASSENFOSSE est lié à cette initiative à laquelle il porta intérêt jusqu’à son heure dernière. Après sa mort on n’en continue pas moins à célébrer la fête des mères et la Province de Liège demeura ainsi fidèle au souvenir de celui qui lui avait apporté sa précieuse collaboration.
Personnellement, j’ai conservé vivace le souvenir de cet homme charmant avec qui on savait parler de choses relevant du domaine de l’art. On était loin des soucis de la vie matérielle ; seule la Beauté illuminait ces instants que nous revivons avec plaisir dans le cadre de la rétrospective. Et nous revoyons cet homme affable, affectueux, qui donna aux jeunes artistes tant de preuves de sa bienveillance et de sa bonté.
F. CHARLIER
Stavelot, vieille cité romane aux confins du monde germanique, peut s’enorgueillir de porter témoignage de plus de treize siècles d’action civilisatrice et d’innervations culturelles diffusées jadis au coeur des forêts d’Ardenne. L’offensive des hordes hitlériennes au cours des mois de décembre 1944 et de janvier 1945 a dévasté la petite ville wallonne qu’elle laissait douloureuse et défigurée.
Habitué depuis toujours à lutter pour vivre et pour survivre, l’Ardennais ne s’abandonne jamais au désespoir. La conjonction des efforts de tous, l’impulsion et le dynamisme d’un bourgmestre, Stavelotain de fraîche date, mais qui s’était donné tout entier à sa ville d’adoption, eurent raison de toutes les difficultés et de tous les obstacles. Les plaies furent pansées et Stavelot retrouva rapidement son visage accueillant et sa douceur de vivre.
Bien plus, la pugnacité et le dynamisme de certains de ses enfants maîtrisèrent les obstacles innombrables et contribuèrent à rendre à la ville quelque chose de ce rayonnement culturel qui avait marqué son glorieux passé. Qu’il me soit permis de rendre un particulier hommage à deux personnalités stavelotaines qui, parce qu’elles ont cru et qu’elles croient aux valeurs de l’esprit, qui justifient les niveaux de civilisation, ont contribué et contribuent au renom de leur petite cité : Raymond Micha, Directeur du Festival international de Musique de chambre et sa merveilleuse équipe, Théo Galle et ses collaborateurs. Alors que la ville reconstruisait ses quartiers dévastés, Théo Galle a pris conscience des possibilités qu’offraient les dépendances délabrées et inadéquatement employées de l’Ancienne Abbaye. Avec cette foi qui soulève les montagnes, il s’est attaqué aux difficultés qui ne manquaient certes pas ; il les a surmontées les unes après les autres. Des moyens financiers étaient nécessaires ; il les a trouvés. La conjonction de ses efforts et la collaboration du Ministère de l’Education nationale et de la Culture ont permis la réalisation du Musée de l’Ancienne Abbaye, appelé en un premier temps à héberger un musée de la Tannerie créé de toute pièce tandis que les agrandissements ultérieurs apportaient à la ville une infrastructure remarquable pour la réalisation d’expositions temporaires. Mais Théo Galle n’avait pas attendu que les aménagements fussent terminés pour présenter au public stavelotain et aux nombreux touristes des expositions de qualité. Dès 1961, deux salles proposaient aux visiteurs un excellent panorama de l’art belge contemporain tandis que quelque vingt sculptures occupaient les pelouses de l’ancienne abbaye.
Que de manifestations de haute qualité se sont succédé depuis cette année. Faut-il rappeler, parmi beaucoup d’autres, les expositions consacrées au Paysage dans l’art belge, au Fauvisme brabançon, à l’Aquarelle et la gouache depuis Rik Wouters, aux Trésors des anciennes abbayes de Stavelot et de Malmedy, aux Arts plastiques et la Musique, la rétrospective William Degouve de Nuncques ?
Après avoir présenté, il n’y a guère, deux grands graveurs de l’Ecole liégeoise d’aujourd’hui, Jean DONNAY et Georges COMHAIRE, c’est à un autre grand maître de l’Ecole liégeoise de gravure qu’est consacrée la présente exposition : Armand Rassenfosse, tout à la fois élève d’Adrien de Witte et disciple d’un autre grand maître wallon, Félicien Rops. Il faut savoir grand gré à Théo Galle et à son ami Jacques Parisse qui, depuis plusieurs années, collabore régulièrement avec lui, d’avoir réservé les cimaises du musée à un ensemble d’oeuvres de ce maître liégeois très remarquables par leur qualité et par leur diversité. Rassenfosse est un artiste trop peu connu, notamment des jeunes générations.
Cela résulte dans une très large mesure du fait que ces oeuvres groupées ne sont pas présentées au public. D’autres, plus qualifiés que moi, diront dans ce catalogue qui est Rassenfosse, situeront et analyseront son talent. L’éminente compétence du Professeur Lebeer qui a accepté de présenter l’artiste et son oeuvre vaudra aux visiteurs un guide éclairé et sûr et fera de ce catalogue un instrument de travail qui constituera un ouvrage de références et un souvenir durable de cette exposition lorsqu’elle aura fermé ses portes.
Jean REMICHE, Administrateur général des Affaires culturelles
ARMAND RASSENFOSSE…
…naquit à Liège le 6 août 1862 et non le 6 avril 1862 comme on le répète dans toutes ses biographies. Il y décéda le 28 janvier 1934. Il appartient à la lignée des hommes de science et d’esprit, écrivains et artistes profondément attachés à leur pays natal, mais les regards ouverts à tout ce qui les rapprochait de cette latinité française dont ils sont marqués et dans laquelle ils se sentaient appelés à intégrer leurs plus intimes volontés au-delà des frontières de leur terroir.
Né dans une famille où l’intellectualité finit par l’emporter sur une entreprise commerciale, par ailleurs axée sur des objets de luxe choisis avec un goût des plus distingué, le jeune Armand se vit tout naturellement inscrire pour “faire” ses humanités classiques au collège St-Servais de Liège. S’il pratiquait simultanément le piano et le chant – ses intimes se souviennent de leur surprise de l’entendre plus tard jouer, voire improviser sur le grand harmonium qui jusqu’à ce jour reste conservé pieusement dans le hall d’entrée de sa maison de la rue de Saint-Gilles – il s’y fit non moins remarquer déjà par ses dons innés de dessinateur.
Ses études moyennes terminées, son père crut le moment venu pour l’associer à son commerce. Certes, il ne l’empêcha guère de s’intéresser aux choses de l’art, d’être un fervent lecteur des écrivains en vogue à ce moment : Théophile Gautier, Théodore de Banville, Barbey d’Aurevilly, Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine et bientôt, des animateurs de “La Jeune Belgique” qui l’attachèrent à Emile Verhaeren , Albert Mockel, Hubert Krains, Jules Desirée et bien d’autres. Romantiques, Parnassiens, Symbolistes, défenseurs de l’art pour l’art, il s’en nourrissait, suivait leurs conflits et, comme eux, ne se privait guère de se faire entendre, avec la mesure que lui dictaient à la fois son éducation et sa conscience de ce qu’il avait à apprendre, dans les milieux qui voulaient endoctriner l’art selon leurs velléités respectives.
Féru d’estampes, les eaux-fortes de Félicien Rops devaient le séduire particulièrement. Aussi entreprit-il – avait-il alors déjà vingt ans ? – de s’en constituer une collection. Il est aisé de s’imaginer ce que signifièrent pour lui les voyages à Paris dont il fut chargé pour les affaires paternelles : il en profita pour s’approcher des milieux littéraires et artistiques qui l’exaltaient. Par ailleurs, il ne cessa de manifester de plus en plus son goût pour le dessin et simultanément ses curiosités pour l’art de l’eau-forte. Il se plaisait à raconter que s’étant procuré, avec un vieux petit traité d’eau-forte, quelques outils de graveur élémentaires, il se livrait à ses premiers essais dans un art dont il devait devenir un des grands maîtres. Il se fit ainsi qu’il éveilla l’attention d’Adrien De Witte, peintre-graveur qui à cette époque jouissait d’une grande notoriété à Liège. Ami assidu de la famille de Rassenfosse, celui-ci ne manqua guère de s’intéresser aux dessins progressivement mieux venus du jeune Armand, ainsi qu’à ses tout premiers pas dans l’art de l’eau-forte et de le favoriser de ses conseils. Profitant d’un de ses passages à Paris – ce fut en 1886 – le dessinateur et aquafortiste en herbe, s’enhardit jusqu’à aller sonner à la porte de l’atelier de Félicien Rops, rue de Grammont. Il y fut accueilli, d’abord avec une certaine surprise, mais presque aussitôt comme il n’avait osé l’espérer. Jamais contact ne fut plus décisif, plus productif, plus durable. Leur vie durant, le maître et son jeune admirateur restèrent fidèles à ce qu’ils savaient se devoir l’un à l’autre.
L’intérêt que porta Adrien De Witte à Armand Rassenfosse et la collaboration continue de celui-ci avec Félicien Rops, le fait aussi que ces trois artistes eurent pour thème d’inspiration – combien différent cependant – ce qu’on se plaît à appeler l’éternel féminin, eurent pour effet de faire passer et de continuer encore à faire passer le cadet pour l’élève de ses deux aînés. Ainsi que le révéla Gustave Van Zype dans sa biographie d’Armand Rassenfosse publiée dans l’Annuaire de l’Académie royale de Belgique en 1936, c’est une légèreté qui valut à l’illustrateur des Fleurs du Mal une déception dont il a souffert dans son for intérieur sans pour autant jamais la manifester. Seuls quelques rares intimes ont pu la deviner en écoutant ses délicates confidences à l’égard de ceux dont il ne trahit en aucune circonstance l’amitié qu’il tenait pour un de ses précieux joyaux de vie.
A vrai dire et strictement, Armand Rassenfosse n’eut jamais de maître et ne fut jamais amené, non plus, à se faire recevoir à l’Académie des Beaux-Arts de Liège dont pour autant il ne méconnaissait guère le haut niveau d’enseignement et dont il tenait les professeurs en parfaite estime. Alors, pendant qu’il attendait le moment où il pourrait se dégager du négoce auquel son père l’avait associé, tous ses moments de loisir, il les mit à profit pour se former lui-même selon ses volontés : maîtriser les moyens techniques qu’appelle un art qui, dans sa probité, son honnêteté et ses spontanéités, dans sa fidélité au simple prestige de la forme contemplée s’explique par la sensibilité délicate et la culture raffinée dont vivait tout entier son créateur. Ses innovations techniques eurent pour principal objet de le mettre en mesure de créer des dessins, des eaux-fortes et des peintures, progressivement plus conformes aux vérités de ses visions de beauté.
Si, quant à cela, il ne se laissa pas guider par les orientations d’ordre esthétique, littéraire, voire spirituel en pleine gestation à cette époque et dont, par ailleurs, il n’ignorait rien, c’était, à n’en point douter, parce que, de nature, il se sentait foncièrement séduit par ce que la vie lui donnait à simplement observer autour de lui, particulièrement par celle de la femme qu’il admirait – qu’il aimait – telle qu’elle le charmait et l’émouvait dans ses intimes coquetteries de toilette, dans ses humbles besognes de repasseuses et de tricoteuses, dans ses frustes apparences d’hiercheuses parfois le buste dénudé, dans ses tendresses maternelles et finalement telle qu’elle l’émerveillait dans ses formes purement naturelles.
A partir de ce qu ‘il y avait de local et de temporel – d’accidentel – dans ses rencontres avec la femme qui devait devenir le thème diversement inspirateur de ses créations et qui atteste ses attachements profonds à sa terre wallonne et à sa ville natale, il fut amené à découvrir et à révéler selon ses visions la vérité universelle et intemporelle de la beauté qu’il admirait dans la femme avec des élans toujours renouvelés.
Ainsi devait s’affirmer sa personnalité foncière qui le distançait de ceux dont on a voulu le faire passer pour l’élève. Ce n’est que sporadiquement, dans quelques-unes des eaux-fortes de ses débuts, dans ses illustrations d’oeuvres littéraires de l’époque, dans des inventions restées à l’état de croquis aussi, qu’on peut retrouver des traces de ce symbolisme, de ce satanisme et de cet érotisme qui rendirent célèbres les eaux-fortes, dessins et aquarelles de Félicien Rops, par ailleurs – et soit dit en passant – un artiste, qui à ses heures de délassement produisit des peintures de paysages et de marines, enlevées “sur le motif”, comme l’écrivit Paul Haesaert, et qui soutiennent la comparaison avec celles d’un Dubois ou d’un Artan .
Ce fut vers 1890 que son père, ayant appris à connaître Auguste Bénard – une des rencontres de son jeune fils à Paris – mit les deux chercheurs d’une carrière selon leurs rêves, en mesure de fonder une imprimerie et maison d’édition dont allaient sortir des livres, des affiches et autres productions typographiques hautement appréciés en France comme en Belgique. Bénard s’occupant de l’installation, gestion et développement de l’entreprise selon toutes les exigences et possibilités techniques et commerciales, Armand Rassenfosse s’occuperait avant tout d’assurer à la Maison le renom artistique qu’elle n’a pas manqué d’acquérir.
Voici, donc, Armand Rassenfosse parti pour se livrer avec toutes ses ferveurs, toutes ses volontés, tous ses talents à son art et par excellence à la création de ses estampes et à ses innovations techniques qui allaient le situer parmi les peintres-graveurs en vue à son époque. Le jour où l’on pourra publier ce que sa précieuse correspondance recèle sous ce rapport – surtout celle avec Félicien Rops – et où seront rendues accessibles les épreuves que ces deux amis échangèrent avec leurs remarques respectives, on pourra mesurer judicieusement ce que valurent à l’un comme à l’autre ces vernis dont ils élaborèrent conjointement, mais chacun selon leurs recherches respectives, la formule, et qui furent qualifiés ensemble – avec quelles intentions ? – le Ropsenfosse.
Indiciblement dommage qu’un coup du sort impitoyable n’ait pas permis à Armand Rassenfosse de continuer à raconter lui-même l’histoire de ces inventions techniques, comme seul il pouvait le faire et commença à le faire dans un article dont il confia la publication au premier numéro (1934) de la revue Le Livre et l’Estampe éditée par Roger Avermaete, Louis Lebeer, Joris Minne et Paul Van der Perre. Le titre de ce beau périodique in-4°, qui à la suite de malencontreuses complications de gestion, indépendantes de la bonne entente entre ses éditeurs et du succès qui lui était assuré, ne put connaître que quatre livraisons. Il n’est peut-être pas sans intérêt de rappeler que ce titre fut jugé digne d’être repris par la Société des Bibliophiles et Iconophiles de Belgique, pour sa revue, créée en 1954, alors que ladite Société prenait un nouvel essor sous la présidence clairvoyante et dévouée d’Auguste Lambiotte. Aussi bien est-ce dans ses livraisons n° 16 et 17 (1958) que M. Eugène Rouir, homme de science et iconophile averti, publia, en attendant qu’ il trouve l’occasion d’éditer le catalogue complet des oeuvres d’Armand Rassenfosse, son étude méthodiquement documentée : Armand Rassenfosse : notes sur sa vie et son oeuvre gravé. L’auteur y consigna les résultats de ses recherches concernant les inventions techniques qui firent d’Armand Rassenfosse cet artiste liégeois qui dès avant 1900 connut un accueil très encourageant à Paris. En effet, en 1892 déjà Pincebourde publia trois de ses estampes : Le Baiser du Porion, Le Joujou et L’appelle de la Faunesse. A partir de 1893 le jeune liégeois se fit remarquer par sa collaboration aux albums que publia régulièrement La Société des Aquafortistes belges, par les dessins que publièrent Le Courrier français et bientôt La Plume. En 1895, Pellet édita à Paris sa gravure La Belle Hollandaise et voici qu’en 1895, Félicien Rops ne se sentant pas disposé à entreprendre un aussi redoutable travail, proposa son jeune ami à E. Rodriguès, président de la Société des Cent Bibliophiles à Paris, pour illustrer Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, dont ladite Société avait conçu le projet de publier une édition bibliophilique illustrée. L’offre acceptée et l’accord conclu, Armand Rassenfosse se mit à l’oeuvre avec une ardeur à peine suffisante pour surmonter les difficultés et déconvenues qui l’attendaient. L’histoire des “pièces condamnées” est connue. Elle ne doit, certes, pas avoir réjoui le jeune artiste. elle ne le découragea point pour autant. Il trouva d’ailleurs l’occasion de les publier séparément – ces pièces condamnées – en 1903.
Comme il était captivant de l’entendre relater qu’étant donné le peu de temps – deux ans ! – qui lui fut accordé pour terminer un travail comportant une illustration en couleurs nécessitant selon les cas de 2 à 4 cuivres gravés pour chacun des 158 poèmes pour lesquels était prévu, de surcroît, un cul-de-lampe à exécuter en lithographie, les jours ne lui suffisant pas, il dut y consacrer aussi ses nuits. Encore n’aurait-il pas réussi à venir à bout de cette téméraire entreprise, s’il n’avait connu que les moyens techniques propres à l’eau-forte traditionnelle. Certes, il disposait déjà de vernis, d’acides, d’encres et de modes d’imprimer qu’il avait inventés pour créer des estampes avec une liberté, une spontanéité, une variété et une promptitude à peine inférieures à celles avec lesquelles il exécutait ses dessins. Toutefois, il était, sous ce rapport surtout, encore à ses années de début. Au point qu’au cours de ces deux années il fut amené non seulement à perfectionner ses innovations techniques déjà acquises mais aussi à développer ses facultés d’imagination créatrice et à faire obéir sa main à ce qu’exige un dessin qu’il tenait pour être, attentif en cela à la leçon de Monsieur Ingres, la probité de l’art.
Commencé en 1895, le travail fut terminé, comme convenu, en deux ans et Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, illustré par Armand Rassenfosse, put être publié par la Société des Cent Bibliophiles à Paris en 1899.
Du coup le jeune graveur liégeois s’assura une place significative dans l’histoire du livre illustré français. Cela lui valut d’être sollicité d’illustrer d’autres livres – entre autres de Barbey d’Aurevilly, de Noël Ruet, d’Edmont Glesemer, d’Omer Englebert, de Claude Farrère – où il fit usage d’innovations créatrices progressivement acquises et adaptées à ses volontés : le vernis mou, l’aquatinte, la manière noire, souvent combinées entre elles et développées à partir d’un dessin de mise en page à l’encre au sucre, tous ces modes de nuancer et d’intensifier les noirs profonds avec des roulettes appropriées, d’y faire apparaître les révélations de la lumière par des blancs produits, soit au brunissoir ou au grattoir dans des fonds d’aquatinte, soit en les réservant avec des pâtes à couvrir. Il savait tout faire avec une virtuosité déconcertante, avec un goût sensible pour des modelés sans heurts ; il savait tout faire à partir d’un dessin sur papier reporté directement sur ses fines et brillantes plaques de cuivre ou d’aluminium que lui fournissaient les usines d’Ougrée Marihaye.
Il savait créer des estampes avec une aisance, avec une rapidité et une spontanéité égales à celles avec lesquelles il dessinait, quitte à les parfaire par après avec des outils qu’ il inventait et qu’il faisait fabriquer par des gens de métier, comme par exemple ces roulettes que lui fournissaient des armuriers particulièrement choisis. Il imprimait lui-même ses estampes sur la belle presse qui donnait à son atelier une allure de grand maître graveur. A côté d’elle pendait une étagère où étaient rangés les flacons de produits chimiques, de vernis et d’encres dont des étiquettes parfois à peine encore lisibles, révélaient le contenu. Il savait imprimer ses estampes soit en noir et blanc, soit avec d’autres variétés d’encres. Il savait offrir des estampes en couleurs, soit encrées à la poupée sur une seule plaque, soit imprimées aux repérages de plusieurs plaques, soit rehaussées avec des couleurs à la cire. Ainsi ne dut-il jamais recourir à des procédés mécaniques-héliographiques où, en tant que création artistique, sa main serait restée inopérante.
Au bout du compte, il put ainsi donner libre cours à sa fantaisie créatrice et perpétuer le souvenir de ses amis – N. Ruet, Dorbon aîné et fils, Cl. Debussy, E. Verhaeren et ses mains, Ch . de Coster, A . Salle, E. Rodriguès, Cl. Farrère, C. Mauclair, E. Glesener, R. van Bastelaer et tant d’autres – dont il retraça les effigies, à l’occasion selon sa mémoire visuelle, en des manières techniques différentes et parmi lesquels celui de sa femme, Madame de Rassenfosse, témoigne non seulement de sa fine, pure et sensible maîtrise graphique, mais aussi de l’émotion avec laquelle il la contempla en la portraiturant d’après nature.
Il put ainsi s’abandonner à ses pensées à la mort, évoquer, sans recours à l’anecdote, ce que lui inspirèrent les sinistres et monstrueuses dévastations de la Première Guerre mondiale en cette planche dénonciatrice, intitulée La Mort est saoule, tirée en couleurs au repérage et rendue percutante par d’incisifs traits à la pointe sèche (elle date de 1914) ; la mort qu’il voyait jouer aux cartes avec d’humbles habitués de cabarets et qu’il voyait faire des
croche-pieds à d’insouciants promeneurs ; la mort défiant les flèches de l’amour ; la mort dont il méditait, fût-ce la lointaine annonce au bout de toute les joies, de tous les horizons et de toutes les prédestinations de la vie.
Il put ainsi créer des estampes en blanc et noir où se confondaient entre eux ses modes techniques les plus virtuoses et où il ne cessait de manifester les séductions qu’exerçait sur lui le nu féminin dans ses apparitions, attitudes et charmes vivants, mais où il révélait aussi ce que lui inspiraient, par exemple, la Noël ou la rencontre des pèlerins d’Emmaüs. Evocations auxquelles présidaient moins le souvenir de textes évangéliques ou pseudo-évangéliques que les sentiments humains qu’elles éveillaient en lui. La Noël ne le rapprochait pas de ceux qui dans des liesses aux folles mascarades oublient ce qu’ ils prétendent fêter, mais de ceux qui dans le recueillement d’une nuit solitaire se retrouvaient pour assister à ce que promet, fait espérer ou redouter la naissance d’un enfant sans autres présences que celles de parents abandonnés et celle de quelques-uns des plus humbles de la terre liégeoise que sont les mineurs ; la pensée à ces pèlerins qui sur leur chemin de vie connurent la grâce de retrouver leur maître auréolé de la lumière qu’ il fut et restait pour eux.
Si le nombre d’estampes d’Armand Rassenfosse pouvant être qualifiées de gravures pures est inférieur à celui de ses estampes faites principalement d’innovations techniques autres que strictement graphiques, il ne faudrait pas en déduire que leur créateur n’aurait qu’occasionnellement fait appel aux outils du graveur proprement dit. Ces outils, il les avait toujours et tous à la main – il en avait un véritable arsenal – pour parfaire, ce que des morsures d’acides et des blancs ménagés par des couvertures, restaient en défaut de créer selon ses conceptions, ses sensibilités et ses visions ; il les prenait à la main, aussi, pour créer avec eux seuls. ce que lui dictaient ses yeux, son esprit et son coeur .
