Comment parler de l’art japonais contemporain sans citer l’incontournable Takashi Murakami ? Né à Tokyo en 1962, il a étudié la peinture japonaise à l’Université des beaux-arts et de la musique de Tokyo. Il en sort diplômé des beaux-arts en 1986 et poursuit avec un doctorat à Naka, qu’il obtient en 1993. Formé à l’art traditionnel japonais Nihonga, un style de peinture du XIXe siècle, qui combine des techniques de peinture japonaises et européennes, il est rapidement fasciné pour les mangas, les animes et le pop art. C’est ainsi qu’il a développé un style bien à lui, fusion entre l’anime appelé “otaku” et le pop art, qui pris le nom de “poku” (“Biographie de Takashi Murakami”.) Il est aussi célèbre pour avoir développé un personnage du nom de Mr. DOB, dès la fin des années 1990, une sorte de mélange de Mickey Mouse et d’un personnage japonais populaire du même ordre – Doraemon, qui reflèterait les différentes facettes de sa personnalité. On le retrouve toujours fréquemment dans ses œuvres. Son nom provient du japonais “dobojite”, qui signifie “pourquoi”; sous tendue, l’idée que l’art et les artistes japonais doivent arrêter d’imiter l’art et les artistes occidentaux, pour trouver leur propre voie, un style unique (Goldstein).
Nombre de critiques hésitent à qualifier son œuvre farfelue de “beaux-arts”. S’il est indéniablement agréable à contempler, son travail n’aurait, selon ses détracteurs, aucune substance et aurait un caractère trop commercial. Il appartient sans aucun doute au courant des “néo pop” japonais, avec le développement de produits “pop”, suivant un discours aux frontières entre l’art et la pop culture, à l’imagerie ensuite déclinée sur le marché de l’art à proprement parler. Ces dernières années, Murakami a décidé de délaisser un peu l’art commercial pour se focaliser sur son style artistique profond. Son style peu académique a gagné à se faire connaître. Il a été happé sous le feu des projecteurs des milieux artistiques au Japon, aux États-Unis où en France.
Mais qui est vraiment Takashi Murakami ? Célèbre pour ses œuvres saturées de couleurs et ses animes sexuellement chargés et dérangés. L’artiste s’éclipse souvent derrière sa vision psychédélique presque asphyxiante. Tout d’abord, son œuvre est une combinaison entre modernisme et tradition. Même si visuellement il est souvent assimilé à un art purement contemporain, très vibrant, sa philosophie est plus subtile et propose un jeu de contrastes entre tradition et modernité, d’une intelligence remarquable. Sur le plan technique, ses supports artistiques et les matériaux utilisés sont en ligne avec les technologies de pointe les plus avancées. Mais il sait manier l’art du “en même temps” et inclut souvent d’ancestrales techniques artistiques japonaises, comme par exemple la peinture à la feuille d’or. Par ailleurs, si l’on étudie son œuvre en se plaçant sur une grille de lecture plus figurative, ce monde saturé de couleurs, presque hallucinogène, l’on s’aperçoit que l’iconographie bouddhiste et les héros d’anime partagent la scène et fusionnent. Elle présentent aussi de multiples références, allant de de peintres traditionnels, comme Ogata Korîn, à des réalisateurs modernes, comme Stanley Kubrick.
Ensuite, Takashi Murakami est le créateur du mouvement artistique “Superflat”. Le terme a été utilisé pour la première fois en 2001, lors d’une exposition qu’il a organisée à Tokyo, retraçant l’histoire de l’art contemporain japonais à travers les origines de l’art traditionnel japonais. Au début des années 2000, Murakami a commencé à produire ses peintures dans ce qu’il appelle des “usines”, où ses croquis sont numérisés et imprimés sur papier. Ils sont ensuite sérigraphiés sur toile et peints de manière lumineuse. Cette technique bidimensionnelle annihile la profondeur et détruit la perspective, d’où l’appellation “Superflat”. Dans le mot “Superflat”, se trouve le mot “plat” (flat) qui fait référence à la planéité caractéristique de l’art pictural japonais traditionnel. En effet la perspective est absente depuis des siècles dans l’art de l’archipel. Il est intrinsèquement bidimensionnel. Cette tendance s’ inspire beaucoup du manga et de l’anime et fait également référence aux écrans d’ordinateurs et aux téléviseurs à écran plat, dans une volonté de rendre plus infime et vague la frontière entre beaux-arts et art commercial. Ainsi, “Superflat” critique la vacuité de la culture consumériste japonaise qui s’est développée à grands pas dès l’après-guerre. Qui l’eut cru ? Aujourd’hui, Murakami continue de produire des œuvres dans son style unique – “Superflat” – avec l’ajout de nouveaux personnages à son travail au fil des ans, comme le KaiKai KiKi, les champignons, les Daruma, les moines bouddhistes en méditation, etc.
