SELS, Jack (1922-1970)

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Jack SELS (Anvers, 1922 – Anvers, 1970) est le type même du musicien autodidacte : quelques leçons de piano à l’âge de six ans et, pour le reste, un travail intensif en solitaire et sur le terrain ! Avant d’opter pour le ténor, il a apprivoisé l’ensemble de la famille des saxophones ; on ne s’étonnera donc pas qu’ayant intériorisé la sonorité et les particularités de chacun d’eux, il se révèle être un arrangeur particulièrement pertinent. Très tôt, il découvre le jazz et le jeu, moderne pour l’époque, de Lester Young qui influencera fortement la génération de Charlie Parker, Dizzie Gillespie, Miles Davis, etc.

Il commence à la fin de la guerre à se mêler au milieu du jazz anversois et fait ses débuts professionnels en 1945 au sein de l’orchestre de Mickey Bunner. C’est avec cet orchestre mais aussi avec différentes autres petites formations qu’il joue pour les Américains dans les hôtels et casinos de la côte belge. Il quitte ensuite la Belgique et séjourne quelques temps en Angleterre où il découvre le grand orchestre de Ted Heath. De retour au pays, il se met à fréquenter les jeunes loups du jazz belge de l’après-guerre, lequel compte trois noyaux géographiques principaux : Bruxelles, Liège et Anvers (Sels, Vanhaverbeke, Franckel…). Bientôt, ces trois centres s’interpénètrent et c’est de ces associations en tous sens que naît la grande “école” moderne du jazz belge.

Ainsi, Sels – qui a fait la connaissance de musiciens comme Christian Kellens, Bobby Jaspar, Jean Fanis, Sadi, etc. – effectue bientôt une tournée en France avec un orchestre composé notamment de René Thomas, Benoît Quersin, Jacques Pelzer et Jean Leclère. A la demande de Willy de Corte, président du Hot Club, il représente la Belgique lors de différents festivals, notamment aux Pays-Bas (La Haye, Amsterdam, etc.). Il rentre au pays pour participer au festival de Knokke en 1948, avec Toots Thielemans et Francis Coppieters. Et, peu après, l’occasion lui est donnée de réaliser son rêve : il monte un big band avec lequel il joue pour la Welfare. Big band malheureusement éphémère et rapidement dissous. Mais entretemps, comme les Liégeois des Bob-Shots, comme Toots, Jack Sels a reçu de plein fouet le choc du be-bop, sur disque d’abord puis en live lors du fameux concert du big band de Dizzy Gillespie à Bruxelles en 1948. Jack est séduit par cette nouvelle musique. Mais si le jazz de Parker (via Sonny Stitt) le bouleverse, son jeu à l’époque serait plutôt à rapprocher d’un des jeunes boppers disciples de Lester Young,  Wardell Gray.

C’est pourtant dans la sphère “bop” que commence ce qui restera sans doute la grande aventure de Jack Sels : en 1949, toujours fasciné par le concert donné par Gillespie l’année précédente, il tente de monter en Belgique un big band de tendance bop et afro-cubaine. Fameuse histoire en réalité que ce All Stars Bop Orchestra, sans doute le premier essai de ce genre en Europe, essai réussi. Dans les rangs de cet All Stars, on trouve deux Américains, alors fixés en Belgique et en France : le saxophoniste Jay Cameron et le trombone Nat Peck (qui seront omniprésents en France pendant la décennie suivante) ; à leurs côtés, les jeunes as du jazz belge : Bobby Jaspar, Nick Fissette, Herman Sandy, Christian Kellens, Roger Asselberghs, Francis Coppieters, Jean (Ray) Warland, John Ward auxquels se joignent de nombreux et talentueux musiciens de pupitre, deux percussionnistes, et le maître d’œuvre bien entendu, Jack Sels, saxophone ténor, arrangeur, leader.

Le concert que donne cet orchestre à Anvers (Galeries Artes) en automne 1949 est l’événement majeur du moment. Comme l’écrit avec un humour grinçant Roland Durselen : “Ce concert est un événement historique dans l’histoire du Jazz belge. S’il s’était passé dans tout autre pays que le nôtre, il serait devenu un évènement international…” (Act. Mus. n° 65). Dans la salle, tous les musiciens qui ne sont pas sur scène écoutent fascinés leurs compagnons recréer à leur manière la magie du big band de Dia, mais aussi les audaces de Kenton et bien d’autres choses encore. Sur scène, les musiciens se donnent à fond pour permettre à Jack de gagner son pari. Ils ont tous revêtu de bon gré l’étrange uniforme choisi par le chef : une salopette bleue (symbolisant le travail de pionnier) et une lavallière (pour marquer le caractère artistique revendiqué par cette manifestation). Aux micros de présentation, un Wallon et un Flamand, Carlos de Radzitzky et Louis Vaes (président du Jazz Club d’Anvers).

Le répertoire est composé pour l’essentiel d’arrangements de Gil Fuller (l’arrangeur du big band de Gillespie) et de compositions de Jack Sels qu’il a lui-même arrangées et orchestrées : des pièces comme Boplero, Hipstérie, Bongola seront applaudies autant, si pas davantage, que les œuvres américaines. Car le concert est un succès. Presque un triomphe si l’on en croit les commentateurs. Hélas, un succès dans la sphère du jazz ne représente aucune garantie pour l’avenir. Cet orchestre splendide, qui a réussi à mettre au point un répertoire hyper-complexe en six ou sept répétitions et à le faire “passer” à un public loin d’être acquis d’avance (L’Actualité Musicale publiera en complément au compte rendu officiel de Durselen un petit texte reprenant les impressions d’un profane – un profane conquis au-delà de toute espérance !), cet orchestre donc, ne trouvera guère d’autres occasions de prouver sa valeur et il sera officieusement dissous peu après le concert (ce qui ne l’a pas empêché d’être en tête du référendum du Hot-Club de Belgique pour la saison 1949-1950).

Mais Sels ne s’avoue pas vite vaincu ; ayant entendu la musique de Miles Davis et les premières esquisses de cette musique de “fusion”, qu’on appellera le Third Stream, il se lance dans un nouveau projet tout aussi grandiose mais d’orientation quelque peu différente. Jack Sels and his Chamber Music entend élargir l’instrumentation traditionnelle du jazz en adjoignant aux cuivres, vents et rythmes habituels, non seulement des cordes, mais encore des bois (hautbois, bassons, flûtes). Côté jazz, on retrouve dans cet orchestre quelques piliers du jazz belge d’alors : Herman Sandy, Christian Kellens, Roger Asselberghs, Alex Scorier, Francy Boland, Jean Fanis, Benoît Quersin.

L’orchestre se produira aux Beaux-Arts à Bruxelles en février 1951 (il existe des enregistrements jamais édités de ce concert) ; si les titres joués lors du concert de l’All Stars Bop s’accordaient au contexte musical, on ne s’étonnera pas de rencontrer des thèmes appelés Pasiphaé, Menuet for two, The lady in the Castle, etc. Pourtant, la détermination de Sels ne suffira pas à percer le mur d’indifférence dont va être entouré le jazz dans les années qui suivent ces deux prestigieuses réussites. De 1951 à 1954, Jack Sels s’exile et vit un certain temps en Allemagne où il est toujours possible de jouer pour les Américains. Mais les Américains ne demandent plus nécessairement du jazz aux musiciens et l’Allemagne n’est certes pas à cette époque un paradis jazzique. Jack y jouera aux côtés de ses amis Etienne Verschueren, Willy Albimoor, Roger Vanhaverbeke et Rudy Frankel jusqu’à son retour en Belgique en 1954.

Pendant la seconde moitié des années 50, il reprend part à la vie du jazz belge qui consiste alors essentiellement en jam-sessions peu lucratives mais jubilatoires ; les plus jubilatoires étant sans doute celles de la Rose Noire à Bruxelles, de l’Exi-Club à Anvers, etc. Jack enregistre quelques musiques de films, de nombreux boogie-woogie (l’ère du rock’n’roll a commencé) et participe à au moins deux grandes séances : la première en 1958 pour l’album Jazz in Little Belgium (en quartette avec Fanis, Warland et Frankel), la seconde (en 1959) aux côtés du saxophoniste américain Lucky Thompson, de Sadi, etc. et d’où sortira le superbe 45 tours Bongo Jazz. C’est en 1958 que Sels commence à animer pour la BRT (radio) l’émission hebdomadaire Levende Jazz avec le trio Vanhaverbeke/Fanis/Frankel ; ce quartette (au sein duquel Frankel sera bientôt remplacé par Al Jones) se produit régulièrement dans les clubs de jazz.

Mais la plus grande émotion qu’il soit donné à Jack de connaître en cette fin des années 50 se situe sans doute pendant cette fameuse nuit de 1959 que L. Van Rijmenam a résumé dans une formule emphatique : “The night of the Prez and the Vice-Prez“. Jack va, en effet, participer pendant cette nuit à l’enregistrement d’une émission télévisée, puis à une jam monstre aux côtés de son maître de toujours, Lester Young, le Président, trois semaines à peine avant la mort de ce dernier. Il reste que, quelle que soit l’importance de ces quelques moments intenses, ils ne suffisent pas à assurer la subsistance d’un musicien. Et Jack Sels, un des trois ou quatre saxophonistes qui auront marqué l’histoire du jazz belge, se retrouve docker au port d’Anvers ! En 1961, il enregistre quelques titres avec le jeune Philip Catherine et les Américains Oliver Jackson et Lou Bennett ; puis, à partir de 1963, il enregistre via la BRT avec des formations comme Saxorama, The Clouds (Freddy Snijder), le trio d’Al Jones, etc., en vue des émissions Jazz Panorama. Certains de ces enregistrements seront plus tard réédités sur le label Vogel de Mon de Vogelhaere sous le titre quelque peu surfait de Complete Jack Sels.

Par l’intermédiaire de Juul Anthonissen, Sels travaillera de temps à autre aux côtés de Nick Fissette, Jean Fanis, Roger Vanhaverbeke et Al Jones. Mais jamais il ne pourra vivre vraiment de sa musique. Et son nom, qui était sur toutes les lèvres des fous de jazz de sa grande époque, ne signifie plus grand chose pour le public. Quand l’heure du renouveau sonnera, il sera hélas bien trop tard pour Jack Sels, décédé, presque anonyme, le 21 mars 1970 des suites d’une crise cardiaque. Dans Le Point du Jazz n° 3 (août 1970), Babs Robert écrira un Requiem for Jack auquel Robert Pernet joindra une discographie du grand saxophoniste anversois. Sadi, quant à lui, dédiera à Sels le thème Hittin’ the road qui, dans une version enregistrée avec René Thomas et le batteur américain Wally Bishop, sera publiée en complément de l’édition posthume des enregistrements réalisés en 1961. Roger Vanhaverbeke organisera tous les ans un Memorial Jack Sels

Jean-Pol  SCHROEDER


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WOOLF, Robert (né en 1958)

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Robert Woolf est né en 1958, à Hermalle (Oupeye). Il effectue des études classiques à l’Académie César Franck (Visé) puis à l’Académie Grétry (Liège). Après avoir joué de l’harmonica dans des petits groupes de blues/rock, il se met à l’étude du saxophone jazz avec Michel Dickenscheid puis avec l’Américain Lou McConnell. Il fait ses débuts dans le jazz vers 1976 aux côtés de Bernadette Mottart, puis dans le groupe Four, un des premiers orchestres de jeunes musiciens à rejouer des standards et du bop, après la crise des années 65-75. Influencé  par Art Pepper, Konitz, Parker mais aussi Rollins et Coltrane, il se crée rapidement une place dans le milieu jazz liégeois. Il est engagé par Jean Linsman dans son sextet (1977- 1979), se produit dans différents clubs et festivals (Gouvy, Mortroux, Ostende) et travaille avec la plupart des musiciens locaux (Maljean, Zurstrassen, Renault, etc.). Après 1982, il disparaît de la scène mais revient, en 1985, à la tête de son propre quartette.

Jean-Pol SCHROEDER


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SPADIN, Henry (n.d.)

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Henry SPADIN est d’origine ardennaise et s’installe à Liège pendant la guerre 40-45. Il entre dans l’orchestre de Luc Troonen, monte ensuite son propre orchestre au sein duquel on retrouve notamment le futur Bob-Shot Jean Bourguignon et le batteur Mathieu Coura. Joueront aussi dans cet orchestre, après la guerre, des musiciens comme Raoul Faisant, Henri Solbach, Clément Bourseault ou Paul Franey.

Il se produit pour les Américains et dans divers établissements, à Liège même ou en banlieue, devient l’orchestre-maison du Jardin Perdu à Seraing qui connaît alors son apogée. Bohème et peu ordonné, Spadin ne pourra toutefois maintenir très longtemps cet orchestre (un des plus jazz de la région), qui sera repris en charge par le pianiste Paul Franey tandis que Spadin disparaîtra petit à petit de la scène.

Jean-Pol SCHROEDER


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ROBERT, Jean (1908-1981)

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Jean Robert est né à Bruxelles en 1908 et décédé à Hilversum (Pays-Bas), en 1981. Il aborde la musique par l’intermédiaire de leçons privées de piano, pendant la première guerre mondiale. A douze ans, il entre dans une fanfare et y joue du clairon puis de la trompette. Parallèlement, il poursuit ses études ; il rencontre en 1926 Peter Packay qui lui fait découvrir les premiers disques de jazz disponibles chez nous, et notamment ceux de l’orchestre de Ted Lewis : Jean Robert tombe aussitôt sous le charme de cette musique nouvelle et il décide de s’y essayer lui aussi.

En 1927, il commence à jouer – comme pianiste – dans différents petits orchestres belges à coloration plus ou moins jazzy et passe professionnel. Mais très vite, l’écoute des disques de jazz le rend sensible aux accents d’un autre instrument : le saxophone. C’est à l’alto qu’il fera ses débuts sur l’instrument qui le rendra célèbre pour un temps. Poly-instrumentiste notoire, il pratique aussi au cours de sa carrière la clarinette, la guitare et un instrument disparu aujourd’hui et qui n’eut jamais que quelques représentants valables dans la sphère jazz : le saxophone basse qu’il découvre au Kursaal d’Ostende lors d’une prestation du fameux saxophoniste américain Adrian Rollini, compagnon de Bix Beiderbecke.

C’est dans l’orchestre de Peter Packay, The Red Robbins, qu’il enregistre ses premiers disques en 1928, pour la firme anglaise Edison Bell : des disques 20 cm qui, en raison notamment de déficiences techniques, ne connaîtront guère de succès. Jean Robert franchira à nouveau les portes des studios Edison Bell l’année suivante, cette fois au sein de l’orchestre de Chas Remue, autre grand pionnier du jazz belge. Mais entre les deux séances, il a fait une autre rencontre décisive : celle de Gus Deloof, encore peu connu mais déjà en prise directe avec le “vrai” jazz américain, celui de Louis Armstrong par exemple. Il perçoit rapidement l’écart qui sépare cette musique des artefacts généralement appelés “jazz” en Europe. Et tandis qu’il passe l’été 1929 au casino de Blankenberge aux côtés de Chas Remue, il s’applique à pénétrer l’esprit particulier de ses nouveaux disques fétiches.

On le retrouve dès 1931 au centre de tout le mouvement swing qui agitera la Belgique musicale des années 30. Ainsi, il fait partie des Racketeers de Gus Deloof dont Félix Robert Faecq produit les premiers enregistrements en cette même année. Jean Robert y côtoie la crème des mutants de l’époque : le trombone Josse Breyre – qui fera une carrière internationale – le saxophoniste Arthur Saguet, le bassiste Arthur Peeters et le fameux drummer Josse Aerts (une des premières “rythmiques” belges). le pianiste John Ouwerx, sans oublier Deloof lui-même, excellent trompettiste. Ainsi, bien avant l’arrivée sur la scène belge de Raoul Faisant, Victor Ingeveld et Bobby Naret, il y a dans notre pays un sax-ténor “qui en veut”.

