CARNETS DE L’OEIL n°04 : Perdre du temps pour en retrouver

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Ce matin, je n’ai pas le moral. Je suis stressé. Un dossier administratif en attente depuis des semaines m’obnubile. “Mais quand vont-ils enfin se décider à me répondre ?” me dis-je en me retournant dans mon lit. Les injonctions m’envahissent. “Je dois bosser, répondre au mail d’untel, payer le gaz…” Et au fond de moi je sens que toutes ces tâches ne seront pas pour aujourd’hui. La veille je me suis démené derrière mon ordinateur pour avancer dans la rédaction de mon livre. Aujourd’hui, j’ai besoin d’ancrage… je dois perdre mon temps pour en gagner.

Je finis d’avaler ma tasse de café, j’enfile une tenue adéquate, attrape mon appareil photo et saute dans ma voiture. Passé le nécessaire moment de pollution véhiculaire, je me retrouve le long de l’Ourthe dans un petit plan d’eau à l’écart du cours d’eau principal.

La nature m’accueille. Une libellule sur le chemin me salue et prend la pose au soleil. Quelques mètres plus loin, un héron semble me dire “ah… on t’attendait”. Je me faufile parmi les herbes touffues et me love dans un recoin discret, le long de l’eau. A peine arrivé, j’aperçois un castor se faufiler dans un fourré… Vraiment la matinée s’annonce sous les meilleurs auspices.

© Benoit Naveau

Soudain, un voyant s’allume sur mon appareil photo. C’est la batterie qui menace de me laisser tomber. Mais quand ? Dans dix, cinquante clichés ? Je décide de fonctionner à l’économie. Je ne déclencherai que lorsque ça en vaudra vraiment la peine.

Les minutes passent et mon stress se dégonfle comme un ballon de baudruche. J’entends le bruit du vent, les chants des oiseaux. Pas encore de martin-pêcheur à l’horizon mais il ne saurait tarder… Ah je l’aperçois d’un peu loin. Oui il est bien là, posé sur une branche… Il s’en va… Une heure passe. Je continue ma méditation, ma contemplation.

Une autre heure. J’hésite à plier bagage mais je sens qu’aujourd’hui j’aurai droit à un cadeau si je me montre patient. J’ai là, juste en face de moi, une branche qui rendrait envieux n’importe quel être vivant se sentant un tant soit peu martin-pêcheur. Je suis certain qu’il finira par s’y poser. Je le sens, là entre mon cœur et mes tripes.

© Benoit Naveau

Le récit serait moins beau s’il ne s’y était pas posé. Il s’y pose une première fois brièvement… Première série de photographies… Maudite feuille dans le champ.

Je me sens veinard et en verve… je prends mon téléphone et commence à rédiger la chronique que vous lisez en cet instant. Deuxième arrêt au même endroit…. Merci la nature… Une troisième et une quatrième visite. C’est un festival de martins-pêcheurs… Ma batterie tient miraculeusement. Je suis comblé. Et dans le même temps. Je vous ai écrit ces quelques lignes.

Vraiment, aujourd’hui il fallait que je perde du temps…

Benoît NAVEAU


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction et iconographie | auteur : Benoît NAVEAU | illustrations : © Benoît NAVEAU.


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CARNETS DE L’OEIL n°03 : Prendre rendez-vous

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La pratique de la photographie animalière prend de multiples formes et méthodes. Parmi celles-ci, deux techniques principales sortent du lot. Soit le photographe part en balade pour découvrir ce que la nature a à lui offrir. C’est la billebaude. Soit il s’assied, se camoufle plus ou moins sommairement et attend. C’est l’affût.

Dans le cas de la billebaude, qu’importe l’endroit exact pourvu que le photographe parcoure une région propice. Il erre au gré de son envie et de son instinct. Pour un affût, la nécessité de passer plusieurs heures au même endroit pousse au contraire à anticiper au maximum. Heure d’arrivée, chemin d’accès, période de l’année, localisation et même angle de prise de vue, rien n’est laissé au hasard. Le photographe prend réellement rendez-vous avec la nature mais il ne sait jamais vraiment si elle va lui poser un lapin ou pas. Les grands photographes ne jurent que par cette technique de l’affût. Plus respectueuse de la nature, elle permet de prendre des clichés sans même que l’animal ne se doute de votre présence alors que la billebaude causera invariablement des rencontres inattendues qui se concluront par la fuite du sujet.

Ce matin-là, je pars en mode “affût”. Ça ne m’arrive pas souvent car il s’agit d’une sorte de quitte ou double cruel. On investit davantage d’énergie dans la préparation et dans l’attente ce qui peut amplifier proportionnellement la déception lorsque l’on revient bredouille. Je pars donc me poster pour tenter de photographier un martin-pêcheur. Cette petite flèche bleue a la vue particulièrement aiguisée et, s’il est capable de repérer un poisson à une grande distance, il ne manquera pas de vous repérer si vous êtes en mouvement. Le seul moyen de tirer son portrait est donc d’identifier une belle branche stationnant à quelques dizaines de centimètre de l’eau, de se planter à distance respectable et d’attendre qu’il vienne s’y poser. Bien sûr, choisir une heure matinale et un lieu propice augmentent fortement les chances de rencontre.

