Assis par terre devant sa caverne, Adamah eut un moment de vertige.
Devant lui, dans le monde entier, les hommes et les femmes étaient en procession, chaque marcheur maintenait les mains sur les épaules du marcheur précédent et portait sur les siennes les mains du marcheur suivant, et les enfant couraient entre les jambes de tous, indifféremment.
Les lignes concentriques formées par les pénitents soulevaient une poussière qui faisait tousser Adamah et le vacarme des voix était violent : pas un qui ne fut en train de parler, sourdement ou avec véhémence, en train de discourir, en solo ou à l’envi. Adamah sentait le vertige monter en lui, à les voir tous passer devant lui, sans le regarder…
Chaque année, la procession ne s’arrêtait que quatre fois : aux solstices et aux équinoxes. Aux équinoxes, le défilé s’arrêtait, les bras retombaient et tous se taisaient. Le silence était assourdissant quand peu à peu les corps dressés se mettaient à hésiter, d’avant en arrière, balançant doucement sans jamais tomber d’un côté ou de l’autre. Puis, les bras remontaient sur les épaules et la marche reprenait, comme les sons qui sortaient à nouveau de chaque bouche, reformant une litanie qui durerait jusqu’au solstice suivant. Au solstice d’été, les rondes s’interrompaient de même, chacun levant les mains triomphalement pour cacher sa peur de la nuit. Au solstice d’hiver, à l’inverse, chacun, dans la foule arrêtée, croisait les bras en baissant la tête pour ressentir l’espoir du soleil vainqueur qui ne manquerait pas de briller à nouveau, un jour.
Adamah ne savait plus ce qui l’avait poussé à quitter la file au moment où elle passait devant sa caverne. Il avait quitté le rang dès l’arrêt, il s’était assis devant chez lui, comme pour prendre souffle, mais il n’était plus reparti. Aujourd’hui, il le savait, il lui fallait quitter la vue de cette danse hypnotique et plonger dans sa caverne, l’explorer. Pourquoi, il ne le savait pas.
Adamah a marché vers le fond de l’ouverture et, au détour d’une pierre, a trouvé le passage. Aidé d’une maigre torche, il a progressé jusqu’à ce qu’aucune lueur du jour ne lui parvienne plus : le chemin était tortueux mais descendait doucement, comme une invitation. Arrivé à un replat, alors qu’un courant d’air soufflait sa torche, Adamah eut peur de l’obscurité. Il réalisa néanmoins qu’il pouvait encore voir et avança de plus belle pour aboutir dans un large espace, baigné de lumière douce.
Au centre de la caverne haute comme un temple, gisait une amande de pierre polie, beaucoup plus grande que lui. La surface lisse était noire comme du granit sombre mais elle tourna au rose profond comme Adamah s’approchait pour la toucher. Il hésita devant l’étrange objet mais une confiance tout aussi étrange le poussa à avancer les mains et à poser les deux paumes sur la pierre. Il sentait qu’elle était chaude alors qu’il attendait un contact minéral et froid. Bien au contraire, l’amande était douce comme la chair. Comme il appliquait ses paumes avec plus de force, elle se mit à rayonner et l’image d’une oasis apparu sur les parois de la caverne.
Adamah savait ce moment sacré et aucune parole ne pouvait dire l’apaisement numineux qu’il ressentait alors. Surpris par l’unité qu’il éprouvait entre lui et l’oasis, il avait d’abord retiré ses mains et l’image avait disparu ; il avait ensuite reposé ses doigts puis ses paumes pleines sur ce nouveau centre de sa vie et l’image avait retrouvé tout son éclat. S’il lui était une loi désormais, c’était celle qu’il faisait sienne alors.
Avec dans l’âme la beauté de l’oasis, Adamah est alors remonté à la surface et a entamé une marche vers le centre des cercles de pénitents, profitant de chaque arrêt saisonnier pour se glisser entre les corps captifs. Selon la force qu’il se sentait, il avançait vers le cœur du mandala humain ou reculait pour une brève retraite, pendant laquelle il ne manquait pas de se ressourcer auprès de l’amande.
Or, un jour, il eut une vision et comprit ce qu’il verrait, une fois arrivé à l’épicentre des marches forcées : un bloc de béton, couvert de peintures nées de mille mains avec un seul motif, répété à l’envi : une oasis. Il pleura d’émotion en pensant aux efforts déployés par ses anciens compagnons de marche puis, se redressa et reprit la route vers sa caverne, franchissant à nouveau chaque cercle aux solstices et aux équinoxes.
Vint le jour où il aperçut au loin l’ouverture de sa caverne. Fort de ses voyages, il leva les yeux et vit des hommes et des femmes qui lui souriaient, chacun posté à l’entrée de cavernes, également creusées dans l’immense montagne… en forme d’amande.
Anne Brouillard est née en 1967 à Leuven, en Belgique, d’un père belge et d’une mère suédoise. Aimant dessiner depuis l’enfance, elle se forme à l’illustration à l’ESA Saint-Luc de Bruxelles et son premier album, Les trois chats est édité dès 1990.
Autrice et illustratrice, elle a, depuis, réalisé plus d’une quarantaine de livres qui nous emportent dans son univers intime empreint d’imagination poétique et de teintes lumineuses. Composés de différents thèmes entremêlés, tels la nature, les êtres vivants et le voyage, ses ouvrages nous plongent dans un monde à cheval entre le conte, le rêve et la réalité.
Son talent a été récompensé par de nombreux prix et sélections, dont la Pomme d’Or de Bratislava, une « mention » à la Foire du livre de jeunesse à Bologne, le Prix Maeterlinck, le Grand Prix Triennal de Littérature de Jeunesse 2015-2018 de la Fédération Wallonie-Bruxelles, etc. Elle a aussi été désignée comme illustratrice représentant la Belgique pour le Prix Hans-Christian Andersen au Danemark.
Mélanie Rutten
Diplomée de l’ESA le 75 en photographie et passionnée par l’image et la narration, elle entame son parcours d’autodidacte en littérature jeunesse.
En 2008, son premier album Mitsu, un jour parfait, est publié aux éditions MeMo avec lesquelles débute une longue collaboration.
Autrice et illustratrice, ses albums sont récompensés par de nombreux prix dont une mention d’honneur aux Bologna Ragazzi Awards, le prix Sorcières et le prix Brindacier. Traduits dans une dizaine de langues, certains sont adaptés au théâtre jeunesse.
En marge de son travail de création, elle suit une formation de guide nature aux Cercles des Naturalistes de Belgique et mène des ateliers d’écriture et d’illustration autour de notre rapport avec la nature.
L’exposition rassemble une sélection d’originaux autour du thème de la forêt, véritable lieu d’inspiration et de récits que ces deux grandes illustratrices observent, peignent et dessinent avec sensibilité. Le Centre d’Art, situé à l’orée de la forêt de Soignes, propose ainsi de vous ouvrir une nouvelle porte vers un imaginaire que petits, grands et autres rêveurs de tout âge se plairont à découvrir.
D’après Kant, la philosophie est la doctrine et l’exercice de la sagesse, et non la simple science…
“Philosopher, c’est penser par soi-même ; mais nul n’y parvient valablement qu’en s’appuyant d’abord sur la pensée des autres, et spécialement des grands philosophes du passé. La philosophie n’est pas seulement une aventure ; elle est aussi un travail, qui ne va pas sans efforts, sans lectures, sans outils. Les premiers pas sont souvent rébarbatifs, qui en découragèrent plus d’un. C’est ce qui m’a poussé, ces dernières années, à publier des « Carnets de philosophie ». De quoi s’agissait-il ? D’une collection d’initiation à la philosophie: douze petits volumes, chacun constitué d’une quarantaine de textes choisis, souvent très brefs, et s’ouvrant par une Présentation de quelques feuillets, dans laquelle j’essayais de dire, sur telle ou telle notion, ce qui me semblait l’essentiel… Ce sont ces douze Présentations, revues et sensiblement augmentées, qui constituent le présent volume. La modestie du propos reste la même : il s’agit toujours d’une initiation, disons d’une porte d’entrée, parmi cent autres possibles, dans la philosophie. Mais qui laisse au lecteur le soin, une fois ce livre lu, de partir lui-même à la découverte des œuvres, comme il faut le faire tôt ou tard, et de se constituer, s’il le veut, sa propre anthologie… Vingt-cinq siècles de philosophie font un trésor inépuisable. Si ce petit livre peut donner l’envie, à tel ou tel, d’aller y voir de plus près, s’il peut l’aider à y trouver du plaisir et des lumières, il n’aura pas été écrit en vain. […]
EAN13 : 9782226117366
Qu’est-ce que la philosophie ? Je m’en suis expliqué bien souvent, et encore dans le dernier de ces douze chapitres. La philosophie n’est pas une science, ni même une connaissance; ce n’est pas un savoir de plus : c’est une réflexion sur les savoirs disponibles. C’est pourquoi on ne peut apprendre la philosophie, disait Kant : on ne peut qu’apprendre à philosopher. Comment ? En philosophant soi-même : en s’interrogeant sur sa propre pensée, sur la pensée des autres, sur le monde, sur la société, sur ce que l’expérience nous apprend, sur ce qu’elle nous laisse ignorer… Qu’on rencontre en chemin les œuvres de tel ou tel philosophe professionnel, c’est ce qu’il faut souhaiter. On pensera mieux, plus fort, plus profond. On ira plus loin et plus vite. Encore cet auteur, ajoutait Kant, “doit-il être considéré non pas comme le modèle du jugement, mais simplement comme une occasion de porter soi-même un jugement sur lui, voire contre lui”. Personne ne peut philosopher à notre place. Que la philosophie ait ses spécialistes, ses professionnels, ses enseignants, c’est entendu. Mais elle n’est pas d’abord une spécialité, ni un métier, ni une discipline universitaire : elle est une dimension constitutive de l’existence humaine. Dès lors que nous sommes doués et de vie et de raison, la question se pose pour nous tous, inévitablement, d’articuler l’une à l’autre ces deux facultés. Et certes on peut raisonner sans philosopher (par exemple, dans les sciences), vivre sans philosopher (par exemple, dans la bêtise ou la passion). Mais point, sans philosopher, penser sa vie et vivre sa pensée : puisque c’est la philosophie même. […]
La morale
[…] On se trompe sur la morale. Elle n’est pas là d’abord pour punir, pour réprimer, pour condamner. Il y a des tribunaux pour ça, des policiers pour ça, des prisons pour ça, et nul n’y verrait une morale. Socrate est mort en prison, et plus libre pourtant que ses juges. C’est où la philosophie commence, peut-être. C’est où la morale commence, pour chacun, et toujours recommence : là où aucune punition n’est possible, là où aucune répression n’est efficace, là où aucune condamnation, en tout cas extérieure, n’est nécessaire. La morale commence où nous sommes libres : elle est cette liberté même, quand elle se juge et se commande. Tu voudrais bien voler ce disque ou ce vêtement dans le magasin… Mais un vigile te regarde, ou bien il y a un système de surveillance électronique, ou bien tu as peur, simplement, d’être pris, d’être puni, d’être condamné…Ce n’est pas honnêteté ; c’est calcul. Ce n’est pas morale ; c’est précaution. La peur du gendarme est le contraire de la vertu, ou ce n’est vertu que de prudence. Imagine, à l’inverse, que tu aies cet anneau qu’évoque Platon, le fameux anneau de Gygès, qui te rendrait à volonté invisible… C’est une bague magique, qu’un berger trouve par hasard. Il suffit de tourner le chaton de la bague vers l’intérieur de la paume pour devenir totalement invisible, de le tourner vers l’extérieur pour redevenir visible… Gygès, qui passait auparavant pour honnête homme, ne sut pas résister aux tentations auxquelles cet anneau le soumettait : il profita de ses pouvoirs magiques pour entrer au Palais, séduire la reine, assassiner le roi, prendre lui-même le pouvoir, l’exercer à son bénéfice exclusif…
Celui qui raconte la chose, dans La République, en conclut que le bon et le méchant, ou supposés tels, ne se distinguent que par la prudence ou l’hypocrisie, autrement dit que par l’importance inégale qu’ils accordent au regard d’autrui, ou par leur habileté plus ou moins grande à se cacher… Posséderaient-ils l’un et l’autre l’anneau de Gygès, plus rien ne les distinguerait: “ils tendraient tous les deux vers le même but“. C’est suggérer que la morale n’est qu’une illusion, qu’un mensonge, qu’une peur maquillée en vertu. Il suffirait de pouvoir se rendre invisible pour que tout interdit disparaisse, et qu’il n’y ait plus que la poursuite, par chacun, de son plaisir ou de son intérêt égoïstes. Est·ce vrai ? Platon, bien sûr, est convaincu du contraire. Mais nul n’est tenu d’être platonicien… La seule réponse qui vaille, pour ce qui te concerne, est en toi. Imagine, c’est une expérience de pensée, que tu aies cet anneau. Que ferais-tu ? Que ne ferais-tu pas ? Continuerais-tu, par exemple, à respecter la propriété d’autrui, son intimité, ses secrets, sa liberté, sa dignité, sa vie ? Nul ne peut répondre à ta place: cette question ne concerne que toi, mais te concerne tout entier. […]
Qu’est-ce que la morale ? C’est l’ensemble de ce qu’un individu s’impose ou s’interdit à lui-même, non d’abord pour augmenter son bonheur ou son bien-être, ce qui ne serait qu’égoïsme, mais pour tenir compte des intérêts ou des droits de l’autre, mais pour n’être pas un salaud, mais pour rester fidèle à une certaine idée de l’humanité, et de soi. La morale répond à la question “Que dois-je faire ?” –c’est l’ensemble de mes devoirs, autrement dit des impératifs que je reconnais légitimes- quand bien même il m’arrive, comme tout un chacun, de les violer. C’est la loi que je m’impose à moi-même, ou que je devrais m’imposer, indépendamment du regard d’autrui et de toute sanction ou récompense attendues […]”
La politique
Il faut penser à la politique; si nous n’y pensons pas assez, nous serons cruellement punis. (Alain)
L’homme est un animal sociable : il ne peut vivre et s’épanouir qu’au milieu de ses semblables. Mais il est aussi un animal égoïste. Son “insociable sociabilité”, comme dit Kant, fait qu’il ne peut ni se passer des autres ni renoncer, pour eux, à la satisfaction de ses propres désirs. C’est pourquoi nous avons besoin de politique. Pour que les conflits d’intérêts se règlent autrement que par la violence. Pour que nos forces s’ajoutent plutôt que de s’opposer. Pour échapper à la guerre, à la peur, à la barbarie. C’est pourquoi nous avons besoin d’un État. Non parce que les hommes sont bons ou justes, mais parce qu’ils ne le sont pas. Non parce qu’ils sont solidaires, mais pour qu’ils aient une chance, peut-être, de le devenir. Non “par nature”, malgré Aristote, mais par culture, mais par histoire, et c’est la politique même : l’histoire en train de se faire, de se défaire, de se refaire, de se continuer, l’histoire au présent, et c’est la nôtre, et c’est la seule. Comment ne pas s’intéresser à la politique ? Il faudrait ne s’intéresser à rien, puisque tout en dépend.
Qu’est-ce que la politique ? C’est la gestion non guerrière des conflits, des alliances et des rapports de force – non entre individus seulement (comme on peut le voir dans la famille ou un groupe quelconque) mais à l’échelle de toute une société. C’est donc l’art de vivre ensemble, dans un même État ou une même Cité (Polis, en grec), avec des gens que l’on n’a pas choisis, pour lesquels on n’a aucun sentiment particulier, et qui sont des rivaux, à bien des égards, autant ou davantage que des alliés. Cela suppose un pouvoir commun, et une lutte pour le pouvoir. Cela suppose un gouvernement, et des changements de gouvernements. Cela suppose des affrontements, mais réglés, des compromis, mais provisoires, enfin un accord sur la façon de trancher les désaccords. Il n’y aurait autrement que la violence, et c’est ce que la politique, pour exister, doit d’abord empêcher. Elle commence où la guerre s’arrête […]
L’amour
[…] L’unicité du mot, pour tant d’amours différents, est source de confusions, voire parce que le désir inévitablement s’en mêle d’illusions. Savons-nous de quoi nous parlons, lorsque nous parlons d’amour ? Ne profitons-nous pas, bien souvent, de l’équivoque du mot pour cacher ou enjoliver des amours équivoques, je veux dire égoïstes ou narcissiques, pour nous raconter des histoires, pour faire semblant d’aimer autre chose que nous-mêmes, pour masquer – plutôt que pour corriger – nos erreurs ou nos errements ? L’amour plaît à tous. Cela, qui n’est que trop compréhensible, devrait nous pousser à la vigilance. L’amour de la vérité doit accompagner l’amour de l’amour, l’éclairer, le guider, quitte à en modérer, peut-être, l’enthousiasme. Qu’il faille s’aimer soi, par exemple, c’est une évidence comment pourrait-on nous demander, sinon, d’aimer notre prochain comme nous-même ? Mais qu’on n’aime souvent que soi, ou que pour soi, c’est une expérience et c’est un danger. Pourquoi nous demanderait-on, autrement, d’aimer aussi notre prochain ? Il faudrait des mots différents, pour des amours différents. En français, ce ne sont pas les mots qui manquent : amitié, tendresse, passion, affection, attachement, inclination, sympathie, penchant, dilection, adoration, charité, concupiscence… On n’a que l’embarras du choix, et cela, en effet, est bien embarrassant. Les Grecs, plus lucides que nous peut-être, ou plus synthétiques, se servaient principalement de trois mots, pour désigner trois amours différents. Ce sont les trois noms grecs de l’amour, et les plus éclairants, à ma connaissance, dans toutes les langues: éros, philia, agapè. J’en ai parlé longuement dans mon Petit Traité des grandes vertus. Je ne peux ici qu’indiquer brièvement quelques pistes.
Qu’est-ce qu’éros ?
C’est le manque, et c’est la passion amoureuse. C’est l’amour selon Platon : “Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour.”
[…] L’amitié ? C’est ainsi qu’on traduit ordinairement philia en français, ce qui n’est pas sans en réduire quelque peu le champ ou la portée. Car cette amitié-là n’est exclusive ni du désir (qui n’est plus manque alors mais puissance), ni de la passion (éros et philia peuvent se mêler, et se mêlent souvent), ni de la famille (Aristote désigne par philia aussi bien l’amour entre les parents et les enfants que l’amour entre les époux: un peu comme Montaigne, plus tard, parlera de l’amitié maritale), ni de la si troublante et si précieuse intimité des amants… Ce n’est plus, ou plus seulement, ce que saint Thomas appelait l’amour de concupiscence (aimer l’autre pour son bien à soi) ; c’est l’amour de bienveillance (aimer l’autre pour son bien à lui) et le secret des couples heureux. Car on se doute que cette bienveillance n’exclut pas la concupiscence : entre amants, elle s’en nourrit au contraire, et l’éclaire. Comment ne pas se réjouir du plaisir qu’on donne ou qu’on reçoit ? Comment ne pas vouloir du bien à celui ou celle qui nous en fait ? Cette bienveillance joyeuse, cette joie bienveillante, que les Grecs appelaient philia, c’est l’amour selon Aristote, disais-je : aimer, c’est se réjouir et vouloir le bien de celui qu’on aime. Mais c’est aussi l’amour selon Spinoza : « une joie, lit-on dans l’Éthique, qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure» […]
Agapè ? C’est encore un mot grec, mais très tardif. Ni Platon, ni Aristote, ni Épicure, d’un tel mot, n’eurent jamais l’usage. Éros et philia leur suffisaient, ils ne connaissaient que la passion ou l’amitié, que la souffrance du manque ou la joie du partage. Mais il se trouve qu’un petit juif, bien après la mort de ces trois-là, s’est mis soudain, dans une lointaine colonie romaine, dans un improbable dialecte sémitique, à dire des choses étonnantes: “Dieu est amour…Aimez votre prochain… Aimez vos ennemis…” Ces phrases, sans doute étranges dans toutes les langues, semblaient, en grec, à peu près intraduisibles. De quel amour pouvait-il s’agir ? Éros ? Philia ? Cela nous vouerait à l’absurdité. Comment Dieu pourrait-il manquer de quoi que ce soit ? Être l’ami de qui que ce soit ? « Il y a quelque ridicule, disait déjà Aristote, à se prétendre l’ami de Dieu. […]
La biologie ne dira jamais à un biologiste comment il faut vivre, ni s’il le faut, ni même s’il faut faire de la biologie. Les sciences humaines ne diront jamais ce que vaut l’humanité, ni ce qu’elles valent. C’est pourquoi il faut philosopher : parce qu’il faut réfléchir sur ce que nous savons, sur ce que nous vivons, sur ce que nous voulons, et qu’aucun savoir n’y suffit ou n’en dispense. L’art ? La religion ? La politique ? Ce sont de grandes choses, mais qui doivent elles aussi être interrogées. Or dès qu’on les interroge, ou dès qu’on s’interroge sur elles un peu profondément, on en sort, au moins en partie : on fait un pas, déjà, dans la philosophie. Que celle-ci doive à son tour être interrogée, aucun philosophe ne le contestera. Mais interroger la philosophie, ce n’est pas en sortir, c’est y entrer. […]
Il ne faut pas rêver les couples, mais il ne faut pas rêver la passion non plus ; la vivre, oui, quand elle est là, mais ne pas lui demander de durer, ne pas lui demander de suffire, ne pas lui demander de remplir ou guider une existence ! Ce n’est qu’un leurre de l’ego. La vraie question est de savoir s’il faut cesser d’aimer quand on cesse d’être amoureux (auquel cas on ne peut guère qu’aller de passion en passion, avec de longs déserts d’ennui entre deux), ou bien s’il faut aimer autrement, et mieux.
Autant de thèmes de travail qui gagneraient, disiez-vous, à figurer au cœur d’un essai qui les relierait et modéliserait leur agencement avec force exemples et explications. Qu’il en soit ainsi : essayons l’essai !
L’ouvrage s’adressera à celles et ceux qui sont “disposés à se mettre d’accord avec eux-mêmes” et tient à peu près ce langage :
SATISFACTION. Le bien-être n’est pas un état de plaisir statique et le sentiment “d’être à sa place” procède plutôt d’une activité satisfaisante. Reste qu’il est impératif de se rendre capable d’évaluer sincèrement ce qui est satisfaisant et, pour ce faire, de s’enlever les ‘écailles sur les yeux’ ;
CERVEAUX. Les développements récents des neurosciences mettent en évidence que notre Raison n’est pas seule à déterminer notre sentiment de vivre “à propos” et qu’un travail sur nos réactions “reptiliennes” et post-traumatiques participe aussi de notre mieux-être et de notre lucidité ;
FABULATIONS. Reste que notre conscience a besoin d’une représentation du monde qui fait sens et que, là où l’absurde est évident, nous veillons à projeter des formes symboliques (explications logiques) sur les phénomènes que nous percevons, quelquefois jusqu’à nous aveugler ;
LANGAGES. Médium incontournable entre les phénomènes et la représentation que nous en avons, le langage est le premier témoin des “écailles sur les yeux” qui obèrent notre être-au-monde. Sa maîtrise est une première étape nécessaire, pour restaurer l’attention que nous voulons porter à notre environnement réel.
INFORMATIONS. La démultiplication exponentielle de ces fabulations par notre usage des technologies de la communication brouille l’écoute et notre conscience a bien du mal à entretenir une hygiène “informationnelle” devant la société du Spectacle.
CONFORMITÉ ou EXPÉRIENCE. Notre quotidien est fait de décisions d’agir et à chacune de celles-ci correspond l’alternative entre “être conforme à un modèle” ou “exercer sa puissance dans l’expérience nouvelle.” C’est là que la satisfaction d’une pensée plus libre et clairement formulée se fait sentir.
JONGLER. Etre à sa place procède donc d’un travail au quotidien, dont le modèle pourrait être le Jongleur de mondes de Grandville. Il s’agit de…
pouvoir jongler (travailler à “diminuer la douleur de la distance” avec sa réalité),
jongler utile (consacrer son attention à une sélection satisfaisante de phénomènes du monde),
trouver la Joie dans la jonglerie plutôt que dans le Spectacle (jouir de son activité plutôt que de sa reconnaissance).
Cliquez ici pour accéder à l’essai en ligne…
wallonica.org oblige : l’essai est composé en ligne et relié aux contenus de l’encyclopédie wallonica. Le texte vous est donc livré dans son état d’avancement du moment, pour débats et commentaires. Il évolue tous les jours : cliquez curieux ci-dessus pour le lire !
[DIACRITIK.COM, 4 septembre 2023] Avec Le Plus court chemin, Antoine Wauters signe l’un de ses plus beaux textes, sans doute l’un des plus puissants et singuliers de cette rentrée. Après le triomphe du beau Mahmoud ou la montée des eaux, Wauters surprend radicalement en délaissant les territoires chaotiques et ruiniformes de la fiction pour s’aventurer avec grâce dans le tremblé des souvenirs d’enfance. À la manière d’un puzzle aux impossibles jointures et aux fragments irréconciliables, Wauters raconte une enfance belge tout en livrant aussi bien une poétique de l’art d’écrire, une réflexion mélancolique sur la vitesse du monde d’aujourd’hui ainsi que la révélation d’un goût de l’évasion en réponse à l’angoisse existentielle. La fiction ne suffit plus, il faut aller au concret du monde. Armé de ce mot d’ordre, Diacritik ne pouvait que partir à la rencontre du romancier le temps d’un grand entretien.
EAN 9782378561772
Ma première question voudrait porter sur la genèse de Le Plus court chemin, votre splendide nouveau récit qui paraît en cette rentrée chez Verdier. Comment, après Mahmoud ou la montée des eaux consacré à la guerre en Syrie, avez-vous éprouvé le désir d’un récit concentré sur votre enfance en Belgique ? Vous dites que l’idée de ce livre a pris naissance à l’occasion d’inédits pour la revue Fixxxion à la demande de Mathilde Lévêque et Déborah Lévy-Bertherat : comment avez-vous décidé de les reprendre et de les amplifier ? Vous affirmez, en présentant votre enfance champêtre : “Je suis marqué à vie par ce monde presque disparu“. Est-ce ce désir de retrouver ce qui a presque disparu qui vous a poussé à franchir le pas autobiographique afin de livrer Le Plus court chemin ?
Si je faisais du cinéma, je vous dirais que j’ai voulu me frotter à un genre plus “documentaire” : écrire sur ce qui m’entoure, sur ce qui m’a précédé, les lieux et les êtres qui m’ont marqué, mes grands-parents, la campagne, l’ennui, les superstitions et tout ce dans quoi je puise pour écrire mes romans. Mon imagination est très limitée, vous savez, elle tient dans un mouchoir de poche : quelques lieux, quelques odeurs, quelques images. Mais ces lieux et ces odeurs ne me quittent pas. Je veux dire que mes livres, même Mahmoud, puisent toujours dans ce monde sensoriel premier, que tout part de là, de ce grenier à sensations de mon enfance vécue dans la campagne wallonne, au début des années 80. Dans Mahmoud, je voulais faire crever la poche de silence où se noie la Syrie, faire en sorte qu’on la considère à nouveau, qu’on en parle, que cesse l’oubli. Ici, le geste est assez similaire. Nous sommes loin de la Syrie, mais il s’agit aussi de raconter un monde sur le point de disparaitre. C’est une lutte contre l’oubli. Se reconnecter à des savoirs anciens, à une forme de lenteur, voir s’il n’y a pas là de quoi apaiser ce sentiment de dépossession que nous sommes nombreux à ressentir. Voilà l’intuition que j’avais : qu’il y a dans le passé des remèdes pour notre présent.
Votre récit autobiographique paraît en premier lieu se concentrer avec privilège sur votre enfance belge, qu’il s’agisse notamment de l’évocation de madame Boline, votre institutrice, des rapports épistolaires que vous avez entretenu durant votre adolescence avec vos parents, ou bien encore les liens qui vous unissent à votre sœur Lorraine ou à votre frère Charles. Cependant, au-delà de ces épisodes, votre autobiographie paraît être très vite emportée par une double urgence : existentielle, tout d’abord.
En effet, s’y exprime, de manière le plus souvent inquiète, sinon angoissante, une série de questions existentielles où le sujet qui s’exprime se sent comme coupé de la vie, coupé des autres, comme en rupture de l’existence. Ce sentiment de vide ontologique paraît le déterminer, qu’il dise notamment : “Il n’y a que quand j’écris que je ne pèse rien“, ou encore plus violemment : “Moi-même je deviens une sorte d’objet perdu“.
S’agissait-il ainsi pour vous de proposer une manière d’autobiographie de la schize, pourrait-on dire, à savoir celle d’un récit où le malaise ontique consiste à constater combien “notre vie est coupée en deux” comme vous le précisez encore ? Est-ce que, plus largement, cette “vie de fantôme” dont vous parlez ouvre selon vous à une autobiographie qui, dans la difficulté à être soi, interroge le spectral en vous, en nous ?
Le livre évoque des choses très concrètes et des choses qui le sont moins. Car nous sommes faits des deux. Quand je me retourne sur mon enfance, je vois des ballots de paille, des bêtes, Papou penché sur son jardin, et Mémé sur ses mots fléchés, mais je vois aussi quelque chose de plus difficile à saisir, de plus trouble, qui fait que je me suis toujours senti abstrait ou, comme vous le dites, un peu “spectral”, flottant, comme s’il y avait du jeu entre le monde et moi. On écrit pour réduire cette distance. C’est ce que j’ai voulu faire. Réduire la distance, mettre des mots sur ce qui m’est arrivé, retrouver des sensations perdues et voir qu’à côté de ma vie de fantôme, je dois énormément à la matérialité de la campagne, aux voix de mes grands- mères, à l’impossible accent flamand de Papou, aux silences de Pépé, à la ténacité de mon père et à l’immense sensibilité de ma mère. Même si notre époque se focalise sur le visible, nous sommes tous les héritiers d’éléments qui ne le sont pas. Écrire, c’est faire l’expérience d’une chose assez extraordinaire : ce qui a cessé d’être visible n’est pas mort pour autant. L’enfance a disparu, or elle continue d’exister. Mes grands-parents sont morts, mais ils sont là. Voilà ce que j’ai couché sur la page : cette part d’invisible dans quoi je suis tissé et que seul le langage peut atteindre. Toute biographie est au minimum double. Des faits, des dates, des lieux. Et puis le reste : l’impression de vivre sans vivre vraiment, avoir un nom, en répondre. Tout ça m’a toujours semblé mystérieux.
Si l’urgence existentielle préside à l’écriture du Plus court chemin, une autre urgence, cette fois à vivre, emporte l’écriture de votre autobiographie. Après s’être interrogé sur la place qu’occupe “l’amplification des fatigues, blessures et ‘nœuds’ de nos ancêtres“, votre autobiographie s’attache à lui répondre en explorant l’enfance. Vous aviez donné une des clefs de votre rapport à l’enfance dans un précédent entretien que vous nous aviez accordé : “Je retourne dans la nuit de l’enfance quand j’écris“, afin, peut-on ajouter, d’y trouver une force vitale. Votre écriture autobiographique se fait quête, ici, de ce que vous nommez “la part la plus vivante” car il s’agit de la dire non avec des mots d’écrivain mais de la vivre littéralement “avec des mots qui restaient en l’air“. Sur ce rapport à l’enfance comme force de vie, diriez- vous, selon la formule de Foucault, qu’une des possibles visées de la littérature et du Plus court chemin, c’est de faire en sorte que “la vie reste en vie” ?
Absolument. La grande question étant : que s’est-il passé ? Pourquoi la joie nous a-t-elle tourné le dos ? Qu’y avait-il, dans l’enfance, qui s’est perdu ensuite, au point que notre mission soit de faire en sorte que “la vie reste en vie” ? Qu’avons-nous perdu, quand, et pourquoi ? Ce sont des questions qui m’obsèdent, sans être désabusé pour autant. C’est peut-être une réponse qui vous surprendra, mais je me suis senti très heureux en écrivant ce livre. Cela tient au fait que, pour la première fois, je ne m’aventurais pas dans un monde de fiction. J’étais là, dans mon quotidien, la maison, les enfants, Hélène, la marche, les bois, et je prenais des notes. Pour la première fois, je n’opposais pas la vie et l’écriture. Je n’essayais pas de “faire un livre”, mais de rester au contact de mon environnement. J’allais voir mes parents, je me promenais dans le village, j’étais bien. Comme un gosse, qui investit pleinement ce qui est là, offert à ses sens, à ses yeux. Mes priorités ont changé. À quarante ans, j’ai davantage envie de vivre. Non pas que je ne voulais pas vivre avant, mais je pensais que vivre et écrire ne pouvaient se faire concomitamment. L’obsession du mot, l’impression que le quotidien éloignait de la littérature. Je me suis trompé. Il n’y a pas de joie possible sans amour du réel, du concret, de ce qui est là, en vie, et qui va se rompre. Ce livre était pour moi une manière de me réconcilier avec le monde, après lui avoir longtemps tourné le dos et vécu dans des fables, des fictions. Je ne dis pas que je n’en écrirai plus, mais je ne me couperai plus autant de la vie.
Un des aspects les plus remarquables du Plus court chemin consiste à faire de l’autobiographie le creuset d’un questionnement sur votre poétique. En ce sens, votre récit se fait constamment autobiographie d’écriture qui, depuis ses hésitations et ses incertitudes, approche une définition possible du geste d’écrire. Vous multipliez ainsi les possibles définitions : “Me suis-je mis à écrire pour me cacher du bruit ?“. Vous posez également “l’écriture comme toile d’araignée“. Ou encore, donnant son titre à votre récit, ces remarques : “L’écriture comme un raccourci ? Oui. L’écriture comme le plus court chemin.” Diriez-vous ainsi que Le Plus court chemin peut se lire aussi comme un art poétique ? Mais peut-être un art poétique qui place le questionnement du sujet au centre du questionnement de l’usage de l’écriture ?
Jim Harrison dit quelque part que “nous sommes les lieux où nous avons été“. Je suis d’accord, mais nous sommes aussi toutes les phrases où nous avons vécu, les centaines de lignes et de paragraphes où nous nous sommes cachés, où nous avons prié et attendu que quelque chose nous arrive, nous qui nous sentions toujours si éloignés de tout. Parler de moi, c’était donc remonter à l’enfance, aux prés et aux cours d’eau de la campagne wallonne des années 80, mais c’était forcément aussi réfléchir à l’écriture et à ce qui m’y a conduit. Ce qui m’y a conduit ? Je l’ignore. Peut-être effectivement ma peur maladive du bruit, l’inconfort que j’éprouve dans les groupes ou le sentiment que je ne suis pas fini, ni stable, mais une sorte de brume née pour capturer d’autres brumes, d’autres peurs, d’autres voix. À vrai dire, c’est ce que l’écriture offre qui m’intéresse. L’écriture offre un lieu. Voilà pourquoi j’en parle comme du “plus court chemin“. C’est un chemin en réalité extrêmement long et sinueux, un chemin qui nous traverse de part en part, mais, plus on le pratique, plus il est accessible. J’imagine que c’est comme pour la prière. Plus vous avez prié, plus le geste vous devient naturel. Dans le lieu de l’écriture, j’ai des conversations quotidiennes avec mon oncle Aarich, mon oncle Tomasi, et ma très chère Tante Annaatje, tous trois nés en pays flamand. Je revois les ancrages bruns constellant leurs tasses de café, comme des rides ou des perturbations remontant de très loin. J’entends leurs “r” rouler comme des mottes de terre sous le soc d’une charrue. Et, durant quelques instants, ce qui a été dispersé ne l’est plus.
À cette puissante quête de l’être de l’écriture vient s’adjoindre, en filigrane, tout au long du Plus court chemin une réflexion sur le caractère sensible du langage et de la parole. Pour vous, les mots sont un nœud mat de l’existence au point que le rapport que votre parole entretient avec eux se fait ambivalent : d’un côté, le langage constitue “la seule vraie présence en moi“, la part tangible de l’existence. Mais, parce qu’ils font qu’ils fascinent ou envoûtent, “Quelque chose de ce goût-là“, les mots posent question comme vous le dites : “L’idée folle de tout type qui écrit ? Être heureux sans le secours des mots.” Est-ce qu’écrire c’est finalement, d’une manière rimbaldienne, vouloir écrire pour parvenir à la fin du langage, arriver au moment où les mots ne seront plus nécessaires ? Écrire sur l’enfance, non pas pour retrouver l’infans, celui qui ne parle pas, mais se situer après l’infans ?
J’ai longtemps pensé, en effet, que les mots étaient ce que je possédais de plus réel, qu’ils étaient des points fixes dans une mer intérieure agitée, que je pouvais prendre appui sur eux n’importe quand. La nuit, je rêvais en phrases, pas en images. Il y avait quelque chose de maladif là- dedans. Je ne pensais qu’au livre sur lequel je travaillais, incapable de mettre mes pensées en veilleuse, de les perdre de vue. Quand j’écris, dans Le plus court chemin, que je rêve d’être heureux sans le secours des mots, c’est parce que je sais que ce qui reste à la fin, ce sont les moments vrais qu’on a passés avec les gens qu’on aime, l’écoute qu’on a su leur prêter. Et parce que je sais combien écrire peut nous en couper. Retrouver, donc, non pas celui qui parle, celui qui sait, mais celui qui écoute, qui a le temps. “Avant d’être un acte d’expression, écrire est un acte d’écoute. Il faut longtemps se taire et apprendre à entendre, puis seulement parler.” Écrire pour entendre ce qu’il y a avant soi, ce qui est plus grand, plus important que soi, c’est ce que j’ai tenté de faire en donnant à entendre la voix de mes disparus et celle, plus mystérieuse, de ces lieux où j’ai grandi.
Un des points les plus remarquables du Plus court chemin est le regard rétrospectif comme à regret qui est porté sur le passé. Sans déclaration de nostalgie idéalisatrice ou encore d’enfermement dans l’idée trompeuse d’un âge d’or, votre récit déplore ce que la vie contemporaine est devenue, notamment dans son rapport au langage, au corps ou à l’existence : pour vous, l’époque se caractérise par une non-communication au terme de laquelle, finalement, “À présent, on se touche si peu“. Est-ce que ce constat d’une brutalité et d’une sécheresse de l’époque n’est pas à mettre en regard du constant rapport heureux que le sujet autobiographique entretient depuis son enfance avec la nature ?
Quand je dis qu’”on se touche si peu“, c’est parce que j’ai le sentiment que mon enfance reposait sur un sol stable, compact, là où tout me paraît aujourd’hui divisé. Il y avait moins de vide entre nous, moins de distance entre nos corps. Ce constat n’a rien à voir avec le rapport que j’ai entretenu avec la nature. J’avais très peur de la “nature”, vous savez. Non, si je suis marqué par la sécheresse de l’époque, par l’accélération des choses, c’est à cause de ce sol stable et compact d’où je suis issu. Mais vous avez raison, je n’idéalise pas les années 80. Simplement, parfois, je me dis : “tiens, encore un truc que faisait Pépé, encore une lubie, une idée fixe de Pépé.” Comme si, face à l’emballement généralisé, son sobre mode de vie m’apparaissait comme un remède. Ses chaussures réparées avec du scotch, ses pantalons usés jusqu’à la corde, sa façon de ne faire qu’une action par unité de temps, tout ça me parle. J’y vois une simplicité qui m’apparaît non seulement comme un luxe, mais comme une voie possible pour notre futur. En revanche, je dirais que c’est un livre nostalgique, très nostalgique. Mais pas une nostalgie qui empêche d’agir. Au contraire, une nostalgie qui appelle au mouvement, une nostalgie capable de nous faire poigner dans une bêche et travailler un lopin de terre, une nostalgie qui pousse au moins, au peu, tout en nous rendant plus alertes et vivants.
Parlons à présent, si vous en êtes d’accord, de la forme si singulière avec laquelle Le Plus court chemin est composé. L’ensemble se compose de brefs paragraphes, sous forme de blocs compacts qui, en fait, paraissent surtout renvoyer à la manière dont le sujet se conçoit : par fragments, comme autant de morceaux de temps mais aussi de soi. Vous le dites à maintes reprises : nous sommes disséminés, disjoints. Nous existons “par bribes. Nous flottons“, ajoutez-vous. En ce sens, est-ce que ce chemin le plus court, loin d’être une ligne droite, n’est pas plutôt à lire comme une ligne brisée, proche formellement et ontologiquement d’un “puzzle sans savoir combien de pièces il compte” ?