Ne fut-ce pas avec le plus simple de ces outils – une pointe – qu’il sut confier directement au métal ce que devaient devenir sur le papier les plus purement belles, les plus merveilleusement évocatrices de ses estampes ? Clairement conscient du génie du langage choisi en l’occurrence, il sentait qu’il devait surveiller sa main au moment où elle allait creuser dans le cuivre ou le zinc la ligne – le trait – magique conçu pour donner une forme à ses visions et émotions intimes. Car cette main, il savait qu’elle allait obéir à ses impulsions d’esprit et de coeur, qu’il allait devoir la surveiller, non seulement pour qu’elle dessine, mais autant pour qu’elle creuse des traits – tantôt appuyés, tantôt fins et légers jusqu’à l’extrême, selon les visions qui y présidaient. Il savait qu’avec cette pointe il allait creuser des traits diversement colorés selon qu’il y fasse jouer en des accents délicats ou intenses et d’apparence veloutée, l’encre retenue dans des “barbes” plus ou
moins opulentes et reportée par elles sur le papier. Ce qu’Armand Rassenfosse sut créer avec cet outil – une simple pointe – il en laissa divers témoignages magistraux, entre autres dans ce Nu de femme dont il évoqua avec une rare sensibilité les jeunes formes émouvantes ; dans des portraits comme ceux de Félicien Rops et d’Emile Verhaeren, si diversement inspirés ; dans une de ses rencontres avec une hiercheuse tricotant et dans certains hymnes à la Danse inspirés par des danseuses célèbres évoluant dans les luminosités diffuses et vaporeuses d’une scène de spectacle.
Chaque fois il s’y affirma comme un maître graveur aussi foncièrement authentique que diversement doué. Davantage que la pointe sèche – et pour cause – il pratiqua l’eau-forte pure entre autres pour produire les nombreux ex-libris que lui demandaient ses amis et autres bibiophiles. Sauf quand il les concevait de sa propre initiative et selon sa propre fantaisie, il y fut des fois mis à rude épreuve pour les composer selon une sorte de programme imposé. L’ex-libris l’intéressait au point qu’ensemble avec Madame de Rassenfosse il s’en constitua cette riche collection qui fut confiée à la garde de la bibiothèque de l’Université de Liège et dont Mademoiselle M. Lavoye publia le catalogue en 1956.
Par ailleurs, la direction artistique de l’imprimerie et Maison d’édition Bénard devait nécessairement le rendre attentif à tous les moyens techniques, voire mécaniques, susceptibles de le mettre en mesure de produire des estampes et illustrations de tous genres. Ce fut ainsi qu’il apprit à tout savoir de la lithographie, d’abord à Paris dans l’imprimerie lithographique des Chaix à laquelle se joignit en 1881 celle de Chéret dont l’affiche Orphée aux enfers datée de 1858 et imprimée en trois couleurs par Lemercier constitua en fait le vrai début de Chéret dans l’art chromolithographique. C’est aussi dans l’imprimerie de celui-ci que se nouèrent les liens d’amitié profonde entre Rassenfosse et Adolphe Willette. Ensuite avec son fils, Louis de Rassenfosse, qui dirigeait le département de la lithographie chez Bénard. Il la pratiqua non seulement directement mais aussi par des reports à l’offset. A l’occasion il sut ainsi – comme dans cette planche intitulée Danseuses – choisir et préparer ses encres de façon telle qu’à l’impression elles produisent les reflets propres à des dessins exécutés avec des crayons à la mine de plomb. Il ne le fit, certes, pour tromper personne. Il ne rechercha que d’utiliser les moyens mis à sa portée pour atteindre tout ce qu’on pouvait en attendre.
Ainsi se fit-il remarquer parmi ceux – Jules Chéret, Pierre Bonnard, Adolphe Willette, Henri .de Toulouse-Lautrec et combien d’autres – qui élevèrent l’affiche au rang d’un art toujours encore en continuelle évolution. Que ce soit dans des articles de grandes encyclopédies ou dans l’histoire de cette forme d’expression particulière, son nom y figure en première place parmi ceux qui en Belgique participèrent à perpétuer, dans l’affiche comme par ailleurs, le sens autant que le visage vivants d’une époque si diversement significative.
Si Armand Rassenfosse peut être tenu pour un graveur et dessinateur par excellence – faut-il le répéter ? – , il fut de surcroît un peintre dont les tableaux sont répandus et conservés dans les collections et musées réputés, tant à l’étranger qu’en Belgique.
Jacques Ochs, qui parlait en connaissance de cause, a écrit à ce sujet : “Quant aux oeuvres peintes d’Armand Rassenfosse, elles magnifient, pour la plupart, l’éternel féminin, mais avec moins de spontanéité, peut-être, que dans les dessins et les gravures. Certains tableaux, comme Poyette (Musée de l’Art moderne, Paris) ou Femme se lavant (Musée de l’Art Wallon, Liège), séduisent par leur charme discret et leur fine sensibilité. Rassenfosse s’en tenait généralement à une gamme de couleurs nuancées, en demi-tons, que réchauffe une lumière légèrement dorée. Sa technique de prédilection : la peinture à la cire sur carton“. Il est vrai qu’Armand Rassenfosse a peint sur carton, mais davantage sur toile. Il est vrai surtout qu’il avait une prédilection pour es couleurs à la cire, qu’il choisit non seulement pour peindre mais aussi pour rehausser ses dessins. Ses sensibilités lui faisaient préférer les tons mats, doux et fondus, aux effets faciles de brillances miroitantes. Il aimait la cire qu’il tenait pour une matière nourrissante et vivante, une matière qui ne durcit pas et ne craquelle pas, une matière qu’on sait enlever et renouveler sans risque d’enlever avec elle la moindre parcelle de couleur. Pour ce faire, il avait composé des émulsions, diversement liquides ou épaisses, les unes pour nettoyer des tableaux, les autres pour les protéger. A ce dernier effet, il recommandait de ne jamais négliger de couvrir les tableaux à la fois à l’avers et au revers pour éviter que des champignons, poussières ou vapeurs d’humidité percent la toile pour aller se nicher entre la couche de couleur et son support.
Il y a plus d’un tableau de maîtres célèbres qu’il fut sollicité de traiter de cette façon en guise de démonstration par les directions responsables de grands musées, tableaux qui lui doivent leur durable conservation après avoir été revivifiés.
Armand Rassenfosse vivait avec ses oeuvres d’art. Les divers états de ses estampes attestent qu’il les reprenait constamment au gré de ses nouvelles visions, de ses nouveaux élans, de ses nouvelles possibilités d’expression. Dans ses tableaux il ne nous est conservé que le stade final où il se résignait – après combien de temps ? – à les abandonner. Mais ceux qui furent régulièrement admis dans son atelier, y retrouvaient parfois pendant deux, trois ans des tableaux auxquels il travaillait avec un attachement – avec un amour – toujours préoccupé. Ils y ont pu être témoins de ce que devint progressivement une de ses dernières oeuvres peintes avec des couleurs à la cire, une de ses oeuvres les plus émouvantes et admirables aussi – Baudelaire et sa Muse – qu’il finit par céder peu avant sa mort à son ami Puesch.
Armand Rassenfosse s’est consacré avec toutes les forces vives de son être et selon toutes ses consciences et bénédictions de vie, à servir son époque, ses contemporains et ceux à qui il se donnait en partage. Cela justifie qu’il fut appelé à siéger dans diverses commissions de musées, d’être nommé membre de la Commission royale des monuments et des sites, d’être élu membre correspondant de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique en 1925, dont il fut promu membre titulaire en 1930 et dont il fut appelé à assumer la charge de directeur de la Classe des Beaux-Arts en 1934. Aussi subitement qu’inexorablement enlevé le 25 janvier de cette même année, le sort ne lui permit pas de réserver aux confrères de l’illustre Compagnie les bénéfices de ses compétences et dévouements. S’il s’était senti porté à accéder à la proposition qui lui fut faite, il aurait connu l’honneur d’être ennobli.
Armand Rassenfosse appartient à cette époque autour de 1900 dont Jean Cassou a écrit “S’il existe une philosophie de l’Art Nouveau, nous découvrirons qu’elle émane de la philosophie du Symbolisme : leur commun dénominateur à tous les deux, leur principe est la femme.” L’ Art Nouveau, l’art 1900, eut sa raison d’être, il créa des modes sans lesquelles il est impensable et qui renaissent périodiquement jusqu’aujourd’hui ; il créa des décors, des joyaux, des meubles, des maisons, des affiches, des revues, des typographies, dont le style reste qualifié de Modern Style.
Comme quoi, “nouveau” et “moderne” sont des termes qui n’ont rien d’absolu et qu’il faut entendre en fonction de l’époque à laquelle ils s’appliquent. Ce qui à un moment est nouveau et moderne, est destiné à être dépassé aussitôt après ; ce qui est nouveau et moderne aujourd’hui, ne le sera plus demain. N’empêche qu’une époque et ceux qui en sont les ouvriers, ne valent que grâce aux nouveautés et modernités par lesquelles ils préparent celles qui s’inscrivent dans un perpétuel devenir.
Assurer à Armand Rassenfosse la présence qui lui revient dans ce perpétuel devenir fut certes le souci de ceux qui au mois de mai 1935 vinrent déposer au Parc de la Boverie de Liège, aux portes du Musée de l’Art Wallon, ce buste modelé par le sculpteur Fix Masseau et portant la simple, mais combien éloquente et émouvante inscription : “A Armand Rassenfosse. Ses Amis de France.” C’est, non moins, l’objet de ces quelques propos, pensés en marge de l’exposition que voici.
Louis LEBEER
CATALOGUE
PEINTURES
1. Femme à la toilette, h, 1900, 46 x 38.
2. Petite fille à la poupée (Palmyre Sauvenière), h, décembre 1908, 35,2 x 26.
3. Portrait de Lawe de Neuville, h, 1908, 17,5 x 12.
4. Le jardin (Liège, 21, rue Bassenge), h, 1 août 1908, 24,2 x 33, 1.
5. Tête de jeune fille (Laure de Neuville), h, 1909, 37 x 27.
6. Le peignoir jaune, h, 1912, 90 x 70.
7. Estrelita, h, 1913, 70 x 45.
8. Le bonnet hongrois, h, 1914, 70 x 46,5.
9. La favorite, h, 1915, 76 x 56.
10. La marchande de masques, 1917, h, 90 x 69.
11. La robe grise, h, 1917, 44,5 x 34,5.
12. Le masque rose, h, 1919, 46,5 x 36.
13. La toilette, h, 1919, 55 x 50.
14. Femme à la cruche, H, 1920, 70 x 56.
15. Femme à sa toilette et broc blanc, h, 1920, 42,5 x 36,5.
16. L’été, h, 1921, 45 x 67,5.
17. Femme au miroir, h, 1921 , 60 x 70.
18. Femme à la bouteille, h, 1921, 55 x 37.
19. Danseuse aux rubens, h, 1921, 69 x 58,5.
20. Maternité, h, 1923, 63 x 53.
21. Sortie de bal, h, 1924, 50 x 60.
22. Femme à sa toilette (étude en bleu), h, 1926, 78 x 61.
23. La sérénade, h, 1926, 67,5 x 54,5.
24. Jeunes femmes, h, 1929, 61 x 48.
25. Ars longa – Vita brevis, h, 1929, 49 x 40.
26. Toilette, h, 1930, 68,5 x 53.
27. Autoportrait, h, 1930, 56 x 46.
28. Jeunesse, h, 1930, 57 x 46,5.
29. Grand nu de dos (étude), h, s.d., 80 x 60.
30. Femme au masque noir, h, s.d., 44,5 x 35.
31. Adèle au bonnet blanc, h, s.d., 34,5 x 27,5.
32. Le rideau jaune, h, s.d., 43,5 x 34.5.
33. Hiercheuse au mouchoir rouge, h, s.d., 69 x 43.
34. Jeunes sorcières, h, s.d., 90 x 72.
35. Deux jeunes femmes, h, s.d., 42 x 51 ,5.
36. Nu (buste), h, 35 x 25.
36 bis. Femme au bonnet, h, s.d., 41 x 27,5
DESSINS – AQUARELLES
37. Marie à l’harmonium, aquarelle, 1886, 42 x 28.
38. La malle de quatre heures, aquarelle, août 1895, 40 x 29.
40. Etudes pour les Fleurs du Mal, crayon, vers 1897, 38 x 29.
41. Portrait d’Albert de Neuville (1864-1924), pastel, vers 1903, 35 x 26.
42. Portrait de Marie de Neuville, née Tilman (1861-1940), pastel, vers 1903, 36,2 x 26,5.
43. La gymnaste (illustration du recueil de poèmes de Estienne, Phrases, Paris, Sansot, 1907), aquarelle, vers 1907, 17,5 X 13,5.
44. Portrait de Madame A. de R., crayon, janvier 1907, 44,5 x 32, cadre de Serrurier-Bovy.
45. Projet pour l’ex-libris (Carl-F. Schulz-Euler), crayon et sanguine, mai 1907, 30,4 x 23.
46. Le modèle, crayon et sanguine, 1907, 77 x 50.
47. La danse, sanguine, 1907, 68 x 49,5.
48. Hiercheuse, crayon et pastel, 1907, 72 x 37.
49. Tête de jeune fille (Laure de Neuville), pastel, vers 1908, 35 x 26.
50. Nu debout, crayon rehaussé de blanc, 1910, 45 x 30.
51. La fille qui siffle, pastel, 1912, 58,5 x 40,5.
52. La toilette, pastel, 1913, 63 x 46.
53. Dancing girl, crayon rehaussé, 1914, 32,1 x 23,5.
54. Mater dolorosa, crayon, 1914, 29 x 19.
55. Projet pour l’ex-libris Fembach-Karolyné, crayon, 1914, 14,7 x 12,1.
56. Projet pour l’ex-libris Herzog Géza (Hongrie), crayon, vers 1914, 14,6 x 12.
57. Jeune fille (Renée), dessin rehaussé, 1915, 31 x 21,8.
58. Nu assis, crayon rehaussé, 1919, 34 x 25.
59. Nu, crayon, 1922, 39 x 29.
60. L’énigme, crayon rehaussé, 1923, 37 x 28.
61. Maria, crayon, 1929, 40 x 32,5.
62. Matemité, crayon, 30 août 1929, 35 x 30.
63. Femme assise (torse), crayon et pastel, 1931 , 36,5 x 28.
64. Les 2 amies, crayon rehaussé, 1931 , 40 x 32.
65. M.R. (nu couché), crayon rehaussé de sanguine, 26 janvier 1932, 32 x 40.
66. Le matin, crayon rehaussé, septembre 1932, S. IV 38862.
67. Femme couchée, sanguine, octobre 1933, 32 x 40.
68. Dernier dessin (inachevé), sanguine, 10 janvier 1934, 27 x 35,5.
69. Nu couché (de dos), crayon, 29 x 39.
70. Jeune femme, pastel, 38 x 28.
71. Femme en chemise, crayon rehaussé.
72. Nativité, pastel, 35 x 27.
73. Plage à Heyst, aquarelle, 15,2 x 22,7.
74. Femme au chapeau noir, lavis – crayons de couleurs, 23 x 18,3.
75. Femme debout, crayon, 21,9 x 9,2.
76. Le repos du modèle, pastel, 65 x 53.
77. La mort rêvée, crayon, 41 x 32.
78. 2 nus, lavis bistre, S IV 29680 – S IV 29681.
79. Le sommeil de Maria, crayon, S IV 38865.
80. Etude de tête, lavis bistre et sanguine, S IV 29682.
81. Danseuse, crayon rehaussé, 28,5 x 18.
GRAVURES
39. Portrait de Marie, eau forte rehaussée, avril 1896, 23 x 16 [cfr. Dessins – Aquarelles].
82. La frileuse, gravure au soleil + aquatinte, 1891, 8,9 x 13,9.
83. Le joujou, aquatinte eau-forte, pointe sèche, Paris, 1892, 18,7 X 13,2.
84. La Dame en noir, illustration pour l’oeuvre de P. Gérardy, janvier 1893, 14 x 9.
85. Promesse d’un visage, vernis mou, 1903, 20,5 x 15,7.
86. Danseuses, lithographie, 1913, S IV 27204.
87. Noël, plume, vernis mou et aquatinte, 1929, S Ill 104087.
88. Mère et enfant, plume et aquatinte, 1929, 25 x 19, 1.
89. Nouveau modèle, vernis mou et aquatinte, S Ill 41856.
90. Frontispice de l’Ouvrage sur la Belgique, vernis mou et aquatinte, S IV 25986.
91. Frontispice pour les “Amis” d’H. Krains, vernis mou, sans n° d’inventaire.
92. Joueurs de cartes et la mort, plume et vernis mou, S IV 26251.
93. Portrait de l’éditeur L. Dorbon, aquatinte, vernis mou et crayon de réserve, S IV 25779.
94. Portrait de G. Serrurier-Bovy, S Ill 25700.
95. Juliette, vernis mou et aquatinte, S Ill 104122.
96. Femme au miroir, vernis mou et aquatinte, S IV 26304.
97. Portrait d’E. Verhaeren, pointe sèche, S IV 26246.
98. Nu, pointe sèche, S IV 26191.
99. La danse de Paris, plume et pointe sèche, S Ill 104139.
100. Le saut, pointe sèche, épreuve unique, S V 88941.
101. Maternité, encre au pinceau et vernis mou, S Ill 104091.
102. La mort est saoûle, aquatinte, vernis mou et pointe sèche, S Ill 104138.
103. Hiercheuse, aquatinte et vernis mou, S IV 27204.
104. Repasseuse, oeuvre primée par la Société des Aquafortistes de Belgique, vernis mou, 25 x 18.
AFFICHES
104 bis. La coiffe rouge, lithographie, 35 x 20.
105. Soleil, lithographie, éditée par Bénard – Maxima – S Il 1140 117.
106. Maud Alan, lithographie, éditée par Bénard – Maxima S Il 140 118.
107. Huile russe, lithographie, éditée par Bénard – Maxima S Il 140 119.
108. La Plume, lithographie, éditée par Bénard, épreuve avant le texte – Plano – 1913 – S IV 25758.
109. Projet pour le Salon de Roubais, gouache, 84 x 60.
VARIAS
110. Portrait de Rassenfosse par E. Hougardy, pointe sèche, 2e état, 1929, 21,5 x 15,5.
111. Autoportrait, dessin, 9,4 x 8, L’amateur d’estampes provenant de I’ Album n° 1, Gravure originale belge (30/9/ 1924).
112. Madeleine Delvoye, Catalogue des ex-libris d’A. Rassenfosse. Liège 1956.
112 bis. Ex-libris Herzog-Géda, e.-f., 1914, 17.5 x 13. Ex-libris Fembach-Karolyne, e.f. et vernis mou, 1914, 17,2 x 11,9 (2 états). Ex-libris Ladislas de Siklossy, e.-f. et aquatinte, 1920, 11,5 x 9,3. Ex-libris Marie Rassenfosse, vernis mou et aquatinte, 1920, 12 x 10. Ex-libris J. Dalman, e.-f. et vernis mou, 1920, 12,5 x 10. Ex-libris de la Bibliothèque reconstituée de la Société libre de l’Emulation de Liège, cliché au trait, 1924, 11,3 X 9,5.
ILLUSTRATIONS
113. Ch. Baudelaire – Les fleurs du mal, Paris, 1899. Edité par les 100 Bibliophiles – ex. numéroté 108 avec un dessin original de Rassenfosse, en garde.
114. Ed. Glesener – Au beau plafond ou l’enfant prodigue – Liège, 1926, hors commerce.
115. R. Boylesve – Les bains de Bade – Paris, s.d ., édité aux armes de France pour la Société des Dilettantes, ex. numéroté, sur Hollande.
GUSTAVE SERRURIER-BOVY
Dans cette expos1t1on, nul ne peut s’étonner de voir figurer, à côté de Rassenfosse, son contemporain Gustave .Serrurier-Bovy (1858-1910). Une amitié sincère les unissait déjà lors de leurs études. Des soirées passées ensemble à faire de la musique et une action commune dans des groupes pour l’Art Nouveau les rapprochaient encore. Familier de la maison des parents Rassenfosse, Gustave Serrurier y fera la connaissance de sa future épouse. Si les disciplines artistiques sont différentes pour chacun, peinture et gravure chez Armand Rassenfosse, architecture et puis presque exclusivement décoration chez Serrurier, c’est bien un même désir de renouveau dans l’art et de présence au monde concret où ls vivent qui les habite tous deux. Ils aiment s’en communiquer les découvertes et les fruits. L’oeuvre de Gustave Serrurier est peu connue encore : on commence toutefois à découvrir la place importante qu’elle occupe dans la création du mobilier contemporain. La carrière du décorateur fut pourtant brève : elle commence véritablement avec la présentation au premier Salon de la Libre Esthétique, en 1894, d’un ‘cabinet de travail’, son premier ensemble, pour se terminer brusquement par une mort brutale en 1910. Seize années d’une carrière bien remplie !
Un voyage en Angleterre lui révèle très tôt l’importance du renouveau du cadre de vie et les ressources inexploitées, oblitérées par le clinquant du meuble de Cour, du simple mobilier rural. Le mouvement néogothique en a remis à l’honneur la probité et la simplicité. Serrurier n’hésite pas ; il abandonne l’architecture pour se consacrer entièrement à la décoration intérieure. C’est ainsi qu’il transmettra sur le continent les découvertes d’un Morris ou de la société des Arts and Crafts. C’est par un mobilier simple et strict – on pourrait dire rustique si le terme n’était aujourd’hui tant dévalué !- qu’il se manifeste, pour continuer dans des recherches qui font droit aux courbes et moulurations subtiles de l’Art Nouveau ; mais les formes sobres. géométriques font suite qui annoncent déjà le style des Arts Déco.
Comme matériau, il utilise d’abord et souvent dans la suite. le beau chêne de Hongrie. Mais il n’hésite pas à utiliser les bois soyeux et sonores du Congo, depuis que Léopold Il les a introduits et livrés aux artistes nouveaux, principalement dans L’Exposition coloniale de Tervuren en 1897, où Gustave Serrurier aménage toute une section. Il ne dédaignera pas dans la suite des bois plus modestes, le bouleau de Finlande par exemple, qu’il mettra en oeuvre dans le mobilier de série et démontable qu’il va créer au début de ce siècle. Dans sa recherche, le souci social est présent ; au départ, par la suggestion d’un cadre de vie nouveau pour celui qu’il nomme l’Artisan ; et, en finale, par la réalisation d’un intérieur ouvrier à l’Exposition de Liège en 1905, et la fabrication d’un mobilier de série à montage apparent, les ensembles Silex.
Les pièces montrées dans cette exposition présentent quelques aspects de son oeuvre. La plupart appartiennent à son époque parisienne. Dans la succursale créée dans la capitale française en 1899, veille de l’Exposition de 1900, l’influence de son associé Dulong et le goût d’une clientèle mondaine confèrent aux ensembles de ce temps un aspect raffiné et luxueux qui est un épisode, très remarquable, mais non exhaustif de son oeuvre ; les meubles Samazeuilh et le porte-estampes fixe de Rassenfosse en sont de très bons exemples. Mais la solide banquette de chêne nous montre une autre facette de la recherche, celle de la solidité et de la construction architecturée. La pièce la plus prophétique reste néanmoins ce fauteuil de Rassenfosse, créé avant 1900, qui annonce le style des années 1925, et une technique de construction révolutionnaire.
