TAROT : Arcane majeur n° 06 – L’Amoureux

Temps de lecture : 20 minutes >

L’Amoureux est la sixième lame du Tarot de Marseille. Il représente un jeune homme entre une femme âgée et une jeune femme avec au dessus de lui un chérubin qui va tirer une flèche vers son cœur. Le symbole du chérubin est l’ouverture du cœur, le jeune homme découvre l’amour et l’univers des sentiments. L’Amoureux symbolise l’expression de ses sentiments. Le consultant apprend à connaître ce qu’il ressent et le partage avec son entourage. L’Amoureux exprime ce qu’il ressent et cela est bien accueilli par ses proches. L’Amoureux attire et développe des relations. L’Amoureux est une image de la rencontre et de l’échange affectif avec des personnes qui sont ou qui deviennent des proches. Il est question d’une intimité et d’une douceur de vivre. Avec L’Amoureux les situations sont agréables et les relations sont faites de tendresse. On aime et on se sent aimé. De plus L’Amoureux exprime la capacité de faire les choix du cœur. Dans sa face sombre, L’Amoureux est une image de souffrance et de désamour. Les sentiments deviennent douloureux. C’est aussi la difficulté de faire un choix. Le consultant reste dans l’hésitation et se retrouve bloqué. C’est une incertitude et un balancement entre des options sans parvenir à une décision.” [d’après ELLE.FR]

    1. Lame droite : Grande passion, née le jour = union, mariage.
      1. A côté – LE BATELEUR (droite) Hésitations sur décisions à prendre.
      2. A côté – LE CHARIOT : Les projets seront anéantis, cause départ. Révélation d’infidélité. Trahison.
    2. Lame renversée : Gros rhume. Fièvre.
      1. A côté – LE BATELEUR (renversé) : Rupture pour cause indécision.

1. L’Amoureux ou le choix et l’engagement (Tarot de Marseille, Christiane Laborde)

L’arcane six du tarot de Marseille représente un jeune homme, surmonté d’un Cupidon ailé armé d’une flèche, face à deux jeunes femmes qui sollicitent, toutes les deux, son attention. La scène peut évoquer un épisode de la mythologie gréco-romaine connu sous le nom du choix d’Hercule. Une fois son éducation terminée, le jeune héros rencontre, à un croisement de routes, deux jeunes femmes, nommées Plaisir et Vertu. Plaisir incarne la recherche du plaisir des sens et de l’amour, source de satisfactions immédiates mais éphémères, et Vertu, la quête austère d’une gloire future. Hercule choisit de suivre Vertu et réalise les exploits qui assureront sa notoriété pour la postérité. Il fait ainsi un choix déterminant qui engage sa vie et sa destinée, ce qui correspond au message transmis par l’arcane de L’Amoureux. Certains tarots nomment parfois cet arcane Les Amants, représentés par un couple également surmonté d’un Cupidon. Mais que l’arcane mette en scène un jeune homme face à deux jeunes femmes ou un couple d’amoureux, l’arcane VI concerne toujours les relations amoureuses, d’autant que Cupidon est le fils de Vénus, la déesse de l’Amour.

L’enfant Bateleur est désormais devenu adolescent (même costume bariolé et même blondeur). Une fois son éducation achevée, il s’ouvre à la découverte de l’amour et choisit d’y consacrer sa vie.

Le nombre six

Étymologiquement, six et sexe ont la même racine. L’arcane six de L’Amoureux concerne le domaine de la vie amoureuse et inclut la sexualité, ce qui signifie que la voie du tarot n’est pas une voie d’ascétisme. Le message de l’arcane va cependant au-delà d’une simple incitation au plaisir des sens, car le nombre six est aussi le nombre dédié à l’harmonie, la beauté et l’amour.

Le nombre six est celui du sceau de Salomon. Il représente une étoile à six branches, constituée par l’imbrication de deux triangles inversés, dont l’un a la pointe orientée vers le haut et l’autre vers le bas. Cette figure géométrique, dont les représentations les plus anciennes datent de quatre mille ans avant notre ère, symbolise l’harmonisation des principes opposés obtenue par le dépassement des oppositions qui la constituent, particulièrement celles du masculin et du féminin. Une énergie nouvelle peut alors naître de leur complémentarité, comme l’union de l’eau et du feu libère l’énergie de la vapeur.

Interprétation symbolique de L’Amoureux

La connotation amoureuse de l’arcane six laisse penser que l’amour ouvre une voie vers un état de conscience supérieur. Lorsqu’il est sublimé, il devient un chemin vers le divin (y compris dans son aspect sexuel). C’est le message de l’amour courtois chanté par les troubadours du Moyen-Age et par les poètes de la Renaissance. Ils décrivent l’amour entre un homme et une femme comme le premier degré de la voie qui conduit à l’amour divin. C’est aussi le message transmis par le tantra, pratique initiatique sacrée à la fois physique et spirituelle. Cette conception de l’amour sert de terreau au message de L’Amoureux.

Invitation de L’Amoureux

Comme Pétrarque et Laure, Dante et Béatrice et, avant eux, les amants courtois de la fin’amor, L’ Amoureux du tarot est invité à s’engager, corps et âme, dans la voie de l’amour et à lui consacrer sa vie. Cet élan amoureux doit cependant être dépouillé de sa dimension possessive pour tendre vers une conception plus élevée de l’amour, seule capable de combler le besoin d’élévation et de fusion avec le divin qui s’exprime à travers lui.

Car l’expérience amoureuse rapproche l’être du mystère de la création. Elle ne se limite pas aux relations sexuelles, mais se caractérise par une ouverture du coeur. Elle invite à rechercher la beauté dans toutes les relations humaines et toutes les créatures vivantes – végétales et animales-, mais aussi dans les arts, la culture et tout ce qui élève l’âme et permet de cultiver l’harmonie, en soi et autour de soi.

Prière Navajo

Maintenant va de l’avant comme quelqu’un qui a la longue vie,
Va de l’avant comme quelqu’un qui est heureux,
Va avec le bonheur et la longue vie,
Va mystérieusement.

Pour les Indiens Navajos, marcher dans la beauté, principalement celle de la Nature, est un chemin spirituel, en harmonie avec l’Univers.

L’arcane affirme le libre arbitre de L’Amoureux qui, pour la première fois, choisit, en conscience, l’orientation qu’il veut donner à sa vie en s’engageant dans la voie de l’amour.

Ombre de L’Amoureux

L’amour conditionnel, la possessivité, la jalousie ou encore le chantage et la manipulation sont les manifestations de l’aspect négatif de L’Amoureux.

L’arcane peut suggérer l’immaturité affective (L’Amoureux est encore un adolescent). Cette absence de confiance en soi peut aussi révéler la peur d’aimer, par crainte de souffrir et empêcher de vivre des relations basées sur l’acceptation et le respect de l’autre, particulièrement dans la relation amoureuse.

L’Amoureux peut encore mettre en lumière les doutes qui empêchent de faire des choix engageant sa vie. Car tout choix entraîne un renoncement, et il ne peut exister de choix sans renoncement librement accepté – sous peine de frustration.

L’Amoureux et nous

L’Amoureux nous encourage à prendre nos décisions en conscience, dans l’ouverture du coeur, sans subir les influences de nos vies passées, de notre famille et de la société. Il nous invite à être libres et à vivre intensément en saisissant  toutes les opportunités de manifester les élans de notre coeur. De nos choix dépend notre progression.

Dans un tirage

Sens général. L’Amoureux est l’arcane du choix et de l’engagement. Lorsqu’il se présente dans un tirage, c’est pour indiquer que la personne se trouve devant la  nécessité de prendre une décision qui engage sa vie. Il peut s’agir d’une relation amoureuse, ou plus largement d’une situation où elle est invitée à suivre l’élan de son coeur et à rechercher ce qui peut lui procurer le plus de plaisir et de satisfaction.

Plan personnel. L’arcane de L’Amoureux invite à cultiver l’harmonie en soi, autour de soi et avec les autres, particulièrement dans ses relations amoureuses ce qui n’est possible que lorsgu’on a pacifié les conflits qui existent en soi. Pour aimer et accepter l’autre dans toute sa complexité, il faut d’abord s’aimer et s’accepter soi-même.

Plan spirituel. L’Amoureux invite à s’engager dans la voie de l’ouverture du coeur comme dans une voie spirituelle menant à la fusion avec les énergies supérieures de l’Amour et de la Beauté.


2. L’Amoureux ou Le choix de l’amour (Intuiti)

Le jeune Werther découvre son amour pour Lottie quand il est encore dans son carrosse, avant même qu’il ne la rencontre pour la première fois. Même si l’on pouvait conclure à une intervention divine, en réalité, c’est le jeune homme qui décide de tomber amoureux : il croit que la seule voie pour vivre sa liberté passe par Lottie.  C’est bien de cela qu’il s’agit : choisir la bonne voie, celle qui nous rendra heureux en fin de compte, même s’il nous faut renoncer aux autres choix, même si le chemin choisi semble le plus risqué ou le plus difficile. Découvrir ce que nous aimons réellement peut sembler dangereux, cela nous mène souvent à des carrefours périlleux, avec, d’une part, les choix faciles ou sans danger et, d’autre part, le courage nécessaire pour renoncer à la conformité et emprunter notre vraie voie.

C’est le moment du choix : “Qu’est-ce que j’aime le plus ? Qu’est-ce qui me retient ? Qu’est-ce qui me fait ressentir si fort que c’est là le chemin à emprunter ?

Vous aimerez cette carte si vous avez dépassé ce conflit, si vous avez déjà déterminé ce que vous aimez et ce que vous n’aimez pas, et que vous en êtes sorti indemne.  A contrario, cette carte est angoissante pour ceux qui ont peur de devoir faire ce genre de choix : “Dois-je quitter mon job qui me fait tant souffrir ? Mais que vont dire les gens ? Que vont penser mes parents ?” L’Amoureux nous pousse vers ce que nous aimons mais nous invite aussi à réfléchir : “Est-ce que j’aime réellement ce que je fais ? Et si j’aime ça, pourquoi suis-je si fatigué ? Qu’est-ce qui me manque ?

L’HISTORIETTE. Un beau matin, elle laisse tomber son sac sur le sol et part en courant. Elle quitte sa maison, son travail et ses amis. Sur la route, elle rencontre un cheval  et continue à galoper jusqu’au moment où elle quitte le sol. Son coeur bat bien trop vite pour qu’elle s’arrête. Ce n’est pas qu’elle vole dans les airs : simplement, elle retrouve sa vraie nature.

LA RECOMMANDATION : “Faites-le à votre manière ou ne le faites pas !


3. L’Amoureux (Jodorowsky)

Cliquez sur l’image pour accéder à la boutique wallonica…

EXTRAIT : “Union. Vie émotionnelle. Le nom de cette carte n’est pas, comme on l’a parfois dit, Les Amoureux mais L’Amoureux au singulier. Pourtant nous y voyons plusieurs personnages : quatre de forme humaine (les trois personnes et l’ange) et, si on le veut bien, deux entités qui sont la terre et le soleil. Parmi eux, qui est L’Amoureux ? Le personnage central, souvent interprété comme un garçon ? Le personnage de gauche, dans lequel certains lecteurs voient un travesti ? Ou encore l’ange, ce petit Cupidon qui pointe sa flèche depuis le ciel ? Ces questions se posent car l’Arcane VI est probablement, avec La Maison Dieu, l’une des cartes les plus ambiguës du Tarot, et une de celles qui ont été le plus mal comprises. Le VI représente, dans la numérologie du Tarot, le premier pas dans le carré Ciel. C’est le moment où l’on cesse d’imaginer ce qui nous plairait pour commencer à faire ce que l’on aime.

La tonalité majeure de cette carte concerne le plaisir, la vie émotionnelle.  C’est la raison même pour laquelle elle est si complexe, si riche de significations contradictoires. Elle ouvre le champ à d’innombrables projections, on peut lui attribuer mille interprétations qui seront toutes justes à un moment donné. Que se passe-t-il au sein de ce trio ? Est-ce une querelle, un marchandage, un choix, une union ? Les deux personnages de gauche se regardent pendant que celui de droite regarde dans le vide. L’humanité entière peut être comprise à travers cette carte. Les relations de ses protagonistes sont extrêmement ambivalentes.

La position des mains des personnages est particulièrement intéressante à observer. Cinq mains dans des positions diverses symbolisent la complexité des relations en jeu. Le premier personnage, à gauche de la carte, pose sa main droite sur l’épaule du deuxième, dans un geste de protection ou de domination, pour le pousser ou le retenir. Sa main gauche touche le bas du costume du garçonnet. On peut interpréter le mouvement de son index tendu comme un désir de glisser vers le sexe, ou au contraire un interdit à le faire. Le garçon a sa main droite (à notre gauche) appuyée contre sa ceinture. On note au passage que celle-ci, jaune à trois bandes, est la même que celle de la femme de gauche. Si l’on admet la ceinture comme symbole de la volonté, ce détail unit les deux personnages. Mais à qui appartient la main, à notre droite, qui touche le ventre de la jeune femme ? Le garçon et elle-même ont un vêtement à manches bleu foncé, si bien le mouvement de ce bras est ambigu. Ils font en quelque sorte « bras commun». Si le garçon touche le ventre de la jeune fille au niveau du sexe, la direction de son regard va cependant vers la gauche. La carte aura une signification bien différente si l’on considère que c’est son bras à elle qui protège ou indique son ventre alors que le garçon garde sa main dans le dos…

La femme de droite porte une coiffe composée de quatre fleurs à cinq pétales. Elle pourrait représenter une belle conscience poétique et néanmoins solide. Le coeur violet des fleurs concentre la sagesse de l’amour, voire la capacité de se sacrifier. La femme de gauche porte une couronne de feuilles vertes, active (la bande rouge), et si l’on accepte qu’il s’agit de laurier, on peut dire qu’elle a une mentalité de triomphatrice ou de dominatrice.

On peut spéculer à l’infini sur les relations des trois personnages : un garçon qui présente sa fiancée à sa mère ; une femme qui découvre son mari avec une maîtresse;  un homme tenu de faire un choix entre deux femmes ou, comme le veut l’interprétation traditionnelle, entre le vice et la vertu ; une maquerelle offrant prostituée à un passant ; une jeune fille qui demande à sa mère la permission d’épouser le garçon qu’elle a choisi ; une mère amoureuse de l’amant de sa fille ; une mère préférant l’un de ses deux enfants à l’autre…

Les interprétations sont inépuisables. Toutes nous conduisent à dire que L’Amoureux est une carte relationnelle qui représente le début de la vie sociale. C’est le premier Arcane où il y a plusieurs personnages présentés au même niveau. Les disciples du Pape étaient plus petits que lui et de dos). C’est une carte d’union et de désunion, de choix sociaux et émotionnels. Plusieurs indices présents dans la carte orientent vers la notion d’union. D’une part, le chiffre 6 dans l’alphabet hébreu est associé à la lettre Vav, le clou, qui représente l’union. D’autre part, on remarque entre les jambes des personnages des taches de couleur (bleu ciel puis rouge) qui représentent, elles aussi, une continuité, une union entre eux. Sur un plan symbolique, on pourrait dire que les trois personnages représentent trois des instances de l’être humain : l’intellect, le centre émotionnel et le centre sexuel qui s’unissent pour ne faire qu’un.

La terre est labourée sous les pieds des personnages. Cela signifie que, pour arriver au VI, il faut avoir fait un travail préalable, psychologique, culturel et spirituel. C’est ainsi que l’on en arrive à réaliser ce que l’on aime, ce que l’on veut. Les chaussures rouges du personnage central sont les mêmes que celles du Mat et de l’Empereur : on peut les considérer comme trois degrés d’un même être. On note aussi que, entre  ce personnage et sa voisine du côté droit, la terre s’arrête, il n’y a que la tache rouge. On peut alors voir en eux une représentation de l’animus et l’anima, deux aspects masculin et féminin d’une seule personne.

L’orthographe AMOVREUX avec le ‘V’ à la place du ‘U’ crée un lien visuel et sonore avec le mot Dieu de LA MAISON DIEV. On pourrait dire que le soleil, qui verse ses rayons sur la scène, représente le grand Amoureux cosmique, la divinité comme source d’amour universel qui nous conduit à l’amour conscient et inconditionnel. Le petit Éros lui sert de messager et nous suggère, étant représenté sous les traits d’un enfant, que cet amour se renouvelle constamment.

Dans une lecture

Cette carte ambiguë nous incite à nous questionner sur notre état émotionnel : comment va notre vie affective ? Sommes-nous en paix ou en conflit ? Faisons-nous ce que nous aimons ? Quelle place l’amour a-t-il dans notre vie ? La situation qui nous occuppe a-t-elle des racines dans notre passé, et lesquelles ? On peut s’interroger sur la place qui nous a été attribuée au sein de la famille, travailler à identifier les projections que nous reportons sur notre entourage actuel. L’Amoureux sera, au choix, un des personnages de la carte, dont les relations pourront être commentées par le (la) consultant(e). Quelle que soit la question, il sera utile de rappeler que L’Amoureux central demeure le grand soleil blanc qui irradie, illuminant tous les vivants sans discrimination.

Et si L’Amoureux parlait …

Je suis le soleil de l’Arcane, le soleil blanc : presque invisible mais éclairant tous les personnages. Je suis cette étoile : la joie d’exister, et la joie que l’autre existe. Je vis dans l’extase. Tout me donne du bonheur : la Nature, l’univers entier, l’existence de l’autre sous toutes ses formes – cet autre qui n’est autre que moi.

Je suis la conscience qui brille comme une étoile de lumière vivante au centre de votre coeur. Je me renouvelle à chaque instant, à tout moment je suis en train de naître. À chaque battement de votre coeur, je vous unis avec l’univers entier. C’est de moi que partent les liens infinis qui vous unissent à toute création. Ah, le plaisir d’aimer ! Ah, le plaisir de m’unir ! Ah, le plaisir de faire ce que j’aime ! Messager de la permanente impermanence, je renais à chaque seconde. Je suis comme un archer nouveau-né qui lance des flèches vers tout ce que ses sens peuvent capter.

Je ne suis pas la gentillesse, je ne suis pas l’ambition du bien-être ou du triomphe. Je suis l’amour inconditionnel. Je vous apprendrai à vivre dans l’émerveillement, la reconnaissance, la joie.

Lorsque je pénètre en vous, comme dans les personnages de l’Arcane, je communique l’amour divin à la moindre de vos cellules. Je souffle sur votre mental comme un ouragan chaleureux qui élimine du langage la critique, l’agression, la comparaison, le mépris, et toutes les gammes de l’orgueil qui séparent le spectateur de l’acteur. Je m’insinue dans votre énergie sexuelle pour adoucir toute brutalité, tout esprit de conquête, de possession. Je confère au plaisir la délicatesse sublime d’un ange qui éclate. Lorsque je me dissous dans votre corps, c’est pour le détacher de la dictature des miroirs et des modèles, du regard des autres, de la douleur des comparaisons. Je lui permets de vivre sa propre vie, d’assumer sa lumière et sa beauté. Dans le coeur où j’habite, je chasse les illusions de l’enfant mal-aimé. Comme la cloche d’une cathédrale, je répands dans le sang la vibration pénétrante de l’amour, dénuée de toute rancune, de toute demande émotionnelle travestie en haine, et de toute jalousie, qui n’est que l’ombre de l’abandon. Je vous initie au désir de ne rien obtenir qui ne soit aussi pour les autres. L’île du moi se transforme en archipel.

Tout concourt à augmenter ma joie, même ce que vous interprétez comme des circonstances négatives : le deuil, la difficulté, la petitesse, les obstacles. J’aime les choses et les êtres tels qu’ils sont, avec leurs infinies possibilités de développement. À chaque instant, je les vois et je suis prêt à participer à leur épanouissement, mais aussi à accepter qu’ils demeurent tels quels.

Vie sociale, Joie • Aimer ce que l’on fait • Faire ce que l’on aime • Nouvelle union • Choix à faire • Plaisir • Beauté • Amitié • Couple à trois • Tomber amoureux(se) • Conflit émotionnel • Séparation • Dispute • Terrain incestueux • La fratrie • Idéal et réalité • Premiers pas dans la joie de vivre • Amour conscient • Amour inconditionnel • La voie de la Beauté…


4. Les Amoureux (Vision Quest)

L’ESSENCE : DÉVOUEMENT – Amour à tous les niveaux, dans toutes les dimensions, aussi bien platonique qu’érotique – Profonde fusion – Dissolution – Retour – Compagnon et Compagne spirituelle – Ami et amie du coeur..

LE MESSAGE INTÉRIEUR : Pour pouvoir vous dévouer véritablement, vous devez être fort, et non pas faible ! Souvent les personnes pensent que c’est uniquement la faiblesse qui se dévoue. Mais c’est exactement le contraire. On doit avoir la force de se dévouer à l’amour sans rien attendre en retour, sans même savoir si l’amour va nous répondre… Ceci ne peut se produire que s’il existe une grande confiance universelle. Votre force d’amour est le cadeau le plus important
de votre vie. Ne la laissez pas s’affaiblir, même si elle est accompagnée de douleur. Le feu de l’amour est le chas de l’ aiguille par lequel chacun de nous doit passer dans sa vie. Si nous refusons cette chance, nous restons inassouvis.
.

LA MANIFESTATION EXTÉRIEURE : Décidez-vous pour la force de l’amour en vous. Cette force ne coule pas seulement vers une personne. Il existe plusieurs aspects de l’amour. Ne vous limitez pas vous-même, mais permettez au flux de votre vie et de votre force d’amour de couler. Le moment est opportun pour s’accorder la présence d’un ou d’une partenaire. Apprenez à différencier quels sont les énergies et souhaits du coeur que vous donnez et recevez. L’amour spirituel et l’harmonie intérieure peuvent être d’ordre sexuel pour s’accomplir, mais pas obligatoirement. Notre sexualité est un cadeau formidable de la nature.
D’une part, pour le maintien de tous les êtres vivants, et, d’autre part, elle est un chemin merveilleux pour apprendre le dévouement et la fusion les plus intimes qui existent avec la force divine.


5. L’Amoureux (tarot maçonnique)

“Pour aller à la conquête de son unité, l’individu est amené à faire un choix : sortant de l’école du centaure Chiron, il se trouve à la croisée des deux triangles qui forment le sceau de Salomon.

A la jonction du jour et de la nuit, le personnage est au centre de deux attirances ; d’un côté la passivité, la vie affective, et de l’autre la rigueur de l’ascèse nécessaire à la recherche de la lumière. C’est aussi le choix entre la voie de l’intuition (mystique) et celle de l’étude (gnostique).

La flèche du sagittaire est, dans les “Upanishad” le symbole de l’intuition fulgurante ; celle décochée par Eros est animée par les sentiments d’amour, de désir, de générosité. L’arc est le symbole des tensions d’où jaillissent nos désirs liés à l’inconscience enfoui dans l’oeuf primal.

L’énergie qui anime l’être humain est doublement marquée par la rencontre d’un courant vertical (dynamisme de l’esprit) et horizontal (sentiment, “affectus”). Dans l’image, l’être est double, divisé même entre deux figures : l’une ondoyante et attirante, l’autre rigide comme une colonne.

Le niveau, outil du maçon opératif, permet le contrôle de l’équilibre nécessaire à ce stade du Travail du Compagnon.”


6. Les amoureux de la forêt (Forêt enchantée)

“Les Amoureux de la forêt sont placés à Beltane, l” mai, la fête des rites de printemps et le portail vers l’été. Dans cette position, ils équilibrent les suites d’Arcs et de Flèches et les éléments feu et air, et représentent l’échange délibéré d’énergie qui engendre la conscience féconde.

DESCRIPTION : Un homme et une femme se tiennent côte à côte, vêtus du vert et du brun de la Forêt enchantée. Ce sont Robin des Bois et Lady Marian, les Amoureux de la forêt, réincarnés maintes fois sous toutes sortes de noms. Entre eux se trouve un poteau enrubanné de mai, généré par leur échange d’énergie et symbolisé ici par un bouleau. Des guirlandes vertes montent autour de lui en spirale vers le ciel, représentant les énergies ascendantes de la Terre qui rencontrent les énergies descendantes du ciel. Les Amoureux de la forêt créent une étincelle de vie qui génère une troisième force ou énergie. Les pieds-de-veau sont en fleur au moment de Beltane. Ils symbolisent l’union masculine et féminine à cette époque de l’année, ainsi que les énergies génératrices conférant plénitude et harmonie à ce moment du cycle de l’année.

SIGNIFICATION : Les Amoureux de la forêt représentent en même temps l’équilibre dans les relations et l’union sexuelle. Nous sommes tous des fragments holographiques de l’univers, renfermant en nous à un quelconque degré l’ensemble de la création et des archétypes de l’Arcane majeur. À mesure que nous pénétrons dans la grande forêt de la vie, nous cherchons la richesse et l’harmonie émotionnelles sur le plan le plus profond. À partir de là, l’amour fleurit, nous enlaçant encore plus étroitement dans une existence où les différences disparaissent et les scories de la cupidité et de la possessivité sont brûlées dans les feux de la vie.

Le véritable amour vient de l’union de deux énergies polaires pour créer une troisième force ou conscience. C’est un échange d’énergie et de passion, pas la domination de l’une ou de l’autre mais un transfert délibéré de volonté et de respect. Pour être complets, nous devons apprendre à accepter et à montrer de l’amitié à tous les aspects de notre personnalité, masculin et féminin, clair et obscur, processus qui permet une circulation naturelle en nous du cycle des saisons. Si nous n’accueillons pas tous les archétypes, ils se sentent reniés et mal à l’aise, comme des fantômes frappant à la fenêtre, cherchant à se faire connaître.

À mesure de notre progression, nous trouvons l’équilibre de notre personnalité à travers nos relations. Certains hommes créatifs et sensibles sont équilibrés par une « chasseresse » forte. Certaines femmes attentives et artistes sont équilibrées
par un aspect masculin très motivé. Le genre physique peut varier, mais la polarité fonctionnera ou échouera.

Pour aimer réellement, nous devons être complets, accepter tous les aspects de notre personnalité et accepter cette même complétude chez autrui. La polarité varie d’un jour à un autre, d’un moment à un autre, mais l’individu réellement complet possède tous les éléments fragmentés de sa personnalité et est capable de les affronter chez les autres. La joie de l’union est entière et facile. L’amour est sa propre récompense.

POINTS ESSENTIELS DE LA LECTURE : Sur un plan personnel, l’amour est un don universel au coeur généreux, et la personne en quête trouvera l’équilibre grâce à l’harmonie et à la guérison intérieures. La polarité est l’élément clé du flux et du reflux naturels de l’engagement émotionnel. Les Amoureux de la forêt représentent la force spirituelle positive de l’énergie émotionnelle créative et du désir universel d’harmonie. Les habitants de la Forêt verdoyante révèrent et respectent les rites de l’amour en tant que force assurant le déroulement du cycle de la création et la stabilité émotionnelle. Amenez toujours avec vous la lumière de l’amour et laissez-la éclairer les recoins les plus sombres de votre monde et vous soutenir dans toutes vos actions.

Racines et branches
Union bénie | Amitié | Rites de printemps | Equilibre polaire des âmes | Désir | Cerf blanc arthurien | Amour éternel | Voeu sacré


7. Nemetona (tarot celtique)

“Si les temples des Celtes (cercles de pierres au plus profond de la forêt) s’appelaient nemeton, Nemetona ne peut qu’être la mère du bois, la déesse-arbre vêtue de feuilles et d’écorce. À cette image de sérénité et de paix, de secret et de fraîcheur, il vient toutefois s’en ajouter une autre, bien moins pacifique, qui présente aussi Nemetona comme une divinité guerrière, une sorte de Victoire, compagne du dieu Mars. Guerre et paix, tendresse et passion, harmonie et rivalité : tels sont du reste les traits caractéristiques de la déesse mère celtique, déesse du combat et de l’ amour, de la fertilité et de la lutte. On retrouve d’ ailleurs la même ambivalence dans le sentiment amoureux, considéré comme une entité abstraite indépendante, intense, violent, très doux et toujours tourmenté. Le panthéon celtique compte deux divinités de l’ amour : le jeune Oengus, fils du Dagda, épris d’une femme changée en cygne ; et la belle Ainè, vénérée encore aujourd’hui au solstice d’été, quand elle apparaît au sommet des collines aux jeunes filles amoureuses.

LA CARTE : Comme l’amour sentimental, spirituel ou physique, dont les trois visages nous tourmentent et nous charment, Nemetona, qui préside au repos et à la guerre, à la tendresse et à la passion, revêt ici une apparence triple. Le caractère lié à la végétation ressort non seulement de la coiffure et de l’habit faits respectivement de feuilles et d’écorce, mais aussi du teint verdâtre et du vert franc et brillant des iris. L’expression différente de chacun des trois visages souligne de son côté l’idée du changement et de l’incertitude propre à cette carte : celui du milieu est énergique et combatif, tandis que les deux autres sont soucieux et mélancoliques.

SIGNIFICATION ÉSOTÉRIQUE : Rien de ce qui vit dans l’univers n’est rigoureusement fixe : tout est sujet à changer, en se balançant souvent de part et d’autre et en naviguant vers son contraire. Il n’existe pas de vérité unique : chaque vérité a plusieurs facettes, plusieurs aspects, car l’absolu se cache derrière le relatif. L’amour est la seule énergie capable de concilier les contraires, par la force de cohésion de l’âme : dans l’amour, les contraires se rejoignent ; les doutes s’aplanissent et la fluctuation qui nous fait souvent perdre notre chemin se transforme en joyeuse certitude.

MOTS CLEFS : amour, rencontre, doute, choix, art, agriculture.

A L’ENDROIT : rencontre de l’âme soeur, amour, projets de mariage ; fidélité, dévouement, choix décisif ; amitié, altruisme ; art, beauté, affinité ; fécondité physique et intellectuelle ; réussite aux examens, épreuves surmontées ; récoltes agricoles ; alliances utiles ; santé recouvrée grâce à une alimentation saine ; parents, prétendants, enfants, animaux domestiques.

A L’ENVERS : hésitations, doutes, insatisfaction, frustration ; tromperies, tentations, rencontres mettant l’avenir en péril ; conflits, désirs inassouvis, instabilité, obstacles ; échec à une épreuve ; sexualité débridée ou inhibée, séparation, célibat, fiançailles repoussées ; sacrifice, froideur, égoïsme ; projets hasardeux, affaires en suspens ; dépression, risque de maladie ou d’accident, stérilité, malaises, troubles intestinaux, affections des reins, du sein et de la gorge.

LE TEMPS : mercredi, septembre.

SIGNE DU ZODIAQUE : Gémeaux, Taureau, Balance.

LE CONSEIL : laissez la force de l’ amour rythmer vos journées et guider vos choix : grâce à elle, toutes les décisions que vous prendrez contribueront à répandre la lumière en vous et tout autour de vous.


8. Les Amoureux (Johannes Fiebig, ill. Dali)

Dali Pinxit

PARADIS ET OMBRE – Beaucoup se souviennent de l’histoire de l’Expulsion du Paradis telle qu’elle est décrite dans la Bible et dans d’autres récits. L’histoire du Retour au Paradis, de la Vie éternelle qui commence le jour du Jugement dernier, est en revanche méconnue et appartient pourtant à la tradition occidentale. Ce jour du Jugement dernier est aujourd’hui !

Nous aspirons à l’amour, mais en secret nous avons peutêtre peur de pouvoir aimer et/ou d’être aimé. Notre bonheur en amour dépend beaucoup des objectifs et représentations que nous lions au mot amour. Tant que nous sommes à la recherche de notre moitié, nous courons le risque de nous réduire de moitié. Ou bien nous recherchons un maximum de ressemblance personnelle : réfléchissez dans quelle mesure cette idée vous porte.

Si vous cherchez quelqu’un avec qui vous êtes d’accord à tout point de vue, qui vous connaît exactement et vous comprend, une seule personne remplit ces conditions : vous-même. Plus les différences sont marquées, plus les points communs sont enrichissants ! À partir du moment où nous sommes capables d’aimer les différences, un nouveau paradis s’ouvre alors à nous ! Sur ce chemin, ombres et nuages noirs doivent être transpercés. Seul l’amour basé sur l’individualité et l’originalité de l’individu arrive au nouveau paradis et atteint le paroxysme (comme la silhouette de l’ange sur l’image) dans des moments de bonheur suprême qui outrepassent la portée de chaque homme.

CONSEILS PRATIQUES -Le petit ange de la carte incarne aussi l’enfant des deux amoureux. Cela peut être pris au sens propre comme au sens figuré. Tout type de relation, y compris la relation avec soi-même ou la relation avec des partenaires commerciaux, porte au sens figuré un enfant : des résultats productifs – preuve vivante d’une collaboration collégiale – porteurs de vie et d’avenir.

RÉFÉRENCES ARTISTIQUESNeptune et Amphitrite (1516), Gemaldegalerie, Berlin, par Jan Gossaert, nommé Mabuse, né à Maubeuge (Hainaut) entre 1470 et 1480, mort à Bréda en 1532.


RETOUR A L’INDEX DES ARCANES…


Lisons encore les symboles en Wallonie…

VIENNE : Sérénade d’automne (2024)

Temps de lecture : 3 minutes >

Le problème, c’est le chien. Et les souvenirs, aussi. Surtout, peut-être. A cause de tout cela, même si souvent l’envie lui est venue, il ne l’a jamais fait. Ce soir encore, il hésite. Il était pourtant presque décidé. Se lève, se sert un Talisker dont la chaleur tourbée le rassure. Un verre, juste un, pour y puiser le courage, pas davantage, surtout ne pas tomber dans une torpeur nostalgique. De quoi d’ailleurs ? Ce n’est pas de nostalgie qu’il s’agit, plutôt d’une curiosité teintée de tristesse. Un peu d’inquiétude aussi, une forme de culpabilité sans doute.

Le moteur de la voiture a été moins hésitant que lui à démarrer. Au dehors, il pleut. Il déteste ça mais, pour ce qu’il a à faire, cela lui semble préférable. La route, il la connaît, de toute manière. Ce n’est pas qu’il l’a repérée, non, répétée plutôt, tant de fois, avant et après, maintes fois, comme aujourd’hui, il a pris la route avant de rebrousser chemin. Ce soir, ce sera différent, c’est différent, il le sent bien. Même s’il la parcourt dans le silence, pas de musique, contrairement à son habitude. Il est déjà presque arrivé. Deuxième sortie dans le rond-point, ensuite première à droite, et puis. Garer la voiture plus loin, même s’il faut marcher cent mètres sous la pluie, ne pas attirer l’attention, surtout, en aucun cas. Il verrouille les portières et se met en marche.

La rue est calme, il y a généralement peu de trafic, surtout à cette heure, pas de piétons non plus, par ce temps qui voudrait. Il longe les façades des maisons, toutes du même côté, le trottoir d’en face borde un parc d’où émanent des odeurs d’humus, les feuilles mortes en décomposition, l’automne est déjà bien avancé. Trois maisons sont légèrement en retrait, précédées d’un jardinet, c’est celle de droite qui l’intéresse. D’où se découpe le rectangle jaunâtre d’une fenêtre éclairée. Il s’approche doucement. Il sait qu’à moins d’un bruit intempestif, d’une sonnerie ou d’un chat, le chien ne réagira pas. Il sait que personne ne se lèvera pour baisser le volet dont le mécanisme est depuis si longtemps grippé qu’il faudrait le remplacer. Il sait qu’en choisissant le bon angle, entre le coin du mur et les rideaux, il pourra embrasser du regard la quasi totalité de la pièce sans risquer d’être vu. Il hésite une dernière fois.

Assise à la table, elle lui tourne le dos. Il en était certain d’avance. Lui n’aurait jamais pu s’asseoir dos à la fenêtre, imaginer des regards pesant sur lui à son insu. Elle, si, absorbée par l’écran de son laptop tandis qu’elle écrit. Pour peu, il la verrait sourire. De cela aussi, il est persuadé. Parce que pendant si longtemps, quand même, c’est à lui qu’elle a écrit. En souriant. Et pas seulement écrit. De cette maison, il n’y a pas grand-chose qu’il a oublié. Si ce n’est l’odeur, peut-être. La décoration a changé, forcément. C’était un besoin aussi, sans doute. Mais il reconnaît encore ce vase qu’il détestait. Et un dessin d’enfant au mur. Il se demande si. Mais justement, la voilà qui entre.

Il a un brusque mouvement de recul. Pourtant, la porte du salon est dans l’angle mort, en entrant, elle ne peut l’apercevoir. Ce n’est pas de cela qu’il a peur, il en est bien conscient. Elle a changé, plus que tout le reste, évidemment à cet âge-là. Il l’observe attentivement alors qu’elle s’assoit à côté de sa mère. Il la voit rire, les sent complices, sourit pour lui-même dans l’obscurité humide. Elles sont bien, se dit-il, elles ont l’air heureuses. Il s’écarte de la fenêtre. De la pointe du pied, il efface l’empreinte de ses chaussures dans la terre meuble, la dernière trace de lui. Dans la voiture, il allume l’autoradio.

Philippe VIENNE


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : rédaction | source : inédit | commanditaire : wallonica | auteur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Spa, chemin des Fontaines © Philippe Vienne


Plus de littérature…

GODEAUX : Le tram et le trolleybus de Cointe (CHiCC, 2003)

Temps de lecture : 4 minutes >

À la fin du 19e siècle, Liège possède quatre compagnies de tramways : le Chemin de Fer Américain créé en 1871, Frédéric Nyst et Cie qui exploite l’Est-Ouest en 1880, les RELSE (Liège-Seraing) en 1891 et les Chemins de Fer Vicinaux. Les transports publics se composent encore de diligences et de malles-postes. Cointe, bien qu’entourée de charbonnages, est une oasis de verdure et un lieu de divertissement grâce à ses guinguettes et au pèlerinage célèbre à Saint-Maur. Vu la création du parc de Cointe, pour accéder à ces terrains nouveaux, il s’avère nécessaire de disposer d’un moyen d’accès. Frédéric Nyst propose une liaison nord-sud partant de la gare de Vivegnis et atteignant le plateau, proposition refusée par le conseil communal. Une deuxième proposition vise à prolonger la ligne vers Sclessin et rendrait la ligne viable. Ce projet est également refusé, cette fois par la députation permanente.

Le 20 janvier 1893, une troisième proposition émane de Paul Schmidt, avocat, et elle est acceptée le 3 juillet 1893 pour une durée de 50 ans. Les droits sont immédiatement rétrocédés à une Société du Tramway de Cointe. La ligne, qui fut la première à être électrifiée à Liège, partait du bas de la rue Sainte-Véronique ; elle fut ouverte le 11 août 1895. La pente était de 3 à 5% ce qui est déjà considérable, en courbe constante. Il y avait quatre évitements : un place Sainte-Véronique et trois dans l’avenue de l’Observatoire. La longueur n’était que de 1.500 mètres. Le coût était de 150.000 francs de l’époque !

Il y avait quatre motrices, deux fermées d’une puissance de 25 chevaux construite par la société Electricité et Hydraulique qui deviendra plus tard les ACEC, et deux motrices ouvertes fournies par les Ateliers Germain. Le courant de traction était fourni par la Société Electrique du Pays de Liège. Le dépôt se trouvait à mi-parcours, dans le deuxième virage de l’avenue de l’Observatoire, où se situe maintenant l’arrêt dit “ancien dépôt.” La société était déficitaire mais son but était surtout de valoriser les terrains du parc. Elle intéressait le Liège-Seraing qui la reprit en avril 1905. La proximité de l’exposition laissait augurer un accroissement du trafic. La société souhaitait aussi éviter une prolongation vers Sclessin, ce qui aurait court-circuité la ligne du tram vert par la vallée. Quatre nouvelles motrices de 75 CV (type A) sont fournies par Ragheno. Il faut 15 minutes pour effectuer le trajet. Le prix, au départ de 15 centimes, montera progressivement à 90 centimes à la fin de l’exploitation.

Sauf à la Pentecôte, il n’y avait que deux voitures en ligne. Un projet de liaison du site de l’exposition au plateau par trolleybus AEG fut présenté mais resta sans suite, le matériel n’étant pas fiable. La ligne du tram de Cointe fut alors prolongée par une voie provisoire à travers le parc d’Avroy jusqu’à la rue Raikem où elle retrouvait le trajet de la ligne 9 pour rejoindre le Jardin d’Acclimatation. En 1927, un regroupement des compagnies fait que la ligne de Cointe est cédée aux Tramways Unifiés. En 1929, le trajet est prolongé vers le centre de la ville, place de la République française et ensuite place de la Cathédrale.

Le 31 juillet 1930, apparaissent les premiers trolleybus qui passent par la place des Wallons pour rejoindre l’avenue de l’Observatoire. Ce sont des voitures anglaises Ransomes de 60 CV qui se déplacent à 40 km/h. Le réseau de trolleybus se développant, la société achète de nouveaux trolleybus. L’expérience des véhicules anglais n’ayant pas été concluante, le choix se porte sur la FN : 30 voitures T32, partie électrique CEB et châssis et caisse FN en acier soudé. Le moteur autorise la récupération ce qui permet, en descente, de renvoyer de l’électricité sur la ligne. En 1937, ils seront suivis par 48 nouveaux qui y ressemblent sauf la face avant, et sont plus puissants : 75 CV. Ces véhicules auront des problèmes ; le carter du pont arrière est en aluminium et se brise. Ils devront être remplacés par des carters en acier. Les montants des fenêtres cassaient à hauteur de la ceinture par temps froid. Alors, ces montants ont été renforcés. En 1938, nouvelle commande de 28 trolleys FN dont dix seront livrés avant la guerre et les suivants seront achevés au dépôt Natalis car la FN était, à l’époque, sous séquestre allemand. Les pièces de rechange, et surtout les pneus, deviennent rares et la circulation des trolleybus se raréfie. Le 25 mai 1944, la ligne est interrompue à cause des dégâts causés par les bombardements.

Du 25 mars 1946 au 26 mai 1955, l’exploitation de la ligne est suspendue à plusieurs reprises par suite d’un glissement de terrain survenu avenue de l’Observatoire. Un terminus provisoire est aménagé près de l’ancien dépôt. Dans les voitures, le chauffage est installé, une place pour le percepteur est prévue, une troisième marche facilite l’accès mais ces trolleybus se révèlent inadaptés à la circulation automobile de l’après-guerre. Ils circuleront jusqu’au 16 septembre 1968 et seront remplacés par les autobus.

d’après Jean-Géry GODEAUX

  • Illustration en tête de l’article : ancien dépôt de Cointe (collection Jean Evrard) © histoiresdeliege.wordpress.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Jean-Géry GODEAUX, organisée en mars 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

DADO : L’exposition Marguerite Radoux à la Galerie des Beaux-Arts (Liège, 2024)

Temps de lecture : 3 minutes >

La nouvelle exposition de la Galerie des Beaux-Arts de Liège met à l’honneur l’art pictural de Marguerite RADOUX (Liège 1873-1943). Fille de Jean-Théodore Radoux (le bouillonnant directeur du Conservatoire de Liège à la source de l’actuelle Salle Philharmonique), petite-nièce de l’homme politique liégeois Charles Rogier, l’un des fondateurs de la Belgique, la jeune femme entame à la fois des études artistiques et musicales (elle se destine au chant), incapable de se limiter à une seule discipline. Si sa carrière de cantatrice s’interrompt pourtant assez vite, faute de réel talent (elle se contente en fin de compte d’interpréter les mélodies de son père, de son frère Charles et de son amie, la compositrice et cheffe d’orchestre Juliette Folville), sa carrière de peintre est de toute évidence d’une autre trempe, l’enseignement que lui dispense Adrien De Witte y est sans doute pour quelque chose.

Sophie Wittemans qui signe le beau catalogue de la rétrospective, rappelle que Marguerite a exposé par moins de 55 fois entre 1897 et 1941. Sa production devait compter près de 200 œuvres, des huiles, pastels et fusains. Une trentaine a pu être retrouvée, alimentant la première rétrospective qui lui est consacrée depuis sa mort.

Sa peinture fut très favorablement reçue par les critiques de son temps ! On y décela un tempérament impérieux, celui d’une jeune femme déterminée à ne pas se laisser impressionner par un monde artistique dominé par les hommes. Elle se définit dès 1898 comme “peintre”, non comme “artiste femme” ou “femme artiste“, choix pour le moins révélateur d’un caractère libre et bien trempé !

Marguerite privilégie d’ailleurs l’art du portrait plutôt que celui des paysages ou de la nature morte, genres dans lesquels ont attendait davantage les femmes à l’époque. Ses modèles, à commencer par son père ou par Juliette Folville (que l’on voit notamment diriger un opéra-comique de Jean-Noël Hamal sur la scène de l’actuelle Salle Philharmonique) sont croqués sur le vif, à gros traits de pinceau. Sa pâte est dense, grasse, épaisse, son geste ne manque pas de rugosité, il souligne avec force les empâtements.

Les tonalités de Marguerite Radoux, souvent sombres jusqu’en 1914, font écho à une palette de couleurs restreinte mais subtile. L’artiste excelle aussi dans ses “tableautins”, ces scènes intimistes, ces moments d’émotion pris sur le vif et qui semblent concurrencer par le geste pictural presque instantané l’art de la photographie.

© Collection privée

En 1910, Marguerite, épouse en secondes noces le Français Fernand Outrières, un substitut du procureur de la République qui la mène successivement à Angoulême, au Havre, puis à Paris. Après la Première Guerre mondiale, son art prend une autre tournure, il est influencé par le fauvisme (a-t-elle vu les œuvres de Raoul Dufy au Havre ?) et par une modernité qui met en avant une pâte aux aplats plus larges.

Vers 1929, elle reçoit sa première commande officielle, émanant du Sénat belge : Charles Magnette, Président de l’institution, lui demande d’être portraituré. C’est la première fois depuis la création de l’institution, qu’un président du Sénat demande à une femme de réaliser son portrait. Le résultat est éblouissant de force et de vérité !

Même si elle revient de temps en temps en Belgique, notamment auprès de sa famille à Esneux (ce qui nous vaut quelques paysages réalisés en extérieur), Marguerite tentera de s’imposer sans succès en France. Sa carrière est notamment compromise par un scandale financier qui éclabousse son mari. Elle réalise cependant quelques belles natures mortes dont une, non datée, est extraordinaire par ses couleurs (plus impressionnistes) et par le jeu de mise en abîme qu’on y décèle (l’arrière-fond de l’œuvre représente le dos d’un tableau, et, très curieusement, l’œil du spectateur a l’impression que les fruits et objets peints à l’avant-plan se confondent avec ce tableau dans le tableau, comme si l’on avait à faire à une peinture de nature morte à l’arrière d’une véritable nature morte).

La Deuxième Guerre mondiale la contraint au silence, elle meurt du reste durant le conflit, dans un hôpital des environs de Paris, circonstances qui expliquent sans doute que son art soit tombé dans l’oubli ! La Galerie des Beaux-Arts de Liège rend heureusement justice à une artiste qui mérite plus que de la simple considération !

Stéphane Dado

A voir jusqu’au 24 novembre 2024 !

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction, édition et iconographie | contributeur : Stéphane Dado | crédits illustrations : en-tête RADOUX Marguerite, Nature morte (vase à fleurs, fruits, coupe, poupée) (1927-28) © Gérald Micheels, Musée des Beaux-Arts de Liège – La Boverie.


