Artothèque Chiroux (Liège, BE)

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© Province de Liège

“Envie d’accrocher une oeuvre dans votre salon, mais pas les moyens d’en acquérir une ? Désormais, il sera possible de les emprunter. La nouvelle Artothèque de la bibliothèque des Chiroux à Liège, inaugurée mardi, met à disposition des amateurs une petite centaine d’œuvres, signées d’artistes bien établis (Jacques Charlier, Patrick Corillon, André Stas…) ou de talents émergents (Elodie Ledure, Sylvain Bureau, Benjamin Monti…). Ces gravures, impressions numériques, photos et planches de BD peuvent être empruntées gratuitement, à condition de posséder la carte de membre des Chiroux, qui coûte 6 euros par an. L’emprunt dure deux mois et n’est renouvelable qu’une fois, mais les œuvres peuvent par la suite être achetées auprès de l’artiste, leur prix se voulant accessible (généralement moins de 400 euros). Les emprunteurs devront signer un document les engageant en cas de dégradation ou de vol. La province de Liège a mobilisé un budget de 27.000 euros en 2014 et 2015 pour acquérir cette collection, “mais nous sommes prêts à augmenter le montant si la demande est forte”,  précise Paul-Emile Mottard, le député provincial qui a porté l’initiative L’objectif est de promouvoir les artistes (une soixantaine sont exposés) et l’art contemporain auprès d’un public qui n’y est peut-être pas d’emblée réceptif. Ce concept existait déjà en France et à Bruxelles (Wolubilis), mais l’Artothèque des Chiroux est la première en Wallonie. Elle sera ouverte tous les vendredis (13h à 18h) et les samedis (9h à 15h). La disponibilité des œuvres pourra être vérifiée dans le catalogue public de la bibliothèque…”

Lire l’article original (LESOIR.BE, mercredi 19 novembre 2014)

Pour en savoir plus, visitez le site officiel de l’Artothèque Chiroux ou cliquez ci-dessous : plusieurs des œuvres disponibles sont déjà dans nos pages. Quelques exemples…

CLIN D’OEIL : les Muses de la non-inspiration

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© M. La Mine (Juste Usage de l’Ecrit, FaceBook, 2018)

“Ah oui, les muses de la non-inspiration. Alors ? Quelle est la recette miracle pour empêcher qu’elles vous tourmentent ? Il s’agit de la pratique régulière de l’écriture. Tout simplement.

Évidemment, si l’on porte aux nues cette activité, elle devient inatteignable. Comment se comparer à Flaubert, Joyce & co ?

Mais si l’on considère l’écriture comme une pratique, un geste, tout devient possible. Comme toute pratique artistique, l’écriture nécessite un engagement intense et une régularité. C’est petit à petit que peut alors émerger son écriture.”

Travail d’étudiants du Master de Création Littéraire du Havre, FR


S’amuser intelligemment, c’est s’amuser…

SPA : son nom est connu dans le monde entier

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Le casino de Spa et son parc © Dominique Duchesnes

“On connaît peu de villes dont le nom est entré dans le langage commun. Spa est du nombre. Commandez un spa au restaurant et l’on vous servira une eau minérale. Ébénistes et antiquaires évoquent le bois de Spa lorsqu’ils manipulent ces objets de collection souvent richement décorés. La tradition remonte au XVIIe siècle. Il faut aussi parler de la barre de Spa : un obstacle réservé aux as du jumping et qui rappelle que le premier hippodrome de Belgique vit le jour ici en 1822.

Mais le substantif “spa” est d’abord connu dans le monde entier parce qu’il résume la mode du thermalisme et de l’hydrothérapie dont il est devenu le synonyme. La petite ville située aux portes de l’Ardenne et des Fagnes est tout entière vouée à son eau de source et à ses bienfaits. Inaugurés en 2004, les nouveaux thermes ont donné un coup de jeune et de modernité à la pratique des cures rendue célèbre par le passage du tsar Pierre le Grand en 1717.

En pleine nature, Spa s’est organisée autour de son eau : sources, parcs et jardins, bâtiments de prestige ou villas cossues, mais aussi restaurants et cafés, casino pour les plaisirs de la vie. Une ambiance partagée avec d’autres grandes villes d’eau européennes comme Vichy en France, Montecatini en Italie ou Baden-Baden en Allemagne. Une dizaine de ces cités sont candidates ensemble à un classement par l’Unesco au titre du patrimoine culturel de l’Humanité. Une visite à Spa, c’est aussi donner un coup de pouce à cette initiative.

Manger

Envie d’un petit verre ou d’un bon repas à l’ombre des arbres géants de la forêt ardennaise ? Les solutions ne manquent évidemment pas à Spa ou dans les environs noyés de verdure. On vous propose par exemple de quitter Spa par la route de la Géronstère et de grimper jusqu’à la source du même nom, en pleine forêt. Les lieux sont spectaculairement aménagés et mettent en valeur la source. Dans les bâtiments voisins, la Source de la Géronstère est une adresse agréable et sans chichis qui plaît aux promeneurs de passage. En hiver, il fait doux s’y réchauffer autour d’un bon feu. En été, la terrasse s’ouvre sur la forêt et ses chemins pour une balade apéritive ou digestive. Les grillades au feu de bois sont les spécialités de la maison qui accueille les grands groupes et qui offre aussi quatre chambres pour un séjour prolongé en pleine nature.

Visiter

Immanquable en plein cœur de la ville, le Pouhon Pierre le Grand a fait l’objet d’une rénovation récente. Il abrite aujourd’hui l’office du tourisme et des salles d’exposition. Impressionnant, le bâtiment a été construit en 1880 et témoigne des fastes liés aux heures de gloire du thermalisme.

Le terme “pouhon” désigne une source d’eau ferrugineuse et naturellement gazeuse. De quoi inciter à une petite expérience amusante : une dégustation d’eau de source dans ce cadre prestigieux. Ici, la source produit chaque jour 21.000 litres du fameux breuvage. L’eau est brute, le goût de fer reste longtemps dans la bouche. A tester une fois dans sa vie.

Autre curiosité du pouhon spadois : une toile géante de neuf mètres de long signée en 1894 du peintre Antoine Fontaine. On peut s’amuser à identifier sur ce livre d’or peint les 92 personnalités qui y sont représentées et qui ont séjourné à Spa : écrivains, artistes ou célébrités politiques.

Se balader

À la sortie de la ville en direction de Tiège et Sart, le lac artificiel de Warfaaz est un lieu agréable qui incite à la promenade : à la belle saison, les gens du cru, les curistes et les touristes de passage prennent plaisir à en faire le tour sur un chemin bien aménagé et sans difficultés. En pleine nature, l’endroit est aussi très apprécié des pêcheurs du dimanche et même des amateurs de pédalo qui viennent gentiment perturber la vie tranquille des canards.

Le lac fut créé en 1890, quelques années après d’importantes inondations provoquées par les eaux du Wayai, le petit cours d’eau qui l’alimente toujours aujourd’hui avant de traverser Spa en aval. L’aménagement de cette retenue d’eau s’est vite transformé en histoire à succès comme en témoignent les restaurants et les terrasses qui accueillent aujourd’hui les amateurs de grand air. La balade autour du lac de Warfaaz est aussi un avant-goût d’autres promenades à découvrir dans les bois environnants…”

Source : LESOIR.BE (article du 7 août 2019) – en collaboration avec WALLONIEBELGIQUETOURISME.BE qui propose un guide à télécharger gratuitement… et d’autres ressources pour découvrir Spa…


Voir le monde…

LE CLEZIO : Greta Thunberg, la gravité de la Terre

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Greta Thunberg en mars 2019 © LIBERATION.FR

La Suédoise de 16 ans, à l’initiative des grèves hebdomadaires des lycéens à travers le monde pour protester contre le réchauffement climatique, est le visage d’une génération qui n’entend ni renoncer ni payer pour les erreurs de ses aînés.

Son visage nous est devenu familier. Elle est sérieuse comme on l’est quand on n’a pas encore 17 ans, elle regarde l’objectif sans ciller, elle lit ses discours d’une voix posée, dans un anglais parfait, ses nattes sages encadrent ses joues rondes, ses yeux nous fixent sans une hésitation, elle se tient bien droit, les bras le long du corps, elle ressemble un peu à une gymnaste, ou à une déléguée d’un groupe de collégiennes. Elle est devenue la combattante la plus crédible du mouvement de défense de notre planète menacée par le gaspillage des ressources naturelles et la disparition des espèces animales. Elle est reçue par les plus grands, des présidents, des directeurs d’industrie, des éminences des banques. Elle parle à la COP 24, ce club très fermé qui reçoit dans la ville de Katowice en Pologne les politiques et les spécialistes de l’environnement, qui discutent beaucoup et ne font pas grand-chose. Son discours est facile à comprendre. Elle ne manie pas l’hyperbole, elle ne se cache pas derrière les statistiques inutiles et les promesses de Gascon. Elle ne flatte pas le public pour dénicher des électeurs. Elle dit que nous – les adultes, les responsables, les acteurs de notre monde égoïste et rapace -, nous n’avons rien fait, et que les enfants du futur nous demanderont des comptes. Elle dit même une chose plus terrible, que lorsque nous ne serons plus là, dans dix, vingt ou trente ans, elle y sera encore et que c’est à elle que les enfants demanderont des comptes. Elle nous accuse, de sa voix douce et calme, d’avoir oublié que la Terre nous est prêtée, pas donnée. Est-ce que nous pouvons l’entendre ? Nous avons si peu entendu les voix qui nous interpellaient, avant elle. Nous n’avons pas écouté la parole du chef des Indiens Lummi, le grand Seattle, lorsqu’il répondait au gouverneur qui lui proposait d’acheter les terres indiennes : “Comment pouvons-nous vendre ce qui ne nous appartient pas ?” Nous n’avons pas entendu les avertissements des hommes de science, d’Aldo Leopold, de Bertrand Russell. Nous n’avons même pas écouté Einstein quand il nous prévenait que si les abeilles venaient à disparaître, nous n’aurions que quelques mois à vivre.

Son action est simple, comme cela devrait toujours l’être quand il s’agit de choses normales. Chaque vendredi, elle appelle à la grève des enfants. Une grève des écoliers, il y a de quoi faire sourire les sceptiques. Avec un petit sourire, ils ne se privent pas de dire que c’est assez original, plutôt amusant. Et il lui faut du courage, à Greta, pour affronter le sourire ironique des adultes. Pourtant, quand elle apparaît, sur nos écrans, dans les pages de nos journaux, avec son visage grave et ses traits doux, et qu’elle dit de sa voix de colère contenue que nous devons paniquer, que nous devons réagir, nous indigner, commencer la lutte, changer notre façon d’être, notre rapport au monde et aux animaux qui l’habitent avec nous, que nous devons nous inquiéter de l’absence des saisons, de la disparition des insectes et des oiseaux, du dépeuplement des mers et du blanchissement des coraux, de cette sorte de silence assourdissant qui s’étend peu à peu sur la planète nature, au profit des vacarmes des villes, du mouvement fébrile des hommes, de l’exploitation à outrance des richesses du sol et des forêts, comment ne pas ressentir un coup au cœur, un tressaillement, comment ne pas être envahi par la nostalgie du futur, à l’idée de ce que nous n’avons pas fait, de ce que nous avons laissé se défaire, de notre regard qui s’est détourné, du grincement cynique de nos égoïsmes ? Comment ne pas l’entendre ? Comment avons-nous pu oublier à ce point nos responsabilités envers les générations à venir, comment avons-nous osé accepter que ceux qui vont pâtir le plus du changement climatique seront ceux qui n’ont pas participé à sa détérioration, ceux qui n’ont pas profité des bénéfices de la production, qu’ils mourront de faim parce que nous avons rempli nos garde-mangers à l’excès ?

Il n’est pas imaginable que tout cela ne soit qu’une crise passagère, que cela disparaisse dans le grenier encombré de nos luttes échouées, de nos approximations, de nos rêves fracassés.

Greta Thunberg, elle, n’a pas renoncé. Avec la gravité de son jeune âge, avec la science instinctive de l’enfance, elle monte à la tribune, elle dit ce que nous ne voulons pas entendre, elle brandit ses panneaux devant les Parlements, devant les politiques, les puissants de ce monde. Elle parle pour elle, pour sa génération, mais aussi pour ses enfants à naître, et au-delà des humains, pour notre Terre tout entière, dans sa précieuse et fragile beauté. Écoutons-la. Entendons-la. Il est peut-être encore temps.

J.M.G. Le Clezio

Lire l’article original sur LIBERATION.FR (13 mars 2019)…


Dans la presse également…

PIKETTY : Chaque société invente un récit idéologique pour justifier ses inégalités…

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Dans une société où 50 % de la population n’hérite de rien, ou presque, Piketty prône un héritage pour tous © Rémy Artiges

“Héritage pour tous, forte imposition des plus hauts revenus et du patrimoine, cogestion en entreprise : dans son nouvel opus, «Capital et idéologie», qui sort ce jeudi, l’économiste français le plus connu à l’international depuis son «Capital au XXIe siècle» s’attaque au dogme de la propriété pour inverser la courbe explosive des inégalités. Renversant.

Libération : Vous publiez un livre-enquête de 1 200 pages sur les inégalités sociales que vous résumez en une phrase (!) dans votre introduction : l’inégalité n’est pas économique ou technologique, elle est idéologique et politique. Qu’entendez-vous par là ?

Piketty : J’essaie de montrer dans le livre que l’inégalité est toujours une construction politique et idéologique, et que les constructions du présent sont aussi fragiles que celles du passé. Nous vivons aujourd’hui avec l’idée selon laquelle les inégalités d’autrefois étaient despotiques, arbitraires et que nous serions dans un monde beaucoup plus mobile et démocratique, où celles-ci sont devenues justes et justifiées. Mais cette vision ne tient pas la route, elle est le fait d’élites qui affirment que les inégalités sont naturelles et ne peuvent pas être changées, sinon au prix d’immenses catastrophes. En réalité, chaque société humaine doit inventer un récit idéologique pour justifier ses inégalités, qui ne sont jamais naturelles. Ce discours, aujourd’hui, est propriétariste, entrepreneurial et méritocratique. L’inégalité moderne serait juste car chacun aurait en théorie les mêmes chances d’accéder au marché et à la propriété. Problème, il apparaît de plus en plus fragile, avec la montée des inégalités socio-économiques dans presque toutes les régions du monde depuis les années 80-90.

Libération : Une des pierres angulaires de ce récit hyperinégalitaire est la sacralisation de la propriété, selon vous…

Piketty : On observe des formes de sacralisation de la propriété, qui rappellent parfois les inégalités très choquantes des siècles passés. Au XIXe par exemple, quand on abolit l’esclavage, on est persuadé, tel Tocqueville, qu’il faut indemniser les propriétaires, mais pas les esclaves qui ont travaillé pendant des siècles sans être payés ! L’argument est imparable : s’il n’y a pas de compensation, comment expliquer à une personne qu’elle doit rendre le patrimoine qu’elle avait acquis de manière légale à l’époque ? Que fait-on d’une personne qui a vendu ses esclaves il y a quelques années et qui possède maintenant des actifs immobiliers ou financiers ? Cette sacralisation quasi religieuse de la propriété, cette peur du vide dès lors qu’on commence à remettre en cause les principes de la propriété faisait qu’on était prêt à justifier n’importe quel droit de propriété issu du passé comme fondamentalement juste et impossible à remettre en cause. On la retrouve actuellement avec la question des supermilliardaires, quel que soit le nombre de zéros. Les fortunes individuelles pouvaient atteindre 10 milliards d’euros il y a quinze ans, désormais, c’est 100 milliards…

Libération : Nous sommes donc dans la sacralisation de la propriété…

Piketty : Cette peur peut nous empêcher de résoudre des problèmes extrêmement graves, comme le réchauffement climatique, et plus largement d’avoir un système économique qui soit acceptable pour le plus grand nombre. Cette espèce de fixation, de sacralisation de la propriété comme indépassable, est un danger pour les sociétés humaines. En France comme au Royaume-Uni, dans les années 80, on a basculé directement d’un système qui misait sur les nationalisations et la propriété étatique comme unique mode de dépassement du capitalisme, à… rien du tout ! Cette bascule soudaine dans la libéralisation totale des flux de capitaux, couplée à la chute du mur de Berlin et la fin du communisme a enterré les tentatives pour repenser la propriété.[…]”

Lire la suite de l’interview de Sonya FAURE sur LIBERATION.FR (11 septembre 2019)


Plus de presse…

ARNO : Trump et le Brexit, c’est la faute des coiffeurs  !

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Arno © Danny Willems

“Le Point : Ton album s’appelle Santeboutique, un mot qui signifie bordel. Le bordel est-il dans ta tête ou dans le monde ?

Arno : Les deux ! Santeboutique, c’est une vieille expression qu’on utilisait dans le nord de la France, sur la côte belge et à Bruxelles pour parler de bazar. C’est l’être humain d’où vient mon inspiration qui crée ce bazar. Et moi, je suis un être humain et fais des bêtises. La maison de disques voulait que je fasse un album en Amérique avec des musiciens américains. Mais j’habite en Europe et je me sens européen. J’ai même écrit Putain Putain, en 1983, en sortant du train à la gare du Nord, une chanson qui disait : “Putain, c’est vachement bien, nous sommes tous des Européens.” Ma musique est européenne et avec mes musiciens aussi, notamment John Parish (collaborateur notamment de PJ Harvey et de Eels, NDLR) qui est un anti-Brexit.

Le Brexit te rend-il triste ?

J’ai peur avec tout ce qui se passe dans le monde, que ce soit en Europe ou en Amérique, avec le Brexit et la montée de l’extrémisme. On vit une période très conservatrice et je ne sais pas dans quelle direction on va. Tout est en train de changer très vite. Est-ce que l’on revit les années 1930 ? En Belgique, récemment, à un festival de rock, il y avait des jeunes pour parler climat et des groupes d’extrême-droite venus avec des drapeaux qui ont attaqué ces jeunes.

J’ai ma petite idée sur d’où viennent les problèmes. Le Brexit et la montée des extrémistes, c’est la faute des coiffeurs ! Regarde la coiffure de Donald Trump et celle de Boris Johnson : ce sont les mêmes ! Aux Pays-Bas, il y a aussi le nationaliste Geert Wilders qui a une coiffure comme eux. Ce sont leurs coiffeurs qui font le bazar dans leurs têtes et foutent le bordel dans la géopolitique mondiale ! La coiffure de Trump, on dirait le cul d’un lapin rose.

Les coiffeurs nous mèneront-ils à l’extinction de l’humanité ?

Je suis un vieux spermatozoïde devenu pessimiste. Avant j’étais un gauchiste, un anarchiste. Pas un parachutiste ! (rires) Quand j’étais jeune, le rock était un truc contre le système, la façon dont on était habillé, dont on était coiffé… Il y avait des restaurants dans lesquels on ne pouvait pas entrer. En mai 1968, à Londres, j’avais rencontré une Française au pair qui m’a proposé d’aller à Paris. On se retrouve place de la République, il y avait plein de jeunes qui manifestaient, Cohn-Bendit, etc. et j’ai vu deux vieux sur la place. C’était Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. Je n’oublierai jamais ce moment. Le soir, je visite les Champs-Élysées et je vois dans la brasserie Jean-Paul Sartre en train de boire du champagne. Je me suis dit : “Tiens, voilà un socialiste avec des trous dans ses poches !“.

Es-tu nostalgique de cette époque ?

Je n’aime pas être nostalgique, car cela me donne de la mélancolie. Mais je suis confronté à cela, j’ai des flash-back. J’ai vécu une vie formidable. Ma génération ne peut pas se plaindre : nous sommes les premiers à n’avoir vécu aucune guerre en Europe. Mon grand-père en a connu deux, mon père une. Mon père s’est réfugié en Angleterre et a fait son service militaire à la Royal Air Force. Ma grand-mère est née en 1901 et elle chantait dans les cinémas muets de Belgique. Moi, je suis né dans un taxi à Ostende, juste devant l’hôpital. Plus tard, à l’âge de 15 ans, je trouve un portefeuille et vais chez les flics pour le rendre. Le lendemain, on sonne à la porte. C’était le chauffeur de taxi qui m’a vu naître. Il a laissé 50 francs belges pour me remercier.

Est-il vrai que tu as cuisiné pour Marvin Gaye ?

Oui, j’ai cuisiné au début des années 1980 pour Marvin Gaye. J’étais cuisinier de formation, mais j’avais préféré faire de la musique. Marvin Gaye était venu habiter à Ostende, c’est là d’ailleurs qu’il a enregistré son dernier album. À l’époque, j’étais dans la merde, j’avais plus d’argent et un copain, Freddy Cousaert, m’a proposé de cuisiner pour Marvin. Aujourd’hui, je ne cuisine plus. De temps en temps, je fais une omelette…

Te sens-tu vieux ?

Je ne pense pas à l’âge. Hier est mort, je vis aujourd’hui et demain n’existe pas. Je vis le moment. Je ne pense pas en chiffres. Je ne sens pas mes 70 ans, j’ai encore toutes mes dents. Pour le moment… (rires)

Mais dans ta chanson « Ça chante », tu évoques quand même la « libido zéro ». Il semble loin le temps des « Filles du bord de mer »…

Oui. Mais tout le monde peut être confronté avec une libido zéro. Pour moi, cela marche encore. Le « zéro » est remplacé par « bio ». J’ai une libido bio ! Je sens encore la tour Eiffel en moi ! Mais bon, sinon, les érections cérébrales durent plus longtemps… Comme disait ma grand-mère à ses copines, les hommes quand ils jouissent, c’est comme des oiseaux : « tchip tchip, et c’est fini ». J’en ai fait une chanson.

Est-il plus dur d’être musicien qu’avant ?

Moi, j’ai vécu avec le cul dans le beurre. Dans les années 1970, l’argent n’était pas important pour nous, on partageait tout : les joints, les aliments du frigo… À l’époque, le magazine rock français Best avait organisé un concours au Golf-Drouot (temple du rock à Paris aujourd’hui fermé, NDLR). On a gagné le prix qui était un peu d’argent et un contrat avec une maison de disques. On a pris l’argent. Quand on est rentré en Belgique, on s’est rendu compte qu’on avait oublié le contrat en France… Dans le temps, on était content avec un sandwich et une bouteille de bière. Maintenant, les groupes demandent un bon traiteur et une bonne bouteille de vin. Mais bon, pour se cultiver, on doit se mouiller !

D’où vient ta passion pour le rock ?

J’ai découvert le rock avec Elvis Presley. J’avais 8 ans. J’étais chez un copain et ses deux sœurs teenagers, Dorothée et Raymonde, écoutaient One Night with You. J’étais en extase. J’ai été accro à partir de l’âge de 8 ans et pour le reste de ma vie. Et je suis encore accro au rock’n’roll : c’est une maîtresse qui ne m’a jamais trompé et grâce à laquelle je suis en vie.”

