DEBRAS & GIOE : “C’est d’extrême droite” – S’outiller pour qualifier des discours et des propositions politiques

Temps de lecture : 12 minutes >

[REVUEPOLITIQUE.BE, 17 juillet 2024] Qualifier d’extrême droite un discours, une proposition, un programme, une personnalité ou un parti est délicat. D’une part, les critères politologiques varient et évoluent sans nécessairement constituer une équation mathématique aboutissant à un résultat indiscutable et binaire. D’autre part, les évolutions de l’extrême droite lui permettent de passer entre les mailles du filet de l’analyse. Les auteur·ices proposent trois outils complémentaires pour argumenter la qualification “extrême droite.”

Traditionnellement, la science politique définit l’extrême droite comme un ensemble de discours, de personnalités, de mouvements ou de partis, structurés autour d’un corpus idéologique spécifique : inégalitarisme, nationalisme et sécuritarisme. Des auteur·ices ajoutent à cette liste le rejet des institutions démocratiques (parlementarisme et État de droit) ou des valeurs de la démocratie.

Premièrement, selon l’idéologie inégalitaire, les individus sont naturellement inégaux les uns par rapport aux autres. Il existerait différentes “races” qui déterminent l’identité d’un individu, ses capacités physiques et mentales. Certaines “races” seraient supérieures, d’autres inférieures, et il conviendrait d’appliquer cette “règle naturelle” à l’ordre politique et social.

Deuxièmement, dans une perspective nationaliste, la nation est imaginée comme homogène et pure, formant le “nous“, les “nationaux“, à séparer du “eux“, les “étrangers“. La diversité et le multiculturalisme sont perçus comme des facteurs dégradants de l’identité nationale. La nation doit également être souveraine et indépendante, de sorte que les entités supranationales, les institutions, les traités et les accords internationaux sont critiqués ou rejetés.

Troisièmement, l’extrême droite prône des dispositifs sécuritaires, de contrôle et de coercition, pour protéger cette nation des menaces intérieures et extérieures. L’immigration est présentée comme porteuse d’insécurité en assimilant les étranger·e·s à des “criminels” ou à des “profiteurs“. Sont alors notamment vantés le renforcement de l’armée, et de la police, l’application stricte des peines prononcées, le recours systématique aux peines d’emprisonnement, le retour à l’application de la peine de mort, etc.

Quatrièmement, les rapports entre extrême droite et démocratie sont théorisés de plusieurs manières : selon certain·e·s, l’extrême droite rejette le régime démocratique, c’est-à-dire ses institutions, tandis que pour d’autres, ce sont les valeurs de la démocratie qui sont attaquées.

Du point de vue quantitatif, le curseur est impossible à placer.

Cette définition manque cependant de systématicité et son opérationnalisation est délicate. En effet, d’une part, il n’est pas certain que la rencontre des trois ou quatre critères soit systématiquement nécessaire. La rencontre de deux d’entre eux peut s’avérer suffisante (exemple : la tenue d’un discours raciste et nationaliste). D’autre part, du point de vue quantitatif, le curseur est impossible à placer (un programme politique dont 25% des propositions sont racistes, nationalistes et sécuritaires, diluées dans 75% d’autres qui sont au-delà de tout soupçon, pourrait-il être qualifié d’extrême droite ?). Le curseur qualitatif est également empreint de subjectivité (si une seule mesure d’un programme politique applique une violence discriminatoire pour les personnes étrangères présentées comme des “ennemis de la Nation“, cette mesure est-elle suffisante pour qualifier le programme d’extrême droite ?).

Quant au lien entre l’extrême droite et son rejet de la démocratie, le critère est également discutable. Il suppose que l’extrême droite renonce au jeu électoral et parlementaire – ce qui n’est de toute évidence pas le cas pour plusieurs partis – ou que les “valeurs centrales” de la démocratie soient unanimement et précisément identifiées. Par ailleurs, dans ses discours, l’extrême droite se présente aujourd’hui comme étant la défenseuse de la démocratie et la victime d’un système politique et médiatique qui ne respecte pas ses droits fondamentaux, dont la liberté d’expression.

Évolution des discours de l’extrême droite et émergence d’un tabou ?

Au cours des dernières décennies, les évolutions des discours de l’extrême droite ont rendu moins manifeste son identification au regard de ces trois ou quatre critères. En effet, à la suite de l’adoption des législations criminalisant l’incitation à la haine raciale ou à la discrimination et les Négationnistes, les discours de l’extrême droite se sont policés. Cette stratégie de “dédiabolisation“, visant à contourner les lois précitées et à élargir la base électorale de ces partis, leur a permis d’accéder, dans plusieurs États, aux institutions législatives et exécutives.

Les discours ouvertement racistes ont cédé leur place à la subtilité. Premièrement, le terme “race” disparaît au profit des termes “culture” et “religion“. Il n’est également plus question de “supériorité” et d’”infériorité” de différents groupes, mais plutôt de “différences“, d’individus “assimilables” ou “inassimilables“. Les mots “notre identité” sont aussi progressivement remplacés par “nos valeurs” ou “notre mode de vie“. Deuxièmement, les énoncés hétérophobes sont abandonnés au profit d’énoncés hétérophiles (exemple : l’aide au développement comme outil de lutte contre l’immigration) et plutôt que d’attaquer “eux“, c’est la protection du “nous” qui est mise en avant (exemple : préférence nationale, protection des coutumes et des traditions nationales). Troisièmement, les propos ne sont plus explicites mais implicites (recourant aux métaphores, métonymies et autres figures de style), de sorte qu’ils sont juridiquement (quasi-) inattaquables.

En l’absence d’inégalitarisme et de racisme explicites et revendiqués, les observateur·rices de la vie politique sont davantage prudent·es avant de qualifier tels discours, propositions, programmes, personnalités ou partis d’extrême droite.

À cet égard, UNIA et des chercheurs et chercheuses de l’Université de Louvain évoquent des “discours gris“. Il s’agirait de : “discours inquiétants sans pour autant être juridiquement condamnables [préparant] en quelque sorte le terrain aux discours qui incitent à la haine, la violence et la discrimination à l’égard de certains groupes“. Les auteur·ices ajoutent que ces discours construisent “explicitement ou implicitement, la représentation d’un groupe social donné comme ayant, en tant que tel, une valeur moindre, comme ne jouissant pas d’une égale dignité et ne méritant dès lors pas une considération égale“.

En l’absence d’inégalitarisme et de racisme explicites et revendiqués, les observateur·ices de la vie politique sont davantage prudent·es avant de qualifier tels discours, propositions, programmes, personnalités ou partis d’extrême droite. Une multitude d’appellations connexes sont alors employées : “droite radicale“, “droite populiste“, “nouvelle droite“, “droite extrême“, etc. Ces concepts sont cependant tout aussi flous et privés de définition opérationnelle. De surcroît, ne participent-ils pas, indirectement, à la “dédiabolisation” de l’extrême droite, étant donné que celle-ci n’est plus qualifiée comme telle ?

© amnesty international

Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il est nécessaire de compléter la définition politologique par d’autres outils.

Outil n°1 : qualifier d’extrémiste une proposition politique au regard des droits humains

Si l’extrême est la position la plus éloignée d’un centre, il est indispensable de localiser ce centre. Dans le cadre d’un État de droit démocratique, ce centre est la réalisation des droits humains, fixée dès 1948 comme “la plus haute aspiration de l’Homme.” Indépendamment des critiques qui peuvent être formulées à l’égard du concept des droits humains – non exempts d’imperfections dans leur conception et dans leur mise en œuvre – il n’en demeure pas moins qu’ils sont “l’aune à laquelle se mesure la respectabilité des régimes et des doctrines politiques“.

L’idéologie d’extrême droite est en opposition avec le corpus des droits humains. En effet, l’inégalitarisme et le racisme sont contraires aux principes centraux et transversaux d’égalité et de non-discrimination. Le protectionnisme identitaire et autarcique rejette le développement de relations amicales entre les peuples, un fondement essentiel de la Charte des Nations Unies. Et, enfin, la primauté de l’approche sécuritaire est une inversion du paradigme plaçant, d’une part, les libertés comme principe et, d’autre part, les restrictions à ces libertés comme des exceptions, limitées au strict nécessaire pour atteindre un objectif légitime d’intérêt général. Dans sa résolution du 23 septembre 2012, l’Assemblée générale des Nations Unies précise en outre que “les droits de l’homme, l’État de droit et la démocratie sont interdépendants, se renforcent mutuellement et sont au nombre des valeurs et principes fondamentaux universels et indissociables de l’Organisation des Nations Unies“.

En Belgique, la lutte contre l’extrémisme a plusieurs fois été organisée en référence au triptyque des droits humains, de l’État de droit et de la démocratie.

Ainsi, dans le cadre de la réforme de la Sûreté de l’État à la fin des années 1990, le législateur a précisé les contours de sa mission de renseignement, ciblant notamment “toute activité qui menace ou pourrait menacer la sûreté intérieure de l’Etat et la pérennité de l’ordre démocratique constitutionnel“, c’est-à-dire l’activité qui menace soit “la sécurité des institutions de l’Etat et la sauvegarde de la continuité du fonctionnement régulier de l’État de droit, des institutions démocratiques, des principes élémentaires propres à tout État de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales” soit “la sécurité et la sauvegarde physique et morale des personnes et la sécurité et la sauvegarde des biens“.

Parmi ces activités potentiellement menaçantes auxquelles la Sûreté de l’État s’intéresse figure l’extrémisme, défini comme “les conceptions ou les visées racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires, qu’elles soient à caractère politique, idéologique, confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou en pratique, aux principes de la démocratie ou des droits de l’homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l’État de droit en ce compris le processus de radicalisation“.

Par ailleurs, dans le courant des années 1990, d’autres instruments législatifs vont insister sur les droits humains comme ligne de démarcation entre les idéologies politiques “acceptables” et celles qui ne le sont pas. En effet, à l’époque, le Vlaams Blok a vu accroître son financement à la suite de sa percée électorale de 1991 et publie dans la foulée un plan en 70 points pour mettre fin à l’immigration en Belgique. Cette montée de l’extrême droite suscite l’inquiétude des autres formations politiques.

La loi sur les finances électorales de 1989 est d’abord modifiée en 1995 pour y insérer un article 15 bis obligeant les partis politiques à inclure, dans leurs statuts, leur engagement à respecter et à faire respecter la Convention européenne des droits de l’homme. Ensuite, en 1999, un article 15 ter est adopté pour permettre au Conseil d’État de réduire la dotation d’un parti politique lorsque celui-ci “par son propre fait ou par celui de ses composantes, de ses listes, de ses candidats, ou de ses mandataires élus, montre de manière manifeste et à travers plusieurs indices concordants son hostilité envers les droits et libertés garantis par la Convention [européenne des droits de l’homme]“.

Il existe un consensus pour considérer les droits humains et l’État de droit comme étant le centre de gravité à partir duquel localiser l’extrémisme.

L’application de ce dispositif, amendé à plusieurs reprises, est une entreprise particulièrement laborieuse, notamment compte tenu des multiples garanties procédurales existantes mais également de l’interprétation très restrictive donnée par la Cour constitutionnelle de ce que constitue une “hostilité manifeste” aux droits fondamentaux. Pour la Cour, il ne peut s’agir que de l’incitation à violer “un principe essentiel au caractère démocratique du régime” et non la simple proposition d’interprétation différente ou la critique portant sur l’un ou l’autre des droits fondamentaux consacrés. Pour la Cour constitutionnelle néanmoins, “la condamnation du racisme et de la xénophobie constitue incontestablement un de ces principes car de telles tendances, si elles étaient tolérées, présenteraient, entre autres dangers, celui de conduire à discriminer certaines catégories de citoyens sous le rapport de leurs droits, y compris de leurs droits politiques, en fonction de leurs origines“.

Il ressort de ce qui précède qu’il existe un consensus pour considérer les droits humains et l’État de droit comme étant le centre de gravité à partir duquel localiser l’extrémisme. Les deux dispositifs juridiques précités – mission de la Sûreté de l’État et sanction financière des partis liberticides – mettent en outre l’accent sur l’impact concret des atteintes aux droits fondamentaux sur les personnes au regard du “danger de la discrimination” (Cour constitutionnelle) ou de l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique (loi sur l’analyse de la menace).

Déterminer si un discours, une proposition ou un programme est extrémiste peut donc s’opérer suivant deux questions. Se dirigent-ils vers un renforcement ou un soutien de la protection d’un ou de plusieurs droits fondamentaux ou, au contraire, prônent-ils la généralisation des restrictions ou la violation des droits fondamentaux, en particulier au regard des principes d’égalité et de non-discrimination ? Quel est l’impact de ces restrictions ou violations sur l’intégrité psychique et physique des personnes concernées ?

L’utilité de cet outil d’identification de l’extrémisme est de recourir à des concepts opérationnels, théorisés et construits pour être appliqués à des cas concrets.

Outil n°2 : qualifier d’extrême droite un discours ou une proposition politique en les analysant de manière critique

© youtube.com

Après avoir identifié des politiques publiques extrémistes au regard des droits humains, une seconde étape peut consister à analyser les discours mobilisés pour les justifier, afin d’y déceler les idéologies véhiculées et les stratégies portées.

Les discours ne sont jamais neutres. Ils ne décrivent pas la réalité sociale, mais en construisent une. Ainsi, une “vague migratoire” est une métaphore déshumanisante, assimilant les personnes migrantes à une catastrophe naturelle. Au contraire, une “politique anti-réfugiés” renvoie à une responsabilité politique dans le mauvais traitement réservé à des personnes dont la demande de protection est pourtant légitime. La dramaturgie, les causes et les responsabilités varient.

Les discours ne sont jamais neutres. Ils ne décrivent pas la réalité sociale, mais en construisent une.

Analyser un discours par déduction consiste à vérifier si les critères d’inégalitarisme, de nationalisme, de sécuritarisme ou du rejet de la démocratie structurent manifestement le discours. Si c’est le cas, alors le discours est d’extrême droite. Toutefois, cette méthode se heurte aux évolutions des discours d’extrême droite, rappelées supra, dépouillés de racisme explicite, avançant masqués, jouant sur l’implicite et les métaphores. À l’inverse, une approche inductive des discours décode la réalité sociale qu’ils construisent. Quant à elle, l’analyse critique décèle les idéologies “cachées” derrière les mots, derrière les argumentaires10. Autrement dit, dans les discours, comment les groupes sont-ils définis ? Comment sont-ils mis en opposition ? En fonction de quels rapports de domination ? Quels sont les valeurs et intérêts mobilisés ? Les ennemis présentés ?

Par exemple, au sujet de l’adoption du Pacte migratoire européen, Margaritis Schinas, commissaire au mode de vie européen, se félicite que “nous [ayons] transformé le talon d’Achille de l’Europe en success story“. Nous pouvons nous poser la question de savoir si les dispositifs de contrôle et de coercition adoptés (procédures accélérées, détentions automatiques, procédures de filtrage sur la base de la nationalité, etc), présentés comme des outils de protection d’un groupe (les “Européens” et leur “mode de vie“) contre la menace émanant d’un autre groupe (les “non-Européens“), ne renvoient pas à un univers idéologique d’extrême droite.

Quant à l’immigration, plusieurs termes doivent être analysés dans une perspective critique : “décivilisation“, “ensauvagement“, “islamisation“, “flux migratoire“, “vague migratoire“, “grand remplacement“, “disparition autochtone“, “nuisible“, “étranger illégal“, etc. L’analyse est également valable pour des propositions, telles que la détention en centres fermés, la déchéance de la double nationalité, un moratoire sur l’asile, le retrait d’UNIA, la fin du secrétariat d’État à l’Égalité des genres, à l’Égalité des chances et à la Diversité, l’abrogation des lois contre le racisme et l’incitation à la haine, etc.

Le constat selon lequel un parti n’est pas explicitement raciste ne suffit plus à disqualifier son apparentement à l’extrême droite.

L’approche inductive de l’analyse critique des discours présente l’utilité de dépasser le caractère explicite d’un discours pour se concentrer sur son sous-texte et son contexte afin de contourner l’artifice de la “dédiabolisation“. De la sorte, le constat selon lequel un discours, une proposition, un programme, une personnalité ou un parti n’est pas explicitement raciste ne suffit plus à disqualifier son apparentement à l’extrême droite si, par exemple, la réalité sociale qu’il produit est bien celle de la protection d’une communauté homogène et pure contre un exogroupe infériorisé, érigé en bouc-émissaire, menaçant des acquis ethniques, culturels ou économiques, auxquels des restrictions des droits humains sont imposées.