Plus d’arts visuels en Wallonie…

La vraie tarte brésilienne est… belge (recette)

Temps de lecture : 3 minutes >

La version française

[ENCOREUNGATEAU.COM] En matière d’imposture, je crois qu’on ne peut pas mieux faire que la tarte brésilienne ! Premièrement ce n’est pas une tarte et deuxièmement elle n’est pas brésilienne ! Mais alors, qu’est ce que la tarte brésilienne ? Et pourquoi appelle-t-on une brioche belge tarte brésilienne ? C’est ce que je vous propose de découvrir aujourd’hui.

La tarte brésilienne est à peu près aussi brésilienne que moi, c’est dire ! Il s’agit en fait d’une pâtisserie originaire de Belgique et qui se compose d’une brioche garnie de crème pâtissière recouverte de chantilly et de pralin. Elle ne tient donc pas son nom de ses origines mais de sa composition. En pâtisserie, on appelle brésilienne un mélange de noisettes et d’amandes concassées et caramélisées, plus communément connu sous le nom de pralin

Céline


La version wallonica

© rtbf.be

Recette belge comme son nom ne l’indique pas ! La brésilienne c’est des noisettes grillées caramélisées. Cela ressemble un peu au pralin français qui, lui, contient des noisettes et des amandes. La tarte est une pâte levée (vous pouvez utiliser une pâte brisée prête à l’emploi de chez madame GrandeSurface), de la crème pâtissière, de la chantilly et recouverte de brésilienne.

N.B. Prévoir un moule de 24cm avec un bord haut (3,5cm)

Brésilienne :
      • 100 g noisettes,
      • 30 gr sucre,
      • 12 cl d’eau,
      • 1 pincée de sel,
      • arôme vanille.

Pour préparer la brésilienne : grillez les noisettes quelques minutes à la poêle. Frottez-les dans un essuie de cuisine pour enlever les peaux. Portez à ébullition 30gr de sucre, 12cl d’eau, 1 pincée de sel et l’arôme de vanille. Quand il est doré, mélangez les noisettes dedans et débarrassez le mélange sur une plaque. Laissez refroidir. Concassez-les avec un grand couteau.

Crème pâtissière (elle doit refroidir !) :
      • 50 cl lait demi écrémé,
      • 1 gousse de vanille,
      • 4 jaunes d’œufs,
      • 90 gr sucre en poudre,
      • 40 gr maizena.

Pour préparer la crème pâtissière : Chauffez le lait dans une casserole avec la gousse de vanille fendue en 2 et grattée. Dans 1 saladier, mélangez les œufs et le sucre jusqu’à ce que le mélange blanchisse. Incorporez la maizena. Quand le lait frémit, retirez la gousse et versez-le sur les oeufs/sucre en mélangeant bien puis reversez le tout dans la casserole. Laissez épaissir sans cesser de mélanger. Laissez refroidir. Puis déposer un film plastique au contact et mettez au frigo.

La pâte levée :
      • 20 gr de levure fraîche de boulanger,
      • 60 gr de lait demi-écrémé,
      • 1 pincée de sucre,
      • 300 gr de farine T45
        Farine T45
         ? Appelée farine blanche, cette farine est la plus utilisée en cuisine et est totalement débarrassée du son. Elle est particulièrement employée pour les pâtisseries fines comme les crêpes ou les financiers. Attention tout de même à sa consommation car son indice glycémique est très élevé.
      • 140 gr de beurre doux,
      • 1 œuf,
      • 40 gr de sucre en poudre.

Pour préparer la pâte levée : délayez la levure dans le lait tiède avec une pincée de sucre. Sur le plan de travail, faites un puits avec la farine. Ajoutez le beurre en dés. Sablez du bout des doigts. Versez le mélange lait, levure, œufs et sucre. Amalgamez avec les mains. Pétrissez 10 minutes. Formez une boule. Laissez reposer 1 heure dans un endroit tiède.

Chantilly :
      • 20 cl de crème liquide entière bien froide,
      • 200 gr de mascarpone,
      • 40 gr sucre glace.

Pour préparer la chantilly : Fouettez la crème fraîche avec le mascarpone et ajoutez le sucre en 2 fois. Gardez au frigo.

Tous les composants étant ainsi préparés, sur votre plan de travail fariné, abaissez la pâte au rouleau et déposez-la dans le moule à tarte. Piquez le fond avec une fourchette et laissez lever 15 minutes.

Cuisez la pâte à blanc (à savoir : mettez un papier sulfurisé avec des fruits secs sur la pâte pour faire poids) pendant 20 minutes dans un four chauffé à 180° jusqu’à ce que les bords soient dorés. Enlevez le papier sulfurisé et les fruits secs. Laissez tiédir. Mettez ensuite la crème pâtissière à la spatule. Puis la chantilly. Puis la brésilienne…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : encoreungateau.com ;  Sophie Adans, Chef | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © encoreungateau.com ; © rtbf.be.


Passer à table en Wallonie…

HALLEUX : L’industrie à Liège du temps de John Cockerill (CHiCC, 2003)

Temps de lecture : 4 minutes >

John Cockerill est un peu l’arbre qui cache la forêt. Il la cache par son génie, par le mythe qui s’est créé autour de son personnage et autour de ses œuvres. Et pourtant, il n’était pas le seul, les vieux ouvriers disaient qu’ils travaillaient “amon Dallemagne“, “amon Michiels” ou “amon Orban” [“chez Orban”] selon qu’on parlait de l’une ou l’autre usine. Il y a tout un monde qu’il faut évoquer. Pourquoi, dans les années 1780-1830, notre région liégeoise est-elle devenue un des pôles du développement industriel européen ? Pourquoi à Liège et pas ailleurs ? Certes, il y avait du minerai de fer, on a recensé 300 anciennes petites mines de fer ; il y avait du charbon, mais il y en avait aussi ailleurs. Il faut chercher la réponse du côté des hommes, de leur savoir, de leurs réactions.

C’est ce monde des années 1780 à 1830 que nous vous invitons à découvrir. Il a donc connu cinq régimes : les derniers princes-évêques, la Révolution française, l’Empire français, le régime hollandais et la Belgique léopoldienne. Il faut pénétrer dans les lieux où se réunit ce monde. Trois grandes sociétés liégeoises sont créées dans les mêmes années : la Loge “La parfaite Intelligence, la société libre d’Emulation et la Société littéraire. Les personnes qui se retrouvent dans ces sociétés sont souvent les mêmes. C’est un univers d’intellectuels, d’aristocrates, de bourgeois qui partagent les mêmes intérêts. Il y a des politiques, des inventeurs, des financiers dont l’idéal est celui des Lumières. C’est à la fois le libre examen et le libre échange. Ils désirent appliquer la méthode scientifique dans tous les domaines, dans les matières de sciences, dans les matières d’éducation, de politique, de religion, d’économie c’est-à-dire qu’ils mettent la science au service de la prospérité publique. Ils veulent introduire toute espèce de nouveau procédé, élever le niveau d’instruction des ouvriers qui sont trop souvent, à ce moment, esclaves de la routine.

Au cours des cinq régimes évoqués ci-dessus, on trouve la même politique d’encouragement et de développement. Velbrück était un ami des encyclopédistes, il était franc-maçon et un des aspects de lui moins connu : ami des arts et des manufactures. Ce concept d’émulation se défini à l’époque comme une honnête rivalité pour l’honneur et pour le bien, une compétition dans le pays pour susciter le plus possible de talents. La société l’Emulation pose des questions : comment prémunir les mineurs contre les accidents, trop fréquents ; comment perfectionner les moyens de pompage dans les mines ; comment fabriquer du fer avec du charbon de terre alors qu’on utilisait le charbon de bois.

Les élites anglaises et américaines venaient étudier à Liège au collège des jésuites anglais, supprimé en 1773. Velbrück y voit l’occasion de créer un enseignement supérieur de la physique et des mathématiques de très haut niveau, ouvert cette fois aux élites liégeoises et européennes. Il crée en même temps le grand collège installé dans l’université, l’académie et des écoles de mathématiques et de géométrie pour les artisans. Il s’agit de doter Liège d’un enseignement spécialisé à la fois du point de vue technique, du point de vue général et même du point de vue médical et juridique. Ces idées seront reprises après la parenthèse révolutionnaire. Le régime français crée un conseil d’agriculture et des arts et manufactures, équivalent de la chambre de commerce. Il crée aussi une société des sciences physiques et médicales.

Les inventeurs sont trouvés dans le même milieu de la société d’Emulation. Ils se tiennent au courant de l’actualité scientifique. Spa est le rendez-vous de toutes les élites industrielles. Autour de l’analyse des eaux, se développe un milieu scientifique avec deux frères ennemis, les frères de Limbourg : Jean-Philippe et Robert, un chimiste et un géologue. Dans leur fourneau de Juslenville, ils font des recherches pour utiliser le charbon de terre en le transformant en coke. Jean-Jacques-Daniel Dony prend la concession de la Vieille Montagne et cherche comment produire du zinc métallique à partir du minerai. Les frères Poncelet de Sedan s’intéressent à la cémentation du fer pour faire de l’acier. Jean Gossuin les invite à Liège où ils entrent en contact avec un chimiste pour expérimenter les céments afin de fabriquer des limes. Ils trouvent un client important : la fonderie de canons créée par les préfets en 1803. Napoléon a, en effet, voulu redonner à Liège sa vocation de grande cité armurière en créant la fonderie de canons. Il y a donc eu interaction entre des savants et des chercheurs. La société d’encouragement de Paris couronnera deux liégeois en 1810 : Cockerill pour ses machines à tisser et à filer, et les frères Poncelet pour leur fabrication de limes en acier. Ils vont ensuite arriver à pouvoir fondre l’acier dans leurs creusets et fabriquer de l’acier coulé. Nous sommes dans un monde d’inventeurs doublés de bons investisseurs et de bons financiers.

Voici maintenant le monde des financiers. John Cockerill est le plus mauvais exemple car c’est un génie de la mécanique qui croit que ses machines sont tellement bonnes qu’il pourra toujours en vendre ! Les Orban sont des petits commerçants qui construisent un haut fourneau, produisent des tôles, fabriquent des bateaux en fer. Les Lamarche démarrent par la mécanique et s’associent avec un constructeur britannique pour construire des machines à vapeur. Pour celles-ci, il faut du fer et ils vont acheter des hauts fourneaux, des charbonnages, des fours à coke. Il sont aussi liés à la politique car une des filles Orban a épousé un avocat du nom de Frère qui deviendra l’illustre Frère-Orban.

Le milieu des travailleurs qui possèdent le savoir-faire et qui ont su s’adapter aux techniques nouvelles joue aussi un rôle important. Les Liégeois ont été forts dans la construction des machines à vapeur parce qu’ils étaient spécialisés dans l’industrie armurière. Puisqu’ils savaient forer et polir des canons de fusils, ils pouvaient faire de même pour les cylindres de machine à vapeur.

Le grand développement liégeois résulte d’un milieu complexe qui interagit. Le capital des uns, le savoir-faire traditionnel des autres, l’innovation technologique des savants, l’appui des politiques, constituent la recette de cette première réussite.

d’après Robert HALLEUX

  • Illustration en tête de l’article : John Cockerill à la Maison de la Métallurgie et de l’Industrie à Liège © cyberliegemagazine.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en janvier 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

Dans l’Antiquité, la sorcière était déjà le symbole d’un pouvoir féminin redouté

Temps de lecture : 6 minutes >

[THECONVERSATION.COM, 7 novembre 2024] Si l’on associe habituellement la sorcière à l’époque médiévale, on trouve déjà des figures féminines qui jettent des sorts et sont décrites comme néfastes et castratrices dans les textes grecs et latins de l’Antiquité. Dans son ouvrage Sorcières, la puissance invaincue des femmes (Zones, 2018), l’essayiste Mona Chollet rappelle très justement que les grandes chasses aux sorcières se sont déroulées en Europe, aux XVIe et XVIIe siècles. La répression impitoyable de ces femmes jugées déviantes est un fait moderne.

On trouve cependant dans les textes grecs et latins de l’Antiquité des figures féminines que l’on peut qualifier de sorcières, dans le sens où elles jettent des sorts (sortes en latin) et sont vues comme des êtres nocifs. Quelles sont donc les principales caractéristiques de ces sorcières antiques ?

Les dix types de femmes selon Sémonide d’Amorgos

Rappelons tout d’abord que c’est le genre féminin presque dans son ensemble qui est le plus souvent présenté, dans l’Antiquité gréco-romaine, comme une calamité. Dans son poème Sur les femmes, composé au VIIe siècle av. J.-C., le poète grec Sémonide ou Simonide d’Amorgos classe les femmes en dix catégories dont huit sont associées à des animaux et deux à des éléments naturels. À partir de son œuvre, nous pouvons établir la typologie suivante :

Seule « l’abeille », c’est-à-dire la femme mariée et mère, possède des qualités aux yeux du poète. La sorcière appartient à la catégorie de la renarde ; mais elle peut aussi tenir de la jument ou, au contraire, de la truie, comme nous allons le voir.

Déshumaniser les humains

Circé est l’une des premières figures féminines de la littérature occidentale. Elle apparaît pour la première fois dans l’Odyssée, le fameux poème épique composé par Homère, vers le VIIIe siècle av. J.-C. On la retrouve encore, plus tard, dans l’œuvre d’Hygin (67 av.-17 apr. J.-C.), auteur de fables latines. Le fabuliste raconte que Circé s’était éprise du dieu Glaucus qui repoussa ses avances, car il était amoureux de la belle Scylla. Furieuse, Circé se venge de sa rivale avec cruauté. Elle verse un violent poison dans la mer, à l’endroit où Scylla a coutume de se baigner ; ce qui a pour effet de transformer la victime en chienne à six têtes et douze pattes (Hygin, Fables, 199).

Reléguée dans une île nommée Eéa en raison de ses crimes, Circé n’a de cesse d’y faire le mal. Elle transforme en bêtes les hommes qui ont le malheur de débarquer sur son île. Elle leur fait boire un kykeon, potion enivrante, composée de vin, miel, farine d’orge et fromage, auxquels elle mélange une drogue. Après les avoir ainsi étourdis, elle les transforme en fauves, en loups ou en porcs, d’un coup de sa baguette magique (Homère, Odyssée, X, 234-235). Circé règne sur une sorte de zoo, entourée des animaux qu’elle a elle-même créés et dompte pour son plus grand plaisir. Par ses maléfices, elle incarne la régression de l’humanité devenue monstrueuse ou bestiale.

Dans le roman d’Apulée, Les Métamorphoses, une vieille courtisane nommée Méroé change en castor l’amant qui l’a délaissée et le contraint à s’amputer lui-même de ses testicules (Apulée, Les Métamorphoses, I, 9). La sorcière déshumanise les hommes, tout en les privant de leur virilité.

Tuer des femmes et des enfants

Pasiphaé, sœur de Circé, possède, elle aussi, des pouvoirs néfastes. Pour se venger des infidélités de son époux, le roi de Crète Minos, elle lui administre une drogue qui ne lui fait aucun mal mais provoque la mort de ses maîtresses. “Quand une femme s’unissait à Minos, elle n’avait aucune chance d’en réchapper. […] Chaque fois qu’il couchait avec une autre femme, il éjaculait dans ses parties intimes des bêtes malfaisantes et toutes en mouraient”, écrit le mythographe grec Apollodore (Bibliothèque, III, 15, 1).

Chez le poète latin Horace, la sorcière Canidia découpe le corps d’un enfant encore vivant dont elle extrait le foie et la moelle, ingrédients qui lui serviront à confectionner ses philtres (Horace, Épodes, V).

Pour se venger d’une femme enceinte qui l’a insultée, Méroé lui jette un sort afin qu’elle ne puisse pas accoucher. Son ventre deviendra gros comme un éléphant, mais son enfant ne verra jamais le jour (Apulée, Les Métamorphoses, I, 9).

Détruire la nature

C’est aussi, de manière plus générale, la fertilité de la nature tout entière qu’anéantit la sorcière. Le poète latin Lucain imagine, dans La Pharsale, l’effrayante Erichtho. Elle ne vit pas parmi les humains mais dans une nécropole. Son maigre corps ressemble à un cadavre. Pendant les nuits orageuses et noires, elle court dans la campagne, empoisonne l’air et réduit à néant la fertilité des champs. “Elle souffle, et l’air qu’elle respire en est empoisonné“, écrit Lucain (La Pharsale, VI, 521-522). Comble de l’horreur, elle dévore des cadavres : elle boit le sang qui s’écoule des plaies des condamnés à mort, pendus ou crucifiés. “Si on laisse à terre un cadavre privé de sépulture, elle accourt avant les oiseaux, avant les bêtes féroces” (Lucain, La Pharsale, VI, 550-551).

Une célibataire sans enfants

Circé n’est ni mariée, ni mère.”Elle ne tire aucune jouissance des hommes qu’elle a ensorcelés […] ; ils ne lui sont d’aucun usage“, précise Plutarque (Préceptes de mariage, 139 A). On n’imagine pas, en effet, Circé faisant l’amour avec des porcs ou avec des fauves. Elle demeure donc célibataire et vierge. Cependant, le héros Ulysse parviendra à déjouer ses maléfices et à coucher avec elle. En la possédant, il lui fait perdre son statut d’électron libre. Tout est bien qui finit bien. Soumise, Circé devient une femme ‘normale’ au regard des représentations sociales de la Grèce antique. La renarde est transformée en abeille, selon la catégorisation de Sémonide. Réduite au rôle d’épouse aimante, elle accouchera de trois fils, écrit le poète grec Hésiode (Théogonie, 1014).

Une femme exotique

Circé habite une contrée lointaine, à l’extrémité occidentale du monde connu de l’époque. Elle est perçue comme une étrangère. Sa sœur Médée, elle aussi experte en philtres magiques, vit en Colchide, dans l’actuelle Géorgie, à la marge cette fois orientale du monde grec. Son nom serait à l’origine de celui des Mèdes, peuple du nord-ouest de l’Iran, selon l’historien antique Hérodote (Histoires, VII, 62). Circé et Médée incarnent une altérité féminine exotique.

Chez Apulée, Méroé porte le même nom que la capitale de la Nubie, aujourd’hui au nord du Soudan (Apulée, Les Métamorphoses, I, 7-9). Cette fois, c’est l’Afrique qui représente l’étrangeté. La sorcière est en relation avec les confins du monde.

Jeune fille charmeuse ou vieille femme hideuse

Circé est extrêmement séduisante et désirable avec sa belle chevelure et sa voix mélodieuse, attributs d’une féminité au fort potentiel érotique. C’est une ‘femme-jument’, selon la typologie de Sémonide d’Amorgos. Sur les céramiques grecques du Vᵉ siècle av. J.-C., elle apparaît comme une élégante jeune femme, vêtue d’un drapé plissé. De belles boucles ondulées s’échappent de sa chevelure noire, couronnée d’un diadème. La sorcière se confond alors avec la figure de la femme fatale.

HERMANS Charles, Circé la tentatrice (1881) © Collection privée

Dans cette même veine, à la fin du XIXe siècle, le peintre [belge] Charles Hermans imagine une Circé de son temps, jeune courtisane qui vient d’enivrer son riche client, sans doute pour mieux le dépouiller de son portefeuille. Brune et pulpeuse, elle évoque une gitane, adaptation moderne de l’exotisme de Circé.

Les auteurs d’époque romaine imaginèrent, quant à eux, des sorcières répugnantes physiquement que Sémonide d’Amorgos aurait rangées dans la catégorie des ‘truies’. Des vieilles dégoûtantes (Obscaenas anus), selon l’expression d’Horace qui propose une évocation saisissante de ce type féminin, à travers le personnage de Canidia. Son apparence est effrayante : ses cheveux hirsutes sont entremêlés de vipères. Elle ronge “de sa dent livide l’ongle jamais coupé de son pouce” (Horace, Épodes, V). Cheveux, ongles et dents constituent les contours anormaux de la sorcière, tandis que, de sa bouche, émane un souffle empoisonné “pire que le venin des serpents d’Afrique” (Horace, Satires, II, 8).

Qu’elle soit irrésistiblement séduisante ou d’une laideur repoussante, la sorcière antique incarne un pouvoir féminin considéré comme néfaste et castrateur ; elle symbolise une forme de haine de l’humanité et même de toute forme de vie. Elle est l’incarnation fantasmée d’une féminité à la fois contre-nature et, pourrions-nous dire, contre-culture.

Christian-Georges Schwentzel, historien


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, WATERHOUSE John William, Circé Invidiosa (détail, 1892) © Musée national d’Australie-Méridionale ; HERMANS Charles, Circé la tentatrice (1881) © Collection privée .


Plus de presse en Wallonie…

ANDERSSON : Work (s.d., Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

ANDERSSON Max, Work

(sérigraphie, 82 x 62 cm, s.d.)

Max ANDERSSON est né en 1962 en Suède. Il étudie la conception graphique à Stockholm entre 1982 et 1984, puis suit des cours de cinéma à l’université de New York. Après avoir dirigé de nombreux courts-métrages, il se tourne vers la bande dessinée à la fin des années 80. Ses travaux sont publiés dans de nombreuses revues européennes (en France dans Lapin et Hopital Brut) et japonaises. En France, L’Association édite deux albums : “Pixy” (1997) et “La Mort & Cie” (1998). Max Andersson vit et travaille aujourd’hui à Berlin. (d’après BEDETHEQUE.COM)

Cette sérigraphie représente le personnage de Lamort, héros du livre Lamort et cie” (Editions L’Association, 1998), recueil d’histoires courtes partiellement parues en Suède dans l’album Vakuumneger” et aux Etats-Unis dans le comic-book Zero-Zero” (Fantagraphics).

Le travail d’Andersson est principalement en noir et blanc, ici rehaussé de touches rouges. Son graphisme est puissant et son humour grinçant et radical.

Il existe une longue tradition d’humour noir en Suède et je me vois comme un chaînon de cette tradition.” (M. Andersson)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Max Andersson ; filmform.com | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

HOSAY : Grétry, musicien liégeois (CHiCC, 2004)

Temps de lecture : 4 minutes >

André-Modeste GRETRY est né en 1741 en Outremeuse, rue des Récollets au n°34. Le premier Grétry à être recensé est Arnold, fermier de la Comtesse Marie d’Argenteau, en 1540. Son nom provient d’un petit hameau de la région de Bolland. Le père d’André-Modeste était premier violon à Saint-Martin puis à Saint-Denis. Son fils commence sa carrière musicale à Liège où il va rester pendant 19 ans. Comme il n’existe pas encore d’école musicale, il doit entrer dans la maîtrise d’une église et son père l’introduit à Saint-Denis où il chante comme enfant de chœur. Il s’intéresse plus à la musique théâtrale qu’à la musique religieuse.

Le chanoine Simon de Harlez, de la cathédrale Saint-Lambert, le remarque et lui permet de se rendre à Rome où il sera intégré à la fondation Lambert Darchis. Dans ses mémoires, il raconte son voyage à pied. L’italianisme est en vogue et Grétry entend une troupe de chanteurs italiens qui chante La servante maîtresse de Pergolèse. C’est pour lui une révélation car il découvre l’opéra italien. À Rome, le théâtre Alberti lui commande, en 1766, un opéra qui s’appelle Les vendangeuses. Il obtient un grand succès. Au retour de son voyage, il passe par Genève où il entre en contact avec la musique française et l’opéra comique, alternance de parties chantées et de parties parlées. Il y rencontre Voltaire et Jean-Jacques Rousseau.

Grétry se rend ensuite à Paris. Il va être rebuté par l’art de Rameau qui est assez statique et froid par rapport à l’italianisme. Son premier opéra parisien sera un échec retentissant. Il va alors essayer de faire une synthèse entre l’art français, statique, et l’art italien, plus chaleureux. Il écrit Le huron qui triomphe unanimement dans la capitale française. Grétry était devenu un familier de la cour de Louis XV puis de Louis XVI. Dans ses opéras, il prône des valeurs de la noblesse, des valeurs assez élitistes.

Gretry par Élisabeth Vigée-Lebrun (1785) © BnF

En 1789, il va devoir ajuster sa vision dans des œuvres qui ne seront pas ses meilleures. Il s’installe au boulevard des Italiens, au n°7. Il aura une deuxième gloire sous le Directoire et le Consulat. Il sera admis à l’Institut, où il va siéger à côté de David, et il sera nommé Chevalier de la Légion d’honneur par Bonaparte. Sa santé commence à décliner et il acquiert alors l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau, son philosophe préféré, ermitage où il se retire. Mais il est trop lié au contexte de son époque pour pouvoir continuer à avoir du succès. C’est la différence entre un artiste créateur et un génie créateur. Alors, il n’écrit plus de la musique mais de la littérature intéressante : il consigne son esthétique, sa pensée musicale, il écrit son autobiographie.

Grétry a quitté Liège à 19 ans et y est revenu deux fois au cours de sa vie : en août 1776 et en décembre 1783. Lors de ses deux passages, il a reçu un accueil triomphal. Velbruck l’a nommé son conseiller musical personnel. La société l’Emulation a tenu une séance exceptionnelle en son honneur et la foule se pressa pour l’accueillir. En 1804, il voulait revenir voir sa sœur qui était abbesse dans un couvent près de Huy mais sa santé ne le lui permit pas. Il décède en 1813 et reçoit à Paris des funérailles grandioses. Il est inhumé au Père Lachaise. Il avait émis le souhait d’être enterré à Liège et la Ville a voulu suivre ses volontés mais il y eut un très long procès de 14 ans entre la Ville de Liège et les héritiers de Grétry. Ceux-ci voulaient conserver la dépouille à l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau pour y attirer du public.

Le Conseil d’Etat de Charles X a donné raison à la Ville de Liège qui a fait revenir le cœur dans la Cité ardente. L’urne qui a servi au transfert est restée longtemps dans le cabinet du bourgmestre et elle est maintenant au Musée Grétry. La Ville a lancé en 1836 un concours pour la réalisation de la statue que nous connaissons et dans laquelle le cœur sera déposé. Son érection, face à l’Emulation place du XX Août en 1842, a donné lieu à une fête populaire où se remarqua la présence de Meyerbeer et de Mendelssohn, et Liszt a donné un concert. La statue a été finalement déplacée, 24 ans plus tard, en face du Théâtre Royal.

La maison natale de Grétry, un immeuble de style liégeois Louis XV, a été pendant longtemps la propriété d’une famille d’imprimeurs, les Dubois-Desoer, qui l’a donnée à la Ville de Liège au milieu du 19e siècle. Deux conditions furent exigées : perpétuer les souvenirs attachés aux lieux et faire don des profits éventuels à l’encouragement des études musicales. La collection Grétry a réintégré la maison natale en 1913. Les premiers éléments avaient été mis en place par Jean-Théodore Radoux qui était le directeur du Conservatoire de Liège. Celui-ci avait rassemblé quelques souvenirs de Grétry mais ils n’étaient pas accessibles au grand public.

En 1985, Madame Radoux décédée, les responsables se sont trouvés dans l’embarras. Le musée a été fermé, hélas, pendant plusieurs années jusqu’en 1991. Dans le grenier de l’annexe de la maison de Grétry ont été retrouvés des sculptures et des instruments de musique. La bibliothèque recèle de nombreux écrits musicaux et littéraires de Grétry. On a recensé 125 effigies de Grétry : peintures, dessins, lavis, médailles, bustes… Dans cet intéressant musée, se trouve aussi la copie du célèbre portrait peint par Élisabeth Vigée-Lebrun, dont l’original est au Musée de Versailles (…).

d’après Nathalie HOSAY

  • image en tête de l’article : statue de Grétry à Liège © lespetiteshistoires.be

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Nathalie HOSAY, organisée en mars 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

Connaissez-vous Françoise d’Eaubonne, la pionnière de l’écoféminisme ?

Temps de lecture : 4 minutes >

[THECONVERSATION.COM, 18 novembre 2024] Si l’on associe souvent le mouvement écoféministe au monde anglo-saxon – où il s’est largement développé depuis les années 1970 – c’est une figure française, Françoise d’Eaubonne, qui est à l’origine du terme et du concept. Cette penseuse est aussi, et surtout, comme la plupart des figures du mouvement d’ailleurs, une femme d’action.

Née en 1920 au sein d’une famille bourgeoise, désargentée et fortement politisée, elle est d’abord autrice de romans et d’essais qu’elle écrit dès l’âge de 13 ans ; elle en publiera plus d’une centaine.

Infatigable militante, elle s’engage au Parti communiste après la Seconde Guerre mondiale, pour le quitter dix ans plus tard, s’insurgeant contre la position du parti préconisant aux soldats de rester dans les rangs de l’armée mobilisée lors de la guerre d’Algérie. Elle signera en 1960 le Manifeste des 121, pour le droit à l’insoumission.

Fortement influencée par Simone de Beauvoir qui deviendra son amie, elle participe dans les années 1970 à la création du Mouvement de libération des femmes (MLF), signe le Manifeste des 343 appelant à la légalisation de l’avortement, co-fonde le Front homosexuel d’action révolutionnaire et participe à l’attentat contre la centrale de Fessenheim.

En 1974, elle publie Le Féminisme ou la mort dans lequel elle emploie pour la première fois le terme d’écoféminisme.

Elle crée dans la foulée le Front féministe, rebaptisé plus tard Écologie et féminisme. Elle peaufine sa pensée écoféministe dans Écologie et féminisme. Révolution ou mutation ?, démontrant la proximité et l’imbrication des causes environnementales et féministes au sens large.

L’écoféminisme, une pensée en action

Le parcours de vie et l’œuvre de Françoise d’Eaubonne témoignent du profond engagement intellectuel et politique que réclame l’écoféminisme : au-delà de l’élaboration conceptuelle, il est surtout question d’agir pour la cause des femmes, des minorités et de l’environnement. Dans ce contexte, le corps occupe une place centrale : elle en souligne l’importance dans un texte court, De l’écriture, du corps et de la révolution où l’on peut lire :

Les coups, les opérations à vif, l’avortement, l’accouchement, il a tout vécu en défiant l’ennemi et se redressait en chantant.

Il s’agit d’incarner la connexion de l’être humain avec la nature, reconnaître que nous ne sommes pas en dehors ni au-dessus du monde naturel ; comme le souligne la philosophe Terri Field dans un article de mars 2000 : “Il est de l’intérêt des philosophes de l’environnement de commencer à théoriser l’incarnation avec une perspective spécifiquement écoféministe.”

L’incarnation, le corps, constituent les éléments centraux de cette approche : ils sont les moyens par lesquels nous, humains, nous connectons, ressentons, comprenons et in fine prenons soin – ou non – de notre environnement.

Répondre aux urgences sociales et environnementales

En 1965, un rapport scientifique alertait déjà la Maison Blanche d’un potentiel dérèglement climatique et de graves problèmes environnementaux.

Dès 1972, Françoise d’Eaubonne annonçait les prémices de sa théorie écoféministe en concluant dans son ouvrage Le Féminisme : Histoire et actualité :

Le prolongement de notre espèce est menacé aujourd’hui grâce à l’aboutissement des cultures patriarcales, par une folie et un crime. La folie : l’accroissement de la cadence démographique. Le crime : la destruction de l’environnement.

EAN 9782369354079

La principale thèse de l’autrice peut se résumer ainsi : la double exploitation de la femme et de la nature par l’homme – entendu respectivement comme genre masculin et genre humain – a généré une ‘bombe démographique’ qui conduira à la destruction de notre environnement. Pour elle, ni le socialisme ni le capitalisme n’ont réussi à offrir de véritables résultats dans la protection de l’environnement, parce que ni l’un ni l’autre ne remettent en cause le sexisme universel qui sous-tend l’ordre des sociétés. Pour elle, la solution consisterait en une prise totale de pouvoir des femmes sur leur pouvoir de procréation pour limiter drastiquement la croissance démographique et par conséquent les besoins de production et d’exploitation des ressources naturelles. C’est cette attention centrale portée aux femmes en tant que “procréatrices” qui cristallisera les nombreuses critiques des mouvements féministes et environnementalistes, qui taxeront Françoise d’Eaubonne d’essentialiste.

Ces attaques témoignent d’une mécompréhension de la complexité de la tâche que s’est fixée Françoise d’Eaubonne : reconnaître une réalité naturelle (ce sont les femmes qui portent et mettent les enfants au monde), tout en les désessentialisant (elles ne sont pas naturellement faites pour devenir mères). Pour elle, l’assignation à la procréation et à la maternité relève bien d’une construction sociale ; le contrôle démographique par les femmes elles-mêmes les libérerait du “‘handicap’ de la grossesse“.

L’épineuse question démographique

Les positions de Françoise d’Eaubonne sont souvent présentées comme néo-malthusiennes et vivement critiquées à ce titre : les politiques de contrôle démographique apparaissent comme des répressives, réduisant les libertés, notamment celle d’avoir des enfants.

La thèse selon laquelle le contrôle démographique viendrait pallier l’épuisement des ressources est également depuis longtemps réfutée par nombre d’économistes, selon lesquels le progrès technologique apporterait la solution au problème.

De nombreux travaux scientifiques (comme ici en 2008 et là en 2021) montrent cependant que des politiques démographiques bien menées seraient plus efficaces que d’autres mesures, comme la réduction technologique des émissions de gaz à effet de serre par exemple.

Les autrices et auteurs ne s’aventurent toutefois pas à dévoiler le contenu de telles politiques démographiques : la question reste centrale mais personne n’ose l’aborder tant elle est épineuse et cela à double titre. Premièrement, d’un point de vue historique comme le souligne la géographe Joni Seager, “le contrôle de la population est un euphémisme pour le contrôle des femmes”.

Deuxièmement, d’un point de vue idéologique, cette approche remet en cause les institutions et l’ordre social établi. Si Malthus prônait le retardement de l’âge du mariage et l’imposition de limites au nombre d’enfants par famille, se situant ainsi dans une structure patriarcale, d’Eaubonne propose la prise en main totale des femmes sur la procréation, renversant l’ensemble du système.

Il s’agirait d’opérer une mutation de la totalité, une révolution féministe qui comprendrait la disparition du salariat, des hiérarchies compétitives et de la famille, promouvant un nouvel humanisme. Pour d’Eaubonne,

…ce grand renversement [ne serait pas] le “matriarcat”, certes, ou le “pouvoir aux femmes”, mais la destruction du pouvoir par les femmes. Et enfin l’issue du tunnel : la gestion égalitaire d’un monde à renaître (et non plus à “protéger” comme le croient encore les doux écologistes de la première vague). Le féminisme ou la mort.

Virginie Vial


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © lalsace.fr ; © Le passager clandestin | Pour mémoire : Françoise d’Eaubonne a vécu et aimé à Liège, en Roture, pendant plusieurs années.


Plus de presse en Wallonie ?

Rétablir des passerelles : ode aux traducteurs et traductrices

Temps de lecture : 5 minutes >

[LES-PLATS-PAYS.COM, 29 janvier 2024] Créateurs éminemment discrets, passeurs de culture qui jouent un rôle primordial dans la visibilité des écrivains, les traducteurs ouvrent des fenêtres dans le ciel des Lettres, décloisonnent, font découvrir au public francophone un nombre impressionnant d’auteurs flamands et néerlandais.

Au fil de plusieurs échanges avec Hans Vanacker, secrétaire de rédaction de la revue Septentrion, l’idée m’est venue d’écrire une ode aux traducteurs et aux traductrices sans qui, dans la tour de Babel des langues, chaque idiome demeurerait dans sa solitude, incompris des autres cultures. Nulle visée exhaustive dans cette convocation des traducteurs littéraires qui œuvrent à la découverte d’auteurs néerlandophones.

Ancien directeur de la Maison Descartes à Amsterdam et du Réseau franco‐néerlandais à Lille, directeur de la collection Lettres néerlandaises chez Actes Sud, immense traducteur, médiateur culturel qui assure le rayonnement et la circulation des Lettres, Philippe Noble a fait connaître en France, au public francophone, des auteurs néerlandais et flamands majeurs : Cees Nooteboom, Harry Mulisch, Etty Hillesum, Multatuli, Arnon Grunberg, David Van Reybroeck, Stefan Hertmans, Miriam Van Hee, Judith Herzberg… sans oublier le Journal d’Anne Frank.

Figure majeure du paysage de la traduction littéraire, dans un entretien avec Olivier Sécardin, Noble définit “le traducteur [comme] un chercheur d’un genre particulier”. Il a également mis ses compétences et son amour de la littérature au service de traductions du français vers le néerlandais, jetant son dévolu sur Marcel Proust.

On doit à Daniel Cunin, infatigable explorateur d’œuvres de romanciers, de poètes, de dramaturges, de bédéistes, d’essayistes flamands, la découverte en français d’un nombre impressionnant d’auteurs. Sa curiosité l’a porté vers les bandes dessinées aussi bien que vers le rivage poétique (Benno Barnard, Hester Knibbe – qu’il a traduite en collaboration avec Kim Andringa -, Radna Fabia, Gerry van der Linden). Art de la langue, de la perception intime de la musicalité, de l’appropriation-interprétation du texte, la traduction est avant tout une écoute, une transposition qui joue avec les puissances de la langue d’origine et de la langue d’arrivée.

Cette activité de transposition, Daniel Cunin l’a exercée en offrant une version française des poèmes mystiques écrits par Hadewijch d’Anvers, en brabançon (moyen néerlandais) au XIIIe siècle. Artiste d’un dialogue horizontal entre différentes langues, le traducteur est aussi le magicien d’un échange vertical qui ramène sur la scène du présent des textes plus anciens.

Écrivain, essayiste, traducteur d’auteurs polonais (Witkiewicz notamment), russes, tchèques, néerlandais, anglais, Alain van Crugten est le grand passeur de l’œuvre immense de Hugo Claus.

Depuis sa traduction en 1985 du chef-d’œuvre de Claus, Le Chagrin des Belges, Van Crugten a fait passer dans son alambic de traducteur bien des romans et des pièces de Claus, Honte, Le Passé décomposé, Le Dernier lit et autres récits, Mort de chien… L’autre géant des lettres flamandes qu’Alain van Crugten a fait découvrir aux francophones n’est autre que Tom Lanoye. De Méphisto for ever, La Langue de ma mère, Sang et Roses, Mamma Medea à Tombé du ciel, Esclaves heureux, Décombres flamboyants, le continent Tom Lanoye nous est rendu accessible en français.

La question “dis-moi qui tu traduis et je te dirai qui tu es” vaut pour tout traducteur. Faisons l’hypothèse que dans le cas de Marie Hooghe, les autrices et auteurs qu’elle a élus forment comme un autoportrait en creux. La quantité, le nombre des traductions impressionne autant que la diversité des registres (pièces de théâtre, biographies, littérature de jeunesse…). D’une insatiable curiosité, Marie Hooghe a notamment traduit des œuvres de Hugo Claus, de Louis Paul Boon, de Jef Geeraerts ou encore d’Ivo Michiels, d’Erwin Mortier, de Kristien Hemmerechts et de Paul Van Loon.

Mentionnons aussi l’importance de Maddy Buysse (1908-1994, traductrice de livres de Hugo Claus, Johan Daisne, Ivo Michiels et Harry Mulisch), Henry Fagne (1907-1978, traducteur de Guido Gezelle et Paul van Ostaijen), Anne-Marie de Both-Diez (1922-2009, traductrice notamment de Hella S. Haasse), Liliane Wouters (1930-2016, connue dans le monde francophone comme l’autrice de la pièce de théâtre La Salle des profs, mais aussi traductrice de textes et poésie en moyen néerlandais et de Guido Gezelle).

Il y a aussi Marnix Vincent (1936-2016, traducteur de Willem Elsschot, Hugo Claus, Gerard Reve, Leonard Lolens, Stefan Hertmans et Jozef Deleu, fondateur et ancien rédacteur en chef de Septentrion), Annie Kroon (Hella S. Haase, Anna Enquist,…), Xavier Hanotte, Isabelle Rosselin (plusieurs auteurs néerlandophones de renom). Et des traducteurs – poètes – écrivains comme Jan H. Mysjkin (traducteur, souvent en collaboration avec Pierre Gallissaires, de Paul van Ostaijen, Hans Faverey, Gerrit Kouwenaar et autres), Henri Deluy (1931-2021), Bart Vonck, Katelijne De Vuyst et d’autres.

Enfin, fondateur de la collection Bibliothèque flamande aux éditions du Castor astral, Francis Dannemark (1955-2021) a fait connaître auprès du public francophone des auteurs incontournables tels que Willem Elsschot ou Jef Geeraerts. Ce rôle de passeur est également assumé par les éditions Tétras Lyre, avec leur collection De Flandre.

Les passeurs de la jeune générarion

La traduction repose aussi sur la transmission d’un enseignement, sur la relève par les nouvelles générations formées par leurs prédécesseurs. La philosophie, la pensée de la traduction évolue, se métamorphose, varie d’un pays, d’un continent à l’autre. Les critères scientifiques, esthétiques des traductions, les approches du texte source sont soumises à des devenirs. Certaines traductions “vieillissent”, sont prisonnières d’un contexte historique déterminé, d’habitudes et de choix de traduction qui n’ont parfois plus cours des décennies plus tard. Histoire de regard, d’attention portée à tel ou tel aspect de l’écriture, éternelle question de la fidélité / trahison, du respect / recréation, du rapport entre la lettre et l’esprit tel que l’évoque saint Paul dans Épitres aux Corinthiens (“La lettre tue, mais l’esprit vivifie”).

Parmi les nombreux passeurs de la jeune génération, citons Kim Andringa (traductions poétiques surtout, d’œuvres de Hans Faverey, Charlotte Van den Broeck, Lucebert…) Françoise Antoine (traductrice de Jeroen Olyslaegers, Gerbrand Bakker, Annelies Verbeke…), Noëlle Michel (autrice et traductrice de romans d’Ewoud Kieft, de Hanna Bervoets, d’essais, de livres jeunesse…), Emmanuelle Tardif (traductrice entre autres de Lize Spit et Anna Enquist…), Guillaume Deneufbourg (traducteur notamment de Simone van der Vlugt) et Bertrand Abraham (traducteur de Jeroen Brouwers, Gerbrand Bakker, Tommy Wieringa, Douwe Draaisma, Martin Bossenbroek…).

À l’heure d’un appauvrissement de la diversité linguistique, où des idiomes meurent chaque jour, à l’heure où l’anglais, comme langue hégémonique, règne en maître au niveau mondial des échanges tant économiques que culturels, un fossé sépare linguistiquement le milieu littéraire de Flandre et des Pays-Bas (entièrement tourné vers l’anglais) et le milieu littéraire francophone. Plus que jamais, les traducteurs et traductrices rétablissent des passerelles qui sont comme des liens vivants entre des langues désormais chapeautées et menacées par la langue et la culture anglo-saxonne dominante.

Les traducteurs et traductrices s’avancent comme ce peuple de diplomates que Philippe Noble évoque dans l’entretien précité: “De mon point de vue, la traduction est une transaction, une sorte de négociation diplomatique, c’est‐à‐dire un compromis, entre la notion du texte source qu’a le traducteur (sa “lecture” du texte, qui n’est pas une lecture infaillible, mais qui a au moins l’ambition d’être “fidèle”) et ce qu’il croit pouvoir être transmis à la culture d’accueil”.

Véronique Bergen, écrivaine


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : les-plats-pays.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © jovensdiscipulos.com.


Savoir-traduire en Wallonie et à Bruxelles…

GILSON : La musique en principauté de Liège au 18e siècle (CHiCC, 2002)

Temps de lecture : 4 minutes >

La période envisagée s’étend entre Henri Dumont, grande figure liégeoise du 17e siècle qui est allé faire carrière auprès du roi de France Louis XIV, et César Franck, un des tout premiers étudiants issu de notre Conservatoire de Liège, qui est allé, lui aussi, faire carrière à Paris. Au 18e siècle, la mode conduisait plutôt les musiciens liégeois vers l’Italie et le goût italien.

A la fin du 17e siècle, un voyageur français, Duplessis, visitant Liège, avait admiré la somptuosité du service à la cathédrale Saint-Lambert. Il a écrit ceci : “Le service s’y fait avec une plus grande cérémonie qu’en aucun lieu que j’aie vu excepté à Rome et à Notre-Dame de Paris. Il y a une musique excellente et très bien entretenue, remplie toujours d’une très grande quantité de voix, et donne envie à tous ceux qui entrent dans cette église d’y arrêter avec attention pour l’entendre”. Par l’évocation de ces deux villes, Rome et Paris, Duplessis avait sans le vouloir désigné la double influence qui se manifestait dans la musique à Liège au 17e siècle. Un événement important allait modifier l’équilibre au profit de l’Italie. En 1699, le chanoine Lambert Darchis fonda à Rome l’Hospice liégeois. Cette fondation devait permettre à de jeunes liégeois, sculpteurs, peintres, musiciens, architectes, étudiants en droit et en médecine, d’aller se perfectionner en Italie sans dépendre du Collège germanique comme c’était le cas auparavant. Dès lors, le mouvement qui orientait déjà si volontiers les musiciens liégeois vers la péninsule s’accentuera. Théâtre, concerts, musique d’église feront de Liège au 18e siècle une province de l’Italie.

En 1728, un jeune homme âgé de 19 ans, élève des jésuites et chantre à la cathédrale Saint-Lambert, se rendait à Rome afin d’y parfaire sa formation. C’est Jean-Noël Hamal. Il était né le 23 décembre 1709 et allait décéder le 26 novembre 1778. Il était fils de Henri-Guillaume Hamal, second maître de chant à la cathédrale, et avait reçu de son père une tradition musicale qui remontait aux origines du style. De ce premier séjour italien qui se termina en 1731, il rapporta le goûût d’une musique nouvelle et plus animée. Celle-ci allait exiger des musiciens plus avertis et des orchestres plus fournis.

Ont existé aussi des clavecinistes à Liège. Un facteur de Theux émigré à Paris apporta des améliorations dans la conception de ces instruments pour les rendre plus expressifs et plus chantants. Il atteignit ce but par l’utilisation de becs en cuir de buffle à la place des becs en plumes de corbeau, ainsi que le placement de genouillères pour actionner les registres. On doit plusieurs pièces de clavecin à Jean-Noël Hamal. À cette époque fleurirent de très nombreux périodiques musicaux, signe d’une grande culture musicale.

De son deuxième séjour en Italie, Hamal rapporte plus de maîtrise mais aussi l’idée de composer de petits opéras-bouffes en langue dialectale. Le théâtre liégeois, c’est, en fait, un ensemble de quatre opéras en langue wallonne mis en musique en 1757-1758 par Jean-Noël Hamal. Il est la source de tout le théâtre en wallon liégeois, tant parlé que chanté. Les librettistes sont notamment le chevalier Simon de Harlez et Jacques-Joseph Fabry, qui deviendra bourgmestre de Liège. Ces messieurs sont des assidus du théâtre de la Baraque, premier théâtre de Liège. Ce dernier s’érigeait sur le quai de la Batte, pas loin de la passerelle Saucy, dans l’espace actuellement dégagé devant la grand-poste. Des troupes italiennes s’y produisent, ce qui inspirera notamment un opéra burlesque en wallon, en 1757, Le voyage de Chaudfontaine.

André-Modeste Grétry est né à Liège le 8 février 1741 et il mourra à Paris le 24 septembre 1813. Il traversera tous les régimes et tirera chaque fois son épingle du jeu. Musicien de la reine Marie-Antoinette, révolutionnaire, il s’est retiré dans l’ermitage de Rousseau. Il est souvent revenu à Liège. Il y chercha un maître qu’il ne trouva pas car il y manquait un conservatoire et des maîtres savants. Alors, il se rendit à Rome.

L’essor du nouvel opéra comique français développé par Grétry (il en a écrit 40) confirme la disparition du théâtre italien à Liège et étouffe le jeune théâtre liégeois en wallon. Hamal retourne à la grande musique des messes et des oratorios.

