“Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen” (ou “Air de la Reine de la Nuit“) est un air de l’opéra Die Zauberflöte (La Flûte enchantée) de W.A. Mozart. Chanté au second acte, scène 3, il est considéré comme l’un des airs les plus virtuoses de l’art lyrique. Le livret est d’Emanuel Schikaneder, ami de Mozart, qui a d’ailleurs joué le rôle de Papageno (baryton) lors de la 1ère représentation à Vienne, en 1791. Il dépeint l’accès de l’amour vengeur lors duquel la Reine de la Nuit (soprano colorature) donne un poignard à sa fille Pamina et lui donne l’ordre de tuer le grand-prêtre Sarastro, menaçant même de la renier si elle ne lui obéit pas. La première interprète de l’aria fut la belle-sœur de Mozart, Josepha Weber, alors âgée de trente-trois ans. Josepha avait une voix d’un registre extrêmement élevé et d’une grande agilité et sans doute, Mozart, familier de ses capacités vocales (et selon des rumeurs, ne s’entendait pas avec elle), a-t-il écrit cette grande aria à son intention (pour la mettre à l’épreuve !).
Une vengeance infernale brûle dans mon cœur ;
La mort et le désespoir flamboient autour de moi !
Si Sarastro ne meurt pas de tes mains,
Tu ne seras plus ma fille !
Tu seras répudiée à jamais,
Abandonnée à jamais,
À jamais seront rompus entre nous
Tous les liens de la nature,
Si Sarastro ne périt pas de tes mains !
Entendez! Entendez ! Entendez, Dieux de Vengeance !
Entendez le serment d’une mère !
Résumé de l’opéra : le Prince Tamino est chargé par la Reine de la Nuit d’aller délivrer sa fille Pamina des prisons du mage Sarastro, présenté comme un tyran. Guidé par les trois Dames de la Reine et accompagné de Papageno, un oiseleur dont la personnalité contraste avec la noblesse et le courage de Tamino. À Papageno revient un carillon et à Tamino une flûte magique – deux instruments qui les aideront dans leur périple. Mais Tamino découvre au cours de son voyage que les forces du mal ne sont pas du côté de Sarastro mais de celles de la Reine de la Nuit : cette dernière est prête à tout pour se venger de Sarastro, qu’elle déteste. Le parcours, truffé d’épreuves, de Tamino pour délivrer et conquérir Pamina, les mène tous deux, vers l’amour et la lumière, sous la sagesse bienveillante de Sarastro. La Reine de la Nuit et sa suite finissent anéanties.
Le tragique vient de ce que la mort efface tout, aussi bien ce qui ne vaut pas que ce qui a une valeur infinie – un vieillard réduit à une vie végétative mais, aussi bien, un enfant riche en promesses et qui n’a pas encore vécu. La sagesse tragique consiste à ne pas se laisser abattre par la perspective de cet effacement, mais à vouloir donner le plus de valeur à ce que l’on fait, comme si cela ne devait jamais être effacé par la mort.
Marcel CONCHE, extrait de Penser encore (2016)
[PHILOMAG.COM, 28 février 2022] Marcel Conche s’est éteint le 27 février [2022]. Le philosophe s’en est allé un mois avant de fêter son centenaire. Trop symbolique ? Peut-être. Disciple d’Épicure et de Montaigne, le métaphysicien athée évitait en tout cas les fétiches et les idoles – du destin à Dieu en passant par l’au-delà. “Il n’y a rien après la mort : je disparais, je m’évanouis, la vie s’arrête.” Raison de plus pour jouir de l’existence ! Joie peut-être tragique, et qui cependant ne cède rien à la déploration. Retour sur une philosophie singulière qui place la nature en son centre.
Fils d’agriculteur corrézien, orphelin de mère peu après sa naissance, Marcel Conche commence ses études dans l’enseignement supérieur à la faculté de lettres de Paris en 1944, où il a notamment Gaston Bachelard comme professeur. Il obtient, dans la foulée, une licence et un diplôme d’études supérieures en philosophie, et passe avec succès l’agrégation en 1950. Commence une carrière d’enseignant qui, de Cherbourg à Versailles en passant par Évreux et Lille, le conduit finalement à l’université Paris I, où il a pour collègues Vladimir Jankélévitch, Jacques Bouveresse ou encore Sarah Kofman. Son oeuvre riche compte notamment Orientation philosophique (Mégare, 1974), La Mort et la Pensée (Mégare, 1973) ou encore Présence de la nature (PUF, 2001).
Issu d’un milieu catholique, Conche développe une métaphysique profondément athée, nourrie de sa lecture des présocratiques, de Nietzsche ou encore de Heidegger, qui n’abandonne pas pour autant la question d’un au-delà de la matière, d’un absolu. Mais cet absolu n’est pas Dieu. “La nature, pour moi, c’est l’absolu”, affirmait-il ainsi dans nos colonnes [Philosophie Magazine]. Non la nature “au sens moderne”, opposée “à l’histoire, à l’esprit, à la culture, à la liberté”, ou réduite à la matière, mais la nature dont les Grecs eurent le pressentiment sous le nom de physis (φύσις, “ce qui croît”). “La physis grecque ne s’oppose pas à autre chose qu’elle-même. […] La physis est omni-englobante”. Elle est puissance hyperinfinie et essentiellement “créative”, éternelle et en perpétuel changement, sauvage et tout à la fois créatrice, une et infiniment multiple. Elle déjoue toutes les oppositions, à commencer par celle fondatrice de l’être et du devenir : “Tout étant porte en lui la négation de lui-même, et cette négation est le temps. Rien qui soit toujours là, sinon cela même”. “La nature avance en aveugle, comme le poète, elle improvise et on ne sait ce qu’elle fait qu’après qu’elle l’a fait.” [lire la suite de l’article original…]
Octave Larmagnac-Matheron
ISBN 2363450213
Dans sa Présentation de ma philosophie (HD Diffusion, 2013), Marcel CONCHE commence par distribuer des cailloux blancs afin que chacun puisse retrouver son chemin dans sa pensée. Comme le précise Jean-François REVEL : “[…] un système philosophique n’est par fait pour être compris : il est fait pour faire comprendre.” Grâce à la Propédeutique qui ouvre son livre, on ne pourra pas accuser Marcel Conche de vouloir nous perdre dans des méandres conceptuels, auxquels notre expérience de pensée ne pourrait se raccrocher. Voici quelques extraits de l’ouvrage :
“Avant l’enseignement proprement dit, il convient de structurer l’entendement du lecteur ou de l’auditeur afin de favoriser l’organisation des pensées. D’abord des phrases et des concepts clés délimitent le champ où l’on verra la nouvelle philosophie prendre forme et se construire.
Phrases-clés
Les phrases-clés sont comme les propylaia (propylées) avant le temple.
L’infini est le fait primordial
(Die Unendlichkeit ist die uranfangliche Tatsache)
L’infini est là – ce qui exclut toute transcendance – et ce qui est là est là éternellement (was da ist, ist ewig da) [ibid.] L’infini n’a pas à être expliqué (à partir de quoi puisqu’il n’y a rien d’autre ?). La seule chose à expliquer : d’où vient le fini ? (woher das Endliche stamme) [ibid.]. Il ne peut venir que de l’Infini, source de toutes choses.
L ‘assentiment de braves gens a plus de poids, si l’on peut dire, que celui des autres.
Platon, Sophiste, 246 d, trad. Diès
Laissant de côté le traitement conceptuel du temps que nous livre Kant dans l’Esthétique transcendantale, il convient de s’en tenir à l’expérience commune du temps, qui, indépendant de nous, va d’un pas égal (Benjamin Constant, cité in Orientation philosophique, 3e éd. p. 151). Qu’après une heure écoulée, il y en ait une autre, puis une autre, et une autre encore, indéfiniment, contre cela on ne peut rien. Le temps est la marque de notre impuissance, dit Lagneau.
Pourquoy prenons nous titre d’estre, de cet instant qui n’est qu’une eloise [éclair] dans le cours infini d’une nuict eternelle, et une interruption si briefve de nostre perpetuelle et naturelle condition ?
Montaigne, Essais, II, XII, texte de 1588, p. 526 PUF
Notre être n’ayant que la durée d’un éclair entre deux non-êtres dont chacun est infini, on peut se demander si c’est vraiment être que d’être si peu de temps.
Ce n’est pas plus (ou mallon) ainsi qu’ainsi ou que ni l’un ni l’autre.
Le miel, par exemple, n’est pas plus doux qu’amer ou qu’aucun des deux. Est-ce à dire que le miel est inconnaissable en soi ? Nous ne saisirions de lui que la façon dont il nous affecte et devrions suspendre notre jugement (épéchein) au sujet de ce qu’il est réellement. En ce cas, le ou mallon n’aurait pas une portée universelle. Il ne concernerait pas la différence de l’apparence et de l’être, laquelle resterait ce qu’elle est dans la métaphysique traditionnelle : simplement l’un des deux pôles, celui de l’être serait vide de contenu. Telle est la façon de voir du scepticisme banal, celui de Sextus .Empiricus, pour qui le doute ne porte pas sur les apparences, lesquelles sont évidentes, mais uniquement sur les choses obscures ou cachées (adéla). Mais telle n’est pas la pensée de Pyrrhon. D’après lui, en effet, il faut dire de chaque chose qu’elle n’est pas plus qu’elle n’est pas, ou qu’elle est et n’est pas, ou qu’elle n’est ni n’est pas. Il est clair que c’est la notion même d’être qui se trouve enveloppée dans le mallon. Or, si la notion d’être s’évanouit, ce qui s’évanouit aussi, c’est la notion d’apparence comme l’apparence de d’un être. Mais ce qu’il y a, même si les notions d’être et d’apparence (au sens relatif) ne conviennent pas, n’est pas absolument rien. De là une notion: l’Apparence absolue (cf. ci-après).
L’indéfini n’est qu’un fini variable
Couturat, De l’infini mathématique, Paris, Blanchard, p. 218
L’indéfini ne permet pas de franchir l’abîme qui sépare le fini de l’infini car ce n’est que du fini. Le monde est, selon Descartes, indéfini : il ne s’explique pas par lui-même, il faut supposer l’infini – Dieu, selon Descartes. L’infiniment grand et l’infiniment petit relèvent de l’ indéfini.
Tout s’écoule.
Héraclite, panta rhei, fr.136, Conche
Panta : toutes choses. Entendons: toutes choses finies. Un atome étant une chose finie, ne peut être éternel – malgré Épicure. Une âme humaine, étant affectée de finitude, ne peut être immortelle – malgré les croyants en Dieu. Un monde (cosmos), ne pouvant être infini (cf. ci-après), a un commencement et une fin.
Il me semble important de se débarrasser du Tout, de l’Unité […] Il faut faire voler le Tout en éclats.
Nietzsche, Œuvres, Gallimard, XII, p. 306
Cela contre l’idée que le tout de ce qu’il y a (nécessairement infini puisqu’il n’y a rien d’autre) pourrait être pensé en un – serait un Tout organique, un cosmos. Si la Nature est tout ce qu’il y a, elle éclate de toute part en aspects innombrables et inassemblables.
La nature reste bonne, même quand elle produit des monstres. Marx, Œuvres, Pléiade, III, 170
Il en va comme de la presse libre, qui reste bonne même quand elle donne de mauvais produits, car ces produits ont apostasié la nature de la presse libre. La nature est bonne, mais sa bonté a des défaillances : elle est bonne, mais elle n’est pas juste. Elle n’est donc pas d’essence divine. Une étoffe de bonne qualité reste une étoffe de bonne qualité même quand il y a des accrocs. Il y a des accrocs dans l’étoffe de la nature. Ces accrocs sont l’effet des mauvaises associations et du hasard. Il n’y a pas de coupable.
Si vous saviez ce qui se passe, aucun de vous n’oserait être heureux.
Hugo, L’homme qui rit, Livre de Poche, p. 757
Dans les temps anciens, lorsque les campagnes étaient calmes, on ne quittait guère son village et l’on était ignorant des événements du monde. Les jours de fête surtout, avec les danses, les feux de la Saint-Jean, etc., l’on pouvait être heureux. Mais aujourd’hui, alors que l’on connaît les horreurs des guerres, des massacres, la misère des enfants affamés, mal soignés, ou des populations enfermées dans des camps, comment oser être heureux ? Je n’ose pas, et je n’aime pas disserter sur le bonheur.
Il s’agit de concepts qui, dans ma philosophie, ont un rôle majeur, et dont certains me sont propres.
Nature
J’entends par ce mot la Phusis grecque, infinie (cf. l’apeiron d’Anaximandre), omni-englobante : l’homme est une partie de la Nature… cela contre la nature finie, qui n’est qu’un côté du réel, l’autre côté étant l’esprit, ou la culture, l’histoire, la liberté, etc.
Monde
= Cosmos, totalité structurée, donc finie… Cela contre Kant, qui parle de monde infini aussi bien dans le temps que dans l’espace (Critique de la raison pure, “premier conflit des idées transcendantales”, antithèse). Un monde ne peut s’égaler au tout de la réalité ; étant nécessairement fini, il a un commencement et une fin.
Mal absolu
C’est un mal dont aucune justification n’est possible; ou : qui ne peut se justifier à quelque point de vue que l’on se place. Absolu, comme adjectif, s’oppose à relatif. Relatif : qui ne se conçoit qu’en relation avec autre chose ; absolu : qui est sans relation avec autre chose (“en dehors de toute relation”, Vocabulaire de Lalande, sens E). Un mal absolu: il n’y a rien qui puisse le relativiser.
Apparence absolue
Qui n’est ni apparence d’un être (l’objet), ni apparence pour un être (le sujet), – notions qui impliquent une relation – , mais qui est sans relation.
Temps rétréci
C’est le temps finitisé, par opposition au temps infini de la Nature. Si nous nous pensons dans le temps infini, nous rétrécissons notre être, le réduisons à presque rien. Si nous rétrécissons le temps, le réduisons par exemple à cent ans, notre être en occupe alors un empan non négligeable, et chacun peut se croire en droit de dire: “je suis”.
Réel commun
Distingué du “vraiment réel” (ontos on, véritablement étant). C’est le réel pour l’homme du commun et le savant : est réel ce qui s’offre à nos sens naturels (que l’on voit, que l’on touche … ) ou technicisés (grâce au microscope, au télescope, etc.). Le réel commun s’oppose au réel des philosophes, pour qui ce qui mérite d’être dit “réel” est ce qui est éternel : les essences (Platon), les Atomes (Démocrite), Dieu (Descartes), la Nature (Spinoza), l’Esprit (Hegel), etc.
Scepticisme à l’intention d’autrui
Je ne suis pas sceptique, car je n’ai pas le moindre doute quant à la vérité de ma philosophie. La pierre de touche de la force d’une conviction est, nous dit Kant, le pari. “Représentons-nous par la pensée que nous avons à parier [sur cette vérité] le bonheur de toute la vie, alors notre jugement triomphant s’éclipse tout à fait, nous devenons extrêmement craintifs et nous commençons à découvrir que notre foi ne va pas si loin.” Cela ne s’applique pas à moi. Je suis prêt à mettre en jeu bien plus que le “bonheur de toute ma vie” – qui, du reste, pour moi, est peu de chose. Il faudrait au moins que Kant me mette au défi de risquer, par un pari, le bonheur de ceux que j’aime. Ce ne serait pourtant, aux yeux d’autrui, qu’une certitude de fait, non de droit, puisque ma philosophie ne fait que s’étayer par des arguments sans se fonder sur des preuves. J’admets donc le scepticisme chez autrui à l’égard le ma philosophie comme possible en droit. Je sais le vrai et le faux, mais je laisse une porte de sortie à autrui pour qu’il puisse vivre dans ce qu’il croit être la vérité – car cela lui est nécessaire – , et qui, pour moi, est illusion.
Philosophie
Opposée à “sagesse”. La philosophie, comme métaphysique, est la théorie du réel comme tel et dans son ensemble. Elle a en vue le savoir de toutes choses, le savoir absolu. La “sagesse” concerne seulement l’être humain. La
notion de “sagesse” implique la notion d'”éthique”. Une “éthique” est un choix de vie en fonction de la valeur que l’on estime suprême : il vaut la peine, pense t-on, de vivre pour la gloire ou pour le pouvoir, ou pour la vérité, ou pour le bonheur, etc. Lorsqu’une éthique suppose une métaphysique, cette éthique est dite une “sagesse”. Épicure philosophe en vue du bonheur. La notion de “bonheur” n’est pas une notion métaphysique. À sa métaphysique matérialiste, Épicure ajoute une éthique du bonheur. Mais cette éthique suppose le tetrapharmacos métaphysique et ses quatre vérités (sur les dieux, sur la mort, sur les désirs, sur la douleur). C’est donc une sagesse – eudémonique.
Sagesse tragique
Il s’ agit d’agir toujours en vue du meilleur (la plus belle œuvre) quoique le meilleur soit voué à la disparition – puisque, pour les choses finies, le néant a le dernier mot. Une telle sagesse s’inscrit sur le fond d’une métaphysique naturaliste – pour laquelle les œuvres de l’homme, à la longue, sont effacées (pour les croyants en Dieu, au contraire, les vertus que l’on a pu acquérir en ce monde ne s’effacent pas).
Il s’agit de concepts dont je fais usage, mais qui ne me sont pas propres.
“Pensée” opposée à “connaissance”
Il y a “connaissance” lorsqu’il y a des preuves; il y a”pensée” (rationnelle) lorsqu’il y a des arguments. En métaphysique, on pense, on ne connaît pas. Il n’y a pas de connaissance métaphysique. On pense Dieu (car le mot “Dieu” a un sens- même si un tel être ne peut exister), on ne le connaît pas ; de même, on pense l’Infini, l’Absolu, la Nature, etc.
“Métaphysique” opposée à “science”
La métaphysique n’est pas, ne peut être et n’a pas à être une science (malgré
Descartes, Spinoza, Kant, Hegel, etc.). La science seule nous donne des connaissances.
“Fini”, distingué de “indéfini” et opposé à “infini”
L'”indéfini”, ou infini “potentiel”, ajoute indéfiniment du fini au fini, par exemple dans la série des nombres naturels, on ajoute 1 au nombre précédent : l’on peut ainsi obtenir un nombre plus grand que tout nombre donné à l’avance. Mais on reste dans le virtuel, l’inachevé et même l’inachevable. Seul est vraiment réel l’infini dit “actuel”.
“Argument” opposé à “preuve”. La preuve oblige à l’assentiment, l’argument non. La preuve met la liberté sous le joug, l’argument non. Dans les sciences, l’on a des preuves ; en métaphysique, des arguments.
“Cause” opposée à “raison”
La formule des Cartésiens “causa sive ratio” est à rejeter. La cause supprime la liberté, la raison éclaire la liberté. La volonté est déterminée par des causes, elle se détermine par des raisons.
“Illusion” opposée à “apparence”
La cour carrée de loin semble ronde, il y a apparence, laquelle est incontestable. Si l’on dit: “la tour est ronde”, il y a illusion, laquelle est trompeuse. Les Sceptiques non pyrrhoniens s’en tiennent à ce qui apparaît, suspendant leur jugement au sujet de ce qui est. [Mais je distingue l’apparence ainsi entendue de l'”apparence absolue” et l’illusion ainsi entendue de l’illusion”ontologique”, où, disant “cela est”, on oublie que l'”être” auquel on a affaire n’est pas vraiment].
“Action” opposée à “création”
L’action implique prévision de l’avenir, hypothétique et risquée, et, selon le cas, programmation, planification, etc. La création invente l’avenir. L’action suppose que l’on mette devant soi, compte tenu de l’état du monde, l’éventail des possibles, la création met au jour des possibles nouveaux.
“Conscience” opposée à “pensée”
Les animaux sont conscients car ils dorment et s’éveillent : être éveillé et être conscient, c’est la même chose. Il s’agit de la conscience spontanée, non réfléchie : les animaux ne sont pas conscients d’eux-mêmes. Seul l’homme pense. La pensée a pour corrélat l’être. L’animal ne se rend pas compte qu’il y a – ce qu’il y a.
“Morale” opposée à “éthique”
La morale implique la notion de “devoir inconditionnel”, l’éthique ne connaît que des devoirs “conditionnés”. Exemple: le journaliste peut échapper aux devoirs du journaliste en cessant d’être journaliste ; il ne peut échapper au devoir de venir au secours du blessé au bord de la route qu’en cessant d’être homme.
Certaines notions, qui jouent le rôle de concepts, ont plutôt le caractère de métaphores.
Ainsi lorsque je dis que la Nature est “source” éternelle de vie, ou que, selon Anaximandre, elle “sécrète” des “germes” de chacun desquels naît un monde, ou lorsque je fais de la “nuit” une “métaphore de l’être pur” (Présence de la Nature, PUF, Quadrige, p. XV), ou lorsque j’écris: “La nuit, l’Obscur primordial, est le fond permanent de toutes choses” (ibid.)
En revanche, lorsque je dis que la Nature est le “Poète” premier et universel, il ne s’agit pas d’une métaphore.
Marcel CONCHE, Présentation de ma philosophie (2013)
11 septembre 1973. Le Chili bascule dans la dictature suite au coup d’État d’Augusto Pinochet, anéantissant l’utopie socialiste portée par Salvador Allende. L’oppression s’impose comme nouvelle règle et certains continuent de croire en la liberté devenue chimère. Les opposants sont emprisonnés, torturés, éliminés. Iván Navarro, né en 1972 à Santiago, a grandi durant cette période douloureuse, aux côtés de parents artistes pro Allende – son père, qui dessinait des caricatures humoristiques pour des journaux politiques, a tout stoppé du jour au lendemain. À partir de ce contexte historique Iván Navarro a construit un vocabulaire plastique qui innerve toute sa création. Derrière chaque œuvre, on peut déceler des références à l’histoire récente du Chili, mais aussi à la musique underground, espace d’évasion et de résistance. “L’art est un moyen de subvertir la réalité, ce qui peut vous conduire à l’évasion, à la confrontation ou aux deux à la fois” précise-t-il. D’où ses échelles, qui traduisent la fuite mais aussi l’élévation sociale ou spirituelle et ses “trous”, des illusions d’espaces abyssaux et hypnotiques créés simplement à partir de miroirs et de néons. L’artiste se joue de notre perception pour créer un territoire fictif avec ces percés dans les murs et les sols où se répète souvent à l’infini un mot – Clamor, Bomb, Exodo, Strike… –, toujours en lien avec des questions d’identité et de résistance.
Si Iván Navarro reconnaît l’influence de Dan Flavin ou de Keith Sonnier dans son choix du néon comme matériau principal – il crée déjà des œuvres avec des ampoules les dernières années de ses études aux Beaux-Arts à Santiago, avant de s’installer à New York en 1997 –, l’artiste injecte une dimension politique absente du propos des Minimalistes américains. Navarro qualifie d’ailleurs certaines de ses œuvres de “sculptures sociales”. Derrière la lumière séduisante des néons aux couleurs pop, l’électricité renvoie aux blackouts quotidiens – synonymes de contrôle des populations – à la torture, à la peine de mort. Mais elle évoque aussi le progrès qui a transformé nos sociétés au début du XXe siècle. Pour souligner cette dualité, il crée en 2009 une chaise hybride en néons blancs qui suggère à fois la chaise électrique et l’iconique fauteuil rouge et bleue de Gerrit Rietveld de 1918, icône de la modernité. Tractée par un vélo, elle est éclairée uniquement grâce à la force humaine. Et porte un titre édifiant : Resistance. Si au Centquatre-Paris le vélo est immobile, l’installation a été conçue à l’origine pour circuler en ville. Tout comme Homeless Lamp, the Juice Sucker (2004), un caddie lumineux alimenté par électricité publique, dont la forme rappelle les chariots poussés par les sans-abri aux abords des métropoles.
L’histoire personnelle d’Iván Navarro l’a sensibilisé aux enjeux sociaux et démocratiques, à la mémoire collective, au déracinement… Depuis peu, c’est une réflexion plus existentielle et métaphysique qu’il initie avec sa série sur les constellations. “Lueur d’orientation des mages au cœur du désert ou réutilisées comme emblème de fierté des drapeaux nationaux, les étoiles guident et accompagnent les hommes dans leurs questionnements depuis la nuit des temps” écrit l’artiste. Il doit cette recherche tout particulièrement au documentaire de Patricio Guzmán, Nostalgie de la lumière (2010), qui suit à la fois des astronomes qui ont trouvé dans le désert d’Atacama un poste d’observation du ciel idéal, vierge de toute pollution lumineuse, et des femmes à la recherche du corps de leurs proches disparus, assassinés dans le camp de concentration de Chacabuco, dans ce même désert…
Au début de la pandémie en 2020, j’ai collecté des images de différentes nébuleuses, prises pour la plupart par les télescopes les plus puissants du monde. Ce sont des visions de l’espace où sont nées les étoiles. Les photos originales montrent des couleurs magnifiques qui sont des mélanges de gaz et de poussières dans l’univers. Je suis loin d’être le premier artiste à faire un lien ou une opposition entre l’immense et sublime abstraction de l’univers et la pulsion humaine pour le pouvoir et la domination, mais aussi pour sa survie.
De l’historique à l’universel, de l’oppression des hommes au vertige du cosmos, Iván Navarro donne une nouvelle dimension à son travail et prend du recul pour mieux relire l’histoire de l’humanité où se rejoue l’indéniable penchant pour le despotisme. Un “terrorisme politique”, selon l’artiste, toujours à l’œuvre.
Issu de la dynastie des Kadjars, fondée en 1794 par Agha Mohammed, qui n’était alors qu’un chef de tribu, Naser ed-Din est né à Téhéran en 1831. Il succède à son père le 10 septembre 1848. Il entreprend aussitôt la répression du babisme (1849-1852) ; ce mouvement, créé par Sayid Ali Mohammed, tire son nom d’un mot arabe “bab”, signifiant “porte”. Son fondateur se proclame, en effet, “la Porte qui donne accès aux Vérités éternelles.” Il prône une doctrine plus libérale, se référant davantage à l’esprit qu’à la lettre de la loi, s’opposant au pouvoir du clergé et prêchant l’abolition de la répudiation de la femme.
Cette répression est probablement due à l’instigation des chefs religieux, des mollahs dont le pouvoir va croissant. En effet, si sous le règne du shah des progrès ont été fait sur la voie de la modernisation (télégraphe, poste, routes), le gouvernement central s’est toutefois affaibli, l’administration locale s’est détériorée, tout cela au profit du pouvoir religieux, mais aussi des grandes puissances européennes. Il faut nuancer l’image édulcorée du monarque telle que donnée par certains qui ne parlent que du développement de l’instruction et de la lutte contre la corruption. Le shah aime excessivement les bijoux et les femmes, ses extravagances le laissent toujours à court d’argent et, pour renflouer ses caisses, il accorde aux puissances étrangères d’importantes concessions.
Ainsi Amin Maalouf décrit-il celles accordées aux Russes et aux Anglais : “les Russes, qui avaient déjà le monopole de la construction des routes, venaient de prendre en charge la formation militaire. Ils avaient créé une brigade de cosaques, la mieux équipée de l’armée persane, directement commandée par les officiers du tsar ; en compensation, les Anglais avaient obtenu pour une bouchée de pain le droit d’exploiter toutes les ressources minières et forestières du pays comme d’en gérer le système bancaire ; les Autrichiens avaient, quant à eux, la haute main sur les postes.”
Si les intellectuels iraniens admirent les progrès techniques occidentaux, ils s’opposent à l’octroi de telles faveurs aux Européens, faveurs qui permettent à ces derniers d’influencer fortement la politique intérieure du pays. Ainsi, “le mécontentement de la bourgeoisie urbaine s’exprima dans des révoltes contre les concessions étrangères et par la formation d’un mouvement constitutionnaliste.” Le 1er mai 1896, Naser ed-Din est assassiné par un jeune nationaliste religieux.
Durant le demi-siècle que dure son règne, Naser ed-Din se rend trois fois en Europe : en 1873, 1878 et 1889. Le voyage de 1873 est intéressant parce que, à côté de la relation qu’en fait la presse locale, nous possédons également le récit du shah lui-même, dans son Journal de voyage en Europe, aujourd’hui traduit en français.
C’est en juin 1873 qu’il vient pour la première fois en Belgique, après avoir quitté Wiesbaden. Dès le passage de la frontière, le shah note que “en un instant, les gens, la langue, la religion, l’aspect du sol et des eaux, des montagnes et du terrain ont changé, et n’ont aucune ressemblance avec ceux de l’Allemagne. Les montagnes sont plus hautes et plus boisées ; il fait plus froid. Les gens sont plus pauvres. (…) Les gens de ce pays sont plus libres qu’en Allemagne.”
Il arrive à Spa, “une jolie petite ville, située au milieu de montagnes et de vallées”, le vendredi 13, à 7 heures du soir, et est accueilli à la gare par le bourgmestre, M. Peltzer, et le directeur des fêtes, M. Kirsch. Une voiture découverte l’emmène à l’Hôtel d’Orange au son du canon et parmi la foule qui l’acclame. A son arrivée à l’hôtel, une aubade lui est donnée par l’harmonie du Casino, qui sera suivie d’un concert au kiosque de la Promenade de Sept-Heures donné par les Montagnards Spadois“. Le shah rentre ensuite à pied, entrant dans les magasins dont il ne sort jamais les mains vides. Il est étonné par les vitrines : “Le devant des boutiques est fait d’une plaque de vitre d’un seul morceau, à travers laquelle on peut voir tous les objets exposés.”
Le lendemain, samedi 14 juin, le shah fait le tour des fontaines, en commençant par la Sauvenière. “Là, une femme avec des verres offre de l’eau aux gens. Ceux qui sont malades de l’estomac, ou trop maigres, surtout les femmes, viennent y boire de l’eau avant de déjeuner. (…) Beaucoup d’étrangers viennent ici, surtout des Anglais. J’ai bu un peu de cette eau. Elle a très mauvais goût. Dehors, à côté de la source, on voit une grande empreinte de pas sur une pierre. Le gouverneur me dit : “C’est une trace de pas de saint Marc [en fait, saint Remacle]“. C’est un des saints des Européens. “Si une femme qui ne peut être enceinte vient ici poser son pied dans cette empreinte de pas, elle devient enceinte !” C’est vraiment curieux. En Perse aussi, ces croyances sont fréquentes.” Le shah reprend sa promenade : “En sortant de là, nous sommes partis à cheval par une avenue différente pour nous rendre un autre hôtel et à une autre source. Je montais mon propre cheval et galopai pendant quelque temps dans la forêt et dans les allées. C’est ainsi que j’arrivai à l’hôtel. L’eau de cette source avait encore plus mauvais goût que la première.”
Le dimanche 15 juin, “le temps est nuageux et il pleut. On ne voit jamais le soleil dans cette région.” C’est également le jour de la Fête-Dieu, ce qui retient l’attention de Naser ed-Din. “Toutes les rues étaient décorées de lampes et d’arbustes dans des pots. Le sol était tapissé de feuillages et le prêtre principal était conduit à l’église en grande pompe. J’ai vu passer trois groupes : tout d’abord deux cents jolies jeunes filles, toutes vêtues de blanc, coiffées de dentelle blanche, des fleurs à la main ; puis deux ou trois cents autres plus jeunes, tenant chacune un bâton à l’extrémité duquel était attaché un bouquet de fleurs ; enfin des petits enfants, filles ou garçons, tous jolis et bien vêtus, portant des cierges ou de petit drapeaux de velours et d’or avec le visage de Sa Sainteté Maryam [la Vierge Marie].” Le soir, le shah assiste, au théâtre, à un spectacle de prestidigitation qui l’impressionne fortement.
Le lendemain, Naser ed-Din quitte Spa pour se rendre à Liège, en train. “On avait amené les wagons du roi des Belges [Léopold II]. Ce sont de forts beaux wagons. (…) Les trains belges sont excellents et très confortables. On y est un peu secoué, mais ils sont très rapides. Une heure plus tard nous sommes arrivés à Liège , qui possède d’importantes manufactures de fusils et de wagons de chemin de fer. De Spa jusqu’à Liège, on ne traverse que des montagnes, des vallées et des forêts. Nous sommes passés dans trois ou quatre trous [tunnels], dont l’un avait trois cents zar de long. Mais au-delà de Liège, c’est la plaine.(…) Liège est une grande ville, très peuplée, fort belle, tout entière construite à flanc de colline ou dans la vallée. Elle possède de beaux jardins avec des parterres de fleurs. Toutes les routes de Belgique sont pavées. Les plaines sont verdoyantes, cultivées et peuplées.”
Le shah se rend ensuite à Bruxelles où il est accueilli par Léopold II, “un homme de trente-huit ans, grand, assez maigre, avec une longue barbe blonde.” De là, il se rendra à Ostende où il embarquera pour l’Angleterre. Son passage dans notre pays inspirera la verve satirique du revuiste bruxellois Flor O’Squarr, également habitué de la ville d’eaux. Le premier acte de Quel plaisir d’être Bruxellois !, folie-vaudeville éditée en 1874, s’intitule Les Persans à Bruxelles et l’on y retrouve un monarque amateur de bijoux et de danseuses.
Naser ed-Din revient en Europe en 1878, mais il se rend uniquement à Paris. Il reviendra encore en 1889, pour assister à l’Exposition universelle de Paris, celle du centenaire de la Révolution. Il arrive à Spa le mercredi 27 juin où il est accueilli par une sérénade avant d’arpenter les rues, entrant dans les magasins comme à son habitude et à la grande joie des commerçants. Il loge cette fois à l’Hôtel Britannique, plutôt qu’à l’Hôtel d’Orange comme lors de son séjour précédent, parce qu’il souhaite occuper le même hôtel que le roi des Belges lorsqu’il se rend à Spa. Le lendemain, le shah consacre la journée à la visite des usines Cockerill en compagnie du roi Léopold II. De retour à Spa, il assiste le soir à la fête de nuit donnée en son honneur où l’on tire un imposant feu d’artifice. Il quitte la ville d’eaux le 1er juillet pour se rendre à Anvers où l’attend le roi, qui va le conduire au bateau. Ce sera son dernier voyage en Belgique.