Pour lire l’interview d’Olivier UBERTALLI sur LEPOINT.FR (20 septembre 2019)…



Plus de scène…

De la nécessité d’attribuer à titre posthume le Prix Nobel à Simenon

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“Dans son dernier essai, Jean-Baptiste BARONIAN apporte la preuve définitive que tout n’a pas été écrit sur Georges SIMENON et que, trente ans exactement après la disparition du plus liégeois des écrivains universels (ou du plus universel des écrivains liégeois, le propos est réversible), son œuvre comme sa vie recèlent encore leur lot de trouvailles. Encore faut-il, pour les dénicher, oser s’aventurer dans les recoins inexplorés ou négligés de son univers, dans des œuvres peu citées – Strip-teaseUn banc au soleilIl pleut bergère…La prison – ou dans le massif, parfois rébarbatif, des Dictées.

Les dix-sept chapitres que compte l’ouvrage auraient pu donc en être vingt, cinquante, cent. C’eût été sacrifier à la passion de l’exhaustif, par définition inassouvissable en ce qui concerne un tel géant. Puis il y a dans la démarche ici adoptée un parti pris de plaisir, qu’une étude plus fouillée aurait compromis et alourdi.

Baronian a dès lors si parfaitement ajusté la focale qu’il happe d’emblée l’intérêt du lecteur, simenonien patenté ou profane. Bien sûr, il sera question de villes de province, de femmes, de cinéma, de crime, mais chacun de ces aspects est abordé par la bande, dans une dimension inattendue ou selon un angle d’attaque original.

Ainsi, « le personnage de Liège » est-il envisagé à travers Je me souviens…, un « livre-relais » qui montre que la cité natale du romancier est constamment au cœur de sa dramaturgie. Simenon lui-même minimisait l’importance de ce titre, qu’il qualifiait de « sorte de document » et auquel il déniait le statut d’œuvre littéraire. Baronian voit quant à lui dans cette sonate le socle du mouvement symphonique plus large de Pedigree. Maints autres lieux sont revisités, comme Marsilly, petite commune de Charente-Maritime, où Simenon écrivit pas moins de douze romans alors qu’il était locataire de La Richardière. En contrepoint de ce constatable effet du « génie du lieu » se pose la question de savoir pourquoi la Suisse, où Simenon a pourtant longuement vécu et beaucoup écrit, l’a si peu inspiré. Une absence criante, qui se manifeste dans le pseudo-toponyme forgé par Simenon pour requalifier Échandens : Noland (« aucun pays »). Là n’est pas le seul mystère que sonde l’essayiste. Il en est aussi qui règnent autour de personnages hantant son imaginaire comme sa biographie…”

Lire la suite de l’article de Frédéric SAENEN sur LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS.NET (article du 15 juillet 2019)

ISBN 2-36371-298-1

Jean-Baptiste BARONIANSimenon, romancier absolu (Paris : Pierre-Guillaume de Roux, 2019)

 

Jean-Baptiste Baronian, membre de l’Académie royale de Belgique, est l’auteur de romans, nouvelles, essais, biographies, dictionnaires, anthologies. Il a publié en 2017, Baudelaire au pays des singes, un essai unanimement salué par la critique, puis un roman, en 2018, Le Petit Arménien.


 

En lire encore…

CHATER: Théorie de l’esprit plat. L’intelligence n’est qu’une illusion

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Couverture du Science & Vie n°1223 (août 2019)

Les sens sont nos propres juges et les premiers, et ils ne perçoivent les choses que par les événements externes [qui les affectent] ; alors il n’est pas étonnant si, dans tous les éléments qui servent à la bonne marche de notre société, il y a un si perpétuel et général mélange de cérémonies et de signes extérieurs superficiels, en sorte que la meilleure et la plus réelle part des règles sociales consiste en cela.

Montaigne (1580)

L’esprit n’est pas profond, il n’existe aucun moi intérieur.” Avec sa Théorie de l’esprit plat, Nick CHATER vient de jeter un énorme pavé dans la mare. Car ce professeur en sciences du comportement a découvert que notre esprit, loin d’être insondable, fonctionne de façon totalement… superficielle ! Ce que démontrent plusieurs expériences, qui prouvent l’incroyable platitude de notre intellect. Pire, elles remettent en cause ce que nous croyons être nos convictions, notre personnalité et même notre inconscient ! Nous l’ignorons, mais nous sommes tous bêtes ; et le savoir est un premier pas pour l’être moins.

On pensait que notre esprit était profond… alors qu’il est bêtement superficiel

Vu toutes les pensées qui vous viennent, vous êtes convaincu de la profondeur de votre esprit, au point qu’il vous paraît insondable? Désolé de vous le dire, mais votre esprit est vide, absolument superficiel, d’une platitude consternante. En un mot, vous êtes “bête”. Ne le prenez pas mal : ce jugement vaut pour tous les humains. Sans exception ! Telle est la conclusion de la théorie globale de l’esprit développée par le psychologue anglais Nick Chater : la “théorie de l’esprit plat”.

Présentée dans un livre paru fin 2018, cette théorie fait table rase de réflexions philosophiques millénaires, de travaux de psychiatrie séculaires et de dizaines d’années d’études scientifiques dédiées à notre psyché. Le tout en se fondant sur un constat tout simple: “L’esprit n’est pas profond, il n’existe pas de ‘moi intérieur’, ni de subconscient ou d’inconscient tels que nous les concevons; au contraire, l’esprit est plat, il élabore en temps réel chacune de nos pensées, mais il le fait avec une telle rapidité, une telle puissance que nous avons l’impression qu’elles ont toujours été là”, résume le professeur en sciences du comportement à l’université de Warwick.

Plat? L’esprit humain? Allons … En chacun de nous, à chaque décision, chaque sensation perçue, notre esprit semble puiser en ses tréfonds un caractère, des envies, des sentiments, des souvenirs pour les trier avant de les faire remonter à la surface, les mettre en balance et, in fine, produire notre pensée. Sans parler des parasitages de l’inconscient, du Moi, du Sur-Moi et du Ça chers à Freud.

Nick Chater balaie tout cela. Dans sa théorie, rien d’enfoui : l’esprit est exclusivement accaparé par les interprétations instantanées générées par ce sur quoi il porte son attention. Il improvise en permanence, sans s’appuyer sur des structures supposées être constitutives de notre identité. Mais il crée l’illusion de leur réalité par sa seule rapidité.

Personnalité, convictions, sentiments … Tout ce qui semble animer notre profondeur intellectuelle s’avère alors une illusion qui aurait émergé en même temps que l’esprit lui-même et grandi avec lui, comme un faux reflet. Une illusion si savamment orchestrée qu’elle nous aurait tous, et depuis toujours, floués, bêtes que nous sommes. “Pour moi, reprend le chercheur, le fait de ‘chercher en nous’, de ‘comprendre le moi profond’, est une bêtise. Notre pouvoir d’introspection est trop limité, nous ne voyons en nous-mêmes que les histoires que nous voulons bien nous raconter, c’est-à-dire des affabulations. Et nous ne leur donnons alors que trop d’importance en les entretenant.

APRÈS GALILÉE ET DARWIN

C’est à la suite d’un vaste travail de méta-analyse que Nick Chater en est venu à formuler la “platitude” de notre esprit. Et cette vision, pour le moins iconoclaste, a été bien accueillie par la communauté scientifique -son livre est lauréat 2019 du prix PROSE en psychologie clinique qui récompense les œuvres universitaires. “J’admire l’ambition de la théorie de Nick Chater. Nos recherches vont dans le même sens -même si elles sont moins catégoriques“, témoigne par exemple Petter Johansson, chercheur en psychologie expérimentale (université de Lund, Suède).

Depuis des décennies, de multiples observations psychologiques et neurologiques se sont en fait accumulées, détruisant petit bout par petit bout les idées que nous nous faisions sur notre esprit. Notre perception si riche? “Un mirage“, balaie Ronald Rensink, professeur en cognition visuelle (université de Colombie-Britannique, Canada). Notre pouvoir d’imagination illimité? “Une construction mensongère“, assure Stephen Kosslyn, professeur émérite en psychologie cognitive à Harvard. Nos connaissances, notre raison, notre libre arbitre? “Pour beaucoup des approximations, des interprétations et des histoires qu’on se raconte“, assène Albert Moukheiber, docteur en neurosciences cognitives (université Paris 13). La théorie de Nick Chater assemble pour la première fois toutes ces illusions mentales en un tout cohérent, qu’elles concernent l’introspection ou la perception.

La platitude de notre esprit expliquerait ainsi pourquoi nous sommes influençables, sensibles aux biais cognitifs, et même parfois insensés. D’où l’intérêt de s’en soucier. D’autant que le marketing et les sciences de l’information en jouent pour capter notre attention. Une humiliation anthropologique de plus -après que Galilée nous a éjectés du centre de l’Univers et Darwin fait tomber du sommet de l’évolution, nous voilà sans profondeur ?

Oui, mais dites-vous que si votre esprit n’est pas profond, il travaille à une vitesse si faramineuse qu’il réussit à en donner l’illusion. Qu’il est peut-être plat, mais qu’il est un improvisateur tout-puissant. Alors, embrassez votre vie intérieure à la platitude si exceptionnelle qu’elle a réussi à se tromper elle-même sur sa propre nature -des bravos sont de mise. Découvrez-la, votre bêtise, car elle est, aussi, votre véritable intelligence. On vous l’avait dit: il ne fallait pas le prendre mal […]

Lire la suite du dossier de Thomas CAILLE-FOL dans le SCIENCE-ET-VIE n°1223…


EAN 9782259265195

Nick Chater est professeur de sciences du comportement à la Warwick Business School. Il y a fondé le groupe d’étude des sciences du comportement, qui est le plus important du genre en Europe. Il est également conseiller auprès du Behavioral Insights Team, l’agence de mise en application des sciences du comportement rattachée au gouvernement britannique. Il est membre du Comité britannique sur le changement climatique et membre de la Cognitive Science Society et de la British Academy.

“Le subconscient et la « vie intérieure » ne seraient-ils qu’une illusion ? Dans cet essai novateur, le psychologue et comportementaliste Nick Chater propose une nouvelle approche révolutionnaire du fonctionnement de l’esprit humain. Nous aimons penser que nous avons une vie intérieure, que nos croyances et nos désirs proviennent des profondeurs obscures de notre esprit, et que si nous savions comment accéder à ce monde mystérieux, nous pourrions vraiment nous comprendre nous-mêmes. Pendant plus d’un siècle, les psychologues et les psychiatres se sont efforcés de découvrir les secrets de notre conscience. Nick Chater révèle que cette entreprise est vouée à l’échec. S’appuyant sur l’état de la recherche en neurosciences, en psychologie du comportement et de la perception, il démontre que notre esprit n’a pas de profondeurs cachées et que la pensée inconsciente est un mythe. Notre cerveau, tel un grand improvisateur, génère en fait nos idées, nos motivations et nos pensées dans le moment présent. À travers des exemples visuels et des expériences contre-intuitives, nous comprenons que notre esprit s’invente en permanence, improvisant constamment notre comportement à partir de nos expériences passées. Original et délicieusement provocateur, ce livre nous oblige à reconsidérer ce que nous pensions savoir sur le fonctionnement de notre esprit.” [source : LISEZ.COM]

A lire : CHATER Nick, Et si le cerveau était bête ? (Paris : Plon, 2018)


Plus de discours structurés sur nous et nos frères humains…

Selon une étude, 75% des Français

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© Grae Dickason

“Paris – Une étude qui va faire du bruit. Contrairement aux idées reçues, on apprend ainsi que près de 75% des Français. Ce qui est très au-dessus de la moyenne européenne, qui elle est plutôt de l’ordre de 60%. Quelles sont les raisons d’une telle différence, quelles peuvent être les conséquences ? Notre spécialiste Constance Deplanque répond. Reportage.

C’est très rassurant‘ notent les instituts de sondages. ‘Auparavant, nous avions entre 45 et 55% des Français. Maintenant on approche des 75%‘. Cette étude vient rebattre les cartes et faire taire les mauvaises langues qui affirmaient que seulement 30% des Français. Mais désormais un nouveau seuil est atteint. Peut-être demain pourrait-on envisager 80% des Français ? Mais les pouvoirs publics sont-ils prêts pour ce changement radical ? ‘Ce qui reste cependant inquiétant, c’est que 25% des Français‘ regrette pour sa part Bruno Le Maire.

Pour comparaison il suffit de voir l’Angleterre avec seulement 51% des Anglais. En Russie, on atteint moins de 10% des Russes. L’Espagne tire son épingle du jeu avec près de 86% des Espagnols. Une telle disparité interroge. Pour certains scientifiques, c’est certain, d’ici 2025 il faudra vraisemblablement compter avec 85% des Français. Et vous ?”

Source : LEGORAFI.FR (26 juin 2019)


Plus d’humour encore…

DUFRESNE : Greta Thunberg, un engagement enraciné

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Greta Thunberg (15) devant le parlement suédois le 30 novembre 2018 : “L’école fait grève pour le climat” © Hanna FRANZEN / TT News Agency / AFP
“Vous n’êtes pas assez mûrs pour voir les choses comme elles sont.

Je suis encore sous le choc de ce reproche de la jeune suédoise, mondialement connue depuis la marche d’étudiants de 120 pays, le 15 mars 2019. Je dirai plus loin les raisons de ce choc. Je veux d’abord souligner le fait que l’engagement de Greta a des racines profondes. Les Thunberg sont en effet des descendants de Svante Arrhenius, […] raison pour laquelle le père de Greta porte aussi le prénom de Svante. Arrhenius (1859-1927), prix Nobel de chimie 1903, a été le premier à quantifier le lien entre le CO2 et le réchauffement climatique. Le père de Greta devait préciser que les découvertes de l’ancêtre avaient résisté au temps, à ceci près qu’il prédisait que le taux de réchauffement actuel n’adviendrait que dans 2000 ans.

À noter aussi que c’est à Stockholm que les Nations unies ont choisi de tenir, en 1972, la première grande conférence sur l’environnement. À ce moment, on savait déjà l’essentiel sur les changements climatiques. Voici ce qu’écrivaient René Dubos et Barbara Ward dans Nous n’avons qu’une terre (Paris : J’ai lu, Coll. Découvertes, 1972), le rapport publié juste avant la conférence. Ce rapport, Greta l’a sans doute découvert dans la bibliothèque familiale. Je cite : “En ce qui concerne le climat, les radiations solaires, les émissions de la terre, l’influence universelle des océans et celle des glaces sont incontestablement importantes et échappent à toute influence directe de l’homme. Mais, l’équilibre entre les radiations reçues et émises, l’interaction de forces qui maintient le niveau moyen global de température semblent être si unis, si précis, que le plus léger changement dans l’équilibre énergétique est capable de perturber l’ensemble du système. Le plus petit mouvement du fléau d’une balance suffit à l’écarter de l’horizontale. Il pourrait suffire d’un très petit pourcentage de changement dans l’équilibre énergétique de la planète pour modifier les températures moyennes de deux degrés centigrades. Si cette différence s’exerce vers le bas, c’est le retour à une période glaciaire; au cas contraire, un retour à une terre dépourvue de toute glace. Dans les deux cas, l’effet serait catastrophique. »

À cette époque, il suffisait de connaître le cycle du carbone, tel qu’on l’enseigne dans les écoles secondaires, pour vouloir mettre au plus vite un terme à l’économie d’extraction, expression que René Dubos, lui-même un scientifique de premier ordre, utilisait pour désigner une paresse de la science plutôt qu’un accomplissement…”

Lire l’article de Jacques DUFRESNE  sur AGORA.QC.CA (17 mars 2019)


D’autres explications du monde…

SERRES : L’espèce humaine est constituée de braves gens

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© Le Temps

“Le populaire philosophe et historien des sciences Michel SERRES est décédé le samedi 1er juin 2019, à l’âge de 88 ans. Nous [LETEMPS.CH] reproposons une ample interview de 2017, lorsqu’il publiait “C’était mieux avant”. Il nous lançait, en argumentant: “J’assume de passer pour un imbécile“.

Il avait 87 ans lors de notre rencontre, avait écrit 65 livres, reçu toutes les distinctions, et siégé à l’Académie française. Et pourtant, Michel Serres restait cet homme merveilleusement espiègle, qui a pu conclure un entretien d’un: “L’essentiel, c’est de s’amuser”. Il se désolait surtout de tous ces “grands-papas ronchons” qui “créent une atmosphère de mélancolie sur les temps d’aujourd’hui”, au point de nous offrir un nouveau voyage pour énumérer toutes les plaies cautérisées par le progrès. Et s’il se présentait dans cet essai comme un vieillard, il conservait l’enthousiasme de cette nouvelle jeunesse à qui il rêve que les grands-papas ronchons cèdent enfin la place.

Le Temps: Votre livre s’adresse aux «grands-papas ronchons», vous pensez qu’ils sont nombreux?

Michel Serres : Ce livre n’est pas une critique des vieux, dont je fais partie, mais j’entends une parole très négative sur les jeunes et le monde tel qu’il est devenu. J’ai voulu rappeler qu’il y a un peu plus d’un demi-siècle, nous avions Hitler, Staline, Franco, Mussolini, Mao Zedong, qui ont fait quarante-cinq millions de morts. Evidemment, je m’incline avec beaucoup d’empathie et de pitié devant les victimes des attentats et guerres civiles d’aujourd’hui, mais par rapport à ce que j’ai vu pendant la Seconde Guerre mondiale ou durant les crimes d’Etat tels que la Shoah ou le goulag, il n’y a pas de comparaison possible. Un chercheur américain l’a d’ailleurs confirmé, nous assistons à une baisse tendancielle de la violence. Et si beaucoup sont persuadés que notre monde est violent, nous n’avons jamais connu une telle paix.

Les anciens ne sont pas les seuls à ronchonner. On voit de plus en plus de jeunes contester le progrès, comme celui des vaccins, par exemple.

M.S. : La notion de paradis perdu est une constante de l’humanité. Durant ma jeunesse, certains de ma génération disaient déjà c’était mieux avant. Le monde a radicalement changé sous l’influence des sciences exactes: la biochimie et la pharmacie, qui ont fait progresser la santé, et les mathématiques, qui ont développé les nouvelles technologies. Or ceux qui ont la parole aujourd’hui, des administrateurs aux politiques, sont formés aux sciences humaines. Ce qui provoque un décalage entre la vérité des sciences humaines, qui est relative, et la vérité scientifique. Par conséquent, le problème n’est plus de savoir si l’aspirine est efficace, mais de savoir combien de gens pensent que l’aspirine est efficace. Et ce glissement est dangereux. C’est dramatique de ne plus croire aux vaccins. Par exemple si les gens peuvent se montrer presque nus sur la plage, c’est parce qu’en 1974 la petite vérole qui avait défiguré tant de corps a été éradiquée par les vaccins. Aujourd’hui, on ne meurt d’ailleurs plus que de maladies pour lesquelles on n’a toujours pas de vaccin.

Il semble pourtant y avoir eu un âge d’or: les Trente Glorieuses, période de paix, prospérité et plein emploi…

Durant les Trente Glorieuses, il y avait aussi Mao Zedong, Pol Pot, Ceausescu, le Rideau de fer… Et ces Trente Glorieuses étaient quand même très localisées, alors qu’aujourd’hui le confort est plus général. Ce que l’on peut effectivement interroger, c’est la croissance du chômage. Car le travail a beaucoup évolué avec les outils, qui nous ont dispensés de nombreux travaux pénibles. Mais plus il y a d’outils, moins il y a de travail. Nous dirigeons-nous vers une société sans travail ? Si cela arrive, il faudra repenser complètement la société qui reste entièrement organisée autour de celui-ci. Et personne ne peut dire si c’est une bonne ou mauvaise nouvelle.

Vous rappelez en tout cas qu’avant, ça puait, car l’hygiène était déplorable.

Vous n’imaginez pas à quel point ! Dans les années 50, le magazine Elle a même fait scandale en recommandant de changer de culotte chaque jour. A l’époque, évoquer l’hygiène intime était non seulement tabou, mais oser imaginer changer quotidiennement de sous-vêtement était folie. Avant, il y avait aussi beaucoup de maladies que la pénicilline a éradiquées. Et sur dix patients dans une salle d’attente médicale avant-guerre, on croisait trois tuberculeux et trois syphilitiques. C’est terminé. La médecine et l’hygiène ont même fait bondir l’espérance de vie. Aujourd’hui, une femme de 60 ans est plus loin de sa mort qu’un nouveau-né en 1700…

Alors d’où vient ce pessimisme ambiant?

Les riches savent rarement qu’ils sont riches, et plus on est dans le confort, plus on est sensible aux petits moments d’inconfort. D’ailleurs pendant les Trente Glorieuses, peu de gens avaient conscience de vivre une période de prospérité. On râlait déjà. C’est une affaire de tempérament, surtout français. En France, on ne dit jamais “c’est bien”, mais “c’est pas mal”. Cette culture fondée sur la critique date de Voltaire. L’optimiste est resté un candide, et donc un imbécile, alors que le pessimiste serait celui qui voit clair. J’assume de passer pour un imbécile…”

Lire la suite de l’interview menée par Julie RAMBAL sur LETEMPS.CH (article du 1 juin 2019)

Plus sur Michel SERRES dans l’encyclopédie de l’Agora (2012)


Plus de discours pour dénoter notre humanité…

CRUSADERS : Street Life (feat. Randy Crawford)

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Crusaders feat. Randy Crawford, Street Life (MCA, 1979)

On est en 1979. Les Crusaders ne savent pas encore qu’ils viennent de créer l’album de leur carrière qui se vendra le plus. Ce succès est dû entre autre à une rencontre : celle de Joe Sample, pianiste et claviériste du groupe avec une certaine Randy Crawford, une chanteuse soul de l’Etat de Géorgie aux USA. En 1976 alors que cette dernière signe un contrat chez Warner pour son premier album Everything Change, elle demande à Joe de jouer les parties de piano sur son disque, dont elle aime le côté subtil à la fois jazz mais également ancré dans la musique populaire afro-américaine. De là naît une amitié autant personnelle qu’artistique !

Dans les prémices de l’écriture de l’opus Street Life, Joe Sample pense immédiatement à Randy pour interpréter vocalement le titre éponyme. De ses propres aveux même, il dit qu’il a composé la chanson pour elle. Après eu avoir l’accord des autres membres du groupe, la chanson apparaît sur leur LP de l’époque en lui donnant son nom ! Et quelle chanson ! Son introduction d’une minute et trente secondes laisse la part belle au saxophone de Wilton Felder dans un registre smooth jazz, avant que la voix de Randy Crawford presque a capella ne transporte l’auditeur dans un univers à vous donner des frissons (cette introduction vocale sera d’ailleurs maintes fois échantillonnée dans la house !). S’en suit alors un mid-tempo enivrant où alternent avec bonheur les parties chantées, les solos de saxophone de Wilton ou de claviers de Joe le tout ryhtmé par la batterie de Stix Hooper. Enfin Roland Bautista, guitariste d’Earth Wind & Fire, a participé également à l’enregistrement. Plus de onze minutes de pur bonheur ! Ce titre à l’époque était tellement fédérateur que l’on pouvait l’entendre aussi bien, dans un club glauque d’un quartier mal famé que dans une garden party de la haute société. Il attirera également l’oreille des réalisateurs puisqu’on le retrouve en 1981 sur la B.O du film Sharky’s Machine avec Burt Reynolds puis en 1997 sur Jackie Brown de Quentin Tarantino dans des versions alternatives.