Seize années de recherches constantes dans les domaines formel, constructif et social assurent à Gustave Serrurier une place de premier plan dans la création du mobilier contemporain. Tournant le dos au pastiche stérile, ce liégeois obstiné mène une quête patiente, sensible, structurée. Sa puissance de travail et l’intérêt toujours en éveil qu’il porte à toute manifestation d’esprit nouveau en font un pionnier de l’art et de la société moderne.
J.G. Watelet
PARTICIPATION SERRURIER-BOVY
STAND 1 – ENSEMBLE ART NOUVEAU
116. Dessin au crayon et à la sanguine sur un thème donné par Serrurier-Bovy, L’Aube, du nom de sa propre villa, format 40 cm x 49 cm, de Rassenfosse ; cadre en acajou du Congo de Serrurier-Bovy, 1902.
117. Coiffeuse en acajou du Congo, exposée en 1899 au Salon de la Société d’Art Moderne de Bordeaux – pièce d’un ensemble de chambre à coucher acquise par le compositeur Samazeuilh, 180 x 100 x 58, 1899 ; tiroir à poignée en cuivre sur le thème du nénuphar avec émaux.
118. Chaise – idem, 95 x 44 x 44, 1899.
119. Fauteuil – idem, 80 x 75 x 65.
120. Dessin de Rassenfosse, cc Femme à sa toilette” – 27 x 22 cm – crayon rehaussé – cadre Serrurier-Bovy, 1913.
121 . Décoration murale au pochoir d’après motif de Serrurier-Bovy. Porte – estampes – acajou du Congo, ± 1900, garniture de toilette.
STAND II – TENDANCES VERS L’ART DECO – 1905-1910
Cette période est marquée par des lignes géométriques et la disparition de toute réminiscence végétale.
122. Vitrine Serrurier-Bovy en acajou du Congo, peintures apparentes en cuivre, 3 plateaux d’exposition, 1908.
123. Sellette ou selle d’artiste à deux plateaux ronds de ligne très “moderne”, acajou du Congo, 1906.
124. Vase en bois, laiton et cuivre rouge d’inspiration “industrielle”, 1905-1910 (?).
125. Portrait posthume de Serrurier-Bovy par Rassenfosse crayon rehaussé de pastel, 1930.
126. Coupe-papier bois du Congo et laiton, étui de la Maison Serrurier et Cie, 1906.
127. Annonce de la Maison Serrurier et Cie, parue dans “L’ Art Décoratif” en 1906.
128. Coussin de Serrurier-Bovy, broderies de couleur orange.
129. Fauteuil de travail d’Armand Rassenfosse, circa, 1905.
130. Frise murale d’après motif de Serrurier-Bovy.
HORS STANDS
131. Banc de hall en chêne de Serrurier-Bovy avec cadre pour pêle-mêle, 1910.
132. Vitrine d’exposition.
REPÈRES BIOGRAPHIQUES
1862 6 août. Naissance à Liège d’Armand Rassenfosse dans une famille de commerçants très cultivés. Humanités classiques au Collège Saint-Servais, Liège. Passionné de musique et de dessin. Ses humanités terminées, Armand Rassenfosse entre dans l’entreprise familiale. Lit les écrivains du temps, commence une collection d’estampes. Nombreux voyages à Paris où il rencontre écrivains et artistes. Premiers essais de gravure. Armand Rassenfosse est conseillé et encouragé par Adrien de Witte.
1886. Première rencontre avec Félicien Rops. Début d’une longue amitié et d’une intense collaboration.
1890. Rencontre et association d’Armand Rassenfosse et d’Auguste Bénard.
1892. Premières éditions des estampes de Rassenfosse à Paris.
1895-1897. Illustration des Fleurs du Mal de Baudelaire pour la Société des Cent Bibliophiles. Publication en 1899. Par la suite et parallèlement à ses activités de graveur, de dessinateur et de peintre, Armand Rassenfosse illustrera de très nombreux ouvrages : Barbey d’Aurevilly, Noël Ruet, Edmond Glesener, Omer Englebert, Claude Farrère… Il ne cesse de perfectionner sa technique, de mettre au point des procédés nouveaux.
1925. Armand Rassenfosse est nommé membre correspondant de l’Académie Royale des Sciences, des lettres et des Beaux-Arts de Belgique.
1934. Directeur de la classe des Beaux-Arts de cette Académie. Le 28 janvier 1934, Armand Rassenfosse meurt à Liège.
Inutile de lire La peau de l’ours. J’dis ça, j’dis rien, mais c’est un livre de plus à abandonner sur la tablette du train, surtout maintenant qu’il est sorti en format poche (le livre).
Tout commence bien pourtant, comme dans un conte (dont le style n’est pas trop mal singé). Mais Joy Sorman (née en 1973), toute contente de son idée initiale (mettre en regard humanité et animalité dans la même peau, celle d’un bâtard homme-ours qui, malgré lui, est soumis à un voyage qui devrait être initiatique), n’arrive pas tenir la longueur et la pauvre bête qui se voit offrir le rôle-titre n’est rapidement plus qu’un ours savant qui réfléchit… un peu.
Le narrateur, hybride monstrueux né de l’accouplement d’une femme avec un ours, raconte sa vie malheureuse. Ayant progressivement abandonné tout trait humain pour prendre l’apparence d’une bête, il est vendu à un montreur d’ours puis à un organisateur de combats d’animaux, traverse l’océan pour intégrer la ménagerie d’un cirque où il se lie avec d’autres créatures extraordinaires, avant de faire une rencontre décisive dans la fosse d’un zoo. Ce roman en forme de conte, qui explore l’inquiétante frontière entre humanité et bestialité, nous convie à un singulier voyage dans la peau d’un ours. Une manière de dérégler nos sens et de porter un regard neuf et troublant sur le monde des hommes.
Au fil des pages et malgré les promesses de la quatrième de couverture (reproduite ci-dessus), on se dit que les Aventures de Babar étaient plus trépidantes. La magie du conte, assez efficace dans les premières pages, est aussi rapidement étouffée et remplacée, comme par dépit, par une narration assez linéaire où le découpage en chapitre est le seul vrai rythme, là où on attendait une succession de passages initiatiques que le sujet aurait permis (on tenait enfin un premier Bildungsroman plantigrade ; au moins le deuxième, si on considère Winnie the Pooh).
Dans un domaine où la géniale orfèvre Siri HUSTVEDT offre à tous les hommes (en d’autres termes, les ‘gender-disabled short-sighted humans‘) la possibilité d’entrevoir la douloureuse renaissance d’une femme blessée, vue par une femme (Un été sans les hommes, 2013), l’espoir était grand de voir une romancière explorer une des grandes ambivalences viriles : raison vs. sauvagerie.
Ah ! Quelle est l’auteuse qui arrivera à mettre en oeuvre la finesse acérée de sa plume (In Memoriam Virginia W.) pour décrire cette sensation d’avoir “les épaules à l’étroit dans un costume trois-pièces” ?
Pour l’aider, quelques questions prolégoméniques : Proust péterait-il dans son marais, pendant le bain matutinal ? Shrek s’essuierait-il la bouche après s’être enfourné un demi-kilo de madeleines ?
Dieu me tripote ! Desproges aurait précisé qu’il s’essuyait toujours la bouche après avoir pété dans son bain. Mais c’est une autre histoire…
Fabris REMOUCHAMPS naît à Ougrée (BE) en 1955, année de sa naissance… Photographe, il a vécu et travaillé à Liège (BE) : “La déambulation est pour lui une pratique quotidienne, elle est d’abord une manière de s’ouvrir et d’être disponible. Traverser maintes et maintes fois les mêmes espaces, fussent-ils mentaux, n’est pas une volonté de circuler en territoires connus ou conquis, mais plutôt de porter à chaque passage un regard neuf tendant à briser toute forme de certitude. Semblable à ces voyageurs des années trente qui découvraient étonnés le monde, il avance sans protection à la recherche de ce qui n’a pas été vu et qui ne se livre jamais instantanément.“
Précoce à plus d’un égard, Fabris Remouchamps se frotte dès la fin des années 60 à la création (rencontre avec les peintres Léopold Plomteux et Fréderick Beunckens) ; il consacre ensuite ses seventies à l’étude de la peinture monumentale (Académie Royale des Beaux-Arts de Liège, diverses expositions et, en marge, des ateliers d’impro). Les années 80 seront les années “théâtre et installations” (Noyade interdite, Musée d’architecture de Liège, Maison des artistes de Liège, Festival du Jeune Théâtre)…
Sans délaisser les cimaises, Fabris Remouchamps rentre à la RTBF dans les années 90 : il y explorera les différentes facettes de la production audiovisuelle, en studio comme en tournage. Nouveau siècle oblige, c’est le monde digital qu’il aborde ensuite : web design, infographie, multimedia et gestion de sites web. S’il commence en numérisant des photos et des peintures, il passe ensuite à l’infographie pure. L’homme est multiple, mais pas duplice, et les créations de Fabris Remouchamps relèvent d’autant de domaines et de techniques que l’œil peut en concevoir.
Plus récemment, Fabris Remouchamps était retourné à ses premières amours, avec plusieurs création de peintures en chantier. Parallèlement, on lui doit le mystérieux roman-photo La fabuleuse histoire de Michel M., commencé il y a des années et toujours en cours. Un extrait :
Actif dans le réseau wallonica depuis longtemps, ce grand voyageur immobile est décédé paisiblement dans son fauteuil en 2024. “Je me taille” ? Beaucoup trop tôt, l’ami !
[PHOTOTREND.FR, juin 2022] “Dégénérée, débauchée, photographe, réalisatrice” : vaste programme que celui annoncé par Kourtney Roy en guise d’introduction biographique sur son profil Instagram. Il faut dire que les autofictions de la photographe canadienne ne laissent personne de marbre. Affranchi de tout repère temporel, son travail étrange et hautement esthétique suscite l’interrogation. Plongée en eaux troubles dans l’univers singulier de Kourtney Roy.
La pellicule, miroir d’un étrange théâtre intérieur
Le riche portfolio de la photographe canadienne établie à Paris dévoile mises en scène et autofictions – y devenant photographe, metteuse en scène et actrice. Kourtney Roy ne laisse aucune place au hasard. Perruques, costumes, maquillage : la photographe ne s’interdit rien pour libérer la galerie de personnages qui sommeillent en elle. Grain de folie ou de génie ? Quête identitaire ? Après tout, tout autoportrait est-il autre chose qu’une autofiction consciemment mise en scène ?
D’où lui viennent donc ces idées fantasques ? C’est peut-être du côté du cinéma qu’il faut rechercher des repères de comparaison. C’est en tout cas tout un scénario qui se monte dans l’esprit du spectateur face à ces scènes paraissant précéder ou suivre une histoire rocambolesque. Entre burlesque et noirceur, certaines scènes semblent planter le décor de films noirs. Hitchcock n’est pas loin.
La tension et le doute sont toujours présents dans les photographies de Kourtney Roy. Ses images flirtent entre légèreté et tragique ; dans la veine de Cindy Sherman ou de Guy Bourdin. Comme lui, la photographe signe d’ailleurs régulièrement des séries mode.
Apparences trompeuses
Pop, un brin rétro, son monde est surtout étrange. Jamais lisses, les mises en scène léchées de Kourtney Roy touchent au comique, au trash et parfois au saugrenu.
Barbie Girl semble la bande-son idéale à la série The Tourist, qui n’est pas sans rappeler un roman-photo. Plus qu’un univers ou qu’un temps parallèle, ces images semblent témoigner de la vie de personnages ovnis, toy boys et material girls. Sous couvert de déguisements, de couleurs trop vibrantes, d’ongles trop vernis, de bronzages trop caramélisés et de brushing trop parfait, des bribes de vérité se font une place. Dans ce monde digne d’une publicité Mattel, où le terme de cliché revêt tout son sens, des détails sonnent faux, ou plutôt vrais : nuages, bateau croisant au loin, nageurs…
À première vue, le doute affleure. Mais rapidement le trop-plein, de couleurs, de matérialité, de fausse perfection, nous détourne de la certitude d’être aux côtés de réels alter ego. La raison d’être de ces images ne peut être que critique. Ces doux dingues étant bien fictifs nous voilà rassurés. Pourtant, la gêne persiste, faut-il voir dans ces autoportraits le miroir de nos propres travers ?
La fiction peut en effet se faire le plus cruel reflet de notre vérité. Dans le monde en technicolor de Kourtney Roy tout n’est pas rose bonbon. Tristesse et solitude s’abattent sur ses personnages fantasques perdus dans une réalité moins lisse et plastique qu’en apparence. L’utopie se brise, un voile d’ennui passe dans leur regard, qu’ils soient sur une gondole vénitienne ou livrés à eux même dans une Nouvelle-Orléans désertée. Entre film noir et roman de Bukowski, I Drink — New Orleans se fait le reflet de nos heures sombres.
L’autofiction, construction intime et sociétale
En plongeant dans les archives de Kourtney Roy, on perçoit l’évolution de son écriture photographique. De 2005 à aujourd’hui, ses couleurs franches et vives se sont affirmées. D’abord seule face à la caméra, Kourtney Roy convoque désormais des accessoires de plus en plus fantasques et invite d’autres modèles à jouer les seconds rôles.
Le décor, originellement plus intime, évoquant un studio photo dans ses premières séries d’autoportraits, s’est lui aussi étendu. Ayant passé une grande partie de son enfance dans les vastes espaces entre l’Ontario et la Colombie Britannique aux côtés d’un père cow-boy, cette envie d’élargir ses horizons semble assouvie. Il ne s’agit pas uniquement d’une quête personnelle. Inclure l’architecture des villes américaines nouvelles dans ses images est également pour Kourtney Roy une manière de traiter ces structures récentes comme des décors de cinéma. Ces éléments étant eux aussi voués à être utilisés puis détruits, une autre vision de l’American Dream à mille lieues de notre conception européenne du patrimoine.
Ce qui ne se voit pas sur l’image c’est aussi la réaction des passants devant les attitudes de la photographe grimée. On les imagine facilement bouche bée devant une Kourtney Roy occupée à ramasser des billets de loterie au sol (carte blanche réalisée pour le PMU) ou à laisser fondre une glace sur ses ongles vernis, griffes acérées d’une croqueuse de diamants d’un jour…
Lauréate de nombreux prix photographiques, Kourtney Roy a, à 40 ans, déjà signé plusieurs monographies dont l’évocateur Ils Pensent Déjà Que Je Suis Folle (2014). Parfaitement saine d’esprit, la photographe perçoit probablement ce qui nous échappe, pose avec justesse le doigt sur le déclencheur pour saisir gênes et non-dits.
Si familière, notre propre image peut tout à coup nous devenir à la fois étrange et étrangère. C’est tout le message de la série Hope réalisée en 2014 pour le prix Élysée. En se photographiant elle-même dans des décors urbains et suburbains familiers, l’artiste en détourne la perception, les déforme. L’artificialité de la mise en scène rend ces lieux différents, dérangeants, voire inquiétants.
Quand l’actualité dépasse la fiction
Si l’esprit de Kourtney Roy fourmille à n’en pas douter d’idées de personnages invraisemblables et de scénarios délurés, la réalité semble parfois rattraper la fiction. Loin d’arrêter la photographe, pandémie comme faits divers ont le pouvoir de décupler son imagination.
Confinée en Normandie durant la pandémie, Kourtney Roy en a profité pour mettre au point un guide du survivalisme avec la verve créative qui la caractérise. Habituée des décors hauts en couleur, comme les rivages de Cancún (théâtre de The Tourist), la photographe compose à merveille en jouant à domicile. Survivalist Failures témoigne de cette période presque irréelle avec gravité et ridicule. Masquée mais maquillée, voilà notre modèle-photographe se mettant en chasse pour capturer une poule dans une absurde tentative de retour à l’état sauvage.
Exposée à Vichy à l’occasion de la dixième édition du festival Portrait(s) du 24 juin au 4 septembre [2022], Kourtney Roy y présentera sa dernière série, The Other End of the Rainbow, traitant de la disparition de femmes et jeunes filles au Canada. Pour planter le décor de cette narration dramatique l’ayant occupée durant deux années, Kourtney Roy a choisi la route des larmes (Highway of Tears) ; une portion de route de plusieurs centaines de kilomètres en Colombie-Britannique et scène de mystérieuses disparitions et assassinats touchant majoritairement les femmes autochtones.
Bizarre, fantasque, fantaisiste… finalement, en se plaçant au centre de son viseur Kourtney Roy tire en plein dans le mille et épingle nos travers en plein cœur.
Justine Grosset
[CENTREPOMPIDOU.FR, 2 février 2021] Storyboards, recherches pour développer vos personnages ou encore repérages de lieux, votre long processus de travail, à la manière d’un cinéaste, relève-t-il de l’écologie des images, thème de cette 16e édition du festival Hors Pistes ?
Kourtney Roy — Je le pense. En tous les cas, privilégier la créativité à la quantité, oui. Sans ce chemin que l’on prend le temps de parcourir entre une idée et son résultat, souvent à des lieues, pas d’inventivité. C’est lorsque vous creusez, lorsque vous vous interrogez – pourquoi ai-je envie de parler de ça ? –, lorsque vous croisez de nouvelles inspirations et de nouvelles références que les personnages apparaissent, commencent à développer leurs propres activités et à prendre vie. C’est comme de la sculpture. Parfois, alors que le set technique est installé, tout ce qu’on avait imaginé laisse place à l’improvisation et le mystère de l’image se crée en direct.
Comme dans votre série Survival Failures, réalisée en Normandie lors du confinement de mars 2020 ?
KR — Oui. Moi qui utilise la plupart du temps des structures architecturales et des objets préexistants dans mon travail, je me suis lancée dans un exercice plus rude encore. Comment réaliser des images avec ce qu’on a sous la main ? Dans mon cas : deux poulets, un chat, un jardin, des bottes, des gants de jardinage, un masque et tout un bric à brac d’outils ! Cela m’a ouverte un peu plus encore à l’idée que rationaliser les moyens de pré-production n’est pas incompatible avec la réalisation d’images cohabitant parfaitement avec mes thèmes et modes de travail. Je n’ai pas besoin d’aller à Cancun pour bien travailler, la géographie locale offre bien souvent de quoi faire.
Ces voyages lointains sont monnaie courante dans l’univers de la mode où vous évoluez également…
KR — Ils le sont moins aujourd’hui, budget oblige ! Aussi parce que les mentalités changent doucement. De nombreuses productions sont désormais éco-responsables. Les couverts sont en bambou et un verre nominatif par jour remplace par exemple des dizaines de bouteilles d’eau. Ce sont des détails, mais ils sont importants.
Votre façon de caster est quant à elle définitivement raisonnée, puisque vous êtes le plus souvent le sujet de vos travaux… Pourquoi cela ?
KR — Tout a commencé au Canada, à l’université, où nous parlions beaucoup de la représentation, de l’appropriation et de l’exploitation de l’image des autres. Y a-t-il un rapport problématique, une lutte de pouvoir, entre le photographe et son sujet, entre celui qui transforme en objet et celui qui est transformé ? Comme je n’étais pas sûre, à l’époque, de ce que j’avais envie de dire sur le monde, je ne voulais offenser ou utiliser personne. J’ai donc commencé à me photographier moi-même. Et je continue à le faire encore aujourd’hui. Cela est devenu un plaisir. Je donne vie à mon monde imaginaire, je crée des univers et vis dedans. C’est peut-être une thérapie, je ne sais pas. En tous les cas, cela me permet d’exprimer différentes facettes de ma personnalité, nous avons tous des personnalités et des sensibilités différentes en nous.
L’univers d’un autre artiste vous donne t-il également envie d’y séjourner ?
KR — Oui, j’adorerais vivre chez Charles Bukowski ! J’aime l’ambiance de ses bars louches, du trash et les histoires au sujet de ces gens, souvent issus de la classe ouvrière, prêts à sombrer. Je lui ressemble un peu, j’ai un vieil homme vaguement dégoûtant qui vit en moi ! Ma série I drink – New Orleans représente une femme qui boit et pourrait être assez proche de l’esprit de son travail. Parmi les autres artistes que j’apprécie, il y a David Lynch, bien sûr, mais aussi Jean-Pierre Melville ou la réalisatrice Debra Granik. Je lis Cormac McCarthy et Carson McCullers, et l’un de mes films préférés est Donnie Darko. J’aime aussi les films noirs américains comme Assurance sur la vie de Billy Wilder ou Règlement de comptes de Fritz Lang. Tout y est exagéré et, justement, tout noir ou tout blanc. Il y a le mauvais, le gentil et les femmes y sont soit de bonnes épouses, soit des pècheresses ! Il n’y a pas de place pour la nuance. C’est assez offensant et cliché, cela me fait rire.
Plus on s’approche de mes images, moins elles paraissent familières. Elles sont un peu étranges, voire bizarres.
Kourtney Roy
Ne retrouve-t-on pas ces films noirs au travers de vos couleurs éclatantes ?
KR — Oui, il y a toujours un peu de noirceur derrière les couleurs très lumineuses. La couleur et la chaleur m’aident aussi à rendre mes images atemporelles. Choix esthétiques, vêtements, lieux, certains pensent que nous sommes dans les années 1950, d’autres dans les années 1970, mais je laisse planer volontairement le doute. Plus on s’approche de mes images, moins elles paraissent familières. Elles sont un peu étranges, voire bizarres. Elles ressemblent à l’album photo ou à une VHS de grands-parents américains, mais il n’en est rien.
Et vous, comment votre enfance canadienne a-t-elle pu influencer votre art ?
KR — Mes parents se sont séparés quand j’étais très jeune, j’ai grandi la moitié du temps avec ma mère en ville et l’autre avec mon père, cowboy. Nous vivions dans des cabanes rudimentaires, parfois sans électricité, avec rien d’autre, à l’extérieur, que les arbres, la nature et les animaux sauvages. On entendait sans cesse les chouettes. C’était beau et paisible, mais aussi mystérieux et funeste. Un peu comme dans Twin Peaks. Ça a façonné mon imagination. De l’autre côté, celui du “Nouveau monde”, j’ai toujours été fascinée par l’architecture usuelle, les autoroutes, stations d’essence, motels et autres parkings. Ce n’est pas comme en Europe, où chaque bâtiment, même utilitaire, inclut des siècles d’histoire. En Amérique du Nord, tout est pragmatique, fait pour être monté et démonté, puis reconstruit, du jour au lendemain. Souvent décors ou sujets de mes photos, le destin de ces structures vouées à l’oubli sonne pour moi comme une poésie.
Cette église est construite dans le style de Novgorod, qui date du 14e siècle. Quand les premiers émigrés russes sont arrivés à Liège, la Ville leur a cédé un bâtiment rue Mère-Dieu. En 1944, un V1 est tombé sur cette église un dimanche. Or, par chance (ou par miracle ?), le prêtre était malade et avait pu prévenir ses paroissiens qu’il ne pourrait célébrer l’office. Tout a été détruit, seul l’iconostase a été sauvé. En 1948 a démarré le projet de construire une nouvelle église. Evidemment, les fidèles n’étaient pas fortunés, aussi l’évêché catholique a-t-il donné de l’argent ; une somme importante fut également offerte par la Reine Elisabeth. Un concert a été organisé puis on a collecté, auprès des immigrés, la valeur d’une brique de l’édifice. Ce dernier a été consacré en 1953.
