RACINE : textes

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PHÈDRE : Je le vis : je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais pas parler ;
Je sentis tout mon corps transir et brûler…
Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C’est Vénus tout entière à sa proie attachée […]

Racine, Phèdre


© tv5 monde

Jean RACINE (1639-1699) est né peu avant Noël 1639 à La Ferté-Milon (Aisne), Jean RACINE est baptisé le 22 décembre. Ses grands-parents et parents sont des « officiers » locaux chargés de l’impôt auprès du Grenier à sel de la ville. En janvier 1641, sa mère lui donne une petite sœur, Marie, mais meurt presque aussitôt. Son père se remarie, mais disparaît à son tour. Dès février 1643, les deux enfants sont orphelins et sont recueillis par les quatre grands-parents.

Jean, élevé chez sa grand-mère paternelle Marie Desmoulins, reçoit une éducation simple, à laquelle le curé du lieu ajoute une formation religieuse et une initiation à la poésie latine. La famille, marquée par la rigueur janséniste, est proche de Port-Royal-des Champs, un lieu d’enseignement réputé, où Jean et sa grand-mère se réfugient en 1651 pour échapper aux horreurs de la Fronde. Jean y reçoit des « Messieurs » une formation intellectuelle et spirituelle solide, qu’il complète au collège de la ville de Beauvais. Il s’en souviendra toute sa vie.

Obéissant à une vocation littéraire, il fréquente Boileau, La Fontaine et Molière à Paris, compose plusieurs pièces mineures, puis s’oriente vers le théâtre. En 1667, Andromaque attire l’attention sur lui. Suivront une comédie particulière (les Plaideurs), ainsi que six tragédies majeures (Britannicus, Bérénice, Bajazet, Mithridate, Iphigénie, Phèdre) qui lui valent la consécration publique jusqu’à la Cour de Versailles.

Élu à l’Académie Française en 1672 (il a 33 ans), il reçoit en 1677 la charge d’historiographe du Roi, partagée avec Boileau. La même année, il épouse Catherine de Romanet, dont il aura deux garçons et cinq filles. Comme gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi, il aura libre accès jusqu’auprès du souverain. C’est donc là que Mme de Maintenon, devenue épouse morganatique du Roi-Soleil, lui confiera l’écriture de deux tragédies à thème biblique, destinées aux Demoiselles de Saint-Cyr : Esther (1689), puis Athalie (1691).

Vers la fin de sa vie, Racine se rapproche des Jansénistes, pour qui il écrit des Cantiques Spirituels ainsi que divers textes relatifs à Port-Royal. Lorsqu’il meurt le 21 avril 1699, il demande d’ailleurs à y être inhumé. Lors de l’expulsion des Solitaires et des religieuses (1711), son corps est transféré à l’église St-Etienne-du-Mont, auprès de celui de Pascal.

Alain ARNAUD, Président de l’association Jean Racine et son terroir


[RTBF.BE, 23 septembre 2021] Monument du répertoire classique, Phèdre, la tragédie en vers de Jean Racine est revisitée par la metteuse en scène belge Pauline d’Ollone. Autant prévenir, les amoureux des alexandrins déclamés avec emphase seront déçus. La mise en scène de ce nouveau spectacle sort les personnages de leurs costumes amidonnés.

Petit rappel du drame ; Phèdre est amoureuse d’Hippolyte qui est le fils de son époux (le roi Thésée). Quant à Hippolyte, il aime en secret Aricie, la princesse d’un clan ennemi. Phèdre, Hippolyte et Aricie forment notre célèbre triangle amoureux. Et puisque chaque amour est impossible, les personnages de l’œuvre sont en proie aux luttes intérieures.

Phèdre(s)

© GAEL MALEUX

C’est au milieu d’un plateau dépouillé et sur un tapis de jujitsu qu’apparaît notre pauvre Hippolyte, bien décidé à quitter le royaume pour fuir l’amour illégitime qu’il porte à Aricie. A quelques mètres de là, Phèdre prend de la hauteur dans une longue robe d’un blanc immaculé et confie avec désespoir son amour pour Hippolyte.

La mise en scène s’ouvre à la danse. Les personnages centraux sont accompagnés par plusieurs partenaires de jeu qui les retiennent, les repoussent ou les entravent dans leurs mouvements. Au milieu d’un décor d’une noirceur glaciale, les alexandrins d’hier résonnent avec violence dans la salle. Tandis que sur le plateau, l’eau monte et contraint les acteurs à patauger dans le drame qui est en cours. Pauline d’Ollone au micro de François Caudron : “C’est un texte puissant. Je voulais éviter l’écueil du très psychologique ou de l’introspectif. Mon travail est d’éviter que ce texte ne devienne un long tunnel de paroles.

François Caudron, rtbf.be


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, partage, correction et iconographie | sources : museejeanracine.neopse-site.fr ; rtbf.be ; | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Dominique Blanc dans Phèdre, mis en scène par Patrick Chéreau @ festival-avignon.com ; © tv5-monde.


Pus d’arts de la scène en Wallonie-Bruxelles…

La véritable histoire du Minotaure : ce que révèle l’archéologie

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[NATIONALGEOGRAPHIC.FR d’après HISTOIRE-ET-CIVILISATIONS.COM] Prisonnière du Labyrinthe, cette créature mi-homme mi-taureau a hanté la tradition orale de la Grèce et de la Rome antiques. Dans les recoins d’un labyrinthe crétois vivait un Minotaure, un monstre mi-homme, mi-taureau. Emprisonné là par son beau-père Minos, roi légendaire de Crète, il se nourrissait de chair humaine envoyée par la cité d’Athènes. Tous les neuf ans, Minos ordonnait à Athènes d’envoyer quatorze jeunes gens pour y être sacrifiés. Ce sinistre rite s’est poursuivi jusqu’à ce que le héros athénien Thésée se porte volontaire, entre dans le labyrinthe et tue cette bête tant redoutée.

L’histoire du Minotaure a fasciné pendant des milliers d’années et inspiré une myriade d’œuvres d’art : poteries, poésies, pièces de théâtre, peintures, opéras, films et jeux vidéo… Bien que le mythe puisse être apprécié comme un conte, les archéologues savent désormais que la légende trouvent des racines profondes dans les événements s’étant réellement passé durant l’âge du bronze.

L’homme à tête de taureau dans le labyrinthe de Minos possède plusieurs traits trouvés dans la culture crétoise et de l’ancienne civilisation minoenne. Les taureaux et les motifs de labyrinthe se retrouvent dans toute la culture minoenne, qui a dominé la Méditerranée d’environ 3 000 avant J.-C. à environ 1 100 avant J.-C. au milieu du deuxième millénaire avant J.-C., la Grèce continentale remplaçant la Crète comme puissance dominante de la région.

UN LABYRINTHE LÉGENDAIRE

Les auteurs classiques ont raconté maintes fois l’histoire du Minotaure. Les récits varient, mais il y a des traits communs chez chacun d’eux. Les taureaux, sous diverses formes, jouent un rôle crucial dans l’histoire.

Dans la version la plus courante du mythe, Zeus tombe amoureux d’Europe, une princesse phénicienne. Pour la séduire, il prend l’apparence d’un taureau doux et blanc et l’emmène sur l’île de Crète. Résultat de leur idylle, elle donna quelques mois plus tard naissance à un fils, Minos, qui devint roi de Crète.

Pour asseoir la légitimité de son règne, Minos demanda à Poséidon, le dieu de la mer, de lui envoyer un taureau qu’il lui promet de sacrifier en son honneur. Poséidon envoya dûment un magnifique taureau blanc qui émergea des vagues. Mais au moment du sacrifice, Minos, fasciné par la beauté de l’animal, décida de lui laisser la vie sauve.

VALLOTTON Félix, L’enlèvement d’Europe (1908) © Kunstmuseum Bern

Furieux de cet affront, Poséidon inspira à la femme de Minos, Pasiphaé, un désir fou pour le taureau. Pasiphaé demanda à l’inventeur athénien Dédale de concevoir un déguisement afin qu’elle puisse se rapprocher de la bête. Celui-ci créa une vache creuse grandeur nature, et Pasiphaé put y entrer pour se faire passer pour une vraie vache aux yeux de ce magnifique taureau. Le résultat de leur union : un enfant hybride mi homme mi-taureau répondant au nom d’Astérion. Mieux connu sous le nom de Minotaure, il fut les premières années élevé par sa mère mais grandit vite et devint féroce. Sur les conseils de l’oracle, il fut emprisonné par Minos dans un labyrinthe complexe conçu par le même Dédale.

Pendant ce temps, à Athènes, un jeune prince, Thésée, était en âge de partir à l’aventure. Quelques années auparavant, les Athéniens avaient tué l’un des fils de Minos, Androgée. En représailles, Minos avait assiégé Athènes et, victorieux, avait réclamé, en guise de tribut, l’envoi tous les neuf ans de sept jeunes garçons et sept jeunes filles athéniens pour servir de pâture au Minotaure. Thésée se porta volontaire dans l’espoir de terrasser le Minotaure.

Lorsque les Athéniens arrivèrent sur l’île de Crète, Ariane, fille du roi Minos, tomba sous le charme de Thésée. Avant d’entrer dans le labyrinthe, et contre la promesse de l’épouser, elle lui donna une pelote de fil (une idée de Dédale lui-même) afin qu’il puisse retrouver son chemin. Ariane resta au-dehors, tenant une extrémité du fil, tandis que Thésée marchait dans le labyrinthe, le fil se défaisant au fur et à mesure.

Quand il trouva le Minotaure, il le combattit à mort, libérant les autres jeunes Athéniens. Tout le monde suivit le fil laissé en lieu sûr. Enfin libre, Thésée partit pour Athènes, emmenant Ariane avec lui. Mais Thésée abandonna la princesse sur l’île de Naxos avant de reprendre la route d’Athènes avec sa sœur, Phèdre, qu’il épousa. Égée, le père de Thésée, attendait le retour de son fils du haut d’un promontoire. Avant le départ de Thésée, les deux hommes avaient établi un code : en cas de victoire, les voiles du bateau seraient blanches ; dans le cas contraire, elles seraient noires. Mais Thésée oublia de les changer et les voyant noires, Égée se jeta dans la mer qui, désormais, porte son nom.

MOTS ET IMAGES

Cette histoire, telle qu’elle s’est transmise au cours des siècles, a évolué lentement, se transformant encore et encore au fil des siècles. La légende du Minotaure a circulé dans le monde grec depuis les temps anciens, mais il apparaît plus souvent dans les premières œuvres d’art visuel plutôt que littéraire.

Bien qu’il y ait des références claires à Thésée, Minos et Ariane dans L’Iliade (écrite vers le VIIIe siècle avant J.-C.), Homère ne nomme jamais le Minotaure. Un fragment de la poétesse Sappho de Lesbos révèle que l’histoire du tribut humain que Minos demandait aux Athéniens était déjà racontée au début du VIe siècle avant J.-C.. L’historien grec du Ve siècle avant J.-C. Hérodote mentionne quant à lui Minos, mais pas son monstrueux beau-fils.

Les histoires de Thésée, héros d’Athènes, étaient populaires, mais les écrivains avaient tendance à se concentrer sur les autres réalisations de Thésée, notamment sa descente aux enfers ou ses aventures avec les Amazones. Le Minotaure est largement absent des histoires populaires autour de la figure de Thésée à cette période.

Présente sur des poterie, des œuvres de ferronnerie et d’autres arts décoratifs, la figure du Minotaure était par opposition un sujet très prisé par les autres artistes de cette époque. Une amphore de Tinos, dans les Cyclades, datée d’environ 670-660 avant J.-C., est le support de la plus ancienne représentation connue du combat qui a opposé le Minotaure et Thésée. Mises au jour à Olympie, des sangles de bouclier en bronze, datées du milieu du VIIe siècle avant J.-C., montrent également ce légendaire combat.

Une autre amphore des îles Cyclades, datée du milieu du VIIe siècle avant J.-C., inverse même la représentation populaire du Minotaure et montre celui-ci avec un corps de taureau et une tête d’homme. Il dépeint un autre détail qui deviendra central dans l’histoire : l’un des jeunes gens qui accompagnent Thésée tient une pelote de fil, l’objet qui a permis au héros athénien de s’échapper du labyrinthe après avoir tué la bête. Presque chaque représentation du monstre le montre au combat avec Thésée.

Des références au Minotaure commencent à apparaître plus tard dans la littérature grecque comme la pièce d’Euripide Les Crétois du Ve siècle avant J.-C. Seuls subsistent quelques fragments ce cette pièce : l’histoire révèle l’expérience de Pasiphaé et son conflit avec Minos au moment de la naissance du Minotaure.

Un autre récit narrant l’histoire de Thésée et du Minotaure vient de la Bibliothèque, une compilation massive de mythes et d’histoires helléniques. Pendant des siècles, les érudits ont daté l’œuvre du IIe siècle avant notre ère, mais de nouvelles recherches situent sa création beaucoup plus tard, au Ier ou au IIe siècle de notre ère. Attribué à un auteur inconnu que les érudits appellent Pseudo-Apollodore, la Bibliothèque couvre les mythes de la création, l’ascension des dieux, des héros et des héroïnes mortels. L’histoire entière de Minos, Pasiphaé, Dédale, Thésée et le Minotaure y est racontée avec force détails, fournissant par là-même une base solide pour les contes qui ont suivi.

Beaucoup d’histoires autour du Minotaure peuvent également être trouvées dans des sources romaines. L’un des plus détaillés est tiré de l’œuvre Vies parallèles de Plutarque (IIe siècle de notre ère), qui consacre un chapitre entier à Thésée. Plutarque y compare Thésée, fondateur d’Athènes, à Romulus, fondateur de Rome. Les métamorphoses, poème épique écrit par Ovide en 8 après J.-C., est un autre récit populaire de la légende du Minotaure, avec de nombreux détails sur les conquêtes de Minos à travers la Grèce avant la construction du labyrinthe.

CIVILISATION MINOENNE

Pour les Grecs des Ve et IVe siècles avant notre ère, Thésée était célébré comme un héros national d’Athènes. Comprendre la place que le Minotaure occupait dans leur imaginaire nécessite une connaissance plus approfondie du passé lointain de la Crète. La Crète est devenue une puissance commerciale en Méditerranée vers 3 000 avant J.-C. Au milieu du deuxième millénaire avant J.-C., elle était au centre d’un vaste réseau commercial avec l’Égypte, la Syrie, les îles de la mer Égée et la Grèce continentale.

Les Minoens ont établi des colonies dans le monde méditerranéen le long de ses routes commerciales, et ils y ont apporté leur culture. La langue, les arts et les textiles de la Crète antique étaient alors largement dispersés et bien accueillis. Les colonies sur les îles grecques révèlent que les colonies étaient souvent aménagées dans un style minoen. Mycènes, située à environ 120 kilomètres à l’ouest d’Athènes, a non seulement adopté avec enthousiasme la céramique crétoise, mais aussi la langue minoenne.

Après 1450 avant J.-C., l’emprise de la Crète a commencé à décliner, les Grecs mycéniens ayant commencé à dominer la Méditerranée orientale. Leur langue écrite, connue des érudits sous le nom de B linéaire, a été adaptée de la langue des Minoens et est maintenant connue comme une forme ancienne du grec.

L’HÉRITAGE DU ROI MINOS

De 1900 à 1903, l’archéologue britannique Arthur Evans, pensant que la Grèce mycénienne était fortement influencée par la Crète, a fouillé l’île et a mis au jour un palais royal sur le site de Cnossos et de nombreux artefacts présentant des taureaux. Il a désigné la culture crétoise ancienne comme Minoenne en référence au grand roi mythologique Minos, fils de Zeus et beau-père du Minotaure.

Le nom Minos ne semble pas être une invention mythique. Lorsque les tablettes trouvées à Cnossos ont été déchiffrées, les érudits ont pu lire le mot ‘Minos’. Selon les historiens, Minos n’était pas le nom d’un roi unique, mais le titre donné aux rois en général ou plutôt aux princes consorts, époux de reines très puissantes.

Les historiens considèrent désormais que la puissance et la culture minoennes ont atteint leur apogée vers 1600 avant J.-C. Décorées de fresques financées par le commerce de produits de luxe, de magnifiques structures de cette époque, dédiées aux activités religieuses et administratives, ont été mises au jour par Evans lors de sa fouille de Cnossos.

