HOSOKAWA, Toshio (né en 1955)

Temps de lecture : 4 minutes >
Toshio Hosokawa, 2018. © ensembleintercontemporain.com

“Compositeur japonais né le 23 octobre 1955 à Hiroshima, Toshio HOSOKAWA se forme au piano, au contrepoint et à l’harmonie à Tokyo. En 1976, il s’installe à Berlin où il étudie la composition avec Isang Yun, le piano avec Rolf Kuhnert et l’analyse avec Witold Szalonek à la Hochshule der Künste. Il participe également aux cours d’été de Darmstadt en 1980 et suit l’enseignement de Klaus Huber et de Brian Ferneyhough à la Hochshule für Musik de Fribourg-en-Brisgau (1983-1986).

Klaus Huber l’encourage alors à s’intéresser à ses origines musicales en retournant au Japon les étudier de manière approfondie. Cette démarche double sera fondatrice d’une œuvre qui puise ses sources aussi bien dans la grande tradition occidentale –Hosokawa cite Bach, Mozart, Beethoven et Schubert parmi ses compositeurs favoris et n’ignore rien de Nono, de Lachenmann et bien sûr de Klaus Huber– que dans la musique savante traditionnelle du Japon, notamment le gagaku, l’ancienne musique de cour.

Toshio Hosokawa est invité dans les plus grands festivals de musique contemporaine en Europe comme compositeur en résidence, compositeur invité ou conférencier […]. Il collabore étroitement avec le chœur de la radio WDR de Cologne et est compositeur en résidence au Deutsches Symphonie Orchester pour la saison 2006-2007. En 1989, il fonde un festival de musique contemporaine à Akiyoshidai (sud du Japon) qu’il dirige jusqu’en 1998.
Toshio Hosokawa, “Futari Shizuka” © en.karstenwitt.com

Son catalogue comprend des œuvres pour orchestre, des concertos, de la musique de chambre, de la musique pour instruments traditionnels japonais, des musiques de film, des opéras. Ses œuvres, privilégiant la lenteur, un caractère étale et méditatif dont la dimension spirituelle n’est jamais absente, sont souvent composées en vastes cycles (“Sen”, “Ferne Landschaft”, “Landscape”, “Voyage” et “Océan”). Les thématiques du voyage intérieur et des liens entre l’individu et la nature traversent nombre d’entre elles […].

Compositeur en résidence à l’Orchestre symphonique de Tokyo de 1998 à 2007, Toshio Hosokawa est le directeur musical du Festival international de musique de Takefu et est membre de l’Académie des Beaux-Arts de Berlin depuis 2001. Il est également professeur invité au Collège de musique de Tokyo depuis 2004 et chercheur invité de l’Institute for Advanced Study de Berlin de 2006 à 2009. Il anime des conférences dans le cadre des cours d’été de Darmstadt depuis 1990. Il est directeur artistique du Suntory Hall International Program for Music Composition de 2012 à 2015.[…]

Si l’œuvre de Toshio Hosokawa se caractérise, à l’instar de compositeurs japonais tels que Yoritsune Matsudaïra, Toshiro Mayuzumi ou Tōru Takemitsu, par la dialectique entre Occident et Japon, sa particularité réside dans sa grande cohérence stylistique. Dans l’une de ses premières œuvres écrites pendant ses études en Allemagne, Melodia” (1979) pour accordéon, Hosokawa évoque la sonorité du shêng (orgue à bouche chinois) par un jeu comparable au rapport inspiration/expiration : partir d’un son piano, l’épaissir ensuite par l’accumulation d’autres sons en crescendo, et enfin revenir à l’état initial en decrescendo.

Même si cette œuvre de jeunesse, entièrement basée sur ce geste quelque peu connoté aujourd’hui, est loin d’être représentative de l’ensemble de sa production, elle annonce clairement les points sur lesquels il travaillera par la suite : la musique extra-européenne (plus précisément, celle du Japon), mais aussi l’économie de moyens, le processus reposant sur un seul geste qui s’intensifie progressivement (densité sonore, conquête du registre ou gain de dynamique), la dilatation du temps ou la corporalité.” (lire plus sur BRAHMS.IRCAM.FR)

Toshio Hosokawa, “Matsukaze”, Opéra de Lille, 2014 © opera-lille.fr

“Toshio HOSOKAWA est l’un des compositeurs japonais majeurs d’aujourd’hui. Il a créé un langage musical personnel à partir de sa fascination pour la relation entre l’avant-garde occidentale et la culture japonaise traditionnelle. Sa musique est fortement liée aux racines esthétiques et spirituelles de la culture japonaise (p. e. la calligraphie) et à celles de la musique de cour japonaise (le gagaku), et il donne une expression musicale à la notion d’une beauté née de l’éphémère : “Nous entendons les notes une à une et apprécions en même temps la façon elles naissent et meurent : un paysage sonore en continuel “devenir” animé de lui-même.”

Né à Hiroshima en 1955, Toshio Hosokawa est arrivé en Allemagne en 1976 où il a étudié la composition auprès d’Isang Yun, Brian Ferneyhough et plus tard de Klaus Huber. Bien qu’il ait d’abord fondé sa musique sur l’avant-garde occidentale, il a peu à peu développé un monde musical nouveau, entre Orient et Occident. C’est en 2001, avec sa première représentation mondiale de l’oratorio “Voiceless Voice in Hiroshima” qu’il obtient une très large reconnaissance […].

Les œuvres de musique lyrique de Toshio Hosokawa sont régulièrement programmées dans les grandes salles d’opéra. Son premier opéra “Vision of Lear” a été acclamé par la critique à la Biennale de Munich en 1998. “Hanjo”, opéra de 2004, mis en scène par la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker, et commandé par l’Opéra de La Monnaie (Bruxelles) et le Festival d’Aix-en-Provence a été vu sur de nombreuses scènes depuis sa création.

Comme Hanjo”, l’opéra “Matsukaze” est également inspiré par le théâtre traditionnel japonais. Il a été représenté pour la première fois en 2011 à l’Opéra de La Monnaie, dans la chorégraphie de Sasha Waltz, puis à l’Opéra d’État de Berlin, à Varsovie, et au Luxembourg. Le monodrame “The Raven” pour mezzo-soprano et ensemble musical a été créé à Bruxelles en 2012, puis joué sur plusieurs autres scènes.” (lire plus sur SOMMETSMUSICAUX.CH)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations ensembleintercontemporain.com ;  en.karstenwitt.com; opera-lille.fr  |


PENA-RUIZ : les trois boussoles de la laïcité

Temps de lecture : 2 minutes >
Historique de la reconnaissance des cultes en Belgique © SPF Justice

La laïcité est le principe humaniste qui fonde le régime des libertés et des droits humains sur l’impartialité du pouvoir civil démocratique dégagé de toute ingérence religieuse. Il oblige l’État de droit à assurer l’égalité, la solidarité et l’émancipation des citoyens par la diffusion des savoirs et l’exercice du libre examen. [LAICITE.BE]

Le Centre d’Action Laïque communautaire propose sur son site un lexique des différents termes liés à l’expérience de la laïcité et, par ailleurs, publie régulièrement des capsules vidéo sur sa page FaceBook et sur YOUTUBE.COM (recherche sur #InstantLaïcité), qui se veulent éclairantes sur la notion même de “laïcité”. Dans celle-ci, le philosophe Henri Peña-Ruiz évoque de manière limpide les trois boussoles qui devraient selon lui permettre à la laïcité de garder le cap :

  1. La laïcité est universaliste.
    Comme le précise l’HUMANITE.FR à propos de l’universalisme de ‘la laïcité à la française’ (oxymore, quand tu nous tiens…) : “La laïcité traduit un universalisme concret. Universalisme car elle pose que chacun et chacune se définit librement et ne se voit pas définitivement lié par les représentations, préjugés et fantasmes associés aux origines présumées des uns et des autres. Universalisme concret car, au-delà des mots, elle se vit dans l’accès de tous au savoir dispensé à l’école, refuse des contrats de travail et d’embauche aux droits différenciés.
  2. La laïcité est synonyme d’émancipation.
    Du point de vue laïque, ce n’est pas la société qui donne du sens à l’homme, mais bien les hommes qui, tous ensemble, donnent du sens à la société. Toute forme de domination est donc à considérer comme une entrave à l’épanouissement de l’individu. Les laïques, en tant qu’humanistes et libre exaministes, considèrent que chacun doit avoir la capacité de se forger ses opinions propres, sans être inféodé à des dogmes ou des vérités toutes faites imposées par d’autres sans discussion. L’autonomie (notamment dans l’apprentissage) et la responsabilité (assumer ses actes et ses idées) sont des moyens de parvenir à l’émancipation (de toute forme de tutelle). C’est grâce à son sens de la responsabilité que chacune ou chacun peut exercer sa liberté et en cerner les limites. Le binôme liberté/responsabilité est au cœur du projet laïque.” [LAICITE.BE]
  3. Pour la laïcité, le bien commun prime sur les intérêts particuliers.
    Le souci d’un espace commun aux hommes par-delà leurs différences est compatible avec celles-ci pourvu que leur régime d’affirmation ne porte pas atteinte à la loi commune, qui rend justement possible leur coexistence et conditionne ainsi la paix. Le ‘droit à la différence’ ne peut être confondu avec la différence des droits.” [Henri Peña-Ruiz dans Salut & Fraternité du CALLIEGE.BE]

Un #InstantLaïcité à écouter, donc :

D’autres articles du philosophe français sur le même sujet :


D’autres discours, d’autres contrats…

#DécrisMalUnFilm

Temps de lecture : 2 minutes >
© yodablog

Tout le monde n’est pas François Forestier ou (pour les plus de vingt ans) Sélim Sasson. De quel film s’agit-il, dans ces tweets non-trumpiens ? Nous, on n’a pas tout trouvé. A vous la balle…

  1. “Y a un sorcier et il a des potes et y a un mec qui n’a pas de nez qu’est pas cool du coup ils lui déchirent sa race.”
  2. “C’est deux mecs qui se bat tout seul dans un parking.”
  3. “Un savant fou s’acoquine avec des terroristes libyens obligeant un mineur à aller dans le passé pour friendzoner sa mère.”
  4. “Désespéré par une vie d’errance, un iceberg tente sans succès de se suicider en se jetant contre un paquebot géant.”
  5. “Batman et Superman s’unissent pour combattre Doomsday parce que sa mère ne s’appelle pas Martha.”
  6. “C’est un mec qui a préféré mourir d’hypothermie plutôt que de monter sur une planche alors qu’il y avait la place.”
  7. “L’histoire d’un mec qui dit à un autre “Je suis ton père” mais il le croit pas car il est noir.”
  8. “C’est l’histoire d’un gros méchant requin qui mange des gens que quand il ya de la musique sinon sans musique il est gentil.”
  9. “Un nain vert dyslexique qui se bat à coups de néon contre un motard asthmatique sapé en noir.”
  10. “C’est un mec il tombe amoureux de Siri sur son iPhone, mais c’est la voix de Scarlett Johansson aussi donc bon ça va.”
  11. “C’est l’histoire d’une amitié brisée entre un employé FedEx et un ballon.”
  12. “C’est l’histoire d’un type qui lit plein de bouquins de poésie mais qui crève parce qu’il a pas lu celui sur les plantes.”
  13. “Un projectionniste jaloux veut tuer 1 type qui vomit quand il est content protégé par 1 garde du corps qui danse la carioca.”
  14. “L’histoire d’un groupe de pote qui fait un road trip pour jeter un bijou dans un volcan.”
  15. “C’est l’histoire d’un enfant de 10 ans qui fonce dans un mur et qui rencontre un roux dans un train pour aller à l’école.”

Lire l’article original avec les publicités sur TOPITO.COM (10 septembre 2020)


Rire encore…

PIERRE, Antoine (né en 1992)

Temps de lecture : 4 minutes >
Antoine Pierre © igloorecords.be

Le batteur et compositeur Antoine PIERRE (1992), basé à Bruxelles, est devenu une figure incontournable de la scène de jazz belge et européenne.  Leader des groupes URBEX et Next.Ape mais aussi sideman actif, il fait partie de plusieurs groupes importants sur la scène internationale – entre autres avec l’éminent guitariste Philip Catherine ou encore TaxiWars, l’expérience jazz vs. rock menée par Tom Barman et Robin Verheyen.

De retour de New York en 2015 où il a étudié pendant un an après avoir obtenu son diplôme du Conservatoire royal de Bruxelles, Pierre reçoit le Sabam Jazz Award Young Talent. Plus tard dans l’année, il entre en studio pour enregistrer son premier album en tant que leader, URBEX. Sorti en 2016, le groupe tourne pendant deux ans en Belgique, puis retourne en studio pour enregistrer un deuxième album, “Sketches Of Nowhere” (2018, Igloo Records). Acclamé par la critique (…), ils entament leur première tournée internationale (…) avec différents line-ups et invités, tels que Ben Van Gelder, Reinier Baas ou encore Magic Malik.

Une autre facette de la personnalité artistique multiple de Pierre se manifeste par la création de son groupe trip-hop/alternatif/électrique Next.Ape dans lequel il s’associe à la chanteuse hongroise Veronika Harcsa, au guitariste Lorenzo Di Maio et au claviériste luxembourgeois Jérôme Klein. En février 2019, ils sortent leur premier EP et font une tournée internationale (Hongrie, Maroc, Luxembourg, Belgique), parfois avec le saxophoniste américain Ben Wendel comme invité spécial. (lire plus sur MYCOURTCIRCUIT.BE)

Antoine Pierre © Christian Deblanc

Comment vis-tu ton instrument dans tous ces différents contextes stylistiques du jazz ?

Je crois que le truc principal, c’est que j’adore tout simplement jouer de la musique. J’aime aussi partager et y aller à fond avec tout mon cœur. Partir étudier à New York m’a beaucoup fait réfléchir sur le fait que tous les moments sont essentiels, et qu’il n’y a pas un gig moins important qu’un autre.

Et que finalement le style musical est secondaire ?

C’est bien simple, quand je suis arrivé à Bruxelles, j’avais 17 ans et tout ce que je voulais, c’était jouer du jazz, rencontrer des gens et m’améliorer. Mais cette musique esttellement vaste que tu ne peux pas vraiment te cantonner à un style en particulier. Dans cette optique-là, le style n’est pas quelque chose qui a dirigé mes choix. Au début, j’ai participé à des projets dont la musique ne me plaisait pas nécessairement, mais je me suis toujours dit que c’était un super enseignement. Par exemple, les projets plus mainstream m’ont permis d’appréhender la tradition du jazz. Evidemment j’ai des préférences, et maintenant je commence à choisir certaines directions. Les musiciens avec lesquels je joue de plus en plus régulièrement sont ceux dont je partageais les goûts, les styles et les influences. Aujourd’hui, je me retrouve à jouer du jazz avec le souffle que j’ai envie d’y mettre.

Tout à l’heure, tu parlais de New York, est-ce que cela a eu une influence sur tes choix stylistiques ?

Oui, c’est clair. En tout cas, sur la manière de jouer de la batterie. Avant, j’avais tendance à faire le caméléon en adoptant le son et la manière de jouer qui correspondait le plus au style dans lequel je devais me produire.
A New York, j’ai pu voir des batteurs que j’admire jouer dans des contextes différents tout en apportant à chaque fois leur empreinte, leur manière de se placer dans le temps, de faire sonner leur batterie, de faire intervenir leur personnalité dans la musique… Ça a été un déclic et je me suis dit : “C’est ça que je veux faire !”. Cela ne m’intéresse plus de jouer comme tel ou tel batteur, en fonction du contexte musical dans lequel je me trouve. Je ne veux pas être un musicien lambda ou une copie. Si par exemple, un jour on m’appelle pour un gig de hip hop ou de pop, je serai partant. J’écouterai la musique qu’il faut pour me préparer, mais je le ferai à ma façon. L’idée n’est pas de tirer la couverture vers moi, mais de rester moi-même, sans effacer ma personnalité, tout en respectant la musique.” (lire la suite de l’interview sur JAZZINBELGIUM.COM)

Urbex © Stefaan Temmerman

En savoir plus, sur le site d’Antoine PIERRE…


© Stefaan Temmerman

“Suspended”, sorti le 11 septembre 2020 chez OutNote, est le troisième et nouveau répertoire du groupe Urbex, dirigé par le batteur Antoine Pierre. Il a été enregistré en concert à Flagey dont Antoine Pierre est l’artiste en résidence, lors du Brussels Jazz Festival 2020. ‘Suspended’ est un répertoire original écrit en hommage à la période électrique de Miles Davis, et en particulier à l’album “Bitches Brew”, qui fête ses 50 ans en 2020.  Antoine Pierre s’est inspiré de l’énergie et de la vibe de cet enregistrement iconique pour composer les titres de son nouvel opus. [FRANCEMUSIQUE.FR]

Journalisme : un correspondant flamand aux Etats-Unis sonne l’alerte

Temps de lecture : 9 minutes >
Lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche, au lendemain des élections de mi-mandat, Donald Trump s’en est pris, mercredi 7 novembre 2018, à un journaliste de CNN qui tentait de l’interroger sur l’immigration et qui a refusé de rendre son micro. La Maison Blanche a annoncé, un peu plus tard, avoir suspendu l’accréditation de Jim Acosta, lui interdisant l’accès à la présidence des Etats-Unis, provoquant des réactions indignées © Reuters

Ancien directeur de l’information du Journal télévisé de la VRT, Björn Soenens est le correspondant permanent de la chaîne publique flamande aux États-Unis. Le 30 août dernier, il publie ce billet sur sa page Facebook.

Permettez-moi d’évoquer un instant mon métier de journaliste et ses principes fondateurs. Je travaille depuis bientôt 29 ans au service d’information de la VRT. Ce que certains me donnent à lire et à entendre aujourd’hui dépasse tout ce que j’ai connu dans ma carrière. La haine et l’insatisfaction que j’observe autour de moi me pèsent, me font mal. Une douleur qui va bien au-delà de mon cas personnel. En ces temps chahutés, je ressens le besoin de sonner l’alerte.

Le métier repose en grande partie sur la confiance qu’on accorde au journaliste. Un métier qui implique de se documenter, en consultant un faisceau de sources, le plus large et le plus diversifié possible. Des lectures en abondance, qu’il convient de vérifier, de recouper. Un journaliste doit aussi mobiliser ses connaissances, sa raison, ses méninges. Et ensuite faire de son mieux pour produire un compte rendu à la hauteur, que ce soit à la radio, en télé, en ligne ou dans un livre. Voilà donc le métier que j’exerce depuis si longtemps. Journaliste, c’est un peu comme menuisier ou boulanger, ça ne s’improvise pas.

Le métier ne consiste donc pas à porter des jugements à l’emporte-pièce. Je ne fais pas dans le jugement, ni à la radio ni à la télé. Le métier implique par essence la vérification, parfois fastidieuse, des faits, dans leur intégralité, dans leur contexte, avec le qui, le quoi, le comment et surtout, le pourquoi. En sous-pesant les dires, en les mirant à la lumière du réel, sans rien prendre pour argent comptant. Avec pour unique objectif de faire jaillir la vérité, d’où qu’elle vienne. Telle est ma mission, mon devoir, en tant que journaliste pour le service public.

Dans cette quête, je n’ai jamais tenu compte de mes préférences personnelles ou de celles de mes interlocuteurs. Faire preuve de neutralité n’implique donc pas de présenter successivement la vérité de chacun, et de laisser ensuite l’auditeur ou le téléspectateur faire le tri, en l’abandonnant à son triste sort. Mon métier consiste aussi à interpréter les faits, en me fondant sur mon expérience, mes observations, des chiffres. Être capable de distinguer le vrai du faux, de séparer le bon grain de l’ivraie. Si j’omets cette étape, mon rôle se réduit alors à celui d’un vulgaire passeur qu’on utilise pour diffuser une propagande ou des mensonges. Ainsi, lorsqu’on me dit que l’islam est le plus grand fléau de notre société, je me dois de contredire cette affirmation, en appuyant mon argumentaire sur des faits. La seule existence d’Al Qaeda ou de l’État islamique ne signifie pas de facto que tous les musulmans du monde sont de dangereux terroristes – même si manifestement, beaucoup le pensent.

Nous devons, nous journalistes, tenir compte des motivations des parties prenantes
Björn Soenens © Geert Van Hoeymissen

Lorsque j’étais encore directeur de l’information du Journal télévisé de la VRT, j’avais été taxé de déni du terrorisme pour avoir interdit la diffusion d’images montrant les horreurs perpétrées par l’État islamique. Mon motif était pourtant clair : il n’était pas question de faire le lit des terroristes en propageant leur macabre propagande. Qui me croirait assez stupide pour montrer ces images, dans une espèce de quête de sensationnalisme, et contribuer ainsi au recrutement à travers le monde d’autres candidats-terroristes ? J’ai toujours été d’avis que nous devions, nous journalistes, tenir compte des motivations des parties prenantes. Qu’il s’agisse de communiqués de presse ou de soi-disant « exclusivités », j’ai par exemple tendance à me méfier des grandes annonces.

Maintes fois, ces informations sont reprises par les médias sans que quiconque se pose la question de leur pertinence, ramenant le « journalisme » à une forme primaire de communication, dont le seul intérêt est de faire grimper le cours de l’action d’un géant pharmaceutique ou la cote de popularité d’un élu. Il arrive trop souvent qu’on relaie du vent pour noircir des colonnes. Les politiques gratifient les journalistes de scoops dans le but de devancer leurs adversaires ou de placer un sujet à l’agenda. Les journalistes sont sur leurs gardes, mais tombent encore souvent dans le panneau. Il est certes flatteur d’être le premier sur la balle, de damer le pion aux confrères et aux consœurs, mais ce privilège n’est pas forcément gage de journalisme de qualité. Au contraire. Souvent, les heureux privilégiés ne sont que les victimes d’un jeu de dupes.

« Tu es un anti-Trump »

Il y a environ quatre ans, Trump est arrivé au pouvoir. Presque au même moment, je suis devenu correspondant de la VRT aux États-Unis. Depuis lors, j’en ai vu des vertes et des pas mûres : « Tu es un anti-Trump », « Un sale gauchiste, un marxiste, un stalinien », « Tes propos ne sont qu’un ramassis de mensonges ». Les partisans de Trump en Flandre ne m’ont pas épargné.
Je me pose donc cette question : pourquoi la vérité est-elle devenue si dérangeante ? Ces dernières années, qu’est-il donc advenu de la valeur des preuves, des chiffres, des vérités pourtant incontestables ? Pourquoi ces gens se fâchent-ils à ce point lorsque je mets le doigt sur un mensonge du président ? Pourquoi m’accusent-ils de manquer de neutralité ?

Quelqu’un m’a dit un jour : « Trump a épongé les dettes d’Obama ! Mais ça, tu peux mal de le relayer, sale gauchiste ! » Or, les faits sont là : au départ d’Obama, la dette des États-Unis s’élevait à 19,7 mille milliards de dollars. Actuellement (août 2020), elle atteint 26,7 mille milliards. Les chiffres sont là. Les faits sont avérés. « On a nos propres sources », me rétorquent mes détracteurs. C’est-à-dire ? Ce sont des statistiques officielles. Que veulent-ils de plus ?

Lorsque Trump affirme dans son discours d’investiture comme candidat républicain, prononcé depuis les jardins de la Maison-Blanche, que le mur qu’il a construit à la frontière mexicaine est pratiquement terminé, j’ai le devoir de rectifier. Je peux éventuellement adoucir la formulation, en disant qu’il « ne dit pas la vérité » ou que ce n’est « pas rigoureusement exact ». Mais avec ou sans gants, le résultat est identique : il ment. « Son » mur dépasse à peine les 10 km. Il y a bien 300 kilomètres de clôture en Arizona, mais ce rempart existait déjà avant l’arrivée de Trump. Je suis donc navré, mais les faits ont leur importance. Quand Donald Trump prétend que les prix des médicaments ont baissé au cours de son mandat, il s’agit une fois encore d’un mensonge : en réalité, ils ont augmenté.

On m’a récemment accusé de soutenir Joe Biden. On a même affirmé que j’avais eu un orgasme en direct à la télévision lors de l’annonce de son investiture comme candidat démocrate. Cela se voyait comme le nez au milieu du visage, paraît-il. Ah bon, vraiment ? Laissez-moi vous rassurer : la convention démocrate n’avait vraiment pas de quoi faire grimper qui que ce soit au septième ciel. Et même si cela avait été le cas, je me serais arrangé pour ne pas trop m’exposer à la télévision.

Mais quoi qu’il advienne, les partisans de Trump n’en démordront pas : je suis et resterai un Bidenlover. Pourquoi ? Parce que j’ai eu l’audace de contredire « leur » président. Non, Biden n’a pas l’intention de procéder à des coupes sombres dans les budgets de la police. J’ai vérifié, recoupé. En tant que journaliste, il est de mon devoir de rétablir la vérité sans tourner autour du pot. Comme je n’ai jamais caché la participation active de Joe Biden à l’élaboration du Violent Crime Control and Law Enforcement Act, loi anti-criminalité votée sous Bill Clinton en 1994, qui a conduit à « jeter des millions d’Américains noirs derrière les barreaux ». Cette affirmation de Trump est vraie. Une vérité douloureuse pour les démocrates, que je dois aussi relayer. Je n’ai aucun problème avec cela. Je suis un journaliste, pas un activiste. Je l’ai dit, je le répète : seule la vérité m’importe, même si elle dérange.

Factcheck, tel est le mot d’ordre

Quand j’avance que Bill Clinton et les démocrates ont abandonné les ouvriers américains en signant l’Accord de libre-échange nord-américain avec le Mexique et le Canada (ALÉNA), je me fonde une fois de plus sur des faits : des milliers de postes bien rémunérés aux États-Unis ont été délocalisés au Mexique. Quand j’avance que la politique de Trump consistant à séparer les enfants de leurs parents à la frontière est cruelle, j’admets en revanche qu’il s’agit d’une interprétation libre des faits. Mais quiconque prétendrait le contraire me semblerait manquer d’humanité. Obama était-il irréprochable ? Non, pas forcément. Sous son administration, des enfants ont aussi été enfermés dans des cages à la frontière. Mais il n’a pas ordonné qu’ils soient séparés de leurs parents : ces enfants étaient exclusivement des adolescents qui avaient essayé d’entrer seuls aux États-Unis. Obama n’a pas non plus affiché son meilleur visage lorsqu’il a décidé de ramener d’un an à trois semaines le délai dont disposaient les immigrés pour faire appel de leur avis d’expulsion. Ça aussi, je l’ai dit, je l’ai écrit, sans détour.

Mes critères d’évaluation me poussent aussi à m’intéresser au respect des droits de l’homme. D’aucuns me rétorqueront que cette approche n’est pas tout à fait neutre et je ne pourrai pas leur donner tort. Mais quoi qu’il en soit, ce n’est pas une question de positionnement sur le spectre politique. Un journaliste a le droit de cultiver des valeurs. J’exerce dans un pays que l’on peut encore qualifier de démocratie, même si je ressens le besoin d’ajouter que l’État de droit y est de plus en plus affaibli – une évolution qui m’inquiète, comme journaliste et comme citoyen.

« Tu n’es qu’un hater, tu détestes les États-Unis ! Profite bien du luxe de ta vie à New York sur le compte des contribuables belges, car elle ne durera pas ». Primo, je ne vis pas dans le luxe. J’habite avec ma femme dans un appartement modeste, je n’ai pas les moyens de louer un bureau. Secundo, je travaille dur, précisément parce que je ressens une sorte de responsabilité morale d’utiliser l’argent des Belges à bon escient. Voilà pourquoi vous m’entendez entre quarante et cinquante fois par mois à la radio et à la télévision. Je ne suis pas un adepte de la loi du moindre effort. J’adore mon métier, qui m’apporte de grandes satisfactions : il est très gratifiant d’être le correspondant de cet incroyable pays.

Suis-je un hater parce que j’ose évoquer le lamentable sort qui est réservé à tant de citoyens américains ? Un sort qui ne colle pas avec l’image que le président essaie de donner de son pays ? Suis-je un hater et un communiste parce que j’ose parler de la profondeur abyssale du fossé qui sépare les riches des pauvres ? Suis-je un sale gauchiste quand je montre les innombrables citoyens noirs vivant toujours à l’écart, ghettoïsés à la périphérie des grandes villes ou à la campagne ? Parce que je parle du fléau de la drogue, un sujet honteusement passé sous silence par les médias américains ? Suis-je un anti-Trump quand je dis que le président minimise la crise sanitaire et manque d’empathie vis-à-vis des 190 000 morts du covid-19 ? Suis-je un menteur lorsque je parle de récession économique ?

Le journalisme n’a pas pour vocation de vous conforter dans vos croyances

Je ne fais que mon travail. Point à la ligne. De mon mieux, le plus consciencieusement du monde, comme mes parents me l’ont appris. En travaillant dur, et en voyageant. Autant que possible. Pas pour le plaisir de voir du pays, mais parce qu’un journaliste doit voir, entendre, sentir et ressentir. Un journaliste doit aller à la rencontre des gens.

D’autres me reprochent – à l’inverse – de donner trop souvent la parole aux partisans de Trump. Que ceux-là sachent que je continuerai à le faire. C’est pour moi une évidence. Comment, dans le cas contraire, savoir ce qu’ils pensent, ce qu’ils vivent au quotidien ? Je discute avec eux, sans jamais les prendre de haut. Jamais. Un journaliste ne doit pas être dans le mépris, il doit regarder, écouter et « consigner », à la manière d’un historien du présent.

Un journaliste doit passer du temps dans des « univers » étrangers au sien. À défaut, il risque de manquer sa cible, d’opérer depuis sa zone de confort et d’adopter une position dominante fondée sur la croyance de tout savoir, de tout connaître.

Tout le monde garde le droit de soutenir qui il veut. Ma seule mission est de vous donner le plus d’informations possible pour que vous puissiez fonder votre jugement en âme et conscience, pour choisir votre camp ou n’en choisir aucun. C’est votre choix. Mais de grâce, cessez ces déferlements de haine lorsque je vous livre des informations qui ne cadrent pas avec ce que vous avez envie d’entendre. Le journalisme n’a pas pour vocation de vous conforter dans vos croyances.

Un dessin de Hajo © New York Times

En ce moment, ma frustration est immense : pour beaucoup, la véracité et la justesse des informations n’importent plus. Les faits sont devenus secondaires. Les avis et les idées reçues semblent gravés dans le marbre à jamais. Quiconque diffuse une information à contre-courant devient automatiquement un ennemi. Hélas, cette situation empêche toute évolution, elle freine tout apprentissage. Il ne peut en résulter qu’une interminable guerre des tranchées, sur fond de polarisation.

La neutralité d’un journaliste ne consiste pas à ne pas se mouiller, à laisser le public sans réponse. Ce serait une abdication, un échec cuisant. J’invite donc tous les auteurs de messages haineux à se poser un instant et à réfléchir. Je les invite à lire davantage et à faire un peu plus confiance aux professionnels. Il n’est pas question ici de confiance aveugle, mais d’une forme de foi en mes compétences journalistiques. Je vous propose en échange un propos toujours nuancé, inscrit dans une perspective globalisante et appuyé par des faits vérifiés. […] Partez en quête de la vérité, du vrai visage des choses. Comme le chantait Ramses Shaffy en 1972 : poursuivons notre route dans la certitude vacillante d’une époque délirante…”

Lire le billet (traduit du néerlandais) de Björn Soenens sur DAARDAAR.BE (9 septembre 2020)


Parlons-en encore…

L’équation du trou de ver d’Interstellar aurait été trouvée…

Temps de lecture : 8 minutes >
© Warner Bros.

“Un des plus grands experts de la théorie des supercordes appliquée aux trous noirs, Juan Maldacena, a trouvé avec un collègue une solution décrivant un trou de ver traversable sans danger pour un humain. Remarquablement, elle émerge d’une variante de la théorie considérée par le prix Nobel Kip Thorne pour rendre crédible scientifiquement le film Interstellar [un chef d’oeuvre de Christopher Nolan, 2014].

En novembre 2015, fut fêté le centenaire de la formulation finale par Einstein de sa théorie de la relativité générale. À peine un mois plus tard, on pouvait célébrer l’astronome et physicien Karl Schwarzschild qui a publié en janvier 1916 sa fameuse solution décrivant le champ de gravitation d’une étoile sphérique et homogène. Au cours des deux années qui allaient suivre, Einstein, de son côté, découvrait dans sa théorie la possibilité de l’existence d’ondes gravitationnelles et celle de la construction d’une véritable cosmologie faisant intervenir une mystérieuse constante.

