Cendrillon, la belle souillon, s’assit
Et le Diable lui dit :
“Imagines-tu que, près de toi, toujours
Je rôde en Amour ?
Qu’à chaque pas que tu fais,
J’en fais un aussi ?
Ne crains-tu qu’un jour,
Secrètement miellée d’envie
Dans mes bras, tu souries ?
Ah ! Que de dangers tu cours,
À tourner le cul à l’amour ! “.
A ces mots de cœur,
La Seulette pris peur
De voir partir le Fourchu
Qui, de si belle humeur,
Lui parlait de son cul.
Ah donc, elle s’était menti :
Le Diable était gentil…
La question linguistique prend parfois des tournures jubilatoires qui ne serviront pas, cette fois, les effets de manche de politiciens en mal d’auditoire. Ainsi les différentes versions de la fable de Jean de la Fontaine (1621-1695), Le corbeau et le renard (1668), en version brusseleir : chaque Bruxellois qui se respecte a sa version ou, plutôt, celle de son quartier ou de sa commune. Qui récite la vraie fable du Toffe knul et du renard ? Où est l’authenticité ici ? Peut-être encore dans le plaisir d’en débattre…
Le journaliste Daniel Couvreur, dans Le Soir (13 juin 1992) contribue à l’étude de la question : “Tenè-tenè, ce stouffer de Tichke se prend pour Esope et trempe sa plume en stoumelinks dans la Fontaine. Un chinûse stüet de 40 fables. Depuis qu’il est chargé de cours à l’Académie du brusselse sproek, Tichke tient le dikke nèk. C’est devenu un èkte littereir. Après son lexique, ses gauloiseries, sa grammaire, ses dialogues et son dictionnaire, il a pondu un stoemp de fables à faire rougir Manneken-Pis. Jean de Lafontaine en brusseleir, les collectionneurs le cherchaient vainement chez un voddemann au Vieux marché, le dimanche matin. Et encore, te faut pas jouer avec les ballekes de Tichke, pasque ces klüterae n’étaient pas de l’otentique. Tich-ke vous le dira, mènneke ! Tous ces vieux boukskes, c’était du wallon et du bruxellois au mixer. Du petit nègre quoi ! Il était temps de rectifier la vérité et d’arrêter de broubeler. Le parler bruxellois, Monsieur, ça ne se frouchel pas. On ne fait pas du kipkap avec une langue indigène. “Indogène”, précise Louise, la tendre pauske de Tichke. C’est une langue indogène pure…“
Un fidèle de wallonica, Bruxellois d’adoption, nous transmet la version suivante :
Maître corbeau sur un arbre perché
Tenait dans son bec un ettekeis
Maître renard dei da geroeken aa
Kwam afgeluupe op zen puute en zaa:
A bonjour monsieur le corbeau
Comme tu es joli, comme tu es beau.
Regardez-moi ce plumage non d’un milliard
T’es precees ne panache van ne corbillard
Et quelles couleurs, o la la!
Da komt zeiker ooit de Sarma !
Le corbeau en entendant cela
Devint tout à fait gaga.
Et prenant pour sinceres les belles paroles
On voyait son nez begost te krolle
En hij mokt hem nen dikke nek
Comme s’il avait bouffé un kilo de spek
Ne nek si gros, sacrebleu,
Que son col cassait presque en deux!
Le renard voyant ce ballekeskop
Gaf hem nog mier zakken op.
Sans mentir, si ta voix ressemble a ton veston
Je voudrais entendre une petite audition.
Et croyez-moi, je dis pas ça pour rire,
Tu ferais mieux de chanter le pays du sourire.
Le corbeau ouvrit son bec grand ouvert
Et evidemment son ettekeistomba par terre.
Le renard pakte hem seffens in zijn puutte
En sloeg hem in zijn kluute
Appreneer, onnuusele snul,
Que les flatteurs sont juste bons
Vou heule smool te vulle.
Le corbeau jura, mais un peu trop tard,
Na edde ma nemie senne kastar
Als ge aven ettekeis wilt havan,
Wel dan moede ave smool toe have.
Anonyme
Une autre version fait foi, en l’occurrence celle de Virgile, un collaborateur du magazine Pourquoi Pas ? Virgile au service de La Fontaine, on a vu pire : “Les anciens s’en souviendront avec émotion et nostalgie […] Un pei digne de Toone, la célébrité en moins. Car qui se souvient encore de Léon Crabbé (1891-1970) ? Si Léon Crabbé ne dit rien, son pseudonyme, Virgile, éveille déjà un lointain souvenir. Avec les Éditions Racine, George Lebouc, grand spécialiste du parler bruxellois, a fait sortir Virgile du purgatoire en publiant successivement ses “Fables complètes” (2001), ses “Dialogues de la semaine” (2002-2003) et ses “Parodies” (2004) et son théâtre : “Le Cidke“, “Horaceke“, “Carmenneke“, “Boubourochke” et “Cyranotje de Bergerakske“.” [d’après LALIBRE.BE]
Impossible de ne pas partager ladite fabulette racontée par un autre pei de là-bas, dis. J’ai nommé Eddy Merckx :
Reste que, pour la comparaison, la fable originale de Jean de la Fontaine est toujours la bienvenue. La voici :
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
Et bonjour, Monsieur du Corbeau,
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.
