DELVILLE, Jean (1867-1953)

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Artiste-peintre, écrivain, poète et théosophe, Jean DELVILLE (est une figure majeure du domaine idéaliste du Symbolisme belge. Né le 19 janvier 1867, à Leuven (Belgique), il décède en 1953 à Forest-Bruxelles, le jour de son anniversaire, à l’heure même de sa naissance. Suivent quelques repères biographiques [pour en savoir plus, visitez JEANDELVILLE.INFO]

Avant 1900

Son talent est reconnu dès sa formation à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles où il s’est inscrit à l’âge de 13 ans, en 1879. À l’âge de 20 ans, en 1887, Delville dessine son Tristan et Yseult (MRBAB).

DELVILLE J., Tristan et Yseult © MRBAB

Ses thèmes iconographiques étaient jusqu’alors proches du réalisme social. Au Salon de l’Essor où il a commencé à exposer, il donne à voir, en 1889, ses premières études de nus pour le dessin monumental Le Cycle des passions.

DELVILLE J., Le cycle des passions (détail) © MRBAB

​Les années 1890 seront prolifiques pour le jeune Delville. L’artiste va se détacher petit à petit d’une influence réaliste et donner une orientation idéaliste à son œuvre. Dès 1892, il participe aux salons de la Rose+Croix à Paris, là où les artistes belges symbolistes sont reconnus. Il y présente son Orphée mort (en-tête de cet article, MRBAB). À la suite de cette expérience parisienne, Delville va devenir animateur-organisateur de salons à Bruxelles. Il sera membre fondateur de Pour l’Art en 1892.

En 1895, il expose Les Trésors de Satan et obtient une première  reconnaissance institutionnelle avec le premier prix au grand concours de peinture, le Prix de Rome.

En polémiste qu’il était, Delville publie de nombreux articles dans les petites revues de l’époque pour défendre son art idéaliste. C’est à ce propos qu’il organise les Salons d’Art idéaliste à Bruxelles en 1896, 1897, 1898.

DELVILLE J., L’école de Platon © Musée d’Orsay

Au cours de ces mêmes années, pendant ses séjours à Rome, il conçoit L’École de Platon (Musée d’Orsay) qu’il termine à Bruxelles. Cette œuvre va le consacrer définitivement comme maître de l’Art idéaliste au salon d’art idéaliste de 1898. Il fonde la coopérative artistique qui pratiquait l’achat groupé de fournitures artistiques.

À partir de 1900

Delville publie La Mission de l’Art : Etude d’Esthétique Idéaliste en 1900 et peint L’Amour des âmes (Musée d’Ixelles). Il nourrit la volonté de continuer à produire des toiles de grands formats. Par idéal, l’artiste espère pouvoir les insérer dans des lieux publics afin d’en faire profiter un plus grand nombre.

DELVILLE J., Portrait de la femme de l’artiste © MRBAB

Pour assurer des ressources financières plus régulières, il va s’investir dans une charge de professeur à la Glasgow School of Art où il conçoit L’Homme-Dieu (Groeningemuseum, Bruges) et Prométhée (ULB) ; puis en Belgique à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles. Marié avec Marie Lesseine en 1893, le jeune père veut offrir une vie décente à trois de ses six enfants déjà nés. En 1907, il obtient une commande de l’état belge. Commence alors, pour lui, une des périodes les plus heureuses de sa vie. Il peint dans son atelier de l’avenue des 7 Bonniers, à Bruxelles-Forest, les cinq immenses panneaux de La Justice pour la Salle des assises du Palais de Justice de Bruxelles. L’artiste termine ces panneaux en 1914.

La Première Guerre mondiale éclate, il décide de prendre le chemin de l’exil. À Londres il peint des esquisses pour Les Forces (Salle des pas perdus, Palais de Justice de Bruxelles) et La Belgique indomptable (collection privée).

Au milieu des années 1920, avec la création de la société d’art monumental, il conçoit avec cinq autres artistes de sa génération le projet des mosaïques des Arcades du Cinquantenaire, à Bruxelles. Dans l’état d’esprit d’après-guerre, Delville va peindre six panneaux autour du thème La Glorification de la Belgique. En 1924, il est élu membre de l’Académie de Belgique.

DELVILLE J., La roue du monde © KMSKA

Libéré de sa charge professorale à la fin des années 1930, ses six enfants sont tous mariés, il rejoint à Mons sa nouvelle compagne. En 1940, alors qu’il est âgé de plus de 70 ans, Delville y peint parmi d’autres œuvres, La Roue du Monde (KMSK Antwerpen ). Jean Delville continuera à peindre et à écrire jusqu’à la fin de sa vie.

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Jean Delville à l’oeuvre © 2021 Jean Delville

Je la revois avec les yeux de mon enfance,
la vieille cité calme et triste où je suis né.
Je m’y revois encor, enfant prédestiné
aux émois douloureux du rêve et du silence.

Je la revois avec mon cœur naïf et fier.
Des souvenirs dolents passent dans ma mémoire.
Je suis le héros vain d’une candide histoire,
où mon passé revit, comme si c’était hier.

Et voici le taudis de la maison natale !
Entre ses murs de chaux monta le premier cri
des souffrances que sont ma chair et mon esprit.

Et depuis l’heure où vint ma naissance fatale,
je sens que reste en moi, – l’homme par l’Art hanté –
l’enfant pauvre et obscur que j’ai toujours été.

Delville J., La Ville natale (in Les Splendeurs méconnues)

TÉMOIGNAGE : Jean Delville, mon grand-père

[ACADEMIA.EDU] La tête dans les étoiles, les pieds bien sur terre, Jean Delville notait souvent, en haut de sa correspondance, « en toute hâte » ou « au galop ». Au galop, donc, de 1867 à 1953, une vie et une œuvre aussi foisonnantes l’une que l’autre. Marié, père de famille nombreuse, tout à la fois peintre, écrivain et philosophe, homme de passions, intègre et idéaliste, mon grand-père a toujours mené plusieurs combats de front. Retracer cette vie n’est pas chose aisée. En 1941, il écrit lui-même à son ami journaliste Clovis Piérard, qui tente alors de l’inciter à rassembler ses souvenirs : « C’est maintenant surtout que je regrette d’avoir trop négligé – c’est le mot – de conserver tout ce qui se rapporte à ma carrière d’artiste. Mes études théosophiques m’incitèrent beaucoup à ne pas attacher trop d’importance à la personnalité extérieure. Ce qu’elles m’ont apporté de lumière dans ma vie intérieure – et ce qu’elles m’apportent d’ailleurs encore – a provoqué ce détachement des choses personnelles immédiates et qui fit de moi, dans la vie artistique, un isolé. »

Tout au long de sa vie, Jean a peint des autoportraits. Le premier est conçu alors qu’il a à peine vingt ans. Albert Ciamberlani, dans sa notice Jean Delville, membre de l’Académie, évoque ainsi la personnalité du jeune artiste : « Ceux qui l’ont connu à l’âge de vingt ans se souviennent qu’il était d’une beauté physique remarquable ; son regard était vif, ses cheveux noirs et longs. Sa fierté naturelle indomptable contrastant avec la modestie de ses origines, devant tout à lui-même, à sa confiance en soi et sa volonté de parvenir. Il avait de la voix, de la mémoire musicale, un style aisé et abondant ; il savait parler en public et s’annonçait déjà polémiste. »

À la fin de sa vie, dans l’un de ses derniers autoportraits, il se représente la chevelure blanchie mais encore léonine, le regard toujours perçant. Parlant de son enfance, il écrit alors : « J’étais un enfant solitaire, indépendant et même indiscipliné. On m’appelait le “rêveur.” Un ciel étoilé me plongeait dans le ravissement. J’en sentais profondément le mystère. J’avais aussi le pressentiment très vif de la souffrance de la vie. »

Enfance

Mon grand-père est né le 19 janvier 1867 à 2 heures du matin, rue des  Dominicains à Louvain. Son acte de naissance indique qu’il est né de Barbe Libert, journalière, âgée de trente-trois ans et domiciliée impasse du Werf. Jean n’ayant pas été reconnu par son père, il portera le nom de sa mère jusqu’au mariage de celle-ci avec Victor Delville le 22 septembre 1877.

Victor et Barbe se sont rencontrés à Louvain avant de s’établir à Bruxelles en 1873. Pour le petit garçon, c’est la découverte d’une nouvelle famille. Le père de Victor, François Delville, « une sorte de géant », est chef tailleur dans l’armée belge. Jean raconte que c’est en sa compagnie qu’il rencontre pour la première fois un artiste : « Ce fut pour moi un véritable enchantement d’enfant encore inconscient de sa vocation. » Quant à l’oncle Henri Laboic, chef de musique du régiment des carabiniers, Jean écrit à son propos : « J’aimais beaucoup la musique étant gosse – toutes les musiques qui passaient dans les rues, je les suivais pour écouter –, j’éprouvais une grande admiration pour cet oncle. »

À l’école communale de la rue du Fort, à Saint-Gilles, Jean est un élève  attentif, désireux d’apprendre et curieux, mais il n’apprécie guère l’atmosphère disciplinaire. Un jour, révolté face à un instituteur qui a blessé
un élève, il se dresse sur son banc, le traite de brute et, pour éviter son empoigne, s’échappe en bondissant vers la porte.