Mais même si Street Life balaie tout sur son passage l’intérêt de ce disque ne dépend pas que de ce titre ! En effet le deuxième morceau My Lady a été samplé par NTM sur leur plus gros tube La Fièvre avec comme d’habitude la présence  du saxophone de Wilton Felder qui propose le thème instrumental principal de cette composition. Une vraie réussite également ! La troisième pépite de l’opus est surement à chercher du côté de Carnival Of The Night, un jazz-funk  qui met en avant le duel basse / saxophone avec un talent certain ! Les percussions de Paulinho Da Costa sont aussi particulièrement présentes sur ce titre avec un petit côté brésilien discret mais évident. Si certains titres comme Rodéo Drive ou Night Faces plus tranquilles laissent entrevoir l’esprit smooth jazz que le groupe continuera d’entretenir partiellement dans les 80’s, ils ont le mérite de laisser une place au talent de chaque musicien de cette entité !

Cet album permettra en tous cas au groupe de connaitre un succès international, en se classant dans les charts du monde entier (classé en 18ème position dans les charts pop américains) et de faire une tournée américaine et japonaise triomphale, où Randy Crawford d’ailleurs accompagnait le combo sur toutes les dates. Depuis cette époque Joe et Randy ont eu régulièrement l’occasion de collaborer sur scène dans les festivals du monde entier ou même sur disque où le talent du pianiste et de la vocaliste font toujours des merveilles ! C’est aussi ça la magie de Street Life !”

Lire l’article original sur le webzine FONKADELICA.COM (16.07.2012)…




D’autres incontournables du savoir-écouter :

Cartographie : quelle est la deuxième langue de chaque pays ?

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Cette carte très intéressante matérialise les deuxièmes plus importantes langues parlées dans chaque pays du monde. En France par exemple, l’anglais s’impose. Et en Australie alors ? La langue chinoise !

Cette carte mondiale découpée par continent a été, entre autres, diffusée par MoveHub, un site commercial anglophone ciblant les expatriés ; parution relayée dans un article en français du webzine CITIZENPOST.FR (dont la devise est : “L’éclairage citoyen“) et ce, en janvier 2017 (l’article du webzine est aujourd’hui dépublié). Reste qu’il nous a permis de découvrir l’infographie que nous reproduisons ici. Comme quoi : à toute chose, malheur est bon.

En vérifiant les sources de l’information pour notre revue de presse, il a par contre été amusant de découvrir que l’infographie avait été initialement réalisée par  la CIA et publiée sur son site dans la rubrique The World Factbook. Un contributeur de notre consœur wikipedia anglophone l’a ensuite ajoutée à ses pages, en veillant à indiquer ses sources. Sur le blog de Movehub, la carte réapparaît et fait l’objet d’un articulet présenté comme original par son auteur anglophone, Max Holloway, sans autre source affichée que le pied de page illisible de l’illustration. Dans son article sur la carte des secondes langues dans le monde, le web-journaliste francophone du CITIZENPOST.FR fait enfin ses choux gras en écrivant ‘de première main’ que “la plateforme [movehub] s’est basée sur des données de la CIA sur les langues les plus utilisées dans chaque pays” ; ce qui rétablit une partie de la réalité du document. Comme quoi : “My name is Bond, James Bond…

© cia.org

Plus de presse…

KIRKPATRICK : “Facebook est conçu pour diffuser la peur et la colère”

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Mark Zuckerberg, le patron de Facebook © EPA

Auteur de “The Facebook Effect“, le seul ouvrage dans lequel Mark Zuckerberg s’est exprimé et a ouvert les portes de son groupe lors des toutes premières années du réseau social, l’Américain David Kirkpatrick porte aujourd’hui un regard différent et sévère sur l’évolution du géant de Menlo Park. Cet ancien chef de la rubrique internet et technology du magazine Fortune, […], estime que le réseau social représente un danger majeur pour les démocraties.

Interview de Johann HARSCOËT parue dans LECHO.BE (13.04.2019)

Vous avez connu Mark Zuckerberg dès 2006, alors que Facebook n’était encore qu’un phénomène universitaire américain. Avez-vous anticipé que ce réseau social deviendrait ce qu’il est aujourd’hui?

Je pense que personne, pas même Mark Zuckerberg, n’avait vraiment envisagé que cette société deviendrait aussi extraordinairement importante, avec 2,3 milliards d’utilisateurs. Facebook a été créé au meilleur moment (2004) et a pu bénéficier d’un parfait timing avec l’arrivée de l’iPhone en 2007. Cela dit, même s’il était impossible de prévoir une telle évolution, on a su que des difficultés graves allaient naître lorsque le réseau a commencé à atteindre une taille critique. D’autant plus que Mark Zuckerberg s’est toujours totalement désintéressé des questions relatives aux conséquences sociales et politiques de son réseau. Je me souviens avoir échangé à ce sujet avec un employé de Facebook, qui m’avait confié que sa principale inquiétude était de voir que Mark Zuckerberg fuyait ces problématiques.

Mark Zuckerberg a-t-il changé par rapport au jeune homme qu’il était il y a une douzaine d’années?

Je dirais, au contraire, qu’il ressemble encore trop à celui qu’il était à l’époque. Il est toujours aussi sûr de lui, de façon presque inquiétante. Il n’écoute pas les autres, sans doute parce qu’il a acquis un tel pouvoir qu’il peut se permettre de se passer des avis différents du sien. Il continue de diriger Facebook comme si cette société n’avait pas atteint une taille inédite dans l’histoire, avec une présence dans chaque pays et un contrôle direct aux citoyens. Il refuse toujours délibérément de s’engager sur des questions éthiques…

Facebook communique pourtant beaucoup sur sa responsabilité, sur sa lutte contre les “fake news” et les discours de haine. Il a même récemment engagé l’ancien vice-premier ministre du Royaume-Uni, Nick Clegg, pour lui confier le titre de directeur de la communication…

Je ne pense pas que le fait d’engager un RP de haut niveau — qui est en l’occurrence un ancien homme politique — va régler le problème. Facebook communique beaucoup, de façon très contrôlée, mais cela ne signifie pas qu’il s’engage vraiment pour les citoyens.

Lors de mon plus récent entretien avec Mark Zuckerberg, sur la scène d’une conférence Techonomy, il y a deux ans, je lui ai demandé exactement six fois si Facebook avait une responsabilité spécifique du fait de sa taille, et le cas échéant comment il comptait s’y prendre pour assumer cette responsabilité unique. De façon tragique, Mark Zuckerberg a totalement évité de répondre à cette question. Depuis l’élection du président Trump en 2016, l’ingérence des Russes, le phénomène des “fake news” et le scandale Cambridge Analytica, il utilise tout le temps le mot “responsabilité” mais uniquement par stratégie de communication. Il n’a jamais utilisé ce mot avant d’être forcé à le faire.

Quel a été l’événement le plus dommageable pour Facebook ces dernières années?

Au niveau de l’image, il est difficile de définir quel scandale a été le plus dommageable. L’impact le plus grave de Facebook dans le monde n’a peut-être pas été celui dont on a le plus parlé. On peut plutôt évoquer le fait que ce réseau a facilité les violences, tueries et génocides dans les pays où l’incapacité de Facebook à contrôler les messages haineux et manipulateurs a été dramatiquement mise en évidence.

Vous avez écrit que Facebook représente une menace pour la démocratie. Sa politique d’éradication des “fake news” et des discours de haine est-elle insuffisante?

Facebook a fait beaucoup de progrès, mais principalement en langue anglaise et aux Etats-Unis. Le problème, c’est qu’il y a, chaque jour des élections dans le monde entier. Dans les 180 pays où il opère, chaque personnalité ou mouvement politique cherche à profiter du système, voire à en abuser.

Facebook reste hautement manipulable dans les autres pays que les États-Unis, des pays où il fait moins face aux menaces de réglementation ou de restriction. C’est ce qui explique les vagues de violences qui ont été déclenchées en Inde, au Sri Lanka, en Birmanie, en Indonésie, aux Philippines, en Afrique du Sud ou au Brésil. D’ailleurs, le problème ne concerne pas seulement le site Facebook mais aussi ses filiales Instagram ou WhatsApp.

Le père de la réalité virtuelle, Jaron Lanier, a affirmé que le modèle économique de Facebook reposait sur la “modification des comportements”, une déviance par rapport aux principes de bases de l’industrie publicitaire, qui consistent selon lui à convaincre sans tromper. Partagez-vous son analyse?

Jaron Lanier connaît très bien Facebook et a compris le caractère toxique de son modèle, qui place l’attention des utilisateurs au-dessus de tout. Celui-ci consiste à capter à tout prix l’attention des utilisateurs pour générer des revenus publicitaires.

À cette fin, les algorithmes conçus spécifiquement pour retenir l’attention misent essentiellement sur les seules émotions qui permettent de le faire de façon très efficace: la peur et la colère. Malheureusement Facebook n’a jamais voulu renoncer à ce design intrinsèque.

La réputation de Facebook était excellente jusqu’à la fin des années 2000. Quel a été le tournant? L’enrôlement de Sheryl Sandberg en tant que Chief Operating Officer? L’introduction en bourse? L’explosion de l’utilisation des smartphones?

L’arrivée de Sheryl Sandberg (2008). C’est elle qui a fait transformer Facebook en machine à capter l’attention. C’est à partir de là que les algorithmes de diffusion de la colère et de la peur ont été prioritaires. Elle a brillamment transformé cette machine, sans anticiper le moment fatidique où cette machine deviendrait hors de contrôle. Et maintenant que cette machine est cassée, elle ne sait pas comment la réparer. Mais comme rien d’autre ne l’intéresse que de générer des profits et écrire ses livres personnels…

L’ironie de l’histoire, c’est que Facebook a cessé d’être un réseau social et s’est égaré au moment même où Sheryl Sandberg a écrit ses deux livres et que Mark Zuckerberg a fait le tour des Etats-Unis pour promouvoir sa fondation. Facebook est devenu hors de contrôle au moment où ses deux leaders ont pris leurs distances avec leurs responsabilités.

L’action Facebook a enregistré une chute spectaculaire l’été dernier mais se reprend quelque peu depuis le début de l’année. Peut-on s’attendre à ce que son modèle économique devienne plus agressif?

Il est très difficile de prédire ce qui va se passer mais j’ai du mal à imaginer que les choses évoluent dans le bon sens. Facebook a un choix à faire entre les profits et l’éthique. Deux choix contradictoires et inconciliables au vu de la nature de ce groupe. On sait que Wall Street n’a aucune appétence pour l’éthique et va demander que Facebook génère toujours plus de croissance, quels que soient les outils.

Facebook aura du mal à croître en renonçant aux algorithmes de captation de l’attention. De l’autre côté, il risque de perdre sa légitimité dans les pays où il exerce de façon trop prononcée sa logique de profits. Mais il est clair que le cours de l’action est désormais voué à décliner.

De nombreuses démocraties ont été déstabilisées au cours de la décennie écoulée. N’y a-t-il pas un souci plus global, qui concerne l’ensemble des réseaux sociaux?

Instagram a en effet un impact très négatif, est très facilement manipulable. Mais YouTube réagit plus rapidement face aux contenus sensibles. Twitter est relativement petit par rapport à Facebook, et le leadership a été plus honnête et engagé dans sa volonté de corriger certains problèmes similaires à ceux de Facebook. En outre, Twitter génère moins de profits et peut donc moins investir dans la modération et la surveillance des contenus.
Facebook dispose de moyens quasiment illimités pour surveiller les discours de haine, de “fake news”, etc. Mais il ne le fait qu’a minima, sous la contrainte.

Interview de Johann HARSCOËT parue dans LECHO.BE (13.04.2019)


Plus de presse…

GAMBLIN : Mon climat (2015)

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Jacques GAMBLIN à Nantes (28 novembre 2015) © MPN

“Pendant 23 minutes, l’acteur Jacques Gamblin captive l’attention dans un discours donné à Nantes, au Lieu Unique, le 28 novembre 2015 lors d’une journée consacrée au rôle de la poésie pour livrer “autrement le monde”. Un véritable bijou d’éloquence où il s’attarde sur notre peur de changement et interroge notre désir d’être surpris et de surprendre.

Ressentis en partage

Le parlement sensible des écrivains devait initialement avoir lieu le 14 novembre dernier à l’Assemblée nationale afin de souligner le rôle de la littérature et des écrivains pour parler autrement du climat. Annulé en raison des attentats qui ont frappé la capitale la veille, cette initiative – accompagnée de la publication d’un ouvrage (Du souffle dans les mots, Ed. Arthaud) – est plutôt passée inaperçue. Certains des 30+1 auteurs et poètes regroupés à cette occasion ont pourtant été réunis le 28 novembre 2015 lors de l’événement Autrement le monde organisé par la Maison de la Poésie de Nantes pour aborder les liens entre écologie et poésie.

C’est à cette occasion que l’acteur et poète Jacques Gamblin s’est exprimé dans un texte intitulé Mon Climat. Partant de la notion de température ressentie inventée il y a quelques années pour parler de la température extérieure (“La science en ce domaine [la météorologie, ndrl] a donc fait un grand pas dans son désir d’être toujours plus précise au point de ne plus l’être du tout”, lance-t-il), l’acteur en profite pour introduire son propos et livrer son ressenti (“Le ressenti individuel ayant supplanté la réalité générale, je me permets donc de donner le mien en toute humilité”).

S’il ne reproche à personne de lui faire “manger de la merde“, il n’en ressent pas moins un profond malaise d’imaginer que nos enfants et nos petits enfants devront payer notre irréalisme. “Je pense que notre plus profond désir à tous pourrait être de laisser l’endroit plus propre que nous l’avons trouvé en entrant. Rien n’est réellement à moi, ni ma petite ou grande maison, mon petit ou grand jardin, je vis sur un morceau de terre et sous un morceau de ciel qu’on me prête : je ne suis pas le premier à le dire, quelqu’un me prête ce que je possède, quelqu’un d’avant, avant avant, c’est à dire… personne” rappelle-t-il avant d’évoquer la seule chose en laquelle il croit : le rôle du vivant qui nous entoure… “tout ceci m’est offert et je dois être prêt à le rendre à personne qu’à lui-même“.

Se qualifiant de “militant de peu qui ne se retrouve pas dans la logique consumériste”, il rappelle à quel point il aime la modernité et ses inventions tant qu’elles soulagent la vie des gens sans créer des désirs inutiles. “La liste est longue d’une simple logique qui part en vrille, parce qu’avec le temps le simple bon sens s’est fait la malle. Que voulons nous comme vie ?“, interroge-t-il aussi.” […]

[Lire la suite sur ALTERNATIVES.BLOG.LEMONDE.FR…]



Engagez-vous plus encore…

Démocratie participative : votations ?

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Les micro-trottoirs -par définition impromptus- de la RTBF aident-ils la démocratie directe ou…

Plus de démocratie directe, c’est le souhait de nombreux mouvements citoyens. Et pour y parvenir, certains ont mis en place un site de vote en ligne. Une vingtaine de questions sont actuellement proposées sur le site. Cela va d’une éventuelle taxe sur le kérosène à la baisse des dotations royales… [en savoir plus sur RTBF.BE/AUVIO]


We government – Nous gouvernement – Wij regering

“Nous-sommes-le-gouvernement est un réseau bilingue de mouvements de citoyens et de citoyens individuels qui souhaitent une démocratie plus directe en Belgique. La démocratie directe signifie le droit de faire référendum contraignant à l’initiative de la population. Les outils sont le référendum ou la votation et le droit d’initiative.

POURQUOI ?

Le but de ces votations est de donner au public une voix claire et de renforcer la culture de la participation publique afin de gagner l’opinion publique pour une démocratie plus directe.

COMMENT ?

En organisant notre propre participation au moyen de votations sur internet avec la carte d’identité électronique. La méthode est inspirée du système référendaire suisse…” [lire la suite sur WE-GOV.BE…]


Le modèle suisse a une histoire…

“L’histoire de la démocratie, en tant que système de gouvernement reposant sur les décisions d’une élite de la population, remonte à l’Antiquité. Le premier parlement élu en Europe après notre ère est le Parlement de Montfort en Angleterre, en 1265. Mais là aussi, seule une petite minorité dispose d’une voix : le Parlement est élu par une élite représentant sans doute 2-3 % de la population et sa convocation dépend du bon vouloir du roi ou de la reine.

La démocratie citoyenne, en tant que système de gouvernement reposant sur les choix de la majorité de tous les citoyens, trouve ses racines e.a. dans les serments que les hommes libres de vallées suisses (Uri, Unterwald, Schwytz, Valais) concluent entre eux au XIII et XIVème siècles pour rejeter toute domination d’un pouvoir féodal qu’ils n’approuvent pas. Ces hommes libres sont des paysans, bergers, bûcherons, vignerons…

La Suisse est une référence pour les droits politiques car c’est le seul pays au Monde qui les utilise intensément à tous les niveaux de pouvoir, local (communal), régional [au sens large : canton, ensemble de cantons, ensemble de communes] et fédéral.

Les Confédéras de la Massa

Dans les mythes fondateurs de la démocratie Suisse, Guillaume Tell est le héros de la lutte des habitants de la vallée d’Uri pour la liberté contre l’oppression des baillis envoyés par les Habsbourgs. Mais les historiens s’accordent aujourd’hui pour dire que Guillaume Tell est très probablement un personnage de légende qui n’a jamais existé.

Tout le contraire de Guillaume Perronet, berger devenu physicus (médecin) originaire des alpages de Louc (aujourd’hui le village de Saint-Luc, Anniviers) et qui s’était installé au hameau de Thel près de Loèche (Leuk). Guillaume Perronet, de Thel, a été à l’origine de la confédération de la Massa, rassemblant les représentants des communes valaisannes voulant s’émanciper de la tyrannie. Selon l’historien suisse Philippe Favre dans son livre « 1352, un médecin contre la tyrannie », voici ce qui se serait passé :

Octobre 1355. Guillaume, Guillaume de Thel avait convoqué les représentants de toutes les communes du Valais épiscopal au confluent de la Massa, une rivière qui prend sa source dans le glacier d’Aletsch. Les procureurs syndics se tenaient au centre près d’un méandre de la rivière. Quant aux autres, ils s’étageaient en arc de cercle sur la pente. Ils étaient venus nombreux car la crainte de représailles savoyardes s’estompait au fur et à mesure que le capitaine impérial envoyé par le Roi des Romains, Bourcard Moench, reprenait les châteaux du Valais. Guillaume de Thel pris la parole : J’entends certains parmi vous qui disent que la confiance est revenue. C’est bien. Ils ont sans doute raison car nos marmites sont à nouveau pleines … mais le seront-elles toujours demain ? Si oui, la confiance demeurera, si non, elle s’en ira à nouveau. Alors, est-ce à dire que c’est l’état de nos marmites qui régit notre confiance ? Tout dépend à qui nous l’accordons ! A l’Evêque qui a livré le pays à un bailli étranger ? Aux nobles qui se rangent toujours du côté du plus fort ? Nous avons fait appel à l’Empereur pour nous libérer du joug savoyard. Mais combien de temps cela durera-t-il? Quand apprendrons-nous à accorder notre confiance à nous-mêmes ? Qui, mieux que ceux des communes voisines, partage les mêmes intérêts, les mêmes craintes et les mêmes espoirs que nous? N’y-a-t-il pas mieux à faire que de nous laisser emporter au gré des courants, que de nous laisser malmener d’un rive à l’autre, et nous laisser diviser, par ceux qui veulent diriger le cours de nos vies !? Le temps est venu d’inverser l’ordre des choses !!” s’exclama Guillaume de Thel en soulevant un arbrisseau déraciné qui avait été charrié par la rivière. Il trancha net sa pointe et ficha le petit arbuste à l’envers dans le sable, suffisamment profondément pour qu’il tienne à la verticale, les racines ballottant vers le haut. “Que ceux qui veulent inverser le cours des choses viennent lever ce bois de la Massa !”. Les représentants des communes vinrent les uns après les autres et brandirent l’arbrisseau devant la foule ! Les citoyens venus nombreux répondirent par une clameur.

En Octobre 1355, 64 années après l’exemple des Waldtsätten (cantons d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald), le peuple du Vallais conclut un pacte qui l’émancipait de la justice féodale, en outrepassant la loi du major et du vidomme. Un acte révolutionnaire car, désormais, tout ceux qui gouverneraient leur terre ne pourraient le faire sans eux.” [source : WE-GOV.BE…]


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, partage  | sources : RTBF.BE/AUVIO, WE-GOV.BE | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : RTBF | remerciements à Eric Rozenberg


Plus de contrats pour le vivre-ensemble…

HALIMI & RIMBERT : Voyage en feinte vérité

Temps de lecture : 7 minutes >
Dessin de Selçuk © Le Monde diplomatique

Si retard, réforme et ouverture ont constitué les mots-clés de la pensée dominante des trente dernières années, fake news semble résumer sa hantise actuelle. Un fil rouge unit d’ailleurs les deux périodes : seules les fausses informations qui ciblent le parti de la réforme et de l’ouverture indignent journalistes professionnels et dirigeants libéraux. Aux États-Unis ou en Allemagne comme en France, ces derniers élèvent la lutte contre les infox au rang de priorité politique. “La montée des fausses nouvelles, a expliqué M. Emmanuel Macron lors de ses vœux à la presse en janvier dernier, est aujourd’hui totalement jumelle de cette fascination illibérale.” Pendant ce temps, la désinformation traditionnelle prospère. Son écho sans cesse répercuté lui confère un caractère de vérité — sans stimuler l’ardeur des décodeurs.

Bernard-Henri Lévy

Chroniqueur au Point, Bernard-Henri Lévy assimile tous ceux qui lui déplaisent — la liste est infinie — à des nazis [Lire Serge Halimi, Tous nazis !, Le Monde diplomatique, novembre 2007]. En décembre 2010, trop content de son coup pour vérifier son fait, il confond le journaliste du Monde diplomatique Bernard Cassen avec le pamphlétaire d’extrême droite anti-musulman Pierre Cassen. L’hebdomadaire refuse la publication d’un droit de réponse ; il est condamné à s’exécuter par la 17e chambre correctionnelle (jugement du 23 avril 2013). Laquelle, soulignant “l’insuffisance de rigueur et la carence de fond” de Bernard-Henri Lévy, “la gravité et la virulence” de sa diffamation, estime que “le bénéfice de la bonne foi ne saurait lui être accordé” et impose également au Point de payer 3 500 euros d’amende. Pourtant, dans le même journal, le même falsificateur a lancé l’idée, le 7 février dernier, d’un « hall of shame » (mur de la honte) qui “listerait en temps réel les fake news les plus mondialement dévastatrices“. “BHL” invite “le peuple du Web à proposer le texte, la vidéo, l’œuvre dont la puissance de vérité ou la drôlerie vitrifieraient les fake news les plus nuisibles“.

