GOFFIN, Robert (1898-1984)

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Avant même d’être un des premiers grands propagateurs du jazz, Robert Goffin est d’abord un poète et un homme de lettres : élevé dans une famille où l’on idolâtrait Victor Hugo, il publiera dès l’âge de vingt ans son premier recueil de poèmes ; son travail en faveur du jazz sera d’ailleurs fortement marqué par cette inclination première.

C’est à l’issue de la Première Guerre mondiale que, devenu interprète au 72e bataillon écossais de Vancouver – au sein duquel se trouvaient plus d’un Américain -, il découvre le jazz, puis les danses nouvelles importées des Etats-Unis. Dans son premier livre, il décrira avec un lyrisme qui n’appartient qu’à lui la lente infiltration de la syncope dans la culture et le divertissement occidentaux avec la fascination qui s’installe en lui. Séduit par cette musique “existentialiste ” avant la lettre, Goffin se met à la suivre à la trace.

En 1919, il découvre, à l’Alhambra de Bruxelles les légendaires Mitchell’s Jazz Kings qui initieront les Parisiens eux-mêmes à la syncope : “… Ce fut une des profondes émotions de mon existence. Une espèce de choc physique me marqua pour la vie (…) Quelque chose de nouveau était né pour moi, à côté des vers de Guillaume Apollinaire ou de Blaise Cendrars, et de la peinture du Douanier Rousseau…” (NHJ, p. 79). De Bruxelles à Berlin, de Paris à Amsterdam, Goffin, quoique théoriquement étudiant à l’Université de Bruxelles, écume les dancings et se saoule de musique. Il devient l’ami du trompettiste Arthur Briggs, un des meilleurs jazzmen américains installés en Europe au début des années 20. Après avoir inséré, dès 1920, dans le “Disque Vert” un poème à la gloire du jazz, il publie, en 1922, son fameux recueil Jazz Band, dont la préface a été rédigée par Jules Romains.

Dans la fièvre qui l’anime, il décide de passer “de l’autre côté ” et de devenir lui-même un de ces musiciens qu’il admire tant : c’est ainsi qu’en 1922, au moment où ses études se terminent et où se pose le choix classique – dans son cas : le barreau ou la musique -, il monte de toutes pièces un orchestre appelé Doctors Mysterious Six, une formation d’étudiants dont aucun des membres n’est musicien et qui ne vivra évidemment que l’espace d’une délirante parenthèse. Dès 1923 en effet, Goffin commence à travailler comme avocat, ce qui l’amène à effectuer de fréquents séjours à Paris où il côtoie l’intelligentsia d’alors : Cocteau, Cendrars, Eluard… et bien sûr les musiciens de jazz.

De dancings en conférences, de disques en rencontres, Goffin accumule souvenirs et impressions et envisage bientôt de les réunir en un volume qui serait un hymne à la nouvelle musique. Ce sera chose faite en 1932 : après avoir fait paraître une première version dans la revue de Félix-Robert Faecq Music, Goffin publie cette année-là Aux Frontières du Jazz, son premier livre, et par la même occasion, le premier ouvrage au monde à être consacré exclusivement au jazz. Préfacé par Pierre Mac Orlan, et dédié à Louis Armstrong, Aux Frontières du Jazz vaudra à son auteur d’être reconnu aux quatre coins du monde comme le véritable précurseur de la littérature jazzique.

Les quelques erreurs de perspective, bien compréhensibles vu le manque de recul, n’enlèvent rien au caractère documenté de l’ouvrage ni à la fougue et à la poésie avec lesquelles Goffin défend le jazz. Alors qu’on le représentait habituellement sous les traits d’une “musiquette” synonyme de plaisir et d’artifice, il a pressenti dès le début la profondeur réelle, la dimension non seulement esthétique, mais aussi humaine et sociale du jazz “… (le jazz) est l’expression des peuples opprimés sans patrie et sans terre : c’est le cri de délivrance des nègres et des juifs qui y ont insufflé leur inépuisable solitude et leur cafard abrutissant…”  “Le jazz fut la première forme du surréalisme. C’est le premier besoin qu’éprouvèrent les nègres de neutraliser le contrôle raisonnable pour laisser le champ libre aux manifestations spontanées de l’inconscient…”

C’est notamment suite à la lecture de ce livre que Panassié décidera de publier, en 1934, son propre ouvrage, Le Jazz Hot, dont le succès et la médiatisation feront par la suite oublier quelque peu le travail de Goffin. Entre 1932 et la fin de la décennie, Goffin écrit sur de nombreux sujets qui l’écartent pour quelques temps du jazz. Mais lorsqu’en 1939, il effectue son premier séjour aux Etats-Unis, il replonge de plus belle. De retour en Europe, il écrit une série d’articles antinazis qui lui vaudront de retourner bien plus vite qu’il ne l’avait prévu aux Etats-Unis et pour toute la durée de la guerre.

Conscients de sa valeur et de sa grande culture en matière de jazz, les Américains lui confient la rubrique jazz du magazine Esquire. Goffin participe même avec Léonard Feather à l’organisation des célèbres concerts annuels organisés par Esquire. Il dirige parallèlement à New York le journal La Voix de la France, et fréquente tous les grands exilés du monde des Arts : Chagall, Dali, Maurois, ainsi que le poète américain du jazz Langston Hugues. Pendant son séjour, Goffin publie également un livre intitulé Jazz from the Congo to the Metropolitan, qui ne sera jamais traduit tel quel en français, mais dont la plupart des chapitres paraîtront, remaniés, dans la Nouvelle Histoire du Jazz qu’il publiera à Bruxelles en 1948.

En 1945, il rentre en Belgique et avant de reprendre sa carrière d’avocat, il effectue avec Carlos de Radzitzky une tournée de conférences au cours desquelles il raconte les innombrables souvenirs glanés au fil du temps et tout particulièrement les découvertes qu’il a effectuées durant ses séjours aux U.S.A. L’année suivante, il publie La Nouvelle-Orléans, Capitale du Jazz, étonnante monographie consacrée à la première Mecque de la nouvelle musique. Admirateur inconditionnel de Louis Armstrong, auquel il avait déjà dédié son premier ouvrage et dont il s’était fait un véritable ami, Goffin publie en 1947 aux éditions Seghers une biographie légèrement romancée du grand Satchmo. Un livre qui complète, aujourd’hui encore, les renseignements fournis par l’autobiographie d’Armstrong (Ma Nouvelle-Orléans) et la somme réalisée par James Collier (Louis Armstrong). Ici encore, la perception poétique de la réalité du jazz, permet l’expression d’éléments que la simple histoire objective ne peut aborder et dont la part de “vérité ” est cependant importante.

En 1948 on l’a vu, paraît la Nouvelle Histoire du Jazz. Dans un de ses chapitres, Goffin tente à sa manière de résoudre le conflit existant alors entre les “anciens ” et les “modernes ” en ces années de mutation (Swing contre Revival, Middle contre Be-Bop, etc.) : il propose comme critère décisif en matière de jazz la notion de “transe”, notion hautement imprécise et peu satisfaisante. En réalité, Goffin n’adhérera pas au nouveau jazz qui se construit alors : “… Je ne puis affirmer que cette musique me va droit au cœur. Elle est trop antithétique à l’esprit même de tout ce que le jazz a donné. C’est une rupture intellectuelle qui est difficilement digestible pour un profane…” Ainsi, le premier des grands défenseurs du jazz va prendre des distances pour finalement disparaître purement et simplement de la carte du jazz vivant.

Après 1954, alors qu’il préside le Pen Club de Belgique, il publiera de nombreux romans, essais, etc., ainsi que des ouvrages de gastronomie, mais sur le jazz, plus rien d’important. Par contre, son travail de pionnier et de témoin actif des premiers temps du jazz européen, est aujourd’hui encore, une référence presque mythique : “A chaque fois que je m’y replonge, j’y découvre de nouvelles choses… “ déclare volontiers Robert Pernet. Et on n’a aucune peine à le croire tant étaient riches les pages de Aux Frontières du Jazz. Une richesse qui suffit à faire de Robert Goffin une des personnalités déterminantes de l’Histoire du Jazz.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © rtbf.be 


More Jazz…

 

PIER : Scandale (2022)

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[RTBF.BE, 3 février 2023] Laurence Vielle lit le poème Scandale de Camille Pier, extrait d’un recueil paru aux éditions l’Arbre de Diane en octobre 2022. Camille Pier n’aime pas les cases ni les normes dans lesquelles il se sent à l’étroit. Souvent perçu et décrit comme poète, il préfère le mot “artiste” qui permet d’englober les multiples facettes de son œuvre, à la croisée de la poésie, de l’humour, de la danse et de la militance queer.

Il y a quelque chose de l’ordre de l’assignation dans le fait de dire que je suis poète car j’utilise plusieurs modes d’expression, la poésie ne passe pas uniquement par le langage verbal” défend-il au micro de Pascale Seys en décembre 2022.

Camille Pier a grandi dans un environnement friand de mots. À l’issue de ses études universitaires, Camille effectue une formation d’un an de théâtre corporel à Bruxelles. À cette époque, il performe déjà dans des cabarets queers. “Je travaillais la nuit, j’arrivais en cours avec des restes de vernis et de paillettes quand on devait porter du noir qui était perçu comme la norme. Dans cette école on étudiait le jeu masqué. Le masque dit ‘neutre’ étaient déclinés par genre : masque neutre pour femme ou pour homme. Je me suis vite senti à l’étroit“, confie-t-il.

En 2016 il sortait déjà aux éditions de l’Arbre de Diane un livre intitulé La Nature contre-nature coécrit avec Leonor Palmeira. C’est au micro de Pascale Seys que Camille Pier discutait également de son deuxième recueil Scandale publié en 2022 dans la même maison d’édition.

Laurence Vielle

© dikave studio

Tout ce que je suis c’est un mot
et c’est mon préféré
Scandale !

Je suis un scandale
un scandale vivant
un scandale fier comme un paon
un scandale en sandales

Je suis une fête que je suis censé avoir organisée
mais qui m’échappe total
et c’est là que ça commence à être marrant
Quel scandale !

Je suis une fête
une soirée secrète
un événement fétiche sur une péniche
Je suis le festival des carnavals sans autorisation de la poliche
Je suis un club où toutes les peaux finissent toujours à poil

Dans les dark rooms de mon cœur
j’allume et j’éteins la lumière quand je veux
et j’ai même une petite télécommande pour tamiser l’intensité
avec effets feux de cheminée
effets néons rouges de vieux peep-show
effets phares de camions

Je suis un scandale
et je marche la tête haute
C’est pas une auréole que j’ai là-haut non
c’est pas une couronne même
c’est un trône !
Je marche la tête haute
et je peux aller m’asseoir en haut de ma tête
pour voir le monde d’encore plus haut

J’ai des vertiges de plaisir
qui ne sont jamais jamais des descentes
Ma vie n’a rien d’une vie décente
je suis un scandale

Tout ce que je suis c’est tout ce que tu hais
Tout ce que je réussis
c’est tout ce que tu essayais

Quand je me souviens jusqu’à quel point
l’ennui des autres a réussi à me faire me détester
Tellement j’ai voulu être aimé alors
tellement j’ai voulu être normal
et tellement je me suis détesté
d’être ce marqueur qui dépasse les lignes de coloriage
parce que y avait pas de gommes pour les marqueurs

Je me détestais de ne pas être aimé
par cette frise régulière de gens qui s’emmerdent dans la vie
je tamisais mon intensité avec cette petite télécommande
pour pas trop être visible
pour pas trop déranger
pour pas trop me mettre en danger
en danger de ces personnes
qui pensent que n’être personne
c’est ça la décence

Tout ce que je suis c’est tout ce que tu hais
Tout ce que je réussis
c’est tout ce que tu essayais

Si j’avais été considéré comme normal
j’aurais gagné un temps de dingue
à ne pas devoir guérir tous les jours de cette guerre
qu’on a déclarée dans ma tête
comme un incendie
Dans ma tête
il y a une fête où j’ai pas le contrôle
à tout moment elle peut glisser vers la guerre civile
et moi de mon trône

Scandale !

J’ai pas choisi l’étiquette
qu’on m’a collée autour du cou

Scandale !

Tout ce que je suis
c’est tout ce que j’ai fait
et tout ce que j’ai réussi
c’est tout ce que j’ai

Scandale (2022)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | sources : rtbf.be ; | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, Camille Pier en Pierre Rococo © Samir Sam’Touch & Anne-Flore Mary ; © dikave-studio.


Plus de littérature en Wallonie-Bruxelles…

RACINE : textes

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PHÈDRE : Je le vis : je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais pas parler ;
Je sentis tout mon corps transir et brûler…
Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C’est Vénus tout entière à sa proie attachée […]

Racine, Phèdre


© tv5 monde

Jean RACINE (1639-1699) est né peu avant Noël 1639 à La Ferté-Milon (Aisne), Jean RACINE est baptisé le 22 décembre. Ses grands-parents et parents sont des « officiers » locaux chargés de l’impôt auprès du Grenier à sel de la ville. En janvier 1641, sa mère lui donne une petite sœur, Marie, mais meurt presque aussitôt. Son père se remarie, mais disparaît à son tour. Dès février 1643, les deux enfants sont orphelins et sont recueillis par les quatre grands-parents.

Jean, élevé chez sa grand-mère paternelle Marie Desmoulins, reçoit une éducation simple, à laquelle le curé du lieu ajoute une formation religieuse et une initiation à la poésie latine. La famille, marquée par la rigueur janséniste, est proche de Port-Royal-des Champs, un lieu d’enseignement réputé, où Jean et sa grand-mère se réfugient en 1651 pour échapper aux horreurs de la Fronde. Jean y reçoit des « Messieurs » une formation intellectuelle et spirituelle solide, qu’il complète au collège de la ville de Beauvais. Il s’en souviendra toute sa vie.

Obéissant à une vocation littéraire, il fréquente Boileau, La Fontaine et Molière à Paris, compose plusieurs pièces mineures, puis s’oriente vers le théâtre. En 1667, Andromaque attire l’attention sur lui. Suivront une comédie particulière (les Plaideurs), ainsi que six tragédies majeures (Britannicus, Bérénice, Bajazet, Mithridate, Iphigénie, Phèdre) qui lui valent la consécration publique jusqu’à la Cour de Versailles.

Élu à l’Académie Française en 1672 (il a 33 ans), il reçoit en 1677 la charge d’historiographe du Roi, partagée avec Boileau. La même année, il épouse Catherine de Romanet, dont il aura deux garçons et cinq filles. Comme gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi, il aura libre accès jusqu’auprès du souverain. C’est donc là que Mme de Maintenon, devenue épouse morganatique du Roi-Soleil, lui confiera l’écriture de deux tragédies à thème biblique, destinées aux Demoiselles de Saint-Cyr : Esther (1689), puis Athalie (1691).

Vers la fin de sa vie, Racine se rapproche des Jansénistes, pour qui il écrit des Cantiques Spirituels ainsi que divers textes relatifs à Port-Royal. Lorsqu’il meurt le 21 avril 1699, il demande d’ailleurs à y être inhumé. Lors de l’expulsion des Solitaires et des religieuses (1711), son corps est transféré à l’église St-Etienne-du-Mont, auprès de celui de Pascal.

Alain ARNAUD, Président de l’association Jean Racine et son terroir


[RTBF.BE, 23 septembre 2021] Monument du répertoire classique, Phèdre, la tragédie en vers de Jean Racine est revisitée par la metteuse en scène belge Pauline d’Ollone. Autant prévenir, les amoureux des alexandrins déclamés avec emphase seront déçus. La mise en scène de ce nouveau spectacle sort les personnages de leurs costumes amidonnés.

Petit rappel du drame ; Phèdre est amoureuse d’Hippolyte qui est le fils de son époux (le roi Thésée). Quant à Hippolyte, il aime en secret Aricie, la princesse d’un clan ennemi. Phèdre, Hippolyte et Aricie forment notre célèbre triangle amoureux. Et puisque chaque amour est impossible, les personnages de l’œuvre sont en proie aux luttes intérieures.

Phèdre(s)

© GAEL MALEUX

C’est au milieu d’un plateau dépouillé et sur un tapis de jujitsu qu’apparaît notre pauvre Hippolyte, bien décidé à quitter le royaume pour fuir l’amour illégitime qu’il porte à Aricie. A quelques mètres de là, Phèdre prend de la hauteur dans une longue robe d’un blanc immaculé et confie avec désespoir son amour pour Hippolyte.

La mise en scène s’ouvre à la danse. Les personnages centraux sont accompagnés par plusieurs partenaires de jeu qui les retiennent, les repoussent ou les entravent dans leurs mouvements. Au milieu d’un décor d’une noirceur glaciale, les alexandrins d’hier résonnent avec violence dans la salle. Tandis que sur le plateau, l’eau monte et contraint les acteurs à patauger dans le drame qui est en cours. Pauline d’Ollone au micro de François Caudron : “C’est un texte puissant. Je voulais éviter l’écueil du très psychologique ou de l’introspectif. Mon travail est d’éviter que ce texte ne devienne un long tunnel de paroles.

François Caudron, rtbf.be


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, partage, correction et iconographie | sources : museejeanracine.neopse-site.fr ; rtbf.be ; | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Dominique Blanc dans Phèdre, mis en scène par Patrick Chéreau @ festival-avignon.com ; © tv5-monde.


Pus d’arts de la scène en Wallonie-Bruxelles…

Quand la “paranoïa des arcs-en-ciel” s’en prend à Pink Floyd

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[RADIOFRANCE.FR/FRANCEINTER, 2 février 2023] Les Pink Floyd ont dévoilé leur nouveau visuel à l’occasion des 50 ans de leur album The Dark Side Of the Moon. Mais la présence de l’arc-en-ciel n’a pas plu à certains soit disant fans.

Tout commence lorsque Pink Floyd, reconnu assez unanimement comme un des plus grands groupes de rock de tous les temps, décide de célébrer les 50 ans de ce qui est considéré comme leur chef d’œuvre : l’album The Dark Side Of the Moon sorti le 23 mars 1973.

Superbe coffret, livre de photos inédites et autres déclinaisons ‘collectors’ sont prévues pour l’occasion, mais aussi un nouveau logo qui accompagne la communication de la bande à Gilmour. On y voit le célèbre triangle de la pochette originelle dans lequel s’inscrit le chiffre 50 avec un zéro remplit des couleurs de l’arc-en-ciel… Vous la sentez venir la polémique ?

Une escouade de prétendus fans, trolls anti-gays sont venus s’insurger sur les réseaux. Petit florilège : “Retirez cet arc-en-ciel vous avez l’air stupide“, “Qu’est-ce qui vous prend avec l’arc-en-ciel ?“, “Quelle honte” ou encore “Est-ce que vous êtes devenus woke ?.”

© twitter

Eh oui, il fallait s’y attendre, l’arc-en-ciel drapeau de la communauté LGBT fait voir du wokisme partout. On se souvient de l’affaire du M&M’s violet accusé lui aussi de ‘wokisme’ par Fox News…

Dans cette histoire, on aurait donc des prétendus ‘fans’ de Pink Floyd outrés de voir leur groupe céder aux “sirènes progressistes LGBTQIA+” au point d’afficher leur drapeau. Evidemment n’importe quel vrai fan de Pink Floyd ou personne capable de se rendre sur leur page wikipedia sait que sur la pochette de 1973 il y a déjà un arc-en-ciel… Un grand triangle, un prisme pour être exacte, à travers lequel passe un trait de lumière qui se transforme en arc-en-ciel…

S’en sont suivis des tonnes de détournements d’autres fans, plus informés, et pas franchement du même bord. Notamment, mon préféré : un dessin d’Isaac Newton, scientifique et philosophe, devant le prisme qui lui a permis de montrer au 17ème siècle comment la lumière blanche se décompose en spectre de couleurs arc-en-ciel… L’image est associée à cette légende “Sir Isaac Newton prédisant que les Pink Floyd allaient devenir woke” ! Ça nous donne un bon instantané de l’époque mais qu’est-ce que ça raconte ?

On voit comment se livre une bataille anachronique autour de l’arc-en-ciel. Omniprésent dans les codes visuels des années 70, tout se passe comme si ceux qui avaient baigné dedans durant leur jeunesse se réveillaient dans un monde du ‘complot arc-en-ciel’. Attaquant l’idéologie ‘progressiste’ ou ‘woke’ ils pratiquent à leur tour la fameuse ‘cancel culture’ : “à partir de maintenant je n’écouterai plus ce groupe” pouvait-on lire dans les commentaires du logo. À ce stade ce n’est plus un instantané de l’époque, c’est un comble !

Mathile Serrell, podcast Un monde nouveau


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | sources : radiofrance.fr/franceinter | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : la pochette de l’album The Dark Side of The Moon, signée Storm Thorgerson de Hipgnosis © HIPGNOSIS – EMI.


Débattre encore en Wallonie-Bruxelles…

GODIN : Foot (2016, Artothèque, Lg)

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GODIN François, Foot
(impression numérique, 30 x 30 cm, 2016)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Né en 1979, François GODIN se lance dans l’illustration dès la fin de ses études à Saint-Luc Liège et multiplie les expériences et les rencontres (pochette de disques, dessins pour magazines jeunesses et des éditions Milan, deux livres jeunesse, des affiches…).

Un joueur semble sauter en l’air ou plonger sur le gazon. La stylisation très fine, les couleurs vives évoquant la pelouse, mais aussi le motif central signalant une vareuse amène l’image dans un univers figuratif. Pourtant l’aplat vert, les carrés blancs et noirs vus comme un motif abstrait sur fond vert, tout comme le chiffre “1” et les formes circulaires inscrivent l’image dans l’abstraction, évoquent les affiches des années 60.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © François Godin  | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

VIENNE : textes

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Articles, notices, recensions

      • Flor O’Squarr, dans Histoire et Archéologie spadoises, n° 56, 1988, pp 157-165. (notice)
      • Révision de la carte de l’Europe, dans Lettres françaises de Belgique. Dictionnaire des Oeuvres, tome III, Louvain-la-Neuve, 1989, p. 432  (notice)
      • Naser ed-Din, un persan à Spa, dans Histoire et Archéologie spadoises, n° 66, 1991, pp 67-73.
      • De Spa à Honolulu : l’étrange destin du Bois de Spa, dans Histoire et Archéologie spadoises, n° 68, 1991, pp 176-179.
      • Un artiste “hannonyme” à Spa : Théodore Hannon, dans Histoire et Archéologie spadoises, n° 70, 1992, pp 64-69
      • Le Hula, splendeur et misère de la danse à Hawaii, dans Art & Fact, n° 11, 1992, pp 135-137.
      • Les Crehay, peintres spadois, dans Art & Fact, n° 11, 1992, p. 155 (notice)
      • Jacques Van den Seylberg et Spa, dans Histoire et Archéologie spadoises, n° 73, 1993, pp 5-12.
      • Jules Crehay, auteur wallon, dans Histoire et Archéologie spadoises, n° 75, 1993, pp 102-110.
      • Crehay, dans Nouvelle Biographie Nationale, tome 3, Bruxelles, 1994, pp 94-96. (notice)
      • Les Crehay, quatre générations d’artistes et d’artisans à Spa, dans 4e congrès de l’Association des Cercles francophones d’histoire et d’archéologie de Belgique, Actes, tome III, Liège, 1995, pp 213-218. (résumé de texte de conférence)
      • Van den Seylberg, dans Nouvelle Biographie Nationale, tome 4, Bruxelles, 1997, pp 381-382. (notice)

ET Dans wallonica.org…

Nouvelles / fictions

Cliquez ici pour visualiser le Fonds Vienne dans la DOCUMENTA…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction | sources : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne & Patrick Thonart | crédits illustrations : “Bulles d’espoir” (2016) © Philippe Vienne.


Par où commencer ? Qui ne sait choisir laisse la main au hasard…

EVRARD, Jean (1900-?)