Filia, un ensemble à formation variable, créé par quatre flûtistes professionnelles en 2016 propose des programmations variées alliant musiques traditionnelles, classiques et contemporaines. Filia se caractérise également à travers différents projets dont le but est de faire connaître la famille des flûtes au grand complet: la basse, l’alto, celle en do, ou encore la benjamine de la famille, la petite flûte piccolo.
Les flûtistes
Janina Scheuren (*1993) se forme auprès de Carmen Heuschen à la Musikakademie der Deutschsprachigen Gemeinschaft Belgiens avant d’être admise comme jeune talent au Conservatoire Royal de Liège dans la classe de Toon Fret. Pendant ses études et même après, elle parfait son éducation musicale auprès d’un grand nombre de flûtistes tels que PY. Artaud, A. Baerten , E. Beynon, R. Brown , V. Cortvrint , V. Debaele ainsi que B. Kuijken. Actuellement, elle est inscrite au Koninklijk Conservatorium Brussel au traverso, dans la classe de F. Theuns afin de développer son approche historique de la musique ancienne. Aujourd’hui, Janina est active comme professeure de flûte, dans l’établissement qui lui a transmis l’une des ses plus grandes passions. “L’une de ses passions”, car Janina ne se limite pas à une formation musicale complète : elle possède également un bachelier en Histoire et études cinématographiques de la Kingston University de Londres.
Melanie Deprez (*1984) découvre la musique auprès de la Stedelijke Academie voor muziek, woord en dans Lanaken avec Jan Mertens. Personnalité cartésienne, elle se lance d’abord dans un master en théorie musicale au Koninklijk Conservatorium Brussel. Ensuite, elle consolide son jeu flûtistique au Conservatoire Royal de Liège dans la classe de Toon Fret. Elle y développe notamment sa passion pour le piccolo auprès de Miriam Arnold. Férue du répertoire pour harmonie, Melanie partage son expérience dans diverses associations flamandes. Le public a eu le plaisir de rencontrer Melanie dans divers orchestres ainsi que lors de projets réguliers avec la Musique Royal des Guides.
Bénédicte Massenaux (*1991) commence la flûte traversière à l’harmonie de son village natal avant de suivre l’enseignement de Marc Legros à l’Académie de Musique de Malmedy. Elle y suit également des cours d’orgue auprès de Pierre Thimus avant de finalement se consacrer à la flûte traversière au Conservatoire Royale de Liège auprès de Toon Fret. Elle clôture son master en partageant la scène avec le pianiste Severin von Eckardstein, premier prix du Concours Reine Elisabeth 2003 en interprétant son concerto pour flûte traversière et orchestre lors de son projet spécialisé. Auprès de Toon Fret, elle développe une sensibilité particulière pour la musique ancienne : c’est pourquoi elle se perfectionne pendant 3 ans auprès de Barthold Kuijken et Frank Theuns au Koninklijk Conservatorium Brussel dans la section de musique ancienne. Anne Pustlauk, Kate Clark, Jean Tubéry et Marten Root ont particulièrement influencé sa formation artistique. Bénédicte partage sa passion pour la musique à l’Académie de Musique de Spa et à la BSTI de Saint-Vith.
Saranda Celina (*1989) débute son parcours musical au Kosovo, à l’Académie Lorenz Antoni de Prizren auprès de Nora Rema. En Belgique, c’est Myriam Königs, à l’Académie de musique de Herstal, qui la guide jusqu’à son admission au Conservatoire Royal de Liège où elle suit finalement l’enseignement de Toon Fret. Elle y enrichit sa formation auprès de Valérie Debaele . Aujourd’hui, Saranda s’épanouit, d’une part, dans l’enseignement de la flûte traversière au Conservatoire de Verviers et, d’autre part, dans celui de la musique au sens large dans des écoles secondaires. Le public a eu le plaisir de rencontrer Saranda à différents concerts tels que les Images sonores à Liège, le Festival d’orgue, En avent la musique, Il pleut des cordes…
Lieu : crypte de la basilique de Cointe (rue des Moineaux, parking sur le parvis de l’église)
D’inspiration humaniste, Charles Szymkowicz peint des portraits de ses proches ou d’artistes qui lui sont chers : sculpteurs, compositeurs, poètes, écrivains ou philosophes. Ses représentations sont franches, sans équivoques mais toujours à contre-courant, suivant son originalité qui ne s’est jamais soumise aux canons de l’art contemporain. Deux grands axes sont présentés dans cette exposition : les portraits de ceux qui l’inspirent mis face à face avec les émotions et les interrogations humaines que porte cette drôle d’époque.
A travers une sélection d’œuvres minutieusement opérée, Charles Szymkowicz présente deux grands axes de son travail qui dans un dialogue fertile racontent son rapport au monde et à l’intime. Des portraits d’êtres proches et d’artistes qui lui sont chers – qu’il s’agisse de peintres, de sculpteurs, de compositeurs, de poètes, d’écrivains ou de philosophes – font face aux émotions que lui commande notre monde tourmenté. Dans cet échange riche et bilatéral, l’artiste présente les deux faces parmi les différentes urgences de ses inspirations humanistes.
Une permanence cependant constitue un fil conducteur et anime l’artiste jusque dans ses plus profondes fibres créatrices. C’est le maintien, contre vents et marées, d’une originalité assumée souvent à contre-courant qui ne fait aucune concession et se présente au public dans une sincérité confondante et absolue.
Se donnant la gageure d’être lui-même dans un monde culturel où la mode fait office de diktat, Charles Szymkowicz éprouve une irrépressible et dévorante passion pour la figure de l’artiste maudit. Celui qu’on exclut pour ne pas répondre aux canons du temps, à l’approbation servile du plus grand nombre.
Marcher coûte que coûte vers la réalisation de soi-même et se présenter au monde à visage découvert est la route que l’artiste a choisi de suivre à l’égal des grands maîtres.
Visuel : Charles Szymkowicz, Autoportrait avec l’art contemporain, 2004, acrylique sur toile, 205 × 180 cm.
Présentée à la Biennale de Venise de 2019, Mari KATAYAMA compte déjà quelques adeptes qui ont à cœur de la faire découvrir au public. Mordu de son travail, le directeur de la MEP, Simon Baker, songe à l’exposer à Paris depuis sa prise de fonction en 2018. Plusieurs fois décalé en raison de la crise sanitaire, le projet se concrétise enfin [en 2021]. Avec Home again, on suit le parcours à la fois singulier et évolutif de Mari Katayama à travers des photographies datées de 2009 à 2019. Ce parcours restitue un cheminement personnel : celui qu’il a fallu à la photographe pour apprivoiser son corps “hors norme”. Dans toute la résistance qu’il lui oppose, ce dernier va lui offrir un médium puissamment expressif.
Mais avant d’embarquer dans ce monde étrange, petit détour biographique. Née en 1987 à Saitama, au Japon, Mari Katayama est encore enfant quand elle est confrontée à un dilemme qui influera sur le reste de son existence. Atteinte d’une maladie rare qui bloque la croissance de la partie inférieure de ses jambes et de sa main gauche, elle doit choisir d’être amputée si elle ne veut pas passer toute sa vie en chaise roulante. Elle accepte. Loin de l’enfermer dans un destin tracé d’avance, cette décision fera d’elle l’artiste qu’elle est aujourd’hui. Délestée de ces membres qui refusaient de grandir, Mari Katayama fait l’acquisition de prothèses qui lui offrent une plus grande liberté de mouvement. Problème : les vêtements proposés dans les magasins ne sont pas adaptés à ce nouveau corps armé de jambes artificielles. C’est alors que sa grand-mère décide de lui enseigner la couture, persuadée qu’une fois qu’elle aura fabriqué ses propres ailes elle pourra prendre son envol. Mais le monde de l’enfance n’est pas tendre… Joliment rhabillée, les autres n’en oublient pas moins sa main “pince-de-crabe” et ses prothèses qu’ils dévisagent avec insistance et moquent. Mari Katayama continue de coudre et de broder, imaginant toujours plus de subterfuges pour cesser d’être vue comme un monstre. Aux vêtements, elle ajoute des perles, des coquillages, des sequins et par-dessus tout laisse parler sa personnalité, à la fois pleine de fantaisie et réflexive, qui ne tarde pas à muer les préjugés en fascination à son égard. La création-refuge devient alors plus importante que tout et la conduit à dépasser ses inhibitions initiales.
La première fois que Mari Katayama montre son travail, c’est sur Myspace. Adolescente, elle commence à se déguiser et se met en scène pour des photos qu’elle publie sur le réseau social. “Elle a toujours été très consciente de l’image que les autres ont de son corps”, explique Laurie Hurwitz, commissaire de l’exposition. De fait, l’artiste a très tôt perçu le malaise que son enveloppe corporelle inspire. Longtemps, son souhait a été de le cacher. Jusqu’à ce qu’elle apprenne à en jouer. Son blog marque le point de basculement, exposant son image en public en affirmant sa différence. Peu à peu, elle capte l’attention pour finalement l’amener parfaitement où elle veut. Médium essentiel de sa nouvelle activité sur Myspace, la photographie lui offre le moyen d’explorer sa morphologie sous différents angles, de la (re)connaître et de la faire sienne sur un mode ludique. En plus d’être une technique abordable, elle lui permet de guider les regards et de leur faire expérimenter des perspectives inhabituelles.
De ses plus anciennes photos exposées à la MEP, comme White Legs #001 (2009) où elle pose en lingerie, se dégage une sensualité qui n’exclut ni sentiment d’étrangeté ni second degré. Gagnant en maîtrise, passée par la Tokyo University of the Arts, elle fabrique seule des décors de plus en plus élaborés. Mari Katayama s’invente un monde fantasmé dans lequel elle évolue avec une confiance accrue tout en évitant le genre du journal intime. Certains de ses autoportraits évoquent parfois une comédienne dans sa loge avant la montée en scène. Peut-être est-ce là la posture paradoxale qui lui a servi de modèle et donné la force d’affronter un monde hostile. Se placer intentionnellement au centre pour incarner différents rôles et dérober sa vraie identité aux jugements.
Parmi ses procédés propres, la jeune artiste habille ses jambes et leur donne des formes changeantes. Quand elle n’enfile pas des collants bourrés de tissu, elle imprime des tatouages sur la surface de ses prothèses ou les pare de bijoux. A ceux qui considèrent son corps comme diminué, elle en dévoile les infinies capacités. Chaque nouveau costume opère une mutation par-delà les limites de la morphologie humaine : en sirène, en pieuvre aux tentacules faites de bras de marionnettes… Mari Katayama propose de voir en son handicap non pas un manque mais un signe de distinction positif, une indétermination qui permet d’imaginer une multitude d’identités et de récits. En tricotant des pièces pour ses membres amputés, elle s’offre un nombre illimité de vies. Comme les Moires – ces divinités grecques aveugles qui, en tricotant, décidaient du destin des mortels, de leur vie et de leur mort –, elle donne à la couture une dimension métaphysique. Par-delà le corps octroyé par la nature, les transformations successives de la jeune femme font penser qu’il existe de nombreuses possibilités d’auto-détermination, que l’on peut développer un rapport libre et créatif à son identité. Une démarche en adéquation totale avec le médium photographique qui extrait des images du réel pour en produire des visions à soi. Considérée sous l’objectif de Mari Katayama, l’amputation devient une expérience existentielle “désassignante”. Elle libère du carcan d’avoir un corps et une identité figés.
Si chaque autoportrait semble reformuler ce geste d’émancipation, Home again montre aussi que Mari Katayama a longtemps cantonné son univers artistique à des espaces intérieurs domestiques rassurants (chambre, cuisine, alcôve…), entourée d’une accumulation d’objets personnels, de bocaux de perles, de pièces brodées avec sa grand-mère. Donnant naissance à sa fille en 2017, la maternité lui ouvre un nouveau monde qui se traduit manifestement à l’image. A partir de ce moment, la photographe sort de son cocon et se déplace dans différents paysages. Sur l’île de Naoshima, dans la préfecture de Gunma où elle vit… Près des mines de cuivre d’Ashio, elle prend des clichés d’espaces naturels satellisés par des marques d’industrie et de pollution dont elle tire la série Somewhere in the world I’ve visited (2019-2020). A ce sujet, la photographe dit voir une similitude entre le regard que l’on pose sur son corps et sur ces paysages, perçus eux aussi comme abîmés. En les observant, elle se reconnaît en eux et s’applique à en faire ressortir la puissance. Le nom donné à l’exposition, Home again, peut s’entendre comme une parole de soulagement de l’artiste qui, découvrant un environnement extérieur pas si éloigné d’elle, se dirait : “Ici aussi c’est chez moi, j’y ai ma place”.
Plus récemment, Mari Katayama a produit une série plus abstraite qui achève le parcours à travers les différentes périodes de sa jeune carrière. Dans In the Water, ses membres saisis en gros plan sont décontextualisés et deviennent l’unique sujet porté à l’image. Le déguisement tombe : la peau est nue, seulement saupoudrée de paillettes et baignée dans de l’eau. On distingue de légères rougeurs épidermiques. La photographe expliquera qu’elle sortait d’une séance de laser et que les paillettes étaient justement là pour les maquiller, “pour faire joli”. La commissaire de l’exposition développe : “Mari Katayama a une approche très simple de son travail, ce qui n’empêche pas ce dernier d’être ouvert à de multiples interprétations.” Ces derniers clichés en tête, on ressort de la MEP avec le sentiment que tout ce temps Mari Katayama n’a cessé de franchir des étapes vers l’acceptation de soi. Elle nous convainc depuis ses débuts de la beauté et de la force de son corps qui ne correspond pas aux standards – de la beauté et de la force de ce corps qui est comme libéré du poids uniformisant des regards.
Extrait de REVEL Jean-François, Pourquoi des philosophes (1957)
“Que de fois ne voit-on pas les historiens de la philosophie assigner comme point de départ à Spinoza ou à Malebranche, par exemple, la “nécessité” de résoudre les difficultés du problème de l’union de l’âme et du corps chez Descartes, ou à Hegel, celle d’avoir raison de la “chose-en-soi” kantienne ? Mais c’est là, une fois encore, exactement renverser la question, comme si la suppression d’une idée arbitraire pouvait découler d’un arbitraire plus grand.
Qu’on ne parle pas ici de “dépassement dialectique”. Je ne connais pas d’objection plus faible. S’il est exact que la réfutation d’une idée peut avoir une valeur dialectique, il ne suffit pas qu’une idée soit fausse pour qu’elle ait une valeur dialectique. Que le problème des rapports de l'”âme” et du “corps” ait préoccupé les successeurs de Descartes, non seulement à cause de son importance dans le cartésianisme, mais aussi parce que toute la philosophie de ce temps était pénétrée de christianisme, rien de plus naturel. Mais il ne suffit pas qu’une solution soit souhaitable et nécessaire pour qu’elle soit possible, ni surtout pour qu’on doive infailliblement la trouver.
Or c’est là ce qu’ont tendance à croire les philosophes : qu’il suffit de ressentir vivement l’urgence de résoudre un problème pour qu’il soit résolu. Or un problème n’est pas résolu sous prétexte qu’il faut qu’il le soit, surtout quand ce n’est peut-être pas un problème.
C’est ainsi qu’on aboutit à la doctrine délirante d’un Malebranche, pour avoir omis de commencer par constater ce fait que Descartes, lorsqu’il enseignait que l'”âme” agissait sur le “corps” par l’intermédiaire de la glande pinéale, ne savait tout simplement pas ce qu’il disait.
Justifier Malebranche par l’insuffisance de Descartes sur ce point, c’est s’éloigner d’un degré de plus du réel, c’est confondre la fausse dialectique et la vraie. La vraie dialectique est le dépassement de connaissances certaines et d’idées justes, qui ne deviennent “fausses” que relativement à un nouvel appareil conceptuel plus compréhensif, auquel elles ont été historiquement, et demeurent logiquement, essentielles : elle n’est pas le temps perdu à contester des faits mal établis et des généralisations gratuites, et encore moins à commenter des doctrines absolument ahurissantes en feignant de les prendre au pied de la lettre.
Cette fausse dialectique résulte, encore une fois, de l’identité, qui va trop facilement de soi aux yeux des philosophes, entre le souhaitable et le réalisé, l’intention et le fait. Et en effet, y a-t-il jamais un problème philosophique qui ne soit résolu ? On peut même dire, hélas ! qu’ils le sont tous. Il se trouve, dans toutes les disciplines, des problèmes qui restent sans solution : en philosophie, jamais.
C’est ce qui ressort en premier lieu du style même de l’histoire de la philosophie, de la plus compétente, de la plus consciencieuse histoire de la philosophie. En voici un exemple, sous la plume d’un éminent historien. Il s’agit du rôle et de la nature du sujet connaissant chez Aristote, de la théorie du “sensus communis” [sens commun] qui unifie, d’après ce philosophe, les données des différents sens particuliers. Notre historien écrit : “Auparavant, Aristote avait déclaré : l’objet du sens commun consiste en choses sensibles ; et c’est pourquoi la faculté qui les confronte et les distingue doit être un sens. Or il a reconnu que l’acte de distinguer est un jugement ; et, puisque le jugement est un acte typique de l’intelligence, Aristote complète la détermination du sens commun en disant qu’il n’est pas seulement sens, mais aussi, dans une certaine mesure, intelligence ; en d’autres termes, il est la faculté médiatrice entre sensibilité et intelligence, et c’est par lui que se peut établir la continuité entre les deux facultés qui demeuraient séparées et opposées dans la psychologie platonicienne.” (extrait de MONDOLFO R, L’unité du sujet dans la gnoséologie d’Aristote, Revue Philosophique, 1953).
Or il convient de remarquer que, dans toute cette théorie, Aristote ne fait qu’énoncer d’une manière purement verbale ce qui devrait permettre d’expliquer la nature du sujet connaissant. On fait passer la question pour une réponse. Et l’artifice de l’historien consiste à prendre acte des solutions les plus verbales (“complète la détermination“, “dans une certaine mesure“) comme si elles étaient définitives, et à poursuivre, sans plus attendre, son exposé ; de sorte qu’au bout de très peu de pages l’histoire d’une doctrine passée n’a plus de sens pour un lecteur actuel, puisqu’on y suppose à chaque instant démontré ce qui ne l’est pas ou n’est même pas susceptible de l’être. Le lecteur va de déception en déception, tandis que l’historien vole de succès en succès. En effet, M. Mondolfo poursuit : “Le “je sens” du sens commun signifie aussi “je pense”; et par là, à la division de l’âme en parties séparées se substitue, avec Aristote, l’unité de la conscience subjective dans la continuité des degrés de son développement et des formes de son activité“.
“Se substitue.” Notez la résonance positive, factual. Il s’agit d’un changement effectif, d’un progrès palpable, comme on dit qu’un régime politique se substitue à un autre. Et après cette substitution, l’historien enregistre avec satisfaction le caractère inébranlable, et surtout intégral, du succès obtenu : “Par l’unité du sujet, qui peut ainsi s’affirmer pleinement, est rendue possible et compréhensible son activité synthétique dans la connaissance.“
Et qu’est-ce qui permet à cette “unité du sujet” de “s’affirmer pleinement“? Qu’est-ce qui rend possible cette plénitude ? Eh bien, une fois de plus, c’est parce qu’on en a besoin. Nul n’est tenu de dire en quoi elle consiste. L’exigence tient lieu de solution. Dans une phrase absolument typique des historiens de la philosophie, M. Mondolfo ajoute en effet : “Sur cette exigence d’unité Aristote insiste pour éliminer complètement la double difficulté constituée par, etc.“
On ne sait plus très bien de quel point de vue l’historien écrit. Du point de vue des contemporains de l’auteur ? Mais les contemporains ne prennent jamais un auteur aussi au sérieux que le fait l’historien. Du point de vue du lecteur actuel ? Mais l’historien ne tente pas de dire ce que signifieraient pour nous les problèmes de l’auteur, ni s’ils signifieraient quelque chose. L’historien décrit, comme on décrirait une chaîne de montagnes.
“En gros (écrit un autre historien de la philosophie, encore plus éminent, en parlant de Malebranche et de Berkeley) le problème du fondement de l’objet semble se poser en termes analogues chez l’un comme chez l’autre. Tous les deux n’ont affaire qu’à un cosmos de représentations dans le moi, et tous deux doivent, sans aucun recours à une matière extérieure (…) rendre compte de l’affirmation d’un monde d’objets.” (extrait de GUEROULT M, Perception, idée, objet, chose, chez Berkeley, Revue philosophique, 1953).
Cette manière de s’exprimer est admirable ! Plus encore que tout à l’heure chez M. Mondolfo, la confusion entre le langage dont on se sert pour exposer des faits et celui dont on se sert pour analyser des théories est ici poussée à son comble. “N’ont affaire“… “Tous deux doivent“… Mais pourquoi ? Qui les y oblige ? C’est cela qu’il faudrait expliquer, soit d’un point de vue acceptable et pensable pour nous, soit dans le cadre d’une histoire des idées contemporaines des auteurs ; et non point en sous-entendant comme allant de soi, dans une sorte de milieu intemporel de l’histoire de la philosophie, – et ceci, même lorsque c’est pour discuter très sévèrement un système -, les points de départ qui font exister ou non une théorie, qui font qu’elle a un sens ou n’en a pas.
Peut-être une sorte de hégélianisme brutal et sommaire est-il entré dans nos mœurs, et nous fait-il croire à la nécessité philosophique. Un autre récent ouvrage, sur la Logique de Hegel (Hyppolite J, Logique et existence) est écrit de bout en bout d’une façon purement narrative, qui accepte par convention au point de départ ce que Hegel veut prouver. Dès lors, il ne s’agit plus que de comprendre Hegel, et non de se demander ce que Hegel peut nous faire comprendre. Reste à savoir si l’histoire de la philosophie peut se borner à être une paraphrase de toute idée ayant surgi à un moment ou à un autre. Car, bien entendu, toute doctrine a une raison d’être, mais il s’agit de savoir si cette raison d’être est intégralement philosophique…
Il semble, je le répète, que nous fassions à cet égard preuve de moins de liberté d’appréciation, de fraîcheur de réaction et de sens critique que les contemporains eux-mêmes des auteurs, qui se gardent bien de croire toujours aux raisons apparemment philosophiques que ces auteurs avouent pour soutenir telle ou telle doctrine.
Il y aurait à écrire, par exemple, toute une histoire des preuves philosophiques de l’existence de Dieu. Rien n’est plus comique que de voir ces philosophes classiques, Descartes ou Leibniz, feignant de ne partir de rien de présupposé, de ne dégager de leur point de départ que des idées qui en découlent nécessairement, retomber comme par hasard sur le Dieu anthropomorphique de leur religion et de leur théologie. Malebranche, dans les Entretiens Métaphysiques, n’hésite d’ailleurs pas à placer la réponse suivante dans la bouche de Théodore (qui, on le sait, le représente lui-même) :
Ariste (à Théodore) : Vous avez toujours recours aux vérités de la Foi pour vous tirer d’affaire; ce n’est pas là philosopher. Théodore : Que voulez-vous, Ariste, c’est que j’y trouve mon compte…
L’idée est étrangère à ces philosophes que le manque de certaines connaissances a posteriori non encore obtenues interdit de bâtir un système d’explication complet, mais l’a posteriori trône au beau milieu de leur philosophie sous sa pire forme : celle du préjugé déguisé en résultat scientifique.
Tous leurs arguments se ramènent finalement à ceci qu’il faut bien une explication. Il est hors de doute qu’il en faille une. Mais cela veut-il dire qu’on soit capable de la fournir séance tenante ? Et pourquoi prendrait-elle précisément cette forme-là ? Pourquoi ne serait-elle pas d’un tout autre ordre, et telle que non seulement nous ne puissions pas la fournir, mais que nous ne puissions pas nous représenter de quelle sorte elle sera ?
L’histoire de la philosophie identifie à trop bon compte l’évolution de la pensée humaine à la succession académique des doctrines. On lit couramment des expressions comme : “Après Descartes, il devint impossible de…“; “Berkeley fit définitivement justice de…” On raisonne ainsi comme si chaque ouvrage de philosophie devenait, dès son apparition, la manière de penser de l’humanité tout entière.
Or, pour que Berkeley, par exemple, pût être considéré légitimement comme un “moment dans l’évolution de la pensée occidentale“, il faudrait que ses idées se fussent effectivement répandues, eussent effectivement agi (comme celles de Confucius, de Luther, de Rousseau, de Marx, que sais-je encore), et non pas que la presque totalité des hommes, hors cinq ou six auteurs de manuels, se fichassent de lui comme de leur première culotte et n’eussent pas la moindre idée de ce dont il prétendait s’inquiéter.
Dans notre tradition philosophique, telle que l’imposent les quelques milliers d’ouvrages qui la contiennent matériellement, une inversion de sens a donc fait que les philosophes ne nous invitent plus à comprendre que
leur propre système.
Or un système philosophique n’est par fait pour être compris : il est fait pour faire comprendre.
Nous l’oublions trop, et c’est pourquoi nous parlons de préparation, de technique, de vocabulaire ; c’est pourquoi il y a toujours quelque chose, chez un auteur, qui n’est pas encore tout à fait assez bien compris pour que la discussion puisse commencer.
C’est pourquoi aussi le profane [en philosophie] dont nous parlions au début a raison contre le philosophe. Mais la partie la plus pénible de notre tâche se trouve encore devant nous, car, hélas ! le profane, déjà fort déçu de se voir opposer une fin de non-recevoir sous prétexte qu’il ne connaît pas le vocabulaire, doit savoir que, si par malheur il le connaissait, sa déception serait plus épouvantable encore.”
Jean-François REVEL, 1957
EAN 9782221079737
[FRANCECULTURE.FR] En 1957, Jean-François Revel a publié un bref essai dont le titre sonnait comme un défi, Pourquoi des philosophes. Ce livre a eu un tel écho que Revel l’a réédité à plusieurs reprises, lui rajoutant d’intéressantes préfaces et répondant à ses détracteurs dans un autre essai, La cabale des dévots.
Certes, une bonne partie des polémiques qu’il menait alors apparaissent aujourd’hui comme datées. L’éclectisme dont il accusait la profession, à laquelle il reprochait de chercher à rendre compatibles Marx et Heidegger, comme autre fois Victor Cousin avait prétendu marier rationalisme et spiritualisme, a progressivement disparu des écrans-radars. Les polémiques contre le structuralisme aussi sont datées. Quant aux diatribes enflammées contre Teilhard de Chardin, elles nous paraissent franchement anachroniques : personne ne lit plus cet auteur et on se demande comment une pensée aussi vague a pu séduire tant de brillants esprits dans les années 50. De même, l’idée selon laquelle la plupart des questions philosophiques ont déjà trouvé ou trouveront bientôt des réponses dans les sciences et en particulier dans la psychanalyse apparaît aujourd’hui comme bien optimistes et marquées d’un positivisme hors de saison.
Mais les reproches de fond qu’adressait à la philosophie ce normalien agrégé de philo méritent d’être pris en considération.
Il semble, écrivait-il, que chaque fois qu’apparaît une école philosophique nouvelle, elle ne surgisse pas de l’intérieur du champ philosophique lui-même, à travers un processus d’invalidation des philosophies précédents, mais à l’occasion de l’élection, par le milieu, d’une nouvelle “discipline d’appui” . Alors cela a pu être les mathématiques, pour Descartes, l’histoire pour Hegel, la biologie pour Bergson, la linguistique pour le structuralisme. “Les grandes révolutions intellectuelles“, écrivait Revel, “n’ont pas été le fait des philosophes, ceux-ci se sont contentés d’emboîter le pas aux sciences de leur temps , essayant de tirer vaille que vaille quelque bénéfice secondaire d’avancées scientifiques dont ils n’avaient en règle générale qu’une idée assez vague. Mais chaque fois, ils ont tenté de transposer une méthode et une terminologie hors de leur champ d’application. Le structuralisme constituant un cas-limite.”
Quant à la philosophie réduite, par l’enseignement, à une histoire des grands systèmes philosophiques, elle manque complètement son objet, dans la mesure où elle demeure généralement ignorante des contextes intellectuels, épistémologiques, dans lequel baignaient leurs auteurs. Aussi se condamne-t-elle à présenter des réponses amputées de leurs questions et par son morne récit, devenu un but en soi, elle avoue avoir rompu avec tout effort d’élucidation du réel . On est appelé à « entrer dans la pensée d’un auteur », sans s’interroger sur sa pertinence, ni même à chercher à comprendre quel était au juste « le point d’application » de sa doctrine.
Les grandes théories philosophiques, disait-il encore, paraissent d’autant plus cohérentes qu’elles utilisent des concepts et un lexique qui leur sont propres, mais dont les facultés d’élucidation paraissent marqués par une espèce de loi des rendements décroissants : en quoi nous permettent-ils d’appréhender le réel ?
“Dès lors”, concluait Jean-François Revel, “la philosophie n’est plus qu’un mélange de considérations douteuses, présentées avec la rigueur apparente d’une systématisation artificielle, sur la base de connaissances partielles et vagues“. Elle est “devenue une convention”, une façon de s’exprimer et, pour tout dire, “une province de la littérature“. Une manière de survie pour deux disciplines en voie d’extinction, la religion et la rhétorique…
La charge était violente, je vous le concède, mais la question reste d’actualité : pourquoi des philosophes ? La sociologie, la psychologie, l’anthropologie, l’économie, l’histoire des idées, celle du temps présent, la théorie politique, celle des relations internationales ont chacune un objet et des méthodes de travail, elles offrent des concepts. Et la philosophie, à quoi sert-elle ?
Jean-François Revel, de son vrai nom Jean-François RICARD, est né le 19 janvier 1924 dans le 7e arrondissement de Marseille, fils de Joseph et France Ricard. Sa famille est d’origine franc-comtoise. Il passe son enfance à Marseille, habitant dans le quartier Sainte-Marguerite, et fait ses études primaires et secondaires à l’École Libre de Provence. Après l’obtention du baccalauréat littéraire en juillet 1941, il prépare à Lyon, au lycée du Parc, l’École normale supérieure, où il est reçu en juillet 1943 24e ex-aequo, dès sa première tentative. Il est alors âgé de 19 ans.
Dès 1943 et jusqu’à la fin de la guerre, alors étudiant rue d’Ulm, il participe activement à la Résistance sous la direction d’Auguste Anglès, avec le pseudonyme “Ferral”. En 1944, après la Libération, il est chargé de mission au Commissariat de la République de la région Rhône-Alpes pendant quelques mois. C’est pendant cette période de guerre qu’il publie ses premiers textes, dans la revue Confluences.
Durant l’été 1945, il se marie avec Yahne le Toumelin ; de cette union naîtront deux enfants, dont le futur moine bouddhiste Matthieu Ricard, né en février 1946, et Ève Ricard-Reneleau, écrivaine.
En 1947-1948, sa licence et son diplôme d’études supérieures en philosophie en poche, il est nommé professeur en Algérie, dans une médersa, à Tlemcen. A son retour, il mène pendant près de deux ans une vie de bohème. Puis, de janvier 1950 à octobre 1952, il part enseigner au lycée français et à l’Institut français de Mexico. Enfin, de novembre 1952 à juillet 1956, il est nommé à l’Institut français ainsi qu’à la Faculté des Lettres de Florence, où il enseigne l’Histoire, et en même temps prépare son agrégation de philosophie qu’il passe lors de son retour en France en juillet 1956. C’est pendant ces années à l’étranger qu’il apprend l’espagnol et l’italien. Par la suite, il fait partie du cabinet du sous-secrétariat d’État aux Arts et Lettres, avant de prendre un poste d’enseignant en philosophie au lycée Faidherbe à Lille, de 1957 à 1959, puis au lycée Jean-Baptiste Say à Paris jusqu’en 1963.
Le 7 juillet 1967, il épouse en secondes noces la journaliste Claude Sarraute (née en 1927). De cette union sont nés le haut fonctionnaire Nicolas Revel en 1966 et Véronique Revel en 1968. Il quitte l’Université en 1963 pour se consacrer à une carrière de journaliste et d’écrivain.
Sa carrière littéraire commence en 1957 avec le roman Histoire de Flore, mais c’est surtout son premier essai Pourquoi des philosophes qui représente son premier succès. S’en suivront une trentaine d’ouvrages, les plus célèbres étant Ni Marx ni Jésus (1970), La Tentation totalitaire (1976), Comment les démocraties finissent (1983), puis La Connaissance inutile (1988). Ses Mémoires, Le voleur dans la maison vide (1997) constituent un de ses plus considérables succès, “son livre sans doute le plus assuré de durer”, selon son ami Pierre Nora. Viendront ensuite La Grande Parade (2000), L’Obsession anti-américaine (2001) et un journal de l’année 2000, Les Plats de saison.
Il a en outre assumé les fonctions de conseiller littéraire et de directeur de collection chez René Julliard, Jean-Jacques Pauvert, Robert Laffont jusqu’en 1978, date à laquelle il devient directeur de l’hebdomadaire l’Express, dont il était l’un des éditorialistes depuis 1966. Il démissionne de la direction de l’Express en 1981 à la suite d’un différend avec son propriétaire Jimmy Goldsmith, puis devient, en 1982, chroniqueur au magazine Le Point, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort en 2006. Il a collaboré également, en qualité d’éditorialiste, à des stations de radio : A Europe 1 de 1989 à 1992 et à R.T.L. de 1995 à 1998. Le 19 juin 1997, il est élu à l’Académie française, au fauteuil d’Étienne Wolff, au 24e fauteuil. Jean-François Revel est décédé dans la nuit du samedi 29 avril 2006 à l’hôpital Kremlin-Bicêtre.