Plus tard, en section professionnelle à l’Athénée Bruxelles, sa vocation artistique semble se préciser avec les nombreux croquis dont il illustre ses cahiers. Bien qu’il réponde « médecin » quand on l’interroge sur ce qu’il souhaite devenir plus tard, il demande à son père d’adoption de pouvoir suivre les cours du soir à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles, où il est admis alors qu’il n’a pas encore treize ans. Passionné, travailleur, il progresse vite et est bientôt admis dans la classe de peinture de Jean-François Portaels, où il réussit à se placer premier à la fois en dessin d’après l’antique, en composition historique, en peinture et en figure. Poussé par son esprit d’indépendance, Jean s’en va alors chercher un coin à Forest pour peindre, inspiré par la nature encore sauvage et les magnifiques lumières des ciels toujours changeants. Fervent lecteur, il commence aussi à écrire des poèmes, qu’il publie à partir de 1888 dans La Wallonie d’Albert Mockel, dont il a fait la connaissance, et s’ouvre ainsi les portes de la culture littéraire.

Prémices d’une oeuvre

En 1885, mon grand-père réalise deux dessins dans un asile de nuit. Dans le premier, des hommes et des femmes dorment affalés sur deux tables tandis qu’à l’avant-plan d’autres sont couchés par terre. Dans le second, les figures endormies à même le sol deviennent le centre de la composition. Ces corps allongés et entrelacés annoncent les motifs et les figures de ses dessins dits des Las-d’aller et de sa première œuvre de grandes dimensions, Le Cycle passionnel.

À vingt ans, il perd Moederke – Jeanne Janssens, sa grand-mère maternelle, qui était très fière de dire : « Onze Janneke is een schilder. » Touché par son courage, sa philosophie et les chansons qu’elle composait, toute illettrée qu’elle soit, il l’a veillée seul, la dessinant sur son lit d’agonisante. Il dit de cette époque : « Or déjà j’avais senti que le réalisme n’était pas tout l’art. » Un dessin daté de 1887, Tristan et Yseult, illustre bien ce propos. C’est une composition triangulaire formée par les corps des amants et la coupe vidée du philtre d’amour que brandit Yseult. Leurs jambes sont entravées par un entrelacs de racines sombres d’où s’échappent des papillons lumineux. De l’arrière-plan, une lumière rayonne sur leurs deux corps allongés. La même année, Jean fait ses débuts en exposant à l’Essor, un cercle artistique bruxellois qui promeut une esthétique essentiellement réaliste et impressionniste.

Entre réalisme et symbolisme

Jean travaille sans relâche : « C’est à l’époque de mon premier atelier de Forest, cette vieille écurie humide où les rats et les souris se livraient à leurs ébats et où je travaillais des journées entières sans manger, que des esquisses me hantaient ; j’avais dessiné un grand tourbillon de corps nus entrelacés, roulant dans l’espace, supplice dantesque du cercle voluptueux. » Il parle là du Cycle passionnel, inspiré par La Divine Comédie de Dante, qu’il exposera en 1890 lors de la quatorzième exposition de l’Essor. Jean est dit « vagabond de l’art » car il tire son inspiration de tout : de la tradition réaliste, de la littérature, de sa propre imagination, des paysages qu’il traverse, des effets lumineux de l’aurore, de la nuit, du soleil et de la lune.

Le monde artistique de l’époque bouge, évolue. Le clivage de plus en plus marqué entre l’esthétique réaliste et une peinture plus intellectuelle provoque une scission au sein de l’Essor. Avec d’autres dissidents, Jean fonde en 1892 Pour l’art, un cercle à la vocation idéaliste et dont les principaux objectifs sont l’organisation de salons et de conférences. Début 1892, Ray Nyst, ami de Jean, affiche dans la revue Le Mouvement littéraire sa volonté d’introduire la Rose+Croix en Belgique : peu à peu, un mouvement intellectuel se construit au sein de ce cercle de l’intelligentsia bruxelloise, où la peinture d’idée fait son chemin. Entre les deux expositions de la Rose+Croix organisées par Joséphin Péladan et celles de Pour l’art, Jean se partage entre Paris et Bruxelles, où il s’affirme en tant qu’artiste de la veine symboliste. Ainsi, au Salon de la Rose+Croix du printemps 1893, les peintres belges sont bien présents, avec Jean Delville en tête de file, qui crée à cette époque plusieurs œuvres remarquables : Orphée mort, Mysteriosa, La Fin d’un règne. Son dessin L’Idole de perversité démontre sa capacité à produire des compositions d’une grande complexité symbolique.

Son activité poétique et essayiste s’affirme aussi. Il fait paraître en 1892 Les Horizons hantés, avec cette dédicace au comte de Villiers de L’Isle-Adam : « Vois, – toi seul peux me comprendre. » En 1893, Le Mouvement littéraire publie un extrait de son Dialogue entre nous qui reprend une citation de l’écrivain symboliste français : « Je n’enseigne pas : j’éveille. Nul n’est initié que par lui-même. » Jean a écrit cet ouvrage sous la forme de questions-réponses entre un sceptique et un initié, développant là une argumentation kabbalistique, occulte et idéaliste. Dialogue entre nous présente le cheminement de sa pensée et ses options prises comme homme et comme artiste, options qu’il développe grâce à ses lectures et aux cercles d’amis artistes et écrivains qu’il fréquente : José Hennebicq, Ray Nyst, Victor Rousseau et Albert Ciamberlani seront ses témoins lors de son mariage avec Marie Lesseine, le 9 octobre 1893.

Reconnaissance

Dans le contexte social de la fin de siècle, l’idée de la création d’une coopérative artistique voit peu à peu le jour. Dans le courant du mois de février 1894, c’est Jean qui anime les différentes réunions de lancement du projet. Le 2 mars, il écrit au peintre Jules Du Jardin que sa femme est depuis le matin « entrée en génisse » mais aussi qu’il a « envoyé à tous les périodiques une prière d’ouvrir la liste de souscription pour la coopérative et le communiqué aux quotidiens pour la convocation des actionnaires. » Raphaël, son premier fils, naît le lendemain. Dans son atelier de fortune de Forest, il réalise sa première peinture à l’huile de grand format, Les Trésors de Sathan. Les temps sont durs pour la famille Delville, qui vit dans un dénuement quasi total. Suivant le conseil de Victor Rousseau, Jean s’inscrit au concours du Prix de Rome de peinture, doté pour le lauréat d’une importante bourse pour un voyage en Italie. En juin 1895, il participe à la présélection et, en juillet, il évoque la « séquestration qu[’il] vi[t] depuis huit jours pour le concours de Rome en loge à Anvers. » Homme proactif, il se lance en même temps dans la promotion de son esthétique idéaliste et affronte les critiques de ses opposants. Il est déclaré lauréat du Prix de Rome de peinture en octobre. Peu après, Marie donne naissance à leur second fils, Élie. Puis son premier Salon d’Art idéaliste s’ouvre en janvier 1896. Il peut alors partir pour l’Italie.

Jean vit son départ pour Rome comme une délivrance. Accompagné de sa femme et de ses deux fils, il réside à l’Académie belge. Là, il noue amitié avec le compositeur flamand Lodewijk Mortelmans, Prix de Rome de musique. Le peintre va devoir se plier aux règles que tout lauréat se doit d’observer pour pouvoir percevoir ses subsides. Il étonne les lecteurs de ses rapports envoyés à l’Académie des sciences et des lettres par l’intérêt qu’il porte à la sculpture antique plus qu’à la peinture. En août 1896, dans deux lettres d’Italie publiées sous le titre Les Antiques à Rome dans La Ligue artistique, il fait part de l’émerveillement que lui inspire la statuaire grecque, qu’il découvre aux musées des Antiques du Vatican, du Capitole et des Thermes de Dioclétien. Il trouve là de quoi étayer ses recherches et ses thèses esthétiques : Orphée aux Enfers et L’École de Platon témoigneront de l’aboutissement éclatant de cette réflexion.