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Jean EVRARD débute dans les années 30 en région liégeoise. Il signe son premier contrat important avec Jean Paques au Carlton de Blankenberge, en 1938. De retour à Liège, il joue quelque temps dans l’orchestre de Lucien Hirsch puis, au début de la guerre, dans la formation de Gaston Houssa avec qui il monte un trio vocal fameux (Trio Vocal Houssa), puis il joue à Paris avec ce trio. On le trouve ensuite, toujours à Paris, dans le grand orchestre de Raymond Legrand où il côtoie des musiciens aussi importants que Michel Warlop ou Hubert Rostaing.

De retour à Liège, il devient le trompettiste du “noyau swing” (Raoul Faisant, Roger Vrancken, Maurice Simon) qui offre aux Liégeois leurs premières jams de qualité. En 1943, il part pour les Pays -Bas sous un faux nom, en compagnie notamment de Raoul Faisant, Maurice Simon et René Thomas ; concerts, radios, et enregistrements (hélas perdus) à Amsterdam. A son retour, il se fait arrêter par les Allemands et envoyer en déportation pour treize mois. Libéré à la fin de la guerre, il recommence à jouer aux côtés de Faisant et effectue des tournées des “restcamps” américains.

En 1947, Evrard forme l’Equipe, groupe middle jazz (Henri Solbach, Coco Gonda…) qui se produit à Liège surtout. Comme tous les musiciens professionnels, il subit bientôt les contraintes du “métier” et doit s’orienter vers une musique plus commerciale. Il travaille régulièrement dans l’orchestre de Pol Baud et, en 1959, il se produit à Comblain avec Faisant. Il part ensuite pour Bruxelles où il travaillera durant des années dans des boîtes de nuit ; parallèlement, il obtient fréquemment des contrats comme musicien de studio.

Il se permet encore à l’occasion quelques petites escapades du côté du jazz (la plus marquante étant une jam-session avec les musiciens de l’orchestre de Count Basie, de passage à Bruxelles) mais arrête le métier en 1968. En 1974, il reprendra une activité en semi-professionnel, jouant et chantant dans l’orchestre de Jo Carlier. Il effectue alors quelques remplacements dans le Big Band de la BRT et joue de manière régulière dans le groupe Jazz de Liège. Jean Evrard stoppe toute activité au début de 1989.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : sculpture des jazzmen, Comblain © cirkwi.com 


More Jazz…

 

FLECHET, Léo (1928-2004)

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Léo FLECHET découvre le jazz vers 1945-1946 par l’intermédiaire des V-Discs, après avoir suivi une formation classique. Attiré par Johnny Guamieri, il se met au piano-jazz, rencontre René Thomas, entre dans son trio dès 1947 et devient rapidement un des pianistes les plus actifs du jazz moderne.

(de-G-a-DR) René Thomas, Félix Simtaine, Robert Jeanne, Léo Flechet, Fredd © jazzhot.net

Entre 1948 et 1951, il participe à de nombreuses expériences musicales aux côtés des chefs de file liégeois (Jaspar, Pelzer, Thomas, Boland), notamment lors des fameuses jams de la Laiterie d’Embourg.

Pianiste dans différentes formations amateurs, Léo Fléchet forme en 1957 son propre trio avec le guitariste Jo Verthé et le bassiste Jean-Lou Baudoin. Il découvre Bill Evans qui devient un de ses principaux modèles.

En 1960, il entre dans le quartette de Robert Jeanne (qui se maintiendra jusqu’en 1985 !) et continue à se produire en trio (avec cette fois Jean Lerusse et Félix Simtaine) ; ce trio sera engagé comme “rythmique-maison” aux différentes éditions du Festival de Comblain-la-Tour.

Parallèlement, Fléchet travaille en tant que sideman occasionnel et accompagne ainsi des musiciens comme Dave Pike, Bill Coleman, Dizzy Reece, J. R. Montrose, Don Byas, Anita O’Day, Slide Hampton tant en Belgique qu’à l’étranger. Il se produit aux festivals de Vienne, Zurich, Viersen et Montreux. En 1966, il reçoit la palme du meilleur pianiste amateur européen à Mönchengladbach.

Vers 1975, il s’essaye au piano Fender dans le cadre d’un jazz plus binaire et plus électrique (Karma, A. Hankart Investigation), pour revenir ensuite définitivement à la formule acoustique. A titre expérimental, il joue à deux pianos au Travers (Bruxelles) avec Pirly Zurstrassen. Pendant toute sa carrière, il a travaillé en semi-professionnel.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Léo Fléchet au piano avec, e.a., René Thomas et Robert Jeanne © jazzhot.net ; V-Discs © DP.


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BELANGER, Genesis (née en 1978)

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Dans ses installations, l’artiste américaine Genesis BELANGER convoque des objets étranges, choisis avec soin pour leur pouvoir symbolique se prêtant à une multiplicité d’interprétations. Des œuvres pop teintées de surréalisme.

Née en 1978 aux États-Unis, Genesis Belanger travaille désormais à Brooklyn (à Williamsburg exactement), dans son atelier – situé à cinq minutes de chez elle – du lundi au vendredi, de 10 à 19 heures, avec une régularité d’horloge. Tout juste quadragénaire, Genesis Belanger offrit un curieux spectacle, cette année [2019], à New York, au 231 Bowery, dans une vitrine jouxtant l’entrée du célèbre New Museum : entre janvier et avril, elle y présentait Holding Pattern, une installation visible depuis la rue. Derrière la vitre, les passants pouvaient contempler un bureau dont le tiroir ouvert livrait sans pudeur son contenu aux regards. Une tablette de chocolat entamée, une petite flasque (d’alcool ?), des bonbons, une brosse à dents et un tube de dentifrice… le tiroir révèle comme les premiers éléments d’un portrait – mais de qui ? Sur le bureau lui-même trônent un hamburger et un pot à crayons : les crayons semblent fondre, comme les doigts de la très grande main posée à côté, caressant une cigarette molle. Dans l’autre moitié de la vitrine, deux lampes sont posées sur une étrange table, à côté d’un sac à main d’où s’échappe, par une bien trop grosse fermeture Éclair, un gant – à moins qu’il ne s’agisse d’une main un peu molle…

Fixée au mur, une horloge nous conforte dans l’idée qu’il s’agit ici d’une insolite salle d’attente. Et c’est bien de cela que s’est inspirée l’artiste : de salles d’attente d’hôpital et d’aéroport des années 60, dans des tonalités nude. Les objets polysémiques de Genesis Belanger sont réalisés en porcelaine, en grès, en béton coulé, jamais vernis. Leur surface, mate, paraît poreuse et leurs couleurs, toujours atténuées, semblent être leur matière même. J’essaie toujours de créer des objets qui existent dans le présent, mais qui transportent un peu de leur passé avec eux, expliquait Genesis Belanger à Katy Donoghue du magazine Whitewall. Lorsque je les choisis, je songe à l’histoire dont ils sont imprégnés, et je sélectionne ceux dans lesquels se superposent plusieurs couches de symboles successives, comme la cigarette, par exemple. La cigarette est cette chose qui nous tue et qui simultanément nous fait nous sentir vivants. Historiquement, les femmes ne fumaient pas. Et puis les publicitaires – des hommes pour la plupart – établirent un lien entre le fait de fumer et l’émancipation des femmes, en imposant l’expression ‘flambeaux de la liberté’ pour désigner les cigarettes, avant d’en encaisser les bénéfices. Cela est révélateur du fonctionnement général du système. Nous pensons fonder nos actions sur nos propres décisions, mais en réalité, nous sommes manipulés.”

C’est une des singularités des sculptures de Genesis Belanger : elles sont difficiles à inscrire dans une époque précise, elles semblent contemporaines, mais portent en elles les strates sédimentées de passés successifs. Leur présence est spectaculaire, mais elles-mêmes ne le sont pas nécessairement. Est-ce parce qu’elles naissent après de longues recherches iconographiques ? Le travail de Mme Belanger repose en partie sur la manière dont il évoque l’histoire de l’art : le téléphone-homard de Salvador Dalí ; la tasse à thé recouverte de fourrure de Meret Oppenheim ; les sculptures molles de Claes Oldenburg ; les objets enveloppés dans du feutre de Man Ray, les œuvres d’Evelyne Axell, de Marisol, de Niki de Saint Phalle, de Tom Wesselmann, de Brian Calvin, d’Al Hansen et de nombreuses autres personnes utilisant le langage pop”, écrit Roberta Smith dans le New York Times.

Genesis Belanger © Steve Benisty

Au célèbre domaine viticole de la Romanée-Conti, en Bourgogne, où Genesis Belanger exposera l’été prochain [2020] et où je m’entretiens avec elle, l’artiste confie se sentir finalement plus concernée par le Bauhaus que par le surréalisme, expliquant que les objets surréalistes sont beaux parce qu’ils sont extraordinaires, tandis que les objets du Bauhaus sont beaux tout en étant ordinaires. De fait, ces oscillations subtiles reflètent les sinuosités du parcours de Genesis Belanger. Elle étudia à la Rhode Island School of Design et à la Cooper Union avant de passer un diplôme de fashion design à la School of the Art Institute de Chicago. Elle déménagea ensuite à New York et travailla cinq ans comme conceptrice  d’accessoires pour la publicité (pour Chanel, Tiffany & Co., Victoria’s Secret…), avant de reprendre des études au Hunter College de New York, où elle obtint son diplôme en 2009. La publicité, ce sont des gens brillants qui utilisent des langages visuels pour manipuler notre désir au service du capitalisme. Les jugements moraux mis à part, cela me fascine. La beauté n’est pas vide. Ça peut être un outil puissant”, confie-t-elle, et l’on comprend à demi-mots que ses œuvres et installations sont des pièges très sophistiqués qui se jouent de nos désirs, de nos goûts, et nous manipulent allègrement à leur tour.

Elle exposa en compagnie d’Emily Mae Smith (A Strange Relative, novembre-décembre 2018) dans la galerie new-yorkaise d’Emmanuel Perrotin, qui lui a aussi consacré cette année un mini stand à la FIAC. Si leurs ateliers sont installés sur le même palier du même building de Brooklyn, elles semblent surtout partager une approche décomplexée de l’art qui n’entend pas s’affranchir de l’histoire des arts ni la considérer comme un simple mood board. Belanger inflige à ses sculptures la même précision maniaque et la même ambition généalogique que celle que Smith impose à ses impeccables peintures. À cette réserve près : les terres cuites de Belanger, une fois livrées à la cuisson, échappent provisoirement à son contrôle, et le résultat la satisfait rarement – peu importe, elle recommence, ne se souciant pas des pièces qui cassent. Elle dispose en effet, dans son atelier, d’un petit cimetière pour œuvres brisées ou ratées, et parvient parfois à empêcher sa mère de les emporter chez elle. Elle dit garder de son enfance itinérante la force de ne s’attacher à rien, et de son parcours en zigzag entre les beaux-arts, la publicité et la mode, une certaine capacité à voir, au-delà de la matière, ce que les objets signifient secrètement. “Les objets peuvent être des substituts de nous-mêmes. À New York, on est jugé sur ses chaussures. Les hommes se jugent en fonction de leur montre ou de leurs boutons de costume. Des petits marqueurs statutaires qui font office de passeports au sein des classes sociales.”

d’après NUMERO.COM


[INFOS QUALITÉ] statut : actualisé | mode d’édition : partage, décommercialisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : Genesis Belanger, All Your Future Endeavors (2022) © Pauline Shapiro ;   © Steve Benisty.


Plus de sculpture en Wallonie-Bruxelles ?

DELAHAUT : From Utopia, with love xxx (2013, Artothèque, Lg)

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DELAHAUT Sabine, From Utopia, with love xxx
(eau-forte, n.c., 2013)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

S. Delahaut © moving-art.net

Née en 1973 à Hermalle-sous-Argenteau, près de Liège, Sabine DELAHAUT a fait ses études à l’Ecole Supérieure des Arts Saint-Luc à Liège et a été assistante 4 ans à l’atelier Contrepointe (Atelier 17) à Paris. Elle a participé à de nombreuses expositions collectives et personnelles en Belgique, en France, au Danemark, en Roumanie… Elle est notamment sélectionnée à la Biennale Internationale de Gravure Contemporaine de Roumanie et à la Biennale de la Gravure Contemporaine Liège en 2013. (d’après EXPRESSIONDAUJOURDHUI.FR)

Comme le dit l’artiste : une partie de mon travail prend sa source dans le vêtement et son histoire, dans les liens qu’il entretient avec le corps féminin, […] J’aime aussi explorer son côté intuitif et animal, les jeux et mutilations du corps… […] La ligne est omniprésente dans mon travail ; comme un écho à ma formation initiale de couturière […]” (archives Wégimont Culture). Dans ce cas, de fines mains féminines tricotent une patte de loup. Cette association lie féminité et animalité de manière incongrue autant que raffinée.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Sabine Delahaut ; moving-art.net  | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

Femmes-artistes belges vers 1900 : 9 Femmes, 9 Artistes (exposition, 1998)

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Pourquoi pas de grands noms féminins dans les arts plastiques ?

[avant-propos du catalogue de l’exposition, téléchargeable dans notre DOCUMENTA] Cette exposition est un hommage au talent de femmes qui se sont distinguées dans les arts plastiques.

Pourquoi n’y a-t-il pas de femmes de grande renommée dans les arts plastiques ? Voilà une question qu’on ne cesse de poser avec une grande sincérité, avec un soupçon d’étonnement mais surtout en se disant que “les femmes ne sont tout de même pas égales aux hommes“. La réponse est qu’au cours des siècles passés et au début de ce siècle, les femmes, quel que soit leur milieu social, n’avaient pas l’occasion de cultiver leur intellect ou leur talent. Elles étaient traitées et élevées comme des enfants et des incapables. “L’une des premières conditions de l’instruction chez la femme, c’est d’être profondément cachée“, écrivait Balzac. Chez Jules Michelet, nous lisons dans son ouvrage La Femme, publié vers 1859, la phrase suivante: “Elle ne crée pas l’art, mais l’artiste. La femme est la principale source d’inspiration de l’artiste, elle le soutient moralement, l’encourage et surtout l’admire“. A l’homme, Jules Michelet dit: “Elle est ta noblesse, à toi, pour te relever de toi-même… Tu seras forcé d’être grand.”

A propos de la femme comme artiste, J. Michelet entretient des idées très particulières. Il prétend qu’une femme, aussi longtemps qu’elle n’a pas été déflorée, ne peut approcher l’émotion de l’artiste et de ses œuvres. Comment peut-elle ou oserait-elle, étant vierge, produire ou copier des œuvres d’art aussi bouleversantes ? Elle admettrait ainsi qu’elle sait déjà trop de la vie. Il dit: “C’est sous les yeux de son amant, c’est dans les bras de son mari, qu’elle peut s’animer de ces choses et s’en approprier la vie… c’est par l’amour que la femme reçoit toute chose. Là est sa culture d’esprit… le mari et non le père, peut faire son éducation.

Dans son ouvrage Tagesfragen, le philosophe allemand Edouard von Hartmann (1842-1906) s’exprime dans le même sens: “Das Weib wird erst ais Gattin zur Halfte Mensch und erst ais Mutter ganz Mensch.

Ces idées ont eu cours pendant tout un siècle. Un grand nombre de femmes de ma génération ont d’ailleurs encore entendu raconter de pareilles absurdités. Le changement de mentalité n’a commencé qu’avec la seconde vague d’émancipation.

Malgré tout, il y eut dans le passé un certain nombre d’artistes féminins tout à fait remarquables. Les rares femmes qui avant le XIXe siècle sont devenues des peintres de tout premier plan étaient généralement des filles d’artistes. Leur formation leur était donnée dans l’atelier de leur père. Même les femmes issues de l’aristocratie avaient très rarement accès à une formation aux arts plastiques.

Peu de femmes peintres jouissent d’une certaine notoriété auprès du grand public. On connaît Berthe Morisot (France, née en 1841 ), Mary Cassat (Etats-Unis, née en 1844), Sonia Delaunay (France, née en 1885) ainsi que Käthe Kollwitz (Allemagne, née en 1867).

De nombreuses autres, pourtant appréciées et honorées par leurs contemporains, restent inconnues, bien qu’elles méritent d’être découvertes. Dans l’histoire internationale de l’art, nous songeons notamment à Sofonisba Anguissola (Italie, 1535-1625), louée par Michel-Ange ; Angelica Kauffmann (Autriche, 19e siècle), amie de Goethe et fondatrice de l’Académie royale à Londres ; Elisabeth Vigée Lebrun (France, 1755-1842), portraitiste de Marie-Antoinette ; Rosa Bonheur (France, 1822-1899), un des peintres animaliers les plus appréciés ; ou encore Suzanne Valadon (France, 1865-1938), animatrice des styles révolutionnaires de la fin du 19e siècle, et d’autres comme la Flamande Clara Peeters (17e siècle), qui peignait surtout des natures mortes. Quatre de ses œuvres sont exposées au Musée du Prado à Madrid.

Cette année, l’UNESCO et les Nations unies entament une décennie du développement culturel. Le Nationale Vrouwen Raad a voulu, dans le programme des manifestations organisées à l’occasion du centenaire du Conseil international des femmes, faire une large place à la femme en tant qu’artiste. Cette exposition et trois concerts, au cours desquels seront interprétées des œuvres de compositrices, constituent en même temps la contribution du Nationale Vrouwen Raad aux efforts de l’UNESCO et des Nations unies.

Lily BOEYKENS, Présidente du Nationale Vrouwen Raad


Rosa Bonheur (1822-1899), Chat sauvage (1850) © Erik Cornelius, / Nationalmuseum Stockholm

[introduction du catalogue] De très nombreux auteurs ont déjà mis en lumière le lien entre société et production artistique : l’art comme miroir de la société, comme symptôme, comme symbole de la réalité sociale, comme précurseur aussi. En étudiant les œuvres d’art, on s’efforce également de sonder les causes les plus profondes de l’évolution sociale. A noter que ce parallélisme, simultané ou non, entre l’évolution de la société et l’histoire de l’art existe aussi entre l’histoire de l’émancipation de la femme et celle de la production artistique des artistes féminins.

Marie a enfanté le Christ, mais l’église est un monde d’hommes par excellence. Selon une légende ancienne, Kora a exécuté le premier dessin en silhouettant sur un mur l’ombre de son bien-aimé avant qu’il parte à la guerre, mais toute l’histoire de l’art est dominée par les hommes. Comme dans l’histoire politique, les exceptions confirment la règle. A partir du milieu du 20e siècle, des génies féminins sont enfin reconnus dans le monde artistique ; pourtant, leur condition de femme reste pour beaucoup
d’artistes un obstacle à leur carrière.

Force est de constater que parmi les femmes on ne trouve pas de Rembrandt ou de Picasso, mais on peut aussi se demander pourquoi. Comme le dit le professeur Linda Nochlin (Art and Sexual Politics, 1975), il n’y a pas non plus de grands pianistes de jazz lituaniens ni de champions de tennis esquimaux et “… in the arts as in a hundred other areas, things remain stultifying, oppressive and discouraging to all those – women included – who did not have the good fortune to be born white, preferably middle class and, above all, male.” Parallèlement à la deuxième vague d’émancipation, dans différents pays on s’est intéressé de plus en plus au travail d’artistes féminins et on a commencé à l’étudier.

Ainsi existe-t-il depuis 1977 à Amsterdam un centre de documentation actif et richement doté (Stichting Vrouwen in de beeldende kunst) qui a édité de nombreuses publications et organisé des expositions. Tout récemment encore (18.12.1987 – 7.2.1988), une double exposition a eu lieu à Berlin : d’une part, des œuvres d’artistes féminins, découvertes dans les réserves de dix musées berlinois, Das verborgene Museum ; d’autre part, des œuvres d’artistes contemporains, Dein Land ist morgen, tausend Jahre schön.

Il convient donc que le Conseil national des femmes participe à ce courant international ; son centième anniversaire est une occasion unique de montrer les tableaux de nos meilleurs artistes féminins de la période 1888 à 1938. Il est intéressant de lire leurs biographies, car leur condition féminine a déterminé dans une large mesure l’évolution de leur carrière. Les plus anciennes ont débuté à une époque où les femmes n’avaient pas encore accès aux classes de nu dans les académies, où il n’était absolument pas admis que des femmes gagnent leur vie comme artistes. Leur oeuvre est souvent étudiée et jugée par rapport à celle de leurs collègues masculins. Peu de publications y sont consacrées. Leurs tableaux mêmes sont encore difficiles à repérer de nos jours.

A-t-on jugé leur travail de façon objective ? Quand on étudie les textes des critiques d’art, on constate qu’ils utilisent souvent un autre langage que lorsqu’ils traitent du travail des artistes masculins, manifestement avec les meilleures intentions du monde, mais cela trahit incontestablement leurs idées préconçues. Marthe DONAS n’est pas la seule femme à avoir changé son prénom ou à ne pas l’avoir divulgué afin qu’on ne sache pas que l’auteur était une femme. Après avoir jugé aussi objectivement que possible – un élément subjectif intervient toujours dans l’appréciation d’œuvres d’art – les œuvres réalisées par des femmes, on peut se demander s’il y a des traits propres aux artistes féminins.

Il est très difficile de répondre à cette question, car cela exige de longues recherches. Tout artiste – homme ou femme – a son propre tempérament, son propre style : il y a des hommes qui produisent des œuvres d’art “typiquement féminines” et des femmes qui en réalisent de “typiquement masculines”!

Toutefois, l’étude des thèmes choisis, la manière dont ces thèmes sont représentés, en d’autres termes la recherche iconologique sur le travail des femmes donnera incontestablement des résultats. Il y a en effet des sujets traités par des femmes, qui ne seraient jamais représentés par un homme. Tenter de trouver des explications à ce choix relève de la recherche scientifique: un terrain encore inexploré !

Je me réjouis donc de voir que le Conseil national des femmes, en organisant cette exposition, contribue à encourager cette recherche. Nous devons dès lors lui en être extrêmement reconnaissants.

Lydia De Pauw-Deveen, Professeur d’Histoire de l’Art
Directrice du Centrum Vrouwenstudies van de VUB


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : dématérialisation, partage, édition, correction et iconographie (l’article original contient plus d’illustrations et de références) | sources : Catalogue de l’exposition | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, Anne Montigny, Le jardinier (1913) © MSK Gent.


Plus d’arts visuels en Wallonie-Bruxelles…

Butors et triples buses : biodiversité inspirante en Wallonie-Bruxelles

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Il était une fois un œil qui vivait avec un seul objectif : capturer la vie sans l’arrêter. Lors vint un jour où…” Quel régal vivifiant qu’il ne s’agisse pas ici d’un conte de fée (n’en déplaise au bon Henri Gougaud) mais bien d’une belle histoire : l’ami Benoît Naveau est cet œil aussi précis que généreux et le télé-objectif qu’il promène dans nos bois & buissons lui permet une capture douce de la vie comme elle s’offre, sans violence aucune.

Pourquoi ressent-on autant l’exaltation que le respect quand on est face aux Sittelles torchepot, aux Mésanges bleues (cfr. en-tête) ou aux Grimpereaux des jardins que Benoit nous partage sans réserve sur les réseaux sociaux et, désormais, dans wallonica.org également ? Peut-être ressent-on avec lui cet instant unique -qui ne sera pas le suivant- où il doit appuyer sur le déclencheur pour figer un avatar de la Grande Mère, cette nature biodiverse où nous vivons quelquefois comme des aveugles. Au moins, Benoît est-il borgne en ce pays de cécité, et les longs affûts qu’il impose à son œil unique inspirent le respect dû aux courageux qui prennent le temps de regarder, aux poètes dont le surplus d’humanité nous permet d’entrevoir plus que les faits divers.

Les “CARNETS DE L’ŒIL” formeront -dans wallonica.org– une série d’articles où nous avons choisi de tenter une expérience qui se veut originale. Chaque article naîtra d’un cliché de Benoît et sera un florilège des savoirs inspiré par celui-ci : poèmes, haikus (haikai ?), documentation scientifique, extraits et citations, topo du site, liens vers les sites et blogs de nos confrères qui ont également publiés sur le sujet de la photo, planches scannées du Fonds Primo de notre DOCUMENTA et, naturellement, vos contributions pertinentes… en veux-tu, en voilà. Cette page en sera la table des matières et chacun des articles offrira des hyperliens vers 11 autres articles de la série. Alors, avec nous, cliquez curieux !

