TRIBUNE LIBRE : Les livres sont faits pour être lus, puis virés de chez vous !

Temps de lecture : 4 minutes >

[SLATE.FR, 18 septembre 2023] Après la lecture, jetez-les, donnez-les, échangez-les –ça vous fera de la place ! J’ai validé le titre, donc je sais que vous êtes hors de vous et pourquoi. Mais écoutez-moi juste un peu. J’adore les livres. Leur odeur, sentir leur poids dans ma main, regarder leurs dos bien alignés sur une étagère. Arpenter les rayonnages des bibliothèques, feuilleter des ouvrages dans la librairie indépendante de mon quartier et évidemment, par-dessus tout, les lire, tout cela me comble. Je les aime au point que j’ai étudié la littérature à la fac et que comme je n’étais jamais rassasiée, je me suis faite écrivaine.

Je vous raconte tout ça pour que vous compreniez une chose : je ne suis pas en train de vous provoquer juste pour m’amuser. Je sais que ce ne sera pas facile. Mais mon conseil est ferme et définitif : il faut vous débarrasser de vos livres.

Géométrie dans l’espace

O tempora ! O mores ! O tout ce que vous voudrez ! Je ne suis pas différente de vous. Tous les bibliophiles grandissent en rêvant de posséder un jour une gigantesque bibliothèque. Si comme moi vous êtes un millennial, vous l’avez sans doute imaginée comme celle de Belle dans le dessin animé La Belle et la Bête, avec des rayonnages du sol au plafond et un escabeau qui roule pour glisser de l’un à l’autre.

Mais vous ne vivez pas dans un palais rococo français, si ? Non. Le plus probable, c’est que vous êtes obligé de faire de la géométrie dans l’espace chaque fois que vous déménagez (et vous déménagez souvent), que vous êtes au désespoir quand il s’agit de trouver où déballer cet énième carton de livres, que vous vous demandez si c’est une idée absurde d’en coller tout en haut du frigo et que vous finissez par vous demander si vous l’utilisez vraiment si souvent que ça, ce four.

© Armchair Books

Si vous êtes un millennial et que vous êtes propriétaire, félicitations d’avoir gagné à la loterie de notre génération – mais je suis prête à parier que chez vous, c’est quand même plus petit que ce que vous espériez et que votre bureau/chambre d’amis/chambre d’enfant gagnerait à être délivré de ces mètres carrés dévorés par la bibliothèque.

Je ne suis pas en train de vous dire qu’il ne faut pas avoir de livre du tout. Tout le monde devrait avoir une collection permanente (et vous avez même ma permission de l’appeler comme ça si vous avez envie de faire un peu classe). Mais soyez réaliste vis-à-vis de l’espace dont vous disposez et des titres qui ont gagné leur droit à s’y faire une place, parce que vos étagères ne vont pas s’agrandir par l’opération du Saint-Esprit.

Donnez, donnez, donnez

Évidemment certains livres sont trop précieux pour qu’on s’en sépare, peu importe le nombre de fois que vous les aurez lus : une certaine première édition de T.S. Eliot offerte par mon petit ami préféré a une place ad vitam aeternam sur mes étagères et je relis ‘le sermon’ de Moby-Dick à chaque Yom Kippour au lieu d’aller à la synagogue, donc ça, ça reste. Si c’est un livre auquel vous revenez régulièrement, ou que vous relisez souvent, ou juste auquel vous attachez une grande importance émotionnelle –gardez-le. Les autres ? Donnez-les.

Après l’abattage, il faut continuer à acheter des livres, que ce soit des précommandes de vos auteurs préférés ou des trésors d’occasion achetés sur un coup de tête. Mais une fois lus, vous devez vous engager à les passer à quelqu’un d’autre –à des amis, à des voisins, à des boîtes à livres, à des écoles.

Oui, les bibliothèques municipales et les e-books (qui retournent dans le néant) correspondent exactement à l’idée : les livres sont faits pour être lus, puis virés. Et quand un nouvel élément intègre la collection permanente, un ancien doit en sortir.

Je comprends pourquoi il peut être difficile d’appauvrir votre collection actuelle. Pour commencer, c’est une question d’ego : après tout, chaque livre est un témoin physique de votre érudition, un trophée de papier à votre immense intelligence. Et naturellement, certains titres fournissent un complément de contexte à cette immense intelligence : les Nora Ephron prouvent que vous êtes romantique, mais les Stephen King laissent entendre qu’il y a en vous une part d’ombre.