C’est, pour Bernard-Henri Lévy, prendre un risque… Plutôt que de rappeler la liste de ses impostures — une page de ce journal n’y suffirait pas [lire le volumineux dossier du Monde diplomatique en ligne L’imposture Bernard-Henri Lévy]. —, limitons-nous à ses dernières facéties. Son ouvrage L’Empire et les cinq rois (Grasset, 2018) vient d’être traduit aux États-Unis, au moment où les dirigeants de ce pays cherchent à asphyxier l’Iran. L’année dernière, des journalistes ou chroniqueurs français aussi soucieux d’exactitude et de fact checking que Patrick Cohen (sur Europe 1, le 30 mars), Ali Baddou (sur France Inter, un 1er avril…) et Laurent Ruquier (sur France 2, le 7 avril) l’ont laissé débiter “une histoire incroyable que très peu de gens savent“. En 1935, racontait l’essayiste, “l’Allemagne nazie propose aux Persans le deal du siècle. Elle leur dit : “On va faire (…) une chouette aventure commune, on va dominer le monde.” Et les Iraniens acceptent le deal“. Et voilà pourquoi, selon lui, la Perse changea de nom pour devenir l’Iran, pays des Aryens.

Plusieurs spécialistes de l’Iran se récrient aussitôt. Au point que, quelques jours plus tard, “BHL” en invoque d’autres, dont certains, horrifiés d’être à leur tour mêlés à ce dangereux canular, démentent les analyses que le chroniqueur leur prête [Ardavan Amir-Aslani : N’en déplaise à BHL, la Perse n’est pas devenue l’Iran pour faire plaisir à Hitler !L’Opinion, Paris, 23 mai 2018]. Parue il y a quelques semaines, l’édition en anglais de son ouvrage ajoute par conséquent une pièce à conviction que l’auteur juge irrécusable, “un article du New York Times du 26 juin 1935“. Or l’article en question parle bien d’une “suggestion” de l’ambassade d’Allemagne, mais sans fonder cette explication du changement de nom — assez floue, au demeurant — sur aucune source. En tout cas, il ne conclut certainement pas, comme l’a prétendu “BHL”, à un “ordre de Berlin à l’ambassade iranienne qui est transmis au chah“. Et cet article du New York Times, publié dans la rubrique « Voyages-Croisières-Excursions » du quotidien, relate le cas iranien parmi beaucoup d’autres — Saint-Domingue était devenu Ciudad Trujillo ; Smyrne, Izmir ; Christiania, Oslo, etc. Autant dire que la force probatoire du bout de texte (cent cinquante mots) auquel Bernard-Henri Lévy s’accroche telle une moule à son rocher est nulle. Son auteur est mort, et notre spécialiste autoproclamé de l’Iran n’est même pas capable de citer précisément sa pièce à conviction. Car l’article du New York Times destiné aux grands randonneurs fut publié le 26 janvier 1936, pas le 26 juin 1935 [Oliver McKee junior, Change of Santo Domingo to Trujillo City recalls othersThe New York Times, 26 janvier 1936].

Et quel rapport, au fait, entre la décision du chah de 1935 et l’actuelle République islamique d’Iran, cible des États-Unis, de l’Arabie saoudite et d’Israël ? Un lien évident, selon “BHL” : l’ayatollah Rouhollah Khomeiny aurait refusé de revenir au nom de « Perse » quand il a pris le pouvoir en 1979 parce que figuraient dans son entourage trois “théoriciens qui vivaient dans la fascination absolue de la pensée heideggérienne“. Comment le sait-il ? Grâce à “l’un des cameramen de [son] film, un intellectuel kurde iranien doté d’une solide culture philosophique“.

Depuis 1978, tous les présidents français, sans exception, ont reçu et écouté Bernard-Henri Lévy. Puisque, désormais, il encense M. Emmanuel Macron avec une régularité de métronome, ce dernier serait bien avisé de lui confier une mission d’enquête sur les fake news.

Robert Menasse

Écrivain autrichien, lauréat du prix du livre allemand en 2017 pour son ouvrage La Capitale (Verdier, 2019), Robert Menasse milite pour une Europe débarrassée des archaïsmes nationaux. Mais le romancier est aussi un essayiste qui détaille depuis des années ses convictions dans des articles publiés par la presse de référence germanophone. Ainsi, dans un texte enflammé écrit avec une politiste et intitulé Vive la République européenne, paru le 24 mars 2013 dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung et, le même jour, dans les colonnes de Die Presse sous le titre Manifeste pour la fondation d’une république européenne, Menasse écrit : “Le premier président de la Commission européenne, Walter Hallstein, un Allemand, a déclaré : “L’abolition de la nation, c’est l’idée européenne.”” » Avant d’ajouter, bravache : “Une phrase que ni l’actuel président de la Commission ni l’actuel chancelier allemand n’oseraient prononcer. Sans doute n’osent-ils même pas y penser. Et pourtant cette phrase est la vérité, même si elle a été oubliée.” Problème : Hallstein (1901-1982) n’a jamais prononcé cette phrase.

En octobre 2017, le grand historien Heinrich August Winkler exprime ses doutes dans l’hebdomadaire Der Spiegel et somme Menasse de citer ses sources. En vain. Il relève dans la foulée d’autres propos attribués par Menasse à Hallstein : “L’objectif est et demeure d’organiser une Europe postnationale“, ou encore : “L’objectif du processus d’unification européenne est le dépassement des États-nations“. Las ! “Non seulement il n’existe aucune preuve attestant que ces phrases ont été prononcées, mais elles contredisent diamétralement ce que Hallstein a réellement dit” [Heinrich August Winkler, Zerbricht der Westen ? Über die gegenwärtige Krise in Europa und Amerika, C. H. Beck, Munich, 2017]. Décidément inventif, l’essayiste-romancier a également prétendu que Hallstein avait, en 1958, prononcé son premier discours de président de la Communauté économique européenne à Auschwitz. “C’est un fait“, martelait Menasse, impatient de démontrer à quel point “la Commission européenne est la réponse à Auschwitz“. C’est un faux [Patrick Bahners, « Menasses Bluff » et « Fall Menasse. Psychopathologe », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 2 et 6 janvier 2019].

Pour Winkler, ces tripatouillages sont le “produit d’une vision postfactuelle de l’histoire” [Der Spiegel, Hambourg, 21 octobre 2017]. Des fake news d’autant plus graves que, malgré les avertissements de l’historien, elles sont régulièrement reprises par des personnalités politiques et intellectuelles, comme, en novembre dernier, M. Manfred Weber, président du groupe conservateur au Parlement européen et candidat à la présidence de l’Union européenne.

Au début de cette année, l’infox selon laquelle les signataires du traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle du 22 janvier dernier entendaient livrer l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne fut aussitôt démentie par les médias français, et son auteur, un député européen du parti Debout la France, cloué au pilori. Enfin relevées et prises au sérieux par la presse allemande plus d’un an après leur mise au jour, les fake news de Menasse n’ont ébranlé ni les journalistes hexagonaux, qui ne tarissent pas d’éloges à son égard, ni le faussaire lui-même. “D’un point de vue scientifique, les guillemets étaient une erreur“, a concédé ce dernier après avoir invoqué un philosophe relativiste pour justifier sa contrefaçon [Die Welt, 5 janvier 2019]. Le 19 janvier, il a reçu la médaille Carl-Zuckmayer, une distinction littéraire remise par le ministre-président du Land de Rhénanie-Palatinat. Lequel salua son “combat engagé en faveur de l’idée européenne” [Spiegel Online, 7 janvier 2019].

France Inter

Le 7 février dernier, Nicolas Demorand et Léa Salamé, dont l’antipathie pour les gilets jaunes croît chaque semaine, reçoivent dans leur émission de France Inter un professeur au Collège de France, Patrick Boucheron, qui ne les aime pas davantage. Tous trois communient également dans la détestation des fausses informations. Au cours de l’entretien, Boucheron pourfend la petite came insurrectionnelle des intellectuels favorables aux gilets jaunes et cite l’un de ces dealers, spécialiste des mouvements populaires : “Je trouvais intéressant d’entendre Gérard Noiriel dire : “C’est une jacquerie”, alors que d’autres historiens médiévistes disaient : “Non, ce n’est pas ça, la jacquerie.” Or, quelques semaines plus tôt, Noiriel avait été interrogé pour savoir si “la comparaison du mouvement des “gilets jaunes” avec les jacqueries ou le poujadisme [était] justifiée“. Et il avait répondu : “Aucune de ces références historiques ne tient vraiment la route. Parler, par exemple, de jacquerie à propos des “gilets jaunes” est à la fois un anachronisme et une insulte. (…) La grande jacquerie de 1358 fut un sursaut désespéré des gueux sur le point de mourir de faim, dans un contexte marqué par la guerre de Cent Ans et la peste noire.” [Le Monde, 28 novembre 2018]

C’est ensuite l’heure de la revue de presse de France Inter. Claude Askolovitch en consacre une bonne part à la dénonciation, rituelle sur cette antenne, des fake news de M. Donald Trump et des médias russes, puis enchaîne : “Et, dans Le Monde diplomatique, le théoricien des Nuits debout, Frédéric Lordon, trouve que [la chaîne russe] RT, même si elle fait un peu trop de propagande poutinienne, est “le seul média audiovisuel honorable”.Charlie Hebdo s’en exaspère. “RT, dit Charlie, c’est Signal, ce journal de la propagande nazie qui montrait patte blanche en interrogeant Cocteau sous l’occupation.” Il n’y a que deux petits problèmes dans la citation de France Inter. D’abord, il ne s’agit pas d’un article publié dans Le Monde diplomatique, mais d’un billet du blog personnel de Frédéric Lordon sur le site du Monde diplomatique. Ensuite et surtout, son texte est falsifié. Lordon avait en effet écrit ceci : “La honte du journalisme français se mesure à ce paradoxe tout à fait inattendu que RT est devenu à peu près le seul média audiovisuel honorable !” Grâce à la principale radio publique française, le paradoxe tout à fait inattendu, le à peu près et le point d’exclamation (destiné à souligner le paradoxe tout à fait inattendu) ont disparu. [Relevée sur les réseaux sociaux, l’omission du « à peu près » a été corrigée dans la retranscription, par conséquent inexacte, de la chronique sur le site de France Inter]

Une semaine plus tard, Demorand n’a plus qu’à rappeler les vertus de sa profession aux auditeurs de sa matinale : “On a affaire avec les journalistes à des gens dont le métier de base est de produire des faits vérifiés et aujourd’hui de faire du fact checking pour lutter contre le flot de fausses nouvelles.”

Serge HALIMI & Pierre RIMBERT

Pour lire l’article original de Serge HALIMI & Pierre RIMBERT sur MONDE-DIPLOMATIQUE.FR (mars 2019)


Plus de presse…

SAINT-EXUPERY (trad. Guy FONTAINE) : Li p’tit prince (2012)

Temps de lecture : 6 minutes >

SAINT-EXUPERY Antoine de -, Li p’tit prince (Neckarsteinach, Tintenfass, 2012, traduit en wallon liégeois par Guy FONTAINE)


[extrait du chapitre XXI]

“[…] C’è-st-adon qu’atouma li r’nå.

  • Bondjoû, dèrit li r’nå.
  • Bondjoû, rèsponda li p’tit prince come on bin aclèvé qu’il èst. Mins, il aveût bèl a loukî tot avå, i vèyéve rin.
  • Dji so la, dèrit l’vwès, dizos l’mèlêye.
  • Quî èstez-v’ ? dèrit li p’tit prince. Vos-èstez tot nozé…
  • Dji so li r’nå, d’hati.
  • Vinez don djouwer avou mi, li fa li p’tit prince. Dji so si pèneûs…
  • Dji n’ såreû dèdja, dèrit li rnå, dji n’ so nin aprivwèzé.
  • Ah ! Mande èscuse, fa li p’tit prince.

Mins, après aveûr tûzé pus lon on moumint, i dèrit co :

  • Qu’èst-ce qui çoula vout dîre “aprivwèzer” ?
  • Vos n’èstez nin di d’chal, fa li r’nå, quî cwèrez-v’ don ?
  • Dji cwîre lès-omes, dèrit li p’tit prince. Qu’èst-ce qui çoula vout dîre “aprivwèzer” ?
  • Lès-omes, dèrit li r’nå, il ont dès fiziks èt i tchèssèt. C’èst fwèrt djinnant. Il aclèvèt dès poyes ossu èt çoula m’ahåye bin pus. Cwèrez-v’ ossu dès poyes ?
  • Nonna, dèrit li p’tit prince. Dji cwîre dès camarådes. Qu’èst-ce qui çoula vout dîre “aprivwèzer” ?
  • C’è-st-ine sôrt qu’on-z-a par trop’ roûvi, dérit li r’nå. Ça vout dîre “si loyî onk a l’ôte”.
  • Si loyî onk a l’ôte ?
  • Assûré, dèrit li r’nå. Vos n’èstez co por mi qu’on p’tit gamin come ènn’ a co cint mèye ôtes. Ét dji n’a nin dandjî d’ vos. Ét vos n’avez nin pus dandjî d’ mi. Dji n’ so por vos qu’on r’nå come ènn’ a co traze èt traze mèye. Mins si vos m’aprivwèzez, nos-årans dandjî onk di l’ôte. Vos sèrez por mi come li seûl å monde. Ét dji sèrè por vos come li seûl å monde…
  • Dj’atake a comprinde, dèrit li p’tit prince. I-n-a ‘ne fleûr… dj’ô bin qu’èle m’a-st-aprivwèzé.
  • I s’ pout, dèrit li r’nå. On veût totes sôrts d’afères so l’tère.
  • Oh ! Ci n’èst nin so l’tère, dèrit li p’tit prince.

Li r’nå avizéve bin si d’mander qwè :

  • So ‘ne ôte planète ?
  • Awè.
  • A-t-i dès tchèsseûs so cisse planète-la ?
  • Nèni.
  • Vola ‘ne bone novèle ! Ét dès poyes ?
  • Nèni.
  • Rin po fé plêzîr, sospira li r’nå.

Mins, i riv’na a si-îdèye.

  • Mi vèye, c’è-st-on djoû tot fî parèy qui l’ôte. Dji tchèsse lès poyes, lès-omes mi k’tchèssèt. Totes lès poyes si ravizèt, èt tot lès-omes si ravizèt ossu. C’èst todi l’ minme djeû. Mins si vos m’aprivwèzez, mi vèye sèrè come pline di solo. Dji rik’noherè l’ brut d’on pas qui sèrè difèrint d’ tos lès-ôtes. Lès-ôtes mi font rintrer d’zos tère. Li vosse mi houkrè foû di m’ trô, come li musike dès-ôbådes. Èt adon, loukiz ! Vos vèyez, låvå, lès tchamps d’ frûmint ? Dji n’ magne nin dè pan. Li frumint, por mi, ci n’èst rin. Lès tchamps d’ frumint ni m’ fèt rapinser a rin. Èt çoula, c’èst bin trisse. Mins, vos-avez lès dj’vès coleûr d’ôr. Adon, ci sèrè mèrvèye qwand vos m’årez aprivwèzé. Li frumint, qu’èst come di l’ôr, mi frè sov’ni d’vos. Èt dj’ årè bon d’ôre li brut dè vint gruziner d’vins lès frumints.

Li r’nå s’ têha èt r’louka tot on tins li p’tit prince.

  • S’i v’ plêt… aprivwèzez-m’ ! Dèrit-i.
  • Dji vou bin, rèsponda li p’tit prince, mins dji n’a nin tot plin dè tins. Dj’a dès camarådes a d’hovri èt co tant dès-afêres a-z-aprinde.
  • On n’ kinohe bin qui çou qu’on aprivwèzêye, dèrit li r’nå. Lès-omes ni prindèt pus l’ tins dè rin k’nohe. Il atchèt tot, tot fêt ‘mon lès martchands. Mins come i-n-a nou martchand d’ camarådes, lès-omes n’ont pus nou copleû. Si vos ‘nnè volez onk, aprivwèzez-m’.
  • Qui fåt-i fé, diha li p’tit prince ?
  • I v’ fårè tot plin dèl paciyince, rèsponda li r’nå. Po-z-ataker, vos v’s-alez asîre on pô lon d’ mi, come çoula, so l’ wazon. Dji v’ riloukrè d’in-oûy èt vis n’ dîrez nin. Tot djåzant, on s’pôreût må comprinde. Mins tos lès djoûs, vos v’ pôrez asîre on pô pus près…

Li lèd’dimin, li p’tit prince riv’na.

  • Åreût mî valou dè riv’ni a l’ minme eûre, dèrit li r’nå. Si vos v’nez, dihans-gn’, so l’ côp d’ qwatre eûres après nône, vès lès treûs-eûres, dj’atakrè di m’ rafiyî. Pus’ l’ôrlodje va-t-èle toûrner, pus’ sèrè-djdju tot binåhe, a qwatre eûres, dji sèrè so dès tchôdès cindes èt dji m’ tourmètrè, dji pôrè inso k’nohe li pri dè boneûr ! Mins si vos v’nez tot l’ minme qwand, dji n’ sårè nin quéle eûre dji m’ gålioter l’ coûr.. i fåt dès règues, dès-acostumances.
  • Qu’èst-ce qui c’èst dès-acostumances ? dèrit li p’tit prince.
  • Èco ‘ne sacwè qu’on-z-a par trop’ roûvi, dèrit li r’nå. C’èst çou qui fêt qu’on djoû n’èst nin come lès-ôtes, qui lès-eûres ni sont nin lès minmes. Par ègzèmpie, mès tchèsseûs : li djûdi, i dansèt avou lès crapôdes dè viyèdje. Adon, li djûdi è-st-on tot bê djoû por mi. Dji m’ va porminer avå lès cinses èt lès polis sins nol imbaras… Lès tchèsseûs îrît-i fé leûs treûs pas tot l’ minme quwand, qui lès djoûs sèrît turtos lès minmes, èt dji n’ sèreû måy påhûle.

Insi, li p’tit prince a-t-i aprivwèzé li r’nå. Èt qwand foûrit l’ moumoint d’ènn’ aler :

  • Ah ! dèrit li r’nå… dji m’ va plorer.
  • Vos n’avez qu’a ‘nnè prinde a vos minme, dèrit li p’tit prince, dji n’ vis volève nou må, mins vos-avez pîlé po-z-esse aprivwèzé.
  • Bin sûr, dèrit li r’nå.
  • Mins vos-alez plorer ! dèrit li p’tit prince.
  • Bin sûr, dèrit li r’nå.”

ISBN 978-3-937467-51-1

“Vendu à plus de 130 millions d’exemplaires dans le monde, Le Petit Prince, de l’écrivain français Antoine de St-Exupéry, est traduit en plus de 220 langues et dialectes [et en morse !]. Il n’existait pas encore de traduction en wallon liégeois. C’est désormais chose faite, grâce à Guy Fontaine, bien connu des fidèles de Liège-Matin, et grand passionné du wallon sous toutes ses formes.

“L’idée de cette traduction en wallon liégeois vient d’un éditeur allemand” explique Guy Fontaine. “Il avait racheté chez Gallimard les droits pour les adaptations et les traductions dans les langues régionales. Il existait déjà une version du Petit Prince en wallon de Charleroi, en picard borain, et il aurait voulu une version en liégeois. Je m’y suis collé!”

Particularité pour le traducteur : rester le plus fidèle possible à l’original de Saint-Exupéry: “Le traducteur doit être vraiment en retrait total. C’est l’œuvre originale qui importe” poursuit Guy Fontaine. “Donc il y a un peu une frustration parce qu’on a tendance à vouloir adapter et donner un côté plus wallon à la chose mais le texte est très beau, donc on y trouve son compte”.

Une histoire universelle et qui, peut-être, grâce au wallon, trouvera de nouveaux lecteurs…” [lire la suite de l’article de A. DELAUNOIS sur RTBF.BE…]


Guy Fontaine est né en 1945. C’est de 1978 à 1994, à la radio de la RTBF, que le billet wallon hebdomadaire qu’il diffuse le rend le plus célèbre : billets transformés de 1994 à 2001, en sketchs avec Gabrielle Davroy. En 2001, ses 1.000 Mots wallons sont publiés. Depuis, il est devenu… évêque orthodoxe à Liège.


Dessine-moi… un Petit Prince

[LEXPRESS.FR, 7 septembre 2011] Bande dessinée, film, expo, le héros de Saint-Exupery se réinvente toujours. L’écrivain Marie Desplechin évoque ce qui fait l’essence du livre, qui s’adresse à l’enfant que nous avons été.

“Au titre de chef-d’oeuvre du XXe siècle, qui aurait misé un kopeck sur Le Petit Prince, fantaisie enfantine écrite et illustrée par l’auteur, publiée pour la première fois aux Etats-Unis en 1943 ? Bon, Martin Heidegger, d’accord. Il écrit, en 1949, pour l’édition allemande : “Ce n’est pas un livre pour enfants, c’est le message d’un grand poète qui soulage toute solitude et par lequel nous sommes amenés à la compréhension des grands mystères de ce monde. C’est le livre préféré du professeur Martin Heidegger.” Martin Heidegger n’est peut-être pas le type le plus sympathique de la période, il n’est pas non plus le dernier des neuneus. Son “livre préféré” est aujourd’hui n° 2 au classement international des lectures et des ventes, toutes catégories confondues. Soit n° 1 parmi les œuvres de fiction (on range usuellement la Bible parmi les “non-fictions”). Un livre traduit en 220 langues. Et qui compte à ce jour 145 millions d’exemplaires vendus.

Sans gâcher le plaisir qu’on a à voir Martin Heidegger encenser Le Petit Prince, on aimerait faire tourner les tables pour avoir avec lui une petite controverse posthume. Comment, alors que le livre leur est explicitement destiné, peut-il affirmer qu’il ne s’agit pas d’un livre pour enfants ? Qu’y a-t-il de si chétif, de si étranger, dans l’enfance, qu’elle doive être tenue à l’écart du “message d’un grand poète qui soulage de toute solitude” ? Drôle d’hommage que celui du professeur quand il dénie à l’auteur la gloire d’avoir écrit le livre qu’il voulait écrire. Prétendant une chose (avoir écrit un livre pour les enfants), il en aurait fait une autre […]”

Marie Desplechin


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : citation, partage, compilation | source : Editions Tintenfass ; LEXPRESS.FR | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Editions Tintenfass / RTBF / RTC Liège | remerciements à Eric Rozenberg


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NUSBAUM : Les philo-cognitifs. Ils n’aiment que penser et penser autrement… (2019)

Temps de lecture : 3 minutes >
Nancy © Ernie Bushmiller

Trois scientifiques lyonnais viennent de sortir un livre pour redéfinir les êtres dits précoces ou surdoués. A l’avenir, il faudra parler de philo-cognitifs


EAN13 : 9782738146724

Qui sont les trois auteurs de cet ouvrage de référence ? Fanny Nusbaum, docteur en psychologie, est psychologue et chercheur associé en psychologie et neurosciences à l’université de Lyon. Elle est fondatrice et dirigeante du Centre PSYRENE (PSYchologie, REcherche & NEurosciences), spécialisé dans l’évaluation, le diagnostic et le développement de potentiels. Olivier Revol, pédopsychiatre, dirige le centre des troubles de l’apprentissage de l’hôpital neurologique de Lyon et milite depuis plus de trente ans pour que chaque enfant puisse accéder au plaisir d’apprendre. Enfin, Dominic Sappey-Marinier est enseignant-chercheur en biophysique, imagerie médicale et neurosciences à la faculté de médecine Lyon-Est.

