La musique rock de la fin des années 60 est marquée par les grands rassemblements musicaux autour des figures artistiques les plus en vue du monde pop. Une légende venue du jazz va être accueillie chaleureusement par le public : Miles Davis. Le trompettiste qui vient de sortir de ses expériences modales au sein de son quintette (avec Herbie Hancock, Wayne Shorter, Ron Carter et Tony Williams) propose alors au public une musique aux influences funk, héritée de James Brown et de Sly and the Family Stone, baptisée du nom de jazz-rock…
Come back années 60, le virage rock et pop
Du point de vue historique, les années 60 sont des années d’expérimentations sonores cruciales pour les musiques rock et jazz. Jusqu’alors, hormis la guitare électrique et l’orgue, la musique jazz a toujours utilisé des instruments acoustiques. Cependant, le développement de l’électronique conduit les luthiers et les constructeurs à imaginer d’autres instruments transportables et moins encombrants. Accompagnés d’une amplification, les instruments électriques deviennent rapidement des compagnons de routes sachant répondre aux exigences sonores des nouvelles musiques comme le rock ou le rhythm’n blues.
Sans forcément leur convenir, mais voyant leur côté pratique, les jazzmen vont incorporer dans leur formation deux instruments électrifiés : le piano et la basse. En les adoptant, les musiciens se rendent compte rapidement que leur utilisation combinée aux instruments acoustiques produit un nouveau son, et que ce nouveau son appelle une autre musique. Ainsi, sans le vouloir vraiment, des grands noms du jazz vont séduire un auditoire plus large en étant influencés par d’autres courants musicaux, tels que la musique soul, les rythmes rock ou les mélodies ‘pop’.
Les puristes d’une certaine idéologie jazz voyant s’installer un relâchement crient à la trahison. Certains critiques n’acceptent pas que des musiciens de talent aient recours à certaines facilités dans le seul but de plaire au plus grand nombre. Ce sera le cas du quintette du saxophoniste Cannonball Adderley qui, dès 1967, joue une musique quelque peu funky et rhythm’n blues pour attirer l’attention d’un public pas toujours jazz.
Depuis déjà quelque temps, des jazzmen cherchent à sortir la musique jazz de son impasse ‘free’, à l’émanciper de son élitisme. Autour d’eux, la frontière entre musique jazz et musique rock se rapproche chaque jour d’avantage. De nombreux musiciens ressentent qu’une fusion entre ces deux musiques est imminente, mais personne n’ose encore franchir le pas. Les musiciens jazz restent sur leur garde, même si les rythmes binaires jouent des coudes pour prendre un peu de place. À cette époque, la majorité des jazzmen considèrent la musique rock comme une musique rythmiquement et harmoniquement trop basique, une musique incapable d’augurer à leurs yeux les prémices d’un nouveau langage musical.
Pourtant, de son côté, la musique rock a de multiples ambitions. Quelques groupes veulent faire entendre leur différence en produisant des musiques aux écritures plus élaborées. La musique rock n’est pas encore assujettie à la performance instrumentale, mais déjà des tendances voient le jour. On ne parle pas encore de jazz-rock, mais de ‘rock progressif’ ou de ‘rock psychédélique’.
Des musiciens comme Graham Bond ou Alexis Corner font appel à des musiciens de jazz et de blues, tandis que Soft Machine tente des incursions dans un jazz avant-gardiste. Pour des formations comprenant des cuivres comme Chicago ou Blood, Sweat and Tears, la tentation d’accorder une place fusionnelle entre les rythmes rock et les harmonies jazz est plus que palpable.
De leur côté, les nouvelles orientations musicales des Beatles vont être d’une grande importance pour l’avenir des musiques rock et jazz. Les ‘4 de Liverpool’ décident d’utiliser les techniques d’enregistrement en re-recording toute récentes, pour satisfaire leur créativité débordante. Le travail mené en studio aboutira à l’enregistrement de l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (réalisé en 1967, Sgt. Pepper’s consacre également l’avènement de l’album concept déjà auguré par les Beach Boys). Cette sophistication technologique entraînera une autre façon d’élaborer la musique en studio, mais de plus une autre façon de penser le travail en groupe.
Miles Davis et Jimi Hendrix
Pour Miles Davis, la rencontre avec le guitariste Jimi Hendrix en 1968 va être révélatrice. Le trompettiste joue à cette époque une musique expérimentale essentiellement modale. C’est le temps où Miles enregistre quelques disques incontournables qui ont pour nom : Miles Smiles, Nefertiti ou Miles in the Sky… Miles se rend compte que Jimi Hendrix est un véritable ‘guitar hero’ de la musique pop, mais également un artiste qui a su habilement marier l’esprit de la musique blues au son populaire du rock. Pour Miles, il n’y a pas de doute, l’époque est bien celle de la rencontre de toutes les musiques.