Ligo et Virgo ont confirmé l’existence des ondes gravitationnelles ; la cosmologie relativiste du Big Bang a connu un succès éclatant, le tout dernier venant des mesures du rayonnement fossile par le satellite Planck et même, la constante cosmologique d’Einstein semble bel et bien réelle en raison de la découverte de l’accélération de l’expansion de l’Univers observable, peut-être causée par une mystérieuse énergie noire.

La solution de Schwarzschild s’est montrée encore plus étonnante quand bien même son découvreur n’eut malheureusement pas le temps de le comprendre, décédant très peu de temps après sur le front russe au cours de la première guerre mondiale. Karl Schwarzschild n’a en effet rien su des travaux de pionnier en 1939 de Robert Oppenheimer.

Les ponts d’Einstein-Rosen

Grand lecteur de la Bhagavad Gita, le père de la bombe A avait en effet posé à cette occasion et, via deux articles écrits en collaboration avec ses étudiants de l’époque (On Massive Neutron Cores, avec Georges Volkoff, et On Continued Gravitational Contraction, avec Hartland Snyder), le socle sur lequel les théories des étoiles à neutrons, et surtout celle de l’effondrement gravitationnel conduisant à la formation d’un trou noir, seront construites à la fin des années 1950 et au début des années 1960.

Nous avons toutes les raisons de penser aujourd’hui que les trous noirs existent bien comme l’ont à nouveau fortement suggéré les premiers indices de l’existence des modes quasi-normaux des trous noirs et les observations de la collaboration Event Horizon Telescope. On a donc de nouveaux motifs pour prendre au sérieux l’héritage d’Einstein et Schwarzschild, à savoir plus précisément l’existence de trous de ver, selon l’expression de John Wheeler.


Jean-Pierre Luminet parle des trous de ver, de leur connexion avec les trous noirs en rotation et du voyage interstellaire. © Jean-Pierre Luminet

Là encore, Schwarzschild ne pouvait se douter de ce qu’Einstein et son collaborateur de l’époque, Nathan Rosen, allaient découvrir en 1935 en étudiant sa solution sous un jour nouveau. Au départ, il s’agissait pour Einstein de trouver une solution de ses équations du champ de gravitation couplées aux équations du champ électromagnétique de Maxwell, mais dans la version en espace-temps courbes qu’il avait découvert au cours des années 1910. Cette solution promettait d’ouvrir la voie à un traitement des particules de matière purement en terme d’équations de champ et donc de les déduire des équations de la relativité générale, une fois convenablement unifiée avec le champ électromagnétique. L’existence de particules de matière chargées n’était donc potentiellement plus un axiome à ajouter aux théories physiques mais une conséquence de ces théories. En plus d’ouvrir la voie à une unification des forces, on pavait celle menant peut-être vers une théorie non dualiste de la matière et des champs de forces, voire une nouvelle théorie quantique.
Einstein et Rosen découvrirent donc à cette occasion qu’il y avait une topologie cachée derrière la solution de Schwarzschild que l’on pouvait interpréter, par analogie avec un modèle de l’espace courbe en deux dimensions comme une sorte de tube reliant deux feuillets d’espace-temps, donc entre deux univers ou, plus certainement dans l’esprit d’Einstein, entre deux régions de l’espace. La théorie des ponts d’Einstein-Rosen était née.

Comme il pouvait servir de raccourci entre deux de ces régions et permettre de contourner l’interdit d’Einstein concernant la vitesse de la lumière, la science fiction s’est rapidement emparée du concept pour le voyage interstellaire comme l’explique Jean-Pierre Luminet dans la vidéo ci-dessus. Malheureusement, on s’est aperçu par la suite que les ponts d’Einstein-Rosen étaient en fait dynamiques et pas traversables. Un voyageur imprudent y pénétrant verrait la géométrie de l’espace-temps changer au point de finir par l’écraser en un point singulier de cet espace-temps.

On est donc quelque peu fasciné, même s’il faut garder la tête froide à ce stade, par un récent article déposé sur arXiv par Juan Maldacena et Alexey Milekhin. Maldacena s’est fait un nom au milieu des années 1990 au moment où la seconde révolution des supercordes était en cours. Ses travaux sur l’entropie des trous noirs dans le cadre de la théorie des cordes l’ont conduit à formuler la fameuse correspondance AdS/Cft étendant les travaux de Susskind et ‘t Hooft sur le principe holographique avec la théorie des trous noirs et ses implications pour le fameux paradoxe de l’information découvert par Stephen Hawking.

Les trous de ver de Contact à Interstellar

Maldacena et Milekhin annoncent que, selon eux, il existe une solution décrivant des trous de ver traversables par des êtres humains et ce, dans le cadre d’un modèle d’une nouvelle physique construite à partir du célèbre modèle cosmologique de Randall-Sundrum II. On en vient tout de suite à penser, et par un détour très étonnant en plus, que la science-fiction s’est rapprochée un petit peu plus de la réalité avec la question du voyage interstellaire avec un trou de ver.

Rappelons que c’est en 1988 que le prix Nobel de physique Kip Thorne avait stupéfié le monde de la physique en publiant avec ses collègues Michael S. Morris et Ulvi Yurtsever un article démontrant que, non seulement les équations d’Einstein possédaient une solution décrivant un trou de ver traversable, mais aussi qu’il permettait de voyager dans le temps. La découverte s’était faite alors que Thorne cherchait à rendre crédible, à la demande de Carl Sagan, l’existence d’un tel objet pour son célèbre roman de science-fiction, Contact.

Thorne allait reprendre l’idée pour sa collaboration en tant que conseiller scientifique du film du réalisateur britannique Christopher NolanInterstellar. […] La science derrière Interstellar [… fait] justement intervenir une solution décrivant un trou de ver dans une version de la théorie de Randall-Sundrum.

Rappelons brièvement que, dans les deux modèles proposés par Lisa Randall et Raman Sundrum, l’espace-temps est à 5 dimensions et que notre Univers observable est une sorte de feuillet d’espace-temps à 4 dimensions connecté à un second feuillet, lui aussi, à 4 dimensions et donc la distance à notre « membrane » est faible selon la cinquième dans le cas du modèle I et infinie dans le cas de la seconde, le modèle II. Ces deux modèles permettaient de penser que la fameuse masse de Planck ordinairement conçue comme phénoménalement élevée pouvait être suffisamment basse pour que l’on puisse créer des minitrous noirs au LHC. Il n’en a rien été.

Un voyage de dizaines de milliers d’années-lumière en une seconde

Maldacena et Milekhin se sont donc penchés sur la question de l’existence de trou de ver traversable par une personne de taille humaine dans le cadre du modèle RSII. Ils annoncent donc aujourd’hui qu’une telle solution devrait bel et bien exister si l’on suppose, en plus de l’espace-temps, l’existence de certaines particules et l’équivalent du champ électromagnétique mais ne manifestant leur présence vis-à-vis des particules du Modèle standard que par leur gravité (un secteur « sombre » dans le jargon des physiciens). Il apparaît alors une énergie exotique qui serait négative dans la solution trou de ver, précisément ce qui le rend traversable en créant une pression s’opposant à la contraction de la gorge du trou de ver pour une personne ou un objet cherchant à le traverser, exactement comme dans le cas considéré par Thorne et ses collègues en 1988.

La solution trou de ver ainsi identifiée se comporte comme si ses deux entrées apparaissaient comme des trous noirs extrêmes mais magnétiquement chargés.

Il existe une solution des équations d’Einstein-Maxwell décrivant un trou noir avec une charge électrique et sans rotation. Il s’agit de la solution découverte indépendamment et avant 1920 par Hans Reissner et Gunnar Nordström (qui eux non plus n’avaient aucune idée qu’il s’agissait d’un trou noir). Une généralisation existe portant une charge magnétique mais comme nous n’avons toujours pas découvert de monopôle magnétique, elle n’est considérée que dans des études spéculatives. Dans les deux cas, le trou noir est dit extrême quand la charge a une valeur maximale pour une masse donnée associée au trou noir -au delà, la singularité centrale du trou noir n’est plus cachée par un horizon des événements, ce qui est très problématique et semble réfuter l’existence de la solution.

Toujours est-il que, d’après les calculs de Maldacena et Milekhin, la solution qu’ils ont trouvée permet bien de faire passer un humain en bon état en une seconde d’un point à un autre de la Voie lactée, séparé par une distance de plusieurs dizaines de milliers d’années-lumière mais une fois entré dans le trou de ver, il sortirait aussi plusieurs dizaines de milliers d’années plus tard. Autre problème, des photons ou des particules entrant dans le trou de ver subiraient une forte accélération (enfin pour un photon il faut parler d’un apport important d’énergie et pas d’accélération), ce qui pourraient les rendre dangereuses pour un humain dans le trou de ver et surtout conduire à une composante d’énergie positive annulant l’énergie négative maintenant le trou ouvert. Il faudrait donc que le trou de ver se trouve dans un milieu très froid, plus que le rayonnement fossile à 3 K.

Les chercheurs précisent aussi qu’ils ne savent pas comment il faudrait s’y prendre pour créer un tel trou de ver traversable mais peut-être qu’en poursuivant leurs recherches -qui sont encore peu développées et uniquement dans un article qui n’a pas encore passé le filtre de la relecture par d’autres experts pour publication-, une perspective nettement plus enthousiasmante émergera comme dans Interstellar avec les travaux de Murphy Cooper. On verra…

CE QU’IL FAUT RETENIR

Un des plus grands experts de la théorie des supercordes appliquée aux trous noirs, Juan Maldacena, a trouvé avec un collègue une solution décrivant un trou de ver traversable sans danger pour un humain.
Remarquablement, elle émerge d’une variante de la théorie considérée par le prix Nobel Kip Thorne pour rendre crédible scientifiquement le film Interstellar.
Un tel trou de ver permettrait à un voyageur de passer d’un point à un autre de la Voie lactée en quelques secondes tout au plus mais, pour des observateurs extérieurs, le voyageur émergerait de l’autre bout du trou de ver des dizaines de milliers d’années après y être entré.
On ne sait pas comment créer ce type de trou de ver qui est parent de ce que serait un trou noir magnétiquement chargé mais peut-être l’avenir nous donnera-t-il bientôt la réponse.

Lire l’article original de Laurent SACCO (avec les publicités) sur FUTURA-SCIENCES.COM (article du 1 septembre 2020)…


Interstellar (2014) est un long-métrage de science fiction à la vraisemblance scientifique avérée et souhaitée. Pour la réalisation, Christopher Nolan a travaillé en collaboration avec des chercheurs pour ne rien laisser au hasard. Cette grosse production britannique et américaine a été portée par un casting de rêve : Matthew McConaughey, Anne Hathaway, Jessica Chastain, Michel Caine, Casey Affleck et Matt Damon le composent.

Une crise alimentaire sans précédent frappe la planète, qui a décidé de se rebeller contre l’humanité. La Terre est devenu un espace hostile et peu coopératif. Les sociétés humaines sont en déclin et de fausses informations sont enseignées aux enfants quasiment condamnés. Un ancien pilote de la NASA reçoit un message codé par une intelligence inconnue qui lui indique un lieu. Cooper décide de s’y rendre pour, peut-être, trouver un refuge à l’humanité en péril. En compagnie d’autres astronautes aguerris, il décide de franchir un trou de ver près de Saturne, une faille qui mène l’équipe dans une autre galaxie.

Acclamé par la critique, Interstellar est devenu très rapidement un classique du cinéma de science-fiction. Il a été nominé dans de prestigieux festivals et a obtenu de nombreuses récompenses dont l’Oscar des meilleurs effets visuels et l’award du meilleur film de science-fiction au Critics’ Choice Movie Awards. [RTBF.BE]

WITKIN, Joel-Peter (né en 1939)

Temps de lecture : 4 minutes >
“Poussin in Hell” (détail), Paris, 1999 © Galerie Baudoin Lebon

“Joël-Peter WITKIN est né le 13 septembre 1939 à Brooklyn (New York). Actuellement il vit et travaille à Albuquerque (Nouveau Mexique).

A l’âge de 6 ans, il assiste  avec sa mère et son frère à un carambolage impliquant plusieurs véhicules à Brooklyn. “De l’ombre des véhicules retournés, a roulé vers moi ce que j’ai pris pour un ballon, mais comme il roulait  plus près et finissait par s’arrêter contre le trottoir où je me trouvais, j’ai pu voir qu’il s’agissait de la tête d’une petite fille”. Cette expérience traumatisante allait influencer inconscienment sa création.

Dès l’âge de 16 ans, il découvre sa véritable passion : le dessin et la photographie. Il est fasciné par le bizarre ; une de ses premières photographies qu’il réalise, pleine d’audace, est un rabbin certifiant avoir vu dieu. Remarqué par Edouard Steichen, ce dernier expose ses clichés au musée d’Art moderne de New York. Il suit une formation de sculpteur a laquelle il renonce parce qu’il affirme que ses photographies sont en soi des sculptures mais obtient une licence de Beaux-Arts en 1974.

Enrôlé dans l’armée, il devient l’assistant d’un médecin légiste et son travail est de photographier les corps sans vie de soldats accidentés. Il reste dans l’armée pendant trois ans et revient à New York pour se consacrer à sa passion et entre à l’université d’Albuquerque en 1976 pour se perfectionner. Il devient professeur de photographie et s’adonne à sont art, avec un goût pour le morbide qui choque à chacune de ses expositions. Assemblages de morceaux de cadavres, foetus, malformations de naissance, étrangeté sexuelle… Pourtant à Paris, à New York, les experts reconnaissent le travail artistique de ces clichés en noir et blanc qui ont  pour but de saisir toute la beauté et la laideur du monde.” [lire l’article complet sur ACTUART.ORG]

“La Giovanissima”, Mexico, 2007 ©news.artnet.com

Joel-Peter Witkin trouble, bouleverse, choque. De l’étrange au morbide, maniant des réalités crues dans de fantasmagoriques mises en scène, ses photographies radicales exhibent une condition humaine, dont l’artiste exalte la majesté comme le désespoir. Soudain, les certitudes se déplacent. Le vice et la vertu, la vie et la mort, le beau et le monstrueux deviennent les complices d’une humanité en souffrance. Depuis quatre décennies, l’artiste s’affranchit avec malice des dogmes esthétiques hérités de la Renaissance. De corps nus en chairs inertes, il transfigure ses modèles pour en saisir l’âme. Ses canons de beauté embrassent la différence, le handicap, la maladie ou l’accident.

Car l’humain est au cœur de son œuvre, dans sa chair, son désir, sa faiblesse, sa noblesse aussi. Si l’être –mort ou vif– est de toutes ses productions, des compositions baroques aux natures mortes, il est aussi l’expression de sa foi. Mon travail s’appuie sur la nature de l’homme et son rapport au divin“, explique-t-il. […]

Chaque image, du négatif au tirage, travaillée en tant qu’œuvre plastique à part entière, est soumise à maintes manipulations de retouches, découpes, collages, grattages ou abrasions. “Joel élabore ses photographies avec minutie, s’autorisant un long processus créatif. Entre les premiers dessins préparatoires, la prise de vues qui leur sera fidèle et le tirage final, il peut s’écouler entre six mois et un an”, explique Baudoin Lebon, qui a produit et assisté l’artiste dans la réalisation d’une cinquantaine d’images à l’Institut médico-légal de Paris.

“Chinese Adam and Eve”, Shanghai, 2015 © Galerie Baudoin Lebon

Dans cet élan, réinterprétant des figures mythologiques (Bacchus au purgatoire, Leda donnant à son amant un préservatif) ou bibliques (saint Sébastien), restituant la pose des portraits de la Renaissance ou le réalisme de personnages baroques, ses compositions revisitent l’esthétique occidentale. Jérôme Bosch, Francisco Goya, Otto Dix, Picasso notamment, m’ont considérablement marqué. Ils m’ont ouvert des portes, ont rendu ma vision du monde plus claire, rappelle-t-il. De même, sans les expressionnistes, je ne serais jamais devenu photographe : ils ont abattu dans l’art les barrières physiques et psychologiques de tout ce qui les avait précédés”.

Ainsi, le photographe suspend le temps présent, tout en explorant une veine à part dans l’histoire de la photographie contemporaine. Des quelque six cents images et mises en scènes qu’il a réalisées jusqu’à présent, Witkin retient une leçon d’humanité, de compassion et d’amour. Je voudrais que mes photographies soient aussi fortes que la dernière image que l’on voit avant de mourir.” [lire l’article complet sur CONNAISSANCEDESARTS.COM]


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : connaissancedesarts.com ; Galerie Baudoin Lebon ; news.artnet.com


Plus d’arts visuels…

JEAN : Homme et proféministe

Temps de lecture : 4 minutes >
© Council of Europe

Une mode est récemment apparue à propos des hommes qui se disent féministes et dont on présente l’engagement comme essentiel pour les droits des femmes. Il est temps de se demander si cette nouvelle habitude, qui se veut bienveillante, n’est pas finalement contre-productive.

Pas une semaine sans qu’un article, une campagne ne nous vante les mérites des hommes, « les vrais », les gentils, ceux qui brillent dans le bon camp et affichent un féminisme évident. Cette pratique part de l’idée que l’égalité est « l’affaire de tous » (et même plus de toutes) et que les hommes doivent y jouer un rôle central. La volonté de considérer l’égalité comme une valeur universelle fait oublier que l’individu n’est pas un universel, il appartient à un groupe social.

Le même combat qu’une femme ?

En tant qu’homme, je ne peux qu’observer que, même en dénonçant les inégalités, je reste membre d’une classe dominante qui me confère des privilèges que je ne peux pas toujours remettre en question individuellement. J’ignore en quoi consiste l’expérience du monde en tant que femme. La peur du viol ou du harcèlement sexuel, par exemple, le sentiment face aux regards salaces, les sous-entendus qui me ramènent à une position infériorisée, le « sexisme bienveillant », mon expérience intime en est vierge, et je ne peux comprendre ces concepts que de façon abstraite. Ma connaissance de l’inégalité entre les sexes est donc celle d’un dominant, saupoudrée de connaissances théoriques. Comment pourrais-je croire que je mène le même combat qu’une femme qui vit cela au quotidien ? D’autant que rien ne prouve que je ne profite pas impunément de tous les privilèges masculins. Un homme peut être très égalitaire au travail et le pire des machos dans sa vie intime, condamner le harcèlement sexuel et consommer massivement de la pornographie.

On voit d’ailleurs très souvent des hommes féministes s’attacher à combattre les attitudes masculines qui ne les concernent pas. Je sais parfaitement qu’il m’est très facile d’être contre la prostitution puisqu’elle ne m’a jamais tenté. Être opposé à la violence physique, au viol, au foulard islamique, à l’excision ? Quoi de plus facile pour l’homme qui n’a pas à se remettre en question dans ces domaines ! On assiste d’ailleurs souvent à un glissement des discours masculins de l’égalité à la condamnation de l’autre, le vrai méchant, toujours le même : le pauvre, le migrant dont la désignation permet à l’homme féministe, par prétérition, de se sentir tellement formidable.

Un statut bénéfique

D’autant que se présenter comme un homme féministe, participer à des associations mixtes, permet aux hommes de récolter des bénéfices secondaires importants. Lorsque je parle de la question de l’engagement des hommes en conférence, généralement devant une salle remplie de femmes, je demande toujours combien cette position hautement rétribuée symboliquement devrait me coûter de vaisselles lavées. En effet, tout discours égalitaire dans la bouche d’un homme est immédiatement rétribué d’un salaire symbolique narcissiquement très nourrissant. De la même manière que notre construction sociale et notre éducation en tant qu’homme nous poussent à rechercher les applaudissements pour toute tâche ménagère réalisée, nous trouvons dans la position de l’homme féministe de quoi récolter les suffrages et l’admiration.

Hommes et « disempowerment »

Le politologue québécois Francis Dupuis-Déri a théorisé l’empowerment des femmes (l’augmentation légitime de leur pouvoir) comme nécessitant un disempowerment des hommes (la baisse de notre pouvoir masculin). En effet, tout siège qui est occupé par une femme dans une assemblée d’élu.e.s, nécessite qu’un homme cède sa place ou qu’un autre mette de côté l’ambition de prendre sa succession. Il en va de même dans tous les domaines de la vie privée et publique. Les tâches ménagères justement partagées nécessitent que les hommes cèdent une partie de leur temps de loisir. À masse salariale constante, l’augmentation des salaires des femmes pour tendre vers l’égalité exige au minimum la stagnation des revenus des hommes. On voit donc bien que, si l’égalité est la direction dans laquelle nous avançons, la marche des hommes et des femmes se réalise dans des sens opposés.

La souffrance masculine ?

De plus, le risque est grand de voir tomber les hommes féministes dans un piège qui fonctionne à plein régime : la souffrance masculine. Cette autre mode postule que la construction sociale des femmes et des hommes dans des rôles stéréotypés enfermerait pareillement les deux sexes dans une souffrance de genre. On n’a plus peur d’écrire dans des textes prônant pourtant l’égalité professionnelle que « les hommes souffrent du fait de l’inégalité avec les femmes ».

Par conséquent, puisque nous souffrons pareillement, puisque nous luttons de la même manière sous le label du féminisme, l’inégalité devient un problème commun où chacun doit être traité pareillement. Plus question de programmes pour soutenir les femmes dans leur carrière, interdiction de parler de quotas ou de parité, prôner la féminisation des titres devient anti-universaliste, voire communautariste . N’imaginez même plus organiser une réunion féministe non mixte, car vous aurez à subir la colère de beaucoup d’hommes féministes qui se sentiront « exclus ». Voilà comment un positionnement dont le principe est sans doute bienveillant peut se retourner et devenir un outil pour maintenir le statu quo de l’inégalité entre les femmes et les hommes.

L’homme doit travailler sur lui-même

Le rôle d’un homme persuadé de l’injustice de la hiérarchie des sexes n’est-il pas d’abord de travailler sur lui-même ? Ce faisant, nous pouvons nourrir une réflexion mixte en révélant nos réflexes masculins conditionnés, nos stratégies d’évitement, voire de résistance. Partager la part de nous qui résiste et les processus intimes qui protègent notre pouvoir est sans doute la seule chose que nous pouvons faire en tant qu’homme. L’usage du mot proféministe nous force à nous rappeler ce positionnement et à faire preuve de lucidité. Il nous signale notre position dans le système de domination sans nous empêcher de travailler à l’avènement d’une société plus égalitaire. Comme chaque homme, j’ai moi-même le sentiment que toutes les femmes sont dominées sauf la mienne. Le pro- devant féminisme m’oblige à penser que je me trompe et que je dois encore chercher.

Lire l’article original de Patrick JEAN sur LAICITE.BE (Espace de liberté n°487, mars 2020) et y trouver la bibliographie de l’auteur…


Engagez-vous, qu’ils disaient…

COLMANT : L’État doit reprendre la main

Temps de lecture : 7 minutes >
Bruno Colmant © belpress

Les États européens se sont subordonnés au marché, jusqu’à perdre la moindre capacité d’impulsion économique.” Bruno Colmant publie Hypercapitalisme : Le coup d’éclat permanent. A-t-il viré à gauche? “Je suis et reste libéral. Mais le libéralisme doit être sauvé de ses propres excès.

“Le jour, Bruno Colmant dirige la banque privée Degroof Petercam. La nuit, il lit et il écrit. À intervalles réguliers, l’économiste accouche d’une nouvelle production. Plutôt technicien à l’origine (fiscalité, finance), il a la plume de plus en plus sociopolitique. À 58 ans, ce touche-à-tout prolifique nous revient avec un nouvel essai : Hypercapitalisme : Le coup d’éclat permanent (Renaissance du Livre). Comme on va vite s’en rendre compte, c’est le membre de l’Académie royale qui s’exprime ici, pas le banquier privé.

Le livre est parti de réflexions sur le gouffre entre les modèles américain et européen, en particulier sur la question de la mobilité du travail. Aux États-Unis, cette mobilité est intense, le travail s’adapte au capital. L’État joue un rôle résiduel et il intervient peu pour la protection des personnes, car ce sont les personnes qui doivent prendre leur sort en mains et s’adapter aux circonstances économiques variables. C’est une obligation : marche ou crève.”

Et en Europe?

En Europe, c’est tout le contraire. Les États-providence ou sociaux sont le reflet de l’immobilité du travail, laquelle découle de la petite taille des pays et de nos différences linguistiques, culturelles, religieuses, etc.

Mais encore?

Dans un État-providence, la tendance est de rester sur place, car la relation relève du long terme : tu reçois des moyens quand tu es jeune, tu contribues quand tu es actif et tu reçois à nouveau quand tu es retraité. Cela pousse à l’immobilité. Quand on a créé l’Union européenne puis l’euro, on est parti du principe qu’en instaurant la libre circulation, les personnes allaient circuler. Or non, elles ne circulent pas.

On a voulu importer en Europe un concept de mobilité des personnes et du travail qui n’est pas compatible avec nos États-providence. On a voulu importer le modèle américain parce qu’il est plus dynamique, mais ça ne prend pas. On a cru que le marché allait tout régler et automatiquement apporter la prospérité mais on n’a pas développé la flexibilité et l’entrepreneuriat qui l’accompagnent aux États-Unis. Résultat, on a aujourd’hui en Europe une confrontation de modèles qui ne se mélangent pas l’un à l’autre. On ne peut pas à la fois vouloir les bénéfices du capitalisme anglo-saxon et le maintien des États-providence.

Qu’a-t-on vu avec la crise du coronavirus? Chaque pays a fermé ses frontières. Ce réflexe national est bien la preuve que l’Europe n’existe pas.

Vous écrivez que l’Europe a dix ans pour revoir sa vision stratégique, sinon elle sortira de l’histoire…

Dix ans, peut-être même moins. L’Europe n’existe pas naturellement, c’est une juxtaposition de pays qui ont dû partager des frontières communes par la force de l’histoire, à la suite de deux guerres. Mais elle n’est pas aboutie. D’ailleurs, qu’a-t-on vu avec la crise du coronavirus? Chaque pays a fermé ses frontières. Ce réflexe national est bien la preuve que l’Europe n’existe pas.

L’Europe va-t-elle vers sa fin?

J’espère bien que non! Mais il faut faire attention. Fermer les frontières comme on l’a fait avec le virus, c’est dangereux. Rendre les pays plus hermétiques les uns aux autres est de nature à mettre le projet européen en péril.

Quelle serait la solution?

Il faut restaurer des États-stratèges, c’est-à-dire des États qui ne se subordonnent pas aux marchés, qui reprennent la main pour certaines initiatives économiques et qui sont capables d’être des partenaires par rapport au marché. Or, c’est exactement le contraire qui s’est passé. Les États européens se sont subordonnés au marché, jusqu’à perdre la moindre capacité d’impulsion économique.

Les contraintes budgétaires ont complètement étouffé l’Europe depuis vingt ans.

On ne peut pourtant pas dire que l’État soit absent. En Belgique, les dépenses publiques sont supérieures à 50% du PIB…

Et pourtant, les États ont perdu la capacité motrice. En Europe, ils en sont réduits à un rôle de transferts de revenus des uns vers les autres, alors qu’ils pourraient être utilisés à autre chose : investir, stimuler.

Et comment fait-on pour changer la donne?

D’abord, on détermine ce qui relève de l’État et non pas du marché. Par exemple, les soins de santé, l’éducation, c’est l’État, ce n’est pas privatisable. Pour les marchés concurrentiels où ils n’ont pas de rôle direct à jouer, les États peuvent et doivent développer des politiques industrielles à l’échelle de l’Europe. Cela n’a jamais été le cas, car les industries sont privées et qu’elles s’inscrivent dans des logiques nationales. On n’a pas ou peu de partenariats entre États. Bref, il faut réhabiliter l’État-stratège. Lui redonner, par l’endettement, une réelle capacité d’investissement et d’impulsion économique. L’État doit reprendre la main.

C’est le grand retour de Keynes : vous n’avez pas toujours pensé cela…

J’allais vers cette approche depuis un moment, je dirais sept ou huit ans. Ce qui m’avait échappé auparavant, c’est cette confrontation de modèles du travail.

Il faut choisir entre les deux modèles?

Il faut garder des États sociaux, certainement. Il faut leur redonner des capacités d’investissement, on l’a dit, mais il faut aussi transformer l’euro : d’une devise qui protège le capital, en faire une devise qui développe l’emploi. Il faut moins de rigueur monétaire et plus de capacité d’endettement de la part des États. Il faut libérer les États européens de ces contraintes budgétaires qui n’ont plus aucun sens et ont complètement étouffé l’Europe depuis vingt ans. Avec la crise du coronavirus, on va enfin abandonner ces contraintes de Maastricht et c’est tant mieux.

Vouloir des États plus forts, c’est risquer moins d’Europe, non?

Il y a un vrai risque, oui, on ne peut pas exclure un retour aux États-nations. Il est tout à fait possible que des États reprennent la main à titre individuel et la seule façon de dépasser ce qui serait une dérive, c’est précisément d’avoir des politiques industrielles au niveau européen. Cela demande de la volonté, car ce n’est pas naturel du tout. Cela ne vient pas tout seul.

Il faut transformer l’euro : d’une devise qui protège le capital, en faire une devise qui développe l’emploi.

Je vous cite : “Il s’agit de répondre à l’émiettement de la société avec empathie et solidarité. Ce qui importe, c’est une vision longue qui promulgue la cohésion sociale, la solidarité politique et la bienveillance économique.” Bruno Colmant a-t-il viré à gauche?

À mon avis, un libéral ne dirait pas autre chose. Je suis et reste libéral, je n’ai pas viré communiste. Mais le libéralisme doit être sauvé de ses propres excès, à savoir son penchant excessif pour l’immédiateté et son désintérêt pour la cohésion sociale. Pour moi, le libéralisme, c’est la spontanéité économique. Mais je dis que si le capitalisme n’est pas balisé par une redistribution sociale, il conduit à des situations inégalitaires. Or, ce qui importe dans une société, c’est la paix sociale.

Je prône donc un État social, oui, mais partenaire de la sphère marchande. Et qui dialogue avec les entreprises, notamment les plus grandes. Prenons l’exemple d’Amazon : cette firme privée utilise des infrastructures publiques : routes, poste… Il serait normal qu’elle contribue à juste mesure au financement des infrastructures qu’elle utilise.

Le libéralisme doit être sauvé de ses propres excès.

Donc, on oublie la main invisible du marché…

Je crois à la main invisible mais il faut tout de même qu’on puisse la serrer de temps en temps. Quand on a importé le raisonnement néolibéral dans les années 80, à la suite de Reagan et Thatcher, on a aussi importé cette conviction erronée que l’État pouvait être progressivement disqualifié parce que le marché, cette fameuse main invisible, savait mieux gérer l’économie que lui. C’est erroné parce qu’aux États-Unis, l’État est bien plus fort qu’on ne le pense. Dans les grands domaines stratégiques, il y a un partenariat entre les secteurs privé et public, l’État est copilote.

Nous, les Européens, nous n’avons pas compris cela. Nous avons cru que le marché allait tout gérer. Aux États-Unis, l’intervention est dérisoire en matière de protection sociale, d’accord. Mais en revanche, les politiques industrielles sont mises en œuvre de manière concertée entre le pouvoir politique et la sphère marchande.

Je crois à la main invisible mais il faut tout de même qu’on puisse la serrer de temps en temps.

Les États-Unis sont-ils un État-stratège?

Bien sûr, mais nous, les Européens, on ne l’a pas compris. On a entendu économie de marché et on a cru que tout pouvait être un marché. Or, l’État a un rôle à jouer, la crise sanitaire actuelle nous le montre bien d’ailleurs. C’est l’État qui aide la sphère marchande, c’est lui qui la sauve. C’est bien la preuve que l’État a un rôle à jouer dans l’économie.

Vous appelez à restaurer “des valeurs morales qui guideraient la gestion de nos pays“. Quelle morale? C’est très subjectif, comme notion…

Pour moi, la ligne devrait être de subordonner toute décision politique au bénéfice des futures générations, dans une vision de bienveillance. Si chaque fois qu’on pose un acte, on se demande si c’est bon pour les générations qui suivent, on ferait des choix probablement très différents de ceux que l’on fait aujourd’hui. On n’abîmerait pas la nature comme on le fait actuellement, on investirait plus dans les infrastructures physiques et digitales, on améliorerait la mobilité de nos villes, etc. On serait dans des logiques bien plus innovatrices.

Si chaque fois qu’on pose un acte, on se demande si c’est bon pour les générations qui suivent, on fera des choix probablement très différents de ceux que l’on fait aujourd’hui.

Vous rêvez tout haut?

Non, pas du tout. Si on ne pense pas au futur, c’est le narcissisme du présent qui emporte tout.

Pourquoi avoir écrit ce livre?

