Liégeoise d’abord
C’est François-Charles de Velbrück, prince-évêque de Liège de 1772 à 1784, qui prit en 1775 la décision de créer une “Académie de peinture, sculpture et gravure” ainsi qu’une “Ecole de dessin relative aux arts mécaniques”. Le peintre Léonard Defrance (1735-1805) et le sculpteur Guillaume Evrard (1709-1793) firent partie du premier corps professoral. Cette première académie occupa d’abord provisoirement deux salles de l’Hôtel de Ville avant de s’installer à partir de 1778 dans un hôtel particulier “Vieille Cour de l’Official”, à proximité de l’actuel Îlot Saint-Michel, jusqu’à la Révolution liégeoise de 1789.
Française ensuite
Sous le Régime français en 1797, Liège, devenue siège de la préfecture du département de l’Ourthe, ouvre une “Ecole Centrale”. Léonard Defrance, encore lui, y est chargé des cours de dessin. Comme toutes les autres écoles centrales de l’Empire, en 1808 l’école de Liège devient lycée et le cours de dessin n’est plus qu’un cours parmi d’autres. Quatre années plus tard, en 1812, à l’instigation des membres de la Société d’Émulation – une société savante instituée elle aussi quelques décennies plus tôt par ce prince éclairé qu’était Velbrück – un projet de création d’une école gratuite de dessin, de peinture, sculpture et architecture voit le jour : ce sera “l’Athénée des Arts”. Celui-ci ne connaîtra cependant qu’une existence éphémère, les circonstances politiques le voulant ainsi. En effet, les cours disparaissent peu après en janvier 1814 : les armées alliées entrent à Liège et mettent fin au Régime français. Cet Athénée des Arts occupait une grande salle de l’hospice Saint-Michel, rue de l’Étuve. Le peintre français Philippe-Auguste Hennequin (1762-1833) en était le directeur.
Puis Hollandaise…
Á la suite du Congrès de Vienne en 1815, Liège, passée sous l’autorité des Pays-Bas, devra attendre 1820 pour que soit créée une “Académie royale de dessin” et qu’ainsi l’enseignement des arts puisse à nouveau être dispensé. Cette académie, dont la direction est assurée par le sculpteur François-Joseph Dewandre (1758-1835), fut d’abord installée dans les locaux de l’ancien Collège des Jésuites wallons (l’actuelle université) avant de déménager en 1825 dans ceux de l’ancien Hospice Saint-Abraham. Cet immeuble, situé en Feronstrée entre Potiérue et la rue Saint Jean-Baptiste, fut démoli en 1963 pour libérer l’espace nécessaire à la construction de la Cité administrative et d’une grande surface commerciale (l’ancienne Innovation).
Belge enfin
Peu après l’Indépendance de la Belgique, désireux de soutenir les arts, un groupe de personnes se forme autour du bourgmestre Louis Jamme et émet diverses propositions qui aboutiront en 1835 à la réorganisation des cours et à la création d’une “Académie royale des Beaux-Arts”. Le peintre verviétois Barthélemy Viellevoye (1798-1855) en sera le premier directeur.
Au fil des années cependant, le nombre des étudiants croissant sans cesse, les locaux de l’ancien hospice deviennent rapidement exigus, mal éclairés, mal aérés, insalubres, surchauffés par les becs de gaz, ils présentent de réels dangers. Aussi, en 1890, l’échevin Gustave Kleyer présente au Conseil communal un projet de construction de nouveaux locaux sur un terrain jadis occupé par le couvent Sainte-Claire non loin de la gare du Palais. Le projet est accepté et les premiers travaux débutent en juillet 1892. L’Académie quittera la rue Feronstrée et l’hospice qui l’accueillait pour le nouveau bâtiment de la rue des Anglais en 1896.
Le bâtiment
Construit entre 1892 et 1895 par Joseph Lousberg (1857-1912), à cette époque architecte de la Ville de Liège, le bâtiment qui abrite l’Académie royale des Beaux-Arts de Liège est inspiré par l’architecture de la Renaissance italienne.