Patrick Thonart


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction et iconographie | auteur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © Benoît Naveau.


[en construction] Bio-diversons en Wallonie-Bruxelles…

EXPO | Volumes (OYOU, Marchin)

Sculptures, photographies, peintures, environnements et installations d’artistes de la Fondation Province de Liège pour l’Art et la Culture, à OYOU, avec Bernard HERBECQ et Yves BARLA – Georges BIANCHINI – Roland CASTRO – Brigitte CORBISIER – Paul FRANCK – Sophie LEGROS – Michel LEONARDI – Vicky ROUX – Guy VANDELOISE.

C’est Bernard Herbecq, dernier arrivé dans la Fondation qui donne le « la » à cette exposition. Cet architecte et créateur de mobilier a décidé de donner à la Fondation ses maquettes en terre, matérialisation d’une étape de travail certes, mais aussi objets poétiques aujourd’hui transcendés par le temps et par la matière.

Bernard Herbecq, né à Bruxelles en 1950, est diplômé de l’Institut supérieur d’Architecture Lambert Lombard en 1974. Son architecture est dite organique et expressive. Il s’imprègne de l’environnement qui l’entoure et intègre son bâti dans le paysage. Il concevra sa propre demeure dans la campagne hesbignonne et la réalise en autoconstruction. Ce chantier sera plébiscité dans plusieurs textes, revues et ouvrages d’architecture à l’échelle internationale, ce qui lui vaudra de nombreuses commandes publiques et privées. Il créera en parallèle du mobilier, avec comme logique constructive des assemblages simples qui s’écartent des assemblages traditionnels utilisés en menuiserie.

Mais cet architecte sait aussi se faire sculpteur : il modèle de ses mains les volumes de ses projets de construction afin d’en mesurer la justesse, tant plastique que fonctionnelle. Et aujourd’hui, au terme de sa carrière professionnelle, il a rassemblé toute une collection de maquettes en terre crue qui semblent de véritables petits objets sculpturaux. Pourtant façonnés dans un but utilitaire, ceux-ci même hors contexte nous parlent encore et les mettre en dialogue avec des œuvres d’artistes plasticiens leur offre d’autres perspectives de sens…

À l’occasion de cette exposition, Bernard Herbecq sera accompagné d’artistes de la Fondation Province de Liège pour l’Art et la Culture qui ont décliné le volume avec un vocabulaire poético-plastique tout à fait singulier. Yves Barla (1959-2004), Georges Bianchini (1954-1987), Roland Castro (1948-2005), Brigitte Corbisier (1946), Paul Franck (1918-1989), Sophie Legros (1976), Michel Leonardi (1951), Vicky Roux (1942) et Guy Vandeloise (1937) expriment les profondeurs et les matières, les volumétries, l’expression imagée ou non de la troisième dimension selon leur propre poétique et à travers des techniques diversifiées : sculptures, photographies, peintures, environnements et installations.

Exposition accessible du 29 janvier au 26 février 2023 A OYOU, Grand-Marchin 4, 4570 Marchin | Ouvert les mercredis, samedis et dimanches de 14h à 18h et sur rendez-vous | Entrée libre

Vernissage le dimanche 29 janvier à partir de 11h :

      • 12h – 14h : REPAS de midi au « Bistro » (assiette garnie – 10 € sur réservation : manu@oyou.be)
      • 14h30 : PERFORMANCE : 10′ pour une peinture, Sophie LEGROS + Michel BARZIN
      • 15h : PRÉSENTATION de l’exposition et RENCONTRE avec les artistes

Dévernissage le dimanche 26 février : présence des artistes et distribution du Carnet souvenir de l’exposition

Source : oyou.be

FANIS, Jean (1924-2012)

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Jean FANIS commence une formation classique au piano puis, après avoir entendu Duke Ellington à la radio, il s’intéresse de plus en plus au jazz. Il apprend d’oreille quelques standards en piano solo, puis, à la Libération, se joint au Sadi’s Hot Five à Namur. Entretemps, il a découvert Teddy Wilson qui sera sa première influence majeure. Après une tournée avec le groupe de Sadi, il commence à navetter entre les trois centres névralgiques du jazz en Belgique : Bruxelles, Anvers (où il fait la rencontre, décisive, de Roger Asselberghs et de Jack Sels) et Liège (où il joue avec Raoul Faisant, avant de se joindre au noyau des “modernes”, à l’occasion de l’un ou l’autre remplacement au sein des Bob-Shots).

Il découvre Bud Powell et Al Haig et devient rapidement un des seuls pianistes belges à oser se mesurer au phrasé be-bop et à s’exprimer de façon cohérente dans ce nouveau langage. Pendant les années 50, Fanis joue d’abord à Anvers, à l’Exiclub (où il accompagne notamment Roy Eldridge). Puis, de 1953 à 1957, il est le pianiste-maison de la Rose Noire à Bruxelles où il se frotte aux nombreux solistes de passage, et notamment à Dizzy Gillespie et Clifford Brown. Parallèlement, il travaille régulièrement avec le quintette ThomasPelzer, et avec Jack Sels.

Dès 1955, nombreux enregistrements, en particulier pour la série légendaire “Innovation“. En 1958, il accompagne Lucky Thompson en Allemagne. Pendant les années 60, il est amené, comme tant d’autres, à réduire ses activités, cessant même à plusieurs reprises de jouer (pour replonger peu après). En 1964, il joue dans le trio d’Al Jones alors installé en Belgique et qui se produit fréquemment au Blue Note. Il entre alors dans le quartette de Sadi avec lequel il travaillera et enregistrera pendant de nombreuses années. A l’extrême fin des années 60, Fanis décroche à nouveau pour une période de dix ans, avant de réapparaître au début des années 80 aux côtés de Sadi, ainsi qu’en free-lance dans différentes formations. Il se produit alors régulièrement dans la région de Bruxelles.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © rtbf.be


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TRIBUNE LIBRE : Intelligence Artificielle, l’oxymoron du siècle

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[FUTURIMMEDIAT.NET, 11 janvier 2023] Puisque tout le monde en parle, il doit certainement se passer quelque chose. Pas une journée ne s’écoule sans que sorte un nouvel article, dithyrambique ou alarmiste, dans le domaine très en vogue de l’Intelligence Artificielle. Depuis le Guardian jusqu’à Trust My Science, on nous apprend comment l’IA, en ce moment même, est en train de nous propulser dans une nouvelle ère – ou de nous condamner à l’apocalypse numérique. Sommes-nous à l’aube d’une réelle transition technologique, qui nous apporterait enfin des logiciels d’image pourvus d’imagination, des véhicules autonomes fiables, et des assistants rédacteurs capables de résumer plusieurs textes et d’en faire la synthèse ? Ou bien sommes-nous désormais proches de la “singularité”, plus menacés que jamais par un futur dystopique, du genre Matrix ou Terminator, où les machines auront atteint leur autonomie et prendront le contrôle de l’humanité ?

Ni l’un ni l’autre : les progrès récents, bien que réels et importants pour l’Intelligence Artificielle elle-même, n’auront probablement qu’un impact négligeable sur l’industrie et sur notre quotidien. Le seul vrai problème avec Chat GPT, l’outil de génération de texte que les commentateurs montrent du doigt, c’est la profusion des articles alarmistes – et très mal documentés – qui nous mettent en garde contre cette prétendue menace.

Quant aux synthétiseurs d’images par diffusion (Dall-e, Stable Diffusion, Midjourney, etc.) ils n’ont pas pour objectif de révolutionner les métiers graphiques, et n’en ont pas les moyens, quoiqu’en disent les millions de geeks désœuvrés qui passent leurs nuits à générer des images sans queue ni tête. Tempête dans un verre d’eau, à moitié vide ou à moitié plein, selon l’humeur de l’auteur. Beaucoup de bruit pour des clopinettes. Jouer avec les IA est certes merveilleux : c’est fascinant de les voir écrire, dialoguer, dessiner, cracher des photographies stupéfiantes et élaborer des créations graphiques à couper le souffle. Mais, malheureusement, ces jouets extraordinaires ne pourront pas nous servir à grand’chose de plus qu’à jouer.

Quand l’artifice nous trompe énormément

Au premier contact, les nouvelles intelligences artificielles sont brillantes. On a vu fleurir un peu partout sur le web des images inédites et spectaculaires dans tous les styles graphiques et photographiques, des paysages somptueux, des portraits séduisants, des pastiches délirants, et même des œuvres nouvelles de grands peintres.

Quant à ChatGPT, il est capable de disserter brillamment, à peu près dans toutes les langues, sur n’importe quel sujet pas trop récent. Et cela même en français, à propos de la littérature française :

© futurimmediat.net

Mais si on gratte sous le vernis de sa tchatche, le bot raconte n’importe quoi : les trois citations sont montées de toutes pièces, un Frankenstein vraisemblable – et totalement factice – prétendument extrait d’un livre qui, vérification faite, n’a jamais existé !

C’est d’autant plus pernicieux que, dans un domaine où on manque de compétence, l’assurance trompeuse de ChatGPT est extrêmement convaincante. Et comme il ne se trompe pas systématiquement, on a vite fait de croire que c’est juste une maladie de jeunesse, qui va s’arranger avec les corrections successives. Malheureusement, comme on le verra plus loin, c’est une espérance qu’il faut abandonner, et qui a d’ores et déjà conduit les geeks du monde entier à accorder à l’intelligence artificielle un crédit qu’elle ne mérite absolument pas.

En ce qui concerne la synthèse d’images, pour peu que l’on essaie de se servir des outils existants avec un minimum de sérieux, on finit par passer des nuits blanches à éliminer des tombereaux d’images grotesques, incohérentes ou simplement moches, dans l’espoir d’en trouver une seule qui tienne la route. Florilège :

© futurimmediat.net

Tristes coulisses : derrière les superbes images partagées par les geeks du monde entier se cachent une multitude de ces résultats inutiles, et des heures de fastidieux labeur digital.

Limites techniques, limites de conception

Si les systèmes d’IA dont on parle tant aujourd’hui échouent à dépasser certaines limites, c’est d’abord par manque de puissance et ensuite en raison de limites inhérentes à leur conception. Pour ce qui est du déficit de puissance, il suffit de se rappeler qu’un réseau de neurones artificiels est essentiellement un programme d’ordinateur, et qu’il est donc contraint par les limites d’un pc courant.

Un système d’IA typique est limité à quelques couches d’une centaine de neurones chacune, parce que tous les neurones d’une couche donnée doivent dialoguer avec chacun des neurones de la couche suivante et de la couche précédente, et donc chaque neurone supplémentaire augmente les besoins en ressources. Par comparaison, un cerveau humain comprend une bonne centaine de milliards de neurones. Et on pourrait mettre en avant de nombreuses autres différences.

Mais plus encore que les problèmes de puissance, c’est leur conception même qui rend les réseaux artificiels actuels cruellement inefficaces. Ces réseaux sont entraînés sur des corpus (d’images légendées, de phrases en contexte) et leur objectif est de produire, pour toute demande quelconque (légende dépourvue de l’image associée, question attendant une réponse) un complément vraisemblable (image, texte).

On obtient ce complément par tentatives successives, en produisant plusieurs assemblages de divers fragments pertinents du corpus original. L’assemblage finalement retenu sera celui qui, dans l’ensemble, semble statistiquement le plus proche des données du corpus. Comme le réseau de neurones ne dispose pas d’un modèle (pas de représentation mentale des mots utilisés dans les phrases, pas de notion des objets objets présents dans les les images) et que la ressemblance formelle avec le corpus constitue le seul critère de filtre, on a une vraisemblance purement superficielle, dépourvue de sens : les images produites avec Stable Diffusion sont souvent absurdes, les textes générés par ChatGPT peuvent révéler de profondes incohérences.

Le mirage fatal de l’autocorrection

On peut légitimement se poser la question : pourquoi les nouvelles IA génératives, comme ChatGPT ou Stable Diffusion, ne peuvent-elles pas corriger d’elles-mêmes leurs propres erreurs ? Ainsi, par exemple, le YouTuber Anastasi in tech, se demande pourquoi le système ne donne pas de lui-même un degré de confiance à ses résultats ?

La réponse est simple : du fait de leur manière de traiter l’information, les IA considèrent chacune de leurs productions comme la meilleure production possible : leur indice de confiance est de 100 % à chaque fois. En effet, de manière à obtenir le produit le plus vraisemblable, les AI optimisent déjà en permanence la cohérence de chaque fragment au sein de leur réponse. C’est même là le secret technique essentiel de leur fonctionnement.

Dans les générateurs d’images, on peut même contrôler de manière précise, et en divers endroits, le degré de hasard qu’on souhaite faire intervenir dans la génération : on peut régler le taux de conformité par rapport au texte (”guidance”), le degré de ressemblance du résultat avec une éventuelle image initiale, et sélectionner la matrice de bruit initiale (”seed”). Les chatbots basés sur GPT et les générateurs d’images à base de diffusion sont structurellement incapables d’évaluer la pertinence de leurs réponses et ne peuvent donc pas être améliorés dans ce domaine.

Quand qui peut le plus ne peut pas le moins

Les IA produisent de telles merveilles (images somptueuses, surprenantes et réalistes, réponses limpides et amplement documentées) que pour nous, humains, leurs erreurs évidentes, voire grossières (mains à six doigts, raisonnements incohérents…) paraissent par contraste extrêmement simples à éviter. Malheureusement, cette “évidence” est une projection anthropomorphique. Qui donc aurait un style écrit aussi brillant et serait en même temps incapable de disserter ? Qui donc serait en mesure de dessiner de si belle images et oublierait une jambe, voire un œil, de son personnage ? Réponse : les machines !

Quand on voit l’IA générer un enfant à trois jambes ou une main à dix doigts, on pense tout de suite, “qui peut le plus peut le moins, une machine tellement douée pourra forcément arriver à corriger ces bêtises”. Anthropomorphisme, fatale erreur : les machines ne pensent pas comme des êtres humains.

Rivés à leurs écrans, les geeks du monde entier s’imaginent que les limites intrinsèques des IA seront aisément dépassées, tant les inepties qu’elles contribuent à générer sont criantes : à force d’essais et d’erreurs, par itérations et corrections successives, on parviendra forcément à entraîner des systèmes fiables, capables de détecter par avance ces échecs évidents, et de les éliminer.

Mais non. Pour aider les machines à dépasser leurs limites, il ne suffira pas de leur apporter des améliorations à la marge : il faudra soit augmenter leur puissance, soit améliorer leur conception.

Dans le domaine de la puissance, les progrès sont dans le meilleur des cas contraints par la loi de Moore, selon laquelle le progrès technique permet de diviser la taille des transistors par deux tous les deux ans. Cette contrainte ne satisfait pas les exigences d’un réseau neuronal un peu costaud (rappelez-vous, chaque nouveau neurone fait croître de manière exponentielle le nombre d’interconnexions nécessaires à son fonctionnement). Or, tous les progrès récemment engrangés par les modèles GPT de génération de texte sont basés sur l’augmentation de puissance.

Il faudrait donc se tourner du côté de la conception. Mais les découvertes sont directement liées à la recherche et leur fréquence d’apparition n’est pas prévisible. Aujourd’hui, tous les systèmes populaires de génération d’images procèdent de la combinaison des modèles GPT avec une solution de conception relativement ancienne, la diffusion, inventée en 2015, et qui est à l’origine de tous les progrès qu’on a pu voir en 2022. On ne sait absolument pas quand on aura à nouveau la joie d’assister à une découverte autorisant un progrès d’une telle ampleur.

Tout bien considéré, la geekosphère peut redescendre de son perchoir, rien ne garantit que la prochaine révolution nous attende au coin de la rue.

Proprioception, affects, et conscience, insurmontables limites de l’IA ?

Notre intelligence humaine est multimodale : lorsque nous prononçons un mot, celui-ci ravive une série d’expériences préalablement mémorisées qui sont intellectuelles, pratiques (réponse à la question “que puis-je faire ?”), perceptives (visuelles, auditives, tactiles, olfactives, gustatives), proprioceptives (liées à nos sensations corporelle internes) et, par-dessus tout, émotionnelles. Ainsi le mot “chat” c’est conceptuellement un “animal domestique non-chien”, lié à un tas de perceptions dont des déplacements souples, une couleur et une fourrure, les miaulements, les ronronnements, l’odeur du chat, celle des croquettes qu’on lui donne, la fourrure qu’on touche, l’animal qu’on caresse et grattouille, qu’on nourrit et à qui on doit ouvrir la porte, etc. Sans parler des liens affectifs et des rapports psychologiques qu’on peut entretenir avec un chat, domaines dans lesquels on fera sans doute bien de ne pas se cantonner aux instructions d’un chat-bot.

Cette réalité multidimensionnelle et imbriquée de la mémoire, thématique des romans de Marcel Proust, constitue la limite théorique de l’approche binaire de l’intelligence. Son importance pour la compréhension des énoncés et des images avait été démontrée au plan théorique par quelques sémanticiens mal connus du grand public, comme l’américain Georges Lakoff (Metaphors we Live By) et le belge Henri Van Lier (L’Animal Signé). Cette vision théorique est à présent étayée par des expériences récentes d’imagerie cérébrale, qui ont effectivement rendu visibles, lors de la prononciation d’un mot, l’activation à travers tout le cerveau humain, de réseaux multi-fonctionnels spécifiquement associés à ce mot (conversement, l’imagerie en question permet aussi de plus ou moins bien deviner à quoi pense la personne observée !). En somme, l’expérience humaine liée à la corporéité et aux affects constitue un versant de l’intelligence qui restera probablement à jamais hors de portée des machines électroniques.

Quant à la conscience, manifestement, on nous vend de la peau de Yéti : d’année en année, les spécialistes reportent encore et encore à plus tard leurs prédictions quant l’apparition d’une IA consciente et autonome, ou “General Purpose AI” (intelligence artificielle généraliste), qui prendrait sa destinée en mains. Demain, la Singularité rase gratis.

Dernière annonce en date, la fameuse “interview” de LaMDA, le système d’IA de Google, soi-disant devenu capable de ressentir et conscient de lui-même. Suite à cette fumeuse publication, Google a pris ses distances avec l’auteur et a publié un démenti. Le misérable article inspire même à présent un discours appelant à une évaluation plus raisonnable des systèmes actuels. Another hoax bites the dust.

Si on considère que proprioception, affects et conscience font partie intégrante de l’intelligence, alors il n’y a aucune raison légitime d’utiliser ensemble les mots “intelligence” et “artificielle”.

Michelange Baudoux, sémanticien et blogueur


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Plus de dispositifs en Wallonie-Bruxelles…

LEVY : I – La légende de janvier (1883)

Temps de lecture : 4 minutes >

Les premiers Romains n’avaient qu’une année de dix mois, commençant en mars et finissant en décembre. Ces dix mois, de trente jours chacun, étaient suivis de soixante jours appelés complémentaires. Ce fut, dit-on, le roi de Rome Numa Pompilius qui ajouta janvier et février au calendrier romain : janvier occupait le onzième rang ; février le douzième.

Janvier s’appelait alors januarius, en l’honneur du roi Janus qui avait, suivant la légende, offert l’hospitalité au dieu Saturne, poursuivi par Jupiter. Janus était représenté avec deux visages, tournés l’un à droite, l’autre à gauche, parce que Saturne reconnaissant lui avait donné le pouvoir de connaitre le passé et de deviner l’avenir. Le fondateur de Rome consacra un temple a Janus, temple célèbre dont les portes n’étaient ouvertes qu’en temps de guerre, et il institua des fêtes appelées Januales qui se célébraient le premier januarius. De januarius, nous avons fait janvier.

Notre année commence actuellement au 1er janvier : il n’en a pas toujours été ainsi. Les noms des quatre derniers mois, septembre, octobre, novembre, décembre, qui veulent dire septième, huitième, neuvième et dixième mois, rappellent qu’il fut un temps ou l’année commençait en mars.

Charlemagne emprunta à l’Italie l’usage de commencer l’année à Noël. Au XXe siècle, on abandonna l’usage de dater de la Nativité de Jésus-Christ et l’origine de l’année fut placée à Pâques. En 1563, le roi Charles IX décida que désormais l’année commencerait le 1er janvier. L’édit fut appliqué seulement en 1567.

Le 5 octobre 1793, l’assemblée politique qui s’appelle la Convention décréta qu’à l’avenir l’année commencerait en même temps que l’automne, c’est-à-dire le 22 septembre, à minuit. Il se trouva que précisément la proclamation de la République avait eu lieu le 22 septembre 1792. Un décret du 10 septembre 1805 abolit le calendrier républicain et rétablit l’ancien à partir du 1er janvier 1806 : c’est celui que nous suivons aujourd’hui.

“Janus bifrons” (bi-fronts) par Adolphe Giraldon (1855-1933) pour le Larousse mensuel illustré de janvier 1911 © DP

On raconte que les Romains avaient l’habitude d’offrir à leurs rois, le 1er janvier, des branches d’arbres cueillies dans certains bois consacrés à la déesse Strenua, qui personnifiait la force ; ces présents s’appelaient Étrennes, du nom de la déesse. Quand les rois disparurent de Rome, les particuliers échangèrent entre eux des cadeaux le premier janvier. Nous avons conservé et même étendu l’usage des étrennes.

En janvier, deux fêtes d’origines bien différentes doivent nous arrêter un instant : la fête des Rois et la saint Charlemagne. Le 6 janvier, l’Eglise catholique célèbre “la venue des rois mages qui, partis de l’Orient, s’étaient rendus a Bethléem pour adorer Jésus-Christ.” Ce jour-là, on apporte sur les tables la belle galette dorée qui renferme la fève, signe de la royauté. On coupe le gâteau en autant de parts, plus une, qu’il y a de convives et le plus jeune de la famille désigne au hasard celui ou celle à qui chaque morceau doit échoir. Le morceau qui reste doit être distribué à un pauvre. Les collégiens fêtent le 28 janvier la saint Charlemagne, sous ce prétexte que Charlemagne fut le fondateur de l’Université.

Du commencement à la fin de janvier, les jours augmentent de 1 heure 5 minutes environ, savoir : 22 minutes le matin et 43 minutes le soir. C’est en janvier qu’on trouve les jours les plus froids de l’année, principalement vers les 2, 3, 7 et 10 du mois.

En janvier, les agriculteurs redoutent la pluie : c’est ce qu’expriment les deux proverbes suivants :

Janvier d’eau chiche
Fait le paysan riche.

Le mauvais an
Entre en nageant.

Albert LEVY, Cent tableaux de science pittoresque (1883)


Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…
Le PDF complet de l’ouvrage est ici…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | sources : Fonds PRIMO (documenta) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © nomen.fr.


