NAMUR Y., La nouvelle poésie française de Belgique – Une lecture des poètes nés après mai 68 (2009)

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La poésie et ses demeures possibles

Il y a plus d’une trentaine d’années, le regretté Bernard Delvaille publiait aux éditions Pierre Seghers une volumineuse anthologie intitulée La nouvelle poésie française. Les auteurs présentés avaient, pour les aînés, la quarantaine à peine, quant au plus jeune, il s’appelait Eugène Savitzkaya et il avait à peine vingt ans. Une anthologie qui devait faire date, même si elle fut mal accueillie par les bien-pensants de l’époque et les critiques officiels qui l’avaient prise “pour un panthéon, pour une image définitive de la poésie d’aujourd’hui”.

Ainsi pouvait-on découvrir tout au long de ces quelque six cents pages, les avant-gardes de l’époque dont ces auteurs proches du Manifeste électrique aux paupières de jupes qu’avait signé Michel Bulteau en 1971 (je pense particulièrement ici à Serge Sautreau, Yves Buin ou Alain Jouffroy). Figuraient là aussi les proches des revues TXT comme Christian Prigent ou Jean-Pierre Verheggen, ceux encore qui gravitaient autour de la revue Tel Quel, Marcelyn Pleynet ou Denis Roche. Y apparaissaient aussi les noms de Daniel Biga, Pierre Dhainaut ou Lionel Ray… Un ouvrage visionnaire à plus d’un titre.

Quant aux quelques poètes belges présents dans cette anthologie, ils avaient pour noms Jean-Pierre Otte, Jacques Izoard, Eugène Savitzkaya, Christian Hubin, Jean-Pierre Verheggen, William Cliff, Michel Stavaux ou Daniel Fano

Si aujourd’hui j’ai évoqué cette anthologie, c’est parce qu’il me semblait que je pouvais faire miens les propos de Bernard Delvaille lui-même lorsqu’il présenta à l’époque son travail. C’est que, je l’espère, nos desseins sont assez semblables. “Cette anthologie, écrivait Delvaille, est un livre d’humeur. Elle ne se veut pas consécration, mais ouverture et pari. Elle se voudrait avant tout subversive, car la poésie doit être subversive, voire, terroriste. Dans un univers encore – mais pour combien de temps ? – tout préoccupé de concurrence sociale, de conventions, de hiérarchies et de cette fatuité que donne le confort moral, la parole de Baudelaire se révèle plus vraie que jamais : ‘Tout homme bien portant peut se passer de manger pendant deux jours, – de poésie jamais.’” Qu’ajouter de plus à cette merveilleuse entrée en matière ?

Cette présente anthologie – que tout un temps j’avais pensé intituler, comme le livre de Macédino Fernandez paru chez Corti, Papiers de nouveauvenu et continuation du rien – est une lecture de poètes belges nés après mai 68. Exception faite de Yves Colley, né quelques semaines plus tôt, mais fallait-il l’exclure pour autant ? les plus âgés comme Laurence Vielle, Anne Penders et Théophile de Giraud sont nés aux alentours de ces événements qui marquèrent notre jeunesse à nous. Quant aux plus jeunes, ils n’ont pas encore vingt-cinq ans ou à peine, ils s’appellent Antoine Wauters, Raphaël Micolli, Kathleen Lor, Alexandre Valassidis, Nicolas Grégoire, Damien Spleeters ou encore Coton, et ils nous offrent déjà des pages d’une belle densité.

Quel regard dès lors poser sur ces “poètes d’après mai 68”, quelles constatations s’imposent, quelles leçons tirer de ces lectures ?

Le lecteur attentif aura ses propres réponses comme il aura ses propres sympathies pour tel ou tel autre poète. Mais quelques constantes paraissent déjà se dégager d’un tel travail.

Ainsi suis-je frappé par l’importance que prend aujourd’hui le poème en prose chez de nombreux auteurs, s’inscrivant dans la tradition d’un Michaux ou d’un Marcel Lecomte. Les poètes belges, il est vrai, ont souvent été tentés par ce type de forme fixe. Qu’on pense à Fernand Verhesen, Philippe Jones, Michel Lambiotte, André Balthazar ou Gaspard Hons, nos poètes ont souvent travaillé cet espace singulier que représente le poème en prose. Mais ici, plus qu’à d’autres moments, le poème en prose s’impose comme un genre fréquenté par nombre d’entre eux : qu’il s’agisse de Ben Arès, Frédéric Saenen, Laurent Robert, Rachaël Micolli, Antoine Wauters ou un Stéphane Lambert toujours à la frontière des genres.

Autre constatation : l’importance qu’acquiert aujourd’hui l’oralité, l’immédiat d’un discours. La reconnaissance et l’accueil grandissant du slam et des lectures-performances ne sont peut-être pas étrangers à ce phénomène-là. Des auteurs comme Damien Spleeters ou Maxime Coton, dit Coton, s’inscrivent dans cette lignée de poètes qui “montent sur scène”. Un Nicolas Ancion, qui cultive volontiers l’humour et la dérision, leur est également proche. On doit d’ailleurs, autour de cette mouvance, évoquer le rôle d’une maison d’édition comme Maelstrom dont la collection bookleg s’est fait le témoignage des différentes performances. Citons aussi une Laurence Vielle dont le texte dit par elle-même investit à merveille la scène. Il faut être témoin de ses lectures pour mesurer toute l’importance du poème “mis en scène ou en ondes”.

Mais ne gardons pas la langue de bois : le danger est parfois réel dans ces performances. Un texte qui passerait remarquablement la rampe par différents effets de scène ou de voix peut, une fois couché dans un livre, se révéler être de piètre qualité. C’est là me semble-t-il l’un des risques majeurs de telles démarches, mais elles valent la peine d’être tentées.

L’engagement citoyen est aussi présent dans cette poésie d’après mai 68. Peut-être plus que ce qu’il n’était auparavant. Qu’on lise pour s’en convaincre du Laurence Vielle ou Le poète fait son devoir de Nicolas Ancion.

Théophile de Giraud, quant à lui, pousse l’engagement jusqu’à la provocation extrême, voire, l’injure à la vie. Avec peut-être Christophe Abbès et Xavier Forget (qui n’a rien publié à ce jour), il fait partie de ces inclassables qu’André Blavier appelait les “fous littéraires”. Quel scandale suscitera-t-il après le récent badigeonnage de la statue équestre de Léopold II ? Faisons-lui confiance, nous ne sommes pas au bout de nos surprises avec cet émule d’André Stas. Et cela, qu’on le veuille ou non, oxygène un peu notre quotidien.

Parmi les architectes de la langue – disons ceux qui construisent et mettent en scène sur papier, ce qui n’est pas non plus toujours sans risque – il me faut évidemment citer Anne Penders et Gwenaëlle Stubbe. Ces voies-là ont certes été investiguées il y a déjà longtemps avec des auteurs comme Jean Daive et plus récemment Elke De Rijcke, publiée également au Cormier. Cette approche de la poésie eut de nombreux adeptes dans les années septante avec des auteurs comme Anne-Marie Albiach, Joseph Gugluemi ou un Lionel Ray dont on aurait aujourd’hui peine à prétendre qu’il fut pourtant l’auteur de L’interdit est mon opéra (Gallimard, 1973). Les modes littéraires – on se souvient aussi du mouvement minimaliste ou du mouvement électrique – sont, elles aussi, saisonnières.

Un Nicolas Grégoire quant à lui, voisine plutôt du côté d’André du Bouchet ou Jacques Dupin. Une écriture que l’on devine contrôlée, travaillée jusqu’à ne laisser en place qu’un noyau dur. Peut-être marche-t-il aussi aux côtés d’un Christian Hubin dans ce qu’il a de plus lapidaire, et cela nous laisse présager le meilleur qui soit. Alexandre Valassidis, quelque peu plus lyrique, ou Antoine Wauters, comme son aîné Ben Arès, sont résolument attachés à un travail sur la langue et sur le poème lui-même en tant que sujet ; le sentiment et ce que j’appellerais grossièrement ‘l’homme‘ n’ont pas encore trouvé ici de place réelle. Avec Rachaël Micolli un peu dans la même mouvance, voilà de jeunes poètes en qui il faut placer toutes nos espérances. Mais seul demain nous dira s’ils ont répondu à nos attentes.

Quant aux poètes déjà reconnus par leurs aînés, ils affirment de livre en livre leur personnalité spécifique. Marie-Clotilde Roose se confine dans une poésie de la retenue, peut-être est-elle l’une des rares de cette génération à croire que la poésie puisse encore réellement penser. Elle représente aussi – si on me permet de l’exprimer ainsi – l’image d’une poésie féminine, comme il en fut autrefois d’une Marie-Claire d’Orbaix ou d’une Andrée Sodenkamp.

Parmi ces poètes déjà bien installés dans notre paysage littéraire, il faut bien sûr citer Otto Ganz, Pascal Leclercq ou Christophe Van Rossom, surtout connu pour son activité remarquable de critique. Hubert Antoine est quant à lui l’une des grandes figures de ces nouvelles générations. Il fut tôt remarqué par beaucoup d’entre nous. En fait, dès son premier livre publié aux éditions de l’Arbre à paroles, Le berger des nuages, et ses autres publications au Cormier, jusqu’à cette Introduction à tout autre chose, publié chez Gallimard, confirment tout le talent de cet auteur aujourd’hui installé au Mexique. Un Fabien Abrassart, venu plus tard à l’écriture, me semble emprunter les mêmes voies et nous sommes en droit d’attendre beaucoup de lui comme d’un Laurent Fadanni, actuellement en résidence au Canada. Thibaud Binard, lui, n’aura pas eu beaucoup de temps pour s’exprimer, puisqu’il s’est donné la mort à l’âge de vingt-cinq ans, mais la lecture de son livre Diagonal Doce est une révélation et témoigne d’une œuvre déjà mature à bien des égards.

D’autres noms mériteraient d’être cités pour tel ou tel aspect de leur travail, nous laissons au lecteur le soin d’emprunter des chemins de traverse avec des David Besschops, François Monaville, Frédéric Bourgeois, Vincent Daenen et consorts.

Oui, pour paraphraser Yves Bonnefoy, j’aime à répéter à qui veut l’entendre que notre poésie est loin de ses demeures possibles.

Cet ouvrage – en quelque sorte une suite à l’anthologie Poètes aujourd’hui, un travail que j’avais co-signé avec Liliane Wouters – est fragile de par le peu de recul que je me suis donné. Il paraît évident que dans peu de temps, quelques-uns de ces poètes auront sombré corps et âme dans l’oubli, qu’ils auront abandonné le navire pour d’autres vies ou d’autres passions, quelques-uns deviendront nos plus illustres poètes et l’on peut déjà en pressentir l’un ou l’autre, d’autres vont s’affirmer. Quant au meilleur d’entre tous, il est vraisemblable que nous ne l’ayons pas encore lu, plus occupé qu’il soit à écrire qu’à se montrer en public.

Mais une chose est certaine, quels que soient les mouvements ou les écoles, la poésie mérite toujours d’être vécue et expérimentée.

Cette lecture.je n’aurais pu la mener à son terme sans l’existence de revues remarquables, souvent accueillantes pour ces voix nouvelles. Des revues comme Le Fram, Matières à poésie ou Sources, où j’ai abondamment puisé des informations, lu les premiers poèmes des uns et des autres. Que soient ici remerciés Karel Logist, Ben Arès, Eric Brogniet et tous les collaborateurs de ces revues. Sans eux ce travail eut été impossible ou aléatoire. Et il faut souligner combien est capital le rôle de ces revues ouvertes aux nouvelles écritures, c’est souvent là le terreau de demain. Les éditions Tétras Lyre, Le Cormier et Maelström m’ont été aussi d’une très grande utilité de par les collections mêmes qu’ils réservent à ces poètes nouveaux. Les auteurs eux-mêmes me furent d’un grand secours et je les remercie pour tous les inédits qu’ils m’ont aimablement confiés.

Oui, la poésie, comme le disait Pierre Reverdy, sera toujours affaire d’émotion. Puissent ces textes vous émouvoir et éveiller votre curiosité comme ils ont secoué la mienne.

Yves Namur, La nouvelle poésie française de Belgique (2009)


Yves NAMUR, La nouvelle poésie française de Belgique (Taillis Pré, 2009)

[LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS.NET, n°158] On parle peu des jeunes poètes francophones de Belgique… On croit savoir d’eux qu’ils publient, discrètement, surtout en revue, ou qu’ils performent leurs textes ici et là. Voici qu’ils ont à présent leur anthologie ! Le maître d’œuvre en est Yves Namur, qui n’en est d’ailleurs pas à sa première initiative du genre… En 1996, il avait dirigé un hors série de la revue Sud, (dont faisaient déjà partie les précoces Gwenaëlle Stubbe et Laurent Robert que l’on retrouve ici). Son choix reprenait alors des poètes nés après 1945. Ensuite, avec sa complice Liliane Wouters, il avait publié Le siècle des femmes. Rien d’étonnant donc à ce qu’il s’intéresse aujourd’hui à nos plus jeunes poètes. D’emblée, dans sa préface, il se place sous l’autorité de deux poètes. Tout d’abord de Bernard Delvaille, dont l’anthologie La nouvelle poésie française, parue chez Seghers dans les années septante, lui a servi de modèle. Avec lui, il revendique l’anthologie poétique comme un « livre d’humeur » qui se voudrait avant tout subversif. Et ensuite de Baudelaire, convaincu que « tout homme bien portant peut se passer de manger pendant deux jours, – de poésie jamais. »

Namur se dit conscient du peu de recul qu’il s’est donné et de la fragilité du projet : réunir une cinquantaine de poètes peu confirmés. Son anthologie s’ouvre avec l’aîné, qui n’avait que trois mois en mai 68, auteur de seulement deux magnifiques livres en dix ans : Yves Colley. Formellement, il semble bien que toutes les tendances cohabitent dans ce fort volume, le vers libre, rarement classique, le poème en prose, le court comme le long. En feuilletant l’ouvrage, on est frappé par l’importance que prend aujourd’hui le poème en prose chez de nombreux poètes – dans la tradition, consciente ou inconsciente ? – de Michaux ou de Lecomte. La place de l’oralité est également à souligner : Vielle, Spleeters, Leclercq ou Coton sont de ceux qui disent et scandent leurs mots. « Certes, un texte résiste parfois bien difficilement à l’épreuve du papier, la scène se sert d’autres artifices», souligne Namur qui ne s’est pas contenté de recenser de jeunes poètes : il nous propose aussi de découvrir la face poétique de l’œuvre d’auteurs qu’on connaît jusqu’à présent mieux comme romanciers : Stéphane Lambert, Luc Baba ou Nicolas Ancion entre autres… Il faut remarquer aussi que peu de jeunes poètes, à l’exception de Nicolas Grégoire, Pierre Dancot ou Christophe Van Rossom font nommément référence à d’autres poètes, comme s’il n’existait que peu ou pas de filiations du tout… L’anthologie fait une place à Thibaut Binard, poète tôt disparu et dont il faudra un jour découvrir l’œuvre. Enfin, notons que la nouvelle poésie est surtout masculine – (seulement sept femmes !) et ne cherchons aucune explication à cela…

On peut se demander où et comment on déniche autant de « jeunes » poètes… Il faut pointer le travail des revues – et l’anthologiste remercie Matières à poésie, Sources ou encore Le Fram – ainsi que celui des petits éditeurs (Le Tétras-Lyre, Maelström et ses bookleg, Le Cormier…). On ajoutera la curiosité des jurés des prix poétiques réservés aux jeunes, le Lockem, le Houssa et le Polak de l’Académie, ou encore des bourses de la Fondations Spes. Une anthologie de près de 600 pages ne peut qu’accréditer l’idée que la poésie, bien que mal connue, se porte bien dans nos contrées. Au hasard de bienvenues notices biobibliographiques, on découvre une foule de micro-éditeurs. Qui connaît – et qui distribue ? – les éditions Le déjeuner sur l’herbe, Galopin ou encore Boumboumtralala ?

Anthologie copieuse, « brique », diront certains, ce travail a le mérite de laisser une large place pour l’expression des poètes choisis. Un petit bémol cependant : l’ouvrage comporte des coquilles. Un projet aussi ambitieux n’aurait-il pas exigé une relecture plus soigneuse ? Yves Namur, anthologiste viscéral, a voulu parier sur la diversité et les richesses de la nouvelle poésie française de Belgique. Un paysage en mouvement, surtout rien qui se veuille image définitive… Il nous donne ainsi à lire un passionnant éventail de talents et de voix. Pari gagné.

Quentin Louis


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | source : éditions Le Taillis Pré | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, ENSOR J., Du rire aux larmes (1908) © Tous droits réservés.


Lire encore en Wallonie-Bruxelles…

Christine l’Admirable, la prédicatrice perchée

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[LECHO.BE, 8 janvier 2022] Christine l’Admirable, une figure excentrique de la chrétienté médiévale, fait l’objet d’un livre de deux récits, mettant en lumière ce destin du Moyen Âge.

Il existe un point commun entre Nick Cave, le chanteur, poète et star internationale et Sylvain Piron, médiéviste à l’EHESS. Ils se sont tous deux intéressés à Christine l’Admirable, une figure excentrique de la chrétienté médiévale. Pour ceux et celles qui connaissent la chanson Christina the Astonishing, il faut savoir que tous les faits dont Nick Cave parle, ceux de son retour à la vie après avoir été déclaré morte, celle de son dégoût pour l’odeur humaine et pour son habitude de la fuir en ne vivant qu’en haut des arbres ou des tours ou de sauter dans la Meuse et de partir en nageant, tout cela est avéré.

Nous le savons d’abord par le texte de Thomas de Cantimpré, un contemporain de Christine l’Admirable qui décidé de rédiger sa biographie, traduite ici par Sylvain Piron et Armelle Le Huerou. En dehors des miracles et des comportements radicaux de Christine l’Admirable, nous sommes aussi plongés dans un mouvement particulier de la fin du XIIᵉ siècle se déroulant dans les actuels Liège et Louvain : des femmes dévouées à Dieu, mais refusant d’être sous la tutelle des ordres monastiques et créant donc les béguinages (bien que Christine ne soit pas une béguine).

Le texte s’accompagne d’un passionnant appareil critique rédigé par Sylvain Piron, qui interprète et explique le comportement (terrorisant les nobles et bourgeois) de Christine l’Admirable, son rapport à la prière, mais aussi au corps, en le mettant en lien avec d’autres pratiques spirituelles comme certaines formes de chamanisme qui subsistait à l’époque. Admirable.

Timour SANLI


© Magali Lambert / Agence VU – Musée du château de Dourdan

[INEXPLORE.COM, 30 mai 2022] Grande mystique du Moyen Âge, Christine l’Admirable a cumulé toute sa vie les miracles et les manifestations paranormales. Récit de la vie d’une sainte belge peu commune.

Orpheline très jeune de parents paysans, Christine mène avec ses sœurs une vie religieuse dans le village de Brustem, près de Liège en Belgique.

Nous sommes dans les années 1170 environ, et elle est affectée à la tâche de garder les bêtes. Elle raconte déjà que le Christ la visite souvent lorsqu’elle est seule dans les pâturages. On ne sait pas bien comment, mais elle perd la vie une première fois, la date est totalement incertaine ainsi que son âge, les récits divergent. Tout le village est rassemblé dans l’église, ses sœurs sont éplorées quand soudain, Christine se redresse dans son cercueil et se lève, les bras en croix. La légende raconte qu’elle serait entrée en lévitation au-dessus de l’assemblée. Ensuite, Christine relate ce qui serait aujourd’hui une EMI [eW : Expérience de Mort Imminente] : elle a voyagé dans le purgatoire, vu aussi l’enfer et y a reconnu des personnes croisées jadis. “Après cela, je fus transportée au paradis, devant le trône de la majesté divine…“, raconte-t-elle par le biais du théologien Thomas de Cantimpré, contemporain et compatriote de la sainte, qui fut aussi son biographe. Dieu lui propose de rester auprès de lui, ou bien de repartir sur Terre pour “y souffrir les peines de l’âme immortelle dans un corps mortel, sans dommage pour lui. Tu arracheras à leurs peines, par les tiennes, toutes les âmes dont tu as eu pitié dans le lieu du purgatoire et tu convertiras à moi les vivants par l’exemple de ta peine et de ta vie.” Sans hésiter, Christine revient dans son corps pour accomplir sa tâche divine.