Les groupes de rock présents dans les festivals de musique révèlent leur profond désir d’aborder la musique sous toutes ses formes. Chaque groupe revendique l’existence d’un nouveau courant, parfois vraisemblable ou parfois éphémère : folk/rock, country/rock, rock psychédélique, hard-rock, etc. Un nombre très important de groupes rock surgissent le temps d’enregistrer un ou deux disques, d’accomplir une ou deux tournées avant de disparaître aussi vite qu’ils étaient apparus.
Force est de constater que cette énergie, cette volonté créatrice, va influencer à son tour de jeunes musiciens de jazz. À cette époque, une fracture de génération, d’école, de vision musicale apparaît chez les jazzmen. La tradition étant tenace, bien peu de ceux qui ont pratiqué le swing ou le bop seront capable de s’entourer ou de se projeter musicalement à travers les rythmes et les sonorités rock.
Miles Davis lance le jazz-rock
En 1970, quand Miles Davis se produit sur scène avec sa trompette équipée d’une pédale wah-wah, il indique à tous ceux qui sont venus l’écouter, que l’époque où il interprétait So What est ‘out’, qu’il a franchi un nouveau cap et qu’il est prêt à affronter la scène rock avec l’intention de marquer les esprits.
Miles Davis, qui n’aimait pas trop la musique noire sophistiquée, telle que celle produite par la ‘Tamla Motown’, ni le rock des blancs qu’il trouvait insipide ou trop simpliste, trouve dans le funk primaire hérité de James Brown, une musique capable de stimuler son imagination. De ses aveux critiques, Miles prendra soin d’éviter tout rapprochement avec un langage musical hérité du free jazz. Même si les premiers disques de sa période ‘jazz-rock’ sont libres dans leur forme, ils n’ont pas pour revendication de prolonger l’esprit d’une musique free-jazz sur le déclin, mais plutôt la continuité d’un jazz modal.
Les enregistrements de la plupart des disques jazz-rock (In a Silent Way, Bitches Brew…) sont basés sur de longues improvisations qui sont ensuite montées en studio. L’intention était alors clairement affichée par le trompettiste : un minimum de répétitions et quelques indications sommaires relatives au tempo et à l’emplacement des improvisations suffisaient généralement. Les musiciens présents lors des séances d’enregistrement devaient s’en contenter ou partir !
En 1969, quand Miles Davis enregistre l’album In a Silent Way, le musicien décide de rompre les amarres avec l’acoustique. À l’écoute de son disque, on est surpris non pas par les compositions, mais par la sonorité qui s’en dégage. Un climat sonore très particulier, ni free, ni totalement jazz ou rock, mais à la tonalité très contemporaine. Un style encore ‘brouillon’ mais qui va devenir plus mature à partir de l’album suivant Bitches Brew (1969).
Cette musique, qui va être baptisée du nom de jazz-rock, va faire couler beaucoup d’encre. Miles et sa trompette électrique vont être condamnés par de nombreux critiques de jazz. Celles-ci atteindront les sommets quand l’album On the Corner sortira en 1972 (notamment dans la revue Jazz-Hot). La démarche du musicien n’est apparemment pas comprise. Pourtant, en invitant dans ses disques de jeunes instrumentistes virtuoses comme le guitariste anglais John McLaughlin, le claviériste Joe Zawinul ou le saxophoniste Bennie Maupin, Miles Davis crée une musique étonnamment jeune et innovante.
Sa musique s’enracine dans de longues suites qui peuvent durer parfois 10 ou 20 minutes et même davantage. Le groove funk servi par les lignes répétitives de la basse (jouée par Michael Henderson) apporte son côté incantatoire, hypnotique. Les musiciens entourant Miles se dévouent sans compter pour porter au plus haut l’esprit de sa musique.
Dès lors, le “Miles Davis chercheur” va se transformer en dénicheur de talent. Chaque disque ou presque nous permet de découvrir quelques brillants musiciens qui vont, grâce à lui, se révéler au public. Citons notamment… le fidèle Herbie Hancock, mais également Chick Corea, Joe Zawinul et Keith Jarrett pour les claviers ; John McLaughlin, John Scofield et Dominique Gaumont pour la guitare ; Bennie Maupin, Wayne Shorter et Steve Grossman pour les saxophones ; Michael Henderson et Dave Holland pour la basse ; Tony Williams, Billy Cobham, Jack DeJohnette, Al Foster, Mtume et Lenny White pour la batterie ; Airto Moreira et Don Allias pour les percussions.