Par ailleurs, l’utilité de cet outil est également son caractère opérationnel, dès lors qu’il permet une analyse au cas par cas de chaque discours ou de chaque proposition politique, sans devoir justifier si la personne ou le parti dont il émane devrait lui aussi être qualifié ou non d’extrême droite. L’objectif est avant tout de savoir reconnaître, dans un contexte politique où les discours sont “gris”, quelle est la réalité sociale construite par un terme ou une proposition particulière.

Outil n°3 : qualifier d’extrême droite un discours ou une proposition politique en les comparant avec des référents historiques

Sybille Gioe © liguedh.be

Après avoir, premièrement, repéré le caractère extrémiste de propositions politiques au regard des restrictions des droits humains qu’elles comportent et qui portent atteinte à l’intégrité psychique et physique des personnes et, deuxièmement, induit la réalité sociale produite par les discours qui soutiennent ces politiques, une troisième grille d’analyse peut être proposée.

Le placement du curseur est une opération délicate puisqu’il consiste à se demander à partir de quel moment l’abaissement de la protection des droits humains et la mobilisation discursive d’un univers idéologique d’extrême droite devient inacceptable. Où se situe la borne à ne pas dépasser ?

À plusieurs reprises, des programmes politiques ont été condamnés, judiciairement, politiquement et moralement, comme étant au-delà de cette borne. Ainsi, le plan en 70 points du Vlaams Blok a été dénoncé, par le Parlement Flamand (anc. Conseil Flamand) qui – se référant lui-même à d’autres saillances historiques et notoires de l’extrême droite – constatait que “certaines de ses propositions sont reprises du programme en 50 points du Front national du 16 novembre 1991 et visent à isoler les migrants dans un groupe d’apartheid et à les mettre progressivement au ban de la vie sociale, comme l’ont été les concitoyens juifs dans l’Allemagne nazie à partir de 1933” et par la Cour d’appel de Gand comme n’étant que “l’expression de l’intolérance propagée par le Vlaams Blok et inspirée par le racisme et la xénophobie, incompatibles avec les valeurs applicables dans une société démocratique, libre et pluraliste“.

Qualifier d’extrême droite ce qui l’est, ne doit pas non plus être un tabou.

Dans le contexte belge, le plan en 70 points du Vlaams Blok constitue un étalon central pour qualifier d’”extrême droite” des projets politiques et des discours en matière d’asile et d’immigration. En 2017, le quotidien De Standaard avait démontré qu’en vingt-cinq ans, une moitié de ce plan avait été réalisée, partiellement réalisée ou mise à l’agenda.

La comparaison avec un référent historique incontestable présente l’utilité de mesurer la distance, la réduction de cette distance, ou la congruence avec l’idéologie et les politiques publiques prônées par l’extrême droite et ce, même si le contexte change, même si les discours évoluent, même si, à l’instar des différentes versions des plans du Vlaams Blok entre 1992 et 1996, les restrictions aux droits humains et à l’État de droit sont formellement et prétendument justifiées par toutes sortes de considérations.

Conclusion

D’aucun·e aurait raison de penser que le qualificatif “extrême droite” ne peut être mobilisé comme un anathème dans le seul but de délégitimer ou de disqualifier d’autorité un discours, une proposition, un programme, une personnalité ou un parti. L’argumentation peut être ardue. Les critères traditionnellement employés par la science politique manquent parfois de systématicité et d’opérationnalisation. Dans certains cas, les discours et les pratiques institutionnelles de l’extrême droite ont évolué. Les observateur·rice·s de la vie politique peuvent donc éprouver une certaine réticence à employer cette appellation. Or, qualifier d’”extrême droite” ce qui l’est, ne doit pas non plus être un tabou.

La grille d’analyse ici discutée, aux dimensions juridiques, discursives et historiques qui complètent l’approche politologique, entend donc résoudre cette tension. Elle propose de cibler les objets d’études, d’identifier leur apparentement à l’extrême droite à l’aide de critères opérationnels, et de renforcer la démonstration d’une qualification d’extrême droite de ces objets. Elle ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité sur les manières d’appréhender les discours et programmes d’extrême droite, par exemple en fonction du contexte économique, social et politique de leur émergence ou de l’arsenal rhétorique mobilisé.

Les trois outils proposés pour qualifier des discours et des propositions d’extrême droite peuvent se résumer en trois questions : les discours et les propositions politiques sont-ils dirigés contre les droits humains ou l’intégrité de certaines personnes ? Les discours et propositions politiques construisent-ils une réalité sociale telle que celle fantasmée par l’extrême droite ? Les discours et propositions sont-ils similaires à ceux soutenus par l’extrême droite dans le passé ?

François Debras (ULiège) & Sibylle Gioe (Ligue des Droits humains)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : revuepolitique.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, Tess Asplung fait face à  300 néo-nazis à Borlänge (Suède, 2016) © David Lagerlof ; © Amnesty International ; © youtube.com ; © liguedh.be.


Plus d’engagement en Wallonie…

DESPRET : L’art de la joie et de se laisser affecter

Temps de lecture : 12 minutes >

[d’après LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS.NET, n°213, 2022] Les recherches, les ouvrages de Vinciane DESPRET (née en 1959) déplacent les questions, toutes les questions, qu’elles soient philosophiques, éthologiques, existentielles. Philosophe, psychologue, éthologue, chercheuse et enseignante à l’Université de Liège, elle ouvre le questionnement à ce qui a été minoré, tenu pour négligeable.

L’art de la joie et de se laisser affecter

Lorsque, dans les années 1990, Vinciane Despret fait du champ philosophique un espace de recherches portant sur les animaux (et non sur l’animalité), ce geste est à l’époque résolument marginal, iconoclaste, anticonformiste. Dès ses premiers travaux publiés (La Danse du cratérope écaillé. Naissance d’une théorie éthologique, 1996 ; Ces émotions qui nous fabriquent. Ethnopsychologie de l’authenticité, 1999 ; Quand le loup habitera avec l’agneau, 2002…), elle se détourne d’un habitus de penser philosophique dominant (conceptualisation abstraite, angle anthropocentré, primat de la rationalité, dualisme intellect/émotion…).

Son double geste de frayer des dialogues avec les animaux d’une part, avec les morts de l’autre (Au bonheur des morts. Récits de ceux qui restent, 2015) s’emporte à partir d’un nouveau plan de composition sur lequel se tissent des relations entre eux et nous. Penser ce que le régime occidental des savoirs, des sciences relègue, à tout le moins a longtemps relégué dans l’inaudible (les animaux, les défunts, mais aussi les émotions) implique un décentrement. Une rupture avec la vision anthropocentrée et la volonté de secouer l’empire du « nous, humains » afin de tracer des diagonales entre les manières que déploient les expressions du vivant pour habiter la Terre.

Marquée notamment par les relations que la philosophe Donna Haraway a nouées avec sa chienne Cayenne, Vinciane Despret interroge à nouveau frais la question d’activer un engagement avec un merle, un poulpe. Comment mobiliser une qualité d’attention, comment “faire exister, rendre désirables d’autres modes d’attention” ? Que signifie penser en oiseau, en poulpe et non penser sur eux ? Quels déplacements, quelles bifurcations engage l’expérimentation de penser comme un oiseau ? Cette multiplication des façons de “fabriquer des mondes” repose sur une suspension de la position de maîtrise dans laquelle l’humain se tient. En d’autres termes, penser, sentir, vivre dans l’immanence des rapports avec le vivant, et non pas à l’abri de la distance et d’une hiérarchie des places du savoir, a pour réquisit la mise à l’écart du dispositif du maître et de l’élève pour reprendre la thèse de Jacques Rancière.

Déterritorialisation des pratiques scientifiques et de la philosophie

La déterritorialisation des pratiques scientifiques qu’opère Vinciane Despret dynamise en retour la philosophie en l’ouvrant à un de ses dehors : l’éthologie. Le souci de l’universel, de la généralité qui a longtemps prévalu et prévaut encore en philosophie, dans les sciences, rate la rencontre avec l’individualité animale. Dans Composer avec les moutons, co-écrit avec Michel Meuret, le sous-titre, Lorsque des brebis apprennent à leurs bergers à leur apprendre, met en lumière la complète réélaboration de la “question animale” en philosophie. Les animaux apprennent à des humains à leur apprendre. La recherche sur le terrain porte sur un espace de co-apprentissage, d’apprentissage réciproque entre moutons et bergers, et sur l’invention de nouvelles manières de penser et de sentir qui tissent un monde commun, partagé, construit par les humains et les animaux, par les alliances qu’ils développent. Les histoires de poulpes, les récits d’anticipation sur les araignées ou les wombats concourent à tisser un monde habitable à partir d’une continuité entre les formes du vivant qui a été mise à mal. L’observateur oriente ce qu’il observe, interprète les comportements à partir de ses attentes, de ses préjugés, voire induit des attitudes, des réactions. Il s’agit de ne pas occulter cette détermination du savoir par le cadre interprétatif posé par l’éthologue. Mais les scènes du savoir, de rencontres que Vinciane Despret rend possibles excèdent la partition stricte entre observateur et observé, entre sujet actif et objet passif. Il s’agit de se mettre à l’épreuve en se laissant métamorphoser par ce que l’on rencontre. Il s’agit de s’aventurer au milieu, de se glisser entre ce que l’Occident a posé en polarités duelles (humain/monde, sujet/objet…), de peupler l’espace de leur continuité. L’horizon est celui d’une écologie des pratiques (Isabelle Stengers) et de l’immanence. Un horizon non pas lointain, toujours dérobé, mais un horizon ici, en construction, en mouvement, un horizon-gérondif.

À l’heure où la “cathédrale du vivant“, sa diversité sont mises en péril, à l’heure de la sixième extinction massive des espèces animales (et végétales), des rhizomes de penseurs, d’activistes, de militants mettent en place des modes de pensées et de pratiques qui invitent à co-habiter avec les autres règnes du vivant. Survenant à l’ère de l’Anthropocène (ou Capitalocène, Occidentalocène…), ce sursaut et cette riposte font entendre la voix des non-humains et travaillent à enrayer, à freiner la spirale écocidaire. Dans un monde en ruines — ces ruines du capitalisme dont parle Anna Tsing, qui nous obligent à inventer un nouvel art de sur/vivre —, sur une terre malade, abîmée par la dévastation environnementale et l’effondrement de la biodiversité, des alliances entre acteurs humains et non-humains sont à même de déjouer des entreprises destructrices. Dans un entretien avec Nastasia Hadjadji, Vinciane Despret cite le cas du nouage entre les militants écologistes et l’amarante.

J’ai lu récemment un livre passionnant, Nous ne sommes pas seuls. Politique des soulèvements terrestres de l’ingénieure agronome Léna Balaud et du philosophe Antoine Chopot. Il fournit quantité de cas concrets d’alliances insurrectionnelles où des êtres vivants vont mettre à mal les projets les plus destructeurs. C’est le cas par exemple avec l’amarante, qui s’est développée en compagnie des monocultures et qui résiste au Roundup. Nos alliés sont multiformes, considérablement plus nombreux et divers que ce que notre imagination laisse entrevoir. Ces alliances peuvent toutefois être problématiques pour les humains. C’est le cas par exemple en Belgique avec la renouée du Japon, une espèce très invasive qui compromet l’existence d’autres plantes. Il faut alors apprendre à négocier, chercher d’autres alliances. Je suis convaincue de la fécondité des alliances entre espèces. Elles nous permettent de sortir de cette logique où les animaux et les plantes sont au service de l’espèce humaine.

Politique de l’alliance et puissances du récit

La politique de l’alliance est au cœur de la démarche de la philosophe-éthologue. Elle prend aussi la forme d’un réseau de pensées, d’un nouage avec les travaux d’Isabelle Stengers, de Bruno Latour, Donna Haraway, Baptiste Morizot et d’autres. L’abandon du mirage du propre de l’homme, de son exception, de son extériorité par rapport au monde entraîne des corollaires : à la continuité des expressions du vivant répondent la continuité entre certaines confréries de penseurs, la continuité entre les vivants et les morts. Une refonte, une révolution dans les manières de penser, de sentir, de co-exister avec les autres espèces. Bêtes et hommes ; Penser comme un rat ; Habiter en oiseau ; Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation ; Au bonheur des morts. Récits de ceux qui restent… accomplissent une double bifurcation. D’une part, ces essais produisent un changement dans les manières d’habiter la terre, d’autre part, ils élisent le récit en composante heuristique de la recherche, comme certains des sous-titres le montrent.

Depuis quelques années, l’art contemporain travaille les enjeux politiques et éthiques de l’esthétique à partir de la puissance du récit. Vinciane Despret induit un bougé dans la méthodologie des sciences du vivant en introduisant le récit (au sens des micro-récits dès lors que les Grands Récits ont montré leur effondrement, leurs limites), la fiction, non comme un cheval de Troie dans l’empire de la rationalité mais comme un générateur de narration spéculative. Pour évoquer les formes de langage et d’écriture, les productions expressives, artistiques des poulpes, des araignées et des wombats, Autobiographie d’un poulpe, un titre dont on n’a pas encore pris toute la mesure, tresse tout à la fois des récits, des observations et des réflexions éthologiques. Dans cette esthétique et cette politique de l’hybridation, les ressources fictionnelles vivifient la pensée, la revitalisent. L’expérimentation d’un nouveau dispositif d’écriture est rendue nécessaire par le dispositif inédit de penser que la chercheuse met en place. Non seulement ces différents registres d’écriture ont droit de cité, mais ils s’inter-fécondent en des “noces contre-nature” diraient Gilles Deleuze et Félix Guattari. Comme dans l’œuvre d’Isabelle Stengers, la science-fiction, sa dimension d’anticipation, de spéculation sur l’avenir, nourrit la pensée scientifique, philosophique de Vinciane Despret. Par son imaginaire anticipatoire, voire visionnaire, la forme de la fiction, de la science-fiction en particulier, agit comme une lanceuse d’alerte qui radiographie les menaces sociétales, environnementales, planétaires qui se profilent. La nouvelle de l’écrivaine américaine Ursula K. Le Guin, intitulée L’Auteur des graines d’acacia (1974), publiée dans le recueil Les quatre vents du désir, développe la notion de thérolinguistique que Vinciane Despret prolonge, détourne dans le champ éthologique et philosophique. La thérolinguistique (de théro : bête sauvage) étudie les productions écrites, littéraires des animaux mais aussi des plantes. Les formes expressives, l’intelligence liée à l’art ne sont plus l’apanage des seuls humains. La théroarchitecture délivre également des enseignements inouïs : ce qu’on a longtemps tenu pour des marquages territoriaux, des productions utilitaires, fonctionnelles est appréhendé comme formes expressives.

Cette idée que les animaux agencent des modèles élaborés de communication, inventent des registres d’expression mais aussi des œuvres littéraires, des penseurs précurseurs l’ont formulée, d’Étienne Souriau à Gilles Deleuze et Félix Guattari, de Michel Serres à Jacques Derrida. De ces propositions spéculatives, de ces intuitions, des éthologues, des ornithologues, des biologistes vont s’emparer afin de les mettre à l’épreuve de leurs pratiques. Pour entrer en connexion avec la poésie vibratoire des araignées, la cosmologie fécale des wombats (marsupiaux fouisseurs vivant en Australie et en Tasmanie) ou les aphorismes d’un poulpe, pour nous faire découvrir les manières dont poulpes, araignées et wombats inventent des croyances, fabriquent des mondes, Vinciane Despret convoque une modalité d’écriture, un rythme narratif qui passe par le récit.

Dans l’essai co-écrit avec Isabelle Stengers, Les Faiseuses d’histoires. Que font les femmes à la pensée ?, les deux philosophes interrogent la place des femmes dans le champ de la pensée et leur éloignement actuel par rapport à la position de Virginia Woolf. Cette dernière lança en effet un appel aux femmes, les enjoignant de ne pas intégrer les cercles masculins du savoir-pouvoir et de leurs violences. Prophétique, armée de lucidité, Virginia Woolf voyait dans l’accueil des femmes au sein de l’université et d’autres instances du pouvoir officiel une entreprise de domestication, de formatage, de destruction des différences et des puissances des “sorcières”. “Faiseuse d’histoires”, Vinciane Despret appartient aux descendantes des sorcières, ces dépositaires d’autres savoirs et de savoir-faire minoritaires, subversifs qui ont été interdits, occultés.