En 1897, Jean trouve encore le temps de publier son second recueil de poèmes, Le Frisson du Sphinx. Camille Lemonnier notera : « Quand Delville publia son Frisson du Sphinx, on vit que ses vers reflétaient l’éclat et la subtilité de son art. Il y apparut l’âme ardente et noble, nourrie de Renaissance, qu’il était dans son œuvre peinte. » Il entreprend des allers-retours entre Rome et la Belgique pour mettre sur pied les prochains Salons d’Art idéaliste. À Bruxelles, Marie donne naissance à leur troisième enfant, Elsa. En 1898, alors qu’il en est à terminer son École de Platon, pour laquelle il fait même des études de paons au jardin zoologique d’Anvers, il écrit le 12 février à Mortelmans : « Mon cher Ami, j’ai la douleur de vous faire savoir que notre cher petit ange Elsa n’est plus de ce monde depuis hier soir 11 heures 17. »

Une certaine sécurité financière aidant, Jean se lance dans la construction d’un atelier digne de ce nom et d’une petite maison, drève des Sept-Bonniers, dans le haut de Forest. « La famille va s’agrandir… Serait-ce notre petite Elsa qui veut revenir ? », écrit-il encore à Mortelmans. Eva naît le 3 mars 1899.

DELVILLE J., L’Amour des âmes © Musée d’Ixelles

Il n’a cessé de publier des articles dans des revues pour défendre son esthétique idéaliste. En octobre 1899, la publication de son ouvrage La Mission de l’art représente en quelque sorte l’apothéose de ses recherches philosophiques et esthétiques. La Lumière, le titre symbolique de son éphémère revue, reflète bien l’idée d’un idéal vers lequel tend tout son art et que, à travers sa très belle œuvre L’Amour des âmes, il parvient à exprimer.

Théosophie

Toujours à la recherche de ce qu’il appelle une « rédemption financière », Jean n’obtient pas le poste de professeur qu’il espérait à l’Académie. Déçu, il part enseigner en Écosse, à la Glasgow School of Art, où une place de premier professeur lui est offerte. Son enseignement est reconnu du fait de la qualité des travaux que ses étudiants présentent lors des expositions annuelles des travaux d’élèves organisées par le gouvernement de Londres. Toutefois, le climat écossais et la santé de ses enfants, maintenant au nombre de cinq – se sont ajoutés Mira et Olivier –, ont raison de son enthousiasme. Il sent le besoin de rentrer en Belgique.

Jean peint sa toile de très grand format L’Homme-Dieu en espérant la voir intégrée dans un lieu public. Elle rejoindra la collection du musée Groeninge de Bruges. Son activité d’alors est fortement empreinte de théosophie. Ainsi, à propos de son Prométhée, dont il a fait une première étude à Glasgow, il écrit : « Ma conception de Prométhée est toute différente de tous les Prométhée connus. J’ai donné à cette figure son vrai sens ésotérique. Ce n’est pas le feu physique qu’il apporte à l’humanité, mais le feu de l’intelligence, symbolisé par l’Étoile à cinq points. »

Son expérience professorale de Glasgow est reconnue et appréciée : en janvier 1907, il est nommé premier professeur à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles. À quarante ans, Jean obtient la commande de cinq grands panneaux décoratifs pour la salle de la cour d’assises du palais de justice de Bruxelles. Ce travail doit s’étaler sur cinq à six ans. Le panneau central de 11 mètres sur 4,50 mètres, La Justice, la Loi et la Pitié, sera complété par deux compositions secondaires de 4 mètres sur 3 représentant Moïse avec les Tables de la Loi (La Justice de Moïse) et le Christ rédempteur (La Justice chrétienne). Deux autres panneaux symboliseront la justice terrifiante et torturante du passé (La Justice d’autrefois) et la justice compréhensive et psychologique de l’avenir (La Justice moderne).

Jean connaît alors un grand sentiment de bonheur. Cette commande améliore aussi sa stabilité financière : il décide d’agrandir sa maison en ajoutant une tour au sommet de laquelle il installe une chambre de méditation au plafond étoilé. Dans le jardin planté de peupliers d’Italie s’ébattent alors six enfants : la petite dernière, Annie, est née en 1909. Par ailleurs, son École de Platon a été acquise par le musée du Luxembourg, à Paris. Rasséréné, il peut alors peindre L’Oubli des passions.

Combattre, à nouveau

Lorsque la guerre est déclarée en 1914, mon grand-père vient de terminer son dernier panneau pour le palais de justice. Son médecin lui conseille de prendre du repos à la mer, son foie étant sérieusement atteint. Jean se résout à l’exil en Angleterre avec quatre de ses enfants. Les deux aînés partent à la guerre, dont ils reviendront miraculeusement indemnes.

À Londres, le conflit lui inspire une esquisse pour Les Forces, tableau qu’il terminera en 1924. L’un de ses poèmes, dédié aux soldats d’Albert Ier, est lu lors d’une fête de la Ligue patriotique et des amitiés françaises le 14 avril 1917 au Queen’s Hall de Londres : « Comme un torrent d’amour, de courage et d’honneur, ceux qui se sont battus dans la sainte colère, tel un fils furieux dont on frappe la mère, et que, pour la défendre, on voit soudain debout, pour défendre le sol patrial jusqu’au bout ! » À son retour en Belgique, Jean peindra Les Mères – un groupe de femmes errant sur le champ de bataille où elles retrouvent leurs fils morts. Son dessin La Charité anglaise évoque l’accueil fraternel des Britanniques, symboliquement représenté par la figure d’une femme ouvrant les bras aux exilés terrifiés qui débarquent sur les côtes anglaises.

DELVILLE J., Les Mères © Ville de Dinant

« Éprouver le tourment de peindre ou de dessiner en même temps que la souffrance d’écrire est une expérience intime qui tient parfois du drame », confie-t-il. Il n’empêche : élu en 1924 membre titulaire de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, classe des beaux-arts, section peinture, Jean publiera de nombreux essais dans le Bulletin de l’Académie ainsi que des notices à propos d’artistes disparus dans Annuaire Belgique.

En 1923, mon grand-père travaille d’arrache-pied pendant six mois pour terminer sa très grande toile Les Forces, symbolisant l’opposition entre les forces destructrices de la guerre et les forces de la paix. Par ailleurs, il ne perd pas de vue son désir d’intégrer des œuvres monumentales dans un espace public. À Bruxelles, les galeries de l’hémicycle des Arcades du Cinquantenaire sont vides de décoration. Jamais à court d’idées, Jean pense à les doter de mosaïques chatoyantes. L’idée d’une œuvre collective autour de la glorification de la Belgique séduit ses confrères de l’art monumental : Albert Ciamberlani, Émile Vloors, Constant Montald, Omer Dierickx et Émile Fabry répondent à l’appel. Après de nombreuses difficultés pour parvenir à financer cet ouvrage de trente-six panneaux, la mosaïque de 120 mètres de long est mise en œuvre et terminée.

À soixante ans, Jean publie son quatrième recueil de poésie, Le Chant dans la clarté. Il pense alors faire paraître un nouveau volume, intitulé Hors des mondes, qui ne verra pas le jour mais dont subsistent aujourd’hui tous les poèmes manuscrits.

Sa vie à mons

À Émilie Leclercq, mon grand-père écrit : « Le dieu vaincu par l’amour, couleurs somptueuses… Une première idée du rythme plastique réalisé, la toile mesure 4 mètres de haut par 1,50 mètre de large et forme un panneau décoratif… L’œuvre a été inspirée par notre amour… » À soixante-six ans, il s’établit à Mons avec elle, sans cesser d’écrire, de peindre et d’exposer. « J’ai repris ma
liberté d’âme ! », s’enthousiasme-t-il. De cette année 1933 date aussi Le Rêve d’amour, un grand triptyque qu’il exposera à la Société royale des beaux-arts. Encore combatif malgré son âge, il s’implique dans la défense des artistes en militant pour la création d’un conseil supérieur des beaux-arts.

Alors qu’il a pris sa pension de l’Académie des beaux-arts de Bruxelles en janvier 1938, ses contacts avec son ami Clovis Piérard s’intensifient à travers une collaboration journalistique régulière entre 1938 et 1939 dans le
journal La Province, dont Piérard est le directeur. La guerre sonnera la fin de cette association. Jean publie alors Au-dessus des neutralités, la conscience et, dans une lettre du 2 septembre 1939, lance à son ami : « Je suppose que la presse belge est encore une presse libre et qu’il est encore permis, malgré les recommandations, d’appeler un chat un chat, un Hitler un bandit et un Staline un scélérat… Je ne crois pas que notre neutralité ne va guère jusqu’à devoir se taire devant le crime. »

Il monte encore une exposition de ses dernières œuvres à la salle Saint-Georges de Mons et vient de terminer une toile de grand format, La Roue du monde, lorsque la ville est bombardée par les Allemands. Le 5 mai 1940, la Belgique est envahie. Le 15 mai, à soixante-treize ans, il part pour la France, dans l’Allier, où il assiste « à la déroute finale ». À son retour, les autorités allemandes le somment de justifier ses activités hors des frontières belges pour qu’il soit rétabli dans ses droits d’académicien. Choqué par ce nouveau conflit, il peint Le Fléau, travaillant autant que possible : dès qu’il aura du charbon pour chauffer son atelier, déclare-t-il alors, il commencera une grande toile, Les Âmes errantes.