Autre fait intéressant, à l’instar de beaucoup d’artistes néo pop, Murakami est fortement imprégné du travail d’Andy Warhol, gourou du pop art. Il a un profond respect pour cet artiste. Ainsi, ses deux œuvres “Warhol / Silver” et “Warhol / Gold” sont des références directes à la série de fleurs de Warhol. Il y a aussi chez Murakami une forme de profonde mise en perspective et réflexion autour de l’œuvre de Warhol. Dans le livre de Sarah Thornton “Sept jours dans le monde de l’art”, il clame, presque abattu: “Le génie de Warhol a été sa découverte de la peinture facile. Je suis jaloux de Warhol. Je demande toujours à mon équipe de conception: “Warhol a pu créer une vie de peinture si simple, pourquoi notre travail est-il si compliqué ?” Seule l’histoire le sait ! Mon point faible, c’est mon origine orientale. L’esthétique orientale demande trop de digestion. Je pense que c’est injuste pour moi sur le champ de bataille de l’art contemporain, mais je n’ai pas le choix parce que je suis japonais.”
D’ailleurs, tout comme son maître à penser Warhol, Murakami a créé un studio/atelier de grande envergure, une sorte d’usine (comme il se plaît à l’appeler), Kaikai Kiki Co. À l’instar de l’usine de Jeff Koons à New York, c’est un véritable site de production, un empire, où des centaines de petites mains exécutent différentes étapes du processus artistique et donnent vie aux idées de l’artiste maître. Là où Murakami se démarque, c’est qu’il pousse le vice au point de créer à la chaîne des objets marchands, reprenant les codes et les signatures de ses œuvres, de véritables objets de merchandising destinés au marché, comme des coussins, des tapis, des statuettes.
En parlant de Jeff Koons, Murakami s’est lui aussi emparé du château de Versailles pour une exposition qui a fait du bruit en 2010. Takashi a présenté vingt-deux sculptures et peintures, dont onze ont été réalisées spécialement pour l’événement. Cette exposition a été condamnée par certains militants puristes, comme “Versailles mon Amour” et “Non aux mangas”, qui n’ont toujours pas digéré l’expérience de Jeff Koons et ont tenté en vain d’arrêter l’exposition de Murakami.
L’art de Murakami n’est pas aussi simple qu’il y parait. S’il exprime une candeur et un psychédélisme apparents, il invite à lire entre les lignes pour en cueillir toute la réflexion picturale. La première grille de réflexion porte sur les “otakus”, ces fans d’animes qui, poussés à l’extrême, n’inspirent à Takashi qu’un vide sidéral et une superficialité maladive. Cette folie fanatique est ainsi moquée par la caricature. La seconde porte sur l’influence de la culture consumériste sur nos personnalités et nos actions, qui est mise en scène constamment. La dernière est une habile fusion entre une culture élitiste, la “haute culture”, et la culture dite “populaire” : un œcuménisme qui remet en question, de manière sous-jacente, la légitimité même de cette différence. C’est d’ailleurs un sujet largement débattu dans le monde de l’art contemporain.
Ses œuvres colorées ont même donné des idées aux créateurs de mode. Marc Jacobs, alors directeur de la création chez Louis Vuitton, a voulu initier en 2003 une collaboration avec l’artiste pour qu’il réinterprète et dépoussière un peu les sacs à main intemporels de la marque. Murakami accepta et entreprit de revoir le logo de différentes couleurs, laissé totalement libre par la marque. Ce fut une petite révolution dans le monde de l’art et de la mode de luxe des grandes maisons. La première collaboration de ce genre d’une longue série, car elle fut suivie d’un succès certain. Cela contribua à décupler sa popularité, malgré quelques critiques d’art peu convaincus. En mai 2008, Murakami devient même l’un des artistes en activité les plus chers du monde. Sa sculpture “My Lonesome Cow Boy” (de 1998) est vendue pour plus de 15 millions de dollars aux enchères de Christie’s. On se limitera aux goodies ! [d’après GAIJINPARIS.COM]
Chacun connaît les joyeux personnages, animaux ou fleurs de Takashi Murakami, notamment développés à travers le mouvement Superflat, dont il est l’initiateur. Revendiquant ouvertement l’héritage du Pop Art et d’Andy Warhol, sa démarche a toujours été de rendre l’art plus accessible à tous, par les sujets même des œuvres et l’emploi de multiples ou de produits dérivés. Précisément, ce facteur rend exaltante l’exposition, quand l’on y découvre des céramiques directement associées à l’idée d’une œuvre d’art, mais aussi des poteries beaucoup plus usuelles, voire des coupelles ou des bols à thé. Passionné par ce médium et le collectionnant depuis les années 1990, Takashi Murakami brise ici la dichotomie entre les arts majeurs et mineurs.