L’art du tact et de la joie

Les mondes du merle, du mouton, du poulpe, du cheval s’approchent par un art des interstices, par un art de l’attention et de la lenteur. Par un arrachement aux théories utilitaristes, au schème fonctionnel de l’évolutionnisme (compétition pour la survie, théorie adaptationniste…). La vision économique de comportements animaux dictés par une logique de calcul, une loi de survie exclut et néglige des composantes observationnelles, des traits remarquables comme l’entraide, la solidarité, le désir, la recherche de la beauté, du plaisir. La méthode suivie par l’observateur décide de ce qu’il retient comme intéressant, remarquable et ce qu’il relègue dans l’insignifiant.

Le récit ne se pose pas comme le dehors de la théorie. S’écartant du concept généralisant, abstrait, de la pensée de l’animal vu en tant qu’espèce, invalidant le dualisme rigide de la pensée et de la sensation, Vinciane Despret cisèle un concept traversé de fiction, d’émotions, ouvert à la perception de l’animal en tant qu’individu. Dans Fabriquer des mondes habitables, dialogue avec Frédérique Dolphijn, la dimension catalysatrice des expériences (émotives, de pensée) est inséparable d’un ancrage, d’une immersion dans le terrain.

Qu’est-ce qu’une émotion ? C’est quelque chose qui te fait sentir.
James dit,
— Les idées, ce n’est pas ce que nous pensons, mais ce qui nous fait penser…

Qui dit terrain dit écoute du particulier, de la chienne Alba, de cet oiseau, du merle qui chante à l’aube.

Il s’est d’abord agi d’un merle. La fenêtre de ma chambre était restée ouverte pour la première fois depuis des mois, comme un signe de victoire sur l’hiver. Son chant m’a réveillée à l’aube. Il chantait de tout son cœur, de toutes ses forces, de tout son talent de merle. Un autre lui a répondu un peu plus loin, sans doute d’une cheminée des environs.

Qui dit terrain dit concret, sortie de la voie de la représentation, de la distance, des grandes polarités, qui dit terrain dit aiguillon de la curiosité, réceptivité à la surprise, à l’inattendu, art de la joie (une immense joie éclate dans les mondes qu’elle crée), art du tact, un “tact ontologique” davantage qu’un tact éthique. Dans la préface à l’essai de Carla Hustak et Natasha Myers, Le Ravissement de Darwin. Le langage des plantes, Maylis de Kerangal et Vinciane Despret définissent le tact ontologique comme le fait d’”explorer délicatement les modes d’existence adéquats, les manières d’être qui demandent le respect des formes” et l’assortissent à un “tact épistémologique” circonscrit comme “l’art de donner à ce que l’on interroge la puissance de vous affecter dans une relation sensible.

Le sketch du “poulpiste” de Pierre Desproges est-il si innocent ? @ INA

Écrire avec les oiseaux, avec les morts, pour les animaux, pour les défunts, pour les vivants ou écrire en oiseau, en poulpe implique une responsabilité dans la traduction de ce que nous supposons être leurs récits, des récits qui transitent par une instance étrangère à leur propre monde, à leur propre voix. Davantage qu’une question éthique, l’interrogation posée par Vinciane Despret (“Est-ce que les auteurs sont à la hauteur des fragilités et des puissances de leur objet ?“) est une question ontologique comme elle le développe.

Les animaux, les morts sont des sujets limitrophes, non académiques, peu considérés, voire méprisés en philosophie, surtout dans les années 1990, années au cours desquelles Vinciane Despret interroge la question animale en philosophie. Animaux et morts mettent à mal la question kantienne de la connaissance, le qu’est-ce que savoir ?. Une question qui s’ouvre sur un mystère quand on s’interroge sur les animaux, sur les morts, non en tant qu’objets d’étude mais en tant que sujets. Comment un chimpanzé, un éléphant, des choucas, des chèvres, des lions nous font-ils penser ? Que nous apprendraient-ils “si on leur posait les bonnes questions ?” Comment, dans l’attention aux effets pragmatiques des questions posées, se donner la possibilité d’être sensible à des points d’inflexion, à des tropismes ?

Si l’Occident a perdu son aptitude à composer des collectifs avec l’ensemble des formes de l’animé et de l’inanimé — formes animales, végétales, minérales —, à nouer des relations avec les morts, si Vinciane Despret nous ouvre, nous reconnecte à ces manières de faire monde qui ressurgissent dans ce que Philippe Descola appelle le naturalisme de l’Occident, les sociétés reposant sur l’animisme et le totémisme n’ont cessé de pratiquer ces continuités. Comment les morts continuent-ils à vivre avec nous, en nous, à communiquer avec les vivants ? Au bonheur des morts s’ancre dans une expérience personnelle, intime que Vinciane Despret déplace et dépasse dans un questionnement philosophique sur le statut des non-vivants, leur action par-delà leur décès. À l’orthodoxie du travail de deuil, érigé en dogme, en devoir par les héritiers de Freud, elle oppose la liberté de forger des liens avec les disparus, de les accueillir, de les célébrer par la mémoire alerte de leur présence, de dialoguer avec eux là où l’injonction normative au travail du deuil, à sa durée limitée, entend briser ces relations, c’est-à-dire appauvrir le monde. La notion indurée, rigidifiée de travail de deuil fait basculer dans l’irrationnel ou le pathologique les conduites de ceux et celles qui vivent avec des “fantômes“, qui négocient avec les revenants, avec des proches disparus venant en aide aux vivants, demeurant à leurs côtés. L’exploration des modes d’existence des animaux ou des morts repose sur des rencontres, des rapports qui, travaillés dans le concret, se situent au plus loin de grilles conceptuelles abstraites. Écouter les vocalises, les trilles, les mélodies virtuoses du merle, le chant du corbeau, la voix d’un mort, se laisser interpeller, affecter par eux nous plongent dans la fabrication de mondes complexes, pluriels.

C’est ne pas oublier que ces chants [d’oiseaux] sont en train de disparaître, mais qu’ils disparaîtront d’autant plus si on n’y prête pas attention. Et que disparaîtront avec eux de multiples manières d’habiter la terre, des inventions de vie, de compositions, des partitions mélodiques, des appropriations délicates, des manières d’être et des importances.

Véronique Bergen

Bibliographie


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | source : Le Carnet & les Instants | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Vinciane Despret et sa chienne Alba (2019) © Emmanuel Luce ; © éditeurs respectifs des ouvrages ; Pierre Desproges © INA.


Plus de presse en Wallonie-Bruxelles…

DESPRET : Le merle et la philosophe

Temps de lecture : 14 minutes >

[TERRESTRES.ORG, 19 décembre 2020] Penser différemment le territoire grâce aux oiseaux : à rebours de la fascination des scientifiques pour la compétition animale, Vinciane Despret propose une conception du territoire attentive aux assemblages et relations d’interdépendance qui s’y jouent. Le savoir, nous dit-elle, doit devenir l’allié des vivants qu’il étudie.

Tout commence avec un merle. Ou bien, tout commence avec le printemps, et une philosophe insomniaque. Réveillée à l’aube, “capturée” nous dit-elle, par un chant, Vinciane Despret s’est laissé toucher par la métamorphose qui, à chaque fin d’hiver, transporte les oiseaux. C’est le passage du silence au chant, de la discrétion à la performance, qui soulève initialement sa curiosité. “Chantait-il sa joie d’exister, de se sentir revivre ? […] Les scientifiques ne pourraient sans doute pas l’énoncer de cette manière.” (p.17) Ce sont pourtant bien les scientifiques que Despret fait parler dans cet ouvrage, où, déroulant l’histoire foisonnante des interprétations appliquées à cette métamorphose, elle déconstruit pas à pas l’omniprésence d’une représentation fixiste et compétitive du territoire. L’histoire racontée ici n’est pas linéaire, mais bien “en plis” (p.55), marquée d’hypothèses poliment falsifiées, de découvertes exclues tout d’abord du domaine reconnu de la science puis invitées à refaire surface. Une histoire où naturalistes, éthologues, géographes, philosophes et acousticiens sont tour à tour convoqués.

EAN9782330176433

Philosophe des sciences, observatrice fidèle des éthologues, Vinciane Despret interroge depuis plusieurs années la manière dont les scientifiques scrutent le monde, en particulier le monde animal. Dans Habiter en oiseau, elle décortique avec pédagogie les débats scientifiques les plus tenaces au sujet du territoire chez les oiseaux, renouant au passage avec nombre de ses questionnements habituels. Comment, tout d’abord, faire place à ce qui importe, pour les humains comme pour les autres vivants ? Attentive aux changements de perspective qui occupent les sciences sociales et naturelles depuis un certain temps, Despret fait valoir l’apport d’une recherche curieuse du ressenti de ceux qui ont longtemps été réduits au simple statut d’objets d’étude. Ce mouvement est intimement lié à son approche écologique et politique de la science : à quelles conditions le savoir peut-il se faire l’allié des vivants qu’il étudie ? À bien des égards, la bibliographie de Vinciane Despret est un traité pour une science attentive au monde dans lequel nous vivons — Habiter en oiseau ne fait pas ici figure d’exception — or ce monde-là “gronde” (p.181) autant qu’il est menacé par le silence. Dès 1962, Rachel Carson dénonçait dans Printemps Silencieux les effets dévastateurs des pesticides sur le vivant, menant entre autres à la disparition des oiseaux et de leur chant. Indirectement, Despret répond à son appel et rajoute que la sensibilité est bien l’alliée de celles et ceux qui reconnaissent dans la crise écologique actuelle la marque d’une inhabitabilité du monde contemporain. Nous connaissions le territoire comme arme de l’appropriation de la terre, il s’y déploie ici comme moyen d’une nouvelle attention aux vivants, à leur diversité, et à leur faculté, si nous les laissons seulement, de nous toucher. La philosophie, dans ce cadre, se fait l’outil d’une remise en question lente, soucieuse de l’impact des concepts, mais consciente aussi de leur portée créatrice. Notre conception du territoire s’y trouve transformée ce qui ne veut pas dire évacuée : chez Despret, on “multiplie les mondes“, on ne les police pas.

PENSER PAR LE MILIEU

Heinrich raconte qu’il est difficile, lorsqu’il veut observer des roitelets, de les trouver : ils sont rares, très discrets, et souvent invisibles dans les forêts. Aussi le chercheur fait-il confiance aux mésanges et à leurs talents pour le compagnonnage et les recherche-t-il pour retrouver ses roitelets — élargissant de ce fait le réseau interspécifique que convoquent les mésanges, cooptant à présent un scientifique humain. (p.175)

Comme à son habitude, Despret réfléchit ici “par le milieu“, par ce qui fait “tenir” ensemble les oiseaux qui chantent le territoire, ceux qui les observent, et la philosophe qui les raconte. Penser par le milieu, c’est refuser tout d’abord que le discours scientifique puisse se construire de manière indépendante, désengagée, et sans la participation active du monde vivant. Le territoire n’est pas un objet construit en laboratoire, tout au mieux s’impose-t-il comme une énigme formulée par les oiseaux en direction des humains qui, dès lors, ne cesseront de multiplier les hypothèses. Il y a là, selon la formule de Stéphane Durand dans sa postface, une “écologie des idées” (p.199). Écologie, parce que les théories vivent et meurent aussi, que quand certaines s’imposent, voire écrasent, refusent à leurs pairs les conditions de la coexistence, d’autres au contraire contribuent à “articuler” la diversité du monde vivant. “Au fur et à mesure des découvertes, on le voit, d’autres territoires apparaissent […] d’autres manières d’habiter, de faire monde” (p.77). Si le territoire est d’abord un concept, il peut aussi être le lieu manifeste de notre violence sur les autres habitants de la terre. Aussi le dispositif d’enquête doit-il se montrer attentif “à l’invraisemblable diversité des manières d’être” (p.37), refuser la négligence, bref, construire un cadre ouvert à la prolifération des différences et des hypothèses. Ainsi l’hypothèse longtemps dominante en ornithologie, qui veut que le territoire borne de manière fixe l’espace où l’oiseau accapare manière exclusive les ressources, se trouve-t-elle confrontée à d’autres, plus discrètes. Chez David Lack, il est un “un siège social à partir duquel parader et chanter” (p.59), un “site de rendez-vous” (p.67) chez Howard, un “lieu de protection” et de “rupture avec le régime d’activité” (p.73) chez Clyde Allee.

Habiter en oiseau, loin de dicter la vérité du territoire, est donc une invitation à composer différemment avec le monde qui nous entoure et les entités qui le peuplent. L’ambition est donc politique, dans la mesure où elle prolonge le pari d’opposer au paradigme du conflit et de l’exploitation celui de la cohabitation. Il y a quelques années, prolongeant l’interrogation de Donna Haraway, Elsa Dorlin et Eva Rodrigues s’interrogeaient de la manière suivante : si la nature “est un collectif à proprement parler, dans le sens où nous participons à sa constitution, au même titre que d’autres entités partenaires […] comment prendre en compte et rendre compte de nos conditions de partenaires“ ? Despret dirait qu’il faut déjà se demander ce qui compte pour eux, les oiseaux, c’est-à-dire sortir des paradigmes scientifiques qui se bornent à réduire “la subjectivité de l’animal à des notions comme celles de la motivation ou de l’instinct“. Ce travail minutieux de déconstruction du grand partage — cette approche moderne de l’univers, longuement critiquée par Descola, qui réduit tout à des catégories binaires, humain/non-humain, culturel/naturel, etc. — passe en premier lieu par un renversement du sujet principal. Ce sont les oiseaux qui génèrent la curiosité ici, eux qui proposent de nouvelles pistes. Les tentatives, dominantes à partir des années 1960, de ramener la pulsion territoriale à un modèle économique d’intérêt pour l’accaparement des ressources s’y trouvent réfutées par les oiseaux eux-mêmes. Contre l’idée, par exemple, que le territoire garantit l’exclusivité de la nourriture disponible, les huîtriers pies partagent, au-delà d’une aire familiale, une “aire alimentaire […] où tous les oiseaux du district viennent se nourrir sans être inquiétés” (p.57). Au postulat qui veut que la délimitation d’un territoire ne soit que l’apanage des mâles, femelles pouillots, moqueurs et phalaropes résistent, construisent elles-mêmes ou en couple leur territoire, le revendiquent et le défendent. Ce sont les oiseaux, donc, qui enseignent à l’être humain l’infinie diversité du monde, où, comme le dit Baptiste Morizot dans sa postface : “le comportement le plus stéréotypé, le chant le plus fruste, est déjà toujours plus compliqué à interpréter que nous en sommes capables” (p.204).

Encore faut-il renoncer à l’idée que la nature est toujours là pour nous apprendre quelque chose sur nous. Loin de chercher une loi qui dicterait tout comportement vivant, ou une manière d’habiter que nous pourrions d’emblée, sans réflexion, appliquer à l’humain, il faut au contraire cultiver l’art des versions. Or les ornithologues sont riches d’enseignements en la matière, eux qui, pour beaucoup, ont renoncé aux approches généralisantes au profit d’études comparatives, plus à même de faire valoir la diversité. Troglodytes, pinsons des arbres et mésanges charbonnières chantent en chœur ? Le rouge-gorge, à l’inverse, “attend le silence pour entamer son chant” (p.179). Et puis, de l’éthologie en général, Vinciane Despret tire la certitude que la science est avant tout affaire de curiosité, c’est pourquoi elle sait faire valoir l’intérêt des savoirs qualifiés de “non-scientifiques“. C’est par exemple Henry Eliot Howard, “naturaliste passionné” (p.20), qui par son observation des mâles bruants des roseaux, incitera finalement la communauté scientifique à faire du territoire un véritable champ de recherche. De manière identique, Despret s’engage dans la valorisation des méthodes d’enquête qui, sans manquer souvent de nous surprendre, témoignent d’un souci nouveau pour l’état des relations entre humains et animaux qu’il s’agit précisément de cultiver. À l’instar de Margaret Nice, qui, par le baguage des pattes des bruants chanteurs qu’elle observe depuis son jardin, octroie la place nécessaire à l’étude de leurs trajectoires individuelles de vie, ou de Jared Verner, qui un jour rattache un nid “pour éviter qu’il ne tombe“, et devient acteur malgré lui du dispositif d’expérimentation. Le savoir, nous dit encore Despret, ce sont bien sûr des idées, des hypothèses que l’on formule, mais aussi des techniques et des “dispositifs” qui “constituent une autre façon de s’organiser avec les animaux” (p.46).