© DP

À partir de ce moment-là, Christine commence une vie d’ascète, sans domicile la plupart du temps, courant les bois, dormant dehors dans le plus grand dénuement, afin d’expier pour les âmes en peine. Au début, elle rencontre beaucoup d’embûches et d’incompréhension de la part de ses contemporains qui, au lieu de la voir sainte, la croient possédée. Il faut dire qu’elle enchaîne les étranges phénomènes : elle se jette dans des eaux glacées ou dans des fours et en ressort sans blessures. Parfois, elle est prise dans les turbines du moulin et ses os semblent brisés en mille morceaux, cependant elle reprend sa marche au sortir de l’eau. Emprisonnée par ses sœurs effrayées, elle se nourrit de son propre sein, dont coule une huile sainte qui soigne ses blessures… Après quelque temps, ses proches l’acceptent comme elle est et s’ensuivent des prédictions comme le massacre de 1213, la prise de Jérusalem par les Sarrasins, ou de manière plus proche, des événements liés aux personnes l’entourant. Au cours de ses prédictions, ainsi qu’à d’autres moments, elle est souvent saisie par l’extase et les transes, ce qui rappelle que les traditions chamaniques n’étaient pas si loin au Moyen Âge.

L’auteur Sylvain Piron a fait un travail remarquable sur l’œuvre de Thomas de Cantimpré, l’hagiographe de Christine l’Admirable, dont il analyse le récit phrase par phrase. Sans affirmer la véracité de tous les faits, il tente de voir ce qui relève des contes de l’époque, des récits populaires et des vrais événements qui ont pu se produire. Christine meurt de vieillesse au couvent des Bénédictins en 1224. Elle fut longtemps vénérée dans sa région et son histoire est parvenue jusqu’à nous.


EAN9782931146002

[d’après LIBREL.BE] La Vie de Christine l’Admirable ressemble à un roman gothique d’Italo Calvino, à ceci près que l’ouvrage fut rédigé en 1232 à Saint-Trond en Hesbaye [eW : Christine est de Brustem, près de Saint-Trond, en Principauté de Liège] par un jeune dominicain, huit ans après son décès, sur la foi de témoignages recueillis sur place avec la plus grande circonspection. La protagoniste du récit est l’une de ces nombreuses femmes du diocèse de Liège qui avaient choisi de mener une vie sainte sans entrer dans une institution établie. Elle constitue en même temps une anomalie, tant les pénitences qu’elle s’inflige sortent de l’ordinaire et s’apparentent parfois au comportement de chamanes. Son cas invite ainsi à réfléchir à la persistance dans les dévotions médiévales de mémoires plus anciennes. Ses manières étranges, auxquelles Nick Cave a été sensible en lui consacrant une chanson, conduisent à poser la question de la réalité du merveilleux dans l’histoire. L’ouvrage Christine l’Admirable. Vie, chants et merveilles se compose d’une traduction de sa Vie, dont le texte latin fait l’objet d’une édition critique présentée en annexe, de commentaires historiques et d’un essai d’interprétation anthropologique.

Table des matières

      • Présentation
      • Traduction de la Vie de Christine l’Admirable de Thomas de Cantimpré
      • I. Le travail de la mémoire
      • II. Circonstances
      • III. Au fil du texte
      • IV. Un tissu de merveilles
      • V. L’anomalie Christine
      • Conclusion – Pour une pragmatique de l’extase
      • Principes d’édition du texte
      • Édition de la Vita Christinae Mirabilis, suivie de l’abréviation d’Henri Bate de Malines
      • Notes
      • Remerciements

d’après l’éditeur VUESDELESPRIT.ORG


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : lecho.be ; inexplore.com ;  vuesdelesprit.org ; librel.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, peinture d’église © DR ; © Magali Lambert / Agence VU – Musée du château de Dourdan.


Plus de symbolique en Wallonie-Bruxelles…

SUBSISTANCE : Penser et agir depuis la ‘subsistance’, une perspective écoféministe

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[TERRESTRES.ORG, 12 mai 2023] La publication récente par les Éditions La Lenteur de La subsistance, une perspective écoféministe, paru en 1997 en Allemagne et disponible en version anglaise dès 1999, est une bonne nouvelle. Elle répare un manque et pourrait dénouer quelques malentendus ou idées reçues concernant “la subsistance” et la perspective écoféministe. Si, depuis sa première publication, de nouvelles générations sont nées, avec leurs combats, leurs grammaires, leurs attachements ; si la galaxie écoféministe est diverse, plus que jamais, l’emprise du capitalisme globalisé, l’obsession de la croissance et du progrès, la foi dans la technique salvatrice, la destruction systématique des conditions de la subsistance et la violence patriarcale nous étreignent. Le travail de longue haleine dont rend compte cet ouvrage relie concrètement ces différentes facettes d’un monde qui ne peut survivre qu’en accélérant le sacrifice du vivant.

La dimension historique de cet ouvrage, puisant à l’engagement des autrices situées au carrefour des mouvements écologistes, féministes et anti-coloniaux, rend cette publication d’autant plus précieuse pour penser et agir au présent. Le livre récent de Geneviève Pruvost, écrit dans la lignée du féminisme de la subsistance, celui d’Aurélien Berlan, inspiré de l’imaginaire révolutionnaire de la subsistance, l’attention renouvelée à des pratiques ancrées et anciennes de subsistance, l’irruption de nombreux collectifs et lieux articulant concrètement autonomie matérielle et réflexion politique, témoignent d’heureuses confluences et en redoublent l’intérêt.

Dès les années 1970, les autrices ont travaillé à élaborer une théorie globale de la subsistance, à partir de bases empiriques et de la réalité matérielle du monde, depuis le travail de subsistance des femmes, celui qui produit et protège la vie. Ce travail naturalisé est en effet devenu invisible : “Il apparaît comme un bien gratuit, une ressource gratuite tel l’air, l’eau ou le soleil, qui semble s’écouler naturellement du corps des femmes.

Maria Mies, écrivaine et professeure de sociologie, fut une des initiatrices de l’approche écoféministe, dite de Bielefeld, avec Claudia von Werlhof et Veronika Bennholdt-Thomsen, sociologue et ethnologue, co-autrice de l’ouvrage. Leur souci permanent d’allier la théorie et la praxis, de relier la domination de la nature avec celle des femmes, de ne pas s’enfermer dans la recherche académique, s’exprime dans la forme du livre : chaque chapitre est précédé de récits, récits de lutte et récits de vie, puisant à des expériences et engagements, à des enquêtes, menées en Allemagne et dans plusieurs pays du monde, notamment dans ce qui était alors désigné comme Tiers Monde.

Elles se sont très tôt emparées de la critique de la science mécanique du XVIIème siècle et de l’idéal baconien de maîtrise technologique de la nature. Elles furent notamment inspirées par la philosophe écoféministe Carolyn Merchant, dont l’ouvrage a été traduit en France en 2022, soit quarante ans après sa traduction en Allemagne ! Ce refus du projet de maîtrise technologique de la nature et des humains ne les quittera pas. Alors que l’écoféminisme naît de femmes ayant lutté depuis les années 1970 contre l’armement atomique, la catastrophe de Tchernobyl en 1986 raffermit leur engagement contre l’énergie atomique, civile ou militaire.

Le choix d’une approche empirique et matérielle, l’ambition d’élaborer une théorie globale de la subsistance, les a confrontées dans les années 1980 à l’éclosion de la pensée post-moderniste de ces années-là, en particulier à celle de Jean-François Lyotard. Si elles partagent avec ces courants la critique de la rationalité instrumentale, elles ne la situent pas d’un point de vue seulement théorique et abstrait ; elles le font depuis leurs expériences concrètes et les enquêtes qu’elles mènent face “à la violence patriarcale, au militarisme, aux technologies nucléaire et génétique, bref à partir du rejet de l’hubris cartésien, cette prétention démesurée qui constitue un paradigme épistémologique basé sur la domination de l’homme sur la nature et sur les femmes“.

La conquête d’espaces non capitalistes et la destruction des sociétés de subsistance traditionnelles sont la condition de l’expropriation et de l’accumulation sans fin du capital, autrement dit de la croissance infinie.

Geneviève Azam

Tout en critiquant l’économisme marxiste et plus globalement la modernité industrielle, elles refusent la posture post-moderniste faisant de la nature et de l’histoire réelle des constructions culturelles, linguistiques ou narratives, sans base matérielle. Sur le plan académique, elles ont vécu ces années 1980-1990 comme celles de la domination des courants post-modernes et la marginalisation de la perspective matérialiste de la subsistance. Jusqu’au material turn des années récentes, au refus plus affirmé du dualisme opposant la matière et l’esprit en ce qu’il désanime la matière pour idéaliser l’esprit. Tournant matérialiste ravivé par la catastrophe écologique, l’accélération extractiviste et coloniale, par le retour brutal de la “nécessité”, de la matérialité de nos mondes.

FACE À LA RELIGION DE LA CROISSANCE, RECONQUÉRIR ET REVENDIQUER LA SUBSISTANCE

L’idée de subsistance, dans la modernité industrielle, est associée à la pauvreté, à l’arriération, à la pénurie, voire à la survie biologique. Par extension, elle renvoie au “sous-développement”, à une croissance empêchée et retardée. Dans le sillage de l’anthropologue Marshall Sahlins, les autrices déconstruisent cette vision, reposant sur le mythe d’une rareté intemporelle des ressources – fondant aussi bien l’économie capitaliste que les utopies marxistes et socialistes – rareté jointe à des besoins humains naturellement illimités. Cette idéologie économiste, outre qu’elle justifie la productivité industrielle comme seule voie pour résoudre cette tension et combler l’écart de “développement”, dévalorise les économies de subsistance des peuples non industrialisés.

En ce point, Maria Mies et Veronika Bennholdt-Thomsen revendiquent l’héritage de Rosa Luxemburg, qui, contrairement à Marx et Lénine, ne fait ni de “l’accumulation primitive” ni de l’impérialisme des moments du développement capitaliste, mais son essence même : la conquête d’espaces non capitalistes, la destruction des sociétés de subsistance traditionnelles, est la base, la condition de l’expropriation et de l’accumulation sans fin du capital, autrement dit de la croissance infinie. Ce faisant, elles s’opposent à la structure coloniale du capitalisme. En détruisant la capacité de survie des personnes, le capitalisme s’assure de leur dépendance au capital, notait également Ivan Illich dans son ouvrage Le travail fantôme, également mis à contribution.

Quand il est intériorisé par les peuples colonisés ou par les femmes, qui se trouvent aux avant-postes de la subsistance, cet imaginaire est à la source d’une dévalorisation de soi, d’une dépréciation des activités vitales devenues “corvées” et dont il faudrait se délivrer, de l’attente toujours déçue d’un rattrapage de développement accordé d’en haut, d’un “consumérisme de rattrapage”.

La destruction des conditions de la subsistance fut méthodiquement organisée après 1945 en même temps que s’imposait le paradigme du “développement” : devenu synonyme de civilisation, le développement, comme idéologie et comme pratique, assimile les activités quotidiennes de subsistance à des survivances passéistes “freinant” le progrès. Ce mouvement d’expropriation s’est accéléré et approfondi depuis les années 1980 avec la globalisation, les traités de libre-échange, auxquels les autrices se sont vigoureusement opposées, en lien avec des mouvements résistants des femmes du Sud global. Des récits précieux de ces luttes pour la subsistance accompagnent le travail théorique des autrices.

La perspective de la subsistance, construite à partir de données collectées depuis les expériences de femmes du Sud, renverse la table dressée par “le patriarco-capitalisme” globalisé : “Nous voulons débarrasser la perspective de la subsistance du stigmate véhiculé par le discours progressiste qui lui colle encore à la peau. Nous voulons insister sur le fait que c’est nous, le peuple, qui créons et entretenons la vie, et non l’argent et le capital. C’est cela la subsistance». Les politiques paternalistes d’empowerment des femmes, qui accompagnent l’accélération de la destruction des bases matérielles de leur pouvoir, les privent de la joie de l’autonomie.

Cette perspective, qui relie intrinsèquement le féminisme et la question coloniale, ne s’arrête pas aux pays dits en voie de développement : “Ça ne peut être une perspective nouvelle que si elle est également valable pour les pays et classes que l’on dit développées“. La croissance, l’industrialisation, la productivité, ces piliers des économies capitalistes et industrielles s’opposent à l’autonomie matérielle et politique, détruisent les activités de subsistance et assurent la domination patriarcale: “En étudiant l’économie réelle, nous constatons que cet article de foi en la croissance infinie de la productivité est un mythe masculin eurocentrique“.

C’est pourquoi nous avons appelé toutes ces parties de l’économie cachée, à savoir la nature, les femmes et les peuples et territoires colonisés, les colonies de l’homme Blanc. Homme blanc désigne ici le système industriel occidental.

Maria Mies, Veronika Bennholdt-Thomsen

L’analyse du capitalisme, menée à partir du patriarcat et de la colonisation, s’enrichit de la notion de housewifization, forgée en Inde par Maria Mies. Cette notion désigne le processus de domestication propre au capitalisme industriel qui a abouti à l’invention de la femme au foyer au XIXème siècle. Mais elle ne s’y réduit pas. Se trouvent enrôlées dans ce mouvement “les femmes qui font un travail salarié à domicile, les travailleurs agricoles, les paysans, les petits commerçants et les ouvriers travaillant dans les usines du Sud“. Finalement la housewifization concerne l’ensemble du travail de subsistance des sociétés, travail précarisé et flexible, exercé dans des conditions de domesticité proches du travail des femmes au foyer et que le capitalisme rêve d’universaliser. L’extinction du travail vivant par le travail mort, contenu dans les machines et infrastructures, renforce encore ce processus et conduit à l’invisibilité de millions de travailleurs et surtout de travailleuses.

L’analyse du travail de subsistance montre que la domination n’y joue pas sur les mêmes ressorts que pour le travail salarié standard. L’exploitation y est calquée sur celle de la nature, considérée comme un stock de ressources gratuites et inépuisables, violemment accaparées : “C’est pourquoi nous avons appelé toutes ces parties de l’économie cachée, à savoir la nature, les femmes et les peuples et territoires colonisés, les colonies de l’homme Blanc. Homme blanc désigne ici le système industriel occidental“. Ainsi, le capitalisme exploite davantage de travail que le travail salarié proprement dit.

Le marxisme, en considérant comme premiers et fondateurs les rapports entre travail salarié et capital, s’est consacré à la partie émergée de l’iceberg et a ignoré la production de subsistance. Seul le travail salarié y mérite le nom de travail, les activités non salariales relevant d’une sphère “pré-capitaliste” ou bien de processus naturels, d’une sphère de la “reproduction”. De ce fait, elles disparaissent de la sphère sociale et deviennent invisibles. Dans une perspective de la subsistance, ces activités ne relèvent pas de la “reproduction”, elles sont une production : “Production et reproduction ne sont ni séparées ni superposées. Dans une économie morale en grande partie basée sur le régime des biens communs, aucun des dualismes qui mettent en scène des notions que l’on oppose et que l’on hiérarchise ne peut se maintenir“.

UNE POLITIQUE DE LA SUBSISTANCE

La perspective de la subsistance est une perspective politique. Il ne s’agit ni d’un modèle théorique abstrait, ni d’un nouveau modèle ou système économique prêt à l’emploi, ni d’une perspective de développement durable, laissant intacte la culture de la croissance. Une société de subsistance défend la vie au lieu de l’accumulation d’argent mort. Elle se construit par le bas, sans le recours aux avant-gardes et à des pouvoirs qui “naîtraient des canons et des fusils“.

Dans une société de la subsistance, l’économie est un sous-système de la société et non l’inverse, elle est aussi un sous-système dépendant de la Terre et des autres créatures terrestres.

Geneviève Azam

L’économie de la subsistance est centrée sur l’élaboration de valeurs d’usage. Cette économie ressemble, écrivent les autrices, à l’antique oïkonomia des Grecs, mais sans l’esclavage et le patriarcat. Elle est une “économie morale”, selon la notion forgée par l’historien britannique Edward P. Thomson, à propos de l’éthique des communautés paysannes, ou encore par l’anthropologue James Scott à propos de l’éthique de la subsistance et des résistances quotidiennes des paysans. Cette économie morale n’a rien à voir bien sûr avec la fiction d’une réconciliation a posteriori de l’éthique et de l’économie, quand l’économie s’est préalablement affranchie de toute éthique, de toute norme extérieure, pour pouvoir se tourner vers l’accumulation infinie de valeurs marchandes et un extractivisme forcené et sans limite.

Dans une société de la subsistance, l’économie est un sous-système de la société et non l’inverse, elle est aussi un sous-système dépendant de la Terre et des autres créatures terrestres : “La notion de subsistance exprime aussi la continuité entre la nature qui nous environne et celle qui est en nous, entre la nature et l’histoire, et le fait que dépendre du domaine de la nécessité ne doit pas être vu comme une malchance et une limitation, mais comme une bonne chose et comme la condition préalable à notre bonheur et à notre liberté“. Les autrices s’éloignent là encore de conceptions “progressistes”, finalement idéalistes en ce qu’elles pensent l’émancipation et la liberté indépendamment de leurs conditions matérielles.

Une économie de la subsistance est incompatible avec une économie mondialisée, elle n’est envisageable qu’à plus petite échelle et de manière décentralisée. Incompatible donc aussi avec l’obsession de la productivité qui exige la centralisation et la concentration en vue d’économies d’échelle, ainsi que la mobilisation technologique. Incompatible avec le Marché comme principe d’organisation des sociétés, une telle économie est adossée à des marchés concrets, les marchés-rencontre de Karl Polanyi, sur lesquels s’échangent des biens de subsistance et des liens, tels les nombreux marchés organisés par les femmes partout dans le monde. Contrairement aux canons économiques séparant production et circulation des produits, y compris ceux du marxisme, ces places de marché ne relèvent pas de la “sphère de la circulation” des produits, ils participent du processus de la production de subsistance.

Réinventer les communs signifie recréer des communautés qui prendraient en charge et se sentiraient responsables d’éco-régions ou de domaines de la réalité et de la vie, et en feraient la base de leurs moyens d’existence.

Maria Mies, Veronika Bennholdt-Thomsen

Enfin, cette économie repose sur les communs, auxquels les autrices consacrent des pages passionnantes. Très tôt, dès 1992, elles font la critique des thèses de G. Hardin et de son article à succès La tragédie des communs (1968). G. Hardin est pour elles représentatif de l’idéologie patriarcale, en ce qu’il vise à identifier le mode de vie “patriarcal-capitaliste” à un mode de vie humain et universel. Les communs, dont elles se revendiquent précocement, n’ont rien à voir avec les “Biens publics globaux” ou autres Biens communs de l’humanité, déclinaisons d’une partie des thèses de G. Hardin, qui préconisait soit un pouvoir centralisé pour gérer les communs, soit leur transformation en propriété privée.

Les communs dans une société de subsistance sont le fruit de communautés de base. Réinventer les communs signifie “recréer des communautés qui prendraient en charge et se sentiraient responsables d’éco-régions ou de domaines de la réalité et de la vie, et en feraient la base de leurs moyens d’existence“. La critique de la séparation entre la production et la consommation leur a permis de théoriser précocement les “communs négatifs”, dont les déchets sont une illustration parfaite. Un beau texte écrit par Maria Mies restitue ce cheminement de pensée : “Et puisque la production de la vie n’est plus enracinée dans un ensemble vivant et interconnecté, dans un écosystème avec ses cycles et ses symbioses organiques, dans sa longue association avec la communauté humaine et sa culture, mais qu’elle est au contraire coupée et séparée des autres êtres organiques (végétaux, animaux, microbes), il est impossible de respecter ses restes et de les considérer comme partie intégrante du processus vital. Ils deviennent des déchets“. Déchets massivement exportés vers les sociétés du Sud, notamment pour les plus toxiques.

LA SUBSISTANCE N’EST PAS LA “SPHÈRE DE REPRODUCTION” DE L’ORDRE PRODUCTIVISTE

La production de subsistance passerait donc avant la production de marchandises et le travail salarié ne serait plus le centre du travail dit “productif” : “Au lieu d’être axée sur le travail salarié, l’économie serait axée autour d’un travail qui soit matériellement et socialement utile, autonome et déterminé par la société elle même“. Elle s’origine dans l’économie paysanne, encore présente grâce aux travail des femmes paysannes mais en grande partie détruite par l’expansion capitaliste : “Nous devons donc rappeler ces vérités fondamentales : la vie vient des femmes et la nourriture vient de la terre“. Pour autant, il ne s’agit pas de prôner un retour pour toutes et tous à la campagne, la perspective de la subsistance est aussi possible et nécessaire dans les villes.