De 1930 à 1932, Robert travaille dans l’orchestre d’Albert Sykes (Ostende de 1930 à 1932), jouant également l’hiver 1931-1932 en Egypte en petite formation (avec notamment Ouwerx et Aerts). Dès cette époque, les quelques rares observateurs de la scène jazz saluent le talent de Jean Robert. Ainsi, en 1932, dans son fameux Aux Frontières du jazz, Robert Goffin raconte cette anecdote étonnante : ” (…) Je considérais depuis longtemps Featherstonaugh comme le meilleur ténor européen quand voici quelques jours, je fis entendre quelques disques de Spike Hugues au célèbre ténor de couleur Eugène Sédric. Et, lorsque je lui fis part de ma considération pour le ténor anglais, Sédric de se récrier et de proclamer qu’il était indubitable que Jean Robert lui était supérieur à tous les points de vue…”

La même année, Robert rencontre quelques musiciens américains de renom (John Mitchell, June Cole, Ted Fields, membres des fameux Entertainers de Willie Lewis) et se rend en studio à leurs côtés au sein des Radiolans de Deloof. Puis, de 1932 à 1934, il dirige son propre orchestre à Bruxelles (Atlanta, Plaza, etc.) et sur la côte belge. un orchestre au sein duquel on retrouve presque tous les futurs “grands” du swing à la belge : Robert de Kers, Jean Omer, Chas Dolne, John Ouwerx. Les affaires devenant subitement plus difficiles à partir de 1934, Jean s’expatrie pour quelque temps, travaillant essentiellement en Hollande dans les orchestres de Henk Bruyns (A’dam), Freddie Rierman et ses Crachers Jacks (A’dam, R’dam), etc.

Jean Omer et son orchestre © DR

De retour en Belgique, il entre dans l’orchestre de Robert de Kers le temps d’une tournée aux Pays-Bas. En 1937, il monte une petite formation qui jouera au Cotton à Bruxelles, mais aussi en Suisse avec sa femme Betty en renfort au chant. Les membres de cet orchestre sont le pianiste Rudy Bruder, le bassiste Gene Kempf et le batteur Christian Serluppens, de solides éléments en réalité, et à cette époque, quelques-uns des solistes les plus “jazz” de Belgique. L’importance de Jean Robert, outre son grand talent d’improvisateur (sphère Hawkins, Berry, etc.), vient aussi de son goût pour la petite formation : en fait, pendant les années 30, on pourrait facilement dénombrer les petites formations jazzy en Belgique. La mode est aux grands orchestres et les petits orchestres de boîtes de nuit n’ont souvent qu’un sens du jazz fort relatif ; au contraire, la petite formation de Jean Robert préfigure la vogue du combo swing qui, pour différentes raisons, caractérisera la période de l’occupation et marquera vraiment le début du jazz “de solistes”.

Toujours en petite formation, on retrouve Jean Robert à la fin des années 30 au sein d’un trio qui achève d’asseoir sa réputation : il est en effet choisi pour remplacer Coleman Hawkins, alors établi aux Pays-Bas ; à ses côtés, une autre grande légende noire fixée en Europe, le pianiste Freddy Johnson. Robert travaillera avec ce trio du début de l’hiver 1938 au mois de janvier 1939, à Amsterdam, au fameux Negro Palace. Il engagera Freddie Johnson dans son propre combo à différentes reprises. Nul doute que cet épisode aura contribué à renforcer et à mûrir son jeu déjà plus évolué que celui de la grande majorité des jazzmen belges. Désormais, il se situe dans le peloton de tête des musiciens de jazz européens, comme Goffin l’avait pressenti sept ans auparavant. Coleman Hawkins parlera de lui comme du “meilleur improvisateur de jazz d’Europe” !

Jusqu’à la déclaration de guerre, il continuera à jouer aux Pays-Bas surtout, principalement au Carlton d’Amsterdam avec l’orchestre du violoncelliste russe Jascha Trabsky ; épisodiquement, il revient jouer quelques temps en Belgique, y remplaçant pendant trois mois Jean Omer au Bœuf sur le Toit et y côtoyant à nouveau Hawkins : avec le saxophoniste Victor lngeveld, qui s’était entre-temps imposé sur la scène belge, cela formait un triumvirat de saxophone pour le moins explosif ! Fin 1939, Jean Robert se remet à la petite formation et joue au Broadway de Bruxelles avec Jopie Kahn, Gene Kempf et Jackie Glazer.

Lorsque la guerre éclate, et à la faveur d’un nouveau modus vivendi qui s’installe en Belgique, il rentre dans le circuit, jouant à nouveau sur les deux tableaux : grande et petite formation. Il fait partie du big band réorganisé par Jean Omer pour le Bœuf sur le Toit, big band avec lequel il effectuera également une tournée de presque un an, et enregistrera quelques faces. Il joue et enregistre également avec le septette de Rudy Bruder, avec Gus Deloof etc. Il reprend la formule trio, d’abord avec Bruder et Glazer au Louisiana, et gravant enfin quelques faces avec Bruder et Jeff de Boeck (1941) ou Josse Aerts (1942) : le Jean Robert Hot trio restera comme un des grands foyers caractéristiques de cette explosion du jazz en Belgique pendant l’Occupation. Bernhardt et de Vergnies, dans leur Apologie du jazz, décrivent ainsi Jean Robert : “Jean Robert ( … ) est à mentionner parmi les grands solistes mondiaux. Il surpasse nettement tous les autres sax-ténors européens (…). On le reconnaîtrait entre mille au volume prodigieux de sa sonorité et à la fougue incandescente de son jeu. Sauvage, ardent, impulsif, son tempérament se déploie dans le jazz hot avec cette flamme, cet abandon, cette bravoure souveraine qui caractérise tant de nègres (et si peu de blancs il faut bien le dire) et que confère seul le sens inné de ce mode d’expression”.

Mais la grande période du trio sera malheureusement interrompue quand Jean Robert, réquisitionné pour le travail obligatoire, partira pour Berlin où il travaillera dans différentes formations (Willy Stock, Kurt Widman) dont la plupart n’ont plus rien à voir avec le jazz. Sombre période. Pour lui comme pour la plupart des musiciens, les premiers temps de la Libération se passeront sous le signe du jazz retrouvé : ainsi, après avoir joué aux côtés d’Hawkins et d’Ingeveld, il s’associe bientôt à un autre géant du saxophone ténor, Raoul Faisant, qui vient juste de “monter” à Bruxelles où on comprendra rapidement que ce provincial-là était de la race des grands du jazz. C’est au Cosmopolite et au Panthéon que les deux “maîtres” uniront leurs efforts pour produire un swing rarement atteint à ce degré dans notre pays.

Victor Ingeveldt alias Vico Pagano et ses Chakachas © DR

Par ailleurs, il continue à travailler avec Jean Omer non seulement au Bœuf sur le Toit mais également à Cannes et plus tard (1948), à Monte-Carlo. Entretemps, il grave ses derniers disques (1947) à la tête d’une moyenne formation (trompette, tuba, 4 saxes et les rythmes, plus la chanteuse Yetti Lee). Bientôt, hélas, comme la plupart des jazzmen professionnels d’alors, il va devoir quitter le monde du jazz, devenu moins rentable que jamais, et passé de mode, pour poursuivre sa route dans l’univers tiède de la variété. Le jazz perd un de ses grands défenseurs européens : l’époque est proche où on retrouvera Victor lngeveld au sein des Chakachas. Raoul Faisant jouant pour les thés du Bon Marché, etc. Quant à la scène jazz, elle est désormais occupée par une autre génération, celle des Jaspar, Thielemans, Pelzer, Thomas, Sadi qui n’auront quant à eux d’autre alternative que de quitter la Belgique. Et le jazz passant la barrière du be-bop, l’écart se creusera d’autant entre Jean Robert et ses semblables et le monde des notes bleues.

La suite de son histoire c’est d’abord Cannes où il travaille comme saxophoniste et arrangeur pour l’émission Maurice Chevalier speaks to America (Jean Robert aura à cette époque l’occasion de jouer avec le bassiste français Louis Vola), puis à nouveau le Bœuf sur le Toit où il restera jusqu’au début des années 60, glissant quand il le pouvait quelques chorus de jazz entre deux mélodies dansantes. Par la suite, il se fixera définitivement aux Pays-Bas – où il avait connu tant de grandes heures jazzantes – y travaillant comme arrangeur pour différents orchestres tant pour la radio que pour la télévision (Piel Zonneveld, Jos Cleber, Charlie Nederfelt, Sander Sprong, etc.). Une rentrée dans l’anonymat typique d’une génération de musiciens européens qui auront ouvert toute grande la porte aux jeunes passionnés de l’ère suivante, leur faisant prendre conscience de l’enjeu artistique que constituait le jazz, un enjeu dont eux-mêmes n’auront hélas pu récolter les fruits.

Jean-Pol SCHROEDER


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KRIEKELS, Jacques (1918-1985)

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Jacques Kriekels est né à Liège en 1918 et décédé à Saint-Nicolas en 1985.  Il étudie le violon classique puis, en 1934, il découvre les orchestres jazzy sur les ondes de l’I.N.R. Il fait la rencontre de Victor Ingeveldt : séduit par son jeu, il passe au saxophone. Il entre en 1935 comme premier alto dans l’orchestre de Gene Dersin, à Liège ; dès cette époque, il joue indifféremment du saxophone ténor, de l’alto et de la clarinette. Il écoute assidûment tous les disques de jazz qu’il peut trouver et, en s’en inspirant, se lance dans l’improvisation.

En 1938, il remporte la coupe du meilleur ténor au Tournoi des Beaux-Arts, à Bruxelles, et entre dans l’orchestre de Lucien Hirsch, à Liège. Il sera l’un des premiers musiciens belges à s’intéresser au jeu de Lester Young (le soliste le plus “actuel” à ce moment-là) et à lui emprunter des idées. Au début de la guerre, il travaille un temps dans l’orchestre de Gaston Houssa, puis, allergique au show qui caractérise celui-ci, revient chez Gene Dersin. Kriekels se crée une réputation en tant que soliste de la formation de Dersin avec laquelle il enregistre nombre de 78 tours. Il grave aussi quelques acétates avec un petit orchestre. Entretemps, il initie le jeune Bobby Jaspar à la clarinette.

A la Libération, il devient professionnel et suit Dersin à Bruxelles pour un contrat à l’A.B.C. Il écrit de nombreux arrangements. De 1945 à la fin de la décennie, il joue et enregistre avec Léo Souris, Eddie de Latte, Joe Lenski, Robert de Kers, Fud Candrix, etc. Il est à ce moment-là considéré comme une des vedettes de l’alto et comme un des meilleurs solistes. En 1951, semi-retraite : il revient à Liège pour jouer dans les formations de Fernand Lovinfosse, Paul Franey, Jean St-Paul, etc. Mais, à nouveau déçu par la musique alimentaire pratiquée par ces formations à partir d’une certaine époque, il arrête complètement la musique.

Jacques Kriekels continue néanmoins à suivre l’évolution du jazz sur disque. En 1974, à l’âge de la prépension, il se rachète un saxophone et se remet à jouer ; quelques années plus tard, il remontera même un éphémère quartette et participera aux débuts du Jazz à Liège. Puis, pour des raisons de santé, il est obligé d’arrêter à nouveau, définitivement cette fois. Il est emporté par la maladie en 1985.

Jean-Pol SCHROEDER


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INGEVELDT, Victor alias Vico Pagano (1911-1997)

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Victor Ingeveldt est né à Liège en 1913. Saxophone ténor, clarinette, violon. Il fait des études de violon classique au Conservatoire de Liège. Au tout début des années 30, il commence à jouer dans des orchestres de brasserie, en banlieue, puis dans les bars du Pot d’Or à Liège. Il découvre le jazz et l’improvisation et se met au saxophone.

En 1933, il débute comme professionnel à l’Eden (Liège) dans l’orchestre Dalmans. Deux ans plus tard, il part pour Bruxelles et se produit dans les établissements les plus cotés (Saint-Sauveur, etc.). Entretemps, il assimile le style de Chuck Berry, puis celui de Lester Young. En 1939, il entre chez Jean Omer au Boeuf sur le Toit, où il accompagne Coleman Hawkins un peu avant son retour aux U.S.A. Dès cette époque, il est considéré comme un des meilleurs ténors belges.

Pendant la guerre, il travaille dans les principaux big bands bruxellois (Jean Omer, Fud Candrix, Robert De Kers, Eddy de Latte…) ainsi que, occasionnellement, en petite formation avec Vicky Thunus notamment, à Liège et à Bruxelles. Il grave un grand nombre de 78 tours. A la Libération, Victor lngeveldt joue dans l’orchestre Ernst Van’t Hof duquel se dégage bientôt la formation The lnternationals (avec Brinckuyzen, Moralès, De Boeck, etc.), formation qui, pendant quelques années, sera une des meilleures du pays et multipliera les concerts pour les Américains, les tournées et les enregistrements.

Par la suite, étant professionnel, il ne peut plus se consacrer au seul jazz et travaille dans la variété. Pendant les années 50 et 60, il fait partie des “Chakachas“, orchestre de variétés très connu, avec lesquels il fait le tour du monde. Il renoue avec le jazz en 1973 en entrant dans le Big Band de la BRT. A la fin des années 70, il part vivre en Italie où il s’intègre rapidement au milieu jazz local, jouant même, à presque 70 ans avec de jeunes musiciens de jazz-rock. Il revient de temps à autre en Belgique pour un gala avec le BRT Big Band. Il s’est remis à jouer prioritairement du violon.

Jean-Pol SCHROEDER


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ALLEMAN, Fabrice (né en 1967)

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Né à Mons en 1967, Fabrice Alleman se produit déjà à l’âge de 13 ans dans l’Harmonie de Ghlin où il joue de la clarinette. Il enregistre son 1er disque, un 45 tours El’ Berdelleu en 1984 avec un groupe de Dixieland. Très tôt influencé par le jazz, grâce au tromboniste Jean-Pol Danhier, il obtient son 1er Prix de clarinette et son 1er Prix de musique de chambre à l’âge de 18 ans. Service militaire en tant que musicien, il s’intègre aux Big Bands, musique de chambre ou groupe de blues. Laissant un temps la clarinette pour le saxophone, il démarre sur la scène belge du jazz grâce aux stages des Lundis d’Hortense puis s’inscrit au Conservatoire royal de Bruxelles en jazz et obtient son 1er Prix de saxophone en 1992.

Il enseigne la clarinette et le saxophone dans diverses Académies tout en menant multiples projets: Alleman-Loveri, avec le guitariste Paolo Loveri pour l’album Duo; Fabrice Alleman Quartet où il est entouré de Michel Herr, Jean-Louis Rassinfosse et Frédéric Jacquemin pour l’album Loop the Loop enregistré en studio et en live au Festival International de jazz à Liège est récompensé en ’98 par le prix “Nicolas d’Or” et élu “meilleur album jazz de l’année”. En 1998, Fabrice est consacré “meilleur saxophoniste soprano et ténor” au référendum des radios belges et la SABAM lui décerne le prix de la “Promotion Artistique Belge”.

Faisant preuve d’un éclectisme rare il multiplie les rencontres et les styles et joue notamment du blues dans le Calvin Owens Orchestra de 1992 à 1998, du rock, de la musique ethnique, du jazz moderne avec Stéphane Galland, Fabian Fiorini, Michel Hatzigeorgiou mais aussi de la variété avec Salvatore Adamo (album Adamo Live, 1996) ou encore avec le groupe de William Sheller et ses tournées en France et en Suisse.

De 1993 à 1998, il est membre du groupe Sax no End en tournée des festivals et concerts en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique et qui lui fera rencontrer le contrebassiste Jean Warland qu’il ne quittera plus : de 1999 à 2004 avec le groupe The “A” Train sextet puis avec le Jean Warland-Fabrice Alleman Duo qui se produira en Allemagne et en Belgique jusqu’à aujourd’hui. Une autre rencontre mémorable a lieu avant cela, en 1997 lorsqu’il accompagne le Quintet de Terence Blanchard et l’OPL de Luxembourg. Tournées du Alleman-Loveri Duo au Nicaragua, Suède, Italie en 1997, jusqu’en 2001, année du 2ème album du duo On the funny side of the strings auquel se marie subtilement un quatuor à cordes.

En 1999, carte blanche pour le Festival Cap Sud à Mons, et crée la première version du One Shot Band avec le violoniste Jean-Pierre Catoul, dont l’esprit novateur et la fraîcheur rebondiront lors d’une magnifique série de concerts de 1999 à 2001. En 1999, participation au Jaco Pastorius Project de Michel Hatzigergiou au Festival du Middelheim d’Anvers, et au Gaume jazz festival avec Toots Thielemans, Otello Molina… Suivront de nombreuses tournées en Belgique et à l’étranger. En 2004 le Fabrice Alleman Quartet sort son second album Sides of Life auquel se joignent le trompettiste Bert Joris et le guitariste Peter Hertmans ainsi qu’un quatuor à cordes. L’album est alors classé “Top CD” dans le magazine Jazzmosaiek.