LA PHILOSOPHIE POUR UN MONDE ABÎMÉ

Histoire bien déroutante qui nous est proposée ici, où les oiseaux jouent un jeu d’acteurs, où les scientifiques rattachent maladroitement des nids, et où tous les sens du lecteur sont mobilisés tour à tour. Cette approche par le sensible permet de rappeler que penser le territoire, c’est aussi complexifier la manière dont nous admettons que ce qui nous entoure, ce qui nous touche, est signifiant. Car la pensée moderne n’est pas seulement celle d’une appropriation de la terre, elle est un langage contractuel qui isole l’individu et le pousse à concevoir ses relations aux autres de manière défensive. En 2011, la philosophe américaine Anne Phillips soulignait par exemple le danger qui existe à défendre l’intégrité corporelle par la voie de métaphores territoriales. La propriété de soi, territorialisation du corps, risquerait alors de “construire des murs métaphoriques autour du soi“. Si l’ouvrage de Despret n’entend pas tirer de force des leçons des oiseaux, elle invite tout de même à réfléchir à nos propres manières de penser la relation entre nos corps et les territoires. À commencer par nos oreilles.

© DP

C’est pourquoi la pensée du territoire implique un travail d’élargissement sémantique : “Penser les territoires, c’est également réactiver d’autres sens associés aux mots, […] les déterritorialiser pour les re-territorialiser ailleurs” (p.168). En ce sens, Despret renoue avec une approche tout à fait deleuzienne de la philosophie. Malgré la “méfiance irritée” (p. 105) qu’elle garde à l’encontre d’un penseur dont Donna Haraway considérait que le travail était la “plus claire manifestation […] de l’absence de curiosité à l’égard des animaux», elle s’en inspire en effet tant méthodologiquement que conceptuellement. Au sujet du rôle joué par la philosophie tout d’abord. Deleuze abordait cette dernière “à la manière des vaches». Despret rumine ici avec lui : penser le territoire, c’est bien y goûter cent fois, presser le concept contre ses présupposés et le désarticuler encore, jusqu’à en multiplier finalement la portée. Irritée par les théories trop pressées d’expliquer le territoire pour et au nom des oiseaux, Despret nous pousse à ralentir. Il faut en premier lieu questionner l’impact d’un imaginaire moderne sur nos propres modes de pensée, imaginaire où “l’environnement est d’abord et avant tout […] une ressource à exploiter” (p.105), où la terre se divise et se possède unilatéralement. L’anthropocentrisme de cette lecture satisfait d’ailleurs rarement les ornithologues, dont “très peu […] véhiculent une conception en termes de “propriét锓. (p.27) Déterritorialiser, c’est déjà désaccorder le concept de ses “habitudes de pensées tenaces” (p.94), pour l’articuler à d’autres choses.

On récusera donc non seulement le présupposé qui veut faire du territoire une donnée universelle du vivant, mais on questionnera surtout le sens même de la territorialisation, en le déliant de ses corollaires non questionnés : l’exclusivité, la nécessité, l’agressivité, et l’utilité. Comment procéder alors ? Attentive aux leçons de Donna Haraway, Despret admet volontiers qu’aucun concept n’est innocent. Réfléchir au territoire, c’est porter avec soi une histoire faite de “violences appropriatives et [de] destructions” (p.26) qui, dans le monde de l’ornithologie, prend parfois le visage d’un meurtre organisé : en 1949, Robert Steward et John Alrich proposent de tuer l’ensemble des oiseaux d’une aire donnée de la forêt du Maine pendant la période de reproduction, afin de mesurer la part d’oiseaux non accouplés faute de territoire. “Plus du double des mâles présents au premier recensement, toutes espèces confondues, ont fini par être éliminés” (p.98). Mais l’art pratiqué par Vinciane Despret ne consiste pas à abandonner les concepts à leur histoire problématique, il est celui d’une écoute patiente, d’une sélection minutieuse, moins attachée aux courants et aux groupes d’appartenance des locuteurs qu’à la force de leur proposition. La sélection d’un corpus de recherches publiées dans leur grande majorité entre le XXe et le XXIe siècle permet ainsi de suivre de près la circulation d’une idée et sa réappropriation, parfois malhabile, par d’autres. La structure de l’ouvrage soutient également cette démarche, oscillant avec musicalité entre des moments “d’accords” — où différentes études sont réunies par la thèse qu’elles entretiennent — et des “contrepoints“, séquences d’ouvertures où l’autrice prend le temps du ralentissement, convoque d’autres disciplines et d’autres perspectives.

Vinciane Despret sur son territoire…

Dans la lignée de Bruno Latour ou d’Isabelle Stengers, Despret réaffirme ici la dimension politique de toute épistémologie : les scientifiques, si nous savons en faire les alliés de la dénonciation du réchauffement climatique, peuvent aussi par leurs registres, leurs schémas, leurs postulats, reproduire l’idée d’un conflit inévitable pour les ressources entre les humains et les autres entités vivantes. Il n’existe donc pas d’espace extérieur à la réflexion sur notre manière de faire du collectif, de cohabiter avec ceux dont le capitalisme prédateur considère encore qu’ils ne sont que des moyens. Despret nous le rappelle notamment dans la conclusion : philosopher dans un “monde abîmé“, “c’est ne pas oublier non plus que ces chants sont en train de disparaître, mais qu’ils disparaîtront d’autant plus si on n’y prête pas attention.” (p.181). Voilà qui donne un sens tout particulier à l’objectif affiché de l’ouvrage. Se demander ce qu’est habiter en oiseau, ce n’est pas (seulement) répondre à la curiosité que suscite le chant d’un merle, c’est encore chercher la manière la plus délicate de composer avec lui, de le maintenir en vie, et de l’honorer. Il faut donc procéder avec intelligence, “au sens latin“, disait-elle ailleurs, “où intelligere implique d’abord la capacité d’apprécier, d’être connaisseur, de développer un goût et un discernement.” Du tact. L’ampleur de la crise écologique n’invite ici ni au désespoir ni au désintérêt, bien au contraire ; et la “solastologie” — cet état de souffrance causé par les désastres environnementaux actuels — offre un visage actif : c’est précisément, nous dit Despret, à partir de ces affects tout contemporains que nous saurons nous rendre “attentifs à la perte” (p.101). Certains regretteront que cette dimension ne soit pas plus développée : si l’inattention est un problème, l’utilisation des pesticides en est certainement un plus grand. Mais la proposition est avant tout méthodologique.

On apprendra par conséquent à distinguer d’une part les questions qui suscitent des réponses, et d’autre part, les questions qui rendent la nature “mutique” (p.51). Ainsi les approches fonctionnalistes, qui visent à réduire le territoire à l’octroi d’une seule ressource — nourriture, femelles (faut-il encore s’en étonner), sécurité — sont progressivement battues en brèche. Certes, le territoire “assure la subsistance de ceux qui le défendent” (p.57), certes il apparaît central dans l’organisation de la conjugalité, certes il protège contre les prédateurs. Les carouges de Californie occupent ainsi une végétation dense et basse qu’elles défendent contre tout intrus, mais tout ce qui est au-dessus est partagé avec les autres sans conflit. “Le ciel est à tout le monde chez les carouges” (p.117). Mais il y a plus. “Pas plus que le besoin n’explique l’institution, la pulsion n’explique le territoire.” (p.151) Plutôt que de chercher à réduire le comportement des oiseaux à une seule loi universelle, un seul besoin, une seule pulsion, peut-on au contraire l’envisager d’un point de vue environnemental, en pensant la manière dont les oiseaux s’associent au monde ? L’alliance ancienne entre territorialisation, nécessité et agressivité s’y efface progressivement sous l’hypothèse que le territoire, loin d’être soumis à des individus, est plutôt une “extension du corps de l’animal dans l’espace” (p.36). Il pourrait donc évoluer avec, par, et pour les oiseaux. Le 31 décembre 1933, le gel d’un étang dans le Worcestershire semble avoir un temps neutralisé toute démarche séparatiste. Les oiseaux occupent l’étang sans plus chercher à se distinguer les uns des autres. La territorialisation n’est donc pas qu’affaire d’instinct, elle répond et joue avec l’environnement. “La transformation du milieu effectuée par des créatures va elle-même susciter chez ces créatures des modifications d’habitudes, de manières de faire, de façons de vivre et de s’organiser” (p.157).

LA LUTTE POUR LE TERRITOIRE

Il faut ainsi détacher le territoire de son corollaire moderne, l’idée d’une appropriation unilatérale de l’espace, pour l’envisager autrement. Beaucoup ont en effet cherché à faire de ce dernier le lieu d’une violence colportée par les mâles. Despret suppose au contraire qu’il est “au service de la rencontre” (p.68), un “piège à attractions” (p.125), voire une manière “d’organiser la conjugalité“, une “forme à partir de laquelle les oiseaux vont composer” (p.159). Cela explique pourquoi les pratiques de défense du territoire paraissent si singulières aux yeux des théoriciens de l’agressivité, tels que Konrad Lorenz. À y regarder de plus près en effet, le territoire, ce “n’importe quel lieu défendu” (p.27), étonne par les modalités de sa protection. Des combats “plus formels que réels” (p.134), une violence purement démonstrative donc et peu blessante, presque systématiquement “menée à l’initiative de l’oiseau résident” (p.134) sans pour autant empêcher réellement le partage du territoire. Les oiseaux font-ils semblant ? Il ne s’agit pas de dire ici que la vie collective des oiseaux est dénuée “d’intérêts conflictuels” (p.131), seulement que la réduction de tous les comportements au seul conflit ne permet pas de faire valoir ce qui compte pour eux, soit la recherche permanente du voisinage. Nous y voilà, le territoire n’est pas tant l’espace de “l’habiter” que du “cohabiter” (p.41), tout ici est affaire d’assemblages qui soutiennent des relations d’interdépendance. D’ailleurs les frontières qui dessinent l’espace lient davantage qu’elles ne séparent, le territoire se distingue par la promesse d’un voisin, “l’apport d’une périphérie” nous dit Despret, où s’exprime alors tout “l’enthousiasme” des oiseaux (p.143). L’importance de la nourriture ou des violences s’y trouve subvertie par un paysage composite où le chant, les couleurs, les parades et les cohabitations s’exercent de manière multiforme. C’est bien en désenclavant le concept du territoire que l’on s’autorise à percevoir ce que l’on avait jusqu’alors minimisé. À l’unilatéralité du paradigme de la compétition pour les ressources s’articule alors progressivement celui de la coopération. Et si les territoires étaient en fait “des formes qui génèrent des relations sociales, voire qui donnent forme à une société” (p.159) et le chant, l’une des modalités de cette “composition“, si bien que, progressivement, certains oiseaux vont jusqu’à s’accorder à la mélodie de leurs voisins ? Les bruants à couronne blanche de la région de San Francisco, territoriaux à l’année, “ont quatre chants différents au départ, mais au fur et à mesure, ils vont en privilégier deux types, qui s’accordent avec celui des voisins avec qui ils interagissent.” (p.168) On comprend bien dans ce cadre que ce n’est pas l’espace qui prime dans le territoire, ou du moins, que “cet espace n’a pas grand-chose à voir avec ce que nous, qui sommes attachés à la terre, appelons “étendue”” (p.117). Car la manière d’être des oiseaux répond davantage de la temporalité, de l’action, de la “spectacularisation” (p.34) : le chant est une manière comme une autre d’affecter, à distance, ses congénères ; mais affecter n’est ni nécessairement violenter, ni nécessairement exclure…

© DP

De ce voyage dans les territoires chantés, nous gardons donc l’assurance que l’attention n’est pas une mesure superficielle, mais bien une manière d’être au monde politique. Il s’agit de se considérer soi-même comme partie prenante d’une certaine intelligibilité du monde, briser le narcissisme de ce que Baptiste Morizot appelle parfois nos “cartographies ontologiques“, ces “représentations intériorisées des frontières et des ponts qui nous articulent aux autres êtres rencontrés”. Si nous voulons construire de nouvelles modalités de cohabitation de la terre, il faudra d’abord savoir écouter, regarder, sentir la diversité qui nous entoure, admettre que nous y sommes très physiquement et directement liés, et que le destin qui nous engage n’est jamais uniquement le nôtre. Une fois la lecture achevée, un sentiment d’insuffisance persiste néanmoins. Oui, ralentir pour mieux écouter paraît bien nécessaire, mais le monde n’est pas qu’”abîmé“, il s’effondre, et tandis que certains ralentissent, d’autres travaillent au contraire activement à renforcer ces processus de destruction, d’extraction, de dévitalisation.

Il ne faut pourtant pas minimiser la radicalité du propos. En pensant le territoire du point de vue des oiseaux, Despret réinvestit de manière tout à fait créative le triptyque être-habiter-posséder. À rebours de pensées individualisantes qui veulent que ce qui est occupé par l’un ne soit pas habité par d’autres, pour qui les ressources ne sont pas ce qui nous permet de tenir, mais ce qui doit faire l’objet d’une lutte exclusive, Despret cherche entre les êtres des modalités de relations “non dramatiques” (p.73). Le territoire sépare ? Autant qu’il est le lieu de l’activité sociale. Habiter, c’est s’approprier ? D’accord, si l’on admet que l’on ne s’approprie jamais un territoire sans que lui-même ne nous affecte, que l’appropriation n’est pas une mesure d’objectivation, mais d’instauration, au sens que Despret emprunte à Etienne Souriau, c’est-à-dire “participer à une transformation qui mène […] à plus d’existence.” L’ouvrage n’honore donc pas seulement les pensées d’un rapport écologique au monde, même si c’en est certainement l’apport le plus évident. Après sa lecture, il est vrai qu’on n’écoute plus les oiseaux chanter de la même manière.

Camille Colin

Recension de : DESPRET Vinciane, Habiter en oiseau (Arles : Actes Sud, 2019)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : terrestres.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, merle (Turdus Merula) © Benoit Naveau.


Plus de vie en Wallonie-Bruxelles…

LAUREYS : l’expérience de mort imminente est une réalité physiologique

Temps de lecture : 4 minutes >

“L’étude menée par des scientifiques des universités de Liège et de Copenhague, vient d’être publiée dans la revue Brain Communications [The evolutionary origin of near-death experiences: a systematic investigation, by Costanza Peinkhofer, Charlotte Martial, Helena Cassol, Steven Laureys, Daniel Kondziella]. Elle propose l’hypothèse que ces expériences de mort imminente chez l’humain seraient un mécanisme de défense, de survie, en cas de danger de mort. Ce mécanisme ressemblerait aux comportements de simulation de mort, de thanatose (expérience de mort imminente chez les animaux, ndlr), observés chez de nombreuses espèces animales quand elles sont confrontées à des prédateurs et en danger.

Mais qu’est-ce qu’une expérience de mort imminente ? “Pour moi, c’est une réalité physiologique. Elle se passe classiquement quand on est en danger de mort“, explique Steven Laureys, neurologue et responsable du Coma science group et Centre du cerveau de l’université de Liège. “Elle s’accompagne d’un sentiment de bien-être. On ne ressent plus son corps comme s’il y avait une ‘décorporation‘. Le phénomène est fascinant, il mériterait davantage de recherches scientifiques.

Ces expériences se manifestent de façon différente chez les personnes qui en font l’expérience. Mais le mythe de la lumière blanche ne serait pas nécessairement un mythe. Nombreux sont ceux qui en font état.

Malgré tout ce phénomène reste un mystère. Pour certains, ce phénomène pourrait être dû à un manque d’oxygène dans telle ou telle partie du cerveau. D’autres comme Steven Laureys ne sont pas d’accord avec toutes ces hypothèses. D’autant que c’est encore un phénomène qui nous échappe.

Un phénomène qui reste à ce point fascinant que les scientifiques ne sont pas les seuls à s’y intéresser. D’ailleurs, d’autres personnes y voient des explications religieuses, y voient une preuve d’une vie après la mort ou de l’âme qui quitterait notre corps. Il manque clairement une théorie pour l’expliquer ajoute Steven Laureys et pour comprendre à quoi il sert.

Pourquoi ce fascinant phénomène serait-il limité à l’homme ?
L’âge de glace © Blue Sky

Quand un animal fait face à un danger, par exemple un prédateur, en dernier recours, il peut se battre, fuir ou avoir une troisième réaction fascinante. Il va tomber et simuler sa mort. Ce qui se passe dans son cerveau est difficile à savoir. L’animal ne parle pas mais les scientifiques belges et danois pensent que les animaux ont une conscience comme nous. Ils ont donc épluché la littérature “animale” et ont exhumé 32 articles sur ce phénomène de simulation de la mort.