Le toit est surmonté de cinq coupoles dont le zinc fut offert par l’usine Cuivre & Zinc. Traditionnellement, les fenêtres sont petites et sans vitraux, pour se préserver du froid. L’iconostase est une cloison qui sépare la nef, où se trouvent les fidèles, de l’autel auquel seuls les prêtres ont accès. Sur cette sorte de mur est représentée l’histoire du christianisme. Au centre se trouvent les portes royales sur lesquelles on voit l’Annonciation avec l’ange Gabriel. À droite, figure la représentation du Christ et, à gauche, la Vierge, la Mère de Dieu avec le Christ enfant. Les portes latérales sont appelées les portes des diacres et y sont dessinés soit les archanges, soit les deux premiers martyrs saint Étienne et saint Valentin. L’église est consacrée à saint Alexandre Nevski et à saint Séraphin, qui sont représentés à l’extrême droite de l’iconostase. Le rang supérieur évoque la vie du Christ. Sur le côté, on trouve saint Nicolas et saint Vladimir. Une icône de sainte Barbe évoque le dur travail qu’ont effectué de nombreux immigrés russes. Saint Georges est le patron des nouveaux arrivants venus de Géorgie. Toutes ces décorations constituent un enseignement de la religion à l’intention des fidèles. Pendant onze siècles, cet enseignement était commun à celui de l’église catholique et la liturgie reste très proche. La langue utilisée dans les offices est le slavon.
La première vague d’immigration russe a eu lieu après la Première Guerre mondiale, suite à la révolution d’octobre 1917. Plus d’un million et demi de personnes on dû quitter l’empire à ce moment-là. Des liens existaient déjà entre Russes et Belges car, depuis 1880, des entreprises belges étaient présentes en Russie dans les mines de charbon ou de minerais. Ils étaient aussi présents grâce à la construction des réseaux de tramways et du Transsibérien, long de plus de 10 000 km. Nos entreprises participaient au développement industriel du pays tandis que de nombreux Russes venaient chez nous, attirés par les industries et l’université. Un grand nombre de ces immigrés provenaient de l’armée blanche qui avait combattu les bolcheviks. Ces Russes avaient quitté la Crimée pour Constantinople, d’où ils cherchaient à gagner l’Europe occidentale. Le cardinal Mercier a fondé, en 1921, l’Aide belge aux Russes pour leur permettre , par l’octroi de bourses, de reprendre des études universitaires. Cent cinquante enfants furent accueillis à Liège, puis à Bruxelles où un pensionnat éduquera plusieurs centaines de jeunes. Les immigrés ont voulu construire des églises et notamment à Uccle, avenue de Fré. Cette communauté était constituée principalement d’anciens militaires et de leurs familles. Ils étaient conservateurs, monarchistes, respectueux de l’ordre des choses. Par contre, les jeunes s’expatriaient facilement, notamment au Congo et en Amérique du Sud.
Après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle vague d’immigrés est venue remplacer la première, déjà clairsemée. C’étaient des personnes déplacées, des prisonniers russes envoyés par Hitler pour travailler en Allemagne. En 1945, ils n’osaient pas rentrer chez eux de peur de se retrouver dans un goulag. Ils se sont tournés vers l’Occident qui avait besoin de travailleurs pour les mines de charbon. C’est ainsi qu’ils sont nombreux dans le bassin liégeois où ils se mêlent rapidement à la population ouvrière. Ils cherchaient surtout à survivre et n’avaient aucun rêve politique. Le besoin de retrouver leurs racines les amena à l’église. Leurs enfants se sont bien intégrés. Après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du régime soviétique, un jumelage a été réalisé entre deux paroisses : Saint-Barthélémy de Liège et une petite communauté au nord de Saint-Pétersbourg. L’aide permit la construction d’une église et l’offre d’une iconostase de 44 icônes réalisées à Liège, dans l’atelier de Madame Gottschalk.
La troisième vague est arrivée récemment, à Liège. Ce sont qui ont fui la dislocation de l’URSS, surtout des Russes provenant des républiques d’Asie centrale, chassés par les autochtones musulmans de ces républiques devenues autonomes.
Voilà un survol de cette communauté que les Liégeois ont accueillie depuis trois-quarts de siècle, avec cette chaleur humaine qui les caractérise !
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Maya DOURASSOF, organisée en octobre 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
Dès le début de sa carrière, Jacques CHARLIER s’inscrit dans les grands mouvements des années 1960, dont le Pop Art. Avec Marcel Broodthaers, il fréquente les galeries belges les plus en vue, imprégnées d’art minimal et conceptuel. Dès 1975, Charlier continue sa carrière seul. Il interroge et remet en question avec humour le système de l’art. Il s’approprie tous les médias : la peinture, la photographie, l’écriture, la BD, la chanson, l’installation. Il se met en scène en personnage flamboyant et joue avec les codes de la publicité et des médias. (d’après MAC-S.BE)
L’affiche disponible à l’Artothèque est tirée de cette photo intitulée Peinture de guerre, réalisée en 1989 par Philippe Dagobert.
Avant de bénéficier d’une reconnaissance pour son œuvre peinte, Patrick HANOCQ (1961-2024) a acquis une première notoriété grâce à ses activités de danseur et d’acteur au sein des ateliers du Cejiel et du Créahm. Ses toutes premières réalisations sont figuratives. Très rapidement, toutefois, il se construit un vocabulaire abstrait et une méthode de travail caractéristiques : un procédé de quadrillage qui consiste à apposer des signes aux feutres ou aux pastels sur des fonds colorés à l’acrylique. (d’après ARTWIGO.COM)
Cette composition très colorée est composée de masses colorées architecturées par un réseau de traits clairs. Est-ce un plan de ville imaginaire, de plan concentrique, dont les faubourgs envahiraient joyeusement et anarchiquement l’espace ? Ce dessin fait partie d’une suite d’images présentant toutes les mêmes caractéristiques, que l’artiste a répétées de très nombreuses fois.
Jean-Pierre RANSONNET, né à Lierneux en 1944, est un artiste belge. Il vit et travaille à Tilff, en Belgique. Formé à l’École supérieure des Arts Saint-Luc de Liège (1962-1968), Jean-Pierre Ransonnet séjourne en Italie en 1970 grâce à une bourse de la fondation Lambert Darchis. Il enseigne le dessin à l’Académie des Beaux-Arts de Liège de 1986 à 2009.
Cette série de gravures sur bois de Jean-Pierre Ransonnet est une variation sur des formes plastiques abstraites, ou évoquant des sapins. L’artiste use de l’expressivité du bois gravé, laissant transparaître les veines du bois, matière même de son discours.
[LETEMPS.CH, 1er juillet 2024] Ismaïl Kadaré, 88 ans, est décédé lundi matin [1er juillet], ont annoncé son éditeur et l’hôpital de Tirana à l’AFP. L’écrivain est décédé d’une crise cardiaque, a précisé l’hôpital. Il y est arrivé “sans signe de vie”, les médecins lui ont fait un massage cardiaque, mais il “est mort vers 8h40”.
L’auteur albanais a bâti une œuvre monumentale en usant des lettres comme d’un outil de liberté sous la tyrannie communiste d’Enver Hoxha, une des pires dictatures du XXe siècle. Ethnographe sarcastique, romancier alternant grotesque et épique, Ismaïl Kadaré, a exploré les mythes et l’histoire de son pays, pour disséquer les mécanismes d’un mal universel, le totalitarisme. “L’enfer communiste, comme tout autre enfer, est étouffant”, avait dit à l’AFP l’écrivain dans une de ses dernières interviews, en octobre. Juste avant d’être élevé au rang de grand officier de la Légion d’honneur par le président français Emmanuel Macron. “Mais dans la littérature, cela se transforme en une force de vie, une force qui t’aide à survivre, à vaincre tête haute la dictature”.
L’Europe perdue “deux fois”
La littérature “m’a donné tout ce que j’ai aujourd’hui, elle a été le sens de ma vie, elle m’a donné le courage de résister, le bonheur, l’espoir de tout surmonter”, avait-il expliqué, déjà affaibli, depuis sa maison de Tirana, la capitale albanaise.
Quelle meilleure métaphore de la terreur hideuse de l’opprimé que ces têtes des vizirs en disgrâce exposées au public dans La niche de la honte (1978), une évocation de l’occupation ottomane qui revient dans plusieurs ouvrages, comme Les tambours de la pluie (1970). “J’appartiens à l’un des peuples des Balkans, le peuple albanais, qui ont perdu l’Europe deux fois : au XVe siècle, durant l’occupation ottomane, puis au XXe siècle, durant la période communiste”, expliquait l’écrivain en janvier 2015, après les attentats de Paris, au journal français Le Monde.
Son œuvre, riche d’une cinquantaine d’ouvrages – romans, essais, nouvelles, poèmes, théâtre – traduits dans 40 langues, a été en partie écrite sous Hoxha, qui, jusqu’à sa mort en 1985, a dirigé d’une main de fer son pays hermétiquement clos. Pour Ismaïl Kadaré, le joug ne pouvait être une excuse : l’écrivain a pour devoir de s’octroyer une liberté totale, d’“être au service de la liberté”. “La vérité n’est pas dans les actes mais dans mes livres qui sont un vrai testament littéraire”, disait-il à l’AFP en 2019.
Ville de pierres
Né à Gjirokastër (comme Hoxha), sa “ville de pierres” (1970) du sud de l’Albanie, il publie son premier roman en 1963, Le Général de l’armée morte : un officier italien va en Albanie exhumer ses compatriotes tués pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ismaïl Kadaré écrit depuis l’enfance qui l’a vu découvrir dans une bibliothèque familiale le Macbeth de Shakespeare, un de ses héros avec Eschyle, Cervantès, Dante ou Gogol.
Au début des années 1960, il étudie à l’Institut Maxime Gorki à Moscou, une pépinière du réalisme soviétique, un genre littéraire qu’il prend en horreur tant “il n’y avait pas de mystère, pas de fantômes, rien.” Il raconte cet apprentissage dans Le Crépuscule des dieux de la steppe (1978). La décision d’Hoxha de couper les ponts avec l’URSS de Nikita Khrouchtchev ramène Ismaïl Kadaré en Albanie.
De cette rupture naît Le grand hiver (1973), dans lequel apparaît Hoxha. Le livre est plutôt favorable à Tirana, mais les plus fervents adorateurs du tyran le jugent insuffisamment laudateur et réclament la tête de l’écrivain “bourgeois”. Hoxha, qui se pique d’être un amateur de littérature, vole à son secours. Dans ses mémoires, sa veuve, Nexhmije Hoxha, raconte comment son époux, souvent exaspéré, sauve plusieurs fois Ismaïl Kadaré, brièvement député au début des années 1970.
Protégé par sa renommée quand d’autres sont condamnés aux travaux forcés, voire exécutés, il a été critiqué pour ce statut de “dissident officiel”. Ismaïl Kadaré a lui toujours nié toute relation particulière avec la dictature. “Contre qui Enver Hoxha me protégeait-il ? Contre Enver Hoxha”, expliquait-il à l’AFP en 2016.
La littérature est mon plus grand amour
Ismaïl Kadaré se considérait comme un écrivain qui “essayait de faire une littérature normale dans un pays anormal”. Le poème des Pachas rouges (1975) le contraint à l’autocritique publique et les archives de l’ère Hoxha montrent qu’il a souvent frôlé l’arrestation. Sous l’épée de Damoclès de l’appareil policier, soumis à une surveillance aussi étouffante que constante, il s’exile en 1990, ce qu’il raconte dans son Printemps albanais (1997).
Jusqu’à la fin, Ismaïl Kadaré écrivait “tout le temps”. “Je note des idées, j’écris des petits récits, j’ai des projets”, racontait-il encore en octobre d’une voix fatiguée à l’AFP. “Car la littérature est mon plus grand amour, le seul, le plus grand incomparable avec toute autre chose dans ma vie”. Et comme elle, “l’écrivain n’a pas d’âge”.
Si l’Albanie fut son décor exclusif, sa condamnation de la tyrannie était elle, universelle – comme il l’expliquait de La discorde (2013) : “Si l’on se mettait à rechercher une ressemblance entre les peuples, on la trouverait avant tout dans leurs erreurs.”
[ICI.RADIO-CANADA.CA, 2 juillet 2024] L’Albanie portera mardi et mercredi [2 et 3 juillet] le deuil d’Ismaïl Kadaré, géant de la littérature décédé lundi, qui avait fait de sa plume une arme contre les dictatures. Une “voix monumentale” qui s’éteint, mais qui laisse derrière elle une œuvre puissante et libre.
Les 2 et 3 juillet, tous les drapeaux du pays seront en berne, a annoncé le premier ministre Edi Rama. Mercredi matin marquera le temps de l’hommage national au héros des lettres albanaises, avec des cérémonies à l’opéra, tandis que radio et télévision publiques joueront des marches funèbres.
“Ismaïl Kadaré est désormais sur le piédestal de l’éternité, et aucun mot ne me vient“, avait salué plus tôt dans la journée M. Rama, en hommage au plus grand monument de la culture albanaise.
Je le remercie pour le plaisir extraordinaire qu’il nous a offert de voyager dans un monde d’événements, de personnages, d’émotions, qu’il a fait vivre avec l’aisance d’un magicien.
Edi Rama, premier ministre albanais
“…Et pour l’amertume qu’il a provoquée chez les médiocres et les jaloux avec son succès retentissant”, avait ajouté le premier ministre, reprenant le message publié pour l’anniversaire de celui qui s’est éteint sans avoir reçu le Nobel de littérature, pour lequel il avait pourtant si souvent été envisagé.
Publié dans des dizaines de langues, Ismaïl Kadaré a cependant connu le succès dès les années 1970, et placé l’Albanie sur la carte littéraire mondiale. “C’est l’auteur qui a redimensionné la littérature et toute la société albanaise, grâce à ses œuvres publiées au milieu des ténèbres, et aussi après. Il a beau avoir quitté ce monde, sa mission ne s’arrête pas“, explique Persida Asllani, responsable du département de littérature à l’Université de Tirana.
Lueur de la créativité
Réagissant à son décès, le premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, a salué un auteur qui, depuis les ténèbres de la dictature, a su être la lueur de la créativité, de la liberté, du génie. Il a été obligé, comme beaucoup de ses compatriotes, de vivre sous le joug de contraintes politiques et artistiques. Et pourtant, il a su trouver le moyen d’illuminer, de questionner et de rire. La présidente kosovare, Vjosa Osmani, a pleuré la perte d’une voix monumentale, un trésor qui n’existe qu’une fois par génération.
“Monument de la littérature mondiale, mon ami Ismaïl Kadaré nous a quittés. Ses œuvres étaient des hymnes solaires à la liberté et des manifestes implacables contre toutes les formes de totalitarisme”, a salué sur X Jack Lang, ancien ministre de la Culture de la France, où l’écrivain a longtemps vécu.
Ismail Kadaré est considéré depuis quelques années comme l’un des plus grands écrivains de notre temps. C’est un honneur d’avoir eu le privilège de publier son œuvre. Les échos douloureux de ses mots résonnent encore aujourd’hui.
Communiqué des éditions Fayard
Cette œuvre, riche d’une cinquantaine d’ouvrages – romans, essais, nouvelles, poèmes, théâtre – traduits dans 40 langues, a été en partie écrite sous la dictature d’Enver Hoxha, qui, jusqu’à sa mort en 1985, a dirigé sans pitié un pays hermétiquement clos. Les mots de Kadaré avaient, eux, réussi à passer les frontières.
Il a fait vivre l’histoire
“Avec son style brillant, il a fait vivre l’histoire, il a pu dire la vérité sur ce qui s’est passé durant le communisme – mais pas seulement. Et pas seulement en Albanie, car il était aussi un fin connaisseur de la région et des Balkans, dit dans les rues de la capitale albanaise, Tirana” (Katerina Hysenllari, une étudiante de 24 ans).
“Ce qui est écrit sur le Panthéon à Paris, ‘Aux grands hommes, la patrie reconnaissante’, vaut également pour Kadaré“, abonde Shezai Rrokaj, professeur de langue à l’Université de Tirana. “Ce grand génie nous a appris à connaître notre littérature et à apprécier l’art d’écrire.”
Engagement pour la liberté
Figure de ce petit pays de 2,5 millions d’habitants connu pour ses eaux cristallines, ses sites antiques et la réputation sulfureuse de certains de ses cartels, Ismaïl Kadaré était devenu en 2005 le premier vainqueur de l’International Booker Prize pour l’ensemble de son œuvre, a rappelé l’organisation sur X. Sa mort est une perte pour la littérature albanaise et pour la littérature mondiale. “Mais les écrivains sont soumis à d’autres lois : un écrivain ne nous quitte que physiquement, son œuvre reste pour des siècles”, assure Zylyftar Bregu, 41 ans, passionné de littérature.
L’homme politique français Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), lié à l’Albanie par sa mère, a salué un homme de lettres passionné. “Il nous laisse l’héritage de ses ouvrages puissants”, a écrit sur X M. Muselier. “Sa plume aura été inlassablement alimentée par son engagement pour la liberté : ses mots résonnent ce matin.”
[I-AC.EU] Diplômé des Écoles des Beaux-Arts de Lyon et de Montpellier, Melik OHANIAN représente la France lors de la 26e Biennale de São Paulo en 2004, aux Biennales de Moscou et de Lyon en 2005, aux Biennales de Gwangju et de Séville en 2006, et à la 52e Biennale de Venise en 2007. Il expose à travers le monde, et notamment à la Galerie Chantal Crousel et au Palais de Tokyo à Paris, à la South London Gallery à Londres, De Appel à Amsterdam, à l’Institut d’art contemporain à Villeurbanne, chez Yvon Lambert à New York, au Museum in Progress à Vienne ou encore pour Matucana 100 à Santiago du Chili. En 2015, Melik Ohanian est lauréat du Prix Marcel Duchamp et présente l’exposition Under Shadows au Centre Pompidou. Il participe à la 14e Biennale de Lyon, “Mondes flottants”, en 2017. En 2019, il est lauréat du Prix Visarte 2019 pour son œuvre Les Réverbères de la Mémoire (2010-2018) présentée dans le parc Trembley à Genève, Suisse. Depuis septembre 2021, Melik Ohanian est le huitième invité du programme de résidence d’artistes de la Collection Pinault à Lens.
Melik Ohanian a un background de documentariste et un père photographe, Rajak Ohanian, qui l’initie très jeune à la chambre noire. Melik Ohanian répète régulièrement que “[son] médium, c’est l’image”, un médium qu’il passe son temps à triturer. Arrêtée ou en mouvement, elle lui permet d’explorer différents territoires, spatiaux mais aussi temporels, afin d’ouvrir sur des questionnements tels que l’identité, l’ailleurs, la frontière, la mémoire, la disparition ou l’Autre, notions intimement liées. Parmi une œuvre large et parfaitement cohérente, on peut noter The Hand (2002) qui synthétisait déjà ces différents “espaces” dans un assemblage de neuf moniteurs posés au sol, à envisager comme une sculpture dans l’espace, et où l’on pouvait observer neuf paires de mains de travailleurs arméniens filmées en gros plan, abîmées, usées et salies par le travail. Elles viennent se heurter l’une contre l’autre, à tour de rôle, dans une ritournelle sans parole, en écho au désœuvrement dont est victime chacun des neuf prolétaires qui ne possèdent rien d’autre que leur propre force de travail. Dans Welcome To Hanksville, il partait suivre dans le désert de l’Utah la “Mars Society”, association américaine d’amateurs qui a fondé une station de simulation de la vie sur Mars à… Hanksville et qui se réunit ce jour pour observer Mars, en opposition maximale avec la Terre (phénomène inédit depuis 72 000 ans).
Dans la plupart de ses œuvres, Melik Ohanian analyse la représentation et pointe la duplicité, le camouflage ou l’effet de l’image. Cela peut prendre la forme d’images encodées, de formes filmiques qui produisent une déconstruction optique, transposent les formats ou spatialisent le temps. À travers ces dispositifs, deux grandes problématiques intéressent Melik Ohanian : les questions d’identité et de communauté, qui insufflent à son travail une dimension sociopolitique, et l’intérêt pour d’autres espaces, de vastes territoires inhabités ou des lieux difficilement identifiables, qui orientent son travail vers une approche plus cosmologique.
[RADIOFRANCE.FR, 20 avril 2019] Melik Ohanian, un atelier entre New York et Paris, prix Duchamp 2015, grand arpenteur de biennales (celles de Sao Paulo, Moscou, Venise où il a obtenu le Lion d’or)… Il a le goût des espaces parallèles, des temps élastiques, des comptes à rebours, des migrations du cinéma vers les cimaises, et de la collusion des langages, ceux du cinéma et de la science (l’astrophysique), de la philosophie et de la littérature.
Riche d’une grande culture de l’image, ancien monteur-cadreur, Melik Ohanian s’inspire des différentes procédures propres au cinéma et aux techniques de projections contemporaines pour travailler autour du statut de l’image et du concept de temps. Pour la Biennale de Lyon, il présentait un projet mêlant film, chorégraphie et architecture, intitulé “Borderland — I Walked a Far Piece” : quatre écrans disposés en carré au centre duquel circule le spectateur, comme une sorte d’explorateur. Un carré calé sur le périmètre du toit de son appartement new-yorkais, avec quatre caméras et autant de mouvements en travelling, qui filment les bords du toit sur lequel se joue une adaptation du roman Planet de Rudolf Wurlitzer, que Melick Ohanian souhaitait depuis longtemps intégrer à une installation.
Ce qui m’a toujours fasciné dans ce roman que j’ai découvert assez jeune, c’est que ce groupe de personnages étaient composé de vagabonds qui se rassemblaient pour une nuit dans un no man’s land, se nommaient avec des noms de villes, comme une espèce de cartographie humaine. Et puis ce rapport entre l’identité et le territoire m’intéressait, dans cette Amérique-là du début des années 20, avec ces “hobos” qui partaient indifférents comme ça, trouver du travail dans d’autres villes, lâchant tous liens d’origine.
Dans cette pièce, il y a l’idée d’un impossible cadrage.
Ces va-et-vient et rebonds du temps, avec ces rappels au passé, ces projections dans le futur, ou ce rappel au présent, forment la permanence de ce que chacun d’entre nous vit intimement. Parfois dans mon travail, le passé prend le dessus, parfois c’est l’anticipation. Une exposition c’est peut-être ça, trouver une stabilité du temps…
Cette idée de cadrage spatio-temporel impossible irrigue une partie de son œuvre, comme dans la pièce Seven Minutes Before présentée à la Biennale de Sao Paulo en 2004, dans laquelle sept écrans montraient simultanément différents points de vue des minutes précédant l’explosion d’un camping-car dans le Vercors. La bande-son de chacun des sept plan-séquences nous emmenait en Arménie avec un joueur de kamantcha, au Japon avec une joueuse de koto, en Angola auprès d’une enfant jouant au bord de la rivière Kwanza.