D’autres symboles en Wallonie-Bruxelles…

LONG : Le Monstre, Love Transformer – planche 1 (2008, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

LONG Jean-Christophe, Le Monstre, Love Transformer – planche 1
(gravure sur bois, 35 x 36 cm, 2008)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Jean Christophe Long ©papeteriedesarceaux.com

Lino-graveur et xylo-graveur, Jean-Christophe LONG (né en 1968) a étudié la bande dessinée à l’Institut Saint-Luc de Bruxelles où il s’enrôle très vite dans le collectif Frigoproduction, participant aux numéros de Frigorevue et Frigobox. Quand Bruxelles se réveille capitale européenne de la culture et que Fréon mène le projet Récits de ville, il est de la partie. Avant de partir pour la Dordogne, il a travaillé comme illustrateur pour la presse belge et participé au spectacle “The Attendants gallery”. Il a animé avec Laura Leeson, l’association culturelle Article19. Actuellement, Jean-Christophe Long travaille sur sa prochaine bande dessinée, entièrement réalisée en gravure sur bois (d’après FREMOK.ORG)

Cette première case plante le décor d’une bande dessinée en cours de réalisation. La technique utilisée, la gravure sur bois, est ici réalisée en trois passages (jaune, rouge et bleu), dont les tonalités se superposent pour donner une palette très riche. Chaque passage nécessite la gravure d’une plaque distincte, ce qui laisse imaginer le temps nécessaire pour réaliser la bande dessinée entière ! Ce travail est visible sur ce site…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Jean-Christophe Long ; papeteriedesarceaux.com  | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

ANDERS : textes

Temps de lecture : 5 minutes >

Les considérations de Le Bon [auteur de La psychologie des foules en 1895] sur la transformation de l’homme par les situations de masse sont désormais caduques, puisque l’effacement de la personnalité et l’abaissement de l’intelligence sont déjà accomplis avant même que l’homme ne sorte de chez lui.
Diriger les masses dans le style Hitler est désormais inutile : si l’on veut dépersonnaliser l’homme (et même faire en sorte qu’il soit fier de n’avoir plus de personnalité), on n’a plus besoin de le noyer dans les flots de la masse ni de le sceller dans le béton de la masse.
L’effacement, l’abaissement de l’homme en tant qu’homme réussissent d’autant mieux qu’ils continuent à garantir en apparence la liberté de la personne et les droits de l’individu. Chacun subit séparément le procédé de “conditioning” qui fonctionne tout aussi bien dans les cages où sont confinés les individus, malgré leur solitudes, malgré leurs millions de solitudes. Puisque ce traitement se fait passer pour “fun” ; puisqu’il dissimule à sa victime le sacrifice qu’il exige d’elle ; puisqu’il lui laisse l’illusion d’une vie privée ou tout du moins d’un espace privé, il agit avec une totale discrétion.
Il semble que le proverbe allemand “un chez-soi vaut de l’or“, soit à nouveau vrai ; mais dans un tout autre sens. Si un chez-soi vaut aujourd’hui de l’or, ce n’est pas du point de vue du propriétaire qui y mange de la soupe conditionnée, mais du point de vue des propriétaires du propriétaire, de ce chez-soi, ces cuisiniers et fournisseurs qui lui font croire que sa soupe est faite maison

Günther Anders, L’obsolescence de l’homme (1956)


Pourquoi il faut (re)lire “L’Obsolescence de l’homme” de Günther Anders

[USBEKETRICA.COM, 8 juillet 2019] Soixante-trois ans après sa publication, l’essai du philosophe allemand n’a pas pris une ride. On peut même affirmer qu’Anders était plutôt extralucide…

L’été est une saison idéale pour ralentir, se déconnecter de l’actualité et, pour les plus téméraires d’entre nous, (re)lire des classiques. L’Obsolescence de l’homme de Günther Anders (1902-1992) en est un. Dans ce texte magistral de 1956, le philosophe allemand s’alarmait de l’idolâtrie pour le progrès technologique au service d’une civilisation des loisirs où les machines auraient retiré aux hommes toute la pénibilité de l’existence.

C’est un livre qui n’a pas la postérité qu’il mérite. À sa publication, en 1956, il connut pourtant un très grand succès, comme en témoignent les nombreux retirages et nouvelles éditions de l’essai à l’époque, avec des ajouts de l’auteur justifiant la réimpression de ses thèses écrites plusieurs années auparavant. Bravache, Anders écrit même ceci, en préface à la cinquième édition de L’Obsolescence de l’Homme : “Non seulement ce volume que j’ai achevé il y a plus d’un quart de siècle ne me semble pas avoir vieilli, mais il me paraît aujourd’hui encore plus actuel.” Et pourtant, peu de nouvelles éditions sont à signaler depuis le début du XXIe siècle – surtout aucune en livre de poche permettant de démocratiser ce texte essentiel.

Même si l’occasion se présente d’entrer en relation avec des personnes véritables, nous préférons rester en compagnie de nos copains portatifs.

Songeons aux économistes, sociologues et philosophes du progrès et des loisirs qui sont tombés en désuétude parce que leurs analyses de la télévision ne résistaient pas à l’arrivée d’Internet, tandis que celles les analyses sur Internet étaient rendues caduques par l’invasion des réseaux sociaux… L’obsolescence de leurs thèses était indexée sur les objets qu’ils observent. Avec le livre d’Anders, ça n’est pas du tout le cas.

Faites l’exercice honnêtement. Lisez ces quelques lignes sans chercher à savoir qui a pu les écrire et quand : “Rien ne nous aliène à nous-mêmes et ne nous aliène le monde plus désastreusement que de passer notre vie, désormais presque constamment, en compagnie de ces être faussement intimes, de ces esclaves fantômes que nous faisons entrer dans notre salon d’une main engourdie par le sommeil – car l’alternance du sommeil et de la veille a cédé la place à l’alternance du sommeil et de la radio – pour écouter les émissions au cours desquelles, premiers fragments du monde que nous rencontrons, ils nous parlent, nous regardent, nous chantent des chansons, nous encouragent, nous consolent et, ne nous détendant ou nous stimulant, nous donnent le la d’une journée qui ne sera pas la nôtre. Rien ne rend l’auto-aliénation plus définitive que de continuer la journée sous l’égide de ces apparents amis : car ensuite, même si l’occasion se présente d’entrer en relation avec des personnes véritables, nous préférons rester en compagnie de nos portable chums, nos copains portatifs, puisque nous ne les ressentons plus comme des ersatz d’hommes mais comme de véritables amis.

Impossible de ne pas être percuté par l’incroyable actualité de ces lignes… écrites en 1956. Remplacez “radio” par “smartphone“, “émissions” par “podcasts“, rajoutez “Netflix” et “réseaux sociaux” à l’ensemble, et observez comme ce texte correspond à la perfection à notre temps. La puissance de ce texte visionnaire est sans égale. Déjà, à l’époque, Anders voyait que la croyance dans un salut par le progrès technologique était vaine si cela ne nous permettait pas de nous resocialiser, de nous rapprocher les uns des autres. Pire, en consommant des loisirs de masse, le travailleur contribue lui même à la standardisation des goûts, des usages, nous dit le philosophe allemand. Les appareils de transmission et les émissions (ou les “contenus” pour être plus moderne) aliènent la singularité de chacun dans un mouvement qui nous rend interchangeables – et donc obsolètes.

Le problème de la “honte prométhéenne”

Anders est conscient des critiques que son propos peut susciter, et il se défend par avance contre ceux qui voudraient le dépeindre en réactionnaire en rétorquant que le problème est rhétorique : les défenseurs du progrès jugent ce dernier bon par essence et défendent un bloc, celui du up to date : tant que l’on peut avoir la dernière version de l’homme, on doit le faire, et honte à ceux qui ne s’adaptent pas ! C’est ce qu’Anders appelle “la honte prométhéenne.

Pour appuyer sa démonstration sur le progrès inutile et même “mortifère“, il ajoute une seconde partie intitulée : Sur la bombe et les raisons de notre aveuglement face à l’apocalypse avec des analyses qu’il développera dans d’autres livres, notamment La Menace nucléaire : Considérations radicales sur l’âge atomique. Ses thèses sont saisissantes et implacables sur l’insuffisante remise en question de notre rapport à la technique après Auschwitz et Hiroshima.

Aux États-Unis, on peut affirmer que la mort est déjà devenue introuvable.

En tirant le fil de la “honte prométhéenne“, Anders tire des conclusions pleines de prescience. Ainsi, à la fin du livre, il prédit l’émergence du courant transhumaniste en ces termes : “De la croyance au progrès découle donc une mentalité qui se fait une idée tout à fait spécifique de “l’éternité”, qu’elle se représente comme une amélioration ininterrompue du monde ; à moins qu’elle ne possède un défaut tout à fait spécifique et qu’elle soit simplement incapable de penser à une fin (…). Aux États-Unis, on peut affirmer que la mort est déjà devenue introuvable. Puisqu’on y considère que seul existe “réellement” ce qui toujours s’améliore, on ne sait que faire de la mort, si ce n’est la reléguer en un lieu où elle puisse indirectement satisfaire à la loi universelle du perfectionnement.” La boucle est alors bouclée. Disciple de Husserl, premier mari de Hannah Arendt, Anders a fréquenté les plus grands esprits du siècle et signait en 1956 un livre de leur niveau. Si ce n’est déjà fait, lisez donc L’Obsolescence de l’homme pour comprendre notre époque.

Vincent EDIN


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Sengager en Wallonie-Bruxelles…

SALEMI : Réveillon (s.d., Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

SALEMI Jean-Claude, Réveillon
(linogravure, 40 x 30 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

JC Salemi © ladepeche.fr

Illustrateur, graveur, mais également guitariste, Jean-Claude SALEMI (né en 1950) est spécialisé en linogravure comme en swing-musette, il est par ailleurs guitariste dans le groupe Swing-O-Box. D’où sa passion d’illustrations musicales, notamment aussi dans le livre Un Monde de Musiques édité par Colophon en collaboration avec La Médiathèque.  Il est membre d’un atelier collectif de gravure et lithographie : l’Atelier RAZKAS et, dans ce cadre, participe à l’édition de plusieurs portfolios de gravures. (d’après JAZZINBELGIUM.COM)

La fête bat son plein. Les danseurs se trémoussent et le DJ brandit un CD. Il y a peu de place pour le vide dans cette image saturée d’informations. Il s’agit d’une linogravure, technique de prédilection de Jean-Claude Salemi, qu’il a utilisée pour réaliser de nombreuses affiches et illustrations (Le Ligueur, Centre Belge de la Bande Dessinée, nombreuses affiches pour des concerts de Jazz, le Trou Perrette…)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Jean-Claude Salemi ; ladepeche.fr | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

CONFERENCE CHiCC | SAINTELET : Bitcoin et crypto-monnaies

Exploration de l’univers de la technologie blockchain, de bitcoin et des crypto-monnaies : Cette conférence s’adresse principalement aux débutants et a pour but de présenter la technologie blockchain, ses applications et les différentes crypto-monnaies existantes, en mettant l’accent sur Bitcoin.
Une vue d’ensemble de l’écosystème actuel de la technologie blockchain et de ses applications sera fournie, ainsi que des perspectives et évolutions futures. Le fonctionnement de base de la technologie, les risques et opportunités liés à l’investissement dans les crypto-monnaies ainsi que les outils et bonnes pratiques pour investir de manière éclairée seront également abordés.
Olivier SAINTELET s’intéresse à la cryptomonnaie depuis octobre 2016 et a participé à un projet blockchain en 2017 et 2018. Il a également contribué au développement de culturecrypto.fr, une chaîne d’information dédiée à l’exploration de l’univers des crypto-monnaies et de la blockchain. Convaincu que la technologie blockchain et les crypto-monnaies auront un impact significatif sur notre avenir, il apprécie de partager ses expériences et ses connaissances avec ceux qui seraient curieux de découvrir ce domaine en pleine expansion et qui souhaitent en savoir plus.


Les conférences de la CHiCC sont ouvertes à tous. Elles sont gratuites pour les membres de la CHiCC (cotisation de soutien de 15 euros pour la saison 2022-2023 à verser sur le compte BE24 0011 8159 9638) et en participation libre (montant recommandé : 5 euros) pour les non-membres. Les règles sanitaires en vigueur au moment de la conférence seront d’application.


Crédits illustration : en-tête © journalducoin.com.

LED ZEPPELIN : “Stairway to Heaven”, l’histoire d’un mythe

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Fer de lance de l’album Led Zeppelin IV, le monumental Stairway to Heaven” a depuis longtemps décroché les étoiles au panthéon du rock. Retour sur l’une des chansons les plus emblématiques du groupe de Page & Plant.

Demandez à n’importe quel amateur de rock quelle est la première chanson de Led Zeppelin qui lui vient à l’esprit (hormis l’inévitable Whole Lotta Love) et invariablement, il vous citera Stairway to Heaven. Demandez à Robert Plant quelle est la chanson de son ex-groupe qui lui sort par les trous de nez et, neuf fois sur dix, il vous répondra Stairway to Heaven. Tapez le mot “Stairway” sur internet et, immanquablement, vous tomberez sur cette chanson. Une échelle vers le paradis dont plus de quarante ans après, on rêve toujours de gravir les échelons. Huit minutes et deux secondes. Un mini-opéra électro-acoustique, avec son intro, son final, ses changements rythmiques, ses mouvements harmoniques. Un tube jamais publié en 45-tours, et pourtant l’un des plus diffusés sur les radios du monde entier. Une chanson sur laquelle on a dit tout et n’importe quoi : mystique, satanisme, subliminale, prétentieuse, plagiaire… Stairway to Heaven, ou le parfait concentré de toutes les sources musicales auxquelles la musique rock s’est toujours abreuvée. L’histoire commence au fin fond de la campagne galloise, dans un cottage du XVIIIe siècle baptisé Bron-Yr-Aur.

Bron-Yr-Aur @ geograph.org.uk

C’est dans cette ancienne maison de vacances de la famille Plant, une masure sans eau ni électricité, que Robert et Jimmy se retrouvent au printemps 1970, histoire de se ressourcer après un périple américain exténuant. Comme le dira Page, ça nous changeait des palaces de la tournée, et c’est là que j’ai vraiment appris à connaître Robert”. Dans ce décor rustique, les deux hommes esquissent les prémices de leur prochain album. Page a dans sa besace des bouts de musique, qu’il joue à la guitare acoustique.

Parmi ceux-ci, une intro en arpèges fait dresser l’oreille à Plant. Mais ce n’est que plus tard, devant le groupe réuni à Headley Grange, que le puzzle va prendre forme. Cette bâtisse sise dans le Hampshire, ancien centre d’accueil pour orphelins et nécessiteux de l’époque victorienne, sert de lieu de répétition à Led Zeppelin. Un soir, devant un feu de cheminée, Plant commence à griffonner les paroles : Ma main s’est mise à écrire toute seule, presque malgré moi, et en quelques minutes j’avais près de 80 % du texte…”

“There’s a lady who’s sure all that glitters is gold…” Le début de la chanson semble évoquer une femme cynique qui, bien qu’elle fût comblée et obtienne tout ce qu’elle désire, n’offre en retour aucune attention ni considération. Plus tard, Plant dira qu’il a été inspiré par la lecture d’un bouquin du folkloriste écossais Lewis Spence, intitulé The Magic Arts in Celtic Britain. Et refusera de donner d’autres explications sur le sens du texte, affirmant que chacun peut y trouver ce qu’il veut, selon les périodes de sa vie. De fins exégètes y dénicheront aussi quelques allusions au Seigneur des anneaux de Tolkien, mais peu importe. L’échelle paradisiaque demeurera mystérieuse, et c’est tant mieux.

Car c’est surtout la musique qui retient l’attention. Après une ouverture en arpèges folk ornée de flûtiaux, l’entrée du chant et une rythmique jouée à la 12-cordes, la mélodie change brusquement avec l’irruption de la batterie (à 4 minutes 18 seulement !) qui précède un solo de guitare électrique, puis une partie hard rock, avant les mesures finales où seule résonne la voix de Plant. Page : On voulait un truc avec plusieurs sections, dans la lignée de ‘Dazed and Confused’, mais différent, sans basse, d’avantage basé sur l’orgue et la guitare acoustique, puis électrique. Ça aurait pu faire 15 minutes…” Quant au solo, légendaire, joué non pas sur sa rituelle Gibson mais sur une Telecaster offerte par Jeff Beck, Page dut en enregistrer trois versions différentes avant de choisir la meilleure.

Les sessions débutèrent en décembre 1970, aux Basing Street Studios d’Island, à Notting Hill, avec l’ingénieur du son Andy Johns. L’album, produit par Page, avec sa pochette bucolique aux fagots, fut publié le 8 novembre 1971. Curieusement, seul y est imprimé le texte de Stairway to Heaven. Malgré les demandes d’Atlantic, le groupe refusa de sortir la chanson en single. Seuls furent pressés quelques exemplaires promo destinés aux radios (devenus collectors !). Stairway to Heaven fut joué pour la première fois en public en mars 1971, à Belfast, alors que les émeutes battaient leur plein dans les rues. Selon le bassiste John Paul Jones, les spectateurs présents ne manifestèrent qu’un intérêt poli, attendant visiblement les morceaux connus.

Si elle remporta un succès immédiat, offrant à l’album des ventes record (et ce, malgré une critique féroce de Lester Bangs), la chanson vécut ensuite une existence mouvementée. En 1982, le télévangéliste américain Paul Crouch prétendit que le morceau contenait des messages subliminaux à la gloire de Satan, perceptibles uniquement quand on l’écoutait à l’envers. Une assertion d’autant plus crédible, pour certains, que Jimmy Page, amateur de sciences occultes, n’avait jamais caché son admiration pour l’écrivain controversé Aleister Crowley, allant jusqu’à acquérir son ancien manoir sur les rives du Loch Ness. Restait pour le pékin moyen à essayer d’écouter la chanson à l’envers, périlleux exploit à l’époque des platines vinyles…

Robert Plant (1980) © Ph. Vienne

Face à la rumeur, Robert Plant se contentera de répondre que Stairway to Heaven avait été écrit avec les meilleures intentions du monde, et que coller des messages cachés n’était pas sa conception de la musique. Autre accusation, celle d’avoir plagié l’intro sur un instrumental du groupe Spirit intitulé Taurus. Si Jimmy Page continue à affirmer que la chanson représente pour lui “la quintessence de Led Zeppelin”, Robert Plant, lui, a toujours renâclé à l’interpréter depuis la séparation du groupe. Rares exceptions, le Live Aid de 1985 et le quarante-cinquième anniversaire du label Atlantic, trois ans plus tard. Si, grâce à ce morceau de paradis, Led Zep a atteint le nirvana, l’échelle semble désormais tirée.

d’après ROLLINGSTONE.FR

Stairway to Heaven
(Escalier Vers Le Paradis)

There’s a lady who’s sure all that glitters is gold
Il y a une femme qui est certaine que tout ce qui brille est de l’or
And she’s buying a stairway to heaven
Et elle s’achète un escalier pour le paradis
When she gets there she knows, if the stores are all closed
Et lorsqu’elle y est, elle sait que si les magasins sont fermés
With a word she can get what she came for
Un mot lui suffira pour obtenir ce pourquoi elle est venue
Ooh, ooh, and she’s buying a stairway to heaven
Ooh, ooh, et elle s’achète un escalier pour le paradis

There’s a sign on the wall but she wants to be sure
Il y a un signe sur le mur, mais elle veut en être sure
‘Cause you know sometimes words have two meanings
Parce que tu sais les mots ont parfois un double sens
In a tree by the brook, there’s a songbird who sings
Sur un arbre à côté du ruisseau, il y a un oiseau qui chante
Sometimes all of our thoughts are misgiven
Parfois toutes nos pensées sont fausses
Ooh, it makes me wonder
Ooh, ça me fait me demander
Ooh, it makes me wonder
Ooh, ça me fait me poser des questions

There’s a feeling I get when I look to the west
J’ai une sensation lorsque je regarde vers l’ouest
And my spirit is crying for leaving
Et mon esprit se désespère de fuir
In my thoughts I have seen rings of smoke through the trees
Dans mes songes j’ai vu des ronds de fumée à travers les arbres
And the voices of those who standing looking
Et les voix de ceux qui laissent faire sans bouger
Ooh, it makes me wonder
Ooh, ça sème le doute en moi
Ooh, it really makes me wonder
Ooh, ça sème réellement le doute en moi

And it’s whispered that soon if we all call the tune
Et on chuchote que bientôt, si nous donnons tous la mélodie
Then the piper will lead us to reason
Alors le flûtiste nous mènera à la raison
And a new day will dawn for those who stand long
Et un nouveau jour viendra pour ceux qui sont toujours là
And the forests will echo with laughter
Et les forêts retentiront de rire
If there’s a bustle in your hedgerow, don’t be alarmed now
S’il y a du remue-ménage dans ta haie, ne t’affole pas
It’s just a spring clean for the May queen
C’est simplement le nettoyage de printemps pour la Reine de Mai
Yes, there are two paths you can go by, but in the long run
Oui, il y a deux voies que tu peux prendre, mais au bout du compte
There’s still time to change the road you’re on
Il est encore temps de changer ta route
And it makes me wonder
Et ça sème le doute en moi

Your head is humming and it won’t go, in case you don’t know
Ta tête bourdonne et ça ne partira pas, au cas où tu ne le sais pas
The piper’s calling you to join him
Le flûtiste t’invite à le rejoindre
Dear lady, can you hear the wind blow, and did you know
Chère madame, peux-tu entendre le souffle du vent, et le savais-tu
Your stairway lies on the whispering wind
Ton escalier repose sur le vent qui murmure

And as we wind on down the road
Et alors que nous dévalons la route
Our shadows taller than our soul
Nos ombres plus grandes que nos âmes
There walks a lady we all know
Une femme que l’on connait tous marche
Who shines white light and wants to show
Elle est nimbée d’une lumière blanche et veut montrer
How everything still turns to gold
Comme chaque chose se transforme encore en or
And if you listen very hard
Et si tu fais des efforts pour entendre
The tune will come to you at last
Finalement l’air viendra à toi
When all are one and one is all
Lorsque tous ne font qu’un et qu’un est tous
To be a rock and not to roll
Etre un roc qui ne roule pas

And she’s buying a stairway to heaven
Et elle s’achète un escalier pour le paradis

Paroles de Robert Plant (trad. lacoccinelle.net)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation, correction et décommercialisation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : pochette de l’album Led Zeppelin IV © Atlantic ; Robert Plant (concert à Mannheim, 1980) © Philippe Vienne ; © geograph.org.uk.


PHILOMAG.COM : Kant, préface de La critique de la raison pure (extraits)

Temps de lecture : 18 minutes >

Régler les objets sur la connaissance et non point la connaissance sur les objets.

Kant (1787)

Tel est le changement de perspective radical réalisé par Kant dans la Critique de la raison pure. Cette “révolution copernicienne” suppose de dégager les conditions de possibilité et les limites du savoir objectif auquel l’homme peut légitimement prétendre. S’il outrepasse ce cadre, il s’adonne alors à des spéculations métaphysiques dont Kant nous montre à la fois la fécondité et le danger


Le texte suivant est extrait d’un cahier central de PHILOMAG.COM, préparé par Victorine de Oliveira. Le numéro 24 de novembre 2008 était consacré à la question  L’Amérique, pourquoi ne pense-t-elle pas comme nous ? : quels sont les éléments qui nous permettent d’affirmer que la culture française est en déclin  ? Une chose est sûre, elle voyage mal. Certains films et romans font exception, comme La Môme qui a rencontré un fort succès ou L’Esquive qui a plu aux critiques. Les Américains ont au… lire la suite sur PHILOMAG.COM


Introduction

Le projet de Kant est né de la découverte d’un problème. Celui de la  représentation : “Je me demandai en effet, écrit Kant dans une lettre de 1772, sur quel fondement repose le rapport de ce qu’on nomme en nous représentation à l’objet.

Interrogation qui peut apparaître déconcertante, tant il est rare qu’elle s’impose à notre esprit : ce rapport entre les choses ou les objets tels qu’ils sont en eux-mêmes (ce que Kant nomme les choses en soi), et les objets tels qu’ils constituent le contenu de nos représentations (ce que Kant appelle les phénomènes), nous nous bornons en général à le présupposer. De fait, certains objets sont présents à notre conscience, qui est donc une conscience d’objet. Mais dans la mesure où je m’interroge parfois sur moi-même, cette conscience est également une conscience de soi.

La spécificité du kantisme est d’avoir vu là les termes d’un problème : celui des conditions de possibilité de la conscience d’objet. Plus précisément, d’un double problème, que Kant mit neuf ans à résoudre. D’une part, peut-il y avoir accord ou adéquation entre le contenu de ma représentation (le phénomène) et l’objet en soi ? Ici, le problème de la représentation renvoie au problème classique de la vérité.

D’autre part et surtout, comment, pour nous représenter cet accord, pourrions-nous penser quelque chose de la chose en soi ? Difficulté majeure : dès que nous pensons l’objet en soi, il devient un objet pensé par nous et “pour nous” et ce que nous cherchions à concevoir nous échappe. Problème soulevé déjà, quelques dizaines d’années auparavant, par l’excellent Berkeley, qui en déduisait l’inexistence des choses extérieures (par exemple, la matière) et affirmait que seuls existent le sujet et ses perceptions. Conclusion refusée par Kant, parce qu’elle empêche de rendre compte du vécu même de la représentation, qui contient pour nous une part de passivité, impossible à comprendre si nous étions par nos représentations les auteurs des choses représentées.