En 1789, le pays de Liège fit sa révolution, à l’image de la France. La cathédrale fut démolie en 1793 et Henri Hamal, neveu de Jean-Noël, put heureusement sauver une grande partie des partitions qui avaient fait la réputation de la ville aux 17e et 18e siècles. Elles se trouvent maintenant à la bibliothèque du Conservatoire de Liège.

Sous le régime hollandais, la vie musicale renaît et une école de musique, créée en 1826, deviendra conservatoire royal en 1831. Dans la Belgique nouvelle, la ville de Liège ne tardera pas à jouer un rôle musical important.

d’après Philippe GILSON

  • image en tête de l’article : Musée d’Ansembourg © proantic.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Philippe GILSON, organisée en avril 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

TOTTI : Taking out some extra skin (2017, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

TOTTI Cléo, Taking out some extra skin

(impression numérique, 40 x 30 cm, 2013-2018)

Née en 1989, Cléo TOTTI a obtenu son Master en arts visuels à l’ERG (École de Recherche Graphique), Bruxelles, en 2015.

Touchant à toutes les disciplines artistiques, l’artiste travaille principalement la sculpture et la performance. Son motif principal est le corps humain, qui est fragmenté, déformé et transformé en objets picturaux. Alternant entre fluide et solide, son travail signale une fluidité et une hybridité des corps synthétiques et naturels. 

Cette impression numérique d’une photographie retravaillée est tirée du livre ELLE.

Amorcé en 2012, régulièrement augmenté, notamment à Berlin en 2013 avec la version allemande de ELLE, ce livre d’artiste semble alimenter le travail de sculpture, d’installation et de peinture que Cléo Totti mène de front. C’est sur les corps des modèles et leurs panoplies d’attributs que s’exercent depuis quelques années la rage et l’excitation de Totti. Ce livre est un questionnement sur l’image des femmes, sur le corps des femmes exposés dans les magazines féminins. Cléo Totti transforme ces images et le corps devient support à la peinture.

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Cléo Totti ; sudinfo.be | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

Cancer, inflammations, concentration : ces recherches qui prouvent les bienfaits de la nature sur notre corps

Temps de lecture : 6 minutes >

[RTBF.BE, 8 octobre 2024] Revenir relaxé d’une promenade en forêt à l’automne. S’endormir avec le son de la pluie sur du feuillage. S’apaiser au contact visuel de la couleur verte. Inhaler des essences aromatiques pour se soigner. Ces vertus de la nature ne sont pas qu’empiriques. La science le prouve : les interactions sont physiologiques et mentales. Il serait bon d’offrir une routine ‘nature’ à nos cinq sens chaque jour. Tendances Première fait le point des avancées de la recherche avec Kathy Willis, professeure de biodiversité à l’Université d’Oxford.

Depuis quelques années, Kathy Willis, à travers ses recherches, prouve le lien entre notre fréquentation des espaces verts et la qualité de notre santé, notre humeur et notre longévité. Notre corps et notre mental réagissent positivement au contact avec la nature. Ce sont à la fois des cliniciens, des psychiatres, des médecins en laboratoire qui démontrent les modifications importantes qui interviennent dans notre organisme lorsque nous avons une interaction avec la nature.

Naturel. Pourquoi voir, sentir, toucher et écouter les plantes nous fait du bien est publié aux éditions du Seuil, son auteure expose ces récentes découvertes scientifiques : “Ces dix dernières années, il y a eu un bouleversement complet dans la manière d’aborder les études de la nature. Aujourd’hui, on l’étudie dans un but de prescription, de la même manière qu’on va prescrire un médicament chimique. Cela ne concerne pas seulement la santé mentale, il y a aussi un bien-être physique qui est en jeu, par exemple par la baisse de la pression artérielle, du niveau de cortisol, de certains dosages hormonaux.

Le développement du cancer ralenti par la promenade en forêt

© Patrick Thonart

Prenons le cas de l’odorat. Des éléments pénètrent littéralement dans notre organisme lorsque l’on respire une plante. Certains composés vont entrer dans nos poumons, et de là seront transmis à notre réseau sanguin pour atteindre tout le corps. Une fois certains composés présents dans la circulation sanguine, ils vont entrer en interaction avec notre réseau hormonal et fonctionner de la même manière que certains médicaments chimiques. Une étude a été réalisée par l’école médicale Nippone au Japon sur les effets de l’exposition à une certaine essence d’arbre.

Pour cette étude, des hommes ont dormi pendant trois nuits consécutives dans des chambres d’hôtels séparées. L’odeur de Cyprès a été diffusée dans les chambres. Les mesures de leur pression artérielle et sanguine ont montré qu’au bout de la troisième nuit, leur taux d’adrénaline était abaissé considérablement, et qu’ils avaient en même temps un niveau très élevé de cellules tueuses, les cellules ‘NK’. Ce sont les cellules naturelles qui attaquent les cellules du cancer. Donc évidemment, on a tous envie d’avoir ce genre de cellule tueuse le plus possible dans notre organisme” observe la chercheuse de l’université d’Oxford.

La question suivante était de savoir si l’effet est constaté lorsqu’on se promène en forêt. Une autre étude qui a été publiée dans la revue Oncologie, relate cette observation. Kate Willis en résume les résultats : “La présence de cellules tueuses NK dans l’organisme a été mesurée chez des personnes qui avaient marché pendant sept jours d’affilée dans une forêt de Cyprès. Le résultat est qu’en marchant deux heures par jour dans une forêt de Cyprès, le taux de cellules tueuses avait considérable augmenté. Sept jours plus tard, le taux restait encore très élevé. Cela veut dire que le système immunitaire est stimulé incroyablement pour faire face à des cellules cancéreuses, grâce à de simples promenades en forêt.

Quand rêvasser en classe devient un booster de performance

© pinterest.com

Facteur de concentration, regarder par la fenêtre et contempler du vert pendant 90 secondes permet de reprendre la tâche antérieure avec une meilleure performance. Une étude espagnole a été menée auprès de 2500 enfants d’environ huit ans en milieu scolaire. Une partie des classes avait vue sur de la verdure, tandis que les autres n’avaient à voir qu’un sinistre mur. “Sur l’ensemble de l’année scolaire, avec un accompagnement parental semblable pour tous les enfants, on a constaté que les enfants qui avaient regardé de la verdure avaient des performances beaucoup plus fortes que celles des enfants qui regardaient un mur de briques” résume Kathy Willis.

Comment interpréter ce résultat étonnant ? Regarder au loin, à l’horizon, demande une attention moins concentrée, ce qui provoque une espèce de pause technique au cerveau. Lorsqu’on reprend ensuite l’autre type de concentration, l’esprit est plus frais, prêt pour de meilleure performance : “Lorsqu’on regarde l’horizon, on ne regarde pas simplement la couleur, la forme. L’œil va saisir également la dimension fractale de l’horizon. C’est-à-dire un schéma qui se reproduit dans un autre schéma. Prenez une branche d’arbre, par exemple. Si vous la regardez, vous allez voir que cette branche, vous retrouvez également la même forme dans la feuille. Donc vous retrouvez la même structure, de plus en plus microscopique, qui se répète à l’intérieur de la chose que vous regardez. Et lorsque vous appliquez ce principe à l’horizon, on voit que le paysage qui est le plus détendant, qui est le plus bénéfique, c’est un paysage avec une diversité de formes et de couleurs. Avoir des paysages, y compris sur votre écran d’accueil ou sur vos murs, il est prouvé scientifiquement que c’est très bénéfique.

Au contact de la nature, le microbiome s’améliore

Des bambins à la maternelle ont fait l’objet d’une attention particulière. Surtout leur microbiome, qui fait l’objet de nombreuses études tant elle influe sur notre santé mentale et physique. Dans une étude finnoise réalisée en 2020, les enfants étaient séparés en trois cours de récréation. L’une avec un sol en béton, l’autre avec des matelas et une troisième avec de la terre. Au bout de 28 jours, la peau et les intestins des enfants jouant dans la terre avaient une diversité de bonnes bactéries nettement améliorée.

Les bonnes bactéries présentes dans la nature étaient passées dans leur système intestinal. Les enfants avaient absorbé ce microbiome environnemental. Lorsqu’on améliore son propre microbiote intestinal, cela déclenche toute une série de choses dans notre métabolisme qui sont très bonnes pour nous. On ne peut pas tout comprendre encore les mécanismes et le phénomène, mais on voit les résultats. Dans le cas de ces enfants-là, on a observé une forte progression des cellules ‘T’ qui permettent de réduire l’inflammation. Des résultats tout à fait semblables ont été observés sur des adultes qui étaient confrontés à un mur végétalisé dans leur bureau. C’est vraiment une découverte extraordinaire, avoir une interaction plus importante avec la nature permet d’absorber le microbiome environnemental qui passe à travers notre peau, mais aussi à travers nos intestins, peut-être probablement par l’inhalation.

Une amélioration générale de la qualité de vie

Au Pays de Galles, une étude de grande ampleur a été menée en 2023. Deux millions de personnes ont été suivies sur une période de dix ans. L’examen de tous leurs dossiers médicaux a montré sans aucun doute que plus les patients vivent à proximité de la nature, mieux ils se portent, et ce, quelle que soit leur origine socio-économique. Ces découvertes récentes sont essentielles pour déterminer la place que la nature occupe dans nos vies et nos sociétés.

À mesure que nous sommes de plus en plus urbanisés, une chose est évidente, c’est qu’il y a des tas de maladies non transmissibles qui se développent. La corrélation est vraiment très nette. Des cliniciens très en vue disent que couper les gens de la nature n’est pas une bonne chose. L’urbanisme doit maintenir la présence de la nature en milieu urbain en raison de tous les bénéfices que cela entraîne pour notre santé. Et donc, on peut faire entrer la nature chez soi, en ayant des plantes, des diffuseurs par exemple. Introduire un peu de nature dans la maison est quelque chose de très bénéfique et, en plus, c’est gratuit.

Bénédicte Beauloye, rtbf.be


EAN 9782021533170

[LIBREL.BE] “Il y a quinze ans, Kathy Willis, professeure à l’université d’Oxford, a lu une étude qui a radicalement changé sa vision de notre rapport à la nature. Cette étude démontrait qu’à l’hôpital, les patients qui venaient de subir une opération se remettaient trois fois plus rapidement quand les fenêtres de leur chambre donnaient sur des arbres et non des murs. Depuis, toutes les recherches de Kathy Willis tendent à prouver ce lien entre notre fréquentation des espaces verts et la qualité de notre santé, notre humeur et notre longévité. Naturel expose ces récentes découvertes scientifiques et nous fait découvrir les changements très simples que nous pouvons tous apporter dans notre quotidien. Le livre fourmille d’idées, aussi étonnantes que pratiques, sur la façon dont la nature peut améliorer la vie. Quelques exemples : saviez-vous que le cèdre accroît le nombre de cellules anti-cancéreuses dans notre système immunitaire ? Ou que toucher du bois nous rend tout de suite plus calme (plus ce bois est noueux, plus c’est efficace) ? Ou encore que le parfum des roses aide à conduire un véhicule de façon plus sereine et plus sûre ? Une seule plante posée sur son bureau peut déjà faire la différence. Katherine Willis est professeure de biodiversité à l’université d’Oxford. Elle a également dirigé le département scientifique des jardins botaniques Kew de Londres.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : rtbf.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © Patrick Thonart ; © pinterest.com ; © Seuil.


Lire la presse en Wallonie…

CHARROY : Le baiser vert (2017, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

CHARROY Joseph, Le baiser vert

(photographie polaroid, 70 x 50 cm, 2017)

Né en 1982, Joseph CHARROY vit à Bruxelles. Il travaille avec Florence Cats, sa compagne, en s’influençant l’un l’autre. Les photographies de Joseph et son travail de matière influencent la manière de dessiner de Florence alors que, de son côté, c’est en voyant les peintures de sa compagne qu’il a commencé à photographier en couleurs, alors qu’il privilégiait le noir et blanc.

En 2016, Joseph Charroy crée Primitive, une maison d’édition indépendante consacrée à l’édition de fanzines et de livres d’artistes, située à Bruxelles.

Cette photographie fait partie de l’exposition collective “JEUNE” proposée par Pauline Hisbacq & Rebekka Deubner dans le cadre de Photo Saint-Germain à Paris (novembre 2017). L’exposition proposait huit regards singuliers sur la jeunesse. Joseph Charroy a photographié des jeunes à une fête foraine qui s’installe tous les ans, à la fin de l’été, à Huy.

L’artiste aime utiliser des photos de différentes natures et différentes focales, parfois solarisées ou floues. Il utilise différentes vitesses et parfois des films périmés. Il a utilisé ici un polaroïd.

“On peut y voir quelque chose d’anachronique, mais il n’y a pas de volonté de faire “vieux”. Pour moi être anachronique, c’est avoir un autre rapport au présent.” (J. Charroy in BRUZZ.BE)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Joseph Charroy ; lamaindonne.fr | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

MEZEN : Sainte-Walburge, d’une légende à un cimetière (CHiCC, 2008)

Temps de lecture : 3 minutes >

Une légende nous raconte qu’en 712, la fille du Roi d’Ecosse retrouva la vue sur les hauteurs de Liège, à Sainte-Walburge, en découvrant la beauté de la ville, et qu’elle y fit ériger un oratoire.

Mais la première trace historique de ce sanctuaire remonte à 1338, dans un courrier du prince-évêque Adolphe de la Marck. A la même époque, dans ce qui s’appelait “le faubourg Sainte-Walburge”, un Liégeois, un certain Guillaume Gillard del Cange, y fit ériger une construction pour lépreux. Ce type d’établissement, que l’on nommait à l’époque une maladrerie, tenait plus de l’hospice que de l’hôpital et, de par sa nature, exigeait la proximité d’un cimetière. Très vite, ce cimetière devint pour la population “le cimetière des Lépreux”.

Après l’abandon de l’hôpital, pillé par des escrocs, c’est un nommé Pierre Stevart qui racheta le terrain et ce qui restait de l’ancien édifice pour y faire construire une église. Lors des troubles, en effet nombreux à l’époque, les portes de la ville restaient fermées et les habitants n’avaient plus d’accès à une église. Quant au “cimetière des Lépreux”, il fut reconverti en cimetière paroissial, autour de l’église, selon la tradition de l’époque.

Le décret de Napoléon de 1804 modifiera le paysage des cimetières liégeois. Ce décret interdit l’inhumation dans les églises et à l’intérieur des villes. Tous les petits et nombreux cimetières paroissiaux vont disparaître, celui de Robermont est créé. Cependant, le cimetière de Sainte-Walburge subsistera jusqu’en 1866, notamment parce qu’il se trouve en dehors des remparts.

Un seul cimetière sur la rive droite était insuffisant et la décision d’implanter un nouveau cimetière rue Fosse Crahay fut prise par la Ville de Liège en 1868. Le projet de créer un nouveau cimetière sur la rive gauche de la Meuse réunit une belle unanimité. Par contre, le choix du lieu exact d’implantation donna lieu, déjà, à des palabres qui s’éternisèrent cinq mois durant, de mai à octobre 1868. Le conflit portait sur la salubrité des eaux de captage de la Ville, qui aurait pu être mise en cause selon l’endroit où la nouvelle nécropole serait située. En effet, les galeries des fontaines Roland ne sont distantes du site que de 600 mètres.

Finalement, un accord émergea et le Conseil communal vota l’implantation du cimetière de Sainte-Walburge à l’endroit où nous le connaissons actuellement. Il sera inauguré le 20 mars 1874 et une voie d’accès créée pour le relier au faubourg Sainte-Walburge, le boulevard Fosse Crahay.

Bien qu’il ne représente que la moitié des 44 ha de Robermont en superficie, le cimetière de Sainte-Walburge n’a rien à lui envier sur le plan historique, botanique ou environnemental. Même si une telle notion peut surprendre, chaque nécropole possède sa propre philosophie dans l’art funéraire et cette différence apparaît intéressante à analyser dans le cas des deux plus grands cimetières liégeois.

On ne trouve à Sainte-Walburge que peu de sépultures imposantes, beaucoup moins qu’à Robermont, beaucoup moins aussi de personnages qui se rappellent à nous par le nom d’artères importantes de la ville que nous empruntons quotidiennement ; on n’y découvre pas non plus la même recherche architecturale qui fait une partie de l’éclat de Robermont. Par contre, et ceci est symptomatique, d’innombrables médaillons rappellent aux visiteurs la physionomie des défunts, ce qui reste une indication que Sainte-Walburge possède une philosophie plus familiale que Robermont, plus proche de la population qui le fréquente. On y découvre ainsi énormément de personnages néanmoins connus et qui se sont révélés très attachants, parfois surprenants.

Si vous vous promenez dans le cimetière de Sainte-Walburge, vous découvrirez ainsi les sépultures de Emile Sullon, Jean Haust et Théophile Bovy, auteurs wallons, Henri Noinem, Désiré Horrent et Louis Radermecker, résistants, Maurice Destenay, Joseph Bologne et Georges Truffaut, hommes politiques, Jacques Ochs, dessinateur et caricaturiste, Henri Koch, violoniste, Henri Lacroix, guérisseur, Auguste Mindels et Ferdinand Delarge, sportifs, Edgar Scauflaire et Fernand Vetcour, peintres, et Maurice Waha, héros de Sainte-Marguerite, et bien d’autres.

Il est évidemment impossible de citer tous les personnages repris dans le livre, Le cimetière de Sainte-Walburge, 130 ans d’histoire, que j’ai consacré à cette nécropole. Il convient aussi de ne pas négliger l’aspect botanique du cimetière. C’est pourquoi un bel après-midi d’automne vous permettra de passer d’agréables moments dans un environnement bucolique tout en redécouvrant des pans de l’histoire liégeoise.

Chantal MEZEN

[image en tête de l’article : cimetière de Sainte-Walburge © Philippe Vienne]

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Chantal MEZEN, organisée en février 2008 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

DEBRAS & GIOE : “C’est d’extrême droite” – S’outiller pour qualifier des discours et des propositions politiques

Temps de lecture : 12 minutes >

[REVUEPOLITIQUE.BE, 17 juillet 2024] Qualifier d’extrême droite un discours, une proposition, un programme, une personnalité ou un parti est délicat. D’une part, les critères politologiques varient et évoluent sans nécessairement constituer une équation mathématique aboutissant à un résultat indiscutable et binaire. D’autre part, les évolutions de l’extrême droite lui permettent de passer entre les mailles du filet de l’analyse. Les auteur·ices proposent trois outils complémentaires pour argumenter la qualification “extrême droite.”

Traditionnellement, la science politique définit l’extrême droite comme un ensemble de discours, de personnalités, de mouvements ou de partis, structurés autour d’un corpus idéologique spécifique : inégalitarisme, nationalisme et sécuritarisme. Des auteur·ices ajoutent à cette liste le rejet des institutions démocratiques (parlementarisme et État de droit) ou des valeurs de la démocratie.

Premièrement, selon l’idéologie inégalitaire, les individus sont naturellement inégaux les uns par rapport aux autres. Il existerait différentes “races” qui déterminent l’identité d’un individu, ses capacités physiques et mentales. Certaines “races” seraient supérieures, d’autres inférieures, et il conviendrait d’appliquer cette “règle naturelle” à l’ordre politique et social.

Deuxièmement, dans une perspective nationaliste, la nation est imaginée comme homogène et pure, formant le “nous“, les “nationaux“, à séparer du “eux“, les “étrangers“. La diversité et le multiculturalisme sont perçus comme des facteurs dégradants de l’identité nationale. La nation doit également être souveraine et indépendante, de sorte que les entités supranationales, les institutions, les traités et les accords internationaux sont critiqués ou rejetés.

Troisièmement, l’extrême droite prône des dispositifs sécuritaires, de contrôle et de coercition, pour protéger cette nation des menaces intérieures et extérieures. L’immigration est présentée comme porteuse d’insécurité en assimilant les étranger·e·s à des “criminels” ou à des “profiteurs“. Sont alors notamment vantés le renforcement de l’armée, et de la police, l’application stricte des peines prononcées, le recours systématique aux peines d’emprisonnement, le retour à l’application de la peine de mort, etc.

Quatrièmement, les rapports entre extrême droite et démocratie sont théorisés de plusieurs manières : selon certain·e·s, l’extrême droite rejette le régime démocratique, c’est-à-dire ses institutions, tandis que pour d’autres, ce sont les valeurs de la démocratie qui sont attaquées.

Du point de vue quantitatif, le curseur est impossible à placer.

Cette définition manque cependant de systématicité et son opérationnalisation est délicate. En effet, d’une part, il n’est pas certain que la rencontre des trois ou quatre critères soit systématiquement nécessaire. La rencontre de deux d’entre eux peut s’avérer suffisante (exemple : la tenue d’un discours raciste et nationaliste). D’autre part, du point de vue quantitatif, le curseur est impossible à placer (un programme politique dont 25% des propositions sont racistes, nationalistes et sécuritaires, diluées dans 75% d’autres qui sont au-delà de tout soupçon, pourrait-il être qualifié d’extrême droite ?). Le curseur qualitatif est également empreint de subjectivité (si une seule mesure d’un programme politique applique une violence discriminatoire pour les personnes étrangères présentées comme des “ennemis de la Nation“, cette mesure est-elle suffisante pour qualifier le programme d’extrême droite ?).

Quant au lien entre l’extrême droite et son rejet de la démocratie, le critère est également discutable. Il suppose que l’extrême droite renonce au jeu électoral et parlementaire – ce qui n’est de toute évidence pas le cas pour plusieurs partis – ou que les “valeurs centrales” de la démocratie soient unanimement et précisément identifiées. Par ailleurs, dans ses discours, l’extrême droite se présente aujourd’hui comme étant la défenseuse de la démocratie et la victime d’un système politique et médiatique qui ne respecte pas ses droits fondamentaux, dont la liberté d’expression.

Évolution des discours de l’extrême droite et émergence d’un tabou ?

Au cours des dernières décennies, les évolutions des discours de l’extrême droite ont rendu moins manifeste son identification au regard de ces trois ou quatre critères. En effet, à la suite de l’adoption des législations criminalisant l’incitation à la haine raciale ou à la discrimination et les Négationnistes, les discours de l’extrême droite se sont policés. Cette stratégie de “dédiabolisation“, visant à contourner les lois précitées et à élargir la base électorale de ces partis, leur a permis d’accéder, dans plusieurs États, aux institutions législatives et exécutives.

Les discours ouvertement racistes ont cédé leur place à la subtilité. Premièrement, le terme “race” disparaît au profit des termes “culture” et “religion“. Il n’est également plus question de “supériorité” et d’”infériorité” de différents groupes, mais plutôt de “différences“, d’individus “assimilables” ou “inassimilables“. Les mots “notre identité” sont aussi progressivement remplacés par “nos valeurs” ou “notre mode de vie“. Deuxièmement, les énoncés hétérophobes sont abandonnés au profit d’énoncés hétérophiles (exemple : l’aide au développement comme outil de lutte contre l’immigration) et plutôt que d’attaquer “eux“, c’est la protection du “nous” qui est mise en avant (exemple : préférence nationale, protection des coutumes et des traditions nationales). Troisièmement, les propos ne sont plus explicites mais implicites (recourant aux métaphores, métonymies et autres figures de style), de sorte qu’ils sont juridiquement (quasi-) inattaquables.

En l’absence d’inégalitarisme et de racisme explicites et revendiqués, les observateur·rices de la vie politique sont davantage prudent·es avant de qualifier tels discours, propositions, programmes, personnalités ou partis d’extrême droite.

À cet égard, UNIA et des chercheurs et chercheuses de l’Université de Louvain évoquent des “discours gris“. Il s’agirait de : “discours inquiétants sans pour autant être juridiquement condamnables [préparant] en quelque sorte le terrain aux discours qui incitent à la haine, la violence et la discrimination à l’égard de certains groupes“. Les auteur·ices ajoutent que ces discours construisent “explicitement ou implicitement, la représentation d’un groupe social donné comme ayant, en tant que tel, une valeur moindre, comme ne jouissant pas d’une égale dignité et ne méritant dès lors pas une considération égale“.

En l’absence d’inégalitarisme et de racisme explicites et revendiqués, les observateur·ices de la vie politique sont davantage prudent·es avant de qualifier tels discours, propositions, programmes, personnalités ou partis d’extrême droite. Une multitude d’appellations connexes sont alors employées : “droite radicale“, “droite populiste“, “nouvelle droite“, “droite extrême“, etc. Ces concepts sont cependant tout aussi flous et privés de définition opérationnelle. De surcroît, ne participent-ils pas, indirectement, à la “dédiabolisation” de l’extrême droite, étant donné que celle-ci n’est plus qualifiée comme telle ?

© amnesty international

Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il est nécessaire de compléter la définition politologique par d’autres outils.

Outil n°1 : qualifier d’extrémiste une proposition politique au regard des droits humains

Si l’extrême est la position la plus éloignée d’un centre, il est indispensable de localiser ce centre. Dans le cadre d’un État de droit démocratique, ce centre est la réalisation des droits humains, fixée dès 1948 comme “la plus haute aspiration de l’Homme.” Indépendamment des critiques qui peuvent être formulées à l’égard du concept des droits humains – non exempts d’imperfections dans leur conception et dans leur mise en œuvre – il n’en demeure pas moins qu’ils sont “l’aune à laquelle se mesure la respectabilité des régimes et des doctrines politiques“.

L’idéologie d’extrême droite est en opposition avec le corpus des droits humains. En effet, l’inégalitarisme et le racisme sont contraires aux principes centraux et transversaux d’égalité et de non-discrimination. Le protectionnisme identitaire et autarcique rejette le développement de relations amicales entre les peuples, un fondement essentiel de la Charte des Nations Unies. Et, enfin, la primauté de l’approche sécuritaire est une inversion du paradigme plaçant, d’une part, les libertés comme principe et, d’autre part, les restrictions à ces libertés comme des exceptions, limitées au strict nécessaire pour atteindre un objectif légitime d’intérêt général. Dans sa résolution du 23 septembre 2012, l’Assemblée générale des Nations Unies précise en outre que “les droits de l’homme, l’État de droit et la démocratie sont interdépendants, se renforcent mutuellement et sont au nombre des valeurs et principes fondamentaux universels et indissociables de l’Organisation des Nations Unies“.

En Belgique, la lutte contre l’extrémisme a plusieurs fois été organisée en référence au triptyque des droits humains, de l’État de droit et de la démocratie.

Ainsi, dans le cadre de la réforme de la Sûreté de l’État à la fin des années 1990, le législateur a précisé les contours de sa mission de renseignement, ciblant notamment “toute activité qui menace ou pourrait menacer la sûreté intérieure de l’Etat et la pérennité de l’ordre démocratique constitutionnel“, c’est-à-dire l’activité qui menace soit “la sécurité des institutions de l’Etat et la sauvegarde de la continuité du fonctionnement régulier de l’État de droit, des institutions démocratiques, des principes élémentaires propres à tout État de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales” soit “la sécurité et la sauvegarde physique et morale des personnes et la sécurité et la sauvegarde des biens“.

Parmi ces activités potentiellement menaçantes auxquelles la Sûreté de l’État s’intéresse figure l’extrémisme, défini comme “les conceptions ou les visées racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires, qu’elles soient à caractère politique, idéologique, confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou en pratique, aux principes de la démocratie ou des droits de l’homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l’État de droit en ce compris le processus de radicalisation“.

Par ailleurs, dans le courant des années 1990, d’autres instruments législatifs vont insister sur les droits humains comme ligne de démarcation entre les idéologies politiques “acceptables” et celles qui ne le sont pas. En effet, à l’époque, le Vlaams Blok a vu accroître son financement à la suite de sa percée électorale de 1991 et publie dans la foulée un plan en 70 points pour mettre fin à l’immigration en Belgique. Cette montée de l’extrême droite suscite l’inquiétude des autres formations politiques.

La loi sur les finances électorales de 1989 est d’abord modifiée en 1995 pour y insérer un article 15 bis obligeant les partis politiques à inclure, dans leurs statuts, leur engagement à respecter et à faire respecter la Convention européenne des droits de l’homme. Ensuite, en 1999, un article 15 ter est adopté pour permettre au Conseil d’État de réduire la dotation d’un parti politique lorsque celui-ci “par son propre fait ou par celui de ses composantes, de ses listes, de ses candidats, ou de ses mandataires élus, montre de manière manifeste et à travers plusieurs indices concordants son hostilité envers les droits et libertés garantis par la Convention [européenne des droits de l’homme]“.

Il existe un consensus pour considérer les droits humains et l’État de droit comme étant le centre de gravité à partir duquel localiser l’extrémisme.

L’application de ce dispositif, amendé à plusieurs reprises, est une entreprise particulièrement laborieuse, notamment compte tenu des multiples garanties procédurales existantes mais également de l’interprétation très restrictive donnée par la Cour constitutionnelle de ce que constitue une “hostilité manifeste” aux droits fondamentaux. Pour la Cour, il ne peut s’agir que de l’incitation à violer “un principe essentiel au caractère démocratique du régime” et non la simple proposition d’interprétation différente ou la critique portant sur l’un ou l’autre des droits fondamentaux consacrés. Pour la Cour constitutionnelle néanmoins, “la condamnation du racisme et de la xénophobie constitue incontestablement un de ces principes car de telles tendances, si elles étaient tolérées, présenteraient, entre autres dangers, celui de conduire à discriminer certaines catégories de citoyens sous le rapport de leurs droits, y compris de leurs droits politiques, en fonction de leurs origines“.

Il ressort de ce qui précède qu’il existe un consensus pour considérer les droits humains et l’État de droit comme étant le centre de gravité à partir duquel localiser l’extrémisme. Les deux dispositifs juridiques précités – mission de la Sûreté de l’État et sanction financière des partis liberticides – mettent en outre l’accent sur l’impact concret des atteintes aux droits fondamentaux sur les personnes au regard du “danger de la discrimination” (Cour constitutionnelle) ou de l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique (loi sur l’analyse de la menace).

Déterminer si un discours, une proposition ou un programme est extrémiste peut donc s’opérer suivant deux questions. Se dirigent-ils vers un renforcement ou un soutien de la protection d’un ou de plusieurs droits fondamentaux ou, au contraire, prônent-ils la généralisation des restrictions ou la violation des droits fondamentaux, en particulier au regard des principes d’égalité et de non-discrimination ? Quel est l’impact de ces restrictions ou violations sur l’intégrité psychique et physique des personnes concernées ?

L’utilité de cet outil d’identification de l’extrémisme est de recourir à des concepts opérationnels, théorisés et construits pour être appliqués à des cas concrets.

Outil n°2 : qualifier d’extrême droite un discours ou une proposition politique en les analysant de manière critique

© youtube.com

Après avoir identifié des politiques publiques extrémistes au regard des droits humains, une seconde étape peut consister à analyser les discours mobilisés pour les justifier, afin d’y déceler les idéologies véhiculées et les stratégies portées.

Les discours ne sont jamais neutres. Ils ne décrivent pas la réalité sociale, mais en construisent une. Ainsi, une “vague migratoire” est une métaphore déshumanisante, assimilant les personnes migrantes à une catastrophe naturelle. Au contraire, une “politique anti-réfugiés” renvoie à une responsabilité politique dans le mauvais traitement réservé à des personnes dont la demande de protection est pourtant légitime. La dramaturgie, les causes et les responsabilités varient.

Les discours ne sont jamais neutres. Ils ne décrivent pas la réalité sociale, mais en construisent une.

Analyser un discours par déduction consiste à vérifier si les critères d’inégalitarisme, de nationalisme, de sécuritarisme ou du rejet de la démocratie structurent manifestement le discours. Si c’est le cas, alors le discours est d’extrême droite. Toutefois, cette méthode se heurte aux évolutions des discours d’extrême droite, rappelées supra, dépouillés de racisme explicite, avançant masqués, jouant sur l’implicite et les métaphores. À l’inverse, une approche inductive des discours décode la réalité sociale qu’ils construisent. Quant à elle, l’analyse critique décèle les idéologies “cachées” derrière les mots, derrière les argumentaires10. Autrement dit, dans les discours, comment les groupes sont-ils définis ? Comment sont-ils mis en opposition ? En fonction de quels rapports de domination ? Quels sont les valeurs et intérêts mobilisés ? Les ennemis présentés ?

Par exemple, au sujet de l’adoption du Pacte migratoire européen, Margaritis Schinas, commissaire au mode de vie européen, se félicite que “nous [ayons] transformé le talon d’Achille de l’Europe en success story“. Nous pouvons nous poser la question de savoir si les dispositifs de contrôle et de coercition adoptés (procédures accélérées, détentions automatiques, procédures de filtrage sur la base de la nationalité, etc), présentés comme des outils de protection d’un groupe (les “Européens” et leur “mode de vie“) contre la menace émanant d’un autre groupe (les “non-Européens“), ne renvoient pas à un univers idéologique d’extrême droite.

Quant à l’immigration, plusieurs termes doivent être analysés dans une perspective critique : “décivilisation“, “ensauvagement“, “islamisation“, “flux migratoire“, “vague migratoire“, “grand remplacement“, “disparition autochtone“, “nuisible“, “étranger illégal“, etc. L’analyse est également valable pour des propositions, telles que la détention en centres fermés, la déchéance de la double nationalité, un moratoire sur l’asile, le retrait d’UNIA, la fin du secrétariat d’État à l’Égalité des genres, à l’Égalité des chances et à la Diversité, l’abrogation des lois contre le racisme et l’incitation à la haine, etc.

Le constat selon lequel un parti n’est pas explicitement raciste ne suffit plus à disqualifier son apparentement à l’extrême droite.

L’approche inductive de l’analyse critique des discours présente l’utilité de dépasser le caractère explicite d’un discours pour se concentrer sur son sous-texte et son contexte afin de contourner l’artifice de la “dédiabolisation“. De la sorte, le constat selon lequel un discours, une proposition, un programme, une personnalité ou un parti n’est pas explicitement raciste ne suffit plus à disqualifier son apparentement à l’extrême droite si, par exemple, la réalité sociale qu’il produit est bien celle de la protection d’une communauté homogène et pure contre un exogroupe infériorisé, érigé en bouc-émissaire, menaçant des acquis ethniques, culturels ou économiques, auxquels des restrictions des droits humains sont imposées.

Par ailleurs, l’utilité de cet outil est également son caractère opérationnel, dès lors qu’il permet une analyse au cas par cas de chaque discours ou de chaque proposition politique, sans devoir justifier si la personne ou le parti dont il émane devrait lui aussi être qualifié ou non d’extrême droite. L’objectif est avant tout de savoir reconnaître, dans un contexte politique où les discours sont “gris”, quelle est la réalité sociale construite par un terme ou une proposition particulière.

Outil n°3 : qualifier d’extrême droite un discours ou une proposition politique en les comparant avec des référents historiques

Sybille Gioe © liguedh.be

Après avoir, premièrement, repéré le caractère extrémiste de propositions politiques au regard des restrictions des droits humains qu’elles comportent et qui portent atteinte à l’intégrité psychique et physique des personnes et, deuxièmement, induit la réalité sociale produite par les discours qui soutiennent ces politiques, une troisième grille d’analyse peut être proposée.

Le placement du curseur est une opération délicate puisqu’il consiste à se demander à partir de quel moment l’abaissement de la protection des droits humains et la mobilisation discursive d’un univers idéologique d’extrême droite devient inacceptable. Où se situe la borne à ne pas dépasser ?

À plusieurs reprises, des programmes politiques ont été condamnés, judiciairement, politiquement et moralement, comme étant au-delà de cette borne. Ainsi, le plan en 70 points du Vlaams Blok a été dénoncé, par le Parlement Flamand (anc. Conseil Flamand) qui – se référant lui-même à d’autres saillances historiques et notoires de l’extrême droite – constatait que “certaines de ses propositions sont reprises du programme en 50 points du Front national du 16 novembre 1991 et visent à isoler les migrants dans un groupe d’apartheid et à les mettre progressivement au ban de la vie sociale, comme l’ont été les concitoyens juifs dans l’Allemagne nazie à partir de 1933” et par la Cour d’appel de Gand comme n’étant que “l’expression de l’intolérance propagée par le Vlaams Blok et inspirée par le racisme et la xénophobie, incompatibles avec les valeurs applicables dans une société démocratique, libre et pluraliste“.

Qualifier d’extrême droite ce qui l’est, ne doit pas non plus être un tabou.

Dans le contexte belge, le plan en 70 points du Vlaams Blok constitue un étalon central pour qualifier d’”extrême droite” des projets politiques et des discours en matière d’asile et d’immigration. En 2017, le quotidien De Standaard avait démontré qu’en vingt-cinq ans, une moitié de ce plan avait été réalisée, partiellement réalisée ou mise à l’agenda.

La comparaison avec un référent historique incontestable présente l’utilité de mesurer la distance, la réduction de cette distance, ou la congruence avec l’idéologie et les politiques publiques prônées par l’extrême droite et ce, même si le contexte change, même si les discours évoluent, même si, à l’instar des différentes versions des plans du Vlaams Blok entre 1992 et 1996, les restrictions aux droits humains et à l’État de droit sont formellement et prétendument justifiées par toutes sortes de considérations.

Conclusion

D’aucun·e aurait raison de penser que le qualificatif “extrême droite” ne peut être mobilisé comme un anathème dans le seul but de délégitimer ou de disqualifier d’autorité un discours, une proposition, un programme, une personnalité ou un parti. L’argumentation peut être ardue. Les critères traditionnellement employés par la science politique manquent parfois de systématicité et d’opérationnalisation. Dans certains cas, les discours et les pratiques institutionnelles de l’extrême droite ont évolué. Les observateur·rice·s de la vie politique peuvent donc éprouver une certaine réticence à employer cette appellation. Or, qualifier d’”extrême droite” ce qui l’est, ne doit pas non plus être un tabou.

La grille d’analyse ici discutée, aux dimensions juridiques, discursives et historiques qui complètent l’approche politologique, entend donc résoudre cette tension. Elle propose de cibler les objets d’études, d’identifier leur apparentement à l’extrême droite à l’aide de critères opérationnels, et de renforcer la démonstration d’une qualification d’extrême droite de ces objets. Elle ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité sur les manières d’appréhender les discours et programmes d’extrême droite, par exemple en fonction du contexte économique, social et politique de leur émergence ou de l’arsenal rhétorique mobilisé.

Les trois outils proposés pour qualifier des discours et des propositions d’extrême droite peuvent se résumer en trois questions : les discours et les propositions politiques sont-ils dirigés contre les droits humains ou l’intégrité de certaines personnes ? Les discours et propositions politiques construisent-ils une réalité sociale telle que celle fantasmée par l’extrême droite ? Les discours et propositions sont-ils similaires à ceux soutenus par l’extrême droite dans le passé ?

François Debras (ULiège) & Sibylle Gioe (Ligue des Droits humains)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : revuepolitique.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, Tess Asplung fait face à  300 néo-nazis à Borlänge (Suède, 2016) © David Lagerlof ; © Amnesty International ; © youtube.com ; © liguedh.be.


Plus d’engagement en Wallonie…

FETTWEIS : Les changements climatiques en Belgique, vers des étés de plus en plus chauds et secs (CHiCC, 2024)

Temps de lecture : 7 minutes >

[ULIEGE.BE] Le climat se réchauffe et cela ne fait plus aucun doute que les activités humaines en sont responsables. Mais concrètement, qu’est-ce qui nous attend chez nous à Liège et à quoi devrons-nous nous adapter ? Quel climat allons-nous avoir dans un monde à +2°C (en 2040) ? Comment seront nos étés ? Pourrait-on encore avoir un événement pluvieux extrême comme celui de Juillet 2021 ou doit-on se préparer à des sécheresses extrêmes ? Quels seront les impacts sur nos forêts, l’agriculture ou encore notre santé ?


Après une licence en mathématiques à ULiège en 2000, Xavier Fettweis défend sa thèse sur le climat du Groenland chez le Prof. Jean-Pascal van Ypersele de l’UCL en 2006. De retour à ULiège, il coordonne le développement du modèle régional du climat MAR utilisé notamment pour étudier la fonte des calottes polaires et les changements climatiques en Belgique au Laboratoire de Climatologie qu’il dirige depuis 2017, d’abord en tant que chercheur qualifié du FNRS, puis comme professeur depuis 2023.


A cause des activités humaines, on pourrait gagner en Belgique près de +4°C en 2100 par rapport à 1981-2010 et c’est surtout en été et en Ardenne que la hausse des températures sera la plus importante. Il faudra aussi faire face de plus en plus à des sécheresses en été, entrecoupées de quelques événements pluvieux intenses comme celui de juillet 2021. L’eau manquera donc souvent en été, ce qui impactera durablement nos forêts (qui devront s’adapter) ainsi que des écosystèmes uniques comme celui des Hautes-Fagnes qui ne seront plus en équilibre avec notre climat.

Ce n’est plus un secret pour personne que le climat est en train de réchauffer et il n’y a maintenant plus aucun doute que ces anomalies climatiques sont dues aux activités humaines car naturellement, on irait plutôt vers une glaciation dans 100.000 ans. Depuis 1850, la concentration des gaz à effet de serre a augmenté de près de 50 % à cause des activités humaines et il n’y a plus aucun doute que cette augmentation explique la hausse des températures observée. Au début des années 2000, le GIEC restait encore prudent sur le lien entre activités humaines et hausse de température car seuls les modèles suggéraient une hausse des températures qui n‘était pas (encore) observée. Depuis lors, les changements climatiques se multiplient (hausse du niveau des mer, retrait des glaciers, fonte des calottes polaires, augmentation du nombre et intensité de canicules….) et si on veut reproduire avec les modèles du climat ce qui est observé, on est obligé de tenir compte de l’augmentation des concentrations des gaz à effet serre liée aux activités humaines. Cela a permis au GIEC de conclure sans équivoque dans son 6ème rapport (en 2021) que seules les activités humaines peuvent expliquer le réchauffement climatique observé. Bref, il n’y a plus lieu aujourd’hui d’être climato-sceptique même s’il y a 20-30 ans, une telle position restait défendable.

Figure 1: Evolution de la température annuelle à Liège simulée par la modèle MAR d’ULiège forcé par les réanalyses ERA5 (~ observations) en bleu et par 6 modèles globaux du GIEC (en rouge) en utilisant le scénario SSP370.

Et en Belgique, qu’en est-il ? Par rapport à la période 1981-2010 (respectivement 1850), on a gagné près de +1°C (respectivement +2°C) sur la période 2011-2022 et ce, en particulier en Ardenne et en été. Les précipitations annuelles ont peu changé ; par contre, les chutes de neige ont déjà diminué de près de 25 % en moyenne sur la dernière décennie. Malheureusement, cette tendance ne va pas s’inverser dans les prochaines années. Même si, à la suite des Accords de Paris (COP21, 2015), on aurait pu espérer limiter le réchauffement climatique à +1.5°C en 2100 par rapport à 1850 (scénario SSP126 du GIEC), on est malheureusement aujourd’hui loin de cet objectif avec les engagements réellement pris jusqu’ici (COP28, 2023). Le scénario le plus probable actuellement est une hausse de la température globale de ±3.5°C en 2100 par rapport à 1850, ce qui correspond au 2éme moins « pire » scénario du GIEC (scénario SSP370) montré sur la Figure 1 pour la ville de Liège. On peut notamment y voir que les modèles sous-estiment le réchauffement actuellement observé (courbe en bleu) et donc que ces chiffres sont donc la fourchette basse de ce qui nous attend, hélas.

Figure 2: Statistiques observées (basées sur le modèle MAR forcé par les réanalyses ERA5) et projetées (basées sur MAR forcé par 6 modèles globaux) pour différentes périodes selon le scénario SSP370 pour Liège.

En Belgique, le hausse de température sera tout d’abord la plus marquée en Ardenne qu’en Flandre où la Mer du Nord (qui met beaucoup plus de temps à se réchauffer que l’atmosphère) va en quelque sorte atténuer le réchauffement climatique dans un premier temps (voir Figure 3). En hiver, c’est surtout les nuits qui vont devenir moins froides alors qu’en été, c’est surtout les maximums de température qui s’envoler.

Alors que la température annuelle augmenterait de près de +1.5°C en moyenne en Région Wallonne en 2040 (Monde à +2°C) par rapport à 1981-2010, la hausse de température atteindra par contre +2°C en été en Ardenne. N’oublions pas que la période de référence pour le GIEC est 1850-1900 et donc un Monde (i.e. la température moyenne globale) à +2°C selon le GIEC correspond à une Belgique à +3°C selon cette même période de référence. A l’échelle annuelle, la quantité de précipitations changerait peu mais par contre, les précipitations diminueront significativement en été alors que seuls les hauts sommets de nos Ardennes verront encore un peu de neige à la fin de ce siècle.

Figure 3: a) Anomalie de la température annuelle simulée en ~2040 (Monde à +2°C) par rapport à 1981-2010. b) pour la température en été (Juin-Juillet-Aout). c) pour les précipitation annuelles (en % par rapport à la moyenne 1981-2010) et d) pour les précipitation en été selon le modèle MAR.

Après les inondations de juillet 2021, il est légitime de se poser la question de savoir si cet événement est dû au réchauffement climatique et s’il pourrait se répéter. Pour répondre à ces questions, nous avons forcé notre modèle du climat MAR avec des observations depuis 1950 et avec plusieurs scénarios futurs du GIEC. Tout d’abord, par comparaison au maximum de précipitation sur 3 jours observé dans la Vallée de la Vesdre depuis 1950, 3 événements ressortent 7-9 octobre 1982, 12-14 septembre 1998 et 13-15 juillet 2021. Déjà en 1982 et 1998 la Vallée de la Vesdre avait été inondée mais la quantité de précipitation tombée en moyenne sur la Vallée en Juillet 2021 (160mm/3jours) surpasse largement la quantité tombée en 1982 (105mm/3jrs) et 1998 (115mm/3jours) ce qui explique le caractère exceptionnel de l’événement de juillet 2021. Dans les projections futures, on constate tout d’abord que ce genre d’événement n’est pas suggéré dans les simulation MAR forcées par les scénarios du GIEC avant 2020 ; ce qui montre que sans le réchauffement climatique lié aux activités humaines, un événement d’une telle intensité aurait été improbable. Après 2020, le modèle suggère malheureusement que cet événement pourrait se répéter 2-3 fois d’ici 2050. Après 2050, si on limite le réchauffement global à +1.5°C, le climat de la Belgique serait alors très favorable à ce genre d’événements qui pourraient devenir récurrents (tous les 10-20 ans). Si par contre le climat continue à se réchauffer, les étés deviendraient alors trop chauds et secs pour favoriser de tels événements qui resteront toutefois probables.

Le problème en été serait alors plutôt les sécheresses et les canicules favorisant des feux de forêts. Il est important de noter que nos forêts ne sont (ou ne seront) plus en équilibre avec le climat actuel et sont donc malades favorisant la présence de bois morts augmentant ce risque d’incendie. Pour ce qui est des autres événements extrêmes locaux comme les orages, tornades, rafales de vent…, il reste encore beaucoup d’incertitudes car les modèles du climat ne sont pas encore capables de les représenter explicitement. La hausse des températures permettrait d’augmenter l’intensité de ces événements locaux car il y aurait plus d’énergie pour les alimenter mais les connaissances actuelles ne suggèrent pour le moment pas de changement dans leurs fréquences. Toutefois, une chose est sûre, avec l’augmentation du bâti et des surfaces imperméables, un même événement du passé fera plus de dégâts qu’avant. Enfin, il est important de noter que la variabilité interannuelle (c-à-d. le fait d’avoir une succession d’années humides ou sèches) des précipitations aussi bien annuelles qu’en été va augmenter significativement en Wallonie (voir Figure 8). Cela suggère notamment qu’on aura plus souvent des étés secs (1 été sur 3 contrairement à 1 sur 6 actuellement) compensés par des étés plus humides (1 été sur 5 contrairement à 1 sur 6 actuellement) expliquant qu’en moyenne la diminution projetée des précipitations reste faible.