D’abord, pour moi. Écrire un livre, c’est une manière de se parler à soi-même. Et puis, je voulais me donner le temps de faire une synthèse de mes réflexions. Ce livre est plus harmonieux, plus nuancé que les précédents, je crois. D’ailleurs cette fois-ci, je ne ressens pas le besoin de me mettre à écrire le suivant. C’est dire!”

Lire l’interview originale de Paul GERARD sur LECHO.BE (4 juin 2020)


ISBN 9782507056926

Le néolibéralisme anglo-saxon apporte l’émulation, l’innovation, la croissance économique et l’élévation du niveau de vie. À l’opposé, les États providence européens furent bâtis, depuis la révolution industrielle, sur les acquis sociaux, la stabilité et la solidarité du travail. La sphère marchande, désormais mondialisée et numérisée, entre en collision avec les réalités politiques de nombreux pays européens. Il en résulte une amertume sociale et des conflagrations socioéconomiques. Cette réalité pourrait être amplifiée par la crise pandémique. Entre capitalisme déchainé et égalitarisme démobilisateur, une voie médiane s’impose : il faut rebâtir l’efficacité stratégique des États européens. Cette réhabilitation est nécessaire dans de nombreux domaines, au travers d’investissements publics et de dépenses sociales : éducation, mobilité, transition climatique, financement des transferts sociaux et des soins de santé, sécurisation des services publics, etc. Il en va de la résilience d’un libéralisme qui devra intégrer les facteurs humains et climatiques dans la tempérance sociale.

Membre de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, Bruno Colmant est docteur en économie appliquée et enseigne dans plusieurs universités belges et étrangères, dont l’Université libre de Bruxelles et l’Université catholique de Louvain. [LIVRE-MOI.BE]


Plus de discours ?

FRITSCHER, Susanna (née en 1960)

Temps de lecture : 3 minutes >
© susannafritscher.com

Au cœur de l’architecture blanche du Centre Pompidou-Metz, Susanna FRITSCHER, transforme en paysage imaginaire une des galeries suspendues entre terre et air.

L’artiste autrichienne installée en France qui a récemment fait basculer les espaces des Mondes Flottants” de la Biennale de Lyon, du Musée d’arts de Nantes et du Louvre Abu Dhabi dans l’immatérialité, réinvente notre relation au réel, à ce qui nous entoure, à l’environnement qu’elle soulève, trouble, confondant l’atmosphère avec l’architecture qui devient liquide, aérienne, vibratile.

“Les matériaux que j’utilise, plastiques, films, voiles ou fils, sont si volatiles qu’ils semblent se confondre avec le volume d’air qu’ils occupent. Dans le jeu qu’ils instaurent dans et avec l’espace, la matérialité bascule et s’inverse : l’air a désormais une texture, une brillance, une qualité ; nous percevons son flux, son mouvement. Il acquiert une réalité palpable, modulable – une réalité presque visible – ou audible, dans mes œuvres les plus récentes qui peuvent se décrire en termes de vibration, d’oscillation, d’onde, de fréquence…” précise l’artiste.

© culture-grandparisexpress.fr

Elle explore le système d’aération du Centre Pompidou-Metz comme un organisme dont elle capte le pouls. Les pulsations de l’air qui émanent de son métabolisme deviennent la matière première d’une chorégraphie de lignes formées par les longs fils de silicone qui captent et reflètent la lumière. Les vagues ondulatoires sans cesse réinventées se propagent et mettent en branle cette forêt impalpable que les visiteurs sont invités à traverser. La nef du centre d’art résonne et amplifie les flux d’air qui y circulent et qui la métamorphosent en un immense corps sonore, instrument à vent qui laisse sourdre les souffles libérés du bâtiment.

Ce belvédère sensible et propice à la contemplation capte les mouvements et frissonnements de la nature. Comme par capillarité, les rythmes générés par ces lignes infinies de silicone, que Susanna Fritscher dompte et orchestre, vibrent et s’harmonisent à l’unisson avec ceux des corps des visiteurs-promeneurs, invités à se détacher de la pesanteur, de la gravité. Cet environnant rend également perceptible l’instabilité du temps présent et ses frémissements figurent alors un prélude ou une invitation à de possibles soulèvements. (lire l’article complet sur centrepompidou-metz.fr)

© susannafritscher.com

L’artiste (…) bouleverse notre réalité, jusqu’au rapport à notre propre corps, elle tisse une sorte de gigantesque piège inversé, sans en avoir l’air. Avec une fausse neutralité, elle nous laisse libre d’y pénétrer ou de rester aux marges. Rien de spectaculaire, aucune séduction bonimenteuse, aucune couleur séductrice, pas une once de pittoresque. Aucun repère fourni. Rien que du blanc plus, ou moins transparent et mouvant selon les œuvres.

“Où rien ne fait image… “, ainsi que l’écrit Philippe-Alain Michaud dans l’un de ses catalogues. Et pourtant, si la beauté du dispositif fait d’air et de lumière nous attire comme les abeilles sur le miel, c’est que l’œuvre a un fort pouvoir. Son architecture arachnéenne reste mystérieuse tant qu’on n’a pas pénétré son cœur. Alors seulement, on distingue de très longs fils ou des rubans de plastique plus ou moins fins, plus ou moins transparents. Une fois prisonniers de ces rets, on se questionne : pendent-ils d’en haut ou montent-ils d’en bas ? Sont-ils mus par eux-mêmes ou à notre passage uniquement ? Qui les manœuvrent ? Forment-ils des écrans translucides pour nous cacher quelque chose ou seulement pour tromper notre rétine, ou les deux ? On ne s’explique rien. L’air devient vivant, rythmé. Telle une texture, tel un tissage fluide, il flotte ou se gonfle. (lire l’article complet sur connaissancedesarts.com)

En savoir plus sur le site de Susanna Fritscher…


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations :  susannafritscher.com ; culture-grandparisexpress.fr


Plus d’arts visuels…

CLAVE : Baisse du QI, appauvrissement du langage et ruine de la pensée…

Temps de lecture : 3 minutes >
© iStock

“L’effet de Flynn du nom de son concepteur, a prévalu jusque dans les année 1960. Son principe est que le Quotient Intellectuel (QI) moyen ne cesse d’augmenter dans la population. Or depuis les années 1980, les chercheurs en sciences cognitives semblent partager le constat d’une inversion de l’effet Flynn, et d’une baisse du QI moyen.

La thèse est encore discutée et de nombreuses études sont en cours depuis près de quarante ans sans parvenir à apaiser le débat. Il semble bien que le niveau d’intelligence mesuré par les tests de QI diminue dans les pays les plus développés, et qu’une multitude de facteurs puissent en être la cause.

A cette baisse même contestée du niveau moyen d’intelligence s’ajoute l’appauvrissement du langage. Les études sont nombreuses qui démontrent le rétrécissement du champ lexical et un appauvrissement de la langue. Il ne s’agit pas seulement de la diminution du vocabulaire utilisé, mais aussi des subtilités de la langue qui permettent d’élaborer et de formuler une pensée complexe.

La disparition progressive des temps (subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps. La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression. Supprimer le mot ‘mademoiselle‘ est non seulement renoncer à l’esthétique d’un mot, mais également promouvoir l’idée qu’entre une petite fille et une femme il n’y a rien.

Moins de mots et moins de verbes conjugués c’est moins de capacités à exprimer les émotions et moins de possibilité d’élaborer une pensée.

Des études ont montré qu’une partie de la violence dans la sphère publique et privée provient directement de l’incapacité à mettre des mots sur les émotions.

Sans mots pour construire un raisonnement la pensée complexe chère à Edgar Morin est entravée, rendue impossible. Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe.

L’histoire est riche d’exemples et les écrits sont nombreux de Georges Orwell dans 1984 à Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 qui ont relaté comment les dictatures de toutes obédiences entravaient la pensée en réduisant et tordant le nombre et le sens des mots. Il n’y a pas de pensée critique sans pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots. Comment construire une pensée hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel ? Comment envisager l’avenir sans conjugaison au futur ? Comment appréhender une temporalité, une succession d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou à venir, ainsi que leur durée relative, sans une langue qui fait la différence entre ce qui aurait pu être, ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera après que ce qui pourrait advenir soit advenu ? Si un cri de ralliement devait se faire entendre aujourd’hui, ce serait celui, adressé aux parents et aux enseignants: faites parler, lire et écrire vos enfants, vos élèves, vos étudiants.

Christophe Clavé © INSEEC SBE

Enseignez et pratiquez la langue dans ses formes les plus variées, même si elle semble compliquée, surtout si elle est compliquée. Parce que dans cet effort se trouve la liberté. Ceux qui expliquent à longueur de temps qu’il faut simplifier l’orthographe, purger la langue de ses ‘défauts‘, abolir les genres, les temps, les nuances, tout ce qui crée de la complexité sont les fossoyeurs de l’esprit humain. Il n’est pas de liberté sans exigences. Il n’est pas de beauté sans la pensée de la beauté.”

D’après une carte blanche de Christophe Clavé


Plus de presse…

ROSI : Le pub d’Enfield Road (2020)

Temps de lecture : 7 minutes >
ISBN 978-2-87449-763-6 © Les Impressions nouvelles

“Dans Le pub d’Enfield Road, un professeur de lycée accompagne ses élèves et quelques collègues en excursion à Londres. Comme on peut s’y attendre, il profite de l’occasion pour prendre quelques moments de liberté dans l’espoir de retrouver l’atmosphère d’un autre voyage à Londres, fait il y a près de quarante ans à une époque dont les rêves ne se sont pas réalisés. Rongé de doutes mais doté d’une franchise exemplaire, le personnage traverse Londres qu’il observe avec perspicacité et mélancolie. Peu à peu affleurent des correspondances étranges qui donnent au récit une tonalité presque onirique.” [d’après LESIMPRESSIONSNOUVELLES.COM]

Rossano ROSI livre un extrait du roman sur son blog personnel [ROSSANOROSI.ORG]

Il poussa de ses doigts gelés la porte vermoulue du pub et observa, dans la lumière grise du soir, la jolie enseigne : « The Swan & Hoop ». Elle donnait enfin à Enfield Road ce petit air anglais de toujours, né à l’époque où fut tracée la voie romaine enfouie sous l’artère contemporaine, un petit air bien anglais, chaud comme un morceau de tweed ou un verre de sherry, un petit air façonné par l’histoire — que lui déniaient aujourd’hui les illuminations trop cosmopolites ponctuant cette avenue antique de l’extrême nord de Londres. Certes, c’est tout enrobées de bouffées de cardamome ou de cannelle que ces illuminations étaient venues se poser en ces lieux depuis les quatre coins de l’« Empire », d’un « Empire » bien oublié… bien oublié au fond d’un buffet… — et dont il n’aurait subsisté, seules traces de l’existence de ce gros gâteau disparu, que ces exotiques miettes électriques ! Raymond Raymont s’emberlificotait dans sa métaphore et, tout en ayant l’impression d’avoir retrouvé un peu de l’Angleterre de Virginia Woolf ou d’Agatha Christie, il entra dans le pub d’Enfield Road.

L’enseigne, fraîchement repeinte, oscillant presque gaiement au gré du vent glacé, était là, dans cet ensemble décrépit, ce qui semblait de plus neuf.

L’immeuble au rez-de-chaussée duquel se trouvait le pub était une espèce de cube trapu, à la façade et aux corniches si lasses qu’un passant innocent (et bien sûr je suis une passante innocente) aurait pu se dire que toute l’authentique beauté, tout l’authentique style, ce style indéfinissable qui fait qu’un bon pub ne peut que ressembler à un bon pub, n’avait été préservé, comme la jeunesse d’un vieillard est préservée dans ses yeux, que dans cette enseigne soignée, faussement antique, purement anglaise, naïvement attachante.

Raymond Raymont repoussa non sans effort la porte de la taverne, dont les gonds semblaient être en phase terminale, et il fit quelques pas à l’intérieur ; il ne s’était pas rendu compte qu’il avait failli, par ce geste brusque, me heurter le nez. Or il ne soupçonna même pas ma présence, tout à son examen de ce pub de grande banlieue, tout à cette satanée odeur de Chanel qui était venue se lover jusqu’au fond de ses narines au moment où il sortait de la National Gallery, cet après-midi : il en avait soudain humé les atomes en croisant le chemin d’une — crut-il — inconnue (mais était-ce vraiment une inconnue ?), lesquels atomes, en lui fouettant les narines en même temps que la chevelure de cette inconnue lui fouettait les épaules, avaient proustement activé en lui le levier de la pompe à souvenirs (qui donc était cette inconnue ?), avant que, d’un nouveau geste brusque de la main (une espèce de geste de chef d’orchestre), il dissipe en l’air (mais non… ce n’était après tout qu’une inconnue… ce ne pouvait être qu’une inconnue…) ces vains fantômes. Alors qu’il avait toujours eu une mémoire infaillible, voilà qu’il avait l’impression — était-ce l’âge ? — que lui échappaient de plus en plus de détails : ce genre de détails, tels un prénom ou une date, qui donnent tout leur sel aux images du passé…

Raymond Raymont refit encore son geste brusque de la main ; il examinait le pub avec minutie.

Les murs, pisseux, lépreux, étaient ornés de gravures, pisseuses, lépreuses, dont un buveur innocent (et bien sûr je suis une buveuse innocente) eût pu croire qu’elles imitaient non sans talent l’ambiance des toiles de John Constable, dont on trouvait d’ailleurs un autre écho dans les jolies décorations de ces menus objets en faïence qu’une grosse main délicate avait pris la peine, un jour, de poser entre les bouteilles d’alcool et les verres à bière.

Entre ces gravures très anglaises, il y avait, la plupart peu anglaises (quoi¬que leurs faces brutales et couturées ne leur eussent pas refusé de figurer parmi le petit peuple d’un roman de Charles Dickens), des photographies de footballeurs de Tottenham, dont les noms, aussi exotiques que les illuminations d’Enfield Road, ornaient en menus caractères les bords inférieurs de ces portraits. Le stade des Spurs ne se situait qu’à une poignée de lieues du pub, vers l’est, suffisamment proche pour que les habitants du coin s’en déclarassent des supporters naturels, des fans du premier cercle. Les fanions du club étaient d’ailleurs visibles, çà et là, derrière le comptoir, où s’alignaient, aussi étincelants que les pompes à bière ou à cidre, des dizaines de verres. Le plancher était recouvert de tapis orientaux, ou supposés tels, dont n’étaient plus identifiables que la trame et des franges aussi poisseuses que des cheveux sur le crâne d’un cadavre exhumé de sa terre grasse. Les banquettes, crevées, laissaient apparaître leur rembourrage jaunâtre ; les chaises étaient écaillées et parfois bancales, à l’instar des tables.

Or malgré cet aspect misérable, ou plutôt du fait même de cet aspect misérable, Raymond Raymont ne put s’empêcher de s’écrier, au moment où il posait son mackintosh sur l’une de ces pauvres banquettes (à quelques pouces de mon propre mackintosh) et qu’il se dirigeait d’un pas décidé vers le bar afin d’y commander une pinte (une pinte semblable à celle que bien sûr j’étais déjà en train de savourer, de la mousse plein les dents), il ne put donc s’empêcher de s’écrier intérieurement, tout en soupesant dans sa poche le bon volume de Fielding qui y reposait :

« Me voici enfin à Londres ! »

Car c’était la première fois, depuis son arrivée le matin même dans la capitale britannique, qu’il avait le sentiment d’être en mesure de prononcer, fût-ce en pensée, cette simple phrase :

« Me voici enfin à Londres ! »

— en veillant à donner leur sens le plus fort aux deux derniers mots de l’énoncé. Car aucun des quartiers irréels traversés jusqu’ici ne lui avait donné cette impression, l’impression donc « d’être à Londres », si ce n’est au prix d’une sorte d’artifice, d’une sorte de mensonge. Pourtant Raymond Raymont n’était pas soudain devenu dément : il n’ignorait pas qu’il était bel et bien à Londres.

Ce qu’il avait eu sous les yeux au cours de cette très longue journée aurait pu faire l’objet de belles photographies (aussi belles que celles que j’avais eu la magnifique idée de prendre en profitant à merveille, du haut de Greenwich, un pied dans chaque hémisphère, des qualités brumeuses de cette étrange lumière bleue sur le fond de laquelle se découpait finement, minuscule à côté de l’amplitude du panorama emplissant le cadre, le profil de mon sujet), de très jolies cartes postales, de splendides affiches de voyagistes. C’était Saint-Paul… c’était Big Ben… c’était l’Embankment… c’était Piccadilly Circus… c’était Trafalgar Square… En somme… c’était… c’était Londres ! Il était à Londres ! Il y était ! Cela ne faisait pas l’ombre d’un doute.

Mais le Londres qu’il avait vu jusqu’à présent n’était pas Londres ; c’était un Londres dépourvu de vie, où les seuls gens du peuple qu’il croisait étaient des clochards, des banlieusards en navette ou des demeurés égarés. Et quant aux quartiers qu’il avait traversés après la Cité, après Islington, en remontant vers le nord jusqu’à venir buter presque contre l’Orbital, quoiqu’ils fussent indéniablement populaires et bienheureusement dénués de toute valeur touristique, aucun de ces quartiers n’avait correspondu, du fait de cet exotisme tapageur, à sa représentation si romanesque, si compassée, du Londres de ses pensées — du Londres qui dans son cœur n’avait pas bougé du moindre pouce depuis quarante ans.

Or voici qu’ici, dans un pub minable d’Enfield Road, au cœur d’un quartier loqueteux qui avait tout du no man’s land grisâtre, il avait pour la première fois ressenti cette pure vibration dans le corps : elle lui faisait dire que des gens vivaient ici qu’il aurait pu croiser dans le roman de Henry Fielding qu’il transportait en poche, à côté de sa pipe en bruyère, ou dans une des chansons des Smiths dont ses oreilles s’étaient nourries pendant ce long voyage.

Raymond Raymont bâilla mais oublia aussitôt sa fatigue. Il avait posé devant lui une vieille lettre décachetée et un téléphone tout aussi démodé que cette dernière.

Ah oui… il ne l’avait pas encore lue, malgré la légère curiosité qu’elle avait éveillée en lui et qui lui chatouillait les doigts, comme des picotements auxquels on a vite fait de s’habituer et que l’on oublie vite…

Raymond Raymont n’était pas un être rongé de curiosité ; il avait appris à attendre et mettait un point d’honneur, certes compassé, à être dépourvu de toute hâte. Il tapota un petit rythme de rock sur la lettre. Un message apparut soudain sur l’écran étroit du Nokia, silencieux, Raymond Raymont détestait les bips :

« Et alors ? !

— Et alors ? Et alors… » se dit-il…


“Après de sages humanités très humanistes, quelque part dans le faubourg Saint-Léonard, Rossano ROSI (né en 1962) mène de non moins sages études de lettres à l’Université de Liège, qui lui ont permis de croiser de belles figures en chaire, tels Jean-Marie Klinkenberg ou Jacques Dubois.

Peu après, il fonde avec quelques amis la revue littéraire écritures, qui vivra dix ans et publiera tout au long des années 1990 des auteurs comme Guillaume Dustan, Michel Houellebecq, Christine Angot… — et beaucoup d’autres.

Puis, il s’en ira vivre à Bruxelles, où, avec un plaisir qui s’accentue dangereusement au fur et à mesure qu’approche le terme de cette carrière, il enseigne le français mais aussi les langues anciennes, réapprises entre-temps à l’Université de Louvain. À côté de ce rude métier, il écrit des romans et des poèmes, qu’il publie depuis 1994, parfois avec lenteur, toujours avec obstination. Le trait d’union reliant ces deux facettes professionnelles, c’est la littérature, pour laquelle son enthousiasme croît de jour en jour. Un enthousiasme auquel sa rencontre avec les Impressions Nouvelles, voici dix ans, a donné la chance de se concrétiser par la publication de quatre romans et d’un recueil de poèmes.” [d’après LESIMPRESSIONSNOUVELLES.COM]


Plus de littérature…

De l’intérêt de posséder plus de livres que vous ne pouvez en lire…

Temps de lecture : 6 minutes >

De nombreux lecteurs achètent des livres avec l’intention de les lire uniquement pour les laisser s’attarder sur l’étagère.
Le statisticien Nassim Nicholas Taleb estime que le fait de s’entourer de livres non lus enrichit notre vie, car ils nous rappellent tout ce que nous ne connaissons pas.
Les Japonais appellent cette pratique tsundoku, et elle peut apporter des avantages durables.

Anguille sous roche

“J’aime les livres. Si je vais à la librairie pour vérifier un prix, j’en ressors avec trois livres dont j’ignorais probablement l’existence auparavant. J’achète des livres d’occasion par lots à la vente des Amis de la Bibliothèque, tout en expliquant à ma femme que c’est pour une bonne cause. Même l’odeur des livres me saisit, ce léger parfum de vanille terreuse qui vous envahit quand vous tournez une page. Le problème, c’est que mon habitude d’acheter des livres dépasse ma capacité à les lire. Cela m’amène à me culpabiliser pour les volumes non lus qui se répandent sur mes étagères. Cela vous semble familier ?
Mais il est possible que cette culpabilité soit totalement déplacée. Selon le statisticien Nassim Nicholas Taleb, ces volumes non lus représentent ce qu’il appelle une “anti-bibliothèque”, et il pense que nos anti-bibliothèques ne sont pas des signes de défaillances intellectuelles. Bien au contraire.

Vivre avec une anti-bibliothèque

Taleb a exposé le concept de l’anti-bibliothèque dans son livre à succès The Black Swan: The Impact of the Highly Improbable. Il commence par une discussion sur le prolifique auteur et érudit Umberto Eco, dont la bibliothèque personnelle contenait un nombre stupéfiant de 30.000 livres.

Lorsque Eco accueillait des visiteurs, beaucoup s’émerveillaient de la taille de sa bibliothèque et pensaient qu’elle représentait le savoir de l’hôte – qui, ne vous y trompez pas, était très vaste. Mais quelques visiteurs avisés ont compris la vérité : la bibliothèque d’Eco n’était pas volumineuse parce qu’il avait lu beaucoup de choses ; elle l’était parce qu’il désirait lire beaucoup plus.

C’est ce qu’a déclaré Eco. En faisant un calcul de coin de table, il a découvert qu’il ne pouvait lire qu’environ 25.200 livres s’il lisait un livre par jour, tous les jours, entre dix et quatre-vingts ans. Une “bagatelle”, déplore-t-il, par rapport au million de livres disponibles dans toute bonne bibliothèque.

S’inspirant de l’exemple d’Eco, Taleb en déduit :

Les livres lus ont beaucoup moins de valeur que ceux qui ne sont pas lus. Votre bibliothèque devrait contenir autant de ce que vous ne connaissez pas que vos moyens financiers, les taux d’hypothèque et le marché immobilier actuellement serré vous permet d’y mettre. Vous accumulerez plus de connaissances et plus de livres en vieillissant, et le nombre croissant de livres non lus sur les étagères vous regardera de façon menaçante. En effet, plus vous en savez, plus les rangées de livres non lus sont grandes. Appelons cette collection de livres non lus une anti-bibliothèque.

Maria Popova, dont un article sur Brain Pickings résume admirablement l’argument de Taleb, note que notre tendance est de surestimer la valeur de ce que nous savons, tout en sous-estimant la valeur de ce que nous ne savons pas. L’anti-bibliothèque de Taleb renverse cette tendance.

La valeur de l’anti-bibliothèque découle de la façon dont elle remet en question notre auto-estimation en nous rappelant constamment et de façon désagréable tout ce que nous ne savons pas. Les titres qui tapissent ma propre maison me rappellent que je ne connais pas grand-chose à la cryptographie, à l’évolution des plumes, au folklore italien, à l’usage de drogues illicites sous le Troisième Reich et à l’entomophagie. (Ne gâchez pas tout, je veux être surpris.)

Nous avons tendance à traiter nos connaissances comme des biens personnels à protéger et à défendre”, écrit Taleb. “C’est un ornement qui nous permet de nous élever dans l’ordre. Cette tendance à heurter la sensibilité de la bibliothèque d’Eco en se concentrant sur le connu est donc un parti-pris humain qui s’étend à nos opérations mentales”. Ces mêmes idées inexplorées nous poussent à continuer à lire, à continuer à apprendre, et à ne jamais être à l’aise avec le fait que nous en savons assez. Jessica Stillman appelle cette réalisation l’humilité intellectuelle.

Les personnes qui manquent de cette humilité intellectuelle – celles qui n’ont pas le désir d’acquérir de nouveaux livres ou de visiter leur bibliothèque locale – peuvent éprouver un sentiment de fierté d’avoir conquis leur collection personnelle, mais une telle bibliothèque offre toute l’utilité d’un trophée fixé au mur. Ça devient un “appendice de l’ego” pour la seule décoration. Ce n’est pas une ressource vivante et croissante dont nous pouvons tirer des enseignements jusqu’à l’âge de 80 ans – et, si nous avons de la chance, quelques années plus tard.

BRADBURY R., Farenheit 451 (1953) : le livre est un enjeu…
Tsundoku

J’aime le concept de Taleb, mais je dois admettre que je trouve l’étiquette “anti-bibliothèque” un peu insuffisante. Pour moi, cela ressemble à un dispositif d’intrigue dans une imitation de roman de Dan Brown – “Vite ! Nous devons arrêter les Illuminati avant qu’ils n’utilisent l’anti-bibliothèque pour effacer tous les livres existants”.

Écrivant pour le New York Times, Kevin Mims n’aime pas non plus l’étiquette de Taleb. Heureusement, son objection est un peu plus pratique : “Je n’aime pas vraiment le terme ‘anti-bibliothèque’ de Taleb. Une bibliothèque est une collection de livres, dont beaucoup ne sont pas lus pendant de longues périodes. Je ne vois pas en quoi cela diffère d’une anti-bibliothèque.”

Son label préféré est un mot de prêt du Japon : tsundoku. Tsundoku est le mot japonais qui désigne la ou les piles de livres que vous avez achetés mais que vous n’avez pas lus. Sa morphologie combine tsunde-oku (laisser les choses s’empiler) et dukosho (lire des livres).

Ce mot est né à la fin du 19e siècle comme une satire adressée aux enseignants qui possédaient des livres mais ne les lisaient pas. Bien que cela soit à l’opposé de ce que Taleb voulait dire, aujourd’hui le mot n’est pas stigmatisé dans la culture japonaise. Il diffère également de la bibliomanie, qui est la collecte obsessionnelle de livres pour le plaisir de la collection, et non leur lecture éventuelle.

La valeur du tsundoku

Je suis sûr qu’il y a un bibliomane vantard qui possède une collection comparable à celle d’une petite bibliothèque nationale, mais qui ne fait que rarement l’objet d’une couverture. Malgré cela, des études ont montré que la possession de livres et la lecture vont généralement de pair pour un grand effet.

Une de ces études a montré que les enfants qui ont grandi dans des foyers possédant entre 80 et 350 livres ont amélioré leurs compétences en matière de lecture, de calcul et de technologies de l’information et de la communication à l’âge adulte. Selon les chercheurs, l’exposition aux livres renforce ces capacités cognitives en faisant de la lecture une partie intégrante des routines et des pratiques de la vie.

De nombreuses autres études ont montré que les habitudes de lecture procurent une foule de bienfaits. Elles suggèrent que la lecture peut réduire le stress, satisfaire les besoins de connexion sociale, renforcer les compétences sociales et l’empathie, et stimuler certaines compétences cognitives. Et ce n’est que de la fiction ! La lecture d’ouvrages non fictionnels est corrélée au succès et aux grandes réalisations, nous aide à mieux nous comprendre et à mieux comprendre le monde, et vous donne l’avantage de venir à la soirée des quiz.

Dans son article, Jessica Stillman se demande si l’anti-bibliothèque agit comme un contrepoids à l’effet Dunning-Kruger, un biais cognitif qui conduit les personnes ignorantes à supposer que leurs connaissances ou leurs capacités sont plus performantes qu’elles ne le sont réellement [lire dans wallonica.org : Les ultracrépidariens : ceux qui donnent leur avis sans connaître le sujet]. Comme les gens ne sont pas enclins à apprécier les rappels de leur ignorance, leurs livres non lus les poussent vers, sinon la maîtrise, du moins une compréhension toujours plus grande de la compétence.

“Tous ces livres que vous n’avez pas lus sont en effet un signe de votre ignorance. Mais si vous savez à quel point vous êtes ignorant, vous êtes bien plus avancé que la grande majorité des autres personnes”, écrit Stillman.

Que vous préfériez le terme anti-bibliothèque, tsundoku ou autre chose encore, la valeur d’un livre non lu est son pouvoir de vous faire lire.” [d’après le blog ANGUILLESOUSROCHE.COM (article de la rédaction, sans les pubs, daté du 28 janvier 2020)]


Lire encore ?

DESMURGET : La fabrique du crétin digital (Seuil, 2019)

Temps de lecture : 9 minutes >
Enfants et écrans, attention à “l’orgie numérique”

Face à la situation inédite du confinement lié à la lutte contre le COVID-19, Michel DESMURGET, directeur de recherche à l’Inserm (Institut National français de la Santé Et de la Recherche Médicale) et auteur de La fabrique du crétin digital (Paris : Seuil, 2019) estime qu’il est nécessaire de distinguer les écrans récréatifs de ceux utilisés pour la pédagogie [d’après ESTREPUBLICAIN.FR] :

A partir du moment où les enfants ne peuvent pas aller à l’école, l’apprentissage numérique est une béquille qui est mieux que rien. En ce qui concerne les écrans récréatifs (jeux vidéos, télévision, réseaux sociaux…), on a une explosion du temps passé sur ces écrans là au détriment d’autres activités beaucoup plus nourrissantes pour le cerveau. Les enfants sont aussi soumis à un bombardement sensoriel pour lequel le cerveau n’est pas fait et qui affecte la concentration. Cette période d’orgie d’écrans récréatifs, et d’écrans en général, risque de poser des problèmes pour la sortie” du confinement.


“S.M. Votre livre est un cri de colère. Contre quoi ?

Michel Desmurget : Ma colère vient du décalage entre ce qu’on dit aux parents et la réalité. Il y a une telle distorsion entre ce que l’on sait et ce qui est traduit dans les médias. Il se passe actuellement ce qui s’est passé avec le tabac, l’amiante, le changement climatique… C’est la première génération dont le QI va être inférieur à la précédente. Avec la surconsommation d’écrans, vous touchez au langage, au sommeil, à l’activité physique… tout ce qui est essentiel au développement. Vous allez toucher à tout ce que l’évolution a mis des millions d’années à façonner. Notre cerveau est un bon vieux cerveau. C’est encore un cerveau de vieux con… même chez les enfants ! Il n’est pas fait pour qu’on le bombarde sensoriellement, qu’on lui prenne du temps de sommeil, d’interactions…

S.M. Qu’est-ce que vous espérez avec ce livre ?

M.D. Que les parents soient honnêtement informés. Ils aiment leurs enfants. Si on leur dit « ça, c’est positif », ils le font. Je me fous qu’il y ait une législation comme à Taïwan où vous êtes verbalisés si votre enfant de 2 ans joue avec une tablette car ils considèrent cela comme de la maltraitance développementale. Dans son rapport, remis en juin au ministère de la Culture, la psychanalyste Sophie Marinopoulos parle de « malnutrition culturelle ». Ce concept me parle. Il faut qu’on nourrisse nos gamins comme il faut, qu’on arrête de faire passer l’intérêt économique avant l’intérêt des enfants.

S.M. Qu’est-ce qui vous a le plus choqué à la lecture de toutes ces études ?

M.D. C’est la masse d’études convergentes, quels que soient les méthodes et les usages retenus. Il est toujours mal vu de parler de certitudes en sciences, mais quand même… On sait ce dont l’enfant a besoin et ce qu’on lui propose aujourd’hui, ce n’est pas ce dont il a besoin.” [d’après LEPROGRES.FR mais sans publicité]


La multiplication des écrans engendre une décérébration à grande échelle.

“C’est ce qu’affirme le chercheur en neurosciences Michel Desmurget dans un entretien au Monde, […] à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage La Fabrique du crétin digital. Ce chercheur a aussi alerté dans de nombreux autres médias sur les risques de l’exposition des enfants aux écrans. Dans une interview, il s’inquiétait ainsi pour « la première génération dont le QI sera inférieur à la précédente ». Il expliquait que « plus les enfants regardent d’écrans, plus le QI diminue ». Ces formules-chocs résumées et alarmantes se propagent massivement auprès des parents, des enseignants et des générations exposées aux écrans, suscitant de nombreuses interrogations. Le point pour y voir plus clair dans un domaine où il existe beaucoup d’études mais où la science a bien du mal à trancher.