Melick Ohanian donne à voir, tout en complexifiant les conditions de perception de la monstration, comme dans sa pièce de 2005 Invisible Film, qui consistait en une projection du film de Peter Watkins, Punishment Park, dans le désert, mais sans écran, sans support pour le rattraper ou le refléter. Les images surgissaient, pour in fine, se dissoudre dans le paysage. Dans cette masterclass, l’artiste nous parle de son processus de création, du point de départ… :
Un perpétuel questionnement. J’ai toujours considéré une œuvre comme un point de réflexion, c’est le lieu d’une expérience tout d’abord. Je considère le spectateur comme un élément très important de cette expérience. Je me pose la question de sa position, de sa possibilité de perception, et donc je le considère aussi comme un dispositif propre de projection, c’est-à-dire que si l’on vient pratiquer une œuvre et que l’on n’y projette rien, on ne recevra rien !
… au point d’achèvement de l’œuvre :
Le moment du vernissage est le moment où l’œuvre qu’on aura fabriquée, protégée, qui aura été le lieu de plein de choses, va changer de monde, va être délivrée, sans parler du moment d’une dépossession, car pour moi ça ne ressemble pas du tout à ça. Au contraire, c’est le point d’une rencontre avec le monde.
[LEQUOTIDIENDELART.COM, 21 juin 2023] Au cœur de la crypte du Mémorial de la Shoah tombe, du puits de lumière circulaire, une pluie de larmes en béton, très exactement 3451. Ce nombre renvoie aux kilomètres qui séparent Paris d’Erevan, soit à ceux qu’ont parcouru les Arméniens qui ont pu échapper au génocide orchestré par l’Empire ottoman en 1915 et 1916, pendant que d’autres empruntaient le chemin de la mort vers le désert syrien.
Au cœur de cette pluie hypnotique, seules sept larmes se détachent car elles sont translucides. Convoquer cette mémoire a un goût amer aujourd’hui, alors que le drame se rejoue dans le Haut-Karabakh, avec un nouvel agresseur, l’Azerbaïdjan. Dans cette exposition, l’artiste réunit d’autres œuvres mémorielles comme les Réverbères de la Mémoire, une commande de la ville de Genève en 2010 dont l’installation a été contestée et qui avait été présentée sous une forme “démantelée” dans le pavillon de la République d’Arménie à Biennale de Venise en 2015 (Lion d’or du meilleur pavillon national) et Pulp off. Pour cette dernière, l’artiste a récupéré en 2014 des exemplaires du livre de Janine Altounian, Mémoires du génocide arménien – Héritage traumatique et travail analytique qui devait partir au pilon. Si l’original est entré au département des Manuscrits de la BnF en 2022, Melik Ohanian lui donne ici une seconde vie […]. [Sur le montage de l’œuvre, cliquez ici]
CHARLIER Jacques, Groupe Total’s / Drapeau transparent / Bruxelles / 24 avril 1967
(impression offset sur plexiglas, 40 x 30 cm, s.d.)
Dès le début de sa carrière, Jacques CHARLIER s’inscrit dans les grands mouvements des années 1960, dont le Pop Art. Avec Marcel Broodthaers, il fréquente les galeries belges les plus en vue, imprégnées d’art minimal et conceptuel. Dès 1975, Charlier continue sa carrière seul. Il interroge et remet en question avec humour le système de l’art. Il s’approprie tous les médias : la peinture, la photographie, l’écriture, la BD, la chanson, l’installation. Il se met en scène en personnage flamboyant et joue avec les codes de la publicité et des médias. (d’après MAC-S.BE)
Jacques Charlier lance en 1966 une petite revue polycopiée, ainsi qu’un groupe organisant des happenings : Total’s. “[Total’s] n’est ni doctrine, ni philosophie, ni politique, ni anarchiste, ni beatnik, ni provo, ni tout ce beau vocabulaire journalistique déformé pour la consommation engendrant un racisme artificiel entre générations et groupes sociaux. Total est le spectacle de la vie et de notre propre vie.” L’un des happenings les plus marquants est celui durant lequel Total’s, un jour de manifestation contre le nucléaire en 1967, défila dans les rues de Bruxelles en distribuant des tracts transparents et en brandissant un drapeau qui l’est tout autant. (d’après JACQUESCHARLIER.BE)
[LESPRESSESDUREEL.COM] Dans ses travaux, Kapwani Kiwanga (née en 1978 à Hamilton, Ontario, vit et travaille à Paris) met à profit sa formation dans le champ des sciences sociales afin d’élaborer des projets de recherches singuliers dans lesquels elle incarne le rôle d’un chercheur. Sa méthode consiste à créer des systèmes et des protocoles qui agissent comme des filtres au travers desquels elle observe les cultures et leurs capacité de mutation. Ses projets donnent lieu à des installations, des vidéos, des œuvres sonores ou des performances. De manière générale, sa pratique interroge des notions telles que l’afrofuturisme, les luttes anticoloniales et leur mémoire, ainsi que les cultures populaires et vernaculaires.
Kapwani Kiwanga a fait des études d’anthropologie et de religions comparées à l’université McGill (Montréal, Canada). Elle a suivi le programme La Seine à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, puis celui du Fresnoy (Studio national d’art contemporain) à Tourcoing. Elle fut artiste en résidence à la MU Foundation à Eindhoven (Pays-Bas) et à la Box, à Bourges. Kapawni Kiwanga a été nommée Commissioned Artist par The Armory Show, où elle a présenté en parallèle une exposition monographique en 2016. Deux fois nominés aux BAFTA, ses films ont reçu plusieurs récompenses lors de festivals internationaux. Elle est lauréate du prix Marcel Duchamp 2020.
Les œuvres de Kapwani Kiwanga ont déjà été présentées au Centre Pompidou et au Jeu de Paume à Paris, au Glasgow Center of Contemporary Art, au Museum of Modern Art de Dublin, à la Biennale internationale d’art contemporain d’Almeria, à Salt Beyoglu à Istanbul, à la South London Gallery, au Kassel Documentary Film Festival, au Kaleidoscope Arena Rome ou encore à Paris Photo. Kapwani Kiwanga a été sélectionnée pour représenter le Canada à la Biennale de Venise 2024.
[CENTREPOMPIDOU.FR, 13 novembre 2020] Anthropologue de formation avant d’aborder les arts visuels, Kapwani Kiwanga, 42 ans, utilise des méthodes issues de champs disciplinaires variés. Elle inscrit sa démarche dans une pluralité d’histoires pour mieux déconstruire les récits qui sous-tendent la géopolitique contemporaine et les asymétries de pouvoirs. Le projet Flowers for Africa a été initié en 2013 et se poursuit aujourd’hui. En effectuant des recherches iconographiques, l’artiste canadienne s’est concentrée sur la présence des fleurs lors d’événements diplomatiques liés à l’indépendance de pays africains. Disposées sur les tables des négociations, sur les estrades lors d’allocutions, ces compositions florales deviennent des témoignages ambigus de ces moments historiques. Chaque œuvre de la série prend la forme d’un protocole selon lequel l’artiste demande à son détenteur de recréer, pour pouvoir l’exposer, la composition florale de l’image d’archive de référence aussi précisément que possible, tout en intégrant une part inévitable d’interprétation. Vouées à faner tout au long de leur présentation, ces fleurs invitent à une réflexion sur le temps, au-delà de l’idée du monument et de la commémoration, pour s’inscrire dans la tradition des vanités.
Parlez-nous du travail que vous avez présenté pour le prix Marcel Duchamp
Kapwani Kiwanga – C’est un travail qui a commencé en 2013. J’étais au Sénégal en résidence et je cherchais dans leurs archives. Je me suis intéressée à la question des indépendances africaines. Il m’a semblé que la meilleure façon d’aborder cette idée était à travers les arrangements floraux, présents dans les images fixes et les images en mouvement. La plupart des images que je regardais au Sénégal étaient des images fixes. J’ai commencé à me demander comment je pouvais recréer, repenser, réagir à ces moments à travers ce point d’entrée, en tant que témoin de ces événements.
L’idée était d’éviter de faire une déclaration permanente ou une sculpture comme une sorte de monument à un moment passé comme si on essayait de s’y accrocher. Il s’agissait plutôt de le reconnaître et de le laisser s’évanouir dans l’histoire – c’est là qu’est née l’idée des fleurs coupées.
Kapwani Kiwanga
Pour être en accord avec la réalité du passé – que l’on peut revisiter mais qui a disparu – l’idée était d’éviter de faire une déclaration permanente ou une sculpture comme une sorte de monument à un moment passé comme si on essayait de s’y accrocher. Il s’agissait plutôt de le reconnaître et de le laisser s’évanouir dans l’histoire – c’est là qu’est née l’idée des fleurs coupées, pour leur permettre de suivre leur cours et de se dessécher et se flétrir, ce qui est important. Il semble que ce sera le travail de ma carrière, ou plutôt de ma pratique…
Vous avez étudié la littérature, l’anthropologie et la religion comparée à l’université McGill, quelle influence cela a-t-il dans votre travail ?
KK – J’étais inscrite à l’origine en littérature, mais les références ne me parlaient pas. Je cherchais plus de diversité et j’ai trouvé cela en anthropologie. La religion comparée, comme on l’appelait, était pour moi une façon d’étudier la philosophie du point de vue de différents milieux culturels. Cela m’a aussi donné beaucoup de liberté au sein du département des religions – j’ai pu aussi faire beaucoup de projets indépendants. J’ai pu graviter autour de professeurs que je trouvais intéressants et poursuivre des études indépendantes.
Pouvoir sauter d’une discipline à l’autre, d’une idée à l’autre, avec une liberté de curiosité, de ne pas avoir à diviser le monde en disciplines : l’art m’a permis de faire cela.
Kapwani Kiwanga
Ce que j’ai étudié en religion n’a fait que compléter l’anthropologie en termes de visions du monde diverses et variées. Il se trouve que les institutions séparent les sujets et font des divisions taxonomiques, puis à un moment donné, elles décident que ce sera une nouvelle discipline. Mais c’est vraiment la même chose. C’est une exploration. Il y a différentes méthodes. En anthropologie il y avait tant de façons créatives et expérimentales d’écrire l’ethnographie. Elles sont toutes aussi importantes.
Comment êtes-vous devenue artiste ?
KK – C’est une sorte de route – une longue route ! Au cours de ma deuxième année d’université, je me suis dit que je voulais faire du cinéma documentaire. Je suis donc partie en Europe. J’ai plus ou moins appris par moi-même en ayant la chance de recevoir des commandes pour travailler pour la télévision. J’ai fait cela pendant quelques années puis je me suis dit : Pourquoi ne pas essayer l’art contemporain ou visuel – même si je ne savais pas ce que cela signifierait pour moi ? Et c’est là que je suis venue en France et que j’ai suivi deux programmes de troisième cycle différents, où j’ai pu explorer ce que serait la création artistique pour moi. C’est ainsi que tout a commencé.
Je m’intéresse souvent à des structures historiques. Dans le monde dans lequel nous vivons, il y a beaucoup d’asymétries de pouvoir. Je les reconnais, je les vois, nous les observons tous. La question est de savoir comment elles sont apparues…
Kapwani Kiwanga
Je suis désormais à Paris, cette ville que j’aime et que je déteste en même temps… il y a quelque chose d’intéressant dans ce genre de double attraction. Pouvoir sauter d’une discipline à l’autre, d’une idée à l’autre, avec une liberté de curiosité, de ne pas avoir à diviser le monde en disciplines : l’art m’a permis de faire cela.
Comment travaillez-vous ?
KK – Cela change à chaque projet. En ce moment, mon studio est chez moi, je suis donc ici tous les jours. Je n’ai pas de studio au sens très classique du terme, avec un seul matériau que je découpe chaque jour. Je travaille sur tellement de supports différents. Mon studio est plutôt un endroit où l’on assemble des choses, où on les accroche, où l’on voit comment elles fonctionnent ensemble, où l’on fait des recherches. Mais souvent, la production proprement dite se fait en dehors de mon studio et dans les ateliers des autres…
Vous avez déclaré : “Les asymétries de pouvoir sont probablement l’idée qui me pousse le plus dans mon travail”. Expliquez-nous…
KK – Je m’intéresse souvent à des structures historiques. Dans le monde dans lequel nous vivons, il y a beaucoup d’asymétries de pouvoir. Je les reconnais, je les vois, nous les observons tous. La question est de savoir comment elles sont apparues… Dans quel monde sommes-nous ? Où nous trouvons-nous ? Le pouvoir est toujours là. C’est très compliqué de ne pas le voir. Pour moi, du moins. Peut-être que d’autres personnes ne le voient pas. Mais c’est comme ça que je vois le monde. Les rapports de pouvoir sont une structure récurrente et une façon de comprendre nos interactions.
Quelle œuvre d’art vous a le plus marquée ?
KK – On me pose souvent cette question, et je ne sais jamais comment y répondre. C’est très difficile pour moi de dire qu’il y a eu un mouvement, un artiste ou une œuvre qui m’a marquée. Il y a plutôt une masse d’expériences, de lectures et de points de vue. Je commence à les formuler ensemble pour voir les liens. C’est plus un réseau ou des écosystèmes d’idées et de pensées – il n’y en a pas une qui soit centrale.
Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’exposer ici au Centre Pompidou, avec les trois autres artistes nommés ?
KK – Pour moi, c’est vraiment symbolique, parce que j’ai vraiment commencé à faire mon travail d’artiste en France. Faire une exposition au Centre Pompidou, c’est bien sûr toujours agréable. La visibilité est importante, mais pour moi, cela a été une belle année de collégialité, cela ressemblait plus à de la solidarité qu’à de la compétition. J’ai déjà participé à des expositions collectives, pas dans ce contexte particulier. Je veux que mon travail soit vu par les gens, et pas seulement par les gens de l’art. C’est une invitation à parler, à penser, à explorer. J’essaie de créer des espaces ou des œuvres qui invitent à la réflexion. Les gens en tireront ce qu’ils veulent. Je n’ai pas envie d’essayer d’imposer un point de vue à qui que ce soit.
On ne s’attendrait pas à découvrir dans cette trilogie – qui raconte l’éducation de petites aristocrates du XIXe siècle – un remake de ce genre littéraire où il est question de voyage lointain, de terrible naufrage, d’île impossible à situer sur une carte, encore moins d’effrayants sauvages cannibales. En effet, dans les romans séguriens qui composent ce que l’on appelle la saga de Fleurville, la seule sortie du lieu clos et protégé du château n’est-elle pas quasi synonyme de malheurs ?
La robinsonnade est pourtant très en vogue dans la littérature de jeunesse au XIXe siècle. Elle propose de nombreux récits de formation qui font les garçons courageux face aux dangers, garçons qui se doivent de plier le monde à leurs normes. Mais cette narration de péripéties où l’attrait du risque au long cours et de l’ailleurs inconnu se mêle est pour sûr jugée subversive pour les petites Sophie : elle met en péril l’assignation géographique et idéologique dans leur univers ségurien. On ne doit changer ni de pays, ni de classes sociales, ni de rôle genré.
Ainsi, si les uns se doivent de robinsonner et dans la vie et dans les livres d’aventures, les autres – elles – ne sauraient robinsonner sans dommages irréversibles, a minima sans bornage précis.
Comment alors raconter l’impossible robinsonnade des filles tout en faisant la part belle aux garçons ? Le procédé narratif utilisé par le comtesse de Ségur, tout au long des trois romans, est la mise en abyme ou dit autrement, le ‘récit dans le récit’. Tout le travail d’écriture consiste alors à jouer sur les rapports que les histoires imbriquées entretiennent avec le grand texte qui les contient. Nous allons donc suivre l’intrusion prudente du récit d’aventures et sa gestion par la narration.
De l’aventure exclue à l’aventure escamotée et moralisée
Le premier volume de la trilogie, Les Malheurs de Sophie, exclut toute aventure périlleuse et lointaine. C’est une situation trop dangereuse pour des héros et des héroïnes très jeunes qui n’en sont qu’au début de leur parcours éducatif. Seul le dernier chapitre intitulé Le départ où Sophie, Paul et leurs parents s’embarquent sur le voilier La Sybille pour aller en Amérique ouvre la possibilité d’une robinsonnade. Mais il faudra attendre les volumes suivants…
Dans le deuxième volume, Les petites filles modèles, l’aventure est, cette fois, escamotée et moralisée. Réduite à sa plus simple expression, sa mise en abyme tient en un seul mot : naufrage. Sophie a perdu ses parents dans un naufrage. La pauvre Lucie et sa mère sont misérables parce que leur père et mari, marin sur la Sybille sous les ordres du commandant de Rosbourg, a fait naufrage.
Il faudra attendre le troisième volume pour en savoir plus sur ces évènements annoncés… Toujours dans le deuxième volume donc, la mise en abyme de l’aventure se limite à un titre : “… Camille et Madeleine, fatiguées de leurs jeux, prirent chacune un livre ; elles lisaient attentivement : Camille, Le Robinson suisse…”
Dans ce texte très célèbre au XIXe siècle, toutes les péripéties extraordinaires sont subordonnées au respect de l’ordre familial qui s’impose sur l’île sauvage comme dans la société civilisée. Si la morale dominante est sauve, l’aventure, elle, s’y engloutit comme aventure !
Un récit d’aventures au masculin
Il faut donc attendre patiemment le troisième volume de la trilogie, Les Vacances, pour que la robinsonnade se déploie véritablement (60 pages sur 215). Inévitablement, l’intrusion de l’ailleurs inconnu et des aventures masculines vient alors se confronter à la narration des faits quotidiens se déroulant dans le monde fermé de Fleurville.
Mais au lieu de mettre en danger le roman, de perturber l’homogénéité de l’histoire, le récit en abyme en assure la victoire. Car le texte est rusé et l’aventure masculine ne fait son entrée et ne se développe que lorsque la narration, riche des deux ouvrages précédents, est capable de l’affronter c’est-à-dire de la contrôler, de la placer “en liberté surveillée”.
Comment l’autrice s’y prend-elle pour renforcer l’autorité du texte premier et maitriser la contestation que pourraient engendrer les passages imbriqués qui racontent la robinsonnade ?
D’abord, l’ailleurs est ramené à l’ici. Les huttes construites sur l’île provoquent moins d’étonnement que la cabane décrite dans Les petites filles modèles et dans laquelle vit la pauvre Lucie. Le toit percé, l’absence de porte, le tas de mousse en guise de lit sont totalement inattendus. Chez les sauvages, Monsieur de Rosbourg n’a de cesse de reproduire le connu : murs, porte avec charnières. Le mot “hutte” lui-même est progressivement remplacé par le mot “maison” !
Puis, les mœurs des sauvages, elles-mêmes, ne paraissent pas plus extraordinaires que les pratiques alimentaires de Lucie qui mange des glands pour lutter contre la faim.
Mais la dévalorisation de l’ailleurs n’est pas la seule parade du texte. La robinsonnade est réduite à une histoire racontée. Elle n’est pas montrée en train de se réaliser, de se vivre ici et maintenant : “Après diner les enfants demandèrent à Paul de leur raconter ses aventures.“
Enfermé dans le périmètre balisé du salon, devant un auditoire d’adultes et d’enfants, le récit d’aventures confirme, une nouvelle fois, la division genrée du monde social. Les filles sont rarement des robinsonnes au XIXe siècle… Vécue donc et narrée par les hommes qui en sont les agents légitimes et les bénéficiaires (Paul est transformé par cette aventure extrêmement enrichissante pour lui), la robinsonnade est écoutée des femmes. Elles doivent en rester les spectatrices.
Et en effet, contrairement à Paul, Sophie, au début du roman, n’a presque rien à raconter de son naufrage. Pas d’île perdue au milieu de la mer, pas de sauvages mais une horrible belle-mère ramenée d’Amérique. Six pages suffisent pour faire le récit de cette catastrophe dans la petite cabane du jardin et devant les enfants uniquement. Ce n’est qu’une longue plainte entrecoupée de larmes – celles de Sophie, celles de son père, M. de Réan – et de coups de verges, ceux de Madame Fichini !
Domestiquer la robinsonnade
La mise en abyme a l’avantage décisif d’enclore la robinsonnade dans le roman. Ce procédé narratif domestique – à tous les sens du terme – la robinsonnade et son horizon d’ensauvagement. Regardons de plus près encore. L’histoire imbriquée est balisée de façon stricte et précise. C’est ainsi que son ouverture et sa fermeture sont explicitement signalées :
Tout le monde se groupa autour de lui (Paul), et il commença ainsi.
[…] À demain la suite de cet intéressant récit. Allez vous coucher, mes enfants.
L’histoire imbriquée se démarque même visuellement du grand texte par sa disposition typographique [retour à la ligne, blanc narratif, guillemets]. Tout est sous contrôle, au moins dans le dispositif auctorial et éditorial.
La robinsonnade est ainsi totalement maitrisée aussi bien par la fiction que la narration. Elle ne peut être confondue avec l’essentiel, la vie à Fleurville. Il ne reste plus qu’à l’extirper définitivement du roman puisque ni Monsieur de Rosbourg, ni Lecomte ne repartiront en mer. Transformée en aimable causerie, cette robinsonnade de salon n’est plus qu’une parenthèse, définitivement refermée.
Et il devait bien en être ainsi si l’on espérait ne pas éveiller chez les petites filles de la fiction comme chez leurs petites lectrices des désirs d’échappées… d’échapper à leur destin.
Marie-Christine Vinson, Université de Lorraine (FR)
Né en 1979, François GODIN se lance dans l’illustration dès la fin de ses études à Saint-Luc Liège et multiplie les expériences et les rencontres (pochette de disques, dessins pour magazines jeunesses et des éditions Milan, deux livres jeunesse, des affiches…).
Cette image fait partie du premier portfolio édité par Ding Dong Paper (collectif d’éditeurs liégeois constitué de François Godin et Damien Aresta). Une sirène semble se prélasser dans une … poêle à frire. La stylisation très fine, les couleurs vives et le thème cocasse et décalé évoquent les affiches des années 60, dans l’esprit d’un Savignac ou d’un Leupin.
Dans son Histoire des Rosati du XXe siècle, Louis Caudron raconte que, un beau jour de juin 1778 (le 12 exactement), quelques jeunes hommes (l’histoire a retenu les noms de Le Gay, Charamond et Caigniez), tous passionnés de roses, de poésie, de chansons d’amour et de vin, s’étaient réunis comme d’habitude dans le jardin d’une villa de Saint-Laurent Blangy, petit village proche d’Arras en Artois, ceci pour le plaisir de lire leurs poèmes dédiés à la gloire de leur cher maître Anacréon.
Mais ce jour là, l’un d’eux, Louis Le Gay, sortit de ses poches une énorme quantité de roses, les éparpilla sur la table en s’écriant “Amis, qu’un si beau jour renaisse chaque année et qu’on l’appelle La Fête des Roses.” Et tous, un verre de vin à la main d’approuver, de chanter et de se couvrir de couronnes de roses.
Qui est Anacréon ?