En 2006 le Fabrice Alleman Quartet représente avec le groupe de Philip Catherine, la délégation belge au festival Warsaw Jazz Summers Days en Pologne et, cette même année, le trompettiste Randy Brecker se joindra au Quartet lors du festival international de jazz à Liège, pour donner un concert inoubliable sous les caméras de la RTBF. En 2004, il fera 8 concerts du Sanseverino Jazz Project à la maroquinerie de Paris, dont l’heureuse expérience poussera sans doute 2 ans plus tard Stéphane Sanseverino à rappeler Fabrice Alleman pour qu’il dirige et arrange, pour la scène, la section cuivres de son Sanseverino Big Band, gravé sur l’album Exactement en 2006. Parmi les diverses activités musicales de Fabrice Alleman, on notera également les nombreux enregistrements de musiques de film composées notamment par Michel Herr ou enregistrées avec le WRD Big Band à Cologne comme au festival de Leverkusen avec Nina Freelon, Hiram Bullock, Kenwood Dennard.

d’après CONSERVATOIRE.BE


© igloorecords.be

Le musicien a débuté sa carrière en 1990. A la suite de quelques workshops décisifs, notamment avec le saxophoniste américain Tim Ries, il intègre la section jazz du Conservatoire de Bruxelles (Steve Houben, Jean-Louis Rassinfosse, Richard Roussselet) et en 1992, il reçoit un premier prix en saxophone. La même année, il rejoint la Manhattan Shool of Music à New York, où il travaille avec Phil Woods, Toshiko Akiyoshi, Steve Salgle… Il joue dans différents groupes et styles (jazz, rock, funk, variétés…) et entre autres avec Adamo, William Sheller, Calvin Owens Blues Orchestra… Cependant ses préférences le portent vers le jazz, et il se produit avec les plus éminents jazzmen belges, Michel Herr, Steve Houben, Richard Rousselet, Bruno Castellucci, Jean Warland… Il enregistre son premier album en duo avec le guitariste Paolo Loveri en 1996 et vient de sortir Spirit One : Clarity.

Ce nouvel album est le premier volet d’un triptyque discographique intitulé Spirit, 3 albums indissociables dont deux restent à paraître. Ce premier album est librement inspiré du monde sonore de Chet Baker,  une grande inspiration pour le saxophoniste Fabrice Alleman. Spirit One : Clarity, rassemble neuf compositions, des mélodies d’une sensibilité et d’une profondeur rares. Une musique simple, évidente, immédiate, comme celle de Chet.

Parmi les acolytes du saxophoniste, il y a le solide Jean-Louis Rassinfosse à la contrebasse et l’incroyable guitariste Philip Catherine, eux-mêmes grands complices de Chet Baker ! Le lumineux Nicola Andrioli les rejoint au piano et enfin, pour compléter l’équipe de haut vol, Mimi Verderame et Armando Luongo se partagent la batterie. Cerise sur le gâteau, le Budapest Scoring Orchestra s’invite sur deux morceaux.

d’après RTBF.BE


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CALIGARI, Serge (1909 – 1994)

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Serge Caligari étudie le violon dès son enfance. A douze ans, il se produit déjà en concert et est considéré comme un violoniste de grand talent. Il est remarqué par Stan Brenders qui l’engage dans l’orchestre qu’il dirige au Bois de la Cambre (Bruxelles).

Il se met au saxophone alto et à la clarinette, développe une sonorité veloutée qui va séduire, au début des années 30, Jean Bauer, qui vient de reprendre en mains l’orchestre d’Oscar Thisse et en a fait le Rector’s Club. Caligari remplace Thisse au sein de l’orchestre. Pendant une dizaine d’années, sa trajectoire se confond dès lors avec celle du Rector’s : engagements d’été à la Côte (Blankenberge, Knokke), saisons en Suisse, en Hollande, hiver à l’Eden (Liège), etc.

Il s’initie à l’improvisation aux côtés de Brinckhuyzen notamment et fait profiter l’orchestre de sa culture classique et d’une technique instrumentale sans failles. Pendant la guerre, il reste fidèle au Rector’s. Parallèlement, il joue avec l’accordéoniste Hubert Simplisse et participe à l’enregistrement des disques gravés par celui-ci avec Raoul Faisant et René Thomas. A l’arrivée du jazz moderne, à la fin des années 40, Serge Caligari perd progressivement le contact avec le jazz, comme la majeure partie des musiciens professionnels.

Jean-Pol SCHROEDER


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BAUER, Jean (1897 – ?)

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Chaque vie mériterait son roman… Simplement certains romans seraient peut-être moins directement passionnants que d’autres, moins fertiles en événements colorés. Il est par contre des hommes et des femmes qui, à des degrés d’anonymat divers, ont fait de leur vie un véritable roman picaresque, la prédisposant en quelque sorte à servir de modèle à un romancier. Jean Bauer… Vous ne trouverez son nom ni dans le Larousse ni dans les Dictionnaires du Jazz [pourtant si, la preuve plus bas]. Son nom, tranquillement, s’en allait se perdre…
Pas d’enfants , plus de famille…
Poly-instrumentiste doué, il n’a rien fait, il faut bien le dire, qui ait révolutionné le jazz ni qui ait constitué un “must” dans sa catégorie… Il vous dirait lui-même qu’il était trop occupé à vivre que pour perdre son temps à faire des gammes ! Et pour vivre, ça il a vécu ! Grand voyageur, grand séducteur, grand joueur devant l’Éternel, il n’y aura pas besoin d’ajouter beaucoup d’anecdotes piquantes à sa vie pour en faire un roman chatoyant… qui viendra en son temps. En attendant, Jazz in Time vous propose de découvrir, photos à l’appui, un “parcours” musical qui, couvrant à peu près tout le XXe siècle, est lui aussi exemplaire à plus d’un titre. A travers rencontres, déceptions, enthousiasmes, un parcours qui mène en fin de compte de “presque la gloire” à “presque la misère…”

Jean-Pol Schroeder dans Jazz in Time

Jean BAUER est né à Metz en 1897. Originaire d’Alsace-Lorraine, il s’intéresse dès l’enfance aux orchestres de brasserie qui se produisent dans les grands cafés de Metz. Pendant la Première Guerre mondiale, il étudie le violon en autodidacte, alors qu’enrôlé dans l’armée allemande, il est immobilisé sur le front russe.

Après la guerre, il travaille dans l’hôtellerie, à Metz, à Paris – où il découvre le jazz – puis de nouveau à Metz où il commence à animer des bals en petite formation. En 1925, Bauer décide de devenir professionnel et part pour Paris. Il lui arrivera de se produire à la radio avec le violoniste classique belge Henri Koch. Il joue non seulement du violon mais aussi, selon les besoins, du banjo, de la batterie, de la trompette, du trombone et finalement du saxophone qui devient son instrument de prédilection.

Avec quelques musiciens français et belges (notamment Léon Jacob), il forme un petit orchestre, le Virginian Six qui effectuera deux séjours prolongés en Roumanie où il donne un concert privé pour le roi Ferdinand (c’est la première apparition du jazz en Roumanie). Il travaille ensuite à Istanbul au casino Yildish. A la dissolution du Virginian Six, Bauer travaille comme free-lance dans différentes grandes villes européennes : Amsterdam, Bruxelles et surtout Berlin où il séjourne à deux reprises, accompagnant le show de Marlene Dietrich et enregistrant des musiques de film pour la U.F.A.

En 1929, il quitte Berlin en compagnie du saxophoniste belge Oscar Thisse et se produit dans l’orchestre de ce dernier à la Feria de Liège à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1930. Oscar Thisse parti, il reprend l’orchestre en mains et lui donne le nom de Rector’s Club. Pendant dix ans, cette formation – dans laquelle on trouve notamment le trombone Albert Brinckhuyzen – connaît un grand succès tant en Belgique qu’en Suisse ou aux Pays-Bas en proposant un répertoire mixte : jazz et variété, et en accompagnant de très nombreuses vedettes (Maurice Chevalier, etc.).

Au début de la guerre 1940-1945, Jean Bauer reprend, à Liège, la direction d’un établissement, le Grand Jeu, où continue à se produire le Rector’s devant une faune étrange où se côtoient les milieux les plus divers (des membres de la Résistance aux agents de la Gestapo !), et où il engage la chanteuse Loulou Lamberty qui avait fait, avant-guerre, les beaux soirs de l’orchestre de Lucien Hirsch. A la Libération, il renonce à assurer à la fois la gestion de l’établissement et la programmation musicale et, en 1947, il quitte provisoirement le métier et part pour le sud de la France.

De retour en Belgique quelque temps plus tard, il reforme un orchestre (le New Rector’s) qui, avec un personnel extrêmement fluctuant (y joueront notamment Raoul Faisant et Eddie Busnello), animera galas et bals divers un peu partout dans le pays pour se fixer finalement au Casino de Chaudfontaine. La crise du jazz (ramené alors à peu de chose dans le répertoire de l’orchestre) et la disparition progressive des orchestres “à l’ancienne”, l’obligent à décrocher pendant la seconde moitié des années 60. Il a continué cependant à enseigner la musique pendant une quinzaine d’années encore.

Jean-Pol SCHROEDER


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BUSNELLO, Eddie (1929-1985)

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Eddie BUSNELLO est né à Seraing en 1929 et décédé à Nervesa della Battaglia (IT) en 1985. Il étudie divers instruments (accordéon, piano, guitare…) avant d’opter pour le saxophone alto. Il commence alors une carrière professionnelle à la fin des années 40, dans les bars du Pot d’Or, le quartier chaud de Liège. Il découvre le be-bop et, parallèlement à son travail de professionnel, se met à fréquenter les jams aux côtés des jeunes musiciens de l’école moderne (Pelzer, etc.).

Remarqué par Kurt Edelhagen, il est engagé en 1957 comme saxophone baryton dans son orchestre, où il rejoint quelques-uns des meilleurs solistes européens (le yougoslave Dusko Goykovich, l’anglais Derek Humble, le français Jean-Louis Chautemps, le belge Christian Kellens…). Mais, de tempérament bohème et peu discipliné, il est bientôt renvoyé de cette formation. Dès cette époque, il sera un “musicien pour musiciens”, méconnu du public et de la critique mais considéré par ses pairs comme un des meilleurs altistes européens.

Il fréquente assidûment les jams du Jazz Inn (Liège), de la Rose Noire (Bruxelles), de l’Exiclub (Anvers), etc. En 1960, il se produit au Festival d’Ostende et enregistre à Cologne au sein d’un All Stars belgo-américain (Don Byas, Christian Kellens, Busnello, Franey Boland, Jean Warland, Sadi et Kenny Clarke). Il apparaît à plusieurs reprises au Festival de Comblain, notamment en compagnie de Robert Grahame, un de ses partenaires privilégiés d’alors. Il joue avec Bud Powell à Paris, avec Elvin Jones en Allemagne, avec Lee Konitz en Belgique ainsi qu’avec la plupart des grands musiciens européens (Mangelsdorff, Urtreger, etc.). Avec Dusko Goykovich, Mal Waldron et Nathan Davis entre autres, il enregistre en 1966 l’album Swinging Macedonia. Au début des années 70, il part pour l’Italie, où il travaille au sein de de différentes formations (notamment le groupe Area). Souffrant, il réduit ses activités. Il projette de revenir en Belgique mais, au terme d’une longue maladie, il meurt en 1985, dans l’anonymat.

Jean-Pol SCHROEDER


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HIRSCH, Lucien (1911-?)

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Lucien HIRSCH est né à Liège en 1911. Dès sa petite enfance, il se produit en attraction avec des groupes amateurs dans des fancy-fairs et des bals. Après avoir joué quelque temps dans le Melody Dance Band, il rencontre le saxophoniste Marcel Belis qui l’engage dans son orchestre (Belis Melody band). En 1929, avec une vocation de leader plutôt que d’instrumentiste, il monte dès 1930 son propre orchestre, qui va animer sous le nom de Luc Hirsch and his Revelers Orchestra tous les grands bals de l’Exposition Universelle de Liège en 1930, ce qui assied sa réputation et fait de son orchestre la grande formation la mieux cotée de la région ; il se fait connaître également à Bruxelles et un peu partout en Belgique.

Il enregistre un premier disque en 1931 pour Columbia. En 1932, l’orchestre remporte à Bruxelles le Tournoi du Jazz Club de Belgique (devant le fameux Bistrouille A.D.O.). En 1934, il est classé deuxième au Concours In- ternational de Scheveningen et s’installe bientôt au Casino de Chaudfontaine d’où ses prestations sont diffusées en direct à la radio tous les dimanches. Il se produit à différentes reprises en première partie de l’orchestre Ray Ventura qui devient son modèle. Dès lors, Hirsch s’oriente de plus en plus vers les variétés. Il engage au fil du temps des musiciens comme Jacques Kriekels, Jean Evrard, Roger Vrancken, Henri Solbach ainsi que Jack Demany et Fud Candrix pendant leur service militaire. À la mobilisation de 1939, il anime, comme Fud Candrix et Oscar Thisse, les soirées de la Fondation de l’œuvre de la Reine Elisabeth (pour le loisir des soldats). D’origine juive, Lucien Hirsch cesse toute activité dès le début de l’Occupation (son orchestre sera repris par Gaston Houssa puis par Pol Baud). À la fin de la guerre, il décide de ne pas reprendre la direction d’orchestre et de se consacrer au commerce familial.

Jean-Pol  SCHROEDER


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SOLBACH, Henri (1917-2007)

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Henri SOLBACH [parfois orthographié Henry] débute à Liège vers 1935 dans des orchestres de danse à coloration jazzy plus ou moins marquée : Jean Wery et ses Ric-Racs, Lucien Hirsch, Gene Dersin, Oscar Thisse. Il retrouvera Oscar Thisse après la guerre puis commencera à travailler en collaboration avec Jean Evrard et Coco Gonda.

Il joue à cette époque du ténor, de la clarinette, du violon, etc. Il ne se spécialisera dans le baryton que plus tard. Pendant les années 50, il travaille avec le pianiste Maurice Simon et surtout dans l’Equipe (Evrard, Gonda) et avec Roland Thyssen (l’orchestre de variété Henri Roland n’est en fait que l’association d’Henri Solbach et Roland Thyssen !). Parallèlement au travail en cabaret, il participe à de nombreuses tournées avec les orchestres de Jean Omer, Robert de Kers, et surtout Eddie de Latte avec lequel il parcourt toute l’Europe. A Barcelone, Solbach travaille avec Xavier Cougat qui lui enseigne la technique des tumbas.

Etant musicien professionnel, à cette époque, il a surtout joué de la variété jazzy, et occasionnellement du middle-jazz. Dans les années soixante, retrouvailles avec le jazz : il entre dans le Jump College. Il mène de front une activité d’artiste-peintre, réalisant des toiles à tendance surréaliste pour lesquelles il obtient plusieurs distinctions. En 1980, il fait partie de deux grandes formations de jazz moderne : Saxo 1000 et Act Big Band. Par la suite, il revient à un répertoire plus traditionnel en se produisant au sein du Jazz de Liège et du Jazz de Wégimont pour lesquels il réalise de nombreux arrangements.

Jean-Pol SCHROEDER


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Mc CONNELL, Lou (1947-1980)

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Lou Mc CONNELL  est né à Liège en 1947 et y est décédé en 1980. Ce saxophoniste américain a effectué une bonne partie de sa carrière en Belgique, où il est né en 1947, d’un père américain et d’une mère belge. A l’âge de quatre ans, il suit sa famille aux Etats-Unis. Il y étudie la batterie, la guitare puis, enfin, le saxophone. Il fréquente deux des plus prestigieuses écoles de musique américaines : Berklee et la Manhattan School of Music, puis devient musicien professionnel. A Los Angeles, il joue au sein du Fifth Room Quartet et du groupe Chakra et travaille avec le pianiste Hampton Hawes ainsi qu’avec Frank Rosolino et Walter Bichop Junior.