C’est le point de départ de certaines recherches concernant nos changements environnementaux (éducation, nutrition, pollutions diffuses, écrans, etc.) : on constaterait une baisse des capacités cognitives des dernières générations, plus précisément depuis le milieu des années 1990. « Depuis 2000, c’est la première fois que le QI commence à descendre », affirme ainsi Michel Desmurget. Mais ce point de départ est-il acquis ?

Pendant longtemps, dans les pays industrialisés, on a cru que le QI moyen ne ferait qu’augmenter, avec l’amélioration de la scolarisation, du niveau d’études, des conditions sanitaires… L’accroissement régulier du résultat moyen à des tests de QI avait même un nom : l’effet Flynn, en référence au chercheur néo-zélandais James Flynn à l’origine de ce calcul.

Cet effet se serait inversé dans les années 1990, selon plusieurs études faisant référence, menées en Finlande et en Norvège. En France, une étude montre une baisse de 3,8 points entre 1999 et 2009, mais elle est méthodologiquement peu robuste car basée sur un échantillon, trop restreint, de 79 personnes. A l’inverse, la Norvège et la Finlande sont les deux seuls pays disposant de données solides sur les capacités cognitives de leur population, grâce à des évaluations chez les jeunes appelés faisant leur service militaire.

En Norvège, le QI moyen des conscrits a ainsi augmenté régulièrement entre les années 1980 et 1990 (les tests sont menés par les cohortes nées entre 1962 et 1975), passant de 99,5 à 102,3 ; ensuite, le score a, au contraire, décru d’année en année pour arriver à 99,7 dans les années 2000 (cohorte née en 1991). En Finlande, même évolution, dévoilée par une autre méthode, le peruskoe (test de base), créé par l’armée, qui montre une hausse des résultats des jeunes soldats pendant dix ans, puis une baisse pendant les dix années suivantes (en 1988, le score moyen est de 22,27 points ; en 1997, il est de 23,92 ; en 2009, il descend à 22,52).

Ces résultats ne sont toutefois pas confirmés à l’échelle mondiale : il y a des signes de baisse de QI dans des pays occidentaux développés, mais on ne saurait généraliser à tous les pays ni exclure que ce soit un plateau qui a été atteint.

Le QI, une mesure incomplète des capacités cognitives

Élaboré au début du siècle, le QI est à l’origine une notion créée pour dépister les enfants en difficulté. On compare les résultats d’un enfant aux tests avec les résultats moyens de sa classe d’âge et, c’est pour cela qu’on parle de quotient, on met ensuite cette mesure en rapport avec son âge réel et on le multiplie par 100.

Peut-on mesurer les capacités cognitives avec un seul chiffre ? Des critiques se sont élevées concernant cette mesure. Ainsi, résumait Jacques Lautrey, du laboratoire Cognition et développement à l’université René-Descartes, le QI « entretient une conception de l’intelligence totalement dépassée sur le plan scientifique ». Décrivant une intelligence multidimensionnelle, le monde de la recherche s’accorde désormais pour dire que le QI est une mesure pertinente mais incomplète.

« Etant donné que la principale caractéristique actuelle de l’environnement est d’être en constante mutation, ne doit-on pas considérer (…) que nous devenons plutôt intelligents autrement comme si l’environnement faisait le tri des aspects de l’intelligence qui lui sont utiles ? », s’interrogent ainsi les chercheurs Serge LarivéeCarole Sénéchal et Pierre Audy. Par exemple, à la question « qu’ont en commun les chiens et les lapins », les citoyens du début du XXe siècle auraient fourni, une réponse concrète (« on utilise les chiens pour attraper les lapins »), alors que la réponse actuelle pour obtenir le maximum de points relève d’un raisonnement abstrait : « les deux sont des mammifères ». Autre difficulté : les données sur lesquelles on s’appuie portent sur les capacités cognitives des adultes d’aujourd’hui. Or, les inquiétudes se concentrent surtout sur les générations futures, générations pour lesquelles, par définition, nous ne connaissons pas encore les résultats. Impossible donc d’avoir une certitude absolue sur l’évolution des capacités cognitives. Mais il reste possible de s’interroger sur ce qui pourrait altérer le QI.

Quels facteurs explicatifs possibles ?

Parmi les chercheurs tentant d’expliquer une baisse de l’intelligence humaine, la controverse est vive et hautement sensible. Certains privilégient des explications biologiques : ils avancent l’existence d’un effet dit « dysgénique », qui voudrait que les familles les moins intelligentes procréent davantage et fassent baisser le niveau. Certains de ces chercheurs pointent les effets de l’immigration : selon un article faisant la synthèse de la littérature existante et un autre article analysant les données de treize pays, les ­migrants et leurs enfants, en moyenne moins éduqués, feraient diminuer la moyenne des performances. Mais cette piste est très polémique en raison de l’instrumentalisation qui peut être faite de tels résultats.

Affiche mexicaine de lutte contre la délinquance juvénile

L’étude norvégienne qui compare notamment les performances ­au sein de fratries va à l’encontre de ces explications. « Cette fois, toute différence [d’une génération par rapport à une autre] ­traduit un effet strictement environnemental, puisque les parents sont identiques », explique James Flynn, le chercheur à l’origine du concept étudié dans ces travaux.

Pendant la phase croissante du QI moyen des Norvégiens testés, l’indice « intrafamilial » a augmenté de 0,18 point par an (pour une hausse de 0,20 pour l’ensemble). A l’inverse, à partir de la génération 1975, le retournement de l’effet Flynn dans l’ensemble de la cohorte (baisse de 0,33 point) s’illustrerait par une baisse de 0,34 point par an à ­l’intérieur des familles. Les résultats des fratries évoluent de façon cohérente avec ceux de l’ensemble de la cohorte. On peut donc évacuer l’hypothèse d’une évolution liée à la personne (génétique) ou à la famille (éducation) et penser que les causes de ces évolutions sont plutôt environnementales.

Ainsi, certains métaux lourds (plomb, mercure, etc.) ou perturbateurs endocriniens (pesticides, retardateurs de flamme, etc.) pourraient altérer la construction cérébrale, assurent certains chercheurs. Plusieurs cohortes mère-enfant ont, par exemple, été suivies ces dernières années et précisent que les enfants les plus exposés in utero à des pesticides organophosphorés, des retardateurs de flamme (comme des PBDE ou des PCB), présentent des QI plus faibles que les moins exposés, toutes choses égales par ailleurs.

Mais parmi ces facteurs « environnementaux », au sens large, figurent aussi les évolutions de mode de vie, et en particulier l’exposition massive aux écrans – télévisions, ordinateurs, téléphones… Pour Michel Desmurget, c’est même la cause principale. Est-ce le temps passé devant les écrans qui diminue les capacités cognitives ? Est-ce que les enfants ayant des capacités cognitives plus limitées que les autres sont plus attirés par les écrans ? Existe-t-il d’autres facteurs non mesurés ?

Une étude récente a tenté de démêler corrélation et causalité grâce à un système d’analyse statistique incluant des effets aléatoires ; cinq chercheurs canadiens ont ainsi analysé des données provenant d’une cohorte de 2.441 enfants et montré un lien réel, mais ténu, entre exposition aux écrans et développement cognitif : ainsi, pour un enfant de 2 ans, davantage de temps passé devant les écrans provoquerait, lors du passage du test américain Ages and Stages Questionnaire (ASQ), une baisse du coefficient de variation de 0,08 point à 3 ans ; de même, une baisse de 0,06 point de ce coefficient standardisé serait observée entre 3 et 5 ans.

Comme le remarque le pédiatre Max Davie, interrogé par le Guardian sur cette étude, s’il existe un lien entre exposition aux écrans et capacités cognitives, ce lien reste moins fort que d’autres facteurs, comme le fait de lire à son enfant ou la qualité de son sommeil, facteurs mesurés pendant l’étude. En revanche, ne sont pris en compte ni l’activité de l’enfant ni son accompagnement éventuel devant les écrans.

« Ce qui est sûr, c’est que les écrans sont un facteur de risque de sédentarité ; pour le reste, on ne sait pas trop… En épidémiologie, il faut beaucoup de temps et d’efforts pour prouver la réalité d’un facteur de risque d’effet potentiellement faible. Or, nous ne sommes pas dans une situation où nous pouvons conclure… d’autant que les tests, normés, n’évoluent pas alors que les cohortes, elles, évoluent », estime le professeur Bruno Falissard, directeur du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations de l’Inserm.

Les écrans sont-ils en cause, ou leur usage actuel ?

Contacté par Les Décodeurs, Michel Desmurget tient à préciser que ce ne sont pas les écrans eux-mêmes qui sont en cause, mais leur usage.

Force est de constater que l’usage récréatif qui en est fait aujourd’hui par les jeunes est débilitant. La question n’est pas de les supprimer – professionnellement je les utilise moi-même largement – mais de limiter drastiquement ces consommations débilitantes.

Michel Desmurget

De son côté, M. Falissard craint que les écrans ne soient surtout un révélateur d’inégalités préexistantes entre les enfants de différents milieux socioculturels. « L’interaction est primordiale pour le développement de l’enfant, juge le pédopsychiatre et biostatisticien. La tablette ne doit pas être une solution pour que les parents puissent se détendre sans s’occuper de leur progéniture. L’ennui peut être fécond mais pas la sous-stimulation. »

« Les jeunes issus de milieux socio-économiques défavorisés bénéficient de moins de curiosité et de moins d’accompagnement de leurs parents, et leur utilisation des outils numériques s’en ressent », souligne aussi le rapport des trois Académies de médecine, des sciences et des technologies. D’où la nécessité, lorsqu’il s’agit d’édicter des recommandations par rapport à l’exposition aux écrans, de distinguer les activités (programmes conçus pour les enfants ou pas, éducatifs ou récréatifs, etc.), le temps passé et le contexte (enfants seuls ou accompagnés).

Séverine Erhel, maître de conférences en psychologie cognitive et ergonomie à l’université Rennes-II, recommande aussi « de former les parents et les enseignants au numérique pour qu’ils soient vigilants sur les collectes de données, sur les mécanismes de captation de l’attention… L’idée est de transmettre une vraie culture du numérique aux enfants. » Une idée que soutient le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (Clemi), qui a édité un guide à cet effet : pas d’écrans avant 3 ans, limités et accompagnés à partir de cet âge. Une recommandation désormais inscrite sur le carnet de santé de l’enfant.” [d’après LEMONDE.FR]


“La consommation du numérique sous toutes ses formes – smartphones, tablettes, télévision, etc. – par les nouvelles générations est astronomique. Dès 2 ans, les enfants des pays occidentaux cumulent chaque jour presque 3 heures d’écran. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de 4 h 45. Entre 13 et 18 ans, ils frôlent les 6 h 45. En cumuls annuels, ces usages représentent autour de 1.000 heures pour un élève de maternelle (soit davantage que le volume horaire d’une année scolaire), 1.700 heures pour un écolier de cours moyen (2 années scolaires) et 2.400 heures pour un lycéen du secondaire (2,5 années scolaires).

EAN 9782021423310

Contrairement à certaines idées reçues, cette profusion d’écrans est loin d’améliorer les aptitudes de nos enfants. Bien au contraire, elle a de lourdes conséquences : sur la santé (obésité, développement cardio-vasculaire, espérance de vie réduite…), sur le comportement (agressivité, dépression, conduites à risques…) et sur les capacités intellectuelles (langage, concentration, mémorisation…). Autant d’atteintes qui affectent fortement la réussite scolaire des jeunes.

Ce que nous faisons subir à nos enfants est inexcusable. Jamais sans doute, dans l’histoire de l’humanité, une telle expérience de décérébration n’avait été conduite à aussi grande échelle

Michel Desmurget

Ce livre, première synthèse des études scientifiques internationales sur les effets réels des écrans, est celui d’un homme en colère. La conclusion est sans appel : attention écrans, poisons lents !” [SEUIL.COM]


Plus de dispositifs à maîtiser ?

DE SOUZENELLE : L’écologie extérieure est inséparable de l’écologie intérieure

Temps de lecture : 9 minutes >
Annick de Souzenelle en 2019 © reporterre.net

La crise écologique est intrinsèquement liée à la transgression des lois ontologiques“, assure la théologienne Annick de Souzenelle. “Sans travail spirituel, pour retrouver et harmoniser racines terrestres et racines célestes de l’humain, il serait impossible de la stopper.

“Vous étudiez la Bible depuis plus de cinquante ans. Quel est le sens de ce travail ?

Annick de Souzenelle — Ce qui résume tout, c’est que j’ai un jour mis le nez dans la Bible hébraïque, et j’y ai lu toute autre chose que ce que disaient les traductions habituelles. Elles sont très culpabilisantes et je sentais que ce n’était pas juste. J’ai été émerveillée par la Bible hébraïque : je me suis consacrée à écrire ce que je découvrais — des découvertes qui libèrent du poids de la culpabilisation qui a abîmé tant de générations… À partir de là, j’ai réécrit une traduction des premiers chapitres de la Bible [la Genèse], de l’histoire de l’Adam que nous sommes, Adam représentant non pas l’homme par rapport à la femme, mais l’être humain, et de l’arbre de la connaissance du bien et du mal.

Un voile est en train de se lever sur les écritures, et cela se passe aussi avec le sanskrit, le chinois, d’autres personnes y travaillent… Il se passe quelque chose à l’heure actuelle, il faut aller plus loin dans la compréhension de l’humain, de l’Adam…

Les traductions les plus courantes de la Genèse décrivent la domination de la Terre et des espèces animales par l’Homme, et une supériorité de l’homme sur la femme… Avec votre exégèse, que peut-on entendre ?

À partir du déchiffrement symbolique de l’hébreu, on peut entendre ceci : lorsque l’Adam [l’être humain] est créé, il est différencié de son intériorité, que nous appelons aujourd’hui l’inconscient, et cet inconscient est appelé Ishah, en hébreu. Nous avons fait de Ishah la femme biologique d’Adam, qui, lui, serait l’homme biologique. Dans ma lecture, il s’agit du « féminin intérieur » à tout être humain, qui n’a rien à voir avec la femme biologique. Il s’agit de l’être humain qui découvre l’autre côté [et non la côte] de lui-même, sa part inconsciente, qui est un potentiel infini d’énergies appelées « énergies animales ». Elles sont en chacun de nous. On en retrouve le symbole au Moyen-Âge, dans les représentations sculpturales : le lion de la vanité, de l’autoritarisme, la vipère de la médisance, toutes ces caractéristiques animales extrêmement intéressantes qui renvoient à des parties de nous, que nous avons à transformer. La Bible ne parle pas du tout des animaux extérieurs, biologiques, que nous avons à aimer, à protéger. Elle parle de cette richesse d’énergie fantastique à l’intérieur de l’Homme qui, lorsqu’elle n’est pas travaillée, est plus forte que lui, et lui fait faire toutes les bêtises possibles. Ce n’est alors plus lui qui décide, qui « gouverne » en lui-même.

Il est extrêmement important de bien comprendre que cet Adam que nous sommes a en lui un potentiel qui est appelé « féminin » — que l’on va retrouver dans le mythe de la boîte de Pandore chez les Grecs et dans d’autres cultures — et que ce potentiel est d’une très grande richesse à condition que nous le connaissions, que ce ne soit plus lui qui soit le maître, mais que chaque animal soit nommé et transformé.

Dans la Bible, tous les éléments, les règnes végétaux et minéraux sont très présents. Quelle est dans votre lecture la relation entre l’Homme et le cosmos ? Est-ce que cela décrit aussi le « cosmos intérieur » de l’Homme ?

L’extérieur est aussi l’expression de ce qui est à l’intérieur de l’Homme. Le monde animal, le monde végétal et le monde minéral sont trois étapes des mondes angéliques qui sont à l’extérieur comme à l’intérieur de nous. L’intérieur et l’extérieur sont les deux pôles d’une même réalité. Il y a dans la Bible un très beau mythe où Jacob, en songe, a la vision d’une échelle sur laquelle les anges montent et descendent. L’échelle est véritablement le parcours que nous avons à faire dans notre vie présente, de ce que nous sommes au départ vers ce que nous devrions devenir. Nous avons à traverser les mondes angéliques, c’est-à-dire à les intégrer. Mais tout d’abord, à nous verticaliser.

Ce chemin « vertical », qu’implique-t-il dans notre rapport au monde ?

C’est tout simple : cultiver ce cosmos extérieur. Ce que nous faisons à l’extérieur a sa répercussion à l’intérieur, et vice versa, donc il est extrêmement important de cultiver ensemble le monde animal extérieur et le monde animal intérieur, et de la même manière en ce qui concerne les mondes végétaux et minéraux.

C’est-à-dire d’en prendre soin, de les faire grandir, de les enrichir ?

Oui, nous en sommes totalement responsables. La façon dont nous traitons ce monde à l’intérieur de nous va se répercuter à l’extérieur. Or, à l’intérieur de nous, nous sommes en train de tout fausser, nous n’obéissons plus aux lois qui fondent la Création. Je ne parle pas des lois morales, civiques, religieuses. Je parle des lois qui fondent le monde, que je compare au mur de soutènement d’une maison. On peut abattre toutes les cloisons d’une maison, mais pas le mur de soutènement. À l’heure actuelle, c’est ce que nous faisons. Nous transgressons les lois ontologiques [du grec ontos = être]. Elles aussi sont dites dans la Bible et on n’a pas su les lire. Nous détruisons ce monde à l’intérieur de nous comme nous sommes en train de détruire la planète. Il est difficile d’entrer dans le détail de ces lois ici, mais j’ai essayé d’exprimer cette idée dans mon livre L’Égypte intérieure ou les dix plaies de l’âme. Avant que les Hébreux quittent leur esclavage en Égypte pour partir à la recherche de la Terre promise, une série de plaies s’est abattue sur l’Égypte. Chacune de ces plaies renvoie à une loi ontologique transgressée.

Les plaies d’Égypte font penser aux catastrophes naturelles que l’on vit aujourd’hui !

Oui, à l’heure actuelle, la Terre tremble. Cela fait quelques années que les choses tremblent de partout. Nous sommes dans les plaies d’Égypte. Nous allons faire une très belle Pâque [la fête, dans la liturgie juive, commémorant la sortie d’Égypte], une mutation importante va se jouer. Mais, actuellement, nous sommes dans les plaies d’Égypte, et on ne sait pas les lire. Nous vivons une période de chaos, prénatal, je l’espère.

Est-ce dû au fait que l’Homme ne fait plus le travail intérieur ?

Oui, exactement. Mais depuis quelque temps, ce n’est pas seulement qu’il ne fait pas le travail intérieur. C’est qu’il fait un travail contraire aux lois de la Création. On est dans le contraire de ces lois ontologiques, alors le monde tremble.

Vous-mêmes, dans votre vie, avez-vous vu les choses s’empirer ?

J’ai pratiquement parcouru le siècle ! Je me souviens très bien du monde de mon enfance, des années 1920. C’était un monde figé, totalement incarcéré dans un moralisme religieux bête et insupportable. Il n’était pas question d’en sortir, et ceux qui le faisaient étaient mis au ban de la société. Je me suis très vite sentie marginalisée. Puis la guerre est venue casser tout ça. Tout a changé après la guerre. Les jeunes des années 1960 ont envoyé promener la société d’avant, avec le fameux « Il est interdit d’interdire » qui résume tout, seulement ça allait trop loin. Le « sans limite » est aussi destructeur que les limites trop étroites.

La crise écologique est beaucoup reliée à l’absence de limite au niveau de la production, de la consommation, de l’utilisation de nos ressources. Comment cela s’est-il développé après la guerre ?

L’humanité inconsciente est dans le réactionnel. Elle était complètement brimée d’un côté. En s’échappant de cette contention, elle a explosé. Elle ne sait pas trouver la juste attitude. On va à l’extrême, parce qu’on ignore les lois qui structurent. Nous avons l’habitude d’associer le mot « loi  » à l’idée de contrainte, mais les lois ontologiques, au contraire, libèrent.

Les bouleversements environnementaux n’existaient pas durant votre enfance ?

On n’en parlait pas. Chacun avait son lopin de terre. Dans les années 1970, 1980, on a commencé à en parler. Au moment même où j’ai commencé mon travail intense.

Quel est selon vous le cœur de la problématique écologique ?

Une perte totale du monde céleste, du monde divin. L’Homme est comme un arbre. Il prend ses racines dans la terre, et ses racines dans l’air, la lumière. Il a des racines terrestres et des racines célestes. L’Homme ne peut pas faire l’économie de ces deux pôles. Jusqu’à récemment, il a vécu ses racines terrestres dans des catégories de force, car il ne connaissait que la « lutte contre » quelque ennemi que ce soit (intempéries, animaux, autres humains…). Il ne sait que « lutter contre » car il est dans une logique binaire. À partir de la fin de la dernière guerre, à partir des années 1950 et 1960 en particulier, il y a eu un renversement de la vapeur. On a envoyé promener le monde religieux, qui n’apportait que des obligations, des « tu dois », des menaces de punition de la part du ciel, c’était un Dieu insupportable. Nietzsche a parlé de la mort de Dieu. Merci, que ce dieu-là meure ! Mais on n’a pas été plus loin dans la recherche. Aujourd’hui, ce qu’il se passe, c’est qu’il y a un mouvement fondamental, une lame de fond qui est en train de saisir l’humanité, le cosmos tout entier, pour que l’humanité se retourne, dans une mutation qui va avoir lieu, qui ne peut plus ne pas avoir lieu, pour qu’elle retrouve ses vraies racines divines, qui sont là.

Comme si la crise avait un sens au niveau du chemin de l’Homme ?

C’est LE sens de l’Homme. Toute l’écologie est très importante, mais elle ne peut se faire que s’il y a une écologie intérieure de l’Homme. C’est le passage de l’Homme animal à l’Homme qui se retourne vers ses racines divines. Cela ne veut pas dire que ses racines terrestres disparaissent, mais qu’il retrouve ses racines célestes.

Ne peut-il pas y avoir une écologie sans spiritualité ?

Il s’agit désormais de « lutter avec ». Je suis très respectueuse des actions qui sont faites dans le sens de l’équilibre écologique, et je pense qu’il faut les faire mais c’est une goutte d’eau dans une mer immense. Un raz-de-marée va se produire, des eaux d’en haut [le monde divin] peut-être, ou des eaux d’en bas, peut-être les deux en même temps !

Je respecte beaucoup les efforts actuellement déployés, mais ils sont très minimes par rapport à ce qui se joue. S’il n’y a pas en même temps que cette lame de fond un travail spirituel, cela ne suffira pas. J’espère que ce n’est pas trop difficile à entendre quand je parle ainsi, mais il me faut le dire. On ne peut pas séparer l’intérieur de l’extérieur.

Comment voir le corps dans cette perspective ?

Le corps de l’Homme est inséparable du corps du cosmos. Ce sont les deux pôles d’une même réalité. Nous ne connaissons de notre corps que ce qui est étudié en médecine, en faculté. Mais notre corps physique n’est que l’expression qu’un corps divin, profond, ontologique, et c’est celui-ci qui est malade. Lorsque l’on veut traiter un malade, la médecine officielle ne traite que l’extérieur, le côté concret. Elle est en train en ce moment d’éradiquer l’homéopathie, qui travaille au contraire sur la cause profonde, car quand un organe est malade, c’est qu’il y a un court-circuit dans la cause profonde, dans l’organe ontologique de l’Homme, dont l’organe que nous connaissons n’est que l’expression. Si l’on ne va pas toucher à ce très subtil, il n’est pas suffisant de travailler sur la seule dimension extérieure.

Il arrive que des personnes racontent leur traversée de la maladie comme une initiation. Toute épreuve peut être la source d’une évolution énorme. L’épreuve n’est pas la même chose que la souffrance.

Cela peut-il qualifier ce que la Terre vit actuellement ?

Nous l’avons rendue malade, oui. Nous avons détourné les cours d’eau, trafiqué des éléments naturels. On trafique la Terre comme si elle était une chose. On n’a plus aucune conscience qu’elle est ce corps divin de l’Homme. Le traitement qu’on fait aux arbres, à toute la culture, est diabolique dans le sens que cela « sépare ».

La surconsommation matérielle, le capitalisme, sont-ils l’expression d’une conscience qui s’est « séparée » ?

Tout à fait. Toute idéologie qui n’est pas reliée au verbe fondateur devient la peste. C’est la cinquième plaie d’Égypte. Toutes nos idéologies politiques, philosophiques, financières ne réfèrent absolument pas au verbe divin, si bien qu’elles sont vouées à l’échec. Soljenitsyne l’avait bien vu, en disant qu’il quittait une folie (l’URSS) pour en trouver une autre aux États-Unis. Tout cela doit disparaître. Tous nos politiciens sont perdus à l’heure actuelle, qu’ils soient de droite, de gauche, du milieu, de tout ce que l’on veut… Ils mettent une rustine ici, une rustine là, ils ne peuvent pas résoudre les problèmes. Parce que l’Homme a déclenché des problèmes qui ne seront solubles que par un retournement radical de son être vers les valeurs divines.

Les religions elles-mêmes, telles qu’elles sont aujourd’hui, sont vouées à une profonde mutation. Ce qui va émerger de tout cela est une conscience totalement nouvelle, d’un divin qui sera intimement lié à l’humain, qui ne viendra pas d’une volonté d’ailleurs, mais d’une présence intérieure.

Puisque selon vous le cosmos extérieur représente le cosmos intérieur, l’endroit du chemin écologique peut-il devenir un chemin spirituel ?

On ne peut pas entrer dans l’intelligence du cosmos extérieur sans entrer dans l’intelligence du cosmos intérieur. Ce n’est non plus la seule voie. Je peux aussi dire le contraire : ça peut être quelqu’un qui découvre son cosmos intérieur, et par conséquent qui va se consacrer au cosmos extérieur. On ne peut pas vivre quelque chose d’intense intérieurement sans se trouver relié au monde extérieur… Quand je suis dans mon jardin, je vois les arbres, les plantes, les oiseaux, comme des anges, qui sont là, vivants, qui respirent avec moi, qui m’appellent… Combien de fois le chant des oiseaux est mon chant…

Des personnes qui se disent athées mais qui sont très reliées au monde, sont-elles aussi sur un chemin spirituel ?

Oui, nombreux sont ceux qui se disent athées parce qu’ils rejettent le dieu des églises… mais ressentent cette unité avec la nature. Le grand sujet aujourd’hui est de sortir de l’esclavage au collectif très inconscient, pour entrer, chacun et chacune, dans sa personne, dans l’expérience personnelle. On est à cet endroit de chavirement total de l’humanité.

Nous vivons une très grande épreuve, la peur règne, mais cela peut être, pour ceux qui le comprennent, un chemin initiatique magnifique.

Nous sommes dans un moment unique de l’humanité, extrêmement important, le passage de l’Homme animal à l’Homme qui se souvient de ses racines divines. Il y a un grand espoir.

L’espoir, donc, ne se situe pas seulement dans l’espoir que la crise s’arrête, mais dans l’espoir que l’Homme change à travers cette crise ?

Exactement. C’est une mutation de l’humanité. Aujourd’hui on a terriblement peur de la mort, on veut reculer la mort. Or, il faut accepter la mort, elle est une mutation. J’ai une grande confiance. C’est impressionnant, mais on n’a pas à avoir peur. La peur est un animal qui nous dévore. De cette énergie animale, nous avons à faire de l’amour.”

Lire l’article original de Juliette KEMPF sur REPORTERRE.NET (article du 26 juillet 2019)


Après des études de mathématiques, Annick de SOUZENELLE, née en 1922, a été infirmière anesthésiste, puis psychothérapeute. Elle s’est convertie au christianisme orthodoxe et a étudié la théologie et l’hébreu. Elle poursuit depuis une trentaine d’années un chemin spirituel d’essence judéo-chrétienne, ouvert aux autres traditions. Elle a créé en 2016 l’association Arigah pour assurer la transmission de son travail et animer l’Institut d’anthropologie spirituelle.

 


Plus de symboles…

Quelques vidéos fascinantes d’artistes à l’œuvre…

Temps de lecture : 3 minutes >
Picasso et Clouzot sur le tournage du “Mystère Picasso” (1955-6)

Il y avait déjà le fascinant “Mystère Picasso” d’Henri-Georges CLOUZOT : “Au printemps 1955, Picasso appelle Clouzot pour lui parler de stylos feutres fabriqués aux États-Unis et qu’il vient de recevoir. Ces stylos ont la particularité d’avoir une encre capable de transpercer tout un bloc de pages, et a fortiori une toile. Le déclic s’opère, le procédé est trouvé : filmer la toile à l’envers et ainsi “assister à l’œuvre de création”. Ainsi Clouzot filme Picasso en train de peindre sans qu’on ne puisse le voir derrière la toile. Une sorte de Work in progress inédit.” [FRANCETVINFO.FR]

Le Mystère Picasso ne se borne pas à être un long métrage, là où l’on n’osait pas s’aventurer au-delà de 50 minutes, c’est l’unique développement de quelques-unes de ces minutes par élimination de tout élément biographique descriptif et didactique. Ainsi, Clouzot a rejeté l’atout que tout le monde aurait gardé : la variété. C’est qu’à ses yeux seule la création constituait l’élément spectaculaire authentique, c’est-à-dire cinématographique.

André BAZIN

Hypnotique Gerhard Richter

“Une image vaut 1 000 mots… Surtout lorsque l’image montre Gerhard RICHTER à l’œuvre dans son atelier ! L’artiste allemand, connu pour ses œuvres hyperréalistes, s’attèle ici à une imposante composition abstraite. Sur la toile, aidé d’un racloir, il étale la couleur et lisse la matière, inlassablement. Filmé simplement en plan fixe, le peintre semble même ne pas remarquer la présence de la caméra ! Une expérience hautement méditative et presque hypnotique, rythmée par les amples gestes de l’artiste concentré et imperturbable.

Paul McCarthy, un clown-artiste

Perruque blonde vissée sur la tête, faux nez, gants de Mickey et pinceau démesuré… Difficile de reconnaître ici le facétieux Paul McCARTHY qui singe, pendant près d’une heure, toute une galerie de personnages archétypaux du monde de l’art ! Une performance hilarante, dans laquelle il endosse tantôt le rôle de l’artiste fauché, qui réclame désespérément de l’argent à son galeriste, ou encore celui du peintre qui, transcendé par son œuvre, invoque l’esprit de Willem de Kooning et de Vincent Van Gogh. Il n’épargne rien ni personne, pas même ses contemporains, à l’image de Marina Abramović dont il parodie la célèbre performance Rhythm 10 (1973). Irrésistible et jubilatoire !

Louise Bourgeois confidentielle

Brooklyn, 1993. Louise BOURGEOIS représente les États-Unis à la biennale de Venise et ouvre les portes de son atelier à Bernard Marcadé, avant que ses œuvres  (des « cellules ») ne rejoignent la Sérénissime. « La vie m’a placée dans un rôle de professeur », lui explique-t-elle, et quelle professeure ! Pendant près d’une heure, on boit les paroles de l’artiste qui évoque tour à tour ses œuvres, sa vie, ses petits enfants… « Le changement n’existe pas. La chose est immuable », nous dit Bourgeois. Hautement inspirant !

Jackson Pollock repeint le ciel

Une large toile étalée au sol, des pinceaux (optionnels), et bien sûr des pots de peinture : la leçon peut commencer ! Dans le jardin de sa résidence à Long Island, Jackson POLLOCK, alors âgé de 39 ans, est filmé par la caméra du photographe allemand Hans Namuth. Clope au bec, l’inventeur du dripping jette la peinture sur la toile, expliquant en voix-off : « Je préfère exprimer mes sentiment que de les représenter ». Un autre plan, quelques minutes plus tard, le montre peignant une vitre transparente en contre-plongée. Et c’est comme si le ciel se parait de ses couleurs !

Arman fait les poubelles

La rue est un atelier à ciel ouvert pour ARMAN. Et pour cause, l’artiste roi de l’accumulation trouve la matière première de son art… dans les poubelles ! De la paille, de vieux journaux… Dans ces images de 1961, Arman glane dans le quartier des Halles à Paris toutes sortes de déchets. « Les moyens traditionnels sont sclérosés », affirme cet ancien étudiant des Beaux-Arts au parcours exemplaire, qui appréhende les objets comme des « faits sociologiques, des faits réels », témoins d’une société et de son époque.