Les bâtiments étaient recouverts de formes artistiques aux couleurs vives qui reflétaient un respect culturel pour les taureaux : des fresques et des figurines, datées de 1700 à 1400 avant J.-C., montrent des personnages sautant par-dessus des taureaux. Ce rite peut avoir été pratiqué lors de cérémonies sacrées et de sacrifices aux dieux. Symboles de fertilité dans de nombreuses religions, les taureaux étaient tués rituellement à l’aide d’une hache à double tranchant ou labrys, emblème du pouvoir royal.

Une ‘labrys’ minoenne © Herakleion Archaeological Museum

La prison du Minotaure, le labyrinthe, trouve également des racines profondes dans la culture matérielle minoenne, mais les théories divergent quant à son origine. Comme aucun vestige archéologique d’un labyrinthe n’a jamais été trouvé en Crète, certains chercheurs ont suggéré que le terme pourrait être synonyme du palais lui-même. Le concept de labyrinthe pourrait provenir d’un vaste complexe de pièces. Un des sens étymologiques proposé pour le nom labyrinthe est dérivé de ‘labrys’, cette hache par laquelle le sacrifice animal était observé.

Une autre théorie est que la conception du mythique labyrinthe est née d’une structure qui n’était pas du tout un labyrinthe, mais une piste de danse. Homère décrit dans L’Iliade un lieu dédié à la danse où la jeunesse aristocratique de Crète se retrouvait, conçu par Dédale – encore lui. Peut-être la mosaïque de cette salle de danse a-t-elle évolué au fil des récits pour devenir le sinistre labyrinthe.

MYTHE ET RÉALITÉ

Pour les Grecs des VIe et Ve siècles avant J.-C., la Crète était liée au lointain souvenir d’une puissance ancienne, autrefois respectée, admirée et crainte. Une puissance finalement vaincue, ce que retranscrit le mythe du Minotaure terrassé par Thésée. À l’ère classique, Thésée était un héros local, un prince qui avait fait la gloire d’Athènes à travers ses nombreuses aventures. Thésée a été adopté par les Athéniens comme un symbole de la ville.

À cette même époque, le principal rival d’Athènes était la Perse. La défaite de la marine perse à Salamine en 480 avant J.-C. a inauguré une période d’expansion militaire et commerciale pour Athènes. Pendant cette période, les représentations de Thésée et du Minotaure sur des poteries ont considérablement augmenté.

Certains érudits pensent que les artistes ont utilisé le Minotaure comme symbole : la Crète était l’ennemi de l’ancien monde – la Perse celui du monde moderne. Thésée représentait la gloire d’Athènes alors qu’il soumettait le monstre pour libérer sa cité de la domination de la Crète.

Amaranta Sbardella, Le Monde


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercialisation et iconographie (les illustrations originales sont visibles sur nationalgeographic.fr) | contributeur : Patrick Thonart | sources : nationalgeographic.fr partagé de histoire-et-civilisations.com | crédits illustrations : en-tête, Le Minotaure par George Frederic Watts (1885) © Tate Gallery (on notera la tension dramatique créée par l’oiseau écrasé sous la patte gauche du Minotaure).


Lisons au travers des symboles en Wallonie-Bruxelles…

PENA-RUIZ : Le clou de l’âme

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La vie est faite d’émotions. L’émotion, ce qui meut, et aussi ce qui se meut.  Rien d’inerte dans l’expérience sensible et sentimentale. Nous sommes touchés par ce qui nous arrive, voire affectés. Notre désir de vivre fait que tout événement prend sens dès lors qu’il comble ou qu’il déçoit ce désir. Le choc des émotions est durable, il laisse en nous sa trace comme un clou laisse la sienne dans le bois tendre. On peut bien décider d’être serein, de chasser les obsessions, d’être affranchi de ses émotions. Il reste que les choses ne sont pas si simples, car l’émotion vive laisse une trace, son souvenir obsède, comme le fait la peur ou le désir. Traumatismes, souffrances ou joies intenses, jouissances, ainsi va la vie qui nous marque et nous façonne. À la longue, on se fait plus sensible à certaines choses et l’on s’endurcit à d’autres. Le vœu de lucidité, pour s’accomplir, passe alors par la prise de distance.

Parlons de l’âme. Appelons « âme » ce qui en nous reçoit les messages de l’expérience, mais aussi les sollicitations du corps, et voyons son étrange aventure au fil de la vie humaine. Platon décrit le choc des émotions, et les passions qui s’inscrivent dans leur sillage…

– Lorsqu’on a ressenti la violence d’un plaisir ou d’une peine, d’une peur ou d’un appétit, le mal qu’on subit en conséquence n’est pas tellement celui auquel on pourrait penser – la maladie ou la ruine qu’entraînent certains appétits, par exemple ; non, le plus grand de tous les maux, le mal suprême, on le subit, mais sans le prendre en compte.
– En quoi consiste-t-il, Socrate ?, dit Cébès.
– En une conclusion inévitable, qui s’impose à toute âme d’homme au moment où elle éprouve un plaisir ou une peine intenses. Elle est alors conduite à tenir ce qui cause l’affection la plus intense pour ce qui possède le plus d’évidence et de réalité véritable, alors qu’il n’en est rien. Or ces objets sont par excellence ceux qui se donnent à voir. Tu ne penses pas ?
– C’est certain.
– Or n’est-ce pas quand elle est ainsi affectée qu’une âme est le plus étroitement enchaînée par son corps?.
– Que veux-tu dire ?
– Ceci : chaque plaisir, chaque peine, c’est comme s’il possédait un clou avec lequel il cloue l’âme au corps, la fixe en lui et lui donne une forme qui est celle du corps, puisqu’elle tient pour vrai tout ce que le corps lui déclare être tel.

L’enfant battu dès son premier souffle lève un regard qu’emplit infiniment une tristesse indélébile. Saura-t-il retrouver la joie espiègle qui pétille dans les yeux ? Un frisson a prolongé pour toute la chair l’intense chaleur du plaisir et la mémoire s’en propage au plus profond de la conscience. Demain, les désirs ne pourront renaître sans son écho secret et insistant. Expérience de la souffrance, expérience de la jouissance… le corps qui la reçoit n’est pas inerte, il vit de cet effort qui tend l’homme vers son accomplissement. Son désir d’être et de vivre s’affirme et retentit, et les circonstances le serviront plus ou moins bien. La vie s’anime bientôt des souvenirs laissés par les frustrations ou les assouvissements.

Les douleurs ressenties et les joies éprouvées tissent en effet une mémoire dense qui s’installe durablement dans l’intériorité de chacun. Brûlures et blessures y forment leur cicatrice, plaisirs et bonheurs y inscrivent leur trace. Dans l’ombre portée des moments de peine et de jouissance, le cheminement de la conscience se charge ainsi d’inquiétudes et de craintes, de désirs et d’espoirs. Ainsi, nous sommes rivés aux aléas de la vie, nous sommes comme cloués aux angoisses du scénario qui s’écrit en partie à notre insu. L’âme pâtit. Le risque, dès lors, n’est-il pas que le jugement ne soit réglé par les intérêts immédiats ou par l’imaginaire qui perpétue les fascinations de notre histoire singulière ?

C’est ce risque grave que Platon évoque dans son texte. Risque grave, puisque se joue la survie de la pensée comme telle. Est-ce bien penser que de ne penser qu’en étant asservi aux émotions du jour ? Platon veut d’autant plus voir dans l’âme une réalité distincte du corps qu’il entend la dégager de toute servitude, et affranchir ainsi de toute contrainte la pensée humaine. Celle-ci est donc distincte de tout ce qui dans le corps tient à la façon dont il est affecté par le monde. Reste que l’âme est captive de l’aventure corporelle, captive au point d’en être infiniment marquée, crucifiée en quelque sorte à une réalité dont les affections la touchent si vivement qu’elle en vient à se confondre avec elles.

Le risque, c’est alors d’aliéner la distance de la pensée par rapport aux émotions. Chaque épisode un peu dramatique de la vie affective tend à accentuer cet envoûtement et à fausser en conséquence le principe de la pensée. L’attrait des plaisirs et la peur des souffrances vont substituer peu à peu leurs critères à ceux de la vérité. Et Platon de conclure :

L’âme finit par tenir pour vrai ce qui répond le mieux à ses attentes ou à ses répulsions.

Bref, elle évalue, par rapport à elle-même, au lieu de s’attacher à connaître l’objet dans sa réalité, indépendamment de la façon dont il l’affecte. Captif de ses émotions, de ses craintes, de ses désirs et bientôt de ses intérêts, l’homme peut-il l’être si totalement de ses plaisirs et de ses peines qu’il leur aliène jusqu’à la pensée ? Nos pensées sont-elles simplement filles de notre vécu et de ses limites ? Une telle perspective, on le voit bien, est difficile pour la philosophie.

La philosophie, en effet, n’a de raison d’être que dans le souci d’une pensée libre, sans assujettissement aux fascinations du vécu. La difficulté de concevoir l’autonomie de la pensée tient sans doute à celle de la délier effectivement de l’aventure du corps. C’est pourquoi l’image du clou, le clou de l’âme au corps est si forte. Cette difficulté est d’abord vécue par tout homme, lorsqu’il doit contenir ses impulsions et ses passions, ses emportements soudains et ses attirances violentes. Le voilà sous l’emprise des passions, des passions qui sont comme des sortilèges.

Il lui faut donc affranchir son pouvoir de réflexion des multiples affections qui l’assaillent et le troublent, le sollicitent et l’abusent au point de l’asservir. Le corps, c’est aussi le point d’où est reçu le monde, la situation toute relative d’un être singulier dans la totalité du réel. S’émanciper du corps, ce n’est pas le nier, ce n’est pas refuser ses impulsions. Ce n’est pas tant refuser ses exigences de plaisir que se délivrer les limitations que le point de vue du corps peut nous donner. Ce n’est donc pas le corps lui-même qui corrompt et offusque directement l’âme entendue comme le principe de la pensée. C’est plutôt ce type de rapport de l’âme au corps qui fait que l’âme n’a tendance à juger des choses qu’à partir des impressions du corps. Bref, c’est la fascination qui naît des multiples affections dont le corps est le siège et la source qu’il convient de maîtriser.

Tenir pour vrai ce qui engendre le plaisir, ou ce qui va dans le sens de l’intérêt présent, c’est confondre les exigences du vrai et celles de l’agréable. On comprend, dès lors, que le travail de la pensée nécessite une sorte d’ascèse, propre à lui permettre de jouer son rôle. Mais il ne s’agit pas pour autant de vanter les vertus de l’abstinence. Le corps a ses exigences légitimes qu’il convient de satisfaire. Cette réflexion ne débouche donc pas sur une théorie de l’ascétisme, selon laquelle il conviendrait de mortifier sans cesse le corps pour permettre à l’âme de s’élever à la pensée, de se délier des envoûtements du corps. Il s’agit simplement de distinguer les registres de la vie intérieure.

ROPS Félicien, La tentation de Saint-Antoine (1878) © Bibliothèque royale de Belgique

L’homme, légitimement, peut chercher à satisfaire les impulsions de son corps, mais lorsqu’il se met à penser le monde, à tenter de le réfléchir, il doit prendre ses distances par rapport à l’expérience immédiate, par rapport aux impressions du corps. Ce travail de distanciation de l’âme par rapport au corps, ou disons ce travail de la pensée par rapport au choc des émotions, n’est nullement incompatible, mais en un autre temps, avec l’expérience vive des émotions et des passions. Ainsi, il faut bien comprendre que ce n’est pas le corps qui serait en lui-même impur, mais cet étrange mélange des fonctions qui fait que lorsque l’âme se mêle au corps, ou plutôt se laisse former, déformer par le corps, elle perd sa fonction propre qui est la pensée, le travail de la réflexion à distance.

Comment comprendre une telle idée ? Sans doute faut-il éviter le thème du corps impur, et s’en défaire. Ce n’est pas le corps qui est impur. L’impureté ne tient nullement à une sorte de substance corporelle qui en elle-même serait mauvaise. On pourrait dire plutôt que c’est le mélange de l’activité du corps et de l’activité propre de l’âme qui est source d’impureté. Une pensée qui serait un simple reflet du vécu risquerait d’ailleurs d’être complètement réactive, au sens que Nietzsche donnait au terme. Si, parce que je suis faible physiquement, j’en viens à disqualifier la force, alors, dirait Nietzsche, la pensée que je forme, et qui consiste à condamner la force, est une pensée purement réactive. Elle est en réaction par rapport à un vécu dont je ne suis pas maître. Ainsi, si la pensée doit être autre chose que la simple réaction aux aléas du vécu, elle doit s’affranchir de ce vécu, elle doit prendre ses distances. Elle doit, si l’on veut suivre la métaphore de Platon, se déclouer des aléas de ce vécu et de l’expérience corporelle.

Il en irait de même avec l’exemple du riche qui disqualifierait la pauvreté, c’est-à-dire qui n’aurait de conception de la vie sociale qu’à partir de la richesse qu’il a pu acquérir, qu’il a eu à la fois la chance et le courage d’acquérir. Théoriser cette richesse en disqualifiant la pauvreté serait une pensée réactive, de la même façon que théoriser la faiblesse en disqualifiant la force serait une pensée réactive. On comprend, à travers ces deux exemples complémentaires, ce que Nietzsche voulait critiquer en évoquant la pensée réactive : la pensée qui colle au plus près des illusions du vécu.

Henri Peña-Ruiz, Grandes légendes de la pensée (extrait, 2015)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage et iconographie | contributeur : Patrick Thonart | sources : flammarion.fr | crédits illustrations : entête, Platon © France Culture ; © Bibliothèque royale de Belgique.


Méditer encore…

PENA-RUIZ : Le rocher de Sisyphe ou Le courage de vivre

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La vie parfois vacille et doute d’elle-même. Commencer, recommencer, sans cesse. Le constat de l’éternel recommencement des choses, semblable au cycle des saisons, la vie succédant à la mort et la mort à la vie, la croissance au déclin et le déclin à la croissance, produit une sorte d’angoisse. Le quotidien qui se livre sous le signe du recommencement mérite-t-il d’être vécu ? Peut-on croire au sens de ce que l’on fait, lorsqu’il faut toujours reprendre, toujours recommencer ?

Le rocher que Sisyphe était condamné à porter dévalait la pente que Sisyphe avait gravie, chaque fois qu’il atteignait le haut de la colline. Ce rocher de Sisyphe est devenu le symbole d’une tâche absurde à accomplir, puisque sitôt accomplie, elle doit être recommencée. À certains égards, n’est-ce pas tout le déroulement de la vie quotidienne qui peut être placé sous le signe du rocher de Sisyphe ? On se lève le matin, on se prépare, on va travailler, on revient, on recommence le lendemain. Ainsi disait-on naguère des ouvriers qui allaient à l’usine : “Métro, boulot, dodo”, “Métro, boulot, dodo”, et ce recommencement semblait dessaisir la vie de toute signification.

Mais la conscience humaine interroge : pourquoi ? Camus raconte qu’à un moment ou à un autre de cet enchaînement machinal quotidien, la question du pourquoi s’élève. Il faut poser la question du pourquoi, il faut réfléchir sur cette apparence d’éternel recommencement, sur cette apparence d’absurdité qui pourrait bien, si l’on n’y prend pas garde, dessaisir la vie elle-même de toute signification. La méditation sur la tâche de Sisyphe reprend cette interrogation. Albert Camus, dans le Mythe de Sisyphe, raconte :

À cet instant subtil où l’homme se retourne sur sa vie, Sisyphe revenant vers son rocher, contemple cette suite d’actions sans lien qui devient son destin. Créé par lui, uni sous le regard de sa mémoire et bientôt scellé par sa mort. Ainsi, persuadé de l’origine tout humaine de tout ce qui est humain, aveugle qui désire voir et qui sait que la nuit n’a pas de fin, il est toujours en marche. Le rocher roule encore. Je laisse Sisyphe au bas de la montagne. On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit à lui seul forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.