À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie,
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s’en saisit, et dit : Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.
Le Corbeau honteux et confus
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
Jean de la Fontaine (1668)
L’image en tête d’article est de Gustave Doré, qui a illustré les Fables en 1867.
Temps de lecture : 2minutes > DOTREMONT Christian, Écriture en forme de roue et roue en forme d’écriture (1979)
Il était une fois une liane au passé dodu,
Elle avait juré qu’on ne l’y reprendrait plus :
La marâtre araignée, au sécateur, l’avait blessée
Et de ses bourgeons, désormais…
Elle faisait un bonsaï.
C’était pour elle un problème de taille.
La belle enroulée était de formes bien roulée
Et, sur les troncs haut montés, elle n’eut cesse de grimper,
Mais la nuit restait noire et froid le point du jour.
Las, si de l’enfance elle passa aux rudeurs de l’amour,
Ce n’est pas dans des histoires de fesses
Qu’on quitte ses nattes et ses tresses.
Plus tard, elle porta la vie, pleine et riante,
Comme un défi à la Géante,
A la Gorgone et ses serpents,
A la Mère… monstre sans dents.
Et la liane si fluide et ses si roulés drageons,
Partirent s’attacher au plus lointain des troncs.
L’heure était belle, l’heure était calme,
Elle rafraîchissait leur front avec des palmes.
C’était loin, c’était beau, c’était le voyage,
Et du fantôme de la Goule, elle ne voyait plus la rage.
Mais, elle le savait, la rage était sienne
Et des glaces naissantes, elle se voulut la Reine.
Et les Grands-Vents se sont levés,
Et les humeurs furent retournées,
Et le grand tronc fut démoellé,
Et la tribu fut dispersée :
La liane, seule, dure de sa rage,
Se fit appeler la Mère-Courage.
Rampante sans tronc, elle se dressait
Quand l’entrechat la déroulait.
Chacun sa Mère, la Danse en est.
Printemps sans fruit, elle cuisinait
Sous le regard des chats gourmets.
Chacun sa Mère, la Cuisine le sait.
Car Mère-Courage était donneuse,
Mais, sous les ans, poussait fibreuse,
Et, dans son ventre de chaud plaisir,
Séchait le miel, à se tarir.
Or… au creux des lèvres, vivait un bois,
Malgré le vent, malgré le froid.
Espoir de vie, stupeur de Foi,
Quand le Printemps dépend d’un doigt.
Douceur des sens, révolution
Face aux faux monstres du cabanon.
C’est donc l’orgasme, ce sont les spasmes
Qui jettent lumière sur les fantasmes.
C’est l’arrogance du Gai Sourire,
Et c’est la Joie malgré le pire,
La belle sueur au point du jour.
Lunaire Pardon, vrai pour toujours,
Un souffle fondant sur la Flamme,
En quatre mots : “Mère, tu es Femme !”
Enfin…
Un cri puissant qui tue les Vents,
C’est la rivière née du dedans.
C’est la clairière pour la Forêt,
C’est le clairon du vrai Après.
Ayant boité tout l’été,
L’Ours se trouva fort dépourvu,
Quand la Renarde lui apparut.
Rousse de poil et
Rose de muqueuse,
Princesse Goupil n’était pas gueuse.
Belle et menue,
Elle jouait encore au cerceau,
Qu’un grand oiseau la sortit du ruisseau.
Évadée de son terrier,
La belle garçonne n’était pas roulure,
Elle savait goûter une fière allure.
Messire Héron n’en manquait guère.
Lors, quand d’un castel il hérita,
La belle poilue lui emboîta le pas.
A poils et à plumes,
Longtemps, les nuits furent de fête,
Jusqu’à ce que le chœur des grenouilles lui tournèrent la tête.
Sa tête à lui, mais à elle pas,
Dame Renart n’a que faire des batraciens,
Qui, face au grand Butor, s’agitent comme des chiens.
Alors que lui, dans sa superbe,
Piétant noblement dans l’herbe,
Se délectait de chaque croâ, comme il se doit.
On connaît l’échine des renardes,
Qui, devant l’adversité,
Le museau savent baisser, sans s’abaisser.
Mais ces femelles ont le cœur rude
(elles, toutes, si faussement prudes)
Et le malheur elles savent tourner, en un heur qui leur sied.
Lors donc, la Belle vécut,
De Longues-Pattes gérant les écus,
Par là gagnant sa paix, au beau milieu des échassiers.
Face à ce clinquant contrat,
Où la rousse ne perdait pas,
Cupidon, déçu, ne sut que faire et délaissa la belle fermière.