Anacréon était un poète grec (~575-495 acn), un des plus grands représentants du lyrisme ionien (région de Corfou, Péloponnèse). Dans ses pièces légères et gracieuses, il chante l’amour joyeux et l’ivresse décente. Auteur de 60 Anacréontiea, dont un extrait de l’Ode V, est ici insérée dans la couronne :
Mêlons à Dionysos la rose d’Éros, et, la tête ceinte de belles feuilles de roses, buvons en riant doucement. La rose est l’honneur et le charme des fleurs ; la rose est le désir et le soin du printemps ; la rose est la volupté des Dieux ! L’enfant de Kythèrè [Cythère, patrie d’Aphrodite] se couronne de corolles de roses, quand il se mêle aux chœurs des Kharites [équivalent grec des Grâces romaines]. Couronne m’en donc, ô Dionysos, afin que, la chevelure ceinte de roses, je chante dans tes temples, et que je mène les danses, accompagné d’une belle jeune fille !
N’oublions pas que Sappho (VIIe-VIe acn) de l’île de Lesbos, célèbre poétesse contemporaine d’Anacréon, considérait que la rose devait être choisie comme la Reine des fleurs !
Si Zeus voulait donner une reine aux fleurs, la rose serait la reine de toutes les fleurs. Elle est l’ornement de la terre, la plus belle des plantes, l’œil des fleurs, l’émail des prairies, une beauté toujours suave et éclatante ; elle exhale l’amour, attire et fixe Vénus : toutes ses feuilles sont charmantes ; son bouton vermeil s’entr’ouvre avec une grâce infinie et sourit délicieusement aux zéphirs amoureux.
Quelles roses embellissaient les jardins, fin du XVIIIème siècle ?
Dans son Encyclopédie, Diderot (1712-1784) nous apprend qu’il y a quatre-vingt variétés de roses, dont trois quarts à fleurs doubles. Il ajoute qu’il y en a très peu de jaunes mais que le plus grand nombre est de couleur rouge. Dans son Traité des Arbres et Arbustes (1755), Duhamel Du Monceau en cite cinquante-cinq. Une de celles-ci, la 49 paraît intéressante : Rosa omnium calendarum, flore pleno, carnae. Mais tout cela reste vague.
Tournons-nous plutôt vers les peintres du XVIIIe siècle, car ils sont plus ‘explicites’ : G.D. Ehret (1710-1770), P.J. Buchoz (1731-1807) ou G. van Spaendonck (1746-1822). De ce dernier, né à Anvers mais ayant séjourné longtemps à Paris, comme professeur de Redouté notamment, j’ai retenu : Rose à cent feuilles (Rosa centifolia L.), R. provincialis pour le botaniste Philip Miller (1691-1771) qui en 1768 déjà avait identifié la R. muscosa, peinte par Redouté :
Retournons à Saint-Laurent Blangy. Ce lieu de rencontre était baptisé Le berceau des Roses, métaphore reprise à l’occasion de chaque intronisation, comme nous le verrons plus loin. Il existait à Arras une Académie des sciences depuis 41 ans, quand ces quelques jeunes poètes décidèrent de fonder une autre Société. Si le savoir scientifique est l’apanage des Académiciens, eux, les bons vivants porteraient plutôt le flambeau du “gai savoir“.
L’écho de la fête se répercuta dans la société des gens cultivés et l’on vit bientôt arriver des notables comme Maximilien de ROBESPIERRE et Lazare CARNOT. Carnot, capitaine du Génie en garnison à Arras, publiera plusieurs de ses chansons dans le recueil des Rosati. Son enthousiasme pour les Rosati l’amènera à donner, à son fils aîné, entre autres prénoms, celui de Saady, en référence au poète persan Saadi, auteur de l’Empire des Roses.
En 1787, à l’occasion d’une Fête de la Rose, Robespierre, jeune avocat à Arras, lut un poème dédié à la rose :
Je vois l’épine avec la rose Dans les bouquets que vous m’offrez Et lorsque vous me célébrez Vos vers découragent ma prose Tout ce qu’on m’a dit de charmant Messieurs, a droit de me confondre La rose est votre compliment L’épine est la loi d’y répondre Dans cette fête si jolie Règne l’accord le plus parfait On ne fait pas mieux un couplet On n’a pas de fleur mieux choisie Moi seul, j’accuse mes destins De ne m’y voir pas à ma place Car la rose est dans nos jardins Ce que vos vers sont au Parnasse À vos bontés, lorsque j’y pense Ma foi, je n’y vois pas d’excès Et le tableau de vos succès Affaiblit ma reconnaissance Pour de semblables jardiniers Le sacrifice est peu de chose Quand on est si riche en lauriers On peut bien donner une rose
Des polémiques s’élevèrent à propos du réel auteur de ce poème. Des doutes subsistent toujours aujourd’hui, Monsieur Van Fleteren, Chancelier actuel de la Société, a sa petite idée, et une certitude : ce n’est pas l’œuvre de M. Robespierre…
C’est en 1787 que le nom officiel fut choisi : Société Anacréontique des Rosati, dont la devise fut donnée par Lazare Carnot : “ON NE MEURT PAS QUAND ON EST ROSATI.”
Rosati est une anagramme d’A.R.T.O.I.S, donc jamais de s à Les Rosati (l‘Artois est une ancienne province de France, détachée au XIIe siècle de la Flandre. Depuis la Révolution française, il constitue le département du Pas-de-Calais).
Cette Société anacréontique des Rosati, comment est-elle organisée ?
En référence aux neuf Muses grecques, un Comité des 9 fut constitué : un Chancelier (le doyen), le Directeur, un(e) Secrétaire plus 6 membres.
En fait, comment devient-on membre des Rosati ? Pour avoir l’honneur de porter le titre de Rosati, il faut entrer sous le berceau des roses. L’heureux impétrant, choisi par le Comité des 9, reçoit 3 roses. Il les respire trois fois puis les attache à sa boutonnière (corsage pour les dames). Ensuite il boit d’un trait le verre de vin rosé ou rouge qui lui est offert : “il le boit à la santé de tous les Rosati passés, présents et futurs.” Finalement il embrasse, au nom de la société, une des personnes qu’il aime le mieux ; il sera alors un vrai Rosati. Ce cœur du rituel est enrobé d’une allocution de réception, d’un hommage au plus grand des fabulistes Jean de la Fontaine, de chants, sans oublier l’Hymne des Rosati : Ecoute ô mon coeur… et d’une prestation de jeunes ballerines.
En 1786, une première femme, une poétesse, fut invitée à “entrer sous le berceau de roses et gagner le titre de Rosati“. Aujourd’hui, l’élément féminin constitue le quart de la Compagnie et le tiers du Comité des 9.
Quel vin remplissait les verres de nos joyeux lurons ?
Blanc, rosé ou rouge ?
Dans la bonne société arrageoise en 1778, les vins provenaient essentiellement de Bourgogne, Champagne ou des régions avoisinantes, donc rouge ou blanc. Dommage que Legay et ses acolytes n’aient pas connu, et pour cause, la Rose Clos-Vougeot obtenue au XXe siècle par la firme Delbard.
Alliances idéales pour un Rosati : un vin de Bourgogne célèbre, une belle rose rouge et en prime un délicat parfum de rose, de fraise et de framboise. Le vin rosé bu de nos jours est en quelque sorte un compromis, d’autant plus que maintenant les rosés, style Tavel, ont acquis leurs lettres de noblesse depuis 1936.
Si on excepte quelques tentatives de délocalisation de la société à Paris au XIXe siècle, et bien sûr, les deux guerres mondiales, son parcours jusqu’à nos jours pourrait être considéré comme un long fleuve tranquille. Tout en sauvegardant ses rites ancestraux, elle a su adapter ses activités aux exigences de la vie culturelle contemporaine et à la promotion de la jeune création. Ainsi aujourd’hui, en plus de la Fête des Roses en juin, d’autres fêtes sont organisées : en janvier, une soirée Verlaine ; en mars, une soirée Chat noir ; en novembre, une soirée automnale.
A ces soirées, tout le monde est admis, sans pour autant être qualifié de Rosati. Un peu comme pour les manifestations politiques, on y est toujours admis, même sans carte de parti.
J’ajouterai que les peintres, écrivain(e)s et poète(sse)s francophones (donc aussi des Belges), sont les bienvenus ! D’ailleurs, des œuvres de nos compatriotes y sont régulièrement primées. La société organise ainsi tous les ans 3 concours ouverts à tous/toutes : un concours de peinture, des Joutes des Jeunes poètes et les Joutes poétiques de la Francophonie. Lors de chaque concours sont attribués des 1er, 2ème et 3ème prix et des Roses d’Honneur.
Lors de la fête automnale de 2013, c’est notre compatriote Bernard TIRTIAUX qui a été élu ‘Prince des Trouvères’ avec Le passeur de lumière. Au cours de la fête automnale, les poètes participent à une joute et les convives votent. Celui ou celle qui arrive en tête est nommé ‘Prince(sse) des Trouvères’. Il (elle) reçoit la couronne de roses du lauréat de l’année précédente. Donc des Prix, des Roses d’Honneur, des Princes et Princesses et enfin consécration suprême… des ROSES D’OR !
Quatre belges en furent bénéficiaires :
Maurice Carême en 1975,
Julos Beaucarne en 1984,
Ronny Coutteure en 1997 et
Bernard Tirtiaux 2013.
Maurice Carême (Wavre 1899-1978 ) a été choisi pour l’entièreté de son œuvre. Elève brillant, il obtient, en 1914, une bourse d’études et entre à l’Ecole normale primaire de Tirlemont. Il est nommé instituteur en 1918 à Anderlecht. En 1943, Maurice Carême quitte l’enseignement pour se consacrer entièrement à la littérature. Il se lie la même année avec Jeannine Burny pour laquelle il écrit La bien-aimée en 1965. Secrétaire du poète jusqu’à la mort de celui-ci, elle préside à présent la Fondation Maurice Carême. En 1947, paraît La lanterne magique. L’impact sur la jeunesse est immédiat. Les enfants se reconnaissent littéralement dans cette œuvre. Rapidement, le nom de Maurice Carême se voit associé grâce à cet aspect de l’œuvre à celui de poète de l’enfance. Aujourd’hui, les poèmes de M. Carême sont étudiés dans toutes les écoles de France… comme de Belgique ! Le jour de son intronisation le 1er juin 1975, c’est un de ses longs poèmes Le Zodiaque qui a été chanté, après avoir été mis en musique. On lui doit également ce court poème sur… la rose :
Je porte une rose dans mon cœur Une rose née au soleil Une rose qui est pareille A un petit feu de douceur Mais, dis moi, connais-tu l’abeille Qui est la clé de mon bonheur ?
De nombreuses œuvres paraissent et sont couronnées par des prix littéraires en Belgique et à l’étranger (entre autres : Prix de l’Académie française (1949 et 1954), Prix international Syracuse (1950), Médaille de la Ville de Sienne (1956). Prix de la poésie religieuse (1958), Prix du Président de la République française (1961) Prix de la Province de Brabant (1964), Prix de la traduction néerlandaise (1967), Grand Prix international de poésie (France, 1968)). Le 9 mai 1972, il est nommé Prince en poésie à Paris. Le 13 janvier 1978 le Panthéon des Verlaine, Prévert, Aragon, Cocteau, Verhaeren, Rodenbach, Guido Gezelle, Hélène Swarth et d’une multitude d’autres lui ouvre ses portes.
Jean-Pierre Wesel
N.B. Pour en savoir plus sur l’initiative culturelle des Rosati, visitez le site officiel SOCIETEDESROSATI.FREE.FR…
[RTBF.BE, 7 février 2024] Les grands méchants, aux pensées les plus maléfiques et aux traits physiques les plus inquiétants ont l’air moins méchants qu’avant dans la littérature jeunesse. C’est ce qu’a constaté Charles Knappek du magazine français Livres Hebdo.
Un loup par exemple, souvent symbole de danger dans la forêt, ne fait plus aussi peur qu’avant. Désormais, le loup est végétarien et donc plus vraiment une menace pour les humains. Même chose pour les sorcières. Depuis les films Disney avec Angelina Jolie, on sait désormais que Maléfique, la méchante sorcière de la Belle au Bois Dormant de Disney, inspirée de Charles Perrault et des frères Grimm, n’est en réalité pas vraiment méchante. Son côté démoniaque s’est révélé après avoir été elle-même victime d’un humain durant sa jeunesse, ce qui explique et pardonne sa vilaine transformation. En résumé, les méchants d’aujourd’hui ont des circonstances qui atténuent leurs crimes au vu de leur passé difficile.
Les classiques avec les grands méchants n’ont plus la cote dans l’édition littéraire
Livres Hebdo a donc posé la question à quelques éditeurs jeunesse lors d’un salon littéraire, sur cette compassion envers les méchants. Même s’il n’y a pas de volonté affichée de rendre les méchants plus gentils, les éditeurs remarquent qu’ils reçoivent moins de propositions de nouveaux livres avec des personnages très méchants et que la demande pour les classiques avec des méchants est de moins en moins forte. Les parents achètent moins les histoires de féminicides de Barbe-Bleue et ils achètent moins les histoires de grand méchant loup, ou avec des sorcières qui mettent des enfants dans des fours comme dans Hansel et Gretel.
Pourquoi ? Peut-être parce que certains parents pensent que le monde est déjà trop dur comme ça, et qu’il faut protéger les enfants. Et donc leur éviter les livres avec des méchants très méchants. Ce qui va à l’encontre de ce qu’écrivait le pédagogue américain Bruno Bettelheim, à savoir que les histoires de méchants aident les enfants à affronter leurs angoisses et à devenir adulte.
Pourquoi les méchants sont-ils moins caricaturaux qu’avant ?
Deborah Danblon, libraire et chroniqueuse littéraire à La Première, spécialiste de la littérature jeunesse, dégage aussi d’autres constats :
Les méchants vraiment méchants, cela n’existe plus en littérature jeunesse ou en culture jeunesse. Dark Vador a eu une enfance difficile, Voldemort aussi.
Les méchants d’aujourd’hui sont moins caricaturaux que les méchants d’hier. Ils sont plus “intérieurs”, ils n’ont plus de griffes et de longues dents, mais on en rencontre toujours. Parfois ils sont drôles comme dans la BD Mortelle Adèle où l’héroïne martyrise son chat. Ou alors ils ont des bons côtés aussi, comme dans les romans anglais Cherub. On assiste donc à l’apparition de méchants plus réalistes, finalement, dotés de nuances. Ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose.
Autre élément de réflexion très intéressant : les anciens contes avec des méchants, c’était avant tout des histoires écrites pour les adultes. Et même pour les femmes adultes parce que, que ce soit dans Barbe Bleue, le Chaperon rouge ou Blanche Neige, le but du conte était d’avertir les jeunes femmes des dangers sexuels qui les menaçaient. Ce n’était pas des histoires pour enfants à la base. Et ce côté avertissement, prise de conscience du danger, s’est dilué aujourd’hui.
Bref, des méchants, il y en a encore en littérature jeunesse. Même s’ils sont différents des anciens. Et ce qui est sûr, c’est que des gentils, il y en a toujours. C’est cela le plus rassurant.
Comment les méchants ont disparu des contes pour enfants
[MILKMAGAZINE.NET, 3 avril 2024] Effrayants, maléfiques, cruels, les méchants semblent progressivement déserter les histoires destinées à la jeunesse. À qui la faute ? Et si c’étaient les parents qui avaient les chocottes ?
À chaque enfant sa technique, plus ou moins bien rôdée. Se cacher derrière le canapé, se boucher les oreilles, pleurer à chaudes larmes ou bien se forcer à écouter, quitte à en trembler de la tête aux pieds. Comme un rite initiatique de l’enfance, la figure des “méchants” est cette incarnation symbolique du mal qui nourrit depuis des siècles la littérature puis les dessins animés, quelles que soient les cultures. Antipathiques, repoussants ou bien carrément cruels, les “méchants” qui peuplent les grandes histoires leur ont permis de devenir de véritables chefs-d’œuvre, tout en terrorisant au passage des générations d’enfants qui projetaient sur eux leurs réservoirs d’angoisses, de peurs et de cauchemars. Parmi les plus célèbres, il y a bien sur ceux des contes de la littérature, mais aussi, en très bonne place sur la liste des personnalités préférées des Français version grosse frousse et moins de 16 ans, toute la flopée de méchants imaginés et portés à l’écran par la multinationale du divertissement, Walt Disney Studio. Avec la sortie de son dernier film, Wish, certains commentateurs remarquaient qu’après une disparition quasi complète dans les précédents opus de toute présence maléfique (dans lesquels les héros étaient invités à se dépasser eux-mêmes plutôt que de lutter contre un oncle régicide ou une marâtre ignoble), Disney renouait avec la tradition du méchant en portant à l’écran un bad guy très 2023 : beau, charismatique, adoré des foules, mais terriblement mal intentionné.
Avis de disparition
Sans pot de départ ni avis de recherche, il semblerait donc que les vrais méchants aient tranquillement délaissé les histoires destinées à la jeunesse. Au cinéma, mais aussi dans la littérature, comme le notait la chroniqueuse Mathilde Wagman dans l’émission Le Book Club de France Culture, en octobre dernier : “Parmi les livres que j’ai lus depuis la rentrée, force est de noter que j’arrive au même constat : nulle trace de terrible, de féroce méchant dans les parutions récentes. D’où cette question : la cruauté aurait-elle déserté la littérature jeunesse ?““La littérature jeunesse est un corpus qui date seulement des années 1960“, précise Delphine Saulière, directrice des rédactions Bayard Jeunesse. “Le conte n’en fait pas partie puisqu’il s’agissait d’histoires à destination des adultes, avec une vision sociologique différente. Il est vrai que, dans ce corpus récent, donc, qu’est la littérature jeunesse, le ton s’est adouci. Les histoires portent plus sur les émotions et la psychologie du personnage, moins sur la présence d’archétypes.”
La fiction peut être intéressante et structurante pour aider à penser la cruauté au travers de figures, plutôt que de laisser les enfants se débrouiller seuls avec cette dimension.
Virginie Martin-Lavaud, Le monstre dans la vie psychique de l’enfant (2009)
Il suffit de se balader dans les rayons jeunesse des librairies pour voir que les choses ont bien changé depuis les contes de Perrault. Les loups sont ridiculisés par les grands-mères et se sont refait une Street Cred auprès des enfants en devenant carrément un doudou. Les ogres n’aiment plus les enfants car ils sont végétariens et les monstres aident les plus petits à appréhender leurs émotions à grands renforts de couleurs. “Il faut déjà noter cet abandon, assez violent, du genre littéraire qu’est le conte. Perrault n’écrivait certes pas pour les enfants, mais le conte traditionnel avec un côté fantastique où il était possible d’inventer des mondes, des ogres et des personnages pas réels mais métaphoriques, a un peu disparu de la littérature jeunesse, explique Isabelle Péhourticq, directrice éditoriale d’Actes Sud Junior. Ce qu’on lit aux petits aujourd’hui, ce sont des histoires ancrées dans le présent, qui permettent d’appréhender les relations avec les amis, les animaux. Les auteurs ont peut-être à cœur de sortir de la caricature, d’affiner les traitements psychologiques des personnages. Désormais, le méchant n’est jamais simplement méchant, on cherche à lui donner des raisons biographiques qui nous permettent de l’excuser, ou le faire se repentir, afin d’apparaître plus inoffensif que ce qu’on avait pu penser de lui au début.“
La stratégie de l’évitement
Si le genre a muté, c’est déjà parce que la société a changé. Comme tout produit culturel, la littérature jeunesse reflète son époque. Une société en demande de protection de façon phénoménale, perfusée aux mauvaises nouvelles et aux scènes aux contenus sensibles via les réseaux sociaux. Des angoisses que cette génération de parents eux-mêmes malmenés par les images violentes des journaux télévisés durant l’enfance sont bien décidés à épargner à leurs propres enfants.
En 2016, une enquête menée en Grande-Bretagne révélait qu’un tiers des parents interrogés évitaient de raconter des histoires qui faisaient peur à leurs enfants. Une manière de projeter sur eux nos propres angoisses en les protégeant de la violence du monde, quitte à les en couper. “Pour les 40 ans de J’aime lire, il y a six ans, j’étais revenue sur 40 ans d’anciens numéros et d’histoires, se souvient Delphine Saulière. Clairement, il y en a plein que jamais je ne publierais aujourd’hui ! On le ressent tous les jours dans les retours des parents ou lors des comités de lecture. Si les histoires sont trop dures, trop tristes, ou avecdes personnages trop méchants, on va irrémédiablement recevoir des messages de parents ou d’enseignants. Les adultes veulent avoir le contrôle sur ce que leurs enfants peuvent lire puisqu’ils n’ont pas le contrôle sur ce qu’ils voient ou qu’ils entendent. Je me souviens même d’un groupe de parents test réunis au moment du lancement de la nouvelle formule de Phosphore, destinée à de grands ados. Ils nous suppliaient de faire un magazine positif, dépassés par ces enfants qui leur échappent !”
Il serait pourtant malvenu de voir dans cette nouvelle inclinaison du genre une forme de censure exercée par les éditeurs. Au contraire, les auteurs, souvent parents eux-mêmes, ont tendance à édulcorer leurs propres imaginaires. “Nous ne commandons pas d’histoires, nous sommes comme des aspirateurs à contenus. Et je peux vous dire que, depuis peut-être cinq ans, je n’ai pas reçu d’histoires avec un vrai méchant dans nos comités de lecture, assure Delphine Saulière. Les auteurs se contraignent pour épouser l’époque. Nous dépendons de l’imaginaire des auteurs et de la société.“
Fonction symbolique et nécessité cognitive
Faut-il se réjouir de cette disparition ? Les parents peuvent-ils pousser un “ouf” de soulagement en tournant les pages de l’histoire du soir sans risquer de terroriser des enfants reclus sous leurs couettes ? Pas vraiment. Car, en réalité, le méchant n’est pas seulement là pour faire peur.
Dans la littérature, il représente un arc narratif qui permet de faire décoller l’histoire, si tant est qu’il est manié avec intelligence. Il est aussi un moyen de créer de la réflexion et de donner un sentiment de contrôle à l’enfant. Un pouvoir thérapeutique très clairement mis en scène dans Psychanalysedes contes de fées, ouvrage dans lequel Bruno Bettelheim, pédopsychiatre, fait du conte un rite de passage entre l’univers de l’enfance et le monde des parents. Les méchants y sont méchants, faciles à identifier et, surtout, punis à la fin. “Les parents ont tendance à vouloir surprotéger leurs enfants, et délaissent les contes traditionnels en choisissant des récits qui n’ont plus la même valeur symbolique sur le plan narratif. Ils vont se tourner vers des histoires qui édulcorent la méchanceté et la cruauté”, note Virginie Martin-Lavaud, psychologue clinicienne auprès de l’Éducation nationale et autrice du Monstre dans la vie psychique de l’enfant (Erès, 2009). Or, poursuit-elle, “cette stratégie n’est, selon moi, pas pertinente car les enfants ont, dans leur propre expérience, pu être confrontés à la cruauté. La fiction peut être intéressante et structurante pour aider à penser cette cruauté au travers de figures, plutôt que de les laisser se débrouiller seuls avec cette dimension.“ Et le méchant de l’histoire, un moyen pour l’enfant d’utiliser la fiction pour mettre les choses à distance. Sans avoir à se priver d’un rituel millénaire de transmission de la culture.