Vous avez raison. C’est un texte en forme de puzzle. J’ai laissé remonter des souvenirs, sans penser à la chronologie, mais en veillant à ce que ça reste fluide. En parlant de ce qui m’est le plus intime, je voulais raviver la mémoire des lecteurs, ouvrir des portes sur leur passé. J’ai été particulièrement ému par le retour d’une amie qui me disait qu’en me racontant comme je l’ai fait, je touchais “au plus profond de nos sensibilités de vivants”, et que c’était au fond “toutes nos vies” que je racontais. Offrir des instantanés nous permettant de remonter le fil de notre propre enfance, c’était l’idée. Et je tenais à cette notion de fragments parce que c’est un texte qui parle de la difficulté qu’il y a à être soi, du vide que l’on porte et de notre goût pour le silence. C’est aussi un texte qui parle d’amour et de manque. J’ai pensé qu’il fallait du creux pour dire tout ça.
Ma dernière question voudrait porter plus largement sur cette nouvelle direction que votre travail prend. Si, depuis Nos mères jusqu’à Mahmoud ou la montée des eaux, en passant par Moi, Marthe et les autres, la fiction fondait le monde que vos récits dévidaient, il n’en va plus de même ici puisque, de manière affirmée, vous dites ne plus avoir d’amour pour la fiction. Vous ajoutez même : “C’est mon environnement direct qui m’appelle. Documenter les choses avant qu’elles ne s’effacent.” Écrire contre l’oubli alors, car elle vient après les événements ? Est-ce ainsi qu’il faut entendre vos dernières lignes sur la nécessité d’écrire Après : “l’écriture vient toujours après. Après la fracture. Après la faille” ?
Quand la maison est en train de brûler, imaginer n’est plus suffisant. Il faut agir. C’est ce que je me dis souvent. On peut faire beaucoup de choses avec la fiction, y compris sensibiliser aux dangers du feu, mais ce qui me manque, c’est un amour du réel, un amour de tout ce à quoi l’on tourne forcément un peu le dos en écrivant des fictions. Des choses simples, proches, qui m’entourent. Le réel m’a longtemps donné de l’asthme, comme Cioran. Maintenant qu’il est plus qu’abîmé, je ressens le besoin de me pencher sur lui. Un peu comme une demande de pardon. Je cherche à me souvenir du passé, en même temps que du présent. Retrouver l’amour du réel, son chemin. Ça semble simple. Ça ne l’est pas.
Est-ce que mon travail prend une tournure différente ? Ma vie, oui. Pas mon travail. Car Mahmoud était une fiction, mais qui “documentait” le réel, qui se penchait dessus, afin qu’on n’oublie pas ce qui se passe en Syrie. Ici, c’est un texte qui parle de la réalité de mon enfance et de la vie dans les campagnes, mais c’est encore de la fiction, puisqu’écrire son enfance, c’est toujours la réinventer, la réécrire. Il n’y a pas d’accès au réel nu. Ça n’existe pas. Nous utilisons toujours des lunettes déformantes et le roman, l’autobiographie et le travail documentaire fonctionnent juste avec des verres différents. Quant à l’idée d’”écrire après”, le sens serait : on écrit moins par choix que parce qu’il y a eu cassure ou perte. On écrit après la fracture, quand vient le manque. C’est ce qui me touche le plus dans l’écriture : malgré tous nos efforts, les mots auront toujours un léger temps de retard sur la vie. Inévitablement. Dès qu’on se met à commenter ce qui nous arrive, on est déjà ailleurs. “Où étais-je pendant tout ce temps ?“, voilà la grande question. Tout le livre en porte la trace, s’en fait l’écho, je crois.
C’est de la vie de peintre, c’est de l’art de Georges Le Brun qu’il va s’agir ici, or, quoique de caractère très différent, je crois avoir été mêlé à son intimité, à son intimité artistique, plus que personne, du moins d’une façon aussi continue. Voilà pourquoi c’est moi, ce n’est que moi, hélas !, qui vais essayer d’en donner une idée.
J’ai écrit ceci d’un seul jet en me servant exclusivement de ma mémoire ; après coup, au moyen de dates, de certains faits oubliés ou ignorés de moi que l’on m’a rappelés ou appris j’ai vérifié mon travail. J’ai constaté qu’à prendre la chose du point de vue rigoureux, historique, certaines parties auraient dû être remaniées.
Le ferai-je ? – Non – Je me suis contenté d’intercaler quelques dates. Je n’ai pas voulu faire une biographie méticuleuse, je ne cherche pas ici la précision, la vérité matérielle, extérieure ; non, ayant eu la chance d’assister au développement de la vie d’un vrai artiste, j’ai rappelé mes souvenirs, je les ai transcrits comme je les voyais et ainsi c’est le temps qui, m’ayant fait perdre de vue les détails inutiles, a créé naturellement cette synthèse.
C’est un même goût, une même passion pour la peinture qui nous a réunis. Nous étions encore en classe, à l’Athénée. Le Brun devait avoir dans les 17 ans. Monsieur Constant Simon, professeur de dessin à l’Athénée lui avait donné quelques leçons d’aquarelle. De suite Le Brun s’y mit avec ardeur. Son père lui avait acheté le traité de peinture à l’aquarelle de Cassagne et consciencieusement le jeune peintre le bûchait. Ce livre ne le quittait plus ; il en citait de longs morceaux de mémoire, il devait en rêver. Intelligent comme il était, il en profita d’une façon étonnante ; ses progrès étaient surprenants.
Son père, Monsieur Léon Le Brun, ingénieur, à l’esprit savant et original, inventeur, s’intéressait naturellement beaucoup aux essais de son fils. Taquin, il s’amusait à contredire ses opinions, à discuter ses admirations et surtout, à relever ironiquement dans ses études, les moindres fautes de dessin. Ces critiques le piquaient, aussi dès le début Le Brun s’acharna-t-il à dessiner juste ; c’est pourquoi ses aquarelles des premiers temps avaient déjà tant de tenue et de sérieux.
Toutes les heures libres que laissait la classe, elle était devenue l’accessoire, étaient consacrées au seul travail important, peindre. Opiniâtre et robuste rien ne le rebutait, ni le froid, ni le chaud. L’hiver il mettait de l’alcool dans son eau pour qu’elle ne gelât pas et grimpait au Husquet, il habitait alors Dison, laver des effets de neige.
C’est de ce temps-là que l’été, on allait peindre à Maison-Bois. Pendant les vacances nous y passions la journée entière. Isidore Meyers, en villégiature chez Joseph Deru, venait y brosser des sous-bois, dans une pâte riche et claire qui était une révélation pour nous. On se retrouvait autour de la chefnée [sic] à la ferme Bonhomme, pour dîner. Maison-Bois était alors le rendez-vous des artistes et des esthètes verviétois : Smaelen, Debatisse, Henrard, Deru qui suivait les jeunes de son œil bienveillant et narquois… Aujourd’hui, tous ceux-là sont morts et l’on a coupé tous nos arbres.
Binjé, Staquet et Uijtterschaut étaient les trois aquarellistes belges les plus connus alors. Comme il a, aux Salons de peintures, étudié les œuvres, comme il les a discutées, comparées, jugées ! Un jour il écrivit à Staquet pour lui demander de pouvoir lui montrer ses études. Le fin aquarelliste, bonhomme, le reçut plusieurs fois avec la meilleure grâce, fut étonné des rares qualités que montraient les essais du jeune peintre, lui donna d’excellents conseils. Plus tard il ira voir Meunier sans autre recommandation que lui-même. Comme l’aquarelliste le grand statuaire reçut son jeune admirateur avec une parfaite bienveillance et un sincère intérêt pour ses travaux.
Mais la rhétorique est finie, enfin ! Il est bien entendu qu’il sera peintre ; il part pour Bruxelles (1895). Il s’y fait inscrire à l’Académie. Il entre dans la classe de Portaels. Il y resta huit jours…
L’Académie, non, décidément, pas ça ! L’Académie, l’enseignement officiel, le dressage artistique ; l’Académie, horreur ! N’est-elle pas l’éteignoir de tout feu sacré, de toute spontanéité, de toute originalité, de toute hardiesse, de toute vie : l’Académie c’est la mort. Toutes les jeunes revues le proclament, tous les artistes originaux le déclarent ; c’est d’ailleurs une chose qu’on ne discute pas, un article de foi. Ô belle foi dangereuse, ô belle foi juvénile !
S’il va à Bruxelles c’est pour apprendre certes, mais comme il l’entend, en étudiant les maîtres qu’il a choisis, librement, ce n’est pas pour rentrer à l’école, subir la règle. Pour dessiner d’après le modèle vivant, il se fait recevoir membre du cercle La Patte de Dindon réunion de peintres qui travaillent en commun le soir dans les combles de la maison des corporations sur la place de l’Hôtel de ville.
C’est là qu’il connut Laermans. L’art prenant, la note neuve qu’apportait Laermans, qui exposait alors pour la première fois, lui plut extraordinairement. Ils devinrent grands amis. Le Brun en subit quelque temps l’influence. Mais il se dégagea. Il finit par trouver l’art tumultueux du sourd génial trop criant, trop extérieur, gâté, pour lui, comme d’un souci, d’une préoccupation du public. Ça ne satisfaisait plus complètement son goût ; il était devenu difficile. Il avait étudié les maîtres il s’était imprégné du sérieux des grands peintres belges d’après 1830, de ces forts, de ces graves et honnêtes artistes : Leijs, De Groux, de Braekeleer, Stobbaerts, Mellery…
Mais au musée ancien l’inégalable XVe siècle l’avait pris : Van Eyck, Memling, Roger de la Pasture, les autres. Puis leur unique continuateur, le vieux Breughel, le seul qui, réfractaire à la mode, à la toute puissante influence de l’Italie évolua dans la tradition nationale. Breughel, il eut toute sa vie, pour lui, un vrai culte ; cet art archaïque et pourtant si vivant avait avec le sien de singulières analogies.
D’avoir contemplé tant d’exemples magnifiques, il était pris d’une grande exaltation. À force d’admirer les vieux maîtres, il était dégoûté de la peinture moderne. En effet, l’art de notre pays au XVe siècle est le sommet dans l’art de peindre ; d’un tel point de vue, les œuvres contemporaines paraissent bien vagues. Aussi ne fut-il pas distrait par l’art de mode ; l’art habile et creux, pour la chasse au succès ; son esprit était ailleurs, il ignorait tout ça.
Cependant il voulait produire. Il aspirait à travailler à sa guise, sans influence, en pleine liberté ; maintenant qu’il sait bien ce qu’il veut, il n’a plus besoin que de la nature. Et voilà qu’il se rappelle être un jour passé, au cours d’une excursion en Ardenne, à travers un village perdu en pleine Fagne. Il le revit, maisons de moellons, toits de chaume, hautes haies de hêtres, frustes et gris, avec tout autour la Fagne, jusqu’à l’horizon.
Il ira habiter là.
Il part pour Xhoffraix, tout seul.
Qu’on ne se trompe pas, il ne part pas en dégoûté de la vie, parce qu’il n’a pas su s’adapter : il ne part pas triste, plein d’amertume, en neurasthénique ; jamais la neurasthénie ne l’effleura, non, il part content, il va réaliser son idée, il en est tout joyeux. Et il resta là, plusieurs années, sept ou huit ans, hiver et été, presque continuellement. Ce furent de fameuses années !
Il logeait dans une auberge plus que rustique située à la bifurcation de la route de la Baraque et de celle de Hoquai, chez Charlier, petite auberge isolée, un peu en dehors du village. Toute la journée il s’acharnait à sa peinture et le soir, il lisait ; Flaubert surtout, religieusement. Il avait fini par savoir Madame Bovary par cœur ; dans l’austère chef-d’œuvre, il puisait comme une direction morale.
Bientôt il connut tous les habitants de l’endroit. Il les interpellait par leur prénom, avait ses entrées chez tous, s’installait au coin du feu, dans la marmaille ; avec hommes et femmes il fraternisait. Il avait vite appris à parler couramment leur wallon, il rendait des services, il donnait des conseils, il se disputait ; plusieurs fois il s’est battu. Il faisait partie du village.
D’habitude, il revenait à Verviers du samedi au lundi. Quand il rapportait des travaux finis, c’était un événement pour moi. J’allais vite les voir et nous les discutions avec sincérité.
Il me montra d’abord de grandes aquarelles d’un faire large et simple, peintes sur un dessin scrupuleux. Les meilleures d’entre ces aquarelles sont des modèles dans le procédé. S’il avait uniquement visé le succès, il n’aurait jamais abandonné ce genre difficile où il avait acquis une vraie maîtrise dans une note bien à lui.
Mais la peinture à l’eau n’est pas faite pour le travail repris, complété, le travail en profondeur. La peinture à l’huile s’y prête mieux. Il l’aborda.
Il a peint à l’huile de nombreux intérieurs. Parfois sans personnage – c’est l’âme des choses qui parle – mais souvent avec l’habitant. On le voit, entre les murs, en bas lambrissés de chêne, en haut blanchis à la chaux, sous le plafond à grosses poutres, sur le rude plancher ou les larges dalles inégales, vaquer aux besognes quotidiennes. Il est assorti à sa demeure faite de matériaux francs, solides, naturels, à ses meubles de chêne qui sont là sans doute aux mêmes places depuis combien de générations monotones.
Le Brun à toutes les époques de sa vie a peint des intérieurs. Ceux de cette première manière sont des peintures lourdes, appuyées, sombres, d’une sobre intimité. Il a peint aussi à l’huile des têtes de paysans ; ce sont des portraits peints sans artifice, d’une vérité profonde. En même temps que ces peintures, souvent comme études pour elles, il faisait des dessins au fusain. Têtes âprement individualisées, surprenantes de vie, intérieurs grandement, profondément sentis.
De cette époque aussi date cette série de dessins : personnages et animaux au travail. Ils sont le produit d’inlassables notations prises sur le vif ; des heures durant, butant dans les mottes. Il suivait, croquant leur mouvement, les bœufs à la charrue. Ce qu’il y a dans ces dessins, comprimés dans le simple trait qui les cerne, de vérité, de vie !
Comme tout çà [sic] sent la Fagne !
Ces études ont servi à composer des tableaux où l’on voit le naturel du pays avec ses bêtes à la besogne en plein air.
Le plus important de ces tableaux est le triptyque : L’Automne à Xhoffraix : au centre Le Labour, à droite Le Berger, à gauche La Récolte de pommes de terre.
C’est un grand poème rustique peint au pastel ; il est composé d’une façon géniale, je dis le mot, il est juste. Le peintre dit ce qu’il veut dire avec force, avec clarté, avec noblesse, avec originalité. Et c’est grand, ça déborde le cadre, c’est grand comme la terre. Il a créé ce tableau dans la solitude, en 1899, il avait 25 ans.
Cette composition d’art si élevé, ce résultat de tant de labeur, jamais il ne l’a exposé. Il ne le trouvait pas suffisamment réalisé.
Que de nobles choses d’ailleurs parmi celles dont je viens de parler, non seulement ne furent jamais exposées ; presqu’aucune [sic] ne l’a été ; mais ont été détruites par lui. Où sont les aquarelles du début ? Où sont tant de tableaux, de dessins ? Je me rappelle entre autres de magnifiques portraits d’arbres centenaires perdus dans la Fagne, de vieilles haies tordues, de rudes chemins ; je crains bien que la plupart n’existent plus. Il les a laissés se perdre. Que j’aurais voulu revoir tous ces témoignages d’une période de conviction si ardente. Il fut injuste envers ces œuvres, envers lui-même ; il fut trop modeste ou trop orgueilleux ; il était difficilement satisfait ; on aurait trouvé cela bien peut-être, qu’est-ce que cela pouvait lui faire si lui, il voulait mieux.
D’entre les gens bien doués pour les arts il y en a de deux sortes : premièrement, ceux qui, étant donnés [sic] leurs dons, s’en servent pour arriver à obtenir par eux le plus de notoriété et, pardon de devoir prononcer dans un tel entourage le mot ignoble, de l’argent, le plus d’argent possible ; deuxièmement, ceux qui se servent de leurs dons pour arriver à faire le mieux qu’ils peuvent selon l’idée qu’ils se font de la beauté, qui s’efforcent d’approcher le plus près possible de leur idéal ; quant à la répercussion du résultat de leurs efforts sur le public, que celui-ci admire, qu’il se moque, qu’il grogne ou manifeste une parfaite indifférence la chose n’a pour eux aucune importance. De ces deux buts, Le Brun avait choisi le second.
Il y a dans son œuvre plusieurs choses exagérées, frappantes, qui prêtent à la discussion ; un autre les aurait exposées, aurait encore même forcé la note afin d’attirer l’attention, de faire parler de lui. Le Brun, lui, les jugeait, il les trouvait incomplètes et ne les montrait pas.
Heureusement, cependant, beaucoup de ces œuvres nous restent ; dans toutes perce la recherche du caractère, elles sont impressionnantes, elles arrêtent ; c’est précisément cette recherche visible du caractère qui les lui fit renier. Il y trouvait quelque chose d’exagéré, d’extérieur, de déjà vu croyait-il peut-être. Et certes dans ces œuvres fougueuses on sent passer le souffle épique déchaîné par Meunier ; mais comme il y est bien lui-même.
Quand ce ne serait que par une sorte de sécheresse, de gaucherie (que l’on trouve d’ailleurs dans les œuvres qui suivront) qui, à côté de tant de hardiesse, donnent à ces dessins, à ces peintures je ne sais quelle saveur de fraîcheur et d’honnêteté ; car cette sécheresse et cette gaucherie inconscientes attestent une soumission aimante devant la nature admirable.
Par la suite, à force de s’oublier toujours plus dans l’étude de la nature il se trouva plus intimement ; il la rendit avec plus de finesse et d’intimité.
Le procédé du dessin rehaussé de pastel ou d’aquarelle lui plaisait. Il l’a beaucoup pratiqué. C’est dans ce procédé que l’on trouve surtout, venant après ses travaux de la première période à Xhoffraix, une suite de tableaux où son ardeur s’est retenue. Œuvres tranquilles, où le procédé cède s’oublie, où l’aspect matériel, le trait voulu, décoratif, s’effacent pour laisser le sentiment se communiquer sans mélange. Ces œuvres-là, il les a toujours aimées.
Voyez par exemple, L’Homme qui s’en retourne et je cite aussi le délicieux paysage, Les Nuages roses qui est dans ce genre, une œuvre exquise. La recherche de l’effet, de l’heure, est précisée, les nuances y sont, l’œuvre est toute attendrie.
Ce tableau et plusieurs autres d’entre les plus remarquables de Le Brun étaient la propriété d’Émile Peltzer. Le Brun et lui furent de bons amis ; et je m’arrêterai un moment ici pour rendre hommage à Émile Peltzer. Tout jeune encore il se révéla comme un esthète au goût sûr, délicat, personnel, indépendant ; rien du snob qui suit les modes. Il ne la suivait sûr [sic] pas quand en 1902, il achetait des tableaux à Le Brun. Poussé par son goût pour les arts il s’y laissait aller généreusement et son flair de jeune connaisseur le guidait bien. Émile Peltzer allait venir se fixer à Verviers ; il eût été sûrement le mécène intelligent dont l’art ici avait besoin ; et voilà qu’après avoir échappé au danger de la guerre, car lui aussi s’était engagé, il meurt à 35 ans. C’est pour Verviers une perte sans doute irréparable.
Plus le séjour de Le Brun à Xhoffraix se prolonge, plus sa manière de voir, de peindre, s’affine. Ce qu’il fait est toujours construit, achevé, avec la même conscience, mais il pousse dans des voies nouvelles.
Il s’est mis à étudier, enveloppant les choses, la lumière diffuse. Cette étude devient souvent dominatrice ; elle est caractérisée par plusieurs charmants tableaux dont les titres même qu’il leur donna indiquent la tendance : Symphonie en bleu, Le Soleil qui fuse.
D’autres fois il stylise le dessin, la couleur, avec grande discrétion d’ailleurs, comme dans ce paisible tableau : La Matinée sereine. Et dans certaines toiles même ; parfois, par exemple dans : Le Bouquet de roses, perce une sorte de préciosité.
J’aurais voulu, comme il convient, décrire plus de tableaux et montrer ainsi les tendances, les recherches multiples qui dans toutes ces œuvres qui nous entourent et qui sont si bien parentes indiquent les phases diverses de l’activité intellectuelle de celui qui les a créées. J’ai essayé. Quand j’ai relu ce que j’avais écrit, je n’ai trouvé, pour exprimer les nuances d’une variété originale que lourde monotonie et répétition de mots banaux et usés. Je suis confus, je suis attristé pour Le Brun, de constater si rudement qu’il aurait fallu ici quelqu’un connaissant les secrets de l’art d’écrire.
Les œuvres de la dernière période à Xhoffraix malgré beaucoup d’intentions subtiles et littéraires restent rustiques et fortes ; mais le charme ambigu qui s’en dégage est très différent de celui des premières œuvres. Les dernières sentent moins la Fagne ; arrivé à ce moment l’artiste est poussé par le nouvel élan d’une inspiration plus intime, plus subjective. Dès lors, Xhoffraix ne lui est plus nécessaire, il l’a, si je puis dire, vidé… provisoirement.
Après cette longue réclusion laborieuse il est temps de s’évader, d’aller voir du nouveau, de se rafraîchir les yeux, le cœur, l’esprit ; il est temps de se replonger dans la vie.
Il quitta son village et rentra dans le monde.
Je puis moins intimement suivre cette partie, cette dernière partie de son existence ; mais si par intervalles l’intimité de son esprit m’échappa, du moins j’ai suivi la naissance de toutes ces œuvres.
D’abord il fit un voyage en Italie (3 à 4 mois). Il a laissé une copieuse correspondance et de nombreuses pages où il a décrit cet inoubliable pèlerinage et ses impressions d’art ; d’entre elles, deux lui restèrent palpitantes : la fresque de Benozzo Gozzoli, l’ineffable conteur et le temple de Pæstum ; sa majesté l’avait écrasé.
Puis un séjour de quelques mois à Paris. Il y peint deux curieux tableaux, clairs comme ceux des impressionnistes, mais stylisés : une Vue de Notre-Dame de Paris et Le Pont de la Concorde ; puis enfin, il revient à Bruxelles. Il y travaille dans l’atelier de Blanc-Garin ; académie libre où il se remet à l’étude du dessin. Il se fait des amis, artistes, écrivains, musiciens ; il va dans le monde. Mais voilà qu’un jour, on apprend qu’il fait une retraite à Thimister, dans le pays de Herve.
Il y a peint plusieurs tableaux très poussés où il a mis toute sa persévérance à rendre les objets dans leur réalité. Le détail est représenté à fond, chaque pavé, chaque brique, chaque feuille presque est montrés [sic]. De ce scrupuleux travail où, par la force de sa volonté l’artiste s’absorbe dans son modèle émane une saine impression de calme. Voir : La Ferme au pays de Herve et La Ferme-château (Musée d’Ixelles, salle Maus). À Thimister, il fit aussi de nombreux dessins, rehaussés ou non de couleurs ; personnages et intérieurs ; ils sont très simples et très complets.
Après avoir passé, pendant un an ou deux, la plus grande partie de son temps à Thimister, il rentre à Bruxelles et, grand événement, il se marie (en 1904). Je ne m’occupe pas ici de la vie intime de Le Brun. Il faut cependant dire que sa femme, sa vaillante femme, sentait profondément les arts, qu’elle aimait l’art de son mari, elle le comprenait, elle en était fière. L’harmonie dans le ménage fut toujours parfaite.
Après un séjour de quelques mois à Limburg a/d Lahn, ils vinrent se fixer à Theux. Deux enfants y naissent : un garçon et une fille. L’été le ménage allait souvent faire de longs séjours à Sancourt, près de Cambrai, chez des tantes de Madame Le Brun.
Des voyages, des aventures, des amitiés nouvelles, se marier, avoir des enfants ; il vit, il a des distractions parfois, mais jamais l’art ne l’a lâché.
Le cercle de ses admirations s’est élargi. Il a vu des œuvres nouvelles ; il admire ; il se passionne. Les impressionnistes l’avaient séduit. Il adorait Renoir, comment résister à ce frais Amour de la vie ? Mais Leys, Renoir, quel contraste ? Il s’agit de concilier ces contrastes, et tant d’autres. C’est la crise
que doivent subir tous les artistes d’aujourd’hui. Il en sort d’ailleurs allègrement ; le jugement assoupli ; peignant plus clair ; mais il reste bien lui-même et si les œuvres peintes après son séjour à Xhoffraix sont différentes entre elles ; c’est d’une différence qui n’est que superficielle, qui tient à ce qu’elles furent peintes dans des lieux différents, Limburg, Sancourt, Thimister, Theux, mais par le profond elles sont semblables, et si, sans doute, le degré d’inspiration n’est pas toujours le même, elles sont bien toutes de la même main volontaire. Elle les a toutes réalisées à fond sans jamais rien y laisser de vague ou de hasardeux.
À Theux dans sa maison il a peint ou dessiné une série d’intérieurs animés de personnages : sa femme et ses enfants ; ces œuvres sont remplies d’intimité, de distinction et de subtilité ; il a peint aussi à Theux des paysages dans la ville et aux environs. Citons le Grand Vinâve, c’est le portrait de sa maison et Le Potager de la Bouxherie d’un charme mystérieux.
Puis il va travailler à Lierneux, Francorchamps, etc. De cette époque date Le Village dans la vallée (Hébronval) d’un style très pur, plein de sentiment, d’une éloquence mesurée. C’est beau, c’est très beau : Le Printemps à [Moulin du] Ruy, fraîche idylle, et des intérieurs d’un métier raffiné, où par exception dans son œuvre, il s’amuse à noter les couleurs pour elles-mêmes. Elles sont observées avec science dans l’aquarelle : La Ferme de la Haase, le ton des lointains bleus est rendu magnifiquement.
Toutes ces œuvres ont pour sujet le village de la pleine Ardenne ; elles représentent des motifs analogues à ceux qu’il peignait à Xhoffraix. En effet peu à peu il s’était rapproché de la Fagne : Xhoffraix l’attirait. En le quittant il ne lui avait pas dit un adieu définitif ; il devait y revenir. Car après tout c’est là qu’il est vraiment bien pour travailler ; c’est là, plein de mâles souvenirs, son chez lui intellectuel. Il y retourne, il s’y retrouve, mûri, plus conscient, mais le même. Il va reprendre la tâche interrompue, la compléter, la clôturer ; une œuvre suprême ; où il se mit tout entier, la couronne.
Au Salon de Liège du printemps de 1914, il exposait un grand tableau : La Haute Fagne, l’infini de la morne plaine, les fermes entourées de la charmille sans feuille, la bruyère, le genévrier, le ciel gris d’hiver plein de pluie froide, le départ symbolique de deux routes… L’œuvre fit sensation. En effet l’impression qui s’en dégage est prenante. L’artiste a synthétisé là des impressions diverses du pays, ses admirations. Il a représenté la Fagne comme il l’a vue, aimée, rêvée ; la Fagne selon son cœur, sa Fagne. C’est son chef-d’œuvre ; c’est un chef-d’œuvre. On dirait qu’averti mystérieusement de sa fin prochaine (l’œuvre datée de 1914) il ait voulu, grave adieu, exprimer, en une fois toute son âme. Ce triptyque émouvant est exécuté avec calme et patience. Sur une préparation à l’aquarelle, il est travaillé au pastel et au crayon. De longues études minutieuses l’ont précédé. L’œuvre est savant. La grande ligne est émue ; mais voulue, consciente. Les détails, l’un après l’autre ont été dessinés sertis. Beaucoup d’ingéniosité, de recherches, d’intentions, et pourtant une rude impression de force et de grandeur.
Cette grandeur est subtile, cette rudesse est ingénieuse. Grandeur, subtilité, alliance rare ; chez Le Brun elle est fréquente ; c’est la note caractéristique de son talent. Car Le Brun, son art le crie, ne fut pas un homme aux goûts simples, je parle des goûts de son esprit, comme sa vie à Xhoffraix, sa fraternisation avec les rustres, son insouciance pour tout confort pourraient le laisser croire.
Ce garçon aux nerfs solides, ce blagueur incorrigible, ce nageur émérite, ce boxeur fameux était tout le contraire d’un réaliste ; un romantique plutôt, un idéaliste. Mais ne pataugeons pas dans ces mots vagues qui pour chacun de nous ont sans doute un sens différent. Le certain c’est qu’il aime le rare, le compliqué, il fuit le terre à terre, l’ordinaire, le bourgeois. Moralement et physiquement il se plaît hors de la vie courante ; il lui faut un cadre d’art, mais qui n’ait pas servi.
S’il a aimé Xhoffraix, c’est qu’il a trouvé là un ensemble de gens et de choses qui, depuis des ans et des ans n’avaient pas changé. C’était les mêmes mœurs, les mêmes habitations, les mêmes métiers, les mêmes outils, qu’il y avait des siècles. Dans ce milieu pittoresque, il vivait une vie fruste, brutale parfois, délicieusement rude, hors de la banalité de la vie ordinaire, hors du siècle.
Et si, marié, il a choisi Theux pour résidence, ce fut en grande partie pour habiter dans cette belle maison ancienne dont la façade évocatrice arrête tous les gens sensibles qui traversent la place de la petite ville.
Et comme il a soigné l’intérieur de sa maison ! Comme il l’a complétée, la meublant exclusivement de meubles et d’objets anciens ; bahuts, coffres gothiques, meubles Louis XVI, faïences, étains ! Ce sont les vieilleries habituelles, mais ici choisies par un artiste, présentées d’une façon moderne si personnelle, toutes une à une et dénichées par lui chez le paysan et acquises, avec quelles ruses ! Déjà, au commencement de son séjour à Xhoffraix, quand de retour de Verviers il m’avait montré ses nouvelles peintures, il allait me chercher, par exemple, un vieux plat de faïence dont il me détaillait son admiration pour le dessin, le ton, la matière.
En tout cas, dans ses tableaux on trouve le fini minutieux, le détail rare et la stylisation, un goût pour l’archaïque et la symétrie, le précieux, le naïf, l’ingénieux, mais on trouve aussi la grandeur et la force.
Ce sont des éléments contradictoires pris à part, sans doute, mais leur mélange imprègne ses travaux d’une singulière saveur. À la fois il voyait compliqué et grand et c’est je le répète le piquant de son art. Le Brun n’était pas un sensuel. Sa peinture se goûte avec l’esprit ; elle est bien d’un Wallon d’Ardenne ; elle est bien le produit de la fréquentation depuis l’enfance de notre paysage. Et notre paysage offre aux peintres peu de ressources, semble-t-il ; du moins, c’est un pauvre pays pour un amateur de couleurs, d’effets à grands spectacles.
Sa lumière est sèche, sa couleur monotone est souvent dure.
C’est le dessin qui domine ; c’est lui qui parle surtout. Tous les aspects du pays ont quelque chose de construit ; même quand le rocher n’affleure pas on sent toujours que le sol s’appuie sur sa solidité énergétique. Cette rude assise supporte toute la souple fantaisie de la végétation.
La couleur chez nous, n’a ni rutilance, ni langueur : dans les saisons froides, des gris grêles, d’une variété subtile et qui se contentent modestement de rehausser le dessin, de le compléter, le mot couleur est bien lourd pour désigner cette coloration toute spirituelle, l’été, du vert partout, prairies, haies, collines boisées, vert de plantes vivantes, sans fadeur, plutôt aigre, noir même parfois. Dans les sites resserrés, le détail joue un grand rôle, les fleurs, les fruits sauvages, les pierres, toutes les différentes pierres. Et ses aspects sont variés ; brusquement, à tout bout de champ, ils changent, souvent contradictoires tenant ainsi toujours la sensibilité, l’esprit en activité.
Ce pays est très difficile à peindre. Beaucoup y renoncent. Il n’y a rien à peindre ici, disent-ils, et ils vont à Venise, en Flandre, en Espagne, en Provence, retrouver dans la nature les sujets consacrés. Comme il est difficile à peindre ! Pourtant il a son charme ; personne ne le nie. Sans hausser la voix il nous dit des paroles fraternelles. Ce charme est inédit, il n’a pas encore été formulé, il est trop complexe, sans doute, pour l’être. Pour le fixer un peu il faut l’avoir senti soi-même, car ici, aucune formule, aucun modèle à imiter. Il faut l’extraire ce charme de la nature, avec son cœur et son esprit. Le Brun avait l’amour, la finesse, la volonté, le désintéressement qu’il faut pour y arriver.
Quant à son métier, il est toujours curieux et personnel, comme tout métier appris seul. Il travaille d’une manière patiente et ingénieuse car il n’a garde de confondre l’expression de la force avec la force de l’expression ; je veux dire qu’il sait bien que ce n’est pas une facture primesautière, agitée, heurtée qui exprime la force, qui en communique l’impression ; ce débraillé est une faiblesse, comment pourrait-il traduire la force profonde que l’artiste sent, qu’il voit dans la nature. Pour y arriver il faut de persévérants,
de méthodiques efforts vers un but bien défini, de la lenteur et ne rien négliger. La puissance du miraculeux Van Eyck peut se regarder à la loupe. Aussi le métier de Le Brun n’est pas celui où s’affiche la facture, le coup de brosse ou le coup de crayon. Sa fougue ne l’entraîne pas, il la domine, même dans ses œuvres de jeunesse. Méthodiquement son travail est mené à bien. Il prépare des dessous et petit à petit, par couches successives il arrive à la réalisation. Séance après séance il reprend son ouvrage, il y vit, il s’y plaît, il est triste quand fini, il faut l’abandonner. Si c’est nécessaire, il attendra un an, le retour de la tache de soleil, à la bonne place dans la chambre. Et toujours il pense à son tableau, le vit, le rêve.
Il le rêve, mais l’étude de la nature est toujours là scrupuleuse ; à tout ce qu’il a produit elle sert d’assise ; c’est la base saine, le rocher solide sur lequel son œuvre est construit.
Le Brun ne tenait pas à montrer le produit de son travail au public. Le public et lui ne s’aimaient guère. On a vu de ses tableaux à divers Salons triennaux ; mais il n’a pas participé à tous. Il envoyait sans goût à ces exhibitions hétéroclites.
En 1903, Octave Maus l’a invité à participer au Salon de La Libre Esthétique ; il y envoya quelques tableaux ; et, dans le courant de sa carrière il a fait à Verviers, Liège et Bruxelles quelques expositions particulières. Ces expositions particulières il les a toujours faites avec d’autres artistes. Il fallait le solliciter pour qu’il se joigne à nous, il acceptait, mais à condition
de n’avoir pas à s’occuper d’autre chose que d’envoyer ses tableaux. Jamais il n’a exposé seul, les embarras que procure l’organisation d’une exposition lui semblaient disproportionnés avec le désir qu’il avait de montrer ses tableaux.
Cette exposition-ci est la première où ses œuvres sont réunies. Pour la première fois l’on peut se rendre compte de son art, quoique nous n’ayons malheureusement pas pu obtenir certaines œuvres intéressantes appartenant à des particuliers.
Chaque fois qu’il a montré ses peintures, elles intéressèrent beaucoup ceux qui comprennent l’art de peindre. Leur charme spécial séduisit un groupe de personnes au goût subtil et même certains critiques d’art les comprirent, les aimèrent, en parlèrent dans les journaux. Dans les journaux, pourtant, son nom n’a pas beaucoup traîné. Il s’occupait peu de ça, il ne faisait vraiment rien pour ça, au contraire. En effet, aimer les grandes époques, ne tenir aucun compte de la mode, vivre de longues années dans la solitude, c’est un bien mauvais moyen pour arriver, rapidement, à la notoriété.
Et puis l’amour propre de Le Brun était énorme. Il était sûr de sa valeur. Il aurait comme un autre accepté le succès : mais s’abaisser, pour l’obtenir il n’aurait pas pu. Il ne s’occupait pas de ça d’ailleurs, je l’ai déjà dit, il s’agissait pour lui de peindre le mieux qu’il pouvait. Le reste était sans importance.
N’était-ce pas ainsi que Leys, de Brackeleer, De Groux et tous les autres qu’il a tant admirés, ont travaillé ? D’entre eux, plusieurs, de leur vivant, ne furent pas plus connus du bourgeois que lui…
Il avait la tête pleine de projets de tableaux, il en avait en train ; bien portant, tranquille, il y travaillait, toujours optimiste, quand la guerre éclata. Il abandonne tout. Il court mettre sa santé, son énergie, au service du pays.
Carabinier volontaire, il a été tué aux premières lignes, à Stuijvekenskerque, le 26 octobre 1914. Il avait 41 ans, il était parti sans calcul ni hésitation, plein d’enthousiasme. Tout le temps de sa courte campagne il s’est conduit comme un jeune brave. Jeune brave, oui, jeune ; à son âge, il n’avait rien perdu dans les hasards de la vie, de la foi, de l’exaltation, du joyeux courage, des mépris, du gaillard de 17 ans qui voulut, mordicus, se faire peintre.
Le quadragénaire était resté digne du jeune homme ; il avait jusqu’au bout vécu son idéal. Selon cet idéal il a fini héroïquement sa vie ; et il aura trouvé çà [sic] bien. Mais nous, regretterons-nous jamais assez une telle vie fauchée dans sa vigueur ?
Mais son œuvre hautaine reste, et son exemple.
Maurice Pirenne (1920)
Ce texte a été publié dans le catalogue de l’exposition Georges Le Brun. Maître de l’intime, présentée au musée Félicien Rops, Province de Namur, du 24 octobre 2015 au 6 mars 2016, sous la direction scientifique de Denis Laoureux
Mon bel enfant,
As-tu trouvé des chimères ? Le marin que tu m’as envoyé m’a dit que tu étais imprudent. Cela m’a rassurée. Sois toujours très imprudent, mon petit, c’est la seule façon d’avoir un peu de plaisir à vivre dans notre époque de manufactures. […]
J’ai peur que tu ne fasses pas de folies. Cela n’empêche ni la gravité, ni la mélancolie, ni la solitude : ces trois gourmandises de ton caractère. Tu peux être grave et fou, qui empêche ? Tu peux être tout ce que tu veux et fou en surplus, mais il faut être fou, mon enfant. Regarde autour de toi le monde sans cesse grandissant de gens qui se prennent au sérieux. Outre qu’ils se donnent un ridicule irrémédiable devant les esprits semblables au mien, ils se font une vie dangereusement constipée. Ils sont exactement comme si, à la fois, ils se bourraient de tripes qui “relâchent” et de nèfles du japon qui “resserrent”. Ils gonflent, gonflent, puis ils éclatent et ça sent mauvais pour tout le monde. Je n’ai pas trouvé d’images meilleures que celle-là. D’ailleurs, elle me plaît beaucoup. Il faudrait même y employer trois ou quatre mots de dialecte de façon à la rendre plus ordurière que ce qu’elle est en piémontais. Toi qui connais mon éloignement naturel pour tout ce qui est grossier, cette recherche te montre bien tout le danger que courent les gens qui se prennent au sérieux devant les jugements des esprits originaux. Ne sois jamais une mauvaise odeur pour tout un royaume, mon enfant. Promène-toi comme un jasmin au milieu de tous.
Le Hussard sur le toit (1951)
ISBN 2070368726
GIONO Jean, Le chant du monde (Paris, Gallimard, 1934) “Apparemment la première version du Chant du monde, Jean Giono se l’est fait voler. Fin 1931, durant une absence, sa mère, qui commençait à être aveugle, a fait entrer dans son bureau plusieurs personnes qui voulaient le voir ; à son retour, son manuscrit, gros de trois cents à trois cent cinquante pages d’écriture environ, avait disparu. Pour n’importe qui cela aurait constitué bien sûr un drame ; mais pour Giono, chez qui l’écriture est une sorte de respiration naturelle, ce vol n’a pas eu beaucoup de gravité. Après avoir fouillé toute sa maison, il est passé sans amertume à autre chose. En janvier 1932, voici qu’il travaille au Lait de l’oiseau, c’est-à-dire à Jean le Bleu. Et le 20 juin déjà, il annonce à son vieil ami Lucien Jacques qu’il “refait” Le chant du monde : “Je l’étends en plus large et en plus haut que la conception première, et si je le réussis, les petits copains se casseront le nez cette fois sur quelque chose de grand.” Or, cette deuxième version, elle-aussi, se perd, on ne sait diable pas comment. Le 3 janvier 1933, Giono décide de ne pas récrire les pages perdues et commence un roman tout à fait différent sous le même titre — Le chant du monde lui rappelle sa lecture enthousiaste des Feuilles d’herbes de Walt Whitman. Dès lors, des neuf dix heures par jour, il s’attelle à sa tâche, “lancé là-dedans comme un taureau” [Lire la suite de l’article sur GALLIMARD.FR]
Amaury NAUROY
Il plongea. Dans l’habitude de l’eau, ses épaules étaient devenues comme des épaules de poisson. Elles étaient grasses et rondes, sans bosses ni creux. Elles montaient vers son cou, elles renforçaient le cou. Il entra de son seul élan dans le gluant du courant. Il se dit : “L’eau est épaisse.”