En 1976, Mc Connell décide de rentrer en Europe et retrouve à Liège les musiciens américains qui y sont alors installés : Ron Wilson (piano), John Thomas (guitare), et surtout le grand drummer Art Taylor. Il s’intègre également aux musiciens locaux, et, l’habitude aidant, perd de son prestige de musicien américain pour rencontrer les problèmes communs à tous les jazzmen de cette sombre époque noire d’avant la relève. Il monte le groupe High Energy avec lequel il enregistre en 1979 un très bel album (avec Michel Herr et deux membres du Mauve Traffic de Steve Houben : Kermit Driscoll (basse) et Vinnie Johnson (drums)). Il exerce une influence considérable sur les jeunes musiciens de l’époque (Vaiana, Cirri, etc.).

Au départ Coltranien convaincu, Mc Connell se met bientôt à réétudier la musique de Charlie Parker dans laquelle il trouve une inspiration nouvelle. Il rencontre Chet Baker et est séduit par la profonde simplicité de sa musique. En 1980, il repart pour quelques mois aux États-Unis. De retour à Liège, il participe aux jams de l’Auberge de l’Ourthe, dans le petit village de Tilff. Miné par le peu de reconnaissance que lui vaut sa musique, épuisé physiquement, Mc Connell s’éteint – dans la misère ou presque – en 1980 à moins de trente-cinq ans. La presse locale titre : “Il n’a pas eu le temps de prendre la succession de Bobby Jaspar“.

Jean-Pol SCHROEDER


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NARET, Robert dit Bobby (1914-1991)

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NARET, Robert dit Bobby est né en 1914 à Loncin (Ans) et décédé en 1991 à Bruxelles. Il s’intéresse à la musique dès l’âge de dix ans, à l’écoute de la fanfare de son village et étudie le solfège avec le leader de cette formation. En 1925, il s’essaie à la clarinette à l’aide d ‘une méthode imprimée, puis se met au saxophone. Il commence à jouer au début des années 30. Il reçoit son premier engagement dans l’orchestre du saxophoniste Jo Magis, à la Laiterie de Bruxelles ; il entre ensuite dans l’orchestre de Lucien Hirsch, à Liège, et en devient le principal soliste.

En 1934, il quitte Hirsch pour rejoindre la formation de Fud Candrix à Bruxelles. Il se produit à l’Exposition de 1935, et dans nombre de dancings à Bruxelles et en province mais aussi à La Haye (aux côtés de Coleman Hawkins) et en Egypte. Il restera dans l’orchestre de Candrix jusqu’en 1943 (nombreux enregistrements) ; entretemps, il joue et enregistre également avec différents orchestres de pionniers : le Swingtette de Chas Dolne (1940- 1942), Gus Deloof (1941), Jeff de Boeck et son Metro Band (1941-1942) ainsi qu’avec Django Reinhardt et Hubert Rostaing en 1942.

La même année, il monte son propre orchestre où se retrouvent Janot Moralès, Albert Brinckhuyzen, Jo Magis et la chanteuse Martha Love ; il réalise de nombreux enregistrements de 1942 à 1944. Il travaille encore avec Aimé Barelli à Paris en 1943, ainsi qu’avec Robert de Kers, Eddy Christiani, Gus Clark et Ernst Van’t Hof. En 1945 et 1947, il tourne avec son orchestre pour les G.I.’s. Il est considéré à cette époque comme un des meilleurs, sinon le meilleur, saxophoniste alto belge avec Jean Omer ; il est classé n° 1 au référendum du Hot Club de Belgique en 1946, et n° l ex-aequo avec Van Bemst pour la clarinette.

Par la suite, il continue de se produire dans différents orchestres de moins en moins jazz. En 1953, il réalise quelques enregistrements avec son combo ; en 1956, il part en tournée au Congo (RDC) avec Rudy Bruder. En 1962, Bobby Naret joue à Comblain dans l’orchestre des vétérans puis disparaît de la scène du jazz.

Jean-Pol SCHROEDER


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WOODS : Sonate pour saxophone alto et piano

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TELERAMA.FR (30 septembre 2015) – Le saxophoniste Phil Woods a rendu son dernier souffle. Brillant soliste et digne héritier de son idole Charlie Parker, le jazzman à l’élégante pureté de style est décédé hier, à 83 ans. A bout de souffle. Retour sur une carrière exemplaire, à tous les points de vue : artistique, professionnel et humain.

Après la mort de Charlie Parker qui fut son idole, Phil WOODS avait épousé la compagne de celui-ci et elle lui avait fait cadeau du saxophone alto de Bird, mais il ne s’en servit jamais, par délicatesse. Il était tout bonnement un maître de l’instrument, ayant commencé par admirer Benny Carter, puis Johnny Hodges, enfin Parker dont il assimila le vocabulaire sans jamais copier son style. Il se définissait lui-même comme un styliste, pas un novateur. Il prolongea l’esthétique bop en grande formation, avec Thelonious Monk, Oliver Nelson, Michel Legrand, Quincy Jones, Clark Terry, Dizzy Gillespie, et aussi en quartet et en quintet.

Comme il était parfait lecteur autant que brillant soliste, il conduisait une section de saxophones avec maestria et participa à d’innombrables sessions d’enregistrement. Ainsi, c’est sa sonorité si cristalline, si émouvante, que l’on entend dans la B.O. du chef-d’œuvre de Robert Rossen L’Arnaqueur (1961), une musique signée de Kenyon Hopkins ; c’est lui aussi qui prend le solo dans la chanson Have a good time de Paul Simon sur l’album de celui-ci Still crazy after all these years, en 1975, et sur Doctor Wu de Steely Dan (extrait de Katy Lied).

En quartet, une joie de jouer communicative

En 1960, après le désastre parisien de la comédie musicale Free and easy, dont Quincy Jones était le directeur musical, il fut chargé par celui-ci de diriger les saxophones dans le big band formé avec ses musiciens naufragés dans la capitale et qui, en petites formations improvisées, faisaient les beaux soirs du Chat-qui-pêche, rue de la Huchette. Ce fut le début de la carrière de Quincy Jones, lequel fut toujours reconnaissant à Phil Woods de sa fidélité et de son impeccable professionnalisme, dont l’album Birth of Band reste un superbe témoignage (avec par exemple The Gipsy).

Le saxophoniste épris de mélodie fit un temps de l’Europe sa base, créant une formation qui remporta un magnifique succès, l’European Rhythm Machine, avec George Gruntz puis Gordon Beck au piano, Henri Texier à la contrebasse et Daniel Humair à la batterie. Un swing intense, une inventivité jaillissante, une joie de jouer communicative caractérisaient ce quartet ébouriffant. Saxophone soliste plus rythmique plus solides arrangements étaient une configuration idéale pour Phil Woods.

Un concert mémorable au Théâtre de la Ville

Après l’expérience européenne, il la renouvela avec les Américains Steve Gilmore (contrebasse), Bill Goodwin (batterie), Bill Charlap ou Bill Mays (piano), l’élargissant parfois au quintet avec Brian Lynch à la trompette. Il aimait le son acoustique au point de se produire dans de grandes salles sans aucune amplification ; ainsi reste dans les mémoires un concert au Théâtre de la Ville à Paris qui sonna comme un manifeste du be-bop joué avec goût.

Dans ses dernières années, Phil Woods, soufflant impénitent, souffrit d’emphysème. On le vit au Duc des Lombards, le club parisien dont il assura en 2008 l’ouverture de la nouvelle formule, peinant parfois à reprendre souffle. Sa derrière apparition publique aura été, il y a un mois, une recréation des morceaux de Charlie Parker with strings avec des membres de l’orchestre symphonique de Pittsburgh et un appareil à oxygène. Cet éternel jeune homme avait 83 ans…

Michel CONTAT

  • L’article original de Michel Contat (avec pubs) est disponible sur TELERAMA.FR avec d’autres extraits musicaux de Phil Woods.
  • Le site officiel de Phil WOODS est ici…
  • Toots Thielemans a eu l’occasion de jouer avec Phil Woods et Quincy Jones.
Phil Woods a également composé une pièce délicieusement hybride intitulée Sonate pour saxophone alto et piano :


Ecouter encore…

 

DICKENSCHEID, Michel (né en 1945)

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Michel DICKENSCHEID est né à Ougrée (Seraing), en 1945.  Né dans une famille éprise de musique classique, il se familiarise pourtant avec le jazz dès sa petite enfance, après avoir entendu par hasard Duke Ellington à la radio. Après quelques essais à la flûte et à la batterie, il découvre les “saxophonistes hurleurs” qui jouent derrière Louis Prima et, sous leur influence, adopte le saxophone-ténor ; il fait la connaissance de Raoul Faisant, qui devient son professeur en même temps que son “idole”. Tournant le dos à la musique yé-yé qui sévit alors, il devient un jazzman affirmé.

Au début des années 70, il monte une petite formation jouant essentiellement de la musique latine et qui tourne principalement en Hollande. Suspicieux à l’égard du be-bop et de ses avatars, Dickenscheid fréquente assez peu les jam-sessions liégeoises. Il participe pourtant avec Steve Houben et Guy Cabay aux répétitions qui donneront naissance au groupe Open Sky Unit (Pelzer) et il travaille quelques temps avec Charles Loos et Jean-Louis Rassinfosse.

Entretemps, il s’intéresse au délicat problème de la prise de son dans le processus musical. Décidé à mettre en pratique ses théories sur ce sujet, il ouvre un studio qui sera l’un des premiers à enregistrer à nouveau des jazzmen belges (Michel Herr, Saxo 1000, Mauve Traffic, etc.) ou résidant en Belgique (Lou Mc Connell, par exemple). Il joue à ce titre un rôle important dans la relance qui caractérise le jazz à cette époque.

Absorbé par ce travail, Dickenscheid délaisse quelque peu son instrument. Au début des années 80, il décide de remonter une petite formation tout à fait insolite pour l’époque, strictement acoustique (ténor, deux guitares, une contrebasse). Il s’y révélera comme le seul héritier de Raoul Faisant sur son terrain de prédilection : le jazz swing (Django Reinhardt, Coleman Hawkins, etc.). Pendant quelques années, il travaillera avec cet ensemble de manière régulière – ses lieux de concerts privilégiés étant le bistrot, la place publique ou la rue plutôt que la salle ou le club.

En 1988, Dickenscheid ralentit ses activités avant de dissoudre cet orchestre unique en son genre (et très populaire dans la région liégeoise). Il demeure néanmoins au cœur du monde musical à deux titres au moins. Tout d’abord, soucieux depuis des années de mettre au point une méthode d’apprentissage de la musique mieux adaptée au phénomène d’improvisation, il s’intègre au travail de la Cool Music School montée par les Jeunesses Musicales. Ensuite, toujours passionné par les problèmes acoustiques, il invente un système d’enregistrement des instruments à vent, qui, s’il laisse indifférents ses compatriotes, a tôt fait d’intéresser les grosses firmes d’instruments de musique ainsi que de nombreux musiciens, qu’ils viennent du jazz ou de la musique classique (Michel Portal, Alexandre Ouzounoff, etc.).

Jean-Paul  Schroeder


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : cadencesmusic.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


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JEANNE, Robert (né en 1932)

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Robert Jeanne © Jean Schoubs

Robert Jeanne est né à Liège, en 1932. Musicien autodidacte, il découvre Charlie Parker à la fin des années 40 et se passionne pour le jazz, fréquente la Laiterie d’Embourg et, après y avoir assisté à quelques jams mémorables réunissant Jacques Pelzer, René Thomas et Bobby Jaspar, décide de devenir musicien. Il débute avec des orchestres amateurs locaux, notamment les Bop Lighters en 1952, entre en contact avec Thomas et Pelzer et, dès 1955, participe à plusieurs concerts en Belgique et en Allemagne en leur compagnie. Il découvre Stan Getz et Al Cohn qui deviendront ses principaux modèles.

A fin des années 50, il forme son propre ensemble (répertoire be-bop et cool), le New Jazz Quintet, avec Milou Struvay à la trompette. Réduit à un quartette (Robert Jeanne, Léo Flechet, Jean Lerusse, Félix Simtaine), ce groupe se maintiendra des années durant. Entretemps, Robert Jeanne participe à de nombreux festivals et tournois (Spa, Zurich, Comblain, Dunkerque, Vienne,… ). Il s’efface de 1962 à 1966 car il se lance dans la course automobile.

En 1966, il replonge de plus belle, avec son quartette mais aussi, assez régulièrement, en compagnie de René Thomas ou du trompettiste Richard Rousselet. De 1971 à 1973, il joue dans le groupe de Jack Van Poli, Cosa Nostra, avec notamment le trompettiste américain Charlie Green (prestation au Festival de Prague). En 1974, il est membre du Solis Laeus de Michel Herr. Il travaille aussi avec le pianiste flamand Koen de Bruyn (1976) et, en 1978, il se produit avec Jacques Pelzer dans la comédie musicale “No No Nanette”, au Centre lyrique de Wallonie.

Il s’intègre pendant un moment à l’Act Big Band de Félix Simtaine puis participe (1980) au groupe Saxo 1000, monté en hommage à René Thomas et Bobby Jaspar. En 1982, il forme un nouveau quartette avec Fléchet et des jeunes musiciens. En 1983, il enregistre son premier disque en tant que leader (“Second Live”) avec Léo Flechet, André Klénes et Stefan Kremer .

Peu à peu son quartet se modifie au gré du passage de musiciens tels que Pirly Zurstrassen, Erik Vermeulen, Sal La Rocca, José Bedeur, Frédéric Jacquemin. Nouveau disque en 1992, avec Mimi Verderame, Sal La Rocca (et Frédéric Jacquemin. En 1994, il entre dans le Chapuis Street Big Band et, en 1996, dans l’octet mis sur pied par Mimi Verderame, Jazz Addiction Band. En 1998, il participe au Festival de Jazz de Saint-Louis, au Sénégal, en quartet avec Mimi Verderame, Sal La Rocca et Ivan Paduart. Et, en 1999, une tournée au Nicaragua avec le même quartet. Musicien de jazz et architecte, il est l’exemple rare d’une double carrière, très riche, accomplie en professionnel exigeant.

d’après Jean-Pol SCHROEDER et IGLOORECORDS.BE 


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) et compilation | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Jean Schoubs | remerciements à Jean-Pol Schroeder


FAISANT, Raoul (1917-1969)

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Si l’on n’y prend garde le nom même de Raoul FAISANT, que d’aucuns continuent de considérer comme le père du “jazz wallon”, sera bientôt passé définitivement dans l’oubli, lui que l’on tenait dans les années quarante comme l’un des ténors européens. Sic transit gloria….

Né à Flémalle-Haute, en 1917, il s’intéresse dès son plus jeune âge à la musique. Sa famille, une modeste famille ouvrière, ne s’opposait certes pas à cette inclination précoce : au début du siècle, le grand-père de Raoul avait joué au sein du célébrissime orchestre américain de John-Philip Sousa, celui-là même qui apporta aux Belges les premiers accents de musique syncopée en 1900. A six ans, les parents Faisant offrent à leur fils des leçons de piano avec un professeur particulier. Après la flûte et le hautbois, le jeune homme finit pas adopter le saxophone, alto d’abord, ténor ensuite.

Dès 1932, il se produit dans des orchestres de bal et laisse tomber ses études. Il entre pour un temps en usine – aux Tubes de la Meuse -, pour se retrouver bientôt dans la rue, après avoir participé à un piquet de grève. Doté d’une oreille et d’un sens harmonique et mélodique peu communs, il s’est mis à jouer cette musique américaine que diffuse au compte-gouttes l ‘I.N.R. : le jazz.

Raoul Faisant écoute le jazz avec une passion qui dépasse l’intérêt superficiel que lui portent la majorité des musiciens liégeois du moment. Exception faite de Victor lngeveld, déjà parti pour Bruxelles, d’Albert Brinckhuyzen, que Faisant a entendu au sein du Rector’s Club, et puis de Bobby Naret et de Jacques Kriekels avec lequel il va vivre, en 1937, une période de service militaire dont les nuits se passeront bien souvent en jam-sessions furieuses, les premières d’une longue série.