Illustrateur, graveur, mais également guitariste, Jean-Claude SALEMI (né en 1950 à Casablanca, au Maroc) est spécialisé en linogravure comme en swing-musette, il est par ailleurs guitariste dans le groupe Swing-O-Box. D’où sa passion d’illustrations musicales, notamment aussi dans le livre Un Monde de Musiques édité par Colophon en collaboration avec La Médiathèque. Il est membre d’un atelier collectif de gravure et lithographie : l’Atelier RAZKAS et, dans ce cadre, participe à l’édition de plusieurs portfolios de gravures. (d’après JAZZINBELGIUM.BE)
Cet ensemble de croquis semblent réalisés sur le vif. Ils nous montrent des cyclistes engagés dans le célèbre Paris-Roubaix. La technique lithographique permet à Jean-Claude Salemi de s’exprimer d’un trait sûr et souple, agrémenté d’aplats et de lavis au pinceau.
Pierre HOUCMANT (1953-2019) s’inscrit à 19 ans à l’Institut Supérieur des Beaux-arts Saint-Luc de Liège, où il suit les cours du photographe Hubert Grooteclaes jusqu’en 1974. La photographie commerciale ne le séduit guère. Seule la photographie créative l’attire. Occupé par une série qu’il a nommée “Interversions”, il expose beaucoup à l’étranger. Toutefois, la fréquentation de plasticiens influencés par Marcel Duchamp fait basculer ses intérêts vers des réalisations où le concept prime sur l’émotion. Au début des années 1990, il s’intéresse à l’image du corps qu’il fragmente. Parallèlement, il réalise une série de portraits d’écrivains.
Cette photographie fait partie de la série “Interversions”. Elle présente des portraits de femmes fragmentés, reliés à des éléments plastiques. La poésie de la composition laisse au regardeur le soin d’imaginer une narration ou la rêverie de la contemplation. C’est un tirage argentique sur papier baryté.
Jean-Pierre RANSONNET, né à Lierneux en 1944, est un artiste belge. Il vit et travaille à Tilff, en Belgique. Formé à l’École supérieure des Arts Saint-Luc de Liège (1962-1968), Jean-Pierre Ransonnet séjourne en Italie en 1970 grâce à une bourse de la fondation Lambert Darchis. Il enseigne le dessin à l’Académie des Beaux-Arts de Liège de 1986 à 2009.
Cette série de gravures sur bois de Jean-Pierre Ransonnet est une variation sur des formes plastiques abstraites, ou évoquant des sapins. L’artiste use de l’expressivité du bois gravé, laissant transparaître les veines du bois, matière même de son discours.
[FR.FASHIONNETWORK.COM, 29 octobre 2023] Cette créatrice franco-américaine, âgée de 36 ans, est née à Levallois-Perret en région parisienne puis a grandi dans la Silicon Valley californienne, qui est considérée comme le berceau de l’innovation technologique. Avec un père ingénieur en électronique, la digitalisation et la dématérialisation deviennent rapidement ses sujets de prédilection.
Diplômée en design graphique du California College of the Arts en 2009, Clara Daguin passe six mois en Inde puis rentre en France, où elle laisse libre cours à sa passion pour la mode. Son master de “Fashion design” de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad) de Paris en poche, elle enchaîne avec un stage chez Margiela.
La styliste en herbe participe ensuite au 31e Festival international de mode et photographie de Hyères, en avril 2016. Avec sa collection de vêtements hybrides à l’allure futuriste, qui s’illuminent en fonction des battements du cœur de la mannequin, elle se hisse parmi les finalistes. Et crée sa marque éponyme dans la foulée.
En utilisant la mode comme un medium, Clara Daguin explore la relation (parfois ambiguë) entre les corps et les nouvelles technologies. Dans son travail artistique, la créatrice de mode basée dans le nord-est de Paris, à deux pas du Centquatre (XIXe arrondissement), crée des tenues poétiques, interactives et résolument expérimentales, sur lesquelles elle attache des circuits électroniques intégrés, des microprocesseurs, des piles, de fins câbles, des LED, des fibres optiques ou encore des capteurs de lumière et de température.
“Depuis 2016, je constate que beaucoup de gens qui se sont lancés dans la fashion tech en sont partis, car c’est vraiment compliqué d’intégrer la technologie dans une collection commerciale, qui puisse se vendre, admet Clara Daguin. Il me faut parfois plusieurs mois pour créer certaines tenues sur-mesure”, ajoute l’entrepreneure qui pilote une équipe de trois personnes et qui recherche “un binôme orienté business”.
”Certes il y a eu un engouement pour la fashion tech ces dernières années mais c’est difficile d’en vivre. Je prête souvent mes pièces pour des éditos presse et des shootings et je fais également du consulting pour des marques plus établies”, confie la créatrice qui jongle au quotidien entre une créativité sans limite et la réalité commerciale du secteur de la mode.
Dans son “modèle économique pluridisciplinaire”, Clara Daguin propose “la location de pièces couture, plébiscitée par des VIP, qui négocient souvent à la baisse les tarifs” ainsi qu’une petite offre de prêt-à-porter sur son site web (avec notamment des foulards en coton à 45 euros et des bombers oversize aux détails réfléchissants proposés à 750 euros).
Elle compte dans sa clientèle des célébrités internationales comme la musicienne islandaise Björk (pour sa performance à Coachella en avril, elle portait la veste bleu nuit “Sun” brodée de 1.430 ampoules LED réagissant au son), le chanteur nigérian Burna Boy (pour son concert à Paris en mai dernier) ou encore l’artiste monténégrine Vladana Vučinić qui, pour la demi-finale de l’Eurovision 2022, avait enfilé une somptueuse robe bardée de LED s’illuminant et rayonnant selon les fluctuations de la musique.
Cette dernière est issue de la flamboyante collection Cosmic Dance, présentée en janvier dernier pendant la semaine de la haute couture à Paris à la maison Baccarat, spécialiste du cristal avec qui elle collabore sur un plan créatif depuis deux ans. Clara Daguin fait rayonner ses pièces combinant broderies artisanales et technologies pointues avec des collaborations cosmiques.
En 2021, la créatrice geek a imaginé cinq robes époustouflantes conçues avec l’incubateur Advanced Technology and Projects (ATAP) de Google et sa technologie “Jacquard” (un tissu intelligent et tactile). Cette collection baptisée “Oracle” a été présentée au musée Grévin à Paris, et elle a ensuite été déclinée numériquement. Ces NFT sont commercialisés au prix de 111,87 euros sur le site de mode virtuelle DressX.
Avec ses collaborations audacieuses, la styliste s’essaie au mass-market. “Je vais dévoiler au printemps une capsule imaginée avec La Redoute”, sourit-elle. Les pièces, commercialisées en édition limitée par l’enseigne nordiste dès le mois de mars prochain, arborent “un côté sportif avec des matières réfléchissantes”. Au programme: une robe, un pantalon et une veste bomber.
Egalement passionnée par la décoration et l’architecture d’intérieur, Clara Daguin travaille sur des œuvres murales et des tapisseries géantes (de 9 mètres sur 5) réagissant aux sons, qui seront exposées à partir de début décembre dans l’église Saint-Eustache à Paris, près du Forum des Halles.
[FRANCETVINFO.FR, 4 mai 2023] En utilisant la lumière tel un matériau, Clara Daguin confronte haute couture et haute technologie pour une mode qui s’inscrit entre le monde physique et le digital. Etonnant.
Clara Daguin, qui est née en France, mais a grandi dans la Silicon Valley en Californie, s’empare de ces deux cultures pour son travail où s’entrelacent savoir-faire et technologie, broderie et électronique, naturel et artificiel. Elle se sert de la mode pour explorer comment la technologie accompagne nos corps – digitalisation, dématérialisation, surveillance – et utilise la lumière tel un matériau. La créatrice, qui a créé sa marque en 2017 à l’issue de sa participation au Festival International de mode, de photographies et d’accessoires d’Hyères, collabore également avec des artistes, des chercheurs et des institutions. En janvier 2023, elle a présenté une robe confectionnée avec 400 pampilles de cristal Baccarat, une collaboration entamée en 2021 lors de l’exposition Harcourt Show.
Rencontre et explications avec la créatrice Clara Daguin.
Franceinfo Culture : pourquoi s’intéresser à la technologie ?
Clara Daguin : J’ai toujours fait de la couture depuis que je suis petite mais je ne la voyais pas comme un moyen d’expression artistique : c’était juste quelque chose que j’aimais faire. Aux Etats-Unis, où j’ai grandi, j’ai suivi un Bachelor de graphisme. J’ai choisi ce domaine car je trouvais intéressant de pouvoir utiliser plein de techniques différentes. Là-bas, la première année, on peut tout expérimenter : j’ai testé la peinture, la photographie, la gravure… J’aimais faire des logos, de l’identité visuelle, des sites internet, des choses interactives et des vidéos.
En 2010, j’ai vécu six mois en Inde : j’ai vu des artisans de mode, des matières incroyables, de la broderie, cela m’a donné envie d’acheter des matériaux et de recommencer un peu à réaliser des choses. Là-bas, j’étais embauchée par une entreprise française d’urbanisme pour créer leur site internet. Quand je suis rentrée vivre à Paris, j’ai continué avec eux mais l’artisanat et ses matériaux m’étaient restés en tête. Je me suis inscrite à un cours de stylisme de mode de la mairie de Paris et j’ai envisagé cela comme un projet artistique, créatif. J’ai, alors, fait des dessins puis une collection.
Vous avez créé votre marque à l’issue de votre participation au Festival international de mode d’Hyères.
Après les cours à la mairie de Paris, j’ai postulé à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs où j’ai fait un master de design/vêtements. J’avais comme professeur Elisabeth de Senneville qui était une des premières créatrices à utiliser des matières techniques, de la fibre optique… J’adorais son cours. Certains d’entre nous ont ainsi participé à un workshop avec le MIT (Massachusetts Institute of Technology) : il s’agissait de hacker des chaises Ikea avec un microprocesseur et des capteurs pour leur donner une nouvelle utilité. Là, j’ai compris que tout ce que je faisais en graphisme – le côté interactif – pouvait être appliqué à un objet. Cela m’a alors obsédée. Ma collection de diplôme était axée sur les recherches matières avec des tubes en textile pour représenter l’idée de data [données numériques], d’informatique, de technologie. J’avais commencé à intégrer de la vraie fibre optique mais cela ne marchait pas bien, c’était un premier test.
Pour le Festival de Hyères, j’ai retravaillé ma collection en intégrant une fibre optique plus souple et un peu moins de broderie. L’idée de ma collection Body Electric était que la technologie uniformise : sur mes vêtements j’ai réalisé des découpes à différents endroits. Cela permettait de voir ce qui était caché, de révéler une partie lumineuse du corps, de dévoiler un peu le côté cyborg de l’humain.
En 2016, il y avait un foisonnement autour de la Fashion Tech, les gens étaient super intéressés et ils faisaient des choses avec des leds ou des trucs interactifs. J’ai été invitée à voyager pour présenter ma collection et à faire des conférences sur cette technologie. Je me suis dit alors qu’il y avait un réel intérêt pour ce travail et qu’il fallait continuer. En parallèle, je travaillais en free-lance en broderie dans un atelier et pendant les Fashion Weeks pour Alexander McQueen. L’année suivante, j’ai fait une deuxième collection pour le Festival de Hyères ce qui m’a permis de travailler de nouvelles pièces.
Vous êtes un peu touche-à-tout : au salon Première Vision, vous avez réalisé une installation interactive
En 2018, j’ai travaillé avec le salon Première Vision qui m’a proposé de créer une pièce pour le Wearable Lab dans le cadre d’une exposition où des entreprises présentaient des solutions techniques innovantes. J’avais un espace d’exposition de 100 m2 pour présenter Aura Inside, ma pièce sur mesure. En fait, c’était une robe ouverte en deux parties, le devant et le dos, à l’intérieur desquelles le visiteur pouvait se glisser. Un motif s’illuminait quand les gens rentraient dedans. L’exposition s’intitulait Reveal The Invisible.
Ensuite, j’ai participé pendant deux saisons à Designers Appartement [‘incubateur-showroom’ organisé par la Fédération de la Couture et de la mode où la créatrice a présenté une collection de prêt-à-porter féminin, dans laquelle on retrouve les codes de la pièce expérimentale Aura Inside. Après j’ai eu envie d’explorer, de pousser plus loin la technologie et de me recentrer sur l’expérimentation.
Une de vos pièces a demandé 3 000 heures de travail !
En 2019, pendant la semaine de la haute couture, à la Chapelle Expiatoire à Paris, j’ai présenté Atom. Cette seule pièce avait demandé 3 000 heures de travail, en effet. Elle était accompagnée d’une bande-son car elle réagissait aux différents sons. L’idée était que visuellement tout évoque les ondes sonores, avec de la broderie et des perles. Lors du Festival de Hyères, j’avais réalisé des petites broderies tandis que là le vêtement était entièrement brodé. Avec le temps, on évolue tant dans le choix des matériaux utilisés que dans la programmation. De fin 2019 à l’été 2022, j’étais salariée du concept-store de Dover Street Parfums Market et j’ai fait aussi du consulting, après j’ai réalisé une robe pour l’Eurovision.
C’était pour la chanteuse représentant le Montenegro en 2022. Comment est née cette collaboration ?
J’ai fait une robe lumineuse sur mesure. Vladana Vučinić m’a contacté sur Instagram. Elle m’a dit “je veux être la chose la plus lumineuse sur scène.” J’ai alors réalisé des dessins pour cette robe qui s’illumine au niveau du thorax puis derrière le corps en une sorte de halo. Ma robe réagissait aux fluctuations de la musique. La pièce avait été pensée par rapport à la scénographie qui représentait un soleil cinétique.
Certaines de vos robes sont le fruit d’un partenariat avec Google ATAP
En 2021, j’ai mis en scène cinq robes lumineuses interactives en partenariat avec les ingénieurs de Google ATAP (Advanced Technology and Projects). J’avais une carte blanche artistique pour intégrer la connectivité dans mes vêtements grâce à la technologie Jacquard by Google, un fil très fin et conducteur. Leur ingénieur s’occupait de la programmation et m’indiquait pour chaque modèle à quel endroit il fallait connecter le microprocesseur à la broderie.
La performance s’articulait autour d’Oracle : l’histoire d’une diseuse de bonne aventure – interprétée par la mannequin et muse Axelle Doué – qui lisait les lignes de la paume de la main de son interlocutrice de façon numérique. La technologie était brodée sous forme de fil dans les gants portés par Axelle les transformant en capteurs. Ces derniers renvoyaient les informations pour éclairer avec plus ou moins d’intensité l’une des quatre robes – inspirées des élements : eau, feu, terre et eau – de cette performance.
Elles ont même été disponibles dans l’univers virtuel grâce à la plateforme DressX
Quand j’ai fait cette collaboration avec Google, DressX [entreprise qui créée des vêtements digitaux pouvant être portés en filtre grâce à la réalité augmentée] s’est greffée sur cette collaboration et a digitalisé certaines de mes pièces pour sa plateforme. Je trouve cela super intéressant de pouvoir acheter des pièces virtuelles, digitales, adaptées à la morphologie de la personne.
Vous avez débuté en 2021 une collaboration avec Baccarat qui s’est poursuivie cette saison.
En 2021, j’avais été invitée par Laurence Benaïm à l’exposition Hartcourt Show, une exposition de onze jeunes créateurs de mode réinterprétant l’iconique verre Harcourt. En janvier 2023, pendant la semaine de la haute couture, j’ai présenté Cosmic Dance, ma nouvelle collaboration. Là, j’ai confectionné une robe avec 400 pampilles de cristal Baccarat, lumineuses. Une toute petite Led – glissée de chaque côté de chaque pampille en cristal – illuminait la robe. C’était très upcycling !
Quels sont vos projets ?
J’ai un projet avec la danseuse Véronika Akopova. Cette chorégraphe fait partie des sélectionnés de la bourse Mondes nouveaux du Ministère de la Culture. Sa pièce Murmurations sera jouée au château d’Azay-Le-Rideau, en juin prochain aveccinq danseurs ainsi que des drônes-oiseaux, puisque la danseuse évoque leur disparition. Je réalise les costumes avec des matières réfléchissantes dont les motifs reprennent des photos d’oiseaux en mouvement.
Sinon, je prête mes robes pour les shootings photo à des magazines, ce qui fait de la visibilité. Je loue aussi certaines de mes pièces – j’ai une vingtaine de modèles – pour des concerts ou des clips vidéos. Et pour 2024, on va faire une collaboration avec La Redoute.
Vous considérez-vous comme créatrice, artiste ou ingénieure ?
Je me pose la question tous les jours. C’est un peu un mélange, artiste, créatrice et ingénieure mais j’ai toujours besoin d’un ingénieur extérieur pour écrire le code. Je fais aussi un peu de prêt-à-porter, des pièces très basiques comme des casquettes phosphorescentes et des foulards dont les motifs évoquent la lumière… disponibles sur mon site internet. Je suis créatrice de mode avec mes vêtements couture mais je peux aussi faire des objets, des collaborations et des partenariats avec d’autres maisons, me diversifier et dans cet esprit, je me sens alors plus artiste. La led évolue en devenant de plus en plus petite et forte donc cela permet d’explorer plein de choses.
Jean-Jacques SEMPÉ (1932-2022) est un dessinateur humoriste français. Il est notamment l’illustrateur des aventures du Petit Nicolas dont l’auteur est René Goscinny. Dans les années cinquante, il connait le succès grâce à ses collaborations régulières avec Paris Match. De 1965 à 1975, Françoise Giroud l’invite à L’Express auquel il donne chaque semaine ses dessins et dont il est durant une quinzaine de jours l’envoyé spécial aux États-Unis en 1969. En 1978 Sempé réalise sa première couverture pour le New Yorker, célèbre magazine culturel américain. Il en créera plus d’une centaine par la suite. Après le succès du Petit Nicolas, à partir de 1962 (“Rien n’est simple”), Sempé publie presque chaque année un album de dessins chez Denoël, quarante jusqu’en 2010 (source Wikipedia).
Cette lithographie est tirée d’un dessin à l’aquarelle d’une grande délicatesse. Un enfant suivi de son chien, se promène en banlieue au coucher du soleil. L’échelle entre le décor et les personnages, la qualité du trait et le rendu de l’expression de l’enfant : cela semble tout droit sorti de l’univers du Petit Nicolas.
[LIBERATION.FR, 15 février 2022] Mieux vaut tard que jamais. Cette expression est particulièrement vraie en ce qui concerne la peintre Carmen HERRERA, décédée le 12 février à 106 ans dans son loft de Manhattan.
Travaillant incognito pendant toute sa carrière, exposant sans relâche mais sans vendre aucune toile, la pionnière de l’abstraction géométrique a connu le succès tardivement, à la suite d’une exposition collective à la Latin Collector Gallery à New York en 2004. C’est à cette période qu’elle vend sa première œuvre à l’âge de 90 ans. Pour aller jusque sur les cimaises du Whitney Museum qui lui consacre une rétrospective en 2016. Ses tableaux et sculptures, joyeux cocktail de triangles, de rectangles, de lignes brisées et de couleurs contrastées ont alors rencontré un très grand succès aux enchères et dans les foires. Le fait d’être une femme latino-américaine dans le milieu de la peinture minimaliste volontiers sexiste explique son succès tardif.
Continuant sa peinture comme si de rien était, Carmen Herrera n’a été ni arrêtée ni freinée par le manque de reconnaissance. Coûte que coûte, elle a continué à peindre par “amour de la ligne pure”, comme elle l’a confié au New York Times en 2009, considérant que “la gloire était quelque chose de vulgaire”. “C’est comme un bus, que j’ai attendu pendant près de cent ans”, a-t-elle aussi déclaré.
La recherche des couleurs et des formes pures
Née à La Havane en 1915, l’artiste grandit dans une famille progressiste : son père est le fondateur d’El Mundo à Cuba et sa mère, féministe, exerce le métier de reporter. C’est à Paris et à La Havane que Carmen Herrera étudie l’art, l’histoire de l’art et l’architecture. Pendant la guerre, étudiante à l’Art Students League de New York (1942-1943), elle rencontre Barnett Newman et Ellsworth Kelly, grandes figures de l’expressionnisme abstrait. Dans les années 50, l’artiste cubano-américaine expose au Salon des réalités nouvelles à Paris, un vivier de l’abstraction, de l’art concret et de l’art géométrique. Si elle vit entre La Havane et Paris dans les années 30 et 40, elle s’installe définitivement à New York en 1954. Et persévère sans fléchir, vivant de peu, soutenue financièrement par son mari, dans sa recherche des couleurs et des formes pures. En 2004, son style est comparé par un critique du New York Times à celui de Piet Mondrian, Ellsworth Kelly et Lygia Clark : sa réussite éclate enfin. Aujourd’hui, ses toiles font partie des collections du Moma, de la Tate Modern ou du Walker Art Center de Minneapolis. A Paris, en 2021, deux de ses tableaux ont été remarqués dans l’exposition Elles font l’abstraction au Centre Pompidou.
Clémentine Mercier
[CONNAISSANCEDESARTS.COM] La galerie Lisson a annoncé la mort de Carmen Herrera qu’elle exposait depuis 2010. Elle est décédée “paisiblement dans son sommeil” à 106 ans dans son appartement de New York.
Toute sa vie passionnée par l’art abstrait et les figures géométriques, son travail, en tant que femme artiste, n’a pas été reconnu avant les années 2000. “Il en aura fallu du temps, grand Dieu, ils auront attendu longtemps“, a-t-elle pu déclarer, visiblement peu rancunière. Encore active pendant ces vingt dernières années, où sa cote sur le marché de l’art a explosé, elle prévoyait une exposition chez Lisson en mai prochain pour son anniversaire.
La beauté de la ligne droite
“Je crois que je serai toujours en admiration devant la ligne droite, sa beauté est ce qui me fait continuer à peindre.” Carmen Herrera s’est inspirée toute sa vie de la ligne rigoureuse. Pendant 80 ans, elle a proposé des œuvres structurées, sobres et colorées. Elle s’oppose à une vision sensitive de la peinture. Ses peintures témoignent d’un travail sérieux de l’espace et des séparations sur la toile. Elle commençait par des dessins à l’échelle sur papier-calque, annotait des mesures et finalement reproduisait le rendu final à l’acrylique sur la toile. Le conservateur Jonathan Watkins, un des premiers à lui proposer une exposition dans la galerie anglaise Ikon en 2009, résumait : “Nous avons eu la chance de travailler avec quelqu’un qui était à la fois intransigeant sur le plan esthétique et si généreux.”