Il donna un coup de jarret. Il avait tapé comme sur du fer. Il ne monta pas. Il avait de longues lianes d’eau ligneuse enroulées autour de son ventre. Il serra les dents. Il donna un coup de pied. Une lanière d’eau serra sa poitrine. Il était emporté par une masse vivante. Il se dit : “Jusqu’au rouge.”
C’était sa limite. Quand il était à bout d’air il entendait un grondement dans ses oreilles, puis le son devenait rouge et remplissait sa tête d’un grondement sanglant à goût de soufre. Il se laissa emporter. Il cherchait la faiblesse de l’eau avec sa tête. Il entendait dans lui : “Rouge, rouge.”
Et puis le ronflement du fleuve, pas le même que celui d’en haut mais ce bruit de râpe que faisait l’eau en charriant son fond de galets. Le sang coula dans ses yeux. Alors, il se tourna un peu en prenant appui sur la force longue du courant ; il replia son genou droit comme pour se pencher vers le fond, il ajusta sa tête bien solide dans son cou et, en même temps qu’il lançait sa jambe droite, il ouvrit les bras. Il émergeait. Il respira. Il revoyait du vert. Ses bras luisaient dans l’écume de l’eau. C’étaient deux beaux bras nus, longs et solides, à peine un peu renflés au-dessus du coude mais tout entourés sous la peau d’une escalade de muscles. Les belles épaules fendaient l’eau. Antonio penchait son visage jusqu’à toucher son épaule. A ce moment l’eau balançait ses longs cheveux comme des algues. Antonio lançait son bras loin là-bas devant, sa main saisissait la force de l’eau. Il la poussait en bas sous lui cependant qu’il cisaillait le courant avec ses fortes cuisses.
“L’eau est lourde”, se dit Antonio. Il y avait dans le fleuve des régions glacées, dures comme du granit, puis de molles ondulations plus tièdes qui tourbillonnaient sournoisement dans la profondeur. “Il pleut en montagne”, pensa Antonio. Il regarda les arbres de la rive. “Je vais aller jusqu’au peuplier.”
Il essaya de couper le courant. Il fut roulé bord sur bord comme un tronc d’arbre. Il plongea. Il passa à côté d’une truite verte et rouge qui se laissa tomber vers les fonds, nageoires repliées comme un oiseau. Le courant était dur et serré. “Pluie de montagne, pensa Antonio. Il faut passer les gorges aujourd’hui.”
Enfin il trouva une petite faille dans le courant. Il s’y jeta dans un grand coup de ses deux cuisses. L’eau emporta ses jambes. Il lutta des épaules et des bras, son dur visage tourné vers l’amont. Il piochait de ses grandes mains ; enfin, il sentit que l’eau glissait sous son ventre dans la bonne direction. Il avançait. Au bout de son effort il entra dans l’eau plate à l’abri de la rive. Il se laissa glisser sur son erre. De petites bulles d’air montaient sous le mouvement de ses pieds. Il saisit à pleines mains une racine qui pendait. Il l’éprouva en tirant doucement puis il se hala sur elle et il sortit de l’eau, penché en avant, au plein du soleil, ruisselant, reluisant. Ses longs bras pendaient de chaque côté de lui souples et heureux. Il avait de bonnes mains aux doigts longs et fins. “Il faut passer les gorges d’aujourd’hui. Il pleut en montagne, l’eau est dure. Le froid va venir. Les truites dorment, le courant est toujours au beau milieu, le fleuve va rester pareil pour deux jours. Il faut passer les gorges d’aujourd’hui.”
Jean (dit John) Ouwerx est né à Nivelles, en 1903, et décédé à Bruxelles en 1983. Il est élevé dans un climat baigné de musique classique. Pendant ses humanités dans un collège de Jésuites à Bruges, il apprend la musique. Au Conservatoire de Gand, il étudiera l’harmonie, le contrepoint et la fugue et se verra décerner un premier prix de piano. En 1918 (il n’a donc que quinze ans !) il compose un premier Concerto pour piano et orchestre en ré mineur. Mais son père ne veut pas entendre parler d’une carrière de musicien et il lui faut provisoirement y renoncer.
Il travaille comme journaliste, comme représentant en chapeaux (!), ouvre une laiterie… Entretemps, avec les soldats américains, les rythmes nouveaux ont fait leur apparition en Belgique et Ouwerx n’y est pas insensible. Ses préférences vont pourtant à l’époque à Debussy, Ravel, Stravinsky, Milhaud. A défaut de faire le métier de musicien, il tient la rubrique musicale dans la Flandre Littéraire. Puis, un jour, stimulé par un ami, il décide de laisser tomber chapeaux et fromages et de se consacrer enfin à sa seule vraie passion : la musique.
En 1923, il s’embarque à bord d’un paquebot de la fameuse Red Star Line, destination New York. Engagé comme pianiste, il est cloué au lit par le mal de mer, et ne pourra guère jouer pendant la traversée. Qu’importe, l’Amérique est au bout du chemin.. Mais il ne suffit pas de débarquer à New York pour trouver du travail comme musicien. Il trouve néanmoins un emploi d’organiste au Strand Palace. C’est là qu’il découvrira pour la première fois le spectacle à l’américaine. John Ouwerx restera quatre mois à New York, quatre mois pendant lesquels la musique de Gershwin et de Paul Whiteman, exercent sur lui une forte impression. De retour en Belgique, il commence à se produire dans différents contextes musicaux : chef d’orchestre au Théâtre du Marais, membre des concerts Pro Arte, etc. C’est à cette époque qu’il expérimente l’étrange orphéal, cet instrument inventé par l’acousticien Georges Cloetens, et qu’il révèle au public.
Ouwerx fréquente les concerts avant-gardistes de la Lanterne sourde tandis qu’il accompagne des cantatrices comme Clara Clairbert, dirige la revue No NO Nanette à l’Hippodrome d’Anvers, joue pour les ballets russes de la compagnie Doline-Nemchinova, trouvant encore le temps de composer pour le cinéma (par exemple pour René Clair, Marc Allégret, Léon Poirier, etc.). Un des épisodes marquants de cette période est évidemment l’exécution le 18 novembre 1927 pour la première fois en Europe, de la Rhapsody in Blue de Gershwin.
Entretemps, il a fait ses premiers pas dans le jazz, au sein d’orchestres amateurs, comme le Bistrouille Amateur Orchestra où jouent David Bee et Peter Packay ; le jazz le passionne à un tel point qu’il est un des premiers à donner des conférences sur le sujet. De 1928 à 1936, il voyage beaucoup (Hollande, Suisse, Italie, Espagne, Egypte) au sein d’orchestres aussi connus que ceux de G. Sykes ou du hongrois Marek Weber. Il se spécialise dans le style, en vogue depuis pas mal de temps aux Etats-Unis mais encore peu connu chez nous. Il commence aussi à fréquenter les studios : c’est ainsi qu’en 1931 déjà, il enregistre aux côtés de Gus Deloof.
Il est tout doucement en train de devenir un pianiste jazz dont on parle et que tous les orchestres se disputent. John Ouwerx travaille, notamment, avec René Compère, Jean Robert, Robert de Kers, et il monte sa propre formation, John Ouwerx and his Hot Music. En 1934, se déroule un épisode tout à fait significatif : Ouwerx est non seulement un excellent pianiste mais aussi un propagateur efficace du jazz. Il parvient à faire accepter au Conservatoire de Bruxelles un Concert de musique noire ! Il s’agit d’un duo de pianos dont les protagonistes sont Ouwerx lui-même et Constant Brenders ; ils commencent sagement leur concert par la Sonatine Transatlantique de Tansman puis, sans crier gare, les voilà qui se lancent dans un Tiger Rag particulièrement musclé. Scandale, indignation, déshonneur pour le Conservatoire. Les “Maîtres du Savoir Musical” sont outrés et bien décidés à empêcher de tels excès de se reproduire !
A partir de 1936, l’ère des grands voyages se termine : John est engagé dans l’orchestre de Stan Brenders. Il y restera jusqu’en 1944, enregistrant un grand nombre de disques sur lesquels il a souvent le loisir de montrer de quoi il est capable. A partir de 1937, il grave plusieurs disques à son nom, en petite formation ou en “piano-duo” (avec le pianiste Johnny Jack notamment). Pour le plaisir, il participe à différents concerts ou jam-sessions ; c’est ainsi qu’on le retrouve aux côtés de Fud Candrix au Sweet and Hot. En 1939, Ouwerx est mobilisé et se retrouve “adjudant de DCA”.
En 1940, à l’issue de la campagne des 18 jours, il refait surface, d’abord chez Jean Omer au Boeuf sur le Toit, puis à nouveau chez Brenders. Et les radios et les enregistrements reprennent. En 1942, il participe à la rencontre entre I’orchestre de Brenders et Django Reinhardt et grave quelques disques avec Hubert Rostaing et Alex Combelle. En 1944, I’orchestre de Brenders est dissous ; John Ouwerx rejoint alors Fud Candrix et participe à différentes petites formations. Mais le jazz est à l’aube d’une vie nouvelle : Ouwerx ne se joindra pas au camp des modernistes et comme beaucoup d’autres professionnels, le voilà confiné dans de fades thés dansants où la musique douce est de rigueur. Son nom s’efface tout doucement de l’histoire du jazz belge. Déçu et quelque peu aigri, Ouwerx à la question “Où va le jazz belge ?“, réponse mi-figue, mi-raisin : “A Steenockerzeel, en brouette !“
Pendant les années 50, John Ouwerx fera de fréquents séjours au Congo, d’abord comme participant aux tournées Sabena, ensuite en qualité de directeur artistique d’une maison d’enregistrement. On possède quelques échos discographiques amusants qui témoignent de la rencontre entre la musique africaine et des solistes belges de passage (Candrix, Leclère, et même Jacques Pelzer). De retour en Belgique, il lui arrivera encore de remonter sur une scène aux côtés de Fud Candrix et en 1962, fugitif retour sous les feux de l’actualité, il jouera au festival de Comblain-la-Tour au sein d’un orchestre de “vieilles gloires” réuni pour la circonstance (Candrix, Bobby Naret, etc.). Parenthèse sans lendemain, la mode “rétro” n’ayant pas encore cours à cette époque.
En 1973, pourtant, John qui vient d’atteindre la septantaine, refait surface une dernière fois, en enregistrant avec Roger Van Haverbeke et Robert Pemet un album-souvenir sur lequel, de medley en medley, il fait revivre ces airs qui restent pour lui associés aux plus belles années de sa vie. Reste à espérer qu’un jour les disques enregistrés par John Ouwerx à sa grande époque seront réunis, dans leur forme originale, sur un album qui rendra justice à un de ces fougueux qui ont fait le jazz belge des années “avant le bop”.
Du 7 octobre 2023 au 28 janvier 2024 à Liège, La Cité Miroir accueille le réseau international Cartooning for Peace pour une exposition de dessins de presse interrogeant l’état des droits humains ici et ailleurs.
Avec humour, impertinence, émotion et parfois gravité, des dessinatrices et dessinateurs de presse bien connus en Europe comme Kroll (Belgique), Cost. (Belgique), Lectrr (Belgique), Cécile Bertrand (Belgique), Marec (Belgique), Vadot (Belgique), Plantu (France), Kak (France), Chappatte (Suisse) ou Carrilho (Portugal) et des collègues de la scène internationale comme Côté (Canada), Ann Telnaes (États-Unis), Boligán (Mexique), Gado (Kenya), Willis from Tunis (Tunisie), Zapiro (Afrique du Sud), Kichka (Israël), Mana Neyestani (Iran), Stellina (Taïwan) et bien d’autres, dépeignent l’actualité mondiale.
Avec plus d’une centaine de dessins, ces cartoonistes croquent, questionnent et célèbrent les grands thèmes de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) qui fêtera ses 75 ans le 10 décembre prochain. Démocratie, égalité de genre, droits sociaux, liberté de la presse, paix, migration, éducation, santé : l’exposition met en scène les droits fondamentaux indispensables à nos sociétés et pourtant encore bafoués chaque jour à travers le monde. De manière ludique, pédagogique et engagée, elle montre que ce texte de 1948 reste un idéal à atteindre mais elle invite également à aller de l’avant en questionnant de nouveaux droits indispensables aujourd’hui et demain comme ceux liés au numérique et à l’environnement. L’exposition s’inscrit dans le Marathon des lettres d’Amnesty International, l’occasion de s’engager concrètement pour les droits humains.
Née en 1962, Béatrice GRAAS est diplômée de l’Institut supérieur des Beaux Arts Saint Luc à Liège en 1987, elle ajoute à ses études de peinture une formation en gravure et lithographie, d’abord avec Marc Laffineur à Liège, et ensuite, à l’Académie du soir de Verviers avec Michel Barzin. Depuis 2004, Béatrice Graas est membre du groupe Impression. (d’après BEATRICEGRAAS.BE)
Son vocabulaire pictural se rattache à l’enfance, au bonheur de créer, à la liberté, la spontanéité. Elle traduit la pureté de cet univers par des coloris imprégnés de fraîcheur. Dans ses peintures apparaissent des personnages, des animaux imaginaires ou familiers et toute une série de graffitis, de fragments d’écriture qui relèvent du côté enfantin. “Il y a comme un plaisir d’étendre largement la couleur, d’inonder la toile de jaune de bleu, de vert, d’y introduire des éléments graphiques qui sont souvent bienvenus et accrochent la vie à ces grandes étendues peintes […]” (Pierre Deuse, cité sur BEATRICEGRAAS.BE)
Bref aperçu historique de l’évêché de Tongres-Maastricht-Liège et du Pays de Liège, plus connu sous le nom de principauté de Liège, qui n’est pas une entité homogène mais un ensemble de plusieurs comtés sur lesquels règne l’évêque de Liège. Nous utilisons souvent ici les expressions “prince évêque” et “principauté de Liège”. Elles sont principalement connues à Liège et dans le Limbourg. Mais plus je m’informe sur l’histoire de Liège, plus je me sens obligé de les utiliser avec nuances. Sans omettre Albert, prince de Liège du XXe… Suivez le guide !
N.B. L’original du texte retranscrit ici est disponible au téléchargement dans notre documenta : il est riche de notes et d’illustrations (e.a. cartes historiques) qui ne figurent pas ci-dessous…
Cliquez ci-dessus pour afficher le document original…
Les nombreuses dates dans le texte sont utiles pour placer les faits exactement dans le temps, et pour pouvoir les comparer à d’autres moments. Avant de développer l’évolution historico-géographique du Pays de Liège, il importe de le situer au sein des territoires qui vont devenir la Belgique.
L’Ancien régime
Après Jules César (“…Les Belges sont les plus braves…“), il faut pratiquement attendre le XVe siècle pour entendre parler des “Belges“, sous Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Justus Lipsus le qualifiait de “Belgii Conditor“, protecteur des “Belges” ; il s’agit probablement des francophones des Pays-Bas méridionaux. Le nom “Belgique” est peu usité durant la révolution brabançonne de 1790 ; c’est en France qu’on le rencontre le plus. L’adjectif “belge” est par contre plus employé. Quant à l’étymologie de “belge“, il faut remonter au celtique pour y retrouver des qualificatifs de belliqueux, braves, furieux, etc.
La Belgique actuelle est formée des
Duchés de Brabant, de Luxembourg, de Limbourg (différent de la province actuelle) ;
Comtés de Flandre, de Hainaut, de Namur ;
• Marquisat d’Anvers et différentes seigneuries et les
Pays de Liège,
Principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy.
La Flandre était un grand comté du royaume de France dont le comte portait le titre de pair de France. Les autres dépendait du Saint empire romain germanique.
Au XIVe siècle, ces provinces –exceptés Liège et Stavelot-Malmedy– passent aux mains des ducs de Bourgogne, qui les obtiennent grâce à des mariages, des héritages, des achats, des conquêtes.
L’influence des Bourguignons est telle qu’ils placent leurs enfants illégitimes ou neveux sur les trônes d’évêchés aux pouvoirs temporels, e.a. David de Bourgogne (1456-1496) à Utrecht et Louis de Bourbon (1456-1482) à Liège. Les ducs de Bourgogne règnent ainsi de fait sur ces principautés épiscopales.
Les Bourguignons s’éteignent avec Charles le Téméraire (†1477) et sa fille Marie (†1482). Leurs possessions territoriales passent aux mains des Habsbourg avec Philippe le Beau d’abord puis à Charles Quint d’Espagne. Celui-ci les cède à la branche autrichienne des Habsbourg.
Aussi bien Charles Quint que les Habsbourg autrichiens sont empereurs. Mais ils sont aussi duc de Brabant, de Luxembourg, de Limbourg, comte de Flandre, de Hainaut, de Namur, etc. Ces terres sont à eux, ils en sont les propriétaires.
Partant, il est erroné de dire que la Belgique a été sous domination espagnole, puis autrichienne ; tout comme il est incorrect d’évoquer la “Belgique autrichienne et/ou espagnole“. La Belgique n’a jamais été sous domination espagnole ou autrichienne ! Ni les Espagnols ni les Autrichiens ne régnaient sur nos territoires. Les Habsbourg étaient ici chez eux ; mais ils géraient leurs territoires brabançons, flamands, hennuyers, namurois, etc. depuis Madrid, puis de Vienne !
Pour preuve, les Bourguignons frappaient des monnaies propres à chacune de leurs provinces. Pour s’en convaincre encore, souvenons-nous des Joyeuses Entrées effectuées par les nouveaux souverains, empereurs. Ils juraient sur la Bible de respecter les lois, us et coutumes de leurs nouveaux territoires (Brabant, Flandre, Hainaut, Namur…). D’où la difficulté d’imposer une standardisation des lois “autrichiennes“, comme ils le souhaitaient.
Au contraire, au XVIe siècle, les Espagnols n’étaient pas très heureux –un euphémisme– de voir Charles Quint gouverner à Madrid avec l’aide de seigneurs brabançons et flamands.
Cependant, par convention, on parle de période “espagnole” ou “autrichienne“, par commodité –par facilité ?– pour renvoyer au titre principal du souverain concerné. Le Prof. Cauchies (UCL, St-Louis) qualifie cette situation d’union personnelle. Autre preuve : les monnaies sont frappées par comté, province (Philippe le Bon, duc de Brabant pour les monnaies brabançonnes, par exemple).
En ce qui concerne les entités du Pays de Liège, elles dépendaient aussi de l’empereur, mais l’évêque était un échelon intermédiaire entre le Pays et l’empereur. Il en était de même pour la principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy.
1. Évêché de Tongres / Maastricht / Liège
La Chrétienté a utilisé les divisions administratives romaines en faisant de la Civitas Tongrorum (des Tongres) le siège de l’évêché de Tongres. Saint Materne en serait le premier évêque, au début du IVe siècle. L’abbé de Lobbes, Hériger (Xe S.) cite pourtant des prédécesseurs tout en avouant ne pas en connaître beaucoup sur eux.
Pour des raisons encore hypothétiques, sans doute commerciales, les évêques de Tongres siègent à Maastricht –carrefour plus important que Tongres– depuis saint Servais (345-384 ?) selon les uns, depuis saint Monulphe (549-598) pour d’autres. L’évêché reste cependant toujours Civitas Tongrorum, il n’y avait donc pas d’évêque de Maastricht, mais des évêques de Tongres siégeant à Maastricht.
Le 17 septembre (certain) 705 (au plus tard), Lambert, évêque de Tongres, siégeant donc à Maastricht, est assassiné à Liège où il priait dans une demeure qu’il occupait. il est enterré à Maastricht.
De par l’affluence de pèlerins sur le lieu du martyre, son successeur, saint Hubert (705-729) fait transporter à Liège la dépouille de Lambert quelques années ans plus tard, dans un martyrium, nouvellement bâti. De plus, par la sanctification de Lambert, Liège devient un important site de pèlerinage. Pourtant, rien ne prouve la volonté de saint Hubert de transférer le siège de l’évêché à Liège.
Depuis saint Hubert, on évoque souvent –à tort– l’évêché Tongres-Maastricht-Liège, si pas évêché de Liège. Cela est probablement dû à la présence…
régulière d’Hubert à Liège ;
des reliques de saint Lambert ;
du souhait d’Hubert d’être enterré dans la bourgade de Liège, ce qui est fait jusqu’à son transfert vers l’actuelle ville de Saint-Hubert, en 743.
Le transfert de l’évêché se fera vers l’an 800, quand le martyrium est élevé au rang de cathédrale, à l’initiative de Charlemagne qui avait eu l’occasion de voir de ses propres yeux et à plusieurs reprises l’importance que Liège avait pris sur le plan spirituel, mais surtout en raison de la proximité “familiale” vraisemblable entre Lambert et les Pépinides qui ont une vénération particulière pour saint Lambert. Charlemagne célèbre la Pâques à Liège en 770.
Compte tenu de ces événements, l’appellation évêque de Liège se décline en trois temps :
± 800 : le martyrium devient cathédrale, donc siège d’évêque. Le premier de ceux-ci serait Gerbald (787-809) ou son successeur Walcaud (810-832), sous l’épiscopat duquel une charte nous donne des informations. Malgré cela, on parle encore de l’évêché de Tungris,
p.ex. dans le Traité de Meersen (870).
En 882, Liège est citée Civitas (siège d’un évêque) ; Francon (856-900), devient ainsi premier évêque de la Cité épiscopale de Liège. Jusque-là, les évêques résidant à Maastricht sont encore évêques de Tongres ou évêques des Tongrois ou encore episcopus Tungrensis.
920-945, un premier diplôme portant la mention évêque de Liège est cité sous l’épiscopat de Richer. Le titre d’évêque de Tongres perdura encore, au moins jusqu’à l’époque de Notger (Xe siècle).
a. Importance de l’évêché de Liège
Alors que le Concile de Trente (1545-1563) n’autorise qu’un évêché par évêque, les évêques de Liège étaient quelquefois titulaires de plusieurs sièges. Aux XVIe et XVIIe, les Bavière e.a. sont abonnés à ces privilèges.
Ces princes de l’église de Liège étaient donc quelquefois aussi archevêque de Cologne, donc prince électeur d’empire, évêques de Hildesheim, de Regensburg, de Freising, … ensemble ou séparément. Érard de la Marck (1505-1538) était aussi évêque de Chartres (1507) et archevêque de Valence en Espagne (1520). Pourquoi ce droit octroyé à nos évêques ? Le Pays de Liège jouxtait les pays protestants allemands et “hollandais”. Il fallait donc un prince fort pour enrayer l’avance de la religion réformée et il était difficile de refuser quelque chose aux puissants Wittelsbach de Bavière.
Quant à Érard de la Marck, son lobbying en faveur de Charles Quint pour l’élection impériale (1519), contre François Ier, est tellement prépondérant qu’il lui apporte un archevêché, une abbaye et un chapeau de cardinal… chapeau qui lui avait échappé malgré la promesse de François Ier. Lobbying de vengeance ? Chapeau de cardinal que plusieurs évêques de Liège ont porté.
Avant 1559, l’évêché est impressionnant : 20.000 km², ou 2/3 de la Belgique actuelle. Mais en 1559, Philippe II d’Espagne, qui n’apprécie pas que l’évêque de Liège gère les paroisses sur ses (Philippe) terres, convainc le pape Paul IV de morceler les évêchés existants en créant de quatorze nouveaux évêchés et trois archevêchés, dont celui de Malines.
L’évêché de Liège –et d’autres– perd ainsi toute juridiction sur les paroisses sises sur les territoires de Philippe II et sa surface est pratiquement divisée en deux, elle passe de 20.000 à 11.000 km².
Ne perdons pas de vue les puissants chanoines tréfonciers de la cathédrale Notre-Dame et Saint-Lambert… qui ont donné six papes à la Chrétienté.
2. Principauté, duc, marquis, comte, baron
a. “Principauté”
Charlemagne (748-814) divise son empire en duchés, comtés et marches (marquisats). Ceux-ci sont contrôlés par les missi dominici, les envoyés du seigneur. Par ailleurs, l’empereur –Charlemagne et ses successeurs– nomme aussi les évêques, souvent des nobles, qui lui sont fidèles et formés dans ses écoles.
Les ducs, marquis et comtes sont des gouverneurs disposant de grands pouvoirs : battre monnaie, bâtir des enceintes, lever une armée, Haute et Basse Justice. Ces fonctions ne sont pas héréditaires. Lorsque le titulaire décède, le domaine revient à l’empereur qui désigne un successeur, quelquefois un fils, mais pas systématiquement. En France, le roi Charles le
Chauve, moins puissant à l’intérieur de son royaume, doit reconnaître l’hérédité de la fonction comtale dès 877. Ce n’est qu’en 1024 que l’hérédité des comtés sera officialisée dans l’empire germanique, sous Conrad II. Afin d’éviter ces problèmes d’hérédité, l’empereur germanique cédait les droits régaliens, ou pouvoirs civils, à des ecclésiastiques, évêques, abbés, sans descendance. À leur décès, l’empereur récupère sa terre pour désigner un nouveau comte.
Idée géniale qui est –avec le couronnement d’empereur du Saint empire romain germanique d’Otton I, 962– à l’origine de l’Église impériale (Reichskirche, la Sainte église romaine germanique). La France appliquait déjà cette possibilité mais pas aussi systématiquement que ne le fera l’empire.
Le premier à en bénéficier est Brunon (925-965), frère de l’empereur Otton II, archevêque de Cologne qui devient duc de Basse-Lotharingie. Le deuxième est Notger (972-1008), évêque de Liège, fait comte de Huy, en 985. Liège devient ainsi fille de la Sainte église romaine, comme on peut lire sur le portail de l’actuelle cathédrale Saint-Paul.
Notger, “prince-évêque” ? Notger avait été confirmé dans ses immunités en 980, c.-à-d. qu’il disposait de tous les droits dans les domaines propres à l’évêché/évêque et que son suzerain, le duc de Basse-Lotharingie, n’y avait aucun pouvoir. Par ces immunités et bien qu’il ne porte pas le titre de comte, l’évêque de Liège obtient de fait –en 980 donc– les pouvoirs comtaux sur toutes les terres de saint Lambert.
La Province et la Ville de Liège ont fêté le millénaire de la “principauté“, mais c’était une décision très discutable ; Notger n’a été fait comte qu’en 1985. Comte, Notger envisage alors de transférer le siège épiscopal à Huy, capitale de son comté, ville plus aisée à défendre. Mais c’est trop éloigné du lieu du martyre de saint Lambert et il entoure Liège d’une enceinte. La ville peut dès lors se développer et devenir une grande cité.
Liège, tu dois Notger au Christ
et le tout le reste à Notger.
b. Possessions temporelles
Le domaine temporel de l’évêque s’étend au cours des siècles. Les évêques reçoivent, héritent, acquièrent d’importants domaines, dont voici les principaux (avec le nom de l’évêque bénéficiaire) :
985/07/07 : comté de Huy, Notger. Don de Otton III – Selon certains historiens, c’est d’une certaine manière l’acte fondateur de la “principauté“.
987 : comté de Brugeron (NE de Tirlemont, entre Dyle et Gette), Notger. Don de Otton III. Perdu en 1013, à la Bataille de Hoegaarden, contre le Brabant. Liège conserve Hoegaarden, Beauvechain, Tourinnes-la-Grosse et Chaumont-Gistoux.
1014 : seigneurie de Franchimont, Baldéric II. Deviendra marquisat au XVIe S.
1040 : comté de Haspinga (Hesbaye), Nithard. Don de l’empereur Henri III. Absorbé, fondu dans la “principauté” de sorte que sa situation exacte n’est que supposée dans les environs de Waremme.
1096 : Couvin (castellum de), acheté par Otbert au comte Baudouin II de Hainaut.
1096 : duché de Bouillon. L’évêque Otbert achète le château et le vaste fief de Bouillon à Godefroid IV, duc de Basse-Lotharingie, en besoin de pécunes pour sa croisade. Le duché retourne à la France en 1679 (Traité de Nimègue), pour être remis à la famille de la Tour d’Auvergne. Les évêques de Liège contestant la décision se revendiqueront sans relâche du titre de duc de Bouillon.
1190 (au plus tard) : comté de Duras (Saint-Trond), revient à l’Église de Liège. L’évêque Raoul de Zahringen le cède aux comtes de Looz, comté qui reviendra directement dans le giron de l’évêque de Liège en 1366.
1224 : comté de Moha, Hugues de Pierrepont en hérite du comte Albert II de Dabo-Moha.
1227 : Ville Saint-Trond (Sint-Truiden), Hugues de Pierrepont. Échange de Sint-Truiden, appartenant à l’évêque de Metz contre Maidières (Meurthe et Moselle, France) appartenant à l’évêque de Liège. La double seigneurie sera gérée au temporel par l’évêque de Liège (SE) et l’abbé (NO) de Saint-Trond ; ce dernier dépendant spirituellement de l’évêque de Liège, source d’incessants conflits.
1268 : seigneurie de Malines, Henri III de Gueldre. Rendue au Brabant en 1333.
1366 : comté de Looz (Loon), Jean d’Arckel. Le comte Thierry de Heinsberg décède en 1361. L’évêque de Liège qui en est le suzerain (dans des circonstances encore obscures, mais probablement selon un accord de 1190) récupère définitivement son comté en 1366 lorsque l’héritier renonce à ses droits. L’évêque en proclame l’inaliénabilité.
1568 : comté de Horne, Gérard de Groesbeek.
1531 : le comte Jacques III décède sans enfant. Son frère Jean, chanoine-prévôt –mais pas ordonné prêtre– de Saint-Lambert démissionne pour lui succéder, mais meurt (1540) lui aussi sans descendance. Il lègue son comté à Philippe de Montmorency, fils d’un premier mariage de son épouse. Philippe, dernier comte de Horne, sera décapité –avec le comte Lamoral d’Egmont– sur ordre du duc d’Albe, en 1568. Sa fille se voyant refusé l’héritage, le comté est repris par son suzerain, le comte de Looz, qui est l’évêque de Liège. Acté définitivement en 1614, sous Ferdinand de Bavière. Les comtés de Looz et Horne conserveront jusqu’à la fin de l’Ancien Régime leurs lois, coutumes, institutions particulières et leurs organisations judiciaires.
1740 : baronnie de Herstal, Georges-Louis de Berghes l’achète à Frédéric II de Prusse.
Maastricht: dépendait en partie du chapitre de la collégiale/cathédrale Sainte-Marie (Notre-Dame, de l’évêque de Liège) et l’autre partie du chapitre de la paroisse Saint-Servais (du duc de Basse Lotharingie, dépendant de l’empereur, puis des ducs de Brabant en 1204).
Les titres de l’”évêque / prince”
Hugues de Pierrepont (1200-1229) est le premier évêque de Liège à obtenir le titre de “prince d’empire”, devenant en quelque sorte le premier véritable prince évêque, ou mieux encore évêque prince. Cependant, c’est Ferdinand de Bavière (1612-1650) qui prendra le premier le titre de “prince” dans ses actes.
Dès le XIIIe siècle, l’empereur le désigne sous le vocable “princeps noster dilectus” (notre prince bien aimé). Au XVe, ses sujets et les princes qui correspondent avec lui s’adresse à lui avec “illustrissimus princeps“. Depuis, le XVIIe, le français s’impose avec “prince“. À l’étranger, il est Monseigneur de Liège.
Sur un plan de Liège (1730, L. Thonus, pour G.-L. de Berhes), on lit :
(…) SON ALTESSE SÉRÉNISSIME, ÉVÊQUE ET PRINCE DE Liège, DUC DE BOUILLON, MARQUIS DE FRANCHIMONT, COMTE DE LOOZ, ETC.
Sur un autre plan, on découvre :
CONSTANTIN-FRANÇOIS, DES COMTES DE HOENSBROECK, PAR LA GRÂCE DE DIEU, PRINCE ÉVÊQUE DE Liège, PRINCE DU SAINT-EMPIRE ROMAIN, DUC DE BOUILLON, MARQUIS DE FRANCHIMONT, COMTE DE LOOZ, DE HORNE, ETC. BARON DE HERSTAL ETC. (…)
Tous deux duc de Bouillon ? Alors que le duché de Bouillon est déjà retourné à la France en 1679. Voir plus haut.
Important : on écrit évêque avant prince (d’empire), ce qui indique la primauté du titre d’évêque sur les autres, raison pour laquelle sans doute Notger n’a jamais utilisé son titre de comte, évêque étant largement suffisant. Dès lors, il conviendrait de titrer évêque prince plutôt que prince évêque… Combat perdu d’avance, l’appellation prince évêque est trop ancrée.
Par ailleurs, pourquoi n’est-il plus fait mention dans les intitulés ci-dessus des comtés les plus anciens : Huy, Haspinga et Moha ? Ces titres anciens ont disparu parce qu’ils ne recouvraient plus une réalité institutionnelle à la fin de l’Ancien Régime, ils ont “fusionnés” pour former le Pays de Liège. L’appellation principauté pour Liège est donc récente, XIXe S., avant on parlait plutôt du Pays de Liège.
Une principauté féodale ne ressemblait en rien à un de nos États modernes aux frontières linéaires nettes, à l’intérieur desquelles s’exerce une autorité publique de façon uniforme. L’exercice progressif du pouvoir temporel par un prélat a, tout d’abord, induit une sorte d’abus de langage (aux yeux, du moins, de l’homme d’aujourd’hui), confusion aisément compréhensible dans la vie courante. Ainsi rencontre-t-on fréquemment jusqu’au XVIIIe siècle (y compris dans des ouvrages de géographie et sur des cartes), l’expression Diocèse ou Évêché de Liège pour désigner le pays, alors que le diocèse s’étend bien au-delà des limites de la principauté. Il s’agit là d’un usage fort ancien. Au XIIIe siècle encore, le pays (patria) désigne toute l’Ecclesia Leodiensis, tout l’évêché de Liège. Mais cent ans plus tard (XIVe), quand l’évêque lui-même parle du pays de l’évêché de Liège (patria episcopatus leodiensis), il n’entend pas tous les fidèles du diocèse mais seulement les sujets relevant de son autorité temporelle.
Le Pays de Liège était divisé en quartiers, sous-divisions administratives faisant e.a. office de circonscriptions fiscales. Selon le quartier, divers agents –parfois des grands baillis– du prince évêque exécutaient des offices précis. Néanmoins, des comtés (Looz et Horne e.a.) garderont leur nom, leurs propres lois et leur propre Justice, sous leur souverain, l’évêque, vassal de l’empereur. L’intronisation de l’évêque se déroulait en trois langues : latin, françois, thiois (diets).
En 1980, la province de Liège a commémoré –à tort– le millième anniversaire de la principauté. En 980 : Notger se voit confirmer les donations faites à ses prédécesseurs (… confirmé dans ses immunités…) ; c.-à-d. qu’il dispose de “droits régaliens” sur les terres propres de l’évêché. “L’empereur Otton II veut que nul autre que l’évêque (de Liège) ou son délégué n’y puisse exercer pouvoir ou juridiction“. Le suzerain de ces terres –duc de Basse-Lotharingie- n’y a aucun droit. Notger a d’une certaine manière les fonctions de “comte”, dans certains de ses domaines, mais pas le titre. Titre comtal qu’il recevra en 985, avec le comté de Huy. La “principauté” est donc réellement née en 985 !
c. Noblesse au Moyen Âge
Prince : les princes de sang sont des membres d’une famille royale. Prince se dit aussi d’un grand seigneur, quel que soit son titre, pas nécessairement d’une principauté. Les princes de l’Église sont les prélats, les cardinaux.
Principauté : une principauté, un état dont le souverain est “prince”.
Duché : initialement une administration militaire – Le duc est un haut fonctionnaire responsable e.a. de l’ordre public ; il coiffe plusieurs comtés, au début en tout cas (VIIIe–XIVe S.).
Marquisat : un comté “+”. Sous Charlemagne, aux marches (frontières) de l’empire, un marquis avait plus de pouvoir pour défendre la frontière impériale. Lorsque la seigneurie de Franchimont devient marquisat au XVIe S., la notion aux marches de l’empire n’existe plus.
Comté : administration territoriale ; le comte, comme le duc, est un haut fonctionnaire impérial (royal) disposant de très grands pouvoirs et d’une relative autonomie.
Vicomté : en principe un comté plus petit disposant de moins de pouvoir.
Baronnie : fief obtenu des mains du roi ou d’un grand prince (duc, comte). Initialement, un baron était appelé seigneur ou messire/sire de… À leur tour, les barons se sont entouré de petit seigneurs locaux. “Le roi de France convoque ses grands barons“, c.-à-d. les principaux ducs et comtes. À l’échelon inférieur, un comte invite ses barons, c.-à-d. les plus importants seigneurs de son comté. Aujourd’hui, la presse parle des hommes de pouvoir : les barons d’un parti politique, des dirigeants d’entreprises.
Chevalier : n’était pas un titre de noblesse en soi, mais une “qualité”. Tous les nobles, rois y compris, se devaient d’être armés chevaliers, preuve de courage. Il n’y a pas de terres associées au titre.
Bachelier :
gentilhommes sans moyens de lever un ban (troupe personnelle) ;
jeunes nobles en attente d’être reçu chevalier.
Écuyer : au moyen-âge, un jeune noble, au service d’un plus grand seigneur : il portait l’écu de son maître, suzerain.
À notre époque : Bachelier n’existe plus – Chevalier et Ecuyer sont bien des titres de noblesse.
3. Abbayes
En plus de leurs terres régaliennes, les évêques de Liège reçoivent quelquefois des abbayes, soit à titre personnel, soit pour l’évêché. Les principales sont (avec le nom de l’évêque bénéficiaire) :
888 : Lobbes, évêque Francon.
982 : Fosses,
987 : Gembloux,
992 : Brogne, Aldeneik et Saint-Hubert,
1015 : Florennes, évêque Baldéric II.
Ces abbayes, avec celle de Saint-Laurent, ont contribué à la réputation d’Athènes du Nord qu’avait Liège jusqu’à ce que les université de Bologne d’abord, puis la Sorbonne (Paris) dominent l’enseignement universitaire à partir du XIIIe siècle.
Les abbayes suivantes sont octroyées à titre personnel, elles seront rendues au décès des bénéficiaires :
XVIIe& XVIIe siècles : Stavelot-Malmedy, princes-abbés Gérard de Groesbeek et les Bavière Ernest, Ferdinand et Maximilien-Henri. Il s’agit bien d’un cumul, le prince évêque de Liège cumulant avec prince abbé de Stavelot-Malmedy, état indépendant. La crosse et le glaive définissent bien un prince spirituel et temporel.
XVIe siècle : Saint-Michel (Anvers), Érard de la Marck.
1765 : Cheminon (FR), François-Charles de Velbruck (encore chanoine, pas encore évêque).
4. Sens du Pays et les chanoines
Avec l’évêque, le Pays de Liège est gouverné par les trois groupes représentatifs, réunis au sein du Sens du Pays :
L’État primaire : Chapitre des soixante chanoines tréfonciers de la cathédrale Notre-Dame et Saint-Lambert. Ils représentent l’ensemble du clergé du Pays de Liège. Ils concentrent entre leurs mains l’avoir, le savoir et le pouvoir. Ces chanoines tréfonciers jouissent d’un statut privilégié, connu partout et ils ont fourni six papes à la Chrétienté.
L’État noble : à la fin XVIIIe S., il ne rassemble plus que dix-sept nobles recrutés par cooptation après pu avoir établir la garantie nobiliaire de seize trisaïeuls.
L’État Tiers : se compose des représentants des Bonnes Villes (vingt-trois à partir de 1651), c.-à-d. deux bourgmestres par Bonne Ville, souvent de riches bourgeois. Ils sont élus annuellement. Aucun mandataire des six cents communautés villageoises ne siège avec eux.
Les Journées d’État, c.-à-d. les réunions du Sens du Pays, sont convoquées par le prince ; en principe deux fois ans et durent dix jours.
5. Querelle des Investitures et le Concordat de Worms, 1122
Alors qu’au début de la Chrétienté, les fidèles choisissent leur évêque. Les rois francs barbares, conscients de l’influence grandissante de la religion et des évêques recherchent leur soutien plutôt que l’affrontement. Ces rois vont ainsi nommer eux-mêmes les évêques qu’ils choisissent parmi leur fidèle noblesse.
Lorsque les princes évêques apparaissent, l’empereur désigne évidemment les comtes et ducs et par ailleurs, il cède des duchés et comtés à des évêques.