Démobilisé, de plus en plus absorbé par la magie de l’improvisation, il devient professionnel, se produisant à Liège, soit dans les bars du Carré (L’Enfer, par exemple), soit dans des orchestres de bal, celui d’Antoine Barzazzi entre autres. Mais, il n’a pas encore trouvé d’interlocuteurs partageant sa passion pour le jazz, car au bal, on n’improvise pas. Survient alors la guerre. A Liège, comme ailleurs, c’est le début de quatre longues années d’Occupation qui, paradoxalement, vont permettre à Faisant de faire exploser toute cette musique qui est en lui.

Les années de guerre

En 1940, il est au Caveau, dans un orchestre de femmes. Dans cette ambiance soyeuse et feutrée, Faisant prouve dès cette époque qu’il est le musicien le plus authentiquement jazz de la région. S’il est conscient de ses propres progrès, il n’imagine sans doute pas qu’il est déjà devenu le modèle d’une nouvelle génération. C’est en banlieue, à Jemeppe, dans un café appelé La Redoute, qu’il va enfin se trouver pour la première fois des accompagnateurs musclés, aptes à le faire avancer dans la voie du jazz . Willy et Johnny Stoffels, deux musiciens noirs qui ont échoué dans la région, lui donnent des ailes, l’un en lui fournissant un support harmonique enfin consistant à la basse, l’autre en créant pour lui le cadre rythmique qu’aucun batteur n’avait pu lui procurer jusque là.

La Redoute devient vite le lieu de rendez-vous obligé des rares amateurs de jazz, ou de bonne musique tout simplement. C’est à La Redoute que Faisant va rencontrer celle qui sera sa compagne, Reine, saxophoniste elle aussi. Mais c’est une autre histoire. Il reste que La Redoute est le point de départ de l’escalade de Faisant vers les sommets. En 1942 et 1943, entouré de quelques solides comparses avec lesquels il forme un noyau swing des plus percutants, il va faire le tour des établissements de Liège, y semant la bonne nouvelle du jazz contre vents et marées.

Sa sonorité est déjà remarquable par son ampleur et sa puissance, jointes à des dons exceptionnels pour l’improvisation. Entretemps, les Allemands ont interdit la danse; mais cette interdiction, outre qu’elle tolère bon nombre de dérogations, n’est pas de nature à décourager ni les musiciens du noyau swing ni les danseurs. Avec son ami Roger Vrancken, guitariste d’élite, il commence à “bricoler”, cherchant les combinaisons harmoniques les mieux appropriées, les arrangements rythmiques les plus percutants, toutes ces petites choses qui transforment une chansonnette en un morceau swing ! Pendant la soirée, bien sûr, on ne joue pas que du jazz, il faut satisfaire tout le monde. Mais, malgré cela, le noyau swing, de chorus sulfureux en blues lancinants, offre aux Liégeois plus de jazz qu’ils n’en ont jamais entendu.

Outre leurs prestations professionnelles dans des établissements comme L’Observatoire, le Mondial ou L’Etage, Raoul Faisant, Jean Evrard, Roger Vrancken, Victor Baselle, bientôt rejoints par les jeunes Maurice Simon et René Thomas (quinze ans à l’époque), se retrouvent également après journée (after hours) pour des jam-sessions torrides – chez la danseuse Mary Drom par exemple. Et là, plus question de concessions ! Quelques étudiants sont parfois admis dans ces cénacles, ils ont pour noms Jacques Pelzer ou Bobby Jaspar et ils ne perdent jamais une occasion de s’enivrer de la fascinante musique nouvelle.

Faisant est aussi amené, pendant l ‘Occupation, à se produire au sein de grandes formations : il jouera occasionnellement avec Gene Dersin, dès 1942 (mais le big band de Dersin a déjà un excellent ténor soliste en la personne de Jacques Kriekels). Il travaille dans l’orchestre de Gus Deloof qui l’emmène en tournée à Bruxelles et jusqu’en France et le fait participer à quelques séances d’enregistrements. Jusque-là, tout va plutôt bien. Les choses ne se gâtent que lorsque Faisant est réquisitionné pour le travail obligatoire en Allemagne.

Il imagine alors différents stratagèmes pour échapper à l’engrenage et il finit par se retrouver, sous un faux nom, en route vers la Hollande au sein de l’orchestre d’Hubert Simplisse. Et quel orchestre ! Un simple coup d’oeil sur les membres de cette formation donne à penser que, si le leader est accordéoniste, le musette ne doit pas être la seule musique au programme : il y là, outre Raoul Faisant, le trompettiste Jean Evrard, le pianiste Maurice Simon, René Thomas à la guitare, Clément Bourseault à la basse et le batteur hollandais Henk Van Leer. A Amsterdam vont avoir lieu quelques concerts où, malgré la censure allemande (pas d’improvisation, pas de musique anglaise ou américaine), le jazz est au premier rang.

A Liège, le climat général s’est refroidi : la tension est plus forte entre occupant et occupé. Bientôt, Jean Evrard est arrêté et déporté. Faisant ralentit ses activités, il joue encore au Caveau en 1944. Enfin, les Américains arrivent. Commence alors, pour Faisant et pour le jazz tout entier, un âge d’or de quelques années. Faisant – qui vient de passer de 72 à 120 kg – semble être partout à la fois : à Liège, à Bruxelles, en tournée pour les Américains. En 1944, pour Radio Heidelberg, version U.S., il joue avec Vicky Thunus. A Bad Norheim, il retrouve Jean Evrard et, ensemble, ils entreprennent un tournée des restcamps. René Thomas, plus “reinhardtien” que jamais, les seconde la plupart du temps.

Bruxelles et l’après-guerre

En 1945, Faisant s’installe à Bruxelles. On accueille à bras ouverts celui que la presse appelle “le crack liégeois”. Lui et son épouse hébergent pendant de longs mois René Thomas et Sadi. Faisant joue au Métropole dans l’orchestre de Dersin, monté à Bruxelles lui aussi ; au Cosmopolite, dans la formation du trompettiste Joe Lenski. En 1946, les Américains font à Faisant des offres alléchantes, qu’il décline : il vient de se marier et il ne désire pas compromettre déjà ce début de vie de famille.

Entretemps, sa réputation s’est établie dans toute la Belgique et jusqu’en Allemagne – où il est classé numéro un dans différents référendums – et en France : dans le numéro huit de la revue française Jazz Hot (nouvelle série), Faisant est présenté comme “un extraordinaire virtuose du saxophone, s’exprimant aussi bien au soprano qu’au ténor et jouant remarquablement de la clarinette”. En 1947, Don Byas, classé deuxième saxophoniste après Coleman Hawkins au célèbre référendum américain “Esquire”, est à Bruxelles : lui et Faisant vont se livrer une nuit entière à un véritable “combat des chefs” dont Faisant sortira vainqueur. Il est, pense-t-on, à l’aube d’une toute grande carrière.

Pendant tout ce temps, Faisant n’a jamais perdu le contact avec Liège : il y est revenu à différentes reprises, notamment en avril 1946 pour une  monstre organisée par le Hot Club de Belgique au Mondial, jam au cours de laquelle Faisant avait partagé l’affiche avec ses anciens élèves réunis au sein des Bob Shots ! Il y était revenu également pour deux engagements importants, l’un aux Dominicains (avec d’autres élèves : Sadi, Jean Fanis, Maurice Simon), l’autre au Cotton. Il avait effectué une nouvelle tournée avec Gus Deloof. Mais, au moment de la rencontre avec Byas, les beaux jours sont presque finis pour lui et c’est définitivement, et plus en vedette, qu’il va bientôt revenir à Liège.

En effet, le jazz est à un tournant décisif de son histoire : déjà, la parole de Charlie Parker a frappé de plein fouet les jeunes Pelzer, Jaspar, Sadi, Thomas. Le grand public, qui n’avait accroché au jazz que comme à une mode passagère, sans le comprendre, s’émoustille désormais à l’écoute de rengaines pseudo-exotiques. Ceux qui veulent vivre du jazz se condamnent à la bohème ou à l’exil. Les autres arrêtent le métier ou se contraignent à jouer, de mode en mode, d’autres musiques. Faisant alternera entre ces deux dernières options, exerçant tantôt un autre métier (commerçant, cafetier), se produisant à d’autres moments dans les orchestres les plus ringards pour gagner sa vie. Mais, toujours, il parviendra à pimenter une soirée musicale fade de traits fulgurants et inattendus.

Le déclin

Pendant les années 50, il jouera dans les orchestres de Jean St-Paul, Jimmy Cordy, Maurice Bastin, Jean Sauer et bien d’autres. Malgré l’incompréhension croissante qui l’entoure (les amateurs de jazz ne jurent que par le moderne, les autres ne veulent que du cha-cha-cha puis plus tard du rock’n roll, du twist, etc.), il est toujours aussi perfectionniste. Exigeant pour lui-même, il ne l’est pas moins avec ses partenaires ou avec ses élèves. En 1957, la chance lui tend les bras une seconde fois : un organisateur de spectacles s’étant souvenu de lui ou l’ayant découvert lors d’un des rares concerts qu’il donnait encore pour des associations, lui fait signer un contrat de quatre mois pour la Finlande. Il se produira principalement à Helsinki, à la Cabane du Pêcheur, un cabaret chic pour diplomates et hommes d’affaires.

Soudain, c’est comme si tout était à nouveau possible : on lui propose un contrat pour Moscou, un autre pour Calcutta et Bombay. Mais Faisant décline, pour des raisons familiales. Dès lors, la vraie descente aux enfers va commencer. Ironie du sort, au Festival de Knokke en 1958, c’est Raoul Faisant, venu pour y gagner sa vie dans un orchestre commercial (pour la danse), qui sauvera au pied levé le concert de Coleman Hawkins, trop ivre pour pouvoir s’en sortir seul. Un moment de triomphe pour mieux replonger dans l’oubli au début de ces années 60 qui furent, pour le jazz, les plus tristes et les plus accablantes.

Pas une seule fois le nom de Faisant n’apparaîtra à l’affiche du Festival de Comblain, de 1959 à 1966. “On prenait Raoul Faisant pour un vieux con, je ne m’en mordrai jamais assez les doigts” avoue Milou Struvay, étoile montante de cette même époque. Et pendant que bons et mauvais jazzmen jouent dans le Grand Pré de Comblain, Faisant, bougon, travaille au Casino de Chaudfontaine, refusant bien souvent de se lever pour prendre un solo. Après avoir assisté, étrangement indifférent, à la révolution bop, il entend, sans les écouter vraiment, les premiers débordements free, lui qui avait sans doute été le premier musicien européen à maîtriser vraiment les harmoniques supérieurs.

En 1965, Faisant sera pour la dernière fois le héros de la fête dans cette ville de Liège qu’il n’a jamais quittée : le gala des “25 ans de jazz en Wallonie” organisé au Trocadéro, c’est un peu un hommage à celui que Nicolas Dor présente, quand il entre sur scène, comme le «père spirituel de tout le jazz wallon». Faisant prouvera ce soir-là qu’il est toujours un grand musicien : point d’orgue de cette soirée, un “Body and Soul” qui en étonna plus d’un dans la salle, où beaucoup de spectateurs entendaient le nom de Faisant pour la première fois !

Après ce dernier soir triomphal, il rentre dans l’ombre pour de bon. Et comme les juke-boxes ont remplacé un peu partout les orchestres, il connaît des jours de plus en plus difficiles. Une triste journée de 1969, il assiste aux obsèques de Maurice Simon, tué lui aussi par l’indifférence. Quelques semaines plus tard, alors qu’il joue à la frontière française – et le saxophoniste italien Gianni Basso se souvient que certains soirs, il pouvait encore jouer comme un dieu – Raoul Faisant meurt. Jusqu’à la fin, il aura combattu pour cette musique qui l’avait séduite 30 ans plus tôt. La presse locale évoquera discrètement la disparition d’un des plus grands jazzmen européens, qui ne laissa même pas derrière lui, en guise de consolation, quelques disques-témoins à la mesure de son génie.

 Jean-Pol Schroeder


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : jazzinbelgium.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


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THYS, Toine (né en 1972)

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Toine Thys © F. de Ribaucourt

Né à Bruxelles en 1972, le saxophoniste bruxellois Toine THYS est un musicien intense qui aime créer la surprise. Figure centrale du saxophone et de la clarinette basse en Belgique, on peut l’entendre régulièrement en France et aux Pays-Bas, en Europe, mais aussi en Afrique de l’Ouest, au Canada et en Asie.

Il dirige le Toine Thys Trio avec Arno Krijger à l’orgue Hammond et Karl Jannuska à la batterie. Il co-dirige également Orlando, mené avec le batteur Antoine Pierre et les musiciens français Florent Nisse (basse) et Maxime Sanchez (piano), et le groupe Overseas, qu’il mène avec le oudiste égyptien Ihab Radwan, Annemie Osborne (violoncelle) et Simon Leleux (percussions).

A côté de ses projets personnels, on retrouve Toine Thys aussi dans les formations Ed Verhoeff 4tet (Pays-Bas), Afrikan Protokol (Burkina), Bounce Trio (France), Bram Weijters Crazy Men (Belgique), Antoine Pierre Urbex (Belgique), etc.

Toine Thys est très présent en Afrique et fonde, en 2014, une école d’instruments à vents au Burkina Faso avec le trompettiste Laurent Blondiau, qui rassemble aujourd’hui plus de 50 élèves : Les Ventistes du Faso.  Ce concept doit être exporté prochainement en RDC (Lubumbashi et Kinshasa), comme au Bénin (Cotonou).  [d’après TOINETHYS.COM]

Toine Thys © L’Avenir

Toine Thys est en outre l’un des rares musiciens à se rendre compte qu’humour et jazz ne sont pas nécessairement à l’opposé l’un de l’autre. En plus, il est très conscient de la valeur ajoutée qu’apporte un contact direct avec le public et c’est donc volontiers qu’il participe régulièrement à des jam sessions au quatre coins de la ville “afin de rester au contact de la jeune génération“. À l’époque, il évoquait sa soif insatiable d’aventures lors d’une entrevue avec Agenda : “Ma devise est que la certitude est source de problèmes. Ainsi, je suis incapable de vous dire ce que j’apprécierai ou non d’ici deux ans. Mon but est, chaque jour, de découvrir la beauté qui se cache en toute chose. Pour ce faire, il faut en permanence garder les yeux et les oreilles ouverts et se laisser surprendre.”  (lire plus sur JAZZ.BRUSSELS)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : F. de Ribaucourt ; L’Avenir |


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HOUBEN, Steve (né en 1950)

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Steve Houben, avec le Rhoda Scott Quartet (2016) © Jean-Louis Piraux

Steve HOUBEN est né à Liège, le 19 mars 1950 dans une famille de musiciens (une mère pianiste classique, un père jazzman amateur et un cousin qui se trouve être un des géants du jazz belge, Jacques Pelzer). Houben commence par tapoter sur le piano de la maison, puis se met à l’étude de la flûte traversière à l’âge de douze ans. Il chante aussi (son idole est alors Frank Sinatra !) dans un petit orchestre amateur. Bientôt, il découvre le jazz.

A l’âge où les adolescents de cette époque écoutent les groupes pop, Steve Houben se plonge dans l’univers de Chet Baker, Gerry Mulligan, Lee Konitz, Ray Charles. Il décide de faire plus ample connaissance avec son illustre cousin. C’est au Jazz Inn, à Liège, en 1966, qu’il entend pour la première fois le quartette Thomas-Pelzer. C’est le coup de foudre, tant pour la musique elle-même que pour ce milieu jazz qui le fascine d’emblée. Dès ce moment, il commence à fréquenter la maison du Thier-à-Liège où l’attendent les rencontres les plus colorées et les plus passionnantes. Pendant l’hiver 1968-1969, Steve Houben accompagnera son cousin à Paris, il y rencontre Archie Shepp, Ornette Coleman, Cal Massey, la crème des musiciens free américains.

C’est donc baigné de free-jazz (Pelzer lui-même donne dans la “New Thing” à cette époque) qu’il rentre à Liège. Et quand son cousin lui prête son saxophone en plastique (la grande mode à l’époque), c’est tout naturellement en jouant ce type de jazz éclaté qu’il va faire ses débuts au saxophone. li décide d’approfondir ses connaissances musicales et entre à cette époque au Conservatoire de Verviers où il décroche, quelques années plus tard, un premier prix de flûte et de musique de chambre.