Cette musique, qui s’adresse d’abord aux amateurs de jazz à cause de la grande place accordée à l’improvisation, va en réalité séduire dans un premier temps le monde hippie. Le musicien sera accueilli au Festival de l’île de Wight (1970) sous les applaudissements. À cette époque, il est difficile de concevoir meilleur orchestre : Gary Bartz (saxophones), Keith Jarrett et Chick Corea (claviers), Dave Holland (basse) Jack DeJohnette (batterie) et Airto Moreira (percussions).
Pour les musiciens, un passage dans l’orchestre de Miles Davis, c’était vivre une expérience musicale unique. La plupart d’entre eux poursuivront l’élan apporté par Miles Davis en créant leur propre formation jazz-rock. John McLaughlin crée le mystique Mahavishnu Orchestra, Joe Zawinul et Wayne Shorter forment un groupe de ‘world music’ avant l’heure, Weather Report, tandis que Chick Corea va démontrer ses qualités de compositeurs au sein du Return to Forever.
Suite à Bitches Brew, des albums aux qualités inégales vont se succéder. Pour Miles Davis, l’album On the Corner (1972) souligne l’impact de sa musique auprès des jeunes noirs. Musicalement plus conciliant et plus facile d’accès, On the Corner cherche à séduire les jeunes gens qui sont attirés plus par le rock que par le jazz. Hélas, les mauvaises critiques ne permettront pas à l’album de trouver son public, même si aujourd’hui l’album fait référence dans le style jazz-funk.
La fin de la période jazz-rock
En 1975, l’épisode Jazz-Rock touche à sa fin. Armé de sa trompette, les improvisations de Miles Davis, portées par des rythmes funk de plus en plus présents, se résument souvent en quelques notes étranglées, stridentes. Le long chapelet de notes qui illustrait les phrases cool des années 50 ont totalement disparu. Seules les notes charnières supportant les harmonies subsistent. Le rythme binaire de la batterie jouée par ‘Mtume’ Foreman est à sa plus simple expression et ne se désolidarise presque jamais de celui de la basse du fidèle Michael Henderson.
La musique produite sur scène par Miles et ses musiciens n’est jamais le reflet de celle enregistrée en studio. Les concerts possèdent une certaine magie qui ne cesse de surprendre et d’étonner ceux qui y assistent. Sans faire le parallèle entre Frank Zappa et Miles Davis (les deux artistes sont à l’opposé dans leur façon d’aborder la musique), ils ont en commun d’être des chercheurs insatiables qui, d’une tournée à une autre, usent les musiciens qui les accompagnent. En effet, la musique de Miles Davis, tout comme celle de Zappa, est très exigeante. Si celle du trompettiste demande une capacité à se renouveler, à réinventer lors de chaque concert, celle du guitariste compositeur verse dans la complexité des écritures.
Après s’être produit un peu partout (Europe, Japon…), Miles Davis va s’éclipser pour des raisons de santé et fera son come-back au début des années 80 en véritable star du jazz. On retiendra de la fin de cet épisode jazz-rock, son passage au Carnegie Hall de New York en 1974 et les deux concerts de Tôkyô (album Agartha – 1975).
Jusqu’à la fin de son existence, Miles Davis ne fera jamais de mea culpa sur son passage controversé à l’électricité et sur ses choix musicaux. Pour son grand retour en 81, il restera fidèle jusqu’au bout à ce qu’il a construit, à ce mélange de jazz et de funk dont il avait le secret. Certes, sa musique évoluera (le dernier album Doo-bop sorti en 1992 fait appel à des musiciens de hip-hop) et deviendra plus stylisée et structurée.
Lorsqu’il rendit hommage à Michael Jackson avec Human Nature (1985) ou lorsqu’il collabora aux écritures d’un certain Marcus Miller, le musicien n’avait jamais cessé d’être un jazzman dans l’âme. Fort de ses expériences passées, il a osé s’affranchir des codes du jazz en repoussant les différentes frontières de ses structures ; mais sa grande force est d’avoir toujours su saisir les modes et les styles qui naissaient et d’aller au devant d’eux quand le moment s’y prêtait.
d’après CADENCEINFO.COM
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- EVRARD, Jean (1900-?)
- 00. DICTIONNAIRE du JAZZ à Bruxelles et en Wallonie (Mardaga, 1991)
- KUIJKEN : les six suites pour violoncelle solo de Bach, BWV 1007-1012 (concert, Céroux-Mousty, 1997)
- THEATRE NATIONAL : Pelléas et Mélisande (saison 1976-1977)
- BRUYNOGHE, Yannick (1924-1984)
- VERDERAME, Mimi (né en 1958)
- RASKIN, Marcel (1900-?)
- HIRSCH, Lucien (1911-?)
- SOLBACH, Henri (1917-2007)
- CASTELLUCCI, Bruno (né en 1944)
- LECLERCQ, Georges (1922-2004)