Son plan comporte quatre ailes qui se répartissent autour d’une cour centrale aménagée en jardin. Tandis que l’aspect général de l’édifice depuis la rue des Anglais paraît très sobre, sévère même, les façades donnant sur la cour révèlent un tout autre esprit : les baies en plein cintre du rez-de-chaussée, les fenêtres à croisée du premier étage, les fenêtres géminées dotées de colonnettes à chapiteau corinthien, la corniche saillante ainsi que le remarquable escalier d’apparat à double révolution révèlent les sources d’inspiration de l’architecte. En cette fin du XIXème siècle, pour abriter une école d’art, il était de bon ton en effet de se référer à une époque de l’histoire qui voit les arts plastiques obtenir reconnaissance et prestige. Ainsi l’académie de Liège possède-t-elle des accents qui peuvent faire penser à un palais italien de la Renaissance.
Le 14 juillet 1895, le roi Léopold II inaugure ce nouveau bâtiment de la rue des Anglais. Les travaux ne s’arrêteront cependant pas là et, quelques années plus tard, avec une entrée située rue de l’Académie, un Musée des Beaux-Arts complète l’ensemble. Pendant plus de septante ans, l’enseignement, la conservation et la promotion des arts plastiques se feront dans des bâtiments contigus constituant ainsi un complexe homogène composé d’un musée, rue de l’Académie, et d’une académie, rue des Anglais.
Fin des années septante toutefois, tout le quartier est soumis à d’importantes transformations : les infrastructures autoroutières doivent pénétrer jusqu’au cœur de la ville. Le Musée des Beaux-Arts doit laisser la place à l’automobile. Tous les immeubles situés côté chiffres pairs de la rue de l’Académie sont expropriés et détruits. C’est depuis cette époque que se dresse, visible de tous depuis la place de l’Yser (!), l’immense pignon aveugle de l’académie que quelques chétifs peupliers peinent à dissimuler…
Si aujourd’hui le musée a disparu, le bâtiment abritant l’Académie n’a toutefois quasiment rien perdu de la physionomie qu’il présentait en 1895.
L’architecte de l’Académie
Originaire de Baelen, Joseph Lousberg, diplômé de l’Académie en 1883, a fait carrière dans les services de la Ville avant d’être désigné architecte des bâtiments communaux en janvier 1887. Á ce titre, il dessine de très nombreux bâtiments: les écoles du boulevard Ernest Solvay au Thier à Liège (1890), de la rue Maghin (1894), du boulevard Kleyer (1911), de la place Sainte-Walburge (1905), de la place Vieille Montagne dans le quartier du Nord (1906) mais aussi l’annexe de l’Athénée du boulevard Saucy (1903), l’école d’Armurerie de la rue Léon Mignon (1904). C’est également lui qui dessine les plans de l’ancienne bibliothèque des Chiroux en 1904, des crèches de la rue Rouleau (1905) et de la rue du Laveu (1912) ainsi que les pavillons représentant la Ville de Liège aux expositions universelles de Bruxelles, Liège et Gand. Il travaille également à la restauration du Musée Curtius et de l’ancien couvent des Ursulines au pied de la Montagne de Bueren. Il dessine enfin des immeubles pour le privé comme les bâtiments, aujourd’hui détruits, du banc d’épreuve des armes à feu, rue Fond des Tawes, ainsi que de nombreuses maisons particulières dans la région de Dolhain Limbourg.
Dans l’escalier
Albert Ciamberlani (1864-1956), l’auteur de cette grande peinture décorant aujourd’hui le grand escalier, est né à Bruxelles en 1864 d’un père italien et d’une mère flamande. Après un court séjour à l’Académie de Bruxelles dans la classe de Portaels, il fait partie du groupe l’Essor avant de fonder le cercle “Pour l’Art” avec Jean Delville, Emile Fabry et Victor Rousseau notamment. En cette fin de siècle, ce groupe appartient à la mouvance symboliste. L’esprit littéraire, l’idéalisme et l’allégorie soufflent alors sur les beaux-arts.