NUSBAUM Fanny et al.Les philo-cognitifs. Ils n’aiment que penser et penser autrement… (Paris, Odile Jacob, 2019)


“Précoce, surdoué ou à haut-potentiel étaient jusqu’à présent les termes employés.  Pourquoi avoir choisi ce qualificatif de « philo-cognitifs » ?

Parce que les notions de précocité, de haut potentiel ou d’enfant surdoué n’étaient pas satisfaisantes à nos yeux. Elles renvoyaient à des idées fausses ou très imprécises. D’ailleurs, même le grand public ne s’y est pas trompé : nous avons reçu, au cours de ces dernières années, de très nombreuses demandes de trouver enfin un terme adapté.

Les mots sont importants car ils véhiculent une manière de cerner et d’interpréter un phénomène. Dire “précoce” sous-entend une avance intellectuelle, ce qui est absolument faux !  “Surdoué” implique un don de naissance et une notion de performance qui est loin de correspondre systématiquement à ces personnes. “Haut Potentiel” est très vague et suppose un potentiel qui n’est pas exploré. Diriez-vous d’Albert Einstein qu’il était Haut Potentiel, dans le sens où il aurait eu un fort potentiel qui n’aurait pas été pleinement utilisé ? Employer des termes inadéquats génère forcément une approche erronée, de sorte qu’on tombe vite dans des représentations fourre-tout.

Comment avez-vous alors procédé ?

Pour répondre à notre cahier des charges, il fallait un terme qui décrive précisément ce dont on parlait, sans emphase, sans métaphore. Et surtout un terme qui ne véhicule pas de contre-vérité. Nous n’avons pas cherché une locution sexy pour faire le buzz. Nous voulions un terme qui colle à la réalité de ce phénomène. “Philo-cognitif” décrit ainsi des personnes qui aiment penser, pour lesquelles réfléchir sur tout et n’importe quoi est comme un besoin vital. On pourrait même parler d’une addiction à penser, même si une addiction est pathologique, alors que la philo-cognition n’est pas une pathologie.

Mais alors, qu’est-ce qui permet d’identifier le philo-cognitif ?

Après avoir posé un terme, “philo-cognition”, il nous fallait décrire avec rigueur de quoi il s’agissait. Ces dernières années, la démocratisation des connaissances sur le haut potentiel a été très bénéfique, parce qu’elle a permis à beaucoup de mieux le comprendre, l’identifier et l’accepter. Mais le revers de la médaille, c’est que tout le bruit autour de ce phénomène a généré des idées reçues et des raccourcis inappropriés…

Aujourd’hui, quand un enfant est différent, dans sa sensibilité, son humour ou son comportement, on a vite fait de mettre ça sur le compte de la philo-cognition et plus personne ne s’y retrouve. Ici encore, nous avons souhaité redéfinir cette singularité, la réduire à ses trois caractéristiques essentielles que nous développons dans notre ouvrage.

Qu’est-ce que la recherche a permis de révéler d’autres chez les philo-cognitifs ?

Nous avons voulu montrer que les philo-cognitifs n’étaient pas tous les mêmes. Bien qu’ils ont un socle de caractéristiques communes, ils ont aussi des différences dans leur manière de penser et de réagir. Nous avons détecté deux grandes familles : les philo-laminaires et les philo-complexes avec des réseaux cérébraux bien spécifiques chez l’enfant. Tout l’intérêt du livre consiste à bien faire le distinguo entre philo-laminaire et philo-complexe afin de mieux se comprendre, comprendre les autres, assumer sa différence et en faire une vraie force.

On a le sentiment qu’il y a beaucoup plus de « philo-cognitifs » qu’avant ?

Non, je ne pense pas. A mon sens, c’est surtout que l’on dispose aujourd’hui de meilleures connaissances et d’outils pour les évaluer, les détecter. Par ailleurs, on a beaucoup communiqué sur la notion de précocité, ce qui fait que la population, plus avertie, est capable de pressentir la philo-cognition plus facilement qu’autrefois…” [lire la suite sur RA-SANTE.COM]


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation | source : article de Pascal AUCLAIR sur RA-SANTE.COM (24 février 2019) | commanditaire : wallonica | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Opera Mundi  / Edit-Monde ; Editions Odile Jacob


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WILKIN : Lettres de grognards. La Grande Armée en campagne (2019)

Temps de lecture : 4 minutes >
ISBN 9782204130783

Si vous vous appelez Bastin, Bourdouxhe, Boussart, Bovy, Charlier, Collard, Crutzen, Danthinne, Delvaux, Fraikin, Gilissen, Halleux, Hardy, Havelange, Dermouchamps, Jamar, Ledent, Lhomme, Mathot, Pirard, Randaxhe, Walthéry, Wéry, Williquet ou encore Goffin, Godin, Maraite, Stassart, Cornélis, Pirson, Georis, Delrez, Genet, Rutten ou Natalis, il y a des chances pour qu’un de vos ancêtres ait combattu dans la grande armée de Napoléon. Ce livre réunit cent cinquante lettres de grognards liégeois…

Dans Lettres de Grognards La Grande Armée en Campagne, René et Bernard WILKIN présentent cent cinquante de ces lettres de soldats liégeois à leurs familles. Par “liégeois”, comprenez “habitant du Département de l’Ourthe”, l’entité administrative qui est devenue la Province de Liège. Ces lettres de conscrits ont été sélectionnées dans un fonds de plus de mille qui se trouve aux Archives de l’Etat.

“[…] aussitôt mon arrivée au régiment” écrit depuis Belfort Simon Bovy, manoeuvre, de Momalle, “je n’ai rien de plus empressé que de mettre la main à la plume et pour vous instruire du résultat de mon voyage qui s’est terminé d’une manière assez heureuse […] J’assure mon oncle et ma tante de mon souvenir respectueux […].”

Prouver qu’un membre de la famille servait dans l’armée

Ces lettres se trouvent à Liège depuis deux cents ans. “Elles ont été envoyées à la Préfecture par les familles des soldats” explique l’historien Bernard Wilkin. “Pas pour leur contenu, mais pour servir de preuves. Si un grand frère avait déjà été enrôlé comme soldat, les suivants ne devaient pas partir. Ces lettres ont servi à prouver aux autorités qu’une famille avait déjà envoyé un des siens au combatOn savait depuis pas mal de temps qu’elles étaient là. Un de mes prédécesseurs les avait découvertes dans les années trente, mais à l’époque, on ne se rendait pas bien compte de leur importance. Elles sont particulièrement intéressantes parce que ce sont des lettres de sans-grades, d’hommes qui n’ont pas reçu la Légion d’honneur, qui ne sont pas devenus officiers.”

Batailles, exactions, demandes d’argent

Ils racontent leurs batailles, les exactions, les mutilations, par exemple en Espagne où des soldats ont été émasculés. On y lit aussi des histoires plus légères. Des histoires d’amour. Certains comparent la vertu des filles rencontrées dans les pays qu’ils traversent. Il y a notamment ce soldat qui écrit que la Prusse est le bordel de l’Europe. D’autres font allusion à des beuveries.”

Beaucoup de soldats demandent à leurs familles de leur envoyer de l’argent, comme Simon Bovy : “J’attends avec impatience qu’il vous plaise m’accuser la réception de cette lettre, et m’envoyer quelque peu d’argent si c’est une pure bonté de votre part, ayant éprouvé une route longue & pénible qui m’a dépourvu de tout ce que je possédais lors de mon départ.”

Un français maltraité

Les soldats liégeois étaient wallonophones. A peine un tiers savaient écrire. Ceux qui savaient écrivaient pour les autres. “Le français de ces lettres est mauvais” constate Bernard Wilkin. “Ils ne respectent ni l’orthographe, ni la grammaire, ni la ponctuation. Dans certains cas, il a fallu simplifier – en veillant à respecter l’esprit du texte. Mais ce n’est pas différent des lettres de soldats français de guerres plus récentes.”

Ce qui est émouvant pour des liégeois dans ces lettres, c’est d’y retrouver les noms de parents, d’amis, de collègues ou de voisins. Bernard Wilkin y a d’ailleurs retrouvé le sien. Il savait que son ancêtre direct avait servi dans la Grande Armée, mais c’est cette recherche qui lui a fait mettre la main sur un écrit de son aïeul : “Je ne savais pas qu’une lettre existait. Je l’ai trouvée par hasard. C’est assez émouvant, d’autant que je connais leur destinée. Mon ancêtre direct a été réformé pour cause de santé. Il a eu de la chance. Tandis que son frère a été chassé de l’armée pour mauvaise conduite !

Des liégeois dans tous les régiments de la Grande Armée

Les soldats liégeois ont servi dans toute l’armée française. La cavalerie était la plus demandée “parce qu’il ne fallait pas marcher“, mais il y a eu des liégeois dans l’infanterie, l’artillerie, la marine, la Garde impériale. Certains se sont battus à Austerlitz, en Russie ou aux Antilles contre les esclaves révoltés. Les historiens estiment à 25 000 le nombre de liégeois au sens large qui ont combattu dans les armées de Napoléon. Environ la moitié n’en sont pas revenus.

Lettre d’un soldat de la Grande Armée © Archives de l’Etat à Liège

Cherchez le Papy de Papy…

Voici une liste des noms de soldats signataires de ces 150 lettres : Adam, André, Bayard, Beaumont, Bebronne, Billard, Billen, Binot, Blutz, Boulanger, Bourguignon, Bovy, Brixhe, Burnelle, Chaudier, Christophe, Collienne, Collignon, Collin, Colsoul, Colsoulle, Cordier, Corman, Cornelis, Crins, Crismer, Croisier, Crutzen, Dabin, Dantinne, Deflandres, Delforge, Delrez, Delsupexhe, Delvaux, Demathieu, Despa, Dethier, Dorva, Dorval, Dotrange, Drapier, Duchesne, Dujardin, Elias, Englebert, Ernst, Evrard, Fauville, Ferette, Flament, Fossius, Fraigneux, Frenay, Frisson, Fyon, Genet, Georis, Gilles, Godet, Godin, Gothot, Halain, Halin, Hamoir, Hanssen, Henrotte, Hoven, Hozai, Jadoul, Jamar, Jamart, Jeunechamps, Jeunehomme, Jobbé, Joiret, Josset, Kalff, Labaye, Labeye, Labusier, Lahaut, Lambert, Laschet, Lebois, Leclercq, Ledent, Leloup, Lenoir, Lepersonne, Leruth, Leva, Lévêque, Lhomme, Lismonte, Loncen, Lonnay, Louis, Machurot, Mafatz, Maraite, Marcotty, Masui, Mataigne, Moreau, Morisseau, Moyse, Natalis, Nizet, Nouprez, Olivier, Onclin, Pâque, Peter, Philippet, Pierry, Pip, Pire, Pirson, Poitier, Randaxhe, Ravet, Renard, Renard, Renoz, Reynier, Rome, Rossoux, Rutten, Schumacher, Scindeler, Seret, Seronvaux, Sottiaux, Stassart, Thomas, Varlet, Walthéry, Wanson, Weerts, Wégimont, Welter, Wilkin, Ysaye.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation | source : article de François BRAIBANT sur RTBF.BE (22 février 2019) | commanditaire : wallonica | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Archives de l’Etat belge | remerciements à la RTBF


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Les «gilets jaunes»: un fait révélateur d’une transition écologique injuste et tronquée?

Temps de lecture : < 1 minute >

[…] L’économiste Joseph STIEGLITZ avait jadis utilisé une image pour parler de la société contemporaine. Nous ne vivons plus dans une société, avec une stratification sociale, certes inévitable, mais raisonnable, écrivait-il. C’était l’utopie des sociétés des années 1960 et plus largement celle d’une démocratie sociale. Cet idéal est foulé au pied des transformations sociales et technologiques contemporaines. Nous pensions être embarqués dans un même bateau, certes dans des classes différentes, mais quand même dans un même bateau. Aujourd’hui, dit Stieglitz, on navigue dans des bateaux différents, dans trois bateaux, nous dit-il. Les uns dans des paquebots de luxe, à la route bien tracée, avec des radars et des systèmes de pilotages efficaces, des bateaux de sauvetage bien fournis. Les autres dans de vieux rafiots qui tiennent péniblement la mer, aux moteurs poussifs, à la merci des vagues et des vents ; ils suivent péniblement le convoi. Les autres enfin sont largués, accrochés à des radeaux de fortune essayant de ne pas couler. Les gens des vieux rafiots tentent d’en sauver. D’autres sont irrités par ces gens qui s’accrochent à leur bateau chancelant. Ceux du paquebot de luxe ne les regardent pas, ne les voient pas. Leur monde est ailleurs. […]

Lire la carte blanche complète de Felice DASSETTO sur LESOIR.BE (article du 20 novembre 2018)…


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WOHLLEBEN : La vie secrète des arbres (2017)

Temps de lecture : 2 minutes >
ISBN 9782352045939

Si vous lisez ce livre, je crois que les forêts deviendront des endroits magiques pour vous aussi.

Tim Flannery, auteur de Sauver le climat

Un livre passionnant et fascinant… Wohlleben est un merveilleux conteur, à la fois scientifique et écologique.

David George Haskell, auteur d’Un an dans la vie d’une forêt

L’éditeur LES ARENES écrit : “Dans ce livre plein de grâce, acclamé dans le monde entier, le forestier Peter WOHLLEBEN nous apprend comment s’organise la société des arbres. Les forêts ressemblent à des communautés humaines. Les parents vivent avec leurs enfants, et les aident à grandir. Les arbres répondent avec ingéniosité aux dangers. Leur système radiculaire, semblable à un réseau internet végétal, leur permet de partager des nutriments avec les arbres malades mais aussi de communiquer entre eux. Et leurs racines peuvent perdurer plus de dix mille ans…

Prodigieux conteur, Wohlleben s’appuie sur les dernières connaissances scientifiques et multiplie les anecdotes fascinantes pour nous faire partager sa passion des arbres. Une fois que vous aurez découvert les secrets de ces géants terrestres, par bien des côtés plus résistants et plus inventifs que les humains, votre promenade dans les bois ne sera plus jamais la même.

Peter Wohlleben a passé plus de vingt ans comme forestier en Allemagne. Il dirige maintenant une forêt écologique. Son livre a été numéro un des ventes en Allemagne avec plus de 650 000 exemplaires vendus et est devenu un étonnant best-seller aux États-Unis. Il est traduit en 32 langues.”

WOHLLEBEN Peter, La vie secrète des arbres (Paris, Les Arènes, 2017 : traduit de l’allemand par Corinne Tresca).


D’autres évoquent les approximations, les interprétations et les erreurs, comme la très sérieuse Section 2, Forêts et filière bois, de l’Académie d’agriculture de France :

“Les mots ont été pesés un à un avant la publication, le 11 septembre dernier, d’une note de lecture par la très sérieuse section 2 « Forêts et filière bois » de l’Académie d’agriculture de France, qui regroupe d’éminents spécialistes du monde de la forêt et du bois.

En substance, l’Académie reconnaît que Peter Wohlleben a fait preuve dans son ouvrage de « beaucoup de passion et d’un sens développé de la pédagogie» et que son livre soulève «de multiples questions pertinentes sur la vie des arbres au sein des forêts».

Mais la critique pointe juste après : « Nombre de réponses qu’il apporte prêtent malheureusement le flanc à la critique: sources absentes ou non vérifiables, extrapolations non justifiées, interprétations abusives et même erreurs manifestes. » En conséquence, l’Académie d’agriculture estime que le livre de Peter Wohlleben, qui a « toute sa valeur comme expression de la subjectivité militante d’une personne, ne peut être considéré comme un ouvrage de vulgarisation scientifique… »

En lire plus sur FRANSYLVA-PACA.FR (l’article est tiré d’une publication de Forêts de France, n°609 de décembre 2017)


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Le sexe est-il si important ?

Temps de lecture : 6 minutes >
Grant WOOD, American Gothic (1930) © Art Institute of Chicago

“Tout, dans notre société, semble indiquer que le sexe trône au sommet de la pyramide de nos préoccupations. Vraiment ? La confrontation avec la réalité réserve quelques surprises…

De la presse, qui fournit sans relâche des recettes pour booster son désir et intensifier son plaisir, à la mode, qui continue à placer la « désirabilité » en tête de ses valeurs, sans oublier les romans érotiques grand public, au succès ininterrompu, ni la pornographie en ligne et les innombrables sites de rencontres, tout semble indiquer une insatiable appétence collective. Et pourtant. Les résultats d’un sondage Ipsos pour Philosophie magazine, « Les Français et la sexualité » (2013), altèrent passablement la représentation d’une libido obsédante et triomphante. 70 % des sondés ne sont pas d’accord avec l’affirmation suivante : « Dans la vie, il n’existe pas de plaisirs plus forts que ceux qu’offre la sexualité. » 47 % pensent que la société en général, et les médias en particulier, lui donnent une importance exagérée. Enfin, 47 % affirment que le sexe est un plaisir dont on peut se passer. Fin du fantasme, place à la réalité.

Un discours normatif et anxiogène

Cette réalité n’étonne pas les thérapeutes et les sexologues qui, pour la plupart, trouvent le discours social sur la sexualité normatif et anxiogène. « La sexualité est vécue comme une épreuve sportive, détaille Jean- Marie Sztalryd, psychanalyste et ex-directeur du diplôme universitaire d’étude de la sexualité humaine (Paris-XIII). Il y a l’idée de la performance, de la réussite, de la nécessité d’aller toujours plus loin, d’avoir la bonne fréquence, la bonne manière de faire. Tout cela renvoie à la question de la normalité, qui arrive en tête dans les interrogations des patients. » Gérard Ribes, auteur de Sexualité et vieillissement, psychiatre et sexologue, dénonce une sexualité de comptage, réduite à la génitalité et conditionnée par la performance. « Tout, dans notre culture et dans notre société de consommation, renvoie à une sexualité pulsionnelle dans laquelle l’immense majorité des hommes et des femmes ne se retrouve pas. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que cette activité soit perçue comme anxiogène et donc pourvoyeuse de moindres plaisirs. »

Le plaisir sexuel conditionné à un savoir-faire normé serait ainsi, selon la psychanalyste Sophie Cadalen, un plaisir sous contrôle. « Se questionner sur la normalité – ai-je la bonne fréquence, les bonnes compétences ? – revient à réclamer un mode d’emploi, lui-même source d’anxiété et de frustration. Au bout du compte, cela fait de nous les acteurs de notre soumission. Une telle posture est évidemment le contraire de la liberté sexuelle, le contraire d’une sexualité personnalisée et donc pleinement satisfaisante. » C’est ainsi que les couples et les individus en viennent à s’inquiéter d’un prétendu déclin de leur désir, de ne pas être branchés SM ou échangisme, ou à calquer leurs ébats sur ceux des professionnels du sexe. Et finissent par considérer ce dernier comme un plaisir dont on peut se passer (il ne fait d’ailleurs pas partie des besoins recensés dans la pyramide de Maslow).

Lorsqu’on lui demande si le sexe est devenu une activité surévaluée, un accessoire très accessoire dans nos vies, Mireille Dubois-Chevalier, médecin et sexologue, commence par interroger le terme même. « Le sexe, ça veut dire quoi au juste ? S’il est conçu uniquement comme une rencontre génitale, une copulation parce qu’il le faut socialement ou qu’on doit satisfaire l’autre, alors, oui, c’est évident, on peut s’en passer et trouver plus de plaisir dans un bon repas ou dans le sommeil. En revanche, si on considère le sexe comme une rencontre qui engage vraiment l’être dans son désir, et dans laquelle ce désir se transforme en plaisir physique et émotionnel, alors il semble difficile de s’en passer. Tout simplement parce que la jouissance ressentie est telle qu’elle est un encouragement à recommencer. »

Ce qui fait l’érotisme, c’est le désir

Cela signifie-t-il alors qu’une moindre fréquence de relations sexuelles dans le couple soit le signe de son échec sur le plan sexuel ? « Pas le moins du monde, poursuit Mireille Dubois-Chevalier. Si le “régime” convient aux deux partenaires, qu’ils se sentent bien ensemble, qu’ils n’éprouvent ni frustration ni ressentiment, il n’y a pas de questions à se poser. » Sophie Cadalen va même plus loin en évoquant le cas d’hommes et de femmes, en couple ou pas, qui avouent avoir une vie sexuelle très active mais n’en retirent pas de satisfaction. « Ils peuvent faire l’amour plusieurs fois par jour mais de manière mécanique, sans investir la relation, car ils ne sont pas vraiment désirants. » Ainsi, une relation peut être sexuelle sans être érotisée ou inversement. Car ce qui fait l’érotisme, ce qui sexualise le lien, ce n’est pas forcément l’acte sexuel, mais le désir. Jean-Marie Sztalryd évoque ce patient de 90 ans venu le consulter avec sa compagne et disant à celle-ci : ““Je m’endors depuis quarante ans avec ma main posée sur tes fesses. Ce n’est pas de la sexualité, ça ?L’érotisation du lien peut s’exprimer de mille et une façons : une certaine connivence, une proximité physique qui joue de la séduction ou du trouble, une sensualité, des plaisirs partagés…

Freud aurait donc finalement raison. Tout est sexuel, dès lors que notre désir est engagé. « Et cela commence avec l’oralité chez le bébé, précise Jean-Marie Sztalryd. Tout peut être érotisé : une voix, un geste, écrire une lettre, échanger un regard dans le métro… En fonction de leur histoire, certains vont investir plus que d’autres l’activité sexuelle. » Pour la psychanalyse, le goût pour l’activité sexuelle n’est pas une question de tempérament mais d’énergie psychique que l’on engage ici plutôt que là. C’est aussi, selon Michel Reynaud, psychiatre spécialiste des addictions, une question de gènes. « On sait aujourd’hui qu’il existe des déterminants biologiques expliquant les différences d’appétence sexuelle. Certains gènes incitent à la recherche de sensations intenses et de plaisir. Les individus possédant ce capital génétique ont tendance à avoir une sexualité plus précoce et plus active tout au long de leur vie. Ce sont aussi des personnes plus sensibles aux addictions. Ce déterminant biologique influence le comportement sexuel à hauteur de 30 %. Les deux autres tiers concernent le développement précoce (nos premiers liens affectifs) et le contexte social (culture de la famille, culture de la société). » Pourtant, ce n’est pas ce capital génétique qui fera forcément de la sexualité une expérience intense.

La jouissance comme conquête sur soi

Pour Sophie Cadalen, ce qui rend le sexe unique, ce qu’il apporte d’essentiel à nos vies, c’est une jouissance qui nous emporte et qui, pour advenir, exige que l’on abandonne le souci de notre image, le contrôle de notre corps, la peur d’être jugé. « Il y a quelque chose d’impitoyable dans la rencontre avec nous-même à laquelle nous convoquent le désir et la jouissance, affirme la psychanalyste. Tout ce que l’on tient pour acquis, nos goûts, nos certitudes, nos craintes, tout vole en éclats dès lors que l’on consent à s’y abandonner. Y compris dans le couple. Ce ne sont pas les habitudes qui tuent la sexualité, c’est la peur de se découvrir, de montrer des facettes de soi inconnues, dérangeantes. C’est ne pas se permettre ce dévoilement. Il est plus facile d’incriminer l’autre (il ne me propose rien) ou bien la “mécanique” (j’ai des problèmes d’érection) ou préférer l’idée d’une sexualité qui s’étiole, plutôt que d’explorer sa diversité. » La jouissance comme une conquête : sur soi, sur nos préjugés, nos certitudes, nos peurs, et sur notre inavouable propension à rechercher la sécurité plutôt que la liberté.