Une fois exclus un pur idéalisme, où le sujet ferait surgir les objets par cela même qu’il en conçoit l’idée, mais aussi un pur réalisme qui présuppose contradictoirement la représentation d’un en soi comme cause de la représentation, l’interrogation se confronte-t-elle à la quadrature du cercle ? Le pari kantien est d’estimer que non. Au prix d’une “révolution” dont la Préface explique qu’elle consiste à “révolutionner” les termes mêmes du problème.

Kant maintient certes un usage de la notion de “chose en soi“: s’il n’y avait pas de chose en soi, “il s’ensuivrait l’absurde proposition selon laquelle il y aurait un phénomène sans rien qui se phénoménalise“. Il faut toutefois y recourir aussi peu que possible. Le problème ne sera plus posé en termes de relation entre chose en soi et phénomène, mais à partir d’un retour au sujet en tant qu’il fonde l’objectivité de nos représentations (le fait qu’elles aient des objets et qu’elles puissent être vraies).

Le principe de cette fondation consistera à distinguer dans la subjectivité les représentations purement subjectives (particulières à un sujet ou à un groupe de sujets) et les représentations objectives (susceptibles d’être universelles, c’est-à-dire partagées par tous les sujets). En ce sens, la révolution kantienne reformule la question de savoir ce que le sujet peut tenir pour objectif. Avant cette révolution, le couple subjectif/objectif équivalait au couple interne/externe : une représentation subjective était conçue comme purement intérieure au sujet. Resituée par Kant, l’objectivité désigne ce qui vaut universellement, pour tout sujet, et le couple subjectif/objectif équivaut au couple pour moi/pour tous, ou encore particulier/universel. Mesurer l’objectivité d’une représentation moins à sa conformité à un en soi qu’à sa capacité à valoir, non seulement pour moi, mais pour tous, c’est-à-dire à son universalisation possible, c’était ouvrir la voie à un renouvellement dans la vision même de la raison et inclure en celle-ci, non plus le simple rapport à soi, mais aussi bien le rapport aux autres.

Alain Renaut

L’auteur

Né à Königsberg m 1724, Emmanuel Kant aura passé sa vie entière dans cette ville située au bord de la Baltique. Il effectue toute sa carrière à l’université locale, refusant des offres provenant d’établissements prestigieux. Son existence, au quotidien minutieusement réglé, est intégralement consacrée à l’élaboration d’une oeuvre qui a bouleversé la philosophie occidentale. Il meurt à presque 80 ans, en 1804.

En 1781, paraît à Riga la Critique de la raison pure. L’oeuvre n’est pas un best-seller, loin de là, néanmoins elle soulève des objections savantes auxquelles Kant est soucieux de répondre. Il remanie donc certains passages clés et publie une seconde édition en 1787. Le texte s’accompagne d’une préface inédite qui donne toute la mesure de son projet : la Critique de la raison pure est un traité de la méthode qui détermine ce que l’homme peut connaître, et comment son esprit opère. Une révolution philosophique sans précédent est en marche…

L’extrait (préface à la 2ème édition) traduit par Alain Renaut

[…] Jusqu’ici, on admettait que toute notre connaissance devait nécessairement se régler d’après les objets ; mais toutes les tentatives pour arrêter sur eux a priori par concepts quelque chose par quoi notre connaissance eût été élargie ne parvenaient à rien en partant de ce présupposé. Que l’on fasse donc une fois l’essai de voir si nous ne réussirions pas mieux, dans les problèmes de métaphysique, dès lors que nous admettrions que les objets doivent se régler d’après notre connaissance – ce qui s’accorde déjà mieux avec la possibilité revendiquée d’une connaissance de ces objets a priori qui doive établir quelque chose sur des objets avant qu’ils nous soient donnés. Il en est ici comme avec les premières idées de Copernic, lequel, comme il ne se sortait pas bien de l’explication des mouvements célestes en admettant que toute l’armée des astres tournait autour du spectateur, tenta de voir s’il ne réussirait pas mieux en faisant tourner le spectateur et en laissant au contraire les astres immobiles. Or, en métaphysique, on peut faire une tentative du même type en ce qui concerne l’intuition des objets. Si l’intuition devait se régler sur la nature des objets, je ne vois pas comment on pourrait en savoir a priori quelque chose ; en revanche, si l’objet (comme objet des sens) se règle sur la nature de notre pouvoir d’intuition, je peux tout à fait bien me représenter cette possibilité. Étant donné toutefois que, si elles doivent devenir des connaissances, je ne puis en rester à ces intuitions, mais qu’il me faut les rapporter en tant que représentations, à quelque chose qui en constitue l’objet et déterminer par leur intermédiaire cet objet, je peux admettre l’une ou l’autre de ces hypothèses : ou bien les concepts, par le moyen desquels j’effectue cette détermination, se règlent aussi sur l’objet, et dans ce cas je me trouve à nouveau dans la même difficulté quant à la manière dont je puis en savoir quelque chose a priori ; ou bien les objets, ou, ce qui est équivalent, l’expérience dans laquelle seule ils sont connus (en tant qu’objets donnés), se règlent sur ces concepts – ce qui, aussitôt, me fait apercevoir une issue plus commode, parce que l’expérience elle-même est un mode de connaissance qui requiert l’entendement, duquel il me faut présupposer la règle en moi-même, avant même que des objets me soient donnés, par conséquent a priori : une règle qui s’exprime en des concepts a priori sur lesquels tous les objets de l’expérience doivent donc nécessairement se régler et avec lesquels ils doivent s’accorder. En ce qui concerne les objets dans la mesure où ils peuvent être pensés simplement par la raison, et cela de manière nécessaire, mais sans pouvoir aucunement être donnés dans l’expérience (du moins tels que la raison les pense), les tentatives de les penser (car il faut pourtant bien qu’ils se puissent penser) constitueront ensuite une superbe pierre de touche de ce que nous admettons comme le changement de méthode dans la manière de penser à savoir que nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes.

Cette tentative réussit à souhait et promet à la métaphysique, dans sa première partie, là où elle ne s’occupe que des concepts a priori, dont les objets qui leur correspondent peuvent être donnés dans l’expérience conformément à ces concepts, la voie sûre d’une science. Car on peut, en vertu de cette transformation dans la manière de penser, expliquer parfaitement bien la possibilité d’une connaissance a priori et, ce qui est encore plus, donner aux lois qui sont a priori au fondement de la nature entendue comme l’ensemble global qui [donne] des objets de l’expérience leurs preuves suffisantes – deux points qui étaient impossibles en suivant la façon de procéder utilisée jusqu’ici. Mais ce qui se dégage de cette déduction de notre pouvoir de connaître a priori, c’est, dans la première partie de la métaphysique, un résultat étrange et apparemment très dommageable pour ce qui en constitue le but d’ensemble, qui occupe la seconde partie – à savoir que nous n’avons jamais la possibilité, avec ce pouvoir, d’aller au-delà des limites de l’expérience possible, ce qui est pourtant précisément l’objectif le plus essentiel de cette science. Mais c’est en ce point précisément que l’on peut expérimenter une contre-épreuve de la vérité du résultat obtenu dans cette première appréciation de notre connaissance rationnelle a priori, à savoir qu’elle n’atteint que des phénomènes, mais qu’en revanche elle laisse la chose en soi être certes effective pour soi, mais inconnue de nous. Car ce qui, avec nécessité, nous pousse à aller au-delà des limites de l’expérience et de tous les phénomènes, c’est l’inconditionné que la raison réclame nécessairement et de façon entièrement légitime dans les choses en soi, vis-à-vis de tout ce qui est conditionné, en exigeant ainsi que la série des conditions soit close. Or, s’il se trouve qu’en admettant que notre connaissance d’expérience se règle sur les choses en tant que choses en soi, l’inconditionné ne peut nullement être pensé sans contradiction ; que bien au contraire, à supposer qu’on admette que notre représentation des choses telles qu’elles nous sont données ne se règle pas sur celles-ci en tant que choses en soi, mais que ce sont plutôt ces objets en tant que phénomènes qui se règlent sur notre mode de représentation, la contradiction s’évanouit, et que par voie de conséquence l’inconditionné ne devrait pas être trouvé dans les choses en tant que nous les connaissons (telles qu’elles nous sont données), mais en tant que nous ne les connaissons pas, comme choses en soi : alors, il se démontre que ce qu’au point de départ nous n’avions admis qu’à titre d’essai est fondé. Cela étant, il nous reste encore, une fois dénié à la raison spéculative tout progrès dans ce champ du suprasensible, à rechercher si ne se trouvent pas dans sa connaissance pratique des données conduisant à déterminer ce concept transcendant de la raison qui est celui de l’inconditionné, et permettant ainsi de faire accéder, conformément au souhait de la métaphysique, notre connaissance a priori, bien qu’uniquement du point de vue pratique, au-delà des limites de toute expérience possible. Et dans le cadre d’une telle démarche la raison spéculative nous a en tout cas ménagé une place pour un tel élargissement, bien qu’elle ait dû laisser vide cette place, et il ne nous est donc pas interdit de songer à la remplir – elle nous y invite même -, si nous le pouvons, à l’aide des données pratiques qu’elle nous fournit.

Dans cette tentative pour transformer la démarche qui fut jusqu’ici celle de la métaphysique, et dans le fait d’y entreprendre une complète révolution, à l’exemple des géomètres et des physiciens, consiste ainsi la tâche de cette Critique de la raison pure spéculative. Elle est un traité de la méthode, non un système de la science elle-même ; mais elle en dessine cependant tout le contour en prenant en considération ses limites, tout autant qu’elle en fait ressortir dans sa totalité l’architecture interne. Car la raison pure spéculative possède en soi une spécificité : elle peut et doit mesurer son propre pouvoir suivant les diverses façons dont elle se choisit des objets de pensée, procéder même à un dénombrement complet des différentes manières de se poser des problèmes, et ainsi esquisser tout le plan d’un système de métaphysique ; cela parce que, pour ce qui concerne le premier point, rien, dans la connaissance a priori, ne peut être attribué aux objets que ce que le sujet pensant tire de lui-même, et parce que, pour ce qui touche au second, la raison pure spéculative constitue, vis-à-vis des principes de la connaissance, une unité entièrement distincte, subsistant par elle-même, où chaque membre, comme dans un corps organisé, existe en vue de tous les autres et tous existent en vue de chacun, et que nul principe ne peut être accepté pour assuré sous un seul point de vue sans avoir en même temps été examiné dans la relation globale qu’il entretient avec tout l’usage pur de la raison. Ce pourquoi la métaphysique a aussi cette chance rare, qui ne peut être le lot d’aucune autre science rationnelle ayant affaire à des objets (car la logique s’occupe uniquement de la forme de la pensée en général) : une fois mise par cette critique sur la voie sûre d’une science, elle peut s’emparer complètement du champ entier des connaissances qui relèvent d’elle et donc achever son oeuvre, ainsi que l’abandonner à l’usage de la postérité comme un capital qu’on n’augmentera jamais, parce qu’elle a affaire uniquement à des principes et aux limites de leur utilisation, et qu’elle les détermine elle-même. Par conséquent, à cette complétude, elle est même obligée, en tant que science fondamentale, et d’elle il faut que l’on puisse dire : nil actum reputance, si quid superesset agendum [“En considérant que rien n’est fait si quelque chose reste à faire” (Lucain, Pharsale].

Mais quel est donc, demandera-t-on, le trésor que nous songeons à léguer à la postérité avec une telle métaphysique, décantée par la critique, mais aussi, par là, stabilisée ? On croira percevoir, à la faveur d’un survol rapide de cet ouvrage, que l’utilité en est pourtant encore simplement négative, et qu’elle consiste à nous détourner de nous risquer jamais avec la raison spéculative au-delà des limites de l’expérience, et telle est bien, effectivement, sa première utilité. Mais elle devient positive aussitôt qu’on prend conscience que les propositions fondamentales avec lesquelles la raison spéculative s’aventure au-delà de ses limites ont pour inévitable résultat, non un élargissement, mais au contraire, si l’on y regarde de plus près un rétrécissement de notre usage de la raison, dans la mesure où elles menacent en réalité d’élargir avant tout les limites de la sensibilité, de laquelle elles relèvent proprement, et ainsi de supprimer bel et bien l’usage pur (pratique) de la raison. En conséquence, une Critique qui limite la raison spéculative est, en tant que telle, certes négative, mais comme elle abolit en même temps par là un obstacle qui restreint l’usage pratique ou même menace de l’anéantir, elle est en fait d’une utilité positive et qui est très importante dès lors que l’on est convaincu qu’il y a un usage pratique absolument nécessaire de la raison pure (l’usage moral), dans le cadre duquel elle s’étend inévitablement au delà des limites de la sensibilité – en vue de quoi elle n’a certes besoin d’aucune assistance de la raison spéculative, mais doit pourtant être garantie contre toute opposition de sa part, pour ne pas se mettre en contradiction avec elle-même. Contester à ce service rendu par la Critique l’utilité positive équivaudrait à dire que la police ne procure aucune utilité positive parce que son activité principale est en fait seulement de barrer la porte à la violence que les citoyens ont à redouter venant d’autres citoyens, afin que chacun puisse mener ses affaires dans la tranquillité et la sécurité. Qu’espace et temps ne soient que des formes de l’intuition sensible, donc uniquement des conditions de l’existence des choses en tant que phénomène, que nous ne possédions en outre pas de concepts de l’entendement (donc, aucun élément) pour parvenir à la connaissance des choses, si ce n’est dans la mesure où une intuition correspondant à ces concepts peut être donnée, que, par conséquent, nous ne puissions acquérir la connaissance d’aucun objet comme chose en soi, mais seulement en tant qu’il est objet d’intuition sensible, c’est à dire en tant que phénomène, c’est là ce qui est démontré dans la partie analytique de la Critique ; assurément s’ensuit-il, de fait, la restriction de toute la connaissance spéculative seulement possible de la raison à de simples objets de l’expérience. Pourtant, il faut toujours émettre cette réserve – et le point est à bien remarquer – que nous ne pouvons certes pas connaître, mais qu’il nous faut cependant du moins pouvoir penser ces objets aussi comme chose en soi.

Car si tel n’était pas le cas, il s’ensuivrait l’absurde proposition selon laquelle il y aurait un phénomène sans rien qui s’y phénoménalise. Or, si nous supposons que ne soit aucunement faite la distinction, rendue nécessaire par notre Critique, entre les choses comme objets de l’expérience et les mêmes choses comme choses en soi, le principe de causalité, et par conséquent le mécanisme de la nature, devrait valoir absolument, dans le processus de leur détermination, à propos de toutes les choses en général en tant que causes efficientes. Du même être par exemple de l’âme humaine, je ne pourrais donc pas dire que sa volonté est libre et qu’elle est pourtant en même temps soumise à la nécessité de la nature, c’est-à-dire qu’elle n’est pas libre, sans me trouver dans une contradiction manifeste : car, dans les deux propositions, j’ai pris l’âme dans la même signification, à savoir comme chose en général (chose en soi), et sans avoir procédé au préalable à la Critique je ne pouvais pas non plus prendre le terme autrement. Mais si la Critique ne s’est pas fourvoyée en apprenant à prendre l’objet en deux significations différentes, à savoir comme phénomène ou comme chose en soi ; si la déduction de ses concepts de l’entendement est juste, par conséquent aussi si le principe de causalité ne porte que sur des choses prises dans le premier sens, c’est-à-dire en tant qu’elles sont objets de l’expérience, mais que ces mêmes choses entendues selon la seconde signification ne lui sont pas soumises, la même volonté est pensée dans le phénomène (les actions visibles) comme se conformant avec nécessité à la loi de la nature et, en tant que telle, comme non libre, et cependant, d’un autre côté, comme appartenant à une chose en soi, par conséquent comme libre, sans que survienne là une contradiction. Or, bien que je ne puisse connaître mon âme, en la considérant du dernier point de vue, par l’intermédiaire d’aucune raison spéculative (encore moins par observation empirique), et que par conséquent je ne puisse pas non plus connaître la liberté comme propriété d’un être auquel j’attribue des effets dans le monde sensible, cela parce qu’il me faudrait connaître un tel être de manière déterminée en son existence sans que pourtant ce soit dans le temps (ce qui est impossible dans la mesure où je ne peux soumettre aucune intuition à mon concept), j’ai cependant la possibilité de me forger une pensée de la liberté, c’est-à-dire que la représentation n’en contient du moins en elle aucune contradiction, si intervient notre distinction critique entre les deux types de représentation (la représentation sensible et la représentation intellectuelle), ainsi que la limitation qui en procède à l’égard des concepts purs de l’entendement, par conséquent aussi à l’égard des propositions fondamentales qui en découlent. Or, admettons que la morale suppose nécessairement la liberté (au sens le plus strict) comme propriété de notre volonté, en ceci qu’elle avance a priori comme des données de la raison des propositions fondamentales pratiques originelles, inscrites en celle-ci, qui seraient absolument impossibles sans la supposition de la liberté – mais admettons aussi que la raison spéculative ait démontré que cette liberté ne se peut aucunement penser : dans ce cas, il faut que la première supposition, à savoir celle de la morale, s’écarte devant celle dont le contraire contient une contradiction manifeste, et qu’en conséquence la liberté et, avec elle, la moralité (car le contraire n’en contient aucune contradiction si la liberté n’est pas déjà présupposée) cèdent la place au mécanisme de la nature. Mais étant donné que, pour la morale, j’ai seulement besoin que la liberté ne se contredise pas elle-même et se puisse donc, en tout cas, du moins penser, sans qu’il soit nécessaire en outre de la connaître avec discernement, et que par conséquent j’ai besoin simplement que la liberté ne mette aucun obstacle, pour la même action (envisagée sous un autre rapport), au mécanisme de la nature, la doctrine de la moralité confirme la place qu’elle occupe, de même que la physique aussi la sienne – ce qui, en revanche, n’aurait pas eu lieu si la Critique ne nous avait pas d’abord appris notre inévitable ignorance à l’égard des choses en soi et n’avait pas limité à de simples phénomènes tout ce que nous pouvons connaître dans le registre théorique.

Une même démonstration de ce qu’il y a de positivement utile dans des propositions fondamentales de la raison pure possédant une dimension critique se peut indiquer en ce qui concerne le concept de Dieu et celui de la nature simple de notre âme, ce que toutefois je laisse de côté par souci de brièveté. Je ne peux donc pas même admettre Dieu, la liberté et l’immortalité à destination du nécessaire usage pratique de ma raison, si je n’ampute pas en même temps la raison spéculative de sa prétention à des vues débordant toute appréhension, parce qu’il lui faut, pour les atteindre, se servir de propositions fondamentales qui, ne s’étendant en fait qu’à des objets d’une expérience possible, sont cependant appliquées à ce qui ne peut être un objet de l’expérience, transforment effectivement, à chaque fois, cet objet en phénomène et ainsi déclarent impossible toute extension pratique de la raison pure. Il me fallait donc mettre de côté le savoir afin d’obtenir de la place pour la croyance et le dogmatisme de la métaphysique, c’est-à-dire le préjugé selon lequel il serait possible d’y faire des progrès sans une Critique de la raison pure, est la vraie source de toute incroyance entrant en conflit avec la moralité – incroyance qui est toujours très fortement dogmatique. S’il peut donc ne pas être difficile, avec une métaphysique systématique rédigée en suivant les indications de la Critique de la raison pure, de transmettre un héritage à la postérité, ce n’est pas là un cadeau négligeable, soit que l’on compare simplement la culture de la raison, telle qu’elle s’accomplit par l’entrée dans la voie sûre d’une science en général, avec sa façon de tâtonner sans principes et de tourner en rond avec légèreté quant elle est dépourvue de Critique, soit que l’on considère aussi quelle meilleure utilisation du temps en résulte pour une jeunesse désireuse de savoir qui, avec le dogmatisme habituel, trouve un encouragement si précoce et si puissant à ratiociner tout à son aise sur des choses auxquelles elle ne comprend rien et n’entendra jamais rien, pas plus que personne au monde, ou même à partir à la recherche de nouvelles idées et opinions en négligeant ainsi l’apprentissage de sciences solidement établies ; mais c’est encore plus vrai si l’on prend en compte l’inestimable avantage d’en finir à tout jamais sur un mode socratique, c’est-à-dire par la démonstration la plus claire de l’ignorance des adversaires, avec toutes les objections élevées contre la moralité et la religion. Car il y a toujours eu quelque métaphysique dans le monde, et sans nul doute y en aura-t-il aussi toujours une, mais force sera de voir également l’accompagner une dialectique de la raison pure, parce qu’elle lui est naturelle. C’est donc la première et plus importante affaire de la philosophie que de priver à tout jamais la métaphysique de la moindre influence dommageable en colmatant la source des erreurs commises.

Malgré cette importante transformation intervenant dans le champ des sciences et le préjudice que doit subir la raison spéculative dans ce qu’elle s’imaginait détenir jusqu’ici, tout demeure cependant, pour ce qui touche à l’intérêt général de l’humanité et à l’utilité que le monde retirait jusqu’alors des doctrines de la raison pure, dans la même situation avantageuse qu’autrefois et le préjudice ne concerne que le monopole des écoles, mais nullement l’intérêt des êtres humains. Je demande au dogmatique le plus inflexible si la preuve que notre âme continue d’exister après la mort, telle qu’on l’obtenait à partir de la simplicité de la substance, si celle de la liberté du vouloir vis-à-vis du mécanisme universel, tirée des distinctions subtiles, bien qu’inopérantes, entre la nécessité pratique subjective et objective, ou si celle de l’existence de Dieu à partir du concept de l’être suprêmement réel (à partir de la contingence de ce qui change et de la nécessité d’un premier moteur), après être sorties des écoles, sont jamais parvenues jusqu’au public et ont jamais pu avoir la moindre influence sur la conviction de celui-ci. si cela n’est pas arrivé, et si l’on ne peut même pas, à cause de l’inaptitude de l’entendement du commun des hommes pour une aussi subtile spéculation, s’attendre à ce que cela se produise ; si c’est bien plutôt, en ce qui concerne le premier objet, la disposition de la nature humaine, perceptible en chaque individu, telle qu’elle l’incite à ne jamais pouvoir être satisfait de ce qui est temporel (en tant qu’insuffisant pour les dispositions de sa complète destination), qui a dû suffire pleinement à susciter l’espérance d’une vie future, si, quand au deuxième objet, la simple présentation claire des devoirs dans leur opposition à toutes les prétentions des penchants a dû faire naître la conscience de la liberté, et enfin si, pour ce qui touche au troisième, l’ordre, la beauté et la prévoyance magnifiques qui apparaissent partout dans la nature ont dû à eux seuls produire la croyance en un sage et puissant auteur du monde – à la faveur d’une conviction qui se répand dans le public, dans la mesure où elle repose sur des fondements rationnels : non seulement, dans ces conditions, il y a là un domaine qui demeure intact, mais bien plutôt gagne-t-il encore en prestige du fait que les écoles ont désormais appris à ne pas prétendre accéder, sur un point qui concerne l’intérêt universel de l’humanité, à une vision plus élevée et plus large que celle à laquelle la grande foule (pour nous, la plus digne de respect) peut également parvenir avec tout autant de facilité, et donc à se limiter uniquement à la culture de ces preuves qui peuvent être saisies universellement et qui suffisent du point de vue moral. La transformation ne concerne par conséquent que les arrogantes prétentions des écoles, qui se feraient volontiers passer dans de telles questions (comme c’est au demeurant légitime dans beaucoup d’autres domaines) pour seules capables de connaître et de conserver ces vérités dont elles communiquent au public uniquement l’usage, mais dont elles gardent pour elles la clef (quod mecum nescit, solus vult scire videri [“Ce qu’il ignore avec moi, il veut paraître seul le savoir“). On a pourtant pris en compte aussi une prétention plus légitime du philosophe spéculatif. Il reste toujours, de manière exclusive, dépositaire d’une science utile au public, sans qu’il le sache, à savoir la critique de la raison ; cette dernière ne peut en effet jamais devenir populaire, mais il n’est pas non plus nécessaire qu’elle le soit : car si les arguments finement tissés en faveur de vérités utiles veulent si faiblement entrer dans la tête du peuple, c’est de façon toute aussi restreinte que les objections pareillement subtiles qu’on pourrait élever contre elles lui viennent à l’esprit ; en revanche parce que l’Ecole, de même que tout homme s’élevant à la spéculation, s’engage inévitablement dans ces arguments comme dans ces objections, la Critique est obligée, par une recherche approfondie des droits de la raison spéculative, de parer une fois pour toutes au scandale qui tôt ou tard doit surgir, même pour le peuple, des conflits dans lesquels s’empêtrent inévitablement les métaphysiciens (et, comme tels, finalement aussi les clercs) quand ils procèdent sans Critique, et qui viennent même ensuite fausser leurs doctrines. C’est alors uniquement grâce à cette Critique que peuvent être entièrement éradiqués le matérialisme,  le fatalisme, l’athéisme, l’incroyance des libres penseurs, l’exaltation de l’esprit et la superstition, qui peuvent être universellement dommageables, enfin aussi l’idéalisme et le scepticisme, qui sont plus dangereux pour les écoles et peuvent difficilement passer dans le public. Si des gouvernements trouvent bon de s’occuper des affaires des savants, favoriser la liberté d’une telle Critique, par laquelle seulement ce que la raison élabore peut être établi sur un socle solide, serait de loin plus conforme à leur sage sollicitude pour les sciences comme pour les hommes que de soutenir le ridicule despotisme des écoles, qui crient vigoureusement au danger pour la collectivité si l’on déchire leurs toiles d’araignée dont le public n’a pourtant jamais pris connaissance et dont il ne peut donc jamais non plus ressentir la perte. […]
Kant


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | sources : Philosophie Magazine n°24 | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, DOERSTLING Emil, Kant et ses compagnons à table (v. 1900) © Bibliothèque municipale de Königsberg (auj. Kaliningrad) ; © philomag.com.