Chacun est méticuleusement sélectionné et placé, tel un petit kit de base pour savoir Qui Vous Êtes™. Nous attribuons une telle valeur au fait de posséder des livres que John Waters prône même de ne surtout pas coucher avec quelqu’un qui n’en a pas.

Ami avec un inconnu

Et si, dans cette quête du nettoyage par le vide, nous pensions à nos livres physiques non comme à des babioles servant à impressionner de potentiels partenaires, mais comme à un moyen d’exister dans le monde et à nous y relier?

En donnant un livre, vous lui donnez l’occasion de devenir ami avec un inconnu. Vous lui donnez la possibilité d’étonner, d’effarer, de marquer. Et non, vous ne le reverrez probablement plus jamais. Même en le prêtant, vous savez qu’il ne reviendra pas.

Mais si ça se trouve, dans quelques années, peut-être entendrez-vous quelqu’un évoquer une scène, faire allusion à une intrigue, ou même mal citer un passage, et reconnaîtrez-vous l’esprit de votre vieil ami sorti de son enveloppe corporelle : “Je l’ai lu, ça, il y a longtemps”, vous direz-vous alors. Et vous penserez : «Moi aussi, je l’ai aimé.

Dorie Chevlen (trad. Bérengère Viennot)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | source : slate.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © ULiège ; © Armchair Books à Édimbourg ; © DR.


Plus de presse en Wallonie-Bruxelles…

DANVAL : Blues pour Robert Pernet (2014)

Temps de lecture : 5 minutes >

Robert Pernet, premier historien du jazz belge

La maladie rapproche les êtres. Robert et moi étions atteints du même mal incurable : la collectionnite aiguë. Il était plus atteint que moi dans la mesure où il poussait les diverses recherches plus loin, allant même jusqu’à collectionner les chasses de cabinet. En l’occurrence, il faut bien admettre que c’était d’une originalité folle. Plusieurs fois par semaine, nous nous téléphonions pour nous informer de nos trouvailles dans le domaine du jazz. Nous demeurions, l’un et l’autre, d’un calme olympien lorsque le rival annonçait une découverte sensationnelle que nous recherchions tous les deux et que l’un de nous ne possédait pas. En dépit de vives crampes d’estomac et de vertiges subits, nous tentions, chacun à notre tour, de minimiser la nature du trésor éventuel. Nous n’étions pas dupes de cette comédie passablement infantile. D’autant plus que notre passion commune suscitait une estime et, mieux, une amitié réciproque. Robert fut le premier et pratiquement le seul à s’intéresser à l’histoire du jazz belge. Son flair prodigieux, cette quasi-obsession de vouloir résoudre une énigme, l’a mené du milieu du XIXe siècle à ce funeste jour du 27 février 2001, à 13 h, où il a plié avec soin son ombrelle, car il était méticuleux.

Dès l’âge de six ans, subjugué par Louis Armstrong et Sidney Bechet qu’il entend à la radio, il s’inscrit au cours de percussion de l’Académie de musique de Schaerbeek et peaufine ses connaissances avec l’excellent batteur Johnny Peret. Très rapidement, il sera confronté à des musiciens de haut vol : Philip Catherine, Lou Bennett, Toots Thielemans, Sadi, René Thomas ou encore Jack Sels. Robert et Philip Catherine enregistrent Stop de Charlie Mingus et Grelots de Philip Catherine en tant que lauréats du tournoi provincial de jazz de 1967. Ce 45 tours, aujourd’hui rarissime, a été produit par le service de la jeunesse de la Province de Brabant. Cet enregistrement est souvent considéré comme étant le premier de Philip Catherine. En réalité, il est précédé d’un 33 tours 25 cm intitulé Finale du Grand Prix de Belgique des Variétés. En mai 1960, Philip y joue le célébrissime Nuages.

Robert Pernet fut le premier, dans notre pays, à considérer la batterie en tant qu’instrument mélodique et, ainsi qu’aiment le dire les aficionados, à jouer léger. Raison pour laquelle il retint l’attention du saxophoniste Babs Robert qu’il accompagnera dans tous les festivals durant une dizaine d’années. A Montreux, il recevra le prix du Meilleur Accompagnateur (1967). A l’instar des musiciens de sa génération, il s’intéressera un court moment au free jazz. Sa sensibilité le poussait à entrer de plain-pied dans l’univers plus constamment créatif du trio de Charles Loos, avec Jean-Louis Rassinfosse à la basse. Cette collaboration lui permit d’appliquer les leçons enseignées par Max Roach et Shelly Manne avant qu’il ne découvre les vertus de sa propre nature créative.