Enfoui dans les vestiges d’un village de l’âge du Bronze, lui-même localisé dans le désert d’Oman, un énigmatique jeu de société gravé sur une pierre fait le bonheur des archéologues.
Il y a des découvertes archéologiques qui nous rappellent plus que d’autres encore que certaines pratiques humaines n’ont guère changé au fil des millénaires. C’est le cas du jeu de société, dont nous savons qu’il occupait une place de choix dans la vie quotidienne dès l’Antiquité. Les Egyptiens anciens en étaient friands, de nombreux exemples de jeux étant parvenus jusqu’à nous (ils portent le nom de mehen, senet ou encore de jeu des chiens et des chacals). Le jeu royal d’Ur ou jeu des vingt carrés, retrouvé, lui, dans une tombe royale de la cité mésopotamienne en 1920, est également considéré comme l’un des plateaux les plus anciens – et les plus somptueux – inventoriés à ce jour. L’Homme a donc toujours été joueur, et nous en avons des preuves précoces.
Un passe-temps vieux de 4.000 ans
Un nouvel exemplaire de ces jeux ancestraux vient d’être exhumé près du village d’Ayn Bani Saidah, dans la vallée de Qumayrah, une région désertique d’Oman jusqu’ici très peu étudiée par les spécialistes. Consistant en une grille gravée sur une grosse pierre, le plateau a été trouvé dans les vestiges d’une cité de l’Âge du Bronze, fouillés jusqu’en décembre dernier par l’Université de Varsovie et le ministère du Patrimoine et du Tourisme d’Oman. Composé de 13 cases présentant chacune une sorte d’encoche centrale ou indentation, le jeu était enterré dans les restes d’une pièce. Selon les archéologues, il a sans doute diverti ses créateurs il y a quelque 4.000 ans. “Le plateau est fait de pierre et comporte des champs marqués et des trous pour les gobelets. Des jeux basés sur des principes similaires étaient joués à l’âge du Bronze dans de nombreux centres économiques et culturels de cette époque”, ont-ils déclaré dans un communiqué.
Reste maintenant aux archéologues à en comprendre les règles, ce qui ne sera peut-être pas une mince affaire. Il aura en effet fallu plus de 50 ans d’enquête aux spécialistes du British Museum pour parvenir à traduire les règles du jeu royal d’Ur, qui furent finalement découvertes en écriture cunéiforme sur des tablettes de terre cuite vieilles de plus de 2.000 ans. Ce jeu limité à deux joueurs, dont l’équivalent moderne le plus proche serait le backgammon, consistait à lancer des dés et à faire la course avec des pions sur un petit plateau en forme de H. Certains joueurs pariaient des tournées d’alcool ou des femmes, quand d’autres voyaient dans l’issue de la partie un bon ou un mauvais présage.
Le plateau de jeu n’est pas la seule découverte notable faite par l’équipe de Piotr Bieliński, du Centre polonais d’archéologie méditerranéenne de l’Université de Varsovie (PCMA UW) et de Sultan al-Bakri, directeur général des antiquités au ministère du patrimoine et du tourisme (MHT) du sultanat d’Oman. Les restes d’au moins quatre tours – trois rondes et une angulaire – ont également été exhumés. L’une d’entre elle, malgré ses plus de vingt mètres de diamètre, n’était pas visible à la surface. “La fonction de ces structures proéminentes présentes sur de nombreux sites attribués à la culture dite d’Umm an-Nar doit encore être expliquée”, a précisé Agnieszka Pieńkowska, elle aussi archéologue au PCMA UW.
Les chercheurs ont aussi trouvé des preuves du travail du cuivre sur le site, ainsi que des objets en cuivre. “Cela montre que la colonie participait au commerce lucratif du cuivre qui faisait la réputation d’Oman à cette époque, dont on retrouve des mentions dans les textes cunéiformes de Mésopotamie”, assure Piotr Bieliński. Le site aurait été occupé jusqu’à l’âge du Fer II (1100-600 avant notre ère). (d’après SCIENCESETAVENIR.FR)
À travers les siècles, les pandémies ont été des moments où les mesures en matière de fichage des populations, de surveillance et de contrôle social de manière générale se sont largement renforcées, ont été expérimentées, perfectionnées et souvent pérennisées. Il y a un risque très fort que tous ces appareils sécuritaires contre lesquels nous nous battons se trouvent une nouvelle virginité à l’aulne de cette crise sanitaire, qu’il y ait une acceptation sociale plus grande de ces technologies de surveillance, plus simplement envisagées dans un usage sécuritaire de lutte contre la délinquance ou le terrorisme mais désormais pour garantir la sécurité sanitaire des nations. Nous devrons être vigilants, collectivement.
…l’équipe wallonica en a vu d’autres depuis nos premiers articles en… 2000. Souvenez-vous : plus de 20 ans d’une encyclopédie entièrement consacrée aux trésors et aux curiosités de Wallonie et de Bruxelles, copieusement mélangés aux savoirs issus de toute la Francophonie. wallonica.org a déjà vécu plusieurs vies, toutes étaient dédiées à un seul but : vous faire cliquer curieux…
“Ça le fait“, comme diraient nos ados. Qui plus est, nous venons de fêter notre 1.000ème article !
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Nous sommes indépendants et nous le resterons. Chaque jour est l’occasion de lutter contre l’ignorance et l’obscurantisme : nous devons garder les mains libres. Puisque, pour paraphraser Schopenhauer, “les dogmes et les préjugés sont comme les vers luisants : pour briller, ils ont besoin d’obscurité. Un certain degré d’ignorance générale est la condition de leur existence, le seul élément dans lequel ils peuvent vivre,” notre mission est claire : vous offrir autant d’occasions que possible de vous étonner, de découvrir et de débattre…
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Depuis que les pères missionnaires Antonio da Gaeta et Giovanni Antonio Cavazzi l’ont fait connaître au public européen en publiant sa biographie respectivement en 1669 et 1687, Njinga, reine du Ndongo-Matamba, ne cesse de susciter l’intérêt des historiens, des responsables politiques, des artistes africains, caribéens ou afro-brésiliens et plus récemment, des féministes.
Njinga a déployé une intense activité militaire et diplomatique. Experte à l’art de la guerre dès son jeune âge, elle se soumet à un entraînement militaire intensif avant de prendre le commandement de ses troupes alors qu’elle a soixante-quinze ans.
Une fois reconnue reine par le pape en 1661, elle n’hésite pas à lancer une offensive contre un soba (chef de province qui dispose d’une armée) s’il se rebelle contre elle en même temps qu’elle développe d’étroites relations avec les gouverneurs portugais qui se succèdent à Luanda, avec le Vatican et les représentants de la Compagnie des Indes occidentales dont les troupes avaient pris pied dès 1641 en Afrique centrale, ou avec le roi du Kongo et les seigneurs des contrées entourant les territoires sur lesquelles elle régnait.
Cette alliance de la guérilla et de la diplomatie doublée d’une vaillance indéfectible sur le terrain des opérations instaura un style novateur dans la conduite des affaires politiques auquel certains romanciers de l’Angola d’aujourd’hui allaient être sensibles. Manuel Pedro Pacavira (Nzingta Mbandi, 1975) et Pepetela (A Gloriosa Famila, 1997) font de Njinga une figure majeure de la résistance contre la colonisation. En 2003, le gouvernement angolais installera une statue monumentale de Njinga sur le Kinaxixe, au centre de Luanda, montrant par ce geste sa reconnaissance à celle qui restera l’ennemie le plus farouche de l’entreprise coloniale.
Quant aux techniques de défense ou d‘attaque mises au point par Njinga, on les retrouve dans la capoeira, sorte de combat de rue alliant chorégraphie et art de la lutte au Brésil.
Rétrospectivement, elle apparaît comme l’initiatrice d’une coalition panafricaine contre les Portugais, regroupant sous sa bannière les militants de tout le continent qui luttaient pour l’indépendance de leur pays.
Un autre angle de vue concerne son caractère de femme. Depuis quelques décennies, on valorise sa détermination à s’affirmer en tant que femme dans des postures ordinairement réservées exclusivement aux hommes comme l’art de la guerre, l’exercice du pouvoir et de la négociation. La voilà qui incarne la volonté de défendre l’égalité entre les sexes. Elle s’habille comme les hommes (du moins quand elle participe au combat) mais elle entretient un harem de vaillants guerriers et quand elle épouse Ngola Ntombo, elle l’oblige à s’habiller en femme car elle voulait que tout le monde la considère comme si elle appartenait à la gent masculine. On a fait remarquer aussi qu’elle disposait d’un harem composé de femmes pour son usage personnel. Il n’en fallait pas davantage pour que les féministes en fassent un modèle à suivre .
Voilà donc un personnage qui offre plusieurs identités. Parmi les questions qu’il suscite, il en est une qui touche à la religion : a-telle été vraiment touchée par la divine providence au point d’abandonner sa culture d’origine pour obéir aux préceptes de la morale chrétienne ?
Antonio da Gaeta s’enorgueillit d’être parvenu à transformer “une païenne idolâtre” en une “chrétienne dévote”. Mais le père Cavazzi qui a été son confesseur entre 1657 et 1663 (date de sa mort) doute de la sincérité ; dans un poème écrit après le décès de la reine, qui ne faisait donc pas partie de l’oeuvre originale, il estime que Njinga a abusé Dieu et les hommes, qu’elle a caché aux cieux son être profond (elle n’a jamais renoncé aux pratiques des Imbangala, bandes de pillards sanguinaires et cannibales , enfin, qu’elle “a renversé, détruit et ruiné l’Ethiopie” (ce dernier terme étant alors synonyme d’Afrique) .
Peut-être est-ce un leurre de s’interroger sur la “véritable” identité de Njinga – on sait aujourd’hui qu’un même individu s’appuie dans ses jugements ou comportements sur plusieurs cultures. Il est sans doute plus positif d’examiner par quelles procédures Njinga est devenue un modèle apte à dynamiser un projet collectif. Bien que fragmentaire, l’épilogue du livre de Linda M. Heywood permet d’avancer les remarques suivantes :
Toutes les lectures de l’oeuvre politique de Njinga, sont conditionnées par les circonstances. Ses qualités de résistante ont été mises en lumière à la suite de la montée en force de l’idéologie nationaliste sur le continent africain autour des années 65 au siècle dernier.
Les mouvements féministes qui ont vu le jour en Europe et aux Amériques ont largement contribué à faire de Njinga l’archétype de la femme qui vit sa sexualité hors des normes morales imposées par la tradition chrétienne ou locale (même si à la fin de sa vie, elle avait interdit la polygamie).
Dans les deux cas, le personnage posé comme modèle à suivre justifie après coup un style de comportement, et / ou une stratégie de l’action à mener pour atteindre le but poursuivi. Il a donc un caractère conjoncturel.
L’interprétation du personnage est ainsi fonction de la situation politico-culturelle du moment. Cela entraîne une recomposition de son image. Les féministes des années 75-80 mettent en avant sa volonté constante de se libérer des interdits touchant la sexualité, évacuant les prédicats que les encyclopédistes ou les écrivains du XVIII° siècle avaient attachés à son nom (Elle “immolait ses amants dès qu’ils avaient joui d’elle” écrit Sade dans sa Philosophie dans le boudoir).
Perçue dans la durée, Njinga acquiert une fonction polémique de revendication au service de causes qui sont le produit du milieu et du moment et se voit du même coup idéalisée par une série de troncations et de simplifications (on fait ainsi l’impasse sur le métissage religieux qu’elle a toujours pratiqué entre les rites mbundu et chrétiens, sur le cannibalisme, sur la pratique esclavagiste, etc.)
Les “vies posthumes” de Njinga comme sa personnalité et ses modes d’actions politiques ne sont pas seulement la preuve de sa survivance dans la mémoire collective africaine ou afro-américaine ; elles suscitent des interrogations qui touchent aux fondements de l’histoire et de l’anthropologie, tels les rapports entre barbarie et civilisation, le statut de l’esclavage, celui de la femme vis-à-vis des institutions politiques, etc.
Dans une intéressante biographie éditée chez La Découverte, la professeure d’histoire à l’université de Boston Linda M. Heywood retrace le parcours de Njinga, “reine guerrière” qui luttera contre le colonialisme et qui règnera sur les royaumes de l’actuel Angola au XVIIème siècle. L’occasion de “rend[re] justice à ce personnage hors norme, qui a toute sa place dans l’histoire mondiale”, à l’heure où son rôle est souvent méconnu voire présenté péjorativement en Europe, tandis que, pour les Angolais mais aussi pour les descendants d’esclaves africains, elle est souvent considérée comme une héroïne.
On avait découvert son existence en lisant la BD de Pénélope Bagieu consacrée à quinze femmes badass qui ne “font que ce qu’elles veulent”, aka Les Culottées (éd. Gallimard, 2016). Dans Njinga, histoire d’une reine guerrière (1528-1663), passionnante biographie consacrée à celle qui régna sur le royaume du Ndongo-Matamba (soit l’actuel Angola, en Afrique centrale), au XVIIe siècle, c’est avec une myriade de détails et un souci constant de contextualisation que Linda M. Heywood nous donne à voir cette “femme libre, reine courageuse et fière qui défendit ardemment son rang et son africanité”. Pendant neuf ans, cette professeure d’histoire à l’université de Boston a collecté toutes les informations qu’elle trouvait sur Njinga, ardente défenseure de son royaume face à l’envahisseur portugais et symbole de “la résistance au colonialisme”. Avec, pour dessein, de “rend[re] justice à ce personnage hors norme, qui a toute sa place dans l’histoire mondiale”.
Car, dans le meilleur des cas, Njinga est une figure inconnue en Europe, quand elle n’est pas dépeinte de façon caricaturale et péjorative dans les biographies lui ayant déjà été consacrées. Ainsi, dans un ouvrage d’Antonio Cavazzi, un missionnaire capucin ayant vécu à sa cour, l’accent est essentiellement mis sur “sa barbarie, ses habitudes sanguinaires, son dévergondage et son cannibalisme”. Dans un autre registre, l’auteure raconte comment le marquis de Sade évoque son existence dans La Philosophie dans le Boudoir, se servant d’elle comme d’une figure “bien utile pour conforter l’idée européenne de l’Autre exotique”.
La figure de Njinga, loin des clichés
Le livre de l’historienne, lui, entend justement réhabiliter sa personne et son rôle de reine à partir de 1624, loin des clichés lui était souvent accolés. Mais ce, sans jamais pour autant adopter un point de vue angélique ou naïf : rien, de l’assassinat de ses opposants – dont son petit neveu – au sacrifice d’humains en passant par la traite d’esclaves n’est omis dans son récit, tâchant toujours de fournir le contexte derrière chaque action et décision.
Ainsi, si comme on peut le lire sur RFI, certains historiens sont partagés quant à son implication dans le commerce d’esclaves, la politologue, historienne et féministe Françoise Vergès propose un autre point de vue dans une intéressante préface : “Le danger est de minimiser les responsabilités européennes, de reprendre trop facilement l’argument “les Africains ont vendu des Africains” pour mettre sur le même plan les formes d’esclavage en Afrique et l’économie des plantations européennes. Or, pour de nombreux historiens et économistes, cette dernière est spécifique, car elle crée au niveau mondial une main-d’oeuvre mobile, sexuée et racisée, contribuant fortement à l’accumulation de richesse et de capitaux.”
Une stratège militaire et un sens aigu de la diplomatie
La même Françoise Vergès écrit ceci : “La vie de Njinga invite à repenser le pouvoir politique, la souveraineté, la guerre et la résistance dans l’Afrique du XVIIe siècle. C’est parce qu’elle ne correspond pas au cliché de la femme africaine-mère, qu’elle pratique le commerce des esclaves, qu’elle ordonne sans hésiter des sacrifices humains, qu’elle ne fait preuve d’aucune pitié pour ses ennemis, qu’elle nous intéresse.” Njinga est en effet une stratège militaire et commerciale redoutable, dotée en outre d’un sens aigu de la diplomatie. Elle réussira, au terme d’une conversion au christianisme et de nombreuses batailles où elle ne sera pas la dernière à manier habilement la hache, à négocier un accord de paix avec le Portugal, permettant ainsi à son pays de conserver son indépendance. Par ailleurs, elle “trouble le genre”, comme l’écrit François Vergès, faisant sienne une formule de la philosophe américaine Judith Butler.
Njinga se présentera ainsi tour à tour comme homme ou femme, aura une myriades de concubin.e.s, n’hésitera pas à donner des postes de responsabilité à des femmes, tant à la cour que sur le terrain militaire. Et ce, à l’heure même où d’aucuns préféraient “insister sur le fait qu’elle était une femme pour tenter de la disqualifier en tant que prétendante au trône”. Idem, quand un gouverneur portugais la recevra en 1622 au titre de négociatrice – à la demande de son frère un peu falot, à l’époque roi -, elle refusera de s’asseoir par terre, comme son hôte, trônant sur une chaise, le lui demandait – “chaque détail ét[ant] calculé pour priver les Africains de toute dignité” – et préférera s’asseoir sur le dos d’une de ses servantes, tout le long de la rencontre. Ce moment – “Avant de tirer une conclusion hâtive sur une sororité de principe trahie, observons que celle qui est mise dans une position humiliante évite à son tour une humiliation à sa souveraine”, écrit Françoise Vergès – marquera la première victoire de la jeune Njinga. Elle négociera avec talent un traité, et assoira – si l’on peut dire – un peu plus sa puissance et son aura.
Une figure iconique de l’anti-colonialisme et de “la promotion des droits des femmes et du pouvoir noir”
Car cette femme lettrée, d’une intelligence remarquable, est devenue selon la politologue “un mythe pour avoir tenu la tête aux envahisseurs européens, imposé ses conditions au point que les Africains déportés au Brésil en ont fait l’une de leurs déités. Dans la tradition mbundu, les rois ne mouraient pas. Njinga, reine, noire et guerrière, a survécu dans les mémoires comme le symbole de la résistance africaine“. Comme le note Linda M. Heywood, qui met en avant le fait qu’à Rio de Janeiro la cheffe de guerre est devenue une héroïne inspirante de la “promotion des droits des femmes et du pouvoir noir”,“l’intérêt du Brésil pour ses racines culturelles a permis de faire entrer l’histoire de Njinga dans la conscience d’une nouvelle génération d’Afro-Brésiliens soucieux de recréer des liens avec un passé africain glorieux, cet impact [s’étant] étendu à d’autres populations d’origine africaine aux Amériques.”
Idem en Angola, où, grâce aux traditions orales mbundu, sa mémoire va perdurer et servira même à nourrir les velléités d’indépendance du pays, laquelle arrivera en 1975 : “Face à un régime raciste d’exploitation coloniale dont la politique consistait à diviser les Angolais en fonction de leur race, de leur classe, de leur ethnie, de leur région et de leur langue, les descendants des vieux Mbundu qui avaient entendu les récits de la résistance de Njinga remirent au premier plan ce personnage héroïque.” Une statue à son effigie sera inaugurée à Luanda, capitale de l’Angola, cette année-là, tandis qu’un film en son honneur sera produit par le gouvernement angolais en 2013, Njinga, reine d’Angola. L’Unesco l’a placée sur la liste des 19 dirigeantes africaines les plus importantes, tout en la faisant figurer sur la liste des “Femmes dans l’histoire de l’Afrique”. Aussi, comme l’assure Françoise Vergès, “la vie de Njinga nous invite à nous débarrasser du récit d’un continent sans histoire”. Après tout, comme le dira un jour avec classe ce personnage “complexe”, qui décédera en 1663 : “Je suis née reine, et j’ai agi en reine dans tout ce que j’ai fait.”
[FRANCECULTURE.FR, 10 février 2022] Qu’est-ce que la violence ? Les Hommes ont-ils toujours fait la guerre ? Toutes les violences sont-elles comparables ? Quelles sont ses origines naturelles ? C’est un débat vieux comme le monde, vieux comme l’humanité pourrait-on dire : la violence est-elle consubstantielle de l’espèce humaine, ou l’espèce humaine est-elle devenue violente à force de vivre en société. Ou : l’être humain est-il naturellement pacifique ou violent ? Qui de Hobbes ou Rousseau a vu juste ? Sommes-nous la seule espèce animale à faire la guerre ? A appliquer de la violence létale contre nos congénères ? Ce débat philosophique avance aujourd’hui grâce à l’archéologie, et à la paléoanthropologie, à l’ethnologie, petit à petit, indice après indice, plusieurs chercheurs essayent de reconstituer, dans un ouvrage collectif, ce qui serait une “histoire naturelle de la violence”…
Le court-métrage suivant fait la promotion du manifeste publié par le Muséum d’histoire naturelle français : il donne la fessée à beaucoup de préjugés… en moins de huit minutes. Profitez-en :
[MNHN.FR] En écho aux débats actuels autour de la violence, le manifeste Histoire naturelle de la violence convoque des spécialistes de la biologie, du comportement animal et des sciences humaines pour interroger les expressions et les causes de la violence dans la nature et dans les sociétés humaines. Un regard scientifique distancé qui ne vise pas à imposer des jugements et des règles, mais à comprendre les mécanismes en jeu.
Agression, intimidation, contrainte ou mise à mort ont cours au sein de nombreuses espèces, entre congénères. Ces formes de violence présentent une fonction commune : conquête ou préservation de territoires et de ressources, lutte pour la procréation, protection de la progéniture ou du groupe.
Chez les animaux comme chez les humains, la violence peut participer à l’organisation sociale. Un individu ou des groupes dominants font baisser le niveau moyen d’agressions mutuelles par le maintien d’une hiérarchie. Ainsi, le Gorille dos argenté met fin aux querelles individuelles en menaçant les protagonistes.
La ritualisation de la violence permet de la mettre en scène (par exemple lors de parades d’intimidation sans échanges de coups) tout en participant à son contrôle. Chez les humains, elle contribue par ailleurs à certains rites d’intégration qui favorisent la cohésion interne.
Dans une société humaine, cette violence à usage social peut aussi être symbolique et institutionnalisée. Et quelle que soit sa forme, les membres concernés s’y soumettent généralement pour pérenniser l’organisation globale et parfois même l’intériorisent.
La guerre, observée y compris chez des chimpanzés, partage cette fonction unificatrice. Elle aide en outre à canaliser la violence hors de la société. En Europe, le désarmement des populations lors de la naissance des États, la pénalisation des violences et des homicides domestiques, ont drastiquement réduit les violences létales civiles tandis que celles-ci se déportaient sur des guerres externes contrôlées par les États.
Ainsi, si les humains comptent à la fois parmi les espèces qui se tuent le plus entre eux (avec les primates, les rongeurs et les carnivores), ils sont aussi ceux qui ont le plus diminué cette violence létale depuis leurs origines.
Autre fait commun aux primates dont nous faisons partie : la violence s’hérite. Elle est entretenue par l’imitation de modèles agressifs — famille ou pairs —, en particulier s’ils sont valorisés au sein du groupe. À plus grande échelle temporelle, la violence s’hérite au cours de la généalogie des mammifères : plus une espèce a des taux de violence létale ancestraux élevés, plus elle a de chances de pratiquer cette violence létale (marmottes, loups, chimpanzés, humains…).
Des contextes spécifiques favorisent par ailleurs la violence, par exemple une pression démographique ou environnementale entraînant une raréfaction de ressources alimentaires ou des territoires. Chez les humains, s’ajoutent les inégalités sociales et économiques, causes de pauvreté et de frustrations. Les pays où les inégalités économiques sont les plus fortes sont aussi ceux où les agressions mortelles sont les plus élevées.
L’appréciation de la violence dépend ainsi de nombreux facteurs, en particulier du point de vue selon lequel elle est observée et de son contexte. Du point de vue anthropologique, la violence se définit toutefois par des atteintes au corps, à la personne, à la dignité et aux valeurs.
Son degré d’acceptabilité est régulé par des codes. Les individus de chaque société en fixent ainsi les limites permettant de vivre ensemble. S’il revient à l’Histoire naturelle et à la science en général d’expliquer la violence, et non de la juger, il revient aux sociétés de la canaliser.
ISBN 978-2-38036-064-6
[RELIEFEDITIONS.COM] Le Muséum national d’histoire naturelle français et Reliefs Éditions publient le Manifeste du Muséum. Histoire naturelle de la violence, un ouvrage bilingue signé par un collectif d’auteurs qui convoque différentes disciplines scientifiques afin de disposer d’une grille d’analyse scientifique fondée et d’interroger l’essence même de la violence.
Paradoxalement, malgré un ressenti généralisé de vivre dans un monde violent, le niveau de violence civile en Europe de l’Ouest n’a jamais été aussi bas depuis bien des siècles. Toutes les violences sont-elles comparables ? Qu’est-ce que la violence ? Quelles sont ses origines naturelles ? Ce document est établi par un comité constitué en 2021 à l’initiative de Bruno David, président du Muséum d’histoire naturelle (MNHN), paléontologue et biologiste. Il collabore avec des organismes internationaux, est invité à de nombreux colloques scientifiques et est très impliqué dans la diffusion en direction du grand public.
Les auteurs de ce Manifeste sont : Laurent Begue-Shankland (professeur de psychologie sociale), Caroline Gilbert (éthologue), Caroline Guibet-Lafaye (sociologue), Guillaume Lecointre (zoologiste et systématicien), Shelly Masi (éco-anthropologue), Robert Muchembled (historien), Marylène Patou-Mathis (préhistorienne), Charles-Edouard de Suremain (ethnologue).
Né en 1976, Raphaël KIRKOVE dessine depuis son enfance et touche à tout depuis son adolescence. Diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Liège, sa création artistique se partage entre le dessin, la peinture et les arts numériques. Il est présent sur la scène alternative liégeoise depuis bientôt quinze ans et participe activement au collectif Detruitu. (d’après LESATELIERS04.BE)
Le travail de Raphaël Kirkove flirte avec la figuration libre, le cut-up, l‘imagerie psychédélique et les comics underground… On retrouve dans ses œuvres une multitude de techniques et de styles. Son sujet est le monde dans toute sa complexité et son absurdité. Cette image fait partie d’une série réalisée sur ordinateur et présentant la figure du petit fantôme, que l’on voit ici étendu raide à l’avant plan. (d’après LESATELIERS04.BE)
[dossier de presse OPRL] Né à Liège, le 10 décembre 1822, le compositeur César Franck a révolutionné la musique française du XIXe siècle. Ses œuvres font aujourd’hui encore le tour de la planète. De septembre 2021 à décembre 2022, l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège (OPRL), l’un des interprètes incontournables de César Franck depuis 60 ans, célébre le bicentenaire de celui qu’on surnommait le Messie de l’art avec une série de concerts, plusieurs coffrets discographiques, des parutions inédites et des projets numériques. César Franck a incontestablement marqué son époque par sa quête de perfection et ses innovations. Un maître reconnu par ses pairs et vénéré par ses fils spirituels dont Chausson, d’Indy, Duparc, Vierne ou encore Guillaume Lekeu. Il a véritablement transformé le paysage musical français à partir des années 1870. […]
Rendre à César… : l’apport de Franck à l’histoire de la musique
Le Liégeois qui a révolutionné la musique française. César Franck (1822-1890) a incontestablement marqué la musique française par sa quête de perfection et ses innovations. Un maître reconnu par ses pairs et vénéré par ses fils spirituels.
La quête d’un idéalisme. L’idéal artistique de César Franck contraste avec les pratiques de son temps. Lorsqu’il arrive à Paris, en 1835, la musique s’ouvre à tous les publics et devient un marché sur lequel priment parfois la quête de sensations fortes ou de virtuosité ébouriffante. César Franck transforme le paysage musical français à partir des années 1870 en proposant un art épuré, teinté d’idéalisme et d’intériorité. Sa musique se caractérise par une profondeur de sentiments, une élévation spirituelle, une profusion de mélodies en effervescence, un tempérament passionné et fiévreux inspiré par la musique de son idole : Franz Schubert.
Franck le dramaturge. À Liège, Franck étudie les modèles classiques allemands, de Bach à Beethoven. Arrivé à Paris, il découvre une vie musicale dominée par l’opéra et utilise ses ressorts dramatiques dans toutes ses œuvres, y compris orchestrales, instrumentales et religieuses. Il y raconte des histoires et joue la carte des coups de théâtre et des clairs-obscurs.
L’inventeur du poème symphonique. En même temps que Franz Liszt, César Franck “le descriptif” invente un nouveau genre musical : le poème symphonique. Il s’agit d’une composition de forme libre (contrairement aux codes de la symphonie) inspirée par un personnage, une légende ou une œuvre littéraire : une musique illustrative qui préfigure les musiques de films. Son œuvre Ce qu’on entend sur la montagne, sur un poème de Victor Hugo, est composée en 1846, quelques mois avant le premier poème symphonique de Liszt (généralement considéré comme l’inventeur du genre) qui s’intitule également Ce qu’on entend sur la montagne…
Mais encore… Franck impose à son époque une musique faite de mélodies très développées, soumises à des changements d’harmonie très fréquents. Il est aussi le maître de la forme cyclique (càd. l’art de faire apparaître une mélodie dans différents mouvements d’une œuvre). Une modernité qui le rapproche de maîtres comme Liszt et Wagner et fera école auprès de toute une génération de compositeurs à sa suite.
Le Pater Seraphicus. Franck fut surnommé à la fin de sa vie le père Franck mais aussi le Pater Seraphicus, en raison de son attitude paternelle et bienveillante à l’égard de ses élèves au Conservatoire de Paris. Parmi eux, des dizaines de futurs grands compositeurs, catalogués souvent sous l’appellation de franckistes : Chausson, Duparc, Vierne, Tournemire, Pierné, Lekeu et surtout Vincent d’Indy, fondateur à Paris en 1896 de la Schola Cantorum, un lieu d’enseignement de la musique sacrée qui reprend en partie les préceptes pédagogiques de Franck ! Après sa mort, Franck fait l’objet d’un véritable culte au sein de la Schola qui sacralise tant la personne que la musique du compositeur liégeois.
Une notoriété à plusieurs échelles. Avec André-Modeste Grétry, César Franck est le compositeur liégeois qui a le plus marqué l’histoire de la musique. Sa notoriété est avérée à plusieurs échelles.
Celle d’une ville, Liège, qui le vit naître, où il reçoit sa formation de 1831 à 1835 dans un Conservatoire fraîchement inauguré (1827). Sa maison natale existe toujours (l’hôtel de Grady) tout comme l’église où il fut baptisé (Sainte-Croix). Après son départ pour la France, Franck demeurera attaché toute sa vie à sa ville natale et restera en contact avec ses habitants, à commencer par le violoniste Eugène Ysaye ou le chef d’orchestre Sylvain Dupuis.
Celle d’un pays, la France, où il vivra plus d’une cinquantaine d’années. Il s’y fait connaître comme pianiste prodige dans le Paris de Balzac, comme organiste sous le Second Empire et finit sa carrière comme compositeur et pédagogue sous la IIIe République.
Celle de l’Europe. Franck en est l’incarnation en tant que musicien de souche hollandaise et germanique, devenu Français de Belgique et qui comme Chopin, Liszt, Meyerbeer ou Rossini, s’est retrouvé à Paris pour élever la musique à un degré de cosmopolitisme jusqu’alors inconnu dans l’Europe musicale.
Et au-delà… Son œuvre orchestrale, sa musique pour piano, ses pièces pour orgue, sa musique de chambre sont encore interprétées sur tous les continents. La Symphonie en rémineur fait partie des incontournables de tout grand orchestre international.
Extraits du dossier de presse de l’OPRL
Hôtel de Grady, rue Saint-Pierre à Liège
Liège, la cité de son enfance. On peut suivre les traces du compositeur, de sa maison natale (l’Hôtel de Grady, ci-dessus) aux différents monuments et sculptures à sa gloire dans la ville, en passant par la rue César Franck et par un coup d’œil aux partitions manuscrites conservées à la bibliothèque du Conservatoire Royal de Musique de Liège ou au Musée de la Vie Wallonne.
Musée Grand Curtius de Liège: un espace César Franck pour le bicentenaire du musicien liégeois
A Liège, un espace César Franck a été créé spécialement au musée Grand Curtius pour le bicentenaire de la naissance du musicien liégeois. Le jeune César Franck, pianiste prodige, donne ses premiers concerts à Liège à 13 ans. Il part ensuite faire carrière en France. Organiste, compositeur et professeur de musique, il finit par s’installer à Paris. Ami de Liszt et de Camille Saint-Saëns, il participe à la vie musicale française de la seconde moitié du 19ème siècle.
Au Grand Curtius de Liège, la salle qui lui est consacrée présente la console de son orgue inauguré en 1859 :
Non seulement, c’est l’orgue de César Franck, mais cet orgue, c’est un Cavaillé-Coll, c’était le plus grand, le plus important facteur d’orgues français au 19ème siècle. C’était vraiment la Rolls-Royce des instruments
Tout Paris allait écouter ses improvisations
“Il était titulaire des grandes orgues de Sainte Clothilde, donc tous les dimanches, il faisait évidemment les offices, et en plus, il improvisait. Tout le monde, tout Paris allait écouter ses improvisations avant les offices parce que César Franck improvisait, composait, et c’est sur cet instrument, sur le clavier que vous avez ici, que Franck a pu faire naître tous ses chefs d’oeuvre” poursuit Patrick Dheur.