Novateur selon son idéal

En 1944, Jean confie à Armand Eggermont : « J’essaie d’être novateur selon mon idéal et non selon une tendance particulière et de mode. Quand je dessine ou peins, ce qui me préoccupe le plus, c’est la mesure dans laquelle je peux exprimer un sentiment, une pensée, dans une forme plastique et une couleur expressive. Je conçois mon œuvre comme un poème. Je ne sépare pas la peinture de la poésie. » Dans une autre lettre qu’il lui a adressée un peu plus tôt, il s’étonne, non sans humour : « J’ai appris que la Coopérative artistique, s’étant souvenue que j’en suis son fondateur (il y a cinquante ans), a cru bon de placer mon effigie à l’étalage des magasins de la rue du Midi. Me voilà en pleine réclame commerciale : c’est un petit phénomène de me voir, moi, le moins pratique des hommes, fonder une institution utilitaire. »

Le 4 septembre 1944, le palais de justice de Bruxelles est bombardé. En réponse à un courrier d’un M. Bourguignon de la Coopérative artistique, il exprime son désarroi : « En hâte, ce mot pour vous dire que j’ai bien reçu votre lettre, laquelle m’a trouvé en pleine et douloureuse émotion de l’incendie du palais de justice et de la perte totale de ma principale œuvre décorative de la cour d’assises ! En effet, cinq grands panneaux ont disparu dans les flammes du palais ! Cinq belles années de ma vie d’artiste anéanties par les ignobles vandales d’Hitler… » Une nouvelle salle des assises sera conçue, où les esquisses des cinq panneaux remplaceront les œuvres détruites dans le bombardement. En 1946, son tableau Les Forces trouvera une place dans la galerie de la salle des Pas-Perdus, où il se trouve toujours.

Le retour à Bruxelles

Jean revient vivre à Bruxelles. Il confie dans une lettre à sa femme Marie : « Je sens déjà une grande ombre noire descendre sur toutes mes pensées : c’est le remords qui vient… » À M. Bourguignon, il écrit encore : « Je ne suis pas encore tout à fait remis du choc des émotions que j’ai subi, ces jours derniers, en m’évadant définitivement de Mons, où la rupture est totale, et de retrouver brusquement Mme Delville, ma pauvre femme, mes fils, mes filles et leurs enfants !… Il me faudra encore du temps pour remettre de l’ordre dans ma vieille vie d’artiste bouleversée. » Il peint alors La Vision de la paix, en quelque sorte son testament pictural. Mais, vaincu par l’âge, il commence à renoncer à certains projets.

Ainsi, le 15 août 1948, il informe Armand Eggermont : « Changement radical : je renonce définitivement à l’exposition de Forest. Motif : je ne vois pas la possibilité de remplir la salle. Trop de toiles manqueront et diminueront l’intérêt artistique. De plus, mon état de santé ne me permet plus de supporter les fatigues. » Néanmoins, il continue à publier des textes qui interrogent le devenir de l’art : Que sera l’art de demain ? ; L’Esthétique peut-elle devenir une science ? ; La Conscience artistique ; Les Valeurs esthétiques ; Le Rôle social de l’artiste.

À peine un an avant sa disparition, Jean se livre ainsi à M. Bourguignon : « Je deviens perclus de jour en jour !… Peut-être est-ce le commencement de la fin ? En tout cas, je dois vous dire un cordial adieu à vous tous et présenter mes meilleurs souhaits de prospérité à la Coopérative artistique en vous exprimant à tous mes plus profonds sentiments d’amitié ! » À quelques jours de sa mort, il est informé de la mise en place définitive des grandes esquisses de la Justice dans la nouvelle salle de la cour d’assises. Il décède à Forest le 19 janvier 1953, à un quart d’heure de son anniversaire de naissance.

Miriam DELVILLE

[Cet article est extrait du catalogue de l’exposition Jean Delville (1867-1953) présentée au musée Félicien-Rops, Province de Namur, du 25 janvier au 4 mai 2014 (production du service de la culture de la Province de Namur ; commissariat de l’exposition : Véronique Carpiaux, musée Félicien-Rops, Province de Namur, et Miriam Delville, succession Delville)]


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : jeandelville.info ; academia.edu | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © MRBAB ; © Musée d’Orsay ; © KMSKA ; © Musée d’Ixelles ; © Ville de Dinant.


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PLUVIAUD J.F., Discours de la méthode maçonnique (2011)

A la différence des nombreux ouvrages consacrés à l’histoire ou à la symbolique de la franc-maçonnerie, Discours de la méthode maçonnique est un véritable « mode d’emploi » de la méthode maçonnique. A l’usage du grand public comme des francs-maçons, Jean-François Pluviaud explique de manière claire et rigoureuse le pourquoi et le comment de cette suite d’exercices spirituels que sont la pratique des rituels et l’interprétation des mythes et des symboles. Dépouillé de tout un vocabulaire ésotérique, qui, souvent encombre les ouvrages de franc-maçonnerie, l’ouvrage fait apparaître la franc-maçonnerie pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une véritable école de l’éveil, une méthode d’accroissement de la conscience et de la lucidité en même temps qu’une école du savoir-vivre, dans la grande tradition des écoles philosophiques de l’Antiquité.

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COLLECTIF, Le livre des symboles (2011)

Le Livre des symboles allie essais originaux et incisifs sur des symboles particuliers à des images représentatives provenant de tous les horizons et de toutes les époques de l’histoire. Les textes très accessibles s’associent de façon originale à près de 800 magnifiques images en couleurs pour transmettre les dimensions voilées du sens. Chacun de ces quelque 350 essais examine les origines psychiques d’un symbole donné et la manière dont il évoque les processus et dynamiques psychiques. Les racines étymologiques, les jeux d’opposition, le paradoxe et l’ombre, les différentes manières dont les diverses cultures ont fait naître une image symbolique: tous ces facteurs sont pris en compte. Rédigés par des auteurs spécialisés dans les domaines de la psychologie, de la religion, de l’art, de la littérature et de la mythologie comparée, les essais entrent en résonance de manière à refléter les correspondances inattendues de la psyché. Il n’existe pas de définitions immuables, qui auraient tendance à écraser les symboles ; un symbole encore essentiel demeure partiellement inconnu, attire notre attention et s’offre sous de nouvelles manifestations et de nouveaux sens au cours du temps. Plutôt que de proposer de simples catégories, Le Livre des symboles met en lumière la manière dont on passe de l’expérience visuelle d’une image symbolique dans l’art, la religion, la vie ou les rêves, à l’expérience directe de ses résonances personnelles et psychologiques. Le Livre des symboles établit de nouvelles références pour l’exploration consciencieuse des symboles et de leurs significations et intéressera une grande diversité de lecteurs: artistes, designers, rêveurs et interpréteurs de rêves, psychothérapeutes, autodidactes, amateurs de jeux vidéos, lecteurs de BD, chercheurs en religion et en spiritualité, écrivains, étudiants et tous ceux qui s’intéressent au pouvoir des images archétypales.

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CHEVALIER J. et GHEERBRANT, Dictionnaire des symboles (2000)

C’est trop peu de dire que nous vivons dans un monde de symboles, un monde de symboles vit en nous. De la psychanalyse à l’anthropologie, de la critique d’art à la publicité et à la propagande idéologique ou politique, sciences, arts et techniques essaient de plus en plus aujourd’hui de décrypter ce langage des symboles, tant pour élargir le champ de la connaissance et approfondir la communication que pour apprivoiser une énergie d’un genre particulier, sous-jacente à nos actes, à nos réflexes, à nos attirances et répulsions, dont nous commençons à peine à deviner la formidable puissance. Des années de réflexions et d’études comparatives sur un corpus d’informations rassemblées par une équipe de chercheurs, à travers des aires culturelles recouvrant la durée de l’histoire et l’étendue du peuplement humain, les auteurs ont tenté de donner à voir le cours profond du langage symbolique, tel qu’il se ramifie dans les strates cachées de notre mémoire. Chacun sentira bien l’importance de ce Dictionnaire. Plus de mille six cents articles, reliés par des comparaisons et des renvois, souvent restructurés à la suite d’une longue maturation, permettent de mieux approcher la nudité du symbole, que la raison dans sa seule mouvance ne parviendrait pas à saisir. Cette somme unique ouvre les portes de l’imaginaire, invite le lecteur à méditer sur les symboles, comme Bachelard invitait à rêver sur les rêves, afin d’y découvrir la saveur et le sens d’une réalité vivante.