Son rôle de musicien ne lui suffit guère. En 1966, la parution de Jazz in Little Belgium passe quasi inaperçue, sauf pour les amateurs pointus, alors qu’il s’agissait d’un travail capital et sans équivalent en dépit de ses lacunes. Robert Pernet en était conscient. À plusieurs reprises, il m’a fait part avec franchise de sa difficulté à aborder l’écriture. En vérité, son livre était attachant pour ce qu’il contenait de chaleur humaine, d’obstination dans la recherche, d’approche objective du jazz et, surtout, de découvertes discographiques généralement ignorées.

La discographie, voilà la grande affaire de Robert Pernet ; un domaine dans lequel il demeure encore aujourd’hui imbattable. Atteint d’une implacable maladie, il eut le courage de terminer l’œuvre de sa vie, Belgian Jazz Discography, le témoignage le plus exhaustif de tous les enregistrements de jazzmen belges de 1897 à 1999. Depuis, je n’imagine personne en Belgique susceptible d’être capable de poursuivre cette œuvre unique. La discographie est une science. Pernet était le seul à la traiter en grand professionnel. Lorsqu’il est parti rejoindre David Bee, Gus Deloof et Stan Brenders, son épouse Janine a eu la bonne réaction, en souhaitant préserver l’immense collection de son mari sur le jazz belge, de la céder à la Fondation Roi Baudouin. Sauver une telle collection était un devoir sacré. Devenus patrimoine national, ces trésors peuvent être consultés par les chercheurs à la bibliothèque du musée des Instruments de musique (MIM) à Bruxelles. Il va de soi que je n’aurais pu entreprendre cette étude sans avoir accès aux investigations dictées par la ferveur du tout premier historien du jazz belge.

Robert Pernet souhaitait que son existence et son esthétique, dans le dédain des compromissions, soient marquées par une approche de la perfection, ne s’aventurant que dans la discipline de son excellence.

Marc Danval


EAN9782930627304

Ces quelques lignes constituent l’avant-propos de l’Histoire du jazz en Belgique que Marc DANVAL a publié en novembre 2014. En termes de quatrième de couverture, l’ouvrage ne s’en tire pas trop mal : “Mis à part quelques essais fragmentaires et une remarquable Belgian Jazz Discography de Robert Pernet, il n’existait guère une Histoire du Jazz en Belgique, s’échelonnant de la préhistoire de cette musique à nos jours avec la relève des jeunes. Sans chauvinisme hors de propos et armé de rigoureuses preuves à l’appui, Marc Danval révèle l’héritage de l’Afrique (Congo), la découverte du Mississippi par un Belge, le père Hennepin ou encore l’invention du saxophone par le Dinantais Adolphe Sax. La Belgique vit naître, sur le plan mondial, le premier découvreur et historien du jazz, Robert Goffin ; et en Europe, le premier magazine spécialisé Music, le premier big band (The Bistrouille), la naissance de Django Reinhardt en notre Hainaut ou Comblain-la-Tour, le père des festivals européens. Pour la première fois, Marc Danval nous parle de l’existence du premier jazzman belge aux États-Unis, Omer Van Speybroeck, et de la première chanteuse de blues Évelyne Brélia ; deux noms totalement inconnus à ce jour. D’autres découvertes de ce chercheur passionné nous attendent dans cet ouvrage…” Pour les sceptiques, la seule table des matières (ci-après) peut témoigner de la qualité de ce travail rare (et ce n’est pas notre ami Jean-Pol Schroeder qui dira le contraire…) :

      1. L’héritage de l’Afrique
      2. Adolphe Sax, le père du saxophone
      3. Louis Hennepin, un Belge découvreur du Mississippi
      4. La folie du cake-walk
      5. Le ragtime belge
      6. Le jazz s’est révélé en 1910 à l’Exposition universelle de Bruxelles
      7. Le choc des Mitchell’s Jazz Kings
      8. Les premiers jazz bands
      9. Évelyne Brélia, la première interprète de blues en Belgique
      10. Robert Goffin, découvreur du jazz
      11. Omer Van Speybroeck, le premier jazzman belge
      12. Peter Packay et David Bee, précurseurs de l’écriture jazz
      13. Le Magazine Music
      14. Bistrouille Amateurs Dance Orchestra
      15. Ostende : la vague syncopée des années folles
      16. L’extravagant Clément Doucet
      17. Les trois grands : Stan Brenders, Fud Candrix, Jean Omer et l’ère des big bands
      18. Django Reinhardt, de naissance belge
      19. La Rose Noire, la saga d’un club mythique et les lieux de jadis
      20. Les Fous de Jazz : Écrivains – Critiques – Chroniqueurs – Hommes de radio – Conférenciers
      21. Comblain-la-Tour, père des festivals européens
      22. L’école liégeoise
      23. Antwerpen : métropole du jazz
      24. Toots Thielemans, une dimension mondiale
      25. Un abécédaire de mémoire
      26. Les maîtres d’aujourd’hui et la relève des jeunes…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | source : éditions avant-propos | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : pièces de la collection de Robert Pernet © Fondation Roi Baudouin ; © éditions avant-propos.