Entretemps, lassé du free, il s’est remis à écouter les musiques les plus diverses, passant des nuits entières avec Guy Cabay à s’imprégner bien entendu de jazz mais aussi de musique technique, de musique classique, de soul music, etc. Il découvre également le jazz-rock de Weather Report. C’est du brassage de ces diverses influences que va naître le premier groupe important auquel va participer Houben : Open Sky Unit, qui démarre fin 1973. Autour de Steve Houben et de Jacques Pelzer, on trouve quatre musiciens de la jeune génération : Guy Cabay (vb), Janot Buchem (b), Micheline Pelzer (dm) et le pianiste américain Ron Wilson.

L’ère des jams est passée et Open Sky Unit est un groupe fixe, sérieux, qui prend le temps de mettre en place un répertoire de compositions originales (de Ron Wilson surtout). Le groupe – auquel se joint quelquefois le percussionniste Papa Oye Mc Kenzie – tiendra plus d’un an, une performance pour un orchestre jazz à cette époque. C’est avec O.S.U. que Steve Houben effectuera ses premières tournées (notamment en Tunisie) et enregistrera son premier disque. A la dissolution de l’orchestre, il monte avec Guy Cabay un nouveau groupe, orienté cette fois vers l’univers des standards : Merry-Go-Round.

A l’époque, Houben pense surtout à apprendre encore et encore. Le 31 décembre 1975, il s’envole vers les USA afin d’y suivre les cours du fameux Berklee College of Music, considéré alors comme le nec plus ultra de l’apprentissage du jazz. Boston sera pour lui l’occasion non seulement d’étudier (essentiellement l’arrangement et la composition) mais aussi de jammer, tous les soirs, en compagnie de dizaines de musiciens venus de tous les horizons. C’est avec quelques-uns d’entre eux qu’il monte le groupe Solstice, avec lequel il revient en Belgique en 1977. On y trouve trois musiciens belges : Michel Herr (p), Janot Buchem (b) et Steve Houben, et trois Américains : John Thomas (g), Eddie Davidson (dm) et Greg Badolato (ts, ss). Avec eux, Houben enregistre au studio Dickenscheid son premier album en tant que leader, invitant même Chet Baker en personne à se joindre au groupe pour un des morceaux.

Après une série de concerts en Belgique et en Hollande, Houben et Badolato repartent pour Boston. Nouvelles leçons (il aura notamment l’occasion d’étudier avec Michael Gibbs, Herb Pomeroy, Steve Grossman, etc.), nouvelles jams (notamment en compagnie du guitariste Mike Stem, encore inconnu à l’époque, et d’aînés comme George Coleman) et nouveau retour au bercail en 1978 avec un groupe constitué cette fois de 80 % d’Américains : il s’agit de Mauve Traffic où l’on retrouve Houben et Badolato entourés du bassiste Kermit Driscoll, du batteur Vinnie Johnson et de Bill Frisell, qui deviendra par ses idées nouvelles un des grands noms du jazz des années 80.

Mauve Traffic connaîtra un succès considérable, succès personnel aussi pour Steve Houben. Le groupe propose un jazz fortement coloré de funk, inspiré de la musique des Brecker Brothers, une musique pleine de punch et d’énergie qui va séduire toute une frange nouvelle du public, hostile au jazz jusque là. Le groupe se maintiendra pendant deux ans environ, avec quelques interruptions et quelques renforts : Michel Herr ou Denis Luxion, par exemple. Entretemps, en 1979, Houben a mis à profit son expérience des écoles de jazz américaines pour créer, avec Henri Pousseur, le Séminaire de Jazz du Conservatoire de Liège, une première en Belgique. Les premiers instructeurs du Séminaire seront d’ailleurs les musiciens de Mauve Traffic, Steve Houben se réservant les cours de saxophone et d’harmonie.

Steve Houben et Jean-Pierre Froidebise © Foyer culturel de Sprimont

Parallèlement à cette activité pédagogique, il entamera, après Mauve Traffic, une période free-lance qui va asseoir sa réputation, non seulement en Belgique mais à l’étranger. Il se produit simultanément dans une multitude d’orchestres belges : Saxo 1000, Act Big Band, Rousselet Quintet (tournée en Afrique), New Bop Friends, Lemon Air, Tenth Gate, etc. Hors de Belgique, il joue dans le Big Band de Peter Herboltzheimer, dans l’orchestre de l’U.E.R. dirigé, à Londres, par Kenny Wheeler, à Prague aux côtés du pianiste Emil Vicklicky, en Tunisie avec Safi Boutella, etc. C’est pendant cette période d’activité intense qu’il enregistre un superbe LP en compagnie de Chet Baker, et que, à l’autre bout du spectre, il pratique une musique plus expérimentale en duo avec Bill Frisell à Paris, ou avec Garett List à Liège et Bruxelles.

A l’occasion, il reforme l’un ou l’autre quartette éphémère à son nom mais il faut attendre 1983 pour le retrouver au centre d’un projet personnel d’envergure : Steve Houben+Strings apparaît d’ailleurs comme l’événement de cette année 1983. Ce vieux rêve de presque tous les solistes de jazz – se faire accompagner par un orchestre à cordes – Steve Houben le réalise avec, d’une part les pianistes/compositeurs Michel Herr et Dennis Luxion, le vibraphoniste Guy Cabay, le bassiste Michel Hatzigeorgiou et le batteur Mimi Verderame, et d’autre part, un ensemble de 14 violons et violoncelles dirigés par Georges Elie Octors. L’entreprise est couronnée de succès, et ce, auprès d’un public assez large, ce qui achève de faire de lui un des seuls musiciens de jazz belges dont le nom soit connu au-delà du cercle des aficionados.

Steve Houben © lesfestivalsdewallonie.be

Bientôt, il commence à travailler en duo avec le pianiste Charles Loos, produisant un jazz de chambre intimiste qui lui aussi séduira un large public. Houben fréquente également avec régularité les studios d’enregistrement, s’y affirmant tantôt comme un bopper averti (Houben/Herr meets Lundy/Washongton), comme un partisan de l’aventure musicale (B. Mottart : Weirdo’s Dance) ou comme un défenseur de l’esthétique européenne (Juvia de Diederick Wissels, Paolo Radoni, etc.). Il accompagne les chanteuses Maurane (Trio Houben/Loos/Maurane) et Viktor Laszlo puis, en 1986, il se lance dans un nouveau méga-projet : Cocodrilo concrétise son désir de se frotter aux synthétiseurs. Avec les claviéristes Olivier Truan (Suisse) et Diederick Wissels et de nouveau Hatzigeorgiou et Verderame, il met au point un répertoire soigné et policé, reposant sur une infrastructure électronique sophistiquée où l’improvisation n’a pour ainsi dire pas de place. Cocodrilo, qui avait tout pour plaire aux amateurs de fusion, n’eut cependant pas le succès escompté ; Houben doit annuler une tournée au Japon et il revient bientôt à une formule plus traditionnelle.

En 1987, il monte un des meilleurs groupes qu’il ait jamais eu jusque là : avec Diederick Wissels au piano (acoustique cette fois), Hein Van de Geyn (le prodigieux bassiste hollandais) et le jeune batteur Dré Pallemaerts, il produit une musique néo-bop de haut niveau. En tant que soliste, il est désormais un des seuls spécialistes européens de la flûte (avec Nicolas Stilo et quelques autres) et remarquable par un phrasé hérité de Parker via Cannonball Adderley, mais actualisé d’une façon européenne et déjà très personnelle. On le retrouve encore dans diverses combinaisons en compagnie du pianiste français Michel Graillier, puis aux côtés du trompettiste yougoslave Dusko Goykovich, du contrebassiste italien Ricardo Del Fra et du batteur américain Al Levitt, pour l’enregistrement d’un très bel album de standards encore inédit à ce jour. Fin 1988, après un engagement à Bangkok avec Jacques Pirotton, Sal La Rocca et le jeune batteur américain Rick Hollander, il est invité, signe de reconnaissance suprême, à se produire dans le big band de Gerry Mulligan.

d’après Jean-Pol SCHROEDER

“An American Songbook” © orcw.be

A l’occasion de l’année Adolphe Sax, en 1994, Steve Houben a enregistré “Steve Houben invite…” avec un septet comprenant 4 saxos. Il a également enregistré avec le Pirotton/Houben/Pougin Trio ainsi que d’autres groupes dont il est le leader. Il apparaît notamment aux côtés d’Ivan Paduart dans True Story.

En 2000, Steve Houben reçoit le “Django d’Or” du jazz belge. En février 2001, Toots Thielemans l’invite à ses côtés au Théâtre de la Monnaie, à l’occasion de sa “carte blanche”. En compagnie de Michel Herr, de la soprano Julie Mossay et de l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie, il crée le projet “An American Songbook”. Steve Houben est élu à l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique en mai 2010. En 2016, il reçoit le titre d’officier du Mérite wallon.

Steve Houben a également toujours manifesté un grand intérêt pour les musiques du monde. Avec Alain Pierre, il est notamment membre du groupe belgo-tunisien Anfass, avec lequel il a enregistré et joué de nombreux concerts en Europe et en Tunisie. Il a également formé, avec le percussionniste Didier Labarre, le groupe Cuban Breeze. Son travail avec le groupe Panta Rhei ou avec le compositeur brésilien Marito Correa sont d’autres exemples de son ouverture vers d’autres styles musicaux.

d’après JAZZINBELGIUM.BE


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Jean-Louis Piraux ; Foyer culturel de Sprimont ; lesfestivalsdewallonie.be ; orcw.be | remerciements à Jean-Pol Schroeder


More Jazz…

PELZER, Jacques (1924-1994)

Temps de lecture : 10 minutes >
Jacques PELZER (à droite), en répétition avec Michel Herr et Jean-Pierre Gebler, à Liège (1983)

Jacques PELZER apprend, dès l’âge de sept ans, le solfège et le piano, qu’il est obligé d’abandonner à la suite d’un accident bénin. Il s’essaie alors à la clarinette, à la flûte, à la guitare, avant d’arrêter son choix, pour un temps du moins, sur l’harmonica. A la fin des années 30, il découvre le jazz et devient un fidèle auditeur des quelques rares retransmissions radiophoniques à tendance jazz, et surtout des disques de Nat Gonnella, Ambrose, puis Benny Goodman et Jimmy Lunceford. Alors qu’il étudie chez les Pères Jésuites du Collège Saint-Servais, il s’intègre à d’éphémères formations d’étudiants ; l’une d’elle s’appelle Swing and Sway et Pelzer, toujours à l’harmonica, y joue aux côtés du saxophoniste Paul Alexis. Mais entretemps, dans un autre établissement scolaire de la ville, à l’Athénée plus précisément, quelques étudiants (Pierre Robert, Roger Claessen, Georges Leclercq…) ont eux aussi découvert le jazz et décidé de monter leur propre orchestre, un orchestre qu’ils appelleront la Session d’une Heure et dont l’influence sera déterminante dans la carrière de Jacques Pelzer.

Lorsque la guerre éclate, Jacques Pelzer suit sa famille à Toulouse ; c’est là qu’il se fait offrir son premier saxophone : un alto, comme Pete Brown, comme Willie Smith (Jacques racontera plus tard qu’il s’est “fait les lèvres” en jouant et rejouant le solo de Smith sur Margie de Jimmy Lunceford), comme Johnny Hodges surtout, qui sera son premier modèle.

De retour à Liège, il devient membre de la Session d’une Heure. Le répertoire de la Session va du dixieland (qu’il n’apprécie pas vraiment, d’autant que dans la formule orchestrale orléanaise type, il n’y a guère de place pour l’alto !) à Duke EllingtonDjango Reinhardt ou Gus Deloof, et là, il est à son affaire.

En 1943, la Session, uniforme impeccable, cravates en cachemire, petite casquette anglaise, remporte le tournoi organisé au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, tandis qu’à Liège, elle devient la seule formation amateur qui puisse concurrencer les orchestres professionnels. Surprise-parties (qui, à cause du couvre-feu, se prolongeaient jusqu’au matin), galas, cours de danse, se multiplient ; Pelzer grave avec la Session ses premiers acétates (et notamment un On the sunny side of the street comprenant un très beau solo d’alto “à la Hodges”). Mais Roger Claessen reste un grand amateur de dixieland, et lorsque la Session s’oriente davantage dans ce sens, Pelzer reprend ses billes. Entretemps, il a trouvé son maître à Liège même : Raoul Faisant alors au centre d’un “noyau swing” percutant (au sein duquel Jacques rencontre un adolescent de son âge, guitariste, qui deviendra son alter ego bien des années plus tard : René Thomas !). Pelzer, comme Thomas, comme Jaspar, comme Sadi, a tout à apprendre de Faisant : phrasé, colonne d’air, inflexions. Pour lui aussi, Faisant sera le “Père” ! En même temps, toujours grand consommateur de disques, il découvre Benny Carter qui supplantera chez lui Johnny Hodges en influence.

Quand les Américains arrivent en 1944, Pelzer est prêt à les recevoir. Il en épatera plus d’un, blanc ou noir, qui retrouve dans la musique de ce jeune Européen un peu de son pays : “…Quand il jouait pour les Noirs (soit à la Croix-Rouge américaine, soit dans leurs cantonnements), on les voyait s’approcher peu à peu de lui, l’entourer, oubliant même la danse, et ne quittant la scène qu’à la dernière note. Et pourtant, Dieu sait si ces gens-là s’y connaissent.” (Rythme Futur, décembre 1946). C’est alors l’époque des premières tournées pour les Américains – pendant les vacances scolaires, car Jacques est toujours étudiant. Le plus lointain de ces voyages, il l’entreprend avec Léo Souris, direction Plsen, Tchécoslovaquie ! Déjà presque une vedette à Liège, Pelzer commence à se faire un nom sur le plan national, surtout après avoir intégré les Bob-Shots (en 1945, il rejoint Bobby Jaspar, Pierre Robert, André Putsage, etc.). Le premier acétate des Bob-Shots permet d’entendre un Pelzer cartésien et visiblement fort heureux de l’être : pourtant, l’heure du grand tournant est proche. Quand Pierre Robert reçoit de son frère Cyril, installé aux États-Unis, les premiers disques bop, Pelzer est envoûté par la nouvelle musique : pendant de longs mois, il s’évertue à comprendre ce que joue Parker, à décortiquer ces envolées magiques, passant et repassant, pour ce faire, les disques de Bird à vitesse ralentie ! A force de travail, il méritera bientôt ce titre de “premier alto be-bop européen” que lui décernera Django. Dans ses tentatives de jouer bop, il est soutenu par le batteur André Putsage qui s’essaie, lui, aux débordements de Kenny Clarke et rend ainsi plus crédible encore l’image sonore du nouveau style produite par l’alto. Les concerts des Bob-Shots suscitent bon nombre de commentaires dont la plupart concernent Pelzer. A la fin de la période Bob-Shots (vers 1948), il jamme aussi souvent que possible avec René Thomas, mais avant de songer à une nouvelle association, il faut terminer ses études. Il se fait plus rare aux répétitions comme aux jams et un beau jour, il se retrouve pharmacien ! Moins assuré que Jaspar, qui devient professionnel dès la fin de Bob-Shots, il fera un début de carrière dans “sa” branche et ouvrira une pharmacie au Thier-à-Liège. Mais très vite, il comprendra que “sa” branche, désormais, est bien davantage faite de blue notes que de tubes d’aspirines.

En 1950, Bobby Jaspar est à Paris, bientôt rejoint par de nombreux musiciens belges (tous ceux, en fait, qui ont choisi de ne jouer que du jazz, chose impensable en Belgique). Jacques Pelzer, s’il n’émigre pas vraiment, séjourne très fréquemment à Paris lui aussi, où il fait le tour des clubs. Il rencontre tous ceux qui seront ses partenaires et ses amis dans les années qui vont suivre. Entretemps, il découvre Lee Konitz et se met à explorer l’univers cool avec la même passion que l’univers bop quelques années auparavant. Un enregistrement de 1953 rend compte de cette nouvelle orientation. Loin d’être le signe d’un manque de personnalité, elle témoigne d’une recherche constante de matériaux propres à faire émerger, une fois réunis, un style original. Paris, Liège (et les fameuses jams de la Laiterie d’Embourg !), Bruxelles, Anvers, les Pays-Bas, l’Allemagne : Jacques Pelzer devient bientôt davantage que “l’indétrônable saxophone-alto belge”, une des figures marquantes du jazz européen en pleine expansion. Il grave plusieurs disques (avec René Thomas, Jean Fanis, Herman Ssandy, etc.), participe à de nombreux galas, jams, radios, se lie avec Kenny Clarke et Chet Baker et, en Belgique, fait office de leader pour la nouvelle génération (Robert Jeanne, Felix Simtaine, etc.). En 1955, à la demande de Léo Souris, il effectue un premier voyage en Afrique : il en revient fasciné ! L’Afrique exercera dès lors sur lui une attraction telle qu’il y retournera à de nombreuses reprises, se ressourçant à la musique noire, en particulier à la musique des pygmées qu’il découvre avec Benoît Quersin. “Il y avait deux endroits au monde où on pouvait aller : New York et l’Afrique : la jungle en béton et la jungle naturelle. Bobby a choisi la jungle en béton, moi j’ai fait l’Afrique…” (Histoire du jazz à Liège, Médiathèque de la Province de Liège, 1987). Jouant le jeu jusqu’au bout, Pelzer enregistre même quelques disques avec des musiciens et des chanteurs africains, à Léopoldville (Kinshasa).