Face-à-face avec César

Connu surtout pour ses fameuses compressions, CESAR a, à la fin de sa carrière, réalisé de troublants visages en PVC, comme figés dans une sorte de coulée de lave plastique, une matière que l’artiste brosse, ponce, gratte dans son atelier avec son assistant. Ce plastique, qui fascine tant le nouveau réaliste, lui permet de détruire, remettre en question le portrait – y compris le sien, qu’il réalise à l’aide… de pain ! « Il suffit que je me trouve en présence d’un matériau pour que je le palpe, que je le renifle » explique César, qui qualifie sa pratique de jeu. Le plastique, comme l’organique, c’est fantastique !”

Lire l’article original -avec pubs- d’Inès BOITTIAUX sur BEAUXARTS.COM (9 mai 2020)


Plus de beaux-arts…

TEICHER, Yves (1962-2022)

Temps de lecture : 7 minutes >

Yves TEICHER est né à Liège, le 21 mars 1962. Il débute ses études musicales à l’âge de 7 ans au Conservatoire Royal de Liège. En 1976, il obtient un premier prix de solfège. En 1978-79, un premier prix de violon. Il poursuit par le diplôme supérieur et obtient un premier prix de musique de chambre en 1981. De 1981 à 1983, il suit les cours privés d’Ivry Gitlis.

Après une période de remise en question, de retraite et de réflexion sur la pédagogie violonistique, de lecture des œuvres de Nietzsche, Rimbaud…, il rejoint le monde et la musique de la rue à Bruxelles, Paris et dans le sud de la France. Il rencontre Chorda Trio, retrouve à travers eux l’amour et l’ambiance du jazz de Django Reinhardt et Stéphane Grappelli et ses souvenirs d’enfance quand il jouait dès l’âge de 9 ans, un peu partout en Province de Liège, avec son frère, le guitariste Stéphane Martini

La folie douce de la musique tsigane, la virtuosité ébouriffante du soliste classique, l’imagination débordante du jazzman, l’expérience de la route et du voyage, une passion immodérée pour toutes les musiques et un cœur gros comme ça ! Yves Teicher, c’est tout cela à la fois et bien plus encore : une invitation à naviguer par-delà les étiquettes et à balayer, d’un coup d’archet, les frontières absurdes qui réduisent notre plaisir à une mosaïque schizoïde.

J.P. Schroeder (2002)


avec Ivry Gitlis…

[MEDIAPART.FR, 9 novembre 2012] Que dire d’autre que ce que raconte si bien Jean-Claude LEROY, dans son article (ici, sans pub) : Yves Teicher, violoniste mongol, ou l’art de rendre heureux” (avec extraits musicaux en ligne) ?

 

Si je devais définir le Style, je dirais que c’est une manière d’être insaisissable, et que c’en est aussi une d’être présent au monde. Le Style me déporte vers une sorte d’inhumanité qui peut m’irradier, en même temps qu’il m’installe dans une humanité dont il a besoin, ne serait-ce que parce qu’il ne se forge jamais mieux contre elle qu’en elle. Le Style est ce comportement humain qui transfigure l’horreur ensevelie en valeur de contemplation. Tout Style est Style d’alchimie.

Marcel Moreau, La Pensée mongole (1972)

“Un soir, selon son rêve de Mongolie et d’oubli de soi, Yves Teicher a composé une mélodie mongole. D’où mon idée facile de rendre mongol le temps d’un titre ce baladin sans frontières ayant grandi à Liège dans l’aura d’un père professeur de français d’origine roumaine, épris de musique romantique, de pataphysique et de révolution, près d’une mère d’origine italienne amie des peintres, poètes, musiciens, autant de bohèmes talentueux parmi lesquels Bobby Jaspar et René Thomas, deux grands noms de l’histoire du jazz européen. Élève violoniste docile évoluant sous le joug d’une diablerie fantasque retenue, il se réveille adolescent révolté, rencontre Ivry Gitlis dont il suit les cours, travaille solitairement, nourri d’une sauvage volonté de trouver la voie. Une voie d’essence poétique, Rimbaud étant son maître autant que Parker, qu’il trouvera peu à peu, au débouché d’une virtuosité délivrée par le sentiment.
En 1986, il rencontre des musiciens adeptes du swing et du répertoire manouche, le groupe Chorda-Trio, fait route avec eux et enflamme bientôt les salles de concert de l’ouest de la France et d’ailleurs. Sa fougue, son feeling inné font mouche. Le public est embarqué à chaque fois, notamment par les musiques de Django Reinhardt redevenues depuis à la mode et par les longues improvisations du soliste fou, lançant son violon dans des délires joyeusement acrobatique.

En 1993, Bruno Montsaingon l’entend et aussitôt l’engage, sous la direction du chef d’orchestre Gennady Rozhdestvensky, il sera soliste à l’occasion de la création mondiale de la première symphonie de Schnittke, à Rotterdam, événement retransmis à la TV nationale hollandaise.

Bientôt il fera équipe avec le contrebassiste américain Bob Drewly, un transfuge du hard rock californien passé par le free-jazz, qui a accompagné dans sa jeunesse le poète beat Bob Kaufman, a travaillé aussi bien avec Pierre Boulez qu’avec Mal Waldron ou Sony Murray. À eux deux ils inscriront quelques bien belles pages d’improvisations sans calcul et sans trop de traces, juste pour la magie de l’instant volé à la monotonie. Ayant assisté, médusé, à leur concert, lors du festival de Liège de 1994, un critique des plus blasés, Guy Thys, « surpris d’être tant surpris. Surpris, enfin surpris… » signera un éloge dithyrambique de ces énergumènes innocents dans le magazine Jazz in time. Quelques enregistrements, pour la plupart disparus, témoigneraient de ce duo miracle. Ce serait toujours ça ! Car pour ce qui est de gagner sa vie c’est une autre histoire. À un nomadisme formidable Yves Teicher oppose un réalisme par trop aléatoire. Tout avance cahin-caha au gré du pittoresque et du tempérament. Pas de stratégie, de relations intéressées, mais des rencontres intempestives, parfois étonnantes, souvent riches d’humanité, davantage en tout cas que d’espèces sonnantes et trébuchantes.

Yves Teicher, c’est aussi une voix, une gueule, un corps, et il interprète avec beaucoup d’expression des textes de Rimbaud dans des spectacles composites où se mêlent théâtre et musique. Le producteur de cinéma Alexandre Salkind assiste à un de ces spectacles, s’emballe pour les talents d’acteur du musicien, veut le faire tourner dans un rôle de violoniste et le reçoit à plusieurs reprises sur son yacht basé dans le port de Cannes. Cependant, suite au Christophe Colomb qu’il a produit, emberlificoté dans un procès avec Marlon Brando et Ridley Scott, il sombre dans une dépression où s’enfouissent tous ses projets. L’artiste liégeois en fera les frais.

L’épisode Schnittke et l’épisode Salkind marqueront la fin de possibles illusions. Il est sûr désormais que l’art et la carrière sont deux bêtes fort distinctes qui ne concourent pas toujours de front. Outre des rendez-vous prestigieux mais sans lendemain, Yves Teicher joue volontiers dans la rue, déroulant des sonates de Bach, des airs de Dutilleux ou de Sibelius et, ma foi, la caisse du violon posé à côté se remplit gentiment.

Le poète André Laude se prend d’amitié pour lui, Yves participe à des soirées parisiennes où Laude dit ses textes avec gravité. Quand le poète meurt, en 1995, Yves joue à son enterrement en compagnie de Steve Lacy. Steve Lacy, amateur de poésie, lui aussi, et avec qui Yves Teicher entretiendra de bons rapports, « le seul musicien de ce niveau avec qui cela a été possible. »

Alors qu’il fait à nouveau la manche place des Vosges, à Paris, le producteur Marc Krafchik tombe en arrêt devant lui. Il l’engage bientôt. Un disque grand public chez RCA-BMG est enregistré, comprenant des compositions et des reprises de standards de variété. La presse et les radios réagissent favorablement, toutefois un spectacle de lancement complètement loupé condamne le disque et la tournée en vue. Yves Teicher expérimente ainsi les fausses bonnes idées racoleuses d’un agent mal ajusté. Un gâchis.

En 1996, au Festival de Montreux, il joue en solo en première partie du concert Martial Solal-Didier Lockwood. Mille personnes dans la salle, enthousiastes. Solal et Lockwood n’ont pas un mot d’appréciation, sauf quand Solal voit de près l’instrument rudimentaire sur lequel Yves vient de jouer, et comment il est sonorisé, avec un simple micro-cravate. Interloqué, il demande : « C’est avec ça que vous obtenez un tel son ! » Lockwood, toujours équipé d’un attirail complexe, reste d’autant plus froid à l’égard de son collègue violoniste…

Du producteur Krafchik, notre facétieux violoniste avait obtenu en échange d’un disque commercial un autre enregistrement, plus personnel. C’est ainsi qu’avec le batteur Olivier Robin et le bassiste Sal la Roca, il enregistre un disque consacré à Charlie Parker, le maître de toujours. Douze plages aussi peu aguicheuses que possible, d’un son de cordes raclées à outrance, comme arraché à la gorge. Un manifeste musical à la fois austère et jubilatoire, où il semble revenir à une ère d’avant les studios high-tech et la pommade à oreille, à un temps de jazz spontané sorti du cru de l’âme. Ce joyau attendra de longues années avant d’être édité par Intégral Jazz France, mais il sortira enfin en 2005. Je gage que des mélomanes des temps futurs l’écouteront comme on écoute aujourd’hui les Suites pour violon de Jean-Sébastien Bach, avec le même sentiment de vie déclinée en ressource infinie.

Entre des enregistrements solo restés inédits où il donne sa musique la plus personnelle, et des concerts donnés avec son frère, le guitariste Stéphane Martini, spécialiste des musiques latines et afro-cubaines, Yves prépare un spectacle consacré à un autre de ses maîtres : Charles Trenet. Accompagné du pianiste Léon Humblet, il chante et joue avec force des airs peu connus du fou chantant, dispensant à nouveau joie et frissons. Il y a quelques mois il était l’invité surprise d’un festival Georges Brassens, à Vaison-la-Romaine, où il a quelque peu subjugué le public. Un des organisateurs publiera peu après un témoignage bouleversé de cette soirée unique.

J’en témoigne ici. J’ai vu maintes fois Yves Teicher sur scène, dans les cadres les plus divers, parfois fatigué ou malheureux mais toujours généreux à l’extrême et donnant à son public ce quelque chose qui s’appelle le bonheur.

Il n’y peut rien de tant pouvoir ainsi conférer à son art une telle violence émotionnelle, c’est son style, il se donne et aime donner, à se tordre de bonheur gagné sur les souffrances et le prix qu’il a fallu payer. Ce n’est pas un hasard si, en décembre 2011, alors qu’il jouait aux côtés de Biréli Lagrène, le public de Moscou lui a réservé un accueil si fraternel. Il a sûrement perçu en lui un cœur pur travaillé par de complexes interrogations, et la grande littérature russe, justement, nous a offert de tels personnages, mais Yves Teicher est parmi nous, fort de sa Mongolie intérieure, grande ouverte sur le monde profus et la solitude exaltée. Alors, rendons-lui l’hommage qu’on doit aux grands vivants, et disons-lui merci.”


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources  : mediapart.fr | mode d’édition : partage et iconographie | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DR.


More Jazz…

MARLY : Le Chant des partisans (1941)

Temps de lecture : 3 minutes >
Maquisards bretons dans la région de Saint-Marcel © D.R.

Le mythe voulait que “le Chant des partisans” soit né dans les maquis. Mais la plus célèbre chanson française de la Seconde guerre a été composée à Londres par une Russe fière des exploits de partisans soviétiques […].

La guitare d’Anna MARLY, aristocrate née Anna Betoulinsky à Pétrograd (1917-2006) en pleine révolution d’Octobre et exilée en France peu après et le manuscrit original sont des pièces phares d’une exposition au Musée de l’Ordre de la Libération dédiée jusqu’au 5 janvier 2020 à la création de cet hymne de la Résistance.

Compositrice, guitariste, danseuse et chanteuse dans les cabarets parisiens, elle prend le nom de scène Marly. La guerre la contraint à un nouvel exil, en Angleterre, où elle tourne dans les cercles russophones résistants et s’engage comme cantinière dans les Forces françaises libres.

C’est en 1942 à Londres, après avoir lu le récit de la bataille de Smolensk qui a marqué l’arrêt de l’offensive allemande sur le front de l’Est en 1941, qu’elle écrit la musique et les paroles en russe de la “La Marche des partisans” qu’elle interprétera elle-même et qui deviendra “Le Chant des partisans“.

Marly, Kessel, Druon
© AFP

En 1943, Joseph Kessel (1898-1979), fils de Juifs de culture russe, aviateur et romancier et son neveu Maurice Druon (1918-2009) écrivent les paroles en français, poussés par le résistant Emmanuel d’Astier de la Vigerie (1900-1969). “Un peuple qui n’a pas de chanson est un peuple qui ne peut pas se battre“, disait Joseph Kessel qui a combattu pendant les deux guerres. Emmanuel d’Astier de la Vigerie qui avait pour sa part écrit les paroles pour une autre chanson d’Anna Marly, la “Complainte des partisans“, réinterprétée en 1969 en anglais par Leonard Cohen (1934-2016), voulait que les auteurs gardent l’anonymat. “Marly, Kessel, Druon qui ont écrit cela à Londres autour du thé et des sandwichs, cela n’apporterait pas beaucoup de crédibilité au chant des maquis. Il faut qu’on s’imagine qu’il surgit de la France occupée et appartient à tous les maquisards“, souligne Lionel Dardenne, commissaire de l’exposition. En 1945, les paroles sont imprimées avec leurs noms, mais cette ‘fausse image d’Épinal‘ persiste et les auteurs n’ont jamais été vraiment mis en avant, ajoute-t-il.

Adopté par les Viet Minh

Le Chant des partisans a rythmé les émissions de la France libre sur la BBC de Londres et le succès de ce chant de lutte et de résistance ne s’est jamais démenti. Depuis 1943, il a été repris, imité et réarrangé de nombreuses fois par Joséphine Baker, Yves Montand, les choeurs de l’Armée rouge, Johnny Hallyday, Claude Nougaro, Zebda, Camélia Jordana ou encore Noir Désir… Aujourd’hui le Chant des partisans est joué lors de cérémonies officielles “sans que les gens sachent d’où il vient“, souligne le commissaire. Accompagnant les cérémonies au Mont Valérien, haut lieu de la mémoire nationale ou en hommage des victimes du terrorisme, “il est chanté de façon presque funèbre alors qu’au contraire c’est un chant de marche et de mobilisation“, ajoute-t-il.

Ironiquement, le Chant des partisans a été adopté par le Viet Minh, l’armée pour l’indépendance du Viet Nam qui luttait contre la domination française.

Aujourd’hui, en France, ce sont les “gilets jaunes” qui se réapproprient le célèbre Chant avec des paroles transformées en “Macron entends-tu“. [lire l’article original -avec pubs- sur RTBF.BE (8 octobre 2019)]

Ami, entends-tu
Le vol noir des corbeaux
Sur nos plaines ?

Ami, entends-tu
Les cris sourds du pays
Qu’on enchaîne ?

Ohé, partisans,
Ouvriers et paysans,
C’est l’alarme !

Ce soir l’ennemi
Connaîtra le prix du sang
Et des larmes…

Montez de la mine,
Descendez des collines,
Camarades.

Sortez de la paille
Les fusils, la mitraille,
Les grenades.

Ohé ! les tueurs,
A la balle et au couteau,
Tuez vite !

Ohé ! Saboteur
Attention à ton fardeau,
Dynamite…

C’est nous qui brisons
Les barreaux des prisons
Pour nos frères.

La haine à nos trousses
Et la faim qui nous pousse,
La misère.

II y a des pays
Où les gens au creux des lits
Font des rêves.

Ici, nous, vois-tu,
Nous, on marche et nous, on tue,
Nous, on crève.

Ici, chacun sait
Ce qu’il veut, ce qu’il fait
Quand il passe.

Ami, si tu tombes,
Un ami sort de l’ombre
A ta place.

Demain du sang noir
Séchera au grand soleil
Sur les routes.

Chantez, compagnons,
Dans la nuit la liberté
Nous écoute…

Ami, entends-tu
Les cris sourds du pays
Qu’on enchaîne ?

Ami, entends-tu
Le vol noir du corbeau
Sur nos plaines ?


S’engager encore (il est grand temps)…

Hedy Lamarr (1914-2000) : inventrice et star…

Temps de lecture : 5 minutes >
© Tous droits réservés

Célèbre actrice hollywoodienne, Hedy LAMARR était reconnue pour sa beauté et ses talents de comédienne. Elle était surtout une scientifique de talent, inventrice d’un système secret de codage des transmissions, à l’origine du GPS et du WIFI.

N’importe quelle femme peut avoir l’air glamour. Il suffit de se tenir tranquille et d’avoir l’air idiote“, affirmait-elle, lassée de ce qu’elle appelait son masque, alors même qu’elle avait été élue “plus belle femme au monde“. Car Hedy LAMARR n’était pas qu’une star hollywoodienne louée pour sa beauté, elle a aussi était l’inventrice méconnue pendant la guerre, en 1941, d’un système de transmission secret pour guider les torpilles. Un système encore utilisé de nos jours pour le Wifi ou les GPS. Redécouvrez ce personnage à la vie romanesque […], alors que doit sortir prochainement un documentaire consacrée à sa vie, Bombshell : The Hedy Lamarr Story.

Le premier orgasme du cinéma

Depuis 2005, on célèbre les inventeurs en Autriche, Allemagne et Suisse le jour de son anniversaire : le 9 novembre. Née à Vienne en 1914, d’une mère roumaine et d’un père ukrainien, Hedwig Eva Maria Kiesler, qui deviendra Hedy Lamarr, se découvre une passion pour le cinéma en visionnant Metropolis de Fritz Lang. A 16 ans, elle se rend donc aux studios de Vienne, pour devenir actrice. Elle ne tarde pas à jouer pour le metteur en scène de théâtre Max Reinhardt, mais c’est en se rendant à Berlin, en 1931, que débute réellement sa carrière au cinéma. En 1933, alors âgée de 18 ans, la jeune femme joue dans Extase, de Gustav Machaty. Le film fait scandale, en raison de la nudité de l’actrice et de la première scène d’orgasme sur grand écran de l’histoire de cinéma.

Gustave Machaty avait trois ans plus tôt réalisé un film qui s’appelait Erotikon qui était à peu près de la même eau“, racontait le critique de cinéma Serge Bromberg en 2017, dans le documentaire Une Vie, une oeuvre consacré à Hedy Lamarr. “On ne peut pas imaginer qu’elle ait fait ce film par accident. Extase c’est L’Amant de Lady Chatterley. Quand on lui demande de tourner des séquences d’érotisme où elle mime l’orgasme etc., c’est quelqu’un qui est prêt à tout pour réussir dans la carrière.

Présenté à la Biennale de Venise, le film est condamné par le pape Pie XII, et Hedy Lamarr se voit affublée d’une sulfureuse réputation. Le film est projeté en février 1933 : en mars de la même année, Hedy Lamarr est devenue une vedette et obtient le rôle de Sissi sur scène.

Femme de marchand d’armes et superstar

Forte de ce succès, Hedy Lamarr épouse Friedrich Mandl, un des quatre plus grands marchands d’armes du monde, qui fournit notamment Mussolini. L’actrice devient, à en croire ses mémoires, une célébrité chez les mondains de Vienne, allant jusqu’à recevoir Hitler. Mais le rapprochement de Mandl avec les Nazis la pousse à prendre la fuite en 1937 : à l’en croire, son départ est rocambolesque, elle drogue une domestique et subtilise son uniforme pour s’enfuir, d’abord à Paris, Londres, et enfin la Californie.

L’actrice rejoint Hollywood, dont elle deviendra l’une des égéries : elle signe un contrat de 7 ans avec la M.G.M., durant lequel elle joue dans 15 longs-métrages. Elle donne la réplique à Clark Gable, Robert Young, Lana Turner ou encore Judy Garland. Au cours des années 40 et 50, Hedy Lamarr est l’incarnation de la star hollywoodienne venue d’Europe. Après un passage à vide, elle joue dans Samson et Dalila, de Cecil B. DeMille en 1949, son plus grand succès. L’actrice joue encore huit ans, avant de disparaître du grand écran en 1957 et de poursuivre quelques temps une vie mondaine.

En parallèle de sa vie d’actrice, Hedy Lamarr continue de donner corps à sa réputation sulfureuse, comme le précisait Xavier de La Porte dans La Vie numérique :

La liste des hommes avec lesquelles elle a eu des aventures est impressionnante. En sus de ses 6 mariages, je vous en donne une idée : Howard Hugues, John Kennedy, Robert Capa, Marlon Brando, Errol Flynn, Orson Welles, Charlie Chaplin, Billy Wilder, Otto Preminger, James Stewart, Spencer Tracy, peut-être Clark Gable (mais il nie) et…. Jean-Pierre Aumont. Elle avait d’ailleurs quelques théories sur la question amoureuse et on lui attribue cette phrase : “En dessous de 35 ans, un homme a trop à apprendre, et je n’ai pas le temps de lui faire la leçon“.

Des torpilles au WiFi

Dans Une Vie, une oeuvre, Vivianne Perret, écrivaine et historienne, expliquait comment une fois arrivée à New-York, Hedy Lamarr avait installé son propre atelier pour s’adonner à l’une de ses passions : l’invention.

Hedy Lamarr avait des occupations très diverses quand elle s’est retrouvée à Hollywood, elle jouait du piano, elle était très proche du dadaïsme, elle connaissait Man Ray… Dans tous les endroits où elle a vécu elle installait un atelier. Elle, sa détente c’était d’inventer. Elle inventait tout et n’importe quoi : un bouillon cube qui lorsqu’il se dissolvait devenait un soda, un collier fluorescent pour chien, un système pour aider les handicapés à sortir de leur bain… Elle était sans arrêt à l’affût d’informations, à les transformer en inventions.

A son arrivée aux Etats-Unis, elle rencontre le pianiste George Antheil. L’actrice a alors appris que les torpilles contrôlées par radio peuvent facilement être “piratées” et détournées par l’ennemi. Avec l’aide du musicien, et grâce aux connaissances sur l’armement qu’elle a acquises lors de son premier mariage, elle imagine une façon de créer un signal sûr, à l’aide d’un piano mécanique qu’elle synchronise avec les fréquences hertziennes. Les deux inventeurs déposent un brevet en août 1942, mais leur système n’est pas pris au sérieux par l’Etat Major. Il faut attendre la crise cubaine en 1962 pour qu’une version améliorée de leur technologie ne soit employée.

Le concept de ce principe de transmission, l’étalement de spectre par haute fréquence, est aujourd’hui encore utilisé pour le positionnement par satellite, la téléphonie mobile ou encore le WiFi. En parallèle de sa carrière d’actrice, Hedy Lamarr n’a jamais cessé d’inventer. Il faut pourtant attendre la levée du secret défense sur son invention la plus utile pour qu’elle bénéficie d’un peu de reconnaissance. En 1997, elle reçoit ainsi rétroactivement le prix de l’Electronic Frontier Foundation.

Entre-temps, l’ancienne actrice a sombré dans l’oubli, après avoir dilapidé sa fortune. Elle a été arrêtée à plusieurs reprises pour du vol à l’étalage. Elle meurt quasi-anonyme, le 19 janvier 2000, à l’âge de 85 ans. Depuis les années 60, elle avait son étoile sur le Walk of Fame d’Hollywood Boulevard, il faudra attendre 2014 pour qu’elle soit admise, à titre posthume, au National Inventors Hall of Fame.

Lire l’article original de Pierre Ropert (avec pubs) sur FRANCECULTURE.FR (article du 26 avril 2018)


Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par Alter-Egales (Fédération Wallonie Bruxelles) qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias. Un extrait de leurs publications sur RTBF.BE :

“Enfin lui rendre justice…

Il aura fallu attendre 2017 pour que toute l’histoire d’Hedy soit rendue publique. Heddy Lamarr from extase to wifi est un documentaire retraçant la vie de cette femme hors du commun. Ce documentaire d’Alexandra Dean rend hommage à la figure hollywoodienne et, mêlant extraits de ses films, images d’archives et témoignages (de ses enfants, d’amis et de proches, de journalistes etc.), met en lumière sa personnalité complexe et son esprit pionnier d’inventrice. Hedy aura même droit à un livre : Ectasy and me, sorti en avril 2018. La réalisatrice Susan Sarandon lui consacra aussi un film Bombshell, sorti l’an dernier, il est plutôt difficile à trouver.”


Plus de cinéma ?

FREUNDLICH, Otto : l’abstraction au service de la paix

Temps de lecture : 2 minutes >
FREUNDLICH Otto, La Rosace II (1941) © Musée de Pontoise

Il a côtoyé toutes les avant-gardes, de l’expressionnisme à Abstraction-Création en passant par Dada. Otto Freundlich mérite sa place de pionnier de l’abstraction, aux côtés de František Kupka, Vassily Kandinsky et Piet Mondrian. À proximité du Bateau-Lavoir où il a séjourné, le musée de Montmartre organise une grande rétrospective sur ce peintre mésestimé, humaniste voguant entre la France et l’Allemagne, déporté et assassiné au camp de Sobibor en 1943.

Allemand à Paris entre deux guerres mondiales, Otto FREUNDLICH (1878–1943) porte décidément bien son nom, celui-ci signifiant “amical”. Son destin s’écrit dans la tragédie du siècle, s’ouvrant dans la Pologne annexée à l’Empire allemand en 1878 pour s’achever dans l’horreur de l’Holocauste, soixante-cinq ans plus tard. D’origine juive, Freundlich est protestant par son éducation. Ses parents voulant d’abord en faire un dentiste, il ne s’affirme que tardivement comme artiste, à Munich en 1904. Dans la cité bavaroise où la vie artistique bouillonne d’expositions et de styles nouveaux, Freundlich fait la connaissance de Paul Klee et de Vassily Kandinsky, futures têtes pensantes de l’expressionnisme. Comme eux, il s’intéresse à la théorie des correspondances entre peinture et musique.

L’ambition de Freundlich ? Peindre le rythme ! D’abord au moyen de la figuration. Il arrive à Paris en 1908 et loue un atelier à Montmartre, au Bateau-Lavoir, où il se lie avec son voisin, un certain Pablo Picasso. Désirant composer ses propres Demoiselles d’Avignon”, Freundlich va passer trois années à épurer ses figures pour les fondre dans la masse : “Composition” (1911) marque un saut dans l’abstraction, parallèle à ceux de Kupka, Kandinsky et Robert Delaunay au même moment.

Dans cette évolution, le passage par le vitrail s’avère déterminant : Freundlich l’expérimente dans les ateliers de restauration de la cathédrale de Chartres en 1914, juste avant la guerre. “La décomposition est plus mystérieuse que la composition”, professe-t-il alors. Cet assemblage de pièces de verre, cette découpe à même la lumière lui inspirent un style pictural qu’on pourrait qualifier de patchwork. Freundlich décompose, donc, par des croquis méticuleux ne laissant pas de place à l’imprévu.

Otto Freundlich, Composition, 1938–1941 (vitrail) © Musée de Pontoise

En 1914, l’homme s’engage côté Allemand, mais déchante vite. L’horreur de la guerre imprime en lui un pacifisme intransigeant. Marqué par la Révolution russe de 1917 puis par le mouvement spartakiste de 1918–1919, Freundlich revendique son socialisme. À Berlin, il fréquente Raoul Hausmann, Hannah Höch et Otto Dix, entre autres membres du club Dada. En 1919, il manque d’intégrer le Bauhaus, fondé par Walter Gropius à Weimar. Freundlich ne dénonce pas la guerre aussi radicalement que les Dadaïstes, mais veut la conjurer par l’abstraction à même, pour citer l’ouvrage manifeste de Kandinsky, de réinstaurer du Spirituel dans l’art. [lire la suite sur BEAUXARTS.COM]


Plus d’art visuel…

Les ultracrépidariens : ceux qui donnent leur avis sans connaître le sujet…

Temps de lecture : 4 minutes >

“Les ultracrépidariens, loin d’être en voie d’extinction, sont de plus en plus nombreux chaque jour. Ce sont ces personnes qui donnent leur avis sur tout mais sans avoir de connaissances ou de compétences sur les sujets évoqués. Elles ne se taisent jamais, nous corrigent, nous suggèrent des tonnes de choses, veulent sauver le monde et sous-estiment les véritables experts dans un domaine.

Il est curieux de voir à quel point notre langage est riche. Nous disposons de termes vraiment spéciaux pour définir ces comportements que nous voyons si souvent autour de nous. L’ultracrépidarianisme est sans aucun doute l’un de ces mots aussi difficile à retenir qu’à prononcer. Il est cependant surprenant de savoir qu’il existe depuis très longtemps et qu’on l’utilise presque partout dans le monde.

En anglais, on utilise le mot ultracrepidarianism, en espagnol, ultracrepidarianismo, en bosniaque, ultrakrepidarianizam… Nous avons tous donné un nom à ce profil qui possède une tendance presque obsessionnelle à donner son avis sur des sujets qu’il ne contrôle même pas. Il est évident que nous avons tous le droit d’exprimer notre opinion sur n’importe quel point.

Cependant, le faire avec humilité et en comprenant que nous ne pouvons pas dominer tous les sujets de la vie peut en dire beaucoup sur nous. Il est donc intéressant de savoir que le comportement des ultracrépidariens est une matière de grand intérêt pour le domaine de la psychologie. Étudions ce point plus en détails. [lire la suite sur NOSPENSEES.FR…]

Les ultracrépidariens : qui sont-ils et pourquoi agissent-ils de cette façon ?

Si vous donnez votre avis sur les images de la face cachée de la Lune fournies par la sonde chinoise Chang’e-4, les ultracrépidariens essayeront de vous faire un commentaire digne de Carl Sagan. Si vous discutez de politique, ils feront tout pour vous offrir un discours digne de Winston Churchill. Et si vous parlez de football, d’économie ou de physique quantique, ils voudront toujours vous démontrer tout ce qu’ils savent.

Les ultracrépidariens ont réponse à tout. Ils ne se taisent jamais. Ils ne sont pas non plus conscients de leurs limites et, pire encore, ne respectent pas les autres. Pour eux, il est essentiel de se démarquer à tout prix : ils n’hésitent donc pas à discréditer les autres personnes.

© Tiziana Fabi – AFP

Pour retrouver l’origine de ce mot, nous devons remonter à l’époque d’Apelle de Cos, un peintre de l’an 352 av. J-C. On raconte que pendant que l’artiste préféré d’Alexandre le Grand travaillait sur l’une de ses œuvres, un cordonnier entra dans son atelier pour lui remettre une commande. Lorsqu’il vit les peintures et les gravures, il commença à critiquer beaucoup de détails. Face à ces commentaires, Apelle de Cos lui dit la chose suivante : « Ne supra crepidam sutor iudicaret » (“Que le cordonnier ne juge pas au-delà de la sandale“).

Les ultracrépidariens et l’effet Dunning-Kruger

Les ultracrépidariens se caractérisent généralement par un principe très élémentaire : moins ils en savent, plus ils croient en savoir. Cette relation répond à ce que l’on appelle l’effet Dunning-Kruger en psychologie.

L’effet Dunning-Kruger est un biais cognitif très commun qui fait que les personnes qui ont le moins de compétences cognitives et intellectuelles ont tendance (en moyenne, pas dans tous les cas) à surestimer leurs propres capacités. Du point de vue de la psychologie sociale et à travers des études comme celles réalisées par les psychologues Marian Krak et Andreas Ortman, de l’université de Berlin, on nous rapporte la chose suivante. Dans un premier temps, les ultracrépidariens peuvent même réussir à atteindre des postes de pouvoir. Certaines personnes, dans notre société, occupent des postes pour lesquels elles n’ont pas les compétences suffisantes. Cependant, cette auto-évaluation amplifiée, ajoutée à une attitude extravertie et résolue, peut leur permettre d’occuper des places que d’autres personnes plus aptes n’arrivent pas à obtenir.

Il ne faut pas sous-estimer les ultracrépidariens : leur effet peut être extrêmement nocif

Parfois, le comportement des ultracrépidariens peut être anecdotique. L’histoire de McArthur Wheeler, un homme qui a braqué une banque à Pittsburgh en 1990, est par exemple célèbre. Lorsque les policiers l’ont attrapé, il a été très surpris : il ne comprenait pas comment ils pouvaient le voir. Il disait avoir appliqué du jus de citron sur son visage et son corps pour être invisible. Il est évident que le jeune Wheeler souffrait d’un trouble psychologique, mais la fermeté avec laquelle il défendait la relation entre le jus de citron et l’invisibilité a attiré l’attention des experts.