Pour rester en équilibre avec un climat qui leur est favorable, les écosystèmes vont soit devoir s’adapter, soit migrer en altitude ou en latitude pour retrouver un climat plus froid. Un exemple d’écosystèmes chez nous qui ne pourra ni monter en altitude ni en latitude est celui qu’on retrouve dans nos Hautes-Fagnes et qui a besoin d’un climat froid et humide. Les Hautes-Fagnes risquent donc à terme de s’assécher en surface et donc se reboiser.

Autres exemples d’écosystèmes qui ne sera plus en équilibre avec notre climat, ce sont les forêts d’épicéas et de hêtres qui sont des arbres avec des racines peu profondes et donc très sensibles aux sécheresses estivales qui devraient malheureusement s’intensifier et se multiplier dans le futur.

Jusqu’à maintenant, on considérait en Belgique que les ressources en eau étaient infinies, en particulier en Ardenne. Ce ne sera bientôt plus le cas car notre climat va progressivement s’approcher de celui du Gers (au Sud-Ouest de la France) où on ne compte plus les petites retenues au fond des vallées stockant les pluies hivernales pour irriter l’agriculture en été. Ces petites retenues permettraient aussi d’atténuer les conséquences d’événements de pluie extrêmes déjà intensifiés par l’augmentation de l’imperméabilisation des sols, indépendamment des changements climatiques. Enfin, il faudra s’adapter  aux grosses chaleurs en construisant des maisons passives à la chaleur et plus au froid comme jusque maintenant.

Xavier Fettweis, climatologue


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Xavier FETTWEIS, organisée en août 2024 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

Spéculoos (recette)

Temps de lecture : 4 minutes >

[d’après JOURSHEUREUX.FR] Les spéculoos, ces délicieux biscuits épicés ont une histoire qui remonte à plusieurs siècles en Europe. Découvrons ensemble l’origine de ces petits trésors croustillants, leurs différences avec les Speculaas néerlandais, leur mode de fabrication et leurs valeurs nutritionnelles.

L’histoire des spéculoos

Les origines des spéculoos remontent à plusieurs siècles en Europe, mais leur popularité s’est particulièrement développée au cours du xxe siècle en Belgique. À l’origine, les spéculoos étaient conçus comme une alternative abordable aux speculaas néerlandais, qui étaient plus riches en épices (les spéculoos étaient moins épicés en raison du coût élevé des épices importées en Belgique). L’un des aspects les plus intriguants de l’histoire des spéculoos est leur forme traditionnelle. Ces biscuits étaient souvent moulés en forme de moulins à vent, de personnages de la nativité ou d’animaux, en particulier pendant la période de Noël. Aujourd’hui, la plupart des spéculoos sont fabriqués sous forme de rectangles simples, mais la tradition des moules en forme perdure.

Speculaas, spéculoos : quelle différence ?

Les speculaas et les spéculoos, deux types de biscuits belges, présentent des similitudes tout en ayant quelques différences. Les speculaas, originaires des Pays-Bas, sont préparés avec un mélange d’épices traditionnel incluant de la cannelle, de la muscade, du clou de girofle et du gingembre, et ont une texture plus croquante. Ils sont souvent façonnés en formes spécifiques, telles que des moulins à vent ou des figures folkloriques néerlandaises.

En revanche, les spéculoos, d’origine belge, utilisent des épices similaires mais ont tendance à être plus moelleux. Ils sont généralement présentés sous forme de biscuits rectangulaires ornés de motifs géométriques. Le nom “speculaas” est prédominant aux Pays-Bas, tandis que “spéculoos” est plus couramment utilisé en Belgique et dans les pays francophones pour désigner ces biscuits aux saveurs épicées et sucrées.

Spéculos, spéculoos, spéculaus ?

L’orthographe traditionnelle du mot est “spéculoos“, correspondant au nom flamand du biscuit et largement adoptée en Belgique. La prestigieuse maison Dandoy, établie en 1829 à Bruxelles, préserve cette orthographe. Le plus grand producteur belge de spéculoos, la biscuiterie Lotus, suit également cette tradition orthographique. Le Petit Larousse mentionne à la fois “spéculoos” et “spéculos” pour refléter les variantes. En France, l’orthographe “spéculos” est une variante apparue suite à la réforme orthographique de 1990, mais elle demeure peu courante et est généralement signalée en fin d’article dans le Petit Larousse. Enfin, l’orthographe “spéculaus” est une version francisée, bien qu’elle n’ait pas réussi à devenir majoritaire dans l’usage francophone. Le dictionnaire Petit Robert propose également les deux orthographes, tandis que la maison Dandoy utilise parfois l’orthographe “spéculaus” sur son enseigne lumineuse à Bruxelles, ajoutant ainsi une touche de diversité à ce délicieux biscuit.

Comment sont fabriqués les spéculoos ?

Les spéculoos sont des biscuits délicieusement épicés fabriqués à partir d’ingrédients simples mais savoureux. Pour les préparer, on commence par mélanger du beurre ramolli avec du sucre brun pour créer une base crémeuse. Ensuite, on incorpore un mélange d’épices spécifiques, généralement composé de cannelle, de gingembre, de clous de girofle, de noix de muscade, de poivre blanc et de cardamome, afin de donner aux biscuits leur saveur caractéristique. On ajoute ensuite de la farine (froment), éventuellement de la fécule de maïs et de la poudre d’amande pour former une pâte. Après avoir reposé au réfrigérateur, la pâte est étalée et découpée en formes de biscuits. Ces biscuits sont ensuite cuits au four jusqu’à ce qu’ils soient légèrement dorés autour des bords, puis laissés à refroidir sur une grille. Le refroidissement permet aux spéculoos de durcir et de prendre leur texture croustillante.

Valeurs nutritionnelles des spéculoos

Les spéculoos sont des biscuits délicieusement croquants et épicés qui, bien que délicieux, sont également relativement riches en calories et en sucres : calories par portion (2 biscuits) : 80 à 100 calories ; glucides : 10 à 15 grammes ; matières grasses : 3 à 5 grammes ; protéines : 1 à 2 grammes ; fibres alimentaires : moins d’un gramme. Ces valeurs peuvent légèrement varier en fonction de la marque et de la recette spécifique des biscuits. Il est recommandé de les consommer avec modération dans le cadre d’une alimentation équilibrée.

Allergènes contenus dans les spéculoos

Les spéculoos peuvent contenir plusieurs allergènes courants, dont le gluten issu de la farine de blé, le lait sous forme de beurre, les œufs, les fruits à coque comme les noix ou les amandes, et parfois des traces de soja.

d’après joursheureux.fr


Spéculoos (la meilleure recette)

N.B. La pâte doit se faire le jour avant et se cuit… le lendemain de la veille.

Ingrédients (pour 40 spéculoos)

      • 500g de farine
      • 500g de farine fermentante
      • 1 paquet de levure chimique
      • 700g de cassonade brune
      • 2 cuillères à café d’épices à spéculoos (ou 4 épices)
      • 1 pincée de sel
      • 3 œufs
      • 400g de margarine
      • 1/2 tasse d’eau tiède
      • 2 cuillères à café d’arôme d’amande amère

Préparation

Préparation de la pâte (la veille)
      • Mélangez au robot tout ce qui est sec : les 2 farines, la levure, la cassonade, les épices et le sel.
      • Faites fondre le beurre (il ne doit pas être chaud).
      • Ajoutez le beurre, les œufs, l’eau et l’arôme d’amande amère.
      • Laissez reposer au moins une nuit en couvrant la pâte d’un film plastique. Elle va développer ses arômes.
Cuisson
      • Le lendemain, faites chauffer le four à 190 degrés.
      • Sur la plaque recouverte d’un papier cuisson, disposez les pâtons (55-60 g). Prélevez une cuillère à soupe de pâte, roulez-la dans vos mains pour former une boulette ronde ou allongée et applatissez la légèrement.
      • Cuisez au four 15 minutes exactement.
      • Décollez-les avec précaution et laissez-les refroidir sur une grille.

Notez que les spéculoos se conservent très bien dans une boîte hermétique.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : joursheureux.fr ;  Sophie Adans, Chef | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © tasteoffrancemag.com ; © DR.


Encore faim ?

LAROCHE : La parole inhabitable – Un parcours thématique (1990)

Temps de lecture : 20 minutes >

[LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS] Tout entière absorbée dans le travail de l’énonciation, dont elle n’est à première vue qu’une forme particulière, la création littéraire ne prend toutefois relief et sens que rapportée à cette ombre originaire qui est en même temps son envers et sa tentation permanente: le silence. S’en est-on suffisamment avisé ? La moindre parole, l’écrit le plus fugitif tirent leur intérêt premier de ceci, qu’ils auraient pu ne pas advenir.

Nonobstant leur teneur particulière, le seul fait de leur existence présuppose une levée, un arrachement toujours problématique à l’indifférencié du ne-rien-dire. Avant de s’imposer comme présence, il y a donc ce moment – ce mouvement – où le verbe se détache du fond muet souvent donné pour son contraire, mais avec quoi il entretient des rapports bien plus noueux que de simple antagonisme. Ne serait-ce que par le danger où il se trouve d’y retomber à tout instant – parce que, au vrai, il finit toujours nécessairement par y retomber. Ainsi la prise de parole, l’entrée en écriture ne s’accomplissent-elles jamais que dans une sorte d’inconfort ou de vacillement qui font d’elles, pour le sujet, une condition radicalement provisoire.

Objet d’une nostalgie essentielle mais rarement explicite, le silence offre donc à la littérature un rhème névralgique. Or, celui-ci semble jouir d’une faveur particulière dans les oeuvres qui ont vu le jour en Belgique francophone depuis le 19ème siècle. Davantage qu’en France notamment, les écrivains y portent témoignage de ce que la parole peut avoir de risqué, d’inopportun ou encore de malaisé, comme si, envers et contre tout, elle restait par essence inadéquate à sa motivation ou à son objet. Il y a lieu, en conséquence, de parcourir les textes à cet égard les plus significatifs, d’en reconnaitre les réseaux thématiques et leurs variances principales, de voir enfin quelle interprétation peut être donnée à une celle insistance.

Apparemment, c’est le courant symboliste qui, le premier, accorde au thème du silence une place réellement focale. Mais cet engouement, indéniable, a des racines plus anciennes : les prodromes s’en font jour dès le début du 19ème siècle, dans l’image aujourd’hui bien connue du héros romantique celle que l’imposent alors en Belgique les oeuvres de Byron, Chateaubriand ou Lamartine. Lié aux motifs de la solitude, de la rêverie et de la mélancolie, celui de la taciturnité contribue à l’édification d’une psychologie nouvelle, largement égotiste, dominée par un thème récent à cette époque, mais bientôt prépondérant dans la culture occidentale, celui de la profondeur. À l’aune de ce thème, la qualité morale de chacun est réputée proportionnelle à la richesse de son expérience intérieure, et spécialement de son expérience affective. Ce qui est tu importe ici bien davantage que ce qui est dit, la parole s’avérant en contrepoint activité superficielle, incapable d’égaler ou d’exprimer la densité de la vérité subjective.

EAN 9782246204220

On le sait, le romantisme comme tel ne suscite, en Belgique francophone, aucun texte de grande envergure. De la conception hâtivement résumée ci-haut, l’oeuvre vraisemblablement la plus représentative reste Jours de solitude (1869) d’Octave Pirmez… Il faut donc attendre la dernière décennie du siècle pour voir revenir, mais avec une ampleur accrue et un sens nouveau, ce dont Georges Rodenbach intitule en 1891 son premier recueil important : Le règne du silence. Règne qui marque d’ailleurs la production entière de l’écrivain, poésie, roman, théâtre, comme il imprègne celle de Maurice Maeterlinck, surtout à partir de L’intruse (1896), Ce dernier, précisément, va en donner la théorie circonstanciée dans son essai Le trésor des humbles (1896), dont le premier chapitre a pour titre Le silence. Affirmations sentencieuses et métaphores se succèdent ici pour élaborer non plus une psychologie, mais une éthique, et même une métaphysique de la vie intérieure, ordonnée tout entière autour d’un concept-pivot : l’âme. Dans la destinée des individus, dans la communication qui les rapproche épisodiquement, l’essentiel est de nature infraverbale – ou supraverbale, comme on voudra : la parole se spécifie par sa radicale insuffisance, et même par sa nocivité envers ce qui, dans l’humain, constitue la part la plus grave et la plus noble.

Cependant, ce qui nous requiert dans le texte de Maeterlinck est moins le flux des assertions que celui des images – lesquelles, à l’examen, s’avèrent converger en un réseau serré, offrant tous les traits d’une quasi fantasmatique. Ainsi le silence est-il associé à l’éternité, à l’obscurité, aux “profondeurs de la mer intérieure“, à quoi s’adjoignent les motifs du “berceau“, des “racines” ou de l’amour. Le modèle sous-jacent est évidemment celui de la vie intra-utérine, paradis jadis perdu auquel il s’agit de faire retour, en suspendant la tyrannie du verbe qui subjugue l’existence postnatale. “Car le silence est l’élément plein de surprises, de dangers et de bonheur, dans lequel les âmes se possèdent librement” (l’auteur souligne). Toutefois, le silence est aussi paré d’une “sombre puissance“qui lui donne un caractère “dangereux“, “effrayant” ou même terrifiant. C’est que la réintégration de l’espace matriciel relève de l’utopie, et ne pourrait coïncider en fait qu’avec la mort, d’où cette atmosphère bizarrement menaçante. Mais le penseur, entre-temps, n’est pas totalement débouté : la pratique du silence va lui permettre de satisfaire fictivement son désir secret de procréation, et donc de participer un tant soit peu à la puissance maternelle. “Le silence est l’élément dans lequel se forment les grandes choses, pour qu’enfin elles puissent émerger, parfaites et majestueuses, à la lumière de la vie qu’elles vont dominer.

Sans doute faudrait-il, pour détailler la pensée maeterlinckienne, prendre en considération des pièces comme L’intruse, ou Pelléas et Mélisande : le lien avec l’eau, le mystère, la mort proche s’en préciserait mieux encore. Qu’il suffise de rappeler cette phrase de Ruysbroeck traduite et citée par Maeterlinck: “[L]es êtres ne sont pas circonscrits par la parole“- elle nous ramène au cœur de la question. À côté de l’ espace langagier, il existe un espace occulte, bien qu’il n’exclue nullement la communication, où se vit ce qu’il y a d’essentiel dans la destinée humaine. Cette zone est celle de l’indicible et des sentiments élevés, N’y ont cours que l’accord avec soi-même, la pureté du cœur, l’accueil ému et magnanime de l’autre, sans oublier l’ouverture sur un autre monde, où se révèle la dimension surnaturelle de l’existence, Loin de constituer le rebut de l’expérience vécue, l’impossible-à-dire en est le trésor intime et irréductible. C’est alors le langage et le discours qui se trouvent relégués dans le statut de l’inessentiel, et même de l’artifice : démonétisation du signifiant au profit d’une communion directe des âmes, rêve d’une idylle fusionnelle, débarrassée de rien moins que du symbolique…

Soucieux d’accorder au silence une position prééminente, les symbolistes belges en donnent une version à la fois mystique et morale. Teinté de rousseauisme, leur idéalisme trouve un contrepoids littéraire, quelques années plus tard, dans des récits à caractère réaliste ou naturaliste – et plus spécialement dans la figure romanesque du paysan, Certes, celle-ci n’est pas absente du Trésor des humbles : à l’homme de la terre, il ne manque “que le don d’exprimer ce qu’il y a dans son âme“.. , Mais elle prend de tout autres couleurs dans un roman comme L’hallali (Camille Lemonnier, 1906), avec le personnage pusillanime et madré de Jean-Norbert. Dans la droite ligne de Taine, le héros est décrit comme “taiseux, déshabitué de la parole“, “patient et dissimulé“, “priant à bouche scellée“. L’on touche ici à un motif romanesque des plus exploités, celui du silence paysan – silence souvent concerté, calculé, mais qui, chez Lemonnier, prend le caractère d’un handicap physiologique. Ainsi, Jean-Norbert “pourrait périr un jour d’une colère rentrée“; sa femme lui rappelle l’avis du médecin, “que tu avais trop de sang et que tu es trop muet“. Le mutisme ne désigne pas ici la libre ascèse du penseur et moins encore l’expectative d’un monde supérieur, il est le signe d’une déficience organique, il est paralysie et menace de mort.

Fille ainée de Jean-Norbert, Sibylle “était retombée à un mutisme sauvage dans cette maison du silence“: ultime refuge d’un orgueil blessé, inflexible, qui accouchera finalement du meurtre vengeur. Avec son père, elle entre dans la longue série des terriens introvertis dont sont peuplés les nombreux romans régionalistes parus en Belgique au début du 20ème siècle, et qui déclinent successivement toutes les variantes possibles du même thème. Dans La bruyère ardente (Georges Virrès, 1900) : “[A]insi vivaient intérieurement ces contemplatifs de la terre flamande : ils portaient l’image, impuissants à la formuler“- mais sachant, précisons-le, user du silence collectif comme d’une redoutable arme de rétorsion. Dans Le pain noir (Hubert Krains, 1904), c’est une longue et incoercible descente dans la désespérance qui mène le vieux couple à la folie et au suicide. Le maugré (Maurice des Ombiaux, 1911) évoque une ancienne pratique paysanne, celle de la vengeance anonyme contre le fermier usurpateur ; se taire procède ici d’une loi secrète et ancestrale, qui impose à tous les membres de la communauté paysanne une dissimulation complice.

Des éléments identiques ou comparables se retrouvent dans Le roman du tonnelier (Hubert Stiernet, 1922), dans Campine (Neel Doff, 1926), dans Le village gris (Jean Tousseul, 1927), et d’autres encore. Rétrospectivement, il est vrai que ces éléments apparaissent comme fortement stéréotypés. Mais il serait faux de croire que le stéréotype n’a rien à nous apprendre, qu’il n’est qu’un morceau de langage usé ou évidé. Il y a une histoire des clichés littéraires, et des fonctions (notamment identificatoires) qu’ils sont amenés à remplir. Ainsi faut-il distinguer en l’occurrence plusieurs types de mutismes qui, pour s’apparenter dans leur manifestation concrète, n’en relèvent pas moins de logiques toutes différentes. Il y a d’abord cette semi-aphasie congénitale, à mi-chemin entre le physique et le psychique, où la raréfaction du parlé contrecarre la densité du ressenti. À cette infirmité subie s’opposent les silences tactiques : le laconisme roublard, calculateur, ou encore le reproche muet, manœuvres codifiées de l’activité transactionnelle à quoi tient le plus clair de la vie sociale. Il faut y ajouter une stratégie plus générale, celle de la patience, en vertu de laquelle il convient que les choses aillent sans dire. C’est l’écoulement du temps lui-même (avec le retour cyclique des saisons, des travaux, des générations) qui est ici supposé compenser le défaut de parole, en la rendant inutile à force de la différer : abstinence continument dilatoire qui s’apparente manifestement au processus du refoulement.

EAN 9782366240269

Proche de la précédente, mais avec une dimension éthique plutôt qu’économique, est la soumission acceptée qui caractérise le fatalisme, suscitant la “réserve” féminine, l’effacement, la non-révolte. Vient ensuite une quatrième catégorie, moins sujette que les précédentes à la sclérose du stéréotype, celle du mutisme comme porteur de mort (mort de soi ou mort de l’autre) ; souvent, dans les romans précédemment cités, le confinement dans le non-verbal va de pair avec un exil social plus ou moins volontaire, et surtout avec une dérive intérieure dont l’aboutissement ultime, généralement présenté comme inéluctable, est le crime ou le suicide. À l’opposé de celle-ci, ce sont enfin les variantes “heureuses” du silence : particulièrement la grande paix de la nature, souvent présentée comme source de réconfort, et même de régénérescence, loin de la cacophonie blessante qui est le lot du groupe humain. Purification, analgésie, retrouvailles avec soi-même, tels sont les effets bénéfiques d’une diète dont l’idéal monastique offre une autre version ; ainsi dans En sabots (André Baillon, 1922), récit autobiographique que domine pour une grande part la quête fébrile de la tranquillité. Une harmonie comparable, mais détachée quant à elle des circonstances immédiates, est nouée au motif de la pensivité : loin de n’avoir à dire rien d’important, le personnage pensif est réputé riche d’une plénitude intérieure (souvenirs, sentiments, sagesse…), exprimable ou non, qui lui confère sur les bavards impénitents une sorte d’ascendant moral. On retrouve ici la connotation bien-pensante déjà repérable chez Maeterlinck.

Fondamentalement rétrograde, sinon réactionnaire, le roman régionaliste poursuit donc son essor tout au long de l’entre-deux-guerres. C’est à cette même époque que s’impose progressivement une œuvre originale, nettement plus moderne, et d’ailleurs complètement étrangère à l’univers rural : celle de Georges Simenon. Or, dans une large mesure, cette œuvre est obsédée elle aussi par la pénurie ou le mésusage de la parole. Très souvent, dans les aventures relatées par Simenon, ce qu’il aurait fallu dire n’a pas été dit, ou l’a été maladroitement, ou encore à contretemps, et le malheur qui frappe les personnages trouve son origine dans cette inadéquation communicative. Pour illustrer ce schème narratif, nous considérerons successivement trois romans, choisis à titre d’échantillons. Intitulé L’homme de Londres, le premier raconte la déchéance de Maloin, un modeste aiguilleur qui s’est emparé subrepticement d’une valise pleine d’argent et y voit la fin de toutes ses frustrations antérieures. Mais ses premières largesses n’apportent pas la satisfaction escomptée : comme il n’a rien dit de l’aubaine à sa famille, celle-ci réprouve une si fantasque prodigalité.

En fait, grognon et peu loquace, Maloin souffre moins d’être pauvre que de n’être pas compris – de ne pas arriver à se faire comprendre. Or, voici que rôde aux alentours le propriétaire de la valise à la recherche de son bien ; c’est un petit cambrioleur anglais, surnommé le Malchanceux, en qui Maloin devine un alter ego et pour qui il éprouve une bienveillance grandissante. Mais le pacte salvateur n’aura pas lieu. Dans la pénombre d’une cabane de pêcheur, le Malchanceux, qui ne comprend pas le français, se méprend sur les paroles conciliantes de Maloin ; agressé, celui-ci frappe et tue. Le drame n’eût pas eu lieu si le dialogue avait pu s’établir, si les deux protagonistes avaient au moins parlé la même langue. C’est donc bien l’échec de la parole qui provoque la mort de l’un et fait de l’autre un criminel emmuré plus que jamais dans son mutisme, dans son incapacité d’expliquer ce qui s’est vraiment passé.

EAN 9782253142959

Dans Les fiançailles de M. Hire, le héros est lui aussi un handicapé de la parole. Solitaire et timoré, il n’entretient avec ses semblables que des rapports soigneusement raréfiés et codifiés – il a ses habitudes à la poste, au bowling, au bordel. Se trouve-t-il dans une situation imprévue, interpellé par un(e) inconnu(e), il semble oublier l’usage du discours, se perd en bredouillements, monosyllabes, mots inarticulés. Or, par le jeu des circonstances, M. Hire est soupçonné d’avoir assassiné une prostituée, et l’étau policier se resserre autour de lui, qui, pour comble, connait le véritable tueur ! Mais, comme Maloin, M. Hire est incapable de s’expliquer ; ses propres dénégations le rendent suspect et le contrat qu’il croit conclure avec Alice, l’amie du criminel, est en fait truqué. Pourchassé, il cherchera la fuite et trouvera la mort. Ce terme tragique tient donc, en dernière analyse, à une double condition : d’une part, le héros n’arrive pas à trouver les formules qui l’innocenteraient et tend plutôt à s’”enfoncer” lui-même involontairement ; d’autre part, il n’a personne près de lui pour témoigner en sa faveur, c’est-à-dire pour compenser verbalement l’impuissance qui le jugule.

Un troisième roman de Simenon, Les gens d’en face, raconte le séjour à Batoum d’un consul turc. Complètement isolé dans cette ville d’URSS dont il ne parle pas la langue (obstacle fréquent chez Simenon…), Adil Bey va s’éprendre de Sonia, sa secrétaire russe. Mais, devenu malade, il découvre qu’on cherche à l’empoisonner et décide de s’enfuir avec Sonia. Le projet ayant été découvert par le Guépéou, Sonia est fusillée, tandis qu’Adil Bey doit regagner seul la Turquie. Une fois de plus, nous avons affaire à un roman de la parole défaillante et il y a lieu de penser qu’il en est de même dans presque toute l’œuvre de Simenon. Plus précisément, la parole y est le lieu de la défaillance de la communication : loin d’être l’instrument privilégié de celle-ci, comme on s’y attendrait, la circulation du discours contribue diversement à l’isolement du héros et à sa perte finale. D’une part, les propos tenus par le héros lui-même s’avèrent très souvent inappropriés à la circonstance, en tel ou tel de leurs aspects : par leur ton, trop fort (l’irritation) ou trop faible (le murmure), par leur contenu (la maladresse, le manque d’à-propos), par leur effet (l’absence de réponse, le faux-fuyant, etc.). D’autre part, les propos qui lui sont adressés, surtout dans les moments graves, sont rarement ceux qu’il attendait, ou du moins qu’il espérait. Enfin, il arrive fréquemment que des tiers échangent des paroles à son sujet : le héros en pressent toute l’importance, mais ne peut en tirer profit – soit qu’il les perçoive mal, soit qu’il ne les comprenne pas, soit qu’elles aient été prononcées en dehors de sa présence. Dans tous les cas, la frustration est au rendez-vous.

Par rapport aux œuvres précédemment évoquées, celle de Simenon introduit manifestement quelque chose d’inédit. Cerces, la difficulté de s’exprimer, de mener un dialogue profitable y fonctionne toujours comme un élément (important) du vraisemblable caractérologique et comportemental ; à ce titre, elle s’intègre dans ce qu’il est convenu d’appeler la “psychologie” du roman. Mais, on a pu s’en rendre compte, sa véritable nature est structurelle. Le dysfonctionnement généralisé de la communication verbale n’accompagne pas simplement le récit : il en est l’un des moteurs principaux – avec, néanmoins, un autre motif crucial, à savoir le regard. Celui-ci constitue, à côté du discours, un second champ de communication entre les personnages, communication silencieuse, recherchée souvent avec fébrilité, mais par nature incomplète. Or, le regard chez Simenon est généralement en position de suppléance par rapport à la parole, qu’il soit univoque (le guet, le voyeurisme, l’indiscrétion) ou réciproque (l’examen mutuel). La suppléance, bien sûr, est imparfaite ; elle ne peut induire qu’un échange inarticulé, ambigu, dont les termes et l’enjeu restent en grande partie énigmatiques aux protagonistes eux-mêmes. C’est précisément ce qui, au gré de péripéties rigoureusement enchainées, amène un épilogue le plus souvent malheureux (la mort, l’emprisonnement, la solitude…).

EAN 9782020025812

Sans doute faudrait-il, pour la même période, examiner bien d’autres œuvres, les contes de Franz Hellens, par exemple, ou ceux de Jean Ray, hantés par le thème du secret, de la parole interdite ou dangereuse… Un autre écrivain nous parait avoir renouvelé plus profondément, après 1945, la problématique ici en cause. Il s’agit d’Hubert Juin. Dans des livres comme Les bavards (1956), les cinq romans groupés sous le titre Les hameaux (1958-1968), Célébration du grand-père (1965), Paysage avec rivière (1974), Le double et la doublure (1981), l’auteur ne cesse de s’interroger sur ce qui fait la valeur du discours, la valeur du silence. Sur la distribution réciproque de ces deux espaces et leurs justifications respectives. Dans un cadre plus dialectique, moins réducteur que beaucoup de ses prédécesseurs, Juin nous redit que parler ne va pas de soi ; que cela implique, au moins, une sorte de responsabilité à l’égard de l’autre ; que la pure gratuité du babil doit laisser place à un usage “soucieux” du langage, articulé à l’histoire du groupe humain et à la mémoire collective, fût-ce sous le couvert de l’anecdote et de la fiction.

Issu d’un milieu rural, Juin se dit profondément marqué, et même meurtri par l’étouffante taciturnité des adultes à l’ombre desquels s’est déroulée son enfance. Son évocation de l’univers paysan tient pour une large part dans des métaphores comme “le gouffre du silence“, cette “présence monstrueuse“, “signe d’une existence pesante, informe mais éternelle“(Les bavards). Le mutisme des terriens, dit-il, est à la fois un accueil et un piège, à la fois désespoir et concentration. Cette chape massive est faite de “certitude muette” et collective, particulièrement hostile à l’écrit, au savoir livresque, ce dont souffre le futur écrivain : le poids du non-dit ne représente pas seulement une mutilation de son être propre, il est aussi perte de sens et de mémoire pour la communauté familiale et villageoise tout entière. “La désolation habite au cœur d’un silence qui ne se connait point et n’a pas de limites [ … ]. Habiter ce silence, ce n’est déjà plus être.

L’expérience charnière qui donne à Juin le recul nécessaire est la débâcle de 1940, qui pour lui est d’abord une grande débâcle du langage. Les discours tenus jusque-là par les “autorités” s’écroulent alors lamentablement, comme des châteaux de cartes : déclarations rassurantes, opinions toutes faites, fausses nouvelles, communiqués de victoire (!), proclamations officielles, tout ce clinquant édifice verbal, en s’effondrant, dévoile rétrospectivement sa nature artificielle et mensongère. La révélation de leur vanité constitue pour Juin une leçon décisive. “Il fallait, à l’issue de cette guerre insensée, ré-apprendre à parler juste et poser une question morale“, “ré-habiter le langage“. La question qui se pose alors pour lui, au seuil de l’écriture, est de savoir comment tenir sur la réalité un discours adéquat, qui prenne en charge l’aigu de la vie (avec ses souffrances, ses bonheurs, sa durée), sans la falsifier en formules creuses et pérorantes. Comment échapper à la fois au laconisme indigent du paysan et à la rhétorique vaine du bavard, trouver la voie vers un langage pertinent parce qu’ajusté à son objet. Soulignons ce fait capital que, chez Juin, la préoccupation n’est pas de nature égotiste mais testimoniale : ce qu’il met en évidence n’est pas son cheminement personnel, mais celui de la communauté dont il est issu, et vers laquelle il décide de faire retour par la voie de l’écriture. L’idée qui s’impose à lui avec insistance est celle d’une responsabilité et d’une mission : il veut être, “au pays de la parole“, le “délégué” des paysans de son enfance, leur offrir ce dire qui leur faisait défaut, avec tout ce que cela implique comme travail de remémoration et d’élucidation du passé.

Les œuvres ultérieures de Juin peuvent être comprises comme l’application du programme défini dans Les bavards. Exemplaires, à ce titre, sont La cimenterie (1962), Le repas chez Marguerite (1966), Paysage avec rivière ou encore L’arbre au féminin (1980). Tous ces textes paraissent tendus d’un même effort, d’une même volonté : en arriver à tenir sur le terroir natal un discours “vrai “, débarrassé de la mauvaise conscience qui caractérise les romans paysans. Précisément, le monde rural décrit par Juin n’a plus grand-chose à voir avec le pittoresque, même pessimiste, du “réalisme régionaliste”. C’est un univers fondamentalement (et non accidentellement) agonistique, sans cesse tiraillé par des forces adverses, sourd remuement pulsionnel tourné ici vers la vie, là vers la mort, à la fois puissance de survie et puissance d’autodestruction. La place dévolue à la parole, dans cet univers, est symptomatique. Ceux des hameaux ne parlent guère que par bribes, ou alors par aphorismes, répugnant à s’engager personnellement dans leurs propres dires. Souvent, dans les romans de Juin, les conversations rapportées s’entremêlent, et le lecteur ne sait plus qui parle : les reparties accumulées composent une sorte de grande rumeur anonyme, où se font et se défont les réputations, où se colportent médisances et calomnies, mais où les événements vraiment graves ne donnent lieu, paradoxalement, qu’à des allusions voilées. Pour le reste, la forme prépondérance est la parole violence ou agressive : altercation, menace, raillerie, conspiration, reproche… Ce qui manque, dans cette société du bout du monde, c’est en bref un usage paisible de la parole : un discours qui viendrait révéler ce qui est caché, expliquer ce qui est énigmatique, déverrouiller les préjugés, nuancer les convictions trop massives, adoucir haines et rancœurs, désenclaver les solitudes, faire contrepoids aux désespoirs et aux dérives mortifères. Autrement dit, un discours désaliénant – le seul qui, en donnant sens à la vie comme à la mort, dégagerait un cane soie peu ces êtres des forces obscures donc ils sont les pantins.

Ce que l’oeuvre de Juin apporte de radicalement neuf à l’égard du régionalisme traditionnel, c’est une vision beaucoup plus articulée, plus “analytique” des rapports encre le groupe humain, sa violence intrinsèque, le rôle du langage et de la mémoire (ou de l’amnésie) collective – ce qui la soustraie à l’aire mélodramatique du roman paysan. Elle contraste d’autre part avec celle de Simenon en ce que, chez ce dernier, le ratage de la communication reste toujours un phénomène individualisé, même s’il met en jeu plusieurs protagonistes. L’écrivain que nous prendrons maintenant à témoin reprend à son compte le souhait manifesté par Juin d’une parole “vraie”, et aussi son désir de relayer le verbe des morts qui nous ont précédés, mais il situe sur un plan spéculatif, méditatif, cette hésitation devant la parole qui fait l’objet de notre parcours. Dans un livre intitulé Le rêve de ne pas parler (1981), Jacques Sojcher pointe quelques évidences ordinaires à propos de la communication verbale, pour les soumettre à une suspicion généralisée. “J’ai toujours pensé que parler c’était mentir et que mentir était survivre“… “Parler pour ne pas tomber“, écrit-il encore. On voit que, pour Sojcher, la question de la prise de parole est d’emblée reliée à celle de la mort, en quoi elle prend une gravité surprenante.

Qu’est-ce qui (se) passe au juste dans la parole ? Surcout l’illusion, le faux-semblant : “[L]a communication, ce jeu des bonnes volontés qui cache l’impensé dans le dialogue qui les divertit“, qui “fait tourner le mensonge, la parole fabriquée, où le je masqué parle au eu masqué avec l’aisance des rôles bien ajustés“. Car “chaque groupe social a son code“, “chaque monde a sa langue et sa parole mensongère“, de sorte que l’univers humain se réduit à une vaste tour de Babel où le jeu de la parole se trouve capturé ; le rêve de ne pas parler est le rêve de briser cette réduction, d’atteindre une parole qui serait hors de la langue, “rendant chacun à l’outre-voix de ce qui chante dans la langue “… Il faudrait alors ne plus vouloir communiquer, avancer “dans une sorte de solitude où surabondent les mots, […] vers une sorte de demeure où tous les non-dits cohabitent“. Le rêve, plus précisément (c’est ce que réussit entre autres le livre de Sojcher, et c’est en cela qu’il est poésie autant que philosophie), serait de libérer le discours du despotisme communicatif et de sa chimérique efficacité pour opérer avec les mots une voltige infinie, “où le vertige de l’impensé creuse et entraine vers une absence de fond que l’étonnement laisse ouvert et questionnant“.

Il est aussi question de la mort, qui est le plus total, le plus définitif des silences, qui est en même temps défi et question aux vivants, c’est-à-dire aux parlants. “De quel droit parler de la mort, des morts ? [ . .. ] De quel droit avancer mon souffle et mon nom, me servir d’eux qui ne peuvent me dire : menteur, imposteur ?“(l’auteur souligne). L’énonciation touche ici peut-être un bord extrême de son possible, promontoire où elle ne peut que vaciller dans l’insignifiant ou dans l’obscène. Et pourtant la mort de l’autre, du proche – spécialement, pour Sojcher, la mort du père – reste le thème incontournable par excellence, car du sens que les vivants donnent à cette mort dépend le sens de la vie elle-même, et donc de leur propre existence. “Y a-t-il un contenu du mot mort ? La mort a-t-elle un complément du nom, d’objet direct ? La more est-elle désignable, touchable par la logique, la langue, la grammaire ?

Faut-il parler, se taire ? Les deux, ici, apparaissent également inacceptables. La “vérité” qui passe dans le texte de Sojcher repose entre autres sur ce qu’il nous place, sans échappatoire possible, devant cette aporie béante – humiliante…

Forcément lacunaire et imparfait, notre parcours à travers la littérature française de Belgique ne prétend qu’à mettre en lumière une problématique dont, assurément, on trouverait les traces dans bien d’autres œuvres. Cette insistante question n’est pas celle du silence considéré isolément, mais de la dialectique silence-parole et de son rapport à la vie elle-même. Au-delà des variantes et des clichés, elle témoigne d’une sorte de malaise ou de méfiance à l’égard du langage, comme coupable de ne pouvoir tout dire, Ainsi le verbe se révèle-t-il, dans les œuvres hâtivement inspectées ci haut, le lieu d’une déception essentielle du sujet – déception à la mesure d’un espoir que la logique nous impose de postuler. Encore faudrait-il identifier l’objet d’un tel espoir. Autrement dit, qu’attend-on au juste de la parole, pour se résigner si souvent à la non-parole ? Est-ce la vérité sur soi-même, sur les autres, sur la destinée ? Est-ce la communication, c’est-à-dire le rapprochement des êtres ? N’est-ce pas plutôt la simple affirmation de soi, de son existence, de son désir ? Tout cela, sans doute, mais plus que cela : plus, précisément, qu’en peut donner le discours. Ce serait alors dans cet excès de la demande adressée au langage qu’il faudrait voir l’origine du mutisme comme leitmotiv littéraire.

Plusieurs des œuvres envisagées en témoignent, tout n’est pas dicible. Limitée dans ses pouvoirs et dans son être même, la langue ne suffit pas à la tâche de couvrir le champ de la réalité, du vécu, et a fortiori du possible : [L]es mots à quelque chose manquent toujours, ou : il y a de l’impossible à dire. “. En vertu de quoi parler est toujours risquer de (se) faire illusion, d’occulter la part précieuse qui devrait mais ne peut se dire. Se taire, à l’opposé, est en manifester la présence. Tel est le paradoxe du silence pensif, méditatif, en fait une parole muette : le signe qu’il y a de l’indicible, et que cet indicible est l’essentiel. Que par ailleurs ce signe puisse être vide, mensonger, ne fait que le confirmer dans sa véritable nature de message.

Le plus souvent, certes, c’est la parole qui est donnée pour mensongère. On reconnait ici le thème de la trahison du langage : du fait de leur essence même, les mots font courir au locuteur un risque permanent de falsification. Par un contrecoup spécieux, l’inexprimé devient dès lors synonyme de vérité pure, le silence restant l’unique moyen de conserver cette vérité, de demeurer (solitaire) avec elle dans le contact le plus intime. Plus généralement, parler, c’est s’exposer, prendre le risque de donner à l’autre des armes contre soi : on peut proférer des choses erronées, ne pas trouver les mots qu’il faudrait, ou au contraire en dire trop, dévoiler ses intentions, ses faiblesses… Le danger est permanent. Il culmine dans ces situations où le trop-parler est cause de mort ; dans sa netteté hyperbolique, ce cas de figure illustre bien la menace inhérente à toute prise de parole, Cerces, le mutisme peut lui aussi s’avérer mortel. Mais le principal demeure : la fragilité radicale du sujet devant l’énonciation – que celle-ci s’accomplisse (car elle ne saurait échapper à quelque forme de ratage) ou qu’elle ne s’accomplisse pas, alors qu’elle l’aurait dû.

COMES, Silence (1979) © Casterman

Retraite ennoblissante pour la belle âme, poste embusqué du paysan matois, havre de ressourcement pour le héros meurtri, réaction grégaire contre l’individu indésirable, impuissance- à-dire rageuse ou désespérée, les variantes littéraires du mutisme sont nombreuses, et à première vue peu conciliables entre elles – surcout quand on leur associe, comme nous avons cru devoir le faire, les cas de parole laborieuse, réticente ou inhibée, Beaucoup de ces silences, d’ailleurs, sont gorgés de propos remués ou remémorés, ou encore s’avèrent plus “éloquents” que le discours auquel ils se substituent.

Rêve contradictoire d’une parole silencieuse, qui dirait le juste et le vrai sans s’exposer aux inévitables dérapages de la mise en mots. Rêve du laconisme, comme réduction du signifiant à son minimum vital. Mais rêve de parler, ou d’écrire, pour être la voix des sans-voix, de ceux pour qui le silence est une prison. On le voit, la place donnée au comportement verbal, dans l’œuvre de fiction, est nécessairement indicative d’un porte-à-faux et d’un choix primordial : parler n’est jamais simple, jamais “naturel.”

On a beaucoup glosé sur l’inconfortable rapport-à-la-langue qui caractériserait nombre d’écrivains belges, On a voulu en repérer l’origine dans les conditions sociologiques et historiques de ce petit pays sans homogénéité linguistique et culturelle, sans véritable identité nationale, La question ne nous parait pas close pour autant. Notre réflexion nous incite à accorder au rapport-à-la-parole, ce qui est différent, une importance au moins égale ; à ne pas en faire, jusqu’à plus ample informé, un caractère spécifique de cette littérature ; et à voir dans la situation même de l’écrivain, autant que dans celle du pays, la cause de cette interrogation sur la relation du sujet à l’incertitude du discours. Car, en fin de compte, ce que nous voulons désigner dans les termes de “déception”, d’”excès de la demande adressée au langage”, comment ne pas voir que cela reflète au plus juste les frustrations liées à l’écriture littéraire elle-même ? Ces personnages qui se retirent du parlé, qui rêvent du silence, qui suffoquent de ne pas trouver la formule adéquate, ne traduisent-ils pas dans le champ de la fiction l’inquiétude fondamentale de tout écrivant, face à l’imprévisible, à l’inhabitable du langage ?

Daniel LAROCHE

Cet article a été initialement publié dans la revue Ecriture n° 36 (automne 1990) sous le titre La parole inhabitable. Parcours thématique dans la littérature française de Belgique.


[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : le-carnet-et-les-instants.net | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © librel.be ; © Casterman.


Lire encore en Wallonie-Bruxelles…

DELEERSNIJDER : Marrakech, Maroc (2017, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

DELEERSNIJDER Stéphane, Marrakech, Maroc

(photographie, 62 x 46 cm, 2017)

Stéphane DELEERSNIJDER a obtenu une licence en philosophie à l’ULiège. Après avoir pratiqué la photographie en autodidacte pendant plusieurs années, il a suivi les cours de photographie à l’Institut Saint-Luc Promotion sociale de Liège.

Il y a dans ses photographies un caractère spontané d’associations, entre un passant et un objet de la rue par exemple. Il utilise principalement le noir et blanc, renforçant les contrastes que l’on retrouve dans toute son œuvre.

“Ombres et lumières, lucidité et aveuglement, blessures et cicatrisations, c’est l’histoire du balancement perpétuel de la vie humaine qui est racontée dans ce travail de Street Photography. Les contrastes, très présents, contribuent à faire cohabiter artificiel et naturel dans une sorte de complémentarité entre les traces de l’humain et ce qui ne dépend pas de lui… C’est dans le paysage urbain quotidien que se trame le plus simplement du monde le jeu entre l’ombre et la lumière. La solitude et l’errance, propres aux grandes villes modernes, y tiennent une place centrale.

Tout comme dans nos vies qui se nourrissent de rêves, de fictions et de récits, le photographe s’emploie à mettre chaque fois en scène le début d’une histoire. Ce projet s’attache à rendre l’ombre aussi élégante que la lumière. […]” S. DELEERSNIJDER

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Stéphane Deleersnijder ; karoo.me | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

MARLIER : Martine a 70 ans !

Temps de lecture : 12 minutes >

Martine est-elle toujours une icône de la littérature jeunesse ?

[RTBF.BE, 30 mars 2024] Martine est née en 1954 de l’imagination de Marcel Marlier et Gilbert Delahaye. Elle fête cette année ses 70 ans avec la parution de deux nouveaux livres : une nouvelle aventure sous forme de chasse au trésor Martine à Paris et un livre-hommage Martine l’éternelle jeunesse d’une icône de Laurence Boudart. À l’occasion des septante ans de Martine, l’équipe de Plan Cult s’est posé une question : comment fait-elle pour traverser les générations sans prendre une ride ?

Née en 1954, Martine est aujourd’hui une référence dans le monde de la littérature jeunesse, 60 albums différents traduits en une quarantaine de langues et plus de 160 millions d’exemplaires vendus mais aussi des milliers de couvertures détournées. Mais quelles sont les raisons de ce succès ? Et ce succès est-il toujours d’actualité ?

Martine est-elle toujours une icône ?

Pour le savoir nous avons rencontré Laurence Boudart, Docteure en lettres modernes et autrice du livre Martine l’éternelle jeunesse d’une icône. Laurence Boudart explique qu’aujourd’hui Martine est encore connue du grand public, car elle est rentrée dans l’imaginaire collectif, même les gens qui n’ont jamais lu Martine connaissent Martine.

Martine (pastiche de couverture) © DR

Martine est sortie du livre pour rentrer dans l’univers d’Internet dans l’univers des memes, dans l’univers des détournements, dans l’univers des parodies et est devenu une icône presque pop.

L’une des particularités de Martine c’est qu’elle est comme nous, dans les histoires de Martine, “il n’y a pas d’extraordinaire, pas de fée, pas de magie, pas de pouvoir secret, pas d’évènements qui sortent du normal.” Cette normalité permet aux lecteurs de s’identifier au personnage et d’être séduit par cette petite fille qui lui ressemble.

Martine est-elle en phase avec les héroïnes de 2024 ?

Daniel Delbrassine, professeur de littérature jeunesse à l’Université de Liège, nous explique que les héroïnes jeunesses d’aujourd’hui quittent les rôles de petites filles sages pour aller vers des rôles de filles “libres“.

Des filles libres qui choisissent leurs amours, qui choisissent leur carrière et parfois même qui ont un rôle qu’on pourrait dire dominant par rapport à leur partenaire masculin.

Martine n’est pas la plus rebelle des héroïnes mais malgré tout elle a quand même réussi à rester dans le coup. Pour Laurence Boudart, “un autre des secrets de longévité de Martine c’est le fait qu’elle a réussi à s’adapter au changement de la société. Ça se voit par exemple dans la mode, dans les vêtements qu’elle porte mais aussi dans l’attitude qu’elle a face aux évènements.