Sisyphos, en grec, c’est “le très sage”. Le héros de Camus était légendairement connu pour son intelligence, mais aussi pour la démesure, en grec hubris, par laquelle il voulait, en quelque sorte, s’égaler aux dieux. Sisyphe, l’être qui voulait non pas nier la divinité, mais s’en passer, voire s’égaler à elle. D’où le châtiment qui lui rappelle à la fois sa force et sa faiblesse, et va l’obliger à l’effort sans cesse répété des êtres mortels. La force, c’est celle de Sisyphe capable de rouler son rocher jusqu’en haut de la colline, la faiblesse, c’est la vanité d’un tel travail, dès lors qu’au dernier moment le rocher dévale de toute sa force jusqu’au bas de la colline, avec obligation pour Sisyphe de tout recommencer. Il faut porter le fardeau quotidien, quoi qu’il en coûte.

Dans le onzième chant de L’Odyssée, Homère décrit l’effort de Sisyphe et son inexorable recommencement.

Ses deux bras soutenaient la pierre gigantesque et des pieds et des mains, vers le sommet du tertre, il la voulait pousser. Mais à peine allait-il en atteindre la crête qu’une force soudain la faisant retomber, elle roulait au bas, la pierre sans vergogne. Mais lui, muscles tendus, la poussait derechef, tout son corps ruisselait de sueur et son front se nimbait de poussière.

On reconnaît là le châtiment de la tâche sans cesse recommencée, comme celle des Danaïdes, ces nymphes des sources que la légende représente aux enfers, versant indéfiniment de l’eau dans des tonneaux sans fond. Pourquoi ? La question du sens des actions s’étend très vite à celle du sens de la vie. Dans le ciel dont les dieux se sont absentés, nul signe désormais n’est adressé aux mortels, qui sont seuls devant leur tâche. Il leur faut conduire leur vie, la reconduire, de jour en jour, et l’effort pour le faire suffit à leur condition. L’homme va s’inventer les moyens de persévérer dans son être. Depuis Prométhée, il est capable de produire son existence. Sisyphe, un instant, s’arrête. Au moins intérieurement. Et alors va s’esquisser la sagesse  toute simple d’une interrogation première. Quelle vie voulons-nous vivre et quel bien mérite d’être recherché pour lui-même ? Question essentielle qui appelle une réflexion pour aller vers la sagesse. La tâche de la vie se redéfinit. Non, le recommencement qui appartient à la vie des hommes mortels ne peut pas disqualifier cette vie. Et Sisyphe lève les yeux vers le ciel. Ce ciel est désert. Soit. Mais lui, Sisyphe, trouvera dans la tâche quotidienne qui est la sienne les ressources même pour vivre heureux.

Sisyphe ne peut se réconcilier avec la vie qu’en prenant la mesure de ce monde où il va inscrire sa destinée. Sa force renaîtra toujours s’il décide, une fois pour toute, de vivre sa vie d’homme, de se passer de ces dieux qui sont tour à tour protecteurs et menaçants. La peur n’est plus de mise, ni la lassitude. Les rythmes quotidiens ne sont pas l’essentiel. Ils rendent la vie possible, tout simplement, sans préjuger de la direction qui l’accomplira. À l’homme de construire son monde et de dessiner les contours de son bonheur, de façon tout à fait inédite. Sisyphe ne peut pas reprendre à son compte la fameuse phrase de Dostoïevski : “Si Dieu n’existe pas, tout est permis.” Pour Sisyphe, l’humanité maîtresse d’elle-même porte seule son fardeau, mais elle est ainsi habilitée à définir seule les valeurs qui lui permettront de vivre le mieux possible.

De cette façon, un nouveau bonheur va prendre forme sur le fond de l’absurdité initiale. Celle-ci est dépassée, transcendée. L’homme se dresse et il va assumer son humaine condition. Un humanisme se dessine qui est celui d’une patience. Patientia, en latin, c’est tout à la fois la souffrance et la capacité à endurer. Vertu stoïcienne par excellence. Sisyphe s’était révolté contre les dieux qui, pour le punir, lui avaient assigné cette tâche absurde : monter et descendre, monter et descendre !

Sénèque, dans la treizième lettre à Lucilius, évoque la leçon d’espérance de l’homme qui compte désormais sur lui-même.

Tu as une grande force d’âme, je le sais, car avant même de te munir des préceptes salutaires qui  triomphent des moments difficiles, tu te montrais, face à la fortune, suffisamment décidé. Tu l’es devenu beaucoup plus après avoir été aux prises avec elle et avoir éprouvé tes forces.

Éprouver ses forces, c’est effectivement ce que vient de faire Sisyphe. Alors, avant de le reprendre, en sueur mais intérieurement rasséréné, il va contempler son rocher et se dire que la montée de la colline suffit à remplir un cœur d’homme.

Deux paroles de méditation en complément. La première porte sur la double signification du terme absurde devenu un substantif dans la philosophie de l’absurde. La deuxième évoque la disqualification du monde terrestre du point de vue de la religion chrétienne, à partir du texte biblique de l’Ecclésiaste.

Qu’est-ce que l’absurde ? L’adjectif, rapidement transformé en un nom, en un substantif, désigne soit ce qui n’a aucun sens, aucune raison, soit ce qui n’a aucune finalité. Ainsi, par exemple, si un homme s’attache à construire une œuvre, et que cette œuvre est soudainement détruite, il aura le sentiment d’une absurdité, puisque son activité aura été dessaisie de tout intérêt. Cela peut être aussi l’idée, par extension, que ce qui est destiné à mourir, à périr, n’a finalement pas de véritable finalité. Sens que l’on retrouve dans la disqualification religieuse de l’existence humaine, qui est l’existence condamnée à la vanité, c’est-à-dire condamnée à l’inutilité, à l’absence même de signification, puisque toute chose, sous le ciel, est destinée à périr. Dans le sens habituel, donc, absurde signifie contraire à la raison et au sens commun : est absurde ce qui est déraisonnable, insensé, voire extravagant. Dans le sens philosophique, par extension, est absurde ce qui ne peut être justifié par aucune finalité, par aucune raison d’être. Et une méditation sur la vie humaine en tant qu’elle se termine par la mort peut déboucher sur le sentiment de l’absurdité. De la même façon, est absurde toute activité qui ne débouche pas, qui est en quelque sorte invalidée par la destruction de ce qu’elle a permis de faire.

C’est dans le cadre de la religion chrétienne que l’idée de l’absurdité de tout ce qui est destiné à mourir, donc de l’existence terrestre, est soulignée. La théologie, qui vise à montrer que l’essentiel se trouve dans la croyance en un dieu et un au-delà, aboutit à la disqualification de tout ce qui existe sur terre. Un grand texte de la Bible a souligné l’absurdité qui tient au recommencement, à l’éternel recommencement des choses. C’est un extrait de l’Ecclésiaste que l’on peut citer ici pour montrer comment une conception de l’absurde peut s’enraciner dans la disqualification religieuse de l’existence terrestre. Paroles de l’Ecclésiaste, fils de David :

Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité. Quel avantage revient-il à l’homme de toute la peine qu’il se donne sous le soleil ? Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours. Le soleil se lève, le soleil se couche ; il soupire après le lieu d’où il se lève de nouveau. Le vent se dirige vers le midi, tourne vers le nord ; puis il tourne encore, et reprend les mêmes circuits. Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’est point remplie ; ils continuent à aller vers le lieu où ils se dirigent. Toutes choses sont en travail au-delà de ce qu’on peut dire ; l’œil ne se rassasie pas de voir, et l’oreille ne se lasse pas d’entendre. Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. S’il est une chose dont on dise : “Vois ceci, c’est nouveau!” cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont précédés.

Et, de ce constat de l’éternel recommencement des choses – “rien de nouveau sous le soleil” dit le proverbe -, l’Ecclésiaste tire la conclusion d’une sorte de vanité de l’existence terrestre.

J’ai vu tout ce qui se fait sous le soleil ; et voici, tout est vanité et poursuite du vent. Ce qui est courbé ne peut se redresser, et ce qui manque ne peut être
compté. J’ai dit en mon cœur : Voici, j’ai grandi et surpassé en sagesse tous ceux qui ont dominé avant moi sur Jérusalem, et mon cœur a vu beaucoup de sagesse et de science. J’ai appliqué mon cœur à connaître la sagesse, et à connaître la sottise et la folie; j’ai compris que cela aussi c’est la poursuite du vent.

On voit que cette insistance sur la vanité des choses, sur l’absurdité des choses qui naissent et meurent, débouche, dans le texte de l’Ecclésiaste, sur un noir optimisme, puisque c’est l’idée même d’une sagesse humaine qui s’en trouve disqualifiée. A l’ opposé, il faudra qu’un être humain qui meurt, qui recommence, prenne la mesure de son pouvoir. La signification positive du personnage emblématique de Sisyphe sera ainsi soulignée. On pense aussi à ce que Nietzsche écrira en évoquant le thème de l’éternel retour. Certes, pour le philosophe, il y a un éternel retour, mais ce n’est pas cela qui dessaisit l’existence humaine de toute signification.

Henri Peña-Ruiz, Grandes légendes de la pensée (extrait, 2015)


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Méditer encore…

SEYS : Le lit de Procuste, ce mythe grec qui nous met en garde contre notre propension à la standardisation

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[RTBF.BE, Les mythes de l’actu, 11 juillet 2022] Si l’Antiquité grecque et romaine nous a légué des mythes célèbres, comme celui du cheval de Troie, de la pomme de la discorde ou encore celui de Cassandre, il existe également des légendes grecques moins connues et pourtant tout aussi criantes d’actualité. Parmi celles-ci, la légende du lit de Procuste, un tortionnaire grec, qui mutilait ses victimes pour que les corps de celles-ci correspondent à un certain standard : la taille du lit qu’il leur proposait.

Il y a des lits doux, confortables et moelleux desquels il est difficile de se lever… Il en existe d’autres bien moins accueillants, devenant même un outil de torture. Et c’est le cas du lit de Procuste. Procuste, c’est le surnom donné à un brigand de l’Attique, qui habitait le long d’une route et proposait l’hospitalité aux voyageurs de passage, les faisant dormir dans les deux lits qu’il possédait, un grand et un petit, deux lits qui allaient lui donner la mesure de ces crimes. Ce brigand se nommait Polypémon, qui signifie “le très nuisible”. Voici déjà un premier avertissement aux pauvres voyageurs qui osaient s’aventurer chez lui.

Et la torture que leur réservait Polypémon, ce n’est pas de dormir sur de la mauvaise literie. Le brigand offrait aux voyageurs de grande taille le petit lit et, inversement, il proposait le grand lit aux voyageurs de petite taille. Et comme il avait la manie de l’exactitude, Polypémon écartelait les voyageurs de petite taille pour que leurs membres atteignent les dimensions du grand lit, tandis qu’il coupait les membres qui dépassaient du petit lit. C’est ainsi que Polypémon – dont le nom ne lui conférait déjà pas une grande sympathie – fut surnommé “Procuste”, qui signifie “celui qui martèle pour allonger“.

Des tortures que connaîtra Procuste lui-même, puisqu’il sera tué par Thésée. En effet, dans La vie de Thésée, Apollodore nous raconte que le sixième exploit de Thésée fut de tuer Procuste de la même manière que ce dernier assassinait ses victimes : Thésée allongea Procuste sur un lit trop petit eu égard à sa taille et lui trancha la tête.

© DR

Cette légende sanglante a été maintes fois commentée, de Socrate à Edgar Poe, de Ernst Jünger à Aldous Huxley, afin de nous mettre en garde à ne pas céder au fantasme qui consiste à classer, à enfermer, à adapter le réel selon nos biais cognitifs, en réduisant l’infinie richesse d’exemplaires, étant chacun unique en son genre, à un modèle standard, à une seule façon de penser et d’agir, quitte à couper tout ce qui dépasse pour le faire rentrer dans la case souhaitée.

Chronique de Pascale SEYS, éditée par Céline Dekock


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Plus de presse…

L’énigme du professeur Moreau

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“Voici Œdipe et le Sphinx (1864) plantés dans une verticale escarpée. L’étrange face-à-face fait penser à une carte à jouer. Une diagonale fuse le long des crêtes pour bien séparer les ailes déployées du monstre et le fier randonneur ancré dans la pierre. Venu d’un étroit défilé, Œdipe s’appuie sur sa lance décorée d’un brin de laurier. Chapeau dans le dos, l’air supérieur, le pèlerin toise la sphinge d’une moue méprisante. Accoudé à la roche, il a le masque sévère. Son profil fait penser aux médailles de Pisanello avec lesquelles il ne faut pas trop discuter.

Pourtant, la sphinge absorbée l’étreint. Tenterait-elle de lui parler ? Ce monstre poupon ressemble à une princesse amourachée, sortie du château pour la première fois. Son visage est éclatant, la poitrine adolescente. Son nom Sphiggein en grec signifie serrer, étouffer. Ses petons de féline – délicatement posés sur le torse d’Œdipe – atténuent l’étymologie. Les griffes sont juste sorties pour s’accrocher, ne pas tomber. La bête est coquette : diadème sur le chef, collier de cornaline autour de son corps de lion. Elle déploie à l’instant tout l’argent de ses plumes. Pense-t-elle à s’envoler ? Son Kouros indifférent n’a pas l’air partant, sa lance pique le chemin de pierre.

© Metropolitan Museum of Art

En marge du face-à-face, un autre personnage est plus franchement cloué au sol. Échoué dans ce premier plan affaissé, son pied émerge des rochers. On aperçoit aussi sa pourpre, sa couronne, sa main. Ce souverain chu, quasi-déchu, saisit encore la pierre, s’agrippe au tableau. A-t-il fait une sortie de route ? Il n’a pas dû voir cette “borne” sur le bas-côté… La colonne est pourtant bien colorée. Un curieux serpent s’y enroule, conduit les regards jusqu’à ce vase Piranesi, orné de quatre griffons qui montent la garde. Juste au-dessus, un papillon trompe leur vigilance et s’envole vers la montagne aux lauriers.

À ce moment de la peinture, Œdipe ne sait rien de son vrai père Laïos, roi de Thèbes. Un souverain au CV peu glorieux qui, à 18 ans, a violé le fils du roi de Corinthe et déclenché la colère des dieux : “Si tu as un fils, il sera ton assassin et l’amant de Jocaste” lui dit l’oracle. Précautionneux, Laïos fait pendre son fils en forêt, par ses chevilles percées. Mais le bébé est vite décroché par le berger du roi de Corinthe. Ce souverain adoptif le baptise Œdipe ou pieds enflés. Bien plus tard, Œdipe surprend un ragot de cour contestant ses origines. Filant à Delphes pour vérification, l’oracle lui répond : “Tu tueras ton père, tu coucheras avec ta mère.” Beau programme.

Errant sur les routes, Œdipe croise alors le carrosse du roi de Thèbes – ce père inconnu – qui doit aussi voir l’oracle pour solutionner une histoire de sphinge. Sur la chaussée trop étroite, on s’échauffe : Œdipe se fait gifler avant de répliquer généreusement en tuant Laïos. Poursuivant sa route, il croise le Sphinx aux portes de Thèbes. Sur la toile de Moreau, la monstresse a pris les devants et s’est avancée jusqu’au lieu du carambolage père-fils. A-t-elle déjà prononcé la fameuse énigme qui terrorise la ville : “Quel est l’être doué de la voix qui a quatre pieds le matin, deux à midi et trois le soir ?” Possible.

La sphinge n’est pourtant pas venue en terroriste. Sur le Sphinx vainqueur (1888) ou Œdipe voyageur (1888), ses victimes s’étalent partout. Ici, rien. Le roi presque mort n’est pas son œuvre. Alors c’est autre chose qui doit se jouer dans ce face-à-face. Pour nous mettre sur la voie, Moreau laisse un indice, écrit en 1864 : “Voyageur à l’heure sévère et mystérieuse de la vie, l’homme rencontre l’énigme éternelle qui le presse et le meurtrit. Mais l’âme forte défie les atteintes enivrantes et brutales de la matière et, l’œil fixé sur l’idéal, il marche confiant vers son but après l’avoir foulée aux pieds.” Encore une énigme ! Celle-ci est proche d’un sujet de philosophie, symboliste. Avis aux regardeurs : le professeur Moreau ramasse les copies à la fin de l’heure.