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QUADRIVIUM : arithmétique, géométrie, musique & astronomie

Temps de lecture : 4 minutes >

Le Quadrivium a été conçu et enseigné pour la première fois vers 500 Av. J.C. par Pythagore, sous la forme du tétractys, dans une communauté dont tous les membres étaient égaux, matériellement et moralement. Cette structure européenne originelle parachevait l’éducation en se consacrant à sept sujets essentiels, devenus au Moyen Âge les “sept arts libéraux”.

Le terme “éducation” vient du latin educere, “conduire“, signalant la doctrine centrale que Socrate, sous la plume de Platon, a si bien élucidée – la connaissance est une partie inhérente et intrinsèque de la structure de l’âme.

Le Trivium du langage est structuré sur les valeurs cardinales et objectives de vérité, de beauté et de bonté. Ses trois sujets sont la Grammaire, qui assure la bonne structure du langage, la Logique ou la Dialectique, permettant de trouver la vérité, et la Rhétorique, le bel usage du langage lors de l’expression de la vérité.

Le Quadrivium émerge du plus révéré des sujets que l’esprit humain peut aborder – le Nombre. La première de ses disciplines est l’Arithmétique, la seconde, la Géométrie, le Nombre dans l’Espace, la troisième, l’Harmonie, qui pour Platon était le Nombre dans le Temps, la quatrième, l’Astronomie, le Nombre dans l’Espace et le Temps. L’échelle fiable formée par ces études permet d’accéder aux valeurs simultanées de la vérité, de la bonté et de la beauté, conduisant à leur tour la valeur harmonieuse essentielle de l’unité.

Pour naître dans le corps, l’âme, dont Socrate a démontré le caractère immortel dans le Phédon, émerge d’un état de savoir absolu. Le ‘ressouvenir’, autrement dit la remise en mémoire – le but de l’éducation – c’est littéralement reconstituer l’unité à partir des éléments.

On étudiait ces sujets afin de remonter vers l’unité grâce à la simplification reposant sur la compréhension acquise en abordant chaque domaine du Quadrivium, en tentant par là de trouver sa source (traditionnellement, seul objectif de la quête du savoir). En débattant des idéaux de l’éducation, Socrate parle de son modèle de la continuité de la conscience – qu’il compare à une “ligne” verticale tracée depuis les commencements de la connaissance consciente des conjectures jusqu’au sommet de la conscience en tant que noèse, pensée unifiée, l’acte même de penser. Au-delà, on trouve l’indescriptible et l’ineffable.

Remarquablement, la division de la “ligne ontologique” de Socrate comporte quatre étapes (autre quadrivium ou tétractys). La première et la plus essentielle est la séparation entre monde intelligible et monde sensible, entre mental et matière, chacun partagé à son tour, conjectures contre opinions. Dans le monde sensible, même les opinions justes reposent encore sur l’expérience sensorielle ; au-dessus de la première ligne de division, dans le monde intelligible du mental, on se trouve dans le domaine “porteur de vérité” du Quadrivium, connaissance vraie et objective. La dernière division, la plus élevée du monde intelligible, est la connaissance pure (l’intellect), où l’objet de la connaissance, ce qui est connu et le fait de connaître ne font qu’un.

© British Museum

C’est le but et la source de tout savoir. Ainsi, ayant passé l’épreuve du temps et de la sagesse, le Quadrivium offre à ceux qui en ont sincèrement envie l’occasion de retrouver une compréhension de la nature intégrale de l’univers, dont ils sont une partie intégrante.

En abordant maintenant plus en détail les “quatre arts”, l’Arithmétique présente trois niveaux : nombre concret, nombre arithmétique (abstrait) et nombre idéal ou archétypal complet à 10. La Géométrie se déploie en quatre étapes : le point dépourvu de dimensions qui, en se mouvant, devient une ligne, se déplaçant à son tour pour devenir un plan, avant de finir par arriver en tant que tétraèdre à la solidité. L’Harmonie (la nature de l’âme) décrit quatre “gammes” musicales : pentatonique, diatonique, chromatique et microtonale. Pour finir, on aborde le Cosmos, terme qu’on doit à Pythagore, signifiant “ordre” et “parure”. Les pythagoriciens tenaient le ciel visible pour la “parure” des principes purs, le nombre de planètes connues se rapportant aux principes d’harmonie proportionnelle. L’étude de la perfection des cieux était un moyen d’affiner les mouvements de son âme.

Parmi ceux qui ont étudié le Quadrivium, mentionnons : Cassiodore, Philolaos, Timée, Archytas, Platon, Aristote, Euclide, Eudème de Rhodes, Cicéron, Philon d’Alexandrie, Nicomaque, Clément d’Alexandrie, Origène, Plotin, Jamblique, Macrobe, Capella, Dénys l’Aréopagite, Bède, Alcuin, Al-Khwarizmi, Al-Kindi, Gerbert d’Aurillac, Fulbert, Ibn Sina (Avicenne), Hugues de Saint-Victor, Bernard Silvestre, Bernard de Clairvaux, Hildegarde de Bingen, Alain de L’Isle, Joachim de Flore, Ibn Arabi, Roger Bacon, Grosseteste (le plus grand érudit anglais), Thomas d’Aquin, Dante et Kepler.

Finissons par deux citations. La première vient des pythagoriciens (via les Vers d’or): “Tu connaîtras, dans la mesure de la Justice, que la Nature est en tout semblable à elle-même” ; la seconde vient de Jamblique : “Le monde n’a pas été créé à ton intention – mais tu es né à son intention.

Keith Critchlow


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : dématérialisation, partage, édition, correction et iconographie | sources : MARTINEAU J. et al., Quadrivium : arithmétique, géométrie, musique, astronomie (Dervy, 2021) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, Herrade de Landsberg, Hortus deliciarum (XIIe) © Bibliothèque du Grand Séminaire de Strasbourg ; © British Museum.


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LED ZEPPELIN : “Stairway to Heaven”, l’histoire d’un mythe

Temps de lecture : 7 minutes >

Fer de lance de l’album Led Zeppelin IV, le monumental Stairway to Heaven” a depuis longtemps décroché les étoiles au panthéon du rock. Retour sur l’une des chansons les plus emblématiques du groupe de Page & Plant.

Demandez à n’importe quel amateur de rock quelle est la première chanson de Led Zeppelin qui lui vient à l’esprit (hormis l’inévitable Whole Lotta Love) et invariablement, il vous citera Stairway to Heaven. Demandez à Robert Plant quelle est la chanson de son ex-groupe qui lui sort par les trous de nez et, neuf fois sur dix, il vous répondra Stairway to Heaven. Tapez le mot “Stairway” sur internet et, immanquablement, vous tomberez sur cette chanson. Une échelle vers le paradis dont plus de quarante ans après, on rêve toujours de gravir les échelons. Huit minutes et deux secondes. Un mini-opéra électro-acoustique, avec son intro, son final, ses changements rythmiques, ses mouvements harmoniques. Un tube jamais publié en 45-tours, et pourtant l’un des plus diffusés sur les radios du monde entier. Une chanson sur laquelle on a dit tout et n’importe quoi : mystique, satanisme, subliminale, prétentieuse, plagiaire… Stairway to Heaven, ou le parfait concentré de toutes les sources musicales auxquelles la musique rock s’est toujours abreuvée. L’histoire commence au fin fond de la campagne galloise, dans un cottage du XVIIIe siècle baptisé Bron-Yr-Aur.

Bron-Yr-Aur @ geograph.org.uk

C’est dans cette ancienne maison de vacances de la famille Plant, une masure sans eau ni électricité, que Robert et Jimmy se retrouvent au printemps 1970, histoire de se ressourcer après un périple américain exténuant. Comme le dira Page, ça nous changeait des palaces de la tournée, et c’est là que j’ai vraiment appris à connaître Robert”. Dans ce décor rustique, les deux hommes esquissent les prémices de leur prochain album. Page a dans sa besace des bouts de musique, qu’il joue à la guitare acoustique.

Parmi ceux-ci, une intro en arpèges fait dresser l’oreille à Plant. Mais ce n’est que plus tard, devant le groupe réuni à Headley Grange, que le puzzle va prendre forme. Cette bâtisse sise dans le Hampshire, ancien centre d’accueil pour orphelins et nécessiteux de l’époque victorienne, sert de lieu de répétition à Led Zeppelin. Un soir, devant un feu de cheminée, Plant commence à griffonner les paroles : Ma main s’est mise à écrire toute seule, presque malgré moi, et en quelques minutes j’avais près de 80 % du texte…”

“There’s a lady who’s sure all that glitters is gold…” Le début de la chanson semble évoquer une femme cynique qui, bien qu’elle fût comblée et obtienne tout ce qu’elle désire, n’offre en retour aucune attention ni considération. Plus tard, Plant dira qu’il a été inspiré par la lecture d’un bouquin du folkloriste écossais Lewis Spence, intitulé The Magic Arts in Celtic Britain. Et refusera de donner d’autres explications sur le sens du texte, affirmant que chacun peut y trouver ce qu’il veut, selon les périodes de sa vie. De fins exégètes y dénicheront aussi quelques allusions au Seigneur des anneaux de Tolkien, mais peu importe. L’échelle paradisiaque demeurera mystérieuse, et c’est tant mieux.