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DEBRULLE, Michel (né en 1955)

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Michel DEBRULLE est né à Hal en 1955. Il étudie le solfège et les percussions à l’Académie Grétry (Liège), puis suit les cours de l ‘I.A.C.P. à Paris. Il fait ses débuts dans les formations-laboratoires de Jean-Christophe Renault (Solaire, 1976) et Denis Pousseur (Dodécanagramme, 1979). Il suit les séances du séminaire de jazz au Conservatoire de Liège et de la classe d’improvisation de Garrett List. Boursier, il part pour New York et étudie au Creative Music Studio (juin 81), où enseignent des musiciens aussi prestigieux que Jack de Johnette, Nana Vasconcellos, Ed Blackwell, Dollar Brand, etc.

De retour à Liège, il tourne avec l’Orchestre du Lion (accompagnant différents spectacles, notamment le film de Fritz Lang, Metropolis) et participe à la création de La Rose des voix d’Henri Pousseur et Michel Butor (1982). Entre-temps, en 1981 et 1982, Debrulle travaille comme animateur et programmateur du club de jazz liégeois Le Lion s’envoile et se familiarise avec un jazz plus classique au sein de la rythmique-maison de ce même club (aux côtés de Pirly Zurstrassen, Jacques Pirotton et André Klenes) ; il accompagne ainsi un grand nombre de jeunes solistes belges.

Fin 1982, il est co-leader du groupe Baklava (jazz “mondialiste” intégrant rythmes et instruments africains, brésiliens, indiens, etc.). En 1984, Michel Debrulle monte avec Fabrizio Cassol et Michel Massot un des groupes les plus originaux de la scène belge : le Trio Bravo qui, après cinq années d’existence, s’est taillé une solide réputation sur le plan européen (nombreuses apparitions dans les festivals : Bourges, La Haye, etc.). Le trio effectue, en 1990, une tournée aux Etats-Unis et en Inde. Debrulle joue également au sein du groupe rock Glasnotes, ainsi qu’avec Combo Belge et participe à la création de ballets modernes.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Claude Lina


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ALLEMAN, Fabrice (né en 1967)

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Né à Mons en 1967, Fabrice Alleman se produit déjà à l’âge de 13 ans dans l’Harmonie de Ghlin où il joue de la clarinette. Il enregistre son 1er disque, un 45 tours El’ Berdelleu en 1984 avec un groupe de Dixieland. Très tôt influencé par le jazz, grâce au tromboniste Jean-Pol Danhier, il obtient son 1er Prix de clarinette et son 1er Prix de musique de chambre à l’âge de 18 ans. Service militaire en tant que musicien, il s’intègre aux Big Bands, musique de chambre ou groupe de blues. Laissant un temps la clarinette pour le saxophone, il démarre sur la scène belge du jazz grâce aux stages des Lundis d’Hortense puis s’inscrit au Conservatoire royal de Bruxelles en jazz et obtient son 1er Prix de saxophone en 1992.

Il enseigne la clarinette et le saxophone dans diverses Académies tout en menant multiples projets: Alleman-Loveri, avec le guitariste Paolo Loveri pour l’album Duo; Fabrice Alleman Quartet où il est entouré de Michel Herr, Jean-Louis Rassinfosse et Frédéric Jacquemin pour l’album Loop the Loop enregistré en studio et en live au Festival International de jazz à Liège est récompensé en ’98 par le prix “Nicolas d’Or” et élu “meilleur album jazz de l’année”. En 1998, Fabrice est consacré “meilleur saxophoniste soprano et ténor” au référendum des radios belges et la SABAM lui décerne le prix de la “Promotion Artistique Belge”.

Faisant preuve d’un éclectisme rare il multiplie les rencontres et les styles et joue notamment du blues dans le Calvin Owens Orchestra de 1992 à 1998, du rock, de la musique ethnique, du jazz moderne avec Stéphane Galland, Fabian Fiorini, Michel Hatzigeorgiou mais aussi de la variété avec Salvatore Adamo (album Adamo Live, 1996) ou encore avec le groupe de William Sheller et ses tournées en France et en Suisse.

De 1993 à 1998, il est membre du groupe Sax no End en tournée des festivals et concerts en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique et qui lui fera rencontrer le contrebassiste Jean Warland qu’il ne quittera plus : de 1999 à 2004 avec le groupe The “A” Train sextet puis avec le Jean Warland-Fabrice Alleman Duo qui se produira en Allemagne et en Belgique jusqu’à aujourd’hui. Une autre rencontre mémorable a lieu avant cela, en 1997 lorsqu’il accompagne le Quintet de Terence Blanchard et l’OPL de Luxembourg. Tournées du Alleman-Loveri Duo au Nicaragua, Suède, Italie en 1997, jusqu’en 2001, année du 2ème album du duo On the funny side of the strings auquel se marie subtilement un quatuor à cordes.

En 1999, carte blanche pour le Festival Cap Sud à Mons, et crée la première version du One Shot Band avec le violoniste Jean-Pierre Catoul, dont l’esprit novateur et la fraîcheur rebondiront lors d’une magnifique série de concerts de 1999 à 2001. En 1999, participation au Jaco Pastorius Project de Michel Hatzigergiou au Festival du Middelheim d’Anvers, et au Gaume jazz festival avec Toots Thielemans, Otello Molina… Suivront de nombreuses tournées en Belgique et à l’étranger. En 2004 le Fabrice Alleman Quartet sort son second album Sides of Life auquel se joignent le trompettiste Bert Joris et le guitariste Peter Hertmans ainsi qu’un quatuor à cordes. L’album est alors classé “Top CD” dans le magazine Jazzmosaiek.

En 2006 le Fabrice Alleman Quartet représente avec le groupe de Philip Catherine, la délégation belge au festival Warsaw Jazz Summers Days en Pologne et, cette même année, le trompettiste Randy Brecker se joindra au Quartet lors du festival international de jazz à Liège, pour donner un concert inoubliable sous les caméras de la RTBF. En 2004, il fera 8 concerts du Sanseverino Jazz Project à la maroquinerie de Paris, dont l’heureuse expérience poussera sans doute 2 ans plus tard Stéphane Sanseverino à rappeler Fabrice Alleman pour qu’il dirige et arrange, pour la scène, la section cuivres de son Sanseverino Big Band, gravé sur l’album Exactement en 2006. Parmi les diverses activités musicales de Fabrice Alleman, on notera également les nombreux enregistrements de musiques de film composées notamment par Michel Herr ou enregistrées avec le WRD Big Band à Cologne comme au festival de Leverkusen avec Nina Freelon, Hiram Bullock, Kenwood Dennard.

d’après CONSERVATOIRE.BE


© igloorecords.be

Le musicien a débuté sa carrière en 1990. A la suite de quelques workshops décisifs, notamment avec le saxophoniste américain Tim Ries, il intègre la section jazz du Conservatoire de Bruxelles (Steve Houben, Jean-Louis Rassinfosse, Richard Roussselet) et en 1992, il reçoit un premier prix en saxophone. La même année, il rejoint la Manhattan Shool of Music à New York, où il travaille avec Phil Woods, Toshiko Akiyoshi, Steve Salgle… Il joue dans différents groupes et styles (jazz, rock, funk, variétés…) et entre autres avec Adamo, William Sheller, Calvin Owens Blues Orchestra… Cependant ses préférences le portent vers le jazz, et il se produit avec les plus éminents jazzmen belges, Michel Herr, Steve Houben, Richard Rousselet, Bruno Castellucci, Jean Warland… Il enregistre son premier album en duo avec le guitariste Paolo Loveri en 1996 et vient de sortir Spirit One : Clarity.

Ce nouvel album est le premier volet d’un triptyque discographique intitulé Spirit, 3 albums indissociables dont deux restent à paraître. Ce premier album est librement inspiré du monde sonore de Chet Baker,  une grande inspiration pour le saxophoniste Fabrice Alleman. Spirit One : Clarity, rassemble neuf compositions, des mélodies d’une sensibilité et d’une profondeur rares. Une musique simple, évidente, immédiate, comme celle de Chet.

Parmi les acolytes du saxophoniste, il y a le solide Jean-Louis Rassinfosse à la contrebasse et l’incroyable guitariste Philip Catherine, eux-mêmes grands complices de Chet Baker ! Le lumineux Nicola Andrioli les rejoint au piano et enfin, pour compléter l’équipe de haut vol, Mimi Verderame et Armando Luongo se partagent la batterie. Cerise sur le gâteau, le Budapest Scoring Orchestra s’invite sur deux morceaux.

d’après RTBF.BE


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources : compilation par wallonica | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustration en tête de l’article : © jazz station.be ; igloorecords.be.


More Jazz…

YEATS : textes

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Wine comes in at the mouth
And love comes in at the eye;
That’s all we shall know for truth
Before we grow old and die.
I lift the glass to my mouth,
I look at you, and I sigh.

A Drinking Song (1910)

Par la bouche, on boit le vin
Et par les yeux, on boit l’amour ;
C’est là tout ce que nous apprendrons,
Avant de vieillir, avant de mourir.
Je porte le verre à ma bouche,
Je te regarde… et je soupire.

Chanson à boire (1910, trad. Patrick Thonart)

Un clic sur le bandeau ? Ce poème est également dans notre POETICA…

[RADIOFRANCE.FR/FRANCECULTURE] William Butler Yeats, poète et dramaturge irlandais (1865-1923) ; il écrit en anglais mais pense en Irlandais. Toute sa vie sera habitée par cette déchirure, toute son œuvre sera articulée autour de la question du peuple, son art, son langage. L’écriture de Yeats est complexe, labyrinthique, T. S. Eliot dira de lui qu’il était le dernier des grands lyriques anglais. Yeats fut fasciné par l’occultisme et l’ésotérisme, il fut lié aux avatars de l’ordre de la Rose-Croix, on lui prêtera des sympathies pour l’Italie fasciste… En 1923, il reçoit le prix Nobel de littérature.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : traduction, compilation et iconographie | traducteur & contributeur : Patrick Thonart | sources : poetryfoundation.org ; france-culture | crédits illustrations : © radiofrance.fr.


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CHARLIER : Novissima verba (2000, Artothèque, Lg)

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CHARLIER Jacques, Novissima verba
(impression offset, n.c., 2000)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Jacques Charlier © Jasmine Van Hevel

Dès le début de sa carrière, Jacques CHARLIER s’inscrit dans les grands mouvements des années 1960, dont le Pop Art. Avec Marcel Broodthaers, il fréquente les galeries belges les plus en vue, imprégnées d’art minimal et conceptuel. Dès 1975, Charlier continue sa carrière seul.  Il interroge et remet en question  avec humour le système de l’art. Il s’approprie tous les médias : la peinture, la photographie, l’écriture, la BD, la chanson, l’installation. Il se met en scène en personnage flamboyant et joue avec les codes de la publicité et des médias. (d’après MAC-S.BE)

Jacques Charlier reprend la composition d’une œuvre très célèbre de Félicien Rops : Pornocratès. L’œuvre de Rops présente une femme quasi nue, les yeux bandés, tenant en laisse un cochon, qui semble la guider d’un pas conquérant. L’interprétation de Charlier à libéré le cochon et c’est la femme qui en a repris la pose victorieuse, laissant libre cours à maintes interprétations… La photographie a été réalisée par Laurence Charlier.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Jacques Charlier ; Jasmine Van Hevel | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

Miles Davis et l’histoire du jazz rock

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La musique rock de la fin des années 60 est marquée par les grands rassemblements musicaux autour des figures artistiques les plus en vue du monde pop. Une légende venue du jazz va être accueillie chaleureusement par le public : Miles Davis. Le trompettiste qui vient de sortir de ses expériences modales au sein de son quintette (avec Herbie Hancock, Wayne Shorter, Ron Carter et Tony Williams) propose alors au public une musique aux influences funk, héritée de James Brown et de Sly and the Family Stone, baptisée du nom de jazz-rock

Come back années 60, le virage rock et pop

Du point de vue historique, les années 60 sont des années d’expérimentations sonores cruciales pour les musiques rock et jazz. Jusqu’alors, hormis la guitare électrique et l’orgue, la musique jazz a toujours utilisé des instruments acoustiques. Cependant, le développement de l’électronique conduit les luthiers et les constructeurs à imaginer d’autres instruments transportables et moins encombrants. Accompagnés d’une amplification, les instruments électriques deviennent rapidement des compagnons de routes sachant répondre aux exigences sonores des nouvelles musiques comme le rock ou le rhythm’n blues.

Sans forcément leur convenir, mais voyant leur côté pratique, les jazzmen vont incorporer dans leur formation deux instruments électrifiés : le piano et la basse. En les adoptant, les musiciens se rendent compte rapidement que leur utilisation combinée aux instruments acoustiques produit un nouveau son, et que ce nouveau son appelle une autre musique. Ainsi, sans le vouloir vraiment, des grands noms du jazz vont séduire un auditoire plus large en étant influencés par d’autres courants musicaux, tels que la musique soul, les rythmes rock ou les mélodies ‘pop’.

Les puristes d’une certaine idéologie jazz voyant s’installer un relâchement crient à la trahison. Certains critiques n’acceptent pas que des musiciens de talent aient recours à certaines facilités dans le seul but de plaire au plus grand nombre. Ce sera le cas du quintette du saxophoniste Cannonball Adderley qui, dès 1967, joue une musique quelque peu funky et rhythm’n blues pour attirer l’attention d’un public pas toujours jazz.

Depuis déjà quelque temps, des jazzmen cherchent à sortir la musique jazz de son impasse ‘free’, à l’émanciper de son élitisme. Autour d’eux, la frontière entre musique jazz et musique rock se rapproche chaque jour d’avantage. De nombreux musiciens ressentent qu’une fusion entre ces deux musiques est imminente, mais personne n’ose encore franchir le pas. Les musiciens jazz restent sur leur garde, même si les rythmes binaires jouent des coudes pour prendre un peu de place. À cette époque, la majorité des jazzmen considèrent la musique rock comme une musique rythmiquement et harmoniquement trop basique, une musique incapable d’augurer à leurs yeux les prémices d’un nouveau langage musical.

Pourtant, de son côté, la musique rock a de multiples ambitions. Quelques groupes veulent faire entendre leur différence en produisant des musiques aux écritures plus élaborées. La musique rock n’est pas encore assujettie à la performance instrumentale, mais déjà des tendances voient le jour. On ne parle pas encore de jazz-rock, mais de ‘rock progressif’ ou de ‘rock psychédélique’.

Des musiciens comme Graham Bond ou Alexis Corner font appel à des musiciens de jazz et de blues, tandis que Soft Machine tente des incursions dans un jazz avant-gardiste. Pour des formations comprenant des cuivres comme Chicago ou Blood, Sweat and Tears, la tentation d’accorder une place fusionnelle entre les rythmes rock et les harmonies jazz est plus que palpable.

De leur côté, les nouvelles orientations musicales des Beatles vont être d’une grande importance pour l’avenir des musiques rock et jazz. Les ‘4 de Liverpool’ décident d’utiliser les techniques d’enregistrement en re-recording toute récentes, pour satisfaire leur créativité débordante. Le travail mené en studio aboutira à l’enregistrement de l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (réalisé en 1967, Sgt. Pepper’s consacre également l’avènement de l’album concept déjà auguré par les Beach Boys). Cette sophistication technologique entraînera une autre façon d’élaborer la musique en studio, mais de plus une autre façon de penser le travail en groupe.

Miles Davis et Jimi Hendrix
Miles Davis et Jimi Hendrix

Pour Miles Davis, la rencontre avec le guitariste Jimi Hendrix en 1968 va être révélatrice. Le trompettiste joue à cette époque une musique expérimentale essentiellement modale. C’est le temps où Miles enregistre quelques disques incontournables qui ont pour nom : Miles Smiles, Nefertiti ou Miles in the Sky… Miles se rend compte que Jimi Hendrix est un véritable ‘guitar hero’ de la musique pop, mais également un artiste qui a su habilement marier l’esprit de la musique blues au son populaire du rock. Pour Miles, il n’y a pas de doute, l’époque est bien celle de la rencontre de toutes les musiques.

Les groupes de rock présents dans les festivals de musique révèlent leur profond désir d’aborder la musique sous toutes ses formes. Chaque groupe revendique l’existence d’un nouveau courant, parfois vraisemblable ou parfois éphémère : folk/rock, country/rock, rock psychédélique, hard-rock, etc. Un nombre très important de groupes rock surgissent le temps d’enregistrer un ou deux disques, d’accomplir une ou deux tournées avant de disparaître aussi vite qu’ils étaient apparus.

Force est de constater que cette énergie, cette volonté créatrice, va influencer à son tour de jeunes musiciens de jazz. À cette époque, une fracture de génération, d’école, de vision musicale apparaît chez les jazzmen. La tradition étant tenace, bien peu de ceux qui ont pratiqué le swing ou le bop seront capable de s’entourer ou de se projeter musicalement à travers les rythmes et les sonorités rock.

Miles Davis lance le jazz-rock

En 1970, quand Miles Davis se produit sur scène avec sa trompette équipée d’une pédale wah-wah, il indique à tous ceux qui sont venus l’écouter, que l’époque où il interprétait So What est ‘out’, qu’il a franchi un nouveau cap et qu’il est prêt à affronter la scène rock avec l’intention de marquer les esprits.

Miles Davis, qui n’aimait pas trop la musique noire sophistiquée, telle que celle produite par la ‘Tamla Motown’, ni le rock des blancs qu’il trouvait insipide ou trop simpliste, trouve dans le funk primaire hérité de James Brown, une musique capable de stimuler son imagination. De ses aveux critiques, Miles prendra soin d’éviter tout rapprochement avec un langage musical hérité du free jazz. Même si les premiers disques de sa période ‘jazz-rock’ sont libres dans leur forme, ils n’ont pas pour revendication de prolonger l’esprit d’une musique free-jazz sur le déclin, mais plutôt la continuité d’un jazz modal.

Les enregistrements de la plupart des disques jazz-rock (In a Silent Way, Bitches Brew…) sont basés sur de longues improvisations qui sont ensuite montées en studio. L’intention était alors clairement affichée par le trompettiste : un minimum de répétitions et quelques indications sommaires relatives au tempo et à l’emplacement des improvisations suffisaient généralement. Les musiciens présents lors des séances d’enregistrement devaient s’en contenter ou partir !

En 1969, quand Miles Davis enregistre l’album In a Silent Way, le musicien décide de rompre les amarres avec l’acoustique. À l’écoute de son disque, on est surpris non pas par les compositions, mais par la sonorité qui s’en dégage. Un climat sonore très particulier, ni free, ni totalement jazz ou rock, mais à la tonalité très contemporaine. Un style encore ‘brouillon’ mais qui va devenir plus mature à partir de l’album suivant Bitches Brew (1969).

Cette musique, qui va être baptisée du nom de jazz-rock, va faire couler beaucoup d’encre. Miles et sa trompette électrique vont être condamnés par de nombreux critiques de jazz. Celles-ci atteindront les sommets quand l’album On the Corner sortira en 1972 (notamment dans la revue Jazz-Hot). La démarche du musicien n’est apparemment pas comprise. Pourtant, en invitant dans ses disques de jeunes instrumentistes virtuoses comme le guitariste anglais John McLaughlin, le claviériste Joe Zawinul ou le saxophoniste Bennie Maupin, Miles Davis crée une musique étonnamment jeune et innovante.

Miles Davis et John McLaughlin

Sa musique s’enracine dans de longues suites qui peuvent durer parfois 10 ou 20 minutes et même davantage. Le groove funk servi par les lignes répétitives de la basse (jouée par Michael Henderson) apporte son côté incantatoire, hypnotique. Les musiciens entourant Miles se dévouent sans compter pour porter au plus haut l’esprit de sa musique.

Dès lors, le “Miles Davis chercheur” va se transformer en dénicheur de talent. Chaque disque ou presque nous permet de découvrir quelques brillants musiciens qui vont, grâce à lui, se révéler au public. Citons notamment… le fidèle Herbie Hancock, mais également Chick Corea, Joe Zawinul et Keith Jarrett pour les claviers ; John McLaughlin, John Scofield et Dominique Gaumont pour la guitare ; Bennie Maupin, Wayne Shorter et Steve Grossman pour les saxophones ; Michael Henderson et Dave Holland pour la basse ; Tony Williams, Billy Cobham, Jack DeJohnette, Al Foster, Mtume et Lenny White pour la batterie ; Airto Moreira et Don Allias pour les percussions.

Cette musique, qui s’adresse d’abord aux amateurs de jazz à cause de la grande place accordée à l’improvisation, va en réalité séduire dans un premier temps le monde hippie. Le musicien sera accueilli au Festival de l’île de Wight (1970) sous les applaudissements. À cette époque, il est difficile de concevoir meilleur orchestre : Gary Bartz (saxophones), Keith Jarrett et Chick Corea (claviers), Dave Holland (basse) Jack DeJohnette (batterie) et Airto Moreira (percussions).

Pour les musiciens, un passage dans l’orchestre de Miles Davis, c’était vivre une expérience musicale unique. La plupart d’entre eux poursuivront l’élan apporté par Miles Davis en créant leur propre formation jazz-rock. John McLaughlin crée le mystique Mahavishnu Orchestra, Joe Zawinul et Wayne Shorter forment un groupe de ‘world music’ avant l’heure, Weather Report, tandis que Chick Corea va démontrer ses qualités de compositeurs au sein du Return to Forever.

Suite à Bitches Brew, des albums aux qualités inégales vont se succéder. Pour Miles Davis, l’album On the Corner (1972) souligne l’impact de sa musique auprès des jeunes noirs. Musicalement plus conciliant et plus facile d’accès, On the Corner cherche à séduire les jeunes gens qui sont attirés plus par le rock que par le jazz. Hélas, les mauvaises critiques ne permettront pas à l’album de trouver son public, même si aujourd’hui l’album fait référence dans le style jazz-funk.

La fin de la période jazz-rock

En 1975, l’épisode Jazz-Rock touche à sa fin. Armé de sa trompette, les improvisations de Miles Davis, portées par des rythmes funk de plus en plus présents, se résument souvent en quelques notes étranglées, stridentes. Le long chapelet de notes qui illustrait les phrases cool des années 50 ont totalement disparu. Seules les notes charnières supportant les harmonies subsistent. Le rythme binaire de la batterie jouée par ‘Mtume’ Foreman est à sa plus simple expression et ne se désolidarise presque jamais de celui de la basse du fidèle Michael Henderson.