La révolution par l’orgasme

L’œuvre de Wilhelm Reich (1897-1957), psychiatre et psychanalyste disciple de Freud, connu pour son engagement en faveur de la libération des masses par la satisfaction sexuelle, suscite un regain d’intérêt. Ses thèses resurgissent chaque fois que l’on tente de comprendre la barbarie (celle des prêtres pédophiles, des assassins de Daech…) comme un effet de la répression sexuelle. Le psychanalyste Joël Bernat, qui a étudié son œuvre de près, n’en est pas surpris : « Reich, qui a pensé la libération individuelle et sociale, revient dans des périodes où l’on ressent le besoin de lutter contre la massification, qu’elle soit politique, religieuse ou économique. » Si la satisfaction sexuelle et l’orgasme faisaient fonction, pour lui, d’antidote aux névroses individuelles et à ce qu’il appelait « les pestes émotionnelles » (l’exploitation de l’homme, le fascisme, la servitude volontaire, les dogmes religieux, les normes sexuelles…), c’est parce que « Reich concevait la sexualité comme une énergie qui pousse l’individu à sortir de chez lui, à entreprendre, à rencontrer les autres. À désirer, donc, au sens large. Pour lui, cette énergie constitue le sujet, elle le singularise. Dès lors qu’il la laisse s’exprimer pleinement dans la sexualité, il en retire un plaisir qui non seulement libère ses tensions mais le rend plus indépendant, en lui donnant un sentiment de puissance difficilement compatible avec la soumission. C’est ce plaisir intense né de la rencontre vraie, de sujet à sujet, qu’il appelle orgasme ». On comprend mieux pourquoi une sexualité affranchie des diktats et des normes (rigorisme religieux ou pornographie) est une menace pour les sociétés de contrôle. Et un moyen, pour ceux qui trouvent le joug trop pesant, de s’en libérer.”

Lire l’article original de Flavia Mazelin Salvi sur PSYCHOLOGIE.COM (février 2017)


Plus d’amour…

Cinq propositions pour changer Liège

Temps de lecture : 8 minutes >
Serge Rangoni (Théâtre de Liège), Philippe Lallemand (Ethias), Amandine Sanfratello (Taste of Liège) et Laurent Minguet (IMG) © Anthony Dehez

Un hôtel cinq étoiles situé dans le cœur historique de Liège, à quelques encablures de la place Saint-Lambert et du Palais des Princes évêques. Le temps d’une soirée, c’est notre repaire pour refaire le monde (enfin la Cité ardente).

Les participants? Philippe Lallemand (Ethias), Laurent Minguet (IMG), Serge Rangoni (Théâtre de Liège), Amandine Sanfratello (Taste of Liège) et Bruno Venanzi (Standard). Chacun a potassé ses dossiers, émis des idées sur des thèmes imposés ou librement.

Les débats sont passionnés et engagés. Les Liégeois ont leur ville chevillée au corps et ça se ressent. Mais il y a plus que ça. L’enjeu en tant que tel est perçu comme important. “Les villes sont devenues des territoires phares en termes de visibilité. La maire de Paris (Anne Hidalgo) est sans doute plus connue que le Premier ministre français (Edouard Philippe). Les poids lourds politiques s’investissent d’abord au niveau local, quitte à abandonner d’autres niveaux de pouvoir“, estime Philippe Lallemand en citant les cas de Paul Magnette ou Bart De Wever. “C’est le niveau où les décisions ont l’impact le plus direct et le plus concret. Les villes concentrent les moyens d’action que d’autres niveaux de pouvoir n’ont plus“, ajoute-t-il.

Pour autant, une ville comme Liège se sent parfois à l’étroit dans ses frontières municipales. Aménagement du territoire, mobilité, réseau d’entreprises, sécurité: nos interlocuteurs insistent sur l’importance d’une communauté urbaine; autrement dit, sur l’importance de faire collaborer la Ville avec les communes voisines (Ans, Herstal, Seraing…), que ce soit pour des raisons pratiques mais aussi pour des motifs budgétaires. “C’est nécessaire de rassembler“, plaide Serge Rangoni.

La mobilité est le premier chantier qui vient à l’esprit et c’est peu dire que la finalisation du tram de Liège est attendue avec impatience. Et de cette problématique de la mobilité, découlent les autres : le maillage commercial en centre-ville et son éventuelle reconversion, la vie étudiante engluée dans des navettes entre le centre et le Sart Tilman. Mais l’idée d’un “rapatriement” de l’université vers la ville ne doit pas remettre en cause son rôle moteur dans le développement de certaines compétences économiques en matière de biotechs ou de nouvelles technologies notamment.

Ce ne sont évidemment pas les seules idées qui ont été évoquées. La culture y a eu sa part. Un passe-jeunes pour les intéresser à l’offre culturelle liégeoise ou une parade de bateaux fluviaux sur la Meuse. Autre suggestion dans un autre domaine, la création d’un centre multisports de haut niveau.

1. Se réapproprier la Meuse

Le constat. Comme la plupart des grandes villes belges, Liège souffre de son… immobilité. Aux heures de pointe, les entrées de la ville sont engorgées, paralysées par de longues files de voitures qui viennent s’engluer dans le centre à la vaine recherche d’un parking.

Il manque de liaisons intermodales et multimodales“, estime Philippe Lallemand. “Une politique de mobilité doit s’envisager dans une grande cohérence, qui manque pour l’instant dans la ville et autour“, renchérit Serge Rangoni, qui réclame une étude approfondie des attentes et besoins de la population, et à partir de là repenser les liens de mobilité au sein de la ville. “On fait beaucoup pour l’axe nord-sud, qui suit la Meuse en gros, mais une grande part du trafic passe aussi d’une rive à l’autre“, fait remarquer Laurent Minguet.

Les solutions. Le futur tram liégeois qui s’étendra de Sclessin à Coronmeuse devrait permettre d’alléger le trafic dans le centre. “À condition de bien concevoir aussi des parking de délestage à chacun des terminus“, poursuit Minguet.

En attendant le tram, sans doute à l’horizon 2020 au mieux, et compte tenu des nuisances que les travaux vont occasionner dans la ville, l’alternative pourrait être… la navette fluviale. Mise en service durant le printemps et l’été, elle vise plutôt les touristes. Elle a tout de même transporté 35.000 personnes en 2017 malgré des tarifs très onéreux pour un parcours limité et lent. Autant de désavantages auxquels il faudrait remédier pour l’intégrer dans une offre de mobilité cohérente. “Pourquoi ne pas l’étendre à toute l’année, de Droixhe à Sclessin, voire de Visé à Huy“, rêve Minguet. “Mais il faudrait pour cela améliorer sa vitesse commerciale actuellement limitée à 10 km/h“, fait remarquer Amandine Sanfratello.

Ethias emploie près de 800 personnes en plein centre de Liège, à moins de 500 mètres du pont Kennedy. “La plupart d’entre eux perd une heure d’embouteillage entre Droixhe et le centre. Je serais prêt à proposer un dédommagement à ceux qui empruntent la navette si cela leur fait gagner du temps“, assure Philippe Lallemand.

La navette fluviale, intégrée dans l’offre de mobilité à Paris ou à Namur, c’est aussi un symbole, estime Rangoni. “Le fleuve ne coûte rien! C’est une manière pour les Liégeois de se le réapproprier. Le réaménagement des berges permet déjà une meilleure circulation à vélo. Mais il faut aller plus loin.

Le vélo, parlons-en. L’offre cyclable est déficiente en ville estime Sanfratello. “Déjà, le caractère accidenté et vallonné de la ville ne facilite pas l’emploi des deux-roues. Mais il manque d’infrastructures ad hoc et de pistes cyclables réellement protégées dans les accès au centre-ville.” Un centre-ville qui pourrait être réservé plus largement aux piétons, aux cyclistes et aux transports en commun.

Sanfratello réclame par ailleurs l’application à Liège de solutions de mobilité qui ont fait leurs preuves ailleurs. C’est le cas des vélos partagés géolocalisables, qui s’installent à Bruxelles, mais aussi de formules comme le Collecto bruxellois, le taxi collectif de nuit.

Par contre, des idées plus folles sont rejetées, comme un téléphérique reliant les hauteurs de la ville à la vallée. Deux études de ligne ont été présentées récemment, l’une entre le centre (St-Georges ou St-Léonard) et la Citadelle et l’autre entre Sclessin et l’Université. Mais l’idée laisse nos témoins assez sceptiques.

2. Activer les réseaux pour créer une Silicon Valley

Le constat. Liège et ses environs comptent bon nombre d’entreprises IT performantes (NRB, NSI Leansquare…) qui constituent d’importants vecteurs économiques, technologiques et sociaux. Mais les compétences, dans le secteur IT comme dans le secteur biotech par exemple sont souvent morcelées et peu partagées.

La solution.Quel que le soit le secteur, on ne peut arriver très loin seul. Il faut accroître le travail en réseau“, estime Philippe Lallemand. L’exemple de Bridge2Health dans le secteur biomédical est intéressant. Cette plateforme qui réunit l’Université, le CHU, la Région et Meusinvest, vient soutenir les entreprises du secteur des sciences et de la santé qui veulent se développer à Liège. “Pas question de créer un nouveau ‘machin’ avec des postes à pourvoir, insiste Lallemand. Mais développer et rendre plus efficace ce qui existe. Et faire en sorte que cela devienne emblématique de la ville.

L’explosion de Mithra dans le domaine de la santé féminine est un autre bon exemple. “Fornieri n’y est pas arrivé seul. Il a profité du travail universitaire en la matière, du coup de pouce d’un cercle d’investisseurs, etc. C’est ce type de modèle qu’il faut parvenir à reproduire pour attirer d’autres compétences connexes.

Attention cependant à ne pas multiplier les structures et les réseaux, avertit Laurent Minguet. Certes Meusinvest, qui irrigue le tissu économique, est aujourd’hui une structure beaucoup plus efficace qu’il y a 30 ans. Mais à côté de cela, la multiplication des cercles d’affaires qui peuvent aussi renforcer le maillage risque d’avoir un effet inverse de morcellement et de gaspillage des efforts.

3. Un fonds pour booster de nouveaux projets dans les commerces vides

Le constat. La dévitalisation des commerces en centre-ville a souvent été de pair avec le développement de centres commerciaux en périphérie. Liège n’a pas échappé à ce phénomène et de nombreux commerces vides donnent une image négative de la Cité ardente. “Pour une rue commerciale, rien de pire que d’avoir une vitrine vide“, constate Amandine Sanfratello. Les commerces abandonnés sont un point noir de la Ville. Or, dans le “venture lab” (un éco-système de soutien à l’entrepreneuriat à destination de tous les étudiants et des jeunes diplômés) par exemple, des jeunes ont des projets créatifs, testés et validés. “Mais ils ont du mal à pouvoir trouver des espaces disponibles à des prix compétitifs, en tout cas en centre-ville“, poursuit-elle.

La solution. L’idée est de créer un Fonds de la Ville soutenant quelques projets souhaitant s’installer dans des commerces vides (en collaboration avec les propriétaires publics ou privés). Ces projets auraient l’obligation d’être accompagnés par une couveuse d’entreprises, un incubateur ou autre, seraient sujets à une évaluation de la viabilité du projet sur la base d’un dossier (business model, plan financier, etc.) et se présenteraient devant un jury. Les lauréats de ce Fonds annuel recevraient une aide afin de payer les premiers mois de loyer car c’est généralement là qu’il est difficile de rentabiliser son activité (importantes dépenses d’investissement effectuées, création d’une première clientèle, etc.).

Des pop-up stores pourraient également être concernés, dans la mesure où ils permettent de ne pas avoir cet effet désastreux de chancre vide et permettent de réamorcer une activité.

Un exemple pour illustrer la pertinence du projet: la Brasserie C, cette microbrasserie située à proximité de la place St-Lambert, où, sur un emplacement qui est resté longtemps vide, la ville a accepté de casser les prix du loyer. C’est aujourd’hui une success story“, explique Sanfratello.

Cette initiative doit évidemment s’insérer dans une stratégie plus globale pour développer le commerce à Liège. Il faut un cadre adapté à 2018. La question des ouvertures le dimanche et après 18 heures doit ainsi être posée.

4. Ramener l’université au centre-ville

Le constat. Le rêve d’un campus universitaire décentré mais générateur d’une nouvelle urbanisation dans le cadre de l’extension naturelle de la ville n’a pas pris. Cinquante ans après le déménagement de l’université sur le site du Sart Tilman, le campus reste morcelé, génère peu de vie et cause des problèmes endémiques de mobilité faute de logements et de divertissements sur ou à proximité du site. Le bus 48 est pris d’assaut et ne suffit pas à transférer la population étudiante du centre vers le campus.

Les solutions.Pourquoi ne pas redescendre l’université en ville ?“, s’interroge Philippe Lallemand. L’idée n’est pas totalement neuve et a déjà été initiée par Arthur Bodson dès les années 1990. Certaines sections ont depuis fait l’objet d’extension en ville au centre Opéra notamment.

Les étudiants préfèrent la ville et ne montent au Sart Tilman que pour leurs cours“, constate Laurent Minguet, qui regrette encore la vente du Val Benoît, ancien institut des ingénieurs et devenu un centre d’affaires. “Et il y a de plus en plus de bâtiments de grande taille disponibles en ville.” La Banque nationale est vide et à vendre par exemple, rappelle Serge Rangoni.

Il faut bien reconnaître en outre que le Sart Tilman a vieilli. Comme nous…“, reconnaît Lallemand.

Le “rapatriement” de tout ou partie de l’université vers la ville ne doit cependant pas remettre en question le développement du parc scientifique qui s’est installé dans sa périphérie. “EVS s’est installé là-bas, mais nous n’allions jamais à l’univ pour autant“, se souvient Minguet.

Le fait d’avoir une université en ville n’est pas si courant et cela peut avoir un effet bénéfique en termes d’image“, renchérit Lallemand. Sans compter l’apport économique accru de la population étudiante sédentarisée.

Quant aux bâtiments du Sart Tilman, “ils pourraient être réhabilités et recyclés en logements, notamment pour les personnes âgées, plus demandeuses de calme et d’espaces verts que les étudiants“, lance Minguet.

5. Le chauffage urbain alimenté par les industries

Le constat. On ne vous fait pas un grand discours: l’efficacité énergétique est un enjeu majeur, que ce soit pour des raisons environnementales ou économiques. Les villes peuvent être des acteurs importants en la matière. Or, Liège a un atout dans sa manche…

La solution. La Ville de Liège devrait mettre en oeuvre, comme à Copenhague et de nombreuses villes d’Europe, un réseau de chauffage urbain alimenté par la chaleur fatale des industries et de l’incinérateur Uvelia (situé à Herstal) ou de chaufferie biomasse comme alternative au chauffage au gaz. C’est Resa qui devrait réaliser les investissements avec les revenus de distribution de gaz et d’électricité pour développer son métier futur de distribuer la chaleur (verte). “La chaleur de l’incinérateur Uvelia est gratuite, pérenne, elle n’est pas valorisée actuellement et elle est suffisante pour alimenter toute la ville“, précise Laurent Minguet. On évite ainsi la consommation d’énergie fossile et on participe à la lutte contre le changement climatique. “Quitte à imposer aux ménages de se raccorder à ce réseau de chaleur et de renoncer au mazout“, poursuit-il.

Le prix peut être un peu moins cher qu’avec les méthodes de chauffage actuelles. Dire aux gens qu’ils vont participer à lutter contre la pollution tout en réduisant leur facture énergétique, c’est possible et c’est motivant!

Liège est probablement la première ville de Wallonie où cet investissement est prioritaire. La Ville pourrait évidemment accélérer l’obtention des permis voiries indispensables et, probablement, jumeler ces travaux avec ceux du futur tram. “Naturellement, il faut ouvrir les trottoirs. Le passage au réseau de chaleur ne peut donc pas se faire en quelques mois. Il faudrait compter plusieurs années“, reconnaît Minguet.

Lire l’article original d’Alain NARINX et Laurent FABRI dans LECHO.BE (4 octobre 2018)


Plus de presse…

ISTASSE : Engagement et participation politique des femmes : évolution et effets des règles électorales (CRISP)

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(c) ancrages : centre de ressources dédié à l'histoire et aux mémoires des migrations en Provence-Alpes Côte d'Azur (FR)
(c) Ancrages

“En sept décennies, la question de la participation des femmes à la vie politique a considérablement évolué en Belgique. En 1948, soit plus d’un siècle après l’indépendance du pays, le suffrage aux élections législatives est enfin élargi aux femmes. En 2018, les listes électorales doivent compter un nombre égal de candidats et de candidates et, dans deux régions, pour la première fois, le système de la « tirette » est de mise. Entre ces deux moments, la participation politique des femmes a connu de nombreuses étapes et une série de réformes ont été adoptées afin de favoriser la présence de femmes aux différents niveaux de pouvoir.

La présente contribution retrace brièvement l’historique de ces différentes législations et, surtout, tente de percevoir l’effet concret qu’elles ont pu avoir sur la représentation politique des femmes jusqu’aux dernières élections en date (à savoir le scrutin du 14 octobre 2012 aux niveaux provincial et communal, et le scrutin du 25 mai 2014 aux niveaux européen, fédéral, régional et communautaire). Pour cela, est pris pour point de départ le milieu des années 1990, c’est-à-dire la dernière époque à laquelle aucune loi relative aux quotas ou à la mixité n’était encore entrée en vigueur (hormis pour la constitution des listes de candidats en vue des scrutins provinciaux et communaux).

Enfin, cet article présente succinctement les récentes avancées législatives qui entreront en vigueur lors des prochaines échéances électorales, c’est-à-dire le 14 octobre 2018 (élections communales et provinciales) et le 26 mai 2019 (élections européennes, fédérales, régionales et communautaires)…”

Lire la suite de l’article de Cédric ISTASSE sur CRISP.BE (article du 11 septembre 2018)


D’autres publications du CRISP (Centre de recherche et d’information socio-politiques) :

La “Queen of Soul”, Aretha Franklin, s’est éteinte à l’âge de 76 ans

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Aretha FRANKLIN (1942-2018)

“Avec sa voix reconnaissable entre mille, la “Queen of Soul”, Aretha FRANKLIN, a marqué les générations. Elle est décédée ce jeudi 16 août 2018. En plus de problèmes d’alcoolisme, elle se battait contre un cancer du pancréas depuis 2010 et son état s’était aggravé ces dernières semaines. Sur conseil de ses médecins, la chanteuse avait annulé des dizaines de concerts. Elle était apparue très amaigrie lors du gala de la fondation Elton John en novembre 2017.

La chanteuse aux 75 millions de disques écoulés durant sa carrière a remporté 18 Grammy Awards. Elle incarne la musique populaire des années 60 avec ses titres phares tels que “Respect”, “Since You’ve Been Gone”, “Chains of Fool” ou “I Say a Little Prayer”.

Une icône

Aretha Louise Franklin est née le 25 mars 1942 à Memphis dans le Tennessee. Fille de pasteur, la Lady Soul chante dès son plus jeune âge à l’église de Détroit dans la chorale de son père, en compagnie de ses sœurs. A seulement quatorze ans, Aretha Franklin enregistre son premier disque, “The Gospel Soul of Aretha Franklin”. Elle signe avec le label Columbia records en 1956, sans réel succès. Début des années 60, elle s’installe à New York et devient maman pour la première fois. Son second enfant naîtra deux ans plus tard.

Mais ce qui fera décoller sa carrière, c’est sa rencontre avec Arif Mardin et Jerry Wexlerqui en 1967. Ils vont lui permettre d’enregistrer ses premiers grands tubes sur le label Atlantic. “I Never Loved a Man (The Way That I Love You)” devient n°1 des ventes. Aretha Franklin devient dès lors une machine à tubes pendant plus de dix ans avec ses autres titres, plus connus les uns que les autres, comme sa reprise de “Respect”, ou ses propres titres tels que “Chain of Fools”, “I Say a Little Prayer” ou encore “Think”.

Aretha Franklin devient alors une icône dans la lutte pour les droits civiques de la population noire. Elle est la première chanteuse à apparaître en une du magazine Time et Martin Luther King lui même lui remettra le Christian Leadership Award.

En 1972, son album “Amazing Grace“, un recueil de gospels traditionnels, connait un succès fulgurant. Il devient l’un des albums gospel les plus vendus de tous les temps. Dans les années 80, sa popularité ne diminue pas. Elle devient d’ailleurs la première femme à rejoindre le Rock and Roll Hall of Fame en 1987. Suivent ensuite plusieurs collaborations, notamment avec Elton John, Whitney Houston ou encore George Michael. Elle sort aussi un album beaucoup plus hip hop, “A Rose Is Still a Rose“.

Concerts, hymne national lors de la finale du Super Bowl en 2006, investiture du président Barack Obama en 2009, la chanteuse continue d’impressionner lors de ses prestations. Mais en 2010, les médecins lui diagnostiquent un cancer du pancréas. Ce qui ne l’empêchera pourtant pas de se produire à l’occasion du Kennedy Center Honors et d’arracher quelques larmes à Barack Obama…”

Lire l’article complet de V.G. sur RTBF.BE (16 août 2018)


Ses 10 meilleures chansons, selon beaucoup :

  • I Never Loved a Man (The Way I Love You (1967)
  • Respect (1967)
  • (You Make Me Feel Like) A Natural Woman (1967)
  • Chain of Fools (1967)
  • (Sweet Sweet Baby) Since You’ve Been Gone (1968)
  • Think (1968)
  • I Say A Little Prayer (1970)
  • Day Dreaming (1972)
  • Jump to It (1982)
  • I Knew You Were Waiting (For Me), avec George Michael, 1987

Plus de disparus…

Trois raisons de (re)lire “L’art de la joie” de Goliarda Sapienza (1924-1996)

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[…] Mais l’amour n’est pas absolu et pas d’avantage éternel, et il n’y a pas seulement de l’amour entre un homme et une femme, éventuellement consacré. On peut aimer un homme, une femme, un arbre et peut-être même un âne, comme le dit Shakespeare.
Le mal réside dans les mots que la tradition a voulu absolus, dans les significations dénaturées que les mots continuent à revêtir. Le mot amour mentait, exactement comme le mot mort. Beaucoup de mots mentaient, ils mentaient presque tous. Voilà ce que je devais faire : étudier les mots exactement comme on étudie les plantes, les animaux… et puis, les nettoyer de la moisissure, les délivrer des incrustations de siècles de tradition, en inventer de nouveaux, et surtout écarter pour ne plus m’en servir ceux que l’usage quotidien emploie avec le plus de fréquence, les plus pourris, comme : sublime, devoir, tradition, abnégation, humilité, âme, pudeur, cœur, héroïsme, sentiment, piété, sacrifice, résignation. […]


[…] Et il m’apprit. Tous les matins, juste après l’aube, d’abord à comprendre le cheval, et puis, là chez lui, dans cette petite pièce nue et embaumant le tabac :  “C’est comme avec le cheval. Tu dois serrer tes cuisses autour de moi, et tu dois bouger avec moi. C’est comme faire le cheval et le cavalier. Laisse-toi aller, ma fille, ne te pétrifie pas comme ça, comme si je voulais te tuer. Maintenant tu connais l’animal, et je veux te donner du plaisir comme tu m’en donnes à moi. Tu vois, ma fille, l’amour n’est pas comme le disent tant d’hommes qui n’en sont pas et aussi des femmes qui ne sont pas des femmes, et qui se précipitent d’un côté à l’autre sans presque rien sentir. Avec l’amour, quand tu le trouves… à moi, ça m’est arrivé une seule fois… non, pas avec la mère de Béatrice, cette malade de la tête come tous ceux du palais, pleine de manies, un jour elle voulait et puis elle pleurait… non, avec une femme, une vraie, que j’ai eue pendant des années ; et puis je l’ai perdue. Mais ce n’est pas ça que je voulais te dire. La vérité, c’est quand tu trouves la femme ou l’homme qu’il te faut, alors il faut absolument arriver à s’entendre. Le corps est un instrument délicat, plus qu’une guitare, et plus tu l’étudies et plus tu l’accordes à l’autre, plus le son devient parfait et fort le plaisir. Mais il faut que tu l’aides et que tu m’aides. Il ne faut pas que tu aies honte.” […]


Le vent de ses yeux m’emporte vers lui, et même si mon corps immobile résiste, ma main se retourne pour rencontrer sa paume. Dans le cercle de lumière la vie de ma main se perd dans la sienne et je ferme les yeux. Il me soulève de terre, et dans des gestes connus l’enchantement de mes sens ressuscite, réveillant à la joie mes nerfs et mes veines. Je ne m’étais pas trompée, la Mort me surveille à distance, mais juste pour me mettre à l’épreuve. Il faut que j’accepte le danger, si seul ce danger a le pouvoir de rendre vie à mes sens, mais avec calme, sans tremblements d’enfance.