À partir du XIe siècle, l’empereur perdant en puissance ce que le pape y gagnait, ce dernier exige son droit à nommer les évêques… qui étaient aussi ducs ou comtes, désignés par l’empereur. La quadrature du cercle ?
La Querelle des Investitures issue de ce problème dure quelques dizaines d’années pour se terminer le 23 septembre 1122 avec la signature du Concordat de Worms, entre le pape Calixte II et l’empereur Henri V. Depuis, dans les principautés épiscopales, c’est le Chapitre des cathédrales qui élit son évêque ! La procédure se déroule en trois temps :
Les chanoines des cathédrales (des principautés épiscopales) élisent l’évêque ;
L’empereur investit temporellement (duc, comte) l’évêque, en lui remettant le sceptre ;
Le pape confirme en remettant la crosse et l’anneau épiscopaux.
Ce qui prouve l’importance des chanoines des cathédrales !
6. “Conclusion” sur l’Ancien régime
La principauté de Liège n’est pas une entité juridique, ni même un territoire entier. Elle est formée d’un amalgame de duché, marquisat, comtés et seigneuries ; évoluant au cours du temps. Le nom de principauté de Liège est une notion du XIXe siècle, créée par les historiens de la nouvelle Belgique. Ils devaient probablement associer prince et principauté. Les provinces (duché, marquisat, comtés…) qui la composaient ont conservé leur nom, leurs lois, us et coutumes. En effet, l’évêque de Liège était/a été duc de Bouillon, comte de… et de … etc. Il était prince par sa grandeur, pas d’une principauté. Cependant, les premiers comtés accordés à l’évêque de Liège (Huy, Brugeron, Haspinga, Moha) ont pour ainsi dire fusionnés pour former le Pays de Liège. Ce processus a probablement duré plusieurs siècles. On ne les évoque plus dès le XIIIe siècle. Néanmoins, il serait intéressant de savoir à quel titre l’évêque de Liège signait des actes concernant ces comtés-là.
Blason du Pays de Liège : couronne impériale et manteau d’hermine (prince impérial), croix à une branche transversale et crosse (évêque), glaive (prince temporel), blasons (Liège, Bouillon, Franchimont, Looz, Horne)
L’appellation principauté est une extrapolation due à l’importance et la (relative) indépendance du Pays de Liège, ainsi qu’à l’aura de Monseigneur l’évêque de Liège, auréolé du titre de prince d’empire. Cependant, comme pour la Belgique espagnole ou autrichienne, par convention, on parle de principauté, par facilité. Ici aussi, tenter d’éviter l’utilisation de principauté de Liège –pour utiliser Pays de Liège– est un combat perdu d’avance. […]
7. De la fin Ancien régime à aujourd’hui
1789 (18 août), Révolution Liégeoise. Au contraire des Français qui révolutionnent le système, les Liégeois souhaitent un retour au passé,
avec e.a. l’abrogation du Règlement de 1684 du prince évêque Max.-H. de Bavière et veulent retrouver leurs privilèges d’antan.
1789 : la Révolution française met fin à l’Ancien régime, aux privilèges, à la noblesse, à la religion. La principauté de Liège cesse d’exister. Nous devenons Français le 1er octobre 1795 et sommes incorporés dans le Département de l’Ourte (sic), qui deviendra la province de Liège.
1802 : avec le Concordat signé entre Napoléon et le pape Pie VII en 1801, l’évêché de Liège renaît, sans prince.
1830 : après la courte période des Pays-Bas Unis (1815-1830), nous acquérons une nouvelle indépendance, nouvelle nationalité avec la création de la Belgique.
1839 : Guillaume Ier, roi des Pays-Bas Unis, accepte le Traité des XXIV Articles de 1832 (2e Conférence de Londres) scellant l’indépendance belge. La Belgique rend le Limbourg néerlandais et le Luxembourg. L’évêché de Liège perd ses paroisses aux Pays-Bas, Limbourg néerlandais surtout, dont son séminaire de Rolduc, qui déménage en partie à Sint-Truiden (Petit Séminaire).
8. Prince de Liège au XXe siècle – Albert (°1933)
Au début de l’existence de notre royaume, les fils du roi des Belges recevaient des titres honorifiques, sans territoire ni revenus. L’AR 16/12/1840 précise que l’aîné des fils devenait duc de Brabant, héritier du trône et le puîné fils, comte de Flandre. Les filles ne recevaient pas de titre. Lorsque le duc de Brabant –héritier du trône– se mariait et devenait père avant de monter sur le trône, son fils aîné se voyait octroyer le titre de comte de Hainaut. Deux premiers fils ont profité de ce titre de comte de Hainaut : Léopold (1859-1869), premier fils du futur Léopold II (AR 12/6/1859) et Baudouin (1930-1993), premier fils du futur Léopold III (AR 10/9/1930). Il n’est pas le premier enfant de Léopold (toujours duc de Brabant), mais l’aînée, Joséphine-Charlotte (1927-2005) ne reçoit pas de titre. Les autres enfants des ducs de Brabant ne recevant pas de titre.
Quand Albert vient au monde, le 6/6/1933, il ne reçoit pas de titre car son père Léopold est toujours duc de Brabant. Après l’accident mortel d’Albert Ier, le 17/2/1934, Léopold III (1901-1983) accède au Trône et Baudouin, l’aîné des fils, devient duc de Brabant, prince héritier. Deuxième fils du roi, Albert aurait dû alors légalement recevoir le titre de comte de Flandre. Mais ce titre n’est pas disponible car il est –logiquement– toujours porté par son oncle Charles (1903-1983, régent de 1944 à 1950), deuxième fils du précédent roi Albert Ier et frère du roi régnant, Léopold III. Ce dernier souhaite cependant donner un titre à son fils Albert, et afin d’une part d’honorer Liège pour sa résistance à l’invasion allemande en août 1914 –qui lui vaut la Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur française– et d’autre part, probablement en mémoire du glorieux passé de la principauté épiscopale, Albert, futur roi Albert II, est fait prince de Liège (toujours avec accent aigu – AR 7/6/1934). Ce sera le seul et unique prince de Liège depuis l’indépendance de la Belgique. En effet, de par l’AR 16/10/2001, les titres historiques (comtes de Flandre et de Hainaut) sont abrogés et seul l’héritier(ère) du Trône en reçoit un : duc/duchesse de Brabant, actuellement, Élisabeth, fille du roi Philippe.
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Jean-Pierre DECHESNE a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez le programme annuel de la CHiCC…
Septembre vient du mot latin septem, qui veut dire sept. Pour n’y plus revenir, nous rappellerons tout de suite qu’octobre, novembre et décembre viennent des mots latins octo, novem et decem, qui signifient huit, neuf et dix, et se rapportent, comme septembre, à l’ancienne année romaine, dont l’origine était en mars.
En septembre, les jours continuent à décroître. La diminution est de 1 heure 43 minutes, se décomposant ainsi : 46 minutes le matin, et 57 minutes le soir. Vers le 21 juin dernier, le Soleil avait atteint sa plus grande hauteur ; pendant quelques jours cette hauteur ne variant pas, on disait que le Soleil s’était arrêté. Nous étions au solstice d’été ; les jours avaient leur plus grande durée : 16 heures 7 minutes. Puis le Soleil s’est abaissé peu à peu ; les jours ont diminué, les nuits sont devenues de plus en plus longues, et seront redevenus égaux à l’équinoxe d’automne.
En septembre, les matinées et les soirées deviennent très fraîches ; la température moyenne du mois descend à 15,7°, c’est-à-dire qu’elle est inférieure de 3 degrés à la température d’août. En même temps que commence la vendange, on s’occupe des semailles.
Août mûrit, septembre vendange ;
En ces deux mois tout bien s’arrange.
Il faut semer de bonne heure, car plus on attend, plus il faut augmenter le poids de la sentence.
Qui n’a pas semé à la Croix
Au lieu d’un grain en mettra trois.
La Croix se rapporte au 14 septembre, fête de l’Exaltation de la Croix.
Regarde bien, si tu me crois,
Le lendemain de Sainte-Croix.
Si nous avons le temps serein,
Abondance de tous les biens ;
Mais si le temps est pluvieux
Nous aurons l’an infructueux. (Vosges.)
Un peu de pluie est favorable aux semailles, mais les pluies persistantes sont, d’après les agriculteurs , un mauvais présage pour les récoltes futures.
Septembre, a-t-on dit, est le ‘mai’ de l’automne. C’est le bienheureux mois des vacances. Les écoliers s’ébattent en liberté à la campagne ou sur les bords de la mer. Que les jeunes hôtes des plages normandes ou bretonnes n’oublient pas qu’en septembre a lieu la plus forte marée de l’année.
Nous savons que les marées sont dues à l’attraction exercée sur les eaux de la mer par la Lune et le Soleil. Tous les corps de la nature s’attirent. La Terre attire la Lune et est attirée par elle. Cette double action ne se manifeste pas en général d’une manière visible : les parties solides de notre globe, fortement liées entre elles, paraissent immobiles. Sous l’influence de la Lune, l’océan s’élève durant six heures, s’abaisse pendant le même temps, et cela d’une manière continue.
Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…
Marc Mestrez fait ses débuts dans les années 50 au sein d’orchestres jazzy, pour la danse essentiellement (New rector’s à Chaudfontaine, Jo Carlier, etc.). En 1959, il devient professionnel et entre dans la formation de Janot Moralès avec lequel il effectue plusieurs tournées. Parallèlement, il participe à différentes jam-sessions, se produit à Comblain avec Léo Souris et participe aux tournées Sabena avec Johnny Dover.
En 1963, il travaille à Bruxelles avec Johnny Renard puis entre dans le Big Band de la RTB (Segers). A la dissolution de cet orchestre, Marc Merciny part pour Beyrouth où il restera jusqu’en 1972. Il effectue. par la suite, différentes tournées avec l’orchestre de Caravelli ainsi qu’avec Shirley Bassey (Japon, Afrique) et accompagne Aretha Franklin à Paris. Vers 1975-1976, il part en tournée avec les musiciens de l’orchestre de Count Basie dirigé par Eddie Lockjaw Davis, en remplacement de Curtis Fuller ! Il entre ensuite au Big Band de la BRT et participe aux tournées des solistes de cet orchestre. A la suite d’un accident, il interrompt ses activités en 1987.
[SUDINFO.BE, 21 mars 2023] L’avisance : le repas du pèlerin. Il existe sans doute de nombreuses manières de vexer un vrai Namurois. La plus efficace consiste sans doute à assimiler la véritable avisance namuroise à un vulgaire pain-saucisse.
Pour ne plus confondre ce joyau du patrimoine culinaire namurois avec un vague produit industriel, on vous explique tout. Pour comprendre toute la complexité de ce met à mi-chemin entre la pâtisserie et la boucherie, il faut remonter au Moyen-Age. À l’époque, les catholiques pratiquants formaient la majorité de la population. Pour ces croyants, il était important d’effectuer, au moins une fois dans sa vie, un pèlerinage. En Europe, le plus célèbre est sans doute celui de Saint-Jacques de Compostelle, dans le Nord de l’Espagne. Dans le même temps, la plupart des fidèles étaient de condition modeste. Il s’agissait donc d’éviter à tout prix le gaspillage alimentaire. Des recettes permettant d’accommoder les restes de repas sont apparues un peu partout en Europe. On citera, par exemple le Pan Forte florentin préparé avec tous les restes de pâtisserie. Historiquement, l’avisance était un repas de voyage, préparé avec un reste de viande placé dans une crêpe de pâte à pain et cuite avec celle-ci. Elle était alors mangée froide, sur le pouce, notamment à l’occasion de longs pèlerinages.
Aujourd’hui, cette spécialité culinaire de la ville de Namur prend la forme d’un chausson de pâte enroulée, fourré à la viande. Elle est aujourd’hui servie chaude, en entrée, généralement accompagnée de crudités. Doit-on encore le préciser, il s’agit d’un plat traditionnel qui ne doit pas être confondu avec les productions industrielles à base de minerai de viande nommé pain-saucisse. Sa recette contemporaine, défendue par la confrérie gastronomique appelée La Commanderie des Coteaux de Meuse, se compose d’un rectangle de pâte feuilletée au travers duquel on dépose un boudin de farce composé de haché de porc coupé finement et épicée (chair à saucisse). La crêpe de pâte étant ensuite roulée autour de la viande et soudée. Le tout est recouvert de dorure à l’œuf et cuit au four durant une vingtaine de minutes. Elle est proposée en cuisine de rue, lors de festivités populaires comme les fêtes de Wallonie. Mais on pourra aussi la trouver en entrée souvent accompagnée de moutarde douce. Il faut noter aussi que la confrérie gastronomique qui en fait la promotion peut vous indiquer un choix de vins adéquats et issus du terroir local puisque la Commanderie des Coteaux de Meuse produit du vin sur les hauteurs de Wépion.
V.M.
[GASTRONOMIE-WALLONNE.BE] Avisance de Namur. L’avisance est typique de la région namuroise aux fêtes de Wallonie. Cette recette de notre site a été présentée par Gérald Watelet dans l’émission Un gars, un chef le 27 sept 2013.
L’AVISANCE : HISTORIQUE
C’est un fourreau de pâte feuilletée, fourré de haché, servi chaud. Elle est surtout connue lors des fêtes de Wallonie de Namur, où on la trouve dans les bonnes échoppes. Elle mérite d’être servie en entrée lors d’un repas accompagnée de crudités. Son origine remonte dans le temps lointain où les Namurois se rendaient en pèlerinage à Notre -Dame de Halle. La route étant longue et le déplacement se faisant à pied, chacun se munissait de provisions de bouche et notamment, une crêpe enroulée autour de restes de viande. Les pèlerins disaient qu’ils avisaient, c’est à dire qu’ils prenaient leurs précautions. Cette crêpe est devenue au fil du temps, l’avisance.
La réussite dépend de la qualité de la pâte et de la qualité de la (chair à) saucisse. Nous donnons la recette avec de la pâte feuilletée, par souci de simplification, car on dispose actuellement de pâte feuilletée prête à l’emploi, mais à l’origine, on utilisait de la pâte à pain.
AVISANCE : recette n°1
Préparation : 10 min – Cuisson: 20 min Ingrédients : pour 4 personnes
4 feuilles de pâte feuilletée de 15 cm,
4 saucisses,
1 oeuf (pour dorer).
Préparation : Ultrasimple. Roulez chaque saucisse dans une feuille de pâte. Placez les avisances sur une platine à tarte. Dorez chaque avisance avec un peu de lait ou de jaune d’œuf. Mettez au four préchauffé à 220°C durant 20 minutes.
Variante : Vous pouvez retirer la peau des saucisses avant de les enrouler dans la pâte. Dans ce cas, mettez la saucisse au frigo bien froid ; la chair se défait plus facilement quand elle est bien refroidie !
Préparation : Abaisser légèrement la pâte feuilletée. Mettre à la poche à douille un trait de chair à saucisse. Tartiner de moutarde. Dorer les bords. Plier et souder. Découper et cuire au four 200°C +/- 20 minutes.
Autre façon de lire la recette :
L’AVISANCE di NAMEUR
Prinde on rèstangue di pausse feuyetée, au bure, d’one sipècheû di 3 mm èt di doze cm di laudje sus vingt cm di long, î mète 40 grs di atchî di pourcia bin r’lèvé. È fé one roulade à mète cûre o for, à 250° à peu près 20 munutes. On pou lèyî l’avisance au frigo 3 à 4 djoûs ou bin l’èdjaler. Au momint di sièrvu, rèstchaufer 10 munutes au for à 220°. Todi li sièrvu tchôde.
[PROVINCE.NAMUR.BE, hiver 2015] PEINTURE PARTAGÉE, UNE COLLECTION D’ART ABSTRAIT WALLON – Expo à la Maison de la Culture de Namur (10 janvier 2015 – 8 février 2015)
L’exposition Peinture partagée, met en lumière la passion d’un couple de collectionneurs namurois pour l’art abstrait wallon. Si la Belgique est connue pour être le pays accueillant le plus de collectionneurs par m², on situe généralement les collections privées dans le Nord du pays ou dans la capitale. Mais la vallée mosane abrite également quelques passionnés anonymes.
L’envie de montrer cette collection (rendue publique pour la deuxième fois seulement) s’inscrit dans cette volonté de dessiner la vitalité culturelle au Sud du pays. C’est tout le propos de cette collection qui s’élabore depuis plusieurs dizaines d’années avec comme fil rouge celui de l’abstraction en Wallonie. Ce qui n’était au départ qu’une intuition est rapidement devenu un canevas essentiel : “Nous revendons peu à peu certaines œuvres, notamment figuratives, pour acheter des grands noms de l’art abstrait wallon” expliquent les collectionneurs. Au-delà de la fierté nationale, c’est une manière de circonscrire la passion, lui fixer des limites – financières et esthétiques. C’est une manière aussi de construire une véritable identité à la collection. Le but avoué est aussi de revaloriser le patrimoine . “Beaucoup d’artistes sont partis à Paris car c’est là que cela se passait. Ils se sont naturalisés français mais ils provenaient du Sud de la Belgique. Nous devons en être fiers“, ajoute le collectionneur.La collection s’est ainsi formée en duo et de façon autodidacte. Elle découle d’abord de coups de cœur avant de devenir un exercice plus réfléchi. Elle commence avec l’oeuvre bleutée (sans titre, 1957-58) de Joseph Lacasse, dont le couple est littéralement tombé amoureux. S’ajoutent bientôt d’autres grands noms de l’art abstrait : Pol Bury, Raoul Ubac, Jo Delahaut, Marcel Lempereur-Haut… Il s’agit essentiellement d’oeuvres non-figuratives sans distinction de genre, de style ou d’école (Hard Edge, lyrique, géométrique, cinétique, etc.). On trouve des œuvres très diverses d’Henri Michaux, des dessins mescaliniens – réalisés sous influence – aux encres de Chine, des peintures de Mig Quinet, Françoise Holley-Trasenster ou Gaston Bertrand, etc. La collection se fait aussi plus contemporaine, avec Jacques-Louis Nyst, Jean-Pierre Ransonnet, Gabriel Belgeonne ou Victor Noël. Elle nous réserve aussi des découvertes, tel ce couple d’artistes, Hauror, qui avait participé au Salon des Réalités Nouvelles dans les années 50 mais dont le nom est peu connu aujourd’hui. L’une des deux œuvres de la collection a prêté son titre à l’exposition : Peinture partagée. Aujourd’hui, c’est cette passion de collectionneurs qui est partagée avec le public.
Catalogue : textes de Roger Pierre Turine, critique à La Libre Belgique et Denis Laoureux, historien de l’art (ULB).
L’art abstrait au prisme de la Wallonie. Un point de vue
[ACADEMIA.EDU] Les tableaux abstraits rassemblés dans la collection qui forme la trame de la présente exposition ont en commun d’avoir été conçus durant la seconde moitié du XXe siècle par des artistes issus de cette partie de la Belgique qu’un de ses ressortissants notoires, André Blavier, se voyant lui-même Wallon et apatride, situait dans un Extrême-Occident imaginaire. Il faut dire que la Wallonie, “curieux pays curieux” contient une diversité culturelle bigarrée et surprenante au regard de l’étroitesse géographique de son territoire. Cet Extrême-Occident est aussi l’angle, forcément partial et partiel, mais assumé comme tel, à travers lequel s’est constitué, au fil d’acquisitions triées sur le volet, le récit visuel de cette “passion privée” pour une Wallonie qui s’expose aux cimaises d’un “musée rêvé” à la croisée de la Sambre et de la Meuse.
Peindre en Wallonie
Sélectionnés avec soin à travers ce prisme à double face que constituent, d’une part, l’abstraction après 1945, et d’autre part, la Wallonie en tant que terre natale des artistes, cet ensemble de tableaux témoigne autant du regard singulier d’un collectionneur qu’il ne donne à voir un pan de l’histoire de l’art en Belgique, et a fortiori de l’épanouissement de l’art abstrait en Europe. Pour un historien de l’art, ceci pose plusieurs questions complexes auxquelles on ne peut se dérober sans toutefois prétendre à les épuiser.
Une première question est celle du lien entre peinture et territoire, et donc entre production artistique et identité régionale. Si on peut admettre assez facilement que l’angle wallon se tient en tant que critère constitutif d’une collection d’art abstrait, peut-il pour autant dicter une lecture des œuvres ? Sans doute pas. En confondant la méthode – l’origine wallonne – avec son objet – la production artistique – on se trouverait en mauvaise posture lorsque, pour expliciter l’entreprise à ceux qui demanderaient à bon droit quelques éclaircissements, on aurait à définir ce qui, sur un plan plastique, serait soi-disant spécifiquement wallon et ce qui, de facto, ne le serait pas.
L’art moderne transgresse les règles du nationalisme. La peinture de Jo Delahaut, dont il sera question plus loin, en est un exemple éloquent. Né en région liégeoise, l’artiste vit à Bruxelles et noue des contacts avec ses confrères des Réalités nouvelles dont il partage pleinement les postulats esthétiques au point d’exposer en leur compagnie de 1948 à 1955.
On peut multiplier les exemples : Ernest Engel-Pak, Paul Franck, Joseph Lacasse, Marcel Lempereur-Haut, Léopold Plomteux, Henri-Georges Closson et Françoise Holley, pour clore ici cette liste non exhaustive, contribuent également aux salons des Réalités nouvelles qui s’organisent à Paris dès 1946. Certains artistes s’installent à Paris, comme Raoul Ubac qui quitte Malmedy en 1932. Il fut précédé par Joseph Lacasse. Né à Tournai en 1894, ce dernier s’établit à Paris en 1925 où il effectuera le reste de sa carrière. Il participe notamment au salon des Réalités nouvelles de 1958. Les tableaux qu’il réalise à ce moment donnent au spectateur l’impression que la couleur est une énergie qui, après avoir effectué une remontée au sein de sa propre profondeur, arrive à l’air libre où elle frémit à l’intérieur de plans géométriques dérivant à fleur de toile avec la lenteur d’un mouvement de tectonique de plaques. La peinture de la Lacasse fonctionne comme un vitrail. Tout se passe comme si une lumière dont la source se trouvait derrière la toile traversait la couleur pour éclairer la peinture et la faire vibrer dans sa masse.
On se gardera donc d’appliquer à la création artistique un droit du sol qui conduirait à la définition d›un art national contraire par nature à la dynamique transfrontalière de la modernité. Mais si on ne se reconnaît pas le droit de définir ce qui serait wallon en termes d’expression artistique, nous ne sommes pas davantage autorisés à anesthésier les singularités en confondant la partie avec le tout. Si on éprouve quelque réticence à voir dans un tableau de Delahaut l’emblème pictural d’une identité régionale, il faut admettre que ce tableau est forcément, comme ont dit, né quelque part. Ne peut-on pas tenter de déceler, sans souscrire au nationalisme qui agite ici et là l’Europe des années 2010, une sensibilité commune qui se sédimente dans des tableaux peints au même endroit et, parfois, au même moment ? Ne peut-on pas, sans être suspect, faire apparaître la dynamique structurelle collective – groupes, manifestes, expositions communes, revues, etc. – qui explique des effets de proximité esthétique unissant les artistes actifs au sein une même aire culturelle ?
Une seconde question se pose. Comment expliquer le découpage chronologique qui fait commencer en 1945 la contribution des artistes né en Wallonie à l’histoire de l’abstraction ? Marquée par un héritage symboliste qui a prolongé la fin-de-siècle jusque 1918, la Belgique n’a pas été un territoire propice à l’épanouissement de l’abstraction qui naît et se développe, au début des années 1910, hors du monde classique. Certes, Vassili Kandinsky expose en 1913 à Bruxelles, à la Galerie Georges Giroux… mais l’événement est sans lendemain : James Ensor, Fernand Khnopff, George Minne, William Degouve de Nuncques sont alors au zénith de leur carrière. Après 1918, l’expressionnisme flamand dominé par Constant Permeke et le surréalisme constitué autour de René Magritte laisseront peu de place à la Plastique pure. Celle-ci constitue la contribution belge au constructivisme international. Mais l’avant-garde ne prend pas et, à partir de 1925 déjà, les peintres arrêtent leur activité ou se réorientent progressivement, comme Marcel-Louis Baugniet, vers le design.
La situation des peintres abstraits actifs après 1945 est tellement différente que cette nouvelle et seconde génération ne doit en aucun cas être vue comme le prolongement naturel de la première. Et pour cause : l’abstraction, singulièrement dans sa veine géométrique, fait alors l’objet d’une reconnaissance qui touche autant le monde institutionnel officiel que le public, la critique et les collectionneurs. Le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles a joué, dans l’institutionnalisation de l’art abstrait, un rôle largement international, qui culmine par ailleurs avec l’Expo’58. Son Directeur général, Pierre Janlet, est lui-même amateur d’art moderne et d’abstraction géométrique en particulier. Janlet est à l’origine de la Galerie Aujourd’hui. Celle-ci succède en 1953 au Séminaire des Arts fondé en 1945 par Luc Haesaerts et Robert Giron. La Galerie Aujourd’hui fut, durant une dizaine
d’années, une plateforme extrêmement dynamique. Cette assise institutionnelle a été accompagnée par des initiatives privées. La Jeune Peinture belge (1945-1949), l’Association pour le progrès intellectuel et artistique en Wallonie – l’APIAW – constituée en 1944 à l’initiative du Liégeois Fernand Graindorge organiseront de nombreuses expositions d’art
abstrait, tout en assurant la diffusion de l’art international. Françoise Holley, par exemple, participe autant aux salons de l’APIAW qu’à ceux des Réalités nouvelles auxquels elle contribue de 1951 à 1954. Après 1945, l’abstraction jouit d’une reconnaissance publique et privée qui crée un horizon d’attente plus que favorable pour la jeune génération d’artistes dont il va question ci-après.
Les années Jeune Peinture belge
La Jeune Peinture belge (1945-1949) est une association sans but lucratif fondée le 4 août 1945. Elle a pour objectif de créer les conditions nécessaires au retour d’un dynamisme artistique miné par les années de guerre. Rassemblant des jeunes peintres qui ne se reconnaissent ni dans l’animisme ni dans le surréalisme, à l’heure où Cobra n’existe pas encore, la Jeune Peinture belge s’est assignée une fonction essentiellement logistique. Elle bénéficie d’un réseau de partenaires institutionnels prestigieux et d’un système de financement issu du monde privé. Un Conseil d’administration est mis sur pied, de même qu’un jury organisant la sélection des œuvres pour les expositions nationales et internationales. Des critiques d’art apportent à l’entreprise le soutien de leur plume. Administrée avec soin et détermination par René Lust, la Jeune Peinture belge n’est pas une avant-garde abstraite, même si elle conduit la plupart de ses membres à l’abstraction. Elle est plutôt un cadre, une structure offrant aux peintres les moyens matériels d’exposer en Belgique et à l’étranger. Ceci explique pourquoi il n’y a pas de manifeste de la Jeune Peinture belge, contrairement à Cobraqui verra le jour en 1948, mais des statuts déposés au Moniteur belge.
C’est dans ce contexte qu’il revient à Jo Delahaut d’avoir présenté à Bruxelles en 1947, et à Oxford l’année suivante, des compositions qui constituent les premiers tableaux abstraits exposés en Belgique après la Seconde Guerre mondiale. Le fait est important, même s’il est passé à peu près inaperçu à l’époque. L’engagement de Delahaut pour l’abstraction géométrique est à la fois immédiat et radical. Il se fonde sur la négation de toute référence à la réalité. L’artiste partage en cela les postulats esthétiques de son ami Auguste Herbin. Dans un premier temps, Delahaut assimile la peinture abstraite à la mise en place d’une architecture visuelle composée de lourdes lignes noires droites. Celles-ci constituent un réseau linéaire qui délimite l’expansion des formes dans une construction picturale dont la stabilité exprime le besoin d’un monde en équilibre. Comme Herbin, Delahaut ne cessera d’explorer les relations multiples entre la forme et la couleur pour ériger la géométrie en rhétorique visuelle caractérisée par l’éloquence, la clarté, la raison.
Delahaut n’est pas le seul membre de la Jeune Peinture belge à s’engager dans l’art abstrait dans l’immédiat après-guerre. On songe ici à Mig Quinet, plus âgée, il vrai, que la plupart des membres du groupe de la Jeune Peinture belge qu’elle cofonde par ailleurs. Pour diverses raisons, les tableaux abstraits de Quinet ne seront exposés qu’en 1953, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Contrairement à Delahaut, Quinet ne rejette pas le réel. Elle part d’un objet, ou d’une scène qu’elle choisit pour sa qualité cinétique : un cirque, un carrousel, une roue, un trio à cordes… Intériorisé, analysé, déconstruit mentalement, le réel est alors transposé en plans géométriques colorés articulés par un réseau linéaire formant une structure kaléidoscopique. L’objet est ramené à une trame géométrique. Il prend la forme d’une architecture lumineuse virtuellement animée par un mouvement rotatif généré par le motif du cirque, de la roue ou du carrousel. La géométrie prend ainsi une qualité cinétique qui trouvera son plein aboutissement dans le développement ultérieur de l’Optical Art.
Élargir les limites du visible
La conversion immédiate et radicale de Delahaut à une abstraction géométrique Hard Edge est un cas unique. En fait, pour la plupart des peintres, la voie conduisant à l’abstraction résulte d’une lente métamorphose intérieure du monde environnant dont les limites se trouvent ainsi élargies, dilatées, reculées. La nature est transformée par l’imagination avant de s’incarner dans la peinture à travers une configuration plastique conservant le souvenir lointain, imperceptible, de son origine pourtant située dans le réel. Envisager la peinture abstraite non pas comme une négation du visible, mais comme un élargissement poétique de la réalité est une orientation que la plupart des peintres issus de la Jeune Peinture belge vont emprunter.
Ce passage de la ligne, selon la formule utilisée par la critique d’époque pour désigner l’adhésion à l’abstraction, se fait, pour la plupart des peintres, autour de 1950. Le lyrisme de la palette issu du fauvisme se conjugue alors à un sens cubiste de la structure pour détacher progressivement la représentation de ses liens au réel, pour soustraire cette représentation au poids de l’objet dans le but d’assimiler l’image à l’épiphanie d’un mouvement lumineux. Des œuvres comme Plaza Prado (1955) de Gaston Bertrand, mais aussi Les Angles bleus (1954) de Mig Quinet, ou encore Les Voiles (1954) de Paul Franck sont l’expression de ce processus poétique de transformation intérieure du réel où la nature se métamorphose pour prendre corps dans l’image sous la forme d’une structure lumineuse en mouvement.
Le chemin qui conduit ces peintres vers l’abstraction n’a rien de la radicalité d’un Delahaut, ni de la violence formelle qu’on trouve au même moment sous les pinceaux de Georges Mathieu ou de Wols, ni du sens de l’improvisation et de la rapidité d’exécution qui anime un Pierre Soulages. Il s’agit de vivre le monde, d’en ressentir la texture, l’atmosphère, d’en épouser les lignes de force, afin d’en extraire un sentiment qui sera mis en scène picturalement. Ce processus d’élaboration poétique de la peinture consiste à élargir les limites du monde, à métamorphoser le visible en un horizon intérieur. Ceci explique l’importance prise par le paysage dans la dynamique d’expérimentation plastique qui conduit les membres de la Jeune Peinture belge à franchir la ligne de l’abstraction à la in des années 1940. Sur son versant belge, l’abstraction lyrique se présente donc comme une attitude consistant à vivre librement la nature dont l’apparence s’élargit picturalement à la mesure d’une subjectivité d’autant mieux retrouvée et exaltée qu’elle fut étouffée par les années de guerre.
L’œuvre de Raoul Ubac est particulièrement représentative de cette façon de concevoir l’abstraction. Né dans les Ardennes belges en 1910, à un jet de pierre de la frontière allemande, Ubac s’installe à Paris dans les années 1930 où il rejoint le milieu surréaliste auquel il participe comme photographe. “La guerre me libéra du surréalisme” confiera-t-il plus tard. Cette sortie du surréalisme le conduit à la peinture qu’il pratique parallèlement à une recherche sculpturale prenant l’ardoise comme matériau de prédilection. La peinture d’Ubac se nourrit d’un rapport intime aux choses de la nature pour donner forme à un univers introspectif soumis à la législature du monde végétal : arbres, labours, feuilles, mousses, mais aussi lenteur, silence, contemplation, écoute, lux invisible. Une vie secrète palpite sous les écorces, et face au paysage, l’émotion est infinie. Celle-ci est apprivoisée, saisie, intégrée. Ubac peint, en quelque sorte, avec ses souvenirs – il habite Paris et non la France profonde –, qui forment le tissu mouvant d’un imaginaire pictural marqué par deux éléments sédimentés dans son imaginaire : l’arbre et le champ. Ce dernier est une étendue plane. Labourée, retournée vers le ciel, sa surface est lacérée par un réseau de lignes gonflées d’ombre. Les lignes noires, parallèles, dont Ubac fait un élément central de son vocabulaire conservent ainsi le souvenir des sillons de la terre cultivée. La main reprend au soc de charrue son mouvement linéaire qui, des champs ensemencés à la feuille de papier, anime la surface en un jeu de forces témoignant de la relation fusionnelle qui unit l’homme à la nature. Il s’agit d’être “Terre à terre – Face à face” comme l’écrit l’artiste en 1946. Et de confesser dans un entretien : “Un simple champ fraîchement labouré suffit à nourrir ma vision.” À l’espace civilisé du champ cultivé répond l’univers sauvage de la forêt. L’enchevêtrement naturel des branches s’oppose à la surface plane des grands carrés de labour. Ubac tire des ramures de l’arbre le principe d’un réseau linéaire provenant dès lors moins de la tradition cubiste que d’une contemplation de la nature. L’élan des branches se transforme, sous le regard du peintre, en une frondaison de lignes dont le tracé semble tirer son énergie tranquille du lux de la sève. La palette participe à cette célébration picturale de la nature. Ubac exploite ici les couleurs sourdes de la terre. Il enveloppe ses forêts intérieures d’une lumière de rivière rendue par les modulations d’une gamme bleutée. Les titres eux-mêmes disent cette expérience du paysage et du monde rural : La Forêt après la pluie, Taillis ou encore Pierre écrite.
Le recours au paysage comme un élément dans un processus pictural qui recule les limites du réel s’inscrit par ailleurs durablement dans l’histoire de l’abstraction. La nature est un puissant générateur de sensations que le peintre agence à la surface du tableau. Investie par la mémoire, la sensation du paysage débouche sur un univers sensible qui rejette tout édifice théorique au bénéfice d’une communion avec la matière. L’Usine (1957) de Zéphir Busine et les paysages de Roger Dudant, par exemple, s’inscrivent dans cette orientation qui ouvre les formes pour fusionner les couleurs avec une matière pigmentaire qui vibre à leur de toile. La matière reste toutefois un moyen et non une fin.
À partir des années 1980, les propriétés tactiles du tableau sont à nouveau placées au premier plan. En Belgique, plusieurs artistes contribuent au mouvement européen de retour à une peinture expressionniste riche en effet de facture. C’est ici qu’il faut situer 1990 de Zurstrassen. Celui-ci restaure un hédonisme matiériste lié, dans son cas, à une relecture de l’abstraction américaine tandis que, par ailleurs, au même moment, entre l’Ourthe et l’Amblève, Jean-Pierre Ransonnet investit les paysages ardennais dans une approche picturale qui rappelle les forêts de Raoul Ubac et les fagnes de Serge Vandercam. Il s’agit de se fondre au flux de la nature non pour décrire un coin de verdure mais pour en évoquer l’intimité. L’opération est poétique. Elle transpose les formes du paysage par le biais d’un processus de décantation intérieure qui amène le peintre à organiser les couleurs de sorte à donner au spectateur la sensation d’une immersion dans le monde végétal, qu’il s’agisse de l’épaisseur impénétrable de la forêt ou de la masse écrasante d’une colline.
Delahaut and Co
L’approche introspective et lyrique du réel amène la plupart des membres de la Jeune Peinture belge à franchir la ligne de l’abstraction autour de 1950. Les peintres suivent une trajectoire individuelle dont témoigne, par exemple, la carrière que Mig Quinet, Gaston Bertrand, Antoine Mortier, Louis Van Lint ou encore Marc Mendelson poursuivent de manière solitaire durant les années 1950.
Une autre sensibilité se développe dans le même temps. Plus radicale, entièrement gouvernée par un esprit de géométrie, elle rejette tout lien au visible pour se penser comme une autonomie plastique régie par des principes étrangers à la figuration. Elle prend appui sur la notion de forme calibrée à la couleur qui la constitue. Cette approche n’a rien d’une célébration poétique de la nature. Au contraire, elle postule que l’art abstrait est un langage visuel autonome, exonéré de tout devoir de référence au monde visible et disposant de sa logique visuelle propre. Dans ce schéma, la
forme se présente comme un module géométrique que le peintre agence à l’intérieur d’une composition où elle se répète pour former une série dans laquelle des variations de taille et de couleur sont introduites.
Cette option esthétique va largement déborder le cadre de la peinture pour toucher les arts décoratifs et l’esthétisation du cadre urbain : l’abstraction géométrique se répand dans les foyers par le mobilier, la vaisselle, la reliure tout en prenant place dans les stations de métro, les piscines, les écoles, les campus universitaires et autres lieux qui font les espaces commun de la société. Il faut dire que de nombreux collectifs d’artistes se sont formés pour assurer la promotion de l’abstraction géométrique. Cette dynamique collectif tranche avec le caractère individuel des parcours artistiques issus de la Jeune Peinture belge.
Fondé à Liège en 1949, Réalité-Cobra est premier groupe à voit le jour. Il se donne comme objectif d’unir l’abstraction de tendance géométrique avec les principes issus de Cobra. Pol Bury, Georges Collignon, Paul Frank, Maurice Léonard, Léopold Plomteux et Silvin Bronkart en sont les membres. Ils organisent une première exposition en 1949. On les retrouve à l’APIAW en 1951, mais une première dissension apparaît avec le départ de Paul Frank pour qui la relation à Cobra orientait trop l’esthétique du groupe. Il faut dire que le goût des artistes de Réalité-Cobra pour la géométrie, même si l’apparente froideur des formes est tempérée par la chaleur de la gamme chromatique et par la vibration de la surface, tranche avec la spontanéité irrationnelle sur laquelle Cobra érige une vision de la représentation qui ne se confond pas avec l’abstraction.
Une troisième et dernière exposition est montée en 1952, toujours au sein de l’Apiaw. Cette année-là, le groupe Art abstrait se forme à l’initiative de Delahaut.
Delahaut joue un rôle clé, tant au niveau de l’élaboration de l’abstraction géométrique que de sa promotion à travers une dynamique associative. Plusieurs groupes d’artistes se constituent au fil des années 1950 et 1960. En organisant des expositions, ces associations assurent une visibilité à ceux qui, comme Jean Rets, Kurt Lewy, Mig Quinet, Francine Holley ou Victor Noël, s’engagent dans cet esprit de géométrie que Jo Delahaut cherchera aussi à répandre dans la société à travers l’architecture et l’art décoratif. Delahaut s’impose également comme un théoricien du langage de l’art abstrait qu’il assimile à une rhétorique régie par des lois différentes de celles qui caractérisent la peinture figurative.
Le groupe Art abstrait se constitue en 1952 autour de la peinture et de la personne de Delahaut. Ce dernier fédère une équipe de peintres clairement engagés dans la pratique d’un art ayant rejeté tout lien au réel. Georges Collignon, Georges Carrey, Pol Bury, Léopold Plomteux, Jan Saverys, Jan Burssens et le duo Hauror en font partie. Ils sont rejoints en 1954 par Jean Rets, Francine Holley, Kurt Lewy et Guy Vandenbranden. L’ensemble est actif jusque 1956. En quatre années d’existence, Art abstrait a multiplié les expositions tant en Belgique qu’à l’étranger, avant d’imploser au terme de dissensions internes opposant les tenants d’une stricte géométrie et ceux qui, comme Burssens, s’attachent au lyrisme de la matière.
Avec Maurits Bilcke et Jean Séaux, Delahaut lance en 1956 le groupe Formes qui rassemble Pol Bury, Kurt Lewy, Jean Rets, Georges Collignon, Guy Vandenbranden, Ray Gilles, Francine Holley, Victor Noël, Van der Auwera, Paul Van Hoeydonck et Van Marcke. Plusieurs critiques, tels que Jean Dypréau et Léon-Louis Sosset, apportent le soutien de leur plume à ce groupe dont les activités se limitent, en fait, à deux expositions auxquelles s’ajoute un album de sérigraphies publié en 1956.