Selon le peintre, son Œdipe marcherait confiant. Pourtant, à bien observer sa moue, on s’interroge. Est-il si sûr de lui ? Si dominateur ? Une fois passée la première impression, sa bouille questionne. À noter aussi ce contrapposto hésitant, qui maintient la Sphinge à distance… Œdipe a pourtant de quoi être fier. Il vient de renvoyer papa sous la litière. Ce Laïos qui l’a mutilé, pendu par les pieds, retourné vers la matière. Œdipe, est notre esprit en éveil, mutilé par l’ego, puis révolté. Au retour de Delphes, sur le chemin de la vérité et des lauriers d’Apollon, il défie “les atteintes enivrantes et brutales de la matière“. Il tue l’ego, foule aux pieds celui qui l’a empêché de s’élever.

Et maintenant ? Œdipe a “l’œil fixé sur l’idéal”. La sphinge, symbole de la volonté humaine, la marche de la vie mue par l’intelligence. Sa cornaline pourrait d’ailleurs symboliser l’énergie, la détermination. Elle bondit sur lui. Voudrait-elle l’empêcher d’aller plus loin ? C’est paradoxal, lui qui “marche confiant vers son but” : Thèbes, ville des instincts. Un figuier planté à l’autre bout du tableau indiquerait la route à suivre, la plante étant parfois un symbole du fruit défendu dans les représentations de la chute de l’Homme. Et que dire du serpent ? Ce mini-Python qui rampe sur terre, qui siffle ces choses si peu élevées. Mais les griffons qui surplombent le vase ne le laisseront pas grimper. Pour s’élever vers les lauriers d’Apollon, il faut se transformer, façon papillon.

À cet instant, Œdipe a toute la carte en main. Alors que va-t-il faire ? Se transformer ou ramper ? Malheureusement, on connaît la suite. Monsieur pieds enflés va répondre à l’énigme de la marche, la sphinge va se jeter de la falaise et la volonté s’émousser. Œdipe va piétiner son but premier : s’élever. Bientôt roi de Thèbes, il épousera Jocaste et finira les yeux crevés à force de n’avoir pas vu la vérité. Il aurait dû mieux regarder la sphinge. Mais pas dans les yeux… À gauche du sein lumineux, un avertissement serait-il caché parmi les plumes ? Le profil d’un aigle qui semble lui manger le foie se dessine, comme un clin d’œil piquant à Prométhée, autre symbole de l’ego enchaîné au matériel. Picoré par la vérité, l’ego finit toujours par repousser. Voyez Laïos qui s’agrippe encore à la roche… Un joueur de cartes appellerait ça une mauvaise main.” (lire l’article complet sur BEAUXARTS.COM)


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Plus d’arts visuels…

DIEL P., Le symbolisme dans la mythologie grecque (Paris : Payot, 1952) : Héraclès, vainqueur de la Banalisation

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Giambologna : Héraclès luttant contre le Centaure Nessus (Florence, 1599) © Robert Harding

[…] Le vainqueur du groupe des héros menacés de banalisation est Héraclès [ou Hercule].

Il est descendant de Persée du côté paternel aussi bien que maternel. Amphitryon, son père, est fils de Persée, tout comme Électrion, père de la mère du héros, Alcmène. Mais, de plus, sur le plan symbolique, Héraclès, tel Persée, est descendant de Zeus. Suivant la fable, Zeus s’est uni à Alcmène en prenant figure d’Amphitryon.

Dans le mythe de Persée, le symbolisme de la descendance de Zeus fut complété par l’oracle, destiné à exposer la situation essentielle du héros et son destin. Dans l’histoire d’Héraclès, l’oracle se trouve remplacé par un trait symbolique qui n’est pas moins significatif pour le sort futur du héros.

Héra se montre jalouse des faveurs accordés par Zeus à une femme terrestre. La déesse demeure hostile à l’enfant né de cette union. Son acharnement contre Héraclès est le point central qui détermine tous les détails de la fabulation et qui renferme, par là même, la clef de la traduction.

Avant d’entrer dans l’explication des détails, il importe donc de voir ce que signifie cette constellation de motifs centraux : la jalousie d’Héra et la querelle qui éclate entre Zeus et son épouse à l’occasion de la naissance d’Héraclès.

Les divinités étant des idéalisations de qualités humaines, leurs attitudes, en l’espèce l’infidélité de Zeus et la jalousie d’Héra, doivent être en rapport avec les qualités de l’âme humaine. Or, Zeus est la suprême idéalisation du père mythique, symbole de l’exigence spirituelle, et son amour pour une femme terrestre fait de lui le « père » d’un héros, vainqueur mythique. Chez les Grecs, l’image de l’union de la divinité-esprit avec la femme mortelle revêt l’aspect d’une infidélité, parce que la narration représente cette union sous une forme charnelle. (Le sens profond du symbolisme de la filiation apparaît en toute clarté à partir du mythe chrétien où le héros-vainqueur est, sur le plan mythique, fils de la divinité-esprit et de la mère-vierge, ce qui élimine toute allusion à la fécondation charnelle.)

Tout comme l’infidélité de Zeus, la jalousie d’Héra se rapporte, suivant le sens caché, à des qualités de l’âme humaine. Zeus représente la qualité suprême : l’esprit de l’homme et sa puissance fécondatrice ; Héra préside à l’amour affectif et son image inclut un trait psychologique : l’exigence de l’affection féminine, jalouse de la fécondité spirituelle ressentie comme une trahison. Un motif mythique résume ce trait en racontant la punition infligée à Héra pour sa jalousie querelleuse : Zeus la suspend à une chaîne d’or entre Ciel et Terre. La déesse demeure ainsi attachée par la chaîne d’or (symbole de sublimité) à la sphère spirituelle, tout en s’en trouvant exclue. On peut, en effet, dire de l’amour affectif qu’il est suspendu entre ciel et terre, entre le sublime et le terrestre, et ce n’est qu’en se purifiant de toute forme de jalousie que l’amour trouve sa forme parfaitement sublime. Le mythe dit alors d’Héra qu’elle est de nouveau admise dans le ciel de l’esprit.

C’est cette opposition entre Zeus et Héra, entre la force de l’esprit et le don de l’amour, qui se reflète dans le mythe d’Héraclès et qui déterminera le sort du héros.

Fils mythique de Zeus, Héraclès est prédestiné à être vainqueur sur le plan essentiel. Il est héritier de la force d’esprit, et à cet égard le mythe le représente doté d’une force de beaucoup supérieure à celle des autres mortels. Mais Héraclès n’est pas fils d’Héra : privé du don de la déesse, il demeure toute sa vie rebelle à la liaison d’âme, seule capable de sublimer l’impétuosité du désir sexuel. La querelle qui, sur le plan symbolique, éclate entre Zeus et Héra au sujet d’Héraclès est donc représentative pour un conflit réel qui se livre pendant toute sa vie dans l’âme du héros : le conflit entre la puissance exceptionnelle de son élan spirituel et son penchant pour la dépravation sexuelle, trait le plus fréquent de banalisation. On verra que toutes les autres formes du pervertissement se trouvent exclues du caractère d’Héraclès, ce qui, d’une part, le laisse apparaître comme investi de forces surhumaines et ce qui, d’autre part, ne souligne que davantage la difficulté de son combat contre sa faiblesse, des plus humaines. Celle-ci apparaît sur le plan de la narration comme une manifestation de sa force débordante, d’où l’erreur qui exclut de son image toute imperfection.

Le fait que le dérèglement affectif, symbolisé par l’inimitié d’Héra, est l’unique source de faiblesse du héros se trouve souligné par divers épisodes symboliques qui s’étendent sur l’enfance et l’adolescence du héros et qui, complétant l’exposition de sa situation essentielle, le montrent en triomphateur de la vanité et de la tendance dominatrice.

Enfant, Héraclès étrangle deux serpents qui s’approchent de son berceau. La force qui permet au fils préféré de l’esprit-Zeus de résister à la vanité, déformation de l’esprit, est innée. L’enfant est allaité par Athéné. Il boit si avidement que le lait jaillit, ce qui est donné comme origine de la voie lactée. Les étoiles sont symboles de la vie sublime. Tout un monde de sublimité surgira de l’élan inné du héros, nourri dès l’enfance par la combativité spirituelle dont le symbole est Athéné. Suivant une autre version, non moins significative, Héra donne par erreur le sein à l’enfant. Il ne parvient qu’à tirer quelques gouttes, avant que la déesse le reconnaisse et le repousse. Mais il a quand même profité du don d’Héra, de la nourriture d’âme : il surmontera sa faiblesse initiale.

Le fait que la tendance dominatrice, la tyrannie exercée à l’égard du monde (qui s’ajoute habituellement, chez les héros menacés de banalisation, à la débauche, à la tyrannie des désirs sexuels) ne jouera pas un rôle déterminant dans l’histoire d’Héraclès se trouve figuré par un thème symbolique dont le développement déroule toute la perspective du problème : Zeus décide de donner au monde un souverain juste et fort, ordonnateur de la vie. Le dieu suprême jure que ce rôle échouera à celui qui naîtra au moment précis que lui, roi du destin, se réserve de fixer d’avance. Or, le moment précis fixé par Zeus est l’heure prévue pour la naissance de son fils Héraclès. Celui-ci apparaît ainsi comme prédestiné par l’esprit à établir sur terre le règne de la justice. Cependant, le souverain juste ne pourrait être que l’homme le plus exceptionnel parmi tous, réunissant en lui les dons de Zeus et d’Héra, la force d’esprit et l’équilibre de l’âme.

L’inimitié d’Héra s’oppose à la volonté de Zeus, et, pour déjouer son dessein, la déesse retarde la naissance d’Héraclès. A l’heure prévue naît Eurysthée, homme sans histoire héroïque, figuration du règne conventionnel. Zeus est lié par son verdict ; Eurysthée reçoit le règne, et Héraclès ne sera que son serviteur. Tant que ne sera pas réalisée l’exigence d’Héra, tant que l’âme humaine demeurera soumise au dérèglement affectif, le monde continuera à vivre sous le joug de la banalité. Héraclès, le héros prédestiné par l’esprit-Zeus à ordonner la vie, mais exposé par la disgrâce d’Héra à la menace de se banaliser, demeurera assujetti au règne extérieur de la convention banale. Il sera appelé à mener individuellement et anonymement son combat de libération. (Le thème de « l’envoyé de l’esprit » rappelle une symbolisation analogue dans le mythe chrétien. Le héros-vainqueur qui réalisera l’accomplissement ne régnera pas réellement sur le monde. Son règne ne sera pas de ce monde. Il ne sera souverain que sur le plan essentiel. Ordonnateur spirituel de la vie, il sera appelé « la Lumière du monde».)

Devenu adolescent, Héraclès est averti par l’oracle d’Apollon, divinité de la sagesse, qu’il doit se garder de détrôner Eurysthée. Or, la fable précise qu’Héraclès est frappé de cette interdiction à cause de son crime contre Mégare, crime qui est, on le verra, le signe indubitable de son manque de maîtrise de soi. L’oracle d’Apollon, la voix de la sagesse, lui enseigne donc de chercher à dominer non pas le monde mais sa propre faiblesse. Bien qu’Eurysthée soit souverain contre la volonté même de l’esprit, Héraclès, conseillé par le dieu qui préside à l’harmonie des désirs, doit éviter de se laisser entraîner dans des· combats extérieurs qui ne pourront que le détourner de la lutte héroïque contre l’ennemi essentiel : sa propre insuffisance. Tant qu’il combattra plutôt Eurysthée que sa propre imperfection qui l’a exclu du règne, il ne sera lui-même qu’usurpateur. Il n’accomplira pas son destin en dominant le monde, mais en maîtrisant ses désirs.

Héraclès ne se soumet pas d’emblée à ce présage. Une représentation mythique le montre, essayant d’arracher à Apollon son trépied. Le héros ne peut être en conflit avec le dieu delphien, il ne peut vouloir le destituer de l’insigne de sa sagesse prévoyante, qu’en raison de l’oracle le concernant. L’image laisse entrevoir que ce n’est pas sans combat contre la voix de la sagesse (qui, en réalité, parle en lui-même) qu’Héraclès a accepté le conseil apollinien. L’histoire du héros montre qu’il a su renoncer à la tentation dominatrice, et c’est en état de servitude à l’égard d’Eurysthée que le héros accomplira ses travaux, symbole de purification. En vue d’exprimer que le penchant dominateur n’est plus son danger, Héraclès, sous l’aspect de combattant de l’esprit, sera représenté revêtu de la peau du lion vaincu. Tandis que le taureau symbolise la force brutale de la tendance dominatrice, le lion en figure la férocité mais aussi l’allure majestueuse. La peau du lion tué devient significative de la victoire sur la tentation de domination perverse. Cette même signification se trouve exprimée par les attributs d’Héraclès purificateur. L’arme dont il se sert est l’arc apollinien qui envoie les flèches, symbole des rayons solaires. La blessure causée par ses flèches est inguérissable : elles sont trempées dans le sang de l’hydre, monstre tué par Héraclès et qui symbolise, on le verra, un aspect de la banalisation. Mais l’attribut prédominant d’Héraclès est la massue, l’arme qui, maniée par le héros-purificateur, devient l’insigne de l’écrasement de la tendance dominatrice et des monstres qui la figurent.

Il semble qu’il soit devenu parfaitement clair qu’il importe de distinguer deux aspects du symbole “Héraclès” : le héros, fils de Zeus, combattant de l’esprit, et l’homme marqué par la disgrâce d’Héra, menacé de banalisation sous forme de débauche.

Le trait le plus caractéristique du héros ; vainqueur du serpent dès l’enfance, est qu’il n’exalte pas vaniteusement son élan de combativité spirituel et qu’il ne le transforme pas en agressivité extérieure. C’est précisément pour cette raison qu’il sera apte à s’attaquer à sa propre faiblesse initiale et à la surmonter. Assujetti aux conditions imposées par le milieu ambiant (Eurysthée), Héraclès doit accomplir sa libération essentielle et intérieure. Ce qui importe d’après la sagesse de l’oracle, ce n’est pas la révolte contre Eurysthée, mais la réconciliation avec Héra. Les combats mythiques, affrontés par le héros en vue de son propre affranchissement, dépassent de loin cette portée individuelle ; ils possèdent la valeur exemplaire la plus authentique. La situation intrapsychique ainsi mise en relief est une des plus typiques qui soient, bien que le conflit entre l’esprit et le débordement sexuel se passe généralement sur le plan le plus secret de l’exaltation imaginative et ne trouve la plupart du temps que des pseudo-solutions banales et conventionnelles. Le mythe d’Héraclès isole le conflit afin d’en souligner l’ampleur, mais il le lie également par toutes ses ramifications à la constellation psychique entière (déterminée par l’ensemble des pulsions), ce qui permet d’en dégager la solution essentielle. Selon l’intention profonde du mythe, Héraclès est ainsi non seulement un symbole de la libération individuelle ; il devient le héros purificateur par excellence, grâce à sa force exceptionnelle et exemplaire qui lui permet d’exterminer à lui seul plus de fléaux et de monstres (symboles des vices) que n’importe quel autre héros, en accomplissant les travaux imposés, figuration de la difficulté de son combat libérateur.

La narration entremêle les deux aspects du symbole “Héraclès” : le héros purificateur et l’homme défaillant fréquemment victime de sa faiblesse. Afin d’éviter la confusion, il est indispensable de séparer le plus clairement possible ces deux thèmes du mythe et de les envisager l’un après l’autre. Ce n’est qu’ainsi qu’il deviendra possible de comprendre leur fusion finale dans le symbolisme de la victoire.

Les exploits d’Héraclès, illustration de son élan spirituel, indiquent d’une manière symbolique sa lutte inlassable contre les perversités des pulsions corporelles : tyrannie et débauche. Dans tous ces combats symboliques, Héraclès reste vainqueur. Ses défaites, par contre, ne sont racontées qu’en marge de la symbolisation : elles n’ont qu’un caractère épisodique, réel et passager, et ne forment dans le mythe qu’un arrière-plan destiné à illustrer plus spécialement la faiblesse à vaincre. Les victoires symboliques d’Héraclès se trouvent condensées dans des travaux au nombre de douze qui possèdent tous une signification purificatrice.