Un manuscrit authentique et ses premiers devoirs
La salle présente également un manuscrit authentique de la main de César Franck: “Ce sont les Variations Symphoniques pour piano. Pour les personnes qui veulent vraiment voir l’écriture de Franck, ils pourront le voir” explique le pianiste et conférencier. A voir également, les premiers devoirs de César Franck : “Il avait 13 ans, il a été le premier élève à recevoir un premier prix de solfège du Conservatoire Royal de Liège, et ici, ce sont ses exercices de contrepoint et d’harmonie, où vous voyez la parfaite calligraphie de l’enfant qui s’applique. Ce sont des documents tout à fait exceptionnels évidemment qu’on peut sortir pour son bicentenaire“. [d’après RTBF.BE]
[MUSICOLOGIE.ORG] FRANCK, César-Auguste-Jean-Guillaume-Hubert. Né à Liège le 10 décembre 1822, mort à Paris le 8 novembre 1890. Il est le fils de Marie-Catherine-Barbe Frings (1788-1860), née à Aachen, et de Nicolas-Joseph (1794-1871), peut-être musicien amateur, employé de la banque Fresart de Liège, né à Gemmenich (comme Aachen, ville des Pays-Bas, puis de Belgique en 1830). Son frère, Joseph Franck (1825-1891) est compositeur, violoniste, pianiste et organiste.
Le talent de César Frank (et de son frère) est tôt exploité par ses parents. Il entre au Conservatoire royal de Liège en 1831 où il obtient les premiers prix de solfège et de piano. Il a Jules Jalheau comme professeur de piano, Joseph Faussoigne, le directeur du Conservatoire, pour l’harmonie, et François Prume pour le violon. En 1835, son père organise une série de concerts à Bruxelles, Liège et Aachen (Aix-la-Chapelle). La même année, la famille Franck s’installe à Paris, où César, après avoir pris des leçons avec Pierre-Joseph-Guillaume Zimmermann (piano), Antoine Reicha (harmonie et contrepoint), Hippolyte CoIlet (composition), entre au Conservatoire de Paris en octobre 1837. En 1842 son père le retire du conservatoire pour qu’il se consacre pleinement à une carrière de virtuose dans des répertoires à la mode.
En 1846, son oratorio Ruth est accueilli avec froideur. Cette même année commence la liaison avec une de ses élèves, Eugénie-Félicité-Caroline Saillot (1824-1918), dont le père est acteur (retraité) à la Comédie-Française sous le nom de théâtre Desmousseaux (elle est aussi artiste), leur demeure (59 rue du Faubourg Montmartre) lui est ouverte. Le père de Franck est violemment opposé cette relation, en vertu de la loi, il peut empêcher cette union jusqu’aux vingt-cinq ans de son fils, il a même détruit le manuscrit de l’Ange et l’enfant, sur un poème de Jean Reboul, que César Franck avait dédicacé à la jeune femme.
César Franck quitte le domicile familial, se fixe à Paris et trouve du travail comme organiste et professeur. Il est organiste à Notre-Dame-de-Lorette en 1847. Le 22 février 1848 il se marie avec Eugénie-Félicité à Notre-Dame de Lorette. Ils élèveront trois enfants Georges (1848-1910), Marie Josèphe Geneviève (1849-1850), Germain, (1853-1912) et Paul Eugène (1856-1859). Il est organiste à Saint-Jean-Saint-François du Marais en 1851. En 1857 il est titulaire du nouvel orgue Cavaillé-Coll de Sainte-Clotilde. Les improvisations qu’il donne après les offices attirent rapidement le public. De ces concerts il compose les Six pièces, achevées en 1862.
Il commence à attirer des élèves de la bourgeoisie qu’on appelle “la bande à Franck” : Henri Duparc, Arthur Coquard, Albert Cohen.
Dans les années 1870, il produit une riche série de compositions qui comprend des oratorios, des symphonies, et un opéra, Hulda. En 1872, il succède à Benoist et reprend la classe d’orgue et d’improvisation du Conservatoire de Paris, et a Vincent D’Indy comme élève de 1873 à 1875. En 1876, il postule sans succès pour le poste de professeur de composition, de même en 1877 et 1880. Souffrant d’emphysème, son état s’aggrave brutalement début juillet 1890, quand sa calèche est heurtée par un omnibus.
Ses élèves, Vincent d’Indy en tête, lui ont construit une image de dévot éthéré qui l’a desservi. Son œuvre remarquable, surtout à partir de 1870, marque les recherches sur la cohérence musicale dans la durée, nécessaire aux poèmes symphoniques et aux grandes œuvres en un mouvement.
On lui attribue l’invention sinon la banalisation de la forme dite cyclique, qui consiste non pas à développer le thème par fragmentation et recomposition, mais à le répéter, avec des formules secondaires, dans tous les mouvements.
César Franck jouant de l’orgue. (d’après un tableau de Jeanne Rongier, détail)
Catalogue des œuvres
1834, opus 5, Variations brillantes sur l’air Pré aux clercs, pour orchestre, existe en version piano),
1834, opus, 6, Grand trio, pour piano, violon et violoncelle,
1834-1835, opus 8, Variations brillantes sur la ronde favorite de Gustave III, piano et orchestre,
1835, Blond Phébus, chant et piano (attribution incertaine),
1835, Grand Chœur, pour orgue,
1835, O salutaris, pour chœur et orgue,
1835, opus10, Grande sonate pour piano n° 1,
1835, opus 11, Grand concerto pour piano et orchestre n° 2, en sol mineur,
1838, Notre Dame des orages, cantate sur un texte du comte de Pastouret, pour voix soliste et piano, perdu),
1840, Gratias super gratiam, pour chœur et orgue,
1840, Justus ut palma florebit, pour basse, chœur et orgue,
1840, Laudate pueri, pour chœur et orgue,
1840, opus 13, Grande symphonie n° 1, en sol majeur,
1840, Sinite parvulos, pour voix soliste et orgue,
1840, Tunc oblati sunt, pour chœur et orgue,
1841, opus 1 n° 2, Trio concertant n° 2, pour piano, violon et violoncelle,
1841, opus 1, n° 1, Trio concertant n° 1, pour piano, violon et violoncelle,
1841, opus 14, Fantaisie n° 2, pour piano,
1841, opus 15, 2 Mélodies, pour piano,
1841, opus 18, Sonate n° 2, pour piano,
1841, opus 12, Grande fantaisie n° 1, pour piano,
1841, opus19, Grande fantaisie n° 3, pour piano,
1841, Polka, pour piano,
1842, 4, Duo n° 1, pour piano 4 mains sur God save the King,
1842, opus 1 n° 3, Trio concertant n° 3, pour piano, violon et violoncelle,
1842, opus 2, Trio concertant n° 4, pour piano, violon et violoncelle,
1842, opus 3, Églogue, (Hirtengedicht), pour piano,
1842-1843, Le sylphe, Je suis un sylphe, texte de Alexandre Dumas père, pour voix de femme et piano et violoncelle,
1842-1843, L’émir de Bengador, Si tu savais que je t’adore, texte de J. Méry, pour voix de femme et piano,
1842-1843, Ninon, Ninon ! que fais-tu de la vie !, sur un texte d’Alfred de Musset, pour voix de femme et piano,
1842-1843, Robin Gray, Quand les moutons sont dans la bergerie, texte de J. P. de Florian, pour voix de femme et piano,
1842-1843, Souvenance, Combien j’ai douce souvenance, sur un texte de Chateaubriand, chant pour voix de femme et piano,
1843, opus 5, Grand caprice n° 1, pour piano
1843, opus 6, Andantino quietoso, pour piano et violon, dédicacé à M. le comte de Montendre,
1843, opus 7, Souvenir d’Aix-la-Chapelle, pour piano, dédicacé à Mlle Cécile La-chambre,
1843-1846, Ruth, églogue biblique en 3 parties, texte biblique avec des additions de A. Guillemin, pour solistes, chœur et orchestre,
1844, Deux Mélodies à Félicité, pour piano,
1844, opus 10, Solo de piano, sur un thème de Ruth, avec accompagnement de quintet à cordes [perdu],
1844, opus 11, Grande fantaisie n° 1, pour piano, sur des motifs de l’opéra Gulistan de Nicolas-Marie Dalayrac,
1844, opus 12, Fantaisie n° 2, pour piano, sur l’air et le virelai Le point du jour, extrait de l’opéra Gulistan de Nicolas-Marie Dalayrac,
1844, opus 13, Fantaisie, pour piano [perdu],
1844, opus 14, Duo n° 1, pour piano et violon concertants sur des motifs de l’opéra « Gulistan » de Nicolas-Marie Dalayrac,
1844, opus 8, Quatre Mélodies de Schubert transcrites pour le piano (Die junge Nonne, La jeune religieuse ; Die Forelle, La truite ; Des Madchens Klage, Les plaintes de la jeune fille ; Das Zugenglockein, La cloche des agonisants),
1844, opus 9, Ballade, pour piano,
1844, Stradella, opéra en 3 actes sur un livret d’E. Deschamps,
1845, Ave Maria, pour chœur,
1845, opus 15, Fantaisie pour piano, sur deux airs polonais, dédicacé à A. S. A. Mme la princesse de Ligne néé Lubomirska,
1845, opus 16, Trois Petits riens, pour piano (Duettino ; Valse ; Le Songe)
1845-1847, Ce qu’on entend sur la montagne, poème symphonique d’après Victor Hugo,
1846, L’ange et l’enfant, Un ange au radieux visage, texte de Jean Reboul, pour mezzo-soprano ou baryton et piano,
1846, opus 17, Duo n° 2, pour piano 4 mains, sur le quatuor Lucile de André-Ernest-Modeste Grétry,
1848, Hymne à la patrie, pour une voix avec orchestre,
1849, Aimer, J’entendais sa voix si touchante, sur un texte de J. Méry, pour pour voix de femme et piano,
1849, Sub tuum, pour deux voix,
1850, O gloriosa, pour trois voix,
1851-1853, Le valet de la ferme, opéra comique en 3 actes sur un livret d’A. Royer et G. Vaëz
1852, Les trois exilés, Quand l’étranger envahissant la France, texte de B. Delfosse, chant national pour voix de basse ou baryton et piano,
1857, S’il est un charmant gazon, sur un texte de Victor Hugo, pour voix de femme et piano,
1858, Accompagnement d’orgue et arrangement pour les voix, des offices en chant grégorien restauré par le Père Lambilotte,
1858, Andantino en sol mineur, pour grand orgue,
1858, Ave Maria, duo pour soprano et basse et orgue,
1858, Cinq Pièces pour harmonium (Offertoire, Petit offertoire, Verset, Communion),
1858, Messe solennelle, pour basse solo et orgue,
1858, O salutaris, duo pour soprano et ténor ou mezzo-soprano et orgue,
1858, O salutaris, solo pour soprano et chœur et orgue
1858, Tantum ergo, pour basse solo et chœur mixte ad lib, et orgue,
1858, Tendre Marie, cantique,
1858-1863, L’organiste, 2e volume : 30 Pièces pour orgue ou harmonium,
1859, 3 Antiennes, pour orgue,
1859, Le garde d’honneur, cantique au Sacré-Coeur, sur un texte anonyme, pour solo et 2 voix de femmes avec clavier,
1860, Cantique de Moïse, pour chœur et piano,
1860, Messe à trois voix, en fa dièse mineur, pour soprano, ténor et basse, orgue, harpe, violoncelle et contrebasse
1860, opus 16, Fantaisie pour orgue, Poco lento,
1860, opus 20, Prière, pour orgue,
1860-1862, opus 17, Grande pièce symphonique pour orgue, dédiée à M. CH. Valentin Alkan,
1862, opus 18 n° 3, Prélude, fugue et variation, en si mineur, pour orgue (version Franck-Friedman pour piano en 1873 ; version pour piano avec doigtés)
1862, opus 21, Final, pour orgue, si bémol majeur,
1862, opus 22, Quasi marcia, en fa dièse mineur, pour harmonium,
1863, 44 petites pièces pour orgue ou harmonium,
1863, Ave Maria, pour soprano, ténor et basse et orgue,
1863, opus 19, Pastorale, pour orgue, Andantino, mi majeur,
1865, La tour de Babel, cantate pour solistes, chœur et orchestre,
1865, Les plaintes d’une poupée, mélodie pour piano, dédicacées à Mlle Gabrielle (Eschger),
1865, Plainte des israélites, cantate pour chœur et orchestre,
1869, Marlborough, pour chœur et orgue, piano, violoncelle, contrebasse et 4 mirlitons,
1869-1879, Les Béatitudes, oratorio pour solistes, chœur et orchestre d’après l’Évangile selon saint Matthieu adapté par Mme Joséphine-Blanche Colomb,
1870, Paris, ode patriotique pour voix avec orchestre (orchestré par B. de L.),
1871, Dextera Domini, offertoire, pour le saint jour de Pâques, pour soprano, ténor et basse avec orchestre ou orgue et contrebasse,
1871, Domine Deus in simplicitate, offertoire, pour les premiers dimanches du mois, pour soprano, ténor et basse et orgue et contrebasse,
1871, Domine non secundum, offertoire, pour un temps de pénitence, pour soprano, ténor et basse et orgue,
1871, Le mariage des roses, Mignonne, sais-tu, sur un texte d’Eugène David, pour voix de femme et piano,
1871, Offertoire sur un air breton, pour harmonium,
1871, Patria, ode patriotique sur un texte de Victor Hugo, pour voix avec orchestre,
1871, Quae est ista, offertoire, pour les fêtes de l’Assomption, de la Conception et du mois de Marie, pour solistes et chœur mixte à 3 voix avec orchestre ou orgue, harpe et contrebasse,
1871, Quare fremuerunt gentes, offertoire, pour la fête de sainte Clothilde, pour soprano, ténor et basse et orgue et contrebasse,
1871, Rédemption, poème symphonique sur un texte d’Edouard Blau, pour soprano, chœur de femmes, et récitant avec orchestre (1re version),
1872, Panis angelicus, pour ténor et orgue, harpe, violoncelle et contrebasse,
1872, Passez, passez toujours, Depuis que j’ai mis ma lèvre à ta coupe encore pleine, sur un texte de Victor Hugo, pour voix de femme et piano,
1872, Roses et papillons, sur un texte de Victor Hugo, pour voix de femme et piano,
1872, Veni Creator, duo pour ténor et basse et orgue, Quasi largo, mi♭majeur, dédicacé à MM. Vergnet et Menu,
1873, Pour moi sa main cueillait des roses, Lucien Paté, pour voix de femme et piano,
1874, Rédemption, poème symphonique sur un texte d’Édouard Blau, pour soprano, chœur de femmes, chœur mixte et récitant avec orchestre (2e version),
1875, Le philistin mordra la poussière, pour chœur et piano,
1875, Léonore, poème symphonique de Henri Duparc arrangé pour piano à 4 mains,
1876, Les éolides, poème symphonique, d’après Leconte de Lisle,
1878, Cantabile, pour orgue,
1878, Fantaisie, pour orgue,
1878, Pièce héroïque, pour orgue,
1878-1879, Quintette en fa mineur, pour piano, 2 violons, alto et violoncelle
1879, Le vase brisé, Le vase où meurt cette verveine, texte de Sully-Prudhomme, voix et piano,
1880, Ernelinde, princesse de Norvège, tragédie lyrique en 3 actes et un prologue, sur un livret de François-André Danican-Philidor,
1880, Le bûcheron, opéra, en 1 acte, sur un livret de François-André Danican-Philidor,
1880, Tom Jones, opéra, en 3 actes, sur un livret de François-André Danican-Philidor,
1881, Rebecca, scène biblique sur un texte de Paul Collin, pour solistes, chœur et orchestre,
1882, Le chasseur maudit, poème symphonique, d’après G. Bürger,
1882-1885, Hulda, opéra en 4 actes et un épilogue, légende scandinave d’après Bjoernstjerne Bjørnson, sur un livret de Charles Grandmougin, créé à Monte Carlo le 4 mars 1894,
1884, Les djinns, poème symphonique, d’après Victor Hugo, pour piano et orchestre,
1884, Nocturne, O fraîche nuit !, texte de Louis de Fourcaud, pour voix voix et piano,
1884, Prélude, choral et fugue, en si mineur, pour clavier,
1885, Danse lente, pour piano,
1885, Variations symphoniques, pour piano et orchestre,
1886, Sonate en la majeur, pour violon et piano,
1886-1887, Prélude, aria et final, en mi majeur, pour piano, dédicacé à Mme Bordes-Pêne,
1886-1888, Symphonie en ré mineur,
1887, Pour les victimes, Sous les décombres entassés, mélodie pour une voix et piano,
1887-1888, Psyché, poème symphonique pour chœur et orchestre sur un texte de Sicard et Louis de Fourcaud,
1888, 6 Duos, pour voix égales pouvant être chantés en chœur et piano, e.a. sur des textes de Mme. L. Desbordes-Valmore, Guy Ropartz, A. Theuriet,
1888, Cantique, pour chœur et cor obligé,
1888, Hymne, Source ineffable de lumière, sur un texte de Jean Racine, chœur pour 4 voix d’hommes et piano,
1888, La procession, Dieu s’avance à travers les champs, mélodie pour voix et orchestre sur un texte de A. Brizeux.
1888, Les cloches du soir, Quand les cloches du soir, pour voix et piano, sur un texte de Mme. L. Desbordes-Valmore,
1888, Premier sourire de mai, texte de Victor Wilder, Au premier sourire, petit chœur pour 3 voix et piano,
1888, Psaume 150, Louez le Dieu, caché dans ses saints tabernacles, pour chœur avec orchestre et orgue,
1888-1890, Ghisèle, drame lyrique en 4 actes, livret de G.-A. Thierry, créé à Monte Carlo le 30 mars 1896 [acte 1 orchestré par Franck ; acte 2 par P. de Bréville, Vincent d’Indy et Chausson ; acte 3 par S. Rousseau ; acte 4 par A. Coquard],
1889, Andantino, pour orgue,
1889, Préludes et prières de Charles-Valentin Alkan, arrangées pour orgue,
1889, Quatuor en ré majeur, pour 2 violons, alto et violoncelle, dédicacé à Léon Reynier,
1889-1890, L’organiste, 1er volume, Recueil de 59 pièces pour orgue ou harmonium,
1890, Choral, pour orgue, si mineur,
1890, Choral, pour orgue, mi majeur,
1890, Choral, pour orgue, la mineur,
1890, Suite, en la majeur ou sol dièse mineur, pour harmonium,
sd., Hymnes harmonisées à 3 voix mixtes et orgue,
sd., Mélancolie, pour violon et piano (d’après une leçon de solfège, publiée en 1911),
Collection de quelques pièces pour harmonium ou piano : dont Les plaintes d’une poupée, Chant de la Creuse, Chant béarnais, Noël angevin, Prélude pour l’Ave Maris Stella, Canon en si mineur, Danse lente, Canon en ré bémol.
Réfractaires au train-train du quotidien, ils ont décidé de faire couple, mais pas toit, commun. Une formule qui séduit de plus en plus d’amoureux de tous âges, dans une société où l’on veut choisir sa formule du bonheur à la carte
En Grande-Bretagne, on les surnomme les LAT, pour Living Apart Together (ensemble mais vivant séparément) et ils sont 10% à opter pour le couple à temps partiel. En France, une étude récente de l’Institut national d’études démographiques (Ined) indique qu’ils sont 1,2 million d’amoureux non cohabitant. En Suisse, aucun recensement, mais Marie-Paule Thomas, sociologue-urbaniste et cheffe de projet chez iConsulting, affirme que le phénomène se développe aussi, “du fait du taux de natalité encore plus bas qu’en France, qui accentue le désir d’épanouissement personnel au détriment de la vie à deux. Les ménages familiaux représentaient 36% en 1990, et 32% en 2016.”
Et moins on a d’enfants qui contraignent à la vie commune, plus on peut choisir sa formule amoureuse à la carte… C’est le cas de Juliette, 43 ans, en couple avec André depuis bientôt dix ans, mais sans qu’aucun ait jamais voulu emménager chez l’autre. “Il a déjà eu une expérience familiale et ça lui suffit. Ce qui me convient car j’ai aussi vécu une relation asphyxiée par le quotidien, avec un homme qui ne voulait pas d’enfant. C’était douloureux, mais depuis que j’ai fait mon deuil de la maternité, j’invente un amour différent avec André. On voyage beaucoup, et ce sont les moments où l’on passe le plus de temps ensemble. Sinon, on se voit surtout le week-end, pour parler des heures et partager notre passion commune: la bouffe !”
S’engager autrement
Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, Françoise Hardy et Jacques Dutronc, Helena Bonham Carter et Tim Burton étaient des couples LAT à l’avant-garde, quand la norme sociale imposait encore de quitter le foyer familial pour foncer en créer un autre, dans une répétition immuable. Au XXIe siècle, alors que les modèles sont devenus multiples, chacun gère l’amour selon sa propre définition de l’épanouissement personnel. On peut même être un couple passionnément amoureux, avec un jeune bébé, mais vivre dans des villas à 45 minutes de distance.
C’est le cas de la starlette américaine Kylie Jenner, 20 ans, et du rappeur Travis Scott, 25 ans. “Parce qu’elles savent qu’un mariage sur deux finit en divorce, les jeunes générations ont moins envie d’engagement que les précédentes, ou de s’engager autrement, constate Marie-Paule Thomas. D’autant plus que dans les modes de vie contemporains, l’individualisme prime. Chacun veut conserver les activités qui lui font du bien, et l’amour idéal s’envisage comme un partage des plaisirs, mais pas des tâches ingrates qui mettent la pression sur le couple. Résultat: on case sa relation dans un agenda déjà plein, entre le yoga du mardi, la soirée des amis le vendredi, le coucher tôt du dimanche pour être en forme au bureau le lendemain…”
Parce qu’elles savent qu’un mariage sur deux finit en divorce, les jeunes générations ont moins envie d’engagement que les précédentes, ou de s’engager autrement
Selon l’étude de l’Ined, les couples LAT se croisent essentiellement dans les grandes villes, et parmi les cadres, qui “ont moins de contraintes économiques, une plus grande aspiration à une certaine forme d’indépendance et investissent davantage dans leur carrière”. Deux tranches d’âge sont très friandes de cet amour sans contraintes: les vingtenaires et les seniors. “Un tiers des LAT a la vingtaine”, observe le sociologue Christophe Giraud, auteur de L’Amour réaliste. La nouvelle expérience amoureuse des jeunes femmes (Ed. Armand Colin). “Cette forme de relation à cette période de la vie est particulièrement attrayante car pour beaucoup, l’amour a perdu de son évidence et l’on préfère se tester longuement avant de signer un bail commun. C’est une période vécue très positivement, mais qui n’a pas vocation à durer car l’ambition reste pour la majorité de faire des enfants, et peu de personnes défendent encore l’idée de fonder une famille chacun chez soi. Le couple LAT est seulement une façon plus lente et progressive de se mettre en couple.”
Loin des yeux…
Chez les plus de 50 ans, par contre, où le nombre de divorces a été multiplié par deux en dix ans, le grand amour deux ou trois soirs par semaine devient un véritable idéal de vie, alors qu’on estime s’être déjà suffisamment disputés sur qui doit descendre la poubelle… “Là, c’est un choix de liberté sur le long terme, poursuit Christophe Giraud. Surtout auprès des femmes, car il y a une dimension féministe, avec la volonté d’affirmer son indépendance, en se protégeant des contraintes domestiques où l’on a déjà beaucoup donné… Et elles sont ravies de segmenter leur vie, en dissociant leurs relations: d’un côté, le fiancé avec qui partager seulement des loisirs, de l’autre, les amis, le travail, les passions personnelles, etc. On arrive à des existences où plus rien ne se mélange et ça, c’est très nouveau.”
Parfois plus compliqué, aussi… Car retrouver le grand amour alors qu’on a déjà une vie dense et épanouissante, et surtout des enfants pas encore autonomes, n’est pas exempt de contraintes si l’on choisit l’option LAT. Il y a un an, Valérie, 45 ans et mère d’une fille de 12 ans, est tombée amoureuse de Paul, père d’un fils de 16 ans. Chacun propriétaire d’un appartement dont il rembourse encore le crédit, ils ont décidé de garder leurs nids respectifs. “Ça a été le coup de foudre, mais on ne peut pas emménager ensemble car nos vies sont trop équilibrées pour tout chambouler, explique-t-elle. Au début, on s’est dit qu’on allait inventer autre chose. Mais au bout d’un an, je n’arrive pas à voir ce que c’est. Avec nos quotidiens déjà soutenus, on peut passer trois semaines sans se voir. C’est frustrant. Et chaque fois qu’il y a un malentendu, tout prend des proportions énormes. Parce qu’en vivant avec quelqu’un, on ne peut pas bouder des semaines: la promiscuité impose de faire des efforts et de discuter. Alors que là, on peut se dire: il me saoule, et l’ignorer un mois. Ça fragilise la relation.”
Modèle d’avenir
Selon l’Ined, d’ailleurs, les couples LAT sont plus précaires, et 46% des amoureux non cohabitant suivis durant l’enquête étaient séparés trois ans plus tard, alors que 94% des couples vivant sous le même toit étaient toujours ensemble. Le quart des couples LAT avaient également fini par craquer et emménagé ensemble.
Et pourtant, Marie-Paule Thomas voit ces couples sans boîte aux lettres commune se développer de plus en plus à l’avenir: “A une époque, on se mettait en couple à 25 ans, on avait déjà des enfants à 30, etc. Maintenant, l’âge ne définit plus le moment de sa vie. On peut faire son premier enfant à 45 ans, ou toujours faire la fête à cet âge-là. Car chacun veut choisir sa vie avec le moins de contraintes possibles. Et comme on a désormais plusieurs vies amoureuses, on expérimente un jour ou l’autre le couple LAT. On en voit même qui préfèrent vivre en coloc, et former un couple stable, mais à l’extérieur. Après tout, une coloc, c’est déjà comme une famille…” [d’après LETEMPS.CH]
L’histoire du hula est intimement mêlée à celle de Hawaii, son évolution suit celle du pouvoir politique ainsi que les mutations de la société. La situation de la danse avant la découverte des îles par les Européens demeure bien évidemment inconnue, faute de témoignages écrits ou iconographiques. Seuls les récits des premiers explorateurs, dont James Cook qui découvrit l’archipel en 1778, permettent d’appréhender la réalité. Cook lui-même n’a pu assister à une cérémonie de hula, il écrit : “Nous ne vîmes pas les danses dans lesquelles ils se servent de leurs manteaux et bonnets garnis de plumes ; mais les gestes des mains que nous vîmes à d’autres occasions, quand ils chantaient, nous montrèrent qu’elles doivent ressembler à celles des îles méridionales, bien qu’il y ait moins d’art dans leur exécution. “
Ce n’est qu un demi-siècle plus tard, avec Willlam Ellis, que vont apparaître les premières descriptions de la danse et que le terme de hula, alors transcrit “hura“, va faire son apparition dans la langue anglaise. La danse et le chant, qui composent le hula, forment un tout indissociable, à caractère sacré. La danse ne constitue donc pas un divertissement, accessible à tous, mais bien un rite, confié à un corps de danseurs spécialement éduqués et entraînés, soumis à la stricte observance de tabous (kapu, en hawaiien). Si, à l’origine, les interprètes étaient aussi bien des hommes que des femmes, seuls les hommes pouvaient pratiquer le hula durant les cérémonies du culte au temple. Ce n’est que plus tard, lorsque les guerres, puis les cultures, occupèrent trop les hommes pour leur permettre de consacrer les années d’entraînement rigoureux nécessaires à la formation d’un danseur de hula, que les femmes prirent leur place.
Nathaniel B. Emerson fait le récit d’une scène d’initiation de danseurs de hula ; ainsi découvre-t-on que, le jour précédent son admission dans la corporation, peu avant minuit, le danseur se plongeait, en compagnie des autres, dans l’océan. Ce “bain de minuit” était soumis à un rituel bien particulier : la nudité totale, considérée comme “l’habitat des dieux“, était requise et, à l’aller comme au retour, il n’était permis que de regarder devant soi; se retourner, regarder à gauche ou à droite était formellement proscrit.
Les dieux auxquels les danses étaient consacrées, dans l’espoir de se les concilier, étaient nombreux mais, parmi ce panthéon, Laka était considérée comme la protectrice (“au-makua“) du hula ; des sacrifices lui étaient offerts, des prières et des chants lui étaient dédiés qui révèlent l’étendue de son domaine : “Dans les forêts, sur les crêtes des montagnes se tient Laka, Séjournant à la source des brumes, Laka, maîtresse du hula…”
Le terme de hula est en fait un terme générique, regroupant une variété de styles dont le nom évoque généralement les gestes ou les instruments utilisés. Ainsi, par exemple, en est-il du hula kala’au, les kala’au étant des bâtons de bois, de longueurs inégales, que l’on frappe l’un contre l’autre. William Ellis en donne une description précise : “Cinq musiciens avancèrent d’abord, chacun avec un bâton dans la main gauche, de cinq ou six pieds de long, environ trois ou quatre pouces de diamètre à une extrémité et se terminant en pointe de l’autre. Dans sa main droite, il tenait un petit bâton de bois dur, de dix à neuf pouces de long, avec lequel il commença sa musique, en frappant le petit bâton sur le grand, battant la mesure tout le temps avec son pied droit sur une pierre, placée sur le sol, à côté de lui, dans ce but. “
Autre danse décrite par Ellis, le hula solennel ou hula ‘ala’apapa est accompagné du ipu huta, “une grande calebasse, ou plutôt deux, une de forme ovale d’environ trois pieds de haut, l’autre parfaitement ronde très soigneusement attachée à celle-ci, ayant aussi une ouverture d’environ trois pouces de diamètre au sommet”, toujours selon Ellis. On peut encore citer le hula noho i lalo (danse assise), le hula pa’i umauma (où l’on frappe sur une caisse), le hula pahu (danse du tambour), le hula kuolo (danse agenouillée), le hula’uli ‘uli…
Les instruments le plus couramment utilisés sont donc les bâtons de bois (kala’au), la calebasse (ipu hula), le tambour (pahu hula) composé d’un rondin évidé sur lequel est tendue une peau de requin, la gourde-hochet (‘uli’uli), les bracelets en dents de chiens (kupe’e niho ‘ilio), le bambou (pu’ili)… En fait, les trois grandes familles d’instruments sont représentées par les quelque dix-sept instruments dénombrés par les musicologues.
Intimement liée à la religion, la danse va suivre son déclin. La société hawaiienne, soumise à un système de kapu strict, va progressivement connaître une mutation. Kamehameha Ier avait réussi pour la première fois l’unification de l’archipel (vers 1795), accroissant son prestige et celui de la fonction royale. À un système politique fort et autoritaire correspondait une religion omniprésente aux mains d’un clergé puissant ; le roi est alors assimilé aux divinités. À la mort de Kamehameha Ier, en 1819, son fils Liholiho règne sous le nom de Kamehameha II. Le jeune roi est soumis à la pression de sa mère et de l’épouse favorite du roi défunt, Kaahumanu, qui cherchaient à affaiblir le pouvoir des prêtres. En effet, la religion est un obstacle à l’ambition de ces femmes, puisque les kapu les excluent, notamment, des débats politiques. Ainsi Kamehameha II décidera-t-il l’abandon de la religion de ses ancêtres et ceci avant même l’installation des premiers missionnaires. Ces derniers, à leur arrivée, trouveront donc une société en pleine mutation, à la recherche de nouvelles valeurs et s’implanteront d’autant plus facilement.
Les missionnaires vont introduire les chants religieux, les hymnes qui vont séduire les Hawaiiens pour qui ce type d’harmonie est inconnu. Les hommes d’église vont jouer de cette fascination pour mieux introduire leur religion ; les Hawaiiens vont apprendre ces hymnes (appelés par eux himeni) par cœur, avec l’influence que l’on devine sur leurs compositions musicales ultérieures et même sur l’orchestration des hula traditionnels. De plus, les missionnaires vont user de leur influence pour interdire le hula, jugé obscène en raison de la lascivité de certains de ses gestes.
A partir de cet instant, l’occidentalisation de la musique hawaiienne est inéluctable : de nouveaux instruments sont introduits par les immigrants (la guitare, venant de la côte ouest des États-Unis, la braguinha, venant de Madère, et désormais appelée ukulele) Cet instrument, qui passe pour typiquement hawaiien, est donc une importation récente. Le roi Kamehameha V lui-même décide de s’attribuer un orchestre royal à l’instar des souverains européens ; il demande au gouvernement prussien de lui envoyer un chef-d’orchestre confirmé : c’est ainsi que Heinrich Wilhelm Bergerdébarque à Hawaii, en 1872. Berger, naturalisé Hawaiien en 1879 et surnommé le “Père de la musique hawaiienne”, va arranger à l’occidentale de nombreux chants hawaiiens et composer bon nombre d’œuvres “dans le style hawaiien”, achevant le processus d’occidentalisation de la musique.
C’est également dans la seconde moitié du XIXe siècle que va affluer la main-d’oeuvre d’origine étrangère, en raison notamment de l’essor de la production du sucre. En effet, les Hawaiiens considéraient qu’ils avaient assez de terres pour satisfaire leurs propres besoins. Le labeur monotone des plantations ne les attirait nullement ; ainsi décida-t-on de faire venir des Chinois en leur offrant des contrats de travail à long terme. Il en ira de même des Japonais, des Philippins, des Portugais… Les mariages mixtes vont très vite se multiplier et Hawaii va devenir une société pluri-culturelle, perdant aussi de son identité.
Le règne de David Kalakaua (1874-1891) se caractérise par une “renaissance hawaiienne”. Le roi, soucieux de ses prérogatives, fait promulguer une nouvelle constitution qui restaure l’autorité royale. De même, il suscite un retour aux valeurs hawaiiennes traditionnelles. Sous son règne, le hula, agonisant parce que jugé obscène par les missionnaires, ressuscite. Un pan entier de la culture hawaiienne est néanmoins à jamais perdu et, malheureusement, cette renaissance finira avec la disparition du souverain.