“Roman majeur de la littérature italienne, ce chef-d’œuvre vient d’être réédité aux éditions Le Tripode. Une occasion de se (re)plonger dans les aventures de l’héroïne Modesta, qui transgresse les règles afin de découvrir le plaisir spirituel et charnel.
1998 est l’année de naissance officielle de L’Art de la Joie, roman majeur de la littérature italienne, fruit de l’imagination d’une femme de lettres, de théâtre et de cinéma, anarchiste et passionnée. Cette année-là, les éditions Stampa Alternative publient, en très peu d’exemplaires, le roman que Goliarda SAPIENZA porte depuis toujours. En réalité, ce chef-d’œuvre est né bien avant, dans la douleur de dix années d’écriture, entre 1967 et 1976. Et l’éditrice française Viviane Hamy lui a donné une troisième naissance, posthume et triomphale, avec la publication de sa traduction française, en 2005. Une constellation d’admirateurs s’illuminait alors que la réédition du roman, dix ans plus tard, aux éditions Le Tripode, devrait faire grandir, pour au moins trois raisons que voici :

Les premières pages marquent à jamais

Le roman s’ouvre sur trois scènes cathartiques inoubliables. La première fait quelques lignes, écrites à la machette. L’héroïne, Modesta, se présente en déchirant le blanc de la page, elle déboule avec un souvenir de ses quatre ans, au bout d’un bâton de bois, et un panoramique cinématographique remonte jusqu’à sa mère, dont «les cheveux de lourds voile noir sont couverts de mouches», et sa sœur trisomique qui «la fixe de deux fentes sombres ensevelies dans la graisse». Goliarda Sapienza fait les présentations en nous propulsant dans l’arène d’une enfance scandaleuse.
Puis viennent deux scènes de dépucelage précoce. La première avec un prince charmant mais rustre qui assure les préliminaires dans la campagne, et fait découvrir à Modesta «cette étrange fatigue, une fatigue douce pleine de frissons qui empêche de sombrer». La seconde avec un ogre incestueux, qui assure la conclusion traumatisante, et transforme son corps en charpie, donnant raison à sa mère, qui l’avait prévenue : «les hommes ne cherchent que leur plaisir, ils te démolissent de fond en comble et ne sont jamais rassasiés».
Ces trois déflagrations successives empêchent de refermer le livre. On erre ensuite, en état de choc, dans 600 pages ravagées par un même feu. Et on se dit que seul le cinéaste Bruno Dumont pourrait restituer la violence dévastatrice de ce texte, cru, abrasif, extralucide.

Modesta

Modesta, un prénom rare, mystérieux, comme celui de Goliarda, qui valut tant de quolibets à la romancière, pendant son enfance… Quelques lecteurs fervents de L’Art de la Joie ont certainement appelé leur fille comme cela. Dans le livre, on ne peut pas dire qu’elle soit vraiment modeste, cette Modesta qui se fait parfois appeler Mody, ce qui ne lui va guère, sauf si on rapproche le surnom du «muddy» anglais, qui signifie «boueux». Dans la fange d’une existence poisseuse d’avilissements, d’humiliations, de trahisons, Modesta continue de briller de mille feux. Non, décidément, Modesta n’est pas du genre à baisser les yeux pudiquement dans un coin, et à se faire oublier. Sans doute Goliarda Sapienza a-t-elle voulu jouer sur le paradoxe d’une femme mouvante, sculptée par les expériences, les rencontres, les épreuves, qui jamais ne se rebelle frontalement, mais toujours se relève de ses cendres. Le livre la regarde vieillir, avancer vers la mort, sans perdre une once de lumière, «parce que la jeunesse et la vieillesse ne sont qu’une hypothèse, ton âge est celui que tu te choisis, que tu te convaincs d’avoir». Rien que pour elle, pour cette rencontre unique avec une femme d’exception, le roman vaut qu’on s’y perde, qu’on s’y noie… D’ailleurs, Modesta ne sait pas nager. Elle en nourrit un grand complexe, mais quand elle se jette à l’eau, dans tous les sens du terme, la victoire est totale, et le bond en avant, incommensurable. Comme quand on achève la lecture de ce livre inclassable et foisonnant, arrimé à cette héroïne hors du commun.

Naissance d’une conscience

L’art de la joie est un roman historique très particulier. Née le 1er janvier 1900, Modesta traverse toute la première moitié du XXe siècle. Comme la petite sirène devenue femme, chaque pas l’électrise de douleur, mais elle avance vers son destin, persuadée que la vie est une métamorphose de chaque instant. La pauvreté dans sa petite enfance, l’emprise de l’Eglise dans son adolescence, quand le couvent la recueille après son viol, la bisexualité assumée pendant sa jeunesse, puis la découverte du communisme et de la maternité, à l’âge adulte : le monde change, et Modesta évolue en profondeur, tout en restant fidèle à sa nature, exceptionnelle d’énergie.

Goliarda Sapienza excelle à la mettre dans une série de situations d’enfermements, dont elle se sort toujours avec grâce et panache. La romancière connaîtra d’ailleurs elle-même la prison, pour avoir volé des bijoux dans une soirée, et en tirera ensuite deux livres pénétrants, à la fois sociologiques et poétiques, qu’il faut lire en complément : L’Université de Rebbibia et Les Certitudes du doute.”

Lire tout l’article de Marine LANDROT sur TELERAMA.FR (5 mai 2015)


[Radio] Goliarda Sapienza, la Madone indocile : Une vie, une œuvre

Photographie : © Fonds Goliarda Sapienza. Production : Irène Omélianenko. Une émission de Julie Navarre, réalisée par Jean-Philippe Navarre. Prise de son : Alexandre Dang. Mixage : Alain Joubert. Traduction : Nathalie Castagné. Documentation Ina : Linda Simhon. Lectures : Julie Navarre. Liens internet : Annelise Signoret. Diffusion sur France Culture le 14 avril 2018.

“Née dans une Italie fasciste, prise dans l‘ébullition des années soixante-dix puis des années de plomb, tour à tour résistante, comédienne, internée, romancière, prisonnière, Goliarda Sapienza a fait de sa vie une ode à la liberté et à l’écriture. Elle est morte avant de voir son œuvre reconnue. Goliarda Sapienza est née en 1924 dans une famille nombreuse recomposée. Fille de militants antifascistes absorbés par leur combat politique, elle grandit libre dans le désordre et les troubles de l’avant-guerre. À 16 ans, elle reçoit une bourse pour suivre les cours de L’Académie d’Art Dramatique de Rome, mais l’occupation allemande la pousse à entrer en résistance. À la libération, Goliarda Sapienza va se consacrer à nouveau au théâtre et au cinéma. Comédienne et professeur de théâtre reconnue, compagne du cinéaste Francesco Maselli, amie de Luchino Visconti, elle va finalement renoncer à ses premières passions pour épouser l’écriture. Suite à un séjour de plusieurs mois en hôpital psychiatrique, puis à une psychanalyse, elle entreprend un premier cycle de textes autobiographiques intitulé “L’autobiographie des contradictions”. Se vouant totalement à l’écriture, Goliarda donne naissance à Modesta. L’héroïne de “L’Art de la joie” – autodidacte, libre penseuse, amoureuse passionnée et sensuelle – va prendre forme au creux d’une vie frugale. Le tumulte du monde, l’enfance et la vie de Goliarda, mais aussi son insoumission, se couchent sur des pages et des pages et prendra fin dix ans plus tard en 1976. Monument littéraire, fulgurance conçue dans la solitude, “L’Art de la joie” ne trouvera pas d’éditeur ; l’héroïne-double de Goliarda Sapienza est trop libre et transgressive pour l’Italie conservatrice des années quatre-vingt. À la suite d’un vol de bijoux, elle est arrêtée et condamnée à de l’emprisonnement. Paradoxalement, c’est dans cette expérience carcérale (qu’elle a elle-même provoquée) qu’elle va puiser force et consolation. Subversive jusqu’au bout, ce sont les prostituées, les droguées, ou une jeune révolutionnaire qu’elle aimera passionnément, qui vont lui inspirer ses derniers récits-testaments. Elle meurt quasiment méconnue en 1996. Il faudra attendre la traduction de “L’Art de la joie” en France, par les éditions Viviane Hamy en 2005, pour que son pays reconnaisse la puissance créatrice de Goliarda Sapienza, la Madone indocile.

Intervenants : Angelo Pellegrino, écrivain, comédien, dernier compagnon de Goliarda Sapienza. Nathalie Castagné, écrivain, traductrice. Frédéric Martin, éditeur. Florence Lorrain, libraire à “L’Art de la joie”.

Bibliographie de Goliarda Sapienza : “Le fil d’une vie” (Viviane Hamy), “L’Art de la joie” (Le Tripode), “L’Université” de Rebibbia” (Le Tripode), “Les certitudes du doute” (Le Tripode), “Moi, Jean Gabin” (Le Tripode), “Rendez-vous à Positano” (Le Tripode). Livre d’Angelo Pellegrino : “Goliarda Sapienza, telle que je l’ai connue” (Le Tripode).”

Source : France Culture


Pour lire plus encore…

Que sont les pluies acides devenues…

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(c) futura-sciences

“Au début des années quatre-vingt, les Allemands constatent que leurs forêts sont malades. Hâtivement, les scientifiques déclarent qu’elles sont victimes des pluies acides causées par le transport à longue distance des polluants et la presse reprend largement cette thèse. Vingt ans plus tard, les études montrent que l’effet sur les forêts de la pollution acide à longue distance n’a pas été vérifié. Cependant, l’acidification des sols et l’impact de la pollution acide sur les écosystèmes naturels et agricoles et sur la santé humaine restent toujours d’actualité à l’échelle mondiale.

Au début des années quatre-vingt, l’Allemagne est prise d’une véritable psychose. Elle découvre que ses forêts sont ravagées par les pluies acides et que ses arbres dépérissent par milliers. En 1983, le tiers de la forêt allemande semble touché. Dans toute l’Europe et en Amérique du Nord, des programmes d’étude sont lancés, des réseaux de suivi mis en place. Ce branle-bas dure quelques années. Puis, petit à petit, la menace paraît s’estomper…

Il faut dire qu’entre-temps la dégradation de la couche d’ozone polaire et la pollution par l’ozone troposphérique ont fait leur apparition et mobilisé l’attention des médias. Puis l’effet de serre et changement climatique sont arrivés… D’autres préoccupations ont pris le relais ! Est-ce à dire que le problème des pluies acides est définitivement réglé ?

Le terme « pluies acides » avait été forgé en 1872 par un chimiste anglais pour décrire un phénomène nouveau lié à l’industrialisation intensive de l’Angleterre. Il s’agissait essentiellement d’une pollution observée sous le vent des usines métallurgiques et des centrales thermiques. C’est bien plus tard, dans les années 1950-1960, alors que les Scandinaves voient leurs lacs s’acidifier, que le grand public s’approprie le concept. Plus de la moitié du stock de poissons habitant les lacs scandinaves et certaines espèces disparaissent en une ou deux décennies. L’aluminium est pointé du doigt car ce métal toxique, plus soluble aux faibles pH, a vu sa concentration fortement augmenter dans les lacs au fur et à mesure de l’acidification des eaux. À l’inverse, les algues se sont mises à proliférer.

Sous la pression des Scandinaves, l’OCDE se mobilise alors et, en 1979, fait adopter la convention de Genève sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance. Cependant, les recommandations de cette convention restèrent plus ou moins lettre morte jusqu’à ce que la République fédérale d’Allemagne reprenne brusquement le flambeau au début des années quatre-vingt, comme expliqué précédemment.

Victimes d’une pollution longue distance

Menées dans les années 1970-1980 dans les principaux pays industrialisés, les études atmosphériques mettent en évidence une forme de télé-pollution, différente de la pollution de proximité connue jusqu’alors. Cette pollution diffuse et chronique provient de la transformation, pendant leur transport dans l’atmosphère, des polluants primaires émis par les installations de combustion et par les véhicules automobiles. Dans le cas de la forêt allemande, les scientifiques affirmèrent un peu vite que si les arbres étaient malades, c’est qu’ils étaient victimes de cette pollution acide à longue distance dont l’effet était, à première vue, comparable à la pollution de proximité décimant alors les forêts de l’Europe centrale (Allemagne de l’est et Tchécoslovaquie en particulier) sous l’effet de l’utilisation débridée de lignites très riches en soufre.

Les symptômes du dépérissement variaient suivant les espèces : le feuillage du hêtre par exemple, devenait clairsemé et jaunissait tandis que les conifères (sapin, épicéa, pin sylvestre) perdaient leurs aiguilles. De fait, sauf pour les zones directement touchées par les émissions d’un centre industriel voisin, comme ce fut le cas en Europe de l’est, ce dépérissement n’était évident que pour les spécialistes.

Les notions de pollution locale, de pollution longue distance, associées à la vision d’arbres souffreteux constituèrent un cocktail médiatique explosif largement exploité par l’opinion publique d’outre-Rhin.

La France réagit de façon plus mesurée : on mit sur pied des suivis de l’acidité des pluies. Dans les Vosges notamment, un réseau d’étude du Dépérissement des forêts attribué à la pollution atmosphérique (DEFORPA) fut créé et il est encore bien utile de nos jours pour suivre l’évolution du phénomène. La forêt européenne a crû plus vite ces années-là.

Dans les années qui suivirent, les premières conclusions des études scientifiques furent loin d’être convaincantes. Ainsi, le symposium européen de 1987 à Grenoble, mit en évidence le manque de preuve quant à la culpabilité des pluies acides vis-à-vis des observations des forestiers. En fait l’opinion publique européenne, surtout allemande, s’était emballée, et les politiques lui avaient emboîté le pas, prenant des mesures avant que les scientifiques aient formellement identifié le phénomène. Cependant, même si a posteriori ces mesures ne semblent pas avoir été entièrement justifiées, elles furent salutaires pour la santé publique et la réduction de la pollution atmosphérique par les composés soufrés.

Depuis le début des années 1990, les émissions de composés soufrés ont considérablement décru en Europe et en Amérique du nord, grâce aux efforts de désulfuration des carburants fossiles (pétrole), à la moindre utilisation du charbon et enfin à l’effondrement de l’activité industrielle en Europe de l’est et en Russie. En revanche, on sait maintenant qu’en dépit des apparences, les forêts d’Europe ont crû plus rapidement que jamais pendant les années de précipitations acides, probablement en raison des apports additionnels de composés azotés et de l’augmentation du gaz carbonique (CO2) atmosphérique.

Quel bilan tirer de cette crise ?

Il semble que le déclin récent des forêts puisse être attribué à un manque de magnésium et de potassium. Paradoxalement le meilleur entretien des forêts avec élimination des débris organiques conduit à l’épuisement des sols. Aux USA, les atteintes concernant les épicéas furent finalement imputées au climat, à des épisodes rapprochés de gel par exemple. Les symptômes disparurent au milieu des années 1990, peut-être à cause de changements météorologiques. L’acidification des sols a bien été notée par-ci par-là, et dans quelques cas seulement, elle fut attribuée aux précipitations.

Où en sont les émissions de polluants acides ?

Les études lancées dans les années 1980 ont permis de constituer des banques de données permettant le suivi des bilans d’émission. Or, à partir de 1990 on constate que si les émissions polluantes de l’industrie ont considérablement baissé, les bateaux croisant au voisinage de l’Europe ont continué à polluer, émettant quelque 2,8 millions de tonnes de dioxyde de soufre (SO2) et 4 millions de tonnes d’oxydes d’azote (NOx). Sur la base d’une augmentation de 2 % par an et si aucune mesure restrictive n’est prise, ces pollutions devraient dépasser celles produites par l’industrie, à  l’horizon 2010. Par ailleurs, de nouvelles régions du globe sont susceptibles d’être gravement touchées par les précipitations acides. Ainsi, suite à la rapide industrialisation de l’Asie, la pollution atmosphérique augmente dans le nord-est de l’Asie. Comme en Europe dans les années soixante, les émissions résidentielles et industrielles de dioxyde de soufre et d’oxydes d’azote affectent majoritairement la précipitation locale urbaine, alors que les centrales thermiques assurent l’essentiel de la pollution longue distance. Les impacts sont déjà sensibles sur les écosystèmes naturels et agricoles et sur la santé humaine dans les grands centres industriels et les villes. Et la tendance à l’acidification ne fait que commencer.

À l’horizon 2020, il faut s’attendre à ce que la capacité du sol à absorber ces dépôts acides soit totalement dépassée en Chine, dans la Péninsule coréenne et au Japon. Les études actuelles montrent clairement que les régions sources sont situées en Chine et que les Corée et le Japon sont des pays essentiellement récepteurs. La Chine doit, certes, pouvoir se développer, mais la très faible efficacité énergétique chinoise -vingt fois plus faible que celle du Japon- constitue un facteur aggravant. Inversement ce chiffre peut permettre d’espérer une réduction drastique de la pollution, dès lors que les autorités chinoises auront pris conscience du problème.

Retenons que les précipitations en Europe et en Amérique du nord se sont bien acidifiées dans les années 1970-1980, avec des effets avérés sur la santé, les bâtiments, les sols, les eaux de surface, mais que les effets sur les forêts sont beaucoup plus incertains et discutables. La catastrophe montée en épingle (de bonne foi, tout au moins au début), à propos des forêts germaniques a eu des répercussions considérables sur l’industrie automobile, puisqu’elle fut indirectement à l’origine de l’essence sans plomb… Gardons en mémoire que la question des pluies acides persiste, notamment en Asie, mais que le désastre annoncé de la mort de nos forêts est heureusement resté dans le domaine du fantasme.”

Lire notre source, l’article de Robert J. DELMAS sur ESPACES-NATURELS.INFO (article de juillet 2004)


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Retour en 39-45, quand les migrants étaient européens…

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2 janvier 1945. Dans une rue de La Gleize (BE) des réfugiés belges attendent d’être transportés en dehors de la ville déchirée par la guerre (c) Peter J. Carroll / AP /Photo colorisée par Sanna Dullaway pour Time Magazine

“Une série de photographies aujourd’hui colorisées montre le voyage de réfugiés… français, allemands, belges ou encore polonais fuyant les horreurs de la guerre.

C’est un retour de près de sept décennies en arrière. Entre 1939 et 1945, plus de 60 millions d’Européens furent forcés de quitter leurs foyers, pour fuir les horreurs de la guerre. Un peu plus de soixante-dix ans plus tard, les destins tragiques des centaines de milliers de réfugiés originaires d’Afrique et du Moyen-Orient, qui tentent de rejoindre l’Europe depuis quelques années, nous conduisent à remonter le temps.

C’est pour cela que Time Magazine a commissionné la photographe Sanna Dullaway pour coloriser des clichés historiques montrant des réfugiés européens de la Seconde Guerre mondiale, en provenance de France, de Pologne, d’Allemagne ou de Belgique, pendant leur voyage vers l’Est et le Sud.

Janvier 1945. Des réfugiés belges fuient avec tous leurs biens devant les avancées de l’armée allemande. (c) Allan Jackson / Keystone / Hulton Archive / Getty Images

Comme le rappelle le Washington Post, le Royaume-Uni avait mis en place en 1942 la MERRA (Middle East Relief and Refugee Administration), qui permit à 40 000 européens de s’établir dans des camps de réfugiés en Syrie, Égypte et Palestine. Une histoire méconnue qui éclaire les épreuves de celles et ceux qui veulent de nos jours faire le chemin inverse…”

Visionner les photos dans l’article traduit de Rachid MAJDOUB sur KONBINI.COM (article daté de 2016) ou dans l’article original de Sanna DULLAWAY sur TIME.COM (article du 20 juin 2016, première publication en 2015) : Colorized Photos of WWII Refugees Offer New Perspective on the Migrant Crisis


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Behind TIME’s Donald Trump ‘Welcome to America’ Cover

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Couverture du Time Magazine du 2 juillet 2018 (c) Time – John Moore – Getty Images

“John MOORE, a Pulitzer Prize-winning photographer for Getty Images, has been photographing immigrants crossing the U.S.-Mexico border for years. This week one of his pictures became the most visible symbol of the immigration debate in America.

This one was tough for me. As soon as it was over, they were put into a van. I had to stop and take deep breaths,” Moore told TIME Tuesday, describing his reaction to the scene of a two-year-old Honduran girl crying as her mother was being detained in McAllen, Texas. “All I wanted to do was pick her up. But I couldn’t.

(c) John Moore – Getty Images

Due to the power of the image, which appeared as critics from across the political spectrum attacked President Trump’s now-reversed policy of separating children from parents who are being detained for illegally entering the United States, TIME’s editors selected Moore’s photograph to create a photo illustration, including Trump, to make the July 2, 2018, cover of the magazine.”

Lire la suite de l’article de la rédaction de TIME.COM (article du 21 juin 2018)

John Moore

Découvrir la galerie des photos prises par John Moore lors de ses reportages sur l’immigration d’Amérique latine vers les USA sur REPORTAGESBYGETTYIMAGES.COM

 


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AGUEEV : textes

Temps de lecture : 6 minutes >

… ainsi allais-je le long des boulevards, accrochant du regard, comme avec une branche, les yeux de toutes les femmes qui venaient à l’encontre. Jamais je n’ai, comme on dit, déshabillé du regard aucune d’elles, comme je n’ai jamais ressenti de désir charnel. En cet état fiévreux dans lequel un autre que moi aurait, peut-être écrit des poèmes, regardant intensément les yeux des femmes rencontrées, j’attendais toujours en réponse le même regard agrandi et effrayant. Je n’abordais jamais les femmes qui répondaient par un sourire, sachant que seule une prostituée ou une vierge pouvait répondre par un sourire à un regard tel que le mien. Dans ces heures vespérales, aucune nudité imaginée n’aurait pu dessécher autant et faire soudain trembler la gorge que ce regard féminin effrayant et méchant, qui laissait aller jusqu’au fond un regard cinglant de bourreau – un regard comme un contact d’organes sexuels. Et quand ce regard se présentait – il se présentait nécessairement tôt ou tard -, je me retournais immédiatement, je rattrapais la femme qui m’avait regardé et, en l’abordant, je portais à ma visière noire une main gantée de blanc.