Le livre fourmille d’expériences urbaines et de réflexions politiques qui, plus de vingt-cinq ans après sa publication, restent brûlantes : “N’avons-nous affaire qu’à une gestion de crise temporaire, à des tentatives de survie dans les ruines des systèmes industriels capitaliste et socialiste“, se demandent-elles, craignant que les expériences de subsistance ne servent finalement qu’à “subventionner le système capitaliste comme le fait le travail des femmes, des petits paysans, le travail de survie dans le secteur prétendument informel, mais sur une base plus large“. Ne peut-on craindre un nouveau cycle d’accumulation construit sur les ruines de la subsistance ? La réponse à ces questions dépend de la capacité acquise pour rompre avec la dépendance au capital, avec pour principe “la production et la reproduction de la vie“.

Certaines de ces formules pourraient laisser penser à des biais économistes, empruntant encore au lexique de la “production-reproduction”, non pas cette fois du point de vue du capital mais du point de vue de la vie. Le capitalisme s’est déjà largement emparé de la production et reproduction de la vie, avec une bio-économie armée de bio-technologies qui détruisent les capacités d’autonomie et leurs conditions matérielles. Les autrices échappent à ce biais en faisant une critique forte de l’assimilation de la subsistance à la “sphère de la reproduction” et de sa naturalisation : “C’est précisément parce que la main d’œuvre vivante n’est pas une ressource naturelle, précisément parce qu’elle n’est pas cet élément intangible nécessaire à la production tangible que nous ne faisons pas référence à ce processus sous le terme de reproduction“. La perspective de la subsistance déconstruit le dualisme production-reproduction qui reconduit la centralité de la production.

Je voudrais ici souligner la puissance de cette perspective écoféministe de la subsistance. Dès les années 1970, elle a permis, empiriquement et théoriquement, de s’en prendre aux piliers du techno-capitalisme et de son expansion, la croissance, le développement, le mirage techno-industriel, alors que la mise en cause de ces catégories était presque unanimement considérée comme réactionnaire et contraire au progrès.

SUBSISTANCE, FÉMINISME ET ÉCOFÉMINISME

Il peut sembler paradoxal d’en venir plus spécifiquement au féminisme, alors que l’ensemble du propos concernant la perspective de la subsistance, les analyses et les intuitions majeures contenues dans ce livre sont le fruit de réflexions et d’engagements croisés entre féminisme, écologie, dé-colonialisme. Pourtant, le dernier chapitre du livre concerne bien la libération des femmes et la perspective de la subsistance.

Dès les années 1970 les autrices se sont opposées à un glissement du féminisme vers la seule conquête de l’égalité des droits, visant moins à l’abolition du patriarcat et du système de domination tout entier qu’à permettre aux femmes de jouer un rôle égal dans le système : “C’est pour cette raison qu’elles voulaient être à égalité non avec des hommes inférieurs (par exemple les paysans dans les colonies ou les hommes pauvres dans les sociétés blanches), mais avec les hommes blancs privilégiés, supérieurs“. Ainsi s’explique également le succès de la notion d’empowerment, devenue mantra des institutions internationales, et qui efface le pouvoir acquis par les femmes dans des formes souvent modestes mais puissantes d’activités autonomes et solidaires.

La science et la technologie ne sont pas neutres. Dans une perspective de subsistance, la science et la technologie devront suivre la logique de la subsistance, qui n’est pas une logique d’accumulation.

Maria Mies, Veronika Bennholdt-Thomsen

Le rejet de la société techno-industrielle, et non le rejet de la technique en tant que telle, traverse cette perspective. Ce fut également – et cela reste – un sujet de débat parmi les féministes : “La critique récurrente qui nous est adressée selon laquelle la subsistance est anti-technologie passe à côté d’une idée centrale, à savoir que la logique d’un système de production est inséparable de sa science et de sa technologie. La science et la technologie ne sont pas neutres. Dans une perspective de subsistance, la science et la technologie devront suivre la logique de la subsistance, qui n’est pas une logique d’accumulation“.

Elles déconstruisent le fétichisme vis-à-vis de la technologie, par exemple celui qu’exprimait André Gorz à la fin des années 1980 en voyant dans la subsistance un “retour à des modes pré-industriels de production du nécessaire“, et en misant sur la production high-tech, supposément immatérielle. Celui aussi de courants ou sensibilités féministes qui font des technologies génétiques un moyen de s’émanciper du corps féminin et reproduisent ainsi le dualisme entre corps et esprit, nature et culture. Le mépris pour le corps féminin, voire le mépris ou la condescendance vis-à-vis des mères, sont pour les autrices “une des raisons pour lesquelles la puissance originelle du mouvement féministe a perdu son élan” . Le féminisme de cette école est un féminisme matérialiste. Il s’oppose tant à un féminisme idéaliste, réduit à des politiques d’équité, qu’à un féminisme culturel, centré sur la déconstruction des valeurs et représentations patriarcales, ou encore sur des récits cultivant le détachement par rapport à la subsistance, dans l’espoir encore de s’en délivrer.

Leur féminisme est un écoféminisme. Engagées dans le mouvement écologiste, elles lient la domination de la nature à la domination des femmes, naturalisées comme le furent et le sont encore les “colonies” du capital. Précocement, elles déconstruisent le dualisme entre la nature et la culture, non pour les fusionner dans une nature-culture, mais pour mettre à jour des interdépendances, des continuités, des appartenances communes. Écoféministes aussi quand les femmes ne sont plus seulement considérées comme victimes passives de la division patriarcale du travail mais qu’elles revendiquent “subjectivement et avec insistance le caractère positif de leur travail pour la création et la perpétuation de la vie, même si ce travail était dévalorisé par le capital“. Au lieu de se libérer d’une nature qui leur serait hostile, d’un corps hostile, les femmes expérimentent leur proximité avec la nature : ce n’est pas une malédiction, c’est au contraire ce que devraient expérimenter les humains dans leur ensemble pour construire des mondes habitables.

Au sein des débats académiques, dans lesquels les autrices ne souhaitent pas enfermer l’écoféminisme, une telle perspective a été souvent écartée, jugée comme essentialiste, “nouveau péché originel”, attribué à l’écoféminisme en général. D’autant plus que Maria Mies a publié un livre sur le sujet avec l’écoféministe indienne Vandana Shiva, dont la parole politique est parfois ensevelie sous son assignation à l’essentialisme. Le retard de la traduction en France de l’ouvrage de Maria Mies et Veronika Bennhold Thomsen a certainement quelque chose à voir avec cela et il faut remercier les Éditions de la Lenteur pour cette traduction et publication. Pourtant, le processus de naturalisation et de biologisation des femmes dans le patriarcat et dans le capitalisme est maintes fois déconstruit dans leurs approches. C’est à la conception de la masculinité ou de la féminité comme simple construction culturelle qu’elles s’opposent. Elles y lisent notamment le retour d’un dualisme hiérarchique entre nature et culture qu’elles s’attachent précisément à déconstruire.

Vingt-cinq ans après la parution de ces travaux, écrits dans les années 1980-1990, et alors que les menaces qui pèsent sur les milieux de vie saccagés sont vécues et ressenties, y compris désormais dans les pays “développés”, que les violences sexistes et coloniales redoublent, ce débat académique infini, apparaît coupé des nombreuses pratiques émergentes. L’écoféminisme s’incarne concrètement dans des manières diverses de faire communauté, de faire monde et d’habiter la Terre. Il est traversé d’approches théoriques, d’histoires politiques, d’expériences et de sensibilités différentes, parfois conflictuelles. Il importe d’en tenir tous les fils, selon l’expression d’Émilie Hache, pour lui garder la puissance subversive d’une culture politique qui fait de la reconnexion à la nature non pas un retour ou une assignation à la nature, mais “un acte de guérison et d’émancipation“. La perspective écoféministe de la subsistance est peut-être une trame faisant tenir tous ces fils.

EAN9791095432340

MIES Maria, BENNHOLDT-THOMSEN Veronika, La subsistance, une perspective écoféministe (La lenteur, 1997, 2022). L’écoféminisme est une proposition théorique et politique élaborée depuis près de cinquante ans. Dès les années 1970, Maria Mies et Veronika Bennholdt-Thomsen analysent l’industrialisation comme un vaste processus de destruction de la subsistance. A partir de l’attention à l’ensemble des activités vitales du quotidien, elles relient colonialisme, domination de la nature et des femmes. Ce faisant, elles nous aident à mieux comprendre la domination capitaliste et patriarcale et ouvrent des voies politiques fécondes.

Geneviève Azam, terrestres.org


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Plus de presse en Wallonie-Bruxelles…

NIHOUL : Le témoin silencieux (2023)

Temps de lecture : 3 minutes >

Recension de NIHOUL Arnaud, Le témoin silencieux (Genèse, 2023) :

Arnaud Nihoul
Arnaud Nihoul © lavenir.net

À côté de son métier d’architecte, Arnaud NIHOUL consacre tout son temps à l’écriture. Après quelque quinze nouvelles très remarquées et deux romans plusieurs fois primés, Caitlin (Prix Saga Café du meilleur premier roman belge en 2019 que wallonica.org avait été un des premiers à vous présenter) et Claymore, ce passionné des mots nous entraîne au cœur de Manhattan dans les arcanes du monde de l’art.

New York. Elena Tramonte, une célèbre galeriste, disparaît et le peintre qu’elle représentait est retrouvé assassiné le jour du vernissage. Trois mois plus tard, Lawrence Mason, le compagnon d’Elena, homme d’affaires et grand collectionneur, meurt à son tour d’une crise cardiaque dans son appartement de Central Park. Dans son testament, celui-ci lègue à la fille d’Elena, Kerry, jeune photographe, trois magnifiques tableaux figurant sa mère. Peu à peu, Kerry va noter un lien singulier entre ces portraits et trois peintures d’Edward Hopper retrouvées à Cape Cod cinquante ans après la mort du peintre. Y a-t-il un rapport entre Hopper et la disparition d’Elena ? Avec l’aide de Julian Taylor, expert en art, Kerry démontera l’incroyable machination dans laquelle sa mère a été piégée.

Après deux romans situés en Ecosse, Arnaud Nihoul nous fait traverser l’Atlantique sur les traces d’Edward Hopper. Qu’importe le lieu, on notera au passage que ses romans sont toujours en lien avec le monde de la création (littéraire, artistique, artisanale), comme une mise en abyme. Ce n’est sans doute pas anodin.

New York © Philippe Vienne

Une fois la lecture achevée – ce qui est assez rapide vu la fluidité de l’écriture et les rebondissements de l’intrigue qui en font un page-turner – on a le sentiment que, consciemment ou non, Hopper a inspiré bien plus que le sujet du roman. Les personnages principaux sont, comme ceux de Hopper, des solitaires, empreints d’une forme de mélancolie issue de blessures que l’on devine, puis découvre au fil du récit. L’un d’eux reprend d’ailleurs à son compte la citation de Wim Wenders selon laquelle “on a toujours l’impression, chez Hopper, que quelque chose de terrible vient de se passer ou va se passer”. A ce titre, le roman est, en quelque sorte, un ultime tableau de Hopper :

En plus, je suis un fan absolu de Hopper ! Ce type était un génie. Et un original. Il a capturé depuis le métro aérien des scènes théâtrales magnifiques. Et peint des toiles horizontales dans une ville résolument verticale. On retrouve un peu de la grammaire du cinéma dans ses peintures, ce sont de véritables décors de films … Il y a énormément d’atmosphère  dans ses tableaux.
– C’est vrai, approuva Julian .
– On disait que les silences de Hopper n’étaient pas vides, continua Harry, ceux de ses toiles pas davantage. Il ne jugeait pas, il observait et révélait. Certains le surnommaient d’ailleurs le témoin silencieux.

Philippe VIENNE

Arnaud NIHOUL est également documenté dans Objectif Plumes, le portail Wallonie-Bruxelles des littératures belges…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : rédaction, illustration | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations :  © éditions Genèse ; © Philippe Vienne ; © lavenir.net.


Plus de littérature en Wallonie-Bruxelles…

DOTREMONT : Dépassons l’anti-art – Écrits sur l’art, le cinéma et la littérature, 1948-1978 (2022)

Temps de lecture : 5 minutes >

[EDITIONLATELIERCONTEMPORAIN.NET] Acteur et témoin de plusieurs mouvements expérimentaux d’après-guerre, dont ceux du surréalisme-révolutionnaire et de Cobra, historien des arts impliqué dans l’histoire qu’il raconte, théoricien emporté cependant à l’écart de la théorie par sa fidélité à la confusion des sensations immédiates, telles sont les facettes de Christian Dotremont que révèlent ses nombreux écrits sur l’art, la littérature et le cinéma. À leur lecture, c’est d’abord comme si on déroulait plusieurs fils de noms, qui retracent certaines constellations artistiques et intellectuelles majeures de son époque, dans ce qu’elles eurent de tumultueux et de vivant.

On croise ainsi, évoquées à travers leurs œuvres comme à travers leur existence quotidienne, de grandes figures du milieu artistique belge, tels René Magritte et son “anti-peinture” traversée d’humour et de poésie, ou Raoul Ubac et la “forêt de formes” de ses photographies, mais aussi du surréalisme parisien, tels Paul Éluard accomplissant sa “grande tâche lumineuse” dans la nuit de 1940, Nush Éluard servant du porto rue de la Chapelle, ou Pablo Picasso dans son atelier rue des Grands-Augustins, occupé à faire du café et à dessiner sur des pages de vieux journaux, en ces temps de pénurie de papier. On croise également des personnages plus inattendus, comme Gaston Bachelard, lecteur des Chants de Maldoror, Jean Cocteau, “délégué de l’autre monde“, ou Jean-Paul Sartre, travaillant frénétiquement à sa table du Dôme, et s’interrompant pour lire avec bienveillance les poèmes que lui soumet jeune Christian Dotremont. Mais celles et ceux dont il esquisse les portraits les plus denses, ce sont les artistes de Cobra, qui de 1948 à 1951 fut “une somme de voyages, de trains, de gares, de campements dans des ateliers”, une manière de travailler en “kolkhozes volants“, entre Copenhague, Bruxelles et Amsterdam. Entre autres, sont évoqués avec une finesse critique particulière Asger Jorn, qui avec ses toiles “sème des forêts” à l’écart des dogmes, Pierre Alechinsky, dont la peinture est “comme un coquillage où s’entend l’orage“, Egill Jacobsen, inventant des “masques criants de vérité chantée“, Erik Thommesen, dont les sculptures sont “un grand mystère trop émouvant pour être expliqué“, ou Sonja Ferlov, qui réconcilie “la pierre et l’air“…

Dans les textes qu’il consacre à ses amis et amies artistes, on retrouve la musique et les images obsédantes qui travaillent aussi sa poésie, telle l’image de la forêt, pour dire chaque fois les surgissements de la trame illisible du monde qui le fascinent. Artiste révolutionnaire, déçu pourtant par l’étroitesse des conceptions esthétiques communistes, il se fait théoricien d’un art du non-savoir, contre la propension à ordonner et à policer du “réalisme-socialiste“. Il s’agit avant tout pour lui de ne pas trahir “toutes ces confuses sensations que nous apportons nuit et jour“. Cela, seule une écriture affirmant sa dimension graphique le peut vraiment. Lignes discursives et lignes expressives doivent être pensées et tracées ensemble, comme en attestent ses logogrammes ou les “peintures-écritures” de Cobra. À ses yeux, l’écrivain est un artiste, voire un artisan ; les gestes de sa main sont ce qui compte avant tout. Ses écrits sur l’art manifestent sa volonté de réconcilier la dimension intellectuelle et la dimension matérielle de l’écriture, le verbe et l’image, de même, dit-il, que sont réconciliés la création et l’interprétation dans le jazz. L’écrivain doit être, selon ses termes, “spontané” et “sauvage“.


ISBN 978-2-85035-073-3

DOTREMONT Christian, Dépassons l’anti-art (édité par Stéphane Massonet, l’ouvrage est publié avec le concours du Centre national du livre et de la Fondation Roi Baudoin par L’Atelier contemporain, 2022).

Stéphane Massonet est né à Bruxelles en 1966. Après un doctorat en philosophie sur l’esthétique de l’imaginaire, il publie les textes de Roger Caillois sur l’art, Images du labyrinthe (2008), et les écrits poétiques, Aveu du nocturne (2018). Il s’intéresse à l’avant-garde, au dadaïsme, au surréalisme belge et à Cobra. Il publie Dada Terminus (1997), un roman inachevé de Christian Dotremont intitulé Le papier à cigarette de la nécessité (2007) et coordonne le numéro de la revue Europe consacré au poète belge en mars 2019. Il est également l’auteur de Dotremont et le cinéma (2021).


Extraits :

Il fait si gris, si médiocre, si vieux dans le monde qui nous est proposé qu’un trait d’encre nous touche au cœur comme une flèche, qu’une tache de couleur fait mouche sur lui, et joyeusement fait boule de neige dans l’immense parc solitaire et glacé. C’est que le trait d’encre, la tache de couleur ont tout ensemble les empreintes de l’homme et le prestige de la matière, tandis que le monde qui nous est proposé efface nos empreintes (il préfère les traces de la radioactivité) et n’accorde plus à la matière que le prestige de nous menacer.
Dans le parc solitaire et glacé les ombres qui passent font encore des chinoiseries : Eh quoi, nous disent-elles, eh quoi vous jouez ! Parfaitement, Ombres, nous jouons, nous nous amusons, Alechinsky s’amuse (qui va au cœur de la matière avec le sien), Van Roy s’amuse (qui se fait architecte des mirages de Derrière l’Œil), Bury s’amuse (qui en a eu marre de lécher les St-Honoré du trompe-l’œil), Collignon s’amuse (qui peint les champs où la couleur est son propre engrais), Welles s’amuse (qui le jour fait de la menuiserie), Corneille, François et Claus s’amusent, et Burssens et Vlérick et Bergen et de Coninck s’amusent, et Yvonne Van Ginneken s’amuse, et s’amusent contre vous. Nous ne pensons pas que pour être de son temps il faille s’embêter : nous pensons que derrière le temps de chien qui nous est fait, le temps du plaisir attend, et déjà c’est le nôtre. Plus loin que vos tristes parades, derrière les maisons, après la banlieue, derrière le terrain vague où vous jetez vos vieilles idées (dont d’autres font de nouvelles cravates), s’étend la grande plaine de jeux de la peinture expérimentale, de la jeune peinture, de la peinture qui refuse d’être l’ombre des Ombres ! Nous jouons avec le soleil, avec la mer, avec les cheveux de Gradiva, avec les cailloux, avec la pâte, avec le bois, comme des enfants : nous désapprenons vos leçons de morte morale, de nature morte, de mort générale.

Je connais ton nom, mon amour, je connais le goût de ton sommeil, la chaleur de ton épaule, je connais grâce à toi la forêt noire, l’odeur des branches de sapins brûlées, je connais grâce à Van Gogh l’intensité de l’été provençal de 1888 – et je n’y comprends rien, mais je vis. Je me souviens de la tache de soleil sur tes cheveux, de la courbe de ton geste, et je n’y comprends rien, et je souhaite de n’y jamais rien comprendre – car je souhaite vivre. Je défendrai « toutes ces sensations confuses que j’ai apportées en naissant », toutes ces confuses sensations que nous nous apportons nuit et jour.

Christian Dotremont


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage et iconographie | sources : editionslateliercontemporain.net | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : ©  L’Atelier contemporain | Plus sur Christian Dotremont dans wallonica.org : DOTREMONT, Christian (1922-1979)


Contempler encore…

Pourquoi raconte-t-on des histoires qui font peur aux enfants ?

Temps de lecture : 9 minutes >

[RADIOFRANCE.FR/FRANCECULTURE, 14 juillet 2022] Il existe des centaines de contes, livres ou dessins animés qui ont marqué notre enfance. Parmi ces histoires, certaines ont été plus marquantes que d’autres : celles qui nous faisaient peur, nous rendaient tristes ou nous choquaient. Mais pourquoi raconte-t-on de telles horreurs aux enfants ?

Quand j’avais 6 ans et demi, j’ai vu Le Roi Lion au cinéma et je ne suis pas sûre de l’avoir très bien vécu. Et je ne crois pas être la seule à avoir ce ressenti pour une histoire. Quand on a posé la question à notre public sur les réseaux sociaux, nous avons été submergés par les témoignages d’histoires effrayantes : Barbe Bleue, Pinocchio, Coraline, Ratatouille, Pierre et le loup, La Petite fille aux allumettes

Pour décrypter et comprendre ce que les histoires qui font peur provoquent dans notre cerveau, j’ai interrogé l’historienne des contes Elisabeth Lemirre, le pédopshychiatre Patrick Ben Soussan, la neuroscientifique spécialisée dans le cerveau de l’enfant Ghislaine Dehaene et la formatrice et lectrice pour enfants Chloé Séguret.