Comme Jaspar, il s’est mis à un second instrument : la flûte, et il est devenu incontournable sur la scène belge, au même titre que Jack Sels et quelques autres. A la Rose Noire de Bruxelles comme au Ringside d’Anvers ou au Seigneur d’Amay de Liège, l’école moderne s’est désormais imposée dans le milieu – de plus en plus clos – du jazz. Les vieux maîtres (Faisant, Ingeveld, Robert, …) sont déjà presque oubliés. Pelzer ouvrira lui-même certains clubs (le Birdland à Liège, par exemple), répliques éphémères des temples new-yorkais. Parmi les jeunes musiciens belges, il s’associera volontiers au trompettiste Milou Struvay, au pianiste Joël Van Droogenbroeck, au bassiste Freddy Deronde.

En 1959, commence l’aventure de Comblain dont Jacques Pelzer sera l’un des plus fidèles participants. “Si un jour, je ne pouvais pas jouer à Comblain, j’en serais malade” confie-t-il à un journaliste. C’est également l’époque où il travaille de plus en plus en Italie (où il enregistre d’ailleurs quelques disques avec Amedeo Tommasi et Dino Piana), et où il s’associe de manière plus régulière encore avec René Thomas, de retour des U.S.A. dès 1961 ; le quartette Thomas-Pelzer, auquel participent alternativement des musiciens comme Benoît Quersin, Daniel Humair, René Urtreger, Jacques Thollot, Vivi Mardens et d’autres musiciens français, italiens ou allemands, fait les beaux soirs de Comblain (certaines versions de Theme for Freddy restent dans toutes les mémoires). Comblain est aussi l’occasion définitive de rencontrer les plus grands maîtres américains ; Bill Evans, Canonball Adderley, Coltrane, Lee Konitz. Pelzer les accueille volontiers chez lui, les amitiés se nouent et Liège devient une ville plutôt bien fréquentée. Parmi les grands moments de cette période, on retiendra un concert à Gand avec Bud Powell, un autre au Ringstad avec Thelonious Monk, la soirée des 25 ans de jazz en Wallonie, l’enregistrement de l’album Meeting (René Thomas), les jams au Jazz In de Liège, dont il est le maître d’oeuvre, et bien sûr le premier voyage aux États-Unis dans le quintette de Chet Baker ! Chet (qui a auparavant joué avec Bobby Jaspar, René Thomas, Francy Boland, etc.) apprécie en effet de plus en plus le style de Pelzer qui, en retour, vénère la musique du trompettiste.

1964 : Chet Baker (Flugelhorn, Vocal), Jacques Pelzer (Alto Sax, Flute),  Rene Urtreger (Piano), Luigi Trussardi (Bass) & Franco Manzecchi (Drums). 

C’est le départ d’une tournée de trois mois qui est pour lui l’ultime consécration : combien d’Européens peuvent se vanter d’avoir joué au Plugged Nickel de Chicago ? Depuis quelques temps, il s’exprime sur un troisième instrument, le soprano, remis à l’honneur par John Coltrane et sur lequel il dispense une musique plus moderne encore, plus libre. Pendant son séjour aux U.S.A., il est en admiration devant la nouvelle école free et la musique d’Ornette Coleman : “C’est génial, racontera-t-il, pour créer une musique semblable, qui prenne un tel essor, il fallait être un génie. Je me reporte vingt ans en arrière à l’apparition du Bird“. Et une nouvelle fois, Jacques Pelzer change de cap et pendant quelques années, il entre carrément dans la New Thing avec une sincérité qui fait parfois défaut à certains adeptes du free de l’époque (et surtout avec derrière lui un background musical qui lui permet de jouer “libre” sans pour autant jouer n’importe quoi).

Ses expériences les plus profondes dans la sphère free, c’est à nouveau en Italie qu’il va les vivre, aux côtés du grand Steve Lacy ; il révèle au public belge le trompettiste Mongezi Fesa et le bassiste Johnny Dyani lors du First International Jazz Event à Liège en 1969 ; il rencontre à plusieurs reprises Don Cherry, Kent Carter, Archie Shepp et quelques-uns des plus authentiques musiciens free, dans ce Paris soixante-huitard ouvert à l’esthétique libertaire. Cependant, Pelzer va s’écarter du free, il en gardera une certaine “souplesse d’esprit” et une profonde expérience humaine. Ce qui motive son retrait, ce ne sont pas seulement les diatribes de Chet Baker contre le free (“They call that music !“) ni le désastre financier que représente pour un musicien le fait de jouer cette musique qui met en fuite public et organisateurs, c’est aussi et peut-être surtout la difficulté de se trouver des partenaires capables de vraiment jouer le jeu.

Les années 70 sont là : c’est l’époque de Weather Report et de la première génération jazz-rock. Les jeunes reprennent un premier contact avec les sons du jazz via Chick Corea et John Mc Laughlin. A l’anarchie succèdent l’hyperorganisation et les groupes fixes. Pour Pelzer, ce nouvel état d’esprit se concrétise à travers le groupe Open Sky Unit. En effet, tout en renouant avec la tradition aux côtés de Chet Baker, de René Thomas (c’est l’époque Thomas-Pelzer Limited) ou de Vince Benedetti, il partage l’itinéraire de quelques jeunes musiciens (son cousin Steve Houben, sa fille Micheline, le pianiste américain Ron Wilson et quelques autres) qui l’entraînent dans un univers musical nouveau, influencé par les rythmes binaires, la musique soul et l’électricité. Fini le saxophone en plastique et l’improvisation sauvage : Open Sky Unit joue un répertoire structuré, programmé, où la place de chacun est bien définie (même si l’improvisation et la spontanéité restent au rendez-vous). C’est avec O.S.U. que Jacques Pelzer rend, en janvier 1975, un dernier hommage à son alter ego René Thomas, mort de jazz comme Bobby Jaspar 12 ans auparavant, comme Raoul Faisant en 1969. Lui seul sort rescapé de ce naufrage. Au milieu des années 70, il entreprend une nouvelle tournée aux U.S.A. avec Chet Baker (et ils donnent ensemble un concert au Carnegie Hall). Pelzer a retrouvé alors une musique de sa génération, il ne la quittera plus : un “mainstream” mitigé de bop et de cool et, dans son cas, parsemé d’évocations de Benny Carter.

A Liège, qu’il n’aura jamais quitté vraiment (ce qui lui aura peut-être valu d’être moins connu que Jaspar et Thomas, mais également, comme il le dit lui-même, d’être toujours en vie !), il se produit avec ses anciens compagnons Robert Grahame, Jean Linsman, Jon Eardley ou avec des musiciens plus jeunes. En 1980, il participe, bien entendu, au projet Saxo 1000 mis sur pied en hommage à Jaspar et Thomas à l’occasion du millénaire de la ville de Liège, et il fait partie du premier contingent d’instructeurs du Séminaire de Jazz du Conservatoire de Liège. Cette période (qui va de la mort de Thomas au milieu des années 80) est jalonnée de hauts et de bas surprenants, de tristes moments où l’on pourrait penser que Jacques Pelzer est au bout du rouleau, et de lumineux démentis où réapparaît le “premier saxophone alto be-bop européen“.

En 1982, il s’associe au guitariste Jacques Pirotton qui devient son partenaire privilégié : en duo, “The Two J.P’s” proposent une musique faite d’équilibre, tantôt exubérante, tantôt recueillie, qui permet à Jacques de retrouver un peu de sa complicité passée avec René Thomas. Invité à participer à diverses séances d’enregistrements (Stella Levitt, Jean-Pierre Gebler…), honoré par la RTBF d’un superbe film de montage réalisé par Michel Rochat (“Sax en fugue“), il n’a cependant pas dit son dernier mot : petit à petit, il reprend du poil de la bête dès 1986, c’est un Pelzer proprement régénéré qui, malgré de nombreux problèmes, notamment d’ordre économique – une vie consacrée au seul jazz n’a jamais été le gage d’une retraite aisée ! – redevient le grand musicien qui avait conquis le monde du jazz au cours des quatre décennies précédentes. En free-lance, en duo avec Jacques Pirotton ou à la fête de son quartette (avec Pirotton et le plus souvent Bart de Nolf (b) et Micheline Pelzer (dm)), assisté ou non de ses amis de toujours (Chet jusqu’à sa mort en 1988, Barney Wilen, Dave Liebman et tant d’autres aux quatre coins du monde des notes bleues), ayant retrouvé cette vigueur qui est une de ses “lignes de conduite” d’aujourd’hui, il part reconquérir l’Europe : Italie, France, Suisse, Finlande, Jack The Hipster n’a pas fini d’étonner un monde qui est peut-être en train de redécouvrir le jazz, ce jazz pour lequel tant de ses amis sont morts.

Jean-Pol Schroeder


Oeuvres
  • Jacques Pelzer enregistre en 1943 et 1944 avec la Session d’une Heure (Acétates), de 1946 à 1949 avec les Bob-Shots (enregistrements privés, Olympia, Pacific).
  • Leader ou co-leader :
    • Jacques Pelzer, Marionette / Lady Bird / How high the moon (acetate, Bxl, 1952)
    • Jacques Pelzer, I only have eyes for you / You go to my head (acetate, Bxl, 1952)
    • Jacque Pelzer / Bobby Jaspar, Out of Nowhere / Pennies from heaven (acetate, 1953)
    • Jacques Pelzer, Modern Jazz Sextet (Innovation ILP2, 1955)
    • Jacques Pelzer / Herman Sandy, Jazz for Moderns (Fiesta IS10043, 1956)
    • Jacques Pelzer and his Young stars, Jazz in Little Belgium (Decca 123259, 1958)
  • Fin des années 50, Jacques Pelzer enregistre une série de 78 tours en Afrique, avec des musiciens autochtones : “Tu es la plus belle, ma doudou
  • Jacques Pelzer, All stars à Antibes (Barclay BLP84081, 1960)
  • Jacques Pelzer, Featuring Dino Piana (Cetra LPP6, 1961)
  • René Thomas / Jacques Pelzer : Giganti del Jazz vol.*** (1961)
  • Pelzer, Sadi, Toots : Europe Jazz (film de Paul Davis, Sofidoc, 1961)
  • Thomas / Pelzer : T.P.L. (Vogel 003, 1974)
  • Jacques et Micheline Pelzer : Song for René (Duchesne DD8003, 1975)
  • Participation aux enregistrements :
    • Helen Merril (Comblain-la-Tour 1960)
    • Léo Souris (Comblain-la-Tour 1960)
    • Amadeo Tommasi (1960)
    • René Thomas (1963)
    • Georges Joyner (1964)
    • Freddy Sunder (1968)
    • Jon Eardley (1969)
    • Chet Baker (1977)
    • Saxo 1000 (1980)
    • Jean-Christophe Renault (1981)
    • Jean-Pierre Gebler (1981)
    • Guy Cabay (1987)

[INFOS QUALITE] statut : validé, à actualiser | mode d’édition : transcription, droits cédés | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Michel Herr | remerciements à Jean-Pol Schroeder


Jam Jazz Jacques Pelzer

© Fred Delsemme

Chaque dernier dimanche du mois ! Une jam réalisée par un bouquet de musiciens sur un thème choisi par leur soin et ponctuée d’interventions de musiciens du public désireux de se joindre à eux. Concrètement ; un musicien sera invité par le club à venir expérimenter une formation élaborée par ses soins, sur un thème précis tel qu’un artiste spécifique, ou encore un style, une année, un album…

En savoir plus sur JACQUESPELZERJAZZCLUB.COM…


Plus de jazz…

JASPAR, Robert alias Bobby Jaspar (1926-1963)

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Robert “Bobby” Jaspar est né dans ce qu’il est convenu d’appeler une “famille d’artistes” (un grand-père musicien, un père artiste peintre). Enfant, il étudie, sans grande conviction, le solfège et le piano. Mais c’est seulement au début de la guerre, alors qu’il est étudiant à l’Athénée, qu’il a le coup de foudre à la fois pour un nouvel instrument – la clarinette – et un nouveau genre de musique – le jazz. Un week-end de la fin 1942, aux “sports nautiques”, une salle des fêtes parmi d’autres, la soirée est animée par un orchestre d’étudiants qui, en deux ans, est arrivé à de surprenants résultats : la “Session d’une heure” est devenue la meilleure formation amateur de la région. Dans la salle, Bobby Jaspar, André Putsage et quelques autres lycéens ont les yeux rivés sur ces garçons à peine plus âgés qu’eux – Pelzer, Leclercq, Mottart, Classen, etc. – qui jouent cette musique, “comme sur les disques”. Dès le lundi matin, les jeux sont faits. Jaspar et Putsage ne parlent plus que de leur projet : ils seront musiciens eux aussi, ils monteront un orchestre et ils joueront du jazz, quoi qu’il arrive ! Après quelque temps de mise en train solitaire, à la clarinette pour Jaspar, à la batterie pour Putsage, les deux apprentis musiciens commencent à travailler ensemble, s’efforçant de reproduire ce qu’ils entendent sur disque. Bientôt, le guitariste Pierre Robert, le promoteur de la Session d’une heure qui jouait déjà en milieu professionnel, les entend et décide de se joindre à eux. Ce qui revient à cette époque à les prendre en charge et surtout à leur apporter la base harmonique qui leur fait défaut. Le bassiste Charles Libon se joint au trio de base. Le groupe ainsi constitué se donne le nom de “Swingtet Pont d’Avroy”, et met au point quelques morceaux du répertoire de Benny Goodman.

En octobre 1943, il décroche un premier enregistrement, au Mondial, à l’occasion d’un de ces pseudo-cours de danse qui permettaient de contourner l’interdiction de la danse décrétée par l’occupant. Ce sera d’ailleurs un des seuls engagements du Swingtet puisque, dès avril 1944, on retrouve cette formation sous le nom de “Bob-Shots”, ce qui signifie approximativement “les coups de Bob”.

La grande aventure des Bob-Shots ne commencera pourtant qu’en 1945, car entre-temps, Pierre Robert a été arrêté et déporté. L’orchestre se dissout provisoirement. Le seul témoignage de ces Bob-Shots première mouture, un acétate enregistré à Liège Expérimental, semble avoir malheureusement disparu. Survient la Libération. En quelques années, Jaspar est devenu un clarinettiste tout à fait honnête. L’arrivée des Américains – et de leurs V-Discs ! – le ravit bien évidemment. Il commence, tout en poursuivant ses études, à “jammer” un peu partout, à Liège (notamment dans l’orchestre d’Armand Gramme) et à Bruxelles où il se produit aux côtés du pianiste Vicky Thunus (au Cosmopolite) ainsi qu’avec Bobby Naret et Léo Souris. Rentré de déportation en avril 1945, Pierre Robert décide de réunir les Bob-Shots et le 21 juillet, le groupe est à nouveau sur la brèche. Jacques Pelzer, Armand Bilak, Jean-Marie Vandresse puis Georges Leclercq, transfuges de la Session d’une heure, viennent renforcer le quartette initial. La grande aventure commence, pour de bon cette fois. Petit à petit, les Bob-Shots deviennent non seulement le numéro un des orchestres liégeois, mais également une des meilleures formations du pays (avec le Jazz Hot et les Internationals, le quartette de Raoul Faisant et le groupe de Jack Sels). Leur découverte précoce du be-pop fera des Bob-Shots un orchestre aux dimensions historiques. En 1945 et 1946, leur répertoire reste néanmoins celui des petites formations swing (Reinhardt, Teddy Wilson, Ellington, Goodman). Bobby Jaspar joue toujours de la clarinette mais, progressivement, notamment sous l’influence de son maître Raoul Faisant alors à son apogée, il optera pour le ténor et délaissera son premier instrument. Impossible de rendre compte en quelques lignes du phénomène Bob-Shots ; retenons ici que cette période est pour Jaspar celle de la première maturité. Davantage impressionné par Faisant, par Don Byas – qu’il héberge en 1947, lors de son séjour en Belgique – puis par Lucky Thompson (avec qui il joue à Nice en 1948), que par le bop pur, il s’est créé une sonorité et un phrasé solides et ancrés dans la tradition, à partir desquels il développera son propre style dans les années qui suivront. Si Pelzer et Putsage sont plus spécifiquement des boppers, Bobby Jaspar est passé du côté des “modernes” et il sera un des premiers à intérioriser l’esthétique cool. L’époque “revivaliste” est loin derrière… Absorbés par leurs études universitaires (Jaspar est à l’époque à l’Institut Polytechnique de Liège), les Bob-Shots espacent leurs prestations. S’ils gardent leurs fans et continuent à jouir de l’estime de personnalités comme Boris Vian, ils ne réussissent pas davantage que leurs collègues américains à convaincre le grand public de les suivre sur les voies du bop.