Il semblait, par le regard que cette femme et moi avions échangé, les yeux dans les yeux, comme si, une heure auparavant, nous avions ensemble tué un enfant – il semblait que par ce regard tout était dit, tout était compris, et qu’il n’y avait décidément plus rien à dire. mais en réalité tout était beaucoup plus compliqué et, m’étant approché de cette femme et ayant prononcé une phrase dont le sens semblait toujours se situer dans le prolongement d’une conversation à peine interrompue, j’étais obligé de parler et de parler encore, afin que les paroles prononcées amplifient la cordialité de nos relations et la conduise jusqu’à sa jonction avec la sensualité de notre premier regard signalisateur. Ainsi, dans l’obscurité du boulevard, nous allions côte à côte, hostiles et sur nos gardes, mais ayant tout de même besoin en quelque sorte l’un de l’autre, et je disais des mots dont la signification amoureuse semblait d’autant plus vraisemblable qu’elle était plus fausse. Et lorsque, enfin, mû par cette étrange conviction que la précaution avec laquelle on appuie sur la gâchette rend le coup moins assourdissant, je proposais – comme par hasard, entre autres choses – d’aller à l’hôtel et d’y passer une petite heure, rien que pour bavarder, bien sûr, et cela pour la simple raison que le temps, ce jour-là, était (suivant les circonstances) trop froid ou trop lourd, alors, je savais déjà, rien que par le refus (le refus suivait presque toujours) ou plutôt d’après le ton de ce refus – ému, indigné, calme, méprisant, craintif ou incertain -, je savais déjà si cela valait la peine, en la prenant par le bras, de la supplier encore, ou s’il fallait faire demi-tour et partir sans dire adieu.

AGUEEV M., Roman avec cocaïne
(Paris, Belfond, 1990, initialement publié dans les années 1930)


ISBN 978-2-264-02731-3

“Tous ceux qui l’ont lu parlent d’un choc, d’une révélation, qu’il s’agisse des critiques de l’époque – Nicole Zand dans les colonnes du Monde – comme des romanciers – Frédéric Beigbeder en tête. Et le titre, Roman avec cocaïne, bien que sulfureux, ne saurait être tenu pour seul responsable de l’engouement pour le livre lors de sa parution en France, en 1983. Trente ans plus tard, c’est avec une excitation intacte que son éditeur, le délicieux Pierre Belfond, se souvient du choc qu’il ressentit à la lecture de ce texte : “J’en ai eu le souffle coupé. C’était comme tenir entre les mains un grand livre de Dostoïevski ou celui d’un Nabokov qui aurait été capable de nous faire pleurer.” Sauf que cet auteur-ci est un mystère. Commence dès lors une enquête policière aujourd’hui encore en partie irrésolue…

Retour en arrière. En 1934, la revue Tchisla (Nombres), éditée par des émigrés russes à Paris, reçoit, en provenance d’Istanbul, un manuscrit intitulé Récit avec cocaïne, signé par un certain M. Aguéev. En juin, seule la première partie du récit est publiée. Aguéev est présenté comme un jeune écrivain en des termes flatteurs : “talent, audace, le tragique authentique“. Deux ans plus tard, le livre d’Aguéev est intégralement publié par l’Union des écrivains russes de Paris sous son titre définitif, Roman avec cocaïne. Il circule sous le manteau, provoquant le scandale dans le microcosme qui le lit, mais, selon sa traductrice française aujourd’hui disparue, Lydia Chweitzer, “beaucoup plus à cause de la franchise avec laquelle l’auteur parle de certaines réalités – qu’à cette époque on préférait passer sous silence – que par ses expériences de cocaïnomane“. Sans doute était-il indécent qu’un adolescent russe se permette, en 1917, de contempler la révolution avec autant de distance, voire d’indifférence.

L’action de Roman avec cocaïne se situe à Moscou durant l’adolescence du narrateur, Vadim Maslennikov, de 1916 au lendemain de la révolution russe. Le héros raconte ses années de lycée, ses relations avec des prostituées, son amour raté avec Sonia, le suicide auquel il pousse sa mère, et son addiction à la cocaïne. “Je pouvais expliquer par l’influence de la cocaïne le fait qu’elle provoquait en moi les sentiments les meilleurs. Mais comment expliquer les autres ? Comment expliquer l’inéluctabilité avec laquelle se manifestaient en moi, après coup, les sentiments les plus bas, les plus bestiaux ?” Le nihilisme, la fulgurance et la gaucherie d’Aguéev – qui se révèle plus un grand primitif qu’un immense styliste – donnent un livre unique et inclassable. Aguéev ne publia rien d’autre si ce n’est une nouvelle, Un peuple teigneux.

Le roman aurait disparu si, au début des années 1980, Lydia Chweitzer n’était tombée, chez un bouquiniste des quais de Seine, à Paris, sur un exemplaire de l’édition originale. Elle entreprend de le traduire avant de le proposer à Pierre Belfond. Dans ses Mémoires, Les Pendus de Victor Hugo (publié en 1994 et réédité chez Fayard sous le titre Scènes de la vie d’un éditeur en 2007), ce dernier raconte comment il émergea de sa lecture groggy, “accablé par la peinture d’un univers de déchéance, de cruauté, de nihilisme et de mort, conscient que ce cauchemar était mis en scène par un génie“.

Dès la publication du roman en français, une chasse à l’homme s’organise. Pierre Belfond veut connaître la véritable identité de son auteur. “A l’époque, se souvient-il avec amusement, mon téléphone sonnait beaucoup. Les prétendants se disant oncle ou parent lointain d’Aguéev étaient nombreux…” Michel Braudeau pour L’Express en 1983, puis Alain Garric dans une remarquable enquête parue dans Libération en 1985, retrouvent la trace de Lydia Tchervinskaïa, une poétesse de 76 ans, qui affirme avoir été la maîtresse d’Aguéev. Elle leur raconte avoir rencontré l’auteur avant-guerre à Istanbul dans l’asile psychiatrique où il était soigné pour des tremblements aux mains (dont il souffrait depuis qu’il avait tiré, disait-il, sur un officier de l’Armée rouge). Elle leur révèle aussi que le romancier s’appelait Mark Levi (il avait choisi un nom de plume commençant par la lettre A, “pour le commencement”) et qu’il vivait dans le quartier de Galata, où résidaient de nombreux juifs originaires d’Europe centrale. Après s’être enfui en Allemagne en 1924, il passa par la France et la Suisse, puis se réfugia en Turquie au début des années 1930, où il aurait agi comme espion pour les Soviets. Il passa le reste de sa vie à Erevan, où il enseignait l’allemand. Cet homme, qui répétait souvent que “dans la vie, il faut tout essayer“, serait mort dans la capitale arménienne en 1973.

Le cas Aguéev rebondit au cours de l’été 1983, après la polémique lancée par Nikita Struve, professeur de littérature à l’université de Nanterre. Ce dernier décèle de troublantes similitudes entre M. Aguéev et Vladimir Nabokov, au point d’attribuer à l’auteur de Lolita la paternité de Roman avec cocaïne. Vera Nabokov, la veuve de l’écrivain, réfute cette hypothèse. En dépit des ressemblances, qui peuvent signifier qu’Aguéev fut un lecteur attentif de Nabokov, le style du premier, estimait-elle, était assez grossier, et celui de son époux, raffiné. “En outre, mon mari n’a jamais été attiré par la drogue ou les hallucinogènes : il aurait été bien incapable de décrire cette expérience de la cocaïne.” L’affaire connaît un nouveau rebondissement en 1991, à la suite de l’enquête menée par Gabriel Superfine et Marina Sorokina. Les deux historiens russes établirent de manière convaincante la paternité du roman à Mark Levi, notamment par des éléments autobiographiques du roman vérifiables. Restent de nombreuses zones d’ombre : son expulsion de Turquie vers l’URSS en 1942, ou ses liens avec le pouvoir soviétique. L’énigme Aguéev demeure, procurant l’étrange impression que l’écrivain a disparu après la publication de son roman. “Aguéev a peut-être bien fait de disparaître. Après avoir tout dit. Un livre peut valoir une vie“, écrivait André Brincourt dans Le Figaro. On ne saurait mieux dire.”

Lire l’article de Samuel BLUMENFELD sur LEMONDE.FR (9 août 2013)
Photo d’en-tête : ©Pierre Even


Plus d’amour…

DICKER : La vérité sur l’affaire Harry Quebert (2012) & L’affaire Alaska Sanders (2020)

Temps de lecture : 7 minutes >

DICKER J., La vérité sur l’affaire Harry Quebert (Paris, De Fallois, 2012). On trouvera ci-dessous toute la vérité sur l’affaire Harry Quebert : une galerie prévisible de personnages dans un décor de Nouvelle-Angleterre qui sent le déjà-vu. L’intrigue elle-même goûte le plat réchauffé du lendemain midi. La sauce devait être bien préparée car le roman a été primé plusieurs fois : Grand prix du roman de l’Académie françaisePrix Goncourt des lycéens et les critiques ont été positives, si pas enthousiastes. Techniquement, la narration est efficace et le livre est un  vrai page turner (dira-t-on bientôt un “tournepage” pour qualifier un roman captivant ?).

Reste que la plume du Suisse Joël Dicker préfigure probablement ce que l’intelligence artificielle pourra nous servir chaque été au rayon “fictions pour tablettes” (…de chocolat suisse).

Pour ceux qui n’ont jamais vu “Twin Peaks” de David Lynch (question subsidiaire pour les amateurs de Lynch : le nom du village de Dicker, Sagamore, fait-il référence au décès de Laura Palmer, retrouvée emballée dans un “sac à mort” ?), voici toute la vérité sur le roman de Joël Dicker (compilée par un fan du roman et partagée telle quelle), c’est-à-dire simplement la liste de ses personnages :

      1. Deborah Cooper : Habitait seule à Side Creek Lane | Témoin => appelle la police 2 fois lorsqu’elle voit Nola | Morte assassinée par balle | Veuve
      2. Nola Kellergan : 15 ans | D’abord « disparue » tout début | Morte =>  retrouve son corps 33 ans après sa disparition | Né le 12 avril 1960 | Appréciée des gens d’Aurora | Travaillait les samedis au Clark’s | Fille unique
      3. Marcus Goldman : Originaire du New Jersey | Fils unique | Écrivain | ~30 ans | A écrit 2 livres | Le 1er s’est vendu à 2 millions d’exemplaires | Millionnaire | Célibataire | Habite à New York
      4. Douglas Claren : Agent de Marcus
      5. Denise : Secrétaire de Goldman | Elle l’aide beaucoup
      6. Mère de Goldman : « le harcèle » | Employée
      7. Père de Goldman : Nelson | Ingénieur
      8. Lydia Gloor : Actrice d’une série actuelle (par rapport à l’histoire) | Ex à Goldman
      9. Roy Barnaski : Puissant directeur de Schmidt et Handson
      10. Harry Quebert : Ancien professeur à l’université de Marcus | Écrivain | Habite à Aurora | Au bord de l’océan | Très proche de Marcus | ~67ans | Pratique la boxe | « Mentor » de Marcus | A écrit « Les Origines du mal » | Vendu à ~ 15 millions d’exemplaires
      11. Jenny Dawn : Patronne actuelle du Clark’s | Environ 57 ans
      12. Erne Pinkas : Bibliothécaire municipale bénévole | 75 ans | Retraité, travaillait dans une usine de textiles
      13. Benjamin Roth : Avocat d’Harry Quebert | Practitien réputé
      14. David Kellergan : Père de Nola | Évangéliste de sud | Originaire de Jackson (Alabama) | Déménage à Aurora en 1969 avec Nola (là depuis 40 ans) | David Kellergan est pasteur à la paroisse St-James | Seul parent encore vivant | 85 ans
      15. Louisa Kellergan : Mère de Nola | Morte il y a longtemps
      16. Travis Dawn : Chef de la police d’Aurora | Mari de Jenny | ~60 ans | De service le jour de la mort de Nola | Il était alors seulement agent de police
      17. Gareth Pratt : Chef de la police d’Aurora (1975) | A la retraite
      18. Jared : Colocataire noir de Marcus à l’uni en 1998 | Révise beaucoup | Téléphone souvent à sa mère
      19. Dominic Reinhartz : Étudiant à l’université | Très doué pour l’écriture
      20. Dustin Pergal : Doyen du département des lettres à l’uni
      21. Perry Gahalowood : Afro-Américain costaud | Policier de la brigade criminelle d’État qui surnomme souvent Marcus l’écrivain | Il va faire équipe avec Goldman pour mener l’enquête sur l’affaire Harry Quebert | Marié et a 2 filles
      22. Tamara Quinn : Mère de Jenny | Patronne du Clark’s en 1975
      23. Robert Quinn : Mari de Tamara | Père de Jenny | Ingénieur
      24. Nancy Hattaway : Amie de Nola
      25. Elijah Stern : 75 ans – homme d’affaire | Un des hommes les plus riches du New Hampshire | Habite à Concorde | Propriétaire de Goose Cove avant Harry | Homosexuel
      26. Luther Caleb : Homme de main d’Elijah Stern | Étrange | Chauffeur de Stern pendant des années | Entretenait la maison de Goose Cove | Défiguré, mort depuis longtemps | Né en 1940 à Portland | A été fiché par la police | Se serait tué en voiture après avoir fait une chute de 20 m
      27. Dr. Ashcroft : Psychiatre de Tamara Quinn
      28. Neil Rodick : Chef de la police d’État en 1975
      29. Sylla Caleb Mitchel : Sœur de Luther
      30. Jay Caleb : Père de Luther et Sylla
      31. Nadia Caleb : Mère de Luther et Sylla
      32. Eleanore Smith : Fiancée de Luther lorsqu’il avait 18 ans
      33. Darren Wanslow : Officier de la police de Sagamore
      34. Stefanie Hendorf : Camarade de classe de Nola
      35. Edward Horowitz : Officier à la retraite qui avait mené l’enquête sur l’incendie de la maison des Kellergan en Alabama
      36. Pasteur Jeremy Lewis : « gourou » d’une sorte de secte | Ami proche de David Kellergan…

S’il en reste parmi vous qui pensiez que nous étions sectaires en 2012, en vouant aux Gémonies le premier roman à succès de Joël Dicker, ils seront convaincus du bien-fondé de notre analyse en lisant les recensions de sa suite, écrite par le même “robot” littéraire en 2022 : L’affaire Alaska Sanders. Ceci répond-il à la question : vaut-il mieux se tromper avec tout le monde que d’avoir raison tout seul ? La parole est à nos ‘confrères’ de FRANCEINTER.FR (Le Masque et la Plume, 27 avril 2022, extraits) : L’affaire Alaska Sanders de Joël Dicker serait-il le livre le plus ennuyeux de l’année ? Après L’Énigme de la chambre 622, Joël Dicker se retrouve en tête du classement des meilleures ventes avec son tout nouveau livre, dans lequel il signe une suite à La vérité sur l’affaire Harry Quebert. Un livre qui a profondément ennuyé les critiques du “Masque & la Plume”… Voici pourquoi.

Le livre résumé par Jérôme Garcin

Un roman de presque 600 pages, tiré à 600 000 exemplaires, qui est la suite chronologique de La vérité sur Harry Quebert ; Le Livre des Baltimore, déjà paru, étant le dernier volume de la trilogie. En avril 1999, le corps d’Alaska Sanders, une reine de beauté de 22 ans employée dans une station-service, avait été retrouvé au bord d’un lac d’une bourgade américaine. L’enquête bouclée, classée. Le meurtrier et amant d’Alaska s’était suicidé et son complice était sous les verrous. C’est 11 ans plus tard que l’affaire rebondit quand le sergent de police, qui avait élucidé le crime, reçoit une lettre anonyme où il est écrit que le coupable et son complice sont innocents. L’écrivain Marcus Goldman, auteur mondialement célèbre de La vérité sur l’affaire Harry Quebert va aider le sergent, son ami, à élucider le mystère.

Nelly Kapriélan : “un livre convenu, rempli de clichés”

La critique des Inrocks déplore très ironiquement la structure littéraire des romans de Joël Dicker par laquelle il parvient toujours à faire de ses livres des best-sellers où, comme celui-ci en est l’exemple, tout est simpliste, convenu et alimenté par les clichés.

Je vais devenir riche grâce à lui ; si on veut écrire un best-seller, il faut suivre absolument ce qu’il fait…

“Il y a des formulations totalement absurdes, un peu grotesques. À part ça, c’est le chaudron magique de Harry Potter : il a mis tous les codes des séries TV et des polars écrits par les autres…Tout est convenu, avec tous les clichés. Si on lit un livre pour être tenu en haleine, il faut le lire, mais si on a envie d’autre chose, non, ce n’est pas du tout le livre qu’il faut lire…”

Jean-Claude Raspiengeas ne sait “même pas par quel bout le prendre…”

Le critique de La Croix s’est très souvent retrouvé seul à défendre l’auteur pour ses précédents livres, jusqu’à cette semaine, au cours de laquelle il admet s’être soumis à un véritable examen de conscience… Puisque ce livre constitue cette fois-ci une vraie énigme, selon lui, qui parvient à s’imposer comme un nouveau best-seller, à éviter à tout prix…

Je ne sais même pas par quel bout le prendre. Il n’y a rien à sauver, rien ne tient…

Ces systèmes de flash back, on n’y comprend rien… Mais, surtout, ce qui m’a rebuté et c’est l’objet de mon examen de conscience, c’est la langue, le style, les dialogues, les situations sont invraisemblables et indigentes… Dans mon souvenir, les autres étaient un peu mieux écrits.

Ça ne tient absolument pas. C’est un cas d’école et il est en tête des best-sellers

Il paraît qu’il s’en vend 25 000 par semaine. La question que ça pose, c’est pourquoi les lecteurs se précipitent vers ce genre de lecture ? C’est une véritable énigme… alors qu’il y a tellement de chefs-d’œuvre qui sont dans les bibliothèques, qui leur tendent les bras et qui leur feraient tellement plus de bien que de lire ça…”

Olivia de Lamberterie s’est profondément ennuyée…

Pour la journaliste et critique littéraire du magazine Elle, le livre est tellement indigent, qu’elle passée par tous les états négatifs possibles ; ennuyée, en colère et profondément malheureuse après avoir refermé un livre dont l’auteur ne maîtrise pas les règles de l’imparfait et du passé simple…

C’est écrit à la vitesse d’un escargot neurasthénique et c’est convenu.

“Les personnages ont tellement peu de chair, sont tellement peu décrits et incarnés… Quant au style, c’est un garçon qui ne connaît absolument pas la concordance de temps ; qui est quand même le B.A.-BA. On apprend l’articulation entre l’imparfait et le passé simple à l’école primaire…”

Si on enlevait les phrases qui ne servent à rien, on arriverait facilement à 50 pages.

Selon Arnaud Viviant, “l’auteur doit son succès au plagiat systématique qu’il fait du style de Philip Roth”…

Pour commencer, Arnaud s’est agacé de ne pas même avoir reçu le livre en version PDF, quand bien même il n’y avait plus de livres disponibles chez la maison d’édition au moment où il a fait sa demande. Rassurez-vous cela ne l’a pas empêché de partager cette théorie qu’il s’est faite depuis longtemps sur le style de Joël Dicker…

Le premier m’avait offusqué et il semble là, d’après ce que j’entends, en reprendre la même recette… Ça, au fond, c’est quoi la chose qui a été déterminante dans le succès de Joël Dicker ? C’est l’éditeur Bernard de Fallois, un immense proustien que tout le monde vénérait, un érudit comme il n’en existe plus. C’est ce qui lui a permis d’avoir le Grand Prix de l’Académie de la langue alors qu’il écrit dans un français-globish… C’est comme ça qu’il a été bien traité par la critique dès le départ, alors que c’était un plagiat du dernier grand romancier du XXe siècle, Philip Roth, dont il reprenait tous les éléments pour en faire un “fake” marketing dégoûtant… C’est dingue comment on peut en arriver là“.


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A bon entendeur…
Pour ceux qui préfèrent la littérature :

LUMUMBA, Patrice-Emery (1925-1961)

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“Le bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close, a annoncé mardi son intention de faire inaugurer le 30 juin 2018 dans sa commune une place Patrice Lumumba, qui sera le premier lieu public en Belgique rendant hommage à cette figure du combat de l’ex-Congo belge pour son indépendance.

Le conseil municipal doit voter lundi prochain une résolution en ce sens, a déclaré M. Close à la radio publique La Première (RTBF).

Patrick LUMUMBA en 1960 (c) Belga

Patrice LUMUMBA fut l’éphémère premier Premier ministre du jeune Congo indépendant – l’actuelle RDC (ex-Zaïre) – au sortir de la colonisation belge en 1960.

Patriote perçu comme pro-soviétique par les Américains et désavoué par les milieux d’affaires belges, il avait été assassiné le 17 janvier 1961 dans la province du Katanga, avec la complicité présumée de la CIA, du MI6 britannique et de la Belgique.

A Bruxelles, des membres de la diaspora africaine regroupés dans diverses associations réclamaient depuis plusieurs années qu’une rue, une place ou un lieu public célèbre la mémoire de celui qui est surnommé “le père de l’indépendance“, tué à l’âge de 35 ans.

Et mardi, le bourgmestre socialiste (PS) de la capitale belge s’est dit “extrêmement fier” de leur donner enfin gain de cause, une décision qu’il a présentée comme la fin d’un tabou en Belgique. “Le 30 juin, Bruxelles, pour la première fois, aura une place Patrice Lumumba, ça passe lundi au conseil communal et on est extrêmement fiers de reconnaître ça“.

Il ne s’agit pas de débaptiser une place existante, mais de donner le nom de Lumumba et de fixer une plaque commémorative dans un square bruxellois marquant l’entrée de Matongé, le quartier de la communauté congolaise de la capitale.

C’est un quartier que tout le monde connaît, qui a une signification très affective pour notre communauté (…) C’est une très grande victoire“, a dit à l’AFP Lydia Mutyebele, conseillère communale PS qui a porté le projet.

Pour cette élue de 39 ans née au Congo, venue en Belgique à l’âge de six ans, Lumumba est “une figure emblématique” pour tout le continent noir, symbolisant pour de nombreux jeunes “l’attachement à une Afrique qu’ils connaissent peu parce qu’ils sont nés ici“.

L’annonce de ce geste politique intervient le jour du 60e anniversaire de l’inauguration de l’Exposition universelle à Bruxelles, le 17 avril 1958, où un village congolais aux allures de zoo humain était censé évoquer la puissance de la Belgique du temps des colonies.”


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