Tradition et liberté
On imagine l’artiste doucement s’amuser de la surprise qui sera engendrée chez quelques spectateurs… S’il ne se contente pas d’en posséder plus de 30 000 pièces, il fut plusieurs fois commissaire d’expositions au Japon, afin de promouvoir les créateurs qu’il aime, et initia le collectif Kaikai Kiki, dont font partie Chiho Aoshima, Shin Murata, Yugi Ueda ou Otani Workshop. En 2020, il a également ouvert à Kyoto la boutique Tonari no Murata, qui fera l’objet d’une collaboration à long terme avec Shin Murata. Ce qui l’anime n’est pas de défendre une céramique purement plasticienne (si l’on peut reprendre cette terminologie d’abord assimilée à la photographie, en opposition au style documentaire) mais bien d’usage.
D’ailleurs, le premier objet acquis par Murakami fut un bol à thé de Kitaoji Rosanjin, inventeur de la gastronomie japonaise “bi-shoku” et de l’esthétique de l’art de manger. Selon la légende, le peintre et calligraphe se serait mis à produire sa propre vaisselle car il n’en trouvait pas à son goût dans les restaurants qu’il fréquentait… En 1948, il rédigea l’essai Geibi Kakushin (dont est issu le titre de l’exposition) prônant l’originalité et la liberté artistique dans la céramique, tout en conservant un lien à un savoir-faire séculaire. L’ensemble des plasticiens invités par Murakami cultivent en effet un retour à la nature dans une temporalité longue, bien évidemment accentuée par la crise sanitaire que nous avons vécue. D’ailleurs si lui-même peut produire des pièces très luxueuses, parfois aidé de nombreux assistants, il expérimenta, durant cette période, des peintures sur filtres à café et réaffirma que l’art pouvait se concevoir avec tout !
Repenser la beauté des objets
Cette réflexion s’inscrit en outre dans la suite d’une mouvance née dans les années 1990, soit juste après l’effondrement de la bulle économique nippone. Étant directement impacté par cet effondrement capitaliste et ayant perdu leur atelier, beaucoup de créateurs décidèrent alors de quitter la ville pour s’installer à la campagne. Réaliser de la céramique dans ce retour aux sources devint une forme de lifestyle que Murakami admire particulièrement. Il considéra cet élan mêlant l’art et la vie, nommé seikatsu kogei, telle une forme d’énergie nouvelle et adoube le fait qu’à son apogée “les artistes ainsi que leurs agents semblaient libres et optimistes. Pour résumer, seikatsu kogei est un mouvement qui tente de repenser la beauté des objets de tous les jours et de la réinterpréter à travers l’artisanat. Nombre de ses adeptes l’inscrivent dans une démarche de développement durable, proche d’une sensibilité hippie.“
Favorisant la promiscuité entre les créateurs, l’accrochage parisien, riche de 250 pièces, se découvre comme l’estrade d’une scène, si l’on veut y voir le début d’une narration, ou l’entrée d’un temple qui mêlerait sans hiérarchie, figures animalières ou mythologiques, vases ou pièces très sculpturales, simples petits pots ou figurines facétieuses… Les couleurs épousent des tonalités liées à celles de la terre, mais aussi des bleus profonds ou des roses charmeurs et l’ensemble se révèle très harmonieux, sous l’œil attentif de deux poissons signés de Takashi Murakami… [lire la suite de l’article sur CONNAISSANCEDESARTS.COM]
- Illustration l’article : Takashi Murakami, “727” (1996), MoMA New York © Philippe Vienne.
- Tous les Murakami ne ressemblent pas ; voyez aussi les textes de Haruki Murakami…
[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © gaijinparis.com ; Philippe Vienne
Plus d’arts visuels…
- LENOIR : A table n°7 (2013, Artothèque, Lg)
- MOOLINEX : Sans titre (2016, Artothèque, Lg)
- DUBUS : Perce-oreille (2016, Artothèque, Lg)
- DELVILLE, Jean (1867-1953)
- BOTERO : La Maison de Raquel Vega (1975)
- RANSONNET : Sans titre (2003, Artothèque, Lg)
- Pierre TAL COAT, génie oublié de la peinture moderne
- SUPERSCRIPT² : Sans titre (2016, Artothèque, Lg)
- VENZI : Les Poissons (2015, Artothèque, Lg)
- RASSENFOSSE, Armand (1862–1934) et SERRURIER-BOVY, Gustave (1858-1910)
- Plonk & Replonk