Je choisis pour cela un bel endroit à la biodiversité remarquable, les marais au pied du château de Colonster… Un espace de nature magique où les castors ont radicalement changé faune et flore en quelques années.

Je me couche sous les herbes, me recouvre d’un filet de camouflage. Et, Enfer ! le martin est déjà là. Mais trop près… à deux mètres de moi juste derrière de hautes herbes. Je tente de ne pas faire de mouvement brusque tout en orientant imperceptiblement mon objectif vers lui. Les herbes me gênent pour faire la mise au point. Une photo floue, une autre… Il me surprend, il s’envole. C’est fini.

S’écoule ensuite une très longue heure… je suis immobile, attentif aux mouvements dans mon champs de vision. J’ai l’espoir qu’il revienne pêcher dans les environs et en attendant, je passe mon temps en prenant quelques portraits de poules d’eau. Ah, il se pose… Un peu loin cette fois mais il ne m’a pas vu. Le bal de la pêche commence. J’observe pour la première fois de ma vie un martin-pêcheur à l’œuvre. Spectacle fascinant d’efficacité et de patience.

Le martin était finalement bien là au rendez-vous, je l’y retrouvai ensuite à plusieurs reprises mais le perdis de vue l’hiver venu.

Cher martin-pêcheur, vivement notre prochaine séance d’affût : toi attendant patiemment qu’un poisson passe à ta portée et moi que tu viennes te poser à proximité.

Benoît NAVEAU

© Benoît Naveau

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CARNETS DE L’OEIL n°02 : Reconnaître la beauté dans un océan de banalité

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Ce matin, le paysage liégeois s’est paré d’une fine couche de neige. Le soleil pointe son nez parmi les nuages. La météo est idéale pour une petite balade photographique.

J’attrape mon appareil photo et prends le chemin des coteaux de la Citadelle de Liège. Petit coin de nature aux beautés insoupçonnées, il accueille quantités d’oiseaux peu avares de leurs beautés mais pour la plupart des promeneurs, complètement invisibles. Beaucoup avancent d’un pas rapide, promenant leurs chiens. D’autres prennent soin de leurs corps lors d’un jogging matinal. Et d’autres encore se baladent en famille se demandant des nouvelles les uns des autres. Ils entendent bien pépier de ci de là mais sans se retourner. Sans se demander d’où provient ce chant mélodieux.

C’est normal, l’endroit est archi-connu et fait partie de notre routine quotidienne. Pourquoi encore se retourner ? C’est lors de nos vacances que nous nous asseyons pour admirer la vue, pas au détour d’un simple parc à deux pas de chez nous. Et pourtant, cet endroit si quotidien est chargé de beautés à la portée de chacun, mais mésestimées.

J’arrive au cœur des bois et ralentis le pas. Je m’adosse contre un tronc d’arbre et prends le temps de repérer l’origine des bruits qui m’entourent. Par-là, des mésanges se poursuivent dans les taillis, par ici des corneilles s’en prennent à une buse. Ah, j’aperçois un écureuil qui grignote une noix. Je tente de trouver un angle satisfaisant pour le prendre en photo. Je lutte avec mon autofocus qui semble prendre un malin plaisir à faire le point sur la moindre branchette entre moi et le petit mammifère. Trop tard, l’écureuil a fichu le camp. Belle rencontre mais qui n’aura pas de témoin.

Je reprends ma route et avance à pas de loup dans une petite sente moins fréquentée. Les pépiements redoublent d’intensité. Lorsque je repère une sittelle torchepot. Elle se pose et se balade nonchalamment sur un vieil arbre mort recouvert d’une fine pellicule de neige. Le soleil, la neige, un fond dégagé, pas de branchette énervante entre elle et moi. La photo est prise, l’oiseau s’envole. Ce jour-là, ce fut aussi de belles photos de rouges-gorges et de geais. Rien d’exceptionnel, je n’avais croisé ni un loup ni un tetra lyre… mais vraiment, la beauté était bien présente dans cet océan de banalité.

Benoît NAVEAU

IRSN : Sittelle (Sitta europaea, planche 11)

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CARNETS DE L’OEIL n°01 : Les rencontres inattendues

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La plupart des rencontres sont le fruit d’un pur hasard. Vous étiez venu tenter de photographier un oiseau quand se présente devant vous un tout autre type de bestiole. Ces rencontres me procurent la plupart du temps un grand choc émotionnel. Je n’étais pas préparé à rencontrer ce renard, presque en pleine journée, dans un endroit connu pour être le paradis des oiseaux (quoiqu’il doive y trouver son compte lui aussi).