En 1960, Formes cède la place à Art construit dont les activités contribuent à la réhabilitation de la Plastique pure des années 1920. Éphémère lui aussi, le groupe Art construit reste en activité jusque 1964. Sa dissolution ménage un espace pour la création du groupe D4. Fondé en 1965, D4 comptait les peintres suivants : Emiel Bergen, Gilbert Decock, Henri Gabriel, Victor Noël et Marcel-Henri Verden. Avec l’arrivée de Delahaut en son sein, D4 devient Geoform qui sera actif jusque 1971.
Rhétorique de la géométrie
Ces formations sont certes éphémères et difficiles à documenter, mais elles structurent et jalonnent néanmoins l’histoire de l’abstraction durant une vingtaine d’années. Les peintres qui y sont actifs érigent la clarté du plan coloré et l’approche sérielle de la forme en alternative à la gestualité de l’abstraction lyrique. Pour eux, la peinture découle moins d’un processus d’élargissement des limites du réel qu’elle ne sert de lieu de recherche formelle sans aucun rapport avec le monde visible. Triangles, croissants de lune, trapèzes constituent des modules géométriques que les artistes agencent pour donner corps à des compositions vives, dynamiques, équilibrées.
Ceci ne signifie pas que la peinture se retranche dans une tour d’ivoire. Au contraire. Nombre de peintres adhérant à l’abstraction géométrique ont plaidé pour une application sociale du langage plastique qu’ils avaient expérimenté picturalement. Les bas-reliefs placés par Delahaut au pied des immeubles de la cité de Droixhe, près de Liège, en sont l’expression.
La peinture abstraite de tendance géométrique s’apparente à une rhétorique visuelle dont le principe fondamental réside dans les combinaisons entre trois éléments essentiels du vocabulaire plastique dont disposent les peintres : la ligne, la forme et la couleur.
La ligne est un paramètre remplissant diverses fonctions. Courbe, elle joue un rôle dynamogène en provoquant un effet visuel rotatif. Pol Bury et Jean Rets en font largement usage dans leurs compositions des années 1950. Droite, la ligne se fait architecturale en divisant le plan du tableau pour créer des surfaces agencées les unes par rapport aux autres. Comme le montrent les Entrelacs de Françoise Holley, son épaisseur peut varier, de même que sa direction, de sorte à créer des marques sonores et des effets de rythmes donnant à la peinture une dimension musicale rappelant la Sonate que Baugniet avait peint dans les années 1930.
La forme, quant à elle, est vue comme un module conçu pour être répété en vue de constituer une série au sein de laquelle elle évolue en se transformant au gré de variations de couleur, de taille, de position. Delahaut excelle dans la maîtrise de la rythmique formelle qui fait de l’image une surface en mouvement. Une toile comme Rythmes nouveaux peinte en 1956 en est l’expression. Si les cercles et les arrondis ne sont pas évacués, c’est toutefois la forme angulaire qui prédomine et trouve dans la communication graphique de l’Expo’58 sa plus célèbre application. Le triangle est sans doute l’emblème formel de l’abstraction géométrique dans la Belgique des années 1950. “Lumière de l’âme”, selon Delahaut, la couleur est liée à la forme qu’elle incarne. Ce lien entre forme et couleur est primordial dans l’équilibre d’un tableau. Pour les peintres issus du groupe Art Abstrait, l’enjeu pictural consiste à trouver le timbre chromatique correspondant à la forme modulée à l’intérieur d’une suite agencée dans l’espace du tableau.
En explorant les combinaisons infinies permises par les relations entre ces trois paramètres plastiques, les peintres mettent en place un univers visuel caractérisé par une constante mutation : la forme colorée a le statut d’une séquence dans la logique d’une série. Au sortir des années 1950, cette question du mouvement de la forme dans une structure sérielle se pose avec acuité. Les réponses à cette question, toutefois, divergent. Certains peintres évacuent le principe de répétition pour se concentrer sur une seule forme magnifiée en signe immobile. C’est le début du minimalisme dont témoigne un tableau comme Structure n°1 que peint Delahaut en 1964.
D’autres, en revanche, maintiennent le concept d’exploration sérielle de la forme en valorisant le mouvement virtuellement inclus dans la dynamique de la modulation. C’est le cas de Pol Bury. Mettre la forme en action est une option esthétique qui amène ces artistes à envisager de (se) sortir du tableau pictural qui est, forcément, statique.
Dans les années 1980, la peinture de Delahaut constitue le modèle autour duquel se structure une nouvelle génération de peintres engagés dans l’art construit. Cette génération se met en place au fil des six numéros de la revue Mesure Art international qui paraît entre 1988 et 1995. Des vétérans tels que Baugniet et Delahaut participent à ce projet emmené par Jean-Pierre Maury, Pierre Husquinnet, JeanJacques Bauweraerts et Léon Wuidar.
Michaux dans le flux de l’encre
Poète et peintre d’origine belge né à Namur – il prend la nationalité française en 1955 –, Michaux publie ses premiers textes en 1922. Trois ans plus tard, il entame une recherche graphique totalement émancipée des thèses rationalistes qui guident alors le constructivisme international et plus tard l’abstraction géométrique. À l’inverse de ce que Magritte postule en 1929 dans le onzième énoncé de sa publication Les Mots et les Images, le lisible et le visible ne sont pas, pour Michaux, des éléments de même nature. Au terme d’une recherche marquée par le surréalisme, l’usage d’hallucinogènes – entre 1956 et 1961 – et la pensée extrême-orientale, le dernier Michaux – l’artiste meurt en 1984 – revient, au milieu des années 1970, à la tache d’encre qu’il travaille avec une gestuelle informelle rappelant les travaux de 1960-1961 qui lui avaient valu une reconnaissance internationale. Vers 1974, préparant une exposition prévue à la Fondation Maeght au printemps 1976, Michaux se consacre à une série de grands formats. Ces grandes encres sont réalisées dans une optique picturale proche du jaillissement recherché par Dotremont. Alechinsky rapporte d’ailleurs qu’au cours d’un vernissage, Michaux lui-même confondit les démarches lorsque, trompé par l’obscurité, il prit un logogramme pour une de ses œuvres.
Après discussion, l’auteur de Plume observe que le fondateur de Cobra est, en fait, un peintre de mots. “Il écrit, lui“, conclut Michaux qui, pour sa part, ne cherche pas vraiment à orientaliser l’écriture. Sur un plan théorique, un recueil comme Émergences-Résurgences (1972) interroge les propriétés respectives de l’image et de l’écriture. “Je peins pour me déconditionner” écrit-il d’entrée de jeu. Se déconditionner, oui, mais de quoi ?
L’image représente, pour Michaux, un lieu de dépassement du verbe. Elle relègue les mots dans l’oubli pour offrir au poète la possibilité de s’abandonner à une gestuelle dont la dimension volontairement hasardeuse, incontrôlée, tranche avec la maîtrise conceptuelle imposée par le langage. Les grandes encres de Michaux ne restaurent aucune écriture, aucun alphabet imaginaire. Elles ne donnent rien à lire. Michaux ne garde de l’écriture que le principe d’inscription sur le support comme mode de rédaction situé en dehors d’un cadre linguistique. Les grandes encres mettent ainsi en scène une poésie sans mot, où la tache noire se substitue à la lettre. Pour opérer cette substitution, Michaux active ce qui, dans l’écriture, connote le rythme : virgule, parenthèse, crochet, point. Il s’agit moins de signifier que de faire signe. Un texte comme Idéogrammes en Chine (1975) en témoigne sur un plan théorique. La ligne est un point d’articulation entre image et écriture.
Associée à l’idée de mouvement, la ligne s’affranchit de sa fonction linguistique pour se faire énergie, spasme, rapidité, vitesse, débordement. Le rapprochement entre écriture et dessin s’appuie sur une équivalence de médiums : même encre, même outil, même support. Spontanéité, rapidité d’exécution et absence de schéma préparatoire sont les principes fondamentaux de cette peinture. La démarche est également proche de l’automatisme surréaliste. Une nuance est cependant nécessaire à cet égard. L’automatisme de Michaux vise moins à faire affleurer les strates obscures du psychisme qu’à favoriser une libération du geste. Celui-ci balaie le papier
pour y répandre des laques d’encre qui s’engendrent les unes les autres. Formant un continuum vital placé sous le signe d’une perpétuelle transformation, les taches conservent pourtant une même densité en termes d’utilisation de l’encre. Michaux ne joue pas sur les modulations tonales rendues possibles par la dilution de l’encre. Celle-ci prend une signification particulière. Là où l’huile, pâteuse et collante, entrave l’immédiateté, l’encre de Chine fluidifie l’écoulement du geste. Tributaire de l’idée de mouvement, la main erre sur le papier en adoptant un rythme saccadé. Elle sature la surface en excluant toute forme de hiérarchie dans la composition. Aucun élément ne prend le pas sur un autre. Il n’y a ni centre ni marges, ni avant-plan ni profondeur, mais un univers en perpétuel devenir.
Andrea RADERMACHER-MENNICKEN est née en 1964 à Eupen. Elle vit et travaille à Raeren en Belgique. Elle a effectué un Master en arts plastqiues à l’Académie des Beaux-Arts de Liège en 2015. Les deux années suivantes, elle est sélectionnée pour le Prix de la Création de la Ville de Liège. Depuis 2013, Andrea Radermacher-Mennicken a particpé à plus d’une vingtaine d’expositions personnelles et collectives en Belgique et en Allemagne.
“Mes images gravées, photographiées ou peintes, mes objets et installations thématisent les relations intergénérationnelles. Les recherches reposent sur un postulat élémentaire : relation nécessite communication. Et, une communication réussie est étroitement liée à la capacité de présentation de soi et à la création de profils attrayants qui peuvent (et doivent) être adaptés au fil du temps. Ce qui compte en première analyse n‘est pas tant qui nous sommes vraiment, mais ce que nous voulons être et la manière dont nous sommes perçus par les autres.” (dixit Andrea Radermacker-Mennicken)
[Coupure d’un journal français non-identifié, années 1970] Le mois de juillet de l’an passé restera, dans les annales météorologiques, comme celui de la canicule, ce mot étant pris au sens de ‘chaleur excessive‘. Tous les records de chaleur furent pulvérisés dans plusieurs régions de France, notamment à Brest, avec 31,5 °C, à Romorantin (34,5 °C), à Carcassonne (35 °C), à Cognac (36 °C), au Puy (38,4 °C), à Lyon (40 °C), au Luc (41 °C) et à Vichy (41,2 °C). Paris, avec 33 °C, frôla son record historique de 33,2 °C, établi en 1921.
Les Égyptiens ont été les premiers à remarquer qu’une belle étoile, que nous appelons aujourd’hui Sirius, se levait en même temps que le Soleil, à l’époque où allaient débuter les inondations du Nil. Elle semblait avertir les paysans de se garder de la montée des eaux. C’est pourquoi les astronomes égyptiens, la comparant à un chien de garde qui prévient ses maîtres d’un danger, lui donnèrent le nom de Sopt (le Chien). Le lever de Sopt marquait le début de l’année civile égyptienne et était célébré comme une grande fête.
Les astronomes grecs baptisèrent Grand Chien la constellation d’étoiles dont Sirius est le plus bel ornement. Les Romains traduisirent littéralement ce terme par Canis major, Sirius étant appelée Canicula (Petite Chienne). Le lever héliaque de cette étoile, vers le 22 juillet, marquait le début de la canicule, période de fortes chaleurs, qui durait jusqu’au 23 août.
Boileau, dans son Épître à M. Arnauld, faisait découler la canicule du péché originel, en écrivant :
Mais, dès. ce jour, Adam, déchu de son état,
D’un tribut de douleurs paya son attentat.
Il fallut qu’au travail son corps rendu docile
Forçât la terre avare à devenir fertile.
Le chardon importun hérissa les guérets,
Le serpent venimeux rampa dans les forêts,
La canicule en feu désola les campagnes.
Rarement la canicule sévit sur l’Europe avec autant d’ardeur qu’en juillet 1740. Les chroniques rapportent que dans les Alpes, les sommets de plusieurs montagnes, que l’on avait toujours vues surmontées de neiges éternelles, étaient apparues à découvert, tandis que les glaciers fondaient. “Ce spectacle, dit un témoin de ce phénomène, est un des plus terribles que l’on puisse jamais voir.”
Marcel Rol, La chaleur à Paris – Fillette prenant de l’eau à une borne-fontaine (1921) @ Agence Rol
Le chroniqueur Gérard Bauër n’appréciait guère la canicule, qui lui inspira ces réflexions : “Que le ciel soit chargé d’orage ou que l’air tremble de chaleur, qu’on rencontre des gens accablés, des figures que des mains moites épongent, que les feuilles des arbres soient grises, déjà l’asphalte brûlant, les murs grillés, qu’il y ait cette nuance blanche et tiède répandue sur Paris, rien à dire, le calendrier joue le jeu et l’été, l’été que je n’aime pas, fait son devoir.“
Les chaleurs accablantes de la canicule ont amené les hommes à inventer l’éventail, qui, à l’origine, fut un symbole de souveraineté. Sur les fresques qui décorent un palais de Thèbes, le pharaon Ramsès III, qui régnait au XIIIe siècle avant Jésus-Christ, est accompagné de princes qui portent des éventails. En Grèce, on donna d’abord à l’éventail la forme d’une feuille de platane. Vers le Ve siècle avant Jésus-Christ, les élégantes adoptèrent l’éventail de plumes de paon, venu d’Asie Mineure. L’éventail des prêtres d’Isis, lui, était formé des ailes d’un oiseau jointes latéralement et attachées à un manche, ce qui le faisait ressembler au caducée de Mercure.
La Ville de Liège souhaite donner un coup de projecteur sur le travail précieux des galeries et centres d’art dans le paysage culturel liégeois et ouvre la sixième édition de l’événement En piste ! au Musée de La Boverie. Le succès des cinq éditions précédentes témoigne à souhait de l’intérêt des galeristes pour une manifestation qui, en les mettant à l’honneur, apporte un salutaire éclairage sur le travail d’artistes contemporains.
[CONNAITRELAWALLONIE.WALLONIE.BE] Homme de lettres, Louis BOUMAL (Liège, 1890 – Saint-Michel-Lez-Bruges, 1918) attire très tôt l’attention sur sa production littéraire. Avant que n’éclate la Grande Guerre, il n’a pas vingt-cinq ans et pourtant il compte déjà plusieurs ouvrages édités (la Renaissance septentrionale au XIVe siècle et Diderot et ses amis wallons, 1912) et de nombreux poèmes dans des revues, notamment Wallonia. Membre actif de la section liégeoise de l’Association des Amis de l’Art wallon (1912), ce docteur en Philosophie et Lettres formé à l’Université de Liège est professeur de rhétorique à l’Athénée de Bouillon quand la Grande Guerre éclate.
Mobilisé, le soldat poète publie quelques articles dans La Nouvelle Revue wallonne et dans L’Opinion wallonne (1917-1918). Avec Marcel Paquot, il lance en juin 1918 un périodique du Front consacré à la littérature, aux arts et à la musique, sous le titre Les cahiers et portant en exergue “Pour la défense et l’illustration de la langue française“. Promis à une belle carrière dans les lettres, Boumal est emporté par la grippe espagnole un mois avant la signature de l’Armistice. Depuis août 1914, il n’avait pas quitté le combat, gagnant sur le champ de bataille les étoiles de lieutenant et la Croix de Chevalier de l’ordre de la Couronne.
Paul Delforge, Encyclopédie du Mouvement wallon (2011)
Ne rouvre pas ce livre, il fait mal. Il ressemble
Aux fruits cueillis trop verts que l’on goûte par jeu.
À l’heure où le grand vent soufflera dans les trembles
Il ne faut pas le lire assise auprès du feu.
Observe la flambée et son rire dans l’âtre ;
Écoute la saison qui frappe à tes volets ;
Surtout ne mêle point ma douleur opiniâtre
Au rêve si léger de tes premiers regrets.
Et s’il te souvenait des étranges paroles
Qu’un soir j’ai pu te dire au temps clair des lilas,
Oh ! ne les redis pas ! Les feuilles étaient folles
Et le chagrin trop lourd hallucinait mes pas.
Mais plus tard, quand au vent s’égrènera ta vie,
Quand tu t’arrêteras lasse d’avoir souffert,
Et que tu sauras bien que ne t’ont pas suivie
L’amour et l’amitié jusqu’au seuil de l’hiver,
Alors, ô mon amie, assise au coin du feu,
Relisant ce poème où notre amour fut sage,
Tu connaîtras le sens profond de mon aveu
Et l’acide saveur des airelles sauvages.
Alveringhem, 3 août 1917
J’écoute passer l’heure et la brume glisser
Le long des arbres nus que l’hiver a cassés.
Le vent s’agite et court parmi le paysage
Et mon rêve avec lui se soulève et voyage.
Tant de chagrins mauvais se sont mêlés à lui
Que, l’ayant bien connu, je l’ignore aujourd’hui.
Plus jeune, il s’émouvait des fillettes ornées
Et du ciel et des eaux et des courtes années
Et de l’automne agile à dépouiller les bois,
Mais ce soir hivernal, je m’attriste et je vois
Sur la mer de mon cœur que la passion soulève,
Aux vents se déchirer les voiles de mon rêve.
[RTBF.BE, FAKY du 3 août 2023] Le pourcentage de pluie affiché sur les applications météo présentes sur les smartphones donne souvent lieu à de nombreuses interprétations. En réalité, ce chiffre indique la probabilité que de la pluie, légère ou soutenue, se manifeste à un endroit donné dans un certain laps de temps. Pour faire ce calcul, des formules complexes sont utilisées. Cependant, plus la prévision se fait à échéance courte et pour un territoire restreint, plus elle sera potentiellement fiable pour l’utilisateur.
Les applications météo sont présentes sur de nombreux smartphones et utilisées par un grand nombre d’utilisateurs. Sur la plupart de ces applications gratuites accessibles au grand public, des pourcentages sont indiqués pour chaque jour ou chaque heure. Il s’agit de “pourcentages de pluie“.
“Demain, il va faire mauvais et pleuvoir, je vois qu’il y a 50% de précipitations annoncées“. Cette phrase prononcée est parfois suivie d’un débat animé sur ce que signifie vraiment cette donnée. Ainsi, selon les explications que l’on peut entendre, les interprétations du pourcentage de pluie affiché varient :
Pour certains, il s’agit de la quantité de pluie qu’il va tomber : 10% sera une pluie fine, 100% donnera des trombes d’eau.
Le pourcentage de pluie exprimerait la durée des précipitations en pourcentage sur le temps d’une journée ou sur une heure.
Pour d’autres, il s’agit de la probabilité qu’il pleuve à endroit donné, peu importe la quantité d’eau qu’il tombera : 50% de pluie indiquerait qu’il y a une chance sur deux qu’il pleuve.
Une étude réalisée en 2005 sur la compréhension par le public de la phrase : “30% de chances de pluie demain“, indiquait également que ce pourcentage était souvent mal interprété par les habitants de différentes villes européennes testées (Amsterdam, Athènes, Berlin et Milan).
En réalité, il s’agit de la probabilité qu’il pleuve à un endroit donné à un moment donné. Cependant le calcul est un peu plus complexe et les résultats affichés demandent de la nuance et de la prudence dans leur interprétation.
Applications météo sur IPhone et Android
Sur un grand nombre d’applications météo gratuites, un pourcentage de pluie accompagne souvent les prévisions météo au jour le jour, ou heure par heure, quel que soit le logiciel d’exploitation. Des applications météo natives et gratuites sont habituellement disponibles avec des widgets (des composants d’interface) dédiés qui permettent de les afficher sur les écrans d’accueil. Ces applications intégrées et gratuites proposent des prévisions symbolisées par des logos (soleil, pluie, neige…) mais aussi des “pourcentages de pluie“.
Nous avons comparé deux téléphones fonctionnant avec les deux principaux OS (systèmes d’exploitations) présents sur le marché. Sur Android, ce pourcentage semble précis à l’unité près (6% ou 81% apparaissent), alors que sur iPhone, ces pourcentages sont arrondis à la dizaine (60% ou 40%). Ces données météo ne sont pas calculées par les sociétés Google (qui développe Android) ou Apple elles-mêmes, mais par des services météo professionnels et privés. De manière plus précise encore, tant Google qu’Apple ont recours à la même société : la société d’informatique IBM et son site weather.com. Ce site héberge la chaîne de TV américaine The Weather Channel dont on peut voir le logo sur les applications. L’Institut Royal Météorologique belge n’intervient pas dans ces prévisions disponibles sur les applications natives des smartphones.
Dans nos captures d’écrans, réalisées le même jour, à la même heure et au même endroit, les deux indicateurs de prévisions émanant du même service ne donnent pas tout à fait le même résultat lors de prévisions à plus long terme. Si les prévisions liées aux températures coïncident globalement, le pourcentage de pluie affiché peut varier. Ainsi :
Le jour de la photographie (un lundi) : les deux applications affichent un pourcentage de pluie minime ou nul (6% pour Android ou 0%).
Le vendredi qui suit la date de la photographie : Android annonce 80% de chances de pluie quand Apple n’en prévoit que 40%.
Le dimanche qui suit : Android est encore plus pessimiste avec un risque de pluie affiché de 66% alors qu’Apple ne prévoit pas de pluie du tout.
De quoi interroger sur ce pourcentage qui peut offrir tant de variations.
Que représente le pourcentage de précipitation indiqué sur les apps ?
Pour mieux comprendre ces différences, il est important de définir ce que recouvre précisément le terme précipitation qui, dans le langage courant, indique habituellement de la pluie ou la chute de neige. Les météorologistes étasuniens considèrent qu’il pleut à partir de 0,254 mm (ce qui correspond à la mesure anglaise de 0,01 inch) de pluie par mètre carré. Ce sont des précipitations très faibles qui mouillent légèrement le sol mais ne laissent pas de flaques d’eau.
Le pourcentage qui s’affiche sur nos smartphones correspond au terme météorologique de “probabilité de précipitation” (qui est utilisé par l’acronyme anglais de “Probability of Precipitation“, soit “PoP“). Et cette PoP se définit comme étant la probabilité qu’en tout point d’une zone géographique délimitée, il tombe au moins 0,254 mm de pluie (ou de neige en hiver) durant une période observée bien définie.
Comment se calcule cette PoP ?
La PoP est toujours calculée en prenant en compte trois variables :
une période donnée : une heure, une demi-journée, une journée entière. Plus la période est longue, plus il y a de probabilité de connaître un épisode de pluie au cours de cette période.
une zone géographique déterminée : plus la zone en question est grande, plus le risque qu’il y pleuve à un moment donné est grand.
le degré de certitude des météorologistes : il ne suffit pas d’estimer qu’il risque de pleuvoir, les météorologistes ajoutent aussi un degré de certitude de la prévision en fonction des différents modèles météorologiques utilisés.
Ces trois éléments sont alors intégrés dans une équation. Au cours d’une période donnée et dans une zone donnée :
Pourcentage (%) de confiance de la prévision X Pourcentage (%) de la zone concernée par la prévision de pluie = Pourcentage (%) de probabilité de précipitation (PoP)
Des réalités différentes pour un même PoP
Trois exemples pour mieux comprendre. Pour la même période du jeudi de 13 heures à 14 heures dans le Brabant wallon, trois mesures de PoP pourraient être identiques, dans les cas où :
Les services météo estiment être certains à 100% qu’il va pleuvoir sur 40% du territoire dans ce laps de temps = 40% de probabilité de précipitation.
Les services météo estiment être certains à 40% qu’il va pleuvoir sur 100% du territoire dans ce laps de temps = 40% de probabilité de précipitation aussi.
Les services météo estiment être certains à 80% qu’il va pleuvoir sur 50% du territoire dans ce laps de temps = 40% de probabilité de précipitation également.
Autrement dit, trois réalités physiques différentes peuvent amener à un même pourcentage affiché sur l’application météo. L’élément le plus décisif est en réalité la zone concernée par la prévision. Ainsi, si on est certain à 100% qu’il pleuvra sur la moitié est du Brabant wallon, l’application affichera une probabilité de précipitation de 50% pour le Brabant wallon. Or, si on réduit la zone à l’est du Brabant wallon, où à la seule commune de Jodoigne par exemple, l’application affichera une probabilité de précipitation de 100%.
Comment “The Weather Company” calcule-t-elle le PoP ?
Joe Koval, météorologue principal pour The Weather Company détaille la méthode qu’ils utilisent pour calculer les probabilités de précipitations affichées sur son site et sur leur app : “La probabilité de précipitations prévue dans l’application The Weather Channel est créée dans les premières heures de la prévision à partir d’un mélange de notre produit de prévision radar et de notre modèle de prévision propriétaire IBM GRAF, ainsi que des observations de surface. Pour les délais allant de quelques heures à quinze jours, la probabilité de précipitations est dérivée des prévisions de précipitations de notre système propriétaire de prévisions météorologiques consensuelles, qui mélange une centaine de modèles météorologiques.“
Autre élément important dans ces estimations, la taille des zones géographiques prises en compte. Une prévision pour la ville entière de Bruxelles sera généralement bien moins précise que pour une commune spécifique comme Etterbeek.
M. Koval indique que de nombreux paramètres sont pris en compte dans le calcul de la PoP et que ceux-ci peuvent évoluer. “En règle générale, les prévisions à court terme pour les prochaines heures ont une applicabilité spatiale d’environ 1 km x 1 km, tandis que les prévisions à plus long terme sont plus proches de 4 km x 4 km.“
Des PoP à la fiabilité variable
En règle générale, plus la prévision est proche en temps, plus la PoP sera précise. Dès lors, votre PoP sera davantage fiable aujourd’hui ou demain que dans cinq jours. Mais là encore, il peut y avoir des exceptions. Deux exemples :
Si les conditions sont instables (tendance aux averses) à aujourd’hui et demain, il se peut que la masse d’air se stabilise avec l’arrivée de hautes pressions à dans deux jours et donc le 0% de dans deux jours sera plus fiable que le 50% aujourd’hui.
Si un front pluvieux bien structuré et généralement bien cerné par les modèles arrive à dans deux jours après deux jours dans des conditions instables (risque d’averses voire d’orage), la fiabilité du POP dans deux jours sera là aussi plus grande qu’aujourd’hui ou demain.
En regardant la météo, vérifiez bien la zone géographique couverte par votre prévision pour savoir ce qui explique une probabilité de précipitation moyenne (comprise entre 30 et 70% par exemple). Une chose est certaine, ce pourcentage n’indique pas quelle quantité de pluie il va tomber, il pourrait s’agir d’une bruine ou de trombes d’eau. Cela n’indique pas la proportion de temps qu’il va pleuvoir au cours de l’heure ou la journée concernée par le pourcentage.
Sur l’application officielle de l’Institut royal météorologique, des PoP sont présentées heure par heure pour les prochaines 48 heures, mais aucune PoP n’est proposée au-delà de deux jours, contrairement à d’autres services. Sur son site Internet, l’IRM détaille sa façon de calculer ses probabilités de précipitations : “Les probabilités de précipitations (%) sont déterminées par les précipitations prévues pour le centre de la commune consultée et pour des points du modèle de prévisions très proches autour de la commune, afin de tenir compte du fait qu’une prévision de précipitation très localisée est faite avec une certaine marge d’erreur spatiale et temporelle, que nous exprimons sous forme de probabilité. Le rapport entre tous les points du modèle prévoyant des précipitations et le nombre total de points considérés dans un rayon autour du point central est la probabilité de précipitations, exprimée en pourcentage. Si des précipitations sont attendues au niveau du point central, une icône de précipitation est affichée. Par exemple, il se peut qu’il y ait plus de 50% de chances de précipitations mais aucune icône de précipitation n’est affichée car ces précipitations sont attendues dans la région mais pas au point central de la commune. À l’inverse, un pictogramme de précipitation pour une probabilité inférieure à 50%, est également possible.“
David Dehenauw, météorologue à l’Institut Royal Météorologique indique que l’IRM n’utilise pas du tout le même modèle que le fournisseur The Weather mais qu’ils proposent leurs propres prévisions commune par commune : “Pour une prévision à moins de deux jours, on compare les données qu’on obtient sur une commune par rapport aux prévisions qu’on obtient pour les communes voisines. Si la prévision de pluie de l’ensemble des communes se vérifie, notre probabilité de pluie va tendre vers 100%. À l’inverse, si une pluie annoncée par un modèle sur une commune n’est pas vérifiée sur les autres communes, on va baisser la prévision vers 0% puisqu’on pensera plutôt à un bruit statistique, quelque chose de pas fiable. Pour une prévision à plus de deux jours, on fait la moyenne de ce qu’annoncent les différents modèles qu’on utilise entre eux.“
Des prévisions à prendre avec prudence
Si la qualité des prévisions météorologiques progresse avec l’arrivée d’outils plus performants, elles ne sont pas pour autant infaillibles. Parmi ces prévisions, le pourcentage de pluie ne déroge pas à la règle. Cette donnée dépend de nombreuses variables comme la précision géographique, les modèles météos utilisés ou la durée pour laquelle elle est calculée. Par ailleurs, comme pour les prévisions météorologiques en général, plus le délai de cette prévision est court plus la prévision sera potentiellement fiable. Les prévisions à moyen ou à long terme (au-delà de deux jours) seront donc, elles, moins précises.
Par ailleurs, les pictogrammes affichés pour symboliser la météo sur une journée peuvent parfois être “réducteurs” et ne pas traduire la météo globale qui peut parfois être très changeante. Sur une journée, il peut y avoir des moments de grand soleil, puis des orages. Une icône reprenant ces deux conditions très différentes sur une même journée n’existe pas (l’IRM en affiche cependant parfois deux pour une journée), cela peut donc être trompeur.
Enfin, comme nous l’expliquions en début d’article, des différences existent entre les PoP affichés sur Android et ceux affichés sur iPhone. Ceux-ci indiquent pourtant utiliser la même source, les prévisions de The Weather Channel. La société n’a jamais pu nous apporter d’explication sur ces différences. Globalement, ces probabilités de précipitations sont donc à prendre avec prudence.
[CONNAISSANCEDESARTS.COM, 25 juillet 2023] Jusqu’au 24 janvier [2024], dragons, orques, nains, chevaliers et hobbits cohabitent avec les farfadets et autres créatures bretonnes à Landerneau. Le Fonds Hélène et Édouard Leclerc présente actuellement Sur les traces de Tolkien et de l’imaginaire médiéval. Peintures et dessins de John Howe, une exposition qui propose une plongée merveilleuse dans l’Heroic Fantasy. À travers 250 œuvres de John Howe, dessinateur des ouvrages de J. R. R. Tolkien (1892-1973) et directeur artistique de la saga de films Le Seigneur des anneaux et Le Hobbit et de la série Les Anneaux du pouvoir, l’événement révèle à la fois le monde fantastique de l’auteur et celui de l’artiste, le tout dans une scénographie immersive, qui fait rêver petits et grands.
Un créateur peut en cacher un autre
“C’est un voyage dans l’imaginaire médiéval, nous explique Jean-Jacques Launier, co-commissaire de l’exposition et cofondateur du musée Art ludique. Nous avons souhaité contextualiser tout ce que Tolkien a créé en puisant dans les contes et légendes, montrer comment il a réussi à élaborer une nouvelle mythologie contemporaine et comment John Howe a fait un prolongement pictural de l’œuvre de Tolkien.” À partir des descriptions de l’auteur (pas toujours exhaustives), de ses sources d’inspiration et de l’histoire de l’art, John Howe a inventé au fil des années un riche univers visuel pour représenter tous les éléments qui constituent le monde du Seigneur des anneaux.
À travers une scénographie impressionnante, qui évoque un château en ruines dont chaque salle abrite des trésors, le visiteur découvre les cités, châteaux, armes, personnages, créatures et décors imaginés par John Howe pour donner vie aux mondes de Tolkien et ou d’autres œuvres pas si lointaines telles que Beowulf, un poème épique de la littérature anglo-saxonne qui s’inspire d’une antique légende scandinave ayant fortement inspiré Tolkien et John Howe.
Comprendre les sources d’inspiration de Tolkien et de John Howe
Dès les premiers pas dans l’espace culturel, l’exposition montre que les romans de Tolkien et les dessins de John Howe s’inscrivent dans une tradition littéraire, historique et artistique variée. Tranchées de la Première Guerre mondiale, mythologie scandinave (le Kalevala notamment), cathédrales gothiques, la Nature chez les Préraphaélites, la légende de saint Georges, la camaraderie des chevaliers de la Table ronde… chaque source d’inspiration de Tolkien et de John Howe est révélée et décryptée.
Des images fantaisistes ancrées dans le réel
“En montant cette exposition, nous avons redécouvert la richesse de l’œuvre de John Howe, nous confie Diane Launier, co-commissaire et cofondatrice du musée Art ludique. Par sa recherche du paysage, de l’émotion, de la texture et de la lumière, il crée de la fascination à l’aide de son trait et de sa minutie, allant dans les moindres détails, que ce soit pour un château ou pour de l’eau qui coule.” Certaines images de John Howe sont assez percutantes et poétiques. En plus de (re)plonger les visiteurs dans les scènes cultes des trilogies cinématographiques de Peter Jackson, elles sont à la fois ancrées dans le réel et l’imaginaire.
Dans les montagnes qui abritent le royaume des elfes à Gondolin, la forêt de Fangorn ou encore les eaux de l’Argonath, chaque scène rappelle un paysage réel où des touches d’Heroic Fantasy ont été ajoutées. On devine par exemple les vallées de Nouvelle-Zélande et des intérieurs nordiques, ici associés respectivement à des combats épiques contre un dragon ou à la maison d’un célèbre hobbit. De plus, une quinzaine de prêts provenant d’institutions comme le Louvre, le musée d’Orsay, le musée de Cluny et le musée de l’Armée viennent établir de nouveaux dialogues avec les œuvres présentées. On peut mettre ainsi en parallèle des œuvres de William Morris avec la nature représentée par John Howe, ou encore des armures médiévales avec l’épée d’Aragorn.
Des romans au grand écran
Dans deux salles, des télévisions diffusent des extraits d’interview de John Howe qui expliquent le processus créatif et la production de ces dessins pour l’adaptation au cinéma et au petit écran de l’œuvre de Tolkien. Il décrit notamment sa collaboration avec Peter Jackson et l’équipe artistique des deux trilogies de films et l’utilisation du numérique qui lui a permis de réaliser 1 500 dessins en moins de deux mois pour Les Anneaux du pouvoir.
Que l’on soit passionné par l’univers de Tolkien ou admirateur de l’œuvre de John Howe, féru de contes et légendes, cinéphile, amateur de jeux vidéo ou simple amateur de fantastique, l’exposition du Fonds Hélène et Edouard Leclerc nous transporte dans un autre monde, ludique et féerique, et permet de mieux comprendre comment il s’enracine dans des récits intemporels que les artistes transmettent et vivifient depuis des siècles.
[ACTUALITTE.COM, 20 juillet 2023] John Howe mériterait, à l’instar du compositeur Howard Shore, une place de choix dans Le Silmarillion de J.R.R. Tolkien, ce texte qui narre la genèse de La Terre du Milieu. La figure du Balrog, celles de l’Argonath, Le Roi-Sorcier d’Angmar…
Elles ont toutes pris vie par ses traits de crayon, avant de devenir des scènes inoubliables de l’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux. Le dessinateur raconte : “Peter Jackson avait identifié ces deux individus qui avaient déjà illustré Tolkien il y a de nombreuses années. Il s’était alors dit, pourquoi ne pas les faire venir en Nouvelle-Zélande pour prolonger ce travail de mise en image de la trilogie.” Ces deux “individus”, ce sont les dessinateurs John Howe et Alan Lee. Le premier devint le directeur artistique de la trilogie culte, avec le soutien actif du second.
Tout commence à Strasbourg
À 20 ans, en 1977, ce natif de Vancouver découvre la vieille Europe par l’entremise de Strasbourg et sa cathédrale, c’est une révélation : dans le Nouveau Monde, ses visions d’un passé lointain relevaient plus de l’imaginaire que d’une réalité ancienne inscrite dans les villes, comme c’est le cas sur le vieux continent. John Howe trouve une histoire gravée dans la pierre et sur de lourdes armures, c’est décidé, il restera en Europe. Des études à l’École des arts décoratifs de Strasbourg, et aujourd’hui, c’est en Suisse qu’il est installé.
Si J.R.R Tolkien fut lui-même un dessinateur, peintre et aquarelliste, il dépeint dans ses œuvres la plupart du temps, non pas l’environnement avec force de descriptions et détails, mais les émotions des personnages devant une situation ou la découverte d’un nouveau lieu, telle la majestueuse capitale du Gondor, Minas Tirith. De quoi faire chauffer la boîte à imaginaire.
L’exploit d’avoir construit ce monde, dans un prolongement pictural de l’esprit du maître, n’en est que plus saisissant : “On a l’impression que ça devrait être, ça s’impose un moment grâce au lâcher-prise qui permet aux images d’advenir d’elle même”, nous confie John Howe, avant d’adjoindre : “Pour ce faire, il y a toute une expérience, une connaissance à avoir”. Car John Howe, c’est enfin une immense bibliothèque qui nourrit un imaginaire personnel, et donne cette “authenticité dans le merveilleux”, résume le co-commissaire de l’exposition, Jean-Jacques Launier.
Avec John Howe, on n’est pas dans le “Retro-Design ”, soit la reprise exacte de ce qui a été, mais une tentative, en retournant aux sources originelles, “de retrouver l’étincelle qui a donné ses représentations, et les transposer pour notre période”.
De Peter Jackson à Amazon
Dans un espace de près de 1000 m², s’exposent des originaux du Canadien, dont une grande partie provient de la collection de l’artiste : pour la trilogie du Seigneur des anneaux, qui raconte l’avènement des hommes, 10 ans plus tard, pour celle du Hobbit, mais aussi des œuvres plus personnelles. Et des “inédits ”, qui ont servi à la série tirée de l’univers de Tolkien, Les Anneaux de Pouvoir : “Amazon a dit oui tout de suite ”, rapporte Jean-Jacques Launier. Pour en définir la direction artistique, John Howe a réalisé plus de 1500 dessins…
Quand l’exposition de la BnF dédiée à Tolkien de 2019 se concentrait sur les manuscrits et les sources de l’écrivain, celle-ci a été pensée pour toucher un large public : “La plupart des jeunes ont connu Tolkien à travers le film, et on a envie que ce soit des portes d’entrée, comme peut être la série, les jeux vidéo tirés de son univers, pour ensuite poursuivre l’aventure Tolkien si le désir se réveille”, décrit le co-commissaire.
En découvrant l’exposition, la mise en espace peut déconcerter : l’approche n’est ni chronologique ni didactique, mais thématique et sans continuité : “Ce n’est pas une expo sur Tolkien, mais sur les traces de l’auteur anglais et de l’imaginaire médiéval ”, explique la Directrice générale du Musée Art Ludique et co-commissaire, Diane Launier. Dans cette optique, “ on souhaitait que le visiteur profite d’une liberté de parcours, de s’attacher à des espaces distincts, ou les œuvres sont mélangées ”, ajoute-t-elle : “Sortir et entrer dans un monde à chaque fois.”
En résumé, pas de circuit type, mais la nature entre merveilleux et questions écologiques, les cartes, les contes et légendes, les adaptations au cinéma, Les Anneaux de Pouvoir… Des salles qui unissent l’univers de Tolkien avec des dessins plus personnels de l’artiste. Dans la salle des dragons, Smaug joue des coudes avec le dragon chinois, des drakkars ou Fáfnir, tué par Siegfried dans le cycle de Sigurd de la mythologie scandinave.
Le Haut Moyen-Âge ressuscité
Chaque espace est séparé par de larges panneaux peints de plusieurs mètres de haut, “rendant hommage à la finesse du trait, au travail sur la perspective ou la lumière”, représentant certains des plus impressionnants dessins de John Howe. Au bout de ce chemin-tronc, où chaque ouverture est une branche de l’arbre, les portes de la grande salle de Meduseld, demeure de Theoden du Rohan…
“Le but est d’apporter de la contextualisation”, analyse Jean-Jacques Launier. Car oui, une des principales ambitions de l’exposition est de mettre en lumière les sources de l’auteur du Hobbit : “Un pied dans le réel et un dans l’imaginaire”, résume ce dernier. Cet “effet de réel” passe par la création de cartes, de familles, d’arbres généalogiques, de langues…
D’ailleurs, J.R.R. Tolkien est formel dans le début du Seigneur des anneaux : il s’agit d’un texte issu d’un manuscrit authentique qui nous est parvenu et qui raconte le monde il y a des milliers d’années… Ici, il reprend une tradition ancienne, que l’on retrouve par exemple dans le Beowulf, qui fait toujours remonter le texte d’un précédent.
