La véritable histoire du Minotaure : ce que révèle l’archéologie

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[NATIONALGEOGRAPHIC.FR d’après HISTOIRE-ET-CIVILISATIONS.COM] Prisonnière du Labyrinthe, cette créature mi-homme mi-taureau a hanté la tradition orale de la Grèce et de la Rome antiques. Dans les recoins d’un labyrinthe crétois vivait un Minotaure, un monstre mi-homme, mi-taureau. Emprisonné là par son beau-père Minos, roi légendaire de Crète, il se nourrissait de chair humaine envoyée par la cité d’Athènes. Tous les neuf ans, Minos ordonnait à Athènes d’envoyer quatorze jeunes gens pour y être sacrifiés. Ce sinistre rite s’est poursuivi jusqu’à ce que le héros athénien Thésée se porte volontaire, entre dans le labyrinthe et tue cette bête tant redoutée.

L’histoire du Minotaure a fasciné pendant des milliers d’années et inspiré une myriade d’œuvres d’art : poteries, poésies, pièces de théâtre, peintures, opéras, films et jeux vidéo… Bien que le mythe puisse être apprécié comme un conte, les archéologues savent désormais que la légende trouvent des racines profondes dans les événements s’étant réellement passé durant l’âge du bronze.

L’homme à tête de taureau dans le labyrinthe de Minos possède plusieurs traits trouvés dans la culture crétoise et de l’ancienne civilisation minoenne. Les taureaux et les motifs de labyrinthe se retrouvent dans toute la culture minoenne, qui a dominé la Méditerranée d’environ 3 000 avant J.-C. à environ 1 100 avant J.-C. au milieu du deuxième millénaire avant J.-C., la Grèce continentale remplaçant la Crète comme puissance dominante de la région.

UN LABYRINTHE LÉGENDAIRE

Les auteurs classiques ont raconté maintes fois l’histoire du Minotaure. Les récits varient, mais il y a des traits communs chez chacun d’eux. Les taureaux, sous diverses formes, jouent un rôle crucial dans l’histoire.

Dans la version la plus courante du mythe, Zeus tombe amoureux d’Europe, une princesse phénicienne. Pour la séduire, il prend l’apparence d’un taureau doux et blanc et l’emmène sur l’île de Crète. Résultat de leur idylle, elle donna quelques mois plus tard naissance à un fils, Minos, qui devint roi de Crète.

Pour asseoir la légitimité de son règne, Minos demanda à Poséidon, le dieu de la mer, de lui envoyer un taureau qu’il lui promet de sacrifier en son honneur. Poséidon envoya dûment un magnifique taureau blanc qui émergea des vagues. Mais au moment du sacrifice, Minos, fasciné par la beauté de l’animal, décida de lui laisser la vie sauve.

VALLOTTON Félix, L’enlèvement d’Europe (1908) © Kunstmuseum Bern

Furieux de cet affront, Poséidon inspira à la femme de Minos, Pasiphaé, un désir fou pour le taureau. Pasiphaé demanda à l’inventeur athénien Dédale de concevoir un déguisement afin qu’elle puisse se rapprocher de la bête. Celui-ci créa une vache creuse grandeur nature, et Pasiphaé put y entrer pour se faire passer pour une vraie vache aux yeux de ce magnifique taureau. Le résultat de leur union : un enfant hybride mi homme mi-taureau répondant au nom d’Astérion. Mieux connu sous le nom de Minotaure, il fut les premières années élevé par sa mère mais grandit vite et devint féroce. Sur les conseils de l’oracle, il fut emprisonné par Minos dans un labyrinthe complexe conçu par le même Dédale.

Pendant ce temps, à Athènes, un jeune prince, Thésée, était en âge de partir à l’aventure. Quelques années auparavant, les Athéniens avaient tué l’un des fils de Minos, Androgée. En représailles, Minos avait assiégé Athènes et, victorieux, avait réclamé, en guise de tribut, l’envoi tous les neuf ans de sept jeunes garçons et sept jeunes filles athéniens pour servir de pâture au Minotaure. Thésée se porta volontaire dans l’espoir de terrasser le Minotaure.

Lorsque les Athéniens arrivèrent sur l’île de Crète, Ariane, fille du roi Minos, tomba sous le charme de Thésée. Avant d’entrer dans le labyrinthe, et contre la promesse de l’épouser, elle lui donna une pelote de fil (une idée de Dédale lui-même) afin qu’il puisse retrouver son chemin. Ariane resta au-dehors, tenant une extrémité du fil, tandis que Thésée marchait dans le labyrinthe, le fil se défaisant au fur et à mesure.