Philomène PARMENTIER, La Trois


Martine a septante ans

Marcel Marlier, Martine et… Patapouf © DR

[LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS.NET, septembre 2024] Connue de toutes et tous, souvent admirée et parfois décriée, Martine est une héroïne intemporelle qui affiche septante ans d’existence littéraire au compteur. Depuis 1954, ses soixante albums se sont vendus à plus de 120 millions d’exemplaires en français et 45 millions en langues étrangères. Comment cette création de la maison d’édition belge Casterman est-elle née et comment a-t-elle su séduire des millions de lecteurs au fil des générations ? Plongée au cœur de la petite fabrique Martine…

Une héroïne est née

Dans l’immédiat second après-guerre, la littérature pour la jeunesse est en pleine ébullition. En tant que lecreurs en herbe, les enfants du baby-boom constituent un nouveau marché à prendre, à qui les éditeurs souhaitent proposer un divertissement de qualité. À l’époque, la bande dessinée connait, on le sait, un développement important en Belgique francophone, notamment à travers des magazines comme Spirou ou Tintin. Ces périodiques se profilent comme des espaces de lancement de nouveaux héros, que l’on retrouve ensuite dans les albums à succès que publient les grandes maisons francophones, telles Dupuis, Lombard ou Casterman. Parallèlement à celui de la BD, un aurre secteur destiné à l’enfance se déploie : l’album illustré. C’est ainsi qu’apparait en 1953, au sein de la maison d’édition Casterman, la collection pour l’enfance Farandole. Celle-ci va rapidement accueillir une ribambelle d’albums animaliers destinés aux enfants de 5 à 8 ans. Très colorées, ces histoires se présentent sous la forme de livres d’une vingtaine de pages reliées sous une solide couverture cartonnée, où textes et images dialoguent. La production en série de ces nouveaux venus dans le paysage éditorial est facilitée par les évolutions de l’imprimerie offset. Celle-ci permet une fabrication en grand nombre à prix réduit et, par conséquent, une présence massive dans de nombreux points de vente, à un tarif accessible à toutes les bourses.

Dans ce contexte d’effervescence, Louis-Robert Casterman demande à deux de ses collaborateurs, Gilbert Delahaye et Marcel Marlier, d’imaginer une nouvelle héroïne. Le secteur manque en effet d’un personnage féminin en laquelle les petites filles et, dans une moindre mesure, les petits garçons pourraient se reconnaitre. Certes, le concurrent français Hachette vient juste de lancer la série Caroline, du nom de cette fillette aux couettes blondes et à la dynamique salopette rouge imaginée par Pierre Probst. Mais une place reste à prendre sur le marché franco-belge pour une héroïne qui puisse servir de modèle d’identification.

Le directeur de la maison tournaisienne connait bien le travail de Gilbert Delahaye (1923-1997), dont il apprécie le style d’écriture. Né en Normandie, ce poète franco-belge vit à Tournai depuis l’enfance. En 1944, il intègre la maison Casterman comme typographe-correcteur et, en 1949, il crée, avec plusieurs autres auteurs, le groupe Unimuse, du nom de cette association tournaisienne qui stimule et fédère, aujourd’hui encore, l’activité poétique du Tournaisis. Quant à Marcel Marlier (1930-2011), après avoir terminé des études en arts décoratifs à l’École Saint-Luc de Tournai et s’être fait remarquer en illustrant des livres religieux et pédagogiques, il intègre Casterman en 1951. L’éditeur lui confie l’illustration d’albums animaliers de la nouvelle collection Farandole ainsi que l’exécution des couvertures de romans classiques pour la jeunesse, tels ceux de la comtesse de Ségur, d’Alexandre Dumas ou de Pearl Buck. Entre 1953 et 1980, il assume l’illustration d’une cinquantaine d’albums, en plus de ceux de la série Martine, comme, entre autres, les histoires de Jean-Loup et Sophie. Ces douze aventures sont entièrement conçues par Marlier, qui prend en charge le scénario et l’illustration.

Le premier album né du duo formé par Delahaye et Marlier parait en 1954. Les lecteurs y découvrent le personnage de Martine en visite à la ferme. Encore un peu mal assurée mais déjà très curieuse, la petite fille découvre les animaux qui peuplent l’exploitation en compagnie d’une amie. Dès ce ballon d’essai, le succès est au rendez-vous et la collaboration entre les deux hommes – qui commencent par travailler chacun de leur côté, sans se concerter – devient rapidement très féconde. En effet, Casterman attend des auteurs qu’ils produisent un album par an, dont la sortie est attendue pour l’automne. La fibre poétique de Delahaye s’associe au réalisme de Marlier pour créer des atmosphères et des aventures originales, qui ravissent petits et grands. Si les premières histoires se composent de saynètes illustrées indépendantes les unes des autres, la trame narrative s’étoffe au fil du temps, en même temps que s’estompent progressivement les messages les plus édifiants.

À la mort de Delahaye en 1997, Jean-Louis Marlier, le fils cadet de Marcel, prend le relais. Il assumera l’écriture des douze derniers albums parus entre 1999 et 2010. Dans un document manuscrit conservé aux Archives générales du Royaume à Tournai, Delahaye s’exprime sur cette association : “Illustrateur et scénariste doivent accorder leurs instruments dans la complémentarité. Le hasard n’est pas l’unique explication du succès. Marcel Marlier est un professionnel méticuleux, soucieux du détail, doublé d’un artiste. Nos chemins se sont croisés. Nous étions tous deux sensibles à la poésie de la nature et de l’enfance.

Portrait et évolution du personnage

La ‘poésie de la nature et de l’enfance’ apparait en effet comme un dénominateur commun à toutes les histoires que vit la fillette. Chaque album explore un thème précis lié à la découverte d’un monde proche et réaliste. Martine est une petite fille enthousiaste et joviale, qui aime jouer, s’amuser et apprendre de nouvelles choses dans un environnement bienveillant et pacifique. En fait, les aventures de Martine parviennent à conjuguer deux éléments apparemment irréconciliables : la normalité et le rêve. Tout en se reconnaissant dans le quotidien de leur héroïne fétiche, qui ressemble au leur, les enfants aspirent à vivre les mêmes aventures qu’elle. Apprendre à nager, grimper en montgolfière, faire du vélo ou du camping, participer à une pièce de théâtre ou à un défilé de chars fleuris, prendre soin d’un moineau tombé du nid ou d’un âne récalcitrant : telles sont quelques-unes des prouesses ordinaires qu’accomplit Martine. Servie par des illustrations à l’esthétique immédiatement reconnaissable, la série invite les enfants à s’immerger dans des histoires simples, qui célèbrent une enfance idéale et rassurante.

Né dans l’essor des Trente Glorieuses, le personnage vit ses premières aventures au sein d’un monde que fascinent le progrès matériel, l’accès aux loisirs et les nouveaux modes de consommation. À partir des années 1970, au diapason de l’évolution de la société qui libère les femmes et tient davantage compte des enfants, Martine gagne en autonomie. Elle s’adonne à de nouvelles activités, notamment sportives, et élargit son horizon. Au cours des décennies 1980 et 1990, certaines trames s’étoffent et des problèmes mineurs apparaissent dans la vie de Martine – comme dans un effet d’écho adouci du monde réel. Avec l’entrée dans le 21e siècle, l’imaginaire fait son apparition dans la série, tandis que la nature, déjà bien présence depuis toujours, acquiert une place prépondérante.

Face à la critique

Tant populaire que commercial, ce succès exceptionnel a aussi donné lieu à de nombreuses critiques. En effet, on a reproché à la série d’entretenir un type d’éducation très genré, qui maintiendrait les petites filles dans une image stéréotypée. On critique Martine pour son univers trop lisse et ses aventures parfaites, on incrimine son côté mièvre et ringard, on se moque de sa plastique désuète, on fustige son discours conservateur. S’il est vrai que l’éditeur lui-même a pris la mesure de certaines adaptations nécessaires en faisant réécrire récemment l’ensemble des albums, de telles accusations demandent cependant à être nuancées. Il faut en effet se souvenir que la série vise avant tout à offrir une image idéalisée de l’enfance. Martine a la chance de grandir au sein d’une famille aimante et dans un univers duquel le malheur et les difficultés majeures sont absents. Elle reçoit de la société et des adultes qui l’encourent le meilleur qu’ils one à lui offrir et ceuxci attendent en retour que Martine se montre reconnaissante et bien élevée. Toutefois, la politesse, le respect et la tolérance ne souffrent dans la série d’aucun filtre genré : garçons et filles s’y prêtent de bonne grâce.

Quant aux activités, elles sont partagées par les uns et les autres. Martine et son frère font la cuisine – mais c’est elle qui dirige les opérations que Jean exécute -, ils s’amusent de conserve à la foire, au parc ou lors d’une fête d’anniversaire, ils font la course à la piscine ou sur les pistes de ski. Les activités que l’on pourrait considérer comme strictement féminines (comme la danse) se comptent sur les doigts d’une main.

Célébrer septante ans d’une existence éditoriale signifie aussi avoir vu le jour à une époque où les femmes venaient à peine d’acquérir le droit de vote en Belgique et où la plupart d’entre elles étaient encore largement cantonnées à l’espace domestique. Les premières aventures de Martine restent naturellement marquées par ce contexte social et véhiculent parfois des représentations propres à ce moment historique. Néanmoins, il est cout à fait possible, en se gardant de mauvaise foi, d’identifier les possibilités d’ émancipation offertes à la coure jeune Martine. Celle-ci s’initie à un large éventail d’activités, sans que jamais sa condition de petite fille ne représente une entrave. En cela, elle peut apparaitre comme un modèle à suivre : celui d’une héroïne du quotidien qui décide et prend des initiatives, loin finalement de l’image dans laquelle on l’a parfois enfermée. Relire la série dans son ensemble permet de saisir le personnage dans toutes ses dimensions et, de ce fait, de mieux comprendre les raisons d’une popularité unique en son genre.

Une icône intemporelle

De 1954 à aujourd’hui, Martine a traversé toutes les modes et a intégré subtilement les changements de la société. Son mode de vie, ses activités, la manière donc elle aborde ses aventures mais également son style vestimentaire ont évolué au fil du temps, à rel point que la fillette des Golden Sixties n’a plus grand-chose à voir avec le personnage en jeans et baskets (si, si !) qui mène campagne contre la disparition des insectes. Cependant – et il s’agit là d’un nouveau tour de force à mettre à son actif -, pour la plupart des lecteurs, son image reste intacte et reconnaissable au premier coup d’œil. Il faut dire qu’après avoir connu une destinée internationale hors du commun (ses albums sont traduits dans une trentaine de langues donc, depuis 2023, le chinois), Martine est devenue une icône intermédiale. En 2012, on la retrouve comme personnage d’une série animée comptant une centaine d’épisodes, tandis que, depuis plusieurs années, un site propose de créer soi-même sa propre couverture de Martine. Depuis près de vingt ans, une véritable martinemania envahit Internet et les réseaux sociaux. Rares sont les événements de l’actualité qui ne suscitent pas un détournement humoristique. Loin de nuire au personnage, dont les albums enregistrent aujourd’hui encore des ventes de 400.000 exemplaires en moyenne par an, il semblerait que ces pastiches contribuent à renouveler en permanence la communauté d’initiés. La popularité de Martine rayonne tous azimuts, dans et hors du livre, confirmant sa présence dans l’imaginaire collectif. Inauguré en 2015, le Centre d’interprétation Marcel Marlier, dessine-moi Martine propose un parcours de visite consacré au dessinateur de Martine, né à Herseaux, à quelques encablures de là. Documents d’archives, planches et croquis originaux, témoignages, vidéos et objets prolongent l’expérience de la lecture.

Le renouveau

À partir des années 2010, la série historique aux soixante albums est entièrement réécrite, en accord avec les ayants-droit. Les couvertures sont déclinées dans des tons pastel et le graphisme est revu pour se conformer aux tendances contemporaines. Seuls les dessins de Marcel Marlier restent intacts, tant dans leur composition que dans leur séquençage. Il faut dire que la célébrité de Martine doit énormément au dessinateur qui, infatigablement, six décennies durant, a façonné le visage et l’allure de l’iconique fillette.

Martine petite maman © Casterman

À quoi est dû ce changement narratif et comment se manifeste-t-il ? Après avoir analysé le lectorat de Martine, Casterman se rend compte que celui-ci a rajeuni. De 7 à 8 ans à l’origine, l’âge moyen du lecteur se situe désormais autour de 4 à 5 ans – soit un âge où la majorité des enfants ne savent pas encore lire. Il faut donc non seulement que le texte soit adapté à cette tranche d’âge, mais également que la lecture puisse s’accomplir lors d’une seule séance. En outre, certains termes ou concepts devenus obsolètes sont actualisés. Voilà pourquoi les nouveaux textes donnent l’impression d’avoir été raccourcis et simplifiés. Dans le but d’atténuer les stéréotypes de genre et de mieux correspondre aux attentes de la société, quelques titres sont modifiés, tel le célèbre (et critiqué) Martine petite maman, devenu Martine garde son petit frère. Afin de rendre la lecture encore plus dynamique, la dimension dialoguée est renforcée. Toutes ces opérations de réécriture sont confiées à la même personne, Rosalind Elland-Goldsmith, traductrice, autrice et éditrice jeunesse, titulaire d’un doctorat en lettres avec une thèse portant sur l’adaptation des classiques de la littérature jeunesse.

Depuis 2021, Elland-Goldsmith se charge également de la composition et de l’écriture des nouveaux albums de Martine. Alors que les versions originales, les éditions vintage et les albums dérivés continuent d’être commercialisés, ces nouveaux venus dans l’univers Martine suivent une logique thématique. Après Martine au Louvre, Martine au château de Versailles et Martine en Bretagne, sortis, comme jadis, au rythme d’un album par an, Martine à Paris parait en 2024 – Jeux olympiques obligent ! Et le prochain titre est déjà sur les rails : on murmure en coulisses qu’il emmènera l’héroïne sur la Côte d’Azur. Puisque Marcel Marlier avait émis le souhait de ne pas voir son personnage fétiche vivre sous le crayon d’un autre artiste, le principe de ces nouveaux albums est simple. Il consiste à sélectionner des images dans des titres existants pour composer de toutes pièces une aventure inédite, en jouant sur l’association entre dessins et photos originales. Du point de vue narratif, l’autrice veille à varier les styles, en proposant, par exemple, un album épistolaire pour l’aventure bretonne. Avec un rel palmarès et une nouvelle vie éditoriale qui se dessine, gageons que Martine, championne de l’édition franco-belge, n’a pas fini de faire parler d’elle !

Laurence Boudart, auteure de Martine, l’éternelle jeunesse d’une icône (2024)


EAN 9782203252141

“Laurence Boudart sort un bel album récapitulatif sur la brillante carrière éditoriale de Martine qui est ‘née’ en 1954 dans la maison Casterman à Tournai, fille du dessinateur Marcel Marlier et du narrateur Gilbert Delahaye, qui se définissait comme un “poète naïf.” Une paire de pères, en quelque sorte. La longue et belle vie de Martine a commencé quasi par hasard… comme la tarte Tatin ou le Kir. Et le succès fut immédiat. Après l’évocation de ces débuts, l’autrice balaie les très nombreux volumes d’aventures de la petite fille la plus célèbre de Belgique (et pas seulement). Elle en a connu, des aventures !! Elle fait du sport, elle part en vacances, elle va à l’école et aussi à la campagne, elle fait du cheval, elle prend l’avion, elle fait de la musique, de la voile et du camping… j’en passe et des meilleures. L’ensemble des qualités de Martine qui “incarne une jeunesse dynamique et dégourdie, assurée et confiante en l’avenir, prête à multiplier les expériences” tourne un peu au dithyrambe au fil de cette énumération…” [lire la suite de l’article sur LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS]


[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : rtbf.be ; le-carnet-et-les-instants.net | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © Centre Marcel Marlier ; © DR ; © Casterman.


Plus d’illustration et de BD en Wallonie-Bruxelles…

FELGENHAUER : Devenir (2020, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

FELGENHAUER Barbara Salomé, Devenir

(photographie, n.c., 2020)

Née à Huy en 1992, Barbara Salomé FELGENHAUER est diplômée de l’atelier de photographie à l’ESA Saint-Luc à Liège en 2013 et de l’ENSAV La Cambre à Bruxelles en 2022. Elle obtient son master avec la mention grande distinction et le Prix de la Fondation Boghossian 2022 avec son projet Terrapolis. En 2023, elle est lauréate du Prix Fintro, Bruxelles. La même année, trois de ses photographies ont intégré la collection publique du BPS22 en 2023. 

Elle travaille actuellement à Bruxelles dans son atelier au sein des Ateliers Mommen.

De la série “J’ai rêvé l’obscur”, d’après le livre Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique de Starhawk, publié en 1982 aux USA.

“J’ai rêvé l’Obscur s’inspire librement d’écoféminisme et de ses dimensions païenne et spirituelle. Il propose une autre vision du monde inspiré de diverses croyances, fait de déesses, de vierges et de sorcières, de rocailles et de grottes, de mythes et de rêves…
Ici, on parlera de puissance plutôt que de pouvoir. C’est l’univers des forces invisibles de la Nature, un monde où l’on (re)ferait corps avec la Terre. Il relie le spirituel au politique, le sacré au profane. Ce propos n’a aucune visée dogmatique. C’est une attraction, une spiritualité qui m’est propre.” d’après BARBARASALOMEFELGENHAUER.BE

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Barbara Salomé Felgenhauer ; mjb-jmb.org | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

DELVAUX, Paul (1897-1994)

Temps de lecture : 7 minutes >

[GALERIE-INSTITUT.COM] Né en 1897 à Antheit en Belgique, Paul Delvaux reçoit une éducation bourgeoise vécue comme un carcan. Il étudie l’architecture à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, orientation qu’il abandonne après un an. Il revient à l’Académie en 1919 dans l’atelier de Constant Montald professeur de peinture décorative et monumentale.

Après les années d’apprentissage et de recherche de soi, traversées par l’influence de grandes tendances telles que le post-impressionnisme et l’expressionnisme très marqué par James Ensor, plusieurs inspirations rencontrées dans la première moitié des années trente conduisent Delvaux vers l’élaboration de son univers.

DELVAUX Paul, Femmes devant la mer (1927) © Fondation Paul Delvaux

Le musée Spitzner, musée anatomique et forain, sorte de cabinet de curiosité, découvert en 1932, lui révèle une “Poésie du Mystère et de l’Inquiétude.” Au printemps 1934, l’exposition Minotaure organisée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles par Albert Skira (créateur avec Tériade en 1932 de la revue parisienne homonyme) et Edouard-Léon-Théodore Mesens (l’un des fondateurs du surréalisme en Belgique) constitue un autre moment décisif dans l’œuvre de Delvaux. Dans l’exposition, Mystère et mélancolie d’une rue de Giorgio de Chirico, 1914 (collection privée), le marque profondément. Des sentiments semblables de mélancolie, de silence, et d’absence, sinon de vide – malgré la présence de personnages –, se retrouvent dans sa peinture. L’œuvre du peintre lui “enseigne la poésie de la Solitude.” A ces deux découvertes majeures s’ajoute la peinture de son compatriote René Magritte, surréaliste depuis près de dix ans. Sa peinture partage avec celle de Magritte une forme de mystère poétique ainsi qu’une facture lisse et une attention très soignée aux détails.

A la fin des années trente, les fondements de l’œuvre de Delvaux telle que nous la connaissons, profondément onirique, sont établis. Le peintre orchestre des rencontres insolites d’objets dans des atmosphères figées et silencieuses, peuplées de figures absentes les unes aux autres. Le monde de rêverie poétique de Delvaux présente des analogies évidentes avec le surréalisme. L’artiste participe en 1938 à l’Exposition internationale du surréalisme organisée par Breton et Paul Eluard à la galerie des Beaux-Arts à Paris, avec Propositions diurnes (La Femme au miroir) peint en 1937 (Boston, Museum of Fine Arts). La même année, L’Appel de la nuit, 1938 (Édimbourg, National Galleries of Scotland) est reproduite dans Le Dictionnaire abrégé du surréalisme.

Deux années de suite Delvaux voyage en Italie. Il visite Rome, Florence, Naples, Pompéi et Herculanum. Des décors d’architecture antique s’imposent de plus en plus dans sa peinture, sans doute influencés par la peinture italienne. Son œuvre est fortement nourrie d’histoire de l’art de l’Antiquité à ses contemporains en passant par la Renaissance italienne et nordique, l’École de Fontainebleau, Poussin, Ingres, etc. On y reconnait une figure, un geste, une attitude, les architectures en perspective très construites.

Les principaux thèmes autour desquels s’articule son travail sont également quasiment fixés à la fin des années trente. Le motif des gares plongées dans un climat de mystère, les éléments d’architecture classique, la femme, nue ou partiellement vêtue, fil rouge de tout son œuvre.

Delvaux a fait de l’univers l’empire d’une femme toujours la même qui règne sur les grands faubourgs du cœur, où les vieux moulins de Flandre font tourner un collier de perles dans une lumière de minerai” écrit André Breton en 1941 [Genèse et perspective du surréalisme, 1941]. L’artiste confie quant à lui “c’est toujours la même femme qui revient avec, quand elle est habillée, la même robe ou à peu près. Quand elle est nue, j’ai un modèle qui me donne plus ou moins la même anatomie. La question n’est pas de changer [les éléments], la question est de changer le climat du tableau. Même avec des personnages qui sont les mêmes on peut faire des choses tout à fait différentes.”

DELVAUX Paul, La Mise au tombeau (1953) © Fondation Paul Delvaux

Quant aux hommes, ils sont à peu près toujours représentés par la même figure masculine, du moins lorsque ce n’est pas l’artiste lui-même. L’homme est vêtu de couleurs sombres, le plus souvent affairé. Il incarne pour Delvaux “l’homme de la rue“, c’est-à-dire “un petit bonhomme avec un menton en galoche et un grand chapeau boule assez volumineux” – l’on pense bien sûr à Magritte. Deux personnages masculins extraits des illustrations des Voyages extraordinaires de Jules Verne, aux éditions Hetzel, imprègnent son œuvre : le géologue Otto Lidenbrock et l’astronome Palmyrin Rosette. On retrouve Otto Lidenbrock dans Les Phases de la lune 1939 (New York, MoMA). Enfin, les squelettes, sont un autre motif récurrent. Ils apparaissent un peu plus tardivement. L’artiste en dessine d’après nature au musée d’Histoire naturelle en 1940. Surtout armatures de l’être vivant, les squelettes sont pour lui des personnages expressifs et vivants. Il les représente à contre-courant, dans la vie, dans des situations du quotidien, dans un bureau, un salon, etc.

Après la guerre les expositions collectives et personnelles ainsi que les grandes rétrospectives en Belgique et à l’étranger se multiplient. L’œuvre de Delvaux commence à conquérir les Etats-Unis. Jusqu’aux milieu des années soixante, la réception de son œuvre est cependant mitigée. Ses envois à la Biennale de Venise sont régulièrement fustigés pour leur immoralité et leur caractère scandaleux. Sa rétrospective au Stedelijk Museum voor Schone Kusten d’Ostende en 1962 crée de nouveau un scandale : elle est sanctionnée d’interdit aux mineurs.

En 1950, Delvaux est nommé professeur de peinture monumentale à l’École nationale supérieure des arts visuels de Bruxelles (La Cambre) où il enseigne jusqu’en 1962. Sa première expérience de décoration date de quelques années antérieures, avec le décor du ballet Adame Miroir de Jean Genet, créé le 31 mai 1948 sur la scène du Théâtre Marigny à Paris. Son poste de professeur à La Cambre favorise indubitablement la multiplication des commandes de décorations, qui vont se prolonger bien au-delà de ses années d’enseignement : la salle de jeux du Kursaal d’Ostende (1952), la maison Gilbert Périer, directeur de la Sabena à Bruxelles (1954-1956), le Palais des congrès de Bruxelles (1959), l’Institut de Zoologie de l’Université de Liège (1960), le Casino de Chaudfontaine (1974), les costumes du ballet de Roland Petit, La Nuit transfigurée (1976), la station de métro Bourse de Bruxelles (1978).

DELVAUX Paul, La Fin du voyage (1968) © Fondation Paul Delvaux

L’œuvre de Delvaux atteint la reconnaissance et la consécration dans les années soixante, qui ont pour toile de fond les révolutions culturelles et les mouvements de libération. En parallèle des rétrospectives à Lille, Paris, Bruxelles et des grandes expositions autour du surréalisme auxquelles il participe, il accumule les nominations et les récompenses prestigieuses jusqu’à la fin des années soixante-dix, en particulier des institutions royales de Belgique.

En France, il est nommé Chevalier de la Légion d’Honneur en 1975 et en 1977 devient membre de l’Institut de France. 1979 voit la création de la Fondation Paul Delvaux, dont l’un des objectifs est la constitution d’un musée à Saint-Idesbald à l’initiative de son neveu Charles Van Deun. Le musée Paul Delvaux est officiellement inauguré en 1982. A plus de quatre-vingt ans l’artiste continue de peindre.

A la mort de sa femme, Tam (Anne-Marie de Maertelaere), le 21 décembre 1989, Delvaux cesse son activité. Le célèbre Salon des Indépendants, à Paris, lui consacre en 1991 une rétrospective Paul Delvaux Peintures-Dessins 1922-1982. Son quatre-vingt-dixième anniversaire est célébré par des expositions en Belgique, en France et au Japon. Il meurt dans sa maison de Furnes en Belgique le 20 juillet 1994.

Anne Coron


Ne m’oublie pas… Où l’on voit une ombre du passé rôder dans des tableaux.

[NEWSLETTERS.ARTIPS.FR] 1929. Paul Delvaux, jeune figure de la peinture belge, rencontre une certaine Anne-Marie de Martelaere, dite Tam. Par chance, c’est un coup de foudre réciproque ! Hélas, leurs proches ne voient pas cette union d’un bon œil. La mère autoritaire de Paul s’y oppose, tandis que les parents de Tam ne veulent pas d’un peintre au succès timide et à la fortune incertaine. La mort dans l’âme, Paul promet de ne plus revoir Tam. De cet épisode malheureux, l’artiste garde un goût amer…

Portrait de Paul Delvaux, vers 1940 © DR

Côté carrière cependant, l’artiste progresse. En 1934, alors que Paul Delvaux cherche son style, c’est la révélation : il vit un choc esthétique face aux œuvres de Giorgio De Chirico. Sa voie sera celle du surréalisme, un mouvement qui explore l’inconscient et les rêves. Dans ses toiles, Delvaux compose alors un univers peuplé d’éléments récurrents liés à ses obsessions : des gares, des squelettes, de mystérieux personnages masculins parfois tirés de romans de Jules Verne, et surtout des femmes. Tantôt nues, tantôt vêtues de longues robes, ces figures évanescentes et inaccessibles ne croisent jamais le regard des autres. Peut-être symbolisent-elles Tam, l’amour perdu de Paul ?

Je voudrais peindre un tableau fabuleux dans lequel je vivrais, dans lequel je pourrais vivre.

Paul Delvaux

C’est en tout cas ce style mélancolique, empreint d’une douce étrangeté, qui fait le succès de ses toiles. Delvaux vit sa consécration sans jamais oublier Tam, qui lui manque toujours malgré le temps qui passe. Mais le hasard fait parfois bien les choses…. À l’été 1948, alors qu’il passe ses vacances sur la côte belge, Paul Delvaux reconnaît une voix familière dans une librairie. C’est celle de Tam ! Désormais gouvernante, elle ne s’est jamais mariée. Paul n’hésite pas : il décide cette fois de n’écouter que son cœur et d’enfin vivre aux côtés de son grand amour, rencontré vingt ans plus tôt. Et lorsque Tam s’éteindra, après de belles et longues années en commun, Paul posera définitivement ses pinceaux…


2024 – Ceci n’est pas une pipe, mais bien un anniversaire : joyeux anniversaire le surréalisme ! Il y a cent ans, en 1924, André Breton publiait le Manifeste de ce mouvement d’avant-garde qui a inspiré écrivains et artistes de tout poil en France comme ailleurs… et notamment chez de proches voisins… la Belgique a aussi joué un rôle majeur dans son histoire, avec des créateurs géniaux comme René Magritte, Paul Delvaux mais aussi Jane Graverol et Raoul Ubac. [NEWSLETTERS.ARTIPS.FR]

Pour en savoir plus :

      • Les mondes de Paul Delvaux est une exposition rétrospective tenue à Liège (BE) en 2024-2025 ;
      • Le Surréalisme en 3 minutes sur beauxarts.com ;
      • La FONDATION PAUL DELVAUX créée en 1979 veille aux intérêts de l’artiste selon les désirs formulés par le peintre lui-même, qui lui légua ses Collections, ses Archives et la gestion de ses Droits d’auteurs. Elle participe à une meilleure connaissance de l’oeuvre et, à ce titre, elle mène un travail de recherche et elle initie ou participe à des projets destinés à tous les publics tant en Belgique qu’à l’étranger…

[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : galerie-institut.com ; artips.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © Fondation Paul Delvaux ; © DR ; © oniriq.fr ; © delvaux.com ; © france.tv.


Plus d’arts visuels en Wallonie…

HEUSCHEN : Waterloo, morne plaine ? (CHiCC, 2001)

Temps de lecture : 6 minutes >

“Waterloo, morne plaine ?” Il est tentant d’emprunter ce titre à Victor Hugo, chantre inégalé d’une des batailles les plus ancrées dans l’imaginaire collectif, notamment en Wallonie. En réalité, le champ de bataille de Waterloo n’est pas une plaine, mais l’essentiel n’est pas là. D’entrée de jeu, il me paraît plus important de souligner ma préoccupation de ne pas faire de la stratégie en chambre, mon manque de goût pour l’uniformologie et mon pacifisme, que l’étude de l’époque napoléoniennne ne cesse de renforcer.

Quelle est la situation de notre région, au moment où l’Armée française du Nord va y pénétrer, en juin 1815 ? Nous sommes, par la volonté de l’Angleterre, finalement devenus hollandais, bien que la rive droite de la Meuse ait failli tomber dans l’escarcelle de la Prusse. A la nouvelle du retour de Napoléon en France, une armée prussienne de 120.000 hommes stationne entre Charleroi et Liège. Liège, où, quelques jours avant Waterloo, le vieux Maréchal Blücher échappe de peu à un massacre par les troupes saxonnes, en principe alliées des prussiens ! Entre la mer du Nord et Mons, se trouve une armée hétéroclite de 90.000 hommes, anglo-écossais, mercenaires allemands combattants pour l’Angleterre, Hanovriens, Nassauviens, Brunswickois et Hollandais. La dénomination “Hollandais-belges” est évidemment trompeuse. Qu’on le veuille ou non, nous sommes hollandais, et les anciens grognards engagés dans l’armée des Pays-Bas le savent bien, eux qui ont été rétrogradés, et qui comprennent tout à coup qu’ils vont devoir tirer sur leurs anciens compagnons d’armes. Durant les cent-jours, beaucoup d’entre eux désertent et vont retrouver leurs anciens régiments dans l’armée impériale, refusant la curieuse proposition de Napoléon qui voulait que les belges s’engagent dans un “régiment étranger”.

La France sait qu’elle est lancée dans une course de vitesse. En principe, le temps travaille contre elle. En quelques semaines , Davout et Carnot, qui ont tous deux des adjoints liégeois, rééquipent une armée efficace, dont 125.000 hommes vont se porter en Belgique, en se regroupant discrètement vers Beaumont et Philippeville, alors françaises. La troupe a retrouvé l’état d’esprit des armées de la République, et est animée d’un désir de vengeance, surtout chez ceux qui ont fréquenté les prisons prussiennes ou les pontons anglais. Le plan de bataille est admirablement conçu, mais le nouveau chef d’Etat-major, le détesté et détestable Maréchal Soult, oublie de convoquer la cavalerie, ce qui épuise cette arme en marches forcées dès avant la campagne. Où sont les grosses épaulettes ? En fuite à Gand, avec Louis XVIII, terrées dans leurs châteaux, ou, choix étrange de Napoléon, reléguées dans des rôles secondaires, comme le très intelligent Suchet ou comme Jourdan, le vainqueur de Fleurus et d’Esneux-Sprimont en 1794. Passons sur la trahison du général de Bourmont, qui n’eut aucune conséquence pratique mais a permis à des générations d’historiens bonapartistes de trouver une cause à la défaite qui n’impliquait pas “l’Idole” .

Le 15 juin 1815, l’année du Nord passe la Sambre à Charleroi et se porte principalement vers l’armée prussienne. Le choc, brutal, a lieu à Ligny le lendemain. 78.000 Français affrontent 83.000 Prussiens. Le corps d’armée stationné à Liège n’a pas eu le temps de rallier. Les pertes sont sévères : 10.000 Français et 20.000 Prussiens. Tous seront soignés par les services de l’admirable Percy, chirurgien de la ligne, tandis que son confrère Larrey, le chirurgien de la Garde, sera à Waterloo. Cette “dernière victoire” de Ligny n’est pas complète. Vingt mille Français exécutent une navette inutile entre Ligny et les Quatre-Bras, à l’Ouest, où le maréchal Ney, à qui, la veille de la campagne, Napoléon a confié l’aile droite, tergiverse. Hésitation qui permet aux alliés de renforcer leur position à ce carrefour, bien que Wellington ne prenne pas conscience du danger. Celui qui deviendra beaucoup plus tard, et pour d’autres raisons, “The Iron Duke”, assiste à un bal et pense que Napoléon, qu’il craint cependant, est encore loin. Après le massacre réciproque des Quatre-Bras, 5.000 morts dans chaque camp, l’Empereur, le 17 juin, avec les deux tiers de l’armée, se lance dans une poursuite frénétique des anglo-germano-hollandais. Hasard ou pas, la course s’achève juste avant le village de Waterloo. Un an auparavant, Wellington avait repéré l’endroit pour y attendre “Bony” au cas où celui-ci s’échapperait de l’Ile d’Elbe. La cuvette de Waterloo offrait à Wellington la possibilité d’user de la tactique, éprouvée en Espagne, de la contrepente, à savoir placer ses troupes à l’abri d’une crête et y attendre l’offensive adverse pour la fusiller à bout portant. En même temps, Napoléon confie 33.000 hommes, beaucoup trop ou beaucoup trop peu, au dernier promu des Maréchaux, Grouchy, afin de poursuivre les Prussiens supposés en déroute.

Le 18 juin 1815, entre Mont-Saint-Jean et Belle Alliance, au matin, 75.000 alliés font face à 75.000 Français. Parmi ces derniers, autant de Wallons que dans le camp d’en face, ce qui met à mal la fiction d’une armée hollando-belge soudée face à un envahisseur venu du sud. Les phases de la bataille sont terribles dans leur simplicité : une attaque de diversion par l’aile gauche, menée par un frère de Napoléon, et, qui va s’épuiser à essayer de prendre une ferme brabançonne à la baïonnette, une avancée de la droite en colonnes serrées, magnifiques cibles pour les artilleurs alliés, de sanglants combats de cavalerie, où l’on s’étripe pour un drapeau, une dizaine de charges de la cavalerie française, menée par l’imprudent Ney, contre des carrés anglais qui plient mais ne rompent point, et pour terminer, une offensive désespérée d’une partie de la Garde. Depuis plusieurs heures, les autres bataillons de la Garde tentent de contenir les Prussiens, qui depuis le début de l’après-midi se répandent de plus en plus nombreux sur le flanc français. Lorsque, pour la première fois, le cri “La Garde recule !” retentit, c’est la panique. Il ne reste aux carrés de vielle et moyenne garde qu’à écrire la dernière page de l’épopée, et au Général Cambronne à, peut-être, prononcer un certain mot.

Waterloo est une des batailles les plus meurtrières de l’époque. Environ 50.000 hommes, dont 30.000 Français restent sur le terrain, morts ou blessés. Certains blessés français ne seront pris en charge que quatre jours après la bataille. On dit qu’à la moisson suivante, les blés de Waterloo étaient particulièrement beaux. L’armée Grouchy, qui n’a pas marché au canon, mais elle n’a fait qu’appliquer les ordres plus ou moins clairs de Napoléon et de Soult, prend Wavre, puis fait retraite avec ses blessés par Namur, avec la complicité de la population, pas fâchée de jouer un tour aux Prussiens.

Une autre issue à Waterloo était-elle possible ? Il est à peu près certain que, sans l’arrivée des hommes de Blücher , le front allié aurait fini par céder. Le 19 juin 1815, l’armée française aurait bivouaqué à Bruxelles. L’espoir de Napoléon était de forcer ses adversaires à signer un traité de paix, qui lui aurait conservé nos régions. Espoir fou, même à supposer que les Anglais reprennent le bateau à Ostende, ce que manifestement Wellington avait préparé, et que les Prussiens fuient vers la Rhénanie. Espoir vain, car plus de 400.000 Russes et Autrichiens se préparaient à entrer en Alsace, où ils n’auraient rencontré qu’un rideau de troupes. 1814 recommençait, en plus terrible sans doute.

Qui a gagné le 18 juin 1815 ? L’Angleterre, qui gagne enfin la guerre séculaire avec la France, les familles Wellington et Rothschild, la Prusse, qui s’installe sur le Rhin, la Hollande, qui trouve une légitimité qu’elle va matérialiser par l’orgueilleux “Lion”, et, provisoirement, l’Ancien régime. Quinze ans plus tard, la Révolution gronde à nouveau partout en Europe, et notamment en Belgique. Paradoxalement, c’est une armée française qui, en 1831-32, interviendra au nom des Puissances pour sauver le jeune Royaume de Belgique.

Qui a perdu à Waterloo ? la France, qui rentre dans le rang, paye une lourde contribution de guerre, perd la Savoie, la Sarre, le Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse et Bouillon. Napoléon, mais il veillera à écrire sa propre légende à Sainte-Hélène. Les généraux français déchus, parfois fusillés, et les grognards, notamment liégeois, qui cultiveront leur nostalgie, comme l’exprime si bien la chanson Li Pantalon trawé.

Les visiteurs du champ de bataille ne s’arrêtent pas toujours à la Colonne Hugo, le seul monument local consacré à une personne qui n’a pas participé au combat. La colonne reproduit quelques mots que Victor Hugo, pionnier de l’idée européenne, devait prononcer en 1849, au Congrès de la Paix : “Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées”.

Patrick HEUSCHEN

  • image en tête de l’article : Clément-Auguste Andrieux, “La Bataille de Waterloo, 18 juin 1815” © RMN-Grand Palais

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Patrick HEUSCHEN, organisée en janvier 2001 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

THONART : Raison garder est un cas de conscience.s (2024)

Temps de lecture : 31 minutes >

Elections communales obligent. C’est l’histoire du Bourgmestre de Liège qui va au Conseil communal. Il est toujours de bon ton de commencer un article par une bonne nouvelle : il se sent en sécurité. Plus encore : en pénétrant dans la salle, il y a quelques instants, il savait où il allait s’assoir et il savait qu’il serait flanqué des mêmes collègues que d’habitude. Dans la même veine, toutes les interventions de la séance, il les prévoit et les attend au juste moment où elles sont prévues dans le protocole qui fixe le déroulement des débats. Et pour le conforter dans le sentiment rassurant qu’une règle universelle est d’application (dans la salle du Conseil communal à tout le moins), l’ensemble des personnes, des objets et des décors est à sa place, des cravates (éventuelles) des Conseillers aux dorures des portes, des micros aux galettes sur les sièges.

J’ai longtemps cherché dans la littérature (comme on dit) pour trouver une communauté aussi éprise d’absence de surprise, aussi peu désireuse d’aventure et aussi bien organisée pour se donner un sentiment permanent de… sécurité. Je n’en ai trouvé qu’une : les Hobbits de la Comté.

Voici ce que Tolkien, l’auteur du Hobbit puis du Seigneur des Anneaux, en dit dans les années 1950 (vous allez voir, la ressemblance est troublante), je le cite : “Les Hobbits sont un peuple effacé mais très ancien, qui fut plus nombreux dans l’ancien temps que de nos jours, car ils aiment la paix et la tranquillité et […] s’ils ont tendance à l’embonpoint et ne se pressent pas sans nécessité,  […] Ils ont toujours eu l’art de disparaître vivement et en silence quand des gens qu’ils ne désirent pas rencontrer viennent par hasard de leur côté […] Et, pour ce qui était de rire, de manger et de boire, ils le faisaient bien, souvent et cordialement, car ils aimaient les simples facéties en tout temps et six repas par jour (quand ils pouvaient les avoir) […] et ils étaient très considérés, non pas seulement parce que la plupart d’entre eux étaient riches, mais aussi parce qu’ils n’avaient jamais d’aventures et ne faisaient rien d’inattendu : on savait ce qu’un Hobbit allait dire sur n’importe quel sujet sans avoir la peine de le lui demander…

Alors, que nous dit donc ce besoin obsessionnel de sécurité, manifestement aussi typique des Conseillers communaux que des Hobbits ? Est-il limité à la vie au Conseil ou bien la nécessité de pouvoir faire confiance à notre environnement est-elle plus fondamentale chez l’Humain ? Renoncer à Sauron, chez Tolkien, ou renvoyer la rassurante présence du dieu dans les coulisses, nous a-t-il condamné à rechercher ailleurs une légalité rassurante, c’est-à-dire le sentiment qu’il y a dans l’air que nous respirons tous un ordre des choses qui garantit que ce nous attendons du monde autour de nous, se passera comme nous l’attendons ?

Dieu est mort“, soit, la cause est entendue mais, une fois la Loi divine sortie du décor, il revient de se pencher sur une injonction beaucoup moins facile à gérer au jour le jour : “Tu es ta propre loi,” nous disent les moralistes. Facile à dire. Me voilà tenu de devenir mon propre pouvoir législatif, mon pouvoir exécutif et, surtout, mon propre pouvoir judiciaire : si je suis coupable de quoi que ce soit, c’est moi qui prononcerai la sentence, dans ma délibération intime ! En clair : non seulement tout phénomène, tout événement qui réduit ma sécurité m’obligera à réagir mais je me tiendrai personnellement responsable de ma décision d’agir…

Quand on y regarde de plus près, nous sommes au quotidien, comme les bons citoyens à la fin du siècle des Lumières : la Révolution a raccourci d’une tête tout ce qui ressemblait à l’autorité usurpée du Roi et éloigné du débat public les donneurs de leçons en soutane. C’était assurément un véritable moment de vertige où le bon citoyen ne disposait plus d’aucun catéchisme auquel se conformer, ni de lettres de cachet auxquelles obéir aveuglément ! Que s’est-il passé alors ? Quelles leçons en tirer ?

Les uns (et c’est tout à leur honneur) ont gardé raison et se sont appliqués à convenir de nouvelles règles de vivre-ensemble telle que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, souvent ornée, je cite, de “l’œil suprême de la Raison qui vient dissiper les nuages de l’erreur qui l’obscurcissaient.” Ainsi, sans l’aval du Roi ou du Clergé, des hommes et des femmes faisaient la lumière sur un ensemble de droits dont ils convinrent qu’ils étaient naturels, qu’ils soient individuels ou communs, délimitant un périmètre civilisé, où chacun devait pouvoir se sentir en sécurité.

Les autres (parmi lesquels certains des uns) ont vécu cette liberté soudaine comme des veaux que l’on met à l’herbe pour la première fois : de la pure sauvagerie ! Ils ont couru dans tous les sens ou sont restés terrés près du tracteur ; ils se sont blessés aux barbelés ou se sont assommés mutuellement à coups de cornes et de sabots ; les routiniers ont longuement meuglé qu’ils ne trouvaient plus leurs granulés pendant que les bien-sevrés s’explosaient la caillette en broutant comme des fous !

Toutes proportions gardées, tout phénomène nouveau provoquant un état d’insécurité individuelle semble également être, pour chacun d’entre nous, comme un chaos à expérimenter, comme un lendemain de prise de Bastille : pas de règles auxquelles se conformer ; pas encore assez de confiance dans une situation inédite et une lourde inquiétude quant à la capacité de faire face à l’expérience directe, celle qui est proche de la réalité.

Et d’ailleurs, n’est-ce pas également à ce moment-là, alors que nous ne nous sentons pas en sécurité, alors que nous n’avons pas confiance, que nous aurions tendance à projeter sur le monde des explications qui nous sont propres, des fabulations qui nous rassurent : à savoir, nous raconter des histoires où la Princesse épouse le Prince, où il ne pleut pas pendant le match du gamin et où nous retouchons des impôts ? En un mot comme en cent : des histoires où les gens et les choses respectent une règle du jeu et dans lesquelles la fin tourne à notre avantage.

Nos fabulations (c’est ainsi que Nancy Huston les baptise), nos fabulations face à l’insécurité et leur capacité à nous empêcher de raison garder : c’est bien notre sujet, en trois séries de mots-clefs. Nous commencerons par les 3 premiers d’entre eux : confiance, puissance et légalité.

Première série, d’abord, la confiance

Un philosophe de l’Université de Louvain, Mark Hunyadi, y consacre son livre Faire confiance à la confiance, paru en 2023. Une réelle découverte pour moi. Il y aura un avant et un après. L’auteur s’y étonne du nombre important des occurrences du mot ‘confiance’ dans tous nos discours, sans que la chose ne reçoive de définition claire.

Nous vivons dans des sociétés individualistes“, commence-t-il, c’est-à-dire que la volonté individuelle, l’affirmation de soi, semble y être le moyen suprême pour briser toutes les limitations. Comme souvent dit : c’est au point qu’on est passé du “je pense donc je suis” au “je crois donc j’ai raison.

Qui plus est, précise Hunyadi, le numérique permet à chacun de vivre comme dans un cockpit d’avion, dans un espace protégé où chacun peut, de manière fiable, piloter du bout des doigts son environnement médiatisé. Tout y est sécurisé autant que faire se peut et, de manière quasi libidinale, le numérique satisfait tous nos désirs sans faillir… à condition de choisir uniquement ce qui est sur le menu ! Pas question ici de souhait alternatif, d’option divergente ou de créativité, pas question de pensée négative (c’est une notion positive, à savoir une pensée libre qui serait capable de critiquer le système dans lequel elle pense). Si l’on parle de liberté aujourd’hui, insiste Hunyadi, “c’est une liberté de supermarché !

Pensez à votre dernière commande de pizza en ligne. Vous aviez fortement envie de manger une, je cite, “pizza blanche, pommes de terre, mozzarella, et romarin” en regardant Les Aventuriers de l’Arche perdue devant votre nouveau super-écran de 77 pouces de diagonale. Pas de chance, la pizza n’est plus au menu des plats livrés par votre fournisseur habituel. C’est donc avec la “quatre fromages” plébiscitée par les clients habituels de la plateforme que vous avez vécu la vraie aventure… dans vos pantoufles.

Dans ce contexte de vie médiatisée, où la liberté est limitée par ce qu’offrent les systèmes, l’auteur déplore la diminution de la confiance, non pas à cause d’une augmentation de la méfiance mais, simplement, parce que tout un chacun a moins besoin de la confiance ! La digitalisation de la majorité de nos activités fait rentrer celles-ci dans des cases et des tableaux qui limitent fortement le risque de ne pas voir nos attentes comblées, à la condition que nous restions dans le cadre donné.

Par exemple : ai-je vraiment besoin de faire confiance à Mère Nature lorsque, sans surprise, je reçois un billet de 50 €, que j’ai demandé au travers d’une suite de menus sur l’écran d’un terminal, après m’être identifié grâce à un code secret ?

C’est ici qu’il devient nécessaire de définir cette confiance naturelle qui, selon Hunyadi, est à la base même de notre relation au monde. Pour ce faire, il prend l’exemple assez limpide d’un conducteur au volant de son véhicule. Imaginez : il fait beau ;  vous êtes au volant de votre voiture sur une route de campagne en ligne droite ; vitesse autorisée 90 km/h ; une voiture vient dans l’autre sens à la même vitesse ; elle est sur l’autre bande ; vous allez vous croiser sans ralentir et… continuer votre chemin.