Héraclès étouffe le Lion de Némée, et il dompte le Taureau de Crète, symboles à signification suffisamment relatée. Il capture vivant le Sanglier d’Erymanthe, symbole clair de la débauche effrénée (porc sauvage), ce qui indique qu’avant son triomphe final sur son imperfection la plus caractéristique, le héros s’est déjà montré, à l’occasion, capable sinon de la « tuer », du moins de la dominer. Héraclès affronte victorieusement les Amazones, symbole représentatif de l’un des deux aspects du choix néfaste qui concerne nécessairement soit la femme trop nerveuse, soit la femme trop banale. Or, les Amazones sont symboliquement caractérisées comme “femmes-tueuses d’homme” : elles veulent se substituer à l’homme, rivaliser avec lui en le combattant au lieu de le compléter. Puisque tout symbolisme se rapporte à la vie de l’âme, l’Amazone, tueuse-d’âme, ne peut être que la femme rivalisant d’une manière malsaine (hystérique) avec la qualité essentielle qui seule intéresse le mythe : l’élan spirituel. Cette rivalité épuise la force essentielle propre à la femme, la qualité d’amante et de mère, la chaleur d’âme. Il est pourtant des femmes dont la force spirituelle dépasse tout naturellement celle de la majorité des hommes. L’exclusivité du choix ne prend de l’importance que chez l’homme ou la femme doués de qualités qui dépassent la norme et qui pour se déployer demandent la complémentarité, et, ce que le mythe stigmatise par le symbole « Amazone » (ce que la femme névrosée réalise), c’est l’absence de la qualité spécifiquement féminine et la prédominance d’une rivalité exaltée, purement imaginative, avec la qualité masculine. Le symbole “Héraclès, vainqueur de la reine des Amazones”, exclut de l’histoire du héros attiré par la banalisation, l’attrait envoûtant d’un type féminin qui est plus généralement le danger des héros sentimentaux.

La plupart des travaux d’Héraclès symbolisent d’une manière plus générale la lutte contre la banalisation.

Héraclès nettoie les écuries d’ Augias, symbole du subconscient. La boue indique la déformation banale. Le héros fait passer le fleuve Alphé au travers d’écuries immondes, ce qui est un symbole de purification ; il emmène les bœufs luisants, symbole de sublimation. Le fleuve est symbole de la vie qui s’écoule, et ses accidents sinueux figurent les événements de la vie courante. Le symbole « fleuve » fait partie du symbolisme de l’eau dont les deux autres aspects sont l’immensité de la mer et le marais stagnant. La boue excrémentielle est une variante du marais. Irriguer l’écurie par le fleuve signifie : purifier l’âme (le subconscient) de la stagnation banale grâce à l’activité vivifiante et sensée, afin de libérer les boeufs luisants, donc pour atteindre la vie sublime. [Il peut être rappelé que l’ensemble du symbolisme de l’eau est plus vaste encore : le soleil (esprit) fait que l’eau de la mer s’évapore : il sublime la vie. Évaporée, l’eau se condense en nuage et retombe sur terre sous forme de pluie fécondatrice. Par l’intermédiaire du soleil, l’ensemble du symbolisme de l’eau se trouve lié à celui du feu sous ses formes significativement correspondantes : illuminante (luisante), utilitaire ou dévorante.]

Héraclès tue l’Hydre de Lerne, serpent à têtes multiples qui repoussent à mesure qu’on les coupe. Les multiples têtes du monstre à corps de serpent figurent les vices multiples (tant sous forme d’aspiration imaginativement exaltée que d’ambition banalement active), vices dans lesquels se “prolonge” le “corps” du pervertissement, la vanité. Vivant dans le marais, l’Hydre est plus spécialement caractérisée comme symbole des vices banaux. Tant que le monstre vit, tant que la vanité n’est pas dominée, les têtes, symbole des vices, repoussent, même si, par une victoire passagère, on parvenait à couper l’une ou l’autre. Pour vaincre le monstre, Héraclès doit au glaive, l’arme de la combativité spirituelle, adjoindre le flambeau qui sert à cautériser les blessures, afin qu’une fois coupées, les têtes ne puissent plus repousser. Le flambeau est symbole de purification sublime.

Le héros s’attaque ensuite à Géryon, géant à trois corps, indice des trois formes de perversité : vanité banale, débauche et domination. Cette même signification se trouve exprimée d’une façon plus explicite par le combat contre Antée. C’est l’Anti-Dieu, l’adversaire de l’esprit, symbole clair de banalisation. Ses forces renaissent chaque fois que, vaincu et trébuchant, il touche la terre. L’image représente les désirs banaux qui, à chaque nouveau contact avec la « terre » (en tant que celle-ci est figurative des jouissances terrestres), s’exaltent imaginativement et récupèrent une nouvelle vigueur de passion et d’activité banale. Le héros vaincra Antée en l’écrasant dans ses bras, alors qu’il le soulève du sol, ce qui est une image de sublimation.

Héraclès tue Diomède, qui jette en pâture à ses chevaux les hommes tombés entre ses mains. Le cheval étant symbole de la perversité, les chevaux mangeurs d’homme figurent la perversité qui dévore l’homme : la banalisation, cause de la mort de l’âme.

Avec ses flèches, symboles de spiritualisation, le héros chasse les Oiseaux du lac Stymphale. Leur vol obscurcit le soleil. Tel le marais, le lac est symbole de stagnation. Les oiseaux qui s’élèvent du lac sont une figuration de l’envol des désirs pervers et multiples. Sortis du subconscient où ils stagnent, entrés en état d’exaltation imaginative, les désirs multiples se mettent à voltiger, et leur affectivité perverse finit par obscurcir l’esprit.

Héraclès, après avoir poursuivi toute une année la Biche aux pieds d’airain, finit par l’attraper vivante. Cet exploit, qui semble le plus facile, lui coûte le plus d’effort et de temps. La biche, tel l’agneau, symbolise la qualité d’âme opposée à l’agressivité dominatrice. Les pieds d’airain, lorsqu’ils sont attribués à la sublimité, figurent la force de l’âme. L’image représente la patience et la difficulté de l’effort à accomplir pour atteindre la finesse et la sensibilité sublime ; et elle indique également que cette sensibilité sublime (biche), bien qu’opposée à la violence, se trouve être d’une vigueur exempte de toute faiblesse sentimentale (pieds d’airain). Cette même signification de difficulté de la sublimation adhère au symbolisme des Pommes d’or des Hespérides. Afin de les trouver, le héros doit aller jusqu’à l’autre bout du monde. La pomme est symbole de la terre, des désirs terrestres, et l’or est le symbole de la sublimation des désirs. Dans sa dernière tâche, Héraclès dompte le Cerbère, le chien-gardien du Tartare. Le symbole a trouvé son explication à l’occasion de la traduction du mythe de Thésée.

Le récit fabuleux des victoires d’Héraclès est complété et contrasté par divers épisodes qui content l’histoire de ses défaillances. Mais le caractère défaillant du héros se trouve, de plus, exprimé par une image symbolique qui recouvre l’ensemble de ses inconduites. Cette compression symbolique représente Héraclès, adversaire séduit par Dionysos. Le héros se laisse entraîner à abuser du vin offert par le dieu-séducteur et lui lance un défi de démontrer lequel des deux, en buvant, résistera le plus longtemps. Vaincu, Héraclès est contraint de suivre un certain temps le cortège de Dionysos, expression symbolique de ses chutes périodiques. Héraclès-buveur et même ivrogne ainsi que le motif plus clair encore, Héraclès outrageant des femmes, sont des sujets fréquents de la représentation artistique. Les images “Héraclès-ivrogne” et “Héraclès-jouisseur” possèdent une signification identique. Le symbole de l’insatiabilité dionysiaque abrite la signification de l’homme débauché. Le vin étant symbole de force d’âme et de vigueur de vie, l’incontinence figure la faiblesse initiale du héros et son incapacité de liaison d’âme et de choix juste.

Symboliquement illustrée par sa défaite devant le dieu-séducteur, l’insatiabilité dionysiaque du héros se réalise par des chutes répétées dont les plus importantes se trouvent résumées par son attitude à l’égard de trois femmes : le crime contre Mégare ; la déchéance dans son aventure avec Omphale ; et l’infidélité à l’égard de Déjanire.

Adolescent, Héraclès épouse Mégare. Héra le frappe de folie furieuse. L’image de la folie « envoyée par Héra » indique que c’est la liaison qui le rend furieux. L’absence du don d’Héra lui fait ressentir tout lien comme une contrainte insupportable, son insatiabilité le rend rebelle à la liaison au point que, dans un accès de fureur, Héraclès détruit le mobilier, incendie la maison et ne recule pas devant le crime abject de tuer ses propres enfants avant d’abandonner sa femme. La nature de l’imperfection du héros, symbolisée par l’inimitié d’Héra, ne pourrait guère trouver une illustration plus saisissante. Toute la vie future d’Héraclès ne sera que l’expiation de ce crime.

CAVALLINO Bernardo, Hercule et Omphale (c. 1640) © The National Museum of Western Art (JP)

Cependant, devenu adulte, dans la force de l’âge, après l’accomplissement de maints travaux purificateurs, déjà revêtu de la peau du lion, insigne de sa combativité victorieuse, Héraclès succombe de nouveau à la tentation, qui, cette fois, pour ne plus être de nature dionysiaque et pour ne plus trouver un dénouement criminel, conduit le héros dans la banalisation sous sa forme la plus plate, voire même ridicule. Héraclès devient esclave d’Omphale. Le mythe montre comment le héros, subjugué par le charme de sa maîtresse, tombe dans la plus odieuse bassesse. L’ascendant que la femme banale prend sur l’esprit d’Héraclès l’avilit à tel point qu’il accepte avec soumission les plus dégradantes brimades. Tandis que, pour se travestir et pour se moquer de son soupirant, Omphale revêt la peau symbolique du lion et s’empare de l’arme héroïque, de la massue, Héraclès, assis à ses pieds et paré d’une robe orientale (ce qui rappelle le bonnet phrygien de Midas) s’essaie à filer la laine tout en supportant avec béatitude les caprices et le mépris de son amante qui s’amuse à le souffleter de sa sandale. [Si l’aventure n’était pas d’un style trop réaliste, on serait tenté d’introduire le symbolisme “pied-âme”. La sandale symboliserait la trivialité de l’âme d’Omphale et les soufflets exprimeraient le sort général infligé par l’âme de la femme banale à l’âme de l’homme qui subit son emprise.] Quoi qu’il en soit, l’image dans son ensemble représente la défaite complète du “disgracié d’Héra” qui sombre dans la débauche écrasante et épuisante.

Héraclès subit l’emprise de maintes autres femmes. Mais toutes ses aventures, sa vie entière, sa faiblesse et sa force se trouvent résumées dans l’épisode final qui rapporte l’amour du héros pour Déjanire. Aussi le mythe abandonne-t-il le mode d’expression à prédominance allégorique qui a pu suffire pour les épisodes précédents. Ayant souligné par le relâchement de sa forme d’expression l’importance accessoire des défaillances passagères, la fabulation mythique dans l’histoire décisive de Déjanire s’élève de nouveau à la précision voilée et à la profondeur significative qui ne sont propres qu’à l’image de nature symbolique et à double entente. L’épisode terminal se trouve être, à un certain égard, le pendant de l’aventure de l’adolescence. Dans les deux cas, Héraclès se lie à la femme de son choix en l’épousant. Le crime contre Mégare est l’illustration la plus parfaite de l’incontinence ; l’amour pour Déjanire sera l’ultime élan vers une libération, déjà préparée par les travaux expiatoires. La liaison avec Déjanire acquiert ainsi dans l’ensemble du mythe une importance dominante : la signification d’une épreuve susceptible de démontrer -par la réussite ou par l’échec- si la force combative du héros est enfin parvenue à surmonter la malédiction qui plane sur son sort, la faiblesse qui a fait de lui l’esclave d’Omphale : l’incontinence, cause de son crime contre Mégare.

Cette portée mythiquement profonde de la liaison terminale, la signification d’une épreuve du héros qui résume toute sa vie, se trouve soulignée par un trait symbolique : pour conquérir Déjanire (la vierge), le héros doit la disputer à Achéloüs. Or, Achéloüs est la personnification d’un fleuve ; il figure donc la vie courante, la vie qui s’écoule : il est le symbole de la vie passée du héros. Rien de plus significatif à cet égard que le fait qu’Achéloüs, au cours du combat, se transforme en serpent et en taureau. Vainqueur de la vanité et de la domination tout au long de sa vie, Héraclès est suffisamment armé pour triompher de l’adversité qui s’oppose à son union avec Déjanire. Mais saura-t-il rester fidèle à lui-même et à sa victoire, c’est-à-dire au choix qui est le sien ? Il est plutôt de mauvais augure qu’ Achéloüs ne soit vaincu que sous la forme du serpent et du taureau.

Et, en effet, le motif du fleuve-obstacle se répète sous une autre forme, révélant clairement le péril qui depuis toujours menace le héros, péril qu’il n’a pas vaincu en Achéloüs (c’est-à-dire : au cours des combats qui marquent sa vie) et qui ne tardera pas à menacer la nouvelle union.

Emmenant Déjanire, Héraclès est obligé de traverser une large rivière. Gagner l’autre rive du fleuve-obstacle est symbole du changement de position essentielle dans la vie, de transformation de l’attitude perverse en attitude sublime. Or, pour traverser le fleuve, Héraclès se fait aider par le Centaure Nessus qui prend Déjanire sur son dos. Toute la situation est déterminée par ce symbole : le Centaure qui apporte son secours à la traversée du fleuve-vie, représente le danger banal qui accompagne le héros à travers toute sa vie. Endommagées, ses forces d’âme ne suffisent pas pour porter à la rive de la sublimité la femme choisie. Mais l’image montre, de plus, que Déjanire, elle aussi, ne peut de ses propres forces traverser l’épreuve symbolique. Elle saura moins encore remplir la tâche sublime, sens de la liaison qui consisterait à soutenir l’âme défaillante du héros par son amour confiant. Portée par la banalité, par Nessus, Déjanire est d’un trait caractérisée comme femme banale. Le choix définitif du héros est faux. Héraclès a su vaincre l’Amazone ; il succombe à la séduction de Déjanire qui se révélera également -mais à sa manière et dans un autre sens- comme une « tueuse-d’âme ».

Le danger qui guette le couple se trouve précisé par le développement de la situation caractérisée par l’aide du Centaure : Nessus s’apprête à violer Déjanire. C’est encore la banalité sous forme de débauche qui menace de souiller la liaison. Héraclès, ayant gagné l’autre rive (symbole de l’accomplissement sublime), se défend contre la traîtrise du Centaure (danger persistant de banalisation) à l’aide de ses flèches, arme de sublimité. Mais cette victoire tardive sur le monstre auquel le héros s’est imprudemment confié au lieu de le combattre ne saura plus définitivement éliminer le péril. Nessus parvient à préparer sa revanche. Il trempe dans son sang une tunique (il la pénètre de l’essence même de la banalité) et l’offre à Déjanire, promettant que, le jour où elle perdrait l’amour de son époux, elle pourrait le reconquérir en lui faisant porter cette robe. Peu confiante à l’égard de sa propre force d’attraction sublime et, partant, à l’égard de la fidélité d’Héraclès, dupe de la promesse de la banalité, Déjanire accepte le présent.

La situation conflictuelle de cette aventure terminale se trouve ainsi clairement exposée : le héros a en partie surmonté sa faiblesse initiale ; il est parvenu au choix exclusif, preuve du désir devenu ardent de se libérer de l’insatiabilité grâce à la limitation libératrice. Mais la symbolisation prend surtout soin de mettre en relief -par tous les détails de l’histoire du Centaure- les trop nombreux traits négatifs dont le désir de libération demeure entaché malgré toute son ampleur. A la faiblesse partiellement persistante du héros correspond celle de Déjanire, qui, à peine sauvée de l’outrage banal, n’hésite pas à accepter le présent funeste, l’emportant tel un talisman. Héraclès et Déjanire (le héros combattant et la vierge à conquérir) se complètent plutôt par les indices de leur faiblesse que par leur force. Ils ne sauront remplir le sens de l’union : l’aimantation mutuelle de l’âme, susceptible de la revigorer. Dépourvue de son sens, l’union ne saura durer.