À l’origine : des contes terrifiants

Elisabeth Lemirre, autrice de Le Cabinet des fées (2003), commence son propos ainsi : “Le conte est aussi vieux que la parole chez l’homme.” Pourtant il existe une grosse différence avec les histoires d’aujourd’hui : pendant des siècles, les histoires, les mythes, les contes n’étaient pas destinés aux enfants.

Elisabeth Lemirre : “À l’origine, le conte est destiné à une communauté, plus encore, il est son mode d’expression. La communauté se réunit dans des cérémonies ritualisées, des veillées après des travaux, des cérémonies de fêtes, par exemple après un mariage, et le conteur conte. Toute la communauté est réunie autour de lui : aînés, adultes, enfants. A l’origine, il n’y a donc aucune différence entre contes pour enfants et contes pour adultes.

On pourrait donc croire que c’est pour cela qu’on raconte des histoires qui font peur aux enfants : parce qu’on a pris l’habitude depuis des temps immémoriaux de ne pas filtrer les histoires quand elles sont destinées au jeune public. Mais c’est plus compliqué que ça. Parce qu’il y a eu une période où on a créé volontairement des histoires pour terrifier les plus jeunes.

Elisabeth Lemirre : “Au XIXe siècle, naissent les contes d’avertissement. Ce sont des contes très simples, faits pour faire peur aux enfants. Par exemple, chez les frères Grimm, Dame Holle : une petite fille sage laisse tomber son fuseau dans un puits. Quand elle descend le récupérer, elle rencontre la Dame Holle qui habite au fond du puits. Comme elle est gentille avec elle et qu’elle obéit à ses ordres, l’enfant remonte couverte d’or. Sa sœur l’imite alors mais comme elle a un caractère désobéissant et ne fait rien de ce que lui dit la dame, elle sort du puits couverte de poix ! C’est aussi à ce moment-là qu’on invente le croque-mitaine, le Père Fouettard et même Saint-Nicolas. Ce sont des personnages bienveillants et malveillants à la fois. Si l’enfant s’est montré sage, ils apportent des friandises et des cadeaux. Dans le cas contraire, ils apportent des verges pour les battre.

DORE Gustave, illustration pour Le Petit Poucet © CC

C’est à cette époque qu’Andersen et les frères Grimm adaptent et mettent par écrit d’anciens contes et légendes dans des livres. Ces livres sont diffusés au sein de la société bourgeoise qui tente alors de tutorer l’enfant : l’idée est de corriger les comportements considérés comme répréhensibles des petits garçons et des petites filles en leur faisant peur.

Le vocabulaire des émotions

Cette approche éducative par la peur semble bien désuète à l’heure où l’on parle davantage d’éducation bienveillante ou positive. En 1994, dans Le Roi Lion, si le personnage de Scar et les hyènes font peur, on ne valorise pas pour autant les enfants sages. D’ailleurs, les bêtises de Simba ont largement contribué au succès du dessin animé.

Mais une histoire a bien d’autres fonctions que de rendre un enfant sage. C’est ce que nous explique le pédopsychiatre Patrick Ben Soussan, auteur de plusieurs livres sur l’éducation dont Les livres et les enfants d’abord (2022).

Patrick Ben Soussan : “L’histoire qui fait peur s’inscrit dans un processus de narration qui relève de ce qu’on appelle la grammaire des émotions : une façon de confronter les enfants à ce qui fait les émotions du monde, en particulier les “grandes” comme la surprise, la colère, la peur, la joie… Il y a des histoires qui vont contenir cet ensemble de propositions. L’histoire qui fait peur s’inscrit dans ce registre et est censée faciliter l’entrée dans le monde des humains.

Elisabeth Lemirre : “Le conte permet à l’enfant d’identifier son angoisse. La peur d’être dévoré.e sera celle du Petit Poucet ; la peur de la petite fille de susciter le désir de son père ou de son frère sera celle de Peau d’âne ou de La Fille aux mains coupées. Cette peur, telle qu’elle est mise en scène dans des situations terribles par des personnages totalement effrayants, permet à l’enfant de nommer son angoisse. Elle devient alors une peur qu’il peut assumer.”

Finalement, Le Roi lion c’est quand même l’histoire d’un meurtre en famille déguisé en accident, et d’un enfant à qui on fait porter le chapeau. Rappelez-vous ces terribles mots de Scar à Simba, juste après la mort de son père : “Sans toi, il serait encore en vie… Qu’est-ce que ta mère dira ?

MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro © Studio Ghibli

Au-delà des questions que soulèvent le film liées à la mort, la trahison, la culpabilité, il y a une scène en particulier que je trouvais tellement horrible qu’aujourd’hui encore, je ne peux pas la regarder sans avoir les yeux qui piquent, c’est ce passage dans lequel Simba tente de réveiller le cadavre de son père en lui tirant l’oreille. Une scène terrible dans laquelle le spectateur est face à un enfant qui se rend compte qu’il ne peut pas réparer ses parents et que ceux-ci ne sont pas immortels. A ce moment-là, pour l’enfant que j’étais, il ne s’agissait peut-être pas seulement de nommer la mort, mais aussi d’appréhender la crainte qu’elle suscite.

Patrick Ben Soussan : “Ce n’est pas tant la verbalisation des émotions qui importe que la compréhension des ressentis. Ces histoires permettent à l’enfant d’éprouver et de rencontrer ces émotions-là dans un melting pot de scénarios et de situations le plus large possible. En effet, plus il en connaît, plus ce sera riche pour lui et favorisera son développement émotionnel plus tard. La reconnaissance des émotions d’abord, et ensuite l’adaptation dont l’enfant va faire preuve face à ces émotions : rester en retrait, ou au contraire aller de l’avant, être dans la retenue ou participer avec joie et allégresse. L’enjeu ce n’est pas tant la “gestion” des émotions que la capacité de l’enfant à les comprendre, comme s’il s’agissait du vocabulaire d’une langue étrangère.

Que se passe-t-il dans le cerveau ?

Raconter des histoires qui font peur peut donc avoir de bons côtés. Pour autant, les professionnels de la petite enfance ne sont pas unanimes sur le sujet. Ghislaine Dehaene, pédiatre, directrice de recherche au CNRS en sciences cognitives est pour sa part plutôt réticente à l’idée de lire des histoires effrayantes aux enfants. Notamment parce que cela soulève la question cruciale qui consiste à savoir à partir de quel moment un enfant comprend que les histoires… c’est pour de faux.

Ghislaine Dehaene : “On raconte beaucoup d’histoires aux enfants, on leur raconte le Père Noël ou Alice au pays des merveilles et, par ailleurs, on leur explique comment les rennes ou les lapins grandissent et vivent, de façon très scientifique. C’est difficile pour l’enfant de savoir à quel moment on lui parle de choses imaginaires et à quel moment on lui parle de choses réelles.”

Mais pour s’y retrouver, l’enfant a des indices. En général on n’emploie pas le même ton quand on explique à un enfant que la terre tourne autour du soleil ou qu’Astérix boit de la potion magique. Il va y avoir des clins d’œil, des sourires, une intonation, des gestes… Mais tout cela, l’enfant met du temps à le décoder.

Ghislaine Dehaene : “Toutes les régions cérébrales ne se développent pas à la même vitesse. Le langage par exemple fait partie des circuits que l’enfant développe assez vite. Mais d’autres, comme ceux liés à l’imagination ou à la compréhension de l’autre, vont mettre beaucoup plus de temps. C’est pour cela que les très jeunes enfants sont très “littéraux”. Ils ne vont pas forcément comprendre l’humour ou le second degré, et vont rester attachés au premier sens d’une histoire.

© DR

Sur les conseils de cette neuroscientifique, j’ai regardé une expérience intéressante réalisée avec des enfants de 2 ans et demi. Ils sont dans une pièce avec des jeux à leur taille, comme un toboggan ou une voiture, puis on les fait sortir. A leur retour dans la salle de jeux, ils sont face aux mêmes objets mais miniaturisés. Leur première réaction est d’essayer de jouer de la même façon, comme s’ils ne comprenaient pas la différence entre un toboggan et sa représentation. Qu’en est-il alors des histoires ? Et en particulier des histoires qui font peur ? Que se passe-t-il dans le cerveau d’un enfant qui a peur ?

Ghislaine Dehaene : “C’est très important de lire des histoires. Mais pas forcément des histoires qui font peur ! On sait qu’on va exciter l’amygdale, une région limbique, c’est à dire une des régions émotionnelles. Que produit la peur dans le cerveau d’un jeune enfant ? Il n’existe pas encore d’imagerie médicale du cerveau d’un enfant auquel on lit une histoire qui fait peur. Mais en revanche, on sait que toute situation de stress est néfaste pour son développement cérébral, qu’elle inhibe. Mais les études portent sur des situations de stress engendrées par les violences de guerre, ou l’expérience de l’orphelinat… des situations où le stress est bien réel et pas transmis par une histoire.

Éviter de générer du stress chez un enfant en lui faisant peur, c’est une question de dosage, et pour ça il faut prendre en compte plusieurs facteurs, comme évidemment l’âge de l’enfant. Chaque enfant est bien sûr différent, mais je crois que cela aurait été pire pour moi de voir Le Roi Lion plus tôt, vers 4 ans, par exemple. D’ailleurs, c’est un âge particulier dans la construction de la pensée de l’enfant.

Ghislaine Dehaene : “Les enfants de cet âge sont dans une espèce de pensée magique : ils croient que s’ils pensent quelque chose suffisamment fort, ça peut se réaliser. Une étude comportementale a consisté à montrer une boîte vide à des enfants. Puis à demander à un premier groupe d’imaginer un lapin à l’intérieur, à un deuxième groupe un monstre et puis il y un troisième groupe d’enfants auquel on ne dit rien. L’expérience consiste ensuite à regarder à quelle vitesse les enfants s’approchent de la boîte. Tous savent qu’elle est vide bien sûr. Mais ceux qui ont imaginé qu’il y avait un monstre à l’intérieur sont plus lents à s’en approcher et à l’ouvrir, même s’ils disent : “Je sais qu’il n’y a pas de monstre.” Mais chez les enfants de 4-5 ans, l’ambiguïté persiste : “Si je l’ai imaginé, c’est peut-être vrai.” Donc il faut avoir cela en tête quand on lit une histoire qui fait peur. Les enfants ne réagissent pas comme nous à une information, il faut par conséquent les ménager.

De l’importance de l’accompagnement

Un autre facteur à prendre en compte pour éviter de générer du stress est l’importance de l’accompagnement. Parce que si les professionnels de l’enfance divergent sur l’impact et l’utilité des histoires qui font peur, sur ce point, ils sont en revanche unanimes.

Patrick Ben Soussan : “L’enfant sait très bien s’il est dans un univers de sécurité créé par l’environnement humain. Quel que soit le contenu du livre, si l’enfant sait qu’il peut compter sur la personne qui est là, présente auprès de lui, il ne craint rien. C’est cette confiance qui est fondamentale, qui permet de développer l’estime de soi.

Chloé Séguret, qui enseigne la littérature d’enfance à l’IRTS de Melun tempère : “Mais pour que cette expérience soit positive, il faut que l’enfant ait la maîtrise du moment de lecture. Cette maîtrise de l’enfant sur l’histoire, ce cadre rassurant, demande à l’adulte écoute et observation.

Chloé Séguret : “Les enfants ne sont pas toujours capables de verbaliser ce dont ils ont besoin mais leur posture est parlante. Un enfant qui s’éloigne, se met à jouer, à faire du bruit – notamment quand il est captif et qu’il sait qu’il ne doit pas bouger – qui joue avec sa chaussure, avec ses cheveux, est un enfant qui cherche des échappatoires. Ça peut être aussi attraper son doudou, mettre sa tétine ou son pouce dans la bouche. Ça peut être aussi une position de repli. Si on est dans une lecture individualisée, la proximité physique avec l’adulte qui lit peut permettre à l’enfant de surmonter sa peur. Mais en cas de doute, l’adulte peut alors demander : “Tu veux que je continue ? Est-ce que ça te fait peur ? Tu veux qu’on arrête ?”

BURTON Tim, L’étrange Noël de Monsieur Jack (1993) © Touchstone Pictures

Je comprends mieux à présent ma réaction devant Le Roi Lion. Voir un film sur un grand écran, entourée d’inconnus, dans le noir, sans pouvoir faire de pause, ni parler : ce n’est pas très rassurant comme cadre. Mais que ce soit à travers des livres, des dessins animés ou des contes, un autre élément est à prendre en considération :

Chloé Séguret : “Pour les très jeunes enfants, il faut que ça se termine bien . On ne peut pas laisser les enfants sur une note de désespoir, il faut les laisser sur quelque chose de joyeux et d’heureux.

Et ça Walt Disney l’a bien compris. Le Roi lion se termine par le traditionnel – et un peu daté – “Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.” N’empêche, cette musique et ces images m’ont marquée, et presque 30 ans plus tard, j’ai toujours autant de plaisir à regarder la dernière scène du Roi Lion.

d’après Elsa Mourgues


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Il était une fois…

DESJEUX : En l’an 70, la start-up Jésus aurait pu disparaître

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[LEMONDE.FR, article du 3 juillet 2022, cité intégralement dans TRIBUNEJUIVE.INFO] Dans Le Marché des dieux, l’anthropologue Dominique DESJEUX se demande, à travers l’étude des débuts du judaïsme et du christianisme, comment une nouvelle croyance peut s’imposer à toute une société et devenir une “innovation de rupture”. Comment le monothéisme et, plus précisément, le christianisme sont-ils devenus des “innovations de rupture”, au sens où ils sont passés du statut de simple nouveauté à celui d’innovation capable de bouleverser toute une société ? C’est la question posée par Dominique Desjeux dans Le Marché des dieux. Comment naissent les innovations religieuses. Du judaïsme au christianisme (PUF, 2022).

Vous qualifiez votre méthode d’”anthropologie stratégique”, en quoi cela consiste-t-il ?

Quand je m’intéresse à l’histoire, n’étant pas historien de formation, je cherche d’abord à comprendre les “jeux d’acteurs” de la période que j’étudie, les objectifs de ces acteurs, leurs intérêts, leurs stratégies, leurs réseaux, leurs rapports sociaux, leurs alliances, les incertitudes auxquelles ils sont confrontés, etc.

J’ai été formé auprès de Michel Crozier, le père de la sociologie des organisations et de l’analyse stratégique. Son approche met justement l’accent sur les jeux d’acteurs face à des zones d’incertitude. Je l’ai enrichie à travers l’étude de la logistique, de l’imaginaire, du climat. Et j’ai appliqué tout cela à la religion.

Pour faire ce livre, qui m’a pris entre cinq et dix ans de travail, je me suis appuyé sur l’ensemble des sciences, à la fois historiques et exégétiques, de la nature et du vivant. Depuis les années 1990, notamment grâce à l’archéologie, l’histoire du monothéisme ne se fait plus principalement à partir des livres sacrés. L’histoire se lit à partir du contexte, de l’époque, de l’ensemble des acteurs.

Evidemment, je n’explique pas l’histoire par l’action de Dieu. Je suis agnostique au sens scientifique. Cela ne veut pas dire que ceux qui croient que Dieu intervient ont tort : je n’en sais strictement rien. Je me suis simplement appuyé sur l’histoire moderne qui, elle, change complètement la vision qu’on pouvait avoir il y a encore quelques années, au sujet d’Israël en particulier.

Votre enquête démarre aux environs du XIIe siècle avant notre ère. Que se passe-t-il de si important à cette époque ?

Je m’appuie notamment sur les travaux du biologiste et historien des religions Nissim Amzallag, qui a récemment apporté une pièce de puzzle intéressante. Cette époque est une période d’effondrement des grands royaumes méditerranéens : l’Egypte, l’empire hittite, le royaume mycénien. Il y a alors une sorte de transfert de pouvoir vers les Qénites, un peuple de forgerons vivant dans le nord-ouest de l’Arabie et le Néguev, au sud d’Israël. Ce peuple maîtrisait le cuivre, un métal central dans l’économie de l’époque. Et il se trouve qu’il vénérait un dieu du nom de Yahvé, la divinité de la forge.

A cette époque, tout le monde est polythéiste. Même si un peuple vénère un dieu plus qu’un autre, il n’exclut pas l’existence d’autres dieux. Et quand on est polythéiste, on cherche les dieux les plus efficaces. Dans mon enquête, j’essaie de rechercher comment fonctionnent les religions non pas à partir de leurs croyances, mais de leur utilité sociale. Je pense que le succès d’une croyance comme celui d’une innovation reposent sur son utilité sociale. C’est universel : même si on ne l’appelle pas Dieu, une croyance doit assurer la sécurité des populations, assurer les récoltes, la bonne santé, la vie longue.

Dans un monde polythéiste, chaque divinité a une fonction. Et si elle n’est pas efficace, on en change facilement. On peut aussi adopter une divinité qui vient d’ailleurs. C’est peut-être ce qu’a fait le royaume de David : constatant le succès des Qénites, il a peut-être voulu adopter leur dieu qui paraissait si puissant, Yahvé (qui deviendra plus tard le théonyme du Dieu unique d’Israël). C’est une des hypothèses possibles.

Cela ne veut pas dire que le royaume de David est devenu immédiatement monothéiste – c’est même peu probable. Les Hébreux sont devenus monothéistes entre le Xe et le VIe siècle, au moment de l’exil à Babylone. C’est en tout cas à cette période qu’ils ont justifié leur Dieu unique à travers les textes de la Torah, au contact des religions mésopotamiennes. Pendant les siècles qui ont précédé, des batailles ont opposé monothéistes et polythéistes au sein même du peuple hébreu, comme l’illustre l’épisode du Veau d’or dans l’Exode.

Selon vous, comment le monothéisme s’est-il maintenu, voire répandu, face à un polythéisme que vous qualifiez de si “efficace” ?

La réponse, au départ, est peut-être militaire et politique : je pense qu’il y a un lien très fort entre le monothéisme et la centralisation du royaume autour de Jérusalem. Prenons la dynastie hasmonéenne (140-37 avant notre ère), la monarchie des Hébreux issue de la révolte des Maccabées contre l’occupation grecque. Ces dirigeants vont conquérir la Judée, au nord et au sud de Jérusalem, exigeant de la population de se faire circoncire, d’adopter les règles de leur religion. Cela se fait par la force : les religions ne se diffusent pas toutes seules. Pour beaucoup d’innovations, une part de contrainte est nécessaire : regardez aujourd’hui comme les systèmes Google ou Windows s’imposent à nous !

Mais la contrainte n’explique pas tout. La langue et la logistique jouent aussi un rôle essentiel dans la circulation des innovations. Il est important de rappeler que les victoires d’Alexandre le Grand entraînent une hellénisation de toute la Méditerranée. Une langue, le grec, est devenue commune. La Torah est traduite en grec. Une forte urbanisation s’observe aussi, la création de routes commerciales : tout cela va favoriser le développement des synagogues dans plusieurs villes importantes du pourtour méditerranéen.

Se pose, enfin, la question du prosélytisme. Pour qu’une innovation soit acceptée, il faut qu’elle réponde à une attente. Or, aux premiers siècles de notre ère, se développe une sorte d’attente d’un monothéisme, au Moyen-Orient et du côté de Rome. Chez certaines élites, en particulier, se perçoit le désir d’une forme de spiritualité plus sophistiquée que le polythéisme. A lire les textes et les débats religieux du Ier et du IIe siècle, un lien peut être observé entre la diffusion du platonisme, entre une forme d’idéalisation de la pensée, et celle du monothéisme, du Dieu unique.

La population juive au Ier siècle de notre ère représente 6 % à 8 % de la population romaine, selon les estimations les plus fiables. Bien que ces chiffres soient très débattus, ils traduisent une forte présence juive qui ne peut pas s’expliquer uniquement par les déportations ou par un fort taux de natalité chez les membres de la diaspora. Une part de prosélytisme explique sans doute ces chiffres. La présence de synagogues tout autour de la Méditerranée l’atteste aussi.

Pourtant, c’est l’”innovation” du christianisme qui s’est le plus répandue… Comment l’expliquez-vous ?