Sa soeur, la reine Liliuokalani, est elle-même compositrice, mais elle opère une sorte de synthèse entre les thèmes hawaiiens anciens et les influences occidentales qui aboutit à une production assimilable à de la variété. Sa création la plus célèbre, Aloha Oe est un “hit” à Hawaii depuis plus de quatre-vingts ans. Malgré les conseils de son entourage, la reine Liliuokalani cherchera à poursuivre, sur le plan politique, le projet de son frère : renforcer le pouvoir royal. Les Américains, dont les intérêts financiers dans le royaume sont d’importance, voient cela d’un mauvais œil. En janvier 1893, avec l’aide des marines, un groupe de citoyens américains renverse la reine et la contraint à abdiquer. Un gouvernement provisoire est constitué par des citoyens américains, qui proclame la république. Le 14 juin 1900, Hawaii devient, malgré elle, un territoire américain.
L’américanisation achèvera l’acculturation : désormais, c’est le jazz qui domine la scène musicale et les airs traditionnels sont accommodés à cette sauce. Sur le continent américain, les danseurs de hula se produisent en attraction dans les music-halls et les cirques. Hollywood récupère le hula, dont elle fait un accessoire de sa machine à fabriquer du rêve. Elvis Presley interprétera le Aloha Oe de la reine Liliuokalani et, dans les années ’50, le hula va inspirer une nouvelle mode, celle du hula hoop (le terme fait son entrée dans la langue anglaise en 1958). Le 21 août 1959, Hawaii devient le cinquantième état des Etats-Unis.
Il faut attendre les années ’70 pour voir se dessiner une réaction à cette acculturation massive. De jeunes Hawaiiens cherchent à retrouver les chants et les gestes de leurs ancêtres et, en quête d’authenticité, questionnent les anciens. C’est seulement à cette époque que les mouvements corporels retrouvent de cette lascivité qui les avait fait proscrire par les missionnaires. Mais faute de témoignages suffisants, ces reconstitutions, comme celles de l’époque de Kalakaua, sont hypothétiques. Aussi d’aucun préfèrent-ils créer de nouvelles chorégraphies, inspirées de la tradition ; par exemple, une nouvelle version de la cérémonie d’initiation est instituée, basée en partie sur les récits d’Emerson. Cela atteste néanmoins d’une volonté, de la part d’une population jeune, devenue minoritaire sur le territoire de ses ancêtres, de retrouver son identité et d’en assurer la pérennité.
Parallèlement, le développement du tourisme, devenu la première source de revenu de l’archipel, favorise l’éclosion de spectacles soi-disant traditionnels ; on assiste ainsi à une évolution paradoxale : d’une part des spectacles “grand public” livrant une imagerie hollywoodienne et, d’autre part, de nouvelles écoles de hula cherchant à retrouver une gestuelle et, partant, une philosophie proches de la tradition.
Cet article est une version remaniée d’un article publié dans la revue “Art&fact” n°11 (1992), sous le titre “Le Hula, splendeur et misère de la danse à Hawaii“, où l’on trouvera les notes et références bibliographiques.
Didier Brick, biologiste apiculteur et Président de la FRPLA (Fédération Royale Provinciale Liégeoise d’Apiculture), est aussi un membre très actif des Amis de la Terre.
Didier Brick vous fera découvrir le monde fascinant des abeilles et traitera de l’ensemble de la problématique du phénomène de dépérissement des colonies. Il abordera également d’autres causes de disparition des abeilles régulièrement évoquées comme l’appauvrissement de la flore mellifère, les traitements réalisés par les apiculteurs eux-mêmes, le réchauffement climatique, les ondes GSM… et nous invitera à réfléchir sur les moyens d’agir de chacun.
Les conférences de la CHiCC sont ouvertes à tous, Elles sont gratuites pour les membres de la CHiCC (cotisation de soutien de 15 euros pour la saison 2021-2022 à verser sur le compte BE24 0011 8159 9638) et en participation libre pour les non-membres. Les règles sanitaires en vigueur au moment de la conférence seront d’application.
Nous sommes des créatures en quête de sens par malchance jetés dans un univers qui n’en a intrinsèquement aucun. Une de nos tâches majeures est de lui en prêter un assez fort pour donner une raison d’être à la vie tout en niant par une manœuvre ambiguë être les inventeurs de ce sens. Nous en concluons donc qu’il était là “quelque part”, à notre disposition. Cette quête permanente de systèmes de sens nous plonge souvent dans des crises de sens.
Les individus qui suivent une thérapie parce qu’ils s’interrogent sur le sens de la vie sont plus nombreux que ne l’imaginent la plupart des thérapeutes. Jung rapportait qu’un tiers de ses patients venaient le consulter pour cette raison. Leurs plaintes prenaient différentes formes : “ma vie n’a aucune cohérence“, “je n’ai de passion pour rien“, “pourquoi suis-je en vie ? dans quel but ?“, “la vie a sûrement une signification plus profonde“, “je me sens si vide – regarder la télé tous les soirs me donne l’impression d’être bon à rien, inutile“, “même aujourd’hui à l’âge de cinquante ans je ne sais toujours pas ce que j’aimerais faire quand je serai plus vieux“.
J’ai fait un rêve autrefois (décrit dans La Malédiction du chat hongrois) dans lequel j’étais au seuil de la mort dans une chambre d’hôpital, et je me trouvais soudain dans un parc d’attractions (dans le train fantôme de la maison des horreurs). Alors que le wagon pénétrait dans la gueule noire de la mort, j’apercevais soudain ma mère décédée dans la foule des spectateurs et je l’appelais : “Momma, Momma, comment suis-je ?“
Le rêve, et surtout mon cri “Momma, Momma, comment suis-je ?” m’a longtemps hanté, non à cause de la représentation de la mort dans le rêve, mais à cause de ses sombres implications sur le sens de la vie. Se pouvait-il que j’aie vécu toute mon existence avec pour objectif principal d’obtenir l’approbation de ma mère ? Parce que j’avais une relation difficile avec elle et attachais peu de prix à son assentiment quand elle était en vie, le rêve était d’autant plus incisif.
La crise de sens décrite dans le rêve m’incita à explorer ma vie d’une façon différente. Dans une histoire que j’écrivis aussitôt après le rêve, j’engageais une conversation avec le fantôme de ma mère afin de combler la brèche existant entre nous et de comprendre comment s’entremêlaient et s’opposaient les sens que nous donnions à la vie.
Certains ateliers expérientiels utilisent divers procédés pour encourager le discours sur le sens de la vie. Le plus courant est peut-être de demander aux participants ce qu’ils souhaiteraient en guise d’épitaphe sur leur tombe. La plupart des enquêtes sur le sens de la vie mènent à une discussion sur des objectifs tels que l’altruisme, l’hédonisme, le dévouement à une cause, la générativité, la créativité, l’actualisation de soi. Beaucoup ont l’impression que les projets prennent une signification plus profonde, plus forte s’ils transcendent le soi – en d’autres termes s’ils sont dirigés vers quelque chose ou quelqu’un d’extérieur à eux-mêmes, comme l’amour d’une cause, d’une personne, d’une essence divine.
Le succès précoce des jeunes millionnaires hightech débouche souvent sur une crise existentielle qui peut être éclairante sur les systèmes de sens qui ne font pas appel à la transcendance de soi. Beaucoup de ces individus commencent leur carrière avec une vision claire – réussir, gagner beaucoup d’argent, avoir une bonne vie, acquérir le respect de ses collègues, prendre sa retraite tôt. Et c’est exactement ce que font un nombre sans précédent de ces jeunes trentenaires.
Mais quand surgit la question : “Et maintenant ? Qu’en est-il du reste de ma vie, des prochaines quarante années ?” La plupart de ces jeunes millionnaires continuent de faire plus ou moins la même chose : ils créent de nouvelles sociétés, tentent de renouveler leur succès. Pourquoi ? Eux-mêmes disent qu’ils doivent prouver que leur réussite n’était pas due au hasard, qu’ils peuvent y arriver seuls, sans partenaire ni mentor. Ils hissent la barre plus haut. Pour être sûrs qu’eux-mêmes et leur famille sont à l’abri du besoin, qu’il ne leur faut plus un ou deux millions en banque, mais cinq, dix, voire cinquante millions pour se sentir en sécurité. Ils ont conscience de la vanité et de l’irrationalité de cette quête d’argent qu’ils ne peuvent dépenser, mais cela ne les arrête pas. Ils se rendent compte que c’est du temps qu’ils devraient consacrer à leur famille, à ceux qui leur sont proches, mais ils sont simplement incapables de cesser de jouer le jeu. “L’argent est à portée de main, me disent-ils. Je n’ai qu’à me baisser pour le ramasser.” Ils doivent faire des affaires. Un promoteur immobilier m’a raconté qu’il aurait l’impression de disparaître s’il s’interrompait. Beaucoup redoutent de s’ennuyer – même la plus petite bouffée d’ennui les pousse à reprendre précipitamment leur activité.
Schopenhauer disait que l’envie en soi n’est jamais assouvie – dès qu’un désir est satisfait, un autre naît. Bien qu’il puisse y avoir de très courts répits, une brève période de satisfaction, elle se transforme sur-le-champ en ennui. “Toute vie humaine, dit-il, est ballottée entre la souffrance et l’ennui.“
Contrairement à ma façon d’aborder les autres ultimes préoccupations existentielles fondamentales (la mort, la solitude, la liberté), je préfère une approche oblique du sens de la vie. Il nous faut pénétrer dans un des nombreux sens possibles, en particulier dans celui qui est fondé sur la transcendance de soi. C’est un engagement essentiel, et c’est en identifiant les obstacles qui s’opposent à cet engagement, en participant à leur suppression, que nous, thérapeutes, avons toute notre utilité.
La question du sens de la vie, comme l’a enseigné Bouddha, n’est pas édifiante. On doit s’immerger soi-même dans le fleuve de la vie et laisser la question s’éloigner.
[…] 49. Se concentrer sur le refus de prendre une décision
Pourquoi les décisions sont-elles difficiles à prendre ? Dans Grendel, le roman de John Gardner, le protagoniste, déconcerté par les mystères de la vie, consulte un prêtre qui murmure deux simples phrases, quatre mots terrifiants : Tout s’efface, choisir exclut.
Choisir exclut. Ce concept repose au cœur de maintes difficultés décisionnelles. Pour chaque oui, il doit y avoir un non. Les décisions sont coûteuses parce qu’elles exigent une renonciation. Le phénomène a intéressé de grands esprits à travers les âges. Aristote imagina un chien affamé incapable de choisir entre deux portions de nourriture également attirantes, et les philosophes médiévaux ont écrit sur l’âne de Buridan, qui mourut de faim entre deux balles de foin d’un égal attrait.
Au chapitre 42, j’ai décrit la mort comme une expérience extrême capable de faire passer un individu d’un mode ordinaire à un mode ontologique (un état d’esprit où nous sommes conscients d’être) plus propice au changement. La décision est une autre expérience extrême. Non seulement elle nous révèle jusqu’à quel point nous nous créons nous-mêmes ; mais aussi quelles sont les limites des possibilités. Prendre une décision nous prive de toutes les autres possibilités. Choisir une femme, une carrière ou une école signifie renoncer aux autres possibilités. Plus nous affrontons nos limites, plus nous devons renoncer au mythe de la particularité, du potentiel illimité, de l’impérissable et de l’immunité des lois de la destinée biologique. C’est pour ces raisons que Heidegger se réfère à la mort comme à l’impossibilité de toute autre possibilité. La voie vers la décision peut être difficile parce qu’elle débouche sur le territoire de la finitude et de l’infondé des domaines où règne l’angoisse. Tout s’efface et choisir exclut.
Irvin Yalom, L’art de la thérapie (2002)
EAN 9782253074236
“S’inquiétant de voir la psychothérapie de plus en plus altérée pour des raisons d’ordre économique, et appauvrie par des formations allégées, Irvin Yalom a voulu s’adresser aux nouvelles générations de thérapeutes et de patients. Dans cet ouvrage, construit en une sorte d’inventaire libre et généreux, il aborde les thèmes propres à la thérapie existentielle. En s’appuyant sur son expérience et ses talents de conteur, il y explore les différentes approches et pratiques présentes dans toute thérapie, offrant à ses lecteurs un enseignement précieux, une plongée au cœur de l’entreprise thérapeutique, sa complexité et ses incertitudes.”
Un demi-siècle de savoir-faire : à la fois manifeste psychanalytique et interpellation philosophique, florilège d’anecdotes vécues et confession essentielle, ce livre, traversé de bienveillance éclairée, continue de nous habiter en secret, de nous faire exister.
Née en 1955, Anne-Catherine VAN SANTEN vit et travaille à Bruxelles. Illustratrice pour divers journaux et magazines, elle a publié chaque semaine des images liées à l’actualité dans l’ancien quotidien Le Matin. Elle collabore activement à l’hebdomadaire Le Ligueur en publiant des dessins thématiques et en proposant chaque semaine une mini-BD, Les adorables. Elle travaille aussi pour Le Soir Magazine. Parallèlement, elle explore différentes techniques de gravure [d’après CENTREDELAGRAVURE.BE]
Cette lithographie fait partie d’une série relatant un voyage en Angleterre. Le texte est associé à l’image. Le trait épais, tracé au pinceau est spontané et expressif, les personnages semblent pris sur le vif. Le texte vient compléter l’image.
Peintre et graveuse turque, Aliye Berger naît le 24 décembre 1903 dans une famille d’artistes, d’intellectuels et d’intellectuelles : sa sœur est la peintre Fahrelnissa Zeid (1901-1991) et son frère l’écrivain Cevat Şakir Kabaağaçlı (1886-1973). Bien que la jeune fille ait fréquemment observé sa sœur en train de peindre, l’enfance d’Aliye Berger est surtout placée sous le signe de la musique et de la littérature, bien plus que des arts visuels. Dès son plus jeune âge, elle apprend le violon auprès du virtuose hongrois Karl Berger, avec qui elle entamera une relation amoureuse tumultueuse qui durera vingt-trois ans, jusqu’à la mort de celui-ci en 1947.
Après la mort de son mari, Aliye Berger part vivre à Londres avec sa sœur, qui l’encourage à essayer la gravure. Cet art, avec ses couleurs sombres et la discipline qu’il requiert, se prête bien à sa mélancolie d’alors. Elle fréquente durant trois ans l’atelier du graveur John Buckland Wright (1897-1954), où elle apprend les différentes techniques d’impression. En 1950, Aliye Berger retourne à Istanbul avec près de 150 estampes dans ses valises ; un an plus tard, elle inaugure sa première exposition personnelle au consulat de France. Elle prend le devant de la scène en 1954 lorsqu’elle remporte le premier prix du concours de peinture “ Travail et production” de la banque Yapı Kredi Bankas’ avec sa toile Güneşin Doğuşu (“Lever de soleil”). Cette victoire choque la très masculine scène artistique et académique turque. Des peintres et des critiques d’art célèbres dénigrent publiquement le tableau au motif de sa déviation par rapport au sujet, de son style abstrait et de l’absence de formation académique d’Aliye Berger. Par son abstraction non figurative, son dynamisme et ses couleurs éclatantes, l’œuvre est très différente des autres tableaux du concours, qui arborent le style alors à la mode : figuratif, cubique et constructiviste. “Lever de soleil” est devenue son œuvre la plus connue, mais elle a produit en outre de nombreux tableaux, ainsi que des dessins au fusain et à l’encre de Chine. Il s’agit surtout de portraits, de silhouettes humaines, de paysages abstraits et oniriques abordés de manière expressionniste. Elles restent cependant des œuvres expérimentales comparées à ses estampes. [d’après AWAREWOMENARTISTS.COM]
Grâce à une sélection d’œuvres variées, autant dans les techniques que dans les thématiques ou encore dans les périodes de création, La Châtaigneraie et la Province de Liège souhaite mettre à l’honneur une grande partie des plasticiennes de la Collection artistique provinciale.
En cette période critique, notamment pour l’ensemble du secteur culturel, il nous paraissait intéressant de mettre en avant le travail des femmes artistes de notre région, rendre hommage à leur créativité et à leur pugnacité.
En effet, si leurs homologues masculins doivent aussi se battre pour obtenir visibilité et reconnaissance, c’est encore plus vrai pour les femmes artistes. Le milieu culturel n’étant malheureusement pas une exception à cette problématique.
La Collection de la Province de Liège nous offre une belle opportunité de rassembler des œuvres d’époques différentes, des années 40 à nos jours, et réalisées avec des médiums variés (vidéo, sculpture, photographie, peinture, dessin, art textile…). Elle nous permet également d’aborder des thèmes très divers qui ont marqué l’histoire de la Province de Liège.
Quelques œuvres de l’artothèque de la Province de Liège [Partenaire de wallonica.org] ponctueront également l’exposition. Elles seront mises en évidence afin de faire connaître au public ce service qui valorise la démocratisation de la culture.
Avec, entre autres : Mady ANDRIEN – Charlotte BEAUDRY – Laetitia BICA – Sofia BOUBOLIS – Sylvie CANONNE – Alexia CREUSEN – Lara GASPAROTTO – Fanny GERMEAU – Nic JOOSEN – Sophie LANGOHR – Eva L’HOEST – Mégane LIKIN – Elodie LEDURE – José PICON – Cléo TOTTI – Sofie VANGOR – Gaëtane VERBRUGGEN – Kathleen VOSSEN – Graziella VRUNA – Marie ZOLAMIAN…
Une initiative de la Province de Liège et du Centre wallon d’art contemporain – La Châtaigneraie.
C’est en 1939, à l’occasion de l’Exposition internationale de l’Eau, que la Province de Liège commande, à cinq artistes reconnus de son territoire (André Blank, Jean-Mathieu Jamsin, Jean-Henri Julémont, Alfred Martin et Joseph Verhaeghe), la création de peintures monumentales destinées à son Pavillon du Tourisme. Ces panoramas naturels et industriels, de 4 mètres de long sur 1 mètre 70 de haut, font l’éloge de la richesse, de la diversité et de la beauté des paysages de notre province. Ces réalisations constituent les prémisses de la Collection artistique provinciale. Cette dernière compte aujourd’hui un fonds de quelque 3.000 œuvres qui s’enrichit chaque année de nouvelles acquisitions. La collection rassemble tant des artistes confirmés que de jeunes talents émergents issus du territoire provincial. Si cette collection est éclectique, elle n’a de cesse de constituer un panorama fidèle et représentatif de la création en province de Liège grâce à un choix éclairé d’œuvres sensibles et significatives d’artistes inscrits dans la culture et la vie liégeoise.
Afin de valoriser les richesses de ce patrimoine et les artistes qu’il soutient, le service Culture de la Province de Liège développe une politique d’expositions temporaires, de prêts d’œuvres et de collaborations avec d’autres opérateurs culturels, institutions, galeries et centres d’art au sein de de son territoire et à l’étranger. En outre, les œuvres de cette collection sont rendues progressivement accessibles via un catalogue raisonné consultable en ligne.
Informations pratiques : exposition accessible de 14h à 18h du mercredi au dimanche, ou sur rendez-vous. Fermé les lundis, mardis et jours fériés.
Chère lectrice, cher lecteur, je commencerai par te donner une bonne nouvelle : “Non, tu n’es pas une fake news (ou, désormais, en bon français : tu n’es pas une infox) !” Sur ce, comment puis-je l’affirmer ? Comment puis-je être certain que cette information sur un phénomène du monde qui m’est extérieur est bel et bien réelle ? Comment valider ma perception du phénomène “il y a un.e internaute qui lit mon article” auquel mes sens sont confrontés ? Comment puis-je m’avancer avec conviction sur ce sujet, sans craindre de voir l’un d’entre vous se lever et demander à vérifier d’où je tiens cette certitude, que nous avons devant nous un “lecteur curieux” en bonne et due forme ?
Eh bien, ce n’est pas très compliqué. Tout d’abord : peut-être nous connaissons-nous déjà dans la vie réelle (pas dans le métavers) et je t’ai serré la main ou fais la bise, j’ai physiquement identifié ta présence et, dans la mesure où je n’ai vécu, dans les secondes qui suivirent, aucune tempête hormonale me signalant qu’il fallait fuir immédiatement, mon corps a libéré les phéromones de la reconnaissance de l’autre, dont je ne doute pas que tes organes sensoriels aient à leur tour détecté la présence. Ton cerveau a pu régler immédiatement le taux d’adrénaline dans ton sang. Peut-être avons-nous même pu nous asseoir autour d’une table et déguster une bière spéciale car… nous avions soif. Peut-être même t’ai-je entendu commenter cet article, que tu avais lu en avant-première. Tu es un phénomène réel, cher lecteur, car mon cerveau te reconnaît comme tel.
Ensuite, tu n’es pas une infox non plus et j’en ai eu la preuve quand, à cause de toi, j’ai dû interroger mes monstres intérieurs, mes instances de délibération psychologique, mon Olympe personnel (celui où je me vis comme un personnage mythique, tout comme dans mes rêves), alors que tu t’attendais à ce que (parmi d’autres blogueurs) je publie sur cette question qui nous taraude tous depuis sa formulation par Montaigne : “Comment vivre à propos ?” Ma psyché a alors dû aligner
une répugnance naturelle à m’aligner sur un groupe (ici, les blogueurs qui s’expriment sur un auteur, sans faire autorité),
la douce vanité que tisonnait l’impatience que je sentais chez toi, lecteur, et
ma sentimentalité face à la perspective de tes yeux ébahis devant mes commentaires éclairés.
Là, ce sont nos deux personnalités qui ont interagi : preuve est faite de ton existence, parce que c’est toi, parce que c’est moi. Tu es un être humain réel, cher lecteur, car ma psyché te reconnaît comme tel.
Enfin, tu es là, virtuellement face à moi, lectrice, comme le veut ce grand rituel qu’est notre relation éditoriale en ligne. Nous jouons ensemble un jeu de rôle qui nous réunit régulièrement et dans lequel ton rôle est défini clairement. Dans la relation éditeur-lecteur sans laquelle wallonica.org n’a pas de sens, ton rôle doit être assuré, par toi ou par ta voisine. C’est là notre contrat virtuel et je vis avec la certitude que, à chaque publication, un lecteur ou une lectrice lira mon article. Cette certitude est fondée sur notre relation, sur notre discours à son propos, qui prévoit des rôles définis, des scénarios interactifs qui se répètent, qui raconte des légendes dorées sur cette interaction, qui met en avant une batterie de dispositifs qui deviennent, article après article, nos outils de partage en ligne et sur les statistiques de visite de cette page web. Tu es donc là parce qu’il est prévu -par principe- que tu y sois. Tu es une idée réelle, chère lectrice, car ma raison te reconnaît comme telle.
Donc, qu’il s’agisse de mon corps, de ma psyché ou de mes idées, à chaque niveau de mon fonctionnement, de ma délibération, j’acquiers la conviction que tu es là, bien réel.le face à moi ou, du moins, quelque part dans le monde réel (que n’appliquons-nous les mêmes filtres lorsque nous traitons les actualités et les informations quotidiennes dont le sociologue Gérald Bronner affirmait que, au cours des deux dernières années, nous en avons créé autant que pendant la totalité de l’histoire de l’humanité jusque-là !).
Pour conclure ce point, je rappellerai que, traditionnellement, on exige d’une information cinq qualités essentielles : la fiabilité, la pertinence, l’actualité, l’originalité et l’accessibilité… C’est la première de ces cinq qualités que nous validons lorsque nous nous posons la question : info ou infox ?
Dans la même veine : cette question, je peux la poser à propos de… moi-même. Qui me dit que je ne suis pas une infox, pour les autres ou… pour moi-même ? Comment vérifier, avec tout le sens critique que j’aurais exercé pour lire une info complotiste sur FaceBook, comment vérifier que je suis un phénomène fiable pour moi et pour les autres ? Plus précisément, comment vérifier que l’image que j’ai de moi correspond à mon activité réelle (Diel), à ce que je fais réellement dans le monde où je vis avec vous, mes lectrices, mes lecteurs ? Pour mémoire, selon Montaigne, voilà bien les termes dans lesquels nous devons travailler car : “Notre bel et grand chef-d’œuvre, c’est vivre à propos.” C’est-à-dire : sans décalage entre nous et le monde.
Ma proposition est donc de présenter brièvement une clef de lecture de nous-mêmes, un test critique que chaque lecteur ou lectrice de ces lignes pourrait effectuer afin d’éclaircir un des éléments déterminants du fonctionnement de sa raison au quotidien : soi-même.
Tant qu’à prendre des selfies, autant qu’ils soient les plus fiables possibles et tant qu’à exercer notre sens critique, pourquoi pas commencer par nous-mêmes… ?
Aussi, commençons par le commencement : Copernic, Galilée et Newton n’ont pas été les derniers penseurs à transformer fondamentalement notre vision du monde. A son époque, pendant le siècle des Lumières, Kant a remis une question philosophique sur le tapis qui n’est pas anodine ici, à savoir : “Que puis-je connaître ?” (rappelez-vous : nous travaillons sur comment se connaître soi-même).
Kant est un imbuvable, un pas-rigolo, un illisible (il l’a dit lui-même et s’en est excusé à la fin de sa vie) mais nous ne pouvons rester insensibles à sa définition des Lumières, je cite :
La philosophie des Lumières représente la sortie de l’être humain de son état […] de mineur aux facultés limitées. Cette minorité réside dans son incapacité à utiliser son entendement de façon libre et indépendante, sans prendre l’avis de qui que ce soit. Il est seul responsable de cette minorité dès lors que la cause de celle-ci ne réside pas dans un entendement déficient, mais dans un manque d’esprit de décision et du courage de se servir de cet entendement sans s’en référer à autrui. Sapere aude ! (“aie le courage de faire usage de ton propre entendement !”) doit être la devise de la philosophie des Lumières.
Le message est clair : si tu veux grandir, pense librement et par toi-même. C’est sympa ! Mais comment faire, quels sont mes outils et comment les maîtriser ?
Premiers outils : nos cerveaux…
Pourquoi parler du cerveau d’abord ? En fait, pour interagir avec le monde, nos outils de base sont multiples et nous pensons les connaître mais les neurologues sont aujourd’hui en train de bousculer pas mal de nos certitudes à propos de cet outil majeur qu’est notre cerveau. Le cerveau – et toute la vie de notre corps qu’il organise – est d’ailleurs longtemps resté notre soldat inconnu : seul aux premières lignes, il agit pour notre compte sans que nous nous en rendions compte. Je m’explique…
Kant – et les penseurs qui ensuite ont sorti la divinité du champ de leur travail – estiment que nous ne pouvons concevoir de la réalité que des phénomènes, c’est-à-dire les informations que nous ramènent nos sens(des goûts, des images, des textures, des odeurs, des sons…) et ce, à propos de faits que nous avons pu percevoir. A ces phénomènes, se limite la totalité du périmètre que nous pouvons explorer avec notre raison, explique Kant à son époque. Tout le reste est littérature…
Et le langage utilisé par notre cerveau (ou nos cerveaux si l’on tient compte des autres parties du corps qui sont quelquefois plus riches en neurones), ce langage est trop technique pour notre entendement : impulsions électriques, signaux hormonaux, transformations protéiques et j’en passe. De là peut-être, cette difficulté que nous avons à être bien conscients de l’action de notre cerveau, des modifications en nous qui relèvent seulement de son autorité ou de son activité…
Un exemple ? Qui ne s’est jamais injustement mis en colère après un coup de frein trop brutal ? Était-ce le Code de la route qui justifiait cette colère ? Non. La personne qui l’a subie méritait-elle les noms d’oiseaux qui ont été proférés ? Non. Simplement, un excellent réflexe physiologique s’est traduit dans un coup de frein qui a été déclenché par la peur d’une collision, provoquée par la vue d’un piéton dans la trajectoire du véhicule et l’adrénaline libérée devait trouver un exutoire dans un cri de colère proportionné, faute de quoi elle serait restée dans le sang et aurait généré du stress…
Un autre exemple ? Lequel d’entre nous n’a jamais grondé, giflé voire fessé son enfant juste après lui avoir sauvé la vie, en lui évitant d’être écrasé : on le rattrape par le bras, on le tire sur le trottoir, la voiture passe en trombe et on engueule le petit avec rage pour lui signifier combien on l’aime. On préfère dire que c’est un réflexe, non ?
Nombreuses sont les situations concrètes où nous fonctionnons ainsi, sur la seule base du physiologique, et c’est tant mieux, car nos cerveaux n’ont qu’unobjectif : veiller à notre adaptation permanenteau milieu dans lequel nous vivons, ceci afin de maintenir la vie dans cet organisme magnifique qui est notre corps.
Partant, il serait recommandé d’identifier au mieux la contribution de nos cerveaux et de notre corps, avant de se perdre dans la justification morale ou intellectuelle de certains de nos actes.
Couche n°2 : la conscience…
Ici, tout se corse. Pendant des millénaires, notre conscience, notre âme, notre soi, notre ego, ont été les stars de la pensée, qu’elle soit religieuse, scientifique ou philosophique. De Jehovah à Freud, le succès a été intégral et permanent au fil des siècles. A l’Homme (ou à la Femme, plus récemment), on assimilait la conscience qu’il ou elle avait de son expérience.
La question du choix entre le Bien et le Mal y était débattue et l’ego était un grand parlement intérieur, en tension entre, en bas, la matière répugnante du corps et, en haut, la pureté des idées nées de l’imagination ou générées par l’intellect.
Or, voilà-t-y pas que nos amis neurologues shootent dans la fourmilière et nous font une proposition vertigineuse, aujourd’hui documentée et commentée dans les revues scientifiques les plus sérieuses : la conscience ne serait qu’un artefact du cerveau, une sorte d’hologramme généré par nos neurones, rien que pour nous-mêmes !
Plus précisément : trois régions du cerveau ont été identifiées, dont la mission commune est de nous donner l’illusion de notre libre-arbitre, l’illusion d’être une personne donnée qui vit des expériences données. Ici, plus question d’une belle conscience autonome, garante de notre dignité et flottant dans les airs ou ancrée dans notre cœur.
Et c’est évidemment encore un coup du cerveau, qui fait son boulot : “si je suis convaincu que j’existe individuellement, je vais tout faire pour ma propre survie.”
Pour illustrer ceci simplement, prenons l’exemple d’un pianiste qui lit une note sur une partition, enfonce une touche du piano et entend la corde vibrer. Il a l’impression de faire une expérience musicale unique alors que ce sont précisément les trois zones du cerveau dont je parlais qui ont œuvré à créer cette impression. Elles ont rassemblé en un seul événement conscient, le stimulus visuel de la note lue, l’action du doigt sur l’ivoire et la perception de la note jouée. L’illusion est parfaite alors que ce sont des sensdistincts du cerveau qui ont été activés, à des moments différents etsans corrélation entre euxa priori. C’est vertigineux, je vous le disais : ma conscience, n’est en fait pas consciente.
Je pense qu’on n’a pas encore conscience non plus, des implications d’une telle découverte et je serais curieux de pouvoir en parler un jour avec Steven Laureys.
Reste que, factice ou pas, la conscience que j’ai de moi-même accueille la deuxième couche du modèle que je vous propose : la psyché. Qu’ils soient illusoires ou non, ma psyché, ma personnalité psychologique, ma mémoire traumatique, ma vanité, mes complexes, mon besoin de reconnaissance, mes accusations envers le monde, mes habitudes de positionnement dans les groupes, ma volonté d’être sublime… bref, mes passions, mes affects conditionnent mon interaction avec le monde.
J’en veux pour preuve toutes les fois où je suis rentré dans un local où je devais animer une réunion, donner une conférence ou dispenser une formation : à l’instant-même où je rentrais dans la pièce, il était évident que j’aurais une confrontation avec celui-là, celui-là et celui-là. Je n’ai pas toujours eu du bide mais j’ai commencé grand… en taille, très tôt. Le seul fait de ma stature physique provoquait systématiquement une volonté de mise en concurrence chez les participants les plus arrogants de virilité. Il me revenait alors d’établir ma position d’animateur sans qu’elle ne vienne contrarier le statut des mâles alpha présents ou… de m’affirmer moi-même en mâle alpha quand les mâles en question étaient beaucoup moins baraqués que moi…
Ici, pas de grands idéaux pédagogiques, pas de réflexes physiologiques mais simplement un positionnement affectif, un moment où chacun se vit comme un héros mythique et sublime, dans une confrontation authentiquement héroïque.
J’ai le sentiment que le débat intérieur, à ce moment-là, utilise le même langage que les rêves où, également, chacun se vit comme un personnage mythologique, hors de tout détail accidentel ou quotidien. Regardez la colère d’un informaticien quand un ordinateur ne fait pas ce qu’il veut : elle est homérique et n’est possible que si, l’espace d’un instant, l’informaticien en question a eu l’illusion d’être un dieu tout-puissant, créateur de ce dispositif qui a l’arrogance satanique de lui résister. Encore un coup de la psyché vexée !
Combien de fois -il faut le reconnaître- n’avons-nous pas discuté, disputé, débattu ou polémiqué sur des sujets qui n’en étaient pas mieux éclairés, car force nous était d’abord d’avoir raison devant témoins de la résistance de l’autre, simplement parce qu’il ressemblait trop à notre contrôleur des impôts ou à une collègue carriériste ! C’est un exemple. Passion, quand tu nous tiens… nous, nous ne savons pas nous tenir. On pourra énumérer longuement ces situations où la psyché tient les rênes de nos motivations, alors que nous prétendons agir en vertu de principes sublimes ou d’idées supérieures. Dans ces cas regrettables, les sensations captées par notre cerveau n’ont même pas encore fait leur chemin jusqu’à notre raison que déjà nous réagissons… affectivement.
Il ne s’agit pas ici, par contre, de condamner notre psyché, qui se débat en toute bonne foi dans un seul objectif : obtenir et maintenir la satisfaction que nous pouvons ressentir lorsque nos désirs sont réalisables et notre réalité désirable. Bref, quand l’image que nous avons de nous-même correspond à notre activité réelle. C’est une joie profonde qui en résulte.