Car c’est surtout la musique qui retient l’attention. Après une ouverture en arpèges folk ornée de flûtiaux, l’entrée du chant et une rythmique jouée à la 12-cordes, la mélodie change brusquement avec l’irruption de la batterie (à 4 minutes 18 seulement !) qui précède un solo de guitare électrique, puis une partie hard rock, avant les mesures finales où seule résonne la voix de Plant. Page : On voulait un truc avec plusieurs sections, dans la lignée de ‘Dazed and Confused’, mais différent, sans basse, d’avantage basé sur l’orgue et la guitare acoustique, puis électrique. Ça aurait pu faire 15 minutes…” Quant au solo, légendaire, joué non pas sur sa rituelle Gibson mais sur une Telecaster offerte par Jeff Beck, Page dut en enregistrer trois versions différentes avant de choisir la meilleure.

Les sessions débutèrent en décembre 1970, aux Basing Street Studios d’Island, à Notting Hill, avec l’ingénieur du son Andy Johns. L’album, produit par Page, avec sa pochette bucolique aux fagots, fut publié le 8 novembre 1971. Curieusement, seul y est imprimé le texte de Stairway to Heaven. Malgré les demandes d’Atlantic, le groupe refusa de sortir la chanson en single. Seuls furent pressés quelques exemplaires promo destinés aux radios (devenus collectors !). Stairway to Heaven fut joué pour la première fois en public en mars 1971, à Belfast, alors que les émeutes battaient leur plein dans les rues. Selon le bassiste John Paul Jones, les spectateurs présents ne manifestèrent qu’un intérêt poli, attendant visiblement les morceaux connus.

Si elle remporta un succès immédiat, offrant à l’album des ventes record (et ce, malgré une critique féroce de Lester Bangs), la chanson vécut ensuite une existence mouvementée. En 1982, le télévangéliste américain Paul Crouch prétendit que le morceau contenait des messages subliminaux à la gloire de Satan, perceptibles uniquement quand on l’écoutait à l’envers. Une assertion d’autant plus crédible, pour certains, que Jimmy Page, amateur de sciences occultes, n’avait jamais caché son admiration pour l’écrivain controversé Aleister Crowley, allant jusqu’à acquérir son ancien manoir sur les rives du Loch Ness. Restait pour le pékin moyen à essayer d’écouter la chanson à l’envers, périlleux exploit à l’époque des platines vinyles…

Robert Plant (1980) © Ph. Vienne

Face à la rumeur, Robert Plant se contentera de répondre que Stairway to Heaven avait été écrit avec les meilleures intentions du monde, et que coller des messages cachés n’était pas sa conception de la musique. Autre accusation, celle d’avoir plagié l’intro sur un instrumental du groupe Spirit intitulé Taurus. Si Jimmy Page continue à affirmer que la chanson représente pour lui “la quintessence de Led Zeppelin”, Robert Plant, lui, a toujours renâclé à l’interpréter depuis la séparation du groupe. Rares exceptions, le Live Aid de 1985 et le quarante-cinquième anniversaire du label Atlantic, trois ans plus tard. Si, grâce à ce morceau de paradis, Led Zep a atteint le nirvana, l’échelle semble désormais tirée.

d’après ROLLINGSTONE.FR

Stairway to Heaven
(Escalier Vers Le Paradis)

There’s a lady who’s sure all that glitters is gold
Il y a une femme qui est certaine que tout ce qui brille est de l’or
And she’s buying a stairway to heaven
Et elle s’achète un escalier pour le paradis
When she gets there she knows, if the stores are all closed
Et lorsqu’elle y est, elle sait que si les magasins sont fermés
With a word she can get what she came for
Un mot lui suffira pour obtenir ce pourquoi elle est venue
Ooh, ooh, and she’s buying a stairway to heaven
Ooh, ooh, et elle s’achète un escalier pour le paradis

There’s a sign on the wall but she wants to be sure
Il y a un signe sur le mur, mais elle veut en être sure
‘Cause you know sometimes words have two meanings
Parce que tu sais les mots ont parfois un double sens
In a tree by the brook, there’s a songbird who sings
Sur un arbre à côté du ruisseau, il y a un oiseau qui chante
Sometimes all of our thoughts are misgiven
Parfois toutes nos pensées sont fausses
Ooh, it makes me wonder
Ooh, ça me fait me demander
Ooh, it makes me wonder
Ooh, ça me fait me poser des questions

There’s a feeling I get when I look to the west
J’ai une sensation lorsque je regarde vers l’ouest
And my spirit is crying for leaving
Et mon esprit se désespère de fuir
In my thoughts I have seen rings of smoke through the trees
Dans mes songes j’ai vu des ronds de fumée à travers les arbres
And the voices of those who standing looking
Et les voix de ceux qui laissent faire sans bouger
Ooh, it makes me wonder
Ooh, ça sème le doute en moi
Ooh, it really makes me wonder
Ooh, ça sème réellement le doute en moi

And it’s whispered that soon if we all call the tune
Et on chuchote que bientôt, si nous donnons tous la mélodie
Then the piper will lead us to reason
Alors le flûtiste nous mènera à la raison
And a new day will dawn for those who stand long
Et un nouveau jour viendra pour ceux qui sont toujours là
And the forests will echo with laughter
Et les forêts retentiront de rire
If there’s a bustle in your hedgerow, don’t be alarmed now
S’il y a du remue-ménage dans ta haie, ne t’affole pas
It’s just a spring clean for the May queen
C’est simplement le nettoyage de printemps pour la Reine de Mai
Yes, there are two paths you can go by, but in the long run
Oui, il y a deux voies que tu peux prendre, mais au bout du compte
There’s still time to change the road you’re on
Il est encore temps de changer ta route
And it makes me wonder
Et ça sème le doute en moi

Your head is humming and it won’t go, in case you don’t know
Ta tête bourdonne et ça ne partira pas, au cas où tu ne le sais pas
The piper’s calling you to join him
Le flûtiste t’invite à le rejoindre
Dear lady, can you hear the wind blow, and did you know
Chère madame, peux-tu entendre le souffle du vent, et le savais-tu
Your stairway lies on the whispering wind
Ton escalier repose sur le vent qui murmure

And as we wind on down the road
Et alors que nous dévalons la route
Our shadows taller than our soul
Nos ombres plus grandes que nos âmes
There walks a lady we all know
Une femme que l’on connait tous marche
Who shines white light and wants to show
Elle est nimbée d’une lumière blanche et veut montrer
How everything still turns to gold
Comme chaque chose se transforme encore en or
And if you listen very hard
Et si tu fais des efforts pour entendre
The tune will come to you at last
Finalement l’air viendra à toi
When all are one and one is all
Lorsque tous ne font qu’un et qu’un est tous
To be a rock and not to roll
Etre un roc qui ne roule pas

And she’s buying a stairway to heaven
Et elle s’achète un escalier pour le paradis

Paroles de Robert Plant (trad. lacoccinelle.net)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation, correction et décommercialisation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : pochette de l’album Led Zeppelin IV © Atlantic ; Robert Plant (concert à Mannheim, 1980) © Philippe Vienne ; © geograph.org.uk.


YEATS : textes

Temps de lecture : 2 minutes >

 

Wine comes in at the mouth
And love comes in at the eye;
That’s all we shall know for truth
Before we grow old and die.
I lift the glass to my mouth,
I look at you, and I sigh.

A Drinking Song (1910)

Par la bouche, on boit le vin
Et par les yeux, on boit l’amour ;
C’est là tout ce que nous apprendrons,
Avant de vieillir, avant de mourir.
Je porte le verre à ma bouche,
Je te regarde… et je soupire.

Chanson à boire (1910, trad. Patrick Thonart)

Un clic sur le bandeau ? Ce poème est également dans notre POETICA…

[RADIOFRANCE.FR/FRANCECULTURE] William Butler Yeats, poète et dramaturge irlandais (1865-1923) ; il écrit en anglais mais pense en Irlandais. Toute sa vie sera habitée par cette déchirure, toute son œuvre sera articulée autour de la question du peuple, son art, son langage. L’écriture de Yeats est complexe, labyrinthique, T. S. Eliot dira de lui qu’il était le dernier des grands lyriques anglais. Yeats fut fasciné par l’occultisme et l’ésotérisme, il fut lié aux avatars de l’ordre de la Rose-Croix, on lui prêtera des sympathies pour l’Italie fasciste… En 1923, il reçoit le prix Nobel de littérature.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : traduction, compilation et iconographie | traducteur & contributeur : Patrick Thonart | sources : poetryfoundation.org ; france-culture | crédits illustrations : © radiofrance.fr.