Le mythe se précipite vers le dénouement. Héraclès subit l’emprise d’une autre femme ; il tombe amoureux de Jole et Déjanire lui envoie la tunique. A peine Héraclès s’en est-il paré, que le venin dont elle est imprégnée commence son oeuvre. Son corps en est pénétré, et sa chair en est brûlée. Il voudrait arracher la robe, mais elle lui reste collée à la peau. La chair symbolise les désirs charnels. La chair brûlée par le venin symbolise les désirs charnels, enflammés et devenus passion (exaltation imaginative). Le sang venimeux du Centaure, caractérisé par sa tentative de viol, est le venin de la débauche. La passion « brûlante » dont Héraclès est victime après avoir revêtu la tunique est donc l’exaltation imaginative de sa perversion sexuelle. La tunique ne peut que transmettre son venin à celui qui la porte et, par là même, augmenter le vice initial d’Héraclès, sa tendance à la banalisation sous forme de débauche. Cet effet sera d’autant plus destructif que “la tunique gardée par Déjanire” est le symbole de l’insuffisance de la liaison. Déjanire, de toute évidence, envoie la tunique en souvenir, espérant qu’elle réveillera les imaginations de regret ; mais le symbole de l’insuffisance de son épouse ne peut qu’aiguiser les souvenirs d’aversions et enflammer davantage l’imagination vicieuse du héros. La confiance que Déjanire a mise dans le cadeau n’est que signe de l’étroitesse banale de son âme et de son esprit. Pénétré plus que jamais du vice, en proie à la passion qui brûle sa chair, à la corruption “qui colle à sa peau”, Héraclès n’abandonnera pas Jole pour revenir à son épouse Déjanire. L’effet est l’inverse de la promesse perfide du Centaure et de l’espoir crédule de Déjanire.

Cependant, l’effet est aussi contraire au désir de revanche du Centaure. Le monstre banal, vaincu par le héros, ne parviendra pas à devenir son vainqueur.

L’image qui montre Héraclès essayant d’arracher la tunique venimeuse représente l’excès du désarroi dans lequel l’a conduit son conflit intérieur. Portée à l’extrême, la situation initiale, le conflit déchirant entre l’insatiabilité de l’élan (le don de Zeus) et l’insatiabilité du vice (la disgrâce d’Héra et, partant, l’emportement dionysiaque), exige une solution, et c’est l’élan qui l’emporte. La menace de la plus lamentable défaite provoque le sursaut victorieux, préparé par toute une vie pleine de combats. Le héros ne veut pas rester enrobé par la banalité. Loin d’être séduisante, l’imagination vicieuse que le souvenir enflamme est aussitôt transformée en élan invincible, en l’appel tourmenteur de l’esprit, en culpabilité envahissante et brûlante. La robe de la banalité collée à sa peau ne parvient qu’à détruire sa “chair”, siège de sa faiblesse. L’âme indomptée du héros se désole de sa déchéance et c’est l’ampleur sans borne de son tourment qui fera surgir l’unique espoir de libération : la désolation le rend clairvoyant à l’égard de sa faute initiale ; elle dresse devant lui le “miroir de vérité”. En lui plus rien ne subsiste que le regret conscient de son imperfection, regret qui remplit son être tout entier. Il ne ressent plus rien que l’horreur de sa contre-nature perverse et banale. L’attrait de la débauche est entièrement détruit et englouti dans cette horreur, dans ce regret sublime. La débauche, symboliquement collée à sa chair, n’est dès lors que tourment, brûlure insupportable. Rien ne peut effacer ce tourment, si ce n’est l’aspiration qui s’enflamme jusqu’à consumer la faiblesse de la chair, l’impureté de l’âme. Seule la morsure brûlante de la perversité, lorsqu’elle est devenue insupportable, peut inspirer l’envie de ne plus reculer devant le feu de purification et d’accomplir le sacrifice sublime de soi.

Comprenant qu’il ne pourra pas se libérer de la malédiction d’Héra, de l’imperfection de son âme, par des victoires passagères mais uniquement· par le sacrifice entier de sa contre-nature perverse, Héraclès est prêt à s’offrir lui-même en holocauste.

Figurant la libération de l’âme par la consomption du corps, le mythe se sert d’une image qui montre Héraclès dressant un bûcher afin de se jeter dans le feu. La flamme du brasier qui monte vers le ciel se trouve opposée au feu de la passion qui dévore l’âme (le feu dévorant a été auparavant représenté parle sang venimeux du Centaure, monstre banal, suivant le symbolisme “sang égale âme” et, partant, “sang venimeux égale âme perverse”). Zeus lui-même lance son éclair pour allumer la flamme purificatrice. Ce n’est pas la foudre punitive ; c’est l’éclair illuminateur. Le sacrifice sublime est accompli à l’aide de Zeus : il est l’oeuvre de l’esprit.

La banalisation étant sur le plan symbolique figurée par “la mort de l’âme” ; la purification suprême de la banalisation se trouve symboliquement exprimée par “l’immortalisation de l’âme”. Suivant la conséquence de l’image, le héros périt dans la flamme ; d’après la signification profonde, il est sauvé. Il survit corporellement, puisque le brasier qui le consume n’a qu’une signification symbolique. Le héros continue à vivre, mais il survit, psychologiquement parlant, dans l’état d’élévation : héros-vainqueur, il a, pour le reste de sa vie, surmonté son imperfection, la malédiction d’Héra, la tentation dionysiaque. Le mythe exprime cet état d’élévation psychique par l’image de l’ascension et de l’entrée dans la “vie éternelle”, symbolisme formé par opposition à “la mort de l’âme” (puisque l’état psychique d’élévation réelle peut être considéré comme inchangeable à partir de la purification et jusqu’à la mort réelle, l’ascension symbolique et l’entrée dans la “vie éternelle” peuvent être rapportées aussi bien à la purification durant la vie qu’à la fin de la vie purifiée). Suivant l’image mythique, Zeus reçoit son fils préféré. Son âme purifiée par le sacrifice sublime, son esprit de combattant indompté, est symboliquement élevé dans les régions olympiennes : Héraclès devient une divinité. Il est dorénavant le représentant idéalisé de la force combative, le symbole de la victoire (et de la difficulté de la victoire) sur l’âme humaine et ses faiblesses. Ainsi, se trouve finalement exclue du symbole “Héraclès” toute l’imperfection qui caractérise son histoire, et, en raison de la signification impérissable de son accomplissement, l’image d’Héraclès-vainqueur demeure préservée de toute altération et de tout vieillissement. Conformément à cette signification d’impérissable, le héros divinisé épouse Hébé, la déesse qui sert le nectar et l’ambroisie aux divinités de l’Olympe, symbole des qualités spirituelles et sublimes. Hébé détient la nourriture qui conserve force et jeunesse aux qualités de l’âme et de l’esprit. Se liant à jamais à la dispensatrice de la force incorruptible ; Héraclès a enfin su accomplir le choix juste, Hébé est fille d’Héra. Le symbolisme indique donc également la réconciliation avec Héra que le héros a glorifié aussi bien par la profondeur de ses tourments que par sa victoire finale. […]

Paul DIEL, Le symbolisme dans la mythologie grecque (1952)


Hugh Hefner au Playboy Club en 1960 © Playboy

BANALISATION : “Le terme banalisation est actuellement passé dans le langage courant. Banaliser un problème, un fait social, c’est le rendre anodin, lui enlever sa vraie signification, sa dimension réelle. Banaliser le crime ou la torture, c’est en parler sans angoisse ni émotion, comme allant de soi, les considérer comme la norme.

Dans son premier ouvrage, Psychologie de la motivation, publié en 1947, Paul Diel, créateur du terme – il faut le souligner – l’utilise en lui donnant une signification d’une toute autre ampleur. Avant tout, ce concept s’applique à l’homme : la banalisation est un état psychique des plus fréquents et des plus mécompris. Ce qui le caractérise est la perte plus ou moins définitive du désir qui, malgré l’ignorance qu’on en a, s’avère indispensable à la survie sensée de l’individu. C’est le désir d’harmonie intérieure, appelé dans la terminologie diélienne : le désir essentiel.

Car il est essentiel, c’est une évidence, d’ordonner, d’organiser, d’harmoniser la multiplicité des (im)pulsions, des tensions intérieures, des désirs matériels, sexuels et spirituels qui naissent sans discontinuer au cœur de chaque individu. Cette nécessité n’est imposée par personne, si ce n’est par l’exigence intime de trouver la satisfaction, besoin commun à toutes les formes de vie. Les besoins matériels et sexuels sont des valeurs de satisfaction biologiquement justifiées. La fonction de l’esprit harmonisateur est de leur accorder l’importance qu’ils méritent, de les satisfaire dans leur exigence vitale ; mais aussi d’être suffisamment fort pour dissoudre -sublimer- leurs excès en raison de l’exigence naturelle d’harmonie.

Dans la banalisation, les désirs matériels et sexuels de l’individu se trouvent exacerbés, exaltés et faussement justifiés aux dépens du désir essentiel ; ces impulsions primaires ont alors tendance à se multiplier, à se déchaîner, sous forme d’avidité insatiable, d’arrivisme, de course aux titres, aux honneurs, au pouvoir, mais aussi sous forme de déchaînement sexuel pris pour libération du moralisme et de l’embourgeoisement.

La banalisation propose la réalisation sans scrupule des désirs exaltés. Dans cette optique, la libération de tout sentiment authentique de culpabilité devient l’idéal. La banalisation érigée en ” idéal ” est justifiée par des théories pseudo-scientifiques, idéologiques, littéraires ; elle se veut l’expression de la plus grande intensité vitale.” [d’après Jeanine SOLOTAREFF sur LEMONDE.FR]


Diel encore…

WESEL, Bénédicte (née en 1964)

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Bénédicte WESEL (née en 1964 à Cologne, DE) est une sculptrice et illustratrice belge que l’on rencontre partout… dans son oeuvre. C’est la femme de Terre qui descend dans ses figurines d’argile, vivement peintes à l’acrylique. Loin de chercher l’universalité dans des formes plus lissées, aux traits neutralisés par le style, comme chez son professeur Mady Andrien, Wesel travaille devant son miroir pour capter les sourires généreux, les yeux mi-clos ou l’abandon sensuel de ses personnages bien individuels, bien uniques. De la lionne au petit bateau rouge, en passant par le serpent ou la queue de poisson, tous les accessoires font alors sens pour créer des narrations plastiques que l’on a déjà vues quelque part. Et ce n’est pas un hasard : fascinée par les contes et les légendes, Bénédicte Wesel réinterprète les archétypes où la Femme est actrice pour livrer des Blanche-Neige, des Géantes-Sirènes ou des Peau-d’âne, renouvelées peut-être mais approfondies surtout.

Bénédicte WESEL expose depuis 1996. Aujourd’hui, elle est toujours basée à Liège (BE) où elle travaille et partage sa démarche dans des ateliers individuels ou collectifs, quand elle ne prépare pas des livres pour enfants…

Plus d’infos sur son site officiel : ATELIER-BENEDICTE-WESEL.BE


De petits personnages charmeurs par leurs attitudes, joyeux par leurs couleurs, folâtrant parfois avec des animaux : telles sont les créatures imaginées par Bénédictine Wesel. Née à Cologne où son père était militaire, elle a fait ses humanités artistiques à Verviers avant de venir s’installer à Liège en 1982. “J’ai tout d’abord travaillé comme bibliothécaire à Bruxelles pendant sept -ans, puis j’ai voulu tenter autre chose.”
A Liège, elle suivit des cours d’illustration à l’Institut Saint-Luc puis passa à l’Académie au cours de sculpture. “C’est venu tout seul : pour m’amuser, je fabriquais des figurines en pâte synthétique. J’ai suivi des cours pour apprendre les proportions, mais ce qui m’intéressait, c’était davantage créer un univers, plus que travailler une matière.”
Passionnée par la littérature anglo-saxonne, par la mythologie et la psychologie, elle a voulu illustrer en trois dimensions les personnages qui la hantaient. “C’est l’univers des vieux contes du monde entier qui m’intéresse : les personnages possèdent quelque chose à l’intérieur. lis ne sont pas seulement anecdotiques.”
Elle découvrit alors la terre cuite et se mit à modeler de petites femmes rondes et joyeuses. “Le conceptuel ne m’intéresse pas, donc je m’inspire de ce que je vis. Ce sont de petits instants de bonheur captés comme des polaroids. Par le choix de la terre cuite, je me sens aussi reliée à toutes ces générations d’artisans qui, depuis toujours, ont modelé la terre.” Ses personnages, elle les peint à l’acrylique, en couleurs vives, et ajoute à présent des pigments dans ses couleurs. “La sculpture peut être gaie, non ? Les attitudes ? Je suis mon propre modèle ! Dans mon atelier; il y a un grand miroir en pied, je m’installe devant et je m’observe en travaillant. Pour les animaux, je me sers de livres de zoologie.

Article de Jean JOUR (Dernière Heure, jeudi 6 juin 2002)


Contempler encore…

DIEL P., Le symbolisme dans la mythologie grecque (Paris, Payot, 1952) : Préface de Gaston Bachelard – Introduction

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DIEL P., Le symbolisme dans la mythologie grecque, Etude psychanalytique (Paris, Payot, 1952, réédité par Payot & Rivages en 2002, ISBN 9782228896061)

Extraits de l’édition de 1952 du livre fondateur de PAUL DIEL, alors chargé de recherches au C.N.R.S. : Le symbolisme dans la mythologie grecque, Etude psychanalytique. Dans son introduction à l’ouvrage, Bachelard insiste :

Quand on aura suivi Paul Diel dans les associations de mythes, on comprendra que le mythe couvre toute l’étendue du psychisme mis a jour par la psychologie moderne. Tout l’humain est engagé dans le mythe.

EXTRAITS (1952)
PRÉFACE DE GASTON BACHELARD, Professeur à la Sorbonne

I. Le domaine des mythes s’ouvre aux enquêtes les plus diverses, et les esprits les plus différents, les doctrines les plus opposées ont apporté des interprétations qui eurent chacune leur heure de validité. Il semble ainsi que le mythe puisse donner raison à toute philosophie. Êtes-vous historien rationaliste ? Vous trouverez dans le mythe le récit obombré des dynasties célèbres. N ‘y a-t-il pas, dans les mythes, des rois et des royaumes ? Pour un peu on daterait les différents travaux d’Hercule, on tracerait l’itinéraire des Argonautes. Êtes-vous linguiste, les mots disent tout, les légendes se forment autour d’une locution. Un mot déformé, voilà un dieu de plus, l’Olympe est une grammaire qui règle les fonctions des dieux. Si les héros et les dieux traversent une frontière linguistique, ils changent un peu leur caractère, et le mythologue doit établir de subtils dictionnaires pour déchiffrer deux fois, sous le génie de deux langues différentes, la même histoire. Êtes-vous sociologue ? Alors dans le mythe apparaît un milieu social, un milieu moitié réel, moitié idéalisé, un milieu primitif où le chef est, tout de suite, un dieu. Et toutes ces interprétations, qu’on pourrait étudier tout le long d’une histoire, se raniment sans cesse. Il semble qu’une doctrine des mythes ne puisse rien éliminer de ce qui fut, un temps durant, un thème d’explication. Par exemple, entre le héros solaire et le héros humain, la compétition n’est jamais vraiment éteinte. L’immense nature explique la nature profonde de l’homme, et, corrélativement, les rêves de l’homme se “projettent” invinciblement sur les grands phénomènes de l’Univers. Un étroit symbolisme coordonne les valeurs mythiques et les valeurs cosmiques. Et la mythologie devient une suite de poèmes, et la mythologie est comprise, aimée, continuée par les poètes. Est-il meilleure preuve que les valeurs mythiques restent actives, vivantes ? Et, puisque tant d’explications peuvent en être données, n’est-il pas de meilleure preuve que le mythe est essentiellement synthétique ? Dans sa simplicité apparente, il noue et solidarise des forces psychiques multiples. Tout mythe est un drame humain condensé. Et c’est pourquoi tout mythe peut si facilement servir de symbole pour une situation dramatique actuelle. Il n est aucune de ces interprétations qui n’ait, depuis un siècle, bénéficié des progrès généraux des sciences humaines. Il semble qu’à chaque génération les appareils de l’érudition se multiplient et s’affinent. Ainsi, l’homme cultivé suit-il avec émerveillement l’approfondissement de nos connaissances des mythes.