La musique produite sur scène par Miles et ses musiciens n’est jamais le reflet de celle enregistrée en studio. Les concerts possèdent une certaine magie qui ne cesse de surprendre et d’étonner ceux qui y assistent. Sans faire le parallèle entre Frank Zappa et Miles Davis (les deux artistes sont à l’opposé dans leur façon d’aborder la musique), ils ont en commun d’être des chercheurs insatiables qui, d’une tournée à une autre, usent les musiciens qui les accompagnent. En effet, la musique de Miles Davis, tout comme celle de Zappa, est très exigeante. Si celle du trompettiste demande une capacité à se renouveler, à réinventer lors de chaque concert, celle du guitariste compositeur verse dans la complexité des écritures.

Après s’être produit un peu partout (Europe, Japon…), Miles Davis va s’éclipser pour des raisons de santé et fera son come-back au début des années 80 en véritable star du jazz. On retiendra de la fin de cet épisode jazz-rock, son passage au Carnegie Hall de New York en 1974 et les deux concerts de Tôkyô (album Agartha – 1975).

Jusqu’à la fin de son existence, Miles Davis ne fera jamais de mea culpa sur son passage controversé à l’électricité et sur ses choix musicaux. Pour son grand retour en 81, il restera fidèle jusqu’au bout à ce qu’il a construit, à ce mélange de jazz et de funk dont il avait le secret. Certes, sa musique évoluera (le dernier album Doo-bop sorti en 1992 fait appel à des musiciens de hip-hop) et deviendra plus stylisée et structurée.

Lorsqu’il rendit hommage à Michael Jackson avec Human Nature (1985) ou lorsqu’il collabora aux écritures d’un certain Marcus Miller, le musicien n’avait jamais cessé d’être un jazzman dans l’âme. Fort de ses expériences passées, il a osé s’affranchir des codes du jazz en repoussant les différentes frontières de ses structures ; mais sa grande force est d’avoir toujours su saisir les modes et les styles qui naissaient et d’aller au devant d’eux quand le moment s’y prêtait.

d’après CADENCEINFO.COM

Prévenir la violence : le “violentomètre”, du couple à l’entreprise

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Le violentomètre : un outil de prévention des violences

[DIVERSITE-EUROPE.EU, décembre 2021] Le violentomètre est un outil “simple et utile pour mesurer si sa relation amoureuse est basée sur le consentement et ne comporte pas de violences” développé par les Observatoires des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et Paris, et mis à jour par le Centre Hubertine Auclert. Comme expliqué sur le site du Centre Hubertine Auclert, le violentomètre est présenté sous forme de règle, et “rappelle ce qui relève ou non des violences à travers une gradation colorée” : “Profite“, “Vigilance, dis stop !” et “Protège-toi, demande de l’aide“. Il s’agit d’un excellent outil, très visuel, qui permet à la fois de prendre conscience d’une relation potentiellement dangereuse, mais aussi de sensibiliser largement à la thématique des violences conjugales. Par exemple, en France, le violentomètre a été imprimé sur des emballages de baguette de pain, et diffusé via des boulangeries partenaires dans tout le pays.

Les dispositifs d’aide en France sont également rappelés : le 3919 et le tchat de l’association En Avant Toute(s). Rappelons qu’en Belgique le numéro “Écoute Violences Conjugales” est le 0800/30.030. Pour télécharger l’outil, c’est ici !


L’échelle du violentomètre

Photo de rue – Montreuil (banlieue parisienne, 2022) © Patrick Thonart

PROFITE
Ta relation est saine quand ton partenaire…
1.  respecte tes décisions, tes désirs et tes goûts,
2.  accepte tes amies, tes amis et ta famille,
3.  a confiance en toi,
4.  est content.e quand tu te sens épanoui.e,
5.  s’assure de ton accord pour ce que vous faites ensemble.

Photo de rue – Montreuil (banlieue parisienne, 2022) © Patrick Thonart

VIGILANCE, DIS STOP !
Il y a de la violence quand il/elle…
6.  te fais du chantage quand tu refuses de faire quelque chose,
7.  rabaisse tes opinions et tes projets,
8.  se moque de toi en public,
9.  est jaloux et possessif en permanence,
10. te manipule,
11. contrôle tes sorties, habits, maquillage,
12. Fouille tes textos, mails, applis,
13. Insiste pour que tu lui envoies des photos intimes,
14. T’isole de ta famille et de tes proches,
15. T’oblige à regarder des films pornos.

Photo de rue – Montreuil (banlieue parisienne, 2022) © Patrick Thonart

PROTÈGE-TOI, DEMANDE DE L’AIDE
Tu es en danger quand il/elle…
16. T’humilie et te traite de folle/fou quand tu lui fais des reproches,
17. “Pète les plombs” lorsque quelque chose lui déplaît,
18.  Menace de se suicider à cause de toi,
19. Menace de diffuser des photos intimes de toi,
20. Te pousse, te tire, te gifle, te secoue, te frappe,
21. Te touche les parties intimes sans ton consentement,
22. T’oblige à avoir des relations sexuelles,
23. Te menace avec une arme.

Photo de rue – Montreuil (banlieue parisienne, 2022) © Patrick Thonart

Sexisme au travail: découvrez le “violentomètre” de la FGTB

[SYNDICATSMAGAZINE.BE, 22 décembre 2022] Le sexisme est et reste une réalité à tous les niveaux de la société, y compris sur le lieu travail. Remarques déplacées, gestes inappropriés, voire agressions, menaces et intimidations sont des manifestations de ce fléau. Durant son congrès fédéral, la FGTB a distribué un outil simple, mais efficace, qui aurait sa place dans tous les lieux de travail : le violentomètre. Thermomètre de la violence, ce violentomètre permet de mesurer à quel point un comportement constaté sur le lieu de travail est sain ou toxique pour la personne qui le subit. Le concept existait déjà pour mesurer la violence au sein d’un couple. Il est aujourd’hui adapté au milieu professionnel…

© FGTB

Où commence le cycle de la violence ?

Trop souvent, les comportements sexistes continuent de faire partie du paysage professionnel, car ancrés trop profondément dans la société. Le violentomètre indique qu’un environnement professionnel sexiste et hostile commence avec des commentaires sur l’apparence. Ou encore avec la parole des femmes qui serait systématiquement coupée par les collègues masculins. S’ensuivent des blagues déplacées sur des prétendues “promotions canapé”, sur “les blondes” ou encore des questions insistantes sur la vie privée. Des attitudes qui “passent” encore trop souvent sous un faux prétexte d’humour, mais qui doivent néanmoins alerter. Malheureusement, entre les commentaires déplacés et l’intimidation, il n’y a qu’un pas, qui peut ensuite mener à de la violence physique et sexuelle.

“Non, c’est non”

La clé d’un environnement sain est bien évidemment le consentement. Un est un non, et une relation hiérarchique ou de travail ne peut en rien modifier ce fait. SMS tendancieux, e-mails et photos non-désirées, gestes, regards et paroles non consentis sont autant de comportements à dénoncer, car toxiques.

De lourdes conséquences

Stress, dépression, angoisses, perte de l’estime de soi : les conséquences sont lourdes, tant pour la santé mentale que pour la vie professionnelle de la victime. Les attitudes sexistes freinent les travailleuses, les isolent et les empêchent de s’épanouir. Que faire ? Parler. Dénoncer la situation, l’agresseur. Les collègues et délégués jouent ici un rôle crucial. En effet, il n’est pas rare que la victime elle-même s’enferme dans le silence, par honte ou sentiment de culpabilité. Aux collègues de parler, d’accompagner, de soutenir. Pour que le cycle de la violence se brise.

La rédaction de Syndicats-Magazine


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, compilation et iconographie | contributeur : Patrick Thonart | sources : diversite-europe.eu ; syndicatsmagazine.be | crédits illustrations : © Patrick Thonart.


Plus de presse en Wallonie-Bruxelles…

VIENNE : Elise et la neige (nouvelle, 2022)

Temps de lecture : 6 minutes >

Un peu de vent s’est levé et il a recommencé à neiger doucement. La pelouse est blanche, déjà, que foule délicatement un homme en gris, l’urne à bout de bras. Puis, d’un geste qui nous échappe à tous, il en laisse échapper une poudre noire, des cendres, les cendres, d’un noir insoutenable sur ce blanc, et qui ne cessent de se répandre, portées par le vent, c’est juste interminable. Alors je sens Elise se rapprocher de moi et sa main, humide comme ses yeux, saisir puis serrer la mienne.

Je ne sais plus à quel moment précisément la journée a mal commencé. Au réveil probablement, quand le chat, affamé, réclamant ses croquettes, a fait tomber dans la cuisine la vaisselle de la veille qui n’attendait que cela, à défaut d’être lavée. Ou bien au moment où la radio, programmée pour s’allumer à sept heures, m’a sorti de ma torpeur au son de la voix nasillarde de Phil Collins. Je me suis levé en sentant que quelque chose était différent, pas en moi, non, dans mon environnement plutôt. La lumière, sans doute mais pas seulement. Et puis, quand enfin le batteur britannique s’est tu, j’ai perçu un chuintement provenant de la rue, que j’ai vite identifié comme étant celui de pneus dans la neige. En soi, j’aimais plutôt ça, la neige. C’est juste que là, cela me contrariait parce que les bus ne rouleraient pas et que j’avais un rendez-vous à neuf heures. Et que j’allais devoir m’y rendre à pied alors que, déjà, je n’avais aucune envie d’y aller.

Entrer dans un hôpital, c’est tutoyer la mort. C’est du moins le sentiment que j’ai. En fait, je me refuse généralement à y mettre les pieds car, convaincu d’être en bonne santé, je suis persuadé que j’en ressortirai malade. Un peu comme du bus, mais en pire. Alors je ne sais plus très bien comment et pourquoi je me suis laissé convaincre d’y aller passer cet examen – parce que quand même, à votre âge, ce serait prudent et que. La neige crisse sous mes pas, enfin c’est ce que l’on dit généralement, moi je n’entends rien que le bruit des voitures dont celui, caractéristique, de celles équipées de pneus à clous, et puis des cris d’enfants qui arriveront en retard à l’école, constellés de traces de boules de neige.

En revanche, ce n’est pas tellement dans mes habitudes, à moi, d’arriver en retard. Je suis plutôt du genre à procéder à un décompte minutieux du temps. Ainsi, pour un rendez-vous à neuf heures, trente minutes de trajet plus, disons, dix minutes de battement – on ne sait jamais, avec la neige – font huit heures vingt, moins vingt minutes pour le petit déjeuner – non, il ne faut pas être à jeun – égale huit heures, moins vingt minutes pour s’habiller, sept heures quarante. Avec un réveil à sept heures, fût-il sonné par Phil Collins, j’ai donc de la marge. Et, de fait, il est à peine huit heures quarante quand j’arrive aux abords de l’hôpital. Je ne peux me résoudre à y entrer en avance, sachant que j’aurai encore à attendre. Aucun horaire de rendez-vous n’étant jamais respecté, il me faudra respirer davantage de cet air plombé de relents de maladie, non, je vais faire le tour du pâté de maison ou peut-être davantage même.

Parfois, enfants, jeunes adolescents, nous jouions à cela, mon frère et moi : suivre une personne en rue, collecter à son insu un maximum d’informations sur sa vie puis, au départ de ce canevas, tisser le récit imaginaire de son existence. Cela m’est revenu quand je l’ai aperçue, cette tache fauve dans la neige, tout d’abord, puis elle, en entier, comme une apparition préraphaélite, une Vénus de Rossetti par exemple. J’ai retrouvé ce vieux réflexe, enfoui au fond de mon histoire, d’instinct je l’ai suivie, je la suis, longeant les murs des maisons tout d’abord, du cimetière ensuite, jusqu’à retrouver un petit groupe aussi sombre qu’elle peut être lumineuse, au seuil d’un bâtiment dans lequel tous s’engouffrent, et moi sur leurs pas, notant au passage, sans pour autant me raviser, qu’il s’agit d’un crématorium. Je ne risque plus de les perdre, les laisse donc entrer, s’installer dans la salle 4, je refais un tour jusqu’à l’accueil où un tableau affiche les cérémonies du jour – salle 4 Anne Degivre. Je souris, je ne devrais pas évidemment mais je suis seul après tout et Anne Degivre, un jour comme aujourd’hui… Je retourne vers la salle 4.

Ils sont un petit nombre à être arrivés, que ma rousse accueille. Elle est visiblement une proche parente de la défunte, sa fille j’imagine, les observant de loin jusqu’à ce que tous soient rentrés dans la pièce. Alors, je pénètre discrètement à mon tour et m’assois au dernier rang. Un cercueil de bois clair gît au milieu d’un parterre de fleurs blanches. Dans un cadre, une photo d’une femme jeune, trop, d’une blondeur qui n’atteint pas la flamboyance de notre hôtesse avec laquelle, pourtant, elle présente une certaine ressemblance. Un homme se lève, fait face à l’assemblée. Elise, dit-il, m’a demandé de lire ce texte qu’elle a rédigé en hommage à sa sœur mais que, vous le comprendrez aisément, elle n’a pas la force de vous lire. A ce moment les regards convergent vers moi dont le portable se met à sonner. Evidemment, n’ayant pas prévu d’être là, j’ai omis la fonction silence, je quitte précipitamment la salle et décroche. Mon rendez-vous ? Oublié ou bien la neige ? Non, pas du tout, un décès dans la famille. Inopiné. Je ne peux donc pas me rendre à l’hôpital aujourd’hui. Oui, merci. Excusez-moi encore. Je rappellerai pour prendre un autre rendez-vous. Entretemps, je n’ai rien appris ni d’Anne ni d’Elise.

Ils sortent de la salle, déjà. Je ne peux même pas leur échapper. M’apercevant, Elise marche dans ma direction, pour m’admonester j’imagine. Je prends les devants, excusez-moi, je suis sincèrement désolé pour tout à l’heure, j’aurais dû. Oh, ce n’est pas grave, ça aurait certainement amusé Anne, vous savez comment elle était. Vous êtes un ami d’Anne, n’est-ce pas, ajoute-t-elle d’un ton empli de sous-entendus tandis que ses yeux verts, si verts bien que rougis, plongent en moi tellement profondément que j’en oublie qui je suis – si tant est que je l’ai jamais su. Et donc, être un ami d’Anne, oui, pourquoi pas mais quand même, on s’était un peu perdus de vue ces derniers temps. Ah bon, dit-elle, on en reparlera plus tard, enfin si vous restez pour la dispersion, là je dois rejoindre les autres. Oui, bien sûr, je réponds. A tout de suite alors, dit-elle, et je comprends qu’il y a méprise sur ma réponse. Je suis donc encore ici pour deux heures.

C’est interminable une crémation. Alors, on dispose les gens dans une salle et ils attendent. Pour les faire patienter, on leur sert de la tarte et des sodas ou bien de la bière et des chips, c’est un peu comme si toute la vie était résumée en ces deux heures, on boit et on mange en attendant la mort. Il ne manque que le sexe. Moi, ça me plairait encore bien de faire l’amour avec Elise, en attendant, mais évidemment je ne suis pas en deuil. Je m’installe un peu à l’écart, j’observe ceux qui restent : une vieille tante apparemment – j’en déduis qu’Anne et Elise ont perdu leurs parents, le lecteur de tout à l’heure – un cousin ou un ami proche sans doute – accompagné de sa femme, des amis et amies de l’une ou des deux sœurs. Elise porte son attention sur tous et converse avec chacun, de temps à autre elle joue avec les pointes de ses cheveux ou même les porte à sa bouche, puis se reprend, comme un enfant pris en défaut.

Excusez-moi, dit-elle, d’être si directe mais Anne avait depuis longtemps une liaison avec un homme marié, je le sais, elle me l’avait confié, même si elle n’avait rien voulu me dire de plus et donc, vu que vous ne connaissez personne ici et que vous restez en retrait, j’ai pensé que c’était vous – enfin, si c’est vous, vous pouvez bien me le dire à présent qu’elle est morte. Non, absolument pas, moi, ma femme aussi est morte. Ce n’était pas tout à fait vrai, en fait elle m’avait quitté, mais c’était un peu la même chose quand même, sauf que des funérailles m’auraient coûté moins cher qu’un divorce. Oh, excusez-moi, je suis désolée. Ce n’est pas grave, Elise. Je peux vous appeler Elise n’est-ce pas ? Et d’ailleurs, je ne me suis même pas présenté, Pierre Delaunois. Si, dit-elle, c’était vraiment maladroit de ma part. Pas plus que la sonnerie de mon téléphone tout à l’heure, je réponds, et elle sourit.

Vous savez, la solitude, je connais. Anne et moi, on était très différentes sur ce plan-là. Elle, elle faisait tourner la tête de tous les hommes, c’était plus fort qu’elle de toute manière, alors que moi. Moi, je suis celle que l’on abandonne. Mais quand même, dit-elle, il n’aurait jamais quitté sa femme, Anne me l’a dit, alors je ne comprends pas ce qu’elle attendait, elle perdait, elle a perdu son temps toutes ces années. Et à présent… C’est peut-être justement cela qu’elle recherchait. Quoi donc ? Quelqu’un qui ne soit pas libre, ne pas s’engager, du moins pas au-delà d’un certain point, garder une forme de liberté et de mystère qui lui assurait aussi son pouvoir de séduction. Vous croyez ? Mais si on aime, on ne peut pas se contenter de cela. Si on aime, Elise, on n’est de toute façon jamais satisfait.

Un homme en gris vient nous interrompre. La cérémonie de dispersion des cendres va commencer. Nous remettons nos manteaux. Elise frissonne néanmoins. Nous marchons côte à côte, en silence. Un peu de vent s’est levé et il a recommencé à neiger doucement.

Philippe Vienne


[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : rédaction | source : inédit | commanditaire : wallonica | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Philippe Vienne


Plus de littérature…

LEDURE : Sans titre (2013, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

LEDURE Elodie, Sans titre
(série “Apnée”)
(photographie, n.c., 2013)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Elodie Ledure © Babelio

Photographe liégeoise née en 1985, Elodie LEDURE conjugue dans son travail personnel une forte attirance pour les beautés incongrues du paysage et l’expression d’un sentiment singulier face aux volumes, au bâti, à l’environnement construit. […] Elle a résidé en Suisse et en République tchèque, tâté de la photographie de plateau et de la presse d’actualité. Exposée régulièrement en Belgique, en France (Festival Circulations), aux Pays-­Bas, elle signait en 2014 avec Apnée“, chez Yellow Now, son premier livre personnel, peu de temps après avoir achevé une imposante mission sur l’architecture à Liège (éd. Mardaga). (CONTRETYPE.ORG)

“Sous ses dehors francs, le travail d’Élodie Ledure est un labyrinthe. Il faut se donner le temps de la réflexion et tenter de trouver, dans une intuition somnambule, la clé des doutes, leur résolution paisible, le grand dehors au bout des tunnels. […] Une façon de se déceler intimement, de se rencontrer soi dans la contemplation du monde externe, dans toute la fascinante opacité de ses apparences, de ses énigmes de surface, dans l’illusion de sa profondeur – mais toujours orientée par l’appel de l’air libre.” (Emmanuel d’Autreppe)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Elodie Ledure ; Babelio | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

COLLIN de PLANCY : Nègres (1863)

Temps de lecture : 5 minutes >

Nègres. Il est démontré que les nègres ne sont pas d’une race différente des blancs, comme l’ont voulu dire quelques songe-creux ; qu’ils ne sont pas non plus la postérité de Caïn, laquelle a péri dans le déluge. Les hommes, cuivrés en Asie, sont devenus noirs en Afrique et blancs dans le Septentrion ; et tous descendent d’un seul couple. Les erreurs, plus ou moins innocentes, des philosophes à ce sujet ne sont plus admises que par les ignorants. Les sorciers appelaient quelquefois le diable le grand nègre.
Un jurisconsulte dont on n’a conservé ni le nom ni le pays, ayant envie de voir le diable, se fit conduire par un magicien dans un carrefour peu fréquenté, où les démons avaient coutume de se réunir. Il aperçut un grand nègre sur un trône élevé, entouré de plusieurs soldats noirs armés de lances et de bâtons. Le grand nègre, qui était le diable, demanda au magicien qui il lui amenait. — Seigneur, répondit le magicien, c’est un serviteur fidèle. — Si tu veux me servir et m’adorer, dit le diable au jurisconsulte, je te ferai asseoir à ma droite. Mais le prosélyte, trouvant la cour infernale plus triste qu’il ne l’avait espéré, fit le signe de la croix, et les démons s’évanouirent.

Les nègres font le diable blanc.

Jacques Collin de Plancy, Dictionnaire infernal (1863, VIe éd.)

© BnF

[GALLICA.BNF.FR] Le Dictionnaire infernal, publié en 1818, est l’œuvre d’un aventurier de l’édition, un libre-penseur pourfendeur des superstitions, avant d’en faire un instrument à édification morale. Cet inventaire des manifestations démoniaques connaît six éditions à travers un siècle fasciné par l’occultisme et la littérature fantastique.

Le Diable s’invite. “Pour commencer la fête on attendait le maître, / On s’impatientait, il tardait à paraître“. Cornes et sabots, la méchante gueule du bouc dans le rougeoiement des flammes ? Au XIXe siècle : pas d’horrible apparition ! À l’ère du chemin de fer et de la capitalisation boursière, Satan s’adapte, épousant les mœurs des contemporains. Il diversifie ses placements, hante les romans, chante à l’Opéra, mais, toujours, il corrompt. “C’était un élégant / Portant l’impériale et la fine moustache, faisant sonner sa botte” : ainsi, Théophile Gautier le voit-il en dandy attirant les regards par l’extravagance de sa mise, séduisant les salons “avec son ton tranchant, son air aristocrate / Et son talent exquis pour mettre sa cravate“.

Pourtant, les Lumières avaient malmené le démon, la Raison laissant peu d’ombres aux mystères, et la mode des romans noirs alors en vogue ne passe pas – on aime à se faire peur à la mesure du frisson, on succombe, on se confesse, mais le mal tarde à venir : “Je ne crains rien du diable, ni de l’enfer ; mais aussi toute joie m’est enlevée“, se languit Faust. L’Encyclopédie de Diderot n’a eu aucun égard : le Diable est expédié en quelques lignes au même titre que les animaux et les outils auxquels les sciences naturelles et techniques avaient donné son nom. Depuis la Renaissance, opinions savantes et populaires creusent entre elles l’écart sans cesser d’échanger. Entre fascination, appropriation artistique et rejet par exigence rationnelle : en fait, tout concourt à la diffusion des croyances. Voltaire résume :

Après la médisance, rien ne se communique plus promptement que la superstition, le fanatisme, le sortilège et les contes des revenants.

Dans une démarche se voulant d’abord critique et menée en “philosophe”, mais tout en flattant les goûts d’un public déjà acquis aux contes populaires, alors que le romantisme trouve aussi en France ses premières plumes et de nombreux lecteurs, Jacques Collin de Plancy, auteur prolifique, compile l’œuvre de l’enfer.

Dans une démarche se voulant d’abord critique et menée en “philosophe”, mais tout en flattant les goûts d’un public déjà acquis aux contes populaires, alors que le romantisme trouve aussi en France ses premières plumes et de nombreux lecteurs, Jacques Collin de Plancy, auteur prolifique, compile l’œuvre de l’enfer.

Collin de Plancy (1794-1881) : son nom pourrait être “Légion”, car ils sont nombreux

Jacques-Albin-Simon COLLIN ajoute à son patronyme le nom de Plancy, son village natal, prenant la particule pour mieux se distinguer. Il est un professionnel du livre – auteur, imprimeur, libraire, éditeur, journaliste, traducteur –, doublé d’un affairiste. Ses lectures sont éclectiques, il a toutefois un goût prononcé pour le bizarre, le merveilleux, les anecdotes extraordinaires dans l’esprit des canards et l’héritage des Histoires tragiques.

La plume est loquace, parfois au détriment de la qualité, et glisse sous plusieurs identités ; on lui connaît près de trente pseudonymes (Jean de Septchênes, Jacques de L’Enclos, Dr Ensenada, Baron de Glananville, etc.). Une vingtaine d’œuvres sont ainsi publiées entre 1818 et 1820, au début d’une longue carrière à rebondissements mais toujours féconde en textes. En outre, il collabore, sur des sujets de même farine, aux livres de Gabrielle Paban, une cousine.