More Jazz in Wallonia and Brussels ?

DOR, Nicolas (1922-1990)

Temps de lecture : 6 minutes >

Nicolas DOR est né à Liège en 1922 et y décédé en 1990. Il reçoit son premier phonographe – un “portatif” – à l’âge de cinq ans. Précoce, il fouine avec une obstination déjà farouche dans la collection de 78 tours tous azimuts qu’a réunie son père. C’est de là, sans doute, que lui est venu ce goût particulier pour toutes ces “vieilles choses” qu’ont charriées jusqu’à nous les disques durs, même en dehors du jazz. Pendant son enfance, un homme va jouer un rôle important : il s’appelle Paul Lümmerzheim. Pianiste et ami de la famille, il débarque régulièrement chez les Dor avec sous le bras une pile de disques introuvables à Liège : des disques qu’il fait venir en importation des Etats-Unis ou de Grande-Bretagne. C’est ainsi qu’à une époque où Red Nichols et Bix Beiderbecke sont encore les seules références optimales en Belgique (on commence à peine à entendre parler d’un certain Louis Armstrong), il découvre en primeur les disques du Hot Five, les premiers Ellington, les Fletcher Henderson, etc. Cette musique éveille aussitôt en lui comme une passion incontrôlable. Et lorsqu’en 1934, Nicolas Dor, âgé alors de douze ans, se rend au Royal afin d’assister au concert unique de Louis Armstrong, il est déjà fortement imprégné de jazz. C’est vers cette époque qu’il commence à monter sa propre collection.

Pour ses compagnons de classe, il est d’ores et déjà catalogué dans la rubrique “phénomène” : il dit en effet, posséder, en 1940, quelques sept à huit mille 78 tours (sa collection atteint ensuite quelques 50.000 disques !). Précoce, Nicolas Dor le sera aussi quant aux liens qu’il entretiendra tout au long de sa vie avec l’univers radiophonique: “… A cette époque, Nicolas Dor était le plus zazou des zazous. Les radios libres étaient alors un phénomène naturel que le grotesque monopole d’Etat allait enrayer. Nicolas présentait tous les jours de 12 h 30 à 13 h 30 une séquence dont les plus fidèles auditeurs étaient Paul et Emile Sullon. Il émettait de la cuisine de ses grands-parents et avait pompeusement baptisé sa station Radio Cité Ouest…” (M. Danval, Pourquoi Pas ?, 28/05/86).

Pendant l’Occupation, il fréquente un petit club semi-privé où, au nez et à la barbe de l’occupant, on peut écouter les dernières nouveautés américaines arrivées à Liège via la Suisse. Nicolas Dor organise ses premières conférences. Aussi souvent qu’il le peut, il va écouter en live les musiciens locaux. Et l’idée lui vient évidemment de jouer lui aussi. Il choisit la batterie et travaille quelques temps, en amateur, avec l’un ou l’autre musicien liégeois : en 1942 et 1943, il est le batteur d’une formation intitulée Chas Heartbreaker (qui n’est autre que le trompettiste Charles Crèvecœur !), qui jouera notamment, de manière bénévole, pour les hôpitaux de la région. Il fait désormais partie du “milieu”, et il n’est pas rare que, en fin de nuit, les musiciens se regroupent après leur travail, toutes portes closes, autour d’un pick-up sur lequel Nicolas dépose délicatement les disques réputés les plus introuvables. Les musiciens se souviennent avoir puisé souvent à cette intarissable source d’inspiration et d’idées.