II. Dans le champ des interprétations, c’est une nuance nouvelle qu’apportent les travaux de Paul Diel.
Sans doute, on a toujours compris que les mythes et les légendes nous dévoilaient les passions radicales du cœur humain. Mais, trop souvent, la critique scientifique des documents s’est faite à partir d’une science psychologique écourtée, d’une psychologie qui donne un coefficient dominant au “bon sens”, à l’expérience commune et claire. Et il n’a pas manqué d’historiens pour s’étonner de la soudaine intervention de la psychanalyse dans l’explication des vieilles légendes et des mythes antiques.
D’autre part, bien des psychologues classiques se sont alarmés de voir qu’un vocabulaire des “complexes” puisse s’encombrer d’un vocabulaire des mythes. Quel éclairage le psychiatre procure-t-il en nommant les complexes d’Oedipe, de Clytemnestre, d’0reste, de Diane… ? Ne sont-ce pas là autant de lumières artificielles et générales susceptibles de tromper sur l’infini détail, sur l’irréductible individualité du malade ?
Mais toutes ces critiques faiblissent, si l’on veut bien prendre conscience de l’extrême puissance d’explication, aussi bien vis-à-vis du passé que du présent, que manifeste la psychologie élargie de notre temps. On n’exagérerait rien, si l’on disait que le XX* siècle est caractérisé par une pan-psychologie, comme il l’est par une pan-géométrie. On pourrait actuellement développer systématiquement la psychologie d’un pan-psychisme, psychologie généralisée qui réunirait les examens qui vont de la psychologie des profondeurs à une psychologie quasi stratosphérique dans les interprétations du rêve éveillé. Si l’on accorde une telle largeur d’examen, aussitôt les rêves et les mythes se détendent, aussitôt leur symbolisme révèle à la fois sa complexité et son unité.
Les symboles resserrés dans le destin du héros mythique, Paul Diel va les étudier psychologiquement, comme des réalités éminemment psychologiques. Jusqu’à lui, on a surtout déterminé une sorte de symbolique anagénétique, en travaillant du côté social, du côté cosmique, du côté poétique – c’est-à-dire dans les sommets de l’humain. Mais dans une telle psychologie, sans cesse interprétative, qui déplace sans cesse les significations, qui risque ainsi, partie des symboles, de finir par des allégories, n’a-t-on pas perdu le sens immédiat des symboles ?
Mais, déterminer le sens immédiat des symboles ; n’est-ce pas là une tâche qui implique une contradiction ? Un symbole ne doit-il pas suggérer un au-delà de son expression ? N’implique-t-il pas un rapport essentiel entre deux significations : un sens manifeste et un sens caché ?
Ces questions ne dérangeront plus un lecteur assidu de Paul Diel. Car il s’agit précisément de s’installer dans la pure psychologie, de partir du postulat psychologique suivant : le symbole a une réalité psychologique initiale, une réalité psychologique immédiate, ou, autrement dit, la fonction de symbolisation est une fonction psychique naturelle. Les mythes sont autant d’occasions pour étudier cette fonction toute directe de symbolisation.

III. Quelle est alors la tâche précise, extrêmement précise, que se donne l’auteur ? C’est de désigner le fond psychologique du symbolisme mythique. Il ne refuse certes pas les lumières multiples de la mythologie. Mais, plus on a “interprété”, plus il devient nécessaire, si l’on ose dire, de désinterpréter pour retrouver la racine psychologique première?
Ce problème est devenu si difficile qu’on ne peut le résoudre au niveau d’un cas particulier sans avoir compris la méthode de désinterprétation et surtout sans avoir appliqué cette méthode sur un grand nombre de cas précis.
Il faudra donc étudier le présent ouvrage d’abord dans sa première partie de pure méthodologie, ensuite dans les exemples d’application de la méthode, exemples qui jouent le même rôle que les “exercices” proposés par le mathématicien à la fin de tous les chapitres de son manuel.
Le mot qui revient dans tous ces exercices, dans l’étude de tous les mythes grecs ultra-classiques examinés ici, est le mot “traduction”. Il faut, en effet, traduire dans le langage de la panpsychologie moderne tout ce qui est exprimé dans des récits toujours simplifiés par ce que Paul Diel appelle une “banalisation”. S’agit-il du mythe d’Asclépios, “l’indice de la banalité est précisément d’oublier les besoins de l’âme pour ne s’occuper que des besoins du corps. Ils sont symbolisés par Chiron.” Pour avoir tout le mythe de la santé, il faut considérer la triade Apollon, Chiron, Asclépios, et réussir les “traductions” qui en livrent les sens psychologiques divers et désignent l’axe de la symbolisation. Quand on aura suivi Paul Diel dans les associations de mythes, quand on aura découvert avec lui une sorte d’homéomorphie des mythes en apparence très différents, on comprendra que le mythe couvre toute l’étendue du psychisme mis à jour par la psychologie moderne. Le personnage mythique a un surconscient, un moi et un subconscient. Il a son axe de sublimation et sa verticale de chute dans l’inconscient le plus profond.
Ainsi, tout l’humain -et non pas un simple aspect de l’homme- est engagé dans le mythe. Comme le dit Paul Diel : “Les mythes parlent de la destinée humaine sous son aspect essentiel, destinée consécutive au fonctionnement sain ou malsain (évolutif ou involutif) du psychisme.” Le héros lui-même et son combat représentent l’humanité entière dans son histoire et dans son élan évolutif. Le combat du héros est moins un combat historique qu’un combat psychologique. Ce combat n’est pas une lutte contre des dangers accidentels et extérieurs. C’est la lutte menée contre le mal intime qui toujours arrête ou ralentit l’essentiel besoin d’évolution. Ainsi, c’est tout le problème de la destinée morale qui est engagé dans ce livre écrit par un psychologue d’une grande finesse. Dans le détail des pages où, répétons-le, est appliquée une méthode de constante rigueur, on verra se développer, à partir de leur racine psychologique profonde, les valeurs morales qui font de l’évolution humaine une destinée morale.
Un mythe est donc une ligne de vie, une figure d’avenir plutôt qu’une fable fossile. Ortega y Gasset écrit : “L’homme n’est pas une chose mais un drame, un acte… la vie est un gérondif, non point un participe, elle est un faciendum, non point un factum. L’homme n’a pas une nature mais il a une histoire.” [cité par Gerardus van der Leeuw : L’homme et la civilisation, ce que peut comprendre le terme : évolution de l’homme. Apud : Eranos-Jahrbuch (t. XVI), 1949, P- 153-1] Plus exactement, l’homme veut vivre une histoire; il veut dramatiser son histoire pour en faire un destin.
C’est cette volonté d’histoire que les “traductions psychologiques” minutieuses et profondes de Paul Diel, mettent systématiquement à jour. On retrouve ainsi vraiment, dans l’étude des mythes que leur classicisme désigne comme des grandes histoires du passé humain qu’on pouvait penser périmées, le dynamisme toujours agissant des symboles, la force évolutive sans cesse active du psychisme humain.