Au-delà de ces cas ponctuels, il y a une chose que nous devons bien garder à l’esprit. Les ultracrépidariens sont capables de faire beaucoup de mal. Avoir un père, une mère, un chef ou un voisin qui cherche de façon obsessionnelle à boycotter nos habiletés, à discréditer chacun de nos commentaires, peut générer un grand épuisement psychologique.

L’idéal est de ne pas tomber dans leurs provocations, évidemment. Cependant, si nous sommes obligés de passer beaucoup de temps avec eux, nous devrions prendre des mesures plus drastiques pour freiner leur effet. Leur expliquer clairement que leurs comportements sont offensifs et nocifs est une stratégie. L’autre consisterait à être plus catégorique et à maintenir une distance adéquate avec ce type de profils. Pensons-y.”

Comme le demanderait Pascale SEYS : “Et vous, qu’en pensez-vous ?

L’article original est disponible (avec publicités) sur NOSPENSEES.FR (article du 27 mars 2019)


D’autres discours…

NORAC, Carl (né en 1960) : “Poète National” belge en 2020

Temps de lecture : 9 minutes >
Els MOORS et Carl NORAC : poètes nationaux…

Pour ce quatrième mandat, le projet Poète National a choisi d’élire un francophone pour prendre la relève d’Els Moors. À partir du Gedichtendag 2020, le Montois Carl NORAC sera donc le nouvel ambassadeur de la poésie belge, au-delà des frontières linguistiques du pays. Il héritera ainsi du titre honorifique de Poète National, déjà porté par Charles Ducal, Laurence Vielle et Els Moors.

Dès janvier 2020, et pendant deux ans, la mission de Carl Norac sera d’écrire des poèmes inspirés par notre pays, son histoire et son actualité, de rencontrer le public et les écoles mais aussi et surtout de mieux faire connaitre la poésie belge à travers le pays et même au-delà de nos frontières. Il sera, dès le 23 avril, l’ambassadeur officiel d’Els Moors, jusqu’à la fin de son mandat, et sera associé à certains de ses projets. Els soutiendra, quant à elle, son successeur du côté néerlandophone du pays, en 2020-2021.

Né à Mons en 1960, Carl Norac est un poète belge qui vit de sa plume, depuis plus de vingt ans. Installé en France dans le Loiret en 1998, il revient vivre en Belgique en 2019, du côté d’Ostende.

Ce que Carl Norac en pense…

Je suis heureux d’apprendre que l’on m’a choisi pour être le prochain Poète National. C’est une annonce qui intervient avec une valeur symbolique et affective pour moi, le mois même où, après plus de vingt années de vie et d’écritures en France, je reviens habiter en Belgique, à Ostende. L’importance n’est pas le titre, mais ce qu’on peut espérer en faire avec conviction, humilité et je suis impressionné par l’action et les poèmes de Charles Ducal, Laurence Vielle, Els Moors, ainsi que par l’ensemble des partenaires qui font que ce projet est aujourd’hui une réalité en mouvement. Le fait d’arpenter depuis si longtemps théâtres, festivals, aussi écoles, prisons, bibliothèques et divers lieux de vie pour parler de poésie m’a toujours fait penser que cet art, plus que jamais, est là pour bousculer les consciences, pour faire parler l’ailleurs et l’ici d’une même voix. Depuis que j’écris, je n’ai jamais accepté cette frontière invisible qui fait que les artistes des différentes communautés linguistiques de mon pays se connaissent si peu. Beaucoup d’initiatives existent aujourd’hui. En particulier, l’action profonde et enthousiaste qu’a engagées l’ensemble des maisons littéraires pour Poète National / Dichter des Vaderlands est fondamentale et je donnerai toute mon énergie pour les aider sur leurs chemins. Au début des années 90, je me suis rendu compte que je ne connaissais pas « toute la Flandre » et j’ai commencé par visiter celle-ci ville par ville, paysage par paysage. Invité à des festivals par Poëziecentrum puis plusieurs années dans le cadre de Saint-Amour, j’ai pu lire mes poèmes un peu partout, connaître Herman de Coninck, Leonard Nolens, Stefan Hertmans et développer une correspondance puis de nombreuses rencontres, dont certaines à Mons, avec Hugo Claus qui est avec Henri Michaux le poète qui m’a le plus influencé. Je suis parti aussi à la rencontre d’artistes, Carll Cneut, Ingrid Godon, Gerda Dendooven, avec le bonheur par nos livres communs de mieux les faire connaître en Belgique francophone et en France. J’ai eu énormément de chance pour un poète « de l’autre côté » d’être traduit par Ernst Van Altena, Bart Moeyaert, Edward Van de Vendel, Michaël de Cock pour les Editions Poëziecentrum, Querido, Lannoo, De eenhoorn. Si je me permets de donner ces éléments, c’est seulement pour signifier à quel point cette idée maîtresse du projet Poète National d’aider à mieux se connaître entre poètes des trois langues nationales est primordiale à mes yeux. Un des premiers projets que je soumettrai à ce propos sera un tour de Belgique d’un mois par les canaux, en péniche, où monteront, de semaine en semaine, des poètes des différentes communautés, sachant qu’aller les un(e)s vers les autres demande du temps, avec cette volupté de la lenteur qu’offre la navigation sur les canaux ou les fleuves (un thème important dans la poésie belge toute entière, et qu’a révélé encore récemment et magnifiquement Els Moors dans un film-poème). Faire se croiser aussi la plus jeune génération de poètes, celle qui est en mouvement, qui veut changer nos codes, nos conforts d’écriture, nos habitudes. Etant un poète qui écrit aussi très souvent pour les enfants, j’espère pouvoir atteindre cette ambition de motiver un très nombre d’écoles des trois régions autour des mêmes projets. Je dis souvent aux enfants autant qu’aux adultes que nous vivons dans un monde qui nécessite une urgence poétique au même titre qu’une urgence écologique ou humaniste. Les enfants et les adolescents que je rencontre aiment la poésie et y voient souvent, plus que de belles images, une façon de changer le monde. Il ne faut pas uniquement sourire de ces propos si optimistes, mais les prendre au sérieux. Ce qui s’est passé récemment en Belgique pour le climat en est une preuve tangible. La poésie échappe toujours à ce qui veut la contraindre ou la définir par des normes établies. Un adolescent nommé Rimbaud écrivait qu’elle sera toujours « en avant ». Une anthologie originale destinée à la jeunesse verra le jour, où les collaborations seront croisées, afin que les poétesses et poètes de chaque communauté soient illustrés par l’imaginaire d’un(e) artiste de l’autre région. Dans le cadre de Mons 2015, j’avais pu écrire sur ce que les gens dans la rue vous confient de ce qu’ils sont sur le point d’oublier. J’irai demander aux passant(e)s un peu partout en Belgique quel est leur premier poème écrit, lu, appris, aimé, détesté, ou presque oublié. Comme une invitation à reprendre le chemin d’un livre, ou de quelques lignes qui puissent les accompagner, vers une poésie alors tout à fait contemporaine. La poésie est souvent brève : en sa collection d’instants, elle peut se glisser partout, dans les transports en commun ou être chuchotée à l’oreille dans les rues par des comédiens. Et bien sûr, ce qui est essentiel, publiée dans la presse, pour donner un autre regard sur l’actualité. Je suis émerveillé par le travail accompli et je veux aussi continuer ce qu’ont entrepris les trois autres poètes. Tant de pistes à suivre, à inventer, ainsi cette envie absolue qui me guide toujours de confronter la poésie aux autres arts, en particulier pour ma part à la musique et à la danse, ce poème visible. En ces temps troublés où la mémoire de l’histoire semble vaciller, la poésie demeure cette matière mouvante, parfois fuyante, mais persistante, une de celles qui tente d’empêcher que la nuit pénètre trop dans le cœur des hommes. Lorsque Laurence Vielle était Poétesse Nationale et qu’elle cherchait le centre poétique de la Belgique, je lui avais conseillé par exemple de prendre une chaise et d’aller s’asseoir sur la plage d’Ostende. C’est bien là que je vais de ce pas, et ce sera comme le début d’une nouvelle invitation au voyage

Carl Norac

Pour en savoir plus : POETENATIONAL.BE


Carl NORAC © BELGA

Né à Mons en 1960, le poète belge Carl Norac est le fils d’un écrivain et d’une comédienne, Pierre et Irène Coran. D’abord professeur de français, bibliothécaire vagabond, journaliste, professeur d’histoire littéraire au Conservatoire Royal de Mons, il vit de sa plume, depuis plus de vingt ans. Il vit en France dans le Loiret, à Olivet, près d’Orléans depuis 1998. Dès l’été 2019, il reviendra en Belgique et vivra à Ostende, au bord de la Mer du nord. Depuis décembre 2017, l’école de la ville de Neuville-aux-Bois dans le Loiret en France porte son nom.

Livres

Poète (aux Editions de la Différence et à l’Escampette), il a publié aussi une dizaine de recueils et de carnets de voyage. En 1993, Dimanche aux Hespérides donne au poète une première reconnaissance en France.

Sa seconde passion, le voyage, lui fait parcourir le monde. Le voyeur libre, Le carnet de Montréal évoquent ces lieux, ces rencontres. La candeur (La Différence, 1996), réhabilite le candide dans sa pureté, sa résistance face au monde. Éloge de la patience (1999) essaie de révéler la volupté de la lenteur.

Grâce à Hugo Claus, il arpente alors les scènes plusieurs années en Belgique et aux Pays-Bas pour lire ses textes en compagnie de ce grand poète. Une anthologie de ses poèmes paraît en Flandre (Handen in het vuur, traduction d’Ernst van Altena, Poëziecentrum, 1998), en Espagne, en Roumanie (et fin 2019 aux Etats-Unis, avec une traduction de Norman Shapiro chez Black Widow Press).

Il a publié ensuite d’autres recueils de poèmes en prose: Le carnet bleuMétropolitaines (L’escampette), des portraits de femmes dans le métro de Paris, Sonates pour un homme seul, un livre à résonance intime, qui reçut le Prix Charles Plisnier et, en 2013 Une valse pour Billie, un recueil inspiré par Billie Holiday et d’autres artistes.

En 2005, Carl Norac est choisi parmi les sept écrivains européens de l’opération Lire en fête à Paris, accompagné de Jean Echenoz, Claudio Magris, Enrique Vila-Matas, Antonio Lobo Antunes et Milan Kundera dans le projet Lire l’Europe. Pendant un mois, des extraits de ses textes sont exposés aussi dans toutes les rames des métros parisiens. En 2011, il représente son pays pour le projet européen Transpoésie : ses poèmes sont exposés alors dans les couloirs du métro de Bruxelles.

Ses recueils ont été primés trois fois en Belgique par l’Académie Royale de langue et de littérature françaises (dont le Grand Prix Albert Mockel 2019, qui récompense un poète tous les cinq ans ). En 2009, il a également reçu pour son œuvre poétique le Grand Prix de la Société des gens de Lettres à Paris. En 2015, il fut l’artiste complice pour la littérature de Mons 2015, sa ville natale capitale culturelle de l’Europe. En 2018, avec trois célèbres écrivains français, il est invité à lire sur la scène de la Comédie française à Paris.

Littérature jeunesse

Carl Norac est aussi l’auteur de plus de 80 livres de contes ou de poésies pour enfants, traduits à ce jour dans le monde en 47 langues,  édités essentiellement à l’Ecole des Loisirs (collection Pastel). Certains de ses livres, comme Les mots doux (I love you so much) ont eu du succès dans le monde entier (N°1 des ventes aux Etats-Unis à sa sortie en février 1996).  De nombreux livres sont traduits aussi en néerlandais aux Editions De Eenhorn, Lannoo ou Querido par Bart Moyaert, Michael de Cock ou Edward van de Vendel.  Son enfance au milieu de la forêt d’Erbisoeul, en Hainaut, sera une source inépuisable : le goût du voyage et « l’amitié des arbres ». Son écriture pour enfants aborde trois domaines : récits de voyage, écrits où l’affectivité et l’humour sont toujours présents et des poèmes où l’auteur développe son goût du nonsense, inspiré d’un de ses poètes préférés, Edward Lear.

Pour ses livres pour enfants, l’auteur aura la chance de travailler avec les plus grands illustrateurs : Kitty Crowther, Rébecca Dautremer, Louis Joos, Christian Voltz et plusieurs grands illustrateurs flamands comme Carll Cneut, Gerda Dendooven et Ingrid Godon. En 2011, il publie avec le québécois Stéphane Poulin, chez l’éditeur Sarbacane Au pays de la mémoire blanche, un roman graphique et poétique qui a demandé cinq ans de travail, traduit à ce jour en cinq langues.  Depuis 2004, il publie aussi à Londres des livres qu’il écrit en anglais (Editions Macmillan). En 2017 paraît chez Actes Sud un nouveau recueil : Poèmes pour mieux rêver ensemble, illustré par Géraldine Alibeu.

On peut trouver des livres de Carl Norac traduits dans les langues suivantes : anglais, américain, allemand, néerlandais, italien, espagnol, catalan, basque, gaëlique, portugais, grec, danois, suédois, finnois, croate, géorgien, roumain, slovène, estonien, bulgare, russe, albanais, chinois classique, chinois simplifié, japonais, coréen, thaïlandais, vietnamien, hindi, bengali, urdu, tamoul, penjâbi, urdu, tagalog, gujarati, arabe, farsi, turc, kurde, twi, yoruba, shona, somali, papiamentu.

Pour en savoir plus : POETENATIONAL.BE


Une des missions du Poète National est d’écrire, durant son mandat, douze poèmes liés à l’actualité ou l’histoire du pays. En cette période de crise sanitaire [mars 2020], il a pris à bras le corps ce sujet qui nous touche tous : le coronavirus. Traité avec douceur, caractère et une pointe d’humour, Carl Norac nous offre ainsi quelques mots de poésie qui apaisent les angoisses de ces jours difficiles…[POETENATIONAL.BE]

UN ESPOIR VIRULENT

J’ai attrapé la poésie.
Je crois que j’ai serré la main
à une phrase qui s’éloignait déjà
ou à une inconnue qui avait une étoile dans la poche.
J’ai dû embrasser les lèvres d’un hasard
qui ne s’était jamais retourné vers moi.
J’ai attrapé la poésie, cet espoir virulent.

Voilà un moment que ce clair symptôme de jeter
les instants devant soi était devenu une chanson.
Ne plus être confiné dans un langage étudié,
s’emparer du mot libre, exister, résister
et prendre garde à ceux qui parlent d’un pays mort
alors que ce pays aujourd’hui nous regarde.

À présent, on m’interroge, c’était écrit :
« Votre langue maternelle ? »  Le souffle.
« Votre permis de séjour ? »  La parole.
« Vous avez chopé ça où ? »  Derrière votre miroir.
« C’est quoi alors votre dessein, étranger ? »
Que les mots soient au monde,
même quand le monde se tait.

J’ai attrapé la poésie.
Avec, sous les doigts, une légère fièvre,
je crève d’envie de vous la refiler,
comme ça, du bout des lèvres.

Carl NORAC (2020)


En bonus, un poème de Carl Norac offert par la RATP française et dit par Sandrine Bonnaire, alors marraine de la 22ème édition du Printemps des Poètes…


Plus de littérature ?

Roger-Pol DROIT : “Le confinement est une expérience philosophique gigantesque”

Temps de lecture : 7 minutes >
Roger-Pol DROIT © rpdroit.com

Le confinement qui nous est infligé nous donne une leçon d’humilité, nous incite à la remise en cause et nous rappelle notre fragilité. Mais ce repli sur soi ne doit pas nous couper des autres, de nos aînés, nous dit le philosophe Roger-Pol DROIT (né en 1949). Nous devons entretenir le lien fondamental qui nous unit.

Dans le huis-clos que nous impose ces journées d’isolement, nous sommes confrontés à nous-même. Notre vie habituellement débordante d’activités se fige. Saisissons ce moment, propose Roger-Pol Droit, pour réfléchir et repenser notre rapport à la vie quitte à plonger dans un ennui qui sera, au bout du compte, salutaire.

EAN13 9782226398956

Roger-Pol Droit est philosophe, écrivain et journaliste. Chroniqueur pour le journal Le Monde dans la rubrique “Livres”, il vient de publier Monsieur je ne vous aime point (Albin Michel). Ce roman retrace une histoire d’amitié manquée entre les deux grands penseurs que sont Voltaire et Rousseau.


Cette épidémie de Covid-19 nous amène à repenser notre mode de vie. En confinement, nous sommes placés dans une situation inédite de notre existence qui apparaît comme un grand saut dans l’inconnu. Qu’est-ce que cette nouvelle séquence dit de nous ?
Elle dit de nous que nous n’arrêtions pas de bouger d’abord dans nos têtes. Que nous n’arrêtions pas de nous divertir, de nous occuper à l’écran, avec des jeux vidéo, avec des séries. Mais je crois qu’avec ce bouleversement de la vie quotidienne, des déplacements, cela change aussi nos cartes mentales. Autrement dit, c’est une sorte d’expérience philosophique absolument gigantesque où notre vie quotidienne change. Mais cela nous oblige à réfléchir à des choses que, d’habitude, nous ne voulions pas voir : le hasard qui peut tout bouleverser, la vulnérabilité de nos vies et de nos corps, le rapport étrange que nous avons entre notre solitude dans le confinement et la solidarité. Tout ça aussi doit faire réfléchir. Il y a énormément de choses qui sont en train de bouger dans les têtes alors que nous ne bougeons plus dans la réalité.

Nos certitudes s’effondrent à mesure que progresse l’épidémie. Peut-on dire qu’hier, nous nous sentions invincibles et vivants tandis qu’aujourd’hui, nous sommes en sursis et nous en prenons conscience ?
S’il y a une première grande leçon qui se décline de “x” façons, c’est une leçon d‘humilité. Pas l’humilité au sens “Nous sommes humbles et nous devons vivre à ras de terre” mais l’humilité au sens où nous prenons une leçon de doute, de remise en cause. Il y a en ce moment beaucoup de gens qui nous expliquent ce qui se passe, qui savent exactement comment cela se passera demain. Il me semble que nous sommes plutôt dans un “au jour le jour” où nous voyons que nous ne savons pas. Ou que nous ne savons plus. Nous avons du coup à réfléchir et à mettre entre parenthèses nos anciennes certitudes. C’est Nietzsche qui a cette phrase très belle : “Ce n’est pas le doute qui rend fou, c’est la certitude.” Nous avions probablement beaucoup de folie à travers beaucoup trop de certitudes qui se révèlent fragiles. Et cette fragilité fait peur. Elle nous déstabilise. Mais elle est aussi une occasion de réflexion, de nouveau départ vers on ne sait pas encore exactement quoi.

Cette crise ne réveille-t-elle pas un sentiment que nous avions oublié : la peur ? Et une peur collective ?
Une peur qui est individuelle et collective. Je lisais l’autre jour Kierkegaard, Le concept d’angoisse, une lecture de circonstance. Il explique que l’angoisse, ce n’est pas la peur. L’hypocondriaque, dit-il, ne cesse de s’affoler tout le temps des moindres choses. Mais quand il y a un danger réel, quand une maladie effective est là, alors on arrête de fantasmer. On arrête de prendre l’imagination pour le réel. On a peur. Mais cette peur a des objets. L’angoisse n’a pas d’objet, elle est diffuse. Elle vient du dedans. La peur naît d’une menace dans la réalité avec laquelle il faut compter mais contre laquelle on peut lutter de façon aussi réelle et efficace que possible, comme le font aujourd’hui tous les soignants, tout le corps médical, et, finalement, une immense partie de la population.

Dans cette crise sanitaire que nous traversons, qu’est-ce qui nous unit (vous avez travaillé sur cette question dans un essai) ? L’empathie, la solidarité ?
Ce qui nous unit est quelque chose de fondamental qui porte plusieurs noms. Chez Rousseau, cela s’appelle la pitié. Ce n’est pas l’apitoiement, mais le fait que nous ressentons directement le malheur et la peur des autres. Nous sommes chez nous en bonne santé, très protégés pour la plupart. Nous voyons des gens qui souffrent, qui sont malades, qui meurent en masse de façon incompréhensible ou sans raison apparente à cause de ce virus. Nous en éprouvons évidemment de l’émotion. C’est cela le lien humain fondamental. C’est le fait que nous partageons des peurs, des émotions, des solidarités. Lorsque nous avons le sentiment que des semblables, même inconnus, sont en danger de mort, nous nous portons à leur secours sans réfléchir. Ce n’est pas une histoire d’argument, de démonstration. C’est un lien humain de solidarité, de sursaut, pour aider les autres.

Paradoxalement, cette crise qui nous rassemble ne peut-elle pas aussi nous éloigner en révélant nos égoïsmes, nos instincts primaires ?
Bien évidement. Mais c’est toujours à double face. Les êtres humains, comme la plupart des réalités ou des idées auxquelles nous sommes confrontés, ont une face claire et une face sombre. Les deux sont en tension et en lutte. Il y a effectivement, en ce moment, de façon manifeste et très importante, des signes d’empathie, de solidarité, de fraternité. Et puis il y a des gens qui veulent profiter de cette période pour mener des opérations lucratives sur internet, des opérations de “hacking” ou qui répandent des “fake-news”. Il y a ceux qui préfèrent tirer la couverture à eux. Mais on constate cela dans toutes les situations de crise aiguë, de tension. La réalité est toujours comme ça. Cela ne veut pas dire qu’il faut se résigner au côté sombre des comportements. Mais on n’est pas angélique. Il faut savoir qu’il y a toujours, en nous et entre nous, de la solidarité et du combat, de la guerre et de la paix, de l’amitié et de la lutte.

Nous sommes en guerre” répète Emmanuel Macron. Ce n’est pas une guerre contre une armée mais contre un ennemi invisible : la mort. N’y a-t-il pas un paradoxe entre l’emploi de ce terme et le fait que l’on ne va pas tomber les armes à la main, mais peut-être dans la solitude d’un Ehpad ou d’une chambre d’hôpital ?
C’est une chose terrible. J’ai signé, avec des médecins et des intellectuels, une tribune dans le journal Le Monde pour appeler à la mobilisation pour les Ehpad. Bien sûr, il y a une question de moyens qu’il faut tout de suite essayer de mettre en œuvre et, dans la mesure du possible, la multiplication des masques pour les soignants, des tests précoces pour les résidents, etc. Mais il faut aussi mettre en œuvre, autant que faire se peut, une multitude de liens, y compris numériques, qui peuvent permettre aux personnes âgées, vulnérables, exposées, peut-être déjà contaminées, de parler à leurs proches. Là, il y a une grande cruauté de cette épidémie qui accroît la souffrance par l’absence de présence, par la solitude, par le confinement et l’isolement. Il faut réfléchir plus intensément à ce lien entre nous qui est à la fois un lien de présence et un lien de parole. Ce qui est insupportable, plus encore que la solitude ou la souffrance, c’est l’indifférence d’un certain nombre de gens, heureusement minoritaires. On voit se développer chez certains, envers les Ehpad, une attitude qui est, permettez-moi de le dire ainsi, “tu peux crever parce que tu n’as plus l’âge de vivre” ! Et ça, même si c’est très minoritaire, c’est un signe de barbarie absolument insupportable.

En Inde, le Mahâbhârata nous rappelle ceci : “Chaque jour, la mort frappe autour de nous et nous vivons comme si nous étions des vivants immortels”. Cette épidémie nous oblige-t-elle à prendre conscience que nous sommes mortels ?
La singularité profonde de l’être humain est à la fois d’avoir une vie finie et de le savoir. Mais tout en le sachant, il pense à autre chose. Il pose cette idée sous le tapis. Montaigne et d’autres philosophes ne cessent de nous rappeler qu’il faut avoir cette idée de notre propre finitude en tête. Montaigne a cette formule : “Il faut avoir le goût de la mort en bouche” pour mieux apprécier le goût des choses, de la vie. Il ne s’agit pas de macérer dans une sorte de mortification désolée. Mais cette présence renouvelée du danger de notre mort peut nous permettre de saisir notre finitude, notre fragilité, et, du coup, non seulement de renforcer nos systèmes sanitaires, nos hôpitaux, mais aussi, philosophiquement, de nous replacer dans le présent vivant, tout en sachant que ce présent vivant est destiné à se terminer.

Dans votre essai Et si Platon revenait…, vous imaginez le philosophe grec contempler notre monde contemporain. Et vous expliquez, alors que nous bénéficions du savoir, de la communication, d’un accès aux biens traces aux écrans, que Platon dénoncerait notre asservissement aux écrans qui nous sont pourtant utiles aujourd’hui. Pourquoi ?
Les écrans nous sont très utiles car ils nous permettent de nous informer, de parler, de nous rencontrer. Ces écrans omniprésents sont absolument utiles mais, eux aussi, à double face. Ils ont, eux aussi, une face claire qui est le lien, la communication, l’entraide, l’information… et une face sombre en ce sens qu’ils nous infligent une sorte de captation permanente de l’attention. Il ne faut pas avoir peur de la rupture que nous imposent le confinement et la solitude. Il ne faut pas avoir peur de s’ennuyer, comme disait Paul Valéry. L’ennui, c’est la vie toute nue. L’existence, quand elle se regarde, est toujours un peu ennuyeuse. Et si on traverse ce temps d’ennui, il me semble qu’il y a plein de choses dont il est porteur. Il ne faut pas avoir peur de s’ennuyer avec cette idée que, dans cet ennui, il y a des choses fécondes qui fermentent et qui ressortent le lendemain, qu’on est train de trouver une idée nouvelle qui a cheminé dans l’ennui.

On nous dit que rien ne sera plus comme avant après cette crise. Or nous avons, depuis des siècles, traversé des épidémies, des révolutions, des guerres mondiales, plus récemment la chute du mur de Berlin, les attentats du 11 septembre, etc. Peut-on dire que tout change en permanence ?
Je me méfie des formules radicales ou excessives. Bien sûr, je crois qu’il y a une sorte de tsunami mental qui nous submerge en ce moment. On a le sentiment que tout change. Mais qu’est-ce qui change prioritairement et qui va changer radicalement dans ce tout ? Personne ne le sait. En tout cas, je me refuse à prophétiser quoi que ce soit. J’ai le sentiment que nous avons à vivre au jour le jour, et heure par heure, des choses difficiles. Et probablement de plus en plus difficiles pendant un certain temps. Tout cela aura un impact, sans doute profond. Mais sur quoi exactement ? Pendant combien de temps ? Durablement ou temporairement ? Il me semble que l’affirmer aujourd’hui serait téméraire et très probablement démenti par la suite des événements.

Lire l’entretien original de Pierre NEVEUX sur FRANCECULTURE.FR (article du 30 mars 2020)


Plus de presse…

NEWMAN, Barnett (1905-1970)

Temps de lecture : 2 minutes >
Barnett Newman: The Late Work, The Menil Collection, March 2015 © artbooks.yupnet.org

Né à Manhattan en janvier 1905, Barnett NEWMAN est le fils d’un couple d’immigrés polonais juifs qui lui inculquent une éducation religieuse. Après le lycée, il s’inscrit à l’Université de New York pour étudier la philosophie. Pendant ses études, il fréquente les galeries et les musées et peint des œuvres impressionnistes. Dès ses 25 ans, il devient, tout en continuant à peindre, critique d’art et commissaire d’expositions. Dans le contexte de crise mondiale des années 1930, Newman pense l’art par rapport aux événements politiques. « La peinture est finie, nous devrions tous l’abandonner » écrit-il dès le début de la Seconde Guerre Mondiale. Après Pearl Harbor, Hiroshima et la découverte des camps, l’impuissance de la peinture lui paraît plus évidente encore. 

Barnett Newman, The Stations of the Cross, Lema Sabachthani, Twelfth Station [detail], 1965 © art-critique.com

(…) Newman souhaitait que ses tableaux soient le lieu d’une communion du spectateur avec lui-même et avec les autres. « J’espère que ma peinture peut donner à chacun, comme elle l’a fait pour moi, la sensation de sa propre totalité, de sa propre existence séparée, de sa propre individualité, et en même temps de sa connexion avec les autres, qui existent aussi séparément » écrivait-il. Lui qui fut l’un des rares artistes de sa génération à refuser de participer au programme gouvernemental d’aide aux artistes (Work Progress Administration) estimant que cet argent était celui de l’isolationnisme donnait à l’abstraction un potentiel social, voire politique. Ainsi écrivait-il : « On m’a demandé ce que signifiait vraiment ma peinture par rapport à la société, par rapport au monde, par rapport à la conjoncture. J’ai répondu que si mon travail était correctement compris, ce serait la fin du capitalisme et du totalitarisme d’État. Mon travail, en termes d’impact social, signifie la possibilité d’une société ouverte, d’un monde ouvert et non d’un monde institutionnel fermé. » (lire l’article complet sur art-critique.com)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : artbooks.yupnet.org ; art-critique.com


Plus d’arts visuels…

Coronavirus : 100 questions à Peter Piot, virologue

Temps de lecture : 23 minutes >
© R.Demoulin Bernard

En mars de cette année, le belge Peter PIOT, l’un des plus célèbres virologues au monde, répondait aux questions du directeur de la Fondation Tedmed, une organisation caritative qui se consacre aux “idées qui valent la peine d’être diffusées” dans les domaines de la santé et de la médecine. […] Ce Brabançon de 71 ans est notamment connu pour avoir découvert le virus Ebola en 1976, avoir été directeur du programme Onusida de 1995 à 2008 et pour diriger aujourd’hui l’École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres.

En plus d’un entretien filmé, Peter Piot a répondu par écrit à 100 questions. Il y explique ce qu’est précisément le nouveau coronavirus, la facilité avec laquelle il se propage, l’efficacité des masques, l’importance de ralentir la propagation de la maladie, les traitements actuellement étudiés…


1. Commençons par l’essentiel. Qu’est-ce qu’un virus ?
Un virus est une toute petite particule d’ARN ou d’ADN, protégée par une enveloppe protéique extérieure.

2. Quelle est la fréquence des virus ?
Les virus sont partout. Il est étonnant de réaliser que si on les additionne tous, tous les virus du monde pèsent plus lourd que toute la matière vivante du monde – y compris toutes les plantes, tous les animaux et toutes les bactéries. 10 % du génome humain est dérivé de l’ADN des virus. La Terre est vraiment une “planète à virus” !

3. Pourquoi est-il si difficile d’arrêter la propagation d’un virus ?
Parce que les particules virales sont incroyablement petites, des milliards peuvent flotter sur de minuscules gouttelettes dans l’air à partir d’une seule toux.

4. Quelle est la taille exacte d’un virus ?
Minuscule. Même avec un microscope ordinaire, on ne peut pas voir un virus. 100 millions de particules virales du nouveau coronavirus peuvent tenir sur une tête d’épingle. C’est dire à quel point elles sont minuscules.

5. Que font les particules virales ?
Les particules virales tentent de s’insérer dans les cellules vivantes afin de se multiplier, d’infecter d’autres cellules et d’autres hôtes.

6. Pourquoi les virus tentent-ils de pénétrer dans les cellules vivantes ?
C’est la façon dont les virus se “reproduisent”. Les virus agissent comme des parasites. Ils prennent le contrôle des cellules vivantes afin de forcer chaque cellule à fabriquer d’autres virus. Lorsqu’une cellule est ainsi prise en otage, le virus envoie des centaines ou des milliers de copies de lui-même. Il en résulte souvent la mort de la cellule qui a été infectée.

7. Que signifie être infecté par le nouveau coronavirus, que les scientifiques ont appelé “SRAS-CoV2” ?
Cela signifie que le SRAS-CoV2 a commencé à se reproduire dans votre corps.

8. Quelle est la différence entre le SRAS-CoV2 et le COVID-19 ?
Le SRAS-CoV2 est le virus ; COVID-19 est la maladie que ce virus propage.

9. Est-il facile pour un virus de pénétrer dans une cellule vivante ?
Cela dépend en premier lieu du fait que la cellule possède le bon récepteur pour le virus en question, tout comme une clé a besoin d’un trou de serrure spécifique pour fonctionner. La plupart des virus sont bloqués par notre système immunitaire ou parce que nous n’avons pas les bons récepteurs pour que le virus puisse entrer dans la cellule. Ainsi, 99% d’entre eux sont inoffensifs pour l’homme.

10. Combien de types de virus existent, et combien d’entre eux sont nocifs pour l’homme ?
Sur les millions de types de virus, seules quelques centaines sont connues pour être nocives pour l’homme. De nouveaux virus apparaissent sans cesse. La plupart sont inoffensifs.

11. En moyenne, combien de particules du virus faut-il pour vous infecter ?
Nous ne savons pas encore vraiment pour le SRAS-CoV2. Il en faut généralement très peu.