Le héron même le sait,
Il n’est pas de chantante rivière,
Qui d’eau n’ait besoin et qui, sèche, ne livre plus rien.
Il en va ainsi de l’amour qui,
Faute d’être bien arrosé,
Quand s’éteint la fête des corps, s’en vient à sentir la mort.
Or, un jour que la Renarde se promenait,
Aux côtés d’une grenouille qui sans tête coassait,
Elle avisa un Ours bourru qui de vrai amour ne voulait plus.
Le plantigrade était en rade mais,
Perclus de peines de cœur,
Martin n’en voulait pas moins chanter les fleurs.
La roussette en l’entendant,
Ne put qu’avec lui partager le chant,
Et de l’amour sentant l’odeur, elle sentit s’ouvrir le cœur.
Hola, hola, fit la Fée bleue,
Tout ceci n’est qu’histoire de queues,
Et de l’amour où la vie danse, ce n’est ici que l’apparence.
La belle Renarde a son caractère,
Et d’une magique marraine n’a que faire,
Ce qu’elle veut vraiment savoir, c’est là où la mène son devoir.
Pas son devoir de religieuse,
Pas les doctrines de la marieuse,
Mais son devoir envers la vie, celui aussi qu’elle souhaite pour sa fille.
Alors, elle dit à l’Ours d’attendre,
Avec force caresses et baisers tendres :
Un jour, bientôt, elle saura et, peut-être, elle le voudra.
Et voilà Noël pour le Martin,,
Mi-joyeux, mi-chagrin,
Qui ne sait rien de ce que sera demain.
Et voilà Noël pour les châtelains,
Mi-ennuyeux, mi-assassin,
Où la Renarde ne sent plus rien.
La fête est triste, sans âtre au cœur,
Mais l’Ours vivra, il chantera,
Et la belle, rose de rosée, ne pourra que l’entendre l’aimer.
Il était une fois,
Une Méchante Reine…
Malgré elle.
Elle ne sentait jamais sous les aisselles
Et, trop fière de sa vertu,
Elle ne sortait jamais les poubelles.
Le vernis sombre qui lui laquait le cœur
Masquait, le jour, ses plus belles humeurs.
Il éclatait chaque soir en cristaux blessants
Qui, très lentement, lui pourrissait le sang.
Pourtant, elle avait été charmante
Et, plus jeune, sans doute fraîche et ardente.
Mais aujourd’hui, ses petits la disaient Folcoche,
Tant ils pensaient dans leurs blessures
Qu’à chaque morsure de la Vipère,
Ils perdaient un peu plus de leur Mère.
Comme il se doit, elle avait marié,
Avant que sa bonté fut avariée,
Un Roi déchu au barbu collier.
L’histoire ne dit s’il était bon
Mais, reclus dans ses quartiers,
L’homme sans bras, au Salon, ne paraissait pas.
Ils avaient dû connaître l’amour,
Et la tendresse au point du jour.
Ils avaient dû connaître la sueur,
Qui, du sexe, est la trace du bonheur.
Ils s’étaient même reproduits
(Personne ne dit s’ils ont joui).
Or, un soir que grondait l’orage,
La sauvagerie s’est invitée,
Comme un nègre riant,
Au travers de l’oreiller.
Quelques mois plus tard passés,
Fleur de Lotus leur en est née.
A l’aube surprise, elle naquit belle et bien tournée,
Comme une femme déjà formée.
Le sein haut et la fesse négresse.
Elle était fine et sans bassesse.
Mais, si la Belle de ses atouts était déjà bien mûre,
La Reine ne lui laissa que de l’enfant la stature.
Dans l’étang où trop elle se mirait, sans âge, elle se lamentait :
Contre le pouvoir de Mère, elle ne pouvait aller,
Qui, dans le jardin sans délice, voulait l’enfermer.
A quoi bon se battre quand on est bonne fille ?
Elle fit donc sa guenille, du tissu de sa maladie,
Et, au monde déçu, son vrai sourire elle ne montra plus.
Les années passèrent, sans autres joies que délétères.
Et, si, dans beaucoup de contes, elle avait joué,
Ceux-là n’étaient pas de fée.
Pourtant, dans son cœur nébuleux, vivait encore le feu,
De cette nuit sabbatique où luisait la braise d’Afrique.
Elle le sentait, sans oser le dire.
Elle le masquait, craignant le pire.
Elle ne savait que faire de ce Printemps,
Elle qui ne croyait plus aux mots du dedans.
Alors, comme un pantin trop maquillé,
Fleur de Lotus s’est approchée,
Des nénuphars où elle est née.
Au bord de l’eau, profonde et sans mémoire
-où dans ses rêves noirs elle devait plonger-
Elle s’est soudain mise à danser…
Et le menuet trop pathétique dont la Reine ordonnait la musique,
D’un tourne-cuisse s’est mué, en un ballet sauvage, timide mais gai,
Et il l’a regardée.