A la Libération l’audience du jazz se développe considérablement (pour un temps seulement, hélas). Des rubriques jazz apparaissent dans les magazines quand ce n’est pas une revue spécialisée qui démarre avec les moyens du bord : il en est peu pour lesquelles Nicolas Dor n’ait pas écrit à l’occasion. Sa signature apparaît en effet dans Jazz News, dans le Cyrano, dans Variété Magazine, dans le Bulletin du Hot Club de Belgique (y compris quand celui-ci sera absorbé par Jazz Hot). Le nom de Nicolas Dor passe également les frontières : il travaille en effet comme correspondant pour la Belgique, la France et les Pays-Bas, du magazine Record Changer. Avec Julien Packbiers, Jacques Meuris et quelques autres, il porte la bonne nouvelle de ville en ville par le biais de conférences et d’écoute commentée de disques, etc.

En février 1945, se situe un événement plus important encore : l’INR section Liège lui offre une heure d’antenne afin de diffuser de la “musique douce jazzy”. Ce n’est certes pas l’émission la plus jazz du moment, mais une brèche est ouverte qui ne se refermera plus. Nicolas Dor découvre le bop en même temps que les Bob-Shots. Il ne sera jamais l’homme d’un seul style et si la nouvelle musique l’intéresse, il ne rejette pas pour autant l’ancienne. Quoi que ce titre puisse avoir de paradoxal à l’époque où il apparaît, c’est sous le nom de “Jazz Pour Tous” que Nicolas Dor et son complice Jean-Marie Peterken, rencontré en 1950, vont créer l’événement dès 1956. C’est le 2 mai très exactement que démarre cette émission mythique : pour la première, on frappe fort : Roger Francel, troisième larron attitré, interviewe Stan Kenton ! Tandis que sont diffusés sur les ondes de larges échos du concert donné par ce même Kenton à l’Emulation quelques jours auparavant (le 29 avril).

Jean-Marie Peterken et Nicolas Dor (“Jazz pour Tous”) © jazzontherecord.blogspot.com

Jazz Pour Tous” durera quelques 13 ans ! Et dès 1959, l’émission deviendra télévisée ! Loin d’être de simples “passeurs de disques”, Dor et Peterken organisent en s’appuyant sur ce média des concerts, des jams, des séances de films-jazz, etc. Si le jazz garde pendant les années 50 un certain crédit, il n’en va plus de même dans la décennie suivante, celle des Golden Sixties qui voient l’image et le statut du jazz tomber au plus bas : la génération yéyé n’a que faire des croches pointées et des notes bleues. Pourtant, un îlot résiste aux envahisseurs ; avec ou sans potion magique, les producteurs de “Jazz Pour Tous” contribuent à créer l’événement, contre vents et marées : de plus en plus isolés dans le monde médiatique qui s’annonce, ils sont cependant assurés de l’appui de tout ce qui reste en Belgique comme amateurs de jazz.

Leur action au début des années 60 se résume en deux mots : “Jazz Pour Tous” déjà évoqué, et Comblain-la-Tour ! “Jazz Pour Tous” version TV est un phénomène unique dans l’histoire de la télévision belge : jamais auparavant et plus jamais par la suite, une telle qualité et une telle densité ne résisteront de manière aussi solide aux assauts du commerce ambiant. Chaque émission présente une vedette (souvent en rapport avec les événements qui se déroulent à Comblain) et une séquence intitulée “Ceux dont le métier n’est pas de faire du jazz” : cette dernière propose aux spectateurs de découvrir à chaque fois un de ces nombreux semi-professionnels qui font le jazz belge d’alors. L’émission atteint son rythme optimal en 1961 : au mois de février de cette année, il n’y eut pas moins de trois émissions en trois jours avec une affiche dont on n’oserait plus rêver aujourd’hui. Tous les grands jazzmen belges et européens – et plus d ‘un invité américain – passeront à “Jazz Pour Tous” qui, en outre, produira le film “Jazzboat“, organisera des concerts, des expositions, etc.

Parallèlement, Nicolas Dor et Jean-Marie Peterken ont lancé le Festival de Comblain-la-Tour en collaboration avec le journal “La Meuse” et l’imprésario américain Joe Napoli (disparu en 1989). Nicolas Dor présentera la plupart des concerts de Comblain (et on peut d ‘ailleurs entendre sa voix sur le disque de Cannonball Adderley enregistré à Comblain en 1962). Il est désormais incontournable sur le plan européen pour tout ce qui touche au jazz. Il est appelé aux quatre coins du monde à l’occasion de festivals ou de galas. Ainsi, en 1965, la célèbre chaîne américaine NBC l’invite à venir présenter deux shows internationaux. Nicolas Dor sera aussi producteur au Service Variétés de la RTB et s’occupera activement de diverses manifestations telles que le Festival de Spa et la Coupe d ‘Europe du Tour de Chant. Comblain se termine en 1966. “Jazz Pour Tous” en 1969. Nicolas Dor par contre, reste sur la brèche. “Focus Jazz“, “Contraste Jazz“… sont quelques-unes des émissions qu’il conduisit à travers l’obscurantisme jazzique des années 70.

