“Le mauvais art est quand même de l’art, aussi bien qu’une mauvaise émotion est une émotion quand même”. C’est ainsi que Marcel Duchamp, célèbre artiste du XXème siècle, justifie en 1917 son œuvre “Fontaine”, constituant simplement en un urinoir de porcelaine renversé. Cette citation aurait parfaitement sa place à l’entrée du Museum Of the Bad Art. Voici l’histoire extraordinaire d’un lieu qui célèbre les œuvres ratées.
Le MOBA, the Museum Of the Bad Art (le musée de l’Art mauvais) est une galerie située dans le Massachusetts qui a pour vocation de “collectionner et d’exposer le pire de l’Art” selon les mots de l’un des fondateurs. Créé par un groupe d’amis son histoire commence par… une plaisanterie !
Il était une fois, un tableau dans une poubelle…
Scott Wilson est un antiquaire américain exerçant dans la ville de Boston. Un soir de 1994, alors qu’il se rend chez Jerry Reilly et sa femme Mary Jackson, Scott remarque entre deux poubelles un tableau abandonné. Intéressé par le cadre, il reprend sa route, l’œuvre sous le bras. Arrivé chez ses amis, alors qu’il s’apprête à déchirer l’horrible toile, ces derniers lui soumettent l’idée de la conserver et de commencer une collection.
La peinture est intitulée “Lucy in the field with flowers” et marquera le début de l’aventure. Les trois amis se prêtent au jeu et interrogent alors leur entourage sur l’éventuelle possession d’œuvres picturales d’une qualité esthétique douteuse. Quelques semaines plus tard, le trio organise une soirée dans la maison du couple afin d’y dévoiler le fruit de leur recherche. L’événement est un succès. Les amis reçoivent alors de nouvelles peintures et organisent de nouvelles réceptions, si bien qu’un an plus tard, la maison du couple Reilly/Jackson s’avère trop petite pour accueillir les centaines de personnes qui se précipitent lors de chaque rendez-vous.
La vitesse supérieure
Puis un matin de 1995, c’est un autobus rempli de personnes âgées en voyage organisé qui se gare devant la petite demeure. “La situation devenait incontrôlable” explique Louise Reilly Sacco, actuelle Directrice par intérim permanent du MOBA. Le musée déménage alors dans le sous-sol d’un théâtre délabré de la ville de Dedham, juste à coté des toilettes pour hommes. Selon le journal South China Morning Post, cet emplacement aurait été choisi afin de maintenir le taux d’humidité nécessaire à la bonne conservation des toiles mais aussi de participer à l’ambiance générale de l’exposition.
En 2008, une seconde antenne est ouverte dans le théâtre de Somerville, une bourgade située 20km plus au Nord (les toiles étant de nouveau accrochées à proximité des petits coins par choix de la direction). Par ailleurs, le MOBA organise de nombreuses expositions extérieures toutes aussi atypiques. Il faut par exemple citer “Awash in the Bad Art”, durant laquelle 18 œuvres ont été plastifiés et exposés dans un tunnel de lavage automobile. En 2003, l’exposition “Freaks of nature” se concentra sur les paysages de travers. Quant à celle intitulée “I just can’t stop”, elle ne présenta que des œuvres où l’artiste, dans un élan de créativité, aurait donné quelques coups de pinceaux en trop, rendant le résultat final irrécupérable.
“Eileen”, le mystérieux tableau volé
En plus de ses nombreux événements, le musée a connu une publicité inattendue grâce à un étrange fait-divers. Un soir de 1996, l’œuvre “Eileen”, récupérée dans une poubelle et représentant un portrait de femme sur un fond bleu, fut dérobée par effraction. La direction du musée porta plainte et proposa une récompense de 6,50 $ pour le tableau volé. Mais aucune réponse, malgré l’augmentation de la prime à 36 $. L’objet ne présentant aucune valeur, la police classa rapidement l’affaire dans la catégorie “autres larcins”.
Mais en 2006, rebondissement dans l’affaire ! Le MOBA reçut une lettre anonyme, réclamant une rançon de 5000 $ contre restitution de l’œuvre. Incapable de payer cette somme, la direction ignora la lettre. Mais quelques semaines plus tard, l’œuvre fut retrouvée emballée sur le paillasson du musée, sans aucune explication.
Sélection des œuvres : une exigence particulière
Mais n’allez pas croire que le MOBA se résume à une vaste plaisanterie. Espérer obtenir un crochet n’est pas à la portée de tous. “Neuf œuvres sur dix ne sont pas retenues parce qu’elles ne sont pas assez mauvaises selon nos très bas critères” explique Mary Jackson. “Nous collectionnons des objets réalisés dans l’honnêteté, pour lesquels les gens ont tenté de faire de l’art jusqu’à ce que les choses tournent mal”. Ainsi, les tableaux d’enfants, les œuvres kitsch ou volontairement de mauvais goût ne peuvent être sélectionnés.
Selon Dean Nimmer, professeur à l’école des Arts du Massachusetts, le MOBA applique le même type de critères d’acceptation qu’un musée des Beaux-Arts, mais pour le mauvais Art.
Malgré cette exigeante sélection, de nombreuses critiques accusent le musée d’être un lieu de moqueries envers certains artistes. La direction se défend de telles accusations, expliquant que si le musée cherche à se moquer d’une chose, c’est de la communauté artistique et non des artistes. “Notre musée est un hommage à l’enthousiasme artistique”.
d’après URBANATTITUDE.FR
[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : en tête de l’article, Andrea Schmidt, La Joconde © MOBA ; © MOBA.
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