Gaston BACHELARD


INTRODUCTION

L’exégèse mythologique, soucieuse de comprendre le sens des anciennes fabulations mythiques, leur trouve une signification du genre cosmique, météorologique et agraire. Elle montre que les mythes parlent des mouvements des astres et de leur influence sur les conditions de la vie humaine : saison de l’année, pluie, orage, inondations, etc. Il est clair que l’influence élémentaire exercée sur la vie terrestre par les évolutions astrales a dû impressionner au plus haut degré les hommes primitifs, et cette impression subjugante fut destinée à devenir décisive à l’époque où des peuplades errantes de chasseurs commencèrent à se fixer et à s’amalgamer, pour former des peuples agriculteurs, ce qui marque précisément le début de la création mythique. Le maintien de la vie dépendait de plus en plus de la régularité des phénomènes cosmiques et météorologiques, et l’imagination affective, fonction prédominante de la psyché primitive, incita les hommes (à peine sortis de l’ère prémythique et animiste) à y voir des forces intentionnelles, bienfaisantes ou hostiles. Ces forces se trouvèrent personnifiées par des divinités du jour et de la nuit (solaires et lunaires), et l’alternance entre l’apparition du soleil et de la lune fut imaginée comme la conséquence d’un combat que les divinités se livrent sans relâche dans le but d’aider les hommes ou de leur nuire. La saison des semailles qui précède l’hiver ainsi que le début du printemps et, finalement, tous les solstices furent marqués par des fêtes. Le lever du jour, la pluie fécondatrice, étaient reçus comme des dons, et l’homme adressa des prières aux divinités pour les remercier ou les implorer.
Cependant, si les mythes n’étaient rien de plus que l’ornement imaginatif de préoccupations d’origine utilitaire, il conviendrait de les considérer comme des affabulations naïves et arbitraires. Leur sens caché ne serait qu’un allégorisme infantile conforme à l’entendement rudimentaire d’une psyché primitive. L’intérêt que ces fables pourraient mériter, de nos jours, serait uniquement d’ordre historique, du fait que ces imaginations naïves ont donné naissance à des créations artistiques et que celles-ci sont susceptibles d’être considérées comme des documents permettant de reconstituer les croyances et les institutions, les coutumes et les mœurs de ces anciens peuples, de même que leur évolution cultuelle et culturelle, documentée par les stades successifs du style artistique.
L’unique méthode dont la mythologie pourrait user serait celle de la science historique en général, laquelle procède par des rapprochements et des recoupements, afin d’éliminer successivement les erreurs d’interprétation à l’égard des documents. La mythographie et la mythologie moderne ont pu ainsi obtenir des résultats extrêmement précieux, surtout en ce qui regarde le problème de l’interdépendance des différentes cultures mythiques et les traits caractéristiques de chacune. Afin de souligner son caractère de science historique, la mythologie fait actuellement preuve d’une tendance très prononcée à ne pas dépasser la méthode de rapprochement des documents. Il est intéressant de constater qu’il s’agit là – du moins en partie – d’une réaction très justifiée contre une ancienne forme d’interprétation à tendance faussement moralisante et dépourvue de toute méthode. Bien que la source de l’exégèse à tendance éthique remonte aux temps les plus reculés, ce courant a fini par s’épuiser et se perdre dans un terrain sablonneux aussi plat qu’aride. Mais, le fait que la trace d’un effort d’interprétation qui croit deviner à l’arrière-plan des combats mythiques une allusion aux conflits de l’homme se laisse poursuivre jusqu’à une époque qui suit de près celle de la création des fables mythiques, ne serait-il pas le signe qu’il s’agit là d’une forme d’exégèse imposée par la nature même des mythes ?
En effet, les évolutions des astres, représentées comme des combats entre divinités bienfaisantes et malveillantes, n’ont pas seulement des conséquences d’ordre utilitaire. L’immensité de ces phénomènes contraste trop avec la courte durée de la vie de l’homme pour que l’âme primitive ait pu éviter de se poser la question essentielle qui vise le mystère de l’existence : d’où vient-il que l’être humain est appelé à vivre au milieu de cette immensité qui l’effraie et qui pourtant le berce, et qu’advient-il de lui après sa mort ? – Mais, déjà, au long de la vie, l’imploration des astres divinisés ne peut avoir de sens que si l’homme lui-même remplit par son labeur et par sa discipline les conditions qui seules peuvent rendre utiles la fertilisation du sol par la pluie et le soleil. Les mortels doivent se montrer dignes de l’aide accordée par les divinités-astres dont le règne préside à la vie humaine de génération en génération et qui se trouvent appelés “les Immortels”.
A l’époque de l’épanouissement des cultures agraires, la psyché humaine a évolué vers une complexité qui est loin de la primitivité de l’animisme et même de l’allégorisme cosmique. L’imagination n’est plus seulement affective et divagante, mais expressive et symbolisante. Elle devient capable de créer des symboles, c’est-à-dire des images à signification précise ayant pour but d’exprimer la destinée de l’homme.
Ainsi s’ouvre à la contemplation le plan métaphysique, et à l’activité humaine le plan moral. L’être humain et son sort essentiel se trouvent inclus dans la symbolisation. Du fait que l’aspiration de l’homme et la bienveillance de la nature divinisée fusionnent en une commune intention et font ainsi leur rencontre sur un même plan symbolique, les hommes, en purifiant leur aspiration, peuvent atteindre l’idéal représenté par la divinité : le héros-vainqueur est symboliquement élevé au rang de divinité; et le symbole divinité peut prendre figure d’homme et venir visiter les mortels. Les divinités, qui anciennement représentaient des puissances astrales, sont devenues l’image idéalisée de l’âme humaine et de ses qualités.
La fabulation s’amplifie. Les divinités solaires et lunaires se dispersent en de multiples personnifications, et chacune se trouve caractérisée par des attributs spécifiques. Il se crée une multitude de fables qui racontent de ces divinités humanisées des aventures qui dépassent de loin les anciennes allégories relatives aux cours des astres, mais qui demeurent pourtant codéterminées par le cadre de l’ancienne signification cosmique ou météorologique. [Ainsi, Zeus, par exemple, lance l’éclair, ce qui est sur le plan de la signification météorologique une simple allégorie. Cette allégorie devient un symbolisme en s’amplifiant d’une signification à portée psychologique : Zeus devient symbole de l’esprit, et l’éclair lancé symbolise l’éclaircissement de l’esprit humain, la pensée illuminante (l’intuition) imaginée comme envoyée par la divinité secourable, source de toute vérité.] La signification symbolique qui se substitue au sens allégorique est d’ordre psychologique du fait qu’elle sous-tend l’activité intentionnelle des divinités anthropomorphisées. Les intentions symboliques des divinités n’étant que la projection des intentions réelles de l’homme, il se crée un courant d’obligations entre l’homme réel et le symbole “divinité”. L’homme se trouve, par un retour de sa propre projection idéalisante, comme “invité” à participer par son combat héroïque à la lutte que mènent pour son bien-être les divinités bienveillantes. Tout comme les anciennes imaginations à l’égard de la «lutte » des astres, ces divinités anthropomorphisées n’existent que par rapport à l’homme et ses besoins. Mais ces besoins, pour être en accord avec les intentions idéales dont le symbole est la divinité, ne concernent plus les utilités extérieures de la vie. Ils concernent de plus en plus la satisfaction essentielle, l’orientation sensée de la vie humaine : la discipline dans l’activité et l’harmonie des désirs. Cette satisfaction essentielle, le don ultime de la divinité, la joie, se réalise à travers l’activité, et même à travers l’activité utilitaire ; mais elle est déterminée par les intentions, par les désirs les plus secrets, dont la divinité devient le juge symbolique : le distributeur symbolique de la récompense et du châtiment. L’activité essentielle de l’homme, le combat héroïque, la purification des intentions, sont, symboliquement parlant, imposés à l’homme par la divinité : l’accomplissement, la purification des motifs, cause des actions justes, sont imaginés comme récompensés par la divinité ; les actions injustes, signe des intentions impures, des motifs désordonnés, provoquent l’hostilité de l’homme envers l’homme et produisent ainsi les maux terrestres, imaginés comme châtiments envoyés par la divinité. Les intentions impures se trouvent finalement figurées par des monstres que l’homme-héros doit combattre.
Ainsi, la figuration mythique, qui à l’origine ne parlait que des astres et de leurs évolutions imaginées comme une lutte entre les divinités, finit par exprimer les conflits réels et intrapsychiques de l’âme humaine.
Ici se pose le problème de toute la psychologie humaine peut-être le plus redoutable et le plus riche en conséquences et en enseignements. Il a été nécessaire de formuler, dès l’entrée dans l’analyse des mythes, la thèse du présent travail : la symbolisation mythique est d’ordre psychologique et de nature véridique. Mais cette thèse se heurte à une objection qui semble avoir pour elle toute l’évidence : comment est-il possible que le mythe ait pu symboliquement préfigurer la vérité à l’égard du conflit intrapsychique ? Il est indispensable d’esquisser dès maintenant la réponse.
L’homme primitif a vu les astres, et il a pu établir un rapport entre leurs évolutions et les phénomènes météorologiques dont dépendaient toutes les conditions de sa vie. L’imagination à tendance personnifiante étant la fonction prédominante de la psyché primitive, on voit très bien de quelle manière l’allégorisme cosmique a pu se former. Par contre, les motifs des actions humaines sont très difficiles à déceler. A la différence des astres et de tous les autres objets et événements, ils ne se présentent pas à la perception sensorielle. Affirmer la possibilité d’une prévision véridique à l’égard du conflit intrapsychique, c’est admettre l’existence dans l’homme primitif d’une sorte d’observation intime capable, sinon de comprendre, du moins de pressentir les motifs qui sous-tendent les actions sensées et insensées. Il semble que ce soit là une thèse inadmissible, à moins qu’elle ne se laisse vérifier par le fonctionnement général de la psyché humaine. Or, tel est précisément le cas. Il existe une sorte d’observation intime, aussi préconsciente que celle des mythes, mais qui est habituellement reniée, signe qu’elle est surchargée de honte. Toute la psychologie humaine est susceptible d’être développée à partir de l’analyse de cette honte et des différentes attitudes de l’homme à son égard (sublimation et refoulement). Toute la symbolisation du mythe, selon son sens caché, n’est rien autre que l’analyse de cette honte refoulante et de la valeur de l’aveu sublimant. Le fonctionnement de la psyché humaine est caractérisé encore de nos jours par un phénomène qui, pour être refoulé, n’en est pas moins évident : le fait que, sans s’en rendre compte, chaque homme use sans relâche et tout au long de sa vie d’une sorte d’observation intime à l’égard de ses motifs. Cette observation intime n’est pas en soi honteuse ; elle est même un phénomène biologiquement adaptatif, et, comme telle, elle est élémentaire et automatique comme l’instinct. Elle remplace la sûreté de l’instinct animal, car l’homme ne pourrait subsister, s’il ne scrutait pas sans cesse l’intention de toute son activité, soit pour contrôler ses propres actions, soit pour projeter dans la psyché d’autrui les connaissances ainsi acquises à l’égard des motifs humains, afin d’interpréter à leur aide les intentions de ses semblables et de trouver ainsi le moyen de s’imposer ou de se défendre. On est en droit de dire que cette introspection obscure de ses propres motifs et l’introspection projective, l’interprétation des actions d’autrui, occupent le plus clair du temps de la vie humaine ; elles sont la préoccupation la plus constante de chaque homme et la raison la plus secrète de sa manière d’être et de sa façon d’agir.
L’introspection-interprétation est souvent morbide, précisément parce qu’elle a un caractère automatique et incontrôlé. Elle se produit ordinairement au-dessous du seuil du conscient. Elle ignore la lucidité et l’objectivité qui caractérisent la pensée consciente ; elle est surchargée d’affectivité aveuglante et subjective. Moyen de défense biologique, l’introspection-interprétation a perdu la sûreté de l’instinct sans accéder à la certitude de la pensée lucide. L’espèce humaine ne peut plus régresser vers la sûreté instinctive ; pour s’orienter dans la vie, l’homme doit progresser vers la lucidité à l’égard des intentions. Mais la difficulté de cette progression évolutive fait que chaque homme dans son for intérieur se réfugie dans l’affectivité qui permet de justifier imaginativement les intentions insoutenables et de falsifier ainsi les motifs. A la nature biologique et adaptative de l’introspection-interprétation se surajoute ainsi un caractère mensonger et déformant qui devient cause de la honte secrète, à son tour susceptible d’être refoulée ou spiritualisée. La spiritualisation n’est rien d’autre que l’aveu du mensonge et, par là même, sa dissolution. Le refoulement est la réaction de loin la plus fréquente, car l’amour-propre veut que chaque homme se cache ses vrais motifs souvent inavouables et qu’il se pare de motifs pleins d’une sublimité mensongère.
Les conséquences de cette constante préoccupation extraconsciente sont de la plus haute importance tant pour la vie humaine en général que pour la formation et, partant, pour l’interprétation de cette image de la vie que sont les mythes.
Si les motifs sont faussés, les actions aussi le sont, et toute la vie humaine en souffre. C’est de cette souffrance et de la nécessité de la surmonter que parlent les mythes. Le seul moyen serait de remédier à l’interprétation erronée des motifs. Or, la nature elle-même a prévu ce palliatif. A l’amour-propre qui refoule affectivement les vrais motifs, correspond une affectivité qui dénonce le mensonge vaniteux à l’égard de soi-même, l’erreur vitale, la faute essentielle de l’homme. Cette affectivité avertissante n’est rien d’autre que la honte, mais qui se tourne contre elle-même : elle est l’appel évolutif qui se dresse contre le refoulement de la honte et qui exige sa spiritualisation. L’affect évolutif (le désir essentiel de l’homme) se manifeste -tant qu’il n’a pas trouvé satisfaction- sous la forme d’un sentiment d’angoisse à l’égard de la faute essentielle : le sentiment de culpabilité. L’angoisse coupable avertit de la rupture de l’intégrité des motifs et s’attache aux actions déficientes qui découlent des motifs faussés. Étant le pressentiment d’une erreur vitale, la culpabilité contient nécessairement la prévision obscure d’une direction sensée de la vie : elle est le germe d’une orientation vers le sens de la vie. Ce sens ne peut être que le contraire parfait de l’angoisse coupable qui répond à la rupture de l’intégrité intrapsychique : la joie qui répond à l’harmonisation des motifs et des actions. L’angoisse coupable est donc un tourment qui avertit d’une perte de joie, un regret qui exige son propre correctif. La prévision à l’égard du sens de la vie qui est inhérente à la culpabilité se complète donc d’une tendance active capable de réadapter au sens de la vie. L’ensemble de ces sentiments qui oscillent entre angoisse et joie constitue une instance biologiquement adaptative, une instance évolutive activante et prévoyante à l’égard du fonctionnement sensé et insensé du psychisme, une instance préconsciente, plus que consciente, surconsciente : la conscience. Loin d’être le résultat d’une prescription d’ordre surnaturel, l’instance surconsciente (la conscience) est le centre visionnaire d’où émane l’image mythique du sens de la vie : le symbole “divinité” (figuration de l’idéal d’harmonie et de joie) à partir duquel se sont formés tous les autres symboles concernant le combat héroïque, le combat destiné à surmonter l’erreur vitale : la fausse introspection-interprétation et son incessant calcul de justification mensongère.
Les mythes, ainsi compris, posent la psychologie devant son problème le plus essentiel : au lien de reculer devant cet abîme de subjectivité que sont les couches profondes de la psyché où s’élaborent les motifs, elle doit, sur le plan conscient, refaire ce même travail d’objectivation qu’a su effectuer sur le plan surconscient et imagé la vision mythique. Reculer devant cet effort d’élucidation serait renoncer à jamais à comprendre l’image de la vie, les mythes, et la vie elle-même.
Et, en effet, la psychologie moderne, dès qu’elle a commencé à s’occuper du conflit intrapsychique et de son analyse, s’est vue contrainte d’attacher son attention aux mythes et de s’apercevoir que ceux-ci, loin d’être des documents surannés et des fabulations arbitraires, doivent contenir une signification d’ordre psychologique et de portée très actuelle.
La psychanalyse freudienne, en étudiant les instances extraconscientes du psychisme, a découvert la fonction symbolisante. Ainsi fut établi qu’il est des productions psychiques dont la signification très précise mais préconsciente se trouve être en rapport avec le sens de la vie, avec la conduite sensée ou insensée (symptôme psychopathologique, rêve nocturne). Déjà, dans la théorie freudienne, le déploiement du sens moral (surmoi) se trouve mis en rapport avec un thème mythique (complexe d’œdipe). Une telle orientation contient déjà en germe la nécessité d’étudier la symbolisation mythique dans son ensemble et de la comprendre comme une préscience psychologique ; car, si un seul mythe renferme un thème véridique touchant le fonctionnement psychique, force est d’admettre -ne serait-ce que sous forme d’hypothèse- que tous les mythes doivent, suivant leur sens caché, traiter d’une manière véridique de la psyché et de son fonctionnement sensé et insensé. Aussi, l’école de Freud fut-elle -du moins en cette matière- dépassée par la théorie jungienne qui admettait que l’activité humaine soit déterminée en grande partie par des images-guides considérées comme innées (archétypes) qui ne sont rien d’autre que les symboles mythiques.
A l’heure actuelle, il ne peut être permis de poursuivre l’étude du fonctionnement extraconscient du psychisme sans rendre hommage à ces grands novateurs auxquels se joint Adler, dont les recherches ont considérablement aidé à l’élucidation du conflit intrapsychique. Il convient pourtant de souligner que les résultats exposés dans le présent travail sont fondés sur une méthode d’investigation qui s’éloigne radicalement de celle des auteurs cités.
Le fondement de l’étude actuelle se trouve exposé dans deux ouvrages précédemment publiés, dont l’un se présente comme une analyse du fonctionnement psychique (Psychologie de la motivation), tandis que l’autre est consacré à l’analyse du symbole central de tous les mythes (La Divinité).
La méthode d’investigation a été présentée par nous sous le nom de “calcul psychologique” car elle n’est rien d’autre que la reconstitution de ce calcul obscur de justification erronée qui se passe dans la psyché de tout homme, comme aussi dans celle du psychologue. Cette reconstitution n’est possible que gràce à l’objectivation de la faute propre et essentielle qui est celle de tous les hommes (la tendance à la fausse justification). Ainsi, cette objectivation n’a pas seulement -en tant que véridique- la valeur d’une sublimation active (dissolution de la faute essentielle) mais aussi celle d’une spiritualisation théorique (compréhension de l’erreur vitale). Une fois constitué, le calcul psychologique permet de comprendre les tenants et d’enrayer les aboutissants du calcul erroné, habituellement subconscient et incontrôlé. Il brise l’automatisme subconscient et devient ainsi -comme l’auteur l’a démontré- un instrument thérapeutique qui permet de poursuivre dans la psyché humaine en général (objet de l’étude psychologique) la décomposition ambivalente que subissent les sentiments, lorsque, exposés à la pression d’un conflit indissoluble, ils entrent en effervescence, créant ainsi l’état malsain d’exaltation imaginative. Le faux calcul subconscient crée et soutient l’exaltation imaginative ; le calcul psychologique la calme et la dissout. Or, l’exaltation imaginative est aussi pour la symbolisation mythique -on le verra- la cause fondamentale de toute déformation psychique. Ainsi, la découverte du calcul psychologique était en même temps la découverte du sens caché de la symbolisation mythique, et la preuve la plus éclatante de la véracité du calcul sera la démonstration de sa préexistence mythique.
La symbolisation mythique est un calcul psychologique exprimé en langage imagé. Si cette équation n’existait pas, la symbolisation ne pourrait avoir une véridique signification psychologique. La condition de constitution est la même pour le calcul et le symbolisme. Le calcul a comme condition, d’une part, la prévisibilité du fonctionnement psychique, c’est-à-dire sa légalité ; et, d’autre part, la possibilité de déceler cette légalité à l’aide d’une observation intime et méthodique. Or, il a été déjà démontré que ces mêmes conditions président à la constitution de la symbolisation. Dire que le mythe renferme une préscience psychologique implique deux affirmations : le fonctionnement psychique doit être prévisible et, partant, légal ; et il doit exister une instance capable de prévoir -ou du moins pressentir visionnairement par une sorte d’observation intime- cette légalité (le surconscient, la conscience).
Du fait que la symbolisation exprime la légalité (divinité) et la situation conflictuelle (combat héroïque) à l’aide d’images personnifiantes, le calcul psychologique doit être à même de retraduire en langage conceptuel les images symboliques des mythes.

La psychologie, en tant qu’elle s’occupe de cette production de l’âme humaine que sont les mythes, a donc deux problèmes à résoudre : elle doit en premier lieu analyser le fonctionnement psychique afin de mettre, d’une part, en lumière l’existence de l’instance prévoyante et symbolisante et d’élucider, d’autre part, la nature du conflit intrapsychique, matière à symboliser ; et elle doit, en second lieu, procéder à la traduction détaillée et méthodique du sens caché de la symbolisation.
Le présent travail se compose donc de deux parties qui traiteront successivement de ces deux problèmes.
Il est clair que la méthode de l’exégèse historique, si efficace soit-elle, lorsqu’il s’agit de comparer les textes et les documents mythiques, n’est plus de rigueur en vue de ce nouveau problème qui est de saisir le sens caché des symboles. L’auteur, n’étant pas mythologue, ne se reconnaît pas la compétence requise pour intervenir dans le travail, toujours en cours, de vérification des anciens textes. Il a fait confiance aux résultats acquis, rassemblés dans les ouvrages encyclopédiques.
Comme documentation principale ont été utilisés le Dictionnaire des Antiquités ainsi que les récits mythiques d’Homère et d’Hésiode.
Bon nombre de mythes sont d’une complexité inépuisable. Traduire chaque détail risquerait de conduire à une dispersion excessive. Il a donc été nécessaire de passer sous silence les thèmes secondaires de certains mythes et de suivre la ligne la plus directe qui mène à travers le développement du récit. Ceci n’est pas une omission arbitraire, car les thèmes secondaires de tel ou tel mythe se retrouvent dans d’autres mythes -bien qu’autrement symbolisés- au centre du récit et ont ainsi trouvé leur traduction. L’essentiel est de n’exclure de la traduction aucun détail du thème fondamental de chaque mythe, afin d’obtenir sans interruption le développement progressif de la signification.
Le présent travail ne veut être que l’exposé d’une méthode de traduction, ce qui justifie la limitation à un nombre restreint de mythes. Il eût été impossible de traduire toutes les fables de la mythologie grecque. Une vérification plus ample devrait pouvoir démontrer que la méthode permet la traduction non seulement de tous les mythes grecs; mais encore des récits appartenant à d’autres cultures mythiques.

Paul DIEL


Savoir lire Paul Diel…

TOLKIEN : Le Seigneur des anneaux : La fraternité de l’anneau (CHRISTIAN BOURGOIS, 2014, nouvelle traduction)

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TOLKIEN, John Ronald Reuel Le Seigneur des anneaux : La fraternité de l’anneau (CHRISTIAN BOURGOIS, 2014, nouvelle traduction)
[ISBN : 978-2-267-02700-6]
Elle procure des émotions proches du texte anglais, en respecte au plus près l’univers et les qualités stylistiques… Vincent Ferré, connu pour ses travaux sur l’œuvre de Tolkien, commente la nouvelle traduction du “Seigneur des Anneaux”.
Après Le Hobbit en 2012, c’est au tour du Seigneur des Anneaux de se rhabiller de mots neufs, grâce à la nouvelle traduction proposée par le Québécois Daniel Lauzon. Les éditions Bourgois ont fait paraître le premier tome cet automne, le deuxième est attendu en 2015, et le troisième et dernier pour 2016. Comme nous l’écrivions dans Télérama mi-janvier, la lecture du premier tome retraduit procure un grand plaisir littéraire : le texte coule comme le Grand Fleuve de Lothlórien, les musiques des dialogues et des poèmes sont finement rendues, et l’on s’habitue vite aux nouveaux noms des personnages et des lieux, choisis selon les directives de l’auteur. Entretien avec Vincent Ferré, professeur de littérature générale et comparée à l’Université Paris Est Créteil, traducteur de Tolkien et directeur de la collection « Le Seigneur des Anneaux » aux éditions Bourgois…”

Lire la suite de l’article de Sophie BOURDAIS sur TELERAMA.FR (20 février 2015)

Lire le premier volume des aventures parallèles d’Aragorn et de Frodon : l’un ferraillant avec les Orques comme, en leur temps, Roland ou Beowulf (Moyen-Age héroïque), l’autre multipliant les épreuves initiatiques, en bon héros arthurien qu’il est (romances médiévales). Si Le Seigneur des Anneaux a créé l’air de son temps (dans les pays anglo-saxons, du moins), il s’agissait d’un temps ancestral que l’ami des vieux arbres connaissait mieux que quiconque. Pas de hasard et peu de pure invention chez Tolkien (qui n’écrivait pas encore des “sequels” à ses “prequels”…), mais une géniale compilation…

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