Que s’est-il passé ? Rien. Mais vous avez pris un risque énorme (une collision frontale à 90 + 90 = 180 km/h) parce que vous avez eu confiance dans le fait que l’autre conducteur n’allait pas se dérouter et vous emboutir. Aucune explication rationnelle, aucun contrat avec des petites lettres à la fin, aucun fétiche pendu à votre rétroviseur ne garantissait votre sécurité. Vous avez agi comme s’il était dans l’ordre des choses, dans la légalité naturelle, que la collision n’aurait pas lieu et, d’ailleurs, vous êtes là, aujourd’hui, à me lire, après un pari où vous avez misé votre vie et celle de vos passagers.

C’est de cette confiance-là que parle Hunyadi. Une confiance sans laquelle notre vie serait impossible : comment s’asseoir sans la conviction que la chaise n’est pas en caoutchouc, comment trinquer sans être persuadé que le vin qu’on va boire n’est pas un lavement et comment aller marcher en forêt sans être intimement convaincu du bénéfice qu’on en recevra ?

Partant, voilà une définition plus praticable de la confiance : j’ai confiance quand j’agis comme si les attentes de comportement que j’ai envers le monde où je vis n’étaient pas susceptibles d’être déçues. On fait ça 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ! Cette confiance procède donc plutôt de notre relation au monde, avant que d’être une relation au risque même…

Se sentir en sécurité, c’est donc être en confiance et avoir la conviction que les attentes de comportement que nous avons envers notre environnement seront satisfaites, et que nous pouvons agir dans le cadre d’une certaine légalité, un certain ordre des choses, qui garantit cette sécurité.

D’accord, mais que ce passe-t-il alors si nous ne pouvons avoir pleinement confiance dans notre environnement ; en d’autres termes, lorsque notre sentiment de sécurité n’est pas à 100 % ?

Hunyadi ne répond pas spécifiquement à la question et son propos passe peut-être à côté d’une autre dimension, qui, selon moi, participe également du sentiment de sécurité : la puissance ressentie par chacun. Là où je n’ai pas pleinement confiance, peut-être le sentiment de ma propre puissance peut-il compenser et permettre une équation du type : x % de confiance + y % de puissance = 100 % de sécurité.

Illustrons cela : si une jeune liégeoise descend dans le Carré après minuit (j’ai des noms !), elle ne peut se sentir en sécurité que accompagnée de sa bande (ceci pour la puissance) et que après quelques shots de mauvaise vodka (ceci pour la confiance). Si, il y a de nombreuses années de cela, je descendais dans le même Carré, quelle que soit l’heure, quel que soit le déficit de confiance que je puisse avoir ressenti alors, ma taille et mon poids le compensaient allègrement et je me sentais suffisamment en sécurité.

Mais qu’en est-il alors lorsqu’un homme ou une femme, comme vous et moi, n’a pas pleinement confiance dans son environnement et que, de plus, le sentiment de sa propre puissance est insuffisant pour que, dans son cerveau, le voyant “sécurité” reste au vert ?

Je ne parle pas ici d’inquiétudes globales, comme l’avenir de nos enfants, les orangs-outans qui ne seront bientôt plus que des fantômes, la droite extrême qui prend ses aises dans nos démocraties (les dernières du modèle probablement), ou même l’omniprésence de prothèses numériques de 7 pouces de diagonale qui nécrosent les cervicales de nos ados.

Non, au quotidien, dans des situations où nous ressentons un enjeu personnel et où règne l’inconfort quand nous délibérons dans notre petite tête, nous pouvons avoir le sentiment que notre sécurité – donc, la somme de notre confiance et de notre puissance – n’est pas suffisante pour que nous puissions toujours agir avec une pensée claire, sans inquiétude, sans aveuglement ; en d’autres termes : pour que nous puissions “raison garder” (comme le disait déjà Marie de France, au XIIe siècle), puisque la sécurité semble en  être une condition…

Deuxième série, la confrontation

Jusque-là, nous avons évoqué les trois premiers mots-clefs : confiance, puissance et légalité. On continue…

Tous les phénomènes qui arrivent à notre conscience (à nos consciences, comme on va le voir) n’appellent pas de notre part des réactions simples, des réflexes comme ceux qui réveillent le chat : il sent qu’il a faim, il se lève, va manger, passe par sa litière puis revient digérer sur son coussin. Si c’est la vie rêvée pour un chat ou un Hobbit, c’est la honte pour un honnête individu : être libre et probe demande une délibération intérieure, appelle un travail d’objectivation, nécessite l’analyse des informations traitées, suppose un jugement critique et non-dogmatique des options disponibles, et implique une décision d’agir qui devra être efficace et, accessoirement… juste. Par parenthèse, c’est le très britannique Stephen Fry – un homme selon notre coeur – qui s’indignait devant l’obsession de l’être humain à vouloir être juste, plutôt qu’à vouloir être efficace. Nous en reparlerons…

Qu’il s’agisse de décisions graves ou de choix plus anodins, quand nous sommes confrontés à des phénomènes trop originaux pour notre périmètre de sécurité – réduisant par là notre taux de confiance naturelle – nous devons mettre en oeuvre les trois mots-clefs de la deuxième série, c’est-à-dire : l’aliénation, l’attention et les consciences (au nombre de trois, elles donnent leur “s” au titre de l’article : “Raison garder est un cas de consciences“).

J’insiste ici : souvent, quotidiennement même, alors que nous en avons besoin, nous ne percevons pas de légalité dans nos échanges avec le monde, nous ne décelons pas un ordre des choses qui réduirait notre expérience directe à une résolution de problèmes simples et concrets, avec mesure et raison, sans aveuglement, un peu comme la vie de ce foutu chat qui continue à dormir sur le coussin.

Hélas, le monde, tel qu’il se présente à nous, dépasse notre entendement, c’est un fait (sinon, nous n’aurions pas eu besoin d’inventer des notions comme le mystère et ou l’absurde). Souvent, chaque jour, nos attentes de comportement envers lui sont détrompées, frustrées et nous vivons la surprise voire… l’aventure (“l’aventure ? beurk !” dit le petit Hobbit qui venait justement de s’endormir pour digérer un peu).

Pour jouer sur les mots : dans cette confrontation avec les phénomènes de l’existence, notre quête du sens est peut-être l’exact contraire de notre sens de la quête !

Le sens de la Vie auquel Sisyphe a renoncé et que certain attendent toujours, comme ils attendent Godot ; ce sens tant recherché, qui fait l’objet de mille quêtes, serait-il platement la recherche de l’assurance, sécurisante, que les choses obéissent à une légalité et que nous pouvons avancer en toute confiance puisque, dans ce cas, le déroulement de l’avenir existe déjà et, qu’en gros, il ne nous reste plus qu’à apprendre à lire le futur avec une appli de gsm, dans notre fauteuil ou sur le coussin, à côté du chat.

Je veux insister sur ce point : ma proposition (qui n’est pas originale, d’ailleurs) est que le Sens de la vie vécu comme un objet idéal, pré-existant quelque part, qu’il nous faut atteindre et gagner au terme d’une quête que l’on voudra longue, aventureuse et difficile, est un Graal romantique tout à fait encombrant pour la Raison. Quelque part, dans le monde des Idées de Platon, dans le sublime de l’Olympe où festoient les Dieux, dans l’au-delà du Grand Barbu, derrière la bouille incroyable de Superman ou entre les seins de Lilith, la première femme, il y aurait un Grand Secret, un mode d’emploi universel, multilingue et illustré, prêt pour le téléchargement dans le répertoire de votre choix : dans le répertoire “religion”, dans celui dédié aux initiations, dans celui des intuitions chamaniques ou dans cet autre répertoire où se rangent les raisonnements cartésiens sur l’essence des choses…

Sans moi ! La Joie de découvrir la légalité ou l’harmonie, nait de l’exercice de soi, de la pratique de sa propre puissance, de son humanité. C’est autre chose alors de penser que, au contraire de l’option idéaliste, notre lot est de continuellement éprouver notre puissance face à ce qui nous advient par aventure. “Ce qui ne me tue pas me rend plus fort“, disait Nietzsche entre deux Xanax : voilà bien les termes qui donnent sens à notre quête. Nous nous sentirons et nous serons plus forts à chaque décision prise librement, à chaque acte raisonné que nous poserons sans faire appel à un dogme quelconque, souvenez-vous : “Sapere Aude“, Ose savoir par toi-même, disait Kant. Nous serons plus forts à chaque lecture critique mais apaisée du “bruit et de la fureur” d’un monde dont la complexité rend, hélas, notre confiance spontanée assez difficile. C’est ainsi que le déficit de confiance qui nous colle à la peau pourra être compensé par notre puissance personnelle.

L’idée est belle et résonne encore du bruit chevaleresque des sabots (ou des noix de coco, selon la référence…) de Lancelot, de Galahad et autres Arthur. Mais, hélas, nous ne sommes pas Indiana Jones et, manifestement, les humains, comme les Hobbits – ou les Conseillers communaux – n’ont pas réellement le goût de l’aventure.

Diable. Le monde est trop complexe pour moi, je me tue à le dire ! Je ne perçois pas spontanément comment les choses tombent juste. Je n’ai plus confiance en la légalité de la vie, parce que je ne la reconnais pas dans ce qui m’arrive, à moi. Comment dès lors me sentir en sécurité ? Comment avoir assez confiance ?

Qu’à cela ne tienne : puisque le monde comme il va ne me donne pas confiance, puisqu’il dépasse mon entendement, je vais en fabuler un autre à ma mesure où la légalité des choses sera évidente et m’y projeter, m’y aliéner ! Ce sera une expérience virtuelle (le contraire d’un voyage spirituel) que d’être un moi augmenté dans un environnement sécurisé

    • Regardez dans votre bus, cet ado qui ‘scrolle’ sur son gsm avec les écouteurs sur les oreilles, on dirait un singe avec une banane. Comment lui en vouloir, la femme mûre assise en face de lui fait la même chose : deux singes, deux bananes. Et ils ne se parleront pas…
    • Regardez ce manager qui, dans son langage Corporate, a trouvé un slot pour tirer les Lessons Learned avec son N+1, lors d’un meeting One-2-One, alors qu’il est overbooké.
    • Et regardez l’indigence intellectuelle qui permet à des dirigeants, même grimés en Van Gogh avec un pansement sur l’oreille, de fantasmer à haute voix une nation entière qui serait faite d’êtres humains divisés en deux groupes exclusifs, grossièrement définis : nous et les autres !

Dans les trois cas, je ne vois que projection de soi dans un monde virtuel, fabulé, qui réduit la réalité à un périmètre compréhensible sans effort, dans lequel le sujet inquiet se projette par facilité, en recherce de sécurité. Souvenez-vous, Hunyadi évoquait un cockpit d’avion, à ce propos. Face à l’insécurité comme nous l’avons définie, l’aliénation est l’option libidinale du moindre effort : je me projette dans une autre situation puisque la mienne me semble trop difficile.

On pourrait dire : “Choisis ton camp, camarade. A chaque baisse de la confiance, feras-tu face à l’expérience directe de ta propre réalité complexe ou te projetteras-tu dans un monde virtuel, simple, binaire, partagé entre les bisounours et les terroristes du Hamas ?

Petite parenthèse. Avant d’aller plus loin, il nous faut encore parler d’un truc bizarre qu’on appelle communément… la réalité. Selon Jacques Lacan : “Le réel, c’est quand on se cogne.” Soit, la formule est belle. Mais que penser de cette assertion à l’ère des neurosciences, alors que l’hypnose permet de réaliser des opérations chirurgicales avec des scalpels bien réels, bien coupants, sans douleur et sans narcose complète ?

Plus proche de notre propos, Marie-Louise von Franz, une élève de Jung, affirme en 1972 : “Il nous est impossible de parler d’une réalité quelconque si ce n’est sous la forme d’un contenu de notre conscience.” Voilà la clef : nous ne vivons la réalité qu’au travers de sa représentation dans notre conscience. Si les phénomènes au travers desquels nous percevons cette réalité mettent en danger notre sentiment de sécurité, nous avons alors beau jeu de truquer la représentation que nous en avons, en fait : de nous aliéner dans une représentation moins risquée de ce qui nous arrive.

Plus tard, en 1985, Endel Tulving d’ailleurs aurait pu réécrire la phrase de von Frantz comme ceci : “Il nous est impossible de parler d’une réalité quelconque si ce n’est sous la forme d’un contenu de nos trois consciences.

Nous en avons déjà parlé ailleurs : mort en 2023, Tulving était un psychologue estonien établi au Canada qui a développé un modèle original où trois formes de conscience correspondent chacune à un type de mémoire :

      1. la conscience a-noétique concerne nos fonctionnements les plus automatiques (faire du vélo, nager, jouer d’un instrument ou réagir sous l’influence d’un trauma…).
      2. La conscience noétique permet d’évoquer des choses qui ne sont pas présentes, pas perceptibles dans l’immédiat, c’est là qu’on retrouve les représentations du monde.
      3. Enfin, la conscience auto-noétique est centrée sur la représentation de soi : c’est ce que je me raconte à propos de moi-même.

Cette taxonomie des consciences est basée sur la racine grecque “noûs” qui signifie “connaissance, intelligence, esprit” ; elle est directement héritée des travaux de Edmund Husserl, le père de la phénoménologie, une discipline de la philosophie contemporaine qui exclut l’abstraction, pour se concentrer sur les seuls phénomènes perçus. Je le cite : “Toute conscience est conscience de quelque chose.

Que ces théories soient exactes ou non importe peu ici. Si elles ne font pas obligatoirement autorité auprès de tous les chercheurs en neurosciences, ce n’est pas déterminant pour nous : adoptons-les simplement comme des occasions généreuses d’alimenter nos exercices de pensée. Pour mémoire, les “exercices de pensée” ou “expériences de pensée” (“thought experiments” en anglais) sont des outils puissants utilisés, entre autres, en philosophie morale, pour tester des concepts, pour aller jusqu’au bout d’un raisonnement : on imagine un scénario hypothétique et on lui applique le concept que l’on veut éprouver. Vous avez peut-être entendu parler de l’exercice du Chat de Schrödinger qui permet d’explorer les paradoxes de la physique quantique, l’exercice du Dilemme du tramway en philosophie morale ou encore l’exercice de la Chambre de Mary en psychologie cognitive : “Mary est une scientifique qui connaît tout ce qu’il y a à savoir sur la vision des couleurs, mais elle a toujours vécu dans une pièce en noir et blanc et n’a jamais vu de couleurs elle-même. Si Mary venait à sortir de sa pièce et voyait la couleur rouge pour la première fois, apprendrait-elle quelque chose de nouveau ?

Ceci boucle la boucle avec le problème de la réalité : pour nous, n’est objet du réel que ce dont nous avons conscience, au travers de sa représentation. Partant, quand on parle d’aliénation, la réalité que nous allons déformer par nos fabulations est aussi précisément celle qui est à notre portée, celle qui vit au creux de nos consciences.

Pour y voir plus clair, passons donc en revue les trois consciences selon Tulving et trouvons chaque fois des exemples de deux réactions possibles devant l’insécurité : soit l’aliénation qui traduit la fuite, soit l’attention qui implique la confrontation. Pour ne pas vous jouer la carte du suspense, je précise déjà que ces deux réactions pourraient être au nombre de trois, nous l’allons voir. Donc, face à une situation nouvelle (donc insécurisante), deux options ambivalentes :

    1. OPTION 1 – L’aliénation > le sujet s’évade vers des Paradis Perdus ou
    2. OPTION 2 – L’attention > le sujet regarde ses mains et agit à propos.
Conscience auto-noétique

Allons-y. En vedette américaine, j’ai le plaisir de vous présenter la conscience auto-noétique ! Elle va être notre plat de résistance. Tulving la définit comme suit, en 1985 : “La conscience autonoétique (connaissance de soi) est le nom donné au type de conscience qui permet à un individu de prendre conscience de son existence et de son identité dans un temps subjectif qui s’étend du passé personnel au futur personnel, en passant par le présent.” Traduit par l’anthropologue Paul Jorion en 2023, cela donne : “La conscience autonoétique est la conscience réfléchie de soi : la capacité de situer son expérience actuelle dans le cadre d’un récit de sa propre vie qui s’étend au passé et à l’avenir.” En clair, c’est l’aquarium personnel où nagent les histoires que je me raconte à propos de moi-même : c’est mon moi héroïque et narratif. “Héroïque” parce qu’il faut reconnaître que chacun se vit souvent comme un personnage libéré des contingences du quotidien (du calibre de Héraclès, Athéna, Superman, Achab, Galadriel, Harley Quinn ou… Gollum), plutôt que comme une personne qui doit faire la vaisselle tous les jours ou soigner ses cors au pied. “Narratif” parce que, précisément, le vocabulaire que nous utilisons pour nous décrire nous-mêmes, seuls devant le miroir, est celui de la fiction et des rêves. De même, la logique de notre auto-fiction est, comme celle des contes, des romans et des séries, peu rationnelle et elle ne tient pas compte de tous les aspects de la réalité pour faire avancer le scénario.

Qu’est-ce alors que raison garder devant cet aquarium d’histoires de tout type, traitées par notre conscience auto-noétique : des histoires exaltées, des faits divers interprétés comme moches, des légendes auto-dénigrantes, accusatrices ou follement admiratives ?

En 1947, Paul Diel propose un baromètre pour évaluer ces auto-fictions. Il explique que tout va bien tant que l’image que j’ai de moi (= ce que je me raconte à mon propos) correspond à mon activité effective (= ce que je fais vraiment).

Si c’est le cas, je suis satisfait de ma vie et… vogue la galère : pas besoin de se poser des questions. Par exemple : pourquoi Simenon aurait-il douté de sa capacité à écrire des romans policiers intimistes ? Les problèmes auraient commencé s’il avait voulu se lancer dans le Tour de France avec ses petits mollets…

Si ce n’est pas le cas, alors je le sais car l’écart entre ce que je pense de moi et ce que je fais effectivement est à la mesure de l’angoisse qu’il va provoquer chez moi. Je sais que je triche et cela m’angoisse. Selon Diel :

      • je triche par vanité, parce que je suis loyal envers une image de moi un peu trop sublime (du genre : “moi, vous savez, je ne suis pas capable de mentir, ce serait trop vilain“).
      • Je triche par culpabilité, parce que je suis timide, que je me sens nul et que j’évite tout ce qui pourrait me montrer que c’est vrai (du genre : “moi, vous savez, je ne suis pas capable de mentir, je suis tellement timide que je rougis tout de suite“).
      • Je triche par sentimentalité, parce que je veux qu’on m’estime, qu’on m’aime (du genre : “moi, vous savez, je suis incapable de mentir car je sais combien c’est important pour vous”).
      • Enfin, je triche par accusation, parce que j’en veux aux autres de ne pas m’estimer à ma juste valeur (du genre : “moi, vous savez, je ne suis pas capable de mentir, c’est pas comme mon mari. N’est-ce pas, chéri ?”).

Diel était un spécialiste des mythes et de leur interprétation et il parle dans ce cas des quatre catégories de la fausse motivation (vanité, culpabilité, sentimentalité et accusation) ; en clair, il parle des quatre manières de ne pas bien motiver nos actions parce que l’on porte un regard biaisé, aliéné sur les phénomènes. Il considère que cet écart, qu’il baptise la vanité (dans le sens de ce qui est vain, vide ; ce que j’ai appelé l’aliénation), est la faute originelle dans les mythes. Cette vanité serait la clef de lecture de tous les comportements déviants ou, en d’autres termes, de nos actions mal motivées, des actes que nous posons pour de mauvaises raisons.

Diel va plus loin et avance que cette notion d’aliénation permet également la lecture des mythes qui racontent l’origine de l’humain et de sa curieuse destinée : c’est à cause de sa vanité morale qu’Adam se voit condamné gagner son pain à la sueur de son front, lui qui voulait savoir le bien et le mal sans en faire d’abord l’expérience ; c’est à cause de sa vanité sexuelle qu’Héraklès souffrira des brûlures infligées par une peau empoisonnée que Déjanire, son épouse, lui a jeté sur le dos, au point qu’il devra plonger dans un bûcher allumé par son fils pour être purifié ; c’est à cause de sa vanité technique que Prométhée ose voler l’outil suprême, le feu, pour le donner aux hommes, et qu’il ne pourra également qu’être puni par Zeus…

Ainsi, à la lecture de Diel, on comprend assez bien l’option numéro 1 (pour mémoire : l’option Je m’évade vers des Paradis Perdus) : pour fuir devant une situation désagréable, insécurisante, je vais m’identifier (dans ma délibération, dans ma tête) à une version de moi plus sublime, je vais adopter une posture où je me sentirai plus en sécurité, je vais m’aliéner en adoptant l’attitude d’un personnage qui n’est pas le moi qui agit. Mais je vais ainsi créer un écart angoissant entre ma posture et mon action effective. A tout ceux pour qui ceci n’est pas encore clair, je recommande de revoir le film Psychose de Hitchcock et puis on en reparle.

Couche en plus. Vu que je triche et que je le sais, je ne vais pas manquer de me justifier en insistant sur le fait que je reste “loyal envers moi-même” : pas de chance, si je suis loyal dans ce cas c’est envers le mauvais cheval. Qui de nous n’a connu un proche qui se disait “loyal envers lui-même“, martelant “mais, c’est parce que je suis comme ça“, afin de justifier une posture empruntée, qui ne correspondait pas à ses actes. Et malheur à celui qui vexerait le quidam en question : en mettant en doute sa sublimité, il s’exposerait à toute la violence possible. En fait, la violence individuelle ne prend-elle pas toujours racine dans une vexation et la vexation ne trahit-elle pas toujours une posture plus ou moins sublime de celui – ou celle – que l’on offusque ?

Reprenons notre fil. Option 1 : je me sens insécurisé dans une situation nouvelle alors, dans ma vision de moi-même, je fuis et je m’assimile à une version de moi plus sublime, donc plus intouchable, en vertu d’une légalité imaginaire qui laisserait tranquilles les gens comme mon moi sublime. On parlera clairement d’aliénation dans ce cas : j’agis en me conformant à un modèle… qui est irréel.

Je me dois d’évoquer ici une variante moins toxique de cette option de fuite : dans une situation où je me sens insécurisé, je vais faire un pas de côté et imaginer ce que ferait un héros… à ma place. Il n’y aura pas d’action de ma part si ce n’est que je vais peut-être m’apaiser au travers de l’exercice de pensée “Comment mon héros aurait-il réagi dans cette situation ?

En matière de ‘héros’, c’est Daniel Boorstin qui remet les pendules à l’heure, aussitôt qu’en 1962 ! Dans son livre intitulé L’image : un guide des pseudo-événements en Amérique, il explique la différence entre les héros et les célébrités. Il y a cette formule magnifique : “les célébrités sont célèbres parce qu’elles sont connues.” Autre chose est de parler d’héroisme : pour Boorstin, un héros pose des actes libres et courageux, par une espèce de surcroît d’humanité, et peut nous servir d’exemple. On pense à Charlier-Jambe-de-bois, à Saint-Exupéry, à Rosa Parks, à Edward Snowden, etc.

…ou à mon collègue de travail. Loin de moi de vouloir flatter un collègue, mais il est des héroismes discrets qui méritent le souvenir. “Je me souviens” dirait Perec : nous devions voter collectivement sur une proposition fort discutée, j’avais des doutes réels sur l’attitude à adopter et, fraîchement débarqué dans l’équipe, j’étais tétanisé. J’ai voté “pour” alors que je pensais “relativement contre.” J’ai suivi le troupeau, je n’étais pas sûr de moi mais la quantité de bras levés a eu raison de mes doutes. Je n’en suis pas fier. C’est alors qu’à l’annonce “Les votes contre ?” du responsable, un seul bras s’est levé, le sien. Il y a eu de la beauté dans cet instant et j’ai appris de ce discret courage, de cette main levée seule contre tous, de ce moment que j’ai toujours vécu comme un acte de pensée libre.

Face à l’adversité, on peut donc fuir et se conformer à un modèle imaginaire et sublime. Option 1, c’est l’aliénation qui ne fait pas du bien. On peut aussi faire un tour de passe-passe avec un modèle exemplaire pour apprendre de ce qu’il ou elle aurait fait à notre place. Dira-t-on que c’est une aliénation qui fait du bien à retardement ?

Identifier et puis réduire l’aliénation : voilà donc un premier chantier balisé depuis de longues années tant par les spiritualités de l’intime que par les psychologues et psychanalystes de tous poils et, bien entendu, par les apôtres du développement personnel. Tous proposent des recettes plus ou moins onéreuses (posez la question à Woody Allen…), des trucs ou des méthodes exigeantes pour réduire cet écart toxique qui, ramené à notre travail intime, nous verrait intervenir… dans le vide, à côté de notre “moi”. Car il n’est pas question ici d’appel à l’humilité ou à la discrétion : lutter contre cette aliénation qui nous fait boîter l’âme, c’est faire preuve, à chaque petite victoire, de plus d’attention, de plus de présence effective à notre activité effective. Souvenez-vous : Montaigne parlait de “vivre à propos.”

Alors, amie lectrice, lecteur, retrouve ton coeur réel, ajuste ton regard et corrige l’angle d’attaque de ta délibération !

La conscience a-noétique

La conscience auto-noétique était le gros morceau, passons plus rapidement sur les deux autres manières de vivre l’expérience d’être soi. Le deuxième chantier voudrait nous voir explorer l’aliénation et son option opposée, l’attention, dans le giron de la conscience a-noétique. Ce deuxième moi, ce moi atavique et sauvage qui, s’il n’est pas le plus primitif, reste peut-être le plus difficile à concevoir, car il ne se paie pas mots ! D’où le terme de ‘sauvage.’

De quoi parle-t-on ici ? Je cite Tulving : “la mémoire procédurale est dite anoétique car elle s’exprime directement dans les comportements et l’action, sans conscience.” Pour mémoire, citons aussi notre anthropologue national, Paul Jorion : “La conscience anoétique, peut-être la plus insaisissable de toutes, est une expérience qui n’implique ni conscience de soi ni connaissance sémantique. Elle comprend, par exemple, des sentiments de justesse ou d’injustice, de confort ou d’inconfort, de familiarité, de malaise, de présence ou d’absence, de fatigue, de confiance, d’incertitude et de propriété. Il s’agit par exemple du sentiment que l’objet que l’on voit du coin de l’œil est bien un oiseau, du sentiment, en rentrant chez soi, que les choses sont telles qu’on les a laissées (ou pas), du sentiment que l’on est en train de contracter une maladie. Chez l’homme, ces sensations anoétiques se situent en marge de la conscience et ne sont que rarement au centre de l’attention. Chez d’autres animaux, il est possible que l’anoétique soit tout ce qu’il y a.”

Pour ramener notre propos dans le giron de la philosophie, on peut également citer Alan Watts, un grand apôtre britannique de la pensée zen dans les années 60-70 du siècle dernier. Je le cite : “Le Zen ne confond pas la spiritualité avec le fait de penser à Dieu pendant qu’on épluche des pommes de terre. La spiritualité zen consiste seulement à éplucher les pommes de terre.” Quel magnifique rappel à l’ordre : arrête ton bla-bla et regarde tes mains !

Regarde tes mains” ! Nous avons tous déjà dit cela à un ado (ou un partenaire) qui pose négligemment un objet sur le bord de la table, avec le regard déjà ailleurs. Au bord du vide, l’objet en question est en position instable, c’est un flacon en verre et il devient la seule raison pour que le chat se réveille, quitte son coussin et donne le petit coup de patte qui manquait pour que le flacon tombe sur le carrelage de la cuisine et provoque catastrophes, réprimandes et nettoyages énervés. “Comme tu es distrait“, “Comme tu es distraite“, entendra-t-on tonner dans la maison, “c’est insupportable, fais attention ! Regarde donc tes mains quand tu fais quelque chose !” Et le paternel de donner un coup de pied fâché dans le coussin du chat, avant de se rasseoir en ruminant contre la distraction coupable.

Mais est-ce toujours la distraction qui est coupable de cette aliénation envers la matière ? Ce défaut d’attention (puisque nous avons opposé les deux termes) ne peut-il procéder d’autre chose ?

Les neurosciences, encore elles, n’expliquent pas encore tout mais, aujourd’hui, elles concluent que le cerveau est avant tout une machine à anticiper et, comme nous l’avons vu, idéalement dans un contexte de confiance, ce qui est loin d’être toujours le cas. Pour faire court, lorsqu’il s’active suite à la perception d’un phénomène, quel qu’il soit, le cerveau conçoit notre fonctionnement à venir (la fuite, la sidération ou l’attaque) selon les attentes de comportement qu’il a envers l’environnement où le phénomène a été perçu. Or, ces attentes ne sont pas toujours fondées sur la confiance. Que l’on pense aux traumatismes, par exemple : allez savoir pourquoi Indiana Jones a tellement peur des serpents, pourquoi les limaces effraient tant ma dernière ado et pourquoi, quand je reçois un recommandé, je fais de la tachycardie. D’où le terme ‘atavique’ : il y a là un héritage qui persiste à nous brouiller l’écoute.

C’est un des phénomènes identifiés par les neurosciences : face aux phénomènes que nous percevons, notre cerveau peut se lancer sur deux pistes différentes, activant une zone active ou une autre, les deux étant distinctes.

Souvenez-vous du conseil de sagesse : “Changez le changeable, acceptez l’inchangeable.Viktor Frankl lui ajoute d’ailleurs l’option : “pour réduire la souffrance, changez votre attitude à l’égard du problème.” Il revenait alors des camps de concentration ! Et bien, au niveau cognitif, notre cerveau peut faire tout cela, tant qu’il garde raison… Il peut être proactif et raisonner en termes de résolution de problèmes, en utilisant la logique, en identifiant des modèles et en pensant de manière plus réfléchie. Il peut, par contre, s’avérer hyper-réactif, plus impulsif, et croire qu’il lui faut répondre rapidement aux stimuli environnementaux. Il le fait ainsi parce que, souvent, il part du sentiment d’insécurité dont nous avons parlé et qu’il active l’amygdale qui nous invite à réagir avant de penser.

C’est très pratique quand on est attaqué par un lion mais, au quotidien, c’est également inconfortable et peut générer une angoisse ou un inconfort continu. C’est, par ce fait, également une Invitation au voyage, un appel à l’aliénation dont nous parlons, car la conscience a-noétique peut également s’enfuir, s’aliéner dans un ensemble de perceptions hypnotisantes : l’ado ou le joggeur qui garde les écouteurs sur les oreilles diminue son lien avec l’environnement qu’il traverse ; le gamin ou la fille en bonnet qui arrête sa voiture ‘tunée’ au feu rouge et qui fait vibrer le tarmac en poussant les basses de sa sono n’est pas dérangé par le chant des oiseaux. Ce sont ici des caricatures (bien réelles, par contre) mais elles traduisent une posture cognitive bien précise : pour rester dans un environnement connu (entendez : sécurisé), je le transporte avec moi, là où je vais, transformant les autres environnements en toile de fond, en décor en deux dimensions.

Pour vous représenter la chose, asseyez-vous dans une pièce fermée et pensez à la différence entre le poster grandeur nature du lion de tout à l’heure, là, sur le mur (en deux dimensions, donc) et un lion réel, devant vous, en trois dimensions, avec l’odeur. L’expérience cognitive est différente, non ? Pour le lion aussi, d’ailleurs.

Être distrait reviendrait-il à ne pas participer physiquement de son environnement, à le traiter comme une image en deux dimensions, plus inoffensive que le monde réel, lui en trois dimensions, avec tambours et trompettes ? Après une expérience violente, quelle qu’elle soit, l’individu traumatisé aurait-il tendance à marquer son rejet du réel enduré, en ne jouant pas le jeu avec la matière qui l’entoure ou qu’il faut ingérer, dans certains cas ?

Je ne peux pas prétendre au statut de victime traumatisée, je n’ai pas été victime d’une violence que j’aurais ressentie comme plus grande que moi, qui m’aurait submergée, mais, après une journée difficile au boulot, un pneu crevé sur l’autoroute ou un Avertissement-Extrait de rôle trop gourmand, je sais que j’ai le même réflexe de fuite. Merci aux Suites pour violoncelle de Bach de me permettre, dans mon salon, de réduire le monde à un décor éloigné en deux dimensions, bien distinct des sensations sonores qui m’aliènent, certes, mais dans une réalité virtuelle faite d’harmonie, où règne une légalité rassurante.

Ce que Kant préconisait comme base d’un comportement moral authentique semble bien être l’enjeu dans ce cas également. Selon lui, il importe de reconnaître l’Autre comme une fin en soi (“an Sich“), ‘dans ses trois dimensions’ dirions-nous, et non comme un moyen d’atteindre une autre finalité. Je pense que chacun d’entre vous peut parfaitement entendre ce discours. Emmanuel Levinas insistait dans ce contexte sur le visage de l’autre, qui, une fois son existence reconnue, permet un comportement moral envers lui.

Dame Raison, voilà donc la mission qui t’incombe dans le périmètre a-noétique : identifie les postures de fuite qui réduisent l’environnement ressenti à une image (cognitive) en deux dimensions et, pour que survive paisiblement ton sujet, amène-le à plus d’attention envers les choses qui constituent son périmètre de Vie.

Ce qui était vendu dans les années septante (du siècle dernier) comme la quintessence de l’Esprit du Zen est, aujourd’hui toujours, au centre de notre quête de satisfaction : regarde tes mains, quand tu pèles les pommes de terre !

Pour illustrer ceci, quoi de mieux qu’un poème, en l’espèce un poème de Mary Oliver que je vous traduis ici :

Le matin, je descends sur la plage
où, selon l’heure, les vagues
montent ou descendent,
et je leur dis, oh, comme je suis triste,
que vais-je–
que dois-je faire ? Et la mer me dit,
de sa jolie voix :
Excuse-moi, j’ai à faire.

Alors, lecteur, fais silence, enlace ce que tu prends en mains, renifle-le, soupèse-le, mire ses trois dimensions et palpe toutes ses aspérités avant de passer à l’acte !

On le voit, des trois manières de se sentir en vie, l’expérience a-noétique est peut-être la plus directe, voire la plus pure : rien d’étonnant à ce qu’elle fasse office de Graal dans l’Esprit du Zen. Ceci, probablement parce qu’elle n’est pas systématiquement dévoyée par la logique des mots : par nos fictions ou par la logique des discours explicatifs…

La conscience noétique

Il nous reste enfin à rapidement régler nos comptes avec ces derniers, qui sont la monnaie courante de notre troisième et dernière conscience, la noétique, celle qui s’occupe de nos représentations du monde sans nous impliquer dedans !

Autant la conscience a-noétique parle le langage des sensations et des réflexes, dans l’aquarium de notre conscience noétique, ne nagent que mots, concepts et rapports logiques.

La conscience noétique, c’est la vielle gloire, la Gloria Swanson des consciences sauf que… historiquement, on l’a appelée Raison alors qu’elle n’était qu’amas d’explications. Or, pour la Raison éveillée, expliquer n’est pas justifier. Si on prend les dossiers Strauss-Kahn, Depardieu ou Weinstein : une libido soi-disant démesurée, le stress des responsabilités et une absence systématique au ‘cours de philosophie et de citoyenneté’ peuvent constituer pour les susdits et leurs avocats des explications aux actes d’agression sexuelle et aux harcèlements qui ont été commis mais, en aucun cas, ils ne peuvent en constituer une justification.

Et c’est bien le problème que nous avons avec notre conscience noétique. Pour faire court : elle est toujours prête à nous expliquer le pourquoi de certaines de nos actions mais, quand il s’agit d’évaluer si ces dernières sont justifiées ou satisfaisantes, Madame-je-sais-tout n’a que des dogmes, des modèles et des savoirs pré-établis à nous proposer. C’est en ceci qu’on peut la dire ‘dogmatique‘ et, fondée sur la logique comme elle est, on n’hésitera pas à la dire ‘technique‘ également.

Ainsi, mon moi dogmatique et technique a une longue histoire, qu’à force nous trouvons naturelle, à tort selon moi. Dans la droite ligne de la théorie des Idées de Platon, toute une tradition philosophique s’est construite en Occident, fondée sur la recherche de la Vérité (ou des cinquante nuances de vérité, plus récemment). Vérité il devait y avoir, qu’elle soit transcendantale ou matérielle, car la connaissance devait être basée sur la certitude, fondement impératif pour pouvoir déduire par spéculation les règles de la morale. Dans cette vision du monde, la morale était donc une question de conformité !

Et c’est là qu’est l’os… Il n’est de vérité (et donc de conformité rassurante) que dans les limites convenues d’un domaine technique : nous sommes en classe de physique et on nous apprend que ceci entraîne cela. OK. Dans un domaine qui touche au vital, l’absence de vérité disponible pour fonder une décision oblige chacun au jugement : cela implique une intervention personnelle du sujet.

Si l’on revient à notre besoin de ressentir une légalité autour de nous, dans ce qui nous arrive, la conscience noétique nous proposera des explications techniquement exactes dans un discours donné : ma religion, mon histoire familiale, la physique quantique, le comportement du voisin ou le côté prédateur qui dort en tout individu mâle.

C’est précisément ce qui agace notre grand-breton Stephen Fry chez les humains d’aujourd’hui : cette manie de vouloir être, avant toute chose, juste et de se justifier par des explications qui prouvent qu’on est conforme à un dogme, quel qu’il soit, à la logique ou à la tradition. Fry préfère manifestement viser l’efficacité et assume le vertige de, chaque fois, devoir juger de quel comportement on fera le meilleur usage. Montaigne appelait cela : vivre à propos !

Et voilà l’aliénation débusquée : par sentiment d’insécurité devant l’obligation de choisir et la possibilité de se tromper, on fuit vers une représentation du monde sécurisée puisque constituée d’explications, de causes et de leurs conséquences logiques, de règles auxquelles il suffira de se conformer.

Ici aussi, l’attention exigera un travail de déconstruction des biais cognitifs pour expérimenter une réalité moins construite, limitée à un périmètre utile à la prise de décision. Il s’agira de se méfier des explications qui font plaisir, de tester un regard plus vierge  d’histoire devant les phénomènes perçus et de renvoyer tous les savoirs du monde à ce qu’ils sont : l’occasion d’un exercice de pensée.

Alors, lecteur, lectrice, étudie et lis tout ce que tu veux sur tous les savoirs du monde mais n’oublie pas qu’ils occultent un peu la fulgurance des parfums.

Troisième série, la Raison en action

Nous arrivons au bout de la promenade. Nous avons épluché une série de termes (confiance, puissance, légalité, aliénation, attention et conscience.s) que nous avons mis en relation. Pour ne pas vous assommer avec plus de spéculations, je vous propose de travailler les trois derniers termes (raison, âme et valorisation) au travers d’un exercice de pensée bien concret.

Nous sommes à Cockerill, dans les ateliers de maintenance (je peux vous les dessiner : j’ai travaillé à CMI, aujourd’hui John Cockerill). Tous les bancs de travail sont occupés par des cols-bleus qui usinent, ébarbent, polissent, ajustent, montent, démontent, alignent ou rejettent des pièces métalliques ou des assemblages qui rentrent par un côté et en ressortent par l’autre. La vie, quoi, le corps réel de l’atelier.

Tout au fond, au sommet d’un escalier métallique (à Cockerill, what else ?), une porte vitrée qui ouvre sur le bureau des ingénieurs. Leur local est vaste et surplombe l’atelier. C’est un grand plateau de bureaux paysagers. Du côté des fenêtres du fond, trois grandes tables, une par équipe d’ingénieurs : il y a l’équipe des ingénieurs d’auto-noétique, celle des ingénieurs de noétique et, sur la droite, la table des ingénieurs noétique, les “ingénieux ingénieurs” comme disent les autres. Chacune des tables est présidée par un chef d’équipe. A proximité de l’entrée, il y a le bureau de l’ingénieur-chef, le seul à avoir un téléphone… qui sonne souvent.

Chaque fois que le téléphone apporte une nouvelle demande, un incident ou ressort un problème qui doit être résolu, l’ingénieur-chef qui, vous l’avez compris, joue pour nous le rôle de la Raison, l’ingénieur-chef convoque les représentants des trois tables à une réunion technique, dans son bureau. Selon le sujet, il demande à un des trois délégués de présenter le cas, son interprétation, la solution qu’il préconise et de la commenter, ceci, avant de donner la parole aux deux autres délégués qui réagissent à la proposition.

Notre ingénieur-chef, la Raison, n’est pas nécessairement logique ou scientifique : il doit composer avec des paramètres qui ne sont pas toujours techniques ! Qui plus est, lui (tout comme ses ingénieurs, d’ailleurs) doit respecter les seuls objectifs qui lui sont imposés : assurer la continuité de l’atelier.

Tout serait parfait s’il n’y avait un problème : les trois tables d’ingénieurs reflètent pour nous trois manières de percevoir les phénomènes et, si chaque équipe vise sincèrement la survie de l’atelier, elle le fait selon sa propre interprétation ! Et nous avons vu combien celle-ci peut être faussée par des aliénations diverses et variées.

Vous l’avez compris, chacun des délégués va partir de son point de vue et poursuivre un objectif unique : assurer la pérennité du moi, je, ego, myself, dans des représentations propres à son équipe, à savoir…

      • comment je survis dans le monde où je pense vivre (pour l’équipe noétique), quitte à fabuler des explications fumeuses ou des visions du monde partisanes ;
      • comment je survis dans le monde que je ressens (pour l’équipe a-noétique), quitte à devenir hypersensible ou à pratiquer les sensations extrêmes pour me sentir bien en vie (il y aurait-il des motards parmi vous ?) ;
      • comment je survis vu la manière dont je me conçois (pour l’équipe autonoétique), quitte à me prendre pour Brad Pitt ou CatWoman.

Les trois approches de la « réalité » ne sont pas toujours compatibles et les discussions sont parfois houleuses, voire confuses. Les propositions sont quelquefois difficiles à départager et, pire encore, il arrive qu’au moment de la réunion, un des cols blancs soit déjà descendu à l’atelier pour discuter en direct avec les ouvriers. Il s’agit constamment de comprendre, de comparer, de donner sa juste valeur à chacune des positions puis, dans la limite des infos disponibles, de décider de la marche à suivre. Ca s’appelle délibérer.

Voilà probablement pourquoi il est plus impératif de venir entraîner notre Raison sur wallonica.org, plutôt que d’aller transpirer chez MultiGym (même si l’un n’empêche pas l’autre) : chaque fin de journée, notre ingénieur-chef doit avoir concilié des points de vue divergents (ce qui ne veut pas dire mal intentionnés), faire rapport des décisions prises et soumettre les indicateurs de pertinence (satisfaisant ou pas satisfaisant ?).

Mais à qui rapporte donc notre Raison ? Dans notre scénario, elle a une position de cadre mais elle ne siège pas au Comité de direction ? Elle coordonne et donne sa juste valeur vitale aux propositions qui lui sont faites par chacune des trois équipes : elle les valorise. C’est une fonction d’encadrement. Mais qui est son interlocuteur hiérarchique ? Qui est garant de la stratégie qui réunirait nos trois modes de conscience ?

Spinoza disait “…car nous avons une idée vraie.” Il parlait de cette petite fenêtre au creux de nous, qui est ouverte sur la légalité de la Vie, par laquelle nous voyons ce qui est juste ou injuste en nous, avant tout commentaire, malgré toutes nos aliénations (celles-ci faisaient d’ailleurs l’objet de son petit ouvrage posthume, en 1677, Le traité de la réforme de l’entendement). Peut-être serait-ce le moment de restaurer la notion d’âme, que l’on définirait, à la suite de Spinoza, comme le siège de l’idée vraie en nous. L’idée vraie, l’âme dans ce cas, ne serait rien de plus que ce nombril permanent qui nous relie avec le seul sens de la Vie, à savoir : continuer à vivre. Pour l’âme définie ainsi, tout le reste est littérature…

Voilà, c’est fini. Comment résumer ce que vous venez d’endurer ? Simplement : “raison garder” c’est considérer les propositions faites par chacune des trois consciences comme des exercices de pensée. Notre Raison garde comme seule mission d’identifier et de réduire nos aliénations, nos artifices, pour nous amener à une plus grande attention envers la Vie qui se présente à nous. C’est seulement à cette condition que nous pouvons juger de la conduite à adopter au jour le jour et… vivre à propos, comme disait l’autre.

Il vous manque encore notre exercice de pensée du jour. Je propose que chacun d’entre vous se transporte dans l’atelier de maintenance de notre exemple et teste la question : que se passerait-il dans mon atelier si ma Raison était restée chez elle pour cause de grippe ? On en parle ?

Patrick Thonart


[INFOS QUALITE] statut : mis à jour | mode d’édition : rédaction, édition et iconographie | sources : contribution privée | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © DP ; © Unwin & Allen.


Plus de parole libre en Wallonie ?

BASCOUL : Matin (2024, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

BASCOUL Hélène, Matin

(eau-forte et aquatinte, n.c., 2024)

Née à Nancy en 1969, Hélène BASCOUL a grandi à Paris et vit aujourd’hui à Brest. Elle a obtenu une licence d’Arts-Plastiques à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne en 1993. En 2006, elle passe le BAFA (encadrements enfants/ados) avec une spécialisation Arts-Plastiques.

En 2013, elle crée l’association La Pince : animations d’ateliers de Gravure, Arts-plastiques et d’Art-Thérapie appliqué pour tout public. Formée en Art-Thérapie appliquée en 2017, elle anime des ateliers pour publics fragilisés. Elle reste 10 ans au sein de cette association, puis anime aujourd’hui des ateliers de gravure en taille douce à l’Atelier papier. Elle participe à de nombreuses expositions collectives.

L’aquatinte est la technique de prédilection de l’artiste et ses œuvres font la part belle aux jeux d’ombres et de lumières, du visible et de l’invisible…

“Mes gravures parlent d’expériences personnelles et de la vie quotidienne. J’y montre des lieux habités, des visages, portraits, la fragilité du présent. Parler du quotidien signifie également que je vis proche des rêves ou de l’espace de l’inconscient, avec ce que cela a à voir avec l’intimité, le ressenti, les émotions. La vie inconsciente, les temps mêlés et emmêlés, font figure de poésie. Les jeux de mots aussi ou les jeux d’enfant, du passé et du présent. Ainsi j’aime trouver de la poésie dans le quotidien […] “

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement à l’Artothèque de la Province de Liège ? N’attendez plus, foncez au 3ème étage du B3, le centre de ressources et de créativité situé place des Arts à B-4000 Liège…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque B3 | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Hélène Bascoul ; actu.fr | remerciements à Bénédicte Dochain, Frédéric Paques et Pascale Bastin

RASSENFOSSE, Armand (1862–1934) et SERRURIER-BOVY, Gustave (1858-1910)

Temps de lecture : 32 minutes >

Transcription du catalogue de l’exposition au Musée de l’Ancienne Abbaye de Stavelot (20 juin – 20 septembre 1975) et au Service provincial des Affaires culturelles de Liège (30 septembre – 25 octobre 1975) sous les auspices du Ministère de la Culture française et du Service provincial des Affaires culturelles de Liège. L’intégralité du catalogue (et ses illustrations) est téléchargeable dans documenta.wallonica.org

COMITÉ DE PATRONAGE

Messieurs Fr. Van Aal, Ministre de la Culture francaise ; G. Mottard, Gouverneur de la Province ·de Liège ; M. Laruelle, Député permanent ; E. Moureau, Député permanent ; G. Bassleer, Député permanent ; J. Remiche, Administrateur général de la Culture française ; Ph. Roberts-Jones, Conservateur en Chef des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique ; M. Witteck, Conservateur en Chef de la Bibliothèque Royale de Belgique ; J. Stiennon, Président de la Société Royale des Beaux-Arts de Liège ; J. Hendrickx, Conservateur du Musée des Beaux-Arts et de l’Art Wallon de Liège ; J. Moxhet, Bourgmestre de la Ville de Stavelot.