A chaque fois, il y avait cette sensation de bien-être, de ne plus sentir leur corps comme s’ils en étaient dissociés

Parallèlement, les chercheurs ont lancé un appel à témoins. 600 personnes des quatre coins de la planète qui avaient vécu cette expérience, leur ont raconté leur histoire. “Récits de confrontations avec des lions, des requins“, nous détaille le scientifique liégeois, “sept témoignages concernaient des agressions physiques ou sexuelles, mais il y avait aussi beaucoup d’accidents de voiture. A chaque fois, il y avait cette sensation de bien-être, de ne plus sentir leur corps comme s’ils en étaient dissociés.

L’expérience de mort imminente remonte peut-être à la nuit des temps

Ce sont ces témoignages et les publications sur les animaux qui les ont conduits à formuler leur hypothèse. Peut-être que la mort imminente fait partie de notre évolution depuis des millions d’années. Elle est observée de la même manière chez les humains et chez les autres mammifères. Et pas seulement, chez les poissons, les reptiles et même les insectes, on retrouve aussi cette réaction paradoxale de rester immobile, de ne plus réagir aux sollicitations tout en gardant tout de même une conscience.

D’un point de vue biologique, neurologique, tous les animaux ont eux aussi des pensées, des perceptions, des émotions, même si, je le concède, le sujet reste tabou. Il est complexe, il faut poursuivre les investigations.

Notre neurologue est clair : “Pour moi, cela pourrait être un mécanisme de défense qui permet de nous protéger dans une situation d’extrême danger et qui serait encore là aujourd’hui. Pas seulement en cas de traumatisme ou d’accidents de voitures mais aussi après un arrêt cardiaque avec manque d’oxygène global dans le cerveau.

Cherche de nouveaux témoins qui ont vécu cette expérience de mort imminente
BOSCH Hieronymus, Ascension des bienheureux au paradis (détail, 1500-1504) © Palais des Doges de Venise

La recherche est loin d’être finie. Aujourd’hui, l’équipe du Coma Science Group du CHU de Liège, est à la recherche de nouveaux témoins. Alors si, vous aussi, vous avez vécu cette expérience de mort imminente, vous pouvez la partager en envoyant un mail avec votre histoire. NDE@Uliege.be (Near Death Experience).

Nous voulons écouter ceux qui l’ont vécu. Il faut l’avoir vécu, moi je ne sais pas de quoi je parle, je n’ai jamais vécu pareille expérience. Pas trop d’arrogance scientifique, juste de la curiosité et la méthodologie d’essayer de confronter ce que l’on pense comprendre avec ce que l’on pense mesurer“, conclut, avec humilité, Steven Laureys.” [RTBF.BE]


Plus de presse en Wallonie-Bruxelles…

RAXHON, Philippe (né en 1965)

Temps de lecture : 3 minutes >

Né à Ougrée en 1965, Philippe RAXHON est docteur en histoire, professeur ordinaire à l’Université de Liège et chercheur qualifié honoraire du Fonds National de la Recherche scientifique (FNRS). Il dirige l’Unité d’histoire contemporaine de l’Université de Liège.

Il fut président du Conseil de la transmission de la mémoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles entre 2009 et 2019. L’historien s’est interrogé sur les processus mémoriels, sur les relations entre l’histoire et la mémoire, sur la présence du passé dans les sociétés, dès sa thèse de doctorat, dont l’ouvrage qui en est issu, La Mémoire de la Révolution française en Belgique (Bruxelles : Labor, 1996), préfacé par l’historien français Michel Vovelle, a reçu plusieurs prix, notamment de l’Académie royale de Belgique et de l’Académie française.

Il a publié une quinzaine de livres historiques comme auteur, coauteur, ou directeur éditorial, ainsi que deux recueils de poèmes et un roman épistolaire en 1989, Les Lettres mosanes, d’abord décliné en épisodes radiophoniques sur la RTBF.

Il enseigne notamment la critique historique, l’histoire des conceptions et des méthodes de l’histoire, et l’histoire contemporaine. On lui doit de nombreuses publications sur les relations entre l’histoire et la mémoire, sur des thèmes divers, de la Révolution française à la Shoah, en passant par Liège et la Wallonie, soit près de 150 articles de revues historiques et d’actes de colloques.

Il a participé à de multiples rencontres et colloques internationaux, et a développé des liens en particulier avec l’Amérique latine, dont il a enseigné l’histoire à l’Université de Liège. Il a été et est également membre d’une série d’institutions scientifiques au niveau national et international.

Il fut l’un des quatre experts de la commission d’enquête parlementaire “Lumumba“, une expérience dont il a tiré un livre : Le débat Lumumba. Histoire d’une expertise (Bruxelles : Espace de Libertés, 2002).

Il est aussi le concepteur historiographique du premier parcours de l’exposition permanente des Territoires de la Mémoire (Liège), et l’auteur du Catalogue des Territoires de la Mémoire (Bruxelles : Crédit communal, 1999).

Il fut également membre de la commission scientifique du Comité “Mémoire et Démocratie” du Parlement wallon, et du comité d’accompagnement scientifique pour la rénovation du site de Waterloo (Mémorial).

Il est le coauteur, en tant que scénariste et dialoguiste, des docu-fictions pour la télévision Fragonard ou la passion de l’anatomie réalisé en 2011 par Jacques Donjean et Olivier Horn, et de Les Trois Serments réalisé en 2014 par Jacques Donjean.

Conférencier, accompagnateur de voyages mémoriels, conseiller historique pour des manuels scolaires, des expositions et autres manifestations, membre de jury de prix, chroniqueur dans la presse, présent régulièrement dans les médias, il conçoit son activité d’historien dans l’espace public comme un complément indispensable à l’exercice de la citoyenneté.

Ses derniers livres sont :

  • Centenaire sanglant. La bataille de Waterloo dans la Première Guerre mondiale (Bruxelles : Editions Luc Pire, 2015) ;
  • Mémoire et Prospective. Université de Liège (1817-2017), en collaboration avec Veronica Granata, (Liège : Presses Universitaires de Liège, 2017) ;
  • La Source S (Paris : Librinova, 2018) ; La Source S a été éditée sous le titre Le Complot des Philosophes par City Editions en 2020 et est parue en édition de poche en avril 2021 ;
  • La Solution Thalassa (Paris : Librinova, 2019) ; La Solution Thalassa est parue en avril 2021 chez City Editions ;
  • Le Secret Descendance (Paris : Librinova, 2020) ; Le Secret Descendance est la suite du Complot des Philosophes et de La Solution Thalassa, les trois volumes constituent la trilogie de la mémoire mettant en scène Laura Zante et François Lapierre, des historiens confrontés à des sources qui imposent des défis à leur esprit critique.

Il écrit désormais des thrillers pour donner du plaisir à réfléchir, des romans à ne pas lire si vous êtes satisfait de vos certitudes…


S’engager encore…

RAXHON : Quand le croire est aussi fort que le voir, publier “Mein Kampf” reste dangereux (2021)

Temps de lecture : 3 minutes >

Quelle fut l’importance de Mein Kampf dans l’avènement du IIIe Reich et son  cortège d’horreurs ? Ce livre est-il toujours dangereux, telle une vieille grenade déterrée ? William Bourton [LESOIR.BE] a interrogé Philippe RAXHON, professeur d’histoire et de critique historique à l’Université de Liège.

Comment est né Mein Kampf et comment a-t-il été reçu à sa sortie ?

Hitler l’a rédigé en prison, en 1924-1925. À l’époque, d’un point de vue politique, il n’est encore pratiquement rien. Quand on ne connaît pas la suite de l’histoire, ce n’est qu’un récit halluciné. C’est un ouvrage qui n’est pas bien écrit, une suite de pulsions expressives où l’auteur déverse une série de critiques et de dénonciations, où il s’en prend particulièrement aux Juifs, mais également aux Anglais et aux Français. Lors de sa publication, peu d’observateurs soulèvent sa dimension prophétique. Mais au fur et à mesure que l’ascension politique d’Hitler gagne en popularité, forcément, on associe ce personnage à son livre. Et lorsqu’il accède au pouvoir (en 1933), ça devient un ouvrage officiel. À partir de ce moment-là, en Allemagne, il devient impossible d’échapper à Mein Kampf. C’est alors que sa postérité va prendre un autre sens.

Tous les crimes du régime nazi sont-ils annoncés dans Mein Kampf ?

Il y a effectivement une dimension programmatique, même si ce n’est pas non plus une prophétie : il ne donne pas la date de la création d’Auschwitz… Mais au fond, il est conçu comment, cet ouvrage ? Il ne vient pas de nulle part. Il rassemble tous les délires antisémites qui pouvaient exister depuis le dernier tiers du XIXe siècle, teintés d’un racisme biologique.

C’est l’idée qu’une nation, c’est comme un être vivant, qui est destiné à croître ou à périr s’il n’y a pas de croissance, qui peut être agressé de l’extérieur ou de l’intérieur par des virus : les Juifs et d’autres minorités. L’antisémitisme est par ailleurs très virulent au début du XXe siècle, avec l’affaire Dreyfus en France, les pogroms en Russie, le Protocole des Sages de Sion, etc. Hitler est nourri de cela. Il identifie donc tous les maux de l’Allemagne à la fois à “l’engeance juive éternelle” mais aussi à toute une série de trahisons conditionnées par la Première Guerre mondiale et le Traité de Versailles. Et il fait une synthèse des préjugés qui existent déjà en y ajoutant un regard qu’il porte sur le présent, alors que l’Allemagne est dans une misère noire, malgré l’allègement des dettes de guerre.

Au début des années 30, Hitler se persuade qu’il avait raison lorsqu’il écrivait Mein Kampf. Et lorsqu’il prend le pouvoir, il va mettre en pratique les lignes de force qui sont dans son ]ivre.

Cet ouvrage peut-il encore inspirer certains extrémistes aujourd’hui ?
Philippe RAXHON

Ce qui est fascinant, c’est que le mensonge a une saveur plus forte que la vérité… Il n’y a donc aucun moment où ce genre de texte devient dérisoire. Et singulièrement de nos jours, où l’irrationnel est en train de faire une poussée en force, où les analyses scientifiques et ]es principes de base de la conviction critique sont remis en question.

Dans une époque comme la nôtre, où il n’y a plus de hiérarchisation des discours, où le croire est aussi fort que le voir, oui, un texte comme Mein Kampf reste dangereux.

Dans ces conditions, le remettre en lumière, même lesté d’un appareil critique implacable, n’est-il pas risqué ?

Non. C’est faire le constat que Mein Kampf est là, qu’il a encore une très longue vie devant lui, et c’est faire le pari d’opposer des résistances. Et aujourd’hui, l’arc de résistance, c’est de convoquer l’historiographie, la science historique, l’apparat critique, pour dire: “OK, lisez-le, mais voici ce que la discipline historienne vous propose comme interprétation, en toute sincérité et en toute crédibilité scientifique.


Débattons encore, il en restera toujours quelque chose…

KLINKENBERG : Les langues nationales sont injustement boudées

Temps de lecture : 3 minutes >

“On croit trop vite que l’anglais est un passe-partout estime Jean-Marie KLINKENBERG, éminent linguiste et professeur émérite de l’Université de Liège. Or la demande pour les langues de proximité est très forte. Pour celui qui a été durant des années président du Conseil de la langue française et de la politique linguistique, être polyglotte est un plus.

Quelle place ont les langues sur le marché de l’emploi ?

Ça a toujours été important, mais ça l’est davantage à partir du moment où il y a beaucoup de mobilité. L’Europe, la libre circulation des personnes, tout ça joue énormément. Mais il ne faut pas non plus fantasmer cette connaissance des langues. On constate par exemple qu’aux deux extrémités de l’échelle sociale, on peut parfaitement rester unilingue et bien réussir. Je pense au petit commerçant qui vend des tomates dans un quartier, il peut parfaitement rester arabophone par exemple, tout en demandant à son fils de l’aider dans la comptabilité. A l’autre extrémité, vous avez les immigrés de luxe des grandes multinationales américaines qui arrivent et qui repartent en ne parlant qu’anglais. Mais entre les deux, la connaissance des langues est un plus, c’est évident.

Un plus qui peut influencer une carrière ?

Une enquête a été faite il y a quelques années en Fédération Wallonie Bruxelles sur le régime des langues dans le marché du travail. On s’apercevait que le minimum pour un cadre pour progresser, c’était d’être trilingue néerlandais, français, anglais. Et évidemment, avec une langue supplémentaire, l’espagnol par exemple, c’est encore un plus. L’enquête est assez ancienne, mais je pense que les conclusions n’ont pas dû changer beaucoup.

Et côté salaire, un polyglotte gagne plus ?

Chez nous, on ne dispose pas de données qui permettent de croiser la pratique des langues et le salaire. Ce type d’enquête est interdit. Par contre, ça existe en Suisse et au Canada. En Suisse, des enquêtes montrent que l’anglais est utile, mais que la connaissance des autres langues nationales est nettement plus avantageuse. Un Suisse francophone qui connaît l’allemand bénéficiera d’un supplément de salaire plus élevé qu’avec la connaissance de l’anglais. Même chose pour un Suisse germanophone. Connaître le français lui permettra de faire évoluer son salaire beaucoup plus qu’avec la seule connaissance de l’anglais. L’anglais est utile, mais les langues nationales proches sont peut-être injustement boudées, à cause de ce fantasme d’un marché où l’anglais permettrait tout. Au Canada, on constate que celui dont la langue maternelle est une langue moins performante sur le marché de l’emploi peut espérer une plus grande progression salariale. Ainsi, l’anglophone qui apprend le français ne gagnera pas beaucoup plus, contrairement au francophone qui apprend l’anglais, car le français est la langue minoritaire dans ce cas-là. Certes ces études ne se déroulent pas en Belgique, mais elles donnent quand même une idée sur la manière dont fonctionne le régime des langues dans les pays développés occidentaux.

Chez nous aussi, il faut donc relativiser le rôle de l’anglais…

Le marché de l’emploi est fantasmé. On croit que c’est l’anglais qui peut être partout un sésame, alors que notre partenaire économique le plus important, c’est l’Allemagne. Il est certain qu’aujourd’hui, des compétences en allemand permettent de trouver des parts de marché dans toute l’Europe centrale. Là, il y a vraiment une inadéquation. Je sais aussi qu’en Flandre, il manque de francophones, car il y a de moins en moins de personnes qui font des études de français. Il y a une inadéquation entre les grandes représentations qu’on a du marché et les véritables attentes.

Aujourd’hui, la croissance économique se trouve en Chine, doit-on se mettre au chinois ?

Je n’ai pas de chiffres précis sur le sujet. Mais je peux dire de manière grossière que, par exemple, le développement de l’économie japonaise a certainement déclenché un intérêt pour le japonais, il y a des centres d’études japonaises dans nos universités, etc. Mais cet intérêt n’est pas proportionnel à la croissance économique du Japon. C’est aujourd’hui la même chose avec le chinois. On s’intéresse de plus en plus au chinois via des demandes de formations et les universités en offrent toutes, mais ce n’est pas proportionnel à l’importance économique de la Chine. Il n’y a quasi pas de chinois dans les écoles secondaires par exemple.

On peut de plus en plus s’aider d’outils digitaux comme Google Translate. Est-ce qu’ils vont changer notre rapport aux langues ?

Un intellectuel français a dit qu’un jour qu’on ne devrait plus apprendre les langues puisque le digital devient tellement performant qu’on pourra parler grâce à des traducteurs simultanés. Je constate que Google translate s’améliore d’années en années. Il est certain que ça aura une répercussion sur la demande d’apprentissage en langue, mais je ne sais pas si c’est dans dix, vingt ou trente ans. En tout cas, ce n’est pas encore pour demain.”

  • l’entretien original de Jean-Marie KLINKENBERG avec Cécile DANJOU (et les pubs) est disponible sur PLUS.LESOIR.BE (23 décembre 2020)
  • l’illustration de l’article représente Jean-Marie Klinkenberg sous son meilleur jour © DR

Plus de presse…

ELECTRALIS 2001 à Liège : CAMPUS, la convention Research to Business qui n’a pas eu lieu…

Temps de lecture : 21 minutes >

ELECTRALIS 2001 est un événement scientifique et industriel organisé à Liège, à l’occasion du centenaire de la mort de Zénobe Gramme (1826-1901), le thème en était précisément : l’avenir des technologies de l’électricité. Doté d’un budget impressionnant et de soutiens internationaux, l’événement s’est néanmoins soldé par un échec cuisant.

Electralis 2001 (introduction du dossier de présentation officiel, 1999)

La philosophie générale d’Electralis tient en quelques mots: “l’électricité et la société“. Son exigence : privilégier une approche humaniste de l’électricité, qui réconcilie le développement technologique, l’économie et le bien-être du citoyen. Son ambition: amorcer une vaste réflexion sur la place de l’électricité et de ses applications futures dans notre société.