Le Festival de Comblain-la-Tour sous la pluie en 1964 © La Meuse

A l’âge de la retraite, la RTB ne peut se résoudre à s’en séparer. Elle le sait irremplaçable. De samedi en samedi, dans “25. 50. 75“, et jusqu’à sa mort en juin 1990, Nicolas Dor continue à fouiller inlassablement les dédales de sa mémoire et de sa collection, y retrouvant les pièces les plus rares, les anecdotes les plus insolites, les détails les plus pointus. Une, deux, trois générations ont vécu le samedi après-midi au diapason de ce fou de musique, de ce diplodocus à l’intonation inimitable, à la diction soignée (n’oublions pas que pendant son enfance et son adolescence, il raflait tous les prix des concours d’éloquence !), au visage rond et plein comme est ronde et pleine la passion qui le liait à la cire et aux sillons. “Parfois avec l’espoir sournois de le désarçonner, raconte Marc Danval, je lui pose une question parfaitement insidieuse à propos d’un 78 tours fantomatique que les collectionneurs du monde entier s’échinent à retrouver. Un long moment de réflexion précède une riposte impitoyable d’exactitude : Je vois ce que tu veux dire. L’enregistrement a eu lieu à Hollywood le 18 février 1937. L’étiquette est jaune avec un palmier brun.”

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : Nicolas Dor © rtbf.be ; jazzontherecord.blogspot.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


More Jazz…

Chevalier de l’enfance (musée en ligne)

Temps de lecture : 2 minutes >
Chevaliers en arme : détail de la tapisserie de Bayeux dite “Tapisserie de la Reine Mathilde” ou “Telle du Conquest” (XIe) © Bayeux Museum

Comme de nombreux amis collectionneurs, je rêve d’un vrai musée dédié aux soldats jouets. Un lieu de mémoire où le génie créatif de l’industrie du jouet pourrait être admiré.

En effet, l’allant des industriels, les trouvailles des techniques créées et utilisées par les ingénieurs, le travail des artisans, sculpteurs et graveurs, la patiente finition des petites mains, nous ont offert les jeux et les joies de notre enfance mais surtout, ils font partie de notre patrimoine industriel, artisanal et pour certaines pièces, de notre patrimoine artistique.

Quelques passionnés tentent de forger par leurs initiatives individuelles la mémoire durable de cette épopée ludique. Les livres ont un rôle à jouer mais l’outil internet permet de créer un musée virtuel accessible à tous, gratuitement dans le monde entier.

L’armée des soldats jouets se compte en dizaine de milliers de pièces, un choix était nécessaire ; une marque, une période, un pays ou une période de production voir d’autres critères encore. L’ost des chevaliers répond aux échos des combats et joutes de mon enfance, des films d’aventures et des feuilletons télévisés d’où le nom du site Le chevalier de l’enfance.

Le Moyen-âge est une porte ouverte sur le merveilleux : Arthur, la Table ronde, la licorne, les fées, les elfes, les dragons et les sorcières que le Malin anime. Se dresse toujours le preux chevalier qui, sous le regard de dieu et par l’adoubement, s’engage à obéir aux trois piliers de l’aristocratie militaire : la fidélité, l’honneur et le courage. Plus que le rang ou que l’apparence, le chevalier se définit par son comportement, sa bravoure au combat et la protection des plus faibles, des plus démunis. Exempli gratia, nous construisons tous notre vie selon l’exemple.

Le chevalier de l’enfance pourrait aussi se décliner en chevaliers de France. Un hommage est rendu aux combattants d’Azincourt de manière indistincte anglais comme français. Chaque blason représenté sur ce site correspond à un chevalier ayant participé à cette bataille qui est considérée par certains historiens comme celle qui marque la fin de la chevalerie. La puissance du choc des milliers de flèches décochées par les archers anglais, le massacre des prisonniers encombrants trouvent aujourd’hui leur écho dans les guerres totales. Je souhaite à tout visiteur l’enchantement à parcourir ce musée virtuel…”

Pour en savoir plus, visitez CHEVALIERDELENFANCE.COM…


D’initiatives en initiatives…