Au départ, l’objectif de Jésus n’était pas de créer une religion, mais de purifier le judaïsme. Lorsqu’il est mort, son frère Jacques a pris la suite, et lui non plus ne voulait pas organiser une nouvelle religion. En l’an 70, les trois “leaders”qui avaient suivi Jésus – Jacques, Pierre et Paul – sont morts. La “start-up” Jésus aurait donc pu disparaître. Au même moment, le Temple de Jérusalem est détruit par les Romains. Pour moi, c’est la clé de l’histoire.

La religion juive est alors menacée dans sa survie. La caste des prêtres disparaît. Il n’existe plus aucune structure. Et deux “stratégies” se mettent en place. Les adeptes de la première décident de se “recentrer sur leur cœur de métier” : ils vont se resserrer autour des règles de la Torah, ce qui donnera le judaïsme rabbinique. Les partisans de cette stratégie ne céderont rien sur la circoncision, les règles alimentaires. Face à cela, d’autres font au contraire le choix d’une stratégie d’ouverture et de prosélytisme envers les païens.

C’est, toutes proportions gardées, un peu ce qui se passe aujourd’hui dans une entreprise entre ceux qui disent qu’il ne faut faire que du local et ceux qui veulent faire de nouvelles alliances au niveau mondial, quitte à faire un peu différemment.

Un débat entre juifs s’est opéré. Il s’est diffusé dans toutes les synagogues et autour de la Méditerranée. Les juifs les plus “progressistes” vont alors se référer à un rabbin du nom de Jésus, qui prônait une certaine souplesse quant aux règles. Celui-ci proclamait, entre autres, qu’au lieu de procéder à des purifications tous les jours ou à chaque cérémonie, il n’y aurait qu’une seule purification : le baptême, qui lave des péchés.

Ils vont en outre se référer à Paul de Tarse, lui aussi très accommodant quant aux prescriptions religieuses : abandon de la circoncision, des règles alimentaires, etc. Il y a là quelque chose de fondamental pour la diffusion d’une innovation : la baisse de la charge mentale, du temps de “formation”, d’assimilation.

© bbc
Vous soulignez également l’importance de la promesse en la vie éternelle, qui a reçu beaucoup d’écho chez les Romains. Vous allez même jusqu’à la comparer à la publicité d’aujourd’hui…

La publicité peut se définir comme l’enchantement des produits, des biens et des services. Une façon d’enchanter la réalité. A partir d’un objet, on ajoute un “packaging”, un nom, un slogan, etc. En développant ma métaphore (discutable, j’en conviens), on peut rapprocher cela de la transsubstantiation chez les catholiques : lors de l’eucharistie, le pain et le vin deviennent le corps du Christ, ils deviennent une divinité. La substance change. Selon moi, c’est le même procédé avec la publicité. Elle transforme un objet ordinaire en un objet extraordinaire. Elle en fait une “divinité”, en quelque sorte. D’ailleurs, à regarder le lexique publicitaire, il y a un vocabulaire incroyablement religieux : il est question d’être “fidèle” à une marque, d’”engagement”, de “promesse”, etc.

Une innovation doit comporter des éléments qui s’adressent à l’imaginaire du public, pour lui donner du sens. La publicité permet cela, de même que la promesse en la vie éternelle. Il s’agit d’une croyance ancienne des juifs puisqu’elle date, au moins, de la révolte des Maccabées contre les Grecs (175 à 140 avant notre ère). A cette époque, il s’agissait de comprendre comment quelqu’un qui respecte les lois de Dieu peut perdre le combat et mourir. L’idée d’une vie éternelle, d’une récompense des serviteurs de Dieu dans l’au-delà répondait à ce questionnement. Les chrétiens vont la reprendre et la diffuser, ce qui aura un impact considérable sur l’imaginaire des Romains.

Pour fonctionner, une innovation doit aussi s’adapter à sa culture de réception. Comment cela s’est-il produit avec le christianisme ?

En faisant du christianisme sa religion personnelle, l’empereur Constantin, au IVe siècle, opère un tournant. Selon moi, sa décision est liée à la grande crise monétaire qui impacte l’empire à cette époque. Après cette conversion, le paganisme n’est en effet plus considéré comme une religion d’Etat. L’empereur peut alors se servir de l’or qui se trouvait dans les temples.

Les chrétiens vont ensuite devenir les alliés du pouvoir. Petit à petit, ils vont intégrer la fonction publique romaine, puis y devenir majoritaires. Ils vont également assimiler des éléments de la culture romaine : l’eau bénite, les cierges, les ex-voto, l’encens, etc. Ce qui sera même théorisé par des auteurs comme saint Augustin ou saint Jérôme, qui font de ces “emprunts” une condition du développement du christianisme. Ce que j’appelle “l’innovation de réception” : pour qu’une innovation se développe, il faut sans arrêt la transformer et l’adapter à la population de réception. C’est selon moi l’étape la plus importante dans le processus de constitution d’une innovation de rupture.

A ce propos, vous qualifiez le récit de la condamnation de Jésus de “cas d’école”. Pourquoi ?

Historiquement, cela fait peu de doute : c’est bien le Romain Ponce Pilate qui a condamné Jésus. Ponce Pilate avait probablement horreur des juifs parce que beaucoup d’entre eux se sont révoltés contre Rome. Mais pour convertir les Romains, il fallait atténuer cet aspect quelque peu négatif concernant l’un des leurs.

Les Évangiles vont donc rapporter que ce sont d’abord les autorités juives qui ont condamné Jésus à mort pour blasphème. Ils affirment que le Sanhédrin, le tribunal de Jérusalem, s’est réuni de nuit pour le procès. Or, cela est historiquement peu plausible : le Sanhédrin ne se réunissait jamais de nuit. Mais à Rome, qui sait cela ? Les chrétiens ont donc raconté une histoire pour convaincre les Romains. C’est une forme de”storytelling“.

Crise du cuivre, grandes sécheresses, exil à Babylone, effondrement du Temple… Les crises sont au centre de votre analyse. Pourquoi sont-elles si importantes ?

Les innovations ont parfois besoin des crises pour se diffuser, car celles-ci ouvrent des fenêtres d’opportunité. A chaque crise, des personnes vont perdre, des systèmes vont s’effondrer. Et en même temps, c’est un moment de renouveau, d’adoption de nouvelles pratiques. C’est à la fois, comme toujours, négatif et positif.

Il existe d’ailleurs des parallèles entre les crises antiques et celles d’aujourd’hui : crises climatique, militaire avec la guerre en Ukraine, sociale, monétaire… Je pense que l’étude des crises passées nous donne des outils intellectuels pour comprendre un tant soit peu la situation. L’incompréhension génère de l’angoisse. Et l’angoisse ouvre la porte aux solutions faciles et aux régimes populistes.

D’après l’interview de Gaétan Supertino


EAN 9782130836018

Dominique Desjeux n’est pas un historien des religions. Anthropologue, professeur émérite à la Sorbonne, il a passé sa vie à analyser les processus d’innovations en tous genres.
Ses travaux vont de la paysannerie congolaise aux objets électriques dans la vie quotidienne en France, en passant par l’essor de la société de consommation en Chine.
Il en a tiré une méthode de travail, qu’il applique aujourd’hui aux religions, en particulier à la naissance du judaïsme et du christianisme.

 


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Plus de presse…

Histoire naturelle de la violence : pas taper !

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[FRANCECULTURE.FR, 10 février 2022] Qu’est-ce que la violence ? Les Hommes ont-ils toujours fait la guerre ? Toutes les violences sont-elles comparables ? Quelles sont ses origines naturelles ? C’est un débat vieux comme le monde, vieux comme l’humanité pourrait-on dire : la violence est-elle consubstantielle de l’espèce humaine, ou l’espèce humaine est-elle devenue violente à force de vivre en société. Ou : l’être humain est-il naturellement pacifique ou violent ? Qui de Hobbes ou Rousseau a vu juste ? Sommes-nous la seule espèce animale à faire la guerre ? A appliquer de la violence létale contre nos congénères ? Ce débat philosophique avance aujourd’hui grâce à l’archéologie, et à la paléoanthropologie, à l’ethnologie, petit à petit, indice après indice, plusieurs chercheurs essayent de reconstituer, dans un ouvrage collectif, ce qui serait une “histoire naturelle de la violence”…


Le court-métrage suivant fait la promotion du manifeste publié par le Muséum d’histoire naturelle français : il donne la fessée à beaucoup de préjugés… en moins de huit minutes. Profitez-en :

[MNHN.FR] En écho aux débats actuels autour de la violence, le manifeste Histoire naturelle de la violence convoque des spécialistes de la biologie, du comportement animal et des sciences humaines pour interroger les expressions et les causes de la violence dans la nature et dans les sociétés humaines. Un regard scientifique distancé qui ne vise pas à imposer des jugements et des règles, mais à comprendre les mécanismes en jeu.

Agression, intimidation, contrainte ou mise à mort ont cours au sein de nombreuses espèces, entre congénères. Ces formes de violence présentent une fonction commune : conquête ou préservation de territoires et de ressources, lutte pour la procréation, protection de la progéniture ou du groupe.

Chez les animaux comme chez les humains, la violence peut participer à l’organisation sociale. Un individu ou des groupes dominants font baisser le niveau moyen d’agressions mutuelles par le maintien d’une hiérarchie. Ainsi, le Gorille dos argenté met fin aux querelles individuelles en menaçant les protagonistes.

Image du film Skull Island © Warner

La ritualisation de la violence permet de la mettre en scène (par exemple lors de parades d’intimidation sans échanges de coups) tout en participant à son contrôle. Chez les humains, elle contribue par ailleurs à certains rites d’intégration qui favorisent la cohésion interne.

Dans une société humaine, cette violence à usage social peut aussi être symbolique et institutionnalisée. Et quelle que soit sa forme, les membres concernés s’y soumettent généralement pour pérenniser l’organisation globale et parfois même l’intériorisent.

La guerre, observée y compris chez des chimpanzés, partage cette fonction unificatrice. Elle aide en outre à canaliser la violence hors de la société. En Europe, le désarmement des populations lors de la naissance des États, la pénalisation des violences et des homicides domestiques, ont drastiquement réduit les violences létales civiles tandis que celles-ci se déportaient sur des guerres externes contrôlées par les États.

Ainsi, si les humains comptent à la fois parmi les espèces qui se tuent le plus entre eux (avec les primates, les rongeurs et les carnivores), ils sont aussi ceux qui ont le plus diminué cette violence létale depuis leurs origines.

© aldoc photos

Autre fait commun aux primates dont nous faisons partie : la violence s’hérite. Elle est entretenue par l’imitation de modèles agressifs — famille ou pairs —, en particulier s’ils sont valorisés au sein du groupe. À plus grande échelle temporelle, la violence s’hérite au cours de la généalogie des mammifères : plus une espèce a des taux de violence létale ancestraux élevés, plus elle a de chances de pratiquer cette violence létale (marmottes, loups, chimpanzés, humains…).

Des contextes spécifiques favorisent par ailleurs la violence, par exemple une pression démographique ou environnementale entraînant une raréfaction de ressources alimentaires ou des territoires. Chez les humains, s’ajoutent les inégalités sociales et économiques, causes de pauvreté et de frustrations. Les pays où les inégalités économiques sont les plus fortes sont aussi ceux où les agressions mortelles sont les plus élevées.

L’appréciation de la violence dépend ainsi de nombreux facteurs, en particulier du point de vue selon lequel elle est observée et de son contexte. Du point de vue anthropologique, la violence se définit toutefois par des atteintes au corps, à la personne, à la dignité et aux valeurs.

Son degré d’acceptabilité est régulé par des codes. Les individus de chaque société en fixent ainsi les limites permettant de vivre ensemble. S’il revient à l’Histoire naturelle et à la science en général d’expliquer la violence, et non de la juger, il revient aux sociétés de la canaliser.


ISBN 978-2-38036-064-6

[RELIEFEDITIONS.COM] Le Muséum national d’histoire naturelle français et Reliefs Éditions publient le Manifeste du Muséum. Histoire naturelle de la violence, un ouvrage bilingue signé par un collectif d’auteurs qui convoque différentes disciplines scientifiques afin de disposer d’une grille d’analyse scientifique fondée et d’interroger l’essence même de la violence.

Paradoxalement, malgré un ressenti généralisé de vivre dans un monde violent, le niveau de violence civile en Europe de l’Ouest n’a jamais été aussi bas depuis bien des siècles. Toutes les violences sont-elles comparables ? Qu’est-ce que la violence ? Quelles sont ses origines naturelles ? Ce document est établi par un comité constitué en 2021 à l’initiative de Bruno David, président du Muséum d’histoire naturelle (MNHN), paléontologue et biologiste. Il collabore avec des organismes internationaux, est invité à de nombreux colloques scientifiques et est très impliqué dans la diffusion en direction du grand public.

Les auteurs de ce Manifeste sont : Laurent Begue-Shankland (professeur de psychologie sociale), Caroline Gilbert (éthologue), Caroline Guibet-Lafaye (sociologue), Guillaume Lecointre (zoologiste et systématicien), Shelly Masi (éco-anthropologue), Robert Muchembled (historien), Marylène Patou-Mathis (préhistorienne), Charles-Edouard de Suremain (ethnologue).


[INFOS QUALITE] statut : validé | sources : FRANCECULTURE.FR ; MNHN.FR | mode d’édition : partage, correction, compilation et documentation | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DR, © MNHN.FR.


Plus de presse…

CALEMBERT : Joe Hartfield, l’homme qui voulait tuer Donald Trump (2020)

Temps de lecture : 3 minutes >

Toute cette histoire n’aurait jamais vu le jour si Jean Duchêne, le jour de ses 77 ans, n’avait eu une inspiration aussi soudaine qu’inattendue. Il allait écrire un roman. Le héros serait Joe Hartfield, un ami noir rencontré à Omaha (Nébraska) en 1960 et, à la fin du livre, en 2020, Joe essayerait de tuer Donald Trump.

Le découpage de l’histoire se fait par couples et par tranches de vie. On remonte ainsi au voyage de Jean aux Etats-Unis puis on suit, pas à pas, les parcours de vie des quatre personnages principaux, Joe, Jean, Marlene et Marcus et de leurs proches.

Ils surmontent les épreuves et les coups durs de la vie grâce à leur courage et à leur créativité. Au terme de péripéties multiples, marquées du début à la fin par l’humour, les clins d’œil et les surprises, hommes et femmes s’expriment sur les éléments purs et toxiques de l’amour, sur l’art, sur le racisme et les injustices, sur la futilité de la quête d’argent, sur les vraies valeurs, partagées, transmises ou menacées.

Le jazz, Derek Hartfield (l’écrivain stérile), Hugh Heffner (le patron de Playboy), la Négresse Blonde, les cités jardins et les bouquettes liégeoises (dégustées au Montana !) apportent des espaces de respiration bienvenus dans un récit foisonnant étalé sur plus de soixante ans…”

Jean Calembert

Jean Calembert © Joël Kockaert

Premier roman de Jean CALEMBERT, Joe Hartfield, l’homme qui voulait tuer Donald Trump a un titre qui sonne comme un thriller, et pourtant rien à voir… même si il y a bien un épisode sur la tentative d’assassinat qui vaut son pesant d’humour. L’histoire tourne autour d’une série de personnages que nous suivons dès leur grande adolescence et pendant une partie de leur vie, des récits qui s’entrecroisent au départ d’un séjour de Jean aux Etats-Unis et de ses rencontres amoureuses ou profondément amicales. Joe, l’ami noir qui sera au centre du livre, mais aussi Marcus, Marlène et les autres… (Il y a un petit côté Claude Sautet d’Outre-Atlantique dans ce récit aux allures de Vincent, François, Paul… et les autres).

Ce qui happe le presque septuagénaire que je suis dans ce récit, c’est la fascination que les noms évoqués éveille : Ferré, Pink Floyd, John Lennon, Los Angeles, New York où Jean a (aurait) vu Coltrane au Village Vanguard (car souvent on se demande où est le réel et où est l’imaginaire dans ce récit auquel on voudrait croire de A à Z). Et si ce livre a sa place sur le site de JazzAround/Jazz’halo, c’est parce qu’il est rythmé par le jazz et le blues : Coltrane déjà cité, mais aussi le Quintet de Miles Davis, Thelonious Monk, Chet Baker… qu’on se passerait bien pendant la lecture…

Aussi parce qu’il aborde le quotidien du peuple noir américain à qui cette musique colle à la peau. Mettre un disque de Monk dans le lecteur, je ne l’ai pas fait, plongé que j’étais dans la lecture… Sans me poser la question du vrai ou du faux, tant j’aurais aimé y être aussi dans cette espèce de rêve américain et ces beaux instants de nostalgie.

Jean-Pierre Goffin

EAN 9782805205514

Jean Calembert est né à Liège en août 1942. Il vit aujourd’hui à Bruxelles et à Laborel (Drôme Provençale). Docteur en droit, expert en marketing et en études de marché, il a travaillé dans des multinationales et dans des PME familiales avant de créer sa propre société à Anvers. Il a fait plusieurs expositions de photos et de tableaux. Joe Hartfield, l’homme qui voulait tuer Donald Trump est son premier roman. Le tapuscrit a été rédigé d’une traite entre le 4 août 2019 et le 31 janvier 2020, bien avant que le coronavirus ne sévisse. Il a été retravaillé de multiples fois mais sans changer le canevas de base. Le jour où il a été imprimé, Donald Trump a été rattrapé par la Covid 19…

  • Pour en savoir plus visitez le site consacré au roman : JOEHARTFIELD.BE.
  • Le roman de Jean Calembert est dans notre boutique…
  • L’article est compilé au départ de la présentation du livre par l’auteur sur JOEHARTFIELD.BE et la critique est de Jean-Pierre Goffin sur JAZZHALO.BE.
  • L’illustration de l’article est © Hadi Assadi.

Lire encore…

Pourquoi vos enfants ne danseront probablement jamais de slow…

Temps de lecture : 6 minutes >

“Le slow serait probablement né à Strasbourg en 1809. Cette année-là, le 14 février, la ville crée l’événement en donnant en l’honneur de l’impératrice Joséphine une somptueuse soirée, au pavillon qui portera son nom, dans le magnifique parc de l’Orangerie.

La souveraine apparaît devant les Strasbourgeois dans une sublime robe griffée par un jeune couturier prometteur, Karl Gerhard Lagerfeld, qui va révolutionner l’habillement. Pour couvrir ses délicates épaules, il lui a confectionné un manteau de velours rouge sur lequel apparaissent de minuscules bretzels, élégantes arabesques au fil d’or qui font pâlir de jalousie les dames de la cour.

Napoléon, de retour de sa campagne victorieuse en Autriche, n’a d’yeux que pour sa bien-aimée. Comment en pourrait-il être autrement ? D’après tous les écrits, la fête est à la hauteur du souverain : grandiose. Aux douze coups de minuit, une musique jusqu’alors inconnue sur terre résonne sous un ciel étoilé et enchante tous les invités. Still loving you, déclame le poète.

Napoléon se lève. Dans la pénombre, il se dirige vers la souveraine et l’invite à danser. C’est lui qui dirige la danse, en plaçant ses deux mains sur les hanches sa cavalière. Au rythme de la musique, le couple – qui se retrouve après six mois de séparation -, s’enlace amoureusement et se balance d’avant en arrière, en tournant très lentement. Le slow est né. Cette danse suave se poursuit en beauté avec Angie, un subtil menuet composé par des musiciens de génie se produisant dans toutes les cours d’Europe.

Quelques années plus tard, en 1839, Honoré de Balzac donne rendez-vous à sa maîtresse Eve Hanska au Café Brant, dans le quartier de la Neustadt. Sur le dernier slow à la mode – Only you -, il se fait doux, tendre et câlin. Elle lui ouvre son cœur comme jamais. Comme ils sont heureux dans cette ville si romantique !

L’année 1862 est aussi placée sous le signe du bonheur : “T’aimer, t’aimer, t’aimer, voilà ma seule et unique destination“. C’est Chez Yvonne, une winstub renommée à Strasbourg, que Victor Hugo déclare sa flamme à Juliette Drouet. Ici, on ne déroge pas à la tradition : entre la choucroute et le kougelhopf glacé, on danse le slow. Ce jour-là, le cœur de Victor palpite lorsqu’il enlace sa douce au son d’Hôtel California.

Forte de cette belle histoire du slow et de ces merveilleuses histoires d’amour, Strasbourg fonde en 2015 le Conservatoire mondial du Slow. Son ambition : redonner à cette danse de couple ses lettres de noblesse.”