Quand il trouva le Minotaure, il le combattit à mort, libérant les autres jeunes Athéniens. Tout le monde suivit le fil laissé en lieu sûr. Enfin libre, Thésée partit pour Athènes, emmenant Ariane avec lui. Mais Thésée abandonna la princesse sur l’île de Naxos avant de reprendre la route d’Athènes avec sa sœur, Phèdre, qu’il épousa. Égée, le père de Thésée, attendait le retour de son fils du haut d’un promontoire. Avant le départ de Thésée, les deux hommes avaient établi un code : en cas de victoire, les voiles du bateau seraient blanches ; dans le cas contraire, elles seraient noires. Mais Thésée oublia de les changer et les voyant noires, Égée se jeta dans la mer qui, désormais, porte son nom.

MOTS ET IMAGES

Cette histoire, telle qu’elle s’est transmise au cours des siècles, a évolué lentement, se transformant encore et encore au fil des siècles. La légende du Minotaure a circulé dans le monde grec depuis les temps anciens, mais il apparaît plus souvent dans les premières œuvres d’art visuel plutôt que littéraire.

Bien qu’il y ait des références claires à Thésée, Minos et Ariane dans L’Iliade (écrite vers le VIIIe siècle avant J.-C.), Homère ne nomme jamais le Minotaure. Un fragment de la poétesse Sappho de Lesbos révèle que l’histoire du tribut humain que Minos demandait aux Athéniens était déjà racontée au début du VIe siècle avant J.-C.. L’historien grec du Ve siècle avant J.-C. Hérodote mentionne quant à lui Minos, mais pas son monstrueux beau-fils.

Les histoires de Thésée, héros d’Athènes, étaient populaires, mais les écrivains avaient tendance à se concentrer sur les autres réalisations de Thésée, notamment sa descente aux enfers ou ses aventures avec les Amazones. Le Minotaure est largement absent des histoires populaires autour de la figure de Thésée à cette période.

Présente sur des poterie, des œuvres de ferronnerie et d’autres arts décoratifs, la figure du Minotaure était par opposition un sujet très prisé par les autres artistes de cette époque. Une amphore de Tinos, dans les Cyclades, datée d’environ 670-660 avant J.-C., est le support de la plus ancienne représentation connue du combat qui a opposé le Minotaure et Thésée. Mises au jour à Olympie, des sangles de bouclier en bronze, datées du milieu du VIIe siècle avant J.-C., montrent également ce légendaire combat.

Une autre amphore des îles Cyclades, datée du milieu du VIIe siècle avant J.-C., inverse même la représentation populaire du Minotaure et montre celui-ci avec un corps de taureau et une tête d’homme. Il dépeint un autre détail qui deviendra central dans l’histoire : l’un des jeunes gens qui accompagnent Thésée tient une pelote de fil, l’objet qui a permis au héros athénien de s’échapper du labyrinthe après avoir tué la bête. Presque chaque représentation du monstre le montre au combat avec Thésée.

Des références au Minotaure commencent à apparaître plus tard dans la littérature grecque comme la pièce d’Euripide Les Crétois du Ve siècle avant J.-C. Seuls subsistent quelques fragments ce cette pièce : l’histoire révèle l’expérience de Pasiphaé et son conflit avec Minos au moment de la naissance du Minotaure.

Un autre récit narrant l’histoire de Thésée et du Minotaure vient de la Bibliothèque, une compilation massive de mythes et d’histoires helléniques. Pendant des siècles, les érudits ont daté l’œuvre du IIe siècle avant notre ère, mais de nouvelles recherches situent sa création beaucoup plus tard, au Ier ou au IIe siècle de notre ère. Attribué à un auteur inconnu que les érudits appellent Pseudo-Apollodore, la Bibliothèque couvre les mythes de la création, l’ascension des dieux, des héros et des héroïnes mortels. L’histoire entière de Minos, Pasiphaé, Dédale, Thésée et le Minotaure y est racontée avec force détails, fournissant par là-même une base solide pour les contes qui ont suivi.

Beaucoup d’histoires autour du Minotaure peuvent également être trouvées dans des sources romaines. L’un des plus détaillés est tiré de l’œuvre Vies parallèles de Plutarque (IIe siècle de notre ère), qui consacre un chapitre entier à Thésée. Plutarque y compare Thésée, fondateur d’Athènes, à Romulus, fondateur de Rome. Les métamorphoses, poème épique écrit par Ovide en 8 après J.-C., est un autre récit populaire de la légende du Minotaure, avec de nombreux détails sur les conquêtes de Minos à travers la Grèce avant la construction du labyrinthe.

CIVILISATION MINOENNE

Pour les Grecs des Ve et IVe siècles avant notre ère, Thésée était célébré comme un héros national d’Athènes. Comprendre la place que le Minotaure occupait dans leur imaginaire nécessite une connaissance plus approfondie du passé lointain de la Crète. La Crète est devenue une puissance commerciale en Méditerranée vers 3 000 avant J.-C. Au milieu du deuxième millénaire avant J.-C., elle était au centre d’un vaste réseau commercial avec l’Égypte, la Syrie, les îles de la mer Égée et la Grèce continentale.