Fin 1948, on peut estimer que les Bob-Shots en tant que tels ont vécu, même si leur nom apparaît encore de temps à autre sur les affiches de concerts ou de festivals. Leur chant du cygne – mais il ne s’agit plus vraiment des Bob-Shots ! – sera ce concert de 1949 au Festival de Paris, au même programme que Charlie Parker et Miles Davis !

Entretemps, Jaspar est devenu ingénieur chimiste, Pelzer pharmacien, au moins sur parchemin. Car l’heure du choix a sonné. A la fin des années 40, après quelques tâtonnement, Bobby Jaspar choisit définitivement la musique. On le retrouvera d’abord en Allemagne, aux côtés de Vicky Thunus, Sadi et quelques autres. Mais la musique commerciale qu’on attend dorénavant des musiciens professionnels aura tôt fait de le dégoûter. Il choisit de tenter sa chance à Paris, alors capitale européenne du jazz.

Le milieu du jazz parisien compte dans les années 50, un nombre important de musiciens belges : Benoît Quersin, Sadi, Francy Boland, Christian Kellens, René Thomas. Tous ont connu dans la capitale française des débuts difficiles. Jaspar, descendu à l’hôtel du Grand Balcon, a beaucoup de mal à vivre de sa musique : il joue bien quelques temps avec Henri Renaud (il enregistre avec lui, en 1951, quelques faces pour le petit label Saturne, dont une partie sortira sous forme de “picture 78rpm !” aujourd’hui rarissimes !) ; il lui arrive, à l’occasion, de remplacer Hubert Fol dans le groupe de Django Reinhardt ; mais sa situation reste précaire. Régulièrement, il rentre à Liège, notamment pour participer aux fameuses jams de la Laiterie d’Embourg, en entraînant à sa suite quelques uns de ses nouveaux amis français. Passablement découragé, il accepte en 1952, de suivre Maurice Vandair, Bernard Hullin et quelques autres à Tahiti ! L’orchestre a un contrat de six mois au dancing “Les Cols Bleus” à Papeete ; hélas, le public tahitien n’est pas plus sensible que le public européen au jazz moderne. Une fois de plus, il faut mettre de l’eau dans son vin. Le contrat tourne court et les musiciens, pour payer le voyage de retour, se voient contraints de prolonger leur séjour – ce qui, vu le climat et le paysage, n’est pas si désagréable. Entre deux pêches au requin, Bobby Jaspar se remet à travailler comme chimiste, en plein archipel Tuamotou ! Ses amis belges et français le croient bel et bien perdu pour le jazz.

En 1953, il rentre au bercail. Le climat semble plus favorable au jazz moderne et pendant quelques années, surtout de 1954 à 1956, Bobby Jaspar va, d’engagements en engagements, de disques en disques, devenir une des vedettes du jazz “français” et européens, se retrouvant bientôt aux premières places des polls annuels. Après quelques errances du côté de chez Barelli et Diéval, commence pour lui une période plus faste, Henri Renaud, André Hodeir, Jimmy Raney, Dave Amram, Sadi (et son big band de la Rose Rouge !), Jay Cameron, René Urtregger, Jimmy Gourley, Christian Chevalier, Bernard Peiffer, Chet Baker enfin : tous veulent Jaspar dans leur orchestre. Lui-même dirige ses propres formations, la plus connue étant ce quintette de 1955 au club Saint-Germain, avec le guitariste Sacha Distel. Il compose énormément : Sanguine, Awèvalet, Jeux de Quartes, etc., qui figurent sur ses propres albums : “Bobby Jaspar New Jazz”, “Gone with the wind”, etc. Il nage alors en pleine esthétique cool/west coast (y compris, au contact d’Hodeir, dans ce que le courant a de plus expérimental). Il a trouvé sa voie quelque part entre Getz et Lester ; son jeu est aérien, souple, délicat ; il entretient avec les guitaristes (comme Getz d’ailleurs), une relation contrapunctique précise et légère, riche d’entrelacs complices et d’émotion retenue. A cette époque, il écrit pour Jazz Hot, des études dont la pertinence doit faire rougir plus d’un critique professionnel. Il est vrai que l’homme ne correspond en rien à l’image-type du “jazzman sauvage”, tout dans l’instinct, peu dans la tête : doté d’une intelligence supérieure, pressent-il qu’une telle escalade, pour un écorché de son espèce, peut mener tout droit à la chute ? En novembre 1955, il rentre à Liège, accueilli triomphalement pour un concert à l’Émulation avec Don Byas. “Deux des plus grands ténors au monde” annonce le Hot Club de Belgique !

La même année, il épouse Blossom Dearie, chanteuse et pianiste américaine qui dirige alors un groupe vocal, les Blue Stars. Ce mariage facilitera le grand saut ! Il y pensait depuis quelques temps déjà (comme y pensent tous les jazzmen du monde) ; maintenant, sa décision est prise : il faut aller de l’avant. Si ça a marché à Paris, pourquoi ne pas affronter la Mecque du jazz, la vraie : New York. En avril 1956, Bobby Jaspar, qui a tout juste trente ans, s’embarque pour les États-Unis, pour ce New York où des centaines de saxophonistes attendent déjà leur heure !

Bien plus encore que les débuts parisiens, les premiers pas à New York sont difficiles ; “je me demandais ce que je faisais ici” dira-t-il, “et j’étais prêt à abandonner la musique”. Il s’est inscrit dès que possible au tout puissant syndicat des musiciens et il arpente la ville à la recherche d’un concert. Par chance, il rencontre Mort Herbert (à l’époque bassiste dans l’All Stars de Louis Armstrong) qui l’engage pour un enregistrement, deux mois à peine après son arrivée, et qui, surtout, l’introduit dans certains cénacles de la Grosse Pomme. C’est ainsi que, de rencontres en rencontres, il atterrit dans le big band de Gil Fuller, aux côtés d’Oscar Pettiford, Hans Jones et Gil Evans. C’est le début d’une ascension fulgurante ; de Gil Evans à Miles Davis, il n’y a jamais qu’un pas, qu’il franchit lors d’une jam-session. Miles Davis, pourtant avare de compliments, surtout à l’encontre des blancs, le recommande à Jay Jay Johnson qui cherchait un nouveau sax pour son groupe. Et Jaspar (“Jasper” comme disent et écrivent les Américains !) se retrouve dès 1956, membre à part entière d’une des plus prestigieuses phalanges hard-bop des années 50 : J. J. Johnson (tb), Bobby Jaspar (ts, fl), Tommy Flanagan (p), Wilbur Littel (b), Elvin Jones (dm) ! Quatre noirs pétris de swing et un petit blanc qui, et c’est là le miracle, ne détonne pas le moins du monde ! J’ai dit “hard-bop”, en effet, dès son arrivée à New York, le jeu de Jaspar s’est durci et au fil des enregistrement du quintette, on peut suivre les étapes de ce durcissement. Par ailleurs, Jaspar ajoute une corde à son arc en choisissant un second instrument, la flûte, encore peu utilisée en jazz et qu’il a commencé a pratiquer peu avant son départ. Bobby Jaspar deviendra une des voix les plus marquantes et les plus originales de la flûte-jazz.

Premier, catégorie “New Stars” dans le Down beat Poll dès le mois d’août 1956, il va parcourir les U.S.A. de long en large avec Jay Jay Johnson, à un rythme infernal qui non seulement l’épuise physiquement mais renforce vraisemblablement des tendances déjà plus que latentes à consommer diverses drogues. En 1956 et 1957, Bobby Jaspar joue et enregistre avec Hank Jones, André Hodeir, Herbie Mann, Billy Verplanck ainsi qu’au sein d’un All Stars détonnant (Coltrane, Webster Young, Idrees Sulieman, Mal Waldron, Kenny Burrell, Paul Chambers et Art Taylor, tous issus de la firme de disques “Prestige”). Il enregistre également deux albums à son nom, l’un en 1956 (le plus personnel, qui contient les fameux “Clarinescapade” et “In a little Provincial Town” – ce dernier titre en hommage à Liège), l’autre en 1957, pour Prestige précisément, plus musclé, plus strictement new-yorkais !

Deux albums complémentaires qui suffiraient à eux seuls à le placer parmi les grands du jazz. Toujours avec Jay Jay Johnson, il part en tournée en Europe. C’est à son retour aux États-Unis, après de courtes vacances au pays natal, qu’il va vivre une expérience peu commune : un séjour de quelques semaines dans le quintette de Miles Davis ! Bobby Jaspar et Barney Wilen (à la même époque d’ailleurs) sont les seuls Européens – et pour ainsi dire les seuls blancs jusqu’à Liebman, Grossman et les autres – à pouvoir se vanter d’une telle performance. Performance qui les situe au rang de John Coltrane, de Sonny Rollins, de Wayne Shorter. Malheureusement, ce séjour au coeur même de la “locomotive” du jazz des années 50 ne sera pas vraiment une réussite. Jaspar ne peut s’intégrer à l’esprit du quintette, d’autant que Miles Davis ne lui permet pas de jouer de la flûte. Les relations avec Miles et sa cour ne sont d’ailleurs pas des plus aisées ; Bobby racontera plus tard ces soirées où il se retrouvait atrocement seul et malade, assis sur les marches de l’arrière-cour sordide d’un club new-yorkais, vivant à l’envers les affres du racisme, payant pour les crimes que d’autres avaient commis.

Il reste que ce séjour, si pénible soit-il, marque une nouvelle étape dans son intégration au milieu new-yorkais. De 1958 à 1960, il se produit dans les quintette de Jay Jay Johnson et de Donald Byrd (avec qui il effectue une nouvelle et triomphale tournée en Europe) ; il enregistre aux côtés de Barry Galbraith, Toshiko Akiyoshi (avec René Thomas), Wynton Kelly, Milt Jackson, Kenny Burrell, jouant également avec Toots Thielemans, Bill Evans, Jimmy Roney, dans les lieux les plus mythiques : le Birdland, le Village Vauguard. Pendant tout ce temps, Bobby Jaspar reste un “pur” qui préférera toujours vivre mal du jazz que vivre bien d’une musique alimentaire qu’il méprise. Le corollaire de ce credo est une lutte permanente pour la survie, dans cette jungle new-yorkaise qui, impitoyablement, mine sa santé. Quand il rentre en Europe en 1961, chacun s’accorde à penser qu’il était grand temps ! A Comblain, devenu entretemps un des premiers festivals au monde, il est sans force et peut à peine jouer.

Ses amis le persuadent de ne pas retourner là-bas, pas tout de suite en tout cas. Lentement, il se rétablit, même si ceux qui le connaissent bien pressentent que ce n’est qu’un sursis. René Thomas est rentré au pays lui aussi et, ensemble, ils montent un orchestre qui va conquérir l’Europe en 1961 et 1962.

Benoît Quersin (b), Daniel Humair (dms), et à l’occasion les pianistes René Urtregger et Amadeo Tommasi, entourent les deux Liégeois. Cette formation est la première à être engagée au Ronnie Scott de Londres, alors qu’elle n’est constituée que d’Européens, de surcroît non britanniques ! A Rome, le quintette enregistre un superbe album ; puis un autre encore, avec Chet Baker ! Depuis leur première rencontre dans un studio d’enregistrement en 1955, beaucoup de choses ont changé, pour l’un comme pour l’autre. Et leur musique en porte la marque. En 1962, Bobby Jaspar effacera le pénible souvenir de sa prestation à Comblain l’année précédente, en participant à des concerts et à différentes jams dans sa “little provincial town”. Il repart alors subitement pour les États-Unis. Sans doute la vie plus calme qu’il connaît en Europe ne lui suffit-elle plus. On songe aux derniers voyages de Bud Powell tel que l’a superbement décrit Francis Paudras : dans les deux cas, l’issue sera fatale. Dès le mois de septembre, Jaspar est hospitalisé. Il apparaît bientôt qu’une opération à cœur ouvert est indispensable. Tandis que ses amis américains s’activent pour trouver la quantité de sang nécessaire à l’opération, en Belgique, un “benefit concert” est organisé pour payer les frais d’hospitalisation, Jaspar n’ayant évidemment pas le sou. L’opération a finalement lieu, mais son état s’est encore aggravé et désormais, rien ne pourra le sauver. Le 4 mars 1963, Bobby Jaspar meurt à l’Hôpital Bellevue, dans ce New York qui l’a consacré puis tué. Parmi les hommages que lui rendent les divers périodiques spécialisés, on retiendra celui de Pierre Bompari, dans l’éphémère revue Jazz Hip : “… Il ne m’appartient pas – et à personne – de parler de la façon dont Bobby a choisi de nous quitter. Il ne m’appartient pas – et à personne – de disserter sur ce long et pénible suicide. Non, il ne m’appartient pas de parler du départ de ce musicien d’exception, surtout au moment où quelques tristes imbéciles de la presse parisienne se complaisent à déblatérer sur un sujet trop, beaucoup trop délicat et complexe sur le tas de boue qui leur sert de cervelle. Bobby Jaspar possédait en lui l’idéal des choses bien faites et avec cœur. Il était honnête et bon et c’est tout ce que je veux savoir de lui. Il faisait partie de ces hommes à la sensibilité et à la sincérité exaltantes. Il était de la lignée des Boris Vian, se moquant parfois tendrement de lui-même pour nager dans un monde un peu moins conventionnel que celui qui nous est offert chaque jour. La pataphysique aurait pu lui suffire pour passer, pour enjamber le pont de la médiocrité quotidienne. Elle ne l’a pas fait…”.

Le 14 mars 1963, Bobby Jaspar est enterré au cimetière de Robermont (Liège, BE) ; il venait d’avoir trente sept ans ! Quelques jours plus tard, Jacques Pelzer et Maurice Simon joueront l’Agnus Dei de Bizet et All the things you are à la messe-jazz célébrée en son honneur. Vingt cinq ans plus tard, on commence à réaliser quelle perte la mort prématurée de Bobby Jaspar a représenté pour le jazz.

Extrait de Jean-Pol Schroeder dans Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990, 175 à 180)

Oeuvres

Bobby Jaspar est un des musiciens belges ayant enregistré le plus. Au début des années 50, en France avec Henri Renaud, Bernard Peiffer, Jimmy Raney, André Hodeir, Jay Cameron, Don Rendell, Dave Amran, Christian Chevalier, Chet Baker, ainsi que de nombreux enregistrements sous son nom. A partir de 1956, aux U.S.A., avec Jay Jay Johnson, Hank Jones, Herbie Man, Tony Benet, Helen Merrill, Toshiko Akiyoshi. En France (1958) avec Donald Byrd, Michel Hausser. A nouveau aux U.S.A. à partir de 1959 avec Wynton Kelly, Chris Connor, Milt Jackson, Kenny Burrell, John Coltrane (Prestige All Stars), Chet Baker, John Lewis.

Faits & dates
  • Né à Liège (BE) le 20 février 1926
  • Mort à New-York (US) le 4 mars 1963
En savoir plus
  • Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990, 175 à 180)
  • Maison du Jazz (Liège, BE)
  • Jazz in Belgium (EN)