Juste à côté, mais en version brouillée : les idées…
A ce stade, résumons-nous : un cerveau hyperconnecté qui nous permet de percevoir et d’agir sur le monde, une psyché mythologisante qui nous positionne affectivement face à ses phénomènes. Il nous manque encore le troisième étage du modèle : les idées, les discours, autrement dit les formes symboliques.
C’est le philosophe Ernst Cassirer qui a concentré ses recherches sur notre formidable faculté de créer des formes symboliques : le Bien, le Mal, Dieu, le Beau, le Vrai, le Juste, le Grand Architecte, le Carré de l’hypoténuse, Du-beau-du-bon-Dubonnet, la Théorie des cordes, “Demain j’enlève le bas”, “Le Chinois est petit et fourbe”, “This parrot is dead”, la Force tranquille, Superman, le Grand remplacement, “Je ne sais pas chanter”, “Mais c’est la Tradition qui veut que…”, “On a toujours fait comme ça”, “les Luxembourgeois sont tellement riches…” Autant de formes symboliques, de discours qui ne relèvent ni de notre physiologie, ni de notre psychologie ; autant de convictions, de systèmes de pensée, de vérités qui, certes, prêtent au débat mais ne peuvent constituer une explicationexclusive et finale du monde qui nous entoure (s’il y en avait une, ça se saurait !).
Cassirer ne s’est pas arrêté à un émerveillement bien naturel face à cette faculté généreusement distribuée à l’ensemble des êtres humains : créer des formes symboliques. Il a également averti ses lecteurs d’un dangerinhérent à cette faculté : la forme symbolique, l’idée, le discours, a la fâcheuse tendance à devenir totalitaire. En d’autres termes, chacun d’entre nous, lorsqu’il découvre une vérité qui lui convient (ce que l’on appelle une vérité, donc) s’efforce de l’étendre à la totalité de sa compréhension du monde, voire à l’imposer à son entourage (que celui qui n’a jamais observé ce phénomène chez un adolescent vienne me trouver, j’ai des choses à lui raconter…).
Qui plus est, les fictions et les dogmes qui nous servent d’œillères ne sont pas toujours le fait de la société ou de notre entourage : nous sommes assez grands pour générer nous-mêmes des auto-fictions, des discours qui justifient nos imperfections ou qui perpétuent des scénarios de défense, au-delà du nécessaire.
Il reste donc également important d’identifier les dogmes et les discours qui entravent notre liberté de penser, afin de rendre à chacune de nos idées sa juste place : rien d’autre qu’une opportunité de pensée, sans plus. A défaut, nous risquons de la travestir en vérité absolue, à laquelle il faudrait se conformer !
Mais quel langage utilise-t-on pour échanger sur ces formes symboliques, qu’il s’agisse de réfléchir seul ou de débattre avec des tiers, qu’il s’agisse de fictions personnelles ou de discours littéraires, poétiques, scientifiques, mathématiques, religieux ou philosophiques ?
Il semblerait bien qu’il s’agisse là de la langue commune, telle qu’elle est régie par la grammaire et l’orthographe, codifiée par nos académies. On ne s’étendra pas ici sur les différents procédés de langage, sur la différence entre signifiant et signifié, sur l’usage poétique des mots, sur la différence entre vocabulaire et terminologie. Ce qui m’importe, c’est simplement d’insister sur deux choses, à propos des formes symboliques :
d’abord, le discours –voulu raisonnable- que l’on tient à propos du monde ou d’un quelconque de ses phénomènes, n’est pas le phénomène lui-même. C’est Lao-Tseu qui disait : “Le Tao que l’on peut dire, n’est pas le Tao pour toujours.» Pour faire bref : c’est impunément que l’on peut discourir sur n’importe quel aspect de notre réalité car notre discours n’est pas la chose elle-même (sinon, il serait impossible de parler d’un éléphant lorsqu’on est assis dans une 2CV, par simple manque de place).
Ensuite : impunément peut-être pas, car notre formidable faculté de créer des formes symboliques pour représenter le monde (qu’il soit intérieur ou extérieur) sert un objectif particulier bien honorable : celui de nous permettre de construire une image du monde harmonieuse, à défaut de laquelle il sera difficile de se lever demain matin.
Mystère et boules de gomme
Nous voici donc avec un modèle de lecture de nous-mêmes à trois étages : le physiologique, le psychologique et les formes symboliques (ou les discours). Jusque-là, nous avons travaillé à les décrire, à reconnaître leur langage et à identifier leur objectif, c’est-à-dire, leur raison d’être :
l’adaptationà l’environnement, pour le cerveau ;
la satisfaction née de l’équilibre entre désirs intérieurs et possibilités extérieures, pour la psyché, et
l’harmoniedans la vision du monde pour les discours, pour la raison.
Tout cela est bel et bon, mais où est le problème, me direz-vous ? Mystère ! Ou plutôt, justement, lemystère et la tradition qu’il véhicule. Je vous l’ai proposé : à moins d’être croyant, gnostique ou un dangereux gourou, la tradition est à prendre comme un discours, une opportunité de pensée : ce qui n’en fait pas une vérité ! Notre tradition occidentale agence nos trois étages de manière rigoureuse : le corps, notre prison d’organes, est au rez-de-chaussée de la maison ; notre conscience, nécessairement plus élevée que nos seuls boyaux, fait “bel étage” et les idées, sublimes, dominent un étage plus haut, elles rayonnent au départ d’un magnifique penthouse sur la terre entière !
raison, splendeur, esprit, idéaux, lumière infinie et vie éternelle en haut ;
corps, limitations, affects, déchéance et mort, en bas.
C’est du Platon, du Jehovah, du Jean-Sébastien Bach ou du Louis XIV ! Et c’est cette même tradition idéaliste qui positionne le mystère dans des zones transcendantes, dans un au-delà que notre raison ne peut cerner et dont nous ne possédons pas le langage, sauf “initiation”, bref : le mystère est ineffable tant il est supérieur, bien au-delà de notre entendement.
Face à cette “mystique du télésiège”, qui, depuis des lustres, entrelarde notre culture judéo-chrétienne de besoins d’élévation sublime, il existe une alternative, qui est la vision immanente du monde.
L’immanence, c’est la négation de tout au-delà : tout est déjà là, devant nous, au rez-de-chaussée, qui fait sens, qui est magnifiquement organisé et vivant, qui est prêt à recevoir notre expérience mais seulement dans la limite de nos capacités sensorielles et de notre entendement.
Et c’est bel et bien cette limite qui fournit la signification que nous pourrions donner au mot mystère : “au-delà de cette limite, nos mots ne sont plus valables.” Souvenez-vous de Lao-Tseu quand il évoque l’ordre universel des choses et le silence qu’il impose. Contrairement aux définitions des dictionnaires qui nous expliquent que le “Mystère est une chose obscure, secrète, réservée à des initiés”, le mystère serait cet ordre des choses que nous pouvons appréhender mais pas commenter.
Pas de mots pour décrire le mystère : non pas parce qu’il est par essence un territoire supérieur interdit, réservé aux seuls dieux ou aux initiés, pas du tout, mais parce que, tout simplement, notre entendement a ses limites, tout comme le langage rationnel qu’il utilise.
Nous pouvons donc expérimenter le mystère mais, c’est notre condition d’être humain que d’être incapables de le décrire avec nos mots. J’en veux pour exemple la sagesse de la langue quand, face à un trop-plein de beauté (un paysage alpin, la mer qu’on voit danser, la peau délicate d’un cou ou une toile de Rothko), nous disons : “cela m’a laissé sans mots“, “je ne trouve pas les mots pour le dire“, “je suis resté bouche-bée…”
Au temps pour le mystère. Le questionner aura permis de dégager deux grosses tendances dans notre culture (et, donc, dans notre manière de penser) : d’une part, l’appel vers l’idéal du genre “mystérieux mystère de la magie de la Sainte Trinité” et, d’autre part, la jouissance pragmatique du “merveilleux mystère de la nature, que c’est tellement beau qu’on ne sait pas comment le dire avec des mots.” Dans les deux cas, le mystère a du sens, on le pressent, mais, dans les deux cas, le mystère est ineffable, que ce soit par interdit (première tendance) ou par simple incapacité de notre raison (seconde tendance).
Dans les deux cas, chacun d’entre nous peut se poser la “question du mystère” : quand, seul avec moi-même, je veux accéder à la connaissance, percer le mystère et goûter au sens de la vie, est-ce que je regarde au-delà des idées ou au cœur de mes sensations ?
Merveille de notre qualité d’humains, nous pratiquons les deux mouvements : de l’expérience au monde des idées, du monde des idées à l’expérience ; en d’autres termes, de l’action à la fiction, et de la fiction à l’action.
Pour mieux vous expliquer, j’appelle à la barre deux penseurs qui y ont pensé avant moi : Emmanuel Kant et Friedrich Nietzsche.
Avec son Sapere Aude (“Ose utiliser ton entendement”), Kant représente le mouvement qui va de l’action à la fiction. Ce n’est pas pour rien qu’il vivait au Siècle des Lumières, siècle qui a substitué aux pouvoirs combinés du Roi et de l’Eglise, l’hégémonie de la Raison. Pour reprendre la métaphore, dans la maison de Kant, l’ascenseur s’arrête bel et bien à nos trois étages (cerveau, psyché et formes symboliques) mais le liftier invite ceux qui cherchent la connaissance à monter vers la Raison, dont j’affirme qu’elle est également une forme symbolique, un discours, pas une réalité essentielle. Pour Kant, le mouvement va de l’expérience à la Raison.
Dans la maison de Nietzsche par contre, le liftier propose le trajet inverse, fort de la parole de son maître qui invite à l’Amor Fati (“Aime ce qui t’arrive“). Pour le philosophe, il importe de se libérer des discours communs, des idées totalitaires et ankylosantes, ces crédos que ruminent nos frères bovidés, et de devenir ce que nous sommes intimement, dans toute la puissance et la profondeur de ce que nous pouvons être (ceci incluant nos monstres !).
Il nous veut un peu comme un samouraï qui, par belle ou par laide, s’entraînerait tous les jours pour être prêt à affronter sans peur… quoi qu’il lui arrive pratiquement. Cela implique pour lui le sérieux, l’hygiène de vie et l’attention au monde : trois disciplines qui ne sont pas des valeurs en soi, mais des bonnes pratiques.
Le mouvement préconisé va donc des idées, des fictions, vers l’action, vers l’expérience, vers le faire, comme le chante l’éternel Montaigne, grand apôtre de l’expérience juste. Je le cite :
Quand je danse, je danse ; et quand je dors, je dors. Et quand je me promène seul dans un beau jardin, si mes pensées se sont occupées d’autre chose pendant quelque temps, je les ramène à la promenade, au jardin, à la douceur de cette solitude, et à moi. La Nature nous a prouvé son affection maternelle en s’arrangeant pour que les actions auxquelles nos besoins nous contraignent nous soient aussi une source de plaisir. Et elle nous y convie, non seulement par la raison, mais aussi par le désir. C’est donc une mauvaise chose que d’enfreindre ses règles.
Un modèle pour humains modèles
Le mot est lâché : la règle ! A tout propos philosophique, une conclusion éthique ? Quelle règle de vie est proposée ici ? Nous visons la connaissance (cliquez curieux !), nous cherchons la lumière dans le Mystère ; nous avons un cerveau, une psyché, des idées ; nous pouvons aller de l’un à l’autre et de l’autre à l’un. Soit. Mais encore ?
Souvenez-vous : nous nous étions donné comme objectif de bien nous outiller pour vérifier si nous étions une infox à nous-mêmes, ou non. Dans les films, cela s’appelle une introspection si un des deux acteurs est allongé sur un divan et une méditation quand l’acteur principal se balade en robe safran, avec les yeux un peu bridés sous un crâne poli.
Pour Nietzsche, ce n’est pas être moral que de viser systématiquement la conformité avec des dogmes qui présideraient à notre vie, qui précéderaient notre expérience et qui se justifieraient par des valeurs essentielles, stockées quelque part dans le Cloud de nos traditions ou de nos légendes personnelles.
Vous me direz : “Être conforme, c’est immoral, peut-être, môssieur le censeur ?“
Je répondsoui, si la norme que l’on suit se veut exclusive, définitive et n’accepte pas de révision (souvenez-vous : les formes symboliques deviennent facilement totalitaires. Méfiance, donc) ; la respecter serait trahir ma conviction que la vie est complexe et que la morale ne se dicte pas ;
oui encore, si la norme suivie me brime intimement, qu’elle fait fi de ma personne et de mes aspirations sincères, qu’elle m’est imposée par la force, la manipulation ou la domination ; la respecter serait ne pas me respecter (souvenez-vous : ma psyché a des aspirations, qui peuvent être légitimes) ;
oui enfin, si la norme suivie limite l’expression de ma vitalité, de ma puissance physique (souvenez-vous : mon cerveau travaille au service de ma survie).
En un mot comme en cent : la Grande Santé n’est décidément pas conforme et viser la conformité à un idéal est définitivement une négation de sa propre puissance !
Aussi, faute de disposer d’un catéchisme (tant mieux), je vous propose donc une règle du jeu, des bonnes pratiques, plus précisément une clef de détermination qui n’a qu’un seul but : ne pas mélanger les genres.
Par exemple : ne pas déduire d’un mauvais état de santé des opinions trop sombres, que l’on n’a pas sincèrement. Ne pas expliquer à ses enfants que le monde est moche, alors qu’on est simplement dans un mauvais jour. Ne pas expliquer à ses enfants que le monde est super, alors qu’on est simplement dans un bon jour. Ne pas accepter d’être brimé par quelqu’un parce que c’est toujours comme ça. Ne pas demander quelqu’un en mariage avec sept Triple Karmeliet derrière le col. Accepter d’écouter l’autre même s’il fait trop chaud dans la pièce. Ne pas tirer de conclusion sur la nature essentielle de la femme après une altercation houleuse avec une contractuelle qui posait un pv sur le pare-brise…
Ces exemples sont accidentels, quotidiens, et n’ont qu’une vertu : chacun peut a priori s’y reconnaître. Reste que la même clef de lecture peut probablement s’avérer utile pour des questions plus fondamentales, qui n’ont pas leur place ici, parce qu’elles nous appartiennent à chacun, individuellement.
Allons-y avec un peu plus de légèreté, même si la clef proposée peut être le point de départ d’un travail plus approfondi. On va faire comme avant de tirer les lames du tarot : chacun doit choisir un problème qui le tracasse. Vous êtes prêts ? On y va ?
Est-ce que la question que je me pose est essentielle et influence effectivement le sens de ma vie ?
Oui ? Je cherche une solution au problème sans état d’âme ou je laisse passer la pensée inconfortable et je l’oublie (personne n’a jamais dit qu’il fallait croire tout ce que l’on pense) ;
Sinon, je passe à la question 2.
Est-ce que le déplaisir que je ressens peut-être lié à mon corps (digestion difficile, flatulences, chaleur, vêtements mouillés, posture inconfortable maintenue trop longtemps…)
Oui ? Je prends d’abord un verre de bicarbonate de soude ou un godet de Liqueur du Suédois. Je reviens ensuite à la question 1.
Sinon, je passe à la question 3.
Est-ce que la manière dont je vis le problème est influencées par mes légendes personnelles, ma mémoire traumatique ou peut-elle être influencée par un positionnement psychologique que je crois nécessaire face à ses protagonistes ?
Oui ? Je fais la part des choses et je me reformule le problème. Re-oui ? J’en parle à mon psy en donnant la situation comme exemple.
Sinon, je passe à la question 4.
Est-ce qu’en cherchant une solution au problème je fais appel à des évidences, des certitudes, des principes, des arguments d’autorité, des traditions, des routines de pensée ou des autofictions qui déforment mon analyse ?
Oui ? Je pars au Népal, j’attends quelques années et, une fois apaisé, je me repose la même question avec l’esprit plus clair.
Sinon, je passe à la question 5.
Est-ce que, si je localise lucidement l’étage auquel se situe le nœud de mon problème, cette analyse me procurera une vision du monde plus apaisée ?
Non ? Je recommence le cycle à la question 2.
Oui ? Je passe à la question 6.
Est-ce qu’une solution apportée au problème limiterait mes frustrations et me rendrait suffisamment confiance en mes capacités et en la bienveillance de mes frères humains ?
Oui ? J’analyse, seul ou avec mon psy, l’exagération qui génère ma frustration et je travaille dessus avant de conclure quoi que ce soit à propos de moi ou des autres humains.
Sinon, bonne nouvelle mais pas suffisant pour sauter la question 7.
Est-ce que mon hygiène physique est suffisante pour que mon état de santé ne colonise pas la clarté de ma pensée ?
Oui ? Je renonce au restaurant de ce soir et je rentre manger une biscotte à la maison avant de prendre toute autre décision.
Sinon, je m’en réjouis avec vous : rendez-vous à table !
J’insiste ici : ces questionnements ne sont évidemment valables qu’en cas d’expérience désagréable ou inconfortable, de manies suspectes, de regrets ou de remords, voire plus généralement de situations insatisfaisantes. Si votre situation est satisfaisante et que vous ne ressentez aucune souffrance : eh bien, arrêtez de vous torturer et vivez la Grande Santé !
Peut-on alors entendre raison ? Voire raison garder ?
Nous voici arrivés au terme de la promenade. Je voudrais, avant de conclure, me dédouaner d’une chose : il ne s’agissait pas ici de faire le procès de la raison mais bien de l’illusion de raison, voire des prétentions à la raison. Combien de fois n’entend-on pas habiller deraison un simple argument d’autorité, brandir avec véhémence des principes, des appels à la tradition ou les éternels “on a toujours fait comme ça”, alors que l’écoute et le débat pouvaient apporter des tierces solutions qui rendaient les lendemains partagés possibles et généreux !
Et que le ton badin du ‘fake questionnaire’ ne vous trompe pas : je pense sincèrement que nous sommes souvent en défaut d’identifier lucidement les vrais moteurs de nos motivations. Je pense également qu’identifier les instances qui président à nos prises de décision et bien ressentir leur poids dans ce qui fait pencher la balance, est un exercice plus exigeant qu’il n’y paraît. Je pense enfin que nous vivons dans un monde de représentations toxiques où nous devenons individuellement le dernier bastion de la raison et du sens : raison de plus pour explorer notre vie avec tous les outils disponibles et assainir (autant que faire se peut) ce que nous savons de nous-mêmes.
Critique d’art, historien et biographe, Jacques PARISSE (Seraing 30/09/1934, Liège 19/01/2011) a exercé une influence considérable sur le monde des arts plastiques pendant plus de trente ans. Professeur de français puis d’histoire de l’art, il transforme sa passion pour l’art en une activité débordante, comme critique d’abord, comme biographe ensuite, faisant découvrir ou redécouvrir, non sans passion, plusieurs artistes wallons de renom.
Après s’être brièvement essayé au Droit, Jacques Parisse s’oriente vers les Romanes et décroche sa licence à l’Université de Liège (1956). À peine diplômé, il entame une carrière d’enseignant qu’il mènera pendant 35 ans (novembre 1959-juin 1994). Dans un premier temps, il est professeur de français dans l’enseignement secondaire supérieur. À sa passion première pour la lecture, il ajoute une curiosité toujours plus grande pour les beaux-arts. En 1953, il était entré pour la première fois dans la galerie de l’Association pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie et c’est là qu’il va découvrir les artistes invités par Fernand Graindorge et Marcel Florkin. Dans les revues étudiantes auxquelles il avait collaboré, il avait signé quelques papiers sur ces expositions.
En janvier 1961, il reçoit, d’André Renard, la chance de tenir une rubrique à la fois dans La Wallonie et dans Combat. Usant d’abord du pseudonyme “Un de Troie” avant de recourir à son patronyme, le successeur de Frenay-Cid restera le chroniqueur artistique (livres et expositions) du quotidien jusqu’en novembre 1986, soit 26 saisons et plusieurs milliers de chroniques. “Victime d’une restructuration économique”, il est ensuite accueilli par La Dernière Heure (1987-1993), puis par La Meuse (1993-1998).
Parallèlement, engagé par Robert Stéphane, il devient chroniqueur sur les ondes de la RTB-Liège radio à partir de janvier 1964. Jusqu’en janvier 2000, son intervention dans le décrochage matinal du Centre de production régional de Liège de la RTBf est un moment craint ou attendu, comme le sont ses articles de presse écrite, pour tous les créateurs ou organisateurs d’événements artistiques. Un avis de Jacques Parisse avait valeur de succès ou de Bérézina. Depuis le début des années soixante, encore, Jacques Parisse a ajouté à ses multiples tâches celle du secrétariat de l’APIAW. Officiel bras droit de Graindorge et de Florkin, Parisse était par conséquent en contact permanent avec tous les acteurs culturels. À une grande maîtrise de tous les courants artistiques anciens, il ajoutait une connaissance de la création et des nouvelles influences qui se nourrissait des milliers de visites qu’il rendait aux peintres, graveurs, photographes, en exposition ou dans leur atelier. Cette expérience lui servira de sésame quand lui sont confiés les cours d’histoire de l’Art dans un établissement liégeois d’enseignement supérieur non universitaire, au milieu des années 1970, second temps de sa carrière d’enseignant.
Auteur d’un monumental ouvrage sur La peinture à Liège au XXe siècle (1975), Jacques Parisse signe plusieurs ouvrages qui font référence. Entouré de quelques amis pour sélectionner plusieurs dizaines d’artistes représentant les courants les plus variés, il s’appuie sur une belle maîtrise de la production artistique récente pour mener cette première investigation ambitieuse, complétée par une série de fortes monographies approfondissant ou réhabilitant des peintres wallons : Zabeau (1977), Jean Donnay (1980), Richard Heintz (1982), Auguste Mambour (1984), Auguste Donnay (1991), Gangolf (1991), Édouard Masson (2000), Ernest Marneffe (2001), Guy Horenbach (2007). Il fait aussi connaître Marcel Caron, Georges Collignon, Frédérick Beunckens, Jacques Charlier ou encore Jacques Lizène.
Après avoir rassemblé un certain nombre de ses chroniques RTB Liège en deux volumes, il publiera, en 2000, des mémoires, les siennes, qui sont bien davantage que celles d’un critique de province. Il rappelle notamment qu’en tant que secrétaire de l’Association pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie depuis le début des années 1960, il a apporté une contribution permanente à l’organisation des expositions de cette association ; il mentionne aussi qu’il fut l’éphémère président fondateur de la Maison des Artistes au milieu des années 1980. Auteur d’articles et de préfaces dans des ouvrages de référence, il fut aussi conseiller artistique pour les acquisitions auprès de la Banque nationale de Belgique de 1981 à 2000, président de la commission des arts plastiques de la Communauté française et membre du conseil d’administration de La Chataigneraie.
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures, t. III, p. 386),
Jacques PARISSE, Situation critique. Mémoires d’un critique d’art de province (Liège, Adamm, 2000),
L’art a la parole : Jacques Parisse, chroniques artistiques à la RTB Liège de 1964 à 1977 (Liège, Mardaga, 1978),
De bec et de plume, L’art a la parole II, Chroniques des arts plastiques à la RTBf Liège1977-1984 (Liège, Mardaga, 1985).
On le connaît principalement pour ses deux héros, le capitaine Francis Blake et le professeur Philip Mortimer. Le dessinateur belge Edgar Pierre Jacobs s’est également illustré à l’opéra dans les années 20, alors baryton dans la troupe de l’Opéra de Lille.
Blake et Mortimer, personnages d’opéra ? Si les célèbres héros de la série homonyme créée par Edgar Pierre JACOBS (1904-1987) n’ont jamais démontré de talents de chanteurs, ils entretiennent néanmoins des liens certains avec l’univers lyrique.
C’est ce qu’a découvert le site d’information lillois Vozer, qui s’est arrêté au Centre belge de la bande dessinée. A l’occasion des 75 ans de la série d’aventures des deux élégants britanniques, l’exposition “Le secret de l’Espadon” revient sur les années du dessinateur passées sur les planches de l’Opéra de Lille. Né le 30 mars 1904, Edgar Pierre Jacobs se découvre rapidement des intérêts croisés entre le dessin et l’histoire, qui font naître une vocation de “peintre d’histoire”. A treize ans pourtant, il tombe amoureux de la voix en assistant au Faust de Gounod à Bruxelles, au Théâtre des Galeries.
Comédien figurant au Théâtre de la Monnaie après la guerre et en parallèle de sa formation à l’Académie des Beaux-Arts, il exerce son crayon comme dessinateur sur commande, puis en travaillant pour la presse ou pour des catalogues de grands magasins.
Alors qu’il se produit comme choriste au Théâtre de l’Alhambra en 1922, Edgar Pierre Jacobs intègre le Conservatoire Royal de Bruxelles après son service militaire en 1924. Il en sort avec un premier prix d’excellence avant de rejoindre la troupe de l’Opéra de Lille. Aida de Verdi, Lakmé de Delibes, Faust de Gounod ou encore Tosca de Puccini lui ont confié autant de rôles à sa voix de baryton. La crise de 1929 a malheureusement raison de ses ambitions, et le chanteur belge se retrouve dans son pays natal sans emploi.
En 1944 pourtant, une rencontre majeure ouvre une voie nouvelle à la carrière atypique de l’artiste qui devient coloriste pour Georges Rémi (Hergé), sur les albums de Tintin. Cette collaboration permet à Blake et Mortimer de voir le jour, en bonne place dans le premier tome du Journal de Tintin. Dans une interview de 1982 restituée par l’INA, Edgar Pierre Jacobs souligne avec humour ses divergences avec son compatriote concernant le traitement des personnages lyriques : “Je ne suis absolument pas d’accord avec lui ! Je n’aurais jamais créé la Castafiore.”
Dans ce même entretien, le dessinateur fait le lien entre ses deux métiers successifs : “Des spécialistes de la BD ont trouvé qu’il y avait un petit air d’opéra dans mes histoires. L’opulence des décors et en même temps de la mise en scène faisait penser à un opéra. Ce que je ne nie pas d’ailleurs.” Muettes sur le papier, les voix de ses personnages ont elles aussi une identité lyrique : Blake serait ténor tandis que Mortimer aurait une tessiture de baryton. [d’après FRANCEMUSIQUE.FR]
[RTBF.BE, 21 janvier 2022] “Tout, vous saurez tout sur le papa de Blake et Mortimer dans cette biographie dessinée. Qui n’a jamais eu entre les mains un album d’Edgar P. Jacobs ? La Marque Jaune, Le Secret de l’espadon, L’affaire du collier, La Vallée des Immortels… Au total, la célèbre série Blake et Mortimer compte pas moins de 19 aventures publiées en 27 albums.
Un savant mélange de réalisme et de science-fiction
C’est en 1943, dans la série Bravo, dans Le Rayon U que les lecteurs auront eu un avant-goût de la saga Blake et Mortimer. Si vous aimez les aventures du capitaine Francis Blake, cet ancien pilote de la Royal Air Force, directeur du MI5, et de son ami Philip Mortimer, grand spécialiste en physique nucléaire au Royaume-Uni, alors vous risquez d’apprécier la nouvelle biographie du papa de ces 2 héros.
Une biographie dessinée
Le Rêveur d’Apocalypses, c’est le titre de cette BD et, même si ce n’est pas la 1ère biographie dessinée consacrée à E.P. Jacobs, c’est certainement l’une des plus intéressantes car le scénario est signé François Rivière qui a très bien connu Edgar P. Jacobs.
Een “echte Brusseleir”
On ne s’en rend pas toujours compte mais notre belle capitale est un élément clé dans l’univers de nos 2 héros.
Ce qu’on ignore souvent, c’est qu’il y a beaucoup de Bruxelles dans les différents albums de Blake et Mortimer.
Comme on le découvre dans la BD, qui contient plein de scènes se déroulant à Bruxelles, c’est le port de Bruxelles qui a servi de principale source d’inspiration à Jacobs pour recréer les docks de Londres dans son album mythique La Marque jaune.
Edgar P. Jacobs est né le 30 mars 1904 à Bruxelles, dans le quartier du Sablon. Ses parents habitaient au 160, rue Louis-Hap, près du Musée du Cinquantenaire. Par après, Jacobs a également vécu à Woluwe, avant de terminer sa vie dans le Brabant wallon.
Passionné par l’opéra, Jacobs a fréquenté assidûment le Théâtre de la Monnaie. Il s’est formé au dessin à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles et à l’art vocal au Conservatoire royal de Bruxelles.
Le saviez-vous ?
Pour la petite info, Edgar P. Jacobs a été pendant des années l’assistant d’Hergé lorsque celui-ci habitait avenue Delleur à Boitsfort. La villa du professeur Bergamotte dans Les 7 boules de cristal s’inspire d’ailleurs d’une maison dans cette avenue (on peut toujours la voir aujourd’hui). Malheureusement, il n’a jamais été crédité. Du coup, il a décidé de voler de ses propres ailes et de créer Blake et Mortimer.
Nous ne sommes pas des grands spécialistes en la matière mais nous avons fait appel à l’excellent Mathieu Van Overstraeten, notre spécialiste BD du 6/8 TV pour en apprendre plus sur cet univers captivant.nSi le monde de la BD vous intéresse, je vous invite à consulter le site de Mathieu Van Overstraeten. C’est bien ficelé, pro et de qualité ! De quoi vous donner envie de vous replonger dans quelques bonnes BD d’hier et d’aujourd’hui.”
EAN 9782344003916
[LIBREL.BE] “Amateur d’art antique égyptien, collectionneur d’armes en tous genres, chanteur lyrique amoureux de la scène… Avant d’être le créateur de Blake et Mortimer, Edgar P. Jacobs est un homme d’une grande curiosité, animé par des passions nombreuses qui ont toute sa vie transporté son imagination. Ainsi, à 18 ans, il se rêve davantage en chanteur d’opéra qu’en dessinateur de bande dessinée. Malgré un passage à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, il préfère considérer le dessin comme un gagne-pain et non comme une véritable vocation. Mais la guerre arrive et dans les années 1940, les Allemands exigent que le contenu de la série américaine Flash Gordon soit repris et modifié. La tache revient à Jacobs qui fournit ensuite au journal les planches de sa première série : Le Rayon U. Plus tard, il rencontre Hergé, l’assiste sur Tintin– sans jamais être crédité – et finit par créer les aventures de deux héros anglais appelés à devenir des incontournables du genre : le colonel Francis Blake et le professeur Philip Mortimer. La bande dessinée est devenue son art et son métier, mais l’histoire de Jacobs ne s’arrête pas là…
À l’occasion de l’anniversaire de la première publication des aventures de Blake et Mortimer dans le journal Tintin il y a 75 ans, voici le portrait biographique de l’un des plus grands auteurs du Neuvième Art. François Rivière, qui s’est longuement entretenu avec le maître de son vivant, y raconte l’artiste au travers de nombreuses et fascinantes anecdotes qui ont constitué la vie de l’auteur belge. Philippe Wurm, l’un des héritiers évidents et revendiqués de la ligne Jacobs, met en scène cette fascinante destinée “à la manière de”, d’un trait fin et précis confondant de mimétisme.
L’ouvrage se déclinera en deux éditions : Jacobs – Le rêveur d’apocalypses propose la bande dessinée complète en couleurs complétée d’un appareil critique succinct détaillant l’homme Jacobs. Jacobs – Le rêveur d’apocalypse – édition spéciale est l’édition luxe du même ouvrage, en noir et blanc, enrichie d’un appareil critique très dense (photographies, cartes postales, documents d’époque, notes, essais…) sur les coulisses de la création de l’oeuvre de Jacobs et les recherches effectuées par Wurm et Rivière. Car le moindre des paradoxes n’est pas que Jacobs a inventé des mondes et des voyages extraordinaires, aux quatre coins du monde et au-delà des univers connus, sans jamais quitter – ou presque – Bruxelles et ses environs…”
Ever MEULEN, de son vrai nom Eddy Vermeulen, est né à Kuurne (Flandre occidentale) en 1946. Illustrateur, son graphisme stylisé et géométrique a été influencé par le design industriel, l’architecture, l’automobile et le mobilier des années quarante, cinquante mais aussi l’art déco. On y retrouve l’influence du style atome, et du cubisme. Il est actuellement, avec Joost Swarte, un des principaux représentants du style “ligne claire”. C’est un artiste très créatif, auteur de bande-dessinée, de nombreuses illustrations, des affiches que l’on trouve en lithographies. (d’après WIKIPEDIA.FR)
Cette image est tirée d’un ensemble publié par l’éditeur liégeois Ding Dong Paper en 2016. Digne représentant de la ligne claire dans les années 80, Ever Meulen est donc influencé par le graphisme d’Hergé. On le voit ici par l’omniprésence de la ligne, qui cerne chaque élément de la composition. On retrouve également une automobile et des éléments architecturaux modernistes, motifs récurrents chez cet auteur.
[RTBF.BE, 5 juillet 2018] Le film Shoah du Français Claude LANZMANN (1925-2018) est entré dans l’histoire du cinéma, par sa durée (9h30), sa forme (pas d’images d’archives) et son propos : raconter ‘l’indicible’, l’extermination systématique des Juifs par les nazis.
Le mot ‘Shoah’ -il apparaît dans la Bible et signifie en hébreu ‘anéantissement’– s’est désormais imposé dans le langage courant. “On s’est mis partout à dire ‘la Shoah’, ce nom a supplanté ‘Holocauste‘, ‘Génocide‘ ou ‘Solution finale‘“, selon le réalisateur.
Des milliers d’articles, d’études, de débats ont été consacrés à ce documentaire, sorti en 1985 et maintes fois récompensé -notamment par un César d’honneur en 1986-, vu par des dizaines de millions de spectateurs dans le monde entier, enseigné dans les écoles. Shoah traite uniquement des camps d’extermination en Pologne (ce qui a longtemps été dénoncé par les autorités de ce pays) : Chelmno, Treblinka, Auschwitz-Birkenau. Il raconte aussi le processus d’élimination du ghetto de Varsovie.