Ce matin-là, je pars à la rencontre du gorge-bleue un petit migrateur qu’on ne rencontre qu’à la saison des amours, dans certaines réserves naturelles. Grandes étendues d’eau et joncs à profusion sont requis. Je me lève donc à l’aube, m’équipe de mon attirail de photographe : pantalon imperméable me permettant de m’asseoir par terre sans être trempé, veste de camouflage, appareil photo équipé de son téléobjectif. Je monte dans la voiture et parcours la petite demi-heure qui me sépare d’un endroit tout à fait étonnant : les bassins de décantation d’Hollogne-Sur-Geer. Ces anciens bassins servent à la purification de l’eau issue d’une râperie de betterave et offrent à une faune avicole bigarrée, bruyante et nombreuse, un espace de jeu de toute beauté. L’endroit est bien connu des photographes et nous nous retrouvons souvent une petite dizaine à écumer les lieux.

Arrivé sur place, je me positionne près des roseaux espérant voir mon Graal bleu apparaître. Une heure, puis deux ; je pars ensuite observer les bassins, tentant de récupérer mon coup par une photographie moins exceptionnelle de quelques canards. Quelques dizaines de clichés relativement ordinaires plus tard, je fais demi-tour et reprends le chemin de la voiture. Soudain, j’écarquille les yeux, quelle est cette forme qui bouge près des anciens tuyaux de circulation d’eau ? Un renard ? Mais il est déjà 10h du matin ! Comment est-ce possible ? En fait, ces questions je me les suis posées après. Je ne sais quel réflexe me fait tendre mon appareil et appuyer sur la détente tout en priant pour que la mise au point se fasse correctement. J’ai eu le temps de prendre sept clichés en six secondes, les données EXIF de mes photos faisant foi, avant que le renard ne disparaisse au détour du chemin. Six secondes, trois respirations, sept photographies et cinq pensées au moins (“abaisse toi pour ne pas lui faire peur“, “fais la mise au point sur ses yeux“, “est-ce que les iso ne sont pas trop élevés ?“, “ne tremble pas“, “refais la mise au point pour être sûr…”). Le renard est parti. Mes mains tremblent. J’ai une montée d’adrénaline. C’est la première fois que je prends la photographie d’un renard, enfin plutôt d’une renarde, en face-à-face. Je vérifie la qualité du cliché. Même si ce n’est pas ma meilleure photo, elle me plait, justement parce qu’il s’agissait d’une rencontre inattendue.

Et pourtant ? Était-ce si inattendu que cela ? N’est-ce pas justement cette surprise que le photographe espère vivre ? Attendre l’inattendu. Je me suis levé tôt, j’ai réservé du temps dans ma semaine, j’ai préparé mon matériel et je suis resté attentif à mon environnement jusqu’au dernier instant. C’est finalement cet état d’esprit qui me plaît. Le plaisir de se laisser surprendre. Une leçon de photographe et probablement une leçon de vie.

Benoît NAVEAU


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Butors et triples buses : biodiversité inspirante en Wallonie-Bruxelles

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Il était une fois un œil qui vivait avec un seul objectif : capturer la vie sans l’arrêter. Lors vint un jour où…” Quel régal vivifiant qu’il ne s’agisse pas ici d’un conte de fée (n’en déplaise au bon Henri Gougaud) mais bien d’une belle histoire : l’ami Benoît Naveau est cet œil aussi précis que généreux et le télé-objectif qu’il promène dans nos bois & buissons lui permet une capture douce de la vie comme elle s’offre, sans violence aucune.

Pourquoi ressent-on autant l’exaltation que le respect quand on est face aux Sittelles torchepot, aux Mésanges bleues (cfr. en-tête) ou aux Grimpereaux des jardins que Benoit nous partage sans réserve sur les réseaux sociaux et, désormais, dans wallonica.org également ? Peut-être ressent-on avec lui cet instant unique -qui ne sera pas le suivant- où il doit appuyer sur le déclencheur pour figer un avatar de la Grande Mère, cette nature biodiverse où nous vivons quelquefois comme des aveugles. Au moins, Benoît est-il borgne en ce pays de cécité, et les longs affûts qu’il impose à son œil unique inspirent le respect dû aux courageux qui prennent le temps de regarder, aux poètes dont le surplus d’humanité nous permet d’entrevoir plus que les faits divers.

Les “CARNETS DE L’ŒIL” formeront -dans wallonica.org– une série d’articles où nous avons choisi de tenter une expérience qui se veut originale. Chaque article naîtra d’un cliché de Benoît et sera un florilège des savoirs inspiré par celui-ci : poèmes, haikus (haikai ?), documentation scientifique, extraits et citations, topo du site, liens vers les sites et blogs de nos confrères qui ont également publiés sur le sujet de la photo, planches scannées du Fonds Primo de notre DOCUMENTA et, naturellement, vos contributions pertinentes… en veux-tu, en voilà. Cette page en sera la table des matières et chacun des articles offrira des hyperliens vers 11 autres articles de la série. Alors, avec nous, cliquez curieux !

Patrick Thonart


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction et iconographie | auteur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © Benoît Naveau.


[en construction] Bio-diversons en Wallonie-Bruxelles…