Pourquoi vos enfants ne danseront probablement jamais de slow…

[FRANCEINFO:CULTURE] “Still loving youuuuuuuuuuuu…” Ce titre du groupe Scorpions résume le grand cri d’amour de Strasbourg au slow. Mais si, souvenez-vous, ces chansons sur lesquelles vous dansiez enlacés pendant de longues minutes, en espérant conclure. La capitale alsacienne veut consacrer à cette danse un “conservatoire mondial“, sous forme de plate-forme virtuelle. Car presque plus personne ne danse le slow aujourd’hui. Et il est très probable que vos enfants n’en aient jamais l’occasion. Mais pourquoi ?

© Telerama

Parce qu’ils ne danseront plus à deux

Rien de très nouveau. C’est au tout début des années 1960 que tout a changé, avec le twist. Le twist est la première danse qui peut se pratiquer en solo et où hommes et femmes enchaînent les mêmes mouvements, sans que l’un guide l’autre. Il donne ainsi un vilain coup de vieux aux danses de couple que sont la valse, le cha-cha-cha, le fox-trot, le tango… En France, ces pas sont désormais cantonnés à des soirées spéciales pour danseurs confirmés, aux écoles de danse et à la compétition. “La danse a évolué à l’image de la société : elle est aujourd’hui plus individualiste et plus libérale“, synthétise Slate.fr.

La danse étant plus individuelle, moins codifiée et moins genrée, les danseurs amateurs ne s’invitent même plus à danser. Ils dansent, point. Forcément, le quart d’heure américain, pendant lequel les femmes invitaient les hommes à danser, souvent sur un slow, est mort.

Parce que les danseurs détestent déjà ça

Rafraîchissons-nous la mémoire. Avant le minimaliste slow que vous avez connu, il y avait le très élaboré et gracieux slow fox-trot et cela n’avait rien à voir. Pour danser un simple slow, il faut quelques ingrédients basiques : une musique adaptée, un couple ou deux inconnus qui se plaisent un petit peu, une lumière tamisée. Pour les pas, il n’y a pas de règle précise et le résultat dépasse rarement le balancement binaire des deux danseurs, à gauche, à droite, à gauche, à droite. Les plus habiles tenteront de tourner, toujours lentement, voire de traverser ainsi la piste de danse.

Le slow est a priori à la portée de quiconque entend correctement le rythme d’une chanson. A tel point qu’il n’a aucun intérêt à proprement parler. “Les vrais amateurs qui maîtrisent quelques pas de valse, de tango, de zouk ou de merengue estiment que le slow, c’est le degré zéro de la danse“, explique Christophe Apprill, auteur de Sociologie des danses de couple.

Parce qu’il y a mieux pour danser collé-serré

Dans la grande majorité des discothèques françaises, le slow est définitivement banni. C’était déjà le cas en 2004, date à laquelle Libération ironisait sur cette danse qui “n’emballe plus les foules“. Un DJ assurait alors au quotidien avoir remplacé les slows par le zouk love, “slow nouvelle génération“, plus sexuellement explicite. En 2012, à Paris, “c’est la salsa-zouk, la bachata et la kizomba qui font fureur“, explique une habitante de la capitale au Parisien. Des rythmes importés des Antilles donc, ou d’Angola, pour la kizomba, plus dansants que les mélopées de Joe Dassin ou les complaintes dégoulinantes des Platters.

Parce qu’il n’y a pas eu de bon slow depuis 1997

C’est loin, 1997. Céline Dion chantait My Heart Will Go On, pour la bande originale de Titanic. Un film que vos enfants ne verront peut-être jamais, parce que vous-même l’aurez oublié.

Parce qu’ils préféreront prendre un râteau par texto

Pour Libé, le slow était la “drague du timide“. Mais la piste de danse n’est plus le lieu de rencontre privilégié des futurs amoureux, même les romantiques. Aujourd’hui, les adolescents envoient des milliers de SMS par mois, y compris la nuit. Parmi tous ces textos, probablement quelques sextos. Car désormais, ceux qui doutent de leur pouvoir de séduction draguent à distance, par messagerie, sur Snapchat, sur des applications de rencontres comme Tinder. C’est que, de loin, les râteaux font un peu moins mal.

Camille CALDINI

  • L’article complet (avec pubs) de Camille CALDINI est disponible sur FRANCETVINFO.FR (article du 6 décembre 2014).
  • L’illustration de l’article montre une scène du film de Claude Pinoteau, La Boum (1980) © Gaumont International.

SLOWS : top 10 selon Radio Nostalgie (Belgique) :


EAN 9782343231563

“Le slow apparaît à Chicago à la fin des années 1950 sur le plateau d’une émission de télévision. Avec le twist, il est l’un des marqueurs festifs de l’époque Yéyé. Des surprises-parties aux boums, sa gestuaire incontournable rythme l’éveil sensuel et sexuel des boomers. Il devient l’emblème d’une jeunesse allègre, consciente de son existence en tant que groupe influent. Mais, au tournant du siècle, le désamour l’étreint. Sans justification autre que l’établissement d’une relation sensuelle, cette non-danse est devenue une étrangeté dans une époque où l’impératif pragmatique domine. Qu’est devenu le slow ? Sa fonction de rencontre est-elle détrônée par les applications numériques ? Est-il concurrencé par d’autres danses collées-serrées plus attractives ? La banalisation du sexe le rend-il caduc ? Même à moitié mort, le slow reste un révélateur d’enjeux liés au désir de se rencontrer, de s’enlacer et de se toucher, comme un moment pour éprouver l’expérience d’un plaisir au résultat incertain.”


Expérimenter l’autre et soi…

Association des librairies indépendantes en Belgique francophone

Temps de lecture : 3 minutes >

Le Syndicat des libraires francophones de Belgique est une asbl au service des librairies indépendantes, elle en assure la promotion et défend leurs intérêts. Nos membres adhérents trouvent au sein de l’association les outils indispensables à la pratique de leur métier.

“En septembre 1990, à l’initiative d’un groupe de libraires indépendants et dans le but de remédier à l’absence totale d’une instance véritablement représentative de la librairie, s’est créée une association professionnelle, les Libraires Francophones de Belgique (L.F.B.), devenue ensuite syndicat (S.L.F.B.). Aujourd’hui, le SLFB est toujours le nom officiel de l’association mais vis-à-vis du grand public, nous utilisons plus volontiers le nom Les librairies indépendantes qui s’accompagne d’une charte graphique qui lui est propre.

Notre association vise à regrouper le plus grand nombre de librairies indépendantes toutes spécialités confondues : littérature, art, voyage, libraires de jeunesse, libraires de BD, librairies scolaires, scientifiques, religieuses, et toutes librairies généralistes… Nous comptabilisons aujourd’hui plus de 65 membres [2021]. L’association a pour objet essentiel de veiller à la sauvegarde et au progrès des intérêts des libraires, de favoriser et promouvoir par tous les moyens la diffusion du livre, de veiller au maintien des liens de bonne et loyale confraternité.

A ces fins, elle a notamment pour mission de :
      • Définir les pratiques relatives à l’ensemble de l’exercice de la profession de libraires tant dans leurs relations entre eux que dans les relations avec les autres opérateurs du livre ;
      • Organiser autant la coopération que l’arbitrage entre ses membres ;
      • Conclure des conventions avec d’autres groupements nationaux de libraires ou d’associations relevant de la diffusion du livre ou de branches connexes ;
      • Instituer des services destinés à améliorer les rapports de diffusion à l’intérieur du pays ou à l’étranger ;
      • Mettre en place des formations utiles au développement de la profession ;
      • Représenter la profession à l’égard des pouvoirs publics. Collecter un maximum de données géographiques, économiques, qualitatives ou autres relatives à l’état de la librairie en Belgique ;
      • Défendre devant toutes juridictions administratives ou judiciaires les intérêts de l’association, notamment en matière de loyauté commerciale.

Le résultat de nos démarches ?
      • La reconnaissance des pouvoirs publics qui a abouti à la mise en place de la Commission d’aide à la librairie et à la création du label de librairie de qualité ;
      • La création du portail de vente en ligne LIBREL.BE ;
      • La participation des libraires à la Fureur de Lire, à la Fête des libraires indépendants
      • La mise en place du Décret de la protection culturelle du livre ;
      • Un soutien aux libraires via l’ADELC (Association pour le développement de la librairie de création) ;
      • La création de AMLI (Association momentanée des librairies indépendantes) née en 2016 à la suite de l’appel d’offres lancé par la Communauté française pour son accord-cadre d’achat de fournitures (livres, jeux…) auquel pouvait se rallier d’autres pouvoirs adjudicateurs comme les communes, les provinces, les bibliothèques publiques de droit privé, etc.
      • La négociation des tarifs avec les transporteurs ;
      • Plus de solidarité grâce à une meilleure information des membres.”

Pour en savoir plus : LESLIBRAIRIESINDEPENDANTES.BE


Pour acheter en ligne et enlever le colis
dans une librairie indépendante près de chez vous…


Pour que vivent les initiatives…

PARUTION | FPS : Petit guide illustré du respect dans la rue (ou ailleurs)

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Le harcèlement de rue, dans les transports publics ou ailleurs, existe. Au-delà de ce constat, quelles solutions adopter ? Marre de serrer les dents, de mettre la musique à fond et de regarder vos pieds ? Plus envie de le banaliser et de faire ‘comme si de rien n’était‘ ? Ras-le-bol d’être témoin de ces situations sans savoir comment réagir ou sans oser le faire ? Où se situe la frontière entre drague et harcèlement ? Quels sont les mythes qui circulent autour du thème?

Le Petit guide illustré du respect dans la rue (ou ailleurs) propose des réponses à ces questions. Il s’adresse aux victimes, aux témoins de harcèlement dans l’espace public et à toute personne qui s’interroge sur ses techniques de drague, sur le sexisme ordinaire, sur le respect de soi et des autres. Il rassemble des conseils et des stratégies efficaces glanés chez Garance Asbl, Hollaback et autres sites internet ou Tumblr spécialisés en la matière, le tout assaisonné avec l’humour décapant des illustrations de Thomas Mathieu, auteur du Projet Crocodiles et de la BD Les Crocodiles, témoignages sur le harcèlement et le sexisme ordinaire.” [PLANNINGSFPS.BE]

  • La brochure “Petit guide illustré du respect dans la rue (ou ailleurs)” est éditée par la Fédération des Centres de Planning Familial des Femmes Prévoyantes Socialistes [PLANNINGSFPS.BE] ;
  • Elle est gratuite mais les frais d’envoi de la copie papier vous seront facturés. Selon la quantité que vous commandez, les frais de port sont compris entre 1.84€ (1 outil) et 10.70€ (+ de 138 outils) pour la Belgique. Pour la France, les prix sont compris entre 4.2€ (1 outil) et 39.69€ (+ de 138 outils). Le matériel peut également être récupéré à Bruxelles (Place Saint-Jean 1-2 1000 Bruxelles). Dans ce cas-là, les frais d’envoi ne vous seront bien entendu pas facturés.
  • La brochure est parue en 2018 mais reste téléchargeable gratuitement sur cette page…

Parlons encore du vivre ensemble…

PARUTION | CAL : Les difficultés d’aborder certains sujets à l’école (publication, 2021)

Temps de lecture : 2 minutes >
MAI 2021. Le Centre d’Action Laïque publie les résultats d’une enquête sur les difficultés d’aborder certains sujets à l’école…

“La mort de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine, a suscité la tristesse, l’indignation et la colère. Elle a également remis en relief des formes de violence à l’égard des personnels de l’enseignement.

Quels qu’en soient les degrés, cette violence fait le plus souvent écho à des thématiques sociétales en lien avec le vivre ensemble et le socle de nos valeurs communes : la liberté d’expression et de conscience, la différence entre les faits/les opinions/les croyances, les religions comme faits historiques, la sexualité, ou encore l’égalité femmes-hommes.

Très vite, en particulier sur les réseaux sociaux, le débat public prend alors une tournure violente et clivante, ne laissant aucune place à la nuance et à l’argumentation raisonnée. Ces événements en question peuvent aussi être liés de près ou de loin au contexte scolaire avec des jeunes en plein apprentissage de la citoyenneté et en plein développement de leur esprit critique.

Certains sujets, lorsque abordés avec des enfants et adolescents en classe et en dehors, semblent en effet faire l’objet des remises en question voire des rejets. Certaines de ces expressions semblent également bousculer le corps enseignant. Le savoir scientifique et les progrès éthiques se heurtent-ils en classe aux croyances et aux préjugés, au détriment de toute pensée critique ? Quelles sont les questionnements des acteurs et actrices de terrain à ce sujet et quelles sont les réponses à apporter ?

Le Centre d’Action Laïque a voulu objectiver cette réflexion en donnant la parole aux acteurs et actrices de terrain sur les difficultés rencontrées dans l’enseignement obligatoire, mais aussi sur certaines pratiques qui permettent de prévenir ou désamorcer les situations problématiques. À travers 40 questions, il brosse les constats et les pratiques d’enseignement pour en dégager des pistes de solution basées sur des faits. Cette analyse quantitative et qualitative permet d’ouvrir la réflexion et de dégager des pistes pour favoriser le développement critique des élèves dans un environnement agréable pour les enseignants.

La lecture des réponses à ce questionnaire est instructive à plus d’un titre :

  • Elle permet avant tout de cerner de manière un peu plus détaillée une réalité et de réfléchir à des pistes concrètes de solution.
  • Elle pointe un contexte qui évolue et modifie le comportement de professeurs, parfois avec des effets bénéfiques, mais surtout vers un risque d’autocensure lorsque certains sujets sont abordés, en particulier les avancées éthiques et les pratiques démocratiques.
  • Elle met en évidence la nécessité de doter les enseignants d’outils lors des formations initiale et continue, et les élèves d’une EVRAS (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) et d’un cours de philosophie et citoyenneté de deux heures.
Cliquez sur l’image pour accéder au téléchargement de la publication…

S’engager encore…

HOUBRECHTS : Home, sweet home…
Les villas de Spa (2020)

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“Le Neubois” (1901) © David Houbrechts
La gestation d’un nouveau genre d’habitation : la villa (1855-1890)

“(…) dans tous les temps, l’homme a recherché, pour édifier l’habitation de plaisance (la villa), un lieu sain et élevé, accidenté et pittoresque, où, à l’ombre des grands bois, il pût entendre le murmure de la source et oublier et les tracas du trafic et les soucis de la vie publique”  (Léon de Vesly, L’architecture pittoresque du 19e siècle, 1877)

“Après la funeste Révolution française qui avait chassé la clientèle aristocratique , et le terrible incendie de 1817 qui avait ravagé le centre de la ville, Spa offrait un aspect assez désolant à l’aube du 19e siècle. En quelques décennies pourtant, sous l’impulsion de quelques Spadois et notamment du créatif bourgmestre Jules Servais, la cité prend un nouveau départ en s’orientant vers le thermalisme et la villégiature.

Dans leur allure générale, les premières villas s’apparentent aux bâtiments existants dans le centre de la ville et en particulier aux abords de l’avenue Reine Astrid. Au cours d’une première phase qui s’étend du milieu du 19e siècle jusqu’aux environs de 1890, les architectes se contentent en effet de reprendre le bâti des hôtels, meublés et châteaux tout en les singularisant par une décoration teintée d’éclectisme ou de détails empruntés à diverses constructions étrangères, en particulier les chalets.

Quelques villas s’inspirent ainsi des petits châteaux et des grandes demeures qui fleurirent dans la principauté de Liège au 18e siècle. En témoignent des villas telles que La Roseraie (1875), la Villa Clémentine (avant 1882, démolie), la Villa Bollette (1887) et la Villa Madeleine (1890) par exemple. Ces maisons recourent au même canevas : un volume unique carré ou rectangulaire souvent flanqué d ‘une tour carrée, le tout élevé en brique et recourant à la pierre de taille en certains points précis (encadrements de fenêtres, chaînages d’angle, cheminées, larmiers). L’ordonnance générale est symétrique mais, à la différence de leurs modèles qui privilégiaient les principes néo-classiques, ces villas affectionnent d’emblée le style éclectique.

Dans la seconde moitié du 19e siècle, cette esthétique à la fois internationale et ancrée dans le passé rencontre un énorme succès en Belgique. Les architectes y revisitent le passé avec une certaine fantaisie en mélangeant des détails de styles différents et en les intégrant dans une forme générale d’allure contemporaine . À Spa, un certain nombre de propriétaires se font construire des demeures bourgeoises dans cet esprit, tandis que d’autres se contentent d’adapter les façades de bâtiments plus anciens, jugées désuètes, en les recouvrant d’enduits. Cette manière de souscrire “à petit prix” à l’air du temps rencontre un grand succès à Spa, où les investissements privés importants sont encore difficiles.

“Ma Jacquy” (1907) © Spa, Musée de la Ville d’Eaux

L’évolution de l’allure du centre de la ville induite par la vogue de l’éclectisme témoigne d’une mutation sans précédent. Jusque-là, en effet, la maison spadoise était ancrée dans son terroir : qu ‘il s’agisse de colombages ou de maçonneries, l’architecture avait une apparence régionale, “mosane”. Avec l’éclectisme, Spa renonce à cette identité séculaire et choisit de s’aligner sur un certain “goût belge”, éclectique, qui est la variante nationale d ‘un style international.

Le même processus est perceptible dans les villas spadoises, à ceci près que la mode de l’éclectisme y est tempérée par des habitudes régionales puis supplantée par une variante : le régionalisme. Cet autre mouvement artistique international se distingue de l’éclectisme par sa référence clairement revendiquée à une esthétique régionale, volontiers populaire, plutôt qu’aux grands styles classiques. Toutefois, en s’inspirant de modèles parfois fort éloignés, le régionalisme délocalise en quelque sorte une esthétique vernaculaire, ancrée dans un terroir, en la recréant avec une certaine distanciation, voire une fantaisie pleinement assumée.

C’est ainsi qu’à Spa, dès le milieu du 19e siècle, apparaissent des villas évoquant les “chalets suisses “. Le Chalet Quisisana (1855), le Chalet du Parc (1863) ou le Chalet Marguerite (1869) sont parmi les premiers exemples de cette tendance à la fois rustique et pittoresque qui se rencontre en France au même moment. Certes la référence est encore discrète : ce sont plutôt des détails, tels que les toitures débordantes ou l’ornementation en bois, qui évoquent l’architecture des montagnes alors que le reste du bâtiment n’y ressemble que de très loin… ou pas du tout.

Si l’influence des chalets de haute montagne est parfois à peine perceptible, comme pour le Chalet des Bruyères (1873), elle se fait plus évidente dans la Villa d’Hoctaisart (1871) , le Chalet des Hirondelles (1882) , le Chalet de Préfayhai (1883) ou encore la villa située avenue Marie-Henriette 3 (1886). Ces bâtiments ne se contentent plus d’évoquer leurs modèles par une vague décoration exotique, mais bien par leur allure générale. Dans certains cas l’ancrage local, un autre marqueur du régionalisme , s’affirme dans le choix de matériaux tels que les moellons qui évoquent la construction rurale ardennaise.

“La Hastienne” (1909) © David Houbrechts

Dans un premier temps tributaire des manières de construire du passé, l’architecture de villégiature spadoise s’individualise peu à peu en recourant à des volumes et des aménagements inédits, à une ornementation plus ou moins développée et à des couleurs variées. Si la Villa des Glaïeuls (1873) évoque encore la maison bourgeoise éclectique, la Villa Saint-Hubert (1882), Santa Maria (1882) et la Villa des Lauriers (1884) se distinguent déjà par une alternance de briques de couleurs différentes pour souligner les chaînages et les encadrements de fenêtres et de portes.

De son côté, la villa Les Ormes (1873) montre un certain changement à la fois dans la volumétrie (un volume sur pignon accolé à une tour de plan carré), dans la décoration (avec l’apparition des faux colombages) et dans les éléments rapportés : des balcons en bois évoquant les chalets, un auvent précédant l’entrée, une serre. Il est cependant possible qu’une partie de ces éléments soient postérieurs au programme initial. Légèrement plus récentes, la Villa Hortense (1882) , la Villa Madona (1882) et Mount Vernon (1883) sont les premiers exemples aboutis d’une forme promise à un bel avenir, le plan en forme de “L” : une aile principale augmentée d’une petite aile en retour.