12. A quoi cela ressemble-t-il ?
Le SRAS-CoV2 ressemble à un minuscule brin de spaghetti, enroulé en boule et emballé dans une coquille faite de protéines. La coquille a des pointes qui dépassent et font ressembler la coquille à la couronne du soleil. Les virus de cette famille ont tous un aspect similaire ; ils ressemblent tous à une couronne.

© Reporters

13. Combien de coronavirus différents affectent l’homme ?
Il y a 7 coronavirus qui ont une transmission d’homme à homme. 4 génèrent un léger rhume. Mais 3 d’entre eux peuvent être mortels, y compris les virus qui causent le SRAS et le MERS, et maintenant le nouveau coronavirus, le SRAS-CoV2.

14. Pourquoi l’appelle-t-on le “nouveau” coronavirus ?
Nouveau signifie simplement qu’il est nouveau pour l’homme, ce qui signifie que ce virus spécifique est un de ceux que nous n’avons jamais vus auparavant. Notre système immunitaire évolue depuis deux millions d’années. Mais comme notre corps n’a jamais vu ce virus auparavant, l’homme n’a pas eu la possibilité de développer une immunité. Ce manque d’immunité, combiné à la capacité du virus à se propager facilement et à sa létalité relative, est la raison pour laquelle l’arrivée du SRAS-CoV2 est si inquiétante.

15. Quelle est la fréquence d’apparition d’un nouveau virus dont nous devons nous préoccuper ?
C’est rare… mais ça arrive. Citons par exemple les virus qui provoquent des maladies comme le VIH, le SRAS, le MERS et quelques autres. Cela se reproduira. L’émergence d’un nouveau virus est un très gros problème… s’il peut facilement se propager parmi les gens et s’il est nocif.

16. Avec quelle facilité le nouveau virus se propage-t-il ?
Le SRAS-CoV2 se propage assez facilement d’une personne à l’autre, par la toux et le toucher. C’est un virus “transmis par voie respiratoire”.

17. Le virus se propage-t-il d’une autre manière ?
Des rapports récents indiquent qu’il peut également se propager par contamination fécale et urinaire, mais cela doit être confirmé.

18. En quoi ce nouveau virus est-il différent des coronavirus connus précédemment qui propagent le SRAS ou le MERS ?
Le SRAS-CoV2 est différent à 4 égards essentiels :
Premièrement, de nombreuses personnes infectées ne présentent aucun symptôme pendant des jours, de sorte qu’elles peuvent infecter d’autres personnes sans le savoir, et nous ne savons pas qui isoler. C’est très inquiétant car le SRAS-CoV2 est très infectieux.
Deuxièmement, dans 80 % des cas, le COVID-19 est une maladie bénigne qui ressemble à un petit rhume ou à une petite toux, de sorte que nous ne nous isolons pas et que nous infectons les autres.
Troisièmement, les symptômes sont facilement confondus avec ceux de la grippe, si bien que de nombreuses personnes pensent qu’elles ont la grippe et n’envisagent pas d’autres possibilités.
Quatrièmement, et c’est peut-être le plus important, le virus se transmet très facilement d’homme à homme car, dans les premiers stades, il se concentre dans la partie supérieure de la gorge. La gorge est pleine de particules virales, de sorte que lorsque nous toussons ou éternuons, des milliards de ces particules peuvent être expulsées et transmises à une autre personne.

19. Il se disait que le virus provoquait une pneumonie. Comment la gorge est-elle impliquée ?
La maladie commence souvent dans la gorge (c’est pourquoi les tests font souvent un prélèvement dans la gorge), puis, à mesure qu’elle progresse, elle descend vers les poumons et devient une infection des voies respiratoires inférieures.

20. Que signifie le mot “asymptomatique” ?
Cela signifie simplement qu’il n’y a pas de symptômes.

21. Vous voulez dire qu’une personne peut être infectée par le nouveau virus sans jamais présenter de symptômes ?
Malheureusement, oui. De nombreuses personnes infectées ne présentent aucun symptôme pendant les premiers jours, puis une légère toux ou une faible fièvre apparaît. C’est le contraire du SRAS, où vous avez eu des symptômes clairs pendant quelques jours mais n’étiez contagieux que lorsque vous étiez malade.

22. Si vous ne présentez aucun symptôme, pouvez-vous quand même infecter d’autres personnes ?
Malheureusement, oui. Et cela rend beaucoup plus difficile le ralentissement de la propagation.

23. Quelle est la probabilité que les scientifiques développent un vaccin pour empêcher les gens d’être infectés ?
C’est raisonnablement probable, mais il n’y a aucune garantie que nous aurons même un vaccin. L’échec est possible. Par exemple, nous cherchons un vaccin contre le VIH depuis 35 ans et nous n’en avons toujours pas. Je suis optimiste quant à la mise au point d’un vaccin contre le SRAS-CoV2, mais nous devrons procéder à des tests approfondis d’efficacité et de sécurité, ce qui demande beaucoup de temps et de personnel.

24. En supposant qu’un vaccin contre le coronavirus soit possible et qu’il soit découvert assez rapidement, combien de temps faudra-t-il avant de disposer d’un vaccin que nous pourrons commencer à injecter à des millions de personnes ?
Nous aurons des “candidats” vaccins dans un mois ou deux. Mais en raison de la nécessité de procéder à des tests approfondis pour prouver qu’il protège et est sûr, il faudra au moins un an avant de disposer d’un vaccin que nous pourrons injecter à des personnes et qui sera approuvé par une grande agence de réglementation. En fait, 18 à 24 mois sont plus probables lorsque nous passerons à des millions de doses, ce qui est optimiste.

25. Pourquoi faut-il tant de temps pour mettre au point un vaccin s’il s’agit d’une urgence ?
Ce n’est pas nécessairement la découverte d’un vaccin qui prend autant de temps, mais les essais de vaccins. Une fois qu’un vaccin “candidat” existe en laboratoire, une série d’essais cliniques est nécessaire, d’abord sur des animaux, puis sur des groupes de personnes de plus en plus nombreux.

26. Avons-nous déjà fait des progrès ?
La bonne nouvelle est que quelques semaines seulement après la découverte et l’isolement du SRAS-CoV2, qui a eu lieu au début de janvier 2020, le développement du vaccin a commencé immédiatement. Des fonds ont été alloués par de nombreux gouvernements et de nombreuses entreprises et scientifiques du monde entier y travaillent avec une grande urgence.

27. Les scientifiques de ces pays coopèrent-ils ou sont-ils en concurrence les uns avec les autres ?
Un peu des deux, et ce n’est pas une mauvaise chose. Mais la coopération internationale a généralement été bonne. C’est encourageant.

28. Ne pouvons-nous pas développer un vaccin plus rapidement ?
Malheureusement, il n’y a pas de raccourcis. Le système immunitaire du corps humain est complexe et imprévisible. Des mutations virales peuvent se produire. Les enfants sont différents des adultes. Les femmes peuvent réagir différemment des hommes. Nous devons nous assurer que tout vaccin est sûr à 100 % pour tous ceux qui le reçoivent. Pour ce faire, nous devons tester les médicaments et les vaccins à différentes doses sur un large éventail de volontaires humains en bonne santé dans des conditions soigneusement mesurées.

29. Dans quelle mesure le nouveau virus est-il mortel ?
La plupart des scientifiques pensent qu’il tue 1 à 2 % de toutes les personnes infectées. L’OMS rapporte actuellement un chiffre plus élevé de plus de 3 %, mais cette estimation devrait baisser à mesure qu’ils trouveront comment compter les nombreux cas non déclarés ou bénins. La mortalité est nettement plus élevée chez les personnes âgées et celles qui souffrent de maladies sous-jacentes.

30. Le taux de mortalité moyen est-il le chiffre sur lequel il faut se concentrer ?
Pas vraiment. On peut se noyer dans une “moyenne” de 8 cm d’eau. Une meilleure façon de comprendre les risques consiste à reconnaître qu’elle peut être mortelle pour certains groupes de personnes et beaucoup moins pour d’autres – avec des conséquences très diverses.

31. Quels sont donc les chiffres et les points de contrôle sur lesquels il faut se concentrer ?
80% du temps, c’est une maladie bénigne, mais dans 20% des cas, elle devient plus grave, les pires cas faisant état d’une forte fièvre ou d’un essoufflement. Par conséquent, certaines personnes doivent être hospitalisées, et d’autres auront besoin de soins intensifs pour survivre pendant quelques jours critiques lorsque leurs poumons sont fortement infectés.

32. Quels sont les groupes de personnes les plus menacés ?
Tout d’abord, les personnes âgées comme moi : j’ai 71 ans. Plus on est âgé, plus le risque est élevé. Sont également plus à risque les personnes souffrant de maladies sous-jacentes telles que le diabète, les maladies pulmonaires obstructives chroniques et les maladies pulmonaires ou encore les maladies cardiovasculaires ou les déficiences immunitaires.

33. Quel est le degré de danger auquel ces groupes à haut risque sont confrontés ?
Leur taux de mortalité peut atteindre 10 %, voire 15 %. Et votre risque augmente lorsque vous avez plus de problèmes de santé. Les données scientifiques sur tout cela sont régulièrement mises à jour sur le web.

34. Votre risque augmente donc considérablement si vous souffrez d’autres maladies, comme le diabète. Pourquoi ?
Parce que votre système immunitaire réagit mal à tout virus infectieux, mais particulièrement à celui-ci.

35. Il semble que, de manière générale, les enfants et les jeunes ne soient que faiblement, voire pas du tout, touchés. Est-ce vrai ?
C’est ce qu’il semble, mais comme pour tant d’autres questions sur COVID-19, cela doit être confirmé.

36. Si c’est vrai, pourquoi le SRAS-CoV2 affecterait-il beaucoup plus les personnes âgées, mais pas les jeunes et les enfants ?
En fait, nous ne le savons pas. Il va falloir un certain temps avant de le découvrir .

37. Autre chose d’inhabituel ?
Vous pouvez infecter d’autres personnes même si vous êtes totalement asymptomatique et que vous vous sentez bien. C’est inhabituel, mais cela peut aussi arriver dans le cas d’une infection par le VIH.

38. On entend souvent parler de COVID-19 par rapport à la grippe saisonnière. Quelle est la bonne façon d’encadrer cette comparaison ? Par exemple, la grippe saisonnière et le coronavirus sont-ils aussi dangereux l’un que l’autre ?
La grippe saisonnière infecte généralement jusqu’à 30 millions de personnes par an aux États-Unis, et moins d’un dixième de 1 % du groupe infecté en mourra – mais c’est quand même un chiffre important. Dans le monde, au cours d’une année moyenne, 300 000 personnes au total meurent de la grippe saisonnière. Mais, en moyenne, le nouveau coronavirus est 10 à 20 fois plus mortel et, contrairement à la grippe, nous ne pouvons pas nous protéger par la vaccination.

39. Le nouveau virus se propage-t-il aussi facilement que la grippe ?
Le nouveau virus semble se propager aussi facilement que la grippe.

40. Pour poursuivre la comparaison entre la grippe et le COVID-19, qu’en est-il des causes ? La grippe est-elle également causée par un virus ?
Oui, la grippe est également causée par un virus. La grippe est causée par le virus de la grippe. Mais le virus de la grippe et le coronavirus sont très différents. Un vaccin antigrippal ne vous aide pas avec le nouveau coronavirus, mais il réduit considérablement votre risque de grippe. Le rhume, pour lequel il n’existe ni vaccin ni remède, est souvent causé par un autre type de virus minuscule appelé rhinovirus, et parfois par un autre coronavirus.

41. Comment l’infection progresse-t-elle lorsque le nouveau coronavirus s’installe dans votre corps ?
Cela commence généralement par une toux. Puis une faible fièvre. Puis la faible fièvre se transforme en forte fièvre et vous êtes essoufflé.

42. À quel moment de bons soins médicaux font-ils la différence entre la vie et la mort ?
C’est généralement lorsque la fièvre est très élevée et que vos poumons sont endommagés, de sorte que vous êtes essoufflé ou que vous avez besoin d’aide pour respirer.

43. En quoi le nouveau virus est-il différent d’une maladie telle que la rougeole, les oreillons ou la varicelle ?
Le SRAS-CoV2 est actuellement beaucoup moins infectieux et dangereux, mais il y a encore beaucoup de choses que nous ignorons. Les autres maladies sont bien connues.

44. Si le nouveau coronavirus est moins dangereux que les autres virus, pourquoi beaucoup de gens en ont-ils si peur ?
Parce que les nouvelles choses qui peuvent nous tuer ou nous rendre malades nous rendent très nerveux. Mais une connaissance précise est l’antidote à la peur, alors ici aux États-Unis, je vous invite à prêter attention au site CDC.gov. Dans d’autres pays, rendez-vous sur le site de votre ministère national de la santé ou sur celui de l’OMS.

45. À quelle fréquence faut-il consulter les sites web du CDC ou de l’OMS, ou le site web de son ministère national de la santé ?
Nous mettons continuellement à jour nos connaissances à mesure que nous en apprenons davantage sur le nouveau virus, c’est pourquoi ces sites devraient être consultés fréquemment.

46. L’humanité a-t-elle déjà complètement éliminé un virus ?
Oui, la variole, qui tuait des millions de personnes. Et nous y sommes presque pour la polio grâce à la Fondation Gates et à de nombreux gouvernements dans le monde comme celui des États-Unis.

47. Comment le nouveau virus se retrouve-t-il dans de nouveaux endroits du monde ?
Par la route, l’air et la mer. De nos jours, les virus voyagent en avion. Certains passagers peuvent être porteurs du SRAS-CoV2.

48. Ainsi, chaque aéroport international est un tapis de bienvenue pour le nouveau virus ?
La réalité est que le SRAS-CoV2 est déjà bien présent dans la plupart des pays, y compris aux États-Unis, et loin de tout grand aéroport international.

49. Depuis le début de l’épidémie en Chine, les visiteurs de ce pays représentent-ils le plus grand danger d’importation de coronavirus aux États-Unis ?
Depuis l’apparition du nouveau virus en Chine en 2019, 20 millions de personnes sont venues aux États-Unis en provenance de pays du monde entier. Les États-Unis ont arrêté la plupart des vols directs en provenance de Chine il y a quatre semaines, mais ils n’ont pas empêché l’entrée du virus. Aujourd’hui, les cas de COVID-19 en Chine sont souvent importés d’autres pays, car l’épidémie en Chine semble être en déclin pour le moment.

50. En d’autres termes, les grands aéroports sont tout ce dont vous avez besoin pour garantir que n’importe quel pays aura le virus partout en moins de 3 mois.
Oui. Je crois qu’en Amérique, on dit : “Le cheval a quitté l’écurie.” Ce n’est pas une raison pour arrêter complètement tout voyage.

51. Pourquoi un pays comme le Japon pourrait-il fermer ses écoles ?
D’autres pays comme l’Italie et la France font de même. C’est parce que les scientifiques ne savent pas dans quelle mesure la propagation est accélérée par les enfants qui sont porteurs. Le Japon fait de gros efforts pour ralentir la propagation. Les enfants transmettent généralement les virus rapidement, car ils ne se lavent pas les mains ou n’ont pas une bonne hygiène personnelle. Ils jouent un rôle important dans la propagation de la grippe, c’est pourquoi de nombreux pays ont fermé les écoles dans les zones touchées.

52. Si on est infecté, y a-t-il des médicaments qu’on peut prendre pour rendre le virus moins grave, ou pour le faire disparaître complètement ?
Aucun médicament n’a encore prouvé son efficacité en tant que traitement ou ce que les médecins appellent une “thérapie”. Un grand nombre de médicaments différents sont actuellement testés dans le cadre d’essais cliniques, et nous espérons que cela changera bientôt pour le mieux.

53. Quelle est la probabilité que nous trouvions de nouveaux médicaments thérapeutiques, et dans quel délai ?
Je suis convaincu que, dans quelques mois, il est très probable que nous trouverons des utilisations “non indiquées sur l’étiquette” des médicaments actuels qui aident à traiter une personne infectée. En d’autres termes, nous aurons une nouvelle utilisation pour les médicaments existants qui ont été utilisés à l’origine contre d’autres infections virales comme le VIH. Mais il faudra du temps et beaucoup de tests réels pour s’en assurer. De nouveaux médicaments thérapeutiques sont actuellement testés dans le cadre d’essais cliniques, notamment en Chine, mais aussi ailleurs. Cela semble prometteur.

54. Qu’en est-il des antibiotiques ? Tout le monde s’en sert toujours en cas de crise.
Il s’agit d’un nouveau virus, pas d’une bactérie. Les antibiotiques agissent contre les bactéries mais pas contre les virus. Ils peuvent être utiles à l’hôpital en cas d’infections secondaires d’origine bactérienne, mais les antibiotiques n’ont aucun effet sur le nouveau virus lui-même.

55. Qu’en est-il de toutes sortes de nouveaux remèdes, thérapies et traitements dont j’ai entendu parler sur Internet ?
Il va y avoir une infinité de fausses affirmations. Ce n’est qu’en lisant sur de nombreux sites web fiables que l’on peut être sûr qu’il s’agit d’une véritable science. Mais la plupart de ce que vous entendrez sera du vent, alors soyez très prudent et ne répandez pas de rumeurs non confirmées.

56. Et les masques ? Ces masques chirurgicaux bleus ou un masque N95 sont-ils utiles ?
Les masques ont une valeur très limitée, sauf dans certaines circonstances spécifiques. Par exemple, selon le type de masque N95, un peu moins de 50% des particules virales entrantes seront filtrées, mais elles peuvent réduire la propagation des gouttelettes en suspension dans l’air.

© AFP

57. Quels sont les avantages des masques lorsqu’ils sont utilisés correctement et qui devrait porter un masque ?
Les meilleurs masques, soigneusement ajustés et portés correctement, ralentissent la propagation des personnes malades qui toussent. Autrement dit, le masque ne sert pas à vous protéger des autres personnes, mais à protéger les autres personnes contre vous. C’est une courtoisie envers les autres de porter un masque lorsque vous avez ce que vous pensez être un rhume et que vous commencez à tousser. Les masques ont un avantage supplémentaire : ils réduisent la probabilité que vous touchiez votre bouche, et donc que le virus se propage dans votre corps si vous avez le virus sur les mains. Les masques présentent des avantages pour le personnel de santé. Si vous travaillez dans un établissement de santé ou dans le domaine des soins aux personnes âgées, le port du masque est obligatoire.

58. Y a-t-il quelque chose qu’on puisse faire pour éviter d’être infecté lors d’une pandémie mondiale ?
Se laver les mains fréquemment, ne pas se toucher le visage, tousser et éternuer dans le coude ou dans un mouchoir en papier, ne pas se serrer la main ou s’embrasser, tout cela réduit le risque. Si vous êtes malade, restez chez vous et consultez un médecin par téléphone pour savoir quoi faire ensuite, et portez un masque lorsque vous voyez d’autres personnes.

59. Que signifie “atténuation” ? On entend souvent les scientifiques utiliser ce mot.
L’atténuation signifie ralentir la propagation du virus et tenter de limiter ses effets sur les services de santé publique, la vie publique et l’économie. Tant qu’il n’y aura pas de vaccin, ce que nous pouvons faire, c’est le ralentir. C’est vraiment important.

60. Quels autres moyens pouvons-nous utiliser pour ralentir la propagation du virus ?
Une bonne hygiène et la simple courtoisie peuvent ralentir la propagation. En outre, des mesures de “distanciation sociale” – comme travailler à domicile, ne pas prendre l’avion, fermer les écoles et interdire les grands rassemblements – contribueront à ralentir la propagation du SRAS-CoV2.

61. Les différents virus se propagent-ils plus facilement que les autres ?
Oui. La rougeole est le pire. Vous pouvez attraper la rougeole en entrant dans une pièce vide qu’une personne infectée a quittée 2 heures plus tôt ! C’est pourquoi nous avons des épidémies de rougeole lorsque les taux de vaccination baissent. C’est une maladie très résistante. Le rhume se propage assez facilement. Le VIH est beaucoup plus difficile à répandre, et pourtant nous avons eu 32 millions de décès.

62. Que faudra-t-il pour arrêter ce virus ?
Personne ne le sait vraiment, mais la Chine a montré qu’il est possible d’arrêter la propagation de manière significative. Un vaccin pourrait être nécessaire pour éliminer complètement le SRAS-CoV2.

63. Combien de temps faudra-t-il pour que le nouveau virus se répande dans une population de la taille des États-Unis ?
Si on le laisse se propager avec des mesures normales de bonne hygiène, le SRAS-CoV2 semble doubler sa population infectée environ chaque semaine. Cela signifie qu’il passera de 50 personnes infectées à 1 million de personnes infectées en 14 semaines environ. C’est la simple arithmétique de la contagion. Bien sûr, nous pouvons faire des choses pour la ralentir.

64. Quelle est l’efficacité d’une bonne hygiène pour ralentir la propagation du coronavirus ? Le nombre de personnes infectées diminue-t-il sensiblement si les gens suivent les directives ?
Les chiffres changent en fonction de la prudence des gens, et même de petits changements sont importants pour éviter de stresser le système de santé plus qu’il n’est absolument nécessaire.

65. Quelques milliers de cas peuvent-ils être cachés parmi notre population ? Comment cela serait-il possible ?
Chaque année, il y a des millions de cas de grippe. Cette année, certains de ces cas sont en fait des COVID-19. En outre, de nombreuses personnes infectées ne présentent aucun symptôme ou des symptômes très légers, de sorte qu’elles se cachent à la vue de tous.

66. Que signifie exactement un test positif ?
Cela signifie qu’un test sensible a détecté que le virus est présent dans les fluides de cette personne.

67. Tout le monde doit-il être testé le plus rapidement possible ?
Le test COVID-19 devrait être beaucoup plus largement disponible car nous ne savons pas encore assez qui est infecté et comment le virus se propage dans la communauté. Nous avons besoin de beaucoup plus de tests pour connaître les données importantes.

68. Pourquoi la Corée du Sud a-t-elle mis en place un système de tests “drive-through” ?
La Corée du Sud a mis en place un système de dépistage au volant parce qu’elle fait tout son possible pour ralentir l’épidémie en trouvant chaque personne infectée aussi vite que possible.

69. Quel est le principal symptôme que les gens devraient rechercher ?
La toux est le premier symptôme.

70. La fièvre est-elle un bon moyen d’identifier les personnes infectées ?
Une forte fièvre peut être préoccupante et mérite d’être soignée. Mais le simple dépistage de la fièvre, dans un aéroport ou à un point de contrôle par exemple, laisse passer beaucoup de personnes infectées.

71. Quel est le pourcentage de personnes testées positives dans les hôpitaux chinois qui sont arrivées sans fièvre ?
Environ 30 % des patients chinois atteints de coronavirus n’avaient pas de fièvre à leur arrivée à l’hôpital.

72. Le nouveau virus est-il susceptible de revenir dans un pays une fois qu’il aura atteint un pic et que le nombre de nouveaux cas aura diminué ?
Il est probable que le SRAS-CoV2 nous demandera le même effort qui a permis d’éliminer la variole et qui a presque éliminé la polio.

73. Cela signifie que le seul moyen de vaincre le nouveau coronavirus à long terme est la vaccination de toute la population mondiale ?
Nous ne le savons vraiment pas. Les mesures basées sur la population peuvent fonctionner, mais un vaccin peut être nécessaire et est probablement viable tant que le virus reste stable et ne subit pas trop de mutations.

74. Le nouveau virus pourrait-il “s’épuiser” comme d’autres virus semblent l’avoir fait ?
Nous ne le savons pas, mais c’est peu probable. Le SRAS-CoV2 est déjà trop bien établi dans le monde entier. Ce n’est plus seulement un problème chinois ; il y a probablement des centaines de milliers de personnes infectées mais pas encore testées – non seulement en Chine mais dans près de 100 autres pays. Le SRAS-CoV2, tout comme le virus de la grippe saisonnière, sera probablement présent parmi nous pendant très longtemps.

75. Le nouveau virus reviendra-t-il par vagues ou par cycles, et si oui, quand ?
Là encore, nous ne le savons pas, mais c’est une question très importante. Probablement, bien qu’à ce stade précoce, rien n’est sûr. La pandémie de grippe de 1918 a fait le tour du monde en trois vagues. Le nouveau virus pourrait avoir une deuxième vague en Chine avec la réouverture des écoles et des usines. Mais tant que nous ne verrons pas ce qui se passera réellement, nous ne savons pas comment SARS-CoV2 se comportera.

© Reporters

76. Si nous avons une ou deux pauses “chanceuses” dans les mois à venir, à quoi ressemble la “chance” ?
Le temps chaud pourrait ralentir la propagation, bien que nous n’ayons pas encore de preuve que ce soit le cas. Singapour, qui compte déjà 120 cas et dispose de l’un des meilleurs programmes de contrôle COVID-19 au monde, se trouve à seulement 110 km de l’équateur – donc, au moins dans ce cas, un climat chaud n’a pas empêché le virus de se propager. Il est possible que le SRAS-CoV2 se transforme progressivement en une forme moins dangereuse, de sorte que moins de personnes en meurent, comme cela s’est déjà produit avec la grippe porcine en 2009. Mais je n’y compterais pas. Trouver rapidement une thérapie médicamenteuse ou un cocktail de médicaments efficaces serait une excellente nouvelle. C’est à peu près tout pour la chance.

77. Les personnes à haut risque pour la COVID-19 ont-elles les mêmes chances de mourir partout ?
Malheureusement, le risque de décès dépend beaucoup de l’endroit où l’on se trouve dans le monde. Si vous avez besoin d’un hôpital moderne bien équipé et que vous vous faites soigner dans un tel établissement, que nous espérons accessible à un grand nombre de personnes, le taux de mortalité sera bien plus faible grâce aux respirateurs de soins intensifs et à la diminution des infections secondaires.

78. Comment puis-je savoir si je vais faire partie du groupe des patients légers ou de celui qui a besoin d’être hospitalisé ?
Vous n’en êtes pas sûr, mais avoir plus de 70 ans ou souffrir d’une maladie chronique augmente le risque de maladie grave, voire de décès. Nous ne pouvons parler qu’en termes de probabilités, car nous n’en savons pas encore assez sur la COVID-19.

79. Doit-on s’inquiéter de la contagion du COVID-19 ? A quel point êtes-vous inquiet ?
Si vous n’êtes pas à haut risque, je ne m’inquiéterais pas trop, mais je ferais tout mon possible pour éviter d’être infecté car tu ne connais pas les résultats individuels. Tout le monde va finir par courir le risque de contracter cette infection dans les prochaines années, tout comme personne n’évite le rhume ou la grippe au fil du temps. Nous devrions donc tous être prêts à rester à la maison dès les premiers signes.

80. Que voulez-vous dire par “tout le monde va courir le risque de contracter le virus” ?
Je veux dire que tous les humains passent du temps avec d’autres humains, donc nous sommes tous connectés – et la biologie est implacable. Cependant, je prendrais des précautions raisonnables et, en même temps, je ne m’inquiéterais pas de façon obsessionnelle. Cela ne m’aide pas.

81. Si tout le monde va attraper le nouveau virus, pourquoi essayer d’éviter de l’attraper ? Si j’attrape le virus immédiatement, je peux en finir avec lui et passer à autre chose.
Nous voulons ralentir l’infection, ce qui signifie ralentir le nombre de nouveaux cas et le nombre total de cas, afin que nos hôpitaux puissent prendre en charge les patients les plus touchés sans être débordés ou refuser les patients atteints d’autres types de maladies qui nécessitent une attention immédiate.

82. Il semble qu’une fois que les gens se sont remis du nouveau virus, ils peuvent encore être contagieux. Est-ce vrai ?
Nous ne le savons pas, bien qu’il semble que cela puisse être le cas pendant un certain temps après la guérison. Nous n’en sommes pas totalement sûrs. D’autres recherches sont nécessaires.

83. Une fois que vous avez contracté le virus, êtes-vous alors immunisé en permanence contre une nouvelle infection, comme la rougeole ou les oreillons ?
Là encore, nous ne connaissons pas encore la réponse à cette importante question.

84. Il est évident qu’une immunité permanente contre la COVID-19 serait importante pour les personnes qui sont passées par un épisode de la maladie. Cette immunité est-elle également importante pour la société dans son ensemble ? Pourquoi ?
Cette question est extrêmement importante pour le développement de vaccins, car les vaccins reposent sur la capacité de notre corps à monter une réponse immunitaire protectrice et sur un virus stable. Et il est évident que le nombre de personnes susceptibles d’être infectées diminuerait progressivement au fil du temps.

85. Le nouveau virus est-il saisonnier, comme la grippe ?
Nous n’avons pas été assez loin pour voir s’il y a une mutation saisonnière vers le SRAS-CoV2, ou comment les milliards de nouvelles particules virales changent lorsqu’elles passent à travers des millions de personnes.

86. Ce virus peut donc muter de lui-même en de nouvelles formes avec de nouveaux symptômes ?
Nous ne savons pas du tout. Si c’est le cas, de nouveaux vaccins pourraient être nécessaires pour empêcher la version mutée du SRAS-CoV2 de se propager.

© RTBF.BE

87. Si le virus mute naturellement, cela signifie-t-il qu’il pourrait devenir plus mortel, et d’autre part, qu’il pourrait aussi devenir moins mortel ?
Oui, l’un ou l’autre est possible. C’est un nouveau virus, donc nous n’avons aucune idée de ce que les mutations feront.

88. Si le coronavirus devient une menace qui ne disparaît pas, qu’est-ce que cela signifie pour moi et ma famille ?
Cela signifie que nous allons tous apprendre à y faire face et nous assurer que nous adoptons tous des comportements sûrs. Nous devons être particulièrement attentifs aux besoins des membres plus âgés de la famille.

89. Il se dit que le virus peut vivre 9 jours sur un comptoir. Est-ce vrai ?
Il est probable que le SRAS-CoV2 puisse rester viable sur certaines surfaces pendant un certain temps, mais nous ne savons pas pour combien de temps.

90. La plus grande pandémie des temps modernes a été la pandémie de grippe de 1918, juste à la fin de la Première Guerre mondiale. Comment le SRAS-CoV2 se compare-t-il à cette mutation ?
Le CoV2 du SRAS est tout aussi contagieux que la pandémie de grippe de 1918 et semble presque aussi mortel, mais le temps nous le dira. Souvenez-vous qu’en 1918, il n’existait aucun système médical comparable à celui des pays développés et qu’il n’y avait pas d’antibiotiques pour traiter la pneumonie bactérienne, qui était une cause majeure de décès.

91. Y a-t-il une chance que ce soit une fausse alerte géante et que nous nous retournions cet été pour dire “wow, nous avons tous paniqué pour rien” ?
Non. COVID-19 est déjà présent dans de nombreux pays et il est très contagieux. Pratiquement chaque jour, il y a de plus en plus de cas, dans plus de pays. Ce n’est pas un exercice. C’est la réalité.

92. Il est difficile de croire que soudainement un virus vraiment nouveau que l’humanité n’a jamais vu puisse infecter des millions de personnes. Quand est-ce que cela s’est produit pour la dernière fois ?
Le SRAS et le MERS étaient nouveaux – mais ils n’ont pas atteint l’échelle. Le VIH était nouveau dans le monde et a infecté 70 millions de personnes – dont 32 millions sont mortes de la pandémie de VIH.

93. Le VIH touche les pays pauvres bien plus que les pays riches. Cela sera-t-il probablement vrai pour le nouveau virus ?
Oui, absolument. Les pays riches comme les États-Unis vont avoir des taux de mortalité beaucoup plus faibles grâce à une meilleure hydratation, à des équipements respiratoires supplémentaires, à une bonne prise en charge des infections, etc. Il s’agit d’un problème potentiellement énorme pour les pays à faibles ressources qui ont des systèmes de santé médiocres. De nombreux pays d’Afrique seront confrontés à des risques énormes. Lorsqu’il atteindra les pays les plus pauvres en ressources du monde, il est très probable que ce sera catastrophique.

94. On dirait que le fond du problème est que vous n’êtes pas terriblement optimiste.
En général, je suis définitivement optimiste, mais en même temps, il y a beaucoup de raisons d’être très mal à l’aise et nerveux. Je comprends que les gens aient des craintes, surtout s’ils appartiennent à un ou plusieurs des groupes à haut risque. Mais il y a aussi de bonnes nouvelles, car nous constatons déjà des progrès dans la coopération mondiale, notamment dans les domaines de la science et de la médecine. Nous constatons une plus grande transparence entre les gouvernements. Le nombre de cas en Chine est actuellement en rapide diminution, mais cela pourrait changer. Et nous assistons à un développement très rapide de la thérapeutique, par exemple.