COMITÉ ORGANISATEUR

Mademoiselle Cl. de Rassenfosse ; Messieurs L. Lebeer, ; J. Charlier, Directeur des Affaires culturelles de la Province de Liège ; Th. Galle, Conservateur du Musée de l’Ancienne Abbaye de Stavelot ; R. Léonard, Conseiller au Ministère de la Culture francaise ; J. Parisse, critique d’art ; J.-G. Watelet, historien.

Les organisateurs remercient

      • le Ministère de la Culture francaise et la Direction des Affaires culturellles de la Province de Liège pour leur collaboration importante,
      • la Bibliothèque Royale de Belgique (numéros 66, 78, 79, 80, 86, 87, 89, 90, 91 , 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101 , 102, 103, 105,106,107, 108,121),
      • les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique (n° 8),
      • le Musée des Beaux-Arts et de l’Art Wallon de Liège (numéros 13, 14, 36 bis),
      • le Service des Collections artistiques de l’Université de Liège (numéros 45, 55, 56, 112 bis),
      • la S.A. Imprimerie et journal “La Meuse” à Liège (n° 132),
      • Mesdames S. Anspach (numéros 19, 71) ; L. Dubru (n° 104bis) ; L. de Rassenfosse (numéros 6, 7, 16, 18, 22, 32, 33, 34, 46, 48, 51, 58, 61, 62, 63, 65, 67, 74, 75, 76, 88, 121, 129) ; Fr. Stiennon-de Neuville (numéros 2, 3, 4, 49) ; R. Waaub (n° 57) ; Mesdemoiselles Cl. de Rassenfosse (numéros 10, 11, 12, 15, 23, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 35, 37, 38, 39, 40, 44, 47, 50, 53, 60, 64, 68, 72, 73, 77, 82, 83, 84, 85, 109, 110, 113, 114, 115) ; A. Humblet (n° 36) ; Monsieur et Madame R. Soyeur-Delvoye (numéros 116, 117, 118, 119, 120, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 130, 131) ; Messieurs G. Comhaire (n° 70) ; R. Crespin (n° 69) ; J. Donnay (n° 24) ; A. Glesener (numéros 17, 21) ; M. et Mme P .-Fr. Mathieu ( n° 1) ; L. Ortmans ( numéros 81, 111, 112) ; J. Stiennon (numéros 5, 41, 42, 43) ; G. Thiry (numéros 9, 20, 52, 54, 59) ; pour les prêts généreux consentis.

L’affiche de l’exposition a été aimablement réalisée par P.-Fr. Mathieu. La section relative à G. Serrurier-Bovy a été conçue par MM. Watelet et Soyeur. Le Musée de l’Ancienne Abbaye leur exprime ses vifs remerciements.

Maquette : Benno.
Photos : B. Galle.
Imprimerie : Chauveheid – Stavelot.

AVANT-PROPOS

Le milieu du XIXème siècle voit le renouveau de l’école artistique liégeoise. Nous nous trouvons devant une pléiade de grands noms : Adrien de Witte, François Maréchal, Auguste Donnay, Emile Berchmans, Armand Rassenfosse

Tous s’essayent à différentes techniques : ils gravent, peignent, illustrent, créent des affiches, travaillent en étroite collaboration avec les meilleurs écrivains, forment des cercles artistiques. Ils établissent à Liège un climat propice à l’élaboration de grands travaux et à l’innovation. L’Académie compte de grands artistes parmi ses maîtres et ses élèves. Rops et Rassenfosse trouvent une technique nouvelle en gravure, un vernis mou appelé le Ropsenfosse.

Malheureusement, aujourd’hui, ces grands talents sont un peu oubliés, trop de noms venus de l’étranger avec leur publicité tapageuse ont submergé le patrimoine artistique local.

Nous devons au Musée de l’ancienne abbaye de Stavelot et à son dynamique conservateur Monsieur Théo Galle d’avoir mis en valeur deux de ces grands artistes.

Musée de l’ancienne abbaye de Stavelot © Connaître la Wallonie

L’été dernier, en effet, nous avons pu apprécier à Stavelot le génie de Félicien Rops, sa vive imagination, son inspiration variée. Continuant sur cette lancée, nous assistons cette année à un brillant hommage à Armand Rassenfosse, hommage auquel est associé Serrurier-Bovy, précurseur du mobilier et de l’architecture 1900.

Rassenfosse, cet incomparable peintre de la femme, ce merveilleux illustrateur et affichiste, ce grand graveur, nous est présenté ici dans toute sa splendeur décorant avec harmonie les ensembles mobiliers de Serrurier-Bovy.

Ces oeuvres nous paraissent d’une étrange actualité à l’heure du modern style, de ses arabesques harmonieuses, de ses coloris vifs et du flou de ses tissus.

Il était donc grand temps de célébrer ces deux grands artistes de chez nous qui ne sont pas toujours estimés à leur juste valeur et nous devons féliciter M. Théo Galle de cette heureuse initiative et de la possibilité qu’il nous offre de présenter ensuite cette exposition à Liège, terre natale de Rassenfosse et de Serrurier-Bovy.

M. LARUELLE, Député Permanent

A PROPOS D’ARMAND RASSENFOSSE

Au moment où se prépare l’exposition des oeuvres d’Armand RASSENFOSSE, mes souvenirs ressurgissent, évoquant une époque datant d’un demi-siècle.

Il y a 50 ans, je connaissais cet éminent artiste, habile dessinateur, graveur exceptionnel, ami de Félicien ROPS. avec qui il rechercha et trouva une nouvelle formule de vernis qu’on appela le ROPSENFOSSE.

C’était aussi le peintre de la femme, aux nus si purs et si chastes. C’était encore un maître à qui la Société des Bibliophiles de Paris avait commandé l’illustration des Fleurs du Mal de Baudelaire. C’était le grand nom qui apportait son talent à l’imprimerie BENARD, de réputation internationale dans le monde de l’affiche et de l’illustration.

Il était contemporain d’Emile BERCHMANS, d’Adrien DE WITTE, d’Auguste DONNAY, de François MARECHAL, de Georges KOISTER : une belle équipe qui fit grand honneur à la Cité Ardente où Auguste BENARD et Paul JASPAR jouèrent aussi un rôle important.

Je fus mis en contact avec RASSENFOSSE. A l’initiative de son Président, le Député permanent Gilles GERARD, un ancien chef d’atelier d’imprimerie, la Commission spéciale de l’Education populaire proposa à la Députation permanente l’édition de gravures susceptibles d’embellir les foyers de nos travailleurs. La Maison BENARD fut chargée de ce travail et c’est avec Armand RASSENFOSSE, à qui l’idée souriait beaucoup et qui apportait l’autorité de son jugement, qu’on allait traiter et qu’allaient se nouer de bien agréables relations.

On commença par reproduire les deux tableaux de DELPEREE : La Paix de Fexhe et la Remise du Perron par Marie de Bourgogne qui ornent l’escalier d’honneur du Palais provincial : c’était l’hommage à la Démocratie. L’année suivante, ce fut dans l’oeuvre même du Maître qu’on choisit cette Ouvrière du Charbonnage et cette Marchande de Beurre, évocatrices du petit peuple de chez nous. Puis, pour une troisième année, sur la suggestion de RASSENFOSSE, on édita deux dessins rehaussés de Paul JASPAR qui évoquaient un “site retrouvé” qui restituait aux Liégeois le Mont St-Martin jusqu’alors dissimulé par les grands arbres du Boulevard de la Sauvenière. Ce fut la fin d’une série intéressante.

Bientôt cependant, nous allions retrouver RASSENFOSSE. Il nous confia un splendide dessin : Maternité, qui allait marquer le début d’une édition annuelle justifiée par la célébration de la Fête des mères. La parution de cette oeuvre fut saluée avec enthousiasme et devait justifier la continuation de cette initiative qui assura la diffusion, par dizaines de milliers, de gravures reproduisant l’oeuvre de nos meilleurs artistes. Le nom de RASSENFOSSE est lié à cette initiative à laquelle il porta intérêt jusqu’à son heure dernière. Après sa mort on n’en continue pas moins à célébrer la fête des mères et la Province de Liège demeura ainsi fidèle au souvenir de celui qui lui avait apporté sa précieuse collaboration.

Personnellement, j’ai conservé vivace le souvenir de cet homme charmant avec qui on savait parler de choses relevant du domaine de l’art. On était loin des soucis de la vie matérielle ; seule la Beauté illuminait ces instants que nous revivons avec plaisir dans le cadre de la rétrospective. Et nous revoyons cet homme affable, affectueux, qui donna aux jeunes artistes tant de preuves de sa bienveillance et de sa bonté.

F. CHARLIER

Stavelot, vieille cité romane aux confins du monde germanique, peut s’enorgueillir de porter témoignage de plus de treize siècles d’action civilisatrice et d’innervations culturelles diffusées jadis au coeur des forêts d’Ardenne. L’offensive des hordes hitlériennes au cours des mois de décembre 1944 et de janvier 1945 a dévasté la petite ville wallonne qu’elle laissait douloureuse et défigurée.

Habitué depuis toujours à lutter pour vivre et pour survivre, l’Ardennais ne s’abandonne jamais au désespoir. La conjonction des efforts de tous, l’impulsion et le dynamisme d’un bourgmestre, Stavelotain de fraîche date, mais qui s’était donné tout entier à sa ville d’adoption, eurent raison de toutes les difficultés et de tous les obstacles. Les plaies furent pansées et Stavelot retrouva rapidement son visage accueillant et sa douceur de vivre.

Bien plus, la pugnacité et le dynamisme de certains de ses enfants maîtrisèrent les obstacles innombrables et contribuèrent à rendre à la ville quelque chose de ce rayonnement culturel qui avait marqué son glorieux passé. Qu’il me soit permis de rendre un particulier hommage à deux personnalités stavelotaines qui, parce qu’elles ont cru et qu’elles croient aux valeurs de l’esprit, qui justifient les niveaux de civilisation, ont contribué et contribuent au renom de leur petite cité : Raymond Micha, Directeur du Festival international de Musique de chambre et sa merveilleuse équipe, Théo Galle et ses collaborateurs. Alors que la ville reconstruisait ses quartiers dévastés, Théo Galle a pris conscience des possibilités qu’offraient les dépendances délabrées et inadéquatement employées de l’Ancienne Abbaye. Avec cette foi qui soulève les montagnes, il s’est attaqué aux difficultés qui ne manquaient certes pas ; il les a surmontées les unes après les autres. Des moyens financiers étaient nécessaires ; il les a trouvés. La conjonction de ses efforts et la collaboration du Ministère de l’Education nationale et de la Culture ont permis la réalisation du Musée de l’Ancienne Abbaye, appelé en un premier temps à héberger un musée de la Tannerie créé de toute pièce tandis que les agrandissements ultérieurs apportaient à la ville une infrastructure remarquable pour la réalisation d’expositions temporaires. Mais Théo Galle n’avait pas attendu que les aménagements fussent terminés pour présenter au public stavelotain et aux nombreux touristes des expositions de qualité. Dès 1961, deux salles proposaient aux visiteurs un excellent panorama de l’art belge contemporain tandis que quelque vingt sculptures occupaient les pelouses de l’ancienne abbaye.

Que de manifestations de haute qualité se sont succédé depuis cette année. Faut-il rappeler, parmi beaucoup d’autres, les expositions consacrées au Paysage dans l’art belge, au Fauvisme brabançon, à l’Aquarelle et la gouache depuis Rik Wouters, aux Trésors des anciennes abbayes de Stavelot et de Malmedy, aux Arts plastiques et la Musique, la rétrospective William Degouve de Nuncques ?

Après avoir présenté, il n’y a guère, deux grands graveurs de l’Ecole liégeoise d’aujourd’hui, Jean DONNAY et Georges COMHAIRE, c’est à un autre grand maître de l’Ecole liégeoise de gravure qu’est consacrée la présente exposition : Armand Rassenfosse, tout à la fois élève d’Adrien de Witte et disciple d’un autre grand maître wallon, Félicien Rops. Il faut savoir grand gré à Théo Galle et à son ami Jacques Parisse qui, depuis plusieurs années, collabore régulièrement avec lui, d’avoir réservé les cimaises du musée à un ensemble d’oeuvres de ce maître liégeois très remarquables par leur qualité et par leur diversité. Rassenfosse est un artiste trop peu connu, notamment des jeunes générations.

Cela résulte dans une très large mesure du fait que ces oeuvres groupées ne sont pas présentées au public. D’autres, plus qualifiés que moi, diront dans ce catalogue qui est Rassenfosse, situeront et analyseront son talent. L’éminente compétence du Professeur Lebeer qui a accepté de présenter l’artiste et son oeuvre vaudra aux visiteurs un guide éclairé et sûr et fera de ce catalogue un instrument de travail qui constituera un ouvrage de références et un souvenir durable de cette exposition lorsqu’elle aura fermé ses portes.

Jean REMICHE, Administrateur général des Affaires culturelles

ARMAND RASSENFOSSE…

…naquit à Liège le 6 août 1862 et non le 6 avril 1862 comme on le répète dans toutes ses biographies. Il y décéda le 28 janvier 1934. Il appartient à la lignée des hommes de science et d’esprit, écrivains et artistes profondément attachés à leur pays natal, mais les regards ouverts à tout ce qui les rapprochait de cette latinité française dont ils sont marqués et dans laquelle ils se sentaient appelés à intégrer leurs plus intimes volontés au-delà des frontières de leur terroir.

Né dans une famille où l’intellectualité finit par l’emporter sur une entreprise commerciale, par ailleurs axée sur des objets de luxe choisis avec un goût des plus distingué, le jeune Armand se vit tout naturellement inscrire pour “faire” ses humanités classiques au collège St-Servais de Liège. S’il pratiquait simultanément le piano et le chant – ses intimes se souviennent de leur surprise de l’entendre plus tard jouer, voire improviser sur le grand harmonium qui jusqu’à ce jour reste conservé pieusement dans le hall d’entrée de sa maison de la rue de Saint-Gilles – il s’y fit non moins remarquer déjà par ses dons innés de dessinateur.

Ses études moyennes terminées, son père crut le moment venu pour l’associer à son commerce. Certes, il ne l’empêcha guère de s’intéresser aux choses de l’art, d’être un fervent lecteur des écrivains en vogue à ce moment : Théophile Gautier, Théodore de Banville, Barbey d’Aurevilly, Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine et bientôt, des animateurs de “La Jeune Belgique” qui l’attachèrent à Emile Verhaeren , Albert Mockel, Hubert Krains, Jules Desirée et bien d’autres. Romantiques, Parnassiens, Symbolistes, défenseurs de l’art pour l’art, il s’en nourrissait, suivait leurs conflits et, comme eux, ne se privait guère de se faire entendre, avec la mesure que lui dictaient à la fois son éducation et sa conscience de ce qu’il avait à apprendre, dans les milieux qui voulaient endoctriner l’art selon leurs velléités respectives.

Féru d’estampes, les eaux-fortes de Félicien Rops devaient le séduire particulièrement. Aussi entreprit-il – avait-il alors déjà vingt ans ? – de s’en constituer une collection. Il est aisé de s’imaginer ce que signifièrent pour lui les voyages à Paris dont il fut chargé pour les affaires paternelles : il en profita pour s’approcher des milieux littéraires et artistiques qui l’exaltaient. Par ailleurs, il ne cessa de manifester de plus en plus son goût pour le dessin et simultanément ses curiosités pour l’art de l’eau-forte. Il se plaisait à raconter que s’étant procuré, avec un vieux petit traité d’eau-forte, quelques outils de graveur élémentaires, il se livrait à ses premiers essais dans un art dont il devait devenir un des grands maîtres. Il se fit ainsi qu’il éveilla l’attention d’Adrien De Witte, peintre-graveur qui à cette époque jouissait d’une grande notoriété à Liège. Ami assidu de la famille de Rassenfosse, celui-ci ne manqua guère de s’intéresser aux dessins progressivement mieux venus du jeune Armand, ainsi qu’à ses tout premiers pas dans l’art de l’eau-forte et de le favoriser de ses conseils. Profitant d’un de ses passages à Paris – ce fut en 1886 – le dessinateur et aquafortiste en herbe, s’enhardit jusqu’à aller sonner à la porte de l’atelier de Félicien Rops, rue de Grammont. Il y fut accueilli, d’abord avec une certaine surprise, mais presque aussitôt comme il n’avait osé l’espérer. Jamais contact ne fut plus décisif, plus productif, plus durable. Leur vie durant, le maître et son jeune admirateur restèrent fidèles à ce qu’ils savaient se devoir l’un à l’autre.

L’intérêt que porta Adrien De Witte à Armand Rassenfosse et la collaboration continue de celui-ci avec Félicien Rops, le fait aussi que ces trois artistes eurent pour thème d’inspiration – combien différent cependant – ce qu’on se plaît à appeler l’éternel féminin, eurent pour effet de faire passer et de continuer encore à faire passer le cadet pour l’élève de ses deux aînés. Ainsi que le révéla Gustave Van Zype dans sa biographie d’Armand Rassenfosse publiée dans l’Annuaire de l’Académie royale de Belgique en 1936, c’est une légèreté qui valut à l’illustrateur des Fleurs du Mal une déception dont il a souffert dans son for intérieur sans pour autant jamais la manifester. Seuls quelques rares intimes ont pu la deviner en écoutant ses délicates confidences à l’égard de ceux dont il ne trahit en aucune circonstance l’amitié qu’il tenait pour un de ses précieux joyaux de vie.

A vrai dire et strictement, Armand Rassenfosse n’eut jamais de maître et ne fut jamais amené, non plus, à se faire recevoir à l’Académie des Beaux-Arts de Liège dont pour autant il ne méconnaissait guère le haut niveau d’enseignement et dont il tenait les professeurs en parfaite estime. Alors, pendant qu’il attendait le moment où il pourrait se dégager du négoce auquel son père l’avait associé, tous ses moments de loisir, il les mit à profit pour se former lui-même selon ses volontés : maîtriser les moyens techniques qu’appelle un art qui, dans sa probité, son honnêteté et ses spontanéités, dans sa fidélité au simple prestige de la forme contemplée s’explique par la sensibilité délicate et la culture raffinée dont vivait tout entier son créateur. Ses innovations techniques eurent pour principal objet de le mettre en mesure de créer des dessins, des eaux-fortes et des peintures, progressivement plus conformes aux vérités de ses visions de beauté.

Si, quant à cela, il ne se laissa pas guider par les orientations d’ordre esthétique, littéraire, voire spirituel en pleine gestation à cette époque et dont, par ailleurs, il n’ignorait rien, c’était, à n’en point douter, parce que, de nature, il se sentait foncièrement séduit par ce que la vie lui donnait à simplement observer autour de lui, particulièrement par celle de la femme qu’il admirait – qu’il aimait – telle qu’elle le charmait et l’émouvait dans ses intimes coquetteries de toilette, dans ses humbles besognes de repasseuses et de tricoteuses, dans ses frustes apparences d’hiercheuses parfois le buste dénudé, dans ses tendresses maternelles et finalement telle qu’elle l’émerveillait dans ses formes purement naturelles.

A partir de ce qu ‘il y avait de local et de temporel – d’accidentel – dans ses rencontres avec la femme qui devait devenir le thème diversement inspirateur de ses créations et qui atteste ses attachements profonds à sa terre wallonne et à sa ville natale, il fut amené à découvrir et à révéler selon ses visions la vérité universelle et intemporelle de la beauté qu’il admirait dans la femme avec des élans toujours renouvelés.

Ainsi devait s’affirmer sa personnalité foncière qui le distançait de ceux dont on a voulu le faire passer pour l’élève. Ce n’est que sporadiquement, dans quelques-unes des eaux-fortes de ses débuts, dans ses illustrations d’oeuvres littéraires de l’époque, dans des inventions restées à l’état de croquis aussi, qu’on peut retrouver des traces de ce symbolisme, de ce satanisme et de cet érotisme qui rendirent célèbres les eaux-fortes, dessins et aquarelles de Félicien Rops, par ailleurs – et soit dit en passant – un artiste, qui à ses heures de délassement produisit des peintures de paysages et de marines, enlevées “sur le motif”, comme l’écrivit Paul Haesaert, et qui soutiennent la comparaison avec celles d’un Dubois ou d’un Artan .

Ce fut vers 1890 que son père, ayant appris à connaître Auguste Bénard – une des rencontres de son jeune fils à Paris – mit les deux chercheurs d’une carrière selon leurs rêves, en mesure de fonder une imprimerie et maison d’édition dont allaient sortir des livres, des affiches et autres productions typographiques hautement appréciés en France comme en Belgique. Bénard s’occupant de l’installation, gestion et développement de l’entreprise selon toutes les exigences et possibilités techniques et commerciales, Armand Rassenfosse s’occuperait avant tout d’assurer à la Maison le renom artistique qu’elle n’a pas manqué d’acquérir.

Voici, donc, Armand Rassenfosse parti pour se livrer avec toutes ses ferveurs, toutes ses volontés, tous ses talents à son art et par excellence à la création de ses estampes et à ses innovations techniques qui allaient le situer parmi les peintres-graveurs en vue à son époque. Le jour où l’on pourra publier ce que sa précieuse correspondance recèle sous ce rapport – surtout celle avec Félicien Rops – et où seront rendues accessibles les épreuves que ces deux amis échangèrent avec leurs remarques respectives, on pourra mesurer judicieusement ce que valurent à l’un comme à l’autre ces vernis dont ils élaborèrent conjointement, mais chacun selon leurs recherches respectives, la formule, et qui furent qualifiés ensemble – avec quelles intentions ? – le Ropsenfosse.

Indiciblement dommage qu’un coup du sort impitoyable n’ait pas permis à Armand Rassenfosse de continuer à raconter lui-même l’histoire de ces inventions techniques, comme seul il pouvait le faire et commença à le faire dans un article dont il confia la publication au premier numéro (1934) de la revue Le Livre et l’Estampe éditée par Roger Avermaete, Louis Lebeer, Joris Minne et Paul Van der Perre. Le titre de ce beau périodique in-4°, qui à la suite de malencontreuses complications de gestion, indépendantes de la bonne entente entre ses éditeurs et du succès qui lui était assuré, ne put connaître que quatre livraisons. Il n’est peut-être pas sans intérêt de rappeler que ce titre fut jugé digne d’être repris par la Société des Bibliophiles et Iconophiles de Belgique, pour sa revue, créée en 1954, alors que ladite Société prenait un nouvel essor sous la présidence clairvoyante et dévouée d’Auguste Lambiotte. Aussi bien est-ce dans ses livraisons n° 16 et 17 (1958) que M. Eugène Rouir, homme de science et iconophile averti, publia, en attendant qu’ il trouve l’occasion d’éditer le catalogue complet des oeuvres d’Armand Rassenfosse, son étude méthodiquement documentée : Armand Rassenfosse : notes sur sa vie et son oeuvre gravé. L’auteur y consigna les résultats de ses recherches concernant les inventions techniques qui firent d’Armand Rassenfosse cet artiste liégeois qui dès avant 1900 connut un accueil très encourageant à Paris. En effet, en 1892 déjà Pincebourde publia trois de ses estampes : Le Baiser du Porion, Le Joujou et L’appelle de la Faunesse. A partir de 1893 le jeune liégeois se fit remarquer par sa collaboration aux albums que publia régulièrement La Société des Aquafortistes belges, par les dessins que publièrent Le Courrier français et bientôt La Plume. En 1895, Pellet édita à Paris sa gravure La Belle Hollandaise et voici qu’en 1895, Félicien Rops ne se sentant pas disposé à entreprendre un aussi redoutable travail, proposa son jeune ami à E. Rodriguès, président de la Société des Cent Bibliophiles à Paris, pour illustrer Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, dont ladite Société avait conçu le projet de publier une édition bibliophilique illustrée. L’offre acceptée et l’accord conclu, Armand Rassenfosse se mit à l’oeuvre avec une ardeur à peine suffisante pour surmonter les difficultés et déconvenues qui l’attendaient. L’histoire des “pièces condamnées” est connue. Elle ne doit, certes, pas avoir réjoui le jeune artiste. elle ne le découragea point pour autant. Il trouva d’ailleurs l’occasion de les publier séparément – ces pièces condamnées – en 1903.

Comme il était captivant de l’entendre relater qu’étant donné le peu de temps – deux ans ! – qui lui fut accordé pour terminer un travail comportant une illustration en couleurs nécessitant selon les cas de 2 à 4 cuivres gravés pour chacun des 158 poèmes pour lesquels était prévu, de surcroît, un cul-de-lampe à exécuter en lithographie, les jours ne lui suffisant pas, il dut y consacrer aussi ses nuits. Encore n’aurait-il pas réussi à venir à bout de cette téméraire entreprise, s’il n’avait connu que les moyens techniques propres à l’eau-forte traditionnelle. Certes, il disposait déjà de vernis, d’acides, d’encres et de modes d’imprimer qu’il avait inventés pour créer des estampes avec une liberté, une spontanéité, une variété et une promptitude à peine inférieures à celles avec lesquelles il exécutait ses dessins. Toutefois, il était, sous ce rapport surtout, encore à ses années de début. Au point qu’au cours de ces deux années il fut amené non seulement à perfectionner ses innovations techniques déjà acquises mais aussi à développer ses facultés d’imagination créatrice et à faire obéir sa main à ce qu’exige un dessin qu’il tenait pour être, attentif en cela à la leçon de Monsieur Ingres, la probité de l’art.

© BnF

Commencé en 1895, le travail fut terminé, comme convenu, en deux ans et Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, illustré par Armand Rassenfosse, put être publié par la Société des Cent Bibliophiles à Paris en 1899.

Du coup le jeune graveur liégeois s’assura une place significative dans l’histoire du livre illustré français. Cela lui valut d’être sollicité d’illustrer d’autres livres – entre autres de Barbey d’Aurevilly, de Noël Ruet, d’Edmont Glesemer, d’Omer Englebert, de Claude Farrère – où il fit usage d’innovations créatrices progressivement acquises et adaptées à ses volontés : le vernis mou, l’aquatinte, la manière noire, souvent combinées entre elles et développées à partir d’un dessin de mise en page à l’encre au sucre, tous ces modes de nuancer et d’intensifier les noirs profonds avec des roulettes appropriées, d’y faire apparaître les révélations de la lumière par des blancs produits, soit au brunissoir ou au grattoir dans des fonds d’aquatinte, soit en les réservant avec des pâtes à couvrir. Il savait tout faire avec une virtuosité déconcertante, avec un goût sensible pour des modelés sans heurts ; il savait tout faire à partir d’un dessin sur papier reporté directement sur ses fines et brillantes plaques de cuivre ou d’aluminium que lui fournissaient les usines d’Ougrée Marihaye.

Il savait créer des estampes avec une aisance, avec une rapidité et une spontanéité égales à celles avec lesquelles il dessinait, quitte à les parfaire par après avec des outils qu’ il inventait et qu’il faisait fabriquer par des gens de métier, comme par exemple ces roulettes que lui fournissaient des armuriers particulièrement choisis. Il imprimait lui-même ses estampes sur la belle presse qui donnait à son atelier une allure de grand maître graveur. A côté d’elle pendait une étagère où étaient rangés les flacons de produits chimiques, de vernis et d’encres dont des étiquettes parfois à peine encore lisibles, révélaient le contenu. Il savait imprimer ses estampes soit en noir et blanc, soit avec d’autres variétés d’encres. Il savait offrir des estampes en couleurs, soit encrées à la poupée sur une seule plaque, soit imprimées aux repérages de plusieurs plaques, soit rehaussées avec des couleurs à la cire. Ainsi ne dut-il jamais recourir à des procédés mécaniques-héliographiques où, en tant que création artistique, sa main serait restée inopérante.

Au bout du compte, il put ainsi donner libre cours à sa fantaisie créatrice et perpétuer le souvenir de ses amis – N. Ruet, Dorbon aîné et fils, Cl. Debussy, E. Verhaeren et ses mains, Ch . de Coster, A . Salle, E. Rodriguès, Cl. Farrère, C. Mauclair, E. Glesener, R. van Bastelaer et tant d’autres – dont il retraça les effigies, à l’occasion selon sa mémoire visuelle, en des manières techniques différentes et parmi lesquels celui de sa femme, Madame de Rassenfosse, témoigne non seulement de sa fine, pure et sensible maîtrise graphique, mais aussi de l’émotion avec laquelle il la contempla en la portraiturant d’après nature.

La Mort est saoûle (1914) © Collection privée

Il put ainsi s’abandonner à ses pensées à la mort, évoquer, sans recours à l’anecdote, ce que lui inspirèrent les sinistres et monstrueuses dévastations de la Première Guerre mondiale en cette planche dénonciatrice, intitulée La Mort est saoule, tirée en couleurs au repérage et rendue percutante par d’incisifs traits à la pointe sèche (elle date de 1914) ; la mort qu’il voyait jouer aux cartes avec d’humbles habitués de cabarets et qu’il voyait faire des
croche-pieds à d’insouciants promeneurs ; la mort défiant les flèches de l’amour ; la mort dont il méditait, fût-ce la lointaine annonce au bout de toute les joies, de tous les horizons et de toutes les prédestinations de la vie.

Il put ainsi créer des estampes en blanc et noir où se confondaient entre eux ses modes techniques les plus virtuoses et où il ne cessait de manifester les séductions qu’exerçait sur lui le nu féminin dans ses apparitions, attitudes et charmes vivants, mais où il révélait aussi ce que lui inspiraient, par exemple, la Noël ou la rencontre des pèlerins d’Emmaüs. Evocations auxquelles présidaient moins le souvenir de textes évangéliques ou pseudo-évangéliques que les sentiments humains qu’elles éveillaient en lui. La Noël ne le rapprochait pas de ceux qui dans des liesses aux folles mascarades oublient ce qu’ ils prétendent fêter, mais de ceux qui dans le recueillement d’une nuit solitaire se retrouvaient pour assister à ce que promet, fait espérer ou redouter la naissance d’un enfant sans autres présences que celles de parents abandonnés et celle de quelques-uns des plus humbles de la terre liégeoise que sont les mineurs ; la pensée à ces pèlerins qui sur leur chemin de vie connurent la grâce de retrouver leur maître auréolé de la lumière qu’ il fut et restait pour eux.

Si le nombre d’estampes d’Armand Rassenfosse pouvant être qualifiées de gravures pures est inférieur à celui de ses estampes faites principalement d’innovations techniques autres que strictement graphiques, il ne faudrait pas en déduire que leur créateur n’aurait qu’occasionnellement fait appel aux outils du graveur proprement dit. Ces outils, il les avait toujours et tous à la main – il en avait un véritable arsenal – pour parfaire, ce que des morsures d’acides et des blancs ménagés par des couvertures, restaient en défaut de créer selon ses conceptions, ses sensibilités et ses visions ; il les prenait à la main, aussi, pour créer avec eux seuls. ce que lui dictaient ses yeux, son esprit et son coeur .

Ne fut-ce pas avec le plus simple de ces outils – une pointe – qu’il sut confier directement au métal ce que devaient devenir sur le papier les plus purement belles, les plus merveilleusement évocatrices de ses estampes ? Clairement conscient du génie du langage choisi en l’occurrence, il sentait qu’il devait surveiller sa main au moment où elle allait creuser dans le cuivre ou le zinc la ligne – le trait – magique conçu pour donner une forme à ses visions et émotions intimes. Car cette main, il savait qu’elle allait obéir à ses impulsions d’esprit et de coeur, qu’il allait devoir la surveiller, non seulement pour qu’elle dessine, mais autant pour qu’elle creuse des traits – tantôt appuyés, tantôt fins et légers jusqu’à l’extrême, selon les visions qui y présidaient. Il savait qu’avec cette pointe il allait creuser des traits diversement colorés selon qu’il y fasse jouer en des accents délicats ou intenses et d’apparence veloutée, l’encre retenue dans des “barbes” plus ou
moins opulentes et reportée par elles sur le papier. Ce qu’Armand Rassenfosse sut créer avec cet outil – une simple pointe – il en laissa divers témoignages magistraux, entre autres dans ce Nu de femme dont il évoqua avec une rare sensibilité les jeunes formes émouvantes ; dans des portraits comme ceux de Félicien Rops et d’Emile Verhaeren, si diversement inspirés ; dans une de ses rencontres avec une hiercheuse tricotant et dans certains hymnes à la Danse inspirés par des danseuses célèbres évoluant dans les luminosités diffuses et vaporeuses d’une scène de spectacle.

Chaque fois il s’y affirma comme un maître graveur aussi foncièrement authentique que diversement doué. Davantage que la pointe sèche – et pour cause – il pratiqua l’eau-forte pure entre autres pour produire les nombreux ex-libris que lui demandaient ses amis et autres bibiophiles. Sauf quand il les concevait de sa propre initiative et selon sa propre fantaisie, il y fut des fois mis à rude épreuve pour les composer selon une sorte de programme imposé. L’ex-libris l’intéressait au point qu’ensemble avec Madame de Rassenfosse il s’en constitua cette riche collection qui fut confiée à la garde de la bibiothèque de l’Université de Liège et dont Mademoiselle M. Lavoye publia le catalogue en 1956.

Par ailleurs, la direction artistique de l’imprimerie et Maison d’édition Bénard devait nécessairement le rendre attentif à tous les moyens techniques, voire mécaniques, susceptibles de le mettre en mesure de produire des estampes et illustrations de tous genres. Ce fut ainsi qu’il apprit à tout savoir de la lithographie, d’abord à Paris dans l’imprimerie lithographique des Chaix à laquelle se joignit en 1881 celle de Chéret dont l’affiche Orphée aux enfers datée de 1858 et imprimée en trois couleurs par Lemercier constitua en fait le vrai début de Chéret dans l’art chromolithographique. C’est aussi dans l’imprimerie de celui-ci que se nouèrent les liens d’amitié profonde entre Rassenfosse et Adolphe Willette. Ensuite avec son fils, Louis de Rassenfosse, qui dirigeait le département de la lithographie chez Bénard. Il la pratiqua non seulement directement mais aussi par des reports à l’offset. A l’occasion il sut ainsi – comme dans cette planche intitulée Danseuses – choisir et préparer ses encres de façon telle qu’à l’impression elles produisent les reflets propres à des dessins exécutés avec des crayons à la mine de plomb. Il ne le fit, certes, pour tromper personne. Il ne rechercha que d’utiliser les moyens mis à sa portée pour atteindre tout ce qu’on pouvait en attendre.

Ainsi se fit-il remarquer parmi ceux – Jules Chéret, Pierre Bonnard, Adolphe Willette, Henri .de Toulouse-Lautrec et combien d’autres – qui élevèrent l’affiche au rang d’un art toujours encore en continuelle évolution. Que ce soit dans des articles de grandes encyclopédies ou dans l’histoire de cette forme d’expression particulière, son nom y figure en première place parmi ceux qui en Belgique participèrent à perpétuer, dans l’affiche comme par ailleurs, le sens autant que le visage vivants d’une époque si diversement significative.

Si Armand Rassenfosse peut être tenu pour un graveur et dessinateur par excellence – faut-il le répéter ? – , il fut de surcroît un peintre dont les tableaux sont répandus et conservés dans les collections et musées réputés, tant à l’étranger qu’en Belgique.

Jacques Ochs, qui parlait en connaissance de cause, a écrit à ce sujet : “Quant aux oeuvres peintes d’Armand Rassenfosse, elles magnifient, pour la plupart, l’éternel féminin, mais avec moins de spontanéité, peut-être, que dans les dessins et les gravures. Certains tableaux, comme Poyette (Musée de l’Art moderne, Paris) ou Femme se lavant (Musée de l’Art Wallon, Liège), séduisent par leur charme discret et leur fine sensibilité. Rassenfosse s’en tenait généralement à une gamme de couleurs nuancées, en demi-tons, que réchauffe une lumière légèrement dorée. Sa technique de prédilection : la peinture à la cire sur carton“. Il est vrai qu’Armand Rassenfosse a peint sur carton, mais davantage sur toile. Il est vrai surtout qu’il avait une prédilection pour es couleurs à la cire, qu’il choisit non seulement pour peindre mais aussi pour rehausser ses dessins. Ses sensibilités lui faisaient préférer les tons mats, doux et fondus, aux effets faciles de brillances miroitantes. Il aimait la cire qu’il tenait pour une matière nourrissante et vivante, une matière qui ne durcit pas et ne craquelle pas, une matière qu’on sait enlever et renouveler sans risque d’enlever avec elle la moindre parcelle de couleur. Pour ce faire, il avait composé des émulsions, diversement liquides ou épaisses, les unes pour nettoyer des tableaux, les autres pour les protéger. A ce dernier effet, il recommandait de ne jamais négliger de couvrir les tableaux à la fois à l’avers et au revers pour éviter que des champignons, poussières ou vapeurs d’humidité percent la toile pour aller se nicher entre la couche de couleur et son support.

Il y a plus d’un tableau de maîtres célèbres qu’il fut sollicité de traiter de cette façon en guise de démonstration par les directions responsables de grands musées, tableaux qui lui doivent leur durable conservation après avoir été revivifiés.

Baudelaire et sa muse (huile sur carton, 1931-32, collection privée)

Armand Rassenfosse vivait avec ses oeuvres d’art. Les divers états de ses estampes attestent qu’il les reprenait constamment au gré de ses nouvelles visions, de ses nouveaux élans, de ses nouvelles possibilités d’expression. Dans ses tableaux il ne nous est conservé que le stade final où il se résignait – après combien de temps ? – à les abandonner. Mais ceux qui furent régulièrement admis dans son atelier, y retrouvaient parfois pendant deux, trois ans des tableaux auxquels il travaillait avec un attachement – avec un amour – toujours préoccupé. Ils y ont pu être témoins de ce que devint progressivement une de ses dernières oeuvres peintes avec des couleurs à la cire, une de ses oeuvres les plus émouvantes et admirables aussi – Baudelaire et sa Muse – qu’il finit par céder peu avant sa mort à son ami Puesch.

Armand Rassenfosse s’est consacré avec toutes les forces vives de son être et selon toutes ses consciences et bénédictions de vie, à servir son époque, ses contemporains et ceux à qui il se donnait en partage. Cela justifie qu’il fut appelé à siéger dans diverses commissions de musées, d’être nommé membre de la Commission royale des monuments et des sites, d’être élu membre correspondant de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique en 1925, dont il fut promu membre titulaire en 1930 et dont il fut appelé à assumer la charge de directeur de la Classe des Beaux-Arts en 1934. Aussi subitement qu’inexorablement enlevé le 25 janvier de cette même année, le sort ne lui permit pas de réserver aux confrères de l’illustre Compagnie les bénéfices de ses compétences et dévouements. S’il s’était senti porté à accéder à la proposition qui lui fut faite, il aurait connu l’honneur d’être ennobli.

Armand Rassenfosse appartient à cette époque autour de 1900 dont Jean Cassou a écrit “S’il existe une philosophie de l’Art Nouveau, nous découvrirons qu’elle émane de la philosophie du Symbolisme : leur commun dénominateur à tous les deux, leur principe est la femme.” L’ Art Nouveau, l’art 1900, eut sa raison d’être, il créa des modes sans lesquelles il est impensable et qui renaissent périodiquement jusqu’aujourd’hui ; il créa des décors, des joyaux, des meubles, des maisons, des affiches, des revues, des typographies, dont le style reste qualifié de Modern Style.

Comme quoi, “nouveau” et “moderne” sont des termes qui n’ont rien d’absolu et qu’il faut entendre en fonction de l’époque à laquelle ils s’appliquent. Ce qui à un moment est nouveau et moderne, est destiné à être dépassé aussitôt après ; ce qui est nouveau et moderne aujourd’hui, ne le sera plus demain. N’empêche qu’une époque et ceux qui en sont les ouvriers, ne valent que grâce aux nouveautés et modernités par lesquelles ils préparent celles qui s’inscrivent dans un perpétuel devenir.

Assurer à Armand Rassenfosse la présence qui lui revient dans ce perpétuel devenir fut certes le souci de ceux qui au mois de mai 1935 vinrent déposer au Parc de la Boverie de Liège, aux portes du Musée de l’Art Wallon, ce buste modelé par le sculpteur Fix Masseau et portant la simple, mais combien éloquente et émouvante inscription : “A Armand Rassenfosse. Ses Amis de France.” C’est, non moins, l’objet de ces quelques propos, pensés en marge de l’exposition que voici.

Louis LEBEER

CATALOGUE

PEINTURES

      • 1. Femme à la toilette, h, 1900, 46 x 38.
      • 2. Petite fille à la poupée (Palmyre Sauvenière), h, décembre 1908, 35,2 x 26.
      • 3. Portrait de Lawe de Neuville, h, 1908, 17,5 x 12.
      • 4. Le jardin (Liège, 21, rue Bassenge), h, 1 août 1908, 24,2 x 33, 1.
      • 5. Tête de jeune fille (Laure de Neuville), h, 1909, 37 x 27.
      • 6. Le peignoir jaune, h, 1912, 90 x 70.
      • 7. Estrelita, h, 1913, 70 x 45.
      • 8. Le bonnet hongrois, h, 1914, 70 x 46,5.
      • 9. La favorite, h, 1915, 76 x 56.
      • 10. La marchande de masques, 1917, h, 90 x 69.
      • 11. La robe grise, h, 1917, 44,5 x 34,5.
      • 12. Le masque rose, h, 1919, 46,5 x 36.
      • 13. La toilette, h, 1919, 55 x 50.
      • 14. Femme à la cruche, H, 1920, 70 x 56.
      • 15. Femme à sa toilette et broc blanc, h, 1920, 42,5 x 36,5.
      • 16. L’été, h, 1921, 45 x 67,5.
      • 17. Femme au miroir, h, 1921 , 60 x 70.
      • 18. Femme à la bouteille, h, 1921, 55 x 37.
      • 19. Danseuse aux rubens, h, 1921, 69 x 58,5.
      • 20. Maternité, h, 1923, 63 x 53.
      • 21. Sortie de bal, h, 1924, 50 x 60.
      • 22. Femme à sa toilette (étude en bleu), h, 1926, 78 x 61.
      • 23. La sérénade, h, 1926, 67,5 x 54,5.
      • 24. Jeunes femmes, h, 1929, 61 x 48.
      • 25. Ars longa – Vita brevis, h, 1929, 49 x 40.
      • 26. Toilette, h, 1930, 68,5 x 53.
      • 27. Autoportrait, h, 1930, 56 x 46.
      • 28. Jeunesse, h, 1930, 57 x 46,5.
      • 29. Grand nu de dos (étude), h, s.d., 80 x 60.
      • 30. Femme au masque noir, h, s.d., 44,5 x 35.
      • 31. Adèle au bonnet blanc, h, s.d., 34,5 x 27,5.
      • 32. Le rideau jaune, h, s.d., 43,5 x 34.5.
      • 33. Hiercheuse au mouchoir rouge, h, s.d., 69 x 43.
      • 34. Jeunes sorcières, h, s.d., 90 x 72.
      • 35. Deux jeunes femmes, h, s.d., 42 x 51 ,5.
      • 36. Nu (buste), h, 35 x 25.
      • 36 bis. Femme au bonnet, h, s.d., 41 x 27,5
DESSINS – AQUARELLES
      • 37. Marie à l’harmonium, aquarelle, 1886, 42 x 28.
      • 38. La malle de quatre heures, aquarelle, août 1895, 40 x 29.
      • 40. Etudes pour les Fleurs du Mal, crayon, vers 1897, 38 x 29.
      • 41. Portrait d’Albert de Neuville (1864-1924), pastel, vers 1903, 35 x 26.
      • 42. Portrait de Marie de Neuville, née Tilman (1861-1940), pastel, vers 1903, 36,2 x 26,5.
      • 43. La gymnaste (illustration du recueil de poèmes de Estienne, Phrases, Paris, Sansot, 1907), aquarelle, vers 1907, 17,5 X 13,5.
      • 44. Portrait de Madame A. de R., crayon, janvier 1907, 44,5 x 32, cadre de Serrurier-Bovy.
      • 45. Projet pour l’ex-libris (Carl-F. Schulz-Euler), crayon et sanguine, mai 1907, 30,4 x 23.
      • 46. Le modèle, crayon et sanguine, 1907, 77 x 50.
      • 47. La danse, sanguine, 1907, 68 x 49,5.
      • 48. Hiercheuse, crayon et pastel, 1907, 72 x 37.
      • 49. Tête de jeune fille (Laure de Neuville), pastel, vers 1908, 35 x 26.
      • 50. Nu debout, crayon rehaussé de blanc, 1910, 45 x 30.
      • 51. La fille qui siffle, pastel, 1912, 58,5 x 40,5.
      • 52. La toilette, pastel, 1913, 63 x 46.
      • 53. Dancing girl, crayon rehaussé, 1914, 32,1 x 23,5.
      • 54. Mater dolorosa, crayon, 1914, 29 x 19.
      • 55. Projet pour l’ex-libris Fembach-Karolyné, crayon, 1914, 14,7 x 12,1.
      • 56. Projet pour l’ex-libris Herzog Géza (Hongrie), crayon, vers 1914, 14,6 x 12.
      • 57. Jeune fille (Renée), dessin rehaussé, 1915, 31 x 21,8.
      • 58. Nu assis, crayon rehaussé, 1919, 34 x 25.
      • 59. Nu, crayon, 1922, 39 x 29.
      • 60. L’énigme, crayon rehaussé, 1923, 37 x 28.
      • 61. Maria, crayon, 1929, 40 x 32,5.
      • 62. Matemité, crayon, 30 août 1929, 35 x 30.
      • 63. Femme assise (torse), crayon et pastel, 1931 , 36,5 x 28.
      • 64. Les 2 amies, crayon rehaussé, 1931 , 40 x 32.
      • 65. M.R. (nu couché), crayon rehaussé de sanguine, 26 janvier 1932, 32 x 40.
      • 66. Le matin, crayon rehaussé, septembre 1932, S. IV 38862.
      • 67. Femme couchée, sanguine, octobre 1933, 32 x 40.
      • 68. Dernier dessin (inachevé), sanguine, 10 janvier 1934, 27 x 35,5.
      • 69. Nu couché (de dos), crayon, 29 x 39.
      • 70. Jeune femme, pastel, 38 x 28.
      • 71. Femme en chemise, crayon rehaussé.
      • 72. Nativité, pastel, 35 x 27.
      • 73. Plage à Heyst, aquarelle, 15,2 x 22,7.
      • 74. Femme au chapeau noir, lavis – crayons de couleurs, 23 x 18,3.
      • 75. Femme debout, crayon, 21,9 x 9,2.
      • 76. Le repos du modèle, pastel, 65 x 53.
      • 77. La mort rêvée, crayon, 41 x 32.
      • 78. 2 nus, lavis bistre, S IV 29680 – S IV 29681.
      • 79. Le sommeil de Maria, crayon, S IV 38865.
      • 80. Etude de tête, lavis bistre et sanguine, S IV 29682.
      • 81. Danseuse, crayon rehaussé, 28,5 x 18.