La réalité, c’est l’emprunt à des sources historiques : la notion de Terre du milieu qui provient d’un poème du VIIe siècle et de l’Œkoumène grec, l’anneau de pouvoir, autant inspiré de l’anneau de Gygès de Platon que du Nibelungenlied, tiré d’une épopée médiévale du XIIIᵉ siècle qui inspira Wagner. Et plus généralement, une influence de la légende arthurienne, des Eddas, de la Völsunga Saga qui en est issue, ou du Kalevala du XIXᵉ siècle. Des récits largement oraux pour les plus anciens, avant la démocratisation de l’imprimerie au XVIIe siècle.
Enfin, pour construire son monde, Tolkien a puisé dans le mouvement préraphaélite, majoritairement inspiré de l’imaginaire du Moyen-Âge — ou le courant Arts and Crafts porté par les fascinants William Morris ou John Ruskin, réformateur dans les domaines de l’architecture, des arts décoratifs, de la peinture et de la sculpture. Des pièces historiques provenant du Musée de Cluny, du Louvre… sont présentées.
Pour John Howe, “si l’on explore les motivations de Tolkien, on aperçoit qu’il n’avait pas d’agenda caché. Ce n’est pas un propagandiste ou prosélyte quelconque. Il est saisi par la richesse de ces matières, ses sources, lui donnant envie de raconter à son tour. C’est comme si ça débordait chez lui sous forme d’histoire ”.
Il y a deux visages de Tolkien : le professeur érudit de littérature anglaise à Oxford, plongé dans les textes anciens du monde germanique et scandinave en linguiste et philologue, et dont certains travaux restent des références, et le créateur d’un univers extraordinaire : “Ses collègues, qui étaient des universitaires très sérieux, trouvaient ses activités annexes très drôles, légères, non sans condescendance”, continue le Canadien.
Avant de rappeler, puis de questionner : “Il a touché quelque chose de presque universel. Je crois qu’il n’y a pas un pays où il n’y a des enthousiastes de Tolkien. Il y a quelque chose de presque mystérieux dans cette résonance : qu’est ce qu’il y a dans son œuvre qui nous saisit si profondément ?” La vitalité toujours renouvelée des mythes et leur symbolique ? Pour le dessinateur, Tolkien enrobe son matériau “d’un récit qui nous offre une place au premier rang, ce que ne font pas les textes anciens devenus plus difficiles à la lecture. Si on souligne les préoccupations et les thèmes chez Tolkien, elles sont plus que jamais actuelles : l’amitié, quelle réaction avoir face à des situations nous dépasse, ou la tension entre l’individu et le groupe. Des sujets poignants.”
Le frère d’âme
C’est aussi un rapport à la nature face à la folle industrie représentée par Sarouman et Isangard, à la mémoire, et paradoxalement, par le merveilleux, le conte, faire advenir le réel. Pour Jean-Jacques Launier, face “à l’industrialisation qu’il détestait, l’anglais né en Afrique du Sud en appelait au retour du travail de l’artisan, du fabricant et de l’artiste, ensemble”. Là encore, le fascinant William Morris n’est pas loin.
Les œuvres principales de Tolkien, John Howe les a lues “3 ou 4 fois pas plus”, bien suffisant pour dresser un constat : “Dans le fantastique, il y a un pré-Tolkien et un post-Tolkien. Il est incontournable, que l’on aime ou pas. Tout seul, il a changé l’approche de la fantasy.” Il nous confie : “C’est un univers où tout me plaît, ce qui est rare. Normalement avec un auteur, il y a ce qu’on trouve formidable et le reste, car ce que vous avez vécu ne correspond pas totalement à son expérience. Là, il y a concordance que je considère absolue. Je me sens à l’aise, en territoire non pas familier, mais que je crois comprendre.”
Une parenté de sensibilité, mais de rappeler : “ Il faut toujours se garder de dire, et c’est le défaut des enthousiastes : Tolkien aurait aimé faire ça, on n’en sait rien ! On ne peut pas se mettre dans la peau du bonhomme. Il faut aller dans ses récits, dans les sources de ces récits, et s’appuyer sur les chercheurs et les passionnés.” Il définira plus son travail comme du “néo-Tolkien” : “Dans les courants architecturaux, le néo, c’est la revisitation du passé dans un autre contexte. J’ai une grande affection pour le néo-gothique par exemple.”
Du néo-gothique au numérique, entre ses premiers dessins, la trilogie du début des années 2000 au Hobbit, jusqu’aux Anneaux de Pouvoir : “On produit plus vite et plus, mais le fond reste le même”, selon le directeur artistique de chacun de ces projets sur plus de 20 ans. Pour Diane Launier, “derrière le pinceau numérique, l’artiste est resté.”
Il est aussi stupide de vouloir comprendre sa vie que de prétendre se nourrir de la formule chimique d’une pomme.
Les sept plumes de l’aigle (1995)
[HENRIGOUGAUD.COM] Libertaire définitif, Henri GOUGAUD (né en 1936) invente sa vie tous les jours. Venu au monde sur les terres rouges de l’Aude, il est l’héritier des troubadours occitans, il a la poésie chevillée au corps. Il monte à Paris à la fin des années 50, chante ses textes dans les cabarets Rive-Gauche et se rapproche du milieu anarchiste. Bientôt d’autres artistes comme Reggiani, Ferrat ou Greco choisissent d’interpréter ses chansons.
En 1973 il publie Démons et merveilles de la science-fiction. Claude Villers l’invite sur France Inter et dans la foulée l’engage comme chroniqueur. Il raconte alors chaque midi des histoires à la radio. Des histoires fantastiques, des récits étranges et puis des contes, puisés dans l’immense répertoire de la tradition orale qu’il connaît bien.
Choisissant de se consacrer pleinement à l’écriture, il publie avec bonheur au fil des années, de nombreux romans et recueils de contes. Mais il est aussi sollicité pour raconter en public. C’est l’émergence du ‘renouveau du conte’ dont il est considéré aujourd’hui comme un des pères fondateurs.
Entre le merveilleux et ce que nous appelons le réel, il n’est peut-être qu’une différence de confiance accordée.
Henri Gougaud
Le rire de la grenouille. Petit traité de philosophie artisanale (CARNETS NORD, 2008)
EAN 9782355360121
[EXTRAITS] “J’imagine, dans une clairière de la forêt du temps, une troupe de pauvres gens accroupis au seuil d’une grotte. C’est le crépuscule. Le soleil vient de disparaître derrière les arbres. Comme chaque soir, ces hommes, ces femmes s’inquiètent. Et si cette fois il ne revenait pas, ce père lumineux qui tous les matins nous réveille ? Si cet être prodigieux qui fait toutes choses vivantes nous abandonnait à la nuit ? J’imagine, au milieu d’eux, une mère. Elle s’effraie, elle aussi. Elle serre contre elle son enfant. Il geint, il a froid, est mal. Et voilà que ce soir-là l’angoisse de ce fils, dans l’obscurité où ils sont, lui est soudain plus insupportable que celle qu’elle-même éprouve. C’est ainsi que lui vient l’amour, l’oubli de soi dans le souci de l’autre. Et l’amour lui inspire la première berceuse, le premier conte, la première parole dite pour attendrir la nuit, pour tempérer la peur. Sa voix n’est qu’un murmure imprécis mais rassurant, cahotant mais brave. Elle ne sait pas, personne ne sait que cette parole chantonnée à l’oreille de son enfant est le premier surgissement de la source qui deviendra, un jour, le vaste fleuve de toutes les littératures humaines.
Rien de plus humble qu’un conte. Rien de plus anodin, si l’on s’en réfère à la définition du dictionnaire “Récit d’aventures imaginaires destiné à amuser, ou à instruire en amusant.” C’est un peu court. De quoi s’agit-il, en vérité ? D’histoires plus ou moins brèves qui ne se préoccupent guère de ce que l’on appelle communément ‘la réalité’ et qui n’est peut-être, après tout, que l’apparence des choses. D’histoires vagabondes, sans auteur identifiable, sans origine précise. D’histoires qui ont traversé les siècles, les millénaires même, sans bruit, sans effet mesurable sur le destin des peuples, portées, jusqu’aux abords de nos temps modernes, par la seule parole humaine. De fait, la définition du dictionnaire ne témoigne que de la méconnaissance, sinon du mépris dans lequel les lettrés tiennent ces histoires-là. “Sornettes, disent-ils, balivernes déraisonnables.”
Et pourtant ! Imaginez : la plus ancienne mention écrite du Conte des deux frères, dont on a répertorié, en Europe, une quarantaine de versions, a été dénichée sur un papyrus égyptien datant de la XIXe dynastie (environ 1300 ans avant notre ère). Et le premier texte où apparaît une ancêtre de Cendrillon fut écrit en Chine au VIIIe siècle. Question : pendant que ces contes-là, et bien d’autres, traversaient allègrement les pestes, les grandes invasions, les guerres, les révolutions, les monts et les mers, portés par presque rien, la parole des gens, voyageurs, nomades, vagabonds, marchands, combien d’œuvres réputées immortelles se perdaient corps et biens dans les brumes du temps? Comment ont-elles fait pour subsister, pour demeurer vivantes, ces “histoires imaginaires destinées à instruire en amusant” ? Et pourquoi elles, si négligeables, ne se sont-elles pas égarées ?
Les Romains croyaient au fatum librorum, au destin des livres. Tant qu’une œuvre est nourricière, pensaient-ils, elle dure, quelles que soient les difficultés de son cheminement. Les contes ont duré. Ils sont là, toujours présents dans notre drôle de monde. C’est donc qu’ils ont encore à nous apprendre. À nous apprendre ou plutôt à nourrir en nous quelque chose d’essentiel, de vital peut-être? Je pense à la parole de Patrice de La Tour du Pin: “Les pays qui n’ont pas de légendes sont condamnés à mourir de froid.”
Je pense aussi à cette génération d’histoires métisses nées du mariage des contes amérindiens et de ceux, africains, portés jusqu’aux Amériques par les esclaves noirs. On sait peu (on imagine mal) que ces gens-là, malgré les tourments et les massacres qu’ils subissaient, malgré leur dénuement, malgré leur détresse, ont tout de même trouvé le temps, la force, le désir de se raconter leurs contes, leurs vieilles choses imaginaires, leurs ‘balivernes’. On ne dit rien de cela dans les livres d’histoire.
Comment pourrait-on parler de ces sortes de mystères miraculeux devant lesquels on ne peut que s’émouvoir en silence, et remercier je ne sais qui ? Il est temps de rappeler quelques évidences que l’on perd trop souvent de vue, submergées qu’elles sont par la cacophonie du monde dans lequel nous sommes bien forcés de vivre.
D’abord, il faut se garder de confondre l’importance des choses avec le bruit qu’elles font. Une sottise, une futilité, un mensonge entendus par dix millions de personnes n’en restent pas moins ce qu’ils sont. À l’inverse, imaginez Jésus contant ses paraboles dans les villages de Palestine. Combien ont entendu sa voix, sur telle place publique, tel coin de rue, telle ombre d’arbre ? Je suppose qu’à vingt pas de lui des gens devaient tendre l’oreille, ne comprendre qu’un mot sur deux, mais ce qu’il disait, quoique à peine audible, avait assez de force vivante pour nourrir le monde entier, et le monde en a été nourri. L’importance d’une parole se mesure à la place qu’elle prend durablement en chacun de nous, à ce qu’elle fait bouger en nous, à la terre intime qu’elle remue et fertilise.
Malheureusement nous sommes aujourd’hui harcelés par un incessant fracas de nouvelles, de modes, d’événements dont on nous affirme hautement, entre deux messages publicitaires, la catastrophique gravité avant que ne lui succède, dès l’aube du lendemain, l’annonce tout aussi démesurée du triomphe de tel chanteur, de la mort de tel couturier, ou des aventures conjugales de tel président. Nous ne nous entendons plus.
Imaginez qu’un ange, qu’un Esprit d’arbre ou de rivière (à supposer qu’ils existent), veuillent nous dire quelque chose. Comment pourraient-ils y parvenir ? Toutes les lignes de notre entendement sonnent sans cesse occupé. Sans cesse nous sommes tirés hors de nous par mille bruits, lumières, images plus ou moins terribles dont nous ne pouvons rien faire, sauf de l’euphorie sportive et de l’angoisse de bombardés.
Alors, que pèse le conte dans ce tumulte ? Ce que pèse une pomme face à la famine. Dans le monde, rien. Dans la vie, pour celui qui la mange, elle peut être un miracle, l’aube d’une renaissance.
Entre l’ampleur et l’intensité, il faut choisir. Le goût de l’ampleur – surtout que rien ne nous échappe – disperse notre attention et nous condamne à naviguer à la surface des choses. L’intensité, elle, nous limite mais peut nous permettre d’aller profond. Ce qui nous pousse au monde est ample. Le désir de vie peut être intense. Le monde et la vie : ne pas confondre. Ce n’est pas parce que la bouteille prend la couleur du vin et le vin la forme de la bouteille qu’il nous faut prendre l’un pour l’autre. Je connais des adolescents qui découvrent autour d’eux le monde, qui s’indignent de ses injustices, de ses folies meurtrières, et qui décident que la vie est abominable. Ce ne serait qu’une confusion parmi d’autres si celle-là ne pouvait pousser les plus vulnérables de nos enfants au désespoir et au suicide. Le monde est certes un lieu inhospitalier dont nous faisons trop souvent, pour notre malheur, un dépotoir.
La vie, c’est autre chose. Au coin de mon immeuble, sur le trottoir, une touffe d’herbe s’est frayé un passage dans une fente de béton. La vie, c’est ça. Une incessante poussée vers le haut (l’inverse de la pesanteur, en quelque sorte), une impatience, une force qui sans cesse nous attire, qui nargue la mort, qui la nie même, qui la repousse tous les jours à demain. La vie, c’est le désir de perpétuer notre présence au monde. C’est aussi notre relation aux choses. C’est notre appétit, notre envie de ne pas en démordre.
Or, les contes sont des nourritures. Ils ne sont pas les seuls, bien sûr, à apaiser nos famines. Tous les arts devraient, à mon avis, y concourir. J’irai même, pour peu que l’on me pousse, jusqu’à estimer traître tout artiste qui ne sert pas, qui n’exalte pas la vie. Mais restons au conte, art populaire, primitif, art premier, au sens que l’on donne aujourd’hui à ce terme. Il faut ici préciser les contours de ce que j’entends par ‘littérature orale’.
La hiérarchie communément admise place au plus haut les mythes. Ils magnifient parfois l’histoire. Le Christ, par exemple, dans la mesure où il est le fils d’un dieu et d’une mortelle, s’inscrit dans la lignée des héros civilisateurs. Les mythes les plus universels sont cependant les récits de la Création ramenés en transes de l’Invisible par les familiers des Esprits ou des dieux. Ils furent les premiers, et longtemps les seuls, à connaître les livres. Ils sont fondateurs de religions, et donc les dévots les considèrent comme des vérités révélées, le mot mythe étant réservé aux croyances des autres. Pour un juif, pour un chrétien, la Genèse est une vérité révélée, et la Création du monde selon les Indiens Hopis, un mythe. Mais laissons ces œuvres fondatrices à leurs aristocratiques hauteurs. Elles sont hors de notre sujet.
Un mot, tout de même, des légendes. Elles se distinguent des contes en ce qu’elles s’enracinent généralement dans une réalité historique ou géographique.
Les contes. Les plus connus, les plus estimés aussi, sont les contes dits merveilleux, ceux qui commencent presque toujours par l’intemporel “Il était une fois”. Le Petit Poucet, Cendrillon, Blanche-Neige, Peau d’Âne et bien d’autres sont de ceux-là. D’où viennent-ils ? Qui les a mis au monde ? On n’a, à ces questions, aucune réponse assurée. On sait seulement qu’ils sont universels. Ce ne sont pas des récits réalistes, ils ne s’inscrivent que vaguement dans la réalité des siècles ou des lieux qu’ils traversent. Les fées, les lutins, les animaux doués de parole et autres donateurs plus ou moins évanescents y sont comme chez eux. La présence quasi constante de ces peuples de l’au-delà des apparences suggère que ces récits sont nés de gens pour qui le monde et la vie ne se limitaient pas à nos perceptions raisonnables. Sans doute s’enracinent-ils, pour ce qui concerne notre Occident, dans l’animisme pré-chrétien, qui lui-même se perd dans la nuit des temps.
À l’étage inférieur (mais que valent ces hiérarchies ?) les ethnologues ont coutume de loger les contes facétieux. Ce sont pour la plupart des comédies brèves, des farces. Ils n’ont pas la dimension poétique, universelle des contes merveilleux. Bien que l’on puisse y rencontrer des fées et des sorcières, ils sont plus volontiers ancrés dans la pâte humaine, dans les mœurs populaires. Brigands et sots, rusés, débrouillards, juges, soldats, fermières délurées, tels sont les héros de ces histoires-là. Il est à noter qu’elles véhiculent souvent une sagesse qui pour être rieuse n’en est pas moins, parfois, d’une déconcertante profondeur. D’increvables fous du peuple en témoignent. Jean Bête chez nous, Ch’ra, Hodja, Nasreddin et des dizaines de leurs réincarnations, autour de la Méditerranée, sont les héros d’une folie tant éclairante qu’il s’est toujours trouvé des maîtres éveilleurs pour en faire leur miel.
Dans l’inventaire des spécialistes figurent aussi les contes étiologiques, qui donnent une réponse (le plus souvent plaisante) à la question “pourquoi ?” Pourquoi les choses sont ainsi faites ? Pourquoi est-ce l’homme qui, dans la relation amoureuse, doit faire le premier pas ? Pourquoi les humains portent-ils aux doigts des anneaux sertis de pierres – des bagues ? Pourquoi les chiens se flairent-ils sous la queue ? Il n’est pas de question qui ne doive avoir sa réponse. Il n’est rien qui n’ait sa raison d’être. Voilà ce qu’affirment sur tous les tons ces contes-là.
Il faut également dire un mot des contes d’avertissement. Le Petit Chaperon rouge, dans la version de Perrault (car, pour les versions paysannes, il en va tout autrement) est de ceux-là. La mise en garde qui le conclut est claire : “On voit ici que de jeunes enfants, surtout de jeunes filles belles, bien faites et gentilles font très mal d’écouter toutes sortes de gens, et que ce n’est pas chose étrange s’il en est tant que le loup mange.” Nombre de contes inspirés ou détournés par l’Église décrivent le sort effrayant réservé aux mauvaises gens qui négligent la messe ou les fêtes sacrées. Les contes d’avertissement sont les seuls qui finissent mal. En vérité, si cette pédagogie de la peur qu’ils mettent en œuvre peut être, en certains cas, défendable, voire nécessaire, on voit où peut mener l’utilisation qui en a été faite par les pouvoirs religieux ou politiques.
Restent les contes paillards, dits poliment licencieux, beaucoup moins anodins qu’il n’y paraît, dont je ne dirai rien ici. Nous les aborderons plus tard.
Le conteur. Paul Zumthor dit de lui dans son Introduction à la poésie orale qu’il est un ‘pré-littéraire’. […] le conteur est un Ancien. Non pas nécessairement un vieil homme, mais un être qui se souvient des racines. Un passeur de sève. Un serviteur de la vie, de cette force désirante qui pousse sans cesse à franchir un jour de plus, une nuit de plus.
Je l’ai déjà dit, et j’insiste : les contes sont d’abord les véhicules d’une nourriture, et non pas seulement d’informations plus ou moins ethnologiques, de naïvetés primitives ou de recettes psychologiques. On peut bien sûr les analyser, les interpréter, tenter de découvrir “ce qu’ils ont dans le ventre”. On ne s’en prive d’ailleurs pas. C’est là une démarche d’intellectuel, évidemment honorable et utile, mais elle a le défaut de trop souvent négliger cela, que ces vieilles histoires ne sont pas faites pour informer, même pas pour instruire, mais pour nourrir. […] Les contes veulent être mangés, béatement, et donner ce pour quoi sont faits les aliments : de la force, de la vie. J’admets que l’on veuille savoir comment ils font, comment ils s’y prennent, et qu’il soit frustrant de l’ignorer. On peut pourtant aller à leur rencontre par d’autres chemins d’exploration. Ceux-là laissent, certes, l’intellect insatisfait, mais l’intellect n’emplit pas à lui seul la maison du dedans.
Nous hébergeons aussi une intelligence sensible, amoureuse, joueuse. Ce n’est pas sérieux? Admettons. J’invite seulement à réfléchir un instant à ce que l’on demande vraiment quand on exige “du sérieux”. Ne serait-ce pas quelque chose qui ressemble à une garantie contre l’errance, à une assurance tous risques ?
L’intellect voudrait que la vie ne soit qu’une énigme, alors qu’elle est un mystère. On peut résoudre une énigme, la vaincre et ne laisser qu’une rassurante lumière, là où étaient des ombres. On ne peut qu’explorer un mystère, sans espérer l’abolir. Explorons donc.
[…] J’ai parlé tout à l’heure du fatum librorum romain, du destin des œuvres. Ne faut-il pas qu’elles soient douées de vie, de force, pour trouver leur chemin vers ceux qu’elles doivent nourrir? Ne faut-il pas qu’elles soient quelque peu parentes de la touffe d’herbe qui parvient au jour malgré l’obstacle du béton ?
[…] En vérité, à l’énormité de nos terreurs, à la dimension de nos diables, nous pouvons exactement mesurer la somme d’énergie enfermée là, et gaspillée en pure perte.”
Henri Gougaud
Il était une fois un jeune homme amoureux de la fille de son patron. Il n’avait rien, elle avait tout.
– Que puis-je t’offrir, mon aimée ?
– La seule chose qui me manque : la Vérité, répondit-elle. Cherche-la pour l’amour de moi, trouve-la, reviens me la dire et je suis à toi pour toujours.
Le garçon s’en fut à l’instant. Par monts, par vaux et par villages il demanda aux arbres, aux gens, aux ermites, aux fous, aux savants, aux fleuves, aux nuages passants :
– Avez-vous vu la Vérité ? Dans quel pays habite-t-elle ? Où pourrais-je la rencontrer ?
Personne ne sut lui répondre. Certains lui dirent qu’autrefois, dans telle forêt, telle ville elle était un jour apparue, mais elle s’était enfuie trop vite, on ne savait où, sous quel vent. Il chercha des mois, des années, il chercha jusqu’aux cheveux blancs, jusqu’à toute semelle usée. A bout de courage et d’espoir il s’assit devant une grotte, un soir, à la cime d’un mont, et n’attendit plus que la mort. Alors il entendit du bruit sous la voûte de la caverne. Il se dressa, franchit le seuil, flairant l’ombre, l’œil aux aguets. Il demanda :
– Y a-t-il quelqu’un ?
Il devina, dans la pénombre, une silhouette de femme. Il s’approcha, et que vit-il ? Une vieille hideuse, édentée, couverte de haillons puants.
– Aide-moi, femme, par pitié. Depuis ma lointaine jeunesse je cours après la Vérité.
– Tu l’as trouvée, lui dit l’ancêtre. Celle que tu cherches, c’est moi.
Elle lui en donna mille preuves. Elle savait tout de lui, du monde, des étoiles, des océans. Quand elle eut parlé, l’homme dit :
– Que veux-tu que j’apprenne aux hommes et à mon aimée de ta part ?
La tête basse elle répondit :
– Dis-leur que je suis jeune et belle. Par pitié pour eux et pour moi, dis-leur de me chercher toujours.
Avant que la peste n’arrive à Avignon, je croyais ma mère immortelle. Dieu la garde, je ne me souviens pas de son visage éteint […]. En vérité, nous soupçonnons parfois notre mémoire d’enchanter faussement le passé, alors qu’elle est fidèle à ce qui fut, et que seules sont trompeuses les mélancolies qui nous font douter d’elle…
Extrait de Paramour
EAN 9782020307413
Gougaud est un conteur généreux et terrestre (même si le narrateur du roman en appelle à son Dieu après chacune des aventures qui ponctuent son parcours initiatique). Il souffre bien sûr de cette terrible maladie des romanciers français, une fois qu’ils se mettent en tête de faire médiéval en usant d’une langue pseudo-archaïque (a-t-on déjà vu déjà vu des manants du XIVe, en guenilles et poursuivis par la Peste Noire en Avignon, user de subjonctifs imparfaits ?). Reste que les pérégrinations de Mathieu le Tremble et de ses deux compagnons d’infortune font viatique à une lecture faussement innocente : la fuite des trois larrons devant l’épidémie noire et la folie des hommes qu’elle provoque, se mue assez vite en une initiation profondément ancrée dans la Terre. La Lumière ne vient pas toujours d’où on l’attend et Mathieu le rétif, d’abord raide de ses croyances, va découvrir par l’Expérience combien “les plus hautes figures de l’âme ne sont pas des juges mais des amants” (Gougaud). On pense plus au Nom de la Rose qu’au Sacré Graal pour l’ambiance, on respire plus l’air d’un Giono que d’un Ken Follett : le ton est au conte et à une prédication (presque) païenne qui n’aurait pas mis Starhawk en colère… Bref, belle lecture : il y a un avant et un après. Que désirer d’autre ?
“L’une des plus terribles catastrophes de l’Histoire, voir la plus grande, est celle de La Peste Noire qui sévit à partir de 1347 à Marseille (les responsables du port avaient accepté un bateau génois porteur de la maladie). En 1948, elle atteint Avignon, la Cité papale, que les chrétiens visitent en nombre et propageront le fléau partout en Europe. La médecine du 14ème siècle est impuissante. On imagine que la maladie est liée à la nourriture ou à l’air. Certains aliments faciles à pourrir, comme le poisson, pourraient infecter l’estomac et les intestins. Le climat humide, l’air circulant au-dessus des marais, les vents du sud, les fumées ou mêmes le souffle des malades ont été considérés comme particulièrement dangereux et contaminants. C’est pourquoi, les médecins prenaient le pouls de leurs patients, de derrière.”
Boris CYRULNIK, dénonciateur de la “confortable servitude” dans Le laboureur et les mangeurs de vent (2022), n’aurait pas renié l’extrait suivant, où un bouteur de bûchers pour impies explique sa déraison. L’histoire écrite par Gougaud se déroule au XIIIe siècle, bien entendu…
Je ne me suis pas méfié de la malignité des mots. Il est simple de s’enfermer dans une prison de paroles. Il suffit que soit admiré le grand homme qui nous les dit. Tout s’ordonne, alors, comme il veut. Nous faisons nôtres ses désirs, nous dressons nous-mêmes les murs qui nous séparent de nos âmes et nous nous retrouvons un jour à creuser des fosses communes en croyant servir le Dieu bon. J’ai défriché le champ de ma mère l’Eglise, c’était la mission confiée. Les êtres m’étaient étrangers autant que les gens de la lune. Nous n’étions pas, en ce temps-là, de même bord, de même chair, ils n’étaient rien que mauvaise herbe.
L’enfant de la neige (2011)
EAN 9782020301053
[LIBREL.BE] Luis A. est né en Argentine. Avant de quitter ce monde, sa mère, une indienne Quechua, lui a légué un savoir millénaire. Est-ce pour la retrouver que Luis, très jeune, est parti sur les routes ? L’initiation commence dans les ruines de Tiahuanaco, où l’adolescent fait la connaissance d’El Chura, chaman, homme au plumage de renard. Celui-ci lancera son disciple à la recherche des sept plumes de l’aigle, des septs secrets de la vie. Cette rencontre en entraînera d’autres : celle du gardien du temps, du vieux Chipès, de doña María, de l’amour, qui est le premier mystère du monde. Luis A. n’est pas un personnage de roman. Cette quête étrange, tourmentée, d’un savoir et d’une lumière, a bien eu lieu, un jour – une fois -, entre la Sierra Grande, les ruelles de La Paz et le plateau de Machu Picchu.
– Chura, que s’est-il passé ?
– Quand tu es sorti de ta conscience carrée, tout à l’heure, ton corps a rencontré le monde, et le monde a rencontré ton corps. Tu es entré dans cette belle histoire d’amour que tu m’as racontée un jour, tu te souviens ? Le monde a dit à ton corps : “Qui est là ?” et ton corps ne lui a pas répondu : “C’est moi.” Il lui a répondu : “C’est toi-même.” Ton corps a reconnu les frémissements de la Terre, parce que les frémissements de la Terre sont aussi les siens. Ton corps a reconnu la danse des atomes de la Terre, parce que les atomes dansent en lui pareillement. Ton corps a rejoint sa famille, Luis.
– C’est cela, le sentir ?
– Oui. II ne peut s’allumer que si la conscience carrée se repose.
– Pourquoi la conscience carrée est-elle l’ennemie du sentir, Chura ?
– Elle n’est pas son ennemie. Elle est simplement un autre lieu de nous-mêmes. Elle est d’un autre usage. La conscience carrée est très utile pour fabriquer des trains, des routes, des avions, des villes, des médicaments, des canapés, des systèmes increvables. Mais elle est ainsi faite qu’elle ne veut pas goûter, elle veut comprendre. Elle ne veut pas jouer, elle veut travailler. Elle ne veut pas de l’inexprimable, elle veut des preuves. Elle ne veut pas être libre, elle veut être sûre. Elle doit être respectée, elle a des droits, et des pouvoirs. Mais veille à ne pas lui laisser tous les droits, ni tous les pouvoirs. Veille à ce qu’une porte reste toujours ouverte dans un coin de ta conscience carrée. Il faut que tu puisses sortir dans le jardin. C’est là qu’on se retrouvera, Luis, quand tu auras envie de ma compagnie. Dans le jardin.
II s’est levé, et nous sommes allés parmi les ruines, comme nous le faisions tous les soirs. […]
J’ai insisté mais elle m’a laissé seul avec mon inquiétude que je n’arrivais plus à dire. Il est si difficile d’accepter l’inconnu ! Nous avons tous en nous un tyran pointilleux qui tient pour inventé, donc pour inadmissible, ce qui ne peut être expliqué. Il est même certaines gens qui exigeraient, si leur venait un ange, une plume de son aile pour l’encadrer dans leur salle à manger ! Au-delà de ce que l’on croit réel et de ce que l’on suppose imaginaire est pourtant la porte la plus désirable du monde, je sais cela aujourd’hui. Elle s’ouvre sur le jardin de la vie, que les affamés de preuves ne connaîtront jamais. […]
– Apprenez-moi, senior Juarès.
– Non, Luis, tu dois apprendre seul désormais. Observe-toi. Observe les gens, quand ils se parlent, ils tentent de capter, dans les moindres regards, un peu plus de vigueur, un peu plus d’existence. Ils se grignotent. Par séduction, par ruse ou par violence. ils se volent à tout instant des forces. Pourquoi font-ils cela ?
– Parce qu’ils ignorent l’Autre, le Vivant qui pourrait leur donner tout ce dont ils ont besoin s’ils le laissaient entrer. Mais ils ne peuvent pas le laisser entrer, ils n’ont pas ce trou que je me sens, au sommet du crâne.
– Ton appel dans la maison hantée a ouvert le passage entre le Vivant du dehors et le Vivant du dedans. Tu peux donc sortir de la ronde des voleurs, Luis. A partir de maintenant, tu ne dois plus chercher ton bien chez tes semblables. Appelle. Ce qu’il te faudra te sera aussitôt donné. El Chura t’a appris l’art de l’aigle, qui te permet de n’être pas pillé. Tu viens d’apprendre seul à n’être pas un brigand. Hé, si tu continues, tu deviendras peut-être un homme véritable…
[LABOVERIE.COM, oeuvre du mois, août 2023] Les collections du musée des Beaux-Arts [de Liège, BE] possèdent de nombreuses œuvres de Jacques CHARLIER. En 2022, deux nouvelles acquisitions de l’artiste élargissent ainsi le panel proposé, illustrant l’éclectisme du répertoire de cet artiste inclassable. Un de ces deux achats est un hommage particulier rendu à l’inventeur de l’imaginaire Schmilblick et du biglotron : Pierre Dac (1893-1975).
Né à Liège en 1939, Jacques CHARLIER est un autodidacte dont l’intérêt pour l’art naît dès son plus jeune âge. À douze ans seulement, le petit Charlier prend une grande décision : devenir artiste.
Il débute sa carrière artistique dans les années 1960. En parallèle à son travail alimentaire au Service Technique Provincial (STP) de Liège, il développe peu à peu son propre langage artistique, combinant citations d’artistes d’avant-garde, critiques du monde de l’art et, dès lors, diversité de techniques et de styles (peinture, sculpture, texte, collage, photo, vidéo, dessin…). Cette “ double identité ” le relie, dit-il, à Franz Kafka, dont l’univers alliant administration et art de l’écriture, le marque profondément.
À l’époque du Pop Art et du Nouveau Réalisme, il réalise les Paysages professionnels, documents photographiques collectés sur son lieu de travail, accompagnés d’un certificat signé de sa main et de celle du chef mécanographe, André Bertrand. Il présente ces documents issus de sa vie professionnelle au milieu artistique.
Après l’édition de la revue Total’s, l’édition souterraine liégeoise, les Photographies de vernissage, ou encore les photos-sketches, Jacques Charlier se lance, toujours en lien avec sa pratique artistique, dans des activités musicales.
Véritable touche-à-tout, il s’adonne à la caricature depuis 1969, ponctuée de citations d’artistes ou de tableaux, à coups de pinceaux, de crayons ou de flashs photographiques. À nouveau, le thème de prédilection est le microcosme de son milieu d’adoption, auquel il offre un reflet fait d’humour et d’ironie, illustrant ses dérives, celles du marketing et de la spéculation. Il se lie d’amitié avec d’autres artistes de son temps, les conceptuels Daniel Buren et Joseph Kosuth, ou encore Marcel Broodthaers.
En 2009, il marque le “ off” de la Biennale de Venise avec son exposition Cent sexes d’artistes , dont les affiches seront finalement refusées par crainte de revendications en droits de reproduction [sic]. A nouveau, il démontre, s’il le fallait encore, sa connaissance de l’histoire de l’art et du monde qui l’entoure, sa capacité de mimétisme, sous forme de jeu et de dérision. La caricature, le second degré et les références pointues ont donc toujours fait partie de l’œuvre de Jacques Charlier. L’ensemble de toiles nouvellement acquises par le musée en est un bel exemple.
Pierre Dac, humoriste et comédien français, a très vite fait son entrée dans la vie de Jacques Charlier. Son humour absurde et celui de son acolyte Francis Blanche, résonnent sur les ondes de la radio du jeune adolescent et le transportent par grands éclats de rire. Cousin éloigné du dadaïsme, Pierre Dac touche de plein fouet le belge. Le roi des loufoques autoproclamé édite dès les années 1930 (et dans les années 1960) le journal L’Os à moelle. Ce grand père du Gorafi propose parmi ses pages une section de prime abord classique, les “ petites annonces”. La première donne le ton. “ Offre d’emplois : On demande cheval sérieux connaissant bien Paris pour faire livraisons tout seul.” Derrière le sérieux apparent, se cache une plume hilarante… digne des futurs Nuls et bien avant les célèbres petites annonces d’Elie Semoun. Ces avis courts ont le meilleur effet sur la morosité et la gravité ambiantes.
Parmi le millier de ces punchlines , Charlier en sélectionne trente-et-une pour en faire une série, comme souvent dans sa pratique, qu’il illustre à l’acrylique sur toile. Chaque toile est doublement signée, “ texte P. Dac ” et illustration “ J. Charlier ”. Revenant à un dessin simple et schématisé dans cet univers kafkaïen, l’artiste s’inspire cette fois des réclames publicitaires et des pratiques de la bande dessinée. Un livre, un parapluie, un réveil… les motifs sont souvent seuls, perdus sur un fond monochrome, permettant de centrer l’attention sur eux, directement identifiables. L’art minimal figuratif pour un maximum de clarté, et de rires.
Parmi ces images, l’une attire l’attention, par la surcharge de sa composition et par son sujet. Entre livres, artefact de Buren, verre et bouteille renversée, stigmates d’une soirée arrosée (?), se dressent un urinoir et un hérisson à bouteilles duchampiens. Au mur, deux tableaux à la manière de Picasso et Mondrian. D’autres sont empilés et séparés par des bâtons colorés à la Cadere. Autant de clins d’œil à retrouver, tel un jeu d’énigmes et de références. Le balai posé contre le bar (Robert Filliou l’aurait-il perdu ?) fait écho à la “ liquidation ” évoquée dans le texte de Dac : “Soldes prix intéressants articles ayant figuré dans grandes expositions internationales. Faire offre !” À nouveau l’esprit de Pierre Dac a frappé, mais accompagné de l’interprétation de Jacques Charlier, toujours critique, drôle et satirique sur ce milieu en perpétuelle évolution, le monde de l’art et son marché.
Cette installation est donc une rencontre entre deux hommes inventifs et critiques, l’un armé de ses pinceaux, l’autre de sa plume, pour le plus grand plaisir d’un fou-rire fulgurant.
[NADJAVILENNE.COM] Dès l’âge de douze ans, Charlier est sensibilisé, grâce à son père, à l’humour ravageur de Pierre Dac et de Francis Blanche. Faut dire qu’à l’époque, à Ersange, dans le fin fond du Grand Duché du Luxembourg, la radio était une bénédiction.
Pour Charlier, cette manière de donner du sens au non-sens va de pair avec sa constante tentative de désangoisser la réalité. Il découvre la littérature dès l’âge de 9 ans, au travers des contes extraordinaires d’Edgar Poe. De dix-sept à vingt ans, Kafka devient un frère d’arme, vu l’influence de sa profession administrative sur ses écrits. La porte du Service technique provincial de Liège ressemblant étrangement à celle des Assurances générales de Prague.
Plus tard après Teilhard de Chardin et Cioran, viendra son intérêt pour la sociologie et la philosophie qui le conduira à se passionner pour Baudrillard et Bourdieu.
Mais périodiquement, en guise d’interlude, il revient toujours vers le grand maître soixante trois de son enfance. Son journal hilarant, ses sketchs, le font inlassablement mourir de rire. Pour lui, le Schmilblick fait bon ménage avec la broyeuse de chocolat de Duchamp, l’art des incohérents, Jules Levy et ses hydropathes, Alphonse Allais, et enfin Picabia son peintre préféré.
C’est ceux là qu’il considère comme sa famille humoristique d’adoption. C’est en s’appuyant sur leur mémoire, qu’il a construit patiemment l’aventure risquée des identités multiples artistiques. Pierre Dac a toute son affection admirative, car grâce à son génie, il a cautérisé ses blessures de guerre et conjuré la noirceur de la vie.
Charlier a longuement hésité avant d’oser imager les petites annonces de l’Os à moelle. Mais l’envie de remettre en lumière leur fulgurance, était plus forte. Comme l’a dit Claes Oldenburg, le rire élargit la vision. Pour Charlier, c’est plus qu’un réflexe, c’est un mode d’emploi.
La maladie rapproche les êtres. Robert et moi étions atteints du même mal incurable : la collectionnite aiguë. Il était plus atteint que moi dans la mesure où il poussait les diverses recherches plus loin, allant même jusqu’à collectionner les chasses de cabinet. En l’occurrence, il faut bien admettre que c’était d’une originalité folle. Plusieurs fois par semaine, nous nous téléphonions pour nous informer de nos trouvailles dans le domaine du jazz. Nous demeurions, l’un et l’autre, d’un calme olympien lorsque le rival annonçait une découverte sensationnelle que nous recherchions tous les deux et que l’un de nous ne possédait pas. En dépit de vives crampes d’estomac et de vertiges subits, nous tentions, chacun à notre tour, de minimiser la nature du trésor éventuel. Nous n’étions pas dupes de cette comédie passablement infantile. D’autant plus que notre passion commune suscitait une estime et, mieux, une amitié réciproque. Robert fut le premier et pratiquement le seul à s’intéresser à l’histoire du jazz belge. Son flair prodigieux, cette quasi-obsession de vouloir résoudre une énigme, l’a mené du milieu du XIXe siècle à ce funeste jour du 27 février 2001, à 13 h, où il a plié avec soin son ombrelle, car il était méticuleux.