Durant dix campagnes de tournage, le cinéaste a méthodiquement suivi les traces de l’infamie, identifiant les lieux du génocide et écoutant des survivants et des témoins des camps. Peu de séquences ont été rejouées ou préparées. Claude Lanzmann a parfois été contraint d’utiliser un faux nom, des faux papiers et une caméra cachée pour interroger d’anciens nazis : “Shoah est, à beaucoup d’égards, une investigation policière, et même un western dans certaines parties.“
Ce film d’histoire au présent, selon lui, ne comprend aucun commentaires d’experts ou d’historiens. “Il n’y a aucune voix off pour dire quoi penser, pour relier de l’extérieur les scènes entre elles. Ces facilités, propres à ce qu’on appelle classiquement un documentaire, ne sont pas autorisées dans Shoah”, a-t-il expliqué.
‘Course de relais’ de 12 ans
Sa réalisation fut une aventure de longue haleine puisque la préparation et le tournage s’échelonnèrent de 1974 à 1981 et que le montage (il y eut 350 heures de prises de vues !) dura presque 5 ans.
“Je n’ai jamais cessé de me battre avec et pour ce film, qui était une course de relais de douze interminables années. J’ai eu la force et la folie de prendre mon temps, c’est ce dont je suis le plus fier, je n’ai obéi qu’à ma propre loi“, a expliqué Claude Lanzmann, en allusion aux divers problèmes (notamment financiers) rencontrés.
Parmi plusieurs scènes d’anthologie, figure celle de ce coiffeur, visage plein cadre, racontant avec peine comment il coupait les cheveux des femmes avant d’entrer dans la chambre à gaz. Sans pouvoir leur dire ce qui les attendait, sous peine de partir dans la mort avec elles. Claude Lanzmann a recherché cet homme pendant des années, avant de le retrouver en Israël et d’avoir l’idée de le filmer en train de raconter son histoire… dans un salon de coiffure près de Tel-Aviv. “On m’a souvent reproché mon sadisme dans les questions. C’est faux, c’est un accouchement fraternel. Les larmes du coiffeur sont pour moi le sceau de la vérité“, a souligné le réalisateur.
Le film a été présenté en 2012 en Turquie. Selon l’association Projet Aladin (qui milite notamment pour un rapprochement entre juifs et musulmans), c’est la première fois qu’il a été diffusé sur une chaîne publique dans un pays musulman.
Claude Lanzmann a reçu un Ours d’or d’honneur à la Berlinale en 2013 pour l’ensemble de son oeuvre, récompense qui eut bien sûr un retentissement particulier : “j’ai toujours pensé que Shoah aiderait profondément les Allemands à se confronter à ce terrible passé.“
Lanzmann, Sartre et de Beauvoir à table…
[FRANCECULTURE.FR] Claude Lanzmann est né le 27 novembre 1925 dans une famille d’origine juive d’Europe de l’Est. Pendant la guerre il s’engage dans les Jeunesses communistes et dans la Résistance à Clermont-Ferrand. A la sortie de la guerre, il suit des études de philosophie puis il décide de partir enseigner à Berlin. De retour en France il se lance dans une carrière de journaliste et rencontre en 1952 Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre qui lui propose de participer au comité de rédaction des Temps modernes. Il devient le compagnon de Simone de Beauvoir durant sept ans. Dans les années 70, Claude Lanzmann s’ouvre au cinéma avec des films documentaires comme Pourquoi Israël (1973) et le monumental Shoah d’une durée de 9 heures 30, sorti en 1985, fruit de douze années de travail autour de la parole des protagonistes des camps de concentration. Il tourne également Tsahal en 1994 ou encore Le dernier des injustes en 2013. En 2017 il s’éloigne de la question juive et consacre un film à la Corée du Nord, Napalm. En 2009, il publie un livre de mémoire Le Lièvre de Patagonie (Gallimard). Il est mort le 5 juillet 2018, à Paris.
[LEMONDE.FR, 5 juillet 2018] Claude Lanzmann, à propos de « Shoah », en 2005 : “Si j’avais pu ne pas nommer mon film, je l’aurais fait.” Comment nommer l’innommable ? Le cinéaste expliquait, en 2005 au journal Le Monde, comment il avait finalement choisi d’utiliser ce mot de Shoah pour son film qui retrace les horreurs nazies :
(…) Au cours des onze années durant lesquelles j’ai travaillé à sa réalisation, je n’ai donc pas eu de nom pour le film. Holocauste, par sa connotation sacrificielle et religieuse, était irrecevable ; il avait en outre déjà été utilisé. Mais un film, pour des raisons administratives, doit avoir un titre. J’en ai tenté plusieurs, tous insatisfaisants.
La vérité est qu’il n’y avait pas de nom pour ce que je n’osais même pas alors appeler “l’événement”. Par-devers moi et comme en secret, je disais “la Chose”. C’était une façon de nommer l’innommable. Comment aurait-il pu y avoir un nom pour ce qui était absolument sans précédent dans l’histoire des hommes ? Si j’avais pu ne pas nommer mon film, je l’aurais fait.
Le mot Shoah s’est imposé à moi tout à la fin parce que, n’entendant pas l’hébreu, je n’en comprenais pas le sens, ce qui était encore une façon de ne pas nommer. Mais, pour ceux qui parlent l’hébreu, Shoah est tout aussi inadéquat. Le terme apparaît dans la Bible à plusieurs reprises. Il signifie “catastrophe”, “destruction”, “anéantissement”, il peut s’agir d’un tremblement de terre ou d’un déluge.
Des rabbins ont arbitrairement décidé après la guerre qu’il désignerait “la Chose”. Pour moi, Shoah était un signifiant sans signifié, une profération brève, opaque, un mot impénétrable, infracassable, comme un noyau atomique.
Quand Georges Cravenne, qui avait pris sur lui l’organisation de la première du film au Théâtre de l’Empire, m’a demandé quel était son titre, j’ai répondu : Shoah.
– Qu’est-ce que cela veut dire ?
– Je ne sais pas, cela veut dire ‘Shoah’.
– Mais il faut traduire, personne ne comprendra.
– C’est précisément ce que je veux, que personne ne comprenne.
Je me suis battu pour imposer Shoah sans savoir que je procédais ainsi à un acte radical de nomination, puisque presque aussitôt le titre du film est devenu, en de nombreuses langues, le nom même de l’événement dans son absolue singularité. Le film a été d’emblée éponyme, on s’est mis partout à dire la Shoah. L’identification entre le film et ce qu’il représente va si loin que des téméraires parlent de moi comme de ‘l’auteur de la Shoah’, ce à quoi je ne puis que répondre : “Non, moi, c’est Shoah, ‘la Shoah’, c’est Hitler.”
SHOAH
Réalisation : Claude Lanzmann | Image : Dominique Chapuis, Jimmy Glasberg, William Lubtchansky | Son : Bernard Aubouy | Montage : Ziva Postec, Anna Ruiz | Coproduction : Les Films Aleph, Historia Films, Ministère de la Culture | France, 1985, 570′
[DAARDAAR.BE, 10 janvier 2022] “Il n’y a pas suffisamment de diversité sur les lieux de travail. On ne peut être véritablement soi-même que dans des environnements inclusifs.” Il serait utile de définir en premier lieu le sens que l’on donne à ces deux notions clés, car les activistes du mouvement woke en ont une lecture différente de la majorité de la population.
Mais qu’est-ce que la culture “woke” exactement ? Cette dernière est obsédée par la couleur de peau, la race, le genre ou l’orientation sexuelle. Mark Elchardus définit cette recherche d’identité ou ce particularisme identitaire dans son dernier livre Reset comme “un cas d’école démontrant comment des actes inspirés par le désir d’égalité et de dignité peuvent basculer et conduire à des manifestations mesquines, voire haineuses.“
Les environnements favorables aux militants woke évoluent très rapidement vers un climat d’autocensure et de répression. La liberté d’expression n’est effectivement plus de mise si l’on peut être licencié pour des propos tenus. Quand votre employeur ne vous considère plus comme un individu, mais vous réduit au statut de membre d’une catégorie identitaire à laquelle vous appartenez et dont vous possédez certaines caractéristiques, il est question ni plus ni moins de racisme et de sexisme. C’est une évolution dangereuse, à contre-courant des principes d’équité.
Traditionnellement, la droite a toujours été considérée comme l’ennemi de la liberté d’expression, la gauche incarnant, quant à elle, la rébellion contre toute restriction du droit à l’expression individuelle. Fait surprenant, les rôles s’inversent aujourd’hui. La gauche libérale et la gauche radicale repoussent désormais les limites du discours haineux et les opinions deviennent subitement des délits. Qui plus est, la définition du “discours haineux” change constamment.
Les grandes entreprises sont la nouvelle ligne de front d’une lutte de pouvoir qui transite par les départements de ressources humaines et vise à promouvoir la philosophie woke. On voit tout à coup apparaître des groupes de réseaux d’employés et des formations à la réaction aux préjugés où les travailleurs sont sensibilisés aux “micro-agressions” et redirigés vers “espaces sûrs“.
L’objectif reste le même : sous le prétexte de plus d’équité, de diversité et d’inclusion, on impose des restrictions en matière de liberté d’expression et d’usage de la langue. Le résultat ? Plus personne n’ose s’exprimer de peur de stigmatiser une minorité quelconque. Que ce climat soit défavorable à une bonne ambiance entre collègues ou même à la communication entre les travailleurs et diverses “minorités” autoproclamées importe visiblement peu.
Ce climat de peur et de répression alimente un jeu de pouvoir où une petite minorité radicale veut imposer sa volonté à une grande majorité silencieuse. Elle déploie à cette fin une large palette de mesures pour brider la libre communication. Les codes de conduite, espaces sûrs, formations à la réaction aux préjugés et autres dîners citoyens sont tous des instruments du “grand arsenal répressif woke“. Dans un chapitre de son livre Jouer sa peau intitulé “Le plus intolérant gagne : la dictature de la petite minorité“, Nicholas Nassim Taleb explique comment une majorité silencieuse peut être soumise à la volonté d’une petite minorité militante.
Le mouvement woke considère nos caractéristiques extérieures immuables comme notre principal patrimoine. Il voit la société à travers le prisme réducteur du conflit entre les opprimés et les oppresseurs. Selon lui, le statut d’oppresseur ne repose pas sur le comportement, mais sur le genre et la couleur de peau. L’homme hétéro blanc est la tête de Turc. La politique identitaire déshumanise des groupes dans notre société en s’appuyant sur leurs caractéristiques extérieures immuables. C’est non seulement raciste et sexiste, mais il ne faut pas oublier que les deux grandes religions séculières du siècle dernier, le nazisme et le communisme, nous ont appris qu’elle conduit toujours et partout à la violence, aux goulags et au génocide.
Après la crise financière de 2008, de grandes entreprises ont vu en l’idéologie woke une bouée de sauvetage pour redorer leur image écornée sans nécessiter de véritable réforme ou réparation des erreurs du passé. Le woke, c’est la vertu sans les actes. La diversité et l’inclusion sont des concepts creux pour détourner l’attention et dissimuler un manque de responsabilité. Ils divisent aussi les travailleurs, ce que les employeurs veulent absolument éviter.
[LESOIR.BE, 28 décembre 2021] A quelques jours de 2022, c’est le moment de tirer le bilan de 2021. Nous avons demandé à l’écrivain Philippe MARCZEWSKI, Prix Rossel 2021 avec Un corps tropical, de le faire pour nous. Voici son texte :
Assis une nuit à sa table la tête sur les mains il se vit se lever et partir.
C’est l’incipit de Soubresauts, la dernière œuvre en prose de Samuel Beckett publiée en 1989. Et c’est la première phrase à laquelle j’ai pensé après avoir raccroché le téléphone, le jour où j’ai été invité à écrire un texte qui ferait, en quelque sorte, le bilan de l’année.
Le bilan de l’année : mieux vaudrait ne pas y penser, me suis-je dit. “Assis une nuit à sa table la tête sur les mains il se vit se lever et partir.” C’est ce sentiment-là, exactement : je me vois me lever et partir. Ma main à couper que je suis loin d’être le seul.
Chapitre 1 : “Ah ! ficher le camp de cette ambiance mortifère !”
J’ai toujours aimé les histoires de disparition : dire salut à la ronde, au revoir, à demain et claquer derrière soi la porte du bureau puis tout quitter sur un coup de tête, abandonner les outils sur l’établi, le repas dans le four et filer à l’anglaise. Prendre le premier train et se faire une autre vie à quelques dizaines de kilomètres ou à l’autre bout du monde. (Parfois, après deux ou trois décennies, une photographie surgit et dans le flou de l’arrière-plan un visage familier semble apparaître, trace fantomatique). Au Japon, on appelle johatsu toutes ces personnes qui disparaissent volontairement, changent de région et abandonnent leur identité. A cause de dettes, d’un licenciement ou d’une séparation. On dit qu’il y en a 80.000 chaque année. Une nuit ou peut-être un matin assis à leur table, ils se voient se lever et partir, et le font.
Souvent ces derniers temps je me chante à moi-même Apeman, un morceau des Kinks signé Ray Davies : “I don’t feel safe in this world no more / I don’t wanna die in a nuclear war / I wanna sail away to a distant shore and make like an apeman.” La tentation est grande de tout envoyer promener, c’est vrai. Je me trouverais un refuge pour vivre peinard avec famille et proches amis, sans grand monde autour. Un johatsu collectif, pour ainsi dire. Une île déserte, une épaisse forêt vierge ou, à défaut, une cabane perchée sur le mont Lozère. “’Cause the only time that I feel at ease / Is swinging up and down in a coconut tree / Oh what a life of luxury to be like an apeman.” Vivre en homme-singe, la vie serait plus douce, j’en fais le pari. Je m’y vois : Tarzan rangé des crocodiles, sirotant sans urgence le lait à même la noix de coco, m’offrant à l’occasion une virée de liane en liane en prenant garde de ne jamais m’approcher du reste de mon espèce.
Ah ! ficher le camp de cette ambiance mortifère ! Ne plus entendre parler de taux de contamination, d’engorgement hospitalier, de tests PCR, d’unités covid, de gestes barrières, de cours en distanciel… Ni d’ailleurs de changement climatique, de disparition des espèces, de hausse des coûts de l’énergie, de sortie du nucléaire et d’inondations… C’est trop de vacarme, tout ça. Tous ces mots… A vrai dire, pas même des mots mais seulement des sons, répétés à l’envi chaque jour, encore et encore jusqu’à nous encombrer l’esprit, l’embourber, jusqu’à prendre la place de toute pensée, de tout discours, jusqu’à avaler tout entières les discussions entre amis comme le ferait un trou noir… Trop de vacarme que tous ces phonèmes atomisant le sens, façon hare Krishna hare hare, comme un mantra qui jamais n’ouvre un état supérieur de conscience, Codeco CST tour de vis Gems Codeco télétravail Gems testing tracing CST Codeco PCR… Et tous ces mots dans la bouche de tous ces gens avec leur avis sur tout, leurs certitudes, leurs slogans écrasant toute nuance – jamais le moindre doute !
Ah ! mais c’est que je n’en peux plus de tous ces gens ! J’aimerais tant les jeter tous ensemble dans le même gouffre d’oubli ! Vaccinés ou pas, hop, c’est égal ! Foutre le camp et tout oublier !
On voudrait faire la liste de tout ce qui nous pousse à déguerpir qu’on ne le pourrait pas. Autant compter les grains de sable sur la plage d’Ostende. Alors oui, se lever et partir. Et s’enfuir, pour être exact. “Sail away to a distant shore and make like an apeman.” Mais à dire vrai, nous n’avons plus nulle part où fuir.
Nulle plage lointaine, aucun cocotier où se balancer, plus de refuge à l’abri des troubles du monde : il faut faire le deuil des rêves d’évasion.
Ce que c’est qu’une pandémie, tout de même ! Et une planète amochée !
C’est fichu, les cachettes secrètes. Il n’y a plus d’Amérique, plus d’Australie, plus de terre lointaine où tout recommencer. Le piège s’est refermé sur nous. Partout le même bruit infernal, la même sidération face aux problèmes que nous avons créés. Partout trop de monde, trop d’avis péremptoires qui résonnent sans fin dans les mêmes chambres d’écho mondialisées et numériques, miniaturisées jusqu’à tenir dans nos poches. Partout l’impossibilité de résoudre quoi que ce soit de l’extrême complexité du monde que nous avons bâti. Où que nous allions, rien de ce que nous voulons fuir n’est absent. Partout la forêt brûle et nous sommes huit milliards.
Si c’était encore possible, je crois que je fuirais en Europe – je veux dire, je chercherais refuge dans l’idée de l’Europe avec laquelle j’ai grandi. Elle avait fière allure cette idée, avec tous ces pays jadis ennemis, désormais rassemblés, promettant de ne plus envoyer leur jeunesse à la grande boucherie de la haine, plus jamais la guerre, et de tenir ferme comme la barre d’un brise-glace les idées de justice, de démocratie et d’humanisme ; des pays jurant de métisser leur sang et leurs cultures, d’abolir les frontières et de servir d’exemple au monde entier. Dernièrement, comme j’aidais ma fille de onze ans pour un travail scolaire, je lui ai à mon tour vanté cette idée forte. Et je lui ai dit, tu sais c’est pour cette même idée que tant de gens risquent leur vie pour venir en Europe ! Pour la justice, la paix et l’humanisme. Et la possibilité de vivre mieux. D’être protégé par un bouclier de valeurs et de principes. La justice, la paix et l’humanisme, ai-je répété, pas très assuré.
Chapitre 2 : “On ne se représente pas facilement 25.000 corps humains, quel charnier ça fait”
Les chiffres les plus récents que j’ai pu trouver sont ceux-ci (source ONU) : sur l’année 2021, en date du 22 novembre, plus de 1.300 personnes ont perdu la vie en Méditerranée centrale, c’est-à-dire sur la voie maritime qui mène à l’Italie depuis les côtes d’Afrique du Nord.
Au 14 juillet, on dénombrait aussi 149 morts en Méditerranée occidentale et 6 en Méditerranée orientale, mais je n’ai pas trouvé de mise à jour plus récente de ces chiffres-là, lesquels ont peut-être doublé. Il est raisonnable alors de penser que, au soir du 31 décembre, le total des personnes mortes en 2021 en tentant de traverser la Méditerranée dépassera 1.500.
A ces chiffres il faut bien sûr ajouter (toujours au 14 juillet) 250 personnes mortes dans les eaux de l’océan Atlantique en essayant d’atteindre les îles Canaries depuis l’Afrique de l’Ouest – mais là encore, c’est un nombre extrêmement sous-estimé (des centaines de naufrages invisibles, c’est-à-dire des embarcations disparues corps et biens, ont été signalés par des ONG et sont presque impossibles à comptabiliser). Il faut aussi tenir compte d’un nombre encore indéterminé de morts à la frontière polonaise (probablement une vingtaine) et du nombre de morts dans les eaux de la Manche entre Calais et les côtes anglaises (au moins 27).
J’allais oublier : à la date du 22 novembre, près de 30.000 personnes avaient été reconduites en Libye sans même avoir pu mettre le pied sur une côte européenne. En Libye où, en raison de détentions arbitraires, extorsions, disparitions et tortures, il est difficile de tenir un compte précis des morts et des vivants.
Un sacré bilan 2021, pas vrai ?
Et depuis 2014 : au moins 25.000 morts.
On ne se représente pas facilement 25.000 corps humains, quel charnier ça fait.
Quand on regarde une foule éparpillée dans la ville, mouvante, affairée à vivre, on ne réalise pas, le cerveau ne conceptualise pas, 25.000 c’est un chiffre abstrait, alors voici, regardez : ce texte fait à peu près 18.000 signes, espaces comprises. C’est très en dessous de 25.000 mais enfin, faisons avec ces deux pages : chaque lettre et chaque espace représentent une personne morte d’avoir voulu gagner l’Europe. Regardez-les une à une, je le répète : chacune est un corps. Non, n’atténuons pas : un cadavre – nom brutal pour une réalité brutale – un cadavre qui autrefois était une personne, avec une vie, une histoire, des parents et des amis qui peut-être espèrent encore que le silence ne soit pas la mort. 18.000 signes pour 18.000 cadavres. Et il en manque. Et il en manque beaucoup.
Encore quelques chiffres : en 2020, la population de l’Union européenne a diminué d’environ 300.000 personnes – moins de naissances, plus de décès, moins d’immigration, plus d’émigration (beaucoup d’Européens se sont vu se lever et partir, il faut croire). Et c’est en tenant compte des 280.000 personnes à qui l’UE a accordé une protection. En 2020, 396.000 personnes ont reçu un ordre de quitter le territoire (mais la plupart sont restés et vivent désormais dans la peur). Entre janvier et juillet 2021, on a dénombré 85.700 franchissements clandestins de frontières, ce qui, à l’estime, doit faire plus de 150.000 à ce jour.
L’Union européenne compte 447 millions d’habitants dont seuls 5,1 % ne sont pas citoyens européens et 8,3 % sont nés en dehors de l’Union (contre 15,3 % aux USA, 19,2 % en Islande, 30,1 % en Australie ou 43,1 % à Singapour, par exemple). 150.000 personnes franchissant les frontières, c’est 0,03 % de la population européenne. Et 0,03 % des 18.000 signes de ce texte : quatre lettres et demie.
Je sais bien : les chiffres, on leur fait dire ce qu’on veut. Et mieux encore, on les fait taire comme on veut : quand on les accumule, quand on manie des ordres de grandeurs dont il est impossible de se faire une représentation, entre la poire et le dessert, entre deux sujets au journal télévisé, les chiffres ne disent plus rien, réduits à un bruit blanc, presque un acouphène et ensuite, quand on est bien certain de les avoir abstraits de la réalité qu’ils décrivent, il est facile de parler de submersion migratoire, de grand remplacement ou de ne pas accueillir toute la misère du monde (refrain connu).
Les chiffres il faut les dire et aussitôt les briser pour extraire toute la moelle humaine cachée à l’intérieur.
Ces chiffres, ce sont des hommes et des femmes, de jeunes personnes, des enfants. Un chiffre, ça ne parle pas, ne témoigne pas. Un chiffre ne marche pas des milliers de kilomètres en laissant tout derrière soi. Un chiffre ne subit pas de torture. Un chiffre ne croupit pas dans un camp. Un chiffre ne monte pas en tremblant de peur autant que d’espoir dans un canot pneumatique surchargé. Un chiffre ne s’aventure pas sur une mer immense en pleine nuit. Un chiffre n’a pas faim, n’a pas soif. Un chiffre ne se débat pas pour garder la tête hors de l’eau, ne hurle pas de désespoir et de terreur, un chiffre ne sent pas l’eau salée remplir ses narines. Un chiffre ne se sent pas mourir, un chiffre ne se noie pas.
Un chiffre ne se noie pas ! Un humain, oui.
Vingt-cinq mille humains se sont déjà noyés en sept ans. Il y en aura quelques milliers de plus l’année prochaine.
Il faut lire un livre très important paru cette année – Des îles, de Marie Cosnay, aux éditions de l’Ogre. Il faut y lire les noms de Mamadou, Alphonse, Ange-Carole, Ahmed (devenu Amidou), Fatou et beaucoup d’autres. Lire les récits des mères sans nouvelles de leurs fils. Les mensonges de ceux qui exploitent – rabatteurs, trafiquants – pour ne jamais admettre la mort : s’il ne vous appelle pas, c’est qu’il ne le souhaite pas. Il faut lire les disparitions, les recherches d’indices et de traces pour savoir si untel est bien en vie, si une autre est bien morte. Et lire le récit des mille morts possibles, désert, coups de couteau, torture, noyade… De ce qu’il faut faire pour survivre, pour espérer traverser, pour subsister quand on a réussi. Et la façon dont la migration empêchée et criminalisée abîme les liens, les amours, les familles.
Il faut lire ce livre – un livre sans chiffres, avec des corps, des personnes et des noms. Le silence noie. Tant de corps, enfouis dans l’océan, que les familles n’enseveliront jamais. Combien dans la mer d’Alborán ? Nomades à jamais, à jamais attendus.
Chapitre 3 : “La Pologne, que l’on a enfermée derrière un mur pendant des décennies, envisage d’en construire un”
Si je pouvais, malgré tout, je fuirais en Europe – l’Europe comme on l’espérait.
Dans les années 80 – le mur de Berlin était encore debout – quand nous allions en Pologne voir la famille nous traversions la frontière entre les deux Allemagne en passant au ralenti sous les miradors, des soldats pointaient sur nous des mitrailleuses, on n’était pas à l’aise mais on crânait un peu. On regardait les douaniers démonter pièce à pièce des voitures, comme ça, au hasard, et chercher ce qui pouvait être caché : du sucre, des cigarettes de contrebande. Plus loin à la frontière polonaise on filait du chocolat (trois ou quatre tablettes) et du café (un kilo) aux gardes pour qu’ils nous laissent passer sans histoire. Là-bas les cousines de mon âge voulaient venir à l’ouest. Ça leur faisait envie, ça se sentait : j’avais de la chance, moi, d’être né de l’autre côté et pourquoi ? Parce que mes grands-parents étaient partis et les leurs, non. L’Europe leur était désirable : pouvoir aller et venir où l’on veut, ne pas se lever à quatre heures du matin pour faire la queue à la boulangerie, boire du Coca, regarder MTV, ne pas couper le moteur de la voiture pour économiser l’essence dans les descentes… Ne pas se sentir surveillé. Ne pas se sentir en prison. Et moi je l’aurais bien aimée cette Europe, elle me faisait envie aussi, avec la Pologne dedans, débarrassée de l’injustice de naître du bon côté d’un mur.
Mais bientôt la Pologne construira un mur le long de la frontière biélorusse.
Des barreaux de cinq mètres de haut et des barbelés, ai-je lu, sur 180 kilomètres.
Un pays que l’on a enfermé derrière un mur pendant des décennies et qui rêvait de libre circulation – je le sais, je l’ai vu, je me souviens de tout – envisage d’en construire un, et nous allons laisser faire, lâchement, parce que ça nous arrange. Pour le moment, des milliers de personnes – des familles kurdes, irakiennes, syriennes – sont prises en tenaille entre l’armée biélorusse et 15.000 soldats polonais. Il fait dix degrés au-dessous de zéro. Des tombes ont été creusées dans la forêt. On y a mis des corps, déjà.
Je sais ce qu’on me répondra : géopolitique, angélisme immature, un peu de réalisme voyons, appel d’air, accueillez-les chez vous, etc. Et pourquoi viennent-ils, d’abord ? Pourquoi insistent-ils ? Eh bien je n’en sais rien et ce n’est pas mon affaire. Enfin j’ai mon idée, remarquez : ils sont Kurdes, Irakiens, Syriens. Pour des raisons qui leur sont propres – du genre la guerre, l’absence d’avenir – ils se lèvent et ils partent. Qui sommes-nous pour leur en faire reproche ?
Et qui les a amenés là on le sait, on a compris. Mais peu importe, ils sont là maintenant.
L’Europe n’est pas à la hauteur, c’est peu de le dire. La politique migratoire de l’Union européenne provoque chaque année la souffrance et la mort de milliers de personnes qui tentent de rejoindre son territoire. En renvoyant en Libye sans recours possible des personnes interceptées en mer, l’UE ne respecte pas la Convention relative aux réfugiés de 1951, dont elle est signataire et qui établit le principe de non-refoulement. L’UE délègue à des régimes qu’elle n’accepterait pas en son sein la tâche de bloquer, par n’importe quel moyen, les routes de la migration. Elle rend difficiles les conditions d’obtention d’un visa pour pénétrer sur son sol par voie légale. L’Europe, en notre nom, laisse les Etats perpétrer des infamies à ses frontières. Ce faisant elle empêche les ONG de secourir des humains en détresse. Elle multiplie les tracasseries administratives. Elle transforme ses îles en prison et utilise les ressorts du règlement de Dublin pour tuer dans l’œuf tout espoir et faciliter les renvois. Elle criminalise les personnes sans papiers, les enferme, les déporte, même si elles sont installées depuis longtemps, intégrées, paisibles.
Angélisme, et quand bien même ? Je dis : Justice. Humanisme. Principes fondamentaux.
Personne n’a encore démontré que l’entrée annuelle de l’équivalent de 0,03 % de sa population sur un territoire de 2,734 millions de km² soit de nature à mettre l’Europe en péril. Des gens qui veulent travailler, vivre en paix. Au contraire.
Conclusion : “Quelle ironie!”
Il me semble souvent vivre dans les ruines d’une idée – une Merveille du Monde, autrefois. Il ne reste que quelques pierres et beaucoup de fantômes. Nous nous habituons à cette rouille, nous ne la voyons plus ou préférons l’ignorer. Nous ignorons les cris et le visage de Semira Adamu. Nous oublions le corps du petit Aylan Kurdi couché sur une plage. Et nous nous sommes habitués au visage de Mawda. Nous détournons les yeux quand des femmes et des hommes se cousent la bouche pour réclamer des papiers, la régularisation administrative d’une vie qu’ils se sont fait ici et qui ne nuit à personne. Nous acquiesçons sévèrement quand on leur dit la règle c’est la règle, alors qu’on bafoue tous les jours des traités internationaux signés en notre nom. Nous avons oublié que l’Europe et ses Etats ont laissé pendant des jours errer en mer l’Aquarius avec à son bord 629 personnes, plutôt que de les accueillir sans délai par simple devoir d’assistance. Nous tolérons, au sein même de nos institutions, la rigidité insupportable de l’Office des étrangers, bastion de l’arbitraire qui rend possible que des personnes en ordre de visa, arrivant légalement pour suivre des études ou assister à des colloques, soient emprisonnées à leur arrivée en Belgique, privées de leurs documents et traitées en criminels.
Mille cinq cents morts cette année, le voilà le bilan.
On peut agir, bien sûr – nourrir, héberger, convoyer, aider pour la paperasse. Il y a des associations, faciles à trouver. Mais en réalité tout cela nous dépasse, il faut exiger plus.
Ah ! déguerpir de cette Europe-là qui nous fait honte… Quand eux rêvent d’y vivre en paix… Quelle ironie !
Regarde-les donc bien ces apatrides, toi qui as la chance de savoir où sont ta maison et ton pays, toi qui à ton retour de voyage trouves ta chambre et ton lit prêts, qui as autour de toi les livres que tu aimes et les ustensiles auxquels tu es habitué. Regarde-les bien, ces déracinés, toi qui as la chance de savoir de quoi tu vis et pour qui, afin de comprendre avec humilité à quel point le hasard t’a favorisé par rapport aux autres.
Regarde-les bien, ces hommes entassés à l’arrière du bateau et va vers eux, parle-leur, car cette simple démarche, aller vers eux, est déjà une consolation ; et tandis que tu leur adresses la parole dans leur langue, ils aspirent inconsciemment une bouffée de l’air de leur pays natal et leurs yeux s’éclairent et deviennent éloquents.
Telle est bien en effet notre nature : tout le mal qui a lieu ici-bas, nous en sommes informés. Chaque matin, le journal nous lance en pleine figure son lot de guerres, de meurtres et de crimes, la folie de la politique encombre nos pensées, mais le bien qui se fait sans bruit, la plupart du temps nous n’en savons rien.
Or cela serait particulièrement nécessaire dans une époque comme la nôtre, car toute œuvre morale éveille en nous par son exemple les énergies véritablement précieuses, et chaque homme devient meilleur quand il est capable d’admirer avec sincérité ce qui est bien.
Stefan ZWEIG, Voyages (1902-1939)
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[LEFICTIONAUTE.COM, revue PARALLELES, juillet 1997] Le quatrième numéro de Parallèles, consacré à la politique, nous avait permis de rencontrer Pierre Christin, journaliste, romancier et scénariste de bande dessinée de talent, notamment de la série Valérian, mise en image par Jean-Claude Mézières. Il apparaissait donc logique de rencontrer Mézières, un des pionniers en France en matière de science-fiction et de bande dessinée. En effet, Mézières figure dans cette génération qui, à la fin des années soixante, a marqué l’évolution de la bande dessinée en travaillant dans le fameux journal Pilote. Professionnel exigeant et rigoureux, Mézières n’hésite pas à utiliser les techniques les plus diverses pour optimiser la narration d’une histoire. À l’image de son collaborateur et ami Pierre Christin, Mézières se veut avant tout conteur. Grâce à son style baroque et efficace, Jean-Claude Mézières a fait de Valérian une série culte pour les amateurs de bande dessinée. La rencontre eut lieu dans le cadre du festival de bande dessinée de Perros-Guirec, les 18 et 19 avril 1997. C’est au bord de la mer, entre deux dédicaces, que Mézières nous a parlé de son travail. Différents aspects de son parcours ont été évoqués comme notamment sa fructueuse collaboration avec Luc Besson, dont le film Le Cinquième Élément remporte encore un succès considérable.
lefictionaute : Qu’est-ce que qui vous a amené à faire de la bande dessinée ?
Jean-Claude Mézières : Pour la plupart des auteurs, faire de la bande dessinée est une envie que l’on a dès le plus jeune âge. Ce n’est pas le cas de tous. Mais une grande partie des dessinateurs de bande dessinée en dessinait durant leur enfance. J’en faisais partie. Je dessinais des histoires quand j’avais 6-7 ans. J’ai publié à une époque où la bande dessinée n’était pas prestigieuse, dans des petits canards comme Cœurs Vaillants. Je devais avoir 15 ans. Mais ce genre n’intéressait personne.
Vous avez ensuite suivi des études d’arts appliqués.