GRAVURES

      • 39. Portrait de Marie, eau forte rehaussée, avril 1896, 23 x 16 [cfr. Dessins – Aquarelles].
      • 82. La frileuse, gravure au soleil + aquatinte, 1891, 8,9 x 13,9.
      • 83. Le joujou, aquatinte eau-forte, pointe sèche, Paris, 1892, 18,7 X 13,2.
      • 84. La Dame en noir, illustration pour l’oeuvre de P. Gérardy, janvier 1893, 14 x 9.
      • 85. Promesse d’un visage, vernis mou, 1903, 20,5 x 15,7.
      • 86. Danseuses, lithographie, 1913, S IV 27204.
      • 87. Noël, plume, vernis mou et aquatinte, 1929, S Ill 104087.
      • 88. Mère et enfant, plume et aquatinte, 1929, 25 x 19, 1.
      • 89. Nouveau modèle, vernis mou et aquatinte, S Ill 41856.
      • 90. Frontispice de l’Ouvrage sur la Belgique, vernis mou et aquatinte, S IV 25986.
      • 91. Frontispice pour les “Amis” d’H. Krains, vernis mou, sans n° d’inventaire.
      • 92. Joueurs de cartes et la mort, plume et vernis mou, S IV 26251.
      • 93. Portrait de l’éditeur L. Dorbon, aquatinte, vernis mou et crayon de réserve, S IV 25779.
      • 94. Portrait de G. Serrurier-Bovy, S Ill 25700.
      • 95. Juliette, vernis mou et aquatinte, S Ill 104122.
      • 96. Femme au miroir, vernis mou et aquatinte, S IV 26304.
      • 97. Portrait d’E. Verhaeren, pointe sèche, S IV 26246.
      • 98. Nu, pointe sèche, S IV 26191.
      • 99. La danse de Paris, plume et pointe sèche, S Ill 104139.
      • 100. Le saut, pointe sèche, épreuve unique, S V 88941.
      • 101. Maternité, encre au pinceau et vernis mou, S Ill 104091.
      • 102. La mort est saoûle, aquatinte, vernis mou et pointe sèche, S Ill 104138.
      • 103. Hiercheuse, aquatinte et vernis mou, S IV 27204.
      • 104. Repasseuse, oeuvre primée par la Société des Aquafortistes de Belgique, vernis mou, 25 x 18.
AFFICHES
      • 104 bis. La coiffe rouge, lithographie, 35 x 20.
      • 105. Soleil, lithographie, éditée par Bénard – Maxima – S Il 1140 117.
      • 106. Maud Alan, lithographie, éditée par Bénard – Maxima S Il 140 118.
      • 107. Huile russe, lithographie, éditée par Bénard – Maxima S Il 140 119.
      • 108. La Plume, lithographie, éditée par Bénard, épreuve avant le texte – Plano – 1913 – S IV 25758.
      • 109. Projet pour le Salon de Roubais, gouache, 84 x 60.
VARIAS
      • 110. Portrait de Rassenfosse par E. Hougardy, pointe sèche, 2e état, 1929, 21,5 x 15,5.
      • 111. Autoportrait, dessin, 9,4 x 8,
        L’amateur d’estampes provenant de I’ Album n° 1, Gravure originale belge (30/9/ 1924).
      • 112. Madeleine Delvoye, Catalogue des ex-libris d’A. Rassenfosse. Liège 1956.
      • 112 bis.
        Ex-libris Herzog-Géda, e.-f., 1914, 17.5 x 13.
        Ex-libris Fembach-Karolyne, e.f. et vernis mou, 1914, 17,2 x 11,9 (2 états).
        Ex-libris Ladislas de Siklossy, e.-f. et aquatinte, 1920, 11,5 x 9,3.
        Ex-libris Marie Rassenfosse, vernis mou et aquatinte, 1920, 12 x 10.
        Ex-libris J. Dalman, e.-f. et vernis mou, 1920, 12,5 x 10.
        Ex-libris de la Bibliothèque reconstituée de la Société libre de l’Emulation de Liège, cliché au trait, 1924, 11,3 X 9,5.
ILLUSTRATIONS
      • 113. Ch. Baudelaire – Les fleurs du mal, Paris, 1899. Edité par les 100 Bibliophiles – ex. numéroté 108 avec un dessin original de Rassenfosse, en garde.
      • 114. Ed. Glesener – Au beau plafond ou l’enfant prodigue – Liège, 1926, hors commerce.
      • 115. R. Boylesve – Les bains de Bade – Paris, s.d ., édité aux armes de France pour la Société des Dilettantes, ex. numéroté, sur Hollande.

L’Aube, la villa de Serrurier-Bovy à Cointe (Liège)

GUSTAVE SERRURIER-BOVY

Dans cette expos1t1on, nul ne peut s’étonner de voir figurer, à côté de Rassenfosse, son contemporain Gustave .Serrurier-Bovy (1858-1910). Une amitié sincère les unissait déjà lors de leurs études. Des soirées passées ensemble à faire de la musique et une action commune dans des groupes pour l’Art Nouveau les rapprochaient encore. Familier de la maison des parents Rassenfosse, Gustave Serrurier y fera la connaissance de sa future épouse. Si les disciplines artistiques sont différentes pour chacun, peinture et gravure chez Armand Rassenfosse, architecture et puis presque exclusivement décoration chez Serrurier, c’est bien un même désir de renouveau dans l’art et de présence au monde concret où ls vivent qui les habite tous deux. Ils aiment s’en communiquer les découvertes et les fruits. L’oeuvre de Gustave Serrurier est peu connue encore : on commence toutefois à découvrir la place importante qu’elle occupe dans la création du mobilier contemporain. La carrière du décorateur fut pourtant brève : elle commence véritablement avec la présentation au premier Salon de la Libre Esthétique, en 1894, d’un ‘cabinet de travail’, son premier ensemble, pour se terminer brusquement par une mort brutale en 1910. Seize années d’une carrière bien remplie !

Un voyage en Angleterre lui révèle très tôt l’importance du renouveau du cadre de vie et les ressources inexploitées, oblitérées par le clinquant du meuble de Cour, du simple mobilier rural. Le mouvement néogothique en a remis à l’honneur la probité et la simplicité. Serrurier n’hésite pas ; il abandonne l’architecture pour se consacrer entièrement à la décoration intérieure. C’est ainsi qu’il transmettra sur le continent les découvertes d’un Morris ou de la société des Arts and Crafts. C’est par un mobilier simple et strict – on pourrait dire rustique si le terme n’était aujourd’hui tant dévalué !- qu’il se manifeste, pour continuer dans des recherches qui font droit aux courbes et moulurations subtiles de l’Art Nouveau ; mais les formes sobres. géométriques font suite qui annoncent déjà le style des Arts Déco.

Comme matériau, il utilise d’abord et souvent dans la suite. le beau chêne de Hongrie. Mais il n’hésite pas à utiliser les bois soyeux et sonores du Congo, depuis que Léopold Il les a introduits et livrés aux artistes nouveaux, principalement dans L’Exposition coloniale de Tervuren en 1897, où Gustave Serrurier aménage toute une section. Il ne dédaignera pas dans la suite des bois plus modestes, le bouleau de Finlande par exemple, qu’il mettra en oeuvre dans le mobilier de série et démontable qu’il va créer au début de ce siècle. Dans sa recherche, le souci social est présent ; au départ, par la suggestion d’un cadre de vie nouveau pour celui qu’il nomme l’Artisan ; et, en finale, par la réalisation d’un intérieur ouvrier à l’Exposition de Liège en 1905, et la fabrication d’un mobilier de série à montage apparent, les ensembles Silex.

Les pièces montrées dans cette exposition présentent quelques aspects de son oeuvre. La plupart appartiennent à son époque parisienne. Dans la succursale créée dans la capitale française en 1899, veille de l’Exposition de 1900, l’influence de son associé Dulong et le goût d’une clientèle mondaine confèrent aux ensembles de ce temps un aspect raffiné et luxueux qui est un épisode, très remarquable, mais non exhaustif de son oeuvre ; les meubles Samazeuilh et le porte-estampes fixe de Rassenfosse en sont de très bons exemples. Mais la solide banquette de chêne nous montre une autre facette de la recherche, celle de la solidité et de la construction architecturée. La pièce la plus prophétique reste néanmoins ce fauteuil de Rassenfosse, créé avant 1900, qui annonce le style des années 1925, et une technique de construction révolutionnaire.

Seize années de recherches constantes dans les domaines formel, constructif et social assurent à Gustave Serrurier une place de premier plan dans la création du mobilier contemporain. Tournant le dos au pastiche stérile, ce liégeois obstiné mène une quête patiente, sensible, structurée. Sa puissance de travail et l’intérêt toujours en éveil qu’il porte à toute manifestation d’esprit nouveau en font un pionnier de l’art et de la société moderne.

J.G. Watelet

PARTICIPATION SERRURIER-BOVY

STAND 1 – ENSEMBLE ART NOUVEAU
      • 116. Dessin au crayon et à la sanguine sur un thème donné par Serrurier-Bovy, L’Aube, du nom de sa propre villa, format 40 cm x 49 cm, de Rassenfosse ; cadre en acajou du Congo de Serrurier-Bovy, 1902.
      • 117. Coiffeuse en acajou du Congo, exposée en 1899 au Salon de la Société d’Art Moderne de Bordeaux – pièce d’un ensemble de chambre à coucher acquise par le compositeur Samazeuilh, 180 x 100 x 58, 1899 ; tiroir à poignée en cuivre sur le thème du nénuphar avec émaux.
      • 118. Chaise – idem, 95 x 44 x 44, 1899.
      • 119. Fauteuil – idem, 80 x 75 x 65.
      • 120. Dessin de Rassenfosse, cc Femme à sa toilette” – 27 x 22 cm – crayon rehaussé – cadre Serrurier-Bovy, 1913.
      • 121 . Décoration murale au pochoir d’après motif de Serrurier-Bovy. Porte – estampes – acajou du Congo, ± 1900, garniture de toilette.
STAND II – TENDANCES VERS L’ART DECO – 1905-1910

Cette période est marquée par des lignes géométriques et la disparition de toute réminiscence végétale.

      • 122. Vitrine Serrurier-Bovy en acajou du Congo, peintures apparentes en cuivre, 3 plateaux d’exposition, 1908.
      • 123. Sellette ou selle d’artiste à deux plateaux ronds de ligne très “moderne”, acajou du Congo, 1906.
      • 124. Vase en bois, laiton et cuivre rouge d’inspiration “industrielle”, 1905-1910 (?).
      • 125. Portrait posthume de Serrurier-Bovy par Rassenfosse crayon rehaussé de pastel, 1930.
      • 126. Coupe-papier bois du Congo et laiton, étui de la Maison Serrurier et Cie, 1906.
      • 127. Annonce de la Maison Serrurier et Cie, parue dans “L’ Art Décoratif” en 1906.
      • 128. Coussin de Serrurier-Bovy, broderies de couleur orange.
      • 129. Fauteuil de travail d’Armand Rassenfosse, circa, 1905.
      • 130. Frise murale d’après motif de Serrurier-Bovy.
HORS STANDS
      • 131. Banc de hall en chêne de Serrurier-Bovy avec cadre pour pêle-mêle, 1910.
      • 132. Vitrine d’exposition.

REPÈRES BIOGRAPHIQUES

      • 1862 6 août. Naissance à Liège d’Armand Rassenfosse dans une famille de commerçants très cultivés. Humanités classiques au Collège Saint-Servais, Liège. Passionné de musique et de dessin. Ses humanités  terminées, Armand Rassenfosse entre dans l’entreprise familiale. Lit les écrivains du temps, commence une collection d’estampes. Nombreux voyages à Paris où il rencontre écrivains et artistes. Premiers essais de gravure. Armand Rassenfosse est conseillé et encouragé par Adrien de Witte.
      • 1886. Première rencontre avec Félicien Rops. Début d’une longue amitié et d’une intense collaboration.
      • 1890. Rencontre et association d’Armand Rassenfosse et d’Auguste Bénard.
      • 1892. Premières éditions des estampes de Rassenfosse à Paris.
      • 1895-1897. Illustration des Fleurs du Mal de Baudelaire pour la Société des Cent Bibliophiles. Publication en 1899. Par la suite et parallèlement à ses activités de graveur, de dessinateur et de peintre, Armand Rassenfosse illustrera de très nombreux ouvrages : Barbey d’Aurevilly, Noël Ruet, Edmond Glesener, Omer Englebert, Claude Farrère… Il ne cesse de perfectionner sa technique, de mettre au point des procédés nouveaux.
      • 1925. Armand Rassenfosse est nommé membre correspondant de l’Académie Royale des Sciences, des lettres et des Beaux-Arts de Belgique.
      • 1934. Directeur de la classe des Beaux-Arts de cette Académie. Le 28 janvier 1934, Armand Rassenfosse meurt à Liège.

Cliquez ici…

L’intégralité du catalogue de l’exposition est disponible au téléchargement (PDF avec reconnaissance de caractère) dans la documenta.wallonica.org…

 

 


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : transcription, correction, édition et iconographie | sources : collection privée | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Province de Liège ; © Connaître la Wallonie ; © Collection privée ; © BnF.


Plus d’arts visuels en Wallonie…

REMOUCHAMPS, Fabris (1955-2024)

Temps de lecture : 3 minutes >

Fabris REMOUCHAMPS naît à Ougrée (BE) en 1955, année de sa naissance… Photographe, il a vécu et travaillé à Liège (BE) : “La déambulation est pour lui une pratique quotidienne, elle est d’abord une manière de s’ouvrir et d’être disponible. Traverser maintes et maintes fois les mêmes espaces, fussent-ils mentaux, n’est pas une volonté de circuler en territoires connus ou conquis, mais plutôt de porter à chaque passage un regard neuf tendant à briser toute forme de certitude. Semblable à ces voyageurs des années trente qui découvraient étonnés le monde, il avance sans protection à la recherche de ce qui n’a pas été vu et qui ne se livre jamais instantanément.

(c) Fabris REMOUCHAMPS

Précoce à plus d’un égard, Fabris Remouchamps se frotte dès la fin des années 60 à la création (rencontre avec les peintres Léopold Plomteux et Fréderick Beunckens) ; il consacre ensuite ses seventies à l’étude de la peinture monumentale (Académie Royale des Beaux-Arts de Liège, diverses expositions et, en marge, des ateliers d’impro). Les années 80 seront les années “théâtre et installations” (Noyade interdite, Musée d’architecture de Liège, Maison des artistes de Liège, Festival du Jeune Théâtre)…

Fabris Remouchamps © Dominique “Goldo” Houcmant

Sans délaisser les cimaises, Fabris Remouchamps rentre à la RTBF dans les années 90 : il y explorera les différentes facettes de la production audiovisuelle, en studio comme en tournage. Nouveau siècle oblige, c’est le monde digital qu’il aborde ensuite : web design, infographie, multimedia et gestion de sites web. S’il commence en numérisant des photos et des peintures, il passe ensuite à l’infographie pure. L’homme est multiple, mais pas duplice, et les créations de Fabris Remouchamps relèvent d’autant de domaines et de techniques que l’œil peut en concevoir.

Plus récemment, Fabris Remouchamps était retourné à ses premières amours, avec plusieurs création de peintures en chantier. Parallèlement, on lui doit le mystérieux roman-photo La fabuleuse histoire de Michel M., commencé il y a des années et toujours en cours. Un extrait :

“La fabuleuse histoire de Michel M., épisode L1003711” © Fabris REMOUCHAMPS

Actif dans le réseau wallonica depuis longtemps, ce grand voyageur immobile est décédé paisiblement dans son fauteuil en 2024. “Je me taille” ? Beaucoup trop tôt, l’ami !

Patrick Thonart

Pour en découvrir plus sur Fabris Remouchamps :


[INFOS QUALITE] statut : mis à jour | mode d’édition : rédaction, édition et iconographie | sources : contribution privée | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © Fabris Remouchamps ; © Dominique Houcmant.


Plus d’arts des médias en Wallonie…

HALLEUX : La seconde révolution industrielle dans le bassin liégeois 1860-1917 (CHiCC, 2002)

Temps de lecture : 4 minutes >

Le concept de révolution industrielle a été créé au moment de la révolution de 1830 par un littérateur qui remarquait un parallèle entre les événements politiques, c’est-à-dire l’indépendance belge et les grands changements que l’on voyait dans l’industrie. On percevait l’aurore de temps nouveaux, comme l’a écrit un poète : “Oui, l’industrie est noble et sainte, son règne est le règne de Dieu.” Une révolution industrielle, c’est un changement de système technique, c’est-à-dire un ensemble constitué par des matériaux et des méthodes de transformation, et des énergies.

Pendant le moyen-âge nous avons vécu sur un matériau qui était le fer produit avec du charbon de bois et l’énergie hydraulique. Au début du 19e siècle, l’énergie hydraulique atteint ses limites et les forêts se déboisent terriblement. C’est à cette époque que s’introduit, à Liège d’abord, un nouveau système technique. Au charbon de bois, on substitue le coke, du charbon de terre que l’on a cuit pour le débarrasser des matières volatiles. Les premières machines à vapeur créées en Angleterre s’introduisent aussi chez nous. Pourquoi à Liège ? Parce qu’il y avait de la houille et du minerai facile à extraire. Mais surtout une conjonction entre, d’une part un savoir-faire traditionnel et, d’autre part, un dynamisme de la bourgeoisie et d’une aristocratie investisseuse.

Le peintre Léonard Defrance affectionne les représentations des usines, des manufactures et des charbonnages. Le commanditaire de ces tableaux se fait représenter dans son usine avec ses ouvriers et souvent avec un vieillard pensif qui personnifie le passé et un petit enfant qui personnifie l’avenir, Jean-Jacques Daniel Dony invente un procédé de fabrication du zinc, son usine sera reprise par Mosselman qui va fonder la Vieille-Montagne. Nous trouvons un certain nombre d’hommes nouveaux qui ne sont pas des techniciens : les Orban qui sont des merciers, les Lamarche qui sont des marchands de tabac et de denrées coloniales, les Michiels, les Dallemagne, les Beer. Tous ces gens débutent en achetant un fourneau ou un charbonnage. Ils essaient de créer une usine intégrée où on commence par les matériaux extraits du sol, et où on va jusqu’à la fabrication des machines. C’est l’origine des sociétés comme la Société de Sclessin, la Société d’Angleur, la Société de Grivegnée, les deux fabriques d’Ougrée qui vont donner Ougrée-Marihaye et la Société d’Espérance. Ce sont des entreprises familiales montées par des hommes de négoce qui s’approprient les nouvelles techniques. Ils font venir des techniciens anglais qui construisent les nouveaux outils. Le haut-fourneau liégeois conçu pour le charbon de bois ne convient plus pour le coke. Mais très vite, les Anglais seront dépassés par les techniciens locaux.

John Cockerill n’a pas fait d’études. C’est essentiellement un ouvrier formé par son père avec un prodigieux génie entreprenant qui commence par construire des machines à filer et à tisser. De là, il découvre l’opportunité des machines à vapeur puis, partant d’un atelier de construction de ces machines, il construit un haut-fourneau, des fours à coke, achète des houillères et des mines de fer. Il inonde l’Europe de ses produits. C’est un vrai génie mais un piètre gestionnaire. Il connaîtra des revers et ainsi mourra d’une manière triste et mystérieuse en Russie en essayant de rétablir ses affaires.

Certes, ces hommes ont un certain savoir. Aujourd’hui, les ingénieurs ont étudié à l’université. À cette époque, ce sont généralement des ouvriers formés sur le tas qui ont suivi des cours de dessin industriel et qui viennent de toute l’Europe. L’Université de Liège a été fondée en 1817 en même temps que l’usine Cockerill et a eu des écoles spéciales des mines et des arts et manufactures. A cette époque les ingénieurs ne vont pas dans l’industrie, ils font carrière dans les grands corps de l’État : ponts et chaussées, corps des mines, et plus tard au chemin de fer. Les industriels se fient plutôt à leur chef fondeur, leur chef puddleur, leur chef mécanicien qui tous ont de l’or dans les mains.

Le paysage est encore très rural. Petit à petit, les usines s’entourent de maisons, de corons. Par cette imbrication entre les zones d’habitats, nos usines vont se trouver à l’étroit et cela va les handicaper par la suite.

Un système technique est condamné à saturer. Vers 1860, le fer ne répond plus à certaines contraintes notamment pour faire des rails. L’acier apparaît alors. De nouvelles énergies apparaissent. L’électricité, la dynamo inventée par Zénobe Gramme, les moteurs à combustion interne : à gaz inventé par Lenoir. Ensuite à essence, puis le moteur diesel. Ces moteurs légers et plus puissants vont s’imposer sur la route puis dans l’air. L’école industrielle de Liège, créée à l’initiative de la Société libre d’Émulation, date de 1826. Quant à l’école industrielle de Seraing, elle est créée à l’initiative du docteur Kuborn et a le souci d’actualiser sans arrêt ses cours pour suivre le progrès scientifique. Désormais, il faudra de plus en plus de science et une nouvelle génération d’ingénieurs, sortis de l’université et de l’Institut Montéfiore. Ils vont entrer dans l’industrie, ils vont se frayer un chemin jusqu’au conseil d’administration et ils vont souvent s’allier aux filles des grandes dynasties industrielles.

Le minerai de fer de notre bassin ne convient plus pour l’acier et celui de la Lorraine prend le relais. Il faut des capitaux importants pour adapter les usines et les premières fusions ont lieu. Les rapports sociaux changent vers 1886 avec la crise et les luttes ouvrières. Entre 1914 et 1918, toutes les industries liégeoises ont été démantelées par l’occupant dans le but de détruire un concurrent commercial. Paradoxalement, ces destructions ont été une chance car avec le dynamisme qui nous caractérisait et qui caractérisait nos industriels, très vite, ils vont rebâtir avec du matériel ultramoderne.

La situation fut différente en 1945 car les besoins étaient énormes et nos usines ont tourné à plein rendement pendant quelques années. Seulement, l’outil n’a pas été modernisé assez vite et est devenu obsolète.

d’après Robert HALLEUX

  • Illustration en tête de l’article : Léonard Defrance, “Intérieur de fonderie” © Walker Art Gallery

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en mai 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

Kombucha : description, origine et recette

Temps de lecture : 9 minutes >

[DOCTONAT.COM] C’est une boisson fermentée des feuilles de la plante Camellia sinensis, le théier. Il s’agit donc d’un thé (vert, noir, blanc, Oolong…) qui est fermenté, auquel est ajouté des sucres, des levures acétiques et des bactéries et que l’on fait fermenter pendant une semaine. Ainsi, il est appelé “champignon du thé” ou “mère”. Il produit de l’alcool qui aide les bactéries à produire des principes actifs. Les feuilles sont retirées de la préparation. Il est possible aussi d’en produire à partir de la plante rooibos.‌ Il semble avoir des propriétés antioxydantes équivalentes, cependant il a été très peu étudié.

Le processus de fermentation produit une variété de composés antioxydants qui permettraient une détoxification, grâce à la saccharolactone, sa principale substance active. Elle est reconnue pour favoriser la longévité. Il contient plus d’antioxydants que les autres formes de thé, mais les études comparatives ne sont pas suffisamment nombreuses pour connaître ses effets par rapport aux catéchines et à la vitamine C.

Les organismes essentiels, qui composent la “mère” ou “champignon” du kombucha (jusqu’à 163 souches de levures ont été détectées), produisent des acides acétique, lactique et gluconique. Les bactéries acétiques ont, pendant des siècles, permis de produire des aliments et des boissons fermentées tels que le vinaigre, le kéfir (d’eau) et la bière lambic (de fermentation spontanée). Après fermentation, certains composants de cette boisson se dégradent : les catéchines (18 à 48%), les théaflavines et les théarubigines (5 à 11% après 18 jours de fermentation). Les polyphénols du thé vert et ceux, produits dans le processus de fabrication du thé noir, sont encore présents dans cette boisson. De l’alcool est produit lors de la fermentation, sa teneur en alcool est généralement inférieure à 1%.‌‌

Bien que le kombucha peut présenter de nombreux bienfaits pour la santé, une préparation inappropriée peut provoquer une toxicité et entraîner la mort. Des normes d’hygiène non respectées et une période de fermentation trop longue peuvent contribuer à sa toxicité. Cependant, il semble être sans danger pour la consommation humaine lorsqu’il est correctement traité et consommé avec modération.

Lorsqu’il n’est pas consommé directement après fermentation, il est pasteurisé ou des conservateurs sont ajoutés, afin d’éviter une croissance microbienne excessive.

Les bienfaits supposés du kombucha sur la santé humaine ont été établis à partir d’études in vitro, ainsi qu’à partir d’études réalisées sur des aliments fermentés, ainsi que sur le thé et leurs principes actifs. A ce jour, une seule étude sur l’être humain existe, et elle est en cours de réalisation.

Les avantages pour la santé, démontrés par les études in vitro et in vivo, sont nombreux :

      • activité antimicrobienne ;
      • amélioration des fonctions hépatiques et gastro-intestinales ;
      • stimulation immunitaire, détoxification ;
      • propriétés antioxydantes et antitumorales ;
      • stimulation immunitaire ;
      • inhibition du développement et de la progression de certains cancers, des maladies cardiovasculaires, du diabète et des maladies neurodégénératives ;
      • fonction normale du système nerveux central.

Des composants isolés du kombucha montrent aussi des bienfaits intéressants. Ainsi, les bactéries lactiques Pediococcus pentosaceus et Pediococcus acidilactici, présentent des propriétés probiotiques qui pourraient être utiles à l’industrie agro-alimentaire. Les levures Coriolus versicolor et Lentinus edodes pourraient avoir un bénéfice protecteur avec une action immunomodulatrice potentiellement bénéfique dans les allergies.

Le micro-écosystème de cette boisson a montré pouvoir survivre à des conditions de vie correspondant à celles de la planète Mars, pendant 18 mois ! Dans une étude, il a été utilisé pour produire du levain, servant à fabriquer le pain. La durée de conservation du pain a été prolongée de 5 à 10 jours, à température ambiante.


Comment le kombucha s’est-il créé ?

[REVOLUTIONFERMENTATION.COM] Pour faire du kombucha, il faut du thé, du sucre et une mère de kombucha. Et pour faire une mère de kombucha, il faut… du kombucha ! Alors, d’où vient le premier kombucha ? Le kombucha n’a pas été créé par l’être humain. Sa naissance est un phénomène naturel. Comme dans le cas de l’œuf ou la poule, on ne peut pas identifier l’apparition du premier kombucha. Toutefois, on est capable de deviner ce qui s’est passé!

En effet, le monde qui nous entoure est peuplé de microorganismes à l’affût de milieux à coloniser pour se développer. Le premier kombucha est né par hasard, dans une tasse de thé sucré oubliée sur le rebord d’une fenêtre. Des bactéries et des levures se seraient installées dans la tasse de thé sucré et se seraient multipliées. Elles auraient ainsi créé une pellicule gélatineuse, auraient mangé le sucre et acidifié le thé. À l’époque, la fermentation, c’était de la magie !

Devant cette transformation, les personnes de l’époque auraient goûté au thé fermenté, et l’auraient tellement apprécié qu’ils auraient ajouté un peu de thé sucré pour l’allonger. Ce thé se serait transformé à son tour en kombucha. La pellicule gélatineuse capable de faire du kombucha aurait ainsi été entretenue et baptisée mère de kombucha (ou encore champignon de kombucha). La mère se serait ensuite transmise à travers les époques, jusqu’à nous parvenir aujourd’hui.

Quand et où le kombucha est-il né ?

Pour que du kombucha puisse se créer spontanément, il faut du thé, du sucre et des microorganismes. Comme le kombucha est un phénomène naturel, on peut essayer de déduire son origine en recherchant quand et où les ingrédients du kombucha se sont rencontrés pour la première fois.

      • Microorganismes : ils sont aussi vieux que la vie elle-même. Les microorganismes sont présents partout sur terre depuis plusieurs milliards d’années.
      • Sucre : les premières traces de cultures sucrières remontent à 6000 ans en Asie du Sud-Est. Le sucre est arrivé 500 ans plus tard en Chine.
      • Thé : la consommation de thé a vraisemblablement débuté dans la région du sud-est de la Chine il y a près de 5000 ans.

En conclusion, il est donc très probable que le premier kombucha soit apparu spontanément, il y a près de 5000 ans dans le sud-est de la Chine. Cependant, nous n’avons aucun moyen de le savoir avec certitude.

Légendes du kombucha

Plusieurs légendes et mythes se partagent l’origine du kombucha. Si l’hypothèse présentée plus haut est la plus probable, voici trois légendes à propos de la naissance du kombucha.

L’élixir de longévité du kombucha en Chine
Qin-Shi-Huang

La première légende du kombucha remonte à 200 ans avant Jésus-Christ, en Chine. L’Empereur Quin Shui Huang était en quête d’immortalité. Il lança un décret ordonnant que ses sujets trouvent la clé de la vie éternelle. Un des élixirs testés aurait été le lingzhi ou thé de champignon. Sachant que la mère de kombucha est souvent appelée “champignon”, beaucoup d’amateurs de kombucha croient que cet élixir de longévité fait référence au kombucha.

Le kombucha pour soigner l’Empereur du Japon

Une autre légende date de l’an 415 de notre ère, où un docteur du Royaume de Sylla (Corée) aurait été invité à soigner l’Empereur japonais Ingyō. Ce docteur aurait utilisé un thé fermenté pour guérir l’empereur malade. Le nom du docteur était Komu-ha. On y aurait ajouté le suffixe cha (thé, en japonais), et l’histoire nous aurait donné kombu-cha, ou thé du docteur Komu.

La fourmi, le moine et l’Empereur

Une autre légende, originaire de Russie, cette fois-ci, raconte qu’un empereur malade fit appel à un moine doté de pouvoirs de guérison. Le moine promis de traiter la maladie de l’empereur avec une simple… fourmi ! Il déposa la fourmi dans le thé de l’empereur, et lui conseilla d’attendre que la méduse grandisse. Le thé sous la méduse (une mère de kombucha ?) pourrait alors le guérir.

Si aucune de ces trois légendes ne peut être prouvée, on voit un lien très fort entre le kombucha et la santé. La boisson de l’époque devait être consommée sous sa forme très vinaigrée et concentrée en probiotiques.

Le kombucha en Russie

C’est en Russie, que le kombucha est pour la première fois mentionné dans une étude scientifique en 1913, par la chercheuse A.A. Bachinskaya. Cette biologiste russe étudiait des cultures provenant de plusieurs parties de la Russie. Elle décrivait également dans son article les caractéristiques de la mère de kombucha. Le kombucha était alors consommé par une grande partie de la population comme tonique pour la santé. On l’appelait Чайный гриб, soit champignon de thé ou affectueusement грибок ou petit champignon. Les Russes consommaient plusieurs sortes de breuvages fermentés, qui étaient appelés kvass. Le kombucha était aussi appelé kvass de thé.

La même année, le professeur allemand G. Lindau a publié un article sur la consommation du kombucha en Russie. Cet article s’intéressait particulièrement aux bienfaits santé du kombucha. Dans son article, Lindau mentionne que le kombucha est aussi appelé champignon japonais. Comme quoi le kombucha pourrait certainement venir d’Asie !

Le kombucha a continué à être très populaire en Russie jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Avec le sucre et le thé fortement rationnés, la consommation de kombucha a diminué considérablement.

Le kombucha sacré des Italiens

© DP

Dans les années 50, les Italiens ont vécu une histoire d’amour intense avec le kombucha ! Le kombucha s’est répandu dans la population, entouré de divers protocoles et de superstitions. C’était un peu comme une chaîne de lettres ! Pour bénéficier de ses bienfaits, il fallait séparer la mère de kombucha en 4 et en donner 3 parties à ses amis proches avec des instructions claires pour la nourrir. On ne pouvait pas vendre ou jeter sa mère de kombucha, ou alors elle perdrait toutes ses propriétés magiques. Le malheur s’abattait alors sur nous, mais aussi sur tous ceux à qui on avait donné une mère de kombucha ! Le kombucha s’est répandu comme une traînée de poudre dans toutes les sphères de la population. Les autorités ont tenté de mettre fin à la mode du kombucha quand des Italiens se sont mis à voler de l’eau bénite dans les églises. Ils l’ajoutaient à leurs kombuchas, pour en fortifier les bienfaits !

Les années 60 du kombucha

Quelques années plus tard, Rudolf Sklenar, un docteur allemand, découvre la boisson en Russie, et en ramène chez lui pour l’étudier. Il prescrit alors le kombucha pour soigner différents maux : rhumatismes, problèmes intestinaux, goutte… Il publie en 1964 le résultat de ses recherches. C’est à partir des années 60 que de nombreux livres paraissent sur le kombucha, et que les mères commencent à se partager à travers le monde. Le kombucha conquiert l’Europe et se fait adopter aux États-Unis, particulièrement dans les communautés alternatives et hippies.

Le kombucha est alors présenté comme une boisson miraculeuse, capable de prévenir le cancer et même de guérir le sida. Si beaucoup de ses bienfaits miraculeux se sont avérés sans fondements avec les années, plusieurs études ont témoigné des bienfaits santé du kombucha. Comme d’autres aliments fermentés, il contient de bonnes bactéries probiotiques et soutient le système digestif.

L’expansion commerciale du kombucha

C’est en 1995 que la première compagnie de kombucha commercial, GT kombucha, voit le jour aux États-Unis. Au début des années 2000, les compagnies commerciales de kombucha se multiplient partout à travers le monde. On en trouve aujourd’hui sur tous les continents.

Le kombucha a également évolué. La saveur du kombucha n’est plus juste nature et très acide. On boit encore du kombucha pour ses bénéfices santé (faible teneur en sucre, probiotiques, ingrédients naturels), mais aussi comme une alternative à l’alcool, au café et aux boissons gazeuses. Le kombucha est faible en sucre, en caféine et en alcool. Il s’est donc taillé une place de choix dans nos verres ! On trouve désormais du kombucha à toutes sortes de saveurs, du kombucha alcoolisé, du kombucha sans sucre, du kombucha local, et bien plus encore !

En 2019, la taille du marché mondial du kombucha s’élevait à 1,84 milliard USD. Quand on aime le kombucha, difficile de s’en passer ! Plusieurs se sont tournés vers la production du kombucha à la maison, pour en avoir toujours sous la main. Incroyable de penser qu’une colonie de microorganismes a traversé les âges pour parvenir à nos verres !


© Michel Laurent

La recette de LA PETITE SOURCE

lngredients

Par litre d’eau :

      • 1 mère de kombucha (avec culture liquide)
      • 5 sachets de thé vert ou noir
      • 100 g sucre
      • 1 litre d’eau filtrée
      • 100 ml de kombucha
Etapes
Préparation du thé sucré

Placer les sachets de thé dans la jarre. Verser 11 d’eau bouillante, laisser infuser 15 minutes, puis retirer les sachets de thé. Ajouter le sucre et remuer jusqu’à dissolution. Laissez le thé devenir tiède.

Ajout de la mère de kombucha

Ajouter la mère de kombucha avec sa culture liquide. Couvrir le récipient avec le tissu et fixer avec l’élastique. Mettre la jarre dans un endroit bien aéré, à l’abri de la lumière directe du soleil.

Fermentation du kombucha

Laisser fermenter pendant 2 à 3 semaines à température ambiante. Le kombucha est prêt quand son niveau de sucre et d’acidité sont à votre goût. N’utilisez jamais de cuillère en métal dans votre kombucha, mais toujours une cuillère en bois !

Aromatisation (éventuellement)

Retirer la mère de kombucha et 500ml (2 tasses) de kombucha nature. Mettre de côté pour démarrer votre prochaine recette. Ajouter du jus de fruits, de la tisane, du sirop, des fruits hachés ou tout ce que vous voulez pour aromatiser votre kombucha. Consultez des recettes de kombucha pour des saveurs inspirantes.

Embouteillage

Verser le kombucha dans des bouteilles résistantes à la pression. Conserver les bouteilles à température ambiante. Après 3 jours, ouvrir et refermer une bouteille pour tester sa pression. Prolonger la fermentation de quelques jours de plus pour un kombucha plus pétillant. Quand c’est assez pétillant (attention à la pression !), mettre au réfrigérateur.

Notes

Et voilà! Votre kombucha est maintenant prêt à être consommé. Il se conserve au réfrigérateur sans réelle limite de temps. Pour préparer votre prochaine boisson kombucha : lavez la mère sous l’eau courante tiède et recommencez tout le processus.

Vera & Raoul DE BOCK-VAN DE WIELE


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, partage, correction, édition et iconographie | sources : DOCTONAT.COM ; REVOLUTIONFERMENTATION.COM ; contribution privée | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © taomedecine.com ; © revolutionfermentation.com ; © Michel Laurent.


Plus de vie en Wallonie…

DEMOULIN : Les relations diplomatiques entre la Principauté de Liège et le Roi de France (CHiCC, 2002)

Temps de lecture : 4 minutes >

Dès 1581 se sont installés dans l’évêché de Liège les Wittelsbach qui ont cumulé sur leur tête, dans le prolongement du concile de Trente, différents évêchés de l’Empire. Cette “dynastie” s’est perpétuée par des neveux ou des parents. Un des premiers protagonistes fut Ernest de Bavière dont un portrait se trouve dans le remarquable château de Brühl, au sud de Bonn. Il tenta de préserver son électorat de Cologne des avancées du protestantisme et des armées du roi de Suède. C’est lui qui a cédé à la Ville l’hôpital qui portait son nom. Cette dynastie s’est terminée en 1763 lorsque son lointain descendant Jean-Théodore est mort. Il fut le principal restaurateur des appartements intérieurs du Palais des Princes-Évêques. Le prince recevait les ambassadeurs de France. Ceux-ci étaient en possession d’instructions décrivant les relations entre les deux états. La vision que les Français avaient des Liégeois à la fin du 17e siècle ne manque pas de piquant : “Les Liégeois sont donc spirituels, civils, accostables et hospitaliers. Ils ont le jugement  subtil, ils sont propres pour toutes sortes d’affaires, braves dans la guerre et dans les combats. Ils sont néanmoins fainéants et paresseux, ils sont opiniâtres, mutins, et plus portés à la discorde qu’au travail, à cause de leur témérité et de leur audace naturelle. Ils parlent un roman ou français fort grossier et corrompu qu’ils tâchent le plus qu’ils peuvent de tourner en bon français et de rendre poli, particulièrement les personnes de condition, la noblesse et les honnêtes gens. Ils ont beaucoup de piété et ils sont fort zélés pour la défense de la religion catholique.”

La principauté était très morcelée. Elle comprenait trois parties : le comté de Looz, actuelle province de Limbourg, qui se prolonge sur Liège et vers le Condroz ; l’Entre Sambre et Meuse, qui est profondément détaché ; et le marquisat de Franchimont. Comment cet état a-t-il survécu pendant mille ans ? Il a existé bien avant la date symbolique de 980 et a disparu officiellement le 1er octobre 1795 lorsqu’il a été rattaché par la Convention à la France, ainsi que les Pays-Bas autrichiens. Principauté d’empire qui comprenait trois états : l’état primaire, l’état noble, l’état tiers. À sa tête, l’évêque et prince reçoit théoriquement la souveraineté. Il est élu à partir des temps modernes par le chapitre de Saint-Lambert et est assisté dans sa mission par deux conseils : le conseil privé et la chambre des comptes. Le conseil privé a notamment pour mission de correspondre avec les cours étrangères, il doit préparer et négocier les alliances. Les déclarations de guerre devaient cependant être votées par les états. L’état primaire était en fait constitué exclusivement par les chanoines de la cathédrale Saint-Lambert, qui étaient à la fois les électeurs du prince-évêque et les représentants de tout le clergé de la principauté. L’état noble a été progressivement limité à 16 quartiers de noblesse ce qui réduisait le nombre de ses représentants. L’état tiers ne comprenait pas de représentants de la population des campagnes.

À partir du traité de Westphalie en 1648, un nouvel équilibre entre les puissances s’est établi qui durera jusqu’à la période impériale de Napoléon. La politique française a évolué en fonction des intérêts politiques, économiques et stratégiques de Versailles. La principauté était un lieu de passage idéal entre la France et la Hollande, alliée privilégiée de la France contre les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche. Elle se trouvait aussi sur le trajet vers l’Allemagne. Il y avait une série de forts : Dinant, Huy, Liège, puis de la ville de Maastricht, en co-souveraineté commune entre la principauté et le duché de Brabant. Bouillon sera le verrou de la défense des terres liégeoises jusqu’en 1678 où Louis XIV s’en empare. Après le désastre de 1468, les Liégeois se sont rendu compte que la neutralité était le meilleur parti à prendre pour leur sauvegarde. Le passage de troupes ennemies, particulièrement au 18e siècle, fut négocié avec les belligérants : fourniture de munitions, de fourrage et, comme conséquence positive, la liberté de commerce.

Henri IV va témoigner, à la fin de sa vie, d’un intérêt un peu suspect pour nos régions puisqu’il était sensible à la présence proche de Charlotte de Montmorency. Cette dernière avait fui ses avances à Bruxelles. En 1635, Richelieu fait alliance avec les Provinces Unies pour dépecer les Pays-Bas autrichiens et se les partager ; il est vraisemblable que son intention était de faire subir le même sort à l’évêché de Liège. Sébastien Laruelle fut assassiné parce qu’il aurait eu pour objectif d’appeler au secours les troupes françaises au moment où le prince Ferdinand de Bavière était, lui, allié de l’Espagne. L’histoire de Liège a été ponctuée d’assassinats politiques et le problème est de savoir qui en est le commanditaire. On connaît mieux le commanditaire de l’assassinat de saint Lambert au début du 8e siècle, on a des hésitations au sujet de Laruelle en 1637. Nous sommes mal informés sur ce qui s’est passé plus récemment ! Richelieu avait l’idée que la rive gauche du Rhin devienne la frontière naturelle de la France. Le prince-évêque reprit par la force la ville qui était en rébellion et fit construire la citadelle, non pour se protéger d’un éventuel ennemi, mais pour mater la population.

En 1714, les Autrichiens reçoivent les Pays-Bas et veulent y développer les activités économiques, avec une volonté de couper les liens entre la principauté et la France. Un réseau de routes fut créé pour faciliter les liaisons des villes entre elles et aussi avec les autres régions, pour devenir un lieu d’entrepôt. Encore actuellement, Liège est le deuxième port fluvial européen. Louis XV adopta une politique de protectorat courtois : faire de ce petit état liégeois une plaque tournante sur le plan économique. En 1722, un ministre plénipotentiaire écrivait : “Le gouvernement de Liège est libre et les Liégeois veulent l’être dans leurs choix” ; il avait bien compris le caractère de ses voisins.

d’après Bruno DEMOULIN

  • image en tête de l’article : “La résidence du Prince Evêque” par Johann Georg Bergmuller © chokier.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Bruno DEMOULIN, organisée en février 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

 

 

 

DOURASSOF : L’immigration russe à Liège et l’église orthodoxe du Laveu (CHiCC, 2004)

Temps de lecture : 4 minutes >

Cette église est construite dans le style de Novgorod, qui date du 14e siècle. Quand les premiers émigrés russes sont arrivés à Liège, la Ville leur a cédé un bâtiment rue Mère-Dieu. En 1944, un V1 est tombé sur cette église un dimanche. Or, par chance (ou par miracle ?), le prêtre était malade et avait pu prévenir ses paroissiens qu’il ne pourrait célébrer l’office. Tout a été détruit, seul l’iconostase a été sauvé. En 1948 a démarré le projet de construire une nouvelle église. Evidemment, les fidèles n’étaient pas fortunés, aussi l’évêché catholique a-t-il donné de l’argent ; une somme importante fut également offerte par la Reine Elisabeth. Un concert a été organisé puis on a collecté, auprès des immigrés, la valeur d’une brique de l’édifice. Ce dernier a été consacré en 1953.

© Ph. Vienne

Le toit est surmonté de cinq coupoles dont le zinc fut offert par l’usine Cuivre & Zinc. Traditionnellement, les fenêtres sont petites et sans vitraux, pour se préserver du froid. L’iconostase est une cloison qui sépare la nef, où se trouvent les fidèles, de l’autel auquel seuls les prêtres ont accès. Sur cette sorte de mur est représentée l’histoire du christianisme. Au centre se trouvent les portes royales sur lesquelles on voit l’Annonciation avec l’ange Gabriel. À droite, figure la représentation du Christ et, à gauche, la Vierge, la Mère de Dieu avec le Christ enfant. Les portes latérales sont appelées les portes des diacres et y sont dessinés soit les archanges, soit les deux premiers martyrs saint Étienne et saint Valentin. L’église est consacrée à saint Alexandre Nevski et à saint Séraphin, qui sont représentés à l’extrême droite de l’iconostase. Le rang supérieur évoque la vie du Christ. Sur le côté, on trouve saint Nicolas et saint Vladimir. Une icône de sainte Barbe évoque le dur travail qu’ont effectué de nombreux immigrés russes. Saint Georges est le patron des nouveaux arrivants venus de Géorgie. Toutes ces décorations constituent un enseignement de la religion à l’intention des fidèles. Pendant onze siècles, cet enseignement était commun à celui de l’église catholique et la liturgie reste très proche. La langue utilisée dans les offices est le slavon.

© lavenir.net

La première vague d’immigration russe a eu lieu après la Première Guerre mondiale, suite à la révolution d’octobre 1917. Plus d’un million et demi de personnes on dû quitter l’empire à ce moment-là. Des liens existaient déjà entre Russes et Belges car, depuis 1880, des entreprises belges étaient présentes en Russie dans les mines de charbon ou de minerais. Ils étaient aussi présents grâce à la construction des réseaux de tramways et du Transsibérien, long de plus de 10 000 km. Nos entreprises participaient au développement industriel du pays tandis que de nombreux Russes venaient chez nous, attirés par les industries et l’université. Un grand nombre de ces immigrés provenaient de l’armée blanche qui avait combattu les bolcheviks. Ces Russes avaient quitté la Crimée pour Constantinople, d’où ils cherchaient à gagner l’Europe occidentale. Le cardinal Mercier a fondé, en 1921, l’Aide belge aux Russes pour leur permettre , par l’octroi de bourses, de reprendre des études universitaires. Cent cinquante enfants furent accueillis à Liège, puis à Bruxelles où un pensionnat éduquera plusieurs centaines de jeunes. Les immigrés ont voulu construire des églises et notamment à Uccle, avenue de Fré. Cette communauté était constituée principalement d’anciens militaires et de leurs familles. Ils étaient conservateurs, monarchistes, respectueux de l’ordre des choses. Par contre, les jeunes s’expatriaient facilement, notamment au Congo et en Amérique du Sud.

Après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle vague d’immigrés est venue remplacer la première, déjà clairsemée. C’étaient des personnes déplacées, des prisonniers russes envoyés par Hitler pour travailler en Allemagne. En 1945, ils n’osaient pas rentrer chez eux de peur de se retrouver dans un goulag. Ils se sont tournés vers l’Occident qui avait besoin de travailleurs pour les mines de charbon. C’est ainsi qu’ils sont nombreux dans le bassin liégeois où ils se mêlent rapidement à la population ouvrière. Ils cherchaient surtout à survivre et n’avaient aucun rêve politique. Le besoin de retrouver leurs racines les amena à l’église. Leurs enfants se sont bien intégrés. Après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du régime soviétique, un jumelage a été réalisé entre deux paroisses : Saint-Barthélémy de Liège et une petite communauté au nord de Saint-Pétersbourg. L’aide permit la construction d’une église et l’offre d’une iconostase de 44 icônes réalisées à Liège, dans l’atelier de Madame Gottschalk.

La troisième vague est arrivée récemment, à Liège. Ce sont qui ont fui la dislocation de l’URSS, surtout des Russes provenant des républiques d’Asie centrale, chassés par les autochtones musulmans de ces républiques devenues autonomes.

Voilà un survol de cette communauté que les Liégeois ont accueillie depuis trois-quarts de siècle, avec cette chaleur humaine qui les caractérise !

d’après Maya DOURASSOF

  • image en tête de l’article © Philippe Vienne

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Maya DOURASSOF, organisée en octobre 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?