Parmi les nouveautés appréciées des architectes, notons l’apparition du bow-window. Sorte de loggia à trois côtés vitrés, le bow-window est une fenêtre en saillie, une “fenêtre combinée de telle sorte qu’elle forme un avant-corps sur la façade”. C’est un “moyen pratique pour augmenter à la fois la surface et la clarté d’une pièce”, précise-t-on dans la littérature spécialisée, pour bénéficier d’une vue panoramique sur le jardin et pour enrichir la composition de la façade. Si l’on ajoute un prix “fort accessible”, on comprend le succès de cet “accessoire” qui devint presque incontournable dans l’architecture de villégiature.

À côté de ces tendances générales , on trouve aussi un certain nombre d’ “unica”, des exemples uniques qui témoignent du goût croissant pour la variété et la singularité : le propriétaire veut se distinguer par une maison différente , et qui lui ressemble. Ainsi les façades à rue de la villa Bel Respiro(1881) et de sa jumelle Vista Hermosa (1876) étaient-elles recouvertes de mosaïques, exemples uniques à Spa. Sorte de “show-room” avant la lettre, la villa Vista Hermosa fut dessinée par l’ingénieur Michel Body, frère de l’historien Albin Body, qui tenta de relancer la production de poteries et céramiques artistiques à Spa. Bel Respiro, sa voisine, appartenait à son frère, Octave Body. Ces deux villas témoignent du goût naissant pour une ornementation foisonnante , colorée et variée, alors que les volumes restent encore très classiques.

Maison à Sart-lez-Spa (1926), collection privée © David Houbrechts

Parmi les exemples atypiques, citons encore Byron Castle (vers 1880), curieuse union d ‘un château et d ‘une maison à colombages , la Villa Reussens (1875-1899) et le Château des Genêts (1876), qui puisent tous deux leur inspiration dans le Moyen Âge , et la Villa Spalemont (1882) , étrange et rarissime exemple de construction “néo-gothico-renaissance”. Outre les volumes et leur agencement, les baies à croisées et la maçonnerie associant lits de briques de couleur claire et de couleur naturelle évoquent clairement des modèles liégeois du début du 16e siècle. La période “gothico-renaissance” restera longtemps une source d’inspiration importante des architectes, comme nous le verrons plus loin.

Les toitures, à l’image des volumes, restent très classiques dans leur disposition, à deux pans en bâtière ou à la Mansard. Ici encore la référence au Moyen Âge est perceptible, par exemple dans les épis de faîtage en plomb ou en zinc qui rencontrent un franc succès à côté de quelques exemples de couronnements en ferronnerie de style éclectique (La Roseraie, Villa Spalemont), ou encore dans le recours aux lucarnes pour assurer l’éclairage et la ventilation des combles, à côté de petites ouvertures.

Le matériau privilégié est l’ardoise, autre référence régionale, plutôt que la tuile ou le zinc qui sont malgré tout attestés (Villa d’Hoctaisart, Villa de la Chapelle). Deux types principaux de couverture se dégagent : les ardoises de petites dimensions disposées en lits horizontaux et celles de grandes dimensions posées sur pointe.

D’une manière générale, ces bâtisses aux volumes souvent conventionnels et rehaussés d’une décoration discrète semblent peu impressionnantes face aux exemples de la Belle Époque. Pourtant une large part de ce qui fera plus tard le succès des villas est déjà perceptible, à des degrés divers. L’importance de la décoration, l’influence de l’architecture vernaculaire, le goût du Moyen Âge et du 18e siècle, les éléments rapportés tels que bow-windows, balcons et logettes, et la volonté de personnaliser la villa selon les goûts du propriétaire sont autant de signes annonciateurs du programme qui va s’imposer au tournant du 20e siècle.” [extrait de l’ouvrage de David HOUBRECHTS sur les villas de Spa]

Voici un ouvrage qui devrait faire l’unanimité : d’une lecture facile, abondamment illustré – et d’illustrations de qualité, la plupart de l’auteur – il est accessible à tous. Bien documenté, précis sans être rébarbatif, il intéressera également les spécialistes amateurs d’architecture, d’art ou d’histoire en général. Et, bien sûr, les amoureux de Spa. Au terme de la lecture, une seule petite frustration : on aimerait avoir la localisation de ces villas. Mais c’est la preuve que notre intérêt est éveillé et que l’on en souhaite davantage. A quand une suite, sur la période de l’entre-deux-guerres par exemple ?

Philippe Vienne

ISBN 9782390101666

“Depuis longtemps réputée pour ses sources aux vertus curatives, Spa devient au 19e siècle un lieu de villégiature prisé : on y vient désormais autant pour se divertir, se détendre et se ressourcer que pour se soigner. Devant tant d’atouts, nombreux sont les étrangers qui choisissent alors de s’y faire construire une villa. En quelques décennies, les abords de la ville se couvrent de maisons de plaisance variées et pittoresques : châteaux, cottages, bungalows, manoirs et autres chalets remodèlent un paysage encore largement vierge.

Au fil des cinq chapitres de cet ouvrage, le lecteur découvrira ces villas par le biais d’un séjour fictionnel pendant la Belle époque. Outre les dimensions techniques et artistiques, ce sont en réalité l’histoire et les coutumes d’une époque que nous racontent les villas spadoises au moment où la Belgique est au faîte de sa puissance industrielle. La très riche iconographie éclaire de manière significative ce patrimoine encore largement méconnu. “[EDPLG.BE]


Plus d’architecture…

FABRY : Le journal du Nightstalker (2020)

Temps de lecture : 3 minutes >
ISBN 978-2-36868-643-0

Steve “Serpent” FABRY, bassiste et chanteur au sein du groupe de métal Sercati, raconte au fil des albums l’histoire d’un personnage nommé le Nightstalker. Voulant explorer une autre facette de son protagoniste, il créa une seconde formation musicale portant sobrement le nom The Nightstalker, narrant les moments plus personnels de son héros en parallèle de l’histoire principale. S’attachant à sa création et l’univers qu’il mit en place, Steve a ainsi décliné ce récit en roman ainsi que dans un film. Il a aussi scénarisé un comics sur cet univers, dont les illustrations sont largement utilisées pour illustrer ce roman, premier tome d’un cycle de trois trilogies. Un jeu de rôle est également en préparation.

Steve Fabry et son héros © Steve Fabry

Un ange décide de descendre du Paradis afin d’aider une humanité en proie aux démons. Témoin de la souffrance que les humains ressentent, il devra trouver sa place et le sens de son existence parmi eux. Prenant le rôle d’un protecteur, il deviendra le Nightstalker. De nombreux ennemis entraveront sa route mais quelques alliés se rangeront à ses côtés. Au cœur de cette guerre, à qui pourra-t-il accorder sa confiance ?

Cette trilogie s’adresse, évidemment, aux amateurs du genre, ce qui ne la rend pas pour autant inaccessible à d’autres lecteurs. Si le récit du premier livre paraît un peu plus faible – mais c’est aussi une mise en place – l’histoire monte en puissance à mesure qu’elle avance. Steve Fabry a créé un univers qu’il construit au travers de différents médias et si la puissance de son imaginaire est la première chose que l’on note, l’humanité de ses personnages n’est pas la moindre de ses qualités.

© Anthony Rubier

“Je parcourais la ville le coeur léger. Courir sur les toits enneigés était l’un de mes plaisirs. Cette sensation de liberté était si intense… Cela me rappelait le Paradis. Je prenais le temps de m’arrêter et d’observer, au travers des fenêtres, les humains qui se retrouvaient en famille autour d’un dîner, un bon feu allumé dans l’âtre. Ce spectacle m’interpellait à chaque fois. Je repensais aux moments passés avec Gabriel et à la disparition de Père. Mes frères me manquaient. Ces instants rendaient ma solitude plus pesante encore. Je pensais encore à elle… Je quittai mon poste d’observation pour me diriger vers le port, tenant une rose dans la main gauche. J’avais une chose importante à faire. Pendant que je me déplaçais, des souvenirs douloureux traversaient mon esprit. Je n’arrivais pas à penser à autre chose. La culpabilité, la tristesse et la colère m’étreignaient tour à tour. Ce flot de sentiments s’interrompit lorsque j’arrivai à destination. Les docks étaient déserts. Je pris le chemin du hangar où s’était déroulé le dernier affrontement. Je pouvais encore sentir l’odeur de la mort qui planait sur cet endroit et  entendre les cris de douleur ainsi que le son des os qui  se fracassaient. Je déposai la fleur sur le sol. Je restai là quelques minutes pour me remémorer la bataille que nous avions livrée peu de temps auparavant dans ces lieux. Je repensais aussi aux sacrifices quand, soudain, un son de cloche attira mon attention. Je me retournai et vis une ombre au loin, qui s’enfuyait. Qui était-ce ?”

Philippe VIENNE


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RAHIR : La Beauté sûre de nos vies (2020)

Temps de lecture : 3 minutes >
ISBN : 978-2-8061-0539-4

RAHIR, Vincent, La Beauté sûre de nos vies (Louvain-la-Neuve, Academia, 2020)

Vincent Rahir © Vincent Rahir – auteur

Romaniste, Vincent RAHIR écrit depuis l’adolescence. Son écriture sensible et visuelle est inspirée par le langage cinématographique et le roman américain. Depuis plusieurs années, il accompagne des entrepreneurs responsables et les conseille notamment en storytelling. “La Beauté sûre de nos vies” est son premier roman.

Alors qu’elle passe quelques jours en famille, Christine meurt accidentellement. C’est dans ces circonstances que son petit ami Antoine rencontre Fabienne et Franck, ceux qui auraient pu devenir ses beaux-parents. À l’enterrement, il croise l’énigmatique Nora, qui se tient à l’écart. Insaisissable, la jeune femme s’immisce lentement dans la vie qu’il tente de reconstruire. Mais malgré le soutien de ses amis, Antoine est incapable de faire son deuil. Il se rapproche alors des parents de Christine et, peu à peu, devine des ombres sous les apparences de leurs petites vies tranquilles. Que cache la jolie maison de banlieue ? Quel rôle joue Nora ? Et qui était réellement Christine ? Hanté par ses propres fantômes, jusqu’où ira-t-il pour comprendre ?

“Derrière la statue de Charlemagne, la grande roue s’illumine et se penche, d’une rotation à l’autre”  photo © Philippe Vienne

Par un délicat mélange de suspense et d’introspection, Vincent Rahir explore la fragile frontière qui sépare le confort du quotidien de l’ivresse des passions. Ses personnages touchants, malmenés par la violence de leurs émotions, nous rappellent qu’à travers l’adversité, nous restons maîtres de nos choix.

La force de Vincent Rahir est là, dans cette écriture visuelle, cinématographique, qui nous plonge dans son univers comme s’il nous était déjà familier. Mais, mieux encore, il réussit à rendre visible l’invisible : les sentiments, les émotions de ses personnages qu’ils partagent avec nous, ou nous avec eux, ces sentiments dont la sincérité nous dit qu’ils ne sont sans doute pas totalement fictifs et nous renvoient à nos propres fêlures. Mais, que l’on ne s’y trompe pas, ce roman n’a rien du film noir, il reste lumineux comme peut l’être la vie, fût-elle parfois acidulée.
“(Antoine) écoute les feuilles mortes murmurer les pas de Christine…” photo © Philippe Vienne

“Quand la tonalité continue tinte dans le combiné, Antoine raccroche le téléphone comme un somnambule, incapable d’assimiler l’information qu’il vient d’entendre. Des images traversent sa mémoire, glissent devant son regard flou. Des mots, des rires émergent de ses souvenirs. Sa main retombe le long de son corps et Antoine prend conscience du poids de sa chair. Ses os, ses organes, sa tête. Ses jambes refusent de le porter et cependant, il reste là, debout devant le guéridon, à côté du sofa, devant la fenêtre au regard clos par un reste de nuit sombre. Il voudrait vaciller, se laisser basculer dans le canapé ou s’avachir sur le sol, mais ses muscles se contredisent. Certains se liquéfient quand d’autres se resserrent ; certains le lâchent quand d’autres se contractent. Antoine reste immobile, les yeux dans le vide, l’esprit accroché aux paroles de Franck, le père de Christine, ce père qu’il n’a jamais rencontré et dont elle ne lui a, pour ainsi dire, jamais parlé. Franck. Ce père qui d’une voix rauque s’est armé de courage ce matin pour prendre le téléphone et appeler Antoine ; ce père détruit qui affronte l’espace et le vide d’entre deux téléphones et murmure à un inconnu, du bout des lèvres (mais que peut-on faire d’autre en de pareils instants ?), qui murmure simplement, la voix gonflée de larmes : “Elle est morte.”

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Philippe VIENNE

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COLMANT : L’État doit reprendre la main

Temps de lecture : 7 minutes >
Bruno Colmant © belpress

Les États européens se sont subordonnés au marché, jusqu’à perdre la moindre capacité d’impulsion économique.” Bruno Colmant publie Hypercapitalisme : Le coup d’éclat permanent. A-t-il viré à gauche? “Je suis et reste libéral. Mais le libéralisme doit être sauvé de ses propres excès.

“Le jour, Bruno Colmant dirige la banque privée Degroof Petercam. La nuit, il lit et il écrit. À intervalles réguliers, l’économiste accouche d’une nouvelle production. Plutôt technicien à l’origine (fiscalité, finance), il a la plume de plus en plus sociopolitique. À 58 ans, ce touche-à-tout prolifique nous revient avec un nouvel essai : Hypercapitalisme : Le coup d’éclat permanent (Renaissance du Livre). Comme on va vite s’en rendre compte, c’est le membre de l’Académie royale qui s’exprime ici, pas le banquier privé.

Le livre est parti de réflexions sur le gouffre entre les modèles américain et européen, en particulier sur la question de la mobilité du travail. Aux États-Unis, cette mobilité est intense, le travail s’adapte au capital. L’État joue un rôle résiduel et il intervient peu pour la protection des personnes, car ce sont les personnes qui doivent prendre leur sort en mains et s’adapter aux circonstances économiques variables. C’est une obligation : marche ou crève.”

Et en Europe?

En Europe, c’est tout le contraire. Les États-providence ou sociaux sont le reflet de l’immobilité du travail, laquelle découle de la petite taille des pays et de nos différences linguistiques, culturelles, religieuses, etc.

Mais encore?

Dans un État-providence, la tendance est de rester sur place, car la relation relève du long terme : tu reçois des moyens quand tu es jeune, tu contribues quand tu es actif et tu reçois à nouveau quand tu es retraité. Cela pousse à l’immobilité. Quand on a créé l’Union européenne puis l’euro, on est parti du principe qu’en instaurant la libre circulation, les personnes allaient circuler. Or non, elles ne circulent pas.

On a voulu importer en Europe un concept de mobilité des personnes et du travail qui n’est pas compatible avec nos États-providence. On a voulu importer le modèle américain parce qu’il est plus dynamique, mais ça ne prend pas. On a cru que le marché allait tout régler et automatiquement apporter la prospérité mais on n’a pas développé la flexibilité et l’entrepreneuriat qui l’accompagnent aux États-Unis. Résultat, on a aujourd’hui en Europe une confrontation de modèles qui ne se mélangent pas l’un à l’autre. On ne peut pas à la fois vouloir les bénéfices du capitalisme anglo-saxon et le maintien des États-providence.

Qu’a-t-on vu avec la crise du coronavirus? Chaque pays a fermé ses frontières. Ce réflexe national est bien la preuve que l’Europe n’existe pas.

Vous écrivez que l’Europe a dix ans pour revoir sa vision stratégique, sinon elle sortira de l’histoire…

Dix ans, peut-être même moins. L’Europe n’existe pas naturellement, c’est une juxtaposition de pays qui ont dû partager des frontières communes par la force de l’histoire, à la suite de deux guerres. Mais elle n’est pas aboutie. D’ailleurs, qu’a-t-on vu avec la crise du coronavirus? Chaque pays a fermé ses frontières. Ce réflexe national est bien la preuve que l’Europe n’existe pas.

L’Europe va-t-elle vers sa fin?

J’espère bien que non! Mais il faut faire attention. Fermer les frontières comme on l’a fait avec le virus, c’est dangereux. Rendre les pays plus hermétiques les uns aux autres est de nature à mettre le projet européen en péril.

Quelle serait la solution?

Il faut restaurer des États-stratèges, c’est-à-dire des États qui ne se subordonnent pas aux marchés, qui reprennent la main pour certaines initiatives économiques et qui sont capables d’être des partenaires par rapport au marché. Or, c’est exactement le contraire qui s’est passé. Les États européens se sont subordonnés au marché, jusqu’à perdre la moindre capacité d’impulsion économique.

Les contraintes budgétaires ont complètement étouffé l’Europe depuis vingt ans.

On ne peut pourtant pas dire que l’État soit absent. En Belgique, les dépenses publiques sont supérieures à 50% du PIB…

Et pourtant, les États ont perdu la capacité motrice. En Europe, ils en sont réduits à un rôle de transferts de revenus des uns vers les autres, alors qu’ils pourraient être utilisés à autre chose : investir, stimuler.

Et comment fait-on pour changer la donne?

D’abord, on détermine ce qui relève de l’État et non pas du marché. Par exemple, les soins de santé, l’éducation, c’est l’État, ce n’est pas privatisable. Pour les marchés concurrentiels où ils n’ont pas de rôle direct à jouer, les États peuvent et doivent développer des politiques industrielles à l’échelle de l’Europe. Cela n’a jamais été le cas, car les industries sont privées et qu’elles s’inscrivent dans des logiques nationales. On n’a pas ou peu de partenariats entre États. Bref, il faut réhabiliter l’État-stratège. Lui redonner, par l’endettement, une réelle capacité d’investissement et d’impulsion économique. L’État doit reprendre la main.

C’est le grand retour de Keynes : vous n’avez pas toujours pensé cela…

J’allais vers cette approche depuis un moment, je dirais sept ou huit ans. Ce qui m’avait échappé auparavant, c’est cette confrontation de modèles du travail.

Il faut choisir entre les deux modèles?

Il faut garder des États sociaux, certainement. Il faut leur redonner des capacités d’investissement, on l’a dit, mais il faut aussi transformer l’euro : d’une devise qui protège le capital, en faire une devise qui développe l’emploi. Il faut moins de rigueur monétaire et plus de capacité d’endettement de la part des États. Il faut libérer les États européens de ces contraintes budgétaires qui n’ont plus aucun sens et ont complètement étouffé l’Europe depuis vingt ans. Avec la crise du coronavirus, on va enfin abandonner ces contraintes de Maastricht et c’est tant mieux.

Vouloir des États plus forts, c’est risquer moins d’Europe, non?

Il y a un vrai risque, oui, on ne peut pas exclure un retour aux États-nations. Il est tout à fait possible que des États reprennent la main à titre individuel et la seule façon de dépasser ce qui serait une dérive, c’est précisément d’avoir des politiques industrielles au niveau européen. Cela demande de la volonté, car ce n’est pas naturel du tout. Cela ne vient pas tout seul.

Il faut transformer l’euro : d’une devise qui protège le capital, en faire une devise qui développe l’emploi.

Je vous cite : “Il s’agit de répondre à l’émiettement de la société avec empathie et solidarité. Ce qui importe, c’est une vision longue qui promulgue la cohésion sociale, la solidarité politique et la bienveillance économique.” Bruno Colmant a-t-il viré à gauche?

À mon avis, un libéral ne dirait pas autre chose. Je suis et reste libéral, je n’ai pas viré communiste. Mais le libéralisme doit être sauvé de ses propres excès, à savoir son penchant excessif pour l’immédiateté et son désintérêt pour la cohésion sociale. Pour moi, le libéralisme, c’est la spontanéité économique. Mais je dis que si le capitalisme n’est pas balisé par une redistribution sociale, il conduit à des situations inégalitaires. Or, ce qui importe dans une société, c’est la paix sociale.

Je prône donc un État social, oui, mais partenaire de la sphère marchande. Et qui dialogue avec les entreprises, notamment les plus grandes. Prenons l’exemple d’Amazon : cette firme privée utilise des infrastructures publiques : routes, poste… Il serait normal qu’elle contribue à juste mesure au financement des infrastructures qu’elle utilise.

Le libéralisme doit être sauvé de ses propres excès.

Donc, on oublie la main invisible du marché…

Je crois à la main invisible mais il faut tout de même qu’on puisse la serrer de temps en temps. Quand on a importé le raisonnement néolibéral dans les années 80, à la suite de Reagan et Thatcher, on a aussi importé cette conviction erronée que l’État pouvait être progressivement disqualifié parce que le marché, cette fameuse main invisible, savait mieux gérer l’économie que lui. C’est erroné parce qu’aux États-Unis, l’État est bien plus fort qu’on ne le pense. Dans les grands domaines stratégiques, il y a un partenariat entre les secteurs privé et public, l’État est copilote.

