“Connue depuis les années 1960, cette approche permet de restaurer des liens abîmés. Deux psychologues lausannois en donnent un nouvel exemple dans un ouvrage éloquent.
L’image est très parlante. En thérapie systémique, pour évoquer la famille, on recourt à la figure du mobile, où parents et enfants sont suspendus à la même structure en bois. L’idée ? Montrer que ce qui est vécu par l’un a forcément des répercussions sur les autres et que, pour rééquilibrer le clan, il est nécessaire que la parole soit donnée à chacun. D’abord en même temps, au gré d’une première consultation commune, puis, souvent, lors d’entretiens particuliers qui varient selon la problématique rencontrée. Dans Défis de familles, 16 histoires de thérapie systémique (Lausanne : éditions Loisirs et Pédagogie, 2019), les psychologues Nahum Frenck et Jon Schmidt prouvent toute la puissance de cette approche permettant de débusquer des blocages enfouis et de retisser des liens endommagés.
Le concept le plus frappant présenté par ces thérapeutes qui reçoivent en tandem, à Lausanne, depuis près de dix ans ? Celui du patient désigné. Dans le livre, c’est le cas de Laurent, 12 ans, qui rend la vie de sa famille infernale par une opposition massive. Ses parents, mais aussi ses deux aînés, une sœur de 18 ans et un frère de 16 ans, souffrent des crises incessantes du jeune tyran. Au terme des consultations, d’abord au complet, puis à travers des entretiens où les parents sont chaque fois entendus en compagnie d’un des enfants, il s’avère que Laurent n’était qu’un paratonnerre. Le symptôme de maux portés par chacun, en sourdine.
Le rôle du «patient désigné»
Les parents de Laurent ont en effet été secoués quand l’aînée a quitté le foyer pour suivre des études universitaires dans une autre ville et, inquiétés par la perspective du nid vide, ont porté toute leur attention sur le petit dernier. L’aînée, justement, a enduré un premier échec académique et, craignant que ses parents ne la rejettent, a très peu évoqué la fragilité que ce revers a suscitée en elle. Quant à l’ado du milieu, il rencontre aussi des difficultés scolaires qu’il a mises de côté, préférant diriger son angoisse contre son petit frère. “La fonction de « patient désigné » tenue par Laurent permet ainsi aux autres membres de la famille de vivre leurs propres crises évolutives sans avoir à être remis en question et pointés du doigt”, notent les psychologues.
En invitant chaque enfant à se confier séparément à ses parents, les thérapeutes ont mis en évidence le besoin de différenciation du clan. Par la suite, les parents ont continué à voir, une fois par semaine, chaque enfant en solitaire «pour discuter des problèmes, mais aussi partager les aspects positifs», et le comportement de Laurent a lui aussi changé car “il a pu dire son soulagement d’être confronté à ses deux parents pour régler ses conflits et non aux quatre membres de la famille”.
L’étiquette immuable
Ce récit relève un point important de l’approche systémique, technique née dans les années 1960 en Californie. Une famille est toujours en mouvement, martèlent les spécialistes, et il est maladroit – mais tellement tentant! – de donner une étiquette immuable à chaque enfant. On a vite tendance à dire, on le fait tous, “mon aîné, c’est le boute-en-train de la famille ; mon deuxième, c’est le ténébreux ; ma benjamine, c’est la force tranquille, etc.” Certes, cette habitude pimente le récit familial, mais elle limite le (la) concerné.e, surtout quand le qualificatif est négatif.
Dans le même esprit de mobilité, Nahum Frenck et Jon Schmidt rappellent que toutes les relations, même les plus détériorées, peuvent évoluer. Une approche optimiste et bienveillante “qui laisse toujours à l’autre le bénéfice du doute” et se manifeste par des questions “ouvertes et non jugeantes”. “Nous procédons par formulation d’hypothèses que nous construisons avec les membres de la famille. Nous ne recherchons pas l’hypothèse la plus correcte, mais la plus utile”, précisent les auteurs qui, au-delà des mots, considèrent avec attention le langage non verbal des protagonistes.
Les cas évoqués dans le livre ? Un enfant roi qui fait la loi, un garçon à haut potentiel que le couple parental a peur de casser, un ado qui vit un coming out difficile face à des parents catholiques, un enfant hyperactif qui met tout le monde sous pression, une séparation compliquée à annoncer aux enfants, des familles recomposées qui se demandent quel rôle éducatif accorder au nouveau venu ou encore un enfant adultifié à la suite d’un divorce. Chaque fois, les psychologues suivent le même protocole. Avant le premier rendez-vous, ils demandent aux patients de répondre par mail à trois questions : “pouvez-vous nous décrire la situation actuelle de la famille ?”, “quel devrait être l’objectif de la thérapie ?” et “que doit vous apporter la thérapie, à titre personnel ?”
La manière de répondre autant que le contenu donnent déjà de précieuses indications, mais c’est en séance que tout se joue. Qui parle, quand, et comment ? Qui se tait, écoute plutôt ? Qui boude fermement ou sourit exagérément ? Là aussi, même si le contenu prime, la manière dit beaucoup des hiérarchies qui régissent la famille. Une constante : les mots libèrent (presque) chaque fois et le changement va du haut vers le bas. C’est-à-dire qu’il revient toujours aux parents de modifier leur comportement et/ou les interactions familiales pour que les enfants retrouvent leur juste place, recommencent à mieux dormir, mieux étudier, mieux agir, etc.
Le jeu et le corps, outils de thérapie
En séance, raconte l’ouvrage, les thérapeutes redoublent de créativité pour atteindre l’homéostasie (ou état d’équilibre) et sortir des moments de crise. Certaines approches sont très verbales : l’histoire des parents est parfois retracée sur plusieurs générations et quand les langues se délient, les corps se détendent. D’autres outils sont plutôt physiques. Comme cette jolie suggestion de pacing faite aux parents de Killian, 9 ans, diagnostiqué hyperactif.
Parce que la famille vit à un rythme très élevé et remplit l’agenda du fiston de peur qu’il ne s’ennuie, les psychologues proposent à Killian de se poser successivement sur les genoux de son papa et de sa maman et de coller sa tête sur leur cœur. “Le parent doit alors respirer profondément et se détendre. Le jeu consiste pour l’enfant à caler sa respiration sur celle de son parent pour s’apaiser à son tour.” Le duo de spécialistes utilise également “un métronome pour permettre à la famille de prendre conscience de la vitesse de ses paroles”. L’échange se poursuit en ralentissant le métronome et, souvent, un dialogue plus posé s’installe. Malin, non?
Le dessin ou les jeux (de rôle, de société, etc.) permettent encore aux plus jeunes de s’exprimer et, toujours, la courtoisie des échanges est exigée. Ce qui est important, c’est que “les membres de la famille retrouvent espoir et s’autorisent à se penser autrement”, soulignent les auteurs qui appellent souvent à une dédramatisation. “Nous souhaitons donner aux familles les moyens de se libérer de leurs entraves pour ne plus être simplement encordées, mais accordées.”
Lire l’article original de Marie-Pierre GENECAND sur LETEMPS.CH (article du 13 janvier 2020)
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