En France, Pierre Puvis de Chavannes a ouvert une voie qui renouvelle la peinture monumentale: de grandes compositions claires, statiques, des tonalités mates, des personnages aux gestes lents, le silence. Albert Ciamberlani retient la leçon. “L’hommage aux héros de la colonisation” n’a pas été réalisé pour l’Académie, même si l’oeuvre paraît s’intégrer parfaitement à l’espace de l’escalier. La peinture décorait le pavillon de l’Etat indépendant du Congo à l’Exposition universelle de Liège en 1905. Elle a été achetée en 1929 pour le Musée des Beaux-Arts qui jouxtait jadis l’Académie. Ciamberlani a travaillé pour d’autres lieux: les Hôtels de Ville de Saint Gilles et de Schaerbeek, le Musée de Tervuren, le Cinquantenaire et les Palais de Justice de Louvain et de Bruxelles.
Les députés gantois attendant à la porte du palais de Charles le Téméraire…
Lorsque le musée des Beaux-Arts quitta la rue de l’Académie, ce grand tableau d’histoire resta accroché au mur du couloir du rez-de-chaussée de l’école. Signé Emile Delpérée et daté 1877, cette peinture évoque un épisode de l’histoire médiévale. En 1468 Charles le Téméraire avait mis à sac la ville de Liège. Quelques mois plus tard, le duc de Bourgogne évoquant la possibilité de faire subir le même sort à leur ville, les Gantois envoyèrent leurs députés afin d’implorer sa clémence. L’histoire rapporte que le Téméraire fit patienter la délégation plus d’une heure et demie dans la neige avant de l’autoriser à pénétrer dans le palais. Les députés se prosternèrent ensuite à ses pieds et lui remirent leurs chartes et les bannières de leurs métiers avant de lui dire merci. Delpérée professeur chargé du cours de peinture, comme Chauvin ou Vieillevoye avant lui, s’inscrit dans la tradition d’une peinture qui cherche par l’image à nous instruire et à nous faire réfléchir à partir d’épisodes de l’histoire nationale et locale.
Dans ce tableau, Delpérée multiplie certes les expressions, les visages sont tendus, les corps sont raides, les poings crispés mais surtout il nous propose des visages singuliers comme s’il voulait nous montrer que bien plus qu’un groupe nous avons là, dans ces circonstances, des personnalités individuelles que la peur révèle. Lorsqu’on examine ces visages, leur précision laisse penser que Delpérée a rassemblé là quelques-unes de ses connaissances. S’il est délicat de s’aventurer dans l’attribution de certains visages, on peut toutefois sans hésitation reconnaître Charles Soubre (1821-1895), son collègue professeur de dessin (1854-1889) dont il a épousé la fille.
La bibliothèque et le fonds Henri Maquet
Joseph Lousberg ne s’est pas contenté de dessiner les plans du bâtiment, il a également conçu tout l’aménagement ainsi que le mobilier de certains locaux de l’école comme l’amphithéâtre du premier étage ou, plus significatif encore, la bibliothèque ; il dessine ainsi toutes les armoires, la galerie, jusqu’au motif des charnières et des serrures.
L’architecte Henri Maquet, né en 1839, a fait ses études à l’Académie de Liège avant de faire carrière à Bruxelles où, notamment, il conçut les plans de l’Ecole royale militaire et où il travailla à la transformation du Palais royal. A sa mort en 1909, en hommage à l’école qui l’avait formé, il lègue son exceptionnelle collection de livres anciens d’architecture. C’est ainsi que la bibliothèque de l’Académie peut offrir, à la consultation, des ouvrages comme les traités d’architecture de Vignole, Serlio, Palladio, Perrault, Blondel…, les œuvres de Gianbattista Piranese, les livres de Gérard de Lairesse ou encore de Viollet-le-Duc…
L’Académie aujourd’hui
Les locaux de la rue des Anglais abritent trois écoles différentes : l’Académie royale des Beaux-Arts (Ecole supérieure des Arts de la Ville de Liège et ses huit options : peinture, sculpture, gravure, scénographie, vidéo, publicité, illustration et bande dessinée), les humanités artistiques du Centre d’Enseignement secondaire Léonard Defrance et enfin l’enseignement artistique à horaire réduit. C’est également dans ses locaux enfin que divers stages sont organisés durant les mois d’été pour les adultes et pour les enfants.
Philippe DELAITE
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- Pour en savoir plus…
- image en tête de l’article : façade de l’Académie des Beaux-Arts, Liège © Philippe Vienne
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La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Philippe DELAITE a fait l’objet d’une conférence organisée en décembre 2022 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne… |
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