Un initiateur engagé. L’Electropôle réunit en son sein des industriels du secteur de l’électricité et de ses applications et des institutions de formation techniques et scientifiques (Université de Liège et Hautes Écoles). Cette spécificité unique dans le secteur lui a permis de formuler des objectifs clairs qui marient les préoccupations économiques et techniques à une dimension sociétale prononcée. Fort de sa vision, l’Electropôle entend se consacrer à la promotion de valeurs qui jettent le pont entre les avancées technologiques et le bien-être du citoyen wallon.

L’électricité, une valeur structurante. Ainsi, comme l’explique son Président, le Recteur Legros (ULg) : “à la fois énergie et valeur économique, l’électricité est devenue aujourd’hui un facteur fondamental de structuration et de développement de la société. Sans elle, le monde tel que nous le connaissons ne serait pas ; sans elle, le monde tel que nous pouvons le rêver n’existera pas. L’électricité est en effet indissociablement et définitivement liée à la vie de l’homme en société. On la connaît comme force motrice et support des activités industrielles ; on l’oublie quelquefois dans toutes ses applications domestiques quotidiennes ; on découvre de plus en plus son rôle central dans la révolution des nouvelles technologies de la communication. L’électricité s’impose ainsi comme un des principaux outils de transformation du monde et de mise en relation des hommes entre eux.

Un contexte (régional) en pleine révolution. Une région comme la nôtre se voit confrontée à une double nécessité. D’une part, elle doit tourner à son avantage le contexte concurrentiel dans lequel elle assied sa croissance. D’autre part, témoin actif de la marche du monde, elle se doit d’impliquer l’ensemble de ses acteurs dans l’action qu’elle mène. L’Electropôle considère comme un facteur critique de succès la maîtrise de certaines technologies, filles de l’électricité. L’objectif est dès lors de permettre à chacun d’apprivoiser lucidement ces domaines en pleine mutation afin de favoriser des décisions prises en pleine connaissance et en pleine responsabilité.

Des enjeux et des hommes. La volonté de l’Electropôle de générer un événement de dimension internationale en Wallonie passe dès lors par l’identification de contenus, des publics et des actions. Trois types de public ont été ciblés, dans lesquels chaque citoyen peut se reconnaître: le grand public, les professionnels (chercheurs, institutions et entreprises) et les leaders d’opinion. Electralis 2001 se voit donc confier comme mission de…

    1. Créer des liens opérationnels entre la R&D et les entreprises/institutions
    2. Aider le grand public à comprendre les révolutions qui concernent son quotidien de demain
    3. Clarifier la vision des leaders d’opinion quant aux enjeux technologiques des dix prochaines années.

Gérer le changement, savoir saisir l’opportunité. Le changement, en accélération constante, fait aujourd’hui partie de nos contraintes quotidiennes. Là réside peut-être la vraie révolution du XXIe siècle : enfants et petits enfants de certitudes, nous sommes aujourd’hui confrontés à un demain sans scénario stable. Le changement est probablement la seule hypothèse de travail viable. Dans ce cas, maîtriser son avenir revient indubitablement à savoir saisir l’opportunité la plus pertinente. Mais comment décider sans visibilité ? Comment être responsable sans comprendre ?  Voilà précisément la motivation d’Electralis 2001…

[extrait du dossier de présentation de l’événement]


Le Soir (24 décembre 1999) – Electralis – De notables soutiens se confirment

[LESOIR.BE, 24.12.1999] Le troisième millénaire s’ouvrirait triomphal pour Liège. L’information est toute fraîche: Electralis, ce projet de faire de Liège le centre mondial de l’électricité en 2001, sera non seulement honoré par la réunion du séminaire de l’Association D-21 mais par la participation active de l’Institut de l’énergie et environnement de la francophonie.

Rappel. En mai dernier, on apprenait («Le Soir» du 8 mai) qu’on commémorerait chez nous le centenaire du dècès en 1901 de l’inventeur de la dynamo industrielle, Zénobe Gramme, un enfant du pays (il est né à Jehay-Bodegnée). L’électricité a été (Jaspar, Montefiore…) et reste un pôle d’excellence liégeois grâce à son enseignement, ses chercheurs, des sociétés. Pour se maintenir dans cette position Liège se devait d’attirer les producteurs et gestionnaires d’électricité qui sont des puissances financières aux ambitions considérables en matière de recherche, de diversification, d’environnement, etc.

Un Electropôle de professionnels s’étant constitué (on y trouve l’université, des instituts industriels, Fabrimétal, une dizaine d’entreprises privées), naquit le projet Electralis 2001 qui repose sur trois piliers. D’abord, confie Annick Burhenne, chef du projet Forum, une exposition grand public La cité de l’électricité (à la patinoire de Coronmeuse ; chef de projet Alain Gallez). Ensuite, Campus : des rencontres entre chercheurs, petites entreprises et industriels (dans les Halles des foires, chef de projet Patrick Thonart) ; 250 projets de recherche avancée en électronique, en électrothermie y seront analysés. Enfin, troisième pilier d’Electralis 2001 : Forum, un congrès géopolitique au palais des congrès sur les questions générales (rentabilité, propreté, accessibilité).

Ce projet Electralis a donc reçu la caution du réseau international D-21 des entreprises actives dans la production et la distribution d’électricité comme Hydro Québec (grand producteur de houille blanche dans le nord du Québec), Electricité de France (EDF), Ontario Hydro, Tokyo Electric Power Company. Ces partenaires ne se sont à ce jour réunis qu’une seule fois dans un pays de la vieille Europe (c’était en 1995). On mesure la fierté des promoteurs d’Electralis 2001 d’accueillir en novembre prochain son séminaire annuel.

N.B. Deux journées consacrées à la traction électrique se dérouleront à Charleroi, des grandes conférences scientifiques seront données par des Prix Nobel dans quatre villes wallonnes.

Les poids lourds seront au rendez-vous

Des représentants de la Banque mondiale (département énergie), de l’Unesco (Direction des sciences de l’ingénieur), la Commission solaire mondiale, l’Institut de l’énergie et de l’environnement de la francophonie, l’association D-21 ont promis leur participation au Forum d’Electralis 2001, congrès qui aura lieu du 6 au 8 novembre 2001. Objectif : définir comment mondialiser une électricité propre et accessible à tous dans la perspective de chances égales de développement.

Par ailleurs, durant le Campus (4 jours de réunion aux Halles des foires de 250 centres de recherche du monde entier offrant l’occasion de contacts au plus haut niveau) seront représentés l’Institute of Electrical and Electronics Engineers, l’European Power Electronics and Drives, l’Electronic Power Research Institute, l’Union internationale des applications de l’électricité et la Société royale belge des électriciens.”

Michel Hubin, Le Soir


Le Soir (mars 2021) : Liège –  Un électrochoc pour l’exposition – Pas de panne de courant pour Electralis

Les bruits les plus alarmistes ont circulé ces derniers jours à propos de l’exposition Electralis, ouverte depuis le 10 mars, au palais des Sports.  Conçue comme un hommage d’envergure internationale à la fée Electricité, cette expo devait être l’événement culturel liégeois de cette première année du millénaire.

D’ici à la fin novembre, ses promoteurs espèrent y attirer 200.000 visiteurs. Jusqu’ici cependant, Electralis n’a pas déclenché l’étincelle attendue. Certaines des activités programmées tels -le Campus (qui devait rassembler
un millier d’experts et de chercheurs internationaux à Liège) ou le Forum (un colloque consacré aux aspects géopolitiques de l’électricité) ont dû être annulées, ce qui a incité plusieurs sponsors à retirer leurs billes. Et, un malheur ne venant jamais seul, les premières appréciations portées sur Electralis n’étaient pas des plus flatteuses. Il n’en a donc pas fallu plus pour que des rumeurs évoquent un arrêt très prématuré de l’expo. Elles laissaient même entendre que le conseil d’administration de vendredi pourrait choisir de couper définitivement le courant.

Finalement, les administrateurs ont décidé de poursuivre l’expérience. Ils ont choisi de concentrer leurs efforts sur l’exposition grand public tout en envisageant d’accueillir des conférences organisées par d’autres partenaires.

Pour ce qui est de la fréquentation, Alain Gallez, l’administrateur délégué, se veut rassurant. “Le nombre de visiteurs ne cesse d’augmenter. Les bons jours, nous enregistrons jusqu’à 800 entrées. Les demandes de réservations pour les groupes (essentiellement scolaires) sont également en hausse. Nous en étions à 400 réservations au début de l’expo. Aujourd’hui, nous en enregistrons 700, affirme-t-il. Par rapport aux entrées comptabilisées au début de l’expo Picasso (NDLR : elle a attiré près de 200.000 visiteurs en quatre mois), nous sommes dans le bon,” compare-t-il.

Lors de sa réunion de vendredi, le conseil d’administration d’Electralis a aussi décidé de tenir compte des critiques les plus fréquemment émises. Il a ainsi pris des mesures pour améliorer la lisibilité des attractions de l’expo et le confort des visiteurs. Sera-ce l’électrochoc qui permettra à Electralis de remonter le courant ?

Daniel Conraads, Le Soir


La Libre Belgique (11 avril 2001) – L’expo Electralis arrêtée le 30 juin ? Au mieux

[LALIBRE.BE, 11.04.2001, La Gazette de Liège] Les affaires ne s’arrangent décidément pas pour Electralis. Dernier avatar en date, l’assemblée générale extraordinaire de la scrl Electralis 2001 a en effet décidé sa mise en liquidation volontaire. En cause, les difficultés financières résultant notamment, selon ses responsables, de l’intérêt insuffisant des participants pour les manifestations professionnelles Campus et Forum.

Pour rappel, l’année Electralis 2001 devait articuler ces deux rencontres internationales dont l’annulation avait déjà été annoncée en plusieurs temps autour de l’exposition qui se tient au palais des sports de Liège. Il importe de ne pas confondre les sociétés Eventis et Electralis. «La première, précise son administrateur délégué Alain Gallezest une société de services et d’organisations d’événements appelée par la deuxième pour monter l’opération. Comme nous n’avons pas souhaité rester simple consultant sans prendre nos responsabilités, Eventis a choisi de rentrer dans l’actionnariat d’Electralis.» Un actionnariat où l’on retrouve des membres de l’Electropôle, cette association à l’initiative de l’année Electralis.

La scrl Electralis 2001 était notamment habilitée à recevoir subventions et sponsorings, et à engager les dépenses. Le budget total de l’opération, 290 millions de francs, avait déjà été raboté suite à l’annulation de Campus et Forum. Le financement global devait être assuré à parts égales par trois sources différentes. L’institutionnel d’abord, avec la Province et la Région wallonne, sans compter la Ville, qui a notamment investi dans une patinoire temporaire. «Nous avons la garantie orale que ces partenaires verseront bien le solde de leur participation», assure M. Gallez. Concernant les aides privées, quelques sociétés (comme Siemens) se sont déjà retirées. «Nous avons perdu 15 millions mais les actionnaires d’Electralis ont accepté d’apporter un complément financier.»

Il reste la troisième source, à savoir les rentrées propres. Le cap des 10.000 visiteurs a été franchi après un mois, auxquels s’ajoutent 15.000 réservations. On est loin des 200.000 personnes annoncées. Les revenus seront donc largement en deçà des prévisions, d’autant que l’exposition ne devrait probablement pas durer jusqu’au 18 novembre. «Notre objectif est de poursuivre de l’exposition jusqu’au 30 juin à tout le moins», dit M. Gallez. Beaucoup de questions se posent et alimentent souvent avec virulence énormément de conversations dans les coulisses quant aux capacités d’organisation d’Eventis. «Nous avons parfaitement respecté le cahier des charges du commanditaire, se défend M. Gallez. Forum et Campus étaient prêts ; nous n’en pouvons rien si les participants n’ont pas suivi. Quant à l’expo, elle est opérationnelle dans son ampleur et dans son niveau scientifique.» Quoi qu’il en soit, le sentiment de gâchis est bel et bien là et d’autres rebondissements pourraient survenir.”

F. V. V.


Les trois piliers d’Electralis 2001 (dossier de présentation)

        1. La Cité de l’électricité
        2. Le Campus
        3. Le Forum

[Les 3 textes qui suivent sont extraits du dossier de promotion d’Electralis 2001, distribué en mars 2000]

1. La Cité de l’électricité
Satellite Spoutnik – URSS (1957)

“Conçue pour être l’activité permanente d’ELECTRALIS 2001, la Cité sera pour un public large et international l’élément le plus visible de l’année. La Cité est une exposition qui se veut didactique tout en faisant rêver le visiteur. Nous voulons qu’au terme de son parcours, quels que soient son âge et son niveau de compétence, le visiteur ait une vision nouvelle de l’électricité. Il doit y trouver les outils indispensables pour entamer une réflexion globale orientée vers le futur et pour adapter son comportement de consommateur et de citoyen responsable. Mais la Cité doit avant tout raconter une histoire, être une invitation au voyage, un voyage dans le temps, un voyage dans l’infiniment petit, un voyage dans le futur, un voyage dans la virtualité. L’exposition se veut émancipatrice, ludique et dynamique. Aussi avons-nous voulu miser sur des techniques muséographiques élaborées et dynamiques : film, logiciel, imagerie virtuelle, etc. sont autant d’outils incontournables. Au terme d’un concours lancé auprès de plusieurs équipes scénographiques, c’est l’agence parisienne […] qui a été sélectionnée pour assurer la mise en scène de la Cité. Son idée est de présenter le contenu scientifique et technique que nous avions préalablement défini de manière légère et souple. Ce contraste nous a semblé intéressant.

La Cité comprend plusieurs zones, mettant chacune en évidence des thèmes différents :

      1. L’histoire de l’électricité
      2. Qu’est-ce que l’électricité ?
      3. L’électricité pour les enfants : “Qu’y a-t-il derrière la prise ?”
      4. La production, le transport et le stockage d’électricité
      5. Les métiers de l’électricité
      6. L’électricité dans la maison
      7. L’électricité et la santé
      8. L’électricité et la communication
      9. L’électricité et le futur
      10. Les entreprises de la région wallonne
      11. Divers…

L’expert pour la partie historique est Monsieur Halleux, Directeur du Centre d’Histoire des Sciences et des Techniques (ULg).

Chef de projet : Alain Gallez.


2. Campus

Au sein de l’ensemble intégré d’Electralis 2001, le Campus s’adresse directement aux professionnels du secteur, qu’ils soient chercheurs, opérateurs institutionnels ou responsables d’entreprise. Trois constats de base ont présidé à sa conception :

      1. dans un contexte concurrentiel, la qualité des interactions entre les trois types d’acteurs ciblés constitue un facteur critique de développement économique d’une région ;
      2. le cycle reliant les projets de recherche et leurs applications industrielles est de plus en court ;
      3. chacune des trois communautés professionnelles visées réunit et structure “son” information sur des supports et dans un langage qui ne sont pas toujours accessibles aux tiers (notion de “Babel technologique“).

Forte de ces constats et de leur validation par les contacts spécialisés qui ont accompagné la gestation du Campus (voir plus loin), l’équipe du Campus a pu identifier trois objectifs principaux:

      • Objectif n°1 : fournir une plate-forme d’échanges et de veille technologique à trois communautés professionnelles du secteur électrique qui d’habitude ne se rencontrent pas en même temps.
      • Objectif n°2 : fournir à ces trois communautés professionnelles des outils et des informations facilitant la gestion du changement dans la décennie à venir, outils et informations qui leur permettent de (a) évaluer les enjeux en connaissance de cause, (b) partager des projets et des solutions et (c) de décider en pleine responsabilité ;
      • Objectif n°3 : augmenter la visibilité de la recherche (académique et privée) comme facteur intégré d’avancement et de prospérité, à court et moyen terme également.