95. Vous avez également dit qu’il y a beaucoup de raisons de s’inquiéter. Quels sont vos plus grands soucis concernant le nouveau virus ?
Mal gérée, la propagation du coronavirus peut rapidement surcharger le système de santé de n’importe quel pays et bloquer les personnes qui ont vraiment besoin de toutes sortes d’accès médicaux. Une autre inquiétude est que des réactions excessives et la peur peuvent paralyser l’économie d’un pays, ce qui provoque un autre type de souffrance. Il s’agit donc d’un compromis très difficile.

96. Et à quoi devrions-nous nous préparer psychologiquement ?
Nous devrions être psychologiquement prêts à entendre parler de nombreux “nouveaux” cas signalés dans chaque ville des États-Unis qui commence à faire des tests, ainsi que d’un nombre croissant de décès, en particulier chez les personnes âgées. En réalité, il ne s’agit souvent pas de “nouveaux” cas, mais de cas existants qui sont devenus visibles pour la première fois.

97. Quelles sont les choses qui vous encouragent ?

      1. La biologie moderne évolue à une vitesse fulgurante.
      2. Outre la communauté de la santé publique dans le monde entier, y compris l’Organisation Mondiale de la Santé, les dirigeants gouvernementaux au plus haut niveau se concentrent sur cette menace.
      3. Nous avons isolé le virus en quelques jours et l’avons séquencé rapidement.
      4. Je suis convaincu que nous disposerons bientôt d’un traitement.
      5. Nous allons, espérons-le, disposer d’un vaccin.
      6. Nous sommes vraiment à l’ère de la communication moderne. Cela peut nous aider, à condition que nous démystifions les fausses nouvelles et les nouvelles dangereuses.

98. Dans quelle mesure les États-Unis sont-ils prêts pour cela ?
Les États-Unis ont eu amplement le temps de se préparer à cette pandémie, tout comme d’autres pays à revenu élevé. Nous avons tous bénéficié des quarantaines de masse sans précédent imposées par la Chine, qui ont ralenti la propagation. Les États-Unis traiteront correctement les cas graves dès le début en étant mieux préparés.

99. Qui vous inquiète le plus ?
Ce sont les pays à faibles ressources qui m’inquiètent le plus. Chaque décès est une tragédie. Quand on dit qu’en moyenne, 1 à 2 % des personnes infectées mourront du coronavirus, c’est beaucoup. Après tout, 1 % d’un million, c’est 10 000 personnes, et ce sont les personnes âgées qui m’inquiètent le plus. Mais 98% à 99% des gens ne mourront pas de cela. La grippe saisonnière tue des dizaines de milliers d’Américains chaque année et on ne panique pas – même si nous devrions en fait prendre la grippe beaucoup plus au sérieux et nous assurer que nous sommes tous vaccinés contre elle chaque année. Tout comme nous avons appris à vivre avec la grippe saisonnière, je pense que nous devrons apprendre à mener notre vie normalement, malgré la présence de COVID-19, jusqu’à ce qu’un vaccin efficace soit disponible.

100. Y a-t-il d’autres pandémies dans notre avenir ?
Oui, absolument. Cela fait partie de notre condition humaine et de la vie sur une “planète à virus”. C’est une bataille sans fin. Nous devons améliorer notre préparation. Cela signifie que nous devons nous engager à investir sérieusement dans la préparation à la pandémie et à mettre sur pied une brigade mondiale de pompiers, bien avant que la maison ne prenne feu la prochaine fois.

[Cette interview est disponible en anglais sur le site de l’École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres ; elle a été traduite par Jacques Marlot) : pour lire l’article original sur LALIBRE.BE (2 avril 2020)…]


Plus de nouvelles du monde…

FRENCK & SCHMIDT : La thérapie systémique remet la famille abîmée à l’équilibre

Temps de lecture : 5 minutes >
© Le Temps

“Connue depuis les années 1960, cette approche permet de restaurer des liens abîmés. Deux psychologues lausannois en donnent un nouvel exemple dans un ouvrage éloquent.

L’image est très parlante. En thérapie systémique, pour évoquer la famille, on recourt à la figure du mobile, où parents et enfants sont suspendus à la même structure en bois. L’idée ? Montrer que ce qui est vécu par l’un a forcément des répercussions sur les autres et que, pour rééquilibrer le clan, il est nécessaire que la parole soit donnée à chacun. D’abord en même temps, au gré d’une première consultation commune, puis, souvent, lors d’entretiens particuliers qui varient selon la problématique rencontrée. Dans Défis de familles, 16 histoires de thérapie systémique (Lausanne : éditions Loisirs et Pédagogie, 2019), les psychologues Nahum Frenck et Jon Schmidt prouvent toute la puissance de cette approche permettant de débusquer des blocages enfouis et de retisser des liens endommagés.

Le concept le plus frappant présenté par ces thérapeutes qui reçoivent en tandem, à Lausanne, depuis près de dix ans ? Celui du patient désigné. Dans le livre, c’est le cas de Laurent, 12 ans, qui rend la vie de sa famille infernale par une opposition massive. Ses parents, mais aussi ses deux aînés, une sœur de 18 ans et un frère de 16 ans, souffrent des crises incessantes du jeune tyran. Au terme des consultations, d’abord au complet, puis à travers des entretiens où les parents sont chaque fois entendus en compagnie d’un des enfants, il s’avère que Laurent n’était qu’un paratonnerre. Le symptôme de maux portés par chacun, en sourdine.

Le rôle du «patient désigné»

Les parents de Laurent ont en effet été secoués quand l’aînée a quitté le foyer pour suivre des études universitaires dans une autre ville et, inquiétés par la perspective du nid vide, ont porté toute leur attention sur le petit dernier. L’aînée, justement, a enduré un premier échec académique et, craignant que ses parents ne la rejettent, a très peu évoqué la fragilité que ce revers a suscitée en elle. Quant à l’ado du milieu, il rencontre aussi des difficultés scolaires qu’il a mises de côté, préférant diriger son angoisse contre son petit frère. “La fonction de « patient désigné » tenue par Laurent permet ainsi aux autres membres de la famille de vivre leurs propres crises évolutives sans avoir à être remis en question et pointés du doigt”, notent les psychologues.

En invitant chaque enfant à se confier séparément à ses parents, les thérapeutes ont mis en évidence le besoin de différenciation du clan. Par la suite, les parents ont continué à voir, une fois par semaine, chaque enfant en solitaire «pour discuter des problèmes, mais aussi partager les aspects positifs», et le comportement de Laurent a lui aussi changé car “il a pu dire son soulagement d’être confronté à ses deux parents pour régler ses conflits et non aux quatre membres de la famille”.

L’étiquette immuable

Ce récit relève un point important de l’approche systémique, technique née dans les années 1960 en Californie. Une famille est toujours en mouvement, martèlent les spécialistes, et il est maladroit – mais tellement tentant! – de donner une étiquette immuable à chaque enfant. On a vite tendance à dire, on le fait tous, “mon aîné, c’est le boute-en-train de la famille ; mon deuxième, c’est le ténébreux ; ma benjamine, c’est la force tranquille, etc.” Certes, cette habitude pimente le récit familial, mais elle limite le (la) concerné.e, surtout quand le qualificatif est négatif.

ISBN 978-2-606-01787-3

Dans le même esprit de mobilité, Nahum Frenck et Jon Schmidt rappellent que toutes les relations, même les plus détériorées, peuvent évoluer. Une approche optimiste et bienveillante “qui laisse toujours à l’autre le bénéfice du doute” et se manifeste par des questions “ouvertes et non jugeantes”. “Nous procédons par formulation d’hypothèses que nous construisons avec les membres de la famille. Nous ne recherchons pas l’hypothèse la plus correcte, mais la plus utile”, précisent les auteurs qui, au-delà des mots, considèrent avec attention le langage non verbal des protagonistes.

Les cas évoqués dans le livre ? Un enfant roi qui fait la loi, un garçon à haut potentiel que le couple parental a peur de casser, un ado qui vit un coming out difficile face à des parents catholiques, un enfant hyperactif qui met tout le monde sous pression, une séparation compliquée à annoncer aux enfants, des familles recomposées qui se demandent quel rôle éducatif accorder au nouveau venu ou encore un enfant adultifié à la suite d’un divorce. Chaque fois, les psychologues suivent le même protocole. Avant le premier rendez-vous, ils demandent aux patients de répondre par mail à trois questions : “pouvez-vous nous décrire la situation actuelle de la famille ?”, “quel devrait être l’objectif de la thérapie ?” et “que doit vous apporter la thérapie, à titre personnel ?”

La manière de répondre autant que le contenu donnent déjà de précieuses indications, mais c’est en séance que tout se joue. Qui parle, quand, et comment ? Qui se tait, écoute plutôt ? Qui boude fermement ou sourit exagérément ? Là aussi, même si le contenu prime, la manière dit beaucoup des hiérarchies qui régissent la famille. Une constante : les mots libèrent (presque) chaque fois et le changement va du haut vers le bas. C’est-à-dire qu’il revient toujours aux parents de modifier leur comportement et/ou les interactions familiales pour que les enfants retrouvent leur juste place, recommencent à mieux dormir, mieux étudier, mieux agir, etc.

Le jeu et le corps, outils de thérapie

En séance, raconte l’ouvrage, les thérapeutes redoublent de créativité pour atteindre l’homéostasie (ou état d’équilibre) et sortir des moments de crise. Certaines approches sont très verbales : l’histoire des parents est parfois retracée sur plusieurs générations et quand les langues se délient, les corps se détendent. D’autres outils sont plutôt physiques. Comme cette jolie suggestion de pacing faite aux parents de Killian, 9 ans, diagnostiqué hyperactif.

Parce que la famille vit à un rythme très élevé et remplit l’agenda du fiston de peur qu’il ne s’ennuie, les psychologues proposent à Killian de se poser successivement sur les genoux de son papa et de sa maman et de coller sa tête sur leur cœur. “Le parent doit alors respirer profondément et se détendre. Le jeu consiste pour l’enfant à caler sa respiration sur celle de son parent pour s’apaiser à son tour.” Le duo de spécialistes utilise également “un métronome pour permettre à la famille de prendre conscience de la vitesse de ses paroles”. L’échange se poursuit en ralentissant le métronome et, souvent, un dialogue plus posé s’installe. Malin, non?

Le dessin ou les jeux (de rôle, de société, etc.) permettent encore aux plus jeunes de s’exprimer et, toujours, la courtoisie des échanges est exigée. Ce qui est important, c’est que “les membres de la famille retrouvent espoir et s’autorisent à se penser autrement”, soulignent les auteurs qui appellent souvent à une dédramatisation. “Nous souhaitons donner aux familles les moyens de se libérer de leurs entraves pour ne plus être simplement encordées, mais accordées.”

Lire l’article original de Marie-Pierre GENECAND sur LETEMPS.CH (article du 13 janvier 2020)


D’autres articles de presse sélectionnés par nos soins…

Boverie à Liège : une expo hyper fascinante de sculptures hyperréalistes

Temps de lecture : 3 minutes >
MUECK Ron, A Girl (2006) © Tous droits réservés

“Une sculpture hyperréaliste d’un nouveau-né de 5 mètres de long… L’effet est saisissant ! C’est ce que vous pourrez découvrir dès vendredi au musée de la Boverie à Liège avec l’expo “ceci n’est pas un corps“, une exposition consacrée à l’hyperréalisme, ce courant artistique né aux Etats-Unis dans les années 60. L’exposition présente une quarantaine de sculptures de corps à l’apparence parfois plus vraie que nature. Parmi les œuvres, plusieurs artistes internationaux de renom sont représentés comme Duane Hanson, John De Andrea, George Segal, Ron Mueck, Paul McCarthy… Un voyage artistique fascinant coproduit par l’agence Tempora. Cette exposition remarquable fait le tour du monde : après Bilbao, le Mexique, l’Australie et Rotterdam, l’expo “hyperrealism sculpture” ouvre ses portes à Liège.

Résine, bronze, peintures à l’huile et… cheveux humains

Un regard, une ride, un bleu sur la peau… L’illusion du corps humain est souvent bluffante. François Henrard, directeur de projet chez Tempora : “il y a par-dessus le bronze, quelquefois des dizaines de couches de peintures, en général, de la peinture à l’huile avec parfois des ajouts de cheveux, souvent des cheveux humains. On les prend parfois au modèle même pour donner cet aspect hyperréaliste.

FEUERMAN Carole, General’s Twin (2009-11) © Tous droits réservés

L’artiste new-yorkaise Carole Feuerman a débuté fin des années 70. Elle est célèbre pour ses sculptures hyperréalistes de nageuses. Présente à Liège, elle commente sa technique : “le tissu du maillot est en résine, les gouttes d’eau sont en résine. Le corps, le langage corporel dit tellement de choses. L’hyperréel exprime plus que le réel“.

Ceci n’est pas un corps
CATTELAN Maurizio, Ave Maria (2007) © Tous droits réservés

Intitulé Ave Maria, le salut fasciste de 3 bras tendus hyperréalistes de l’italien Maurizio Cattelan interpelle le spectateur. Loin des cires des musées Tussaud’s, le corps questionne la société. Selon François Henrard, “l’hyperréalisme s’inscrit dans une longue tradition qui commence avec l’art grec. On a toujours représenté le corps humain mais les intentions des anciens grecs, même les intentions des hyperréalistes précurseurs et celles des artistes d’aujourd’hui changent. Et c’est intéressant de voir comment ce même corps — qui lui, a très peu changé – est représenté de manière très différente à chaque fois.” L’exposition est agrémentée de portrait vidéo de plusieurs artistes. Profonde, ludique et accessible, à Liège, l’exposition Hyperrrealism Sculpture. Ceci n’est pas un corps est une grande, très grande exposition qui nous rend un peu plus vivant.” [Lire l’article original d’Erik  Dagonnier sur RTBF.BE (20 novembre 2019)]

En savoir plus dans notre agenda en ligne…


A la une également…

Il se passe des choses sur les chaînes d’info en continu…

Temps de lecture : 2 minutes >
Julie Graziani (dr.)

Novembre 2019. Julie Graziani, éditorialiste française proche de l’extrême-droite fait sensation en intervenant à propos d’une mère divorcée, vivant avec deux enfants et bénéficiant du SMIC [NDLR : Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance, en France] :

Qu’a-t-elle fait pour se retrouver au SMIC, a-t-elle bien travaillé à l’école ou suivi des études ? Et si on est au SMIC, faut peut être pas non plus divorcer dans ces cas là…

D’aucuns évoquent une stratégie de la droite extrême visant à élargir la ‘fenêtre d’Overton‘ (l’étendue des sujets jugés acceptables dans le débat public) afin de banaliser des propos tenus par e.a. le clan Le Pen en France. Pour mieux comprendre…


“[…] c’est le monde de l’information, ou ce qu’il en reste, qui s’est twitterisé, comme si Twitter devenait le mode normal de commentaire de l’actualité, non pas uniquement en raison de la forme brève, mais pour la dimension arbitraire et subjective qui permet l’énonciation de tous les avis.

Cette évolution marque l’avènement du troisième âge du commentaire d’actualité. Il y eut jadis à l’époque des fondateurs, un régime de certitude où l’on avait la sensation de dire des choses scientifiques sur la réalité sociale, une certitude qui est progressivement partie en lambeaux. Puis on est passé à un régime d’opinion, où les idéologies, les valeurs avaient droit de cité. Mais là aussi ce régime-là s’est fait la malle. Voilà l’avènement du régime de l’avis ! J’ai un avis, un avis lié à ma subjectivité, ce qui me traverse l’esprit au moment où je vous parle — “les smicards ne devraient pas divorcer”, “les policiers devraient tirer sur les jeunes violents”, “c’est ce que je pense et voilà tout” — le régime de l’avis emporte tout, ce que je pense du divorce, des violences urbaines, des voyages spatiaux. […]” [FRANCECULTURE.FR : écouter ici l’émission de Guillaume Erner, datée du 6 novembre 2019…]


Plus de presse…

Une encyclopédie vieille de 1000 ans sur l’usage des plantes médicinales est disponible en ligne… en vieil anglais

Temps de lecture : 3 minutes >
© The British Library

“Un manuscrit vieux de 1000 ans relatant les bienfaits de la phytothérapie (médecine par les plantes) vient d’être mis en ligne par la Bibliothèque Nationale du Royaume-Uni.

La phytothérapie ou médecine par les plantes est utilisée depuis des siècles, pour preuve l’encyclopédie de la tribu matsé […]. Aujourd’hui c’est un manuscrit vieux de 1000 ans renfermant les secrets des plantes médicinales qui est mis en ligne par la Bibliothèque Nationale du Royaume-Uni.

Une mine d’or pour les adeptes de la phytothérapie, qui a soigné et soigne encore certains maux de la manière la plus naturelle qu’il soit et ce, depuis des siècles ! Contrairement à l’homéopathie qui a été déclarée inefficace par la Haute Autorité de la Santé (FR), la phytothérapie est bel et bien reconnue par tous, comme une alternative à la médecine classique. De nombreux médicaments issus de laboratoires sont d’ailleurs à base de plantes !

Le manuscrit est écrit en vieil anglais, et il faut être au moins anglophone voire historien pour en déchiffrer les secrets ! Il est en fait une traduction d’un guide du IVème siècle écrit par un herbier, Pseudo-Apulée. Ce livre indique l’utilisation des plantes dans un cadre médical pour les humains et pour les animaux. Des annotations ajoutées au fil des siècles (XIème au XVIème siècle) viennent également étoffer les connaissances acquises au cours du temps.

La médecine par les plantes a longtemps été la seule médecine utilisée pour soigner (et guérir) l’être humain. La médecine classique utilisant des procédés chimiques qui n’étaient pas connus il y a 1000 ans évidemment. Les remèdes naturels étaient donc concoctés par les « sages » des villages et administrés comme seul et unique médicament.

Toutes les parties des plantes peuvent être utilisées (feuilles, racines) et de plusieurs manières (tisanes, cataplasmes ou absorption), […], il faut cependant veiller à un dosage précis et connaître scrupuleusement les effets secondaires que certaines plantes pourraient provoquer. Certaines plantes sont même mortelles, il ne faut donc pas jouer au petit sorcier sans s’aider de livres sérieux ou consulter un phytothérapeute, spécialisé dans ce domaine.

Attention cependant, nous ne faisons pas ici, l’apologie de la phytothérapie prétextant qu’elle peut soigner tous les maux et toutes les maladies mais elle permet une alternative aux petits tracas quotidiens : romarin contre les maux de tête, radis noir pour les maux intestinaux, arnica contre les ecchymoses ou hamamélis pour soulager les brûlures par exemple. Certaines maladies ne seront jamais soignées par les plantes mais celles-ci peuvent soulager les maux adjacents et apporter un certain confort aux malades.

Aujourd’hui, l’avènement du bio, le retour aux remèdes naturels, aux emballages zéro déchet ajoutés à la prise de conscience des populations face à une pollution grandissante pourrait faire revenir la phytothérapie sur le devant de la scène !” [NEOZONE.ORG, article du 18 juillet 2019]


Mandragore (Ms cod vind 93, XIIIe)

“L’Herbarius du pseudo-Apulée est un herbier illustré rédigé en latin probablement au IVe siècle et attribué très tôt à un auteur nommé Apulée. Il a connu une large diffusion au Moyen Âge puisque nous avons gardé une soixantaine de manuscrits qui comportent l’herbier en totalité ou en fragments. Autour de 1481 parut sa première édition, ce qui en fit le tout premier herbier totalement illustré imprimé. Pourtant, il reste assez méconnu et nous avons encore beaucoup d’incertitudes sur son auteur, son origine et sa composition.” Pour en savoir plus, consulter le doctorat de Mylène Pradel-Baquerre (Université Paul-Valéry – Montpellier, FR)…


Plus de presse ?

lacquemant

Temps de lecture : 2 minutes >
© rtbf.be

“La foire d’octobre de Liège bat son plein. Sur le champ de foire, il y en a pour tous les goûts. Si vous n’êtes pas friands d’attractions vous vous rabattrez certainement sur la nourriture. Parmi les différents mets proposé peut-être que vous craquerez pour une spécialité liégeoise bien connue : le lacquemant.

Le lacquemant, une star de la Foire de Liège.

Certains les aiment mous, d’autres les préfèrent plus croquants ou encore avec beaucoup de sirop. Dans tous les cas le lacquemant est l’une des stars de la foire de Liège. Les forains les vendent comme des petits pains.

Le lacquemant, plus d’un siècle d’histoire.

Le lacquemant plaît aux Liégeois. Aujourd’hui présenté comme une spécialité culinaire de la région le lacquemant a pourtant été créé à Anvers… il y a plus d’un siècle. Le lacquemant a été créé en 1903 par Désiré Smidts, aussi connu sous le nom de Désiré de Lille. Il crée la recette de la gaufrette alors qu’il travaille pour Berthe Lacquemant à Anvers. Désiré Smidts donne à sa création le nom de son employeuse. Lorsqu’il revient à Liège, Désiré Smidts invente un sirop pour son Lacquemant. La gaufrette du lacquemant s’inspire de la gaufre fourrée lilloise. Celle-ci s’accompagne du sirop qui fait le goût si spécial du lacquemant. Une recette qui est toujours bien gardée aujourd’hui.

Le lacquemant, plusieurs déclinaisons

Avec le temps la recette a évolué et chaque forain propose des variations diverses. L’orthographe de la pâtisserie varie également avec plusieurs versions qui cohabitent entre les différents stands. Mais une seule orthographe a été retenue par le dictionnaire Larousse en 2009. Dans tous les cas -qu’il s’écrive avec un cq ou avec un k– ce n’est pas ça qui fait le goût du lacquemant. Un mets sucré qui peut s’apprécier chaud ou froid et qui a une saveur toute particulière en octobre…”

Lire la suite de l’article de Pierre DEVILLERS sur RTC.BE (article du 25 octobre 2019)


C’est un secret public mais la combinaison des ingrédients est la suivante :

      • sirop de candi ;
      • sucre semoule ;
      • beurre ;
      • eau ;
      • fleur d’oranger ;
      • cannelle.

C’est ce mélange entre la fleur d’oranger et la cannelle qui donne le bon goût au lacquemant. Certains ajoutent également un peu de miel…


Encore faim ?

Parcours d’Artistes de Sainte-Walburge (2019)

Temps de lecture : 2 minutes >
WESEL Bénédicte : Celle qui est (2015) © Bénédicte Wesel

“Ce week-end du 25, 26 et 27 octobre 2019 se déroulera la seconde édition du Parcours d’Artistes de Sainte-Walburge. Le parcours débutera par le vernissage de l’exposition témoin le vendredi 25 octobre à 18h30 au Théâtre le Moderne et à la Galerie Photographique Ouvertures. L’exposition témoin permettra de découvrir une oeuvre de chacun des artistes participants et ainsi de programmer les visites chez ceux qui les touchent le plus. Lors de ce parcours, vous pourrez découvrir le talent de 46 artistes, peintres, photographes, sculpteurs, scénaristes, illustrateurs, plasticiens, céramistes, qui exposeront leurs œuvres dans 23 lieux répartis dans le périmètre du quartier. Les artistes présents : Sophie Bernard, Marc Bernard dit “Ptit Marc”, Héloïse Berns, Alexia Bertholet, Christiane Bours, Vincent Brichet, Laurence Brose, David Bruce On Rocks, Vanessa Cao, Françoise Ceyssens, Sophie Conradt, Cécile Cornerotte, Marcel Coulon, Pierre Daubit, Nathalie De Corte, Lloyd Dos Santos Dias, Michel Dusard, Anne Feller, Hélène Fontaine, Cathy Ganty, David Geron, Sophie Giet, Olivier Gonzato, Valérie Henrotay, Bénédicte Henry, Ludivine Herrmann, Eva Herrmann Brose, Halinka Jakubowska, Ania Janiga, Raoul Jasselette, Sarah Joveneau, Raphaël Kirkove, Raymond Klein, Mélody Lambert, Lilla Lazzari, Miryam Lebrun, Christine Lejeune, Nicole Meubus, Janine Moons, Nathalie Pieters, Thierry Salmon, José Sterkendries, Friede Voet, Pascale Werres, Bénédicte Wesel (illustrée ci-dessus), Arlette Wintgens, Go JeuneJean.

Informations pratiques : le parcours chez les artistes et l’exposition témoin au Théâtre le Moderne (rue Sainte-Walburge, 1 – 4000 Liège) seront accessibles les samedi et dimanche de 14h à 18h. Une carte reprenant les différents lieux d’exposition sera à votre disposition au Théâtre, chez les artistes et sur la page Facebook de l’événement.”

 

Lire l’article original sur CULTURELIEGE.BE (article du 19 septembre 2019)


Plus de presse…

IWEPS : La Wallonie reste l’une des régions les plus égalitaires d’Europe

Temps de lecture : 4 minutes >
Dinant © Getty Images

Le coefficient de Gini y est particulièrement stable malgré une légère augmentation le faisant passer de 0,250 en 2016 à 0,256 l’année suivante. Mesure synthétique des inégalités au sein d’une population, ce coefficient varie de 0, si l’égalité est totale, à 1, si l’ensemble des revenus est perçu par un seul individu.

Avec un coefficient de 0,256, la Wallonie fait aussi bien que les pays scandinaves. Par contre, les conditions de vie y sont davantage marquées par la pauvreté. Ainsi, le taux wallon de privation matérielle sévère (8,6% et 21,4% de la population vivant dans un ménage monoparental) est supérieur à la médiane européenne et plus d’un habitant sur quatre (26,2%) vit dans un ménage en situation de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale.

En outre, plus d’un Wallon sur 5 vit dans une habitation présentant des problèmes d’humidité tandis que 44,7% des locataires au prix du marché ont un revenu net équivalent inférieur au seuil de pauvreté. Plus de 7% des clients résidentiels wallons en électricité étaient également en défaut de paiement en 2018.

Enfin, une part importante de la population (17,6% des moins de 60 ans) est exclue de l’emploi, relève l’IWEPS.

A l’autre bout de l’échelle, les 20.000 déclarations les plus élevées, soit 1% des déclarations, affichent, en moyenne, un revenu imposable de plus de 216.000 euros. “Autrement dit, le revenu cumulé des 1% des déclarations les plus élevées est supérieur au revenu cumulé d’environ 25 à 30% des déclarations les moins élevées“, conclut l’IWEPS.”

Lire l’article original de l’agence BELGA sur LEVIF.BE (8 octobre 2019)


L’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS) est un institut scientifique public d’aide à la prise de décision à destination des pouvoirs publics. Par sa mission scientifique transversale, il met à la disposition des décideurs wallons, des partenaires de la Wallonie et des citoyens des informations diverses qui vont de la présentation de statistiques et d’indicateurs à la réalisation d’études et d’analyses approfondies dans les champs couverts par les sciences économiques, sociales, politiques et de l’environnement. Par sa mission de conseil stratégique, il participe activement à la promotion et la mise en œuvre d’une culture de l’évaluation et de la prospective en Wallonie.

Depuis le 1er janvier 2016, l’Institut a été désigné par le Gouvernement wallon comme l’Autorité Statistique de la Région wallonne. […] Cette désignation au sein de l’Institut Interfédéral de Statistiques (IIS) implique, outre l’élaboration du programme de statistiques officielles de la Région wallonne,  l’accomplissement des missions de l’IIS  avec les autorités statistiques fédérale et des entités fédérées.  Il s’agit de l’élaboration du programme statistique intégré de l’IIS, le monitoring de la qualité des statistiques publiques, la formulation de recommandations méthodologiques et la préparation des positions belges en vue des forums statistiques internationaux….”

Tout cela, c’est l’IWEPS qui le dit sur son site officiel : IWEPS.BE…


Une baisse de l’indice de Gini observée entre deux dates indique une diminution globale des inégalités. A l’inverse, une élévation de l’indice reflète une augmentation globale des inégalités. [INSEE.FR]

“Le coefficient de Gini est une mesure synthétique des inégalités de revenu au sein d’une population. Il varie de 0, quand l’égalité est totale (c’est-à-dire que tous les revenus sont égaux), à 1 quand l’inégalité est maximale (quand la totalité des revenus est perçue par un seul individu). Il peut aussi s’interpréter comme l’écart moyen de revenu (exprimé en fonction du revenu moyen) entre deux individus tirés au hasard.

Cela veut dire qu’en Wallonie, si l’on prend deux personnes au hasard, en moyenne, leur différence de revenu équivaudra à environ un quart du revenu moyen wallon. Ici, le coefficient de Gini est calculé à partir du revenu équivalent mesuré avec SILC [une enquête annuelle (supervisée par Eurostat) largement utilisée pour quantifier la pauvreté, les inégalités de revenu et les conditions de vie en Europe]. Dans cette enquête, les revenus sont mesurés pour la totalité de l’année civile précédant l’enquête – par souci de fiabilité et pour neutraliser les variations temporaires. Ici, nous avons indiqué les années de revenu et non les années d’enquête.

Étant donné que ce coefficient est mesuré à l’aide d’une enquête, les intervalles de confiance sont nécessaires pour rendre compte des imprécisions statistiques découlant du processus d’échantillonnage. Dans 19 cas sur 20, la « vraie » valeur du coefficient de Gini se situe à l’intérieur des marges indiquées sur le graphique. Ainsi, on peut affirmer avec 95 % de certitude qu’en Wallonie sur base des revenus de 2017, le coefficient de Gini se situait entre 0,240 et 0,272. Ces chiffres montrent que l’ampleur des inégalités de revenus en Wallonie est très faible par rapport à la situation observée dans la plupart des autres pays européens. On peut expliquer cette situation favorable en raison de notre modèle social qui combine une sécurité sociale relativement bien développée et un marché du travail plutôt bien encadré, notamment par les partenaires sociaux…” [IWEPS.BE]


Plus d’infos également auprès du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale qui “évalue l’effectivité des droits fondamentaux des personnes qui vivent dans des conditions socio-économiques défavorables : droit à un logement décent, droit à l’énergie, droit à la protection de la vie familiale, droit à la protection sociale, droit à la protection de la santé…

Il organise pour ce faire des concertations approfondies entre des associations dans lesquelles des personnes pauvres se reconnaissent, des CPAS, des interlocuteurs sociaux, des professionnels de divers secteurs, des administrations… Sur la base de ces travaux, il formule des recommandations destinées aux responsables politiques de notre pays, en vue de restaurer les conditions d’exercice des droits fondamentaux. Celles-ci font l’objet de discussions dans tous les Gouvernements et Parlements ainsi que dans des instances consultatives.

Cet outil de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale a été créé par l’Etat fédéral, les Communautés et les Régions, par un accord de coopération signé par tous les Gouvernements et approuvé par tous les Parlements.” [LUTTEPAUVRETE.BE]


Egalement dans la presse…

Artothèque Chiroux (Liège, BE)

Temps de lecture : 2 minutes >
© Province de Liège

“Envie d’accrocher une oeuvre dans votre salon, mais pas les moyens d’en acquérir une ? Désormais, il sera possible de les emprunter. La nouvelle Artothèque de la bibliothèque des Chiroux à Liège, inaugurée mardi, met à disposition des amateurs une petite centaine d’œuvres, signées d’artistes bien établis (Jacques Charlier, Patrick Corillon, André Stas…) ou de talents émergents (Elodie Ledure, Sylvain Bureau, Benjamin Monti…). Ces gravures, impressions numériques, photos et planches de BD peuvent être empruntées gratuitement, à condition de posséder la carte de membre des Chiroux, qui coûte 6 euros par an. L’emprunt dure deux mois et n’est renouvelable qu’une fois, mais les œuvres peuvent par la suite être achetées auprès de l’artiste, leur prix se voulant accessible (généralement moins de 400 euros). Les emprunteurs devront signer un document les engageant en cas de dégradation ou de vol. La province de Liège a mobilisé un budget de 27.000 euros en 2014 et 2015 pour acquérir cette collection, “mais nous sommes prêts à augmenter le montant si la demande est forte”,  précise Paul-Emile Mottard, le député provincial qui a porté l’initiative L’objectif est de promouvoir les artistes (une soixantaine sont exposés) et l’art contemporain auprès d’un public qui n’y est peut-être pas d’emblée réceptif. Ce concept existait déjà en France et à Bruxelles (Wolubilis), mais l’Artothèque des Chiroux est la première en Wallonie. Elle sera ouverte tous les vendredis (13h à 18h) et les samedis (9h à 15h). La disponibilité des œuvres pourra être vérifiée dans le catalogue public de la bibliothèque…”

Lire l’article original (LESOIR.BE, mercredi 19 novembre 2014)

Pour en savoir plus, visitez le site officiel de l’Artothèque Chiroux ou cliquez ci-dessous : plusieurs des œuvres disponibles sont déjà dans nos pages. Quelques exemples…