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rites maçonniques laïques

Temps de lecture : 3 minutes >

Dans son Discours de la méthode maçonnique, Pluviaud explique : “Le rite est l’épine dorsale du système mais, pour une bonne perception du phénomène maçonnique dans son ensemble, et dans le paysage français en particulier, il faut l’examiner dans la réalité de sa pratique, c’est-à-dire à travers les différentes sensibilités selon lesquelles il se manifeste.

Dans un chapitre précédent, j’ai expliqué l’existence de différents rites par la réponse que chacun apporte au comment de la différence humaine. Le faisant, j’ai distingué trois types de réponses, la réponse théiste (Dieu), la réponse déiste (un principe) et la réponse laïque (la raison) : ce sont ces trois réponses qui vont déterminer les trois grandes familles de rites…” :

Les rites laïques

“Les rites laïques invoquent la raison comme référence créatrice de l’humain. La raison perçue comme étant ce qui en l’homme le différencie de l’animal et qui est le produit de l’évolution, le fruit du “hasard et de la nécessité“.

Dans cette approche de la maçonnerie aucune référence à une divinité clairement dénommée ou potentiellement suggérée, aucune volonté extraterrestre mettant en oeuvre le projet humain, mais l’homme seul confronté à sa capacité d’évolution, d’accès à la raison.

Pour les rites laïques, la réflexion philosophique se substitue souvent à la spiritualité, trop connotée religieusement. C’est une réflexion de type intellectuel et moral, produit de l’éducation, qui doit conduire l’homme à une prise de conscience de sa qualité d’homme et des devoirs qui y sont attachés, l’émanciper. La notion de citoyenneté, très largement développée, se substitue à celle d’individu ; c’est elle qui va définir le rôle et la place de l’homme dans la cité et non plus dans l’univers. Les principes que ces rites développent et promeuvent sont très largement inspirés de ceux de la république et de la démocratie.

C’est une conception de la maçonnerie avant tout citoyenne. Elle se veut plus directement impliquée dans les problèmes de la cité à qui il appartient de garantir le progrès, tous les progrès, de l’humanité. Transformons la cité, la société, par l’éducation, émancipons les hommes et nous transformerons le monde.

Dans cette vision de la réalisation du projet [maçonnique], le législateur, régulateur de la société va être appelé à jouer un rôle primordial. Or la gestion de la cité est avant tout politique (au sens le plus noble du terme) ce qui va impliquer des prises de position dans ce domaine avec le risque d’une radicalisation et d’affrontements de type partisan et parfois aussi de compromission.

A cause de cela et pour prévenir les risques inhérents à ce choix, elle se doit d’être une maçonnerie d’exigence et d’ambition, qui requiert de ses membres beaucoup de force de caractère et une grande rigueur morale. Cette indispensable conscience morale, il semble que ce soit un système initiatique contraignant qui soit le plus efficace (et sans doute le seul) pour l’acquérir. De la nécessité donc pour une maçonnerie laïque, peut-être plus que pour les autres, parce que beaucoup plus exposée, de veiller à la rigueur initiatique issue de la méthode. Le projet laïc ne trouve sa justification que dans la rigueur de ceux qui le portent. Sinon, la focalisation sur le projet d’amélioration de l’humanité, par le truchement de la cité, risquera de se perdre et de se dévoyer dans les méandres de l’arène politique et surtout d’estomper le progrès moral et spirituel au profit du progrès social, plus concret et plus mesurable, mais plus complexe à réaliser découplé du progrès spirituel et moral.” (op.cit. pp. 110-112)


Plus encore…

rites maçonniques déistes

Temps de lecture : 3 minutes >
BLAKE William, The Ancient of Days (1794)

Dans son Discours de la méthode maçonnique, Pluviaud explique : “Le rite est l’épine dorsale du système mais, pour une bonne perception du phénomène maçonnique dans son ensemble, et dans le paysage français en particulier, il faut l’examiner dans la réalité de sa pratique, c’est-à-dire à travers les différentes sensibilités selon lesquelles il se manifeste.

Dans un chapitre précédent, j’ai expliqué l’existence de différents rites par la réponse que chacun apporte au comment de la différence humaine. Le faisant, j’ai distingué trois types de réponses, la réponse théiste (Dieu), la réponse déiste (un principe) et la réponse laïque (la raison) : ce sont ces trois réponses qui vont déterminer les trois grandes familles de rites…” :

Les rites déistes

“La réponse déiste postule l’existence d’un principe créateur, inconnaissable, non révélé, forcément transcendant, laissant à chacun la possibilité d’interpréter ce principe selon sa sensibilité propre. La croyance en un principe suffisamment vague et lointain permet de focaliser dans une sorte de non-réponse toutes les aspirations mystiques et le questionnement premier sur l’origine.

Oui, disent les rites déistes, il y a, à l’origine, quelque chose d’infiniment plus grand que nous, qui nous dépasse, nous en prenons acte en le glorifiant, mais nous n’en connaissons rien et nous n’avons pas les moyens humains de percer ce mystère, évitons toutes spéculations à ce sujet, cantonnons-les à l’intime de chacun. Là s’arrête notre relation avec le “créateur”, à un principe, dont nous ignorons tout de ses intentions, qu’il n’a jamais manifestées, un principe avec lequel nous n’entretenons aucune relation (prière, demande d’intercession ou liturgie) autre que la reconnaissance officielle de son existence et sa glorification. Néanmoins, afin de satisfaire la demande d’esprit inhérente à notre nature, à travers lui nous recherchons et exaltons l’esprit qui est en nous (c’est le postulat initial), nous plaçons ainsi notre démarche sur une orbite résolument spirituelle.”

La maçonnerie déiste se veut adogmatique et, pour bien le marquer, pose la recherche de la vérité comme l’une de ses finalités (l’autre étant le progrès de l’humanité). Par là, elle se positionne clairement hors toutes références à un dieu révélé ou à une religion, tout en prônant comme fondamentale une recherche spirituelle (la vérité) qui est de l’ordre de la transcendance, du dépassement de soi par l’initiation. Cette initiation n’est pas une fin en elle-même, elle est perçue comme un outil qui rend apte celui qui en dispose à la transmission des valeurs qu’il a acquises par cette même initiation. C’est par la transmission des valeurs, donc à travers la capacité de dépassement de l’homme, que les rites déistes entendent réaliser le progrès de l’humanité.

C’est une conception de la maçonnerie fondée sur l’altruisme dans lequel la prise en compte de l’autre se substitue à l’ego. Le progrès qu’elle envisage est avant tout moral et spirituel ; il est prioritaire parce qu’il entraîne et cautionne tous les autres, il n’a de sens que s’il est le progrès commun. Elle transfère à l’homme seul la responsabilité de son destin et de celui de l’humanité. Mais, dans la mesure où elle implique l’initiation, l’acquisition de l’indispensable outil de la transmission, comme préalable, le risque existe de se focaliser sur la seule initiation, sur le seul outil, en le sacralisant. La conséquence étant un glissement vers le marais d’une religiosité un peu molle, sans véritable objet, ni repères, au détriment du projet qui s’estompe pour devenir plus virtuel, une pétition de principe.” (op.cit. pp. 109-110)


Plus encore…

rites maçonniques théistes

Temps de lecture : 2 minutes >
Illustration du Rituel manuscrit aquarellé des trois premiers degrés du Rite Écossais Ancien et Accepté (vers 1830)

Dans son Discours de la méthode maçonnique, Pluviaud explique : “Le rite est l’épine dorsale du système mais, pour une bonne perception du phénomène maçonnique dans son ensemble, et dans le paysage français en particulier, il faut l’examiner dans la réalité de sa pratique, c’est-à-dire à travers les différentes sensibilités selon lesquelles il se manifeste.