Qualifier le Campus de “Première exposition universelle et plate-forme d’échanges des projets de recherche et de développement entièrement consacré à la valorisation des opportunités technologiques” n’est pas le fruit du hasard. La réunion conjointe de trois types de professionnels du secteur de l’électricité pour une session de travail scénarisée est une “première”. Dire du congrès scientifique, noyau dur du Campus, qu’il est “universel” tient autant au caractère international de la manifestation qu’au décloisonnement disciplinaire dont il constitue un exemple frappant. En tant que “plate-forme d’échanges”, le Campus permettra de confronter les solutions des uns aux attentes des autres. Les laboratoires, par exemple, se positionnent autant du côté du demandeur (recherche de ressources, de canaux de production et de distribution, etc.) que du proposeur (compétences et projets à acquérir ou à intégrer dans le processus industriel via un partenariat). Il en va de même pour les deux autres types d’acteurs dont nous pourrions aisément détailler les besoins et les apports. Le volet “valorisation des opportunités technologiques” désigne clairement une finalité économique à l’événement : au départ de l’offre scientifique, la rencontre doit déboucher sur des collaborations effectives entre les intervenants. Les critères d’évaluation des projets exposés démontrent, quant à eux, une volonté d’intégrer la dimension sociétale à une démarche scientifique et économique. Les spécialistes, chargés de la sélection des projets exposés, devront également se pencher sur l’impact environnemental de leur applications, sur les nouveaux métiers générés et sur les formations (contenus ET méthodes) qui seront nécessaires.

Les objectifs du Campus, les contenus et les actions qu’il propose s’alignent clairement sur les attentes de ses trois cibles :

      • Cible n°1 : les chercheurs, à savoir les scientifiques et leurs responsables représentant des laboratoires de recherche publics ou privés (départements R&D). Ces cibles sont contactées soit en direct, soit via leur institutions, soit via les réseaux/associations scientifiques auxquels elles appartiennent. Ces laboratoires ne sont pas identifiés pour leur localisation géographique mais bien pour leur domaine d’activités.
      • Cible n°2 : les opérateurs institutionnels, à savoir les associations privées et les organismes publics qui, par leur action, soutiennent les initiatives dans le secteur et assurent la cohérence de son fonctionnement.
      • Cible n°3 : les entreprises, à savoir les entreprises, de toute taille, à la recherche de technologies intégrables à court ou à moyen terme dans leur process, celles qui sont prêtes à produire et à distribuer le fruit des recherches scientifiques, de même que celles qui cherchent des partenaires externes de R&D ou de nouveaux collaborateurs internes.
Les étapes de la préparation
      1. 9/99-12/99 : étude & conception du Campus, identification des éléments du projet (contraintes, opportunités, contenus, acteurs, budget, planning provisoire); conception du modèle PROTEUS; étude et conception plus avancée des quatre espaces de la plate-forme (Espaces Projets, Acteurs, Labo, Rencontres), des différents dispositifs sur chaque espace; validation par le Comité de pilotage et les mentors scientifiques, institutionnels et entreprises (contacts directs); planification de l’appel à projets de recherche; information des partenaires (entre autres, communication) et prospection initiale (sous-traitants, réservations, partenaires divers, relais sectoriels, sponsors techniques).
      2. 01/00-09/00 : conception et réalisation de l’appel à projets de recherche, mise en place de l’appel à projets et de sa diffusion; mise en place du Comité scientifique de référence, des cellules d’évaluation spécifiques, du traitement des soumissions; diffusion de l’appel, suivi et relance; traitement des soumissions dont coordination des cellules d’évaluation; synthèse des dossiers pour la réunion de clôture.
      3. 15/02/00 : première diffusion de l’appel à projets de recherche.
      4. 15/04/00: première échéance de soumission des projets de recherche.
      5. 15/04/00±: réunion initiale du Comité scientifique de référence.
      6. 01/06/00: dernière échéance de soumission des projets de recherche; publication sur le site des fiches de projets (réservation en ligne de l’espace Rencontres).
      7. 15/09/00±: réunion de clôture du Comité scientifique de référence, arbitrage et publication des résultats; notification aux laboratoires sélectionnés.
      8. 15/02/00-31/12/00: acquisition des projets, des partenaires, des sponsors techniques, des exposants/intervenants et des visiteurs de référence.
      9. 01/04/00-13/03/01: réalisation et préparation logistique, mise en place du concours de design Fabrimetal pour les meubles de l’espace Rencontres; lancement de l’appel d’offres pour la réalisation des deux cd-roms Campus (1 CD pour les actes scientifiques; 1 CD d’activités et de relais au site/groupes de discussion/bases de données/consultation d’experts en ligne, etc.) et préparation des contenus du CD.
      10. 01/04/00: lancement de l’appel d’offres restreint pour la scénographie du Campus.
      11. 01/05/00: début des travaux de scénographie et création des visuels de promotion.
Comité scientifique d’évaluation des projets

L’évaluation des projets de recherche a nécessité la mise en place d’un comité scientifique à deux niveaux : (a) le Comité Scientifique coupole est chargé d’établir la grille d’évaluation des projets (printemps 2000) et de valider le choix des membres des cellules d’évaluation spécifiques (réunion initiale au printemps 2000). Réuni à nouveau en septembre 2000, à la clôture du processus d’appel à projets, il arbitrera la sélection des dossiers et publiera officiellement la liste des laboratoires sélectionnés. Ce Comité (en constitution) sera composé de personnalités internationales reconnues non seulement pour leurs compétences scientifiques mais également pour la vision prospective qu’ils ont développé dans leur secteur. Les membres de ce Comité pourront se confondre avec les membres du Comité Prospectif Electralis 2001 parmi lesquels se trouvent, entre autres :

Et (b) Les Cellules d’évaluation spécifiques à chaque domaine de recherche. Elles sont composées chacune de trois spécialistes “prêtés” par les sponsors techniques de l’appel à projets. Chaque projets soumis sera envoyé par e-mail aux trois membres de la cellule correspondant à son domaine de recherche, avec une grille d’évaluation. Ceux-ci renverront le tout complété au secrétariat du Campus qui fera suivre vers le Comité scientifique coupole. Un des objectifs du Campus restant de proposer des outils d’évaluation des opportunités technologiques susceptibles d’être utilisés par les institutions et les entreprises, les critères d’évaluation des projets de recherche ne porteront pas exclusivement sur la valeur scientifique intrinsèque des projets. Ainsi, les Cellules d’évaluation seront invitées à se pencher, certes, sur l’intérêt scientifique et technologique pur (valorisation scientifique) des dossiers soumis mais également sur l’intérêt de leurs applications pour le monde de l’entreprise (valorisation économique), sur les implications environnementales des applications du projet (valorisation environnementale), sur les nouveaux métiers créés par les applications (valorisation sociale) et, enfin, sur les conséquences pour le secteur de la formation (valorisation pédagogique).

Enfin, les domaines de recherche utilisés pour la ventilation des Cellules d’évaluation des dossiers sont les suivants:

      • Champs électriques et magnétiques ; antennes & propagation ;
      • Composants électriques ;
      • Électronique de puissance ;
      • Énergie (production, transport, distribution, stockage & utilités) ;
      • Informatique ;
      • Laser & électro-optique ;
      • Matériaux électriques; conducteurs & isolants ;
      • Micro systèmes, micro technologies & MEMS ;
      • Nucléaire & plasma ;
      • Robotique & automation ;
      • Systèmes de contrôle ;
      • Technologies de la communication, systèmes & dispositifs ;
      • Tests & mesures ;
      • Traitement du signal ;
      • Autres.
Partenaires scientifiques

Diverses associations et sociétés spécialisées sont déjà intervenues pour valider la démarche du Campus, proposer leurs ressources (entre autres, évaluateurs de projets, carnets d’adresses) et diffuser l’information par leurs canaux propres. La distribution géographique de ces mentors permet d’offrir à l’événement et à ses partenaires/sponsors une visibilité internationale cautionnée par des acteurs reconnus. On compte parmi celle-ci :

      • AIM – Association des Ingénieurs de Montefiore (Belgium)
      • ARAMIS – Assocation pour la Recherche Avancée en Microélectronique et Intégration de Systèmes (Belgium)
      • EPE – European Power Electronics & Drives
      • EPRI – Electric Power Research Institute – USA
      • ESF – European Science Foundation
      • EUREL – European Convention of National Societies of Electrical Engineers
      • FEANI – Fédération Européenne d’Associations Nationales d’Ingénieurs
      • FNRS – Fonds National de la Recherche Scientifique (Belgium)
      • IEEE/R8 – Institute of Electrical and Electronics Engineers (global)
      • INES – International Network for Engineers & Scientists for Global Responsibility (global)
      • SEFI – Société Européenne pour la Formation des Ingénieurs
      • SRBE – Société Royale Belge des Electriciens
      • WFEO/FMOI – World Federation of Engineering Organisations/Fédération Mondiale des Organisations Nationales d’Ingénieurs

Par ailleurs, afin de valider l’approche d’Electralis 2001 globalement et l’approche Campus, plus spécifiquement (entre autres: définir les critères élargis de sélection des projets), un Comité Prospectif Electralis 2001 (“Advisory Committee”) est actuellement en cours de constitution. Réparti en trois groupes de sept experts internationaux (7 scientifiques, 7 opérateurs institutionnels et sept industriels), il sera sollicité par les organisateurs de la manifestation, d’abord pour répondre à un questionnaire de 21 questions qui permettra de fonder plus avant les contenus d’Electralis 2001. En participant aux différents comités et groupes de travail des trois événements principaux, ils permettront de garder le cap quant à la justesse du propos. A titre promotionnel également, leur crédit international ne manquera pas de rejaillir sur l’Année électrique et ses partenaires/sponsors.

Dispositif “Campus”

La seule exposition de projets scientifiques ne constitue pas en soi une invitation à l’action. Or, la démarche Campus vise précisément à inciter les trois communautés professionnelles invitées à agir, c’est à dire à mesurer lucidement les contraintes et les opportunités liées aux nouvelles technologies de l’électricité, à échanger les projets et à concrétiser à court terme des partenariats tant en termes de R&D qu’en termes commerciaux. Il a donc fallu ajouter au seul “congrès scientifique” de base une série de dispositifs visant à atteindre ces objectifs. L’équipe du Campus a dès lors développé un modèle, baptisé “PROTEUS“, qui, grâce à une série de dispositifs, crée pour chaque type de visiteur une marche à suivre (track) débouchant sur l’action. Ainsi, le Campus sera-t-il a priori composé de 4 espaces distincts fonctionnellement: un espace central (Projets) et trois espaces satellites (Acteurs, Labo et Rencontres).

      1. Espace PROJETS (Projects Area) : motivation scientifique de la rencontre, cet espace central est animé par trois dispositifs qui permettront au visiteur de découvrir et de comprendre mieux les opportunités générées par les laboratoires de recherche : (a) une exposition des posters scientifiques présentés par les laboratoires sélectionnés. Les supports visuels seront mis en forme afin de faciliter la compréhension par tous de propos souvent très pointus; on s’oriente actuellement vers un temple dont les colonnades seront à trois faces, chaque face portant un poster ; (b) une Agora principale où seront données sept conférences cadencées faisant chacune la synthèse d’un enjeu ciblé par le Campus (gestion des Affaires, de l’Énergie, de l’Information, de la Production industrielle, des Réseaux, du Savoir et de sa transmission, du Vivant) ; (c) des “Agorettes” où chaque chercheur accompagnant un projet primé disposera d’une demi-heure pour le présenter et répondre aux questions des visiteurs.
      2. Espace ACTEURS (Players Area) : premier espace satellite, il s’assimile plus à un salon professionnel, à ceci que la qualité et la variété des exposants primera sur la multiplicité des stands identiques. Les trois types d’acteurs ciblés pourront y expliquer et y montrer comment ils intègrent les innovations technologiques dans leur action. Le visiteur viendra y identifier les responsables du secteur et concevoir combien la réalité à venir pourra naître du point d’équilibre entre leurs actions conjuguées. Deux types de stands seront proposés : (a) les stands traditionnels assimilables aux stands traditionnels des salons professionnels ; (b) les îlots de stands virtuels où les exposants ne seront présents que via téléconférence.
      3. Espace LABO (Lab Area) : deuxième espace satellite dans le trajet Campus, il sera réparti en trois zones principales qui permettront au visiteur de participer : (a) une zone de démonstration des prototypes sélectionnés par le Comité scientifique ; (b) une exposition interactive consacrée aux nouveaux métiers qui apparaîtront via l’implémentation des nouvelles technologies de l’électricité ; (c) des ateliers consacrés aux nouvelles méthodes de formation et aux nouveaux contenus des curriculums scientifiques et techniques. On notera que les participants du congrès organisé par l’EPE et l’AIM en marge du Campus (congrès E=TeM²) descendront du campus (de l’ULg) pour des ateliers au cours desquels des spécialistes du contenu travailleront avec des spécialistes des TIC appliquées à la formation (campus virtuel, téléformation, etc.). Plusieurs classes permettront à chacun de tester les nouvelles méthodologies du virtuel.
      4. Espace RENCONTRES (Sharing Area) : comparable à une bourse d’opportunités technologiques, ce dernier espace satellite vers lequel convergent les différents trajets du visiteur professionnel. Celui-ci pourra y concrétiser (sur rendez-vous) sa trajectoire Campus en utilisant l’espace de négociation mis à sa disposition. Trois dispositifs : (a) les business tables, équipées de modules bureautiques complets et encadrées par une équipe d’interprètes et de secrétaires multilingues, elles pourront accueillir max. six personnes chacune ; (b) les stands réunissant les différents programmes (européens) de financement et d’aide à la négociation dans ce contexte (les animateurs de ces stands se tiendront à la disposition des visiteurs pour les conseiller) ; (c) les affichages de cotation en ligne des sept “bourses” du Campus (1 bourse par enjeu), sur lesquels les projets présentés verront leur cours varier en fonction des actions dont ils font l’objet (par exemple: une demande de rendez-vous vaut autant de points).

Le Campus se distinguant comme un événement de nature scientifique et professionnelle, les actions menées par la RW dans ces deux secteurs gagneront une visibilité internationale. La Région trouvera d’ailleurs sur la plate-forme du Campus un espace de travail et de promotion à valoriser, eut égard à la qualité du public ciblé. Les PME wallonnes se verront offrir, non seulement, un instantané de veille technologique tel que rarement disponible. Parallèlement, plus d’une opportunité d’affaires devrait être générée par le creuset technologique du Campus (les laboratoires présents cherchent autant à valoriser leur recherche qu’à identifier des producteurs et des distributeurs pour leurs produits). L’intégration de scientifiques et d’industriels wallons dans des structures d’évaluation par ailleurs cautionnées internationalement mettra en évidence l’excellence disponible dans notre région. Tant les entreprises exportatrices que les industriels en quête d’innovations ont tout à gagner dans ce concentré de l’offre/demande internationale du secteur de l’électricité. La Wallonie – dans une nouvelle logique internationale de réseaux où, par définition, il n’y a plus de centres vitaux- pourra se profiler comme un carrefour d’excellence, un nœud pertinent dans un secteur en mal de structure.

Chefs de projet : Patrick THONART (jusqu’en décembre 2000) puis Stéphane DOR (jusqu’à l’annulation en 2001)


3. Forum

Avec le Forum, Electralis 2001 entend développer l’axe géopolitique de son programme.  Le Forum réunira l’ensemble des décideurs et des acteurs de l’électricité afin de décloisonner la réflexion, envisager les enjeux politiques, économiques et sociaux liés au développement des marchés de l’électricité et évaluer le chemin à parcourir, les ressources à mobiliser et définir les étapes clés pour qu’au 21e siècle, l’électricité soit accessible à tous. Sous l’intitulé « Une électricité pour tous, propre et rentable dans le siècle de l’information », le Forum d’Electralis 2001 abordera, avec la démarche sociétale propre à Electralis 2001, les enjeux géopolitiques de l’électricité dans les cinquante prochaines années. A l’heure actuelle, plus d’un tiers des habitants de la planète – soit plus de deux milliards d’individus – n’ont pas accès à l’électricité. A titre individuel, ils sont ainsi privés des services les plus élémentaires; à titre collectif, leurs sociétés restent à l’écart, ou à la traîne, de la révolution des technologies de l’information qui occupent une place sans cesse plus prépondérante dans le partage des connaissances et dans la prise de décisions rapides à l’échelle mondiale.

Dans ce contexte, où l’électricité s’affirme comme un élément essentiel, voire « structurant » de nos sociétés modernes, il importe de considérer l’accès à l’énergie électrique non plus seulement en termes d’infrastructures ou de technologies, mais aussi en termes de conditions permettant le développement économique, social et politique durable de notre planète.

Cette approche résolument originale des enjeux du marché de l’électricité s’inscrit dans le droit fil des préoccupations politiques des institutions internationales et des gouvernements, mais elle rencontre également les attentes du secteur économique international qui veut développer ses activités sur les marchés émergeants.