Dans les années 1820, il est libraire à Paris, mais non breveté, il ferme boutique et se lance dans l’immobilier ; il spécule, les affaires tournent court, il s’exile à Bruxelles. S’il est resté longtemps anticlérical, jusqu’à prétendre dans sa jeunesse être apparenté à Danton, il se convertit en 1841 au catholicisme ; ses livres, dont certains sont alors corrigés, manifestent le repentir, passant de la condamnation par l’Église à son approbation officielle.

De retour en France, il fonde la Société de Saint-Victor pour la propagation des bons livres et la formation d’ouvriers chrétiens : le nom suffit à saisir la ligne éditoriale de cette association dont il s’occupe jusqu’en 1858, année de sa fermeture. Il est alors embauché chez Plon qu’il dirige et où il finit sa carrière ; il y publie la sixième édition du Dictionnaire infernal.

Dictionnaire infernal : succès et évolution d’une œuvre

L’œuvre de Collin de Plancy ayant connu le plus grand succès est le Dictionnaire infernal réédité six fois de son vivant. Pour rédiger ce grand recensement du pandémonium dont l’adresse en sous-titre ne semble pas avoir de fin – “répertoire universel des êtres, des livres, des faits et des choses qui tiennent aux esprits, aux démons, aux sorciers, au commerce de l’enfer…” – l’auteur puise dans la tradition populaire ainsi qu’aux sources, plus érudites, des démonologues des XVIe et XVIIe siècles ; il cite notamment Jean Bodin et dresse grâce à Johann Wier les portraits de “72 démons”.

Les deux premières éditions, en 1818 puis en 1825-26, démystifient les superstitions (l’article sur la “Maison ensorcelée” est à ce titre exemplaire), le sarcasme s’invitant parfois dans le style ou les commentaires. Celles qui suivront la conversion de l’auteur, et publiées en 1844, 1845, 1853 et 1863, glorifient le catholicisme avec solennité : “L’immense réunion de matières (…) d’aberrations et de germes ou de causes d’erreurs, qui côtoient presque toujours la vérité, [il] n’y a que l’Église, dont le flambeau ne pâlit jamais, qui puisse être, en ces excentricités, un guide sûr“. En poursuivant la lutte contre les supercheries, la ligne se fait également politique : les protestants sont des “précurseurs de l’Antéchrist“, le communisme est résumé en “une foule d’hérésies” et la démonolâtrie est “la suite logique et constante de toutes les ères philosophiques“.

La motivation n’est pas uniquement désintéressée, pseudo-scientifique ou spirituelle ; Collin de Plancy a conscience que le Diable est une œuvre romanesque sans point final et qu’il se vend fort bien, satisfaisant ainsi “le goût de notre époque, qui exige des piquantes, et, les sujets aidant, on a pu lui offrir très fréquemment ces excentricités, ces singularités, cet imprévu et ces émotions dont il est si avide.

Cette encyclopédie a offert la postérité à Collin de Plancy. Et s’il a écrit un nombre spectaculaire de livres, son nom s’est confondu avec celui du Dictionnaire infernal. L’enfer des superstitions évolue, selon son auteur, on y expérimente des pratiques nouvelles, dont les dernières éditions rendent compte : le magnétisme par exemple rejoint l’alchimie, l’astrologie ou les Rose-Croix, des thèmes ésotériques qui, étudiés dans un cadre universitaire, sont mis à l’honneur dans une exposition à la bibliothèque Sainte-Geneviève…

Eddy Noblet, Chargé de collections à la bibliothèque Sainte-Geneviève


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, compilation et iconographie (les illustrations originales sont visibles sur le blog de la BnF/Gallica | contributeur : Patrick Thonart | sources : COLLIN DE PLANCY Jacques, Dictionnaire infernal (Paris : Plon, 1863) ; blog de la BnF/Gallica | crédits illustrations : en-tête, Étude de nègre, par Théodore Chassériau (1836) © Musée Ingres-Bourdelle.


Plus de symboles en Wallonie-Bruxelles…

DELAITE : L’Académie royale des Beaux-Arts de Liège, presque 250 ans d’histoire aujourd’hui (CHiCC, 2022)

Temps de lecture : 8 minutes >

Liégeoise d’abord

C’est François-Charles de Velbrück, prince-évêque de Liège de 1772 à 1784, qui prit en 1775 la décision de créer une “Académie de peinture, sculpture et gravure” ainsi qu’une “Ecole de dessin relative aux arts mécaniques”. Le peintre Léonard Defrance (1735-1805) et le sculpteur Guillaume Evrard (1709-1793) firent partie du premier corps professoral. Cette première académie occupa d’abord provisoirement deux salles de l’Hôtel de Ville avant de s’installer à partir de 1778 dans un hôtel particulier “Vieille Cour de l’Official”, à proximité de l’actuel Îlot Saint-Michel, jusqu’à la Révolution liégeoise de 1789.

Française ensuite

Sous le Régime français en 1797, Liège, devenue siège de la préfecture du département de l’Ourthe, ouvre une “Ecole Centrale”. Léonard Defrance, encore lui, y est chargé des cours de dessin. Comme toutes les autres écoles centrales de l’Empire, en 1808 l’école de Liège devient lycée et le cours de dessin n’est plus qu’un cours parmi d’autres. Quatre années plus tard, en 1812, à l’instigation des membres de la Société d’Émulation – une société savante instituée elle aussi quelques décennies plus tôt par ce prince éclairé qu’était Velbrück – un projet de création d’une école gratuite de dessin, de peinture, sculpture et architecture voit le jour : ce sera “l’Athénée des Arts”. Celui-ci ne connaîtra cependant qu’une existence éphémère, les circonstances politiques le voulant ainsi. En effet, les cours disparaissent peu après en janvier 1814 : les armées alliées entrent à Liège et mettent fin au Régime français. Cet Athénée des Arts occupait une grande salle de l’hospice Saint-Michel, rue de l’Étuve. Le peintre français Philippe-Auguste Hennequin (1762-1833) en était le directeur.

Puis Hollandaise…

Á la suite du Congrès de Vienne en 1815, Liège, passée sous l’autorité des Pays-Bas, devra attendre 1820 pour que soit créée une “Académie royale de dessin” et qu’ainsi l’enseignement des arts puisse à nouveau être dispensé. Cette académie, dont la direction est assurée par le sculpteur François-Joseph Dewandre (1758-1835), fut d’abord installée dans les locaux de l’ancien Collège des Jésuites wallons (l’actuelle université) avant de déménager en 1825 dans ceux de l’ancien Hospice Saint-Abraham. Cet immeuble, situé en Feronstrée entre Potiérue et la rue Saint Jean-Baptiste, fut démoli en 1963 pour libérer l’espace nécessaire à la construction de la Cité administrative et d’une grande surface commerciale (l’ancienne Innovation).

Belge enfin

Peu après l’Indépendance de la Belgique, désireux de soutenir les arts, un groupe de personnes se forme autour du bourgmestre Louis Jamme et émet diverses propositions qui aboutiront en 1835 à la réorganisation des cours et à la création d’une “Académie royale des Beaux-Arts”. Le peintre verviétois Barthélemy Viellevoye (1798-1855) en sera le premier directeur.

Au fil des années cependant, le nombre des étudiants croissant sans cesse, les locaux de l’ancien hospice deviennent rapidement exigus, mal éclairés, mal aérés, insalubres, surchauffés par les becs de gaz, ils présentent de réels dangers. Aussi, en 1890, l’échevin Gustave Kleyer présente au Conseil communal un projet de construction de nouveaux locaux sur un terrain jadis occupé par le couvent Sainte-Claire non loin de la gare du Palais. Le projet est accepté et les premiers travaux débutent en juillet 1892. L’Académie quittera la rue Feronstrée et l’hospice qui l’accueillait pour le nouveau bâtiment de la rue des Anglais en 1896.

© academieroyaledesbeauxartsliege.be

Le bâtiment

Construit entre 1892 et 1895 par Joseph Lousberg (1857-1912), à cette époque architecte de la Ville de Liège, le bâtiment qui abrite l’Académie royale des Beaux-Arts de Liège est inspiré par l’architecture de la Renaissance italienne.

Son plan comporte quatre ailes qui se répartissent autour d’une cour centrale aménagée en jardin. Tandis que l’aspect général de l’édifice depuis la rue des Anglais paraît très sobre, sévère même, les façades donnant sur la cour révèlent un tout autre esprit : les baies en plein cintre du rez-de-chaussée, les fenêtres à croisée du premier étage, les fenêtres géminées dotées de colonnettes à chapiteau corinthien, la corniche saillante ainsi que le remarquable escalier d’apparat à double révolution révèlent les sources d’inspiration de l’architecte. En cette fin du XIXème siècle, pour abriter une école d’art, il était de bon ton en effet de se référer à une époque de l’histoire qui voit les arts plastiques obtenir reconnaissance et prestige. Ainsi l’académie de Liège possède-t-elle des accents qui peuvent faire penser à un palais italien de la Renaissance.

Le 14 juillet 1895, le roi Léopold II inaugure ce nouveau bâtiment de la rue des Anglais. Les travaux ne s’arrêteront cependant pas là et, quelques années plus tard, avec une entrée située rue de l’Académie, un Musée des Beaux-Arts complète l’ensemble. Pendant plus de septante ans, l’enseignement, la conservation et la promotion des arts plastiques se feront dans des bâtiments contigus constituant ainsi un complexe homogène composé d’un musée, rue de l’Académie, et d’une académie,  rue des Anglais.

Fin des années septante toutefois, tout le quartier est soumis à d’importantes transformations : les infrastructures autoroutières doivent pénétrer jusqu’au cœur de la ville. Le Musée des Beaux-Arts doit laisser la place à l’automobile. Tous les immeubles situés côté chiffres pairs de la rue de l’Académie sont expropriés et détruits. C’est depuis cette époque que se dresse, visible de tous depuis la place de l’Yser (!), l’immense pignon aveugle de l’académie que quelques chétifs peupliers peinent à dissimuler…

Si aujourd’hui le musée a disparu, le bâtiment abritant l’Académie n’a toutefois quasiment rien perdu de la physionomie qu’il présentait en 1895.

L’architecte de l’Académie

Originaire de Baelen, Joseph Lousberg, diplômé de l’Académie en 1883, a fait carrière dans les services de la Ville avant d’être désigné architecte des bâtiments communaux en janvier 1887. Á ce titre, il dessine de très nombreux bâtiments: les écoles du boulevard Ernest Solvay au Thier à Liège (1890), de la rue Maghin (1894), du boulevard Kleyer (1911), de la place Sainte-Walburge (1905), de la place Vieille Montagne dans le quartier du Nord (1906) mais aussi l’annexe de l’Athénée du boulevard Saucy (1903), l’école d’Armurerie de la rue Léon Mignon (1904). C’est également lui qui dessine les plans de l’ancienne bibliothèque des Chiroux en 1904, des crèches de la rue Rouleau (1905) et de la rue du Laveu (1912) ainsi que les pavillons représentant la Ville de Liège aux expositions universelles de Bruxelles, Liège et Gand. Il travaille également à la restauration du Musée Curtius et de l’ancien couvent des Ursulines au pied de la Montagne de Bueren. Il dessine enfin des immeubles pour le privé comme les bâtiments, aujourd’hui détruits, du banc d’épreuve des armes à feu, rue Fond des Tawes, ainsi que de nombreuses maisons particulières dans la région de Dolhain Limbourg.

Dans l’escalier

Ciamberlani © visemagazine.be

Albert Ciamberlani (1864-1956), l’auteur de cette grande peinture décorant aujourd’hui le grand escalier, est né à Bruxelles en 1864 d’un père italien et d’une mère flamande. Après un court séjour à l’Académie de Bruxelles dans la classe de Portaels, il fait partie du groupe l’Essor avant de fonder le cercle “Pour l’Art” avec Jean Delville, Emile Fabry et Victor Rousseau notamment. En cette fin de siècle, ce groupe appartient à la mouvance symboliste. L’esprit littéraire, l’idéalisme et l’allégorie soufflent alors sur les beaux-arts.

En France, Pierre Puvis de Chavannes a ouvert une voie qui renouvelle la peinture monumentale: de grandes compositions claires, statiques, des tonalités mates, des personnages aux gestes lents, le silence. Albert Ciamberlani retient la leçon. “L’hommage aux héros de la colonisation” n’a pas été réalisé pour l’Académie, même si l’oeuvre paraît s’intégrer parfaitement à l’espace de l’escalier. La peinture décorait le pavillon de l’Etat indépendant du Congo à l’Exposition universelle de Liège en 1905. Elle a été achetée en 1929 pour le Musée des Beaux-Arts qui jouxtait jadis l’Académie. Ciamberlani a travaillé pour d’autres lieux: les Hôtels de Ville de Saint Gilles et de Schaerbeek, le Musée de Tervuren, le Cinquantenaire et les Palais de Justice de Louvain et de Bruxelles.

Les députés gantois attendant à la porte du palais de Charles le Téméraire…

Lorsque le musée des Beaux-Arts quitta la rue de l’Académie, ce grand tableau d’histoire resta accroché au mur du couloir du rez-de-chaussée de l’école. Signé Emile Delpérée et daté 1877, cette peinture évoque un épisode de l’histoire médiévale. En 1468 Charles le Téméraire avait mis à sac la ville de Liège. Quelques mois plus tard, le duc de Bourgogne évoquant la possibilité de faire subir le même sort à leur ville, les Gantois envoyèrent leurs députés afin d’implorer sa clémence. L’histoire rapporte que le Téméraire fit patienter la délégation plus d’une heure et demie dans la neige avant de l’autoriser à pénétrer dans le palais. Les députés se prosternèrent ensuite à ses pieds et lui remirent leurs chartes et les bannières de leurs métiers avant de lui dire merci. Delpérée professeur chargé du cours de peinture, comme Chauvin ou Vieillevoye avant lui, s’inscrit dans la tradition d’une peinture qui cherche par l’image à nous instruire et à nous faire réfléchir à partir d’épisodes de l’histoire nationale et locale.

Dans ce tableau, Delpérée multiplie certes les expressions, les visages sont tendus, les corps sont raides, les poings crispés mais surtout il nous propose des visages singuliers comme s’il voulait nous montrer que bien plus qu’un groupe nous avons là, dans ces circonstances, des personnalités individuelles que la peur révèle. Lorsqu’on examine ces visages, leur précision laisse penser que Delpérée a rassemblé là quelques-unes de ses connaissances. S’il est délicat de s’aventurer dans l’attribution de certains visages, on peut toutefois sans hésitation reconnaître Charles Soubre (1821-1895), son collègue professeur de dessin (1854-1889) dont il a épousé la fille.

La bibliothèque et le fonds Henri Maquet

Joseph Lousberg ne s’est pas contenté de dessiner les plans du bâtiment, il a également conçu tout l’aménagement ainsi que le mobilier de certains locaux de l’école comme l’amphithéâtre du premier étage ou, plus significatif encore, la bibliothèque ;  il dessine ainsi toutes les armoires, la galerie, jusqu’au motif des charnières et des serrures.

L’architecte Henri Maquet, né en 1839, a fait ses études à l’Académie de Liège avant de faire carrière à Bruxelles où, notamment, il conçut les plans de l’Ecole royale militaire et où il travailla à la transformation du Palais royal. A sa mort en 1909, en hommage à l’école qui l’avait formé, il lègue son exceptionnelle collection de livres anciens d’architecture. C’est ainsi que la bibliothèque de l’Académie peut offrir, à la consultation, des ouvrages comme les traités d’architecture de Vignole,  Serlio, Palladio, Perrault, Blondel…, les œuvres de Gianbattista Piranese, les livres de Gérard de Lairesse ou encore de Viollet-le-Duc…

L’Académie aujourd’hui

Les locaux de la rue des Anglais abritent trois écoles différentes : l’Académie royale des Beaux-Arts (Ecole supérieure des Arts de la Ville de Liège et ses huit options : peinture, sculpture, gravure, scénographie, vidéo, publicité, illustration et bande dessinée), les humanités artistiques du Centre d’Enseignement secondaire Léonard Defrance et enfin l’enseignement artistique à horaire réduit. C’est également dans ses locaux enfin que divers stages sont organisés durant les mois d’été pour les adultes et pour les enfants.

Philippe DELAITE

      • Pour en savoir plus…
      • image en tête de l’article : façade de l’Académie des Beaux-Arts, Liège © Philippe Vienne

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Philippe DELAITE  a fait l’objet d’une conférence organisée en décembre 2022 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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Ce n’est pas un hasard si tu me qualifies de ‘domestique’ : c’est à cet endroit même que je suis née.

Ma grand-mère est d’ici, tout comme mon arrière-arrière-grand-mère. Et tu peux remonter de la sorte le fil de toute ma lignée. Sur des dizaines de milliers de générations, elle a bougé à peine de quelques kilomètres.

Chassées par les balais, écrasées par les talons, happées par des fauves ou des aspirateurs, mes ancêtres, ma famille et moi avons certes été amenées à plier régulièrement bagage mais pour toujours revenir discrètement dans notre coin. Que cela te plaise ou non, j’habite ici depuis toujours, je m’y plais et suis même très attachée à la demeure familiale. Je continuerai ainsi, quasi immobile sauf sous la contrainte, jusqu’à ce que je meure, de mort naturelle ou sous une pluie de poisons. Je n’ai pas à m’en faire : mes nombreuses descendantes trouveront et prendront, aux alentours de ma dépouille, la place qui leur convient.

Mon chez moi est à l’abri des regards et de la pluie. Le vent me berce. J’ai de quoi me nourrir – du reste, je peux me passer facilement de manger. Depuis ma fenêtre, je passe la plupart de mon temps à t’observer. Je détaille chaque instant de ton existence. Je consigne tout ce que tu fais, ce que tu dis, ce que tu manges, qui tu fréquentes, ainsi que l’ont fait mes ancêtres. Mon odorat est féroce, je suis ultrasensible aux bruits et à toute autre forme de vibration. Quant à mes yeux, ils me permettent une vision panoramique. Chaque soir, je transmets les résultats de mes observations comme on me l’a enseigné.

Mon ordre et moi étudions ton espèce depuis la nuit des temps : nous somme là pour ça. Ce n’est pas une mission, c’est une raison d’exister. Nous sommes relativement petites, très discrètes et, le plus souvent, solitaires. Nos vies sont brèves et notre périmètre limité. Cependant, nos facultés sont telles qu’elles dépassent ton entendement. Toutes écoutilles ouvertes, mes sœurs et moi sommes équipées pour te surveiller jour et nuit. Nous échangeons et accumulons des connaissances à ton propos. Ne me demande pas comment nous communiquons : tu n’as pas les facultés nécessaires pour le comprendre.

© DP

« Mais à quelle fin ?», voudras-tu savoir. Là encore, nos intentions ne pourront que t’échapper. Tout ce que je peux t’en dire est que ta prolifération et ta relative prospérité des Humains ont permis à notre espèce de conquérir de nouveaux territoires et de se multiplier parallèlement. Ton essor a effectivement favorisé le nôtre. Au fil de tes migrations, et plus encore depuis que tu te répands à la faveur de tes moyens de transport ultra-rapides, nous avons pu nous implanter, moyennant quelques adaptations, dans de nouveaux biotopes. Tu nous offres de nouveaux habitats confortables, parfois des plus inattendus.

Bien plus important encore : ta conquête nous a permis de nouer des relations suivies entre les communautés de notre ordre au niveau planétaire. Notre potentiel d’acquisition, de stockage et d’analyse des connaissances s’est amplifié et consolidé. Et il s’enrichit chaque jour à la faveur de notre interconnexion universelle. Cependant, notre mode de vie, en regard du tien, a très très peu évolué. Nous avons conservé les mêmes coutumes en termes d’habitat et d’alimentation. Nous n’étouffons pas la biosphère sous une gigantesque toile : les nôtres demeurent, en termes de dimensions, conformes à nos besoins élémentaires qui sont, je te le répète, frugaux.

Ce que je peux te dire aussi, c’est que nos toutes premières observations remontent à plusieurs millions d’années, lorsque nos ancêtres ont remarqué l’habileté particulière de certains primates qui figurent parmi tes aïeux. Ce qui a surtout piqué notre curiosité, c’est un comportement singulier de ces mammifères primitifs. Ils se sont mis à se déplacer sur deux pattes pour pouvoir utiliser leurs membres antérieurs comme des outils, à l’instar de ce que nous faisons pour tisser nos toiles, emballer nos proies, protéger notre progéniture. Je peux, comme me l’ont transmis mes ancêtres,  tirer mes fils d’un coin à l’autre, les croiser, les mêler, en faire des structures élaborées. Ce qui est à l’origine de notre intérêt est que ta lignée se développait à la faveur d’une faculté rare du vivant qui est aussi nôtre : la dextérité. Nous avons donc poursuivi notre surveillance rapprochée. Ta lignée s’est avérée redoutablement habile. Vous avez cueilli, vous avez chassé. Vous avez créé des outils pour ce faire, puis cultivé, bâti, tissé ! Devant nos yeux écarquillés, vous avez construit des engins de toutes sortes, grâce auxquels certaines d’entre-nous sont allées explorer l’espace et le fond des océans. Mais ceux de ta lignée ont aussi joué avec le feu, avec les armes, avec des produits létaux, avec l’atome.

Si bien que le constat est unanimement partagé aujourd’hui : l’évolution de notre objet de recherche devient fortement critique. Désormais, l’espèce humaine constitue, en l’état, plus une menace qu’une opportunité pour nous. Les derniers développements de nos observations montrent que la totalité de notre habitat est en péril. Notre milieu de vie est menacé. Nos sœurs agonisent de faim jusqu’à l’extinction sous les pulvérisations, d’autres meurent par millions dans des cataclysmes climatiques. Nos toiles périssent parmi les cendres, à cause de la déforestation et des incendies. Il va falloir que nous prenions la situation en mains. Nous devons mettre un terme à cette fuite en avant. L’objet de notre recherche nous échappe !

Anansi (Afrique de l’Ouest) © Ifinrod

Conscientes que la mobilisation de tous nos venins n’y suffirait pas, nous avons largement consulté les membres de notre espèce. Les acariens nous ont exposé leur stratégie, ainsi que les tiques. Mais il nous a semblé que leurs pratiques très spécifiques pouvaient difficilement être transposées au sein de tout notre ordre. Aussi avons-nous également écumé nos registres jusqu’aux plus anciens : ils font état de milliers de zoonoses, parmi lesquelles la peste, transmise par les puces des rats. Nos recueils plus récents attestent de la recrudescence et de la diversification de pathologies mortelles transmissibles par contagion. Elles résultent tout autant de la cohabitation entre animaux sauvages et humains que de la mobilité galopante de ces derniers.

Notre dernière observation se mène à une très large échelle et est collective : nous sommes mobilisées à l’échelon planétaire pour nous focaliser sur la contamination de la population humaine par un virus inconnu, qui aurait pour origine un animal sauvage non encore clairement identifié. En dépit des difficultés que nous éprouvons à pénétrer et à nous établir dans des locaux d’expérimentation étanches et des installations de soins régulièrement assainies de fond en comble, il va sans dire que nous suivons l’évolution de cette pandémie de très près, dans la mesure où elle semble en tous points concourir à nos objectifs.

L’arsenal viral paraît se déployer en toute efficacité. Il est établi que le virus ne nous affecte pas. Puisque d’autres espèces semblent se charger à notre place du boulot, nous avons décidé de surseoir à notre propre stratégie de guerre. Nous poursuivons donc simplement nos observations, comme nous l’avons toujours fait. C’est notre raison d’exister. Je suis là, au poste. Et toi, alors que tu es confiné, prisonnier dans ton propre habitat, tu me facilites grandement la tâche. Toutes mes paires d’yeux sont braquées sur toi.

Fabienne Lorant


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction et iconographie | contributeur : Patrick Thonart | sources : Fabienne Lorant, auteure | crédits illustrations : en-tête, Odilon REDON, L’araignée souriante (1881) © Musée d’Orsay.


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