Les Minoens ont établi des colonies dans le monde méditerranéen le long de ses routes commerciales, et ils y ont apporté leur culture. La langue, les arts et les textiles de la Crète antique étaient alors largement dispersés et bien accueillis. Les colonies sur les îles grecques révèlent que les colonies étaient souvent aménagées dans un style minoen. Mycènes, située à environ 120 kilomètres à l’ouest d’Athènes, a non seulement adopté avec enthousiasme la céramique crétoise, mais aussi la langue minoenne.

Après 1450 avant J.-C., l’emprise de la Crète a commencé à décliner, les Grecs mycéniens ayant commencé à dominer la Méditerranée orientale. Leur langue écrite, connue des érudits sous le nom de B linéaire, a été adaptée de la langue des Minoens et est maintenant connue comme une forme ancienne du grec.

L’HÉRITAGE DU ROI MINOS

De 1900 à 1903, l’archéologue britannique Arthur Evans, pensant que la Grèce mycénienne était fortement influencée par la Crète, a fouillé l’île et a mis au jour un palais royal sur le site de Cnossos et de nombreux artefacts présentant des taureaux. Il a désigné la culture crétoise ancienne comme Minoenne en référence au grand roi mythologique Minos, fils de Zeus et beau-père du Minotaure.

Le nom Minos ne semble pas être une invention mythique. Lorsque les tablettes trouvées à Cnossos ont été déchiffrées, les érudits ont pu lire le mot ‘Minos’. Selon les historiens, Minos n’était pas le nom d’un roi unique, mais le titre donné aux rois en général ou plutôt aux princes consorts, époux de reines très puissantes.

Les historiens considèrent désormais que la puissance et la culture minoennes ont atteint leur apogée vers 1600 avant J.-C. Décorées de fresques financées par le commerce de produits de luxe, de magnifiques structures de cette époque, dédiées aux activités religieuses et administratives, ont été mises au jour par Evans lors de sa fouille de Cnossos.

Les bâtiments étaient recouverts de formes artistiques aux couleurs vives qui reflétaient un respect culturel pour les taureaux : des fresques et des figurines, datées de 1700 à 1400 avant J.-C., montrent des personnages sautant par-dessus des taureaux. Ce rite peut avoir été pratiqué lors de cérémonies sacrées et de sacrifices aux dieux. Symboles de fertilité dans de nombreuses religions, les taureaux étaient tués rituellement à l’aide d’une hache à double tranchant ou labrys, emblème du pouvoir royal.

Une ‘labrys’ minoenne © Herakleion Archaeological Museum

La prison du Minotaure, le labyrinthe, trouve également des racines profondes dans la culture matérielle minoenne, mais les théories divergent quant à son origine. Comme aucun vestige archéologique d’un labyrinthe n’a jamais été trouvé en Crète, certains chercheurs ont suggéré que le terme pourrait être synonyme du palais lui-même. Le concept de labyrinthe pourrait provenir d’un vaste complexe de pièces. Un des sens étymologiques proposé pour le nom labyrinthe est dérivé de ‘labrys’, cette hache par laquelle le sacrifice animal était observé.

Une autre théorie est que la conception du mythique labyrinthe est née d’une structure qui n’était pas du tout un labyrinthe, mais une piste de danse. Homère décrit dans L’Iliade un lieu dédié à la danse où la jeunesse aristocratique de Crète se retrouvait, conçu par Dédale – encore lui. Peut-être la mosaïque de cette salle de danse a-t-elle évolué au fil des récits pour devenir le sinistre labyrinthe.

MYTHE ET RÉALITÉ

Pour les Grecs des VIe et Ve siècles avant J.-C., la Crète était liée au lointain souvenir d’une puissance ancienne, autrefois respectée, admirée et crainte. Une puissance finalement vaincue, ce que retranscrit le mythe du Minotaure terrassé par Thésée. À l’ère classique, Thésée était un héros local, un prince qui avait fait la gloire d’Athènes à travers ses nombreuses aventures. Thésée a été adopté par les Athéniens comme un symbole de la ville.

À cette même époque, le principal rival d’Athènes était la Perse. La défaite de la marine perse à Salamine en 480 avant J.-C. a inauguré une période d’expansion militaire et commerciale pour Athènes. Pendant cette période, les représentations de Thésée et du Minotaure sur des poteries ont considérablement augmenté.

Certains érudits pensent que les artistes ont utilisé le Minotaure comme symbole : la Crète était l’ennemi de l’ancien monde – la Perse celui du monde moderne. Thésée représentait la gloire d’Athènes alors qu’il soumettait le monstre pour libérer sa cité de la domination de la Crète.

Amaranta Sbardella, Le Monde


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercialisation et iconographie (les illustrations originales sont visibles sur nationalgeographic.fr) | contributeur : Patrick Thonart | sources : nationalgeographic.fr partagé de histoire-et-civilisations.com | crédits illustrations : en-tête, Le Minotaure par George Frederic Watts (1885) © Tate Gallery (on notera la tension dramatique créée par l’oiseau écrasé sous la patte gauche du Minotaure).


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