Dès l’âge de six ans, subjugué par Louis Armstrong et Sidney Bechet qu’il entend à la radio, il s’inscrit au cours de percussion de l’Académie de musique de Schaerbeek et peaufine ses connaissances avec l’excellent batteur Johnny Peret. Très rapidement, il sera confronté à des musiciens de haut vol : Philip Catherine, Lou Bennett, Toots Thielemans, Sadi, René Thomas ou encore Jack Sels. Robert et Philip Catherine enregistrent Stop de Charlie Mingus et Grelots de Philip Catherine en tant que lauréats du tournoi provincial de jazz de 1967. Ce 45 tours, aujourd’hui rarissime, a été produit par le service de la jeunesse de la Province de Brabant. Cet enregistrement est souvent considéré comme étant le premier de Philip Catherine. En réalité, il est précédé d’un 33 tours 25 cm intitulé Finale du Grand Prix de Belgique des Variétés. En mai 1960, Philip y joue le célébrissime Nuages.
Robert Pernet fut le premier, dans notre pays, à considérer la batterie en tant qu’instrument mélodique et, ainsi qu’aiment le dire les aficionados, à jouer léger. Raison pour laquelle il retint l’attention du saxophoniste Babs Robert qu’il accompagnera dans tous les festivals durant une dizaine d’années. A Montreux, il recevra le prix du Meilleur Accompagnateur (1967). A l’instar des musiciens de sa génération, il s’intéressera un court moment au free jazz. Sa sensibilité le poussait à entrer de plain-pied dans l’univers plus constamment créatif du trio de Charles Loos, avec Jean-Louis Rassinfosse à la basse. Cette collaboration lui permit d’appliquer les leçons enseignées par Max Roach et Shelly Manne avant qu’il ne découvre les vertus de sa propre nature créative.
Son rôle de musicien ne lui suffit guère. En 1966, la parution de Jazz in Little Belgium passe quasi inaperçue, sauf pour les amateurs pointus, alors qu’il s’agissait d’un travail capital et sans équivalent en dépit de ses lacunes. Robert Pernet en était conscient. À plusieurs reprises, il m’a fait part avec franchise de sa difficulté à aborder l’écriture. En vérité, son livre était attachant pour ce qu’il contenait de chaleur humaine, d’obstination dans la recherche, d’approche objective du jazz et, surtout, de découvertes discographiques généralement ignorées.
La discographie, voilà la grande affaire de Robert Pernet ; un domaine dans lequel il demeure encore aujourd’hui imbattable. Atteint d’une implacable maladie, il eut le courage de terminer l’œuvre de sa vie, Belgian Jazz Discography, le témoignage le plus exhaustif de tous les enregistrements de jazzmen belges de 1897 à 1999. Depuis, je n’imagine personne en Belgique susceptible d’être capable de poursuivre cette œuvre unique. La discographie est une science. Pernet était le seul à la traiter en grand professionnel. Lorsqu’il est parti rejoindre David Bee, Gus Deloof et Stan Brenders, son épouse Janine a eu la bonne réaction, en souhaitant préserver l’immense collection de son mari sur le jazz belge, de la céder à la Fondation Roi Baudouin. Sauver une telle collection était un devoir sacré. Devenus patrimoine national, ces trésors peuvent être consultés par les chercheurs à la bibliothèque du musée des Instruments de musique (MIM) à Bruxelles. Il va de soi que je n’aurais pu entreprendre cette étude sans avoir accès aux investigations dictées par la ferveur du tout premier historien du jazz belge.
Robert Pernet souhaitait que son existence et son esthétique, dans le dédain des compromissions, soient marquées par une approche de la perfection, ne s’aventurant que dans la discipline de son excellence.
Ces quelques lignes constituent l’avant-propos de l’Histoire du jazz en Belgique que Marc DANVAL a publié en novembre 2014. En termes de quatrième de couverture, l’ouvrage ne s’en tire pas trop mal : “Mis à part quelques essais fragmentaires et une remarquable Belgian Jazz Discography de Robert Pernet, il n’existait guère une Histoire du Jazz en Belgique, s’échelonnant de la préhistoire de cette musique à nos jours avec la relève des jeunes. Sans chauvinisme hors de propos et armé de rigoureuses preuves à l’appui, Marc Danval révèle l’héritage de l’Afrique (Congo), la découverte du Mississippi par un Belge, le père Hennepin ou encore l’invention du saxophone par le Dinantais Adolphe Sax. La Belgique vit naître, sur le plan mondial, le premier découvreur et historien du jazz, Robert Goffin ; et en Europe, le premier magazine spécialisé Music, le premier big band (The Bistrouille), la naissance de Django Reinhardt en notre Hainaut ou Comblain-la-Tour, le père des festivals européens. Pour la première fois, Marc Danval nous parle de l’existence du premier jazzman belge aux États-Unis, Omer Van Speybroeck, et de la première chanteuse de blues Évelyne Brélia ; deux noms totalement inconnus à ce jour. D’autres découvertes de ce chercheur passionné nous attendent dans cet ouvrage…” Pour les sceptiques, la seule table des matières (ci-après) peut témoigner de la qualité de ce travail rare (et ce n’est pas notre ami Jean-Pol Schroeder qui dira le contraire…) :
L’héritage de l’Afrique
Adolphe Sax, le père du saxophone
Louis Hennepin, un Belge découvreur du Mississippi
La folie du cake-walk
Le ragtime belge
Le jazz s’est révélé en 1910 à l’Exposition universelle de Bruxelles
Le choc des Mitchell’s Jazz Kings
Les premiers jazz bands
Évelyne Brélia, la première interprète de blues en Belgique
Indiana Jones entendit la voix méprisante de l’Obersturmführer Ostuf von Graz résonner dans son dos : “Redournez-vous lendement, Doktor Jones, et donnez-moi ce garnet segret ! Si vous faites un zeul moufement brusque, votre jeune compagnon rejoindra ses anzêtres megzicains…“
Indiana Jones savait que l’immonde militaire avait le canon de son Lüger pointé sur le front du jeune Kapak, son seul vrai ami dans le pays. Ah, combien de fois ce jeune voyou ne l’avait-il pas tiré d’un mauvais pas ? Il avait grandi dans les rues les plus pauvres de Tula mais faisait montre d’une noblesse et d’un courage rarement rencontré chez les populations indigènes. Oui, c’était un fameux lascar, Kapak ! Autre chose que cette Barbie von Mattel qu’on entendait hurler dans la cour de l’hacienda, poursuivie qu’elle était par les chiens de l’officier nazi. Hier soir, Indy aurait pu l’aimer mais Kapak avait fait éclater sa forfaiture au grand jour et, dès que la pulpeuse blonde fut bien ligotée dans les écuries, notre héros s’était paisiblement endormi en rêvant de Marion Ravenwood.
Mais l’heure n’était pas au romantisme, il fallait agir : bombant légèrement le dos, Indiana Jones put dissimuler à l’ignoble traître qu’il échangeait le manuscrit toltèque tant convoité avec le carnet de poésie de la grand’mère de Kapak. Par coquetterie, celle-ci rédigeait ses souvenirs et ses sapiences en langue ancienne : l’officier n’y verrait que du feu…
L’archéologue se retourna lentement ; il se redressa bien droit et fit face au menaçant militaire, ses yeux d’acier plongés dans le regard décadent de l’officier. “Vous afez le regard de Pop Morane, dit en souriant l’odieux homme de guerre, mais plus bour très longtemps, Jones. Tonnez-moi le garnet !” Avec une rapidité surprenante, Indiana Jones jeta le livret de l’abuela au visage du nazi qui, complètement désarçonné, tomba à la renverse par la fenêtre de la grange restée grande ouverte. Carnet et militaire atterrirent en même temps dans la bauge des cochons voisine.
Trois coups de feu avaient été tirés par l’arme allemande, encore fumante sur le sol, et Indy chercha immédiatement le garçon des yeux. Kapak était sain et sauf, assis par terre dans un coin de la grange. Il fixait notre héros avec le regard furieux d’un ancien empereur dressé au sommet de la pyramide de Tula ! “Tu le laisses partir avec le carnet secret des anciens Toltèques, Indy ! Tu aurais dû le laisser m’abattre et fuir avec ce trésor, pour sauver l’honneur de mes ancêtres !“
Indiana Jones le regardait en souriant et on entendait au loin le bruit de succion que faisaient les bottes jusque-là impeccablement cirées du nazi. Il pataugeait parmi les cochons mais il ne les voyait pas : sa joie était si grande d’enfin posséder le carnet secret des anciens Toltèques. Il ne manquerait pas de le faire traduire en allemand, dès son retour à Berlin. Et ce serait la gloire…
Du moins le pensait-il. L’archéologue voyait les choses autrement et s’en amusait. Il expliqua au gamin la substitution et ils éclatèrent de rire tous les deux, à l’idée de la mauvaise surprise qui attendait le tortionnaire nazi. Épuisés mais contents, les deux héros échangèrent un regard complice puis leurs yeux se posèrent en même temps [travelling avant] sur le mystérieux ouvrage, qui brillait dans la lumière ocrée des bougies.
A Berlin, von Graz n’attendit pas l’approbation du haut-commandement pour faire traduire le document par un vieil ésotériste russe du nom de Serguei Nilussovitch. L’homme vivait caché car il avait déjà eu des ennuis avec les autorités et, lorsqu’il réalisa la méprise de von Graz, il décida de lui donner à lire ce qu’il voulait lire. Traduttore, tradittore : les sapiences de la grand’mère de Paco Kapak furent adaptées afin de ressembler à un texte de sagesse ancienne. Nilussovitch pensait à un titre accrocheur du genre Les dix petits Andins mais il dut renoncer et simplifier le contenu de l’opuscule. C’est ainsi que le carnet de poésie de grand’mère Kapak devint Les très riches enseignements de Muti la Toltèque. Si le titre a encore changé par la suite, commerce oblige, la sagesse de bonne fame de la grand’mère a traversé les âges et se résume en cinq recommandations, pleines de bon sens, qui se présentent sous la forme d’accords que l’on passe avec soi-même :
“Que ta parole soit impeccable” fait penser à des propos attribués au mythique Salomon (Ancien Testament), à savoir que “Le sage tourne sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler” ;
“N’en fais pas une affaire personnelle.” Il y a longtemps également, dans l’Antiquité, Épicure utilisait ce précepte pour écarter la peur des dieux. Les dieux, insistait-il, ont autre chose à faire que de s’occuper spécifiquement de ta petite personne. Il en va de même pour ton prochain ;
“Ne fais pas de suppositions” rappelle qu’il n’est pas question de juger quelqu’un sur sa réputation ou sur ce que nous fabulons de ce qu’il/elle aurait en tête. Qui plus est, il n’y a pas de pensées coupables ; il n’y a que des actes illégaux ou inacceptables ;
“Fais toujours de ton mieux.” Paraphrasera-t-on avec le “Vingt fois sur le métier, remets ton ouvrage” de Boileau (Art poétique, 1674) ou avec le bien connu – mais peu digéré – “Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front” ? Il est tellement vrai que la médiocrité ne peut être un but et “qu’on ne peut réduire les autres à l’ordinaire que si, fort de sa propre médiocrité, on se juge supérieur.”
“Sois sceptique mais apprends à écouter.” C’est Nancy Huston qui écrit dans L’Espèce fabulatrice combien nous sommes compulsivement créateurs et consommateurs de fictions, qu’elles soient collectives (on les appelle alors religions, légendes, dogmes, explications du monde…) ou personnelles (on les appelle alors complexes, traumas, discours d’emprise…). Dans un cas comme dans l’autre, le doute se doit d’être méthodique et toute pensée doit pouvoir rester un exercice de pensée : “Tourne sept fois ta fiction dans la tête avant d’agir.“
Fin de la parenthèse. Lorsque Nilussovitch remit la traduction imprimée à von Graz, la colère de ce dernier n’eut pas de mesure. De qui se moquait-on ? Quels étaient donc ces Toltèques dont la sagesse multi-millénaire ressemblait à un ramassis de sapiences populaires, juste bonnes à orner un almanach bavarois ! L’homme était soupe-au-lait : il affréta immédiatement un U-Boot et envoya Nilussovitch croupir dans une geôle secrète d’Amérique centrale (là même où il trouva refuge après la guerre) pendant que ses sbires recevaient pour mission d’organiser l’autodafé intégral des copies imprimées du livre et de leur original.
Personne n’a le détail de la suite mais la mission des nervi de von Graz s’est probablement soldée par un échec. Étrangement, le grimoire de l’abuela fut redécouvert par un chamane mexicain et publié en 1997 aux USA. Un coup de pub formidable fit son succès, lorsqu’une influenceuse américaine en fit la promotion télévisée : l’ouvrage se vendit à des millions d’exemplaires, sous le titre Les quatre accords toltèques, puis un autre livre sur le cinquième accord toltèque parut qui connut un succès similaire. Toute la sphère du développement personnel a vibré de la découverte et les déclinaisons du concept font encore les beaux jours de leurs éditeurs ou des coachs et consultants qui se sont appropriés les Accords toltèques comme outil de travail. Peut-être justice sera-t-elle faite un jour à la sagesse de Mamy Kapak ; peut-être la marchandisation des Accords ira-t-elle jusqu’à commercialiser des posters de la grand’mère, dessinés par Andy Warhol, vendus à côté de tarots toltèques et des serpents à plumes en baudruche..
Indiana Jones n’a jamais rien su de ces péripéties et il était tout aussi pressé de rentrer au pays pour travailler sur la traduction du grimoire toltèque, le vrai. Ses collègues mexicains furent très heureux de pouvoir contribuer à cet événement scientifique et se mirent immédiatement au travail : les archéologues comme les philosophes du monde entier allaient enfin savoir ce que signifiaient les trois signes du fameux trigramme toltèque.
Il a fallu plusieurs années de labeur pour lever un coin du voile : le texte à traduire était frappé du fameux trigramme et les trois signes se retrouvaient magnifiquement historiés en tête de trois paragraphes dont l’équipe du Dr Jones ne doutait pas qu’ils recelassent de précieux enseignements.
Ils ne se trompaient pas, comme Jones l’a expliqué au cours de la conférence de presse tenue ensuite dans la grande salle académique : “La traduction de ce petit opuscule nous a fait découvrir beaucoup plus qu’un simple recueil de sagesses. Il est amusant que le document ait été sauvé par un échange furtif, comme vous le savez, avec le carnet de notes de l’aïeule de mon compagnon Kapak. Le garçon m’avait déjà fait part du bon sens de son abuela, de sa grand’mère, qui était devenu légendaire dans la région. On venait de loin pour l’écouter et elle avait réussi à formuler cinq préceptes, qu’elle distillait selon les besoins de son interlocuteur. Le parallèle s’arrête là néanmoins : si les cinq préceptes de la grand’mère de mon ami permettaient à chacun, après un minimum de réflexion, d’identifier un comportement plus ou moins toxique et de travailler à le réformer en respectant une sorte de catéchisme, le texte du trigramme toltèque frappait ailleurs et… plus fort !
De la même manière que l’Atlantide représentait un summum de civilisation aux yeux de Platon, c’était également le cas pour les Toltèques ! Non pas qu’ils fussent entré en contact avec des Atlantes – quoique certains passages du texte nous laissent dubitatifs à ce sujet – mais les auteurs du document racontent l’ascension et la chute d’une civilisation antérieure à l’empire toltèque, située sur une île au large de Tula. Comme pour l’Atlantide, les savants de cette Cité antique auraient réussi à domestiquer une énergie inépuisable, sœur du Soleil, et l’absence de contraintes en résultant pourrissait lentement une civilisation qui n’avait su convertir en otium (le “loisir de qualité” des Romains) cette liberté gagnée grâce à différents dispositifs énergétiques. L’oisiveté percolait dans toutes les couches de la population et des édiles malveillants se mirent à brandir des oriflammes frappés d’une devise qui tenait en trois mots : PROGRES – SUCCES & NORME.
S’ensuit, dans le texte, une brève description de chacun des éléments de la devise : le progrèsdevait motiver toutes les décisions de l’assemblée des sages ; il fallait aller de l’avant, faire toujours plus et toujours mieux ; toute recherche de statu quo équilibré était considéré comme une lâcheté devant la nécessité de générer des choses nouvelles dont les avantages ne manqueraient pas d’être ressentis par tous par la suite ; les ressources énergétiques infinies n’entravaient en rien cette volonté (même si la dépendance envers les différents dispositifs déshumanisait lentement le peuple de l’île). L’émotion du peuple était suscitée à travers le succèsdes membres de la caste supérieure et, loin de cautionner des actes d’héroïsme qui dénoteraient chez eux un surcroît d’humanité, le succès en fait dépendait de la visibilité que chacune de ces vedettes réussissait à gagner sur la place publique : on devenait célèbre parce qu’on était connu. La normeétait quant à elle devenue un outil des dirigeants de l’île : il leur était plus facile de régenter la vie de citoyens similaires, aux réflexes les plus standardisés possible. De même, le point de départ de toute réflexion individuelle devenait la norme même : malheur à celui (ou celle, car cette civilisation était assez égalitaire) qui divergeait, qui ne suivait pas ce que tous considéraient comme le plus normal. La question n’était plus de savoir ce qui était légal ou pas mais, de manière plus totalitaire, si chacun pensait bel et bien selon le mainstream.”
Sur ces mots, Indiana Jones se tourna vers le recteur de l’université qui demandait la parole. “Qu’on se souvienne, dit ce dernier avec le sourire, des mots de notre Mark Twain national. Il disait : ‘A chaque fois que vous vous retrouvez à penser comme la majorité des gens, faites une pause, et réfléchissez.’“
Une onde de sympathie traversa le public réuni dans la salle puis le Dr Jones reprit la parole : “Le texte est peu dissert sur la manière dont cette civilisation disparut ensuite. Il évoque une apparition du Serpent à plumes autour de l’île, qui aurait menacé les populations de cet Atlantide toltèque de disparition s’ils elles ne se réformaient pas. Dont acte. Les auteurs du manuscrit semblent en fait plus intéressés par le message de sagesse qu’ils voulaient y consigner : selon eux, loin d’exiger que chacun change son comportement individuel, le Serpent à plumes appelait les insulaires à mener ce que l’on appellera bientôt un changement de paradigme.” Silence dans la salle. L’archéologue reprit la parole après une pause un peu théâtrale : “La devise décadente qui a accompagné la disparition de cette civilisation insulaire, à savoir “Progrès, succès & norme“, trouve dans la suite du texte son exact contrepoint, tant et si bien que mes collègues et moi-même pensons diviser le document en deux parties : une introduction quasi-mythologique (la décadence de la civilisation insulaire) puis l’enseignement initiatique lui-même, qui apparaît comme l’objet réel de la rédaction du texte. Nous en voulons pour preuve l’utilisation du trigramme dont nous avons traduit les trois symboles, plus précisément un C, un S et un D. C-S-D.“
Kapak était de la fête et il se leva de l’angle de la table des conférenciers en montrant un panneau reproduisant le trigramme en grand. Jones reprit : “Ce trigramme figure au sommet de chaque page du document puis apparaît, éclaté en trois grandes lettrines C puis S puis D, à l’entrée de trois paragraphes centraux du texte. C’est en opposant chacun des termes ainsi mis en évidence aux trois éléments de la devise décadente que nous avons pu établir le sens du trigramme toltèque : traduits dans notre langue, le C est l’initiale de COOPÉRATION que les sages auteurs du texte opposaient à ‘succès’ ; le S est la première lettre de SUBSISTANCE, qui est une alternative au concept de ‘progrès’ et, le D commence le mot DIVERSITÉ dont on ne doute pas qu’il s’oppose à ‘norme’. Nous aurions voulu vous donner plus d’explications à ce propos mais les pages concernées sont prises dans les moisissures et nous serions condamnés à faire des suppositions sur ce message de sagesse si…”
C’est alors qu’il se tourna vers son jeune compagnon qui, tremblant d’émotion, allait connaître son moment de gloire. Kapak pris la parole et continua la phrase de Jones : “…si ma famille n’avait perpétué cet enseignement à travers les siècles et si je n’en avais pas bénéficié moi-même. Voici plusieurs mois que je vis ici, avec le Dr Jones, et le moins que l’on puisse dire, c’est que j’ai encore du travail à faire pour m’adapter. Je vois des jeunes gens de mon âge qui ressemblent étrangement aux citoyens de l’île disparue : ils sont baignés d’histoires de vedettes, suivent les amours contrariées d’acteurs de cinéma et s’identifient à de mystérieux super-héros ou à des joueurs de base-ball. Dans notre quartier, au bord de la campagne, les héros, c’étaient ceux qui avaient reçu leur première gorgée de pulque parce qu’il avaient participé à la construction de l’estrade des fêtes du Printemps. On mesurait nos héros selon le degré de coopération dont ils avaient fait preuve. De la même manière, chez nous, pas question de vouloir absolument une machine à laver ou une voiture ‘parce que c’est l’avenir’. L’avenir, justement, on y prêtait beaucoup d’attention et on évaluait toujours les choses nouvelles avec un critère : est-ce que cela apporte des lendemains partagés par tous, sans détruire la nature qui nous alimente. Avec le Cadran d’Archimède d’Indy, on s’est rendu compte que le mot ‘subsistance’ ne sera utilisé dans ce sens-là qu’au début du XXIe siècle, et d’abord par des éco-féministes (ne me demandez pas ce que c’est). Quant au mot ‘norme’, pour nous, c’était plutôt un sujet de rigolade : il n’y a pas plus différents que chacun d’entre nous ; dans mon quartier, il y avait vraiment de tout et, pardonnez-moi l’expression, on s’en foutait un peu de la norme, parce qu’on n’avait pas vos règles de religions et de morale, de ce qu’il faut et de ce qu’il ne faut pas faire. Tant que ça marche ! La diversité, pour nous, c’était la règle ! Et on était toujours content quand on arrivait à réparer un mur tous ensemble, malgré toutes nos différences, ou qu’on chantait tous ensemble aux fêtes de la Lune, avec les fausses notes…”
Il n’en fallait pas plus pour que l’audience se lève et applaudisse le jeune homme, fort ému. Le Dr Jones leva la séance en promettant une parution prochaine de la traduction lacunaire du grimoire toltèque. Et qui sait, conclut-il, peut-être redécouvrirait-on les généreux enseignements du Trigramme toltèquedans un avenir proche.
Ce soir-là, alors que Kapak dormait à poings fermés dans le divan, épuisé qu’il était par son intervention, Indiana Jones pris le carnet toltèque dans les mains pour l’examiner une dernière fois. Demain, il rejoindrait les vitrines du musée de l’université et tout rentrerait dans l’ordre, pensa-t-il. C’était compter sans les cinq silhouettes en imperméable noir qui s’avançaient dans le couloir menant à son appartement…
Né en 1986, Sébastien VAN MALLEGHEM est un photographe indépendant, né en Belgique en 1986. Axé sur des projets de longue haleine, il a suivi pendant quatre ans le quotidien nocturne des policiers et poursuivra son reportage sur la justice dans les prisons belges durant plus de trois ans. Il terminera sa trilogie à propos de la Justice en travaillant sur le monde criminel. En parallèle, Sébastien photographie la Scandinavie entre 2013 et 2016, un travail qui va aboutir sur la publication d’un livre en 2017. (d’après 24H01.BE)
Cette image fait partie de la série Nordic Noir, prise entre 2012 et 2016 en Scandinavie. Le livre issu de cette série est paru en septembre 2017 aux éditions André Frère. Dans cette série, “sa veine documentaire cède le pas à une dimension plus poétique et introspective. Épris des terres scandinaves depuis une résidence en Norvège, Sébastien Van Malleghem a poussé depuis lors ses pérégrinations du Danemark à l’Islande, en passant par la Finlande et la Suède. Nordic Noir est le récit visuel de ce périple contrasté. Avec ses paysages à couper le souffle et hors du temps, ses scènes de vie ou portraits acides, la série tient davantage de la constellation que du chemin linéaire. Dans l’éclatement des émotions qui la composent, le photographe saisit la juste mesure entre le sublime et le banal, le grandiose et l’intime.”
Stéphane Martini commence la guitare à l’âge de 13 ans, jouant à la fois du classique (études au Conservatoire de Liège) et du folk (chansons de Dylan, Pete Seeger, etc.) A partir de 1970, il accompagne différents chanteurs et découvre parallèlement le jazz et la bossa. En duo avec André Klenes, il travaille les compositions de Jobim, L. Almeida, etc. et commence à participer aux jam-sessions liégeoises.
Ayant terminé ses études musicales, il enseigne en académie dès 1975 tandis qu’il suit lui-même de nombreux stages de jazz et de musique brésilienne, notamment avec José Barrense Dias. Il effectue son premier voyage au Brésil. Dans un registre plus proche il étudie avec le guitariste américain Bill Frisell. Il écrit et joue ses premières compositions (pour lesquelles il reçoit un prix à Fort-de-France, en Martinique) au sein de ses propres formations, Papagaio et Sao Jao, dans lesquelles défileront des musiciens comme André Klenes ou Michel Hatzigeorgiou, Antoine Cirri ou Mimi Verderame, Lucky Vandevelde, Mustapha ou Toni Reina.
Stéphane Martini se spécialise de plus en plus dans un jazz fortement teinté de musique latine et d’influence afro-cubaine. Il se produit dans différents festivals : Festival de la Guitare à Liège, Gouvy, Ostende, etc. et joue dans le trio de Jean Linsman. En 1986, il enregistre un premier album à son nom. En août 1987, il part pour New York, étudie à l’Université de Brooklyn (où il retrouve Pierre Vaiana et Kris Defoort), participe à différentes jam-sessions et côtoie les frères Gonzales, spécialistes de la salsa. De retour en Belgique en février 1989, il reforme Papagayo avec, en invitée, la flûtiste américaine Ali Ryerson. Il joue également dans un contexte plus intime en duo avec le percussionniste Toni Reina…
En l’an 730 de Rome (24 ans avant J.-C.), le Sénat décida que le mois de sextilis (le sixième à partir de mars) prendrait le nom d’Augustus, en mémoire des nombreux services rendus par l’empereur Auguste. D’Augustus nous avons fait Aoust, puis Août. Les Anglais et les Allemands ont exactement conservé le nom romain de ce mois et l’appellent August et Augustus.
On raconte que ce fut l’empereur Auguste lui-même qui provoqua le vote spontané et unanime du Sénat. Et comme sextilis n’avait que trente jours, il en fit ajouter un trente et unième, afin que le mois portant son nom ne fût pas plus court que celui consacré à Jules César ! Pour ne pas modifier la durée de l’année, le jour supplémentaire d’août fut retranché à février, qui jusque-là avait eu 29 jours dans les années ordinaires et 30 jours dans les années bissextiles.
Le mois d’août amène chaque année le retour d’un intéressant phénomène astronomique : l’apparition des étoiles filantes. C’est également en août qu’apparaissent ces globes de feu, de couleur et de grosseur variables, qui semblent courir dans le ciel et qui tout à coup font explosion. On les appelle bolides, du mot grec bolis, trait. Ils se distinguent des étoiles filantes en ce qu’ils sont plus gros et en ce que leur disparition est accompagnée d’une détonation parfois très violente.
En août, la température est encore élevée et, bien que la moyenne descende à 18,5° (elle était de 18,9° en juillet), nous devons compter sur un grand nombre de journées chaudes et orageuses. D’ailleurs tous les ans, vers le 15 août, la température s’élève d’une manière sensible ; ce phénomène, bien connu des agriculteurs, est attribué à la Vierge d’août. Le 18 août finit thermidor et commence, dans le calendrier républicain fructidor, le mois des fruits.
En août se termine la moisson ; nous sommes en pleine fête de l’agriculture. Mais, pour que les opérations de la moisson puissent s’accomplir sans difficulté et donner le résultat le plus favorable, il faut peu de pluie an commencement d’août, une bonne pluie au milieu du mois et un temps sec dans la seconde quinzaine. C’est ce qu’indiquent les proverbes :
Quand il pleut le premier août,
C’est signe qu’il n’y aura pas de regain.
De Saint-Laurent à Notre-Dame
La pluie n’afflige pas l’âme
Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…
Le liégeois Roger Dehaybe (né en 1942 à Saint-Ghislain), ancien n°2 de la francophonie dans le monde, est décédé ce vendredi à l’âge de 81 ans. Durant toute sa vie, ce romaniste liégeois se battit inlassablement pour faire rayonner la langue française dans le monde.
[AGORA-FRANCOPHONE.ORG, 13 avril 2021] Rencontre chaleureuse et éclairante avec Roger Dehaybe qui a tenu les rênes du Commissariat général aux relations internationales de la Communauté française de Belgique avant de prendre celles de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie. Un itinéraire de plus de 20 ans, retracé dans son livre Le choix de la Francophonie, un parcours belge et international paru aux Éditions du Cygne, qu’il évoque, avec nous, en toute franchise.
Nouvelles de Flandre : Parlez-nous de vous…
Roger Dehaybe : Je tiens tout d’abord à vous remercier de m’accueillir dans vos colonnes. Je connais votre association et je sais les efforts que vous développez pour permettre à nos compatriotes francophones de Flandre de, tout simplement, ne pas renoncer à leur culture ! Un Liégeois est bien placé pour comprendre cet attachement à notre langue ! Notre grande fête : le 14 juillet ! Je me suis intéressé très tôt à la langue française et je me destinais à son enseignement ; j’ai donc suivi des études de philologie romane. Durant mes études à l’université de Liège, j’ai fondé avec quelques amis une compagnie théâtrale : le théâtre de la Communauté, toujours actif et initiateur dans notre Communauté française du théâtre action.
N.d.F. : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la Francophonie ?
R.D. : Militant politique, j’ai participé à plusieurs cabinets ministériels. Culture, Éducation, Economie aux cotés de Pierre Falize, de Jacques Hoyaux, de Jean-Maurice Dehousse. Ces fonctions m’ont mis très tôt en contact avec d’autres pays francophones et m’ont fait découvrir la créativité de bien des sociétés en même temps que les difficultés de bon nombre de pays du Sud. J’ai perçu aussi l’intérêt pour les francophones belges de nouer des partenariats avec d’autres peuples francophones et perçu la force du multilatéral fondé sur une communauté linguistique pour apporter des réponses collectives aux grands défis, diversité culturelle, éducation, protection des minorités… J’ai découvert aussi que mon pays, la Belgique, était sans doute le seul pays du monde à considérer la langue française non comme une langue internationale mais comme une langue régionale !
N.d.F. : Quelles sont les principales étapes de votre parcours professionnel ?
R.D. : Après mes études, j’ai travaillé 2 ans à la RTBF Liège et ai contribué à la mise en place de Radio-Télévision Culture (RTC) aux côtés de Robert Stéphane. Ensuite, j’ai occupé des fonctions dans l’administration de l’Université de Liège, notamment celle de directeur de résidence universitaire et responsable des relations extérieures. J’ai été le directeur de cabinet de Jean-Maurice Dehousse, Ministre de la Culture en 1977 et en 1980 à la Présidence du gouvernement de la Région Wallonne. C’est durant cette période que j’ai noué avec Charles-Etienne Lagasse, directeur de Cabinet de François Persoons, des liens très forts qui me permettront de mieux comprendre les problèmes rencontrés par les Francophones de Bruxelles. En janvier 1983, Charles Etienne sera un de mes adjoints pour mettre en place l’instrument de politique extérieure des francophones de Wallonie et de Bruxelles, le CGRI aujourd’hui WBI. En 1997, lors du Sommet francophone de Hanoï, j’ai été nommé administrateur général de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (aujourd’hui l’OIF) aux côtés successivement des Secrétaires Généraux Boutros-Boutros Ghali et ensuite, le Président Abdou Diouf, jusqu’en 2006, où j’ai été désigné Commissaire de l’année Senghor.
N.d.F. : Quel est votre meilleur souvenir au cours de votre carrière ? Et le pire ?
R.D. : Le meilleur souvenir est, certainement, la participation de la Communauté française de Belgique au premier Sommet de la Francophonie, en février 1986. Une reconnaissance formidable de notre capacité internationale. Avec Lucien Outers, notre premier Délégué général à Paris, nous étions parvenus à convaincre les partenaires, surtout la France pays hôte, de nous accueillir sur un pied d’égalité avec les États. À l’époque, une vraie première et un statut que nous enviaient nos amis québécois. Mon principal regret, sans doute mon incapacité à convaincre les autorités de la Francophonie de réunir au moins une fois les représentants des 32 gouvernements des entités ou pays qui ont la langue française comme une de leurs langues nationales. A mon sens, ils devraient constituer le noyau dur de la Francophonie. Il est donc urgent de faire le point sur leurs difficultés et leurs besoins.
N.d.F. : Lors de nos reportages, plusieurs intervenants ont pointé du doigt le manque de visibilité de la Francophonie. Que leur répondez-vous ?
R.D. : Selon moi, c’est le message confus de la Francophonie qui est la cause de ce manque de visibilité. Comment faire comprendre que cette Francophonie réunit des pays qui, de fait, n’ont aucun rapport à la langue française ? Comment faire prendre au sérieux le discours de la Francophonie sur l’égalité femme-homme alors qu’elle accepte en son sein le Qatar comme associé et comme observateurs la Hongrie, qui refuse de signer la convention d’Istanbul contre la violence faite aux femmes, et la Pologne, qui interdit l’IVG ? Comment convaincre que la Francophonie est un acteur de la démocratie politique quand on voit la situation confuse de tant de pays membres ?
N.d.F. : Dans votre livre, vous expliquez que, suite à la réduction des moyens disponibles, la Francophonie doit cesser de se disperser et s’attacher à des chantiers prioritaires (p. 153). Quels sont ces chantiers prioritaires ?
R.D. : En 2007, le budget disponible pour les programmes de coopération s’élevait à 52 millions d’euros (sans les salaires). En 2021, ce budget n’est plus que de 22,5 millions. Un montant dérisoire quand on connait les besoins des pays membres et le nombre de projets envisagés ! Il est donc plus qu’urgent de resserrer les actions sur des programmes pour lesquels la Francophonie peut apporter effectivement une plus-value. Donc, à mes yeux, principalement tout ce qui touche à la langue française et à la diversité culturelle, à l’éducation…
N.d.F. : Qu’apporte la Francophonie à la Fédération Wallonie Bruxelles et vice versa ?
R.D. : La Francophonie est un espace extraordinaire de coopération pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. Des liens étroits ont pu se nouer avec d’autres gouvernements francophones mais aussi, et c’est également important, entre des institutions, des associations, des créateurs. La Fédération est reconnue comme un partenaire prioritaire, non seulement à cause de son apport financier (la FWB est le 3ème bailleur de la Francophonie après la France et le Canada) mais surtout, à cause du haut niveau de ses experts impliqués dans les programmes de l’OIF et des opérateurs. Par exemple, nos universités sont bien actives au sein de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) et la RTBF est une des chaines fondatrices de TV5 Monde. Notre participation à la Francophonie aux côtés de grands États constitue également au plan interne, une affirmation politique forte de notre capacité internationale.
N.d.F. : Comment voyez-vous l’avenir de la langue française dans le monde ?
R.D. : Je ne suis pas pessimiste car la démographie peut nous rassurer. L’Afrique francophone connaît une progression aussi rassurante pour la langue qu’interpellante pour le développement. Les chiffres en attestent. C’est, effectivement, la démonstration de l’utilité du français pour le développement de ces pays qui les convaincra de garder cette langue commune en partage. L’avenir de notre langue est donc lié à la place que nous parviendrons à lui garder pour le développement du Sud. Mais la langue française doit aussi apparaître pour l’ensemble du monde, Nord comme Sud, comme porteuse de modernité. Je me réjouis, à cet égard, que le Sommet de 2021 (Tunisie) soit consacré à la question du numérique, de l’accès et des contenus en français. Nous devons aussi tirer les vraies conséquences du Brexit car c’est l’anglais qui se positionne en concurrent de notre langue et je comprends mal pourquoi certains entendent maintenir une place aussi importante à l’anglais dans les échanges européens.
N.d.F. : Que pensez-vous de l’isolement de la minorité francophone en Flandre ?
R.D. : Une situation regrettable et qui devrait davantage mobiliser les francophones. La Francophonie prétend exprimer son soutien aux peuples francophones. Ainsi, les minorités francophones de bien des pays bénéficient de la solidarité active de l’OIF et de ses opérateurs. Par exemple, les 3.000 francophones de Sainte Lucie, les 80.000 du Vanuatu, les 120.000 de Chypre, les 128.000 de Lituanie… Mais qui se préoccupe des 310.000 francophones de Flandre ? Ne peut-on imaginer que la Francophonie apporte son soutien à l’APFF afin que celle-ci puisse aider des associations situées en Flandre pour poursuivre leurs activités en français ? Sans doute, vu notre organisation politique interne, la Fédération Wallonie Bruxelles ne peut intervenir pour des activités qui se situent sur le territoire de l’autre Communauté mais, puisque la Belgique fédérale est membre de la Francophonie elle devrait soutenir une telle démarche !
Il y a plus d’une trentaine d’années, le regretté Bernard Delvaille publiait aux éditions Pierre Seghers une volumineuse anthologie intitulée La nouvelle poésie française. Les auteurs présentés avaient, pour les aînés, la quarantaine à peine, quant au plus jeune, il s’appelait Eugène Savitzkaya et il avait à peine vingt ans. Une anthologie qui devait faire date, même si elle fut mal accueillie par les bien-pensants de l’époque et les critiques officiels qui l’avaient prise “pour un panthéon, pour une image définitive de la poésie d’aujourd’hui”.
Ainsi pouvait-on découvrir tout au long de ces quelque six cents pages, les avant-gardes de l’époque dont ces auteurs proches du Manifeste électrique aux paupières de jupes qu’avait signé Michel Bulteau en 1971 (je pense particulièrement ici à Serge Sautreau, Yves Buin ou Alain Jouffroy). Figuraient là aussi les proches des revues TXT comme Christian Prigent ou Jean-Pierre Verheggen, ceux encore qui gravitaient autour de la revue Tel Quel, Marcelyn Pleynet ou Denis Roche. Y apparaissaient aussi les noms de Daniel Biga, Pierre Dhainaut ou Lionel Ray… Un ouvrage visionnaire à plus d’un titre.
Quant aux quelques poètes belges présents dans cette anthologie, ils avaient pour noms Jean-Pierre Otte, Jacques Izoard, Eugène Savitzkaya, Christian Hubin, Jean-Pierre Verheggen, William Cliff, Michel Stavaux ou Daniel Fano…
Si aujourd’hui j’ai évoqué cette anthologie, c’est parce qu’il me semblait que je pouvais faire miens les propos de Bernard Delvaille lui-même lorsqu’il présenta à l’époque son travail. C’est que, je l’espère, nos desseins sont assez semblables. “Cette anthologie, écrivait Delvaille, est un livre d’humeur. Elle ne se veut pas consécration, mais ouverture et pari. Elle se voudrait avant tout subversive, car la poésie doit être subversive, voire, terroriste. Dans un univers encore – mais pour combien de temps ? – tout préoccupé de concurrence sociale, de conventions, de hiérarchies et de cette fatuité que donne le confort moral, la parole de Baudelaire se révèle plus vraie que jamais : ‘Tout homme bien portant peut se passer de manger pendant deux jours, – de poésie jamais.’” Qu’ajouter de plus à cette merveilleuse entrée en matière ?
Cette présente anthologie – que tout un temps j’avais pensé intituler, comme le livre de Macédino Fernandez paru chez Corti, Papiers de nouveauvenu et continuation du rien – est une lecture de poètes belges nés après mai 68. Exception faite de Yves Colley, né quelques semaines plus tôt, mais fallait-il l’exclure pour autant ? les plus âgés comme Laurence Vielle, Anne Penders et Théophile de Giraud sont nés aux alentours de ces événements qui marquèrent notre jeunesse à nous. Quant aux plus jeunes, ils n’ont pas encore vingt-cinq ans ou à peine, ils s’appellent Antoine Wauters, Raphaël Micolli, Kathleen Lor, Alexandre Valassidis, Nicolas Grégoire, Damien Spleeters ou encore Coton, et ils nous offrent déjà des pages d’une belle densité.
Quel regard dès lors poser sur ces “poètes d’après mai 68”, quelles constatations s’imposent, quelles leçons tirer de ces lectures ?
Le lecteur attentif aura ses propres réponses comme il aura ses propres sympathies pour tel ou tel autre poète. Mais quelques constantes paraissent déjà se dégager d’un tel travail.
Ainsi suis-je frappé par l’importance que prend aujourd’hui le poème en prose chez de nombreux auteurs, s’inscrivant dans la tradition d’un Michaux ou d’un Marcel Lecomte. Les poètes belges, il est vrai, ont souvent été tentés par ce type de forme fixe. Qu’on pense à Fernand Verhesen, Philippe Jones, Michel Lambiotte, André Balthazar ou Gaspard Hons, nos poètes ont souvent travaillé cet espace singulier que représente le poème en prose. Mais ici, plus qu’à d’autres moments, le poème en prose s’impose comme un genre fréquenté par nombre d’entre eux : qu’il s’agisse de Ben Arès, Frédéric Saenen, Laurent Robert, Rachaël Micolli, Antoine Wauters ou un Stéphane Lambert toujours à la frontière des genres.