Régime végétarien ou presque
Carmen Herrera est née à La Havane à Cuba en 1915. Son père rédacteur en chef du journal El Mundo meurt en 1917 pendant la révolution. Sa mère, également journaliste, pionnière et engagée dans le féminisme, lui a servi de modèle. Elle commence des études d’art à Cuba puis à Paris. Francophone, elle y vivra à nouveau avec son mari Jesse Loewenthal pendant l’après-guerre. De retour à New York dans les années 50, elle y est restée pour le reste de sa longue vie. Interrogée sur son secret de longévité une fois passée le centenaire, elle évoque le régime végétarien et un verre de scotch quotidien. “Rien d’extraordinaire”, résume-t-elle. “Faire ce qu’on aime, et le faire tous les jours. C’est ce que je fais. Je me lève, je petit-déjeune et je me mets à travailler.“
La reconnaissance à 89 ans
C’est par hasard quand une autre artiste se désiste pour l’exposition sur l’abstraction géométrique latino-américaine à la Latin Collector Gallery de TriBeCa à New York en 2004 que les œuvres de Carmen Herrera sont vues sous une lumière nouvelle et plus vaste. Elle est alors âgée de 89 ans. Le réputé Whitney Museum of American Art lui consacre une importante rétrospective en 2016, Carmen Herrera : Lines of Sight. Ses œuvres se trouvent maintenant dans plusieurs collections permanentes de musées, dont le Guggenheim d’Abu Dhabi, le MoMAà New York et la Tate Modern à Londres. Elle expose d’imposantes structures d’aluminium dans le City Hall Park de New York nommées Estructurales monumentales en 2019.
Elle n’est pas naïve quant à l’oubli de son art par l’histoire et les professionnels pendant de si longues années. Son statut de femme est clairement ce qui l’a écarté de la notoriété. Elle raconte dans un documentaire qui lui est consacré en 2015, The 100 years show, qu’une femme galeriste lui a un jour dit qu’elle était une meilleure peintre que beaucoup de ses contemporains masculins les plus célèbres, mais “qu’il n’y aurait pas de spectacle parce que vous êtes une femme“. L’artiste a déclaré: “Je suis sortie de là comme si quelqu’un m’avait tapé dessus. Une femme à une femme ?“
Un monde d’hommes… et Georgia O’Keeffe
Son œuvre se rapporte au mouvement esthétique abstrait de l’hard edge, typique de l’art américain à succès dans la seconde moitié du XXème siècle. Elle est aussi l’une des premières à utiliser la peinture acrylique à base de solvants à cette époque. Des artistes, hommes et blancs, qui effectuaient un travail très similaire comme Ellsworth Kelly et Barnett Newman bénéficiaient eux d’une visibilité tout autre. “Tout était contrôlé par les hommes, pas seulement l’art. Je connaissais [le peintre] Ad Reinhardt et il était terriblement obsédé par Georgia O’Keeffe et son succès. Il la détestait. Je la détestais ! Georgia était forte, et ses peintures étaient exposées partout, et il était jaloux.” dénonce-t-elle en 2016 une fois que sa voix était davantage entendue à force que son art soit vu et respecté.
FAYARD Sébastien, Sébastien Fayard va plaquer sa petite amie
(photographie, 20 x 25 cm, 2014)
Sébastien FAYARD est un comédien et performeur français vivant à Bruxelles. Il a étudié le secrétariat, la comptabilité, le cinéma, la musique, la photographie et le théâtre. Il collabore avec différents metteurs en scène, chorégraphes et artistes plasticiens dont la compagnie System Failure avec qui il se produit régulièrement sur scène. Depuis quelques années, il mène différentes recherches photographiques et vidéographiques et poursuit la série “Sébastien Fayard fait des trucs.” En parallèle, il décline ce projet en petits films dans une série appelée “Sébastien Fayard filme des navets” et sillonne les festivals de courts-métrages européens. (d’après l’ancien site officiel de l’artiste SEBASTIENFAYARDFAITDESTRUCS.COM)
Sébastien Fayard livre ici une série en cours, inédite, de clichés qui détournent, c’est le cas de le dire, des clichés. Le procédé est simple mais inusable : prendre les choses au pied de la lettre, exploiter les ambiguïtés et les doubles sens des phrases toutes faites, des métaphores éculées, des formules journalistiques, des poncifs en vogue. Faisant ses trucs, il en défait pas mal d’autres – des attentes, des snobismes, des poses et des postures, des idées reçues, des présupposés logiques. Pour bien comprendre il faut se méprendre, et accepter surtout un paradoxal et étroit entrelacs entre stupidité et lucidité. (d’après YELLOWNOW.BE)
Aura, c’est quand même étrange comme prénom, se dit-il, parcourant du regard son visage, son corps, comme une Laura sans aile mais ça lui convient assez, l’idée qu’elle ne puisse s’envoler, qu’en cet instant où il est occupé à la découvrir, elle ne puisse fuir, lui échapper, lui qui si souvent, trop souvent, a vu partir celles qu’il aimait. Aura, il y a forcément quelque chose de précieux dans ce prénom qui lui évoque l’or, il veut s’en persuader, en fait non, il en est certain mais, derrière le sourire qu’elle lui adresse, demeure un mystère et comme une douleur, il la ressent, par empathie sans doute ou bien, non, c’est moi qui projette sur elle mes vieilles blessures, songe-t-il, elle, elle est juste souriante et blonde, comme il sied à son prénom, et il l’observe encore, caressant du regard comme il voudrait le faire du bout des doigts, le galbe de son front, les pommettes hautes, rosies par le vin, l’arête un peu trop prononcée de son nez et puis ses lèvres, délicieusement charnues, ces lèvres-là dont il va rêver, dont il rêve déjà, dans l’attente des mots qu’elle va prononcer,
les paroles qu’il attend, elle l’espère en tout cas, ne voudrait pas le décevoir, pas lui, pas ce soir, je ne peux pas me tromper, tout gâcher, prendre le risque de le perdre avant même de l’avoir conquis. Elle l’observe attentivement, elle voit bien qu’elle lui plaît, elle sait de toute manière l’effet qu’elle fait aux hommes, en a payé le prix, mais lui c’est différent, elle doit le rassurer sans toutefois l’effrayer, elle y a songé déjà tout à l’heure, chez elle, quand elle a choisi la tenue qu’elle allait porter, non pas la robe rouge, trop provocante tant dans la couleur que le décolleté, ni la petite jupe noire, qui, assise, remonte trop haut sur les cuisses, quand même pas le tailleur marine, austère aux yeux d’un homme, alors la robe achetée pour le mariage d’Emma, sobre, suggestive juste ce qu’il faut, c’est dommage les bras nus, elle n’aime pas ses bras nus, quelle femme les aime, mais avec l’étole, ça devrait aller. Étole qu’enhardie et réchauffée par le vin, elle laisse doucement glisser, attirant son attention, consciente de l’effet produit, elle imagine, en cet instant qu’il pense à ce jour,
il y a quelques jours, dans ce snack où il se rend habituellement à midi, quand il l’a aperçue, distraitement tout d’abord, de la même manière qu’il parcourait son journal et le quittait de temps à autre des yeux afin d’observer ce qui, autour de lui, se passait. Ainsi l’avait-il vue, sa longue chevelure blonde en premier lieu, de ce blond qu’ont les femmes au sud de l’Europe, des rivages de la Méditerranée jusqu’à ceux de la Mer Noire, puis ensuite les livres posés sur la table, dont celui qu’elle lisait en mangeant sa salade. Il aurait voulu en voir le titre mais c’était impossible à cette distance, surtout sans lunettes, mais déjà, une fille qui lisait sur son temps de midi, c’était quelque chose qui pouvait bien l’attirer, qu’elle fût jolie ne pouvait qu’accroître son intérêt évidemment, il faudrait juste une occasion, un prétexte que le hasard, ou le destin, on le nomme comme l’on veut, n’allait pas tarder à lui donner. Quand, regardant l’heure à sa montre, elle s’était levée précipitamment, ramassant ses livres et fuyant sans un regard en arrière, avant de revenir, quelques instants plus tard, anxieuse, quelque peu affolée même. Il avait saisi sa chance, excusez-moi, je peux vous aider, vous avez perdu quelque chose ? Oui, mon portable, je ne le trouve plus, vous ne l’avez pas vu ? Non, dit-il calmement, mais on peut utiliser le mien pour l’appeler, si vous voulez. Et d’ainsi le localiser à quelques mètres de là, posé sur l’évier des toilettes, elle de n’en plus finir de le remercier tout en s’excusant d’être à ce point pressée qu’elle ne peut y mettre les formes et lui, réalisant seulement qu’en procédant de la sorte, ils ont échangé leurs numéros, proposant alors de se revoir
– Théo, s’était-il présenté. Elle avait accepté et n’avait cessé de se demander pourquoi. Se le demande encore d’ailleurs, non sans certaines craintes, davantage vis-à-vis d’elle-même et de son passé que de lui. Sentant son regard peser sur elle, quand elle aspire à davantage de légèreté, elle observe à la dérobée son visage au teint mat, marqué au plus profond de ses rides par le temps et peut-être d’autres excès ou douleurs, il en émane pourtant une douceur bienveillante à son égard, elle en est certaine, elle ne peut pas se tromper, pas cette fois, pas encore, elle a changé, elle a appris de la vie, au prix fort mais elle sait. Devra-t-elle lui dire un jour, le pourra-t-elle seulement, ou devra-t-elle jusqu’à la fin garder son secret comme elle porte à jamais les traces de ses blessures ? Face à elle, assis de l’autre côté de la table, il lui semble loin de ce restaurant,
il est plongé dans ses pensées quand c’est dans les yeux verts d’Aura qu’il devrait se noyer. Mais le flot des souvenirs est là, angoissant, le passé est comme un zombie qui surgit toujours au moment où on le croit définitivement enterré. Cette histoire d’amour dans laquelle si longtemps il a cru et crû, qu’il a vu s’effondrer en un instant, l’espoir avorté d’autres possibles, puis le doute, monstrueux, corrosif, qui surgit alors et qu’il sent revenir en ce moment. Le plus douloureux n’est pas de perdre espoir, non, au contraire, c’est l’espoir qui fait souffrir, la souffrance cesse dès lors que l’on n’attend plus rien. Le désespoir, c’est le passage douloureux de l’espérance à la résignation. Et ce désespoir, il avait cherché à l’anesthésier de toutes les manières, usant et abusant d’alcool, de certaines drogues mêmes, dans des nuits écarlates, tantôt gommant les visages aimés dans une abstinence excessive, et parfois contrainte, tantôt dans la succession et la superposition effrénées de faces quasi anonymes, auxquelles correspondaient autant de sexes. Jusqu’à ce que cela s’apaise et cesse un jour.
Un jour, elle devait avoir seize ans, il était revenu chez elle. Ils avaient été ensemble, avant, enfin comme on est ensemble à cet âge-là, mais ils avaient couché, ce n’était même pas la première fois, puis avaient rompu. Et ce jour-là, il avait sûrement remarqué que ses parents étaient absents, il était revenu. Elle savait pourquoi, elle avait dit non, il avait insisté, elle avait dit non encore, mais il n’avait pas renoncé, s’était montré pressant, menaçant, du moins l’avait-elle ressenti ainsi. Alors elle avait cédé. Donne-lui ce qu’il veut, avait-elle pensé, et qu’on en finisse. Elle avait refusé de se poser la question du viol, avait même fait preuve d’initiative, tant qu’à faire, histoire de reprendre le dessus ou de se persuader, ainsi qu’il le disait, que c’était ce qu’elle souhaitait, en définitive. Il n’avait pas été long à jouir, tant mieux, elle avait tout fait pour aussi, et l’instant d’après, il était parti, évidemment. C’était fini, elle ne voulait plus y penser, n’y penserait plus, il y aurait tant de choses de cette époque qu’elle oublierait, il lui faudrait des années avant de mesurer les conséquences, de comprendre à quel point cette brûlure de son adolescence était responsable du mélanome qui corrompait sa vie d’adulte. Entretemps, il y en aurait d’autres, tellement d’autres auxquels elle s’offrirait, s’abandonnerait, qu’elle utiliserait aussi, incapable de résister à la lueur qu’elle allumait dans leurs yeux, allant jusqu’à en faire payer certains quand, d’une certaine manière, ils payaient pour tous, excitée et dégoûtée à la fois, d’eux comme d’elle-même, au point d’un jour ne plus pouvoir supporter aucun regard, pas même celui de sa famille, surtout pas, alors partir loin de chez elle, pour ici réapprendre à se regarder elle-même. Aura.
[SLATE.FR, 1 février 2018, d’après The Guardian] À la Manchester Art Gallery, une peinture du XIXe siècle a été remplacée par une affiche avec des commentaires sur la représentation du corps des femmes dans l’art.
Le tableau Hylas et les nymphes du peintre britannique John William Waterhouse n’est plus exposé à la Manchester Art Gallery depuis le 26 janvier. À la place de cette oeuvre préraphaélite, le musée a accroché une feuille de papier qui explique sa disparition :
Cette galerie présente le corps des femmes soit en tant que “forme passive décorative” soit en tant que “femme fatale”. Remettons en cause ce fantasme victorien ! Cette galerie existe dans un monde traversé par des questions de genre, de race, de sexualité et de classe qui nous affectent tous. Comment les œuvres d’art peuvent-elles nous parler d’une façon plus contemporaine et pertinente?»
Les visiteurs sont invités à écrire leurs commentaires sur des petits papiers ou à en discuter sur Twitter [AKA X]. Jusqu’ici, la plupart des réactions sont critiques et certains accusent le musée de censurer une œuvre sous prétexte de ‘débattre’ et de ‘contextualiser’.
Plus de cent personnes ont signé une pétition pour que le tableau soit remis à sa place. Le texte dénonce une “censure politiquement correcte.”
Le décrochage du tableau a été filmé et fait partie d’une performance de l’artiste Sonia Boyce, dont le travail sera exposé au musée à partir de mars. La boutique du musée cessera aussi de vendre toute reproduction de cette œuvre.
La salle dans laquelle Hylas et les nymphes était exposée s’appelle Recherche de la beauté et contient de nombreuses peintures du XIXe siècle représentant des femmes dénudées. Or pour Clare Gannaway, la conservatrice à l’origine de cette initiative, le titre est gênant car il s’agit seulement d’artistes hommes qui s’intéressent à des corps de femmes. Elle explique que le mouvement #MeToo a influencé sa décision de lancer ce débat et que le tableau pourrait bientôt être réexposé, mais avec une ‘contextualisation’ différente.
Le critique d’art du Guardian a vivement critiqué le retrait du tableau, expliquant que ce genre de discussion sur la représentation des femmes devrait se faire devant l’œuvre elle-même, pas en la censurant.
Claire Levenson
“Une femme regarde les hommes regarder les femmes (2021).Siri Hustvedt, fidèle à son engagement envers la cause des femmes, analyse ici la nature et les implications du regard, bien souvent manipulateur, voire prédateur, que les artistes de sexe masculin tendent à poser sur les femmes (quelles soient ‘simples’ modèles ou elles-mêmes artistes). Mais elle s’attache surtout à identifier les partis pris, conscients et inconscients, qui affectent notre manière de juger l’art, la littérature et le monde en général. Convoquant entre autres les œuvres de Picasso, De Kooning, Max Beckmann, Jeff Koons, Robert Mapplethorpe, en passant par Pedro Almodovar, Wim Wenders, Louise Bourgeois ou Emily Dickinson, l’auteur d’Un monde flamboyant développe une réflexion sur l’art dans ses rapports avec la perception ; elle interroge la façon dont nous évaluons la notion de créativité et montre que les critères d’appréciation se modifient constamment dès lors que nous nous déplaçons d’une culture à une autre ou d’une période de l’histoire à la suivante – alors même que d’aucuns prétendent que tout art digne de ce nom relève de critères tout à la fois universels, intemporels et quasi immuables. S’insurgeant contre un tel postulat, Siri Hustvedt, respectueuse de l’éthique intellectuelle dont elle a toujours fait preuve en tant qu’essayiste, privilégie les questions par rapport aux réponses et se montre avant tout soucieuse d’ouvrir des espaces de libre discussion, invitant le lecteur à adopter divers angles d’approche, comme pour mieux lui laisser le choix ultime de celui qu’il fera sien.” [d’après ACTES-SUD.FR]
Michel BEINE (né en 1967) enseigne en cours du soir à Saint-Luc Liège depuis 2004. Photographe-voyageur, il ne dévoile pas largement la réalité. Au contraire, il épure au maximum pour nous faire pénétrer dans des lieux à travers de multiples fragments qui sont autant de pièces d’un puzzle qui construisent une expérience de voyage. Ses images sont davantage des évocations que des illustrations, elles cachent plus que ce qu’elles montrent, laissant à l’imagination la liberté de construire ses pérégrinations. (d’après SPACE-COLLECTION.ORG)
Cette photographie très frontale a été exposée à Huy au début de l’année 2015, accompagnée de textes d’Emmanuel d’Autreppe. Tangerinn… quelques secrets de famille proposait “des histoires de famille. Un secret, ou une infinité. (…). Une mémoire s’échange et se raconte, un puzzle s’ébauche (…) via quelques mots si communs – révélation, transmission, suggestion, trahison… – et à travers le vertige plat, silencieux d’images banales, mais à double fond.” (Galerie Juvénal)
[LIBERATION.FR, 30 janvier 2017] L’écrivain britannique Tolkien et le médecin polonais Zamenhof ont créé les deux langues imaginaires les plus populaires au monde. Cent ans après, le Dothraki, inventé par David J. Peterson pour la série Game of Thrones, trouve sa source à la fois dans l’espéranto et les langues de Tolkien.
JRR Tolkien a commencé à écrire la Chute de Gondolin après la Première Guerre mondiale, tandis qu’il tentait de se remettre de la fièvre des tranchées, contractée au cours de la bataille de la Somme, il y a cent ans de cela. La Chute de Gondolin est la première histoire de ce qui deviendra son ‘legendarium’ soit toute l’œuvre consacrée aux aventures elfiques, une mythologie qui sous-tend les trois romans du Seigneur des Anneaux. Mais au-delà de la fiction, JRR Tolkien était également passionné par une autre forme de création : la construction de langages imaginaires.
En cette même année 1916, à l’autre bout de l’Europe, Ludwik Zamenhof mourait dans son pays d’origine, la Pologne. Lui aussi avait été obsédé toute sa vie par l’invention de nouveaux langages, et en 1887, il sortait un livre pour présenter la langue qu’il avait créée de toutes pièces. La méthode était signée du pseudonyme Doktoro Esperanto (“docteur qui espère“, en espéranto !), qui par extension devint le nom de la langue elle-même.
La création de langues imaginaires, ou ‘conlangues’ est riche d’une longue histoire, qui remonte au XIIe siècle. Tolkien et Zamenhof sont sans aucun doute ceux qui ont remporté les plus grands succès en la matière. Pourtant, leurs objectifs étaient très différents ; leurs inventions respectives mènent à deux pistes diamétralement opposées.
Zamenhof, un juif polonais qui a grandi dans un pays où la xénophobie était monnaie courante, pensait qu’avec un langage universel, on pourrait enfin aspirer à une coexistence pacifique. Il écrit ainsi que si le langage est “le moteur essentiel de la civilisation“, “la difficulté à comprendre les langues étrangères cause de l’antipathie, voire de la haine, entre les gens.” Son projet était de créer un langage simple à apprendre, sans lien avec une nation ou une culture particulière, qui aiderait à unir l’humanité.
En tant que ‘langue auxiliaire internationale’, l’espéranto a connu un franc succès. Tout au long de son histoire, plusieurs millions d’individus l’ont pratiqué. Et même s’il est difficile de faire des estimations exactes, aujourd’hui encore, jusqu’à un million de personnes le parlent. Il existe un grand nombre de livres en espéranto, et il y a même un musée de l’espéranto en Chine. Au Japon, Zamenhof est honoré comme un dieu par une branche du shintoïsme dont les adeptes parlent l’espéranto. Pourtant, le rêve d’harmonie mondiale de Zamenhof est resté utopique. Et à sa mort, tandis que la Première Guerre mondiale déchirait l’Europe, son optimisme n’était plus du tout d’actualité.
Langues imaginaires
JRR Tolkien était lui-même un fervent supporter de l’espéranto ; il pensait qu’une telle langue pourrait aider les pays d’Europe à cheminer vers la paix après la Première Guerre mondiale. Mais sa motivation pour créer de nouveaux langages était toute autre. Il ne cherchait pas à améliorer le monde, mais plutôt à en créer un nouveau, un univers de fiction. Il qualifiait son intérêt pour l’invention linguistique de ‘vice secret’, et disait que son but était esthétique plutôt que pragmatique. Il se plaisait avant tout à faire correspondre le son, la forme et le sens de façon originale.
Pour donner corps aux langues qu’il inventait, il avait besoin de les appuyer sur une mythologie. En tant qu’entités vivantes, toujours en évolution, les langues tirent leur vitalité de la culture de ceux qui les utilisent. C’est exactement ce qui a conduit Tolkien à créer son univers de fiction. “L’invention des langues est à l’origine de tout“, écrit-il ainsi, “Les histoires ont été inventées plutôt pour fournir un monde aux langues et non l’inverse.“
Qu’en est-il des ‘conlangues‘ aujourd’hui ? Cent ans après la mort de Zamenhof, à bien des égards, l’art de la construction linguistique est plus populaire que jamais. Citons le Dothraki, dans Game of Thrones. Cette langue a été inventée par David J Peterson pour la série tirée des romans de George RR Martin. Or, le Dothraki trouve sa source à la fois dans l’espéranto et dans les langues imaginées par Tolkien.
C’est en prenant un cours sur l’espéranto à l’université que Peterson s’est d’abord intéressé aux conlangues. Martin, de son côté, admet que sa saga est, à bien des égards, une réponse au Seigneur des Anneaux. Il inclut d’ailleurs mille références linguistiques au monde de Tolkien, comme autant d’hommages : le mot ‘warg’, par exemple, qui signifie “une personne qui peut projeter sa conscience dans les esprits des animaux“, est un mot que Tolkien emploie pour désigner une espèce de loup.
Il semble donc que la tradition tolkienienne de construction d’un monde fantastique ait mieux fonctionné que l’espéranto. Il y a peut-être deux raisons à cela.
La première est linguistique. Paradoxalement, le concept de Tolkien est plus proche de la façon dont les langues fonctionnent dans le monde réel. Ses langues elfiques, telles qu’elles sont représentées dans son œuvre, sont vivantes et évolutives. Elles reflètent la culture des communautés qui les parlent.
Le principe d’une langue auxiliaire internationale est de fournir un code stable, qui peut être facilement appris par n’importe qui. Mais les langues humaines ne sont jamais statiques ; elles sont toujours dynamiques, toujours diversifiées. Donc, l’espéranto comporte un défaut fondamental dans sa conception même.
Et la deuxième raison ? Eh bien, peut-être que de nos jours, nous avons plus envie de nous consacrer à la création de mondes fantastiques, plutôt que de chercher comment réparer le monde réel.
Marie-Jeanne DESIR a participé à l’atelier “Gravure” du Centre culturel de Marchin. Pour elle, graver, c’est élaborer un projet, penser son sens et son graphisme, revenir sans cesse sur l’ouvrage, travailler, imprimer, travailler… Ce qui lui plaît, in fine, c’est le corps, les mains qui fabriquent et expriment “au plus juste” des émotions. Marie-Jeanne Désir est également écrivaine et a publié plusieurs livres (d’après CENTRECULTURELMARCHIN.BE)
Marie-Jeanne Désir utilise des reproductions de vieux documents des chemins de fer français. Son intervention colorée vient apporter un regard décalé, un commentaire amusé qui tranche avec l’austérité un peu désuète du document original. Ici, à côté d’une coupe altimétrique d’un chemin de fer, l’artiste ajoute des masses colorées rappelant les reliefs sur les cartes géographiques.