Dans un chapitre précédent, j’ai expliqué l’existence de différents rites par la réponse que chacun apporte au comment de la différence humaine. Le faisant, j’ai distingué trois types de réponses, la réponse théiste (Dieu), la réponse déiste (un principe) et la réponse laïque (la raison) : ce sont ces trois réponses qui vont déterminer les trois grandes familles de rites…” :

Les rites théistes

“La réponse théiste au comment est l’existence d’un dieu unique révélé, elle s’inscrit dans l’orbite de l’une ou l’autre des trois religions monothéistes et par là même en admet implicitement tout ou partie des dogmes qui les caractérisent.
Dans les rites théistes, la croyance en dieu signifie clairement celle en un au-delà et en une vie future : le salut individuel, même s’il n’est pas énoncé explicitement, n’en est pas moins une des données induites de leur équation.
A partir de là, le projet de progrès moral et spirituel de l’humanité s’inscrit dans une approche particulière ; il doit être perçu comme un moyen de faire le bien et de participer ainsi à son propre “rachat”. Il est considéré comme un facteur de réalisation individuelle. Une réalisation qui devient à cet instant la finalité de la démarche, perçue comme une voie d’accomplissement personnel qui se rajoute, complète, approfondit et conforte une croyance préalable.
Tous les rites théistes ne se reconnaissent pas forcément dans une religion particulière, revendiquée, mais la plupart mettent leurs pas dans ceux du christianisme et la démarche spirituelle qui en découle s’inscrit par nature dans cette mouvance.
C’est une conception de la maçonnerie considérée comme un complément et un enrichissement de la foi, elle se maintient dans la sphère de la religiosité et les principes qui sont mis en avant sont ceux de l’enseignement chrétien, particulièrement dans la relation à l’autre, assimilable en beaucoup de points à de la bienfaisance et de la philanthropie. L’acceptation des dogmes, même s’ils ne sont pas ouvertement mise en avant, peut retirer à la réflexion sa liberté et orienter le sens et la nature de la recherche spirituelle en l’enfermant dans les limites d’une croyance.” (op.cit. pp. 107-108)


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PLUVIAUD Jean-François : Discours de la méthode maçonnique (2011)

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“Lorsque dans le titre d’un de ses ouvrages on veut paraphraser René Descartes, ou même seulement faire allusion à lui, il vaut mieux ne pas se planter. Et bien, Jean-François PLUVIAUD, dans son ouvrage Discours de la méthode maçonnique ne se plante pas, loin de là.

Fort de son expérience de plus de 35 années comme franc-maçon de la Grande Loge de France il se propose sinon de baliser le terrain, ce qui serait presque impossible, mais d’indiquer qu’il y a un chemin et que pour le parcourir à bon escient et pour qu’il soit profitable, il y a des règles, une méthode et, pour les francs-maçons, essentiellement des devoirs librement acceptés.

Car le message que nous délivre Jean-François Pluviaud est clair. Sans méthode nous risquons, en empruntant de nombreux chemins, de nous perdre et en allant dans tous les sens de n’arriver nulle part.

Ce livre fait clairement suite au précédent intitulé Critique de la Raison Maçonnique (2002). Mais la lecture de l’un n’est pas indispensable à la compréhension de l’autre.

Pour l’auteur, tout commence car pour “tous ceux qui s’engagent en maçonnerie, quelle que soit la manière dont ils l’expriment ou la nature de leur ressenti, tous ceux-là ont le désir de faire quelque chose, de ne pas être les spectateurs, mais les acteurs de leur vie”.

Il faut aussi que ceux-ci fassent une “rencontre avec un projet qu’ils pressentent être en mesure de satisfaire leur attente (…) contribuer au progrès spirituel et moral de l’humanité en travaillant à leur propre épanouissement”.

Et l’auteur souligne également que “la perfectibilité de l’homme est l’un des ressorts essentiels de la mécanique maçonnique […] Il doit cependant être bien clair que, dans le domaine de la croyance et de la spéculation métaphysique, la maçonnerie ne formule aucun interdit. Elle respecte ce qui est de l’ordre de l’intimité de la pensée, pour cela elle laisse à chacun de ses membres sa totale liberté de croyance, le droit et la possibilité, s’il en éprouve le besoin, d’assouvir à sa guise ses angoisses ou de chercher des réponses à ses questionnements existentiels à travers de spéculations mystiques ou philosophiques”.

La thérapie proposée, dans ce cas particulier, consiste à mettre de l’ordre dans le chaos qui est en l’homme (mettre en ordre, donner du sens et de la cohérence), ce qui par voie de conséquence, en préservant l’avancée de l’hominisation, influencera et peut-être changera durablement le destin de l’humanité. C’est ce que l’un des rites maçonniques (le Rite Écossais Ancien et Accepté) exprime dans sa devise « Ordo ab chao ». (l’ordre à partir du chaos).

Et l’auteur propose une équation : “Ainsi tout est dit, l’équation maçonnique est posée. Un constat : l’humanité est en chaos. Un diagnostic : ce chaos est la conséquence du déséquilibre de l’homme qui est en manque d’esprit. Un remède : guérissons l’homme en lui redonnant de l’esprit”.

Jean-François Pluviaud s’emploie, dans les chapitres suivants à définir cette équation et à l’expliquer. Puis il précise : “Dans cette coulée humaniste, le projet maçonnique se situe cependant de manière très particulière ; son originalité première est de magnifier et d’exalter le rôle de l’homme, non pas en tant qu’être pensant porteur par essence de droits et d’attributs attachés à son état, mais en le considérant seulement comme une potentialité, ce qui lui laisse la liberté et la responsabilité de devenir ou non un homme, au sens le plus noble du terme. Devenir l’outil de la transmission de ce en quoi nous croyons, un maillon solide et fiable de la chaîne. En un mot, dans la perspective maçonnique, c’est par l’exercice de devoirs et d’obligations librement acceptés et assumés que l’homme obtient des droits et acquiert sa dignité d’homme, d’homme vrai, l’homo moralis. Pour les maçons on ne naît pas homme, on le devient. C’est un humanisme de responsabilité.”

Sur la spiritualité : “Pour qualifier ce « je ne sais quoi » qui les différencie de l’animal, les hommes ont le plus souvent utilisé le mot esprit, la spiritualité pourrait donc être l’appropriation par l’homme de cette part de lui-même qui le constitue en tant qu’homme. L’investissement du territoire qu’il pense être en lui celui de l’esprit, celui qu’Elias Canetti appelle le territoire de l’homme.”

Ce qui fonde le franc-maçon est l’initiation. “L’initiation est chose grave, comme toutes les choses graves elle doit être abordée avec infiniment de simplicité, d’humilité et un peu d’intelligence, aussi.”

Et la pratique de la maçonnerie se fait avec un rite et la pratique d’un rituel. “Au Rite la pensée fondatrice, la référence métaphysique et historique, le credo en quelque sorte, au rituel la pratique, l’enseignement et la transmission”. L’auteur développe naturellement sur les notions de rites et de rituels.

Je vous laisse ensuite découvrir par vous-même toutes les explications que donne Jean-François Pluviaud. Toutes très riches, très argumentées et surtout vécues.

Car c’est bien de lui dont l’auteur parle. C’est par comparaison, en regardant où il en est et où nous en sommes, que nous pouvons réfléchir et comparer. Et nous enrichir de son expérience. Cela peut nous faire gagner un temps précieux !

La démarche, si elle se fait avec les autres, est toujours intime et personnelle. Toutes les considérations générales ramènent donc forcément, à soi.

Enfin, Jean-François Pluviaud conclut : “Bien sûr, le travail paraît sans fin. Des siècles et des siècles probablement. C’est un combat quotidien au cours duquel il ne faut jamais baisser la garde, malgré les défaites, les retours en arrière. Notre idée est en marche depuis des millénaires, peut-être était-elle déjà en germe dans la tête du premier homme qui s’est mis debout. […] Dans la maçonnerie ce qui est éternel et doit être absolument préservé, ces sont les idées, les principes, les valeurs, en un mot ce qui constitue, l’âme et le cœur de la maçonnerie. […] Que la Maçonnerie, dans sa forme actuelle, dans ses structures et ses organisations disparaisse, ce serait évidemment extrêmement dommage, mais il s’agit d’une société, humaine, donc mortelle, ce qui doit être immortel ce sont les idées. La Maçonnerie c’est la vie, un certain sens de la vie et les maçons, comme la vie, doivent être inventés et réinventés en permanence”.

Tant qu’il y aura des Jean-François Pluviaud, la Maçonnerie n’est pas prête de mourir. Le Discours de la méthode maçonnique est un livre à lire, à déguster et peut-être même tout simplement, à vivre.”

Lire l’article original sur le blog de Jean-Laurent TURBET

ISBN : 978-2-85829-675-0

Dans son livre, Pluviaud explique par ailleurs : “Le rite est l’épine dorsale du système mais, pour une bonne perception du phénomène maçonnique dans son ensemble, et dans le paysage français en particulier, il faut l’examiner dans la réalité de sa pratique, c’est-à-dire à travers les différentes sensibilités selon lesquelles il se manifeste.

Dans un chapitre précédent, j’ai expliqué l’existence de différents rites par la réponse que chacun apporte au comment de la différence humaine. Le faisant, j’ai distingué trois types de réponses, la réponse théiste (Dieu), la réponse déiste (un principe) et la réponse laïque (la raison) : ce sont ces trois réponses qui vont déterminer les trois grandes familles de rites…” :


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