Autre constatation : l’importance qu’acquiert aujourd’hui l’oralité, l’immédiat d’un discours. La reconnaissance et l’accueil grandissant du slam et des lectures-performances ne sont peut-être pas étrangers à ce phénomène-là. Des auteurs comme Damien Spleeters ou Maxime Coton, dit Coton, s’inscrivent dans cette lignée de poètes qui “montent sur scène”. Un Nicolas Ancion, qui cultive volontiers l’humour et la dérision, leur est également proche. On doit d’ailleurs, autour de cette mouvance, évoquer le rôle d’une maison d’édition comme Maelstrom dont la collection bookleg s’est fait le témoignage des différentes performances. Citons aussi une Laurence Vielle dont le texte dit par elle-même investit à merveille la scène. Il faut être témoin de ses lectures pour mesurer toute l’importance du poème “mis en scène ou en ondes”.
Mais ne gardons pas la langue de bois : le danger est parfois réel dans ces performances. Un texte qui passerait remarquablement la rampe par différents effets de scène ou de voix peut, une fois couché dans un livre, se révéler être de piètre qualité. C’est là me semble-t-il l’un des risques majeurs de telles démarches, mais elles valent la peine d’être tentées.
L’engagement citoyen est aussi présent dans cette poésie d’après mai 68. Peut-être plus que ce qu’il n’était auparavant. Qu’on lise pour s’en convaincre du Laurence Vielle ou Le poète fait son devoir de Nicolas Ancion.
Théophile de Giraud, quant à lui, pousse l’engagement jusqu’à la provocation extrême, voire, l’injure à la vie. Avec peut-être Christophe Abbès et Xavier Forget (qui n’a rien publié à ce jour), il fait partie de ces inclassables qu’André Blavier appelait les “fous littéraires”. Quel scandale suscitera-t-il après le récent badigeonnage de la statue équestre de Léopold II ? Faisons-lui confiance, nous ne sommes pas au bout de nos surprises avec cet émule d’André Stas. Et cela, qu’on le veuille ou non, oxygène un peu notre quotidien.
Parmi les architectes de la langue – disons ceux qui construisent et mettent en scène sur papier, ce qui n’est pas non plus toujours sans risque – il me faut évidemment citer Anne Penders et Gwenaëlle Stubbe. Ces voies-là ont certes été investiguées il y a déjà longtemps avec des auteurs comme Jean Daive et plus récemment Elke De Rijcke, publiée également au Cormier. Cette approche de la poésie eut de nombreux adeptes dans les années septante avec des auteurs comme Anne-Marie Albiach, Joseph Gugluemi ou un Lionel Ray dont on aurait aujourd’hui peine à prétendre qu’il fut pourtant l’auteur de L’interdit est mon opéra (Gallimard, 1973). Les modes littéraires – on se souvient aussi du mouvement minimaliste ou du mouvement électrique – sont, elles aussi, saisonnières.
Un Nicolas Grégoire quant à lui, voisine plutôt du côté d’André du Bouchet ou Jacques Dupin. Une écriture que l’on devine contrôlée, travaillée jusqu’à ne laisser en place qu’un noyau dur. Peut-être marche-t-il aussi aux côtés d’un Christian Hubin dans ce qu’il a de plus lapidaire, et cela nous laisse présager le meilleur qui soit. Alexandre Valassidis, quelque peu plus lyrique, ou Antoine Wauters, comme son aîné Ben Arès, sont résolument attachés à un travail sur la langue et sur le poème lui-même en tant que sujet ; le sentiment et ce que j’appellerais grossièrement ‘l’homme‘ n’ont pas encore trouvé ici de place réelle. Avec Rachaël Micolli un peu dans la même mouvance, voilà de jeunes poètes en qui il faut placer toutes nos espérances. Mais seul demain nous dira s’ils ont répondu à nos attentes.
Quant aux poètes déjà reconnus par leurs aînés, ils affirment de livre en livre leur personnalité spécifique. Marie-Clotilde Roose se confine dans une poésie de la retenue, peut-être est-elle l’une des rares de cette génération à croire que la poésie puisse encore réellement penser. Elle représente aussi – si on me permet de l’exprimer ainsi – l’image d’une poésie féminine, comme il en fut autrefois d’une Marie-Claire d’Orbaix ou d’une Andrée Sodenkamp.
Parmi ces poètes déjà bien installés dans notre paysage littéraire, il faut bien sûr citer Otto Ganz, Pascal Leclercq ou Christophe Van Rossom, surtout connu pour son activité remarquable de critique. Hubert Antoine est quant à lui l’une des grandes figures de ces nouvelles générations. Il fut tôt remarqué par beaucoup d’entre nous. En fait, dès son premier livre publié aux éditions de l’Arbre à paroles, Le berger des nuages, et ses autres publications au Cormier, jusqu’à cette Introduction à tout autre chose, publié chez Gallimard, confirment tout le talent de cet auteur aujourd’hui installé au Mexique. Un Fabien Abrassart, venu plus tard à l’écriture, me semble emprunter les mêmes voies et nous sommes en droit d’attendre beaucoup de lui comme d’un Laurent Fadanni, actuellement en résidence au Canada. Thibaud Binard, lui, n’aura pas eu beaucoup de temps pour s’exprimer, puisqu’il s’est donné la mort à l’âge de vingt-cinq ans, mais la lecture de son livre Diagonal Doce est une révélation et témoigne d’une œuvre déjà mature à bien des égards.
D’autres noms mériteraient d’être cités pour tel ou tel aspect de leur travail, nous laissons au lecteur le soin d’emprunter des chemins de traverse avec des David Besschops, François Monaville, Frédéric Bourgeois, Vincent Daenen et consorts.
Oui, pour paraphraser Yves Bonnefoy, j’aime à répéter à qui veut l’entendre que notre poésie est loin de ses demeures possibles.
Cet ouvrage – en quelque sorte une suite à l’anthologie Poètes aujourd’hui, un travail que j’avais co-signé avec Liliane Wouters – est fragile de par le peu de recul que je me suis donné. Il paraît évident que dans peu de temps, quelques-uns de ces poètes auront sombré corps et âme dans l’oubli, qu’ils auront abandonné le navire pour d’autres vies ou d’autres passions, quelques-uns deviendront nos plus illustres poètes et l’on peut déjà en pressentir l’un ou l’autre, d’autres vont s’affirmer. Quant au meilleur d’entre tous, il est vraisemblable que nous ne l’ayons pas encore lu, plus occupé qu’il soit à écrire qu’à se montrer en public.
Mais une chose est certaine, quels que soient les mouvements ou les écoles, la poésie mérite toujours d’être vécue et expérimentée.
Cette lecture.je n’aurais pu la mener à son terme sans l’existence de revues remarquables, souvent accueillantes pour ces voix nouvelles. Des revues comme Le Fram, Matières à poésie ou Sources, où j’ai abondamment puisé des informations, lu les premiers poèmes des uns et des autres. Que soient ici remerciés Karel Logist, Ben Arès, Eric Brogniet et tous les collaborateurs de ces revues. Sans eux ce travail eut été impossible ou aléatoire. Et il faut souligner combien est capital le rôle de ces revues ouvertes aux nouvelles écritures, c’est souvent là le terreau de demain. Les éditions Tétras Lyre, Le Cormier et Maelström m’ont été aussi d’une très grande utilité de par les collections mêmes qu’ils réservent à ces poètes nouveaux. Les auteurs eux-mêmes me furent d’un grand secours et je les remercie pour tous les inédits qu’ils m’ont aimablement confiés.
Oui, la poésie, comme le disait Pierre Reverdy, sera toujours affaire d’émotion. Puissent ces textes vous émouvoir et éveiller votre curiosité comme ils ont secoué la mienne.
Yves Namur, La nouvelle poésie française de Belgique (2009)
Yves NAMUR, La nouvelle poésie française de Belgique (Taillis Pré, 2009)
[LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS.NET, n°158] On parle peu des jeunes poètes francophones de Belgique… On croit savoir d’eux qu’ils publient, discrètement, surtout en revue, ou qu’ils performent leurs textes ici et là. Voici qu’ils ont à présent leur anthologie ! Le maître d’œuvre en est Yves Namur, qui n’en est d’ailleurs pas à sa première initiative du genre… En 1996, il avait dirigé un hors série de la revue Sud, (dont faisaient déjà partie les précoces Gwenaëlle Stubbe et Laurent Robert que l’on retrouve ici). Son choix reprenait alors des poètes nés après 1945. Ensuite, avec sa complice Liliane Wouters, il avait publié Le siècle des femmes. Rien d’étonnant donc à ce qu’il s’intéresse aujourd’hui à nos plus jeunes poètes. D’emblée, dans sa préface, il se place sous l’autorité de deux poètes. Tout d’abord de Bernard Delvaille, dont l’anthologie La nouvelle poésie française, parue chez Seghers dans les années septante, lui a servi de modèle. Avec lui, il revendique l’anthologie poétique comme un « livre d’humeur » qui se voudrait avant tout subversif. Et ensuite de Baudelaire, convaincu que « tout homme bien portant peut se passer de manger pendant deux jours, – de poésie jamais. »
Namur se dit conscient du peu de recul qu’il s’est donné et de la fragilité du projet : réunir une cinquantaine de poètes peu confirmés. Son anthologie s’ouvre avec l’aîné, qui n’avait que trois mois en mai 68, auteur de seulement deux magnifiques livres en dix ans : Yves Colley. Formellement, il semble bien que toutes les tendances cohabitent dans ce fort volume, le vers libre, rarement classique, le poème en prose, le court comme le long. En feuilletant l’ouvrage, on est frappé par l’importance que prend aujourd’hui le poème en prose chez de nombreux poètes – dans la tradition, consciente ou inconsciente ? – de Michaux ou de Lecomte. La place de l’oralité est également à souligner : Vielle, Spleeters, Leclercq ou Coton sont de ceux qui disent et scandent leurs mots. « Certes, un texte résiste parfois bien difficilement à l’épreuve du papier, la scène se sert d’autres artifices», souligne Namur qui ne s’est pas contenté de recenser de jeunes poètes : il nous propose aussi de découvrir la face poétique de l’œuvre d’auteurs qu’on connaît jusqu’à présent mieux comme romanciers : Stéphane Lambert, Luc Baba ou Nicolas Ancion entre autres… Il faut remarquer aussi que peu de jeunes poètes, à l’exception de Nicolas Grégoire, Pierre Dancot ou Christophe Van Rossom font nommément référence à d’autres poètes, comme s’il n’existait que peu ou pas de filiations du tout… L’anthologie fait une place à Thibaut Binard, poète tôt disparu et dont il faudra un jour découvrir l’œuvre. Enfin, notons que la nouvelle poésie est surtout masculine – (seulement sept femmes !) et ne cherchons aucune explication à cela…
On peut se demander où et comment on déniche autant de « jeunes » poètes… Il faut pointer le travail des revues – et l’anthologiste remercie Matières à poésie, Sources ou encore Le Fram – ainsi que celui des petits éditeurs (Le Tétras-Lyre, Maelström et ses bookleg, Le Cormier…). On ajoutera la curiosité des jurés des prix poétiques réservés aux jeunes, le Lockem, le Houssa et le Polak de l’Académie, ou encore des bourses de la Fondations Spes. Une anthologie de près de 600 pages ne peut qu’accréditer l’idée que la poésie, bien que mal connue, se porte bien dans nos contrées. Au hasard de bienvenues notices biobibliographiques, on découvre une foule de micro-éditeurs. Qui connaît – et qui distribue ? – les éditions Le déjeuner sur l’herbe, Galopin ou encore Boumboumtralala ?
Anthologie copieuse, « brique », diront certains, ce travail a le mérite de laisser une large place pour l’expression des poètes choisis. Un petit bémol cependant : l’ouvrage comporte des coquilles. Un projet aussi ambitieux n’aurait-il pas exigé une relecture plus soigneuse ? Yves Namur, anthologiste viscéral, a voulu parier sur la diversité et les richesses de la nouvelle poésie française de Belgique. Un paysage en mouvement, surtout rien qui se veuille image définitive… Il nous donne ainsi à lire un passionnant éventail de talents et de voix. Pari gagné.
[OISEAUPAPILLONJARDIN.FR, 14 août 2020] En pleine floraison, le buddleia du Père David, Buddleja davidii, attire des nuées de papillons, c’est vrai. Mais il a quelques défauts… Il fait partie d’une grande famille qui donne du fil à retordre aux botanistes pour son classement. Il suffit de noter que cet article ne concerne que l’espèce Buddleia Davidii, et son cortège de variétés que vous pouvez trouver en jardinerie, aux fleurs diverses de la plus longue à la plus compacte, presque sphérique.
C’est une espèce envahissante
Originaire de Chine, il a été introduit en Europe assez récemment, au dix-neuvième siècle, et commercialisé précisément en 1895. L’horticulture n’a cessé d’améliorer ses qualités décoratives, si bien qu’il est plébiscité dans les jardins d’ornement. Il est facile à cultiver, presque jamais malade, se bouture facilement et se ressème tout seul. Et c’est là son premier défaut : il s’est naturalisé et se multiplie à grande vitesse. Peu exigeant sur la qualité du sol, pourvu qu’il soit drainant, il colonise les voies de chemin de fer, les chantiers, les terrains délaissés, les friches industrielles, le bord des routes, voire, depuis l’interdiction des pesticides en ville, les trottoirs.
Il est classé en France, en Belgique et en Suisse comme espèce envahissante [en Belgique : “invasive“], c’est-à-dire qu’il prend la place des espèces locales qui apprécient les mêmes sols. Il fait donc régresser les espèces locales, notamment celles qui maintiennent les berges, et favorise leur érosion. Et tant qu’il n’est pas interdit à la vente, pas question pour l’horticulture d’abandonner une espèce vedette ! La recherche se focalise donc sur l’obtention de variétés stériles. Selon Jardins de France, la revue de la Société nationale d’horticulture, “Si la sélection a longtemps consisté à produire des variétés aux couleurs florales diversifiées, au port plus compact, aux inflorescences plus longues, ce n’est que récemment que l’on a vu naître des programmes affichant la stérilité aux côtés des caractères ornementaux conventionnels“. Cet article date de 2013 et en 2020 on voit apparaître dans les catalogues des variétés qui ne produisent pratiquement pas de graines.
Il contient des toxines
Les papillons sont en général inféodés à une plante ou un groupe de plantes. Or le buddleia, espèce exotique, n’a pas apporté avec lui un papillon qui s’en serve de plante-hôte. Bien plus, il contient des molécules toxiques, notamment l’aucubine. Les chenilles ne se nourrissent pas de ses feuilles, et d’ailleurs aucun animal local ne se nourrit ni de ses feuilles, ni de son écorce ni de ses racines. Deux exceptions. Quelques observations de chenilles ont été rapportées au Royaume-Uni :
celle du Sphinx tête de mort (Acherontia atropos),
celle de la Brèche ou Cucullie du bouillon blanc (Cucullia verbasci).
Elles se seraient adaptées en substitution de leur plante-hôte habituelle, respectivement les solanacées (surtout la pomme de terre) et le bouillon-blanc.
Il est pauvre en sucres
Le buddleia attire les papillons mais ne les nourrit pas. Yves Desmons, du Cercle des naturalistes belges, explique à la RTBF que la plante est trompeuse : “Elle émet des odeurs très fortes qui sont attractives, et présente une couleur mauve qui attire beaucoup les papillons. Mais en fait, elle a un nectar pauvre en qualité, pauvre en sucre (autour des 30 % alors que d’autres plantes vont jusqu’à 70 %)“. Elle agit comme une drogue pour les papillons, qui vont pondre sur le buddleia au lieu de rechercher leur plante-hôte habituelle, seule capable de nourrir les chenilles. Cette anomalie diminue la population de pollinisateurs et entraîne une perte de biodiversité.
Alors, que faire dans son jardin ?
Abstenez-vous d’acheter des buddleias, sauf si vous trouvez une variété qui ne se ressème pas (ou peu), par exemple la variété ‘Argus velvet‘, hybride issu du croisement entre Buddleia davidii ‘naho Purple‘ et Buddleia lidleyana, ou sa version blanche ‘Argus White‘. Attention, même dans ce cas le fait que la plante attire les papillons sans les nourrir reste dangereux pour la biodiversité. Contentez-vous d’un pied.
Lorsque des buddleias sont déjà présents dans votre jardin, coupez les fleurs fanées avant qu’elles ne fructifient (un seul pied de buddleia peut produire jusqu’à trois millions de graines), et arrachez les semis.
Complétez vos plantations par une multitude d’autres plantes favorables aux papillons.
“L’arcane Le Mat est la vingt-deuxième lame du Tarot de Marseille (ou la lame zéro !). Elle représente un personnage marchand avec son baluchon, son bâton et son chien. C’est le chemin de l’être humain qui emmène avec lui son histoire dans son baluchon et est accompagné de ses instincts, le chien. L’arcane Le Mat symbolise le destin du consultant qui doit avancer dans sa vie, poussé ou retenu par son chien, ses instincts, mais qui n’a pas d’autre choix que de suivre sa route personnelle. Le Mat représente la démarche du consultant, la voie qu’il a prise et qui le mène vers son avenir. C’est le voyageur autant que l’aventurier. Le Mat est une image de liberté et de libération des contraintes. Avec Le Mat le consultant retrouve un espace et un esprit libre, il se dégage des conventions et suit sa voie originale. Le Mat représente la capacité de prendre des risques dans la vie et d’avancer vers des terrains inconnus. Le Mat va de l’avant même s’il ne sait pas où cela va le mener. Il écoute son intuition pour se guider et avancer. Dans sa face sombre, Le Mat ne sait pas où il va et est en train de se perdre. Il n’est pas raisonnable et peut aller à sa perte. Il fuit plutôt que d’affronter les situations. Le Mat n’écoute personne, ne sait pas s’arrêter et reste fixé sur ses idées folles.” [d’après ELLE.FR]
à côté – le Chariot : Grande nouvelle venant de loin ou nouvelle du passé qu’on a enterrée.
à côté – l’Hermite : Un secret sera découvert avec paroles médisantes.
à côté – la Mort / l’Etoile / la Lune : Signe de danger ou de mort.
à côté – le Soleil : Evénement inattendu et imprévu apportant réconfort, soutien et clarté.
Lame renversée : Extravagance – Folie – Insécurité – Il est tombé ou arrêté dans sa marche.
Le Fou ou le Papillon (Intuiti)
DESCRIPTION : Le vrai fou n’est pas celui qui va faire face au danger sans crainte aucune mais plutôt celui qui, en connaissance de cause, va sauter par au-dessus de l’abîme avec le sourire. Dans ses yeux, vous voyez déjà l’énergie qui prépare le grand saut : une étincelle ardente – souvent confondue avec la folie – qui pourtant est bien plus que ça. C’est l’ardeur de vivre, la confiance dans votre propre idées, une foi aveugle envers vos rêves. C’est ce que Shakespeare évoquait quand il écrivait qu’un fou, un poète et un amant ont quelque chose en commun. Dans cet état d’esprit, nous percevons de nos actions non pas les moyens mais déjà leur fin, tout le reste cesse d’exister, y compris les responsabilités, les peurs, les chemins qu’il faudrait emprunter ou le reste du monde : il n’y a que le présent, libre de tout danger caché. Nous nous trouvons dans un état de conscience augmentée qui ouvre la porte à l’infini et à l’absolu. Nous devenons des acrobates de la vie, libérés, nous pouvons être qui nous voulons, comme dans un jeu de rôle, et nous restons incandescents, en feu et encore en feu, que ce soit au ciel ou au fond de l’abîme. C’est le voyage dans l’infini.
La question est donc : “Quel est mon rapport à la diversité ? Est-ce que je la ressens comme un plus ou un moins, quelque chose de superficiel ? Dois-je apprendre à me débarrasser de la moitié des choses qui me sont inutiles aujourd’hui ? Est-ce que trop de couleur dans ma vie est un réel plus ou me donne la migraine ?”
Vous aimerez cette carte si vous aimer passer d’un pied à l’autre, acquérir des compétences dans des domaines différents et vous ennuyer dès que vous avez fini d’apprendre. Le contraire est vrai pour tous ceux qui voient dans cette attitude de la superficialité ou un manque de cohérence.
Cet archétype invite à tenter autant d’expériences que possible, à ne jamais rester immobile. Il suggère également de ne pas exagérer : s’il est bon de suivre sa passion même s’il elle vous amène à “papillonner”, elle ne doit pas servir d’excuse pour faire n’importe quoi !
L’HISTORIETTE : Qu’il soit ou non concentré sur son futur, il est perdu dans ses pensées, il éclate de rire ou il est parfaitement maîtrisé, sa vie est habitée par ses rêves. Qu’il agite sa cape ou qu’il porte couronne, qu’il galope dans la lumière ou sombre dans le vide, son âme est habitée par ses rêves. Si changent les villes et les saisons, s’il crie ou marche à l’envers, s’il mange ou boit du poison, s’il est dans les bras de sa mère ou de son père, ou bien qu’il tienne son propre enfant dans les bras, son esprit est habité par ses rêves. Et, qu’il marche dans le monde ou non, son esprit est habité par ses rêves. C’est qu’il est toujours avec un pied au bord de l’abîme et le regard dans les étoiles, sans crainte. Il est son propre rêve. Le plus convoité et celui qu’il craint le plus.
LA RECOMMANDATION : “Prenez du plaisir. Soyez fou !“
Le Mat : liberté, grand apport d’énergie (Jodorowsky)
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EXTRAIT : “Le Mat a un nom, mais il n’a pas de numéro. Seul Arcane majeur à ne pas être défini numériquement, il représente l’énergie originelle sans limites, la liberté totale, la folie, le désordre, le chaos, encore la poussée créatrice fondamentale. Dans les jeux de cartes traditionnels, il a donné naissance à des personnages comme le Joker ou l’Excuse, qui peuvent représenter toutes les autres cartes à volonté, sans s’identifier à aucune. La phrase-clé du Mat pourrait être: “Tous les chemins sont mon chemin.”
Cette carte donne une impression d’énergie : on y voit un personnage marcher résolument avec des chaussures rouges, enfonçant dans la terre un bâton rouge. Où va-t-il ? Droit devant lui ? C’est possible, mais on pourrait également imaginer qu’il tourne en cercles autour de son bâton, sans fin. Le Mat fait figure d’éternel voyageur qui chemine dans le monde, sans appartenance ni nationalité. C’est peut-être aussi un pèlerin qui se rend dans un lieu saint. Ou encore, au sens réducteur que beaucoup de commentateurs lui ont donné, un fou qui marche sans finalité vers sa destruction. Si l’on choisit l’interprétation la plus élevée, on verra le Mat comme un être détaché de tout besoin, de tout complexe, de tout jugement, en marge de tout interdit, ayant renoncé à toute demande : un illuminé, un dieu, un géant puisant dans le flux de l’énergie une force libératrice incommensurable.
Sa besace couleur chair est éclairée de l’intérieur par lumière jaune. Le bâton qui lui sert à la porter est bleu ciel et termine en une sorte de cuiller : c’est un axe réceptif qui porte la lumière de la Conscience, l’essentiel, le substrat utile de l’expérience. Dans la main qui tient ce bâton se cache une petite feuille verte, signe d’éternité. Le Mat est aussi un personnage musical, puisque son costume est orné de grelots. On pourrait imaginer qu’il joue la musique des sphères, l’harmonie cosmique. Dans plusieurs éléments de costume, on retrouve des symboles de la trinité créatrice : son bâton porte un petit triangle composé de trois points, un des grelots, blanc, est un cercle divisé par trois traits… On peut y discerner à volonté la trinité chrétienne ou les trois premières séphiroths, l’Arbre de Vie de la Kabbale, ou encore les trois processus fondamentaux de l’existence : création, conservation et dissolution. Le mouvement du Mat est donc guidé par le principe divin ou créateur. Le chemin devient bleu ciel à mesure qu’il le foule : il avance sur une terre pure et réceptive qu’il sacralise à mesure de son cheminement.
A la ceinture du Mat, on trouve encore quatre grelots jaunes qui pourraient correspondre aux quatre centres de l’être humain symbolisés par les Couleurs des Arcanes mineurs du Tarot : l’Épée (centre intellectuel), la Coupe (émotionnel), le Bâton (sexuel et créatif) et les Deniers (corporel). Le Mat produit un apport d’énergie lumineux dans ces quatre centres, qui sont également symbolisés dans les quatre mondes de la Kabbale : Atzliluth, le monde divin ; Briah, le monde de la création ; Yetzirah, le monde de la formation et Assiah, le monde de la matière et de l’action.
L’animal qui le suit, peut-être un chien ou un singe (deux animaux qui imitent l’homme), appuie ses pattes à la base de sa colonne vertébrale, au niveau du périnée, à cet endroit où la tradition hindoue situe le centre nerveux qui concentre les influences de la Terre (chakra mûlâdhâra). Si Le Mat était un aveugle, il serait guidé par son animal, mais ici, c’est lui qui marche devant, tel le Soi visionnaire guidant l’ego. Le moi infantile est dompté ; nul besoin de le séduire pour dominer son agressivité. Il est parvenu à un degré de maturité suffisant pour comprendre qu’il doit suivre l’être essentiel et non lui imposer son caprice. C’est la raison pour laquelle l’animal, devenu réceptif, est représenté en bleu ciel. Désormais ami du Mat, il collabore avec lui et le pousse en avant. La moitié de son corps se trouve hors du cadre de la carte : le fait qu’il marche derrière Le Mat nous permet de penser qu’il représente aussi le passé. Un passé qui ne freine pas l’avancée de l’énergie vers le futur.
Le costume du Mat est rouge et vert : il porte essentiellement en lui la vie animale et la végétale. Mais ses manches bleu ciel indiquent que son action, symbolisée par ses bras, est spiritualisée, et son bonnet jaune porte la lumière de l’intelligence. Sur ce bonnet, on note la présence de deux demi-lunes. L’une, jaune clair et encastrée dans un cercle orange, est tournée vers le ciel. L’autre, située sur la boule rouge qui termine la pointe arrière du bonnet, est tournée vers le bas. La lune rouge représente le don total de l’action, et la lune rouge représente la réception totale de la Conscience.
“L’ESSENCE : LIBERTÉ – Humour – Innocence – liberté de l’esprit- Joie de vivre – Amour de la vie – Capacité à aimer – Libre de tout désir de possession -Sans ego – En harmonie avec soi-même et la vie..
LE MESSAGE INTÉRIEUR : Le Clown représente le signe joyeux d’une personne qui aspire à la liberté intérieure. Il symbolise votre candeur et votre humour intérieur. II a reconnu que chaque liaison – aussi luxurieuse et profitable soit-elle – et donc pour l’ego si importante à atteindre, ne mène finalement qu’à la confusion. Le clown est libre de vivre sa vérité et libre également d’être la personne qu’il est vraiment. Il a définitivement ôté son masque. Il n’a plus besoin de ce dernier puisqu’il sait qu’il n’a plus rien à perdre. Le clown s’est détaché avant tout sur le plan mental de toutes les contraintes sociales. Le chemin spirituel sur lequel il attire votre attention, s’applique au fait d’ÊTRE et non d’avoir, de posséder ou d’être prisonnier. Il s’adresse à la délectation, au jeu, à la joie de vivre et à la capacité à s’identifier à rien de sérieux.
LA MANIFESTATION EXTÉRIEURE : Le clown fait presque toujours partie des cérémonies religieuses et de la danse des Indiens. C’est un danseur qui plaisante sur les autres sans méchanceté et avec beaucoup d’humour. Il porte quelquefois au bas de son dos une queue de coyote qu’il agite de façon provocatrice dans la foule. Ou alors il joue avec son masque, saute autour des danseurs tel un jeu, leur tire les cheveux et les imite. Une étincelle d’humour, une étincelle d’allégresse est toujours l’un des éléments les plus importants au cours de chacune de ces danses divines. Le Clown attire l’attention du public par son jeu et son innocence sous une forme très importante de l’équilibre dans la vie. Car en effet. chaque énergie a son pôle contraire. Si nous prenons une chose trop au sérieux, nous devenons trop fanatiques. Si nous abordons des choses avec peu de concentration et trop peu de centre, celles-ci ne reçoivent pas assez d’attention pour se développer. Savourez tout ce qui s’offre à vous sans attendre le jour suivant pour avoir plus et toujours plus. Redécouvrez l’élément en vous qui est joueur et créatif. Vous n’avez pas besoin d’avoir tout tout de suite ou de posséder tout ce dont votre cœur se réjouit. Exercez-vous plutôt à ressentir la pure joie d’un plaisir qui ne connaît pas d’emprise et que l’emprise ne dirige pas. Libérez-vous des pensées angoissantes auxquelles vous vous cramponnez. Laissez aussi la légèreté du Clown transgresser les limites de votre vie extérieure que vous vous êtes fixées vous-même. Apprenez à rire de vous-même ! Apprenez à danser avec le Clown en vous. Comprenez que la véritable sagesse et l’humour du Clown dépassent toute connaissance qui relève de l’enseignement.“
Le Mat (tarot maçonnique)
“Le Tarot se referme sur lui-même. Cette fermeture n’est pas un blocage. Comme le cercle elle symbolise l’infini. Cet arcane du début ou de fin, peut encore intervenir à tout moment. N’ayant pas de repère chiffré, pas de coordonnées, il se situe en dehors de toutes les références qui résultent de notre éducation et sont base de notre façon d’exister. Cette carte représente la déambulation du personnage d’un univers à l’autre ; univers de perceptions et de sensations différentes. Si on le juge en fonction des critères de notre société c’est le marginal : le Fou. Folie ou Sagesse ? Il n’y a là qu’une différence de point de vue. Sur la carte, les titres et références sont situés hors du cadre. Le mouvement des formes de cette lame indique un déplacement dans le temps (la spirale) et dans l’espace (les rectangles). Ce mouvement poursuivi par la pensée devient une “mise en abîme.” La lettre Schin, renforce cette notion de déplacement, de mouvement spatial.”
Le Vagabond (Forêt enchantée)
“Le Vagabond se tient au cœur du cycle humain, dans le cercle le plus intérieur de la Roue, en suspens entre le commencement et la fin, attendant d’être guidé de l’autre côté de l’abîme de la prise de conscience dans le domaine de la connaissance archétypale.
DESCRIPTION : En équilibre sur le bord d’un escarpement de calcaire blanc, le Vagabond se prépare à passer de l’autre côté de l’abîme et à entrer dans la Forêt enchantée. Devant lui se dessine un léger arc-en-ciel qu’il doit emprunter. Ce saut par-dessus le vide est entrepris les bras ouverts et avec une grande confiance : les ailes de l’imagination et de l’honnêteté porteront le personnage jusqu’à l’herbe luxuriante d’un nouveau chemin.
Vêtu d’écorce, de mousse verte délicate et de feuillage symbolisant l’essence protectrice et curative de la nature, le Vagabond n’est ni homme ni femme, les deux genres se combinent dans son corps androgyne. Ses pieds nus effleurent l’herbe du bord de l’escarpement. De l’autre côté de l’abîme, les arbres à l’ombre immense attendent pour accueillir ce nouvel arrivant dans la Forêt enchantée. Un visage est à peine visible parmi les frondaisons enchevêtrées – c’est peut-être l’esprit du bois.
SIGNIFICATION : En ce moment, les fardeaux du passé sont laissés de côté – soit pour que le Vagabond les reprenne et les emporte avec lui, soit pour qu’il les abandonne derrière lui s’ils sont trop pesants. La Roue de l’année entame son grand cycle, apportant toute une nouvelle gamme de possibilités et de défis. Le Vagabond est prêt à sauter dans l’inconnu – il ne lui faut que la foi.
Le Vagabond représente la sagesse ou le courage de lâcher prise, de faire un pas dans le vide de ce qui est possible. Quelque chose en vous a peut-être déjà amorcé ce saut inconscient, instinctif, à travers l’abîme ; vous savez que le moment d’avancer est venu. Parfois, la peur de la perte ou de l’échec vous fera douter de la validité du changement. Vous voudrez attendre ou hésiterez au moment critique, car la sécurité est confortable, néanmoins, mais la vitesse de la Grande roue a propulsé déjà le véritable cœur du Vagabond dans l’avenir, l’incitant à sauter à travers le vide avec courage et joie. Maintenant, le personnage doit laisser tomber les fardeaux portés pendant si longtemps et se fier aux ailes de l’imagination.
Le Vagabond est en même temps une fin et un commencement. Un voyage est déjà revenu à son point de départ et, à mesure que vous distillez votre expérience de vie dans la mémoire sacrée et laissez de côté le passé et ses fardeaux, l’avenir attend patiemment que vous fassiez le premier pas.
Rappelez-vous que votre sagesse, votre force, vos expériences et vos savoir-faire personnels ne vous aideront pas maintenant. L’esprit honnête de la curiosité humaine vous conduit au-delà de vous-même, dans une nouvelle vie. Cette énergie inconsciente crée un pont arc-en-ciel qui monte et soutient vos pas. Il vous fera passer au-dessus du vide lorsque vous avancez, confiant et plein d’énergie, dans l’inconnu.
POINTS ESSENTIELS DE LA LECTURE : Vous êtes arrivé à un moment décisif de votre vie. Ce peut être l’impression que la chance a tourné ou que quelque chose va prendre place. D’une certaine manière, c’est déjà arrivé. Votre esprit doit avancer et le désir de sauter dans l’inconnu vous attire. Cela signifie abandonner les fardeaux anciens. Le moment est venu d’être clair et de ne pas laisser la peur de l’échec ou la déception envers l’univers vous empêcher d’avancer. Laissez-vous porter par votre imagination dans une nouvelle série de possibilités. Avancez avec espoir et faites bon accueil aux aspects inédits et excitants de l’univers.
Racines et branches Foi aveugle • Tableau blanc • Enfant intérieur • Saut dans l’inconnu • Suivre votre cœur • Quête de la connaissance ou de la vérité • Pulsion primale • Vision de l’illumination qui vous fait avancer”
Cuchulainn (tarot celtique)
“Bien qu’il soit le fils naturel ou adoptif de Lug, Cuchulainn n’est pas exactement un dieu. Il s’agit plutôt d’une figure héroïque, un guerrier semi-divin doué d’une habileté, d’une force et d’une fureur peu communes : une sorte d’Achille celtique à I’existence glorieuse mais brève, car voué à une fin tragique. Cuchulainn le sait pour en avoir été averti par des signes prémonitoires et par des visions (la corneille Badb, émanation de la sorcière Morrigan, ses armes qui tombent par terre, les lavandières en train de rincer ses vêtements souillés de sang), mais il se prépare quand même à combattre l’inéluctable, afin d’accomplir héroïquement son destin.
Le programme héroïque de Cuchulainn commence dès l’enfance, quand il étrangle le chien du forgeron Culann et se met à son service pour faire amende honorable. Entraîné à l’art du combat tout d’abord par son ami, puis par les guerrières Skatha et Aifa (qui devient sa maîtresse), Cuchulainn développe jusqu’à l’invraisemblable la folle fureur qui l’anime à la bataille, en l’obligeant à frapper aveuglément quiconque, ami ou ennemi, se trouve à sa portée: il se forme alors sur son front une bosse de la taille d’un poing, d’où s’écoule un jet de sang noir du sommet du crâne vers le haut, comme le mât d’un grand navire.
LA CARTE : Il a les traits déformés par la fureur et le regard d’un fou, les cheveux dressés sur la tête et rouges comme le feu ou le sang. Son manteau, rouge lui aussi, s’ouvre pour découvrir les lourdes écailles de la cotte. La fureur de Cuchulainn correspond à la furie du berserkr, le guerrier qui, consumé par l’ardeur du combat, se dépersonnalise et se change en bête féroce. Armé d’un bouclier, d’une cuirasse et d’une épée, le héros se prépare ici à l’assaut, peut-être le dernier, avec ses trois chiens (son nom même signifie chien de Culann) en guise de paladins..
SIGNIFICATION ÉSOTÉRIQUE : La fureur de Cuchulainn est celle du fou qui a su s’affranchir des règles pour déguster entièrement sa coupe de sage folie. Fils de Lug, le dieu habile en tout qui ouvre le jeu, il représente dans un certain sens son complément, à savoir la partie instinctuelle, irrationnelle de notre esprit qui s’avère indissociable de la partie logique et rationnelle.
Ce n’est pas un hasard si l’amour, la créativité et la vaticination relèvent de cette sorte de maladie nécessaire pour faire bouger les roues de la civilisation. Sans l’étincelle créatrice de la folie, il n’y aurait jamais eu ces progrès, ces envolées qui ont rendu certaines cultures du passé magnifiques et immortelles.
L’initié qui travaille la réalisation de l’androgyne qui est en lui sait parfaitement que pour remplir le verre, il faut commencer par le vider. Il convient en d’autres termes de se débarrasser de toute velléité, de toute ambition pour affronter, nu, son propre destin, exactement comme Cuchulainn, mystérieusement dépouillé de son armure qui tombe en morceaux à ses pieds, affronte le duel ultime avec un courage inébranlable.
MOTS CLEFS : fureur, affranchissement des règles, bizarrerie, inéluctabilité, destin.
A L’ENDROIT : fureur, force, héroïsme, acceptation héroïque du destin ; nouveaux projets, changements imprévus ; détermination, énergie, situation positive à saisir au vol, choix à effectuer ; enthousiasme, extravagance, impulsivité, indépendance, idées brillantes, intuition. prévoyance, insouciance, innocence ; arrivée d’un hôte, nouvelle aventure amoureuse ; inconnu, voyages, entreprises positives ; héritage ; guérison prochaine ; passage, lutte couronnée de succès.
A L’ENVERS : lutte vaine, colère, douleur, vide, chaos ; fuite, abandon, dépression ; catastrophe naturelle, bouleversement du destin, fausse route ; blocage, lenteur, apathie, hésitation, immaturité ; manies, excentricité, ostentation, coup de tête, crise existentielle, incohérence, excès, désordre ; matérialisme, amoralité, légèreté, indiscrétion ; entreprise déconseillée, besoin de reconsidérer un projet, optimisme excessif, utopie ; problèmes insolubles, projets stériles ; déception, mensonge, tromperie, envie, arrogance ; vengeance, violence, guerre, espionnage ; jalousie, trahison, violente rupture d’une relation, angoisse pour la famille ; solitude volontaire, indécision à l’égard d’un lien définitif ; voyages risqués, entreprises ratées ; stress, folie, crises de dépression, toxicomanie, alcoolisme, malaises physiques, intoxication ; dangers généralisés.
LE TEMPS : mardi, novembre.
SIGNE DU ZODIAQUE : Scorpion, Verseau.
LE CONSEIL : sortez des schémas préconstitués, oubliez les conditionnements et remettez-vous en piste comme un homme neuf ; c’est seulement après avoir vidé la coupe que vous pourrez la remplir à nouveau.“
Bernadette Mottart est née à Liège en 1950. Audodidacte, elle commence à jouer de la guitare dans de petits groupes folk/rock de la région liégeoise au milieu des années 60. En 1970, elle rencontre Milou Struvay qui lui fait découvrir la musique de Miles Davis. Elle travaille aux côtés de jeunes musiciens comme Antoine Cirri, Pierre Vaiana, etc. au sein de petits groupes expérimentaux.
Elle prend des leçons informelles avec René Thomas puis avec le pianiste américain Ron Wilson. Sous leur influence, elle travaille les standards au sein d’un quartette qui a aussi à son répertoire des compositions de Stevie Wonder. A la fin des années 70, Bernadette Mottart fait la rencontre décisive du guitariste Bill Frisell, alors membre de Mauve Traffic. Elle réalise un apprentissage intensif en sa compagnie. En 1978, elle se produit au festival de Gouvy avec Kermit Driscoll et Vinnie Johnson.
Après une interruption due à un accident de voiture, elle se lance dès 1981 dans la composition. Elle pratique depuis lors une musique originale où se recoupent les influences de Weather Report, Miles Davis et Bill Frisell. Elle enregistre un album (avec, pour coéquipier, Steve Houben au saxophone soprano) puis donne quelques concerts notamment avec le pianiste américain Dennis Luxion. Elle disparaît ensuite de la scène et reprend un travail solitaire de composition. Elle s’occupe également de la mise au point d’une méthode originale pour apprendre la musique aux enfants.