Nous, les Européens, nous n’avons pas compris cela. Nous avons cru que le marché allait tout gérer. Aux États-Unis, l’intervention est dérisoire en matière de protection sociale, d’accord. Mais en revanche, les politiques industrielles sont mises en œuvre de manière concertée entre le pouvoir politique et la sphère marchande.

Je crois à la main invisible mais il faut tout de même qu’on puisse la serrer de temps en temps.

Les États-Unis sont-ils un État-stratège?

Bien sûr, mais nous, les Européens, on ne l’a pas compris. On a entendu économie de marché et on a cru que tout pouvait être un marché. Or, l’État a un rôle à jouer, la crise sanitaire actuelle nous le montre bien d’ailleurs. C’est l’État qui aide la sphère marchande, c’est lui qui la sauve. C’est bien la preuve que l’État a un rôle à jouer dans l’économie.

Vous appelez à restaurer “des valeurs morales qui guideraient la gestion de nos pays“. Quelle morale? C’est très subjectif, comme notion…

Pour moi, la ligne devrait être de subordonner toute décision politique au bénéfice des futures générations, dans une vision de bienveillance. Si chaque fois qu’on pose un acte, on se demande si c’est bon pour les générations qui suivent, on ferait des choix probablement très différents de ceux que l’on fait aujourd’hui. On n’abîmerait pas la nature comme on le fait actuellement, on investirait plus dans les infrastructures physiques et digitales, on améliorerait la mobilité de nos villes, etc. On serait dans des logiques bien plus innovatrices.

Si chaque fois qu’on pose un acte, on se demande si c’est bon pour les générations qui suivent, on fera des choix probablement très différents de ceux que l’on fait aujourd’hui.

Vous rêvez tout haut?

Non, pas du tout. Si on ne pense pas au futur, c’est le narcissisme du présent qui emporte tout.

Pourquoi avoir écrit ce livre?

D’abord, pour moi. Écrire un livre, c’est une manière de se parler à soi-même. Et puis, je voulais me donner le temps de faire une synthèse de mes réflexions. Ce livre est plus harmonieux, plus nuancé que les précédents, je crois. D’ailleurs cette fois-ci, je ne ressens pas le besoin de me mettre à écrire le suivant. C’est dire!”

Lire l’interview originale de Paul GERARD sur LECHO.BE (4 juin 2020)


ISBN 9782507056926

Le néolibéralisme anglo-saxon apporte l’émulation, l’innovation, la croissance économique et l’élévation du niveau de vie. À l’opposé, les États providence européens furent bâtis, depuis la révolution industrielle, sur les acquis sociaux, la stabilité et la solidarité du travail. La sphère marchande, désormais mondialisée et numérisée, entre en collision avec les réalités politiques de nombreux pays européens. Il en résulte une amertume sociale et des conflagrations socioéconomiques. Cette réalité pourrait être amplifiée par la crise pandémique. Entre capitalisme déchainé et égalitarisme démobilisateur, une voie médiane s’impose : il faut rebâtir l’efficacité stratégique des États européens. Cette réhabilitation est nécessaire dans de nombreux domaines, au travers d’investissements publics et de dépenses sociales : éducation, mobilité, transition climatique, financement des transferts sociaux et des soins de santé, sécurisation des services publics, etc. Il en va de la résilience d’un libéralisme qui devra intégrer les facteurs humains et climatiques dans la tempérance sociale.

Membre de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, Bruno Colmant est docteur en économie appliquée et enseigne dans plusieurs universités belges et étrangères, dont l’Université libre de Bruxelles et l’Université catholique de Louvain. [LIVRE-MOI.BE]


Plus de discours ?

NIHOUL : Claymore (2020)

Temps de lecture : 4 minutes >
ISBN 9791094689653

NIHOUL, Arnaud, Claymore (Bruxelles, Genèse, 2020)

Arnaud Nihoul
Arnaud Nihoul © lavenir.net

À côté de son métier d’architecte, Arnaud NIHOUL consacre tout son temps à l’écriture. Après quelque quinze nouvelles, dont plusieurs primées, et dix romans conservés dans ses tiroirs, il a enfin osé sauter le pas avec Caitlin (couronné par le Prix Saga Café du meilleur premier roman belge en 2019) que wallonica.org avait été un des premiers à vous présenter. Claymore est donc son second roman publié. De la campagne namuroise, Arnaud Nihoul ne cesse de regarder vers les îles bretonnes et écossaises où il se retire souvent pour imaginer ses prochains romans.

Distillerie © Philippe Vienne

Ervyn McHardy est maître assembleur dans une distillerie de whisky, perdue au large de l’Écosse. Élégant et secret, il est venu s’installer sur l’île d’Ardoran cinq ans plus tôt, rompant avec son ancienne vie de libraire. La découverte du corps d’un inconnu et la disparition de deux responsables de la distillerie vont mettre en émoi la petite communauté de l’île. Ervyn décide d’apporter sa contribution – olfactive – à l’enquête. Avec l’aide de Liam, son jeune assistant et de Heather, une photographe atypique, cet étrange détective en kilt va reconstituer l’enchaînement des événements qui ont conduit au drame. Mais tout ne sera réglé que lorsque le dernier mystère, une disparition plus ancienne, qui endeuille encore la distillerie, sera à son tour résolu.

Le premier roman était prometteur, restait à savoir si le deuxième allait confirmer cette promesse. Et c’est le cas, Claymore est le roman de la maturité, de la maîtrise. Arnaud Nihoul retrouve l’Ecosse âpre et sauvage qu’il affectionne, d’un amour contagieux tant il transparaît tout au long de son récit. Il en va de même de ses personnages, brossés avec affection, dont l’histoire personnelle, distillée (on ne saurait mieux dire !) tout au long du récit, nourrit et éclaire celui-ci. L’intrigue en deviendrait presque secondaire, mais ce n’est pas le cas, on est tenu en haleine par ce puzzle qui s’assemble sous nos yeux, aidés en cela par la fluidité de l’écriture. Et bien fort est celui qui résistera à l’envie de se servir un whisky à la fin de ce roman – si ce n’est avant ! Merci pour ce partage, Arnaud Nihoul.

Paysage d’Ecosse © Philippe Vienne

“Les prises de vue étaient empreintes d’une atmosphère particulière. C’était d’abord l’option d’un regard bas, un angle en légère contre-plongée qui, selon l’interprétation d’Ervyn, amenait l’observateur à se placer au niveau des animaux. Ensuite, la lumière était toujours palpable, théâtrale, celle d’un entre-deux, entre l’aube et le jour, le crépuscule et la nuit, entre l’averse et le retour du soleil. L’Écosse n’était pas avare de tels éclairages délicats. Encore fallait-il les capter au vol. Enfin, Heather ne prenait jamais d’animal en gros-plan. À première vue, ses photographies représentaient un paysage avec des jeux de lumière, des moments saisis où Ardoran offrait des toiles de maître à celui qui savait regarder. De manière discrète et pourtant frappante, un animal était toujours intégré à la scène, en périphérie, tel un observateur attentif. Cela donnait toute son âme à l’image.”

“(…) Cinq whiskies leur avaient été servis et on leur avait demandé d’exprimer ce qu’ils sentaient et goûtaient. Un exercice qu’Ervyn n’avait jamais effectué consciemment et il s’était laissé aller à chercher ses propres évocations. Stuart Calder avait insisté sur le fait qu’une bonne part de subjectivité caractérisait les dégustations, selon notre vécu personnel, notre mémoire olfactive. Et qu’il n’y avait pas de mauvaise réponse.
Il y eut d’abord les classiques notes boisées, de vanille, de cuir ou d’agrumes, puis on glissa vers le caramel au beurre salé, les fruits de mer ou le foin, sans craindre d’évoquer l’hôpital ou le caoutchouc brûlé. Stuart Calder les avait poussés dans leurs derniers retranchements, les invitant à fermer les yeux, à humer et goûter alternativement. Vinrent alors le feu de jardin, le magasin d’antiquité, les aiguilles de pin chauffées au soleil, l’étui à violon, la forêt humide, la vieille bibliothèque. Et au bout de cela, des pointes d’épices à peine perceptibles, toute la palettes fruits frais ou cuits jusqu’aux sièges de la voiture du grand-père ou les bottes d’équitation après une promenade en sous-bois.”

Philippe VIENNE


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NIHOUL : Caitlin (2019)

Temps de lecture : 3 minutes >
ISBN 9791094689226

NIHOUL Arnaud, Caitlin (Bruxelles, Genèse, 2019)

Lecteur gourmand, Arnaud NIHOUL a renoué, la trentaine passée, avec le plaisir d’imaginer des histoires pour les faire partager, magie découverte dans son adolescence. Architecte de profession, il consacre son temps libre à l’écriture. Après quelque quinze nouvelles, dont plusieurs primées, et dix romans conservés dans ses tiroirs, il a enfin sauté le pas de la publication pour le plus grand plaisir de ses lecteurs. Avec Caitlin, ce passionné des mots nous donne à découvrir toute la palette de son talent. De la campagne namuroise, Arnaud Nihoul ne cesse de regarder vers les îles bretonnes et écossaises, où il se retire souvent pour imaginer ses prochains romans.

En 2017, Caitlin a reçu le Prix CléA qui couronne le meilleur manuscrit de l’année en Belgique et, en 2019, le prix Saga du meilleur premier roman belge.

Dans le petit port de l’île de Laggan à l’ouest de l’Écosse, débarque une jeune fille seule, la valise à la main. Trois adolescents, Ian, Morgan et Murray s’approchent pour l’aider, intrigués et fascinés à la fois. Caitlin est entrée dans leur vie. Vingt-trois ans plus tard, Ian revient sur l’île à la demande de Morgan pour enquêter sur la disparition de la jeune femme. Entre un château relevé de ses ruines et un phare isolé, Ian va arpenter l’île à la recherche de son amour de jeunesse et affronter la faille qui la coupe en deux, comme celle qui s’est creusée dans l’amitié entre les trois hommes. Il devra composer avec Mairead, l’énigmatique assistante de Morgan, et Iona, l’enfant solitaire et rebelle. Chacune détient une parcelle de vérité, mais quelle est-elle ?

Ce premier roman d’Arnaud Nihoul traduit son amour de l’Ecosse et de la nature sauvage mais aussi, assurément, de l’espèce humaine. Ses personnages sont crédibles et attachants parce que brossés avec tendresse, humains dans leurs faiblesses. Cette empathie accroît l’intérêt du lecteur pour le déroulement de l’intrigue. A cela s’ajoute une écriture fluide, belle sans affectation, faisant de ce roman un véritable page turner pouvant séduire un large public. Ce premier essai est un essai transformé et on attend avec impatience le prochain opus d’Arnaud Nihoul.

Paysage d’Ecosse © Philippe Vienne

Je repris ma marche sans me presser, cherchant à apprivoiser mon passé pour le relier à ma vie présente. Au détour de la route, je tombai sur une scène familière : un troupeau de moutons dispersés autour du chemin. J’avais trouvé un moyen de rétablir le contact.

Lentement, je m’approchai des premières bêtes. J’arrachai une poignée d’herbes tendres, mis un genou au sol et tendis le bras vers le mouton le plus proche. Hésitant, il s’avança vers moi, jusqu’à mordre dans la touffe que je lui présentais. Je glissai doucement mes doigts dans sa toison. Il se cabra sans reculer, semblant prendre plaisir à la caresse.

Lorsqu’il eut fini de manger, il ne s’écarta pas et je plongeai mes deux mains dans la laine humide de son dos, jusqu’à ce qu’il décide de rejoindre les autres. J’approchai alors les doigts de mon visage et respirai avec délice l’odeur animale qui les imprégnait […].

Philippe VIENNE


À côté de son métier d’architecte, Arnaud Nihoul consacre son temps libre à l’écriture. Régulièrement, il quitte sa campagne namuroise et gagne une retraite dans les îles bretonnes ou écossaises pour imaginer ses prochains romans. Après une quinzaine de nouvelles dont plusieurs primées et dix romans conservés dans ses tiroirs, Arnaud Nihoul a enfin osé sauter le pas de la publication pour notre plus grand bonheur. Avec Caitlin, ce passionné des mots nous donne à découvrir toute la palette de son talent [lire la suite…]


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NUSBAUM : Les philo-cognitifs. Ils n’aiment que penser et penser autrement… (2019)

Temps de lecture : 3 minutes >
Nancy © Ernie Bushmiller

Trois scientifiques lyonnais viennent de sortir un livre pour redéfinir les êtres dits précoces ou surdoués. A l’avenir, il faudra parler de philo-cognitifs


EAN13 : 9782738146724

Qui sont les trois auteurs de cet ouvrage de référence ? Fanny Nusbaum, docteur en psychologie, est psychologue et chercheur associé en psychologie et neurosciences à l’université de Lyon. Elle est fondatrice et dirigeante du Centre PSYRENE (PSYchologie, REcherche & NEurosciences), spécialisé dans l’évaluation, le diagnostic et le développement de potentiels. Olivier Revol, pédopsychiatre, dirige le centre des troubles de l’apprentissage de l’hôpital neurologique de Lyon et milite depuis plus de trente ans pour que chaque enfant puisse accéder au plaisir d’apprendre. Enfin, Dominic Sappey-Marinier est enseignant-chercheur en biophysique, imagerie médicale et neurosciences à la faculté de médecine Lyon-Est.

NUSBAUM Fanny et al.Les philo-cognitifs. Ils n’aiment que penser et penser autrement… (Paris, Odile Jacob, 2019)


“Précoce, surdoué ou à haut-potentiel étaient jusqu’à présent les termes employés.  Pourquoi avoir choisi ce qualificatif de « philo-cognitifs » ?

Parce que les notions de précocité, de haut potentiel ou d’enfant surdoué n’étaient pas satisfaisantes à nos yeux. Elles renvoyaient à des idées fausses ou très imprécises. D’ailleurs, même le grand public ne s’y est pas trompé : nous avons reçu, au cours de ces dernières années, de très nombreuses demandes de trouver enfin un terme adapté.

Les mots sont importants car ils véhiculent une manière de cerner et d’interpréter un phénomène. Dire “précoce” sous-entend une avance intellectuelle, ce qui est absolument faux !  “Surdoué” implique un don de naissance et une notion de performance qui est loin de correspondre systématiquement à ces personnes. “Haut Potentiel” est très vague et suppose un potentiel qui n’est pas exploré. Diriez-vous d’Albert Einstein qu’il était Haut Potentiel, dans le sens où il aurait eu un fort potentiel qui n’aurait pas été pleinement utilisé ? Employer des termes inadéquats génère forcément une approche erronée, de sorte qu’on tombe vite dans des représentations fourre-tout.

Comment avez-vous alors procédé ?

Pour répondre à notre cahier des charges, il fallait un terme qui décrive précisément ce dont on parlait, sans emphase, sans métaphore. Et surtout un terme qui ne véhicule pas de contre-vérité. Nous n’avons pas cherché une locution sexy pour faire le buzz. Nous voulions un terme qui colle à la réalité de ce phénomène. “Philo-cognitif” décrit ainsi des personnes qui aiment penser, pour lesquelles réfléchir sur tout et n’importe quoi est comme un besoin vital. On pourrait même parler d’une addiction à penser, même si une addiction est pathologique, alors que la philo-cognition n’est pas une pathologie.

Mais alors, qu’est-ce qui permet d’identifier le philo-cognitif ?

Après avoir posé un terme, “philo-cognition”, il nous fallait décrire avec rigueur de quoi il s’agissait. Ces dernières années, la démocratisation des connaissances sur le haut potentiel a été très bénéfique, parce qu’elle a permis à beaucoup de mieux le comprendre, l’identifier et l’accepter. Mais le revers de la médaille, c’est que tout le bruit autour de ce phénomène a généré des idées reçues et des raccourcis inappropriés…

Aujourd’hui, quand un enfant est différent, dans sa sensibilité, son humour ou son comportement, on a vite fait de mettre ça sur le compte de la philo-cognition et plus personne ne s’y retrouve. Ici encore, nous avons souhaité redéfinir cette singularité, la réduire à ses trois caractéristiques essentielles que nous développons dans notre ouvrage.

Qu’est-ce que la recherche a permis de révéler d’autres chez les philo-cognitifs ?

Nous avons voulu montrer que les philo-cognitifs n’étaient pas tous les mêmes. Bien qu’ils ont un socle de caractéristiques communes, ils ont aussi des différences dans leur manière de penser et de réagir. Nous avons détecté deux grandes familles : les philo-laminaires et les philo-complexes avec des réseaux cérébraux bien spécifiques chez l’enfant. Tout l’intérêt du livre consiste à bien faire le distinguo entre philo-laminaire et philo-complexe afin de mieux se comprendre, comprendre les autres, assumer sa différence et en faire une vraie force.

On a le sentiment qu’il y a beaucoup plus de « philo-cognitifs » qu’avant ?

Non, je ne pense pas. A mon sens, c’est surtout que l’on dispose aujourd’hui de meilleures connaissances et d’outils pour les évaluer, les détecter. Par ailleurs, on a beaucoup communiqué sur la notion de précocité, ce qui fait que la population, plus avertie, est capable de pressentir la philo-cognition plus facilement qu’autrefois…” [lire la suite sur RA-SANTE.COM]


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation | source : article de Pascal AUCLAIR sur RA-SANTE.COM (24 février 2019) | commanditaire : wallonica | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Opera Mundi  / Edit-Monde ; Editions Odile Jacob


Plus de presse…

WOHLLEBEN : La vie secrète des arbres (2017)

Temps de lecture : 2 minutes >
ISBN 9782352045939

Si vous lisez ce livre, je crois que les forêts deviendront des endroits magiques pour vous aussi.

Tim Flannery, auteur de Sauver le climat

Un livre passionnant et fascinant… Wohlleben est un merveilleux conteur, à la fois scientifique et écologique.

David George Haskell, auteur d’Un an dans la vie d’une forêt

L’éditeur LES ARENES écrit : “Dans ce livre plein de grâce, acclamé dans le monde entier, le forestier Peter WOHLLEBEN nous apprend comment s’organise la société des arbres. Les forêts ressemblent à des communautés humaines. Les parents vivent avec leurs enfants, et les aident à grandir. Les arbres répondent avec ingéniosité aux dangers. Leur système radiculaire, semblable à un réseau internet végétal, leur permet de partager des nutriments avec les arbres malades mais aussi de communiquer entre eux. Et leurs racines peuvent perdurer plus de dix mille ans…

Prodigieux conteur, Wohlleben s’appuie sur les dernières connaissances scientifiques et multiplie les anecdotes fascinantes pour nous faire partager sa passion des arbres. Une fois que vous aurez découvert les secrets de ces géants terrestres, par bien des côtés plus résistants et plus inventifs que les humains, votre promenade dans les bois ne sera plus jamais la même.

Peter Wohlleben a passé plus de vingt ans comme forestier en Allemagne. Il dirige maintenant une forêt écologique. Son livre a été numéro un des ventes en Allemagne avec plus de 650 000 exemplaires vendus et est devenu un étonnant best-seller aux États-Unis. Il est traduit en 32 langues.”

WOHLLEBEN Peter, La vie secrète des arbres (Paris, Les Arènes, 2017 : traduit de l’allemand par Corinne Tresca).


D’autres évoquent les approximations, les interprétations et les erreurs, comme la très sérieuse Section 2, Forêts et filière bois, de l’Académie d’agriculture de France :

“Les mots ont été pesés un à un avant la publication, le 11 septembre dernier, d’une note de lecture par la très sérieuse section 2 « Forêts et filière bois » de l’Académie d’agriculture de France, qui regroupe d’éminents spécialistes du monde de la forêt et du bois.

En substance, l’Académie reconnaît que Peter Wohlleben a fait preuve dans son ouvrage de « beaucoup de passion et d’un sens développé de la pédagogie» et que son livre soulève «de multiples questions pertinentes sur la vie des arbres au sein des forêts».

Mais la critique pointe juste après : « Nombre de réponses qu’il apporte prêtent malheureusement le flanc à la critique: sources absentes ou non vérifiables, extrapolations non justifiées, interprétations abusives et même erreurs manifestes. » En conséquence, l’Académie d’agriculture estime que le livre de Peter Wohlleben, qui a « toute sa valeur comme expression de la subjectivité militante d’une personne, ne peut être considéré comme un ouvrage de vulgarisation scientifique… »

En lire plus sur FRANSYLVA-PACA.FR (l’article est tiré d’une publication de Forêts de France, n°609 de décembre 2017)


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