Le Forum examinera, d’une manière spécifique, les différentes situations économiques régionales (pays en transition ; pays en développement).  La discussion tournera autour des problématiques suivantes, qui seront encore précisées par le Comité Scientifique :

      • restructuration des marchés de l’électricité (normes et politiques à établir)
      • financement des investissements
      • nouvelles opportunités d’affaires
      • formation et transfert de connaissances
      • éthique

Au vu de son contenu, il apparaît clairement que le Forum concerne un public international de décideurs et d’acteurs du marché de l’électricité. En particulier sont visés :

      • les responsables politiques et les représentants des organismes publics liés à la politique de l’énergie (département d’état, agences,…), que ce soit au niveau national ou intergouvernemental,
      • les producteurs et distributeurs d’électricité,
      • les industriels et les professionnels actifs dans le domaine des nouvelles technologies de production de l’électricité et des nouveaux services énergétiques associés (cleaning-up, reconversion, efficacité énergétique, réseaux virtuels,…),
      • les organisations internationales,
      • les organismes de financement,
      • la communauté scientifique et universitaire,
      • les associations et les ONG actives dans le domaine.

Un Comité Scientifique International sera constitué pour assurer le suivi et la validation du cadre intellectuel de la manifestation.  Il se réunira deux fois en 2000. Le Comité scientifique est composé d’experts de renommée mondiale, choisis sur base d’une représentation équilibrée des différentes compétences. Il est présidé par Monsieur Jacques Lesourne, Président de Futuribles International. A l’heure actuelle, une liste d’experts a été identifiée, elle pourra être modifiée en fonction de l’évolution des thèmes couverts par le programme du Forum.  Ces experts seront contactés individuellement après validation de cette liste par le Comité de Pilotage local :

      • El Habib BENESSAHRAOUI, Directeur Général IEPF
      • Boris BERKOVSKI, Secrétaire Général de la Commission Solaire Mondiale
      • Klaus BRENDOW, Ex-coordinateur du WEC – Europe de l’Est
      • Dr. Abeeku BREW-HAMMOND, University of Science and Technology, Kumasi
      • Mr CLAESSENS, Membre de IIASA
      • Benjamin DESSUS, Directeur scientifique adjoint au CNRS, membre du groupe chargé du rapport « Energie 2010-2020 » pour le Commissariat français du Plan
      • Daniel DUMAS, Secrétariat du WEC – Responsable Planning and Strategies
      • Prof, Anton EBERHARD, Head of the Energy and Development Research Center (EDRC), University of Cape Town
      • Emad EL-SHARKAWI, WEC – Egypte
      • Samuele FURFARI, Chef Unité Adjoint, Commission européenne – DG Energie « Analyses prospectives & dimension environnementale »
      • Peter GARFORTH, Consultant business alliances for energy conservation
      • Olivier GODART, Directeur de recherche au CNRS et CIRED
      • José GOLDEMBERG, Professeur à l’Université Sao Paulo, ancien Ministre des Sciences & Technologie; ancien Ministre de l’Environnement
      • Mr GRUBLER, Membre de IIASA
      • Kurt HOFFMANN, Fondation pour l’énergie durable de Shell
      • Karl JECHOUTEK, Conseiller, Banque mondiale
      • Thomas JOHANSSON, Directeur, Département Energie et Aptmosphère, PNUD
      • Jean JOGET, Responsable des projets africains EDF
      • Stephen KAREKEZI, African Energy Research Network (AFREPEN)
      • Thomas E. LA BERGE, Senior Program Director, META Group and Energy Information Strategies
      • Jacques LESOURNE, Président de Futuribles International
      • Mark MWANDONZA, Institut de recherche, Ghana
      • R. K. PACHAURI, Directeur, Tata Energy Research Institute – TERI (New Delhi)
      • Walt PATTERSON, Senior Research Fellow, Royal Institute of International Affairs – Energy and Environment Programme
      • Assaad SAAB, Cellule de prospective internationale EDF
      • Kyaw K. SHANE, Senior Economist Officer, Division du Développement durable des Nations Unies
      • Rolf SPRENGER, Professeur au Franhofer Institute (Munich) et Collège d’Europe
      • Maurice STRONG, Président, Earth Council
      • Bernard THIRY, Economiste, Président de la Commission de Régulation de l’Electricité et du Gaz (CREG)
      • Frank TUGWELL, Président de Winrock International
      • Robert WILLIAMS, University of Princeton
      • Kurt E. YEAGER, Président d’EPRI

Le Forum se déroulera sur trois journées, du 6 au 8 novembre 2001, au Palais des Congrès de Liège. La nature de la manifestation, ainsi que sa coïncidence avec la présidence belge de l’Union Européenne au second semestre de 2001, milite en faveur d’une implication formelle de l’Etat fédéral. En outre, le thème « Energie et transport » retenu pour la 9e Commission du Développement durable des Nations Unies (dans le cadre de la préparation de Rio +10) accroît la pertinence du sujet choisi pour le Forum d’Electralis 2001, qui pourrait être utilement valorisé dans ce cadre…”

Chef de projet : Annick Burhenne


La tradition veut que Louis Maraite, journaliste et homme politique liégeois, ait eu l’idée d’Electralis 2001 en renouant les lacets de ses chaussures de jogging au pied de la statue de Zénobe Gramme (pont de Fragnée, Liège) et en constatant que l’inventeur de la dynamo industrielle était mort en… 1901. Quoi de mieux pour fêter un centenaire qu’une bonne centaine d’années ?

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction, transcription de documents d’époque, partage, correction et iconographie | sources : documentation de l’événement ; lesoir.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en entête, la patinoire abandonnée de Coronmeuse, à Liège © Benjamin Leveaux ; © Collection privée.

ROSI : Le pub d’Enfield Road (2020)

Temps de lecture : 7 minutes >
ISBN 978-2-87449-763-6 © Les Impressions nouvelles

“Dans Le pub d’Enfield Road, un professeur de lycée accompagne ses élèves et quelques collègues en excursion à Londres. Comme on peut s’y attendre, il profite de l’occasion pour prendre quelques moments de liberté dans l’espoir de retrouver l’atmosphère d’un autre voyage à Londres, fait il y a près de quarante ans à une époque dont les rêves ne se sont pas réalisés. Rongé de doutes mais doté d’une franchise exemplaire, le personnage traverse Londres qu’il observe avec perspicacité et mélancolie. Peu à peu affleurent des correspondances étranges qui donnent au récit une tonalité presque onirique.” [d’après LESIMPRESSIONSNOUVELLES.COM]

Rossano ROSI livre un extrait du roman sur son blog personnel [ROSSANOROSI.ORG]

Il poussa de ses doigts gelés la porte vermoulue du pub et observa, dans la lumière grise du soir, la jolie enseigne : « The Swan & Hoop ». Elle donnait enfin à Enfield Road ce petit air anglais de toujours, né à l’époque où fut tracée la voie romaine enfouie sous l’artère contemporaine, un petit air bien anglais, chaud comme un morceau de tweed ou un verre de sherry, un petit air façonné par l’histoire — que lui déniaient aujourd’hui les illuminations trop cosmopolites ponctuant cette avenue antique de l’extrême nord de Londres. Certes, c’est tout enrobées de bouffées de cardamome ou de cannelle que ces illuminations étaient venues se poser en ces lieux depuis les quatre coins de l’« Empire », d’un « Empire » bien oublié… bien oublié au fond d’un buffet… — et dont il n’aurait subsisté, seules traces de l’existence de ce gros gâteau disparu, que ces exotiques miettes électriques ! Raymond Raymont s’emberlificotait dans sa métaphore et, tout en ayant l’impression d’avoir retrouvé un peu de l’Angleterre de Virginia Woolf ou d’Agatha Christie, il entra dans le pub d’Enfield Road.

L’enseigne, fraîchement repeinte, oscillant presque gaiement au gré du vent glacé, était là, dans cet ensemble décrépit, ce qui semblait de plus neuf.

L’immeuble au rez-de-chaussée duquel se trouvait le pub était une espèce de cube trapu, à la façade et aux corniches si lasses qu’un passant innocent (et bien sûr je suis une passante innocente) aurait pu se dire que toute l’authentique beauté, tout l’authentique style, ce style indéfinissable qui fait qu’un bon pub ne peut que ressembler à un bon pub, n’avait été préservé, comme la jeunesse d’un vieillard est préservée dans ses yeux, que dans cette enseigne soignée, faussement antique, purement anglaise, naïvement attachante.

Raymond Raymont repoussa non sans effort la porte de la taverne, dont les gonds semblaient être en phase terminale, et il fit quelques pas à l’intérieur ; il ne s’était pas rendu compte qu’il avait failli, par ce geste brusque, me heurter le nez. Or il ne soupçonna même pas ma présence, tout à son examen de ce pub de grande banlieue, tout à cette satanée odeur de Chanel qui était venue se lover jusqu’au fond de ses narines au moment où il sortait de la National Gallery, cet après-midi : il en avait soudain humé les atomes en croisant le chemin d’une — crut-il — inconnue (mais était-ce vraiment une inconnue ?), lesquels atomes, en lui fouettant les narines en même temps que la chevelure de cette inconnue lui fouettait les épaules, avaient proustement activé en lui le levier de la pompe à souvenirs (qui donc était cette inconnue ?), avant que, d’un nouveau geste brusque de la main (une espèce de geste de chef d’orchestre), il dissipe en l’air (mais non… ce n’était après tout qu’une inconnue… ce ne pouvait être qu’une inconnue…) ces vains fantômes. Alors qu’il avait toujours eu une mémoire infaillible, voilà qu’il avait l’impression — était-ce l’âge ? — que lui échappaient de plus en plus de détails : ce genre de détails, tels un prénom ou une date, qui donnent tout leur sel aux images du passé…

Raymond Raymont refit encore son geste brusque de la main ; il examinait le pub avec minutie.

Les murs, pisseux, lépreux, étaient ornés de gravures, pisseuses, lépreuses, dont un buveur innocent (et bien sûr je suis une buveuse innocente) eût pu croire qu’elles imitaient non sans talent l’ambiance des toiles de John Constable, dont on trouvait d’ailleurs un autre écho dans les jolies décorations de ces menus objets en faïence qu’une grosse main délicate avait pris la peine, un jour, de poser entre les bouteilles d’alcool et les verres à bière.

Entre ces gravures très anglaises, il y avait, la plupart peu anglaises (quoi¬que leurs faces brutales et couturées ne leur eussent pas refusé de figurer parmi le petit peuple d’un roman de Charles Dickens), des photographies de footballeurs de Tottenham, dont les noms, aussi exotiques que les illuminations d’Enfield Road, ornaient en menus caractères les bords inférieurs de ces portraits. Le stade des Spurs ne se situait qu’à une poignée de lieues du pub, vers l’est, suffisamment proche pour que les habitants du coin s’en déclarassent des supporters naturels, des fans du premier cercle. Les fanions du club étaient d’ailleurs visibles, çà et là, derrière le comptoir, où s’alignaient, aussi étincelants que les pompes à bière ou à cidre, des dizaines de verres. Le plancher était recouvert de tapis orientaux, ou supposés tels, dont n’étaient plus identifiables que la trame et des franges aussi poisseuses que des cheveux sur le crâne d’un cadavre exhumé de sa terre grasse. Les banquettes, crevées, laissaient apparaître leur rembourrage jaunâtre ; les chaises étaient écaillées et parfois bancales, à l’instar des tables.

Or malgré cet aspect misérable, ou plutôt du fait même de cet aspect misérable, Raymond Raymont ne put s’empêcher de s’écrier, au moment où il posait son mackintosh sur l’une de ces pauvres banquettes (à quelques pouces de mon propre mackintosh) et qu’il se dirigeait d’un pas décidé vers le bar afin d’y commander une pinte (une pinte semblable à celle que bien sûr j’étais déjà en train de savourer, de la mousse plein les dents), il ne put donc s’empêcher de s’écrier intérieurement, tout en soupesant dans sa poche le bon volume de Fielding qui y reposait :

« Me voici enfin à Londres ! »

Car c’était la première fois, depuis son arrivée le matin même dans la capitale britannique, qu’il avait le sentiment d’être en mesure de prononcer, fût-ce en pensée, cette simple phrase :

« Me voici enfin à Londres ! »

— en veillant à donner leur sens le plus fort aux deux derniers mots de l’énoncé. Car aucun des quartiers irréels traversés jusqu’ici ne lui avait donné cette impression, l’impression donc « d’être à Londres », si ce n’est au prix d’une sorte d’artifice, d’une sorte de mensonge. Pourtant Raymond Raymont n’était pas soudain devenu dément : il n’ignorait pas qu’il était bel et bien à Londres.

Ce qu’il avait eu sous les yeux au cours de cette très longue journée aurait pu faire l’objet de belles photographies (aussi belles que celles que j’avais eu la magnifique idée de prendre en profitant à merveille, du haut de Greenwich, un pied dans chaque hémisphère, des qualités brumeuses de cette étrange lumière bleue sur le fond de laquelle se découpait finement, minuscule à côté de l’amplitude du panorama emplissant le cadre, le profil de mon sujet), de très jolies cartes postales, de splendides affiches de voyagistes. C’était Saint-Paul… c’était Big Ben… c’était l’Embankment… c’était Piccadilly Circus… c’était Trafalgar Square… En somme… c’était… c’était Londres ! Il était à Londres ! Il y était ! Cela ne faisait pas l’ombre d’un doute.

Mais le Londres qu’il avait vu jusqu’à présent n’était pas Londres ; c’était un Londres dépourvu de vie, où les seuls gens du peuple qu’il croisait étaient des clochards, des banlieusards en navette ou des demeurés égarés. Et quant aux quartiers qu’il avait traversés après la Cité, après Islington, en remontant vers le nord jusqu’à venir buter presque contre l’Orbital, quoiqu’ils fussent indéniablement populaires et bienheureusement dénués de toute valeur touristique, aucun de ces quartiers n’avait correspondu, du fait de cet exotisme tapageur, à sa représentation si romanesque, si compassée, du Londres de ses pensées — du Londres qui dans son cœur n’avait pas bougé du moindre pouce depuis quarante ans.

Or voici qu’ici, dans un pub minable d’Enfield Road, au cœur d’un quartier loqueteux qui avait tout du no man’s land grisâtre, il avait pour la première fois ressenti cette pure vibration dans le corps : elle lui faisait dire que des gens vivaient ici qu’il aurait pu croiser dans le roman de Henry Fielding qu’il transportait en poche, à côté de sa pipe en bruyère, ou dans une des chansons des Smiths dont ses oreilles s’étaient nourries pendant ce long voyage.

Raymond Raymont bâilla mais oublia aussitôt sa fatigue. Il avait posé devant lui une vieille lettre décachetée et un téléphone tout aussi démodé que cette dernière.

Ah oui… il ne l’avait pas encore lue, malgré la légère curiosité qu’elle avait éveillée en lui et qui lui chatouillait les doigts, comme des picotements auxquels on a vite fait de s’habituer et que l’on oublie vite…

Raymond Raymont n’était pas un être rongé de curiosité ; il avait appris à attendre et mettait un point d’honneur, certes compassé, à être dépourvu de toute hâte. Il tapota un petit rythme de rock sur la lettre. Un message apparut soudain sur l’écran étroit du Nokia, silencieux, Raymond Raymont détestait les bips :

« Et alors ? !

— Et alors ? Et alors… » se dit-il…


“Après de sages humanités très humanistes, quelque part dans le faubourg Saint-Léonard, Rossano ROSI (né en 1962) mène de non moins sages études de lettres à l’Université de Liège, qui lui ont permis de croiser de belles figures en chaire, tels Jean-Marie Klinkenberg ou Jacques Dubois.

Peu après, il fonde avec quelques amis la revue littéraire écritures, qui vivra dix ans et publiera tout au long des années 1990 des auteurs comme Guillaume Dustan, Michel Houellebecq, Christine Angot… — et beaucoup d’autres.

Puis, il s’en ira vivre à Bruxelles, où, avec un plaisir qui s’accentue dangereusement au fur et à mesure qu’approche le terme de cette carrière, il enseigne le français mais aussi les langues anciennes, réapprises entre-temps à l’Université de Louvain. À côté de ce rude métier, il écrit des romans et des poèmes, qu’il publie depuis 1994, parfois avec lenteur, toujours avec obstination. Le trait d’union reliant ces deux facettes professionnelles, c’est la littérature, pour laquelle son enthousiasme croît de jour en jour. Un enthousiasme auquel sa rencontre avec les Impressions Nouvelles, voici dix ans, a donné la chance de se concrétiser par la publication de quatre romans et d’un recueil de poèmes.” [d’après LESIMPRESSIONSNOUVELLES.COM]


Plus de littérature…