Jean-Claude Mézières
En effet, je suis rentré à 15 ans aux arts appliqués. C’est une école de dessin technique, où j’apprenais le papier peint, le dessin sur tissus. On faisait aussi un peu de croquis, de nature morte, de perspective. Dans cette classe, il y avait un dénommé Jean Giraud, ainsi que Pat Mallet. Ce dernier a publié notamment en Allemagne et dans Lui. Il s’est plus orienté vers le dessin humoristique. Nous étions amis et tous les trois intéressés par la bande dessinée. Le reste de la classe (une trentaine d’élèves) avait peu de considération pour ce genre : beaucoup trouvaient cela vulgaire, inintéressant. Pourtant, la bande dessinée commençait à avoir une certaine renommée. Franquin et Hergé étaient considérés comme des piliers. Je me souviens d’avoir vu Franquin avec mon carton à dessin vers l’âge de 18 ans. Il habitait la banlieue parisienne. Parallèlement, je travaillais aussi chez Fleurus. Giraud est devenu professionnel à 17 ans. Je publiais bien sûr, mais je n’étais pas vraiment convaincu d’avoir envie de faire de la bande dessinée. D’autant plus que Giraud était un solide et brillant concurrent ! Mais je trouvais cela formidable d’être payé pour ces dessins tout en continuant à faire des études, notamment par rapport à ma famille. Et puis des circonstances m’ont amené provisoirement à laisser de côté la bande dessinée. Le service militaire notamment. Deux ans et demi de service n’arrangent pas les situations. C’était pendant la guerre d’Algérie. J’ai fait un an là-bas et j’ai peu dessiné, contrairement à Giraud.
Cette année en Algérie a-t-elle eu une influence sur votre œuvre ?
Elle a engendré un antimilitarisme primaire, absolu ! Passons…
On parlait de votre amitié avec Jean Giraud, mais on ne peut occulter celle avec Pierre Christin.
Pierre et moi sommes des amis d’enfance. Mais Christin ne dessinait pas et se destinait à l’origine à une carrière universitaire. Ce qui nous rapprochait, c’était le jazz, la lecture des romans de science-fiction, la littérature fantastique, le cinéma américain. On découvrait le cinéma américain des années 50. La bande dessinée, la science-fiction, le cinéma étaient des cultures marginales, peu reconnues. Encore que le cinéma commençait à être considéré grâce à des hommes comme Truffaut, Godard. Par contre, la science-fiction était un domaine complètement marginal, pas du tout dans la mouvance de l’époque. Mais c’était passionnant.
Que vous ont apporté ces lectures ?
Ces lectures me fascinaient parce que je voulais voir autre chose. J’avais cette envie de découvrir d’autres horizons. Il fallait fuir une certaine banalité, cette banlieue parisienne un peu tristounette. Il y avait cette soif d’Amérique : c’était la terre du modernisme, des grands espaces, de l’aventure. Le jazz, le roman policier, le film noir venaient de là-bas.
Et en matière de bande dessinée, quelles étaient vos références ?
Franquin et Jijé étaient mes références, sans oublier Hergé et Morris. J’étais aussi intéressé par Jacobs en tant que lecteur, moins par son graphisme. Ses récits sont admirables ! En tout cas, même si le dessin me servait, je ne pensais pas y faire carrière. Et puis, encore une fois, il y avait le service. Deux ans et demi, cela te balayait la vie d’un homme. Difficile de faire des projets d’avenir. En revenant d’Algérie, j’ai fait de la maquette, de l’illustration, notamment au studio Hachette. Giraud travaillait avec Jijé, que je côtoyais de temps en temps. Pour résumer, j’étais plutôt loin de la bande dessinée. Mais cela m’a servi pour faire ce que j’ai fait ensuite. De toute façon, tout est utile, même le service militaire ! Je suis pour les mayonnaises ! Les problèmes de carrières, de métiers ne se posaient pas. Pourquoi deux ans et demi de service militaire ? Parce qu’il n’y avait pas de gosses ! Nous étions nés juste avant la guerre. Et ils nous maintenaient parce qu’il n’y avait pas assez de jeunes. Une fois le service militaire achevé, les possibilités de travail, de boulot, ça pleuvait ! Mon premier boulot, je l’ai trouvé dans les annonces du Figaro : “Importante maison d’édition recherche dessinateur maquettiste.” De nos jours, il y aurait 3 000 personnes à se bousculer devant la porte. À l’époque, je suis allé les voir. Ils ont regardé mon dossier : “Oui… C’est pas mal… Vous allez faire un essai…” Mais pour revenir à la bande dessinée, j’en lisais finalement très peu, mais cela m’attirait. Je regardais ce que Giraud faisait. Le cinéma me passionnait beaucoup aussi. Et puis, il y avait l’idée de partir en Amérique… Il y a eu ceux qui ont fait Katmandou, moi j’ai fait l’Ouest !
Pourquoi les États-Unis ?
Comme je l’ai dit, l’Amérique représentait pour beaucoup la terre du modernisme, mais aussi l’aventure, “les Grands Espaces“. Je suis parti avec un billet aller et sans billet retour. J’avais un visa de stagiaire industriel que j’avais obtenu grâce à un ami de Jijé. Je devais faire des dessins de charpentes métalliques à Houston au Texas. J’avais aussi la vague idée de bosser dans des agences du pub américaines. Je suis d’ailleurs allé les voir avec mon petit dossier minable. Ils ne trouvaient pas cela inintéressant, mais ils souhaitaient voir ma situation régularisée aux yeux des services de l’immigration. J’ai aussi rejoint mon ami Christin qui vivait là-bas à Salt Lake City (Utah). Il enseignait le français.
Un jour, j’ai débarqué chez lui, ma selle d’un côté, mon chapeau de l’autre en disant : “Je peux dormir sur le côté ?” (Rires). J’ai bossé pour une agence de Salt Lake City. Je faisais des illustrations pour un journal mormon ! Christin, qui avait déjà écrit quelques historiettes pour moi, me proposa de refaire une BD. Et ce fut Le rhum du Punch. On l’a envoyée à Giraud qui l’a montrée à Goscinny, lequel s’occupait de Pilote. Dans le journal, il y avait six pages consacrées à ceux qui voulaient faire un galop d’essai. L’accueil fut favorable. On en a fait une deuxième. Entre-temps ma situation était devenue illégale. Avec le chèque de la première histoire, j’ai acheté mon billet de retour… Dommage, je serais bien resté garder les vaches ! Mais je n’aurais pas fait ma vie là-bas. Je retourne de temps en temps aux USA pour des périodes plus ou moins longues, mais ce pays ne m’attire plus autant qu’avant. De retour à Paris, je suis allé voir Goscinny et j’ai commencé à bosser dans Pilote.
Vous avez vécu aux USA. Quel est votre avis sur la bande dessinée américaine ?
Je trouve qu’elle est plutôt mauvaise. Je dirais même que je vomis la bande dessinée américaine ! C’est d’une bêtise ! D’une tristesse ! Beaucoup de dessinateurs américains se rendent à Angoulême, et s’aperçoivent que la bande dessinée est mieux considérée en Europe. Quand on sait que le ministre de la Culture s’est rendu plus d’une fois au salon de la bande dessinée d’Angoulême ! Finalement, j’ai bien fait de naître de ce côté de l’Atlantique !
La première histoire de Valérian s’appelle Les Mauvais Rêves. Êtes-vous, d’une façon ou d’une autre, influencé par les rêves ?
Christin parle beaucoup de ses rêves, et s’en sert parfois comme point de départ à une histoire. Moi, je suis idiot : je me réveille en ne sachant pas ce dont j’ai rêvé… Mes rêves sont “raisonnables“. Moi, je dessine ce que je peux dessiner, contrairement à d’autres qui dessinent leurs fantasmes. Cela donne parfois des résultats horribles. Je ne crois pas à ce genre de trucs. Sauf pour certains tempéraments comme Giraud qui a créé son univers en se servant de ses rêves. Chacun gère son truc en fonction de ses possibilités et de son tempérament. À ce sujet, je crains, notamment avec le succès des séries de science-fiction, d’assister à l’émergence, à l’invasion d’univers codés. Beaucoup de gamins dessinent des vaisseaux comme ceux qu’ils ont vus dans Star Wars ou Star Trek. J’en ai marre de ces dessins de plombiers ! Des tuyaux de partout ! Ce sont des univers gris. C’est avant tout ton univers que tu dois exprimer. Tu ressors ce qu’il y a dans ta tête et dans ton ventre… Pour Valérian, il a bien fallu que je me serve de mon imaginaire pour créer des mondes nouveaux, car il n’y avait pas, ou très peu, de documents, de livres sur le fantastique.
Il y a souvent un message politique dans Valérian. Christin dresse ainsi un bilan pessimiste de l’histoire humaine dans l’album Sur les Terres truquées. Partagez-vous les opinions de Christin ?
Forcément, sinon je travaillerais avec quelqu’un d’autre ! Mais je laisse à Christin la trame de l’histoire. Je n’interviens que pour certaines anecdotes ou certains mécanismes. Cela dit, politiquement, nous sommes du même bord, avec des sensibilités peut-être un peu différentes. Nous ne sommes pas toujours d’accord. Mais c’est plus au niveau du déroulement du scénario qu’il y a parfois des désaccords. Il est évident qu’en bande dessinée, on ne peut dissocier histoire et dessin. Nous concevons ensemble l’histoire. Il y a un échange d’idées. J’interviens dans ce travail pour lui donner l’envie de créer des univers graphiques. C’est une mayonnaise assez complexe. Je m’estime responsable de l’histoire que je dessine. La façon dont je présente les univers graphiques influence le récit de Christin. Je suis bien sûr influencé par la réalité. Il y a aussi des choses que j’aime dessiner, et d’autres éléments que je trouve pénibles à dessiner, comme les perspectives. J’aime créer des univers biscornus, baroques. Je dessine ce que j’aime faire et aussi ce que je peux faire. À tous les niveaux, pour un dessinateur, tu dessines “tes possibilités“. Nous avons aussi fait ce choix, à savoir raconter une histoire qui n’a jamais été dessinée. Chaque album de Valérian est radicalement différent.
Vous n’avez jamais voulu tenter l’aventure avec un autre scénariste ?
Si je ne travaillais pas avec Christin, je travaillerais seul. Je suis plus intelligent avec Christin que tout seul ! (Rires) J’ai déjà réalisé des histoires courtes pour les Métal Hurlant. Ce qui m’intéressait, c’était de pouvoir travailler en couleur directe. Sur une histoire courte, on peut se permettre de prendre le risque. Mais ce n’est pas le cas sur une histoire de 60 pages. De même, il m’est aussi arrivé de travailler pour la publicité. J’ai ainsi réalisé des illustrations pour France Rail. Cela peut parfois être intéressant. Car même s’il y a des contraintes, on peut bénéficier de pas mal de liberté.
L’usage de l’outil informatique permet aujourd’hui d’aborder différemment la bande dessinée. Les nouvelles techniques vous séduisent-elles ?
Oui, cela m’intéresse. Ainsi, j’ai travaillé avec un infographiste sur Les Cercles du pouvoir. On a utilisé des images de synthèse sur le projet de dessin animé de Valérian. Cependant, il faut que je travaille avec des gens qui connaissent bien ce domaine. Tout seul, cela ne m’intéresse pas. Je ne me sens pas prêt à m’enfermer chez moi pour bidouiller la petite souris. Par contre, il y a un CD-Rom consacré à Valérian qui va bientôt sortir. Il y a plein de trucs en dehors de l’univers de Valérian qui m’intéressent, mais j’aime séparer les différents projets.
Vous pouvez nous parler de ce CD-Rom ?
C’est un jeu qui s’inspire des aventures de Valérian. Ils ont acheté les droits. Un ami spécialiste en informatique et grand connaisseur de l’univers s’en occupe. Christin et moi intervenons au niveau du résultat, pour juger l’ensemble, suggérer des options, des idées. J’ai vu les premières images : le résultat semble intéressant.
Nous avons évoqué votre fascination pour le cinéma. Au mois de mai, un événement cinématographique s’est produit, à savoir la sortie et le succès du Cinquième Élément, le film de Luc Besson auquel vous avez collaboré. Pouvez-vous nous en parler ?
Un jour, j’ai reçu un fax de Besson. Il voulait me voir. Il me dit : “Le cinéma américain t’a beaucoup pompé. Moi, je t’engage. Et je te paye !“
Au sujet de votre remarque, j’ai remarqué qu’il y a des similitudes entre votre travail et certains films de science-fiction…
Il y a plus que des similitudes ! Certaines scènes du Retour du Jedi ont été inspirées de L’Empire des mille planètes. Par exemple quand Dark Vador retire son casque, dévoilant son visage brulé. Il y a des atmosphères et certaines images qui se ressemblent. Certaines scènes de Conan le Barbare sont inspirées des Oiseaux du maître. Les vaisseaux d’Independence Day sont des “pompages absolus” des premiers albums de Valérian. On m’a beaucoup pillé. Mais c’est le cas de nombreux auteurs. Besson m’a donc engagé pour travailler sur son film, durant cent jours. C’était un énorme contrat. Toute l’année 1992, j’ai travaillé sur le film. Il y a des analogies étonnantes. Ainsi, je commençais à travailler sur Les Cercles du pouvoir dans lequel on retrouve un taxi volant dans l’astroport. Parallèlement, j’avais lu (en exclusivité) le scénario de Besson. Luc me demandait d’illustrer ma vision d’un New York futuriste. À un moment, dans une vue de ma ville, je me suis amusé à dessiner des petits taxis volants de couleur jaune. Cette idée a séduit Luc. Je lui ai ensuite dessiné un véhicule de police. À l’origine, le héros incarné par Bruce Willis était ouvrier dans une usine de fusées. Nous savons maintenant qu’il est chauffeur de taxi.
Avez-vous travaillé sur le story-board ?
Pas du tout. Et cela ne m’intéressait pas du tout. Contrairement à Mœbius (Giraud) qui a travaillé sur Tron, en raison des effets spéciaux très particuliers. Personnellement, travailler sur un story-board me paraît inintéressant puisque c’est du dessin aux ordres. Il n’y a aucune création. Par contre, Luc me demandait de travailler à partir de dessins de Valérian. Ainsi, je me suis inspiré du dessin de la salle de jeu de Sur les frontières, pour un des décors du Cinquième Élément. J’ai d’ailleurs vu mon dessin “matérialisé” en grandeur nature, à Pinewood (Angleterre). Tous ces dessins servaient de base pour le scénario. En fait, c’était la liberté complète d’imaginer mes visions personnelles à partir de la lecture du scénario. À partir de mes travaux, Besson donnait son avis. Je précise que je n’étais pas le seul à travailler sur le projet. Nous étions dix dessinateurs, dont mon ami Giraud. Besson construisait son film à partir de nos dessins. On travaillait en concurrence. Ainsi, plusieurs dessinateurs travaillaient sur un même personnage. Par comparaison, Luc réagissait. En ce qui me concerne, je travaillais en général sur des ambiances.
S’agit-il de votre première expérience dans le cinéma ?
Non, j’ai eu différents projets. Beaucoup ont avorté. J’ai ainsi travaillé avec Jeremy Kagan qui a réalisé Natty Gann (produit par Walt Disney). Il a aussi réalisé pour HBO Pictures un film sur Roswell. Il a réalisé d’autres films comme Heroes, The Big Fix avec Richard Dreyfuss, Par l’épée, un film sur l’escrime. Actuellement, il travaille pour la télévision. En 1986, je suis aussi intervenu sur un projet à l’origine passionnant de Peter Fleischmann, Il est difficile d’être un dieu. C’était un film de science-fiction. J’étais invité à Moscou pour les repérages, ainsi qu’en Ouzbékistan. Pas désagréable du tout comme expérience. C’était le “Far-East“ ! Ce film était au début une coproduction germano-franco-soviétique. On devait commencer le tournage en avril 1986, à Kiev. Et il y a eu Tchernobyl ! Coup de bol, on était en retard ! Je me rappelle avoir fait beaucoup de crobards. Je travaillais à partir du scénario, je faisais un peu ce que je voulais. Il y avait pas mal de liberté. On retrouve ces croquis de recherches dans Les Extras de Mézières. Le réalisateur, quant à lui, s’efforçait de résoudre ces problèmes de production. Et puis, la production a évolué, pour devenir totalement russe. Je crois qu’ils ont géré “l’impossibilité de faire ce qu’ils voulaient faire“. Le résultat est assez décevant. Les costumes, les décors étaient d’une laideur ! C’était n’importe quoi ! Cela n’avait plus rien à voir avec mon travail.
Quels sont les deux ou trois films qui vous ont le plus marqué dans le domaine de la science-fiction ?
Les films de science-fiction des années 50 m’ont beaucoup fasciné. Par exemple, Le Jour où la Terre s’arrêta. On nous ressort actuellement des remakes de ce genre de films avec des réalisations plus ou moins heureuses comme Mars Attacks ! ou Independence Day. J’aimais assez ce genre de films, encore que je ne souhaitais pas dessiner cela. Et puis il y a eu le choc, la révélation, la baffe dans la gueule : 2001, l’Odyssée de l’espace. À l’époque, je dessinais La Cité des eaux mouvantes (1968-69). Il y a eu d’ailleurs un hommage à Kubrick à la fin de l’album. J’aime beaucoup aussi le premier film de Georges Lucas : THX 1138, lequel n’a rien à voir avec Star Wars. C’est un film original, mais qui n’a pas marché, contrairement aux autres.
Est-ce que la fantasy, le fantastique vous ont un jour intéressé, ou êtes-vous résolument un auteur de science-fiction ?
Je n’aime pas les genres. Moi, ce qui me plaît dans les histoires réalisées avec Christin, c’est la “fenêtre ouverte“. J’ai envie de dessiner, on discute. Il y a un échange d’idées. Et cela débouche sur quelque chose. Cela part souvent de mes envies de dessiner un univers. Mais on ne fait pas une histoire en disant : « On va faire de l’Heroic Fantasy. » C’est un peu l’aventure. Cependant, on part avec les acquis des précédentes histoires. C’est quand même plus excitant que de baliser un itinéraire. L’avantage de travailler avec Christin résulte dans cet incessant échange d’idées.
Quel serait votre meilleur album ?
Question difficile. On dit souvent que c’est le petit dernier. Il est en principe toujours mieux dessiné que les précédents. J’aime bien les deux albums Métro Châtelet direction Cassiopée et Brooklyn Station – Terminus Cosmos. C’est un bon cru. C’est une belle histoire. J’aime aussi Les Héros de l’équinoxe pour son graphisme. Et aussi pour la portée du message. Christin égratigne un peu tout le monde, les écolos, les fachos… L’Empire des mille planètes est un album précurseur dans le domaine de la science-fiction et du Space Opera. Peu de gens ont dessiné cela… En France, personne ne l’a fait sauf Mœbius. Il a fait de très belles illustrations pour des collections de science-fiction. Certaines scènes ont peut-être influencé des cinéastes célèbres comme cette plante qui sort du milieu de la poitrine d’un type. On a vu cela dans Alien. J’ai dessiné cette scène en 1969 !
Changeons totalement de sujet : au début des années 70, vous avez animé des cours sur la bande dessinée à l’université de Vincennes. Pouvez-vous nous en parler ?
En effet, j’ai participé à des rencontres sur la bande dessinée. Il y avait des types comme Loisel, Julliard, Letendre. De temps en temps Cothias. Ces personnes sont devenues des pros. Un certain nombre de gens venait, plus ou moins attiré par le dessin et la bande dessinée. C’était à la grande époque du journal Pilote. Ce journal bénéficiait d’une aura, d’une renommée, et la bande dessinée commençait à être populaire. On nous avait demandé de faire des interventions sur la bande dessinée dans le cadre de l’université. Je me suis piqué au jeu. Je ne devais pas être si mauvais pédagogue que cela. Peut-être un peu violent, un peu direct. Mais ils n’étaient pas obligés de revenir me voir s’ils ne voulaient pas savoir ce que je pensais de leur travail. Enfin, cela s’est bien passé. En outre, il y a six ans, Les Humanos m’ont proposé de créer une série pour pallier l’absence des revues de bande dessinée. En effet, le drame depuis près de dix ans, c’est qu’il n’y a plus de journal permettant à de jeunes auteurs de faire leurs armes. Avant, il y avait ce que l’on appelle une sorte “d’écolage”. Des journaux réservaient un espace pour un jeune talent, ils leur donnaient une chance. Mais depuis 1990, la presse BD vit des heures difficiles. Métal Hurlant, Pilote, Circus ont déposé les armes ! (À Suivre) tente tant bien que mal de survivre. Fluide Glacial s’en sort plutôt bien. Pour en revenir à cette série qui se nommait Canal Choc, notre idée était de former de jeunes dessinateurs réalistes. Christin et moi, nous avons dirigé et supervisé trois dessinateurs réalistes qui n’ont jamais publié. La série a correctement marché. Ce sont aujourd’hui des professionnels. Philippe Aymond a ainsi réalisé deux albums avec Christin. Labiano marche bien et Chappelle a aussi publié un album, L’Arme secrète. Notre but était de former des jeunes, de leur faire comprendre ce qu’est la bande dessinée, la mise en scène, les cadrages, la narration. Mission accomplie.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune voulant faire de la bande dessinée ?
Faire des photocopies réduites de ses dessins ! Il faut s’efforcer de voir le résultat à taille réduite. Souvent le trait manque d’épaisseur. Savoir raconter, aller à l’essentiel, savoir mettre en image. Il ne suffit pas de savoir dessiner. Ce n’est pas l’ombre sur un muscle, ou le beau dégradé qui compte. Bien sûr, c’est important. Mais ce qui compte, c’est de savoir raconter une histoire, comment la découper… C’est du montage, avec une savante dose de plans, de cadrages. C’est aussi une histoire d’éclairage, de narration graphique. Ce dessin est important, certes, mais il faut toute une vie pour apprendre à dessiner. Enfin, par-dessus tout, il faut travailler énormément.
Mais à part les comics américains, comment jugez-vous la bande dessinée dans son ensemble ?
Je regarde assez peu la bande dessinée actuelle. En fait, quand je lis une bande dessinée, je ne peux m’empêcher de regarder le dessin. Je ne lis pas vraiment l’histoire. Même chose pour un livre : lors de la lecture, je m’imagine ce que cela pourrait donner. Du coup, je m’évade, je perds le fil…
Pour terminer, avez-vous un rêve ou un fantasme que vous voudriez réaliser ?
Je m’estime plutôt chanceux. J’ai vraiment eu beaucoup de chance. Je voulais faire de la bande dessinée, j’en ai fait. J’ai été aux USA. Ce n’est donc pas si mal que cela. Je voudrais que les gens se tapent un peu moins sur la gueule. C’est un rêve pieux… J’ai été attiré par le cinéma. J’ai travaillé avec Besson ! Réaliser un jour peut-être un film, ou revivre une expérience comme celle du Cinquième Élément. Mais réaliser un film demande une telle énergie… Quand je vois comment Besson et Bilal se sont battus pour faire aboutir leur film ! Mon rêve est actuellement tempéré. J’essaye de gérer au jour le jour. Je n’ai pas ce genre de rêves : “ Ah ! Je voudrais bien être chanteur d’opéra…”
“Les temps sont durs, pour la culture“, “les temps sont durs pour l’HoReCa” : la rengaine est connue et dans les deux secteurs, l’ambiance sanitaire ne fait pas que des heureux (c’est un euphémisme) alors que, en ces temps d’obscurantismes et de confinements en tous genres, voilà bien les deux espaces où nos frères humains pourront d’abord rétablir le vivre-ensemble, sans lequel les lendemains ne chanteront pas… en chœur (c’est une métaphore).
Le carré wallonica.org (encyclopédie, centre de ressources téléchargeables, topoguide et boutique sans but lucratif) travaille tous les jours à provoquer des actes de culture, à inviter chacun à… cliquer curieux. C’est une mission d’éducation permanente à laquelle notre équipe bénévole se consacre chaque jour, avec un humble mais réel succès : désormais plus de mille articles publiés (et autant de brouillons en attente de traitement) lus par des centaines d’internautes affiliés, une infolettre hebdomadaire qui tourne, une visibilité confirmée sur les réseaux sociaux et des contenus issus de toute la Francophonie pour entrelarder les savoirs de Wallonie et de Bruxelles.
Malgré cela, aujourd’hui, comment pouvons-nous convaincre les pouvoirs publics que ce travail au quotidien sert des missions de l’Etat que, en d’autres temps, les politiques et les administrations déléguaient en confiance à des acteurs de terrain comme nous, moyennant le respect de règles fixées dans des conventions précises ? Si quelqu’un a une idée, qu’il/elle clique ici et nous contacte… !
Comment penser un seul instant que seul le rétablissement dès demain d’un modèle économique et social qui n’a pas fait ses preuves jusqu’ici, puisse constituer une base solide pour notre vivre-ensemble d’après-demain ? Comment chacun d’entre nous peut-il rester les yeux fixé sur ses pieds (sur ses pantoufles ?) et ne pas regarder plus haut, pour paraphraser un titre de film à la mode ? Comment ne pas pressentir l’entrevoyure et réaliser intimement combien c’est dans la culture, le débat et les loisirs partagés que le lien va se reconstituer, que cette délicieuse humanité que nous formons malgré l’adversité pourra s’y recâbler ? On connaît son incroyable plasticité et elle a déjà fait la preuve de son étonnante capacité de résilience : alors, travaillons-y !
Au temps pour les envolées lyriques. Retour au travail quotidien. Au fond, ça fait quoi au jour le jour, une équipe comme celle de wallonica.org ? La réponse est presque une évidence pour moi, qui descend d’une famille de petits hôteliers (cfr. l’illustration de l’article : j’ai partiellement grandi dans cet hôtel, au centre de Spa, et la famille état également active à Lorcé-Chevron) :
Chez wallonica, on fait de la culture comme dans… l’HoReCa !
Mais, me direz-vous, “je ne vois pas le rapport“, et je vous répondrai, comme chaque fois : “laissez-vous faire, restez curieux, vous allez voir !”
Tout d’abord, nous l’avons dit, la mission est la même : œuvrer au vivre-ensemble. Ensuite, notre pain quotidien en dépend : nous vivons du vivre-ensemble. Enfin, nos activités même sont comparables, qui activent concrètement le vivre-ensemble. Je m’explique ici par le biais des métiers que nous avons en commun…
1. PROMOUVOIR : Nous sommes tous des rabatteurs…
Les rabatteurs des cabarets dans les quartiers aux lanternes rouges, ceux des restaurants de la rue des Bouchers, les marchandes de quatre-saisons de la Batte, les voituriers baratineurs des bons hôtels, tous poussent la gueulante ou vous abordent avec courtoisie dans un seul but : éveiller votre curiosité et… vous faire entrer.
Loin d’aspirer au metavers de celui-dont-on-ne-veut-prononcer-le-nouveau-nom, nous sommes néanmoins principalement actifs sur le web. Si nous participons et relayons des événements non-virtuels également, notre zone de chalandise reste l’Internet et ses outils. Cela permet de travailler le dimanche en pyjamas mais cela exige une activité de Community Manager intense qui nous trouve autant sur les réseaux sociaux que sur les blogs amis et les sites de notre réseau. Certains partenariats nous permettent en outre d’avoir des relais physiques qui assurent une promotion croisée (ex. l’Artothèque des Chiroux dont nous publions la documentation ou les conférences de la CHiCC qui sont relayées dans nos pages).
Nos trottoirs, nos vitrines et nos étals sont donc virtuels et attirer les visiteurs vers nos pages demande une activité continue et des réflexes rapides : il est vrai que nous travaillons au bord des autoroutes… de l’information.
2. STRUCTURER : nous affichons tous la carte et les menus…
Quel bonheur, une fois assis à la table d’un restaurant, de pouvoir trouver facilement les plats auxquels on aspire, indiquer au petit qu’il doit essayer de lire en bas de la page 4 pour le menu enfants, de savoir d’un coup d’œil qu’il y a également des pâtes sans gluten et, comble du bonheur, de pouvoir vérifier si le Vin du Patron est ou non un gros rouge qui tache. La carte est bien structurée et les menus sans mauvaise surprise. Que veut le peuple ?
La clarté de la structure globale de notre encyclo et de ses rejetons, les catégories inhabituelles mais cohérentes dans lesquelles chaque sujet trouve sa place, l’alignement des mots-clefs qui marquent chaque article pour assurer la pertinence de notre visibilité auprès moteurs de recherche, l’identification des auteurs ou des compilateurs, la fiche qualité en bas de chaque publication… autant de dispositifs mis en place pour permettre une visite limpide et apaisée.
Nous avons adopté une structure peu traditionnelle pour ranger les articles de notre encyclopédie (pour en savoir plus…) et elle doit favoriser le furetage critique entre les sujets et les thèmes. N’oubliez pas que, contrairement à nos encyclopédies papier (“je revends ma Britannica, contactez-moi en MP…“), un blog encyclo permet de marquer un même article de plusieurs catégories et de lui appliquer plusieurs mots-clefs différents ! Qui plus est (nous le savons), vous arriverez plus souvent sur une publication par l’intermédiaire d’une recherche qu’en navigant au départ de la page d’accueil. Essayez, cliquez curieux !
3. PREPARER : nous avons tous des arrières-cuisines où ça bosse ferme…
La Poularde Valentine Thonart sur votre table, le cake cinq-quarts que l’on sert à vos enfants, l’apéro frais servi au lounge ou les boulets à la liégeoise dont vous débattez de la meilleure recette avec une tache de sauce de Madame Lapin sur votre serviette, tout cela représente une importante activité en cuisine, frénétique mais organisée.
Le parallèle est facile dans ce cas et, au clavier comme aux fourneaux, le savoir-faire est une exigence de base. Il s’agit pour nous de respecter au jour le jour nos sept critères de qualité : nous devons maîtriser les dispositifs techniques et ne les mettre en oeuvre que lorsqu’ils servent notre mission (1. ingénierie pertinente) ; toujours vigilants, nous devons permettre et nourrir le débat avec des savoirs contrôlés, présentés afin d’éviter toute équivoque (2. édition critique) ; sur nos sites mais également sur leurs déclinaisons comme sur les réseaux sociaux, nous devons activement susciter l’activité de culture (3. animation continue) ; prendre en charge une mission d’éducation permanente comme nous le faisons implique également de faire la différence entre l’utile pour tous et l’agréable pour soi (4. utilité publique) ; malgré la maigreurs des subventions dont nous avons pu bénéficier jusqu’ici, nous survivons au jour le jour et nous sollicitons les donations à l’asbl wallonica comme les soutiens publics (un jour, peut-être : 5. autonomie financière) ; nous accueillons toutes les opinions (même les nôtres) mais nous nous réservons le droit de les positionner au bon niveau car il n’y a selon nous pas d’autre moyen pour lutter contre l’obscurantisme ambiant (6. liberté absolue de conscience) ; enfin, nous documentons autant que faire se peut notre travail afin de permettre à d’autres initiatives similaires de rejoindre le mouvement encyclopédiste (7. reproductibilité documentée).
Quand on vous disait qu’on bossait ! Par ailleurs, cette recherche de qualité se traduit dans des activités très variées, allant de la veille à la mise en page, de la gestion de communautés sur les réseaux sociaux à la préparation d’infolettres, du développement informatique à l’océrisation de vieux livres, de la rédaction au simple partage, en passant par la compilation…
4. INTERFACER : nous tenons tous à l’efficacité et à l’élégance du service…
Vu ma tradition familiale, je mange rarement dans un restaurant sans guetter les éventuelles erreurs de service (tout le monde n’est pas servi en même temps, la serveuse est une étudiante qui vient de mettre son coude dans le nez de mon épouse, les toilettes sont sales, le personnel râle en salle, les rognons nagent dans un bouillon transparent…).
La même rigueur est… de rigueur lorsqu’on se mêle d’éditer une encyclo, un topoguide, une boutique et un centre de ressources : l’interface et ses fonctionnalités, les contenus et leur édition, la qualité des articles et leur pertinence, aucun détail ne peut être négligé pour faire de l’expérience du visiteur un moment de bien-être visuel et de curiosité récompensée. De la même manière, il est logique que vous vous attendiez à ce que chaque chose soit élégante et à sa place quand vous cliquez sur https://wallonica.org.
C’est pourquoi notre logo est un ‘produit wallon’ créé par une artiste liégeoise, que celle-ci nous a également accompagnés dans la création d’une interface sobre et dynamique.
C’est pourquoi aussi nous avons éclaté wallonica en quatre sites distincts au sein du même domaine wallonica.org (le Carré wallonica) : l’encyclopédie qui est au cœur de l’initiative et agit comme un concentrateur des savoirs francophones, la base de ressources documentaires téléchargeables où sont partagées des publications qui, autrement, seraient indisponibles ou disparues, le topoguide qui propose des fiches sur les lieux remarquables ou curieux de Wallonie et de Bruxelles, et la boutique (sans but lucratif) pour favoriser un mini-shopping plus malin.
C’est pourquoi enfin, dans le blog encyclo même, nous avons disposé les contenus selon plusieurs zones différentes : les articles encyclopédiques (rédigés, compilés ou partagés) sont organisés en sept catégories, un kiosque propose un agenda culturel, un index commente des initiatives que nous admirons, la même chose pour les blogs & magazines que nous compulsons régulièrement, une revue de presse bien fournie et une tribune libre où nous partageons les “cartes blanches” qui nous semble les plus génératrices de débats sains. Pour les plus paresseux, une série d’incontournables est disponible, que l’on peut comparer aux “playlists” des plateformes de musique (Savoir-citer, Savoir-contempler, Savoir-écouter…). Enfin, tout dispositif méritant son mode d’emploi, une base de connaissances se remplit de semaine en semaine qui permet de partager avec tout autre zélateur encyclopédique ou avec nos visiteurs les différentes bonnes pratiques de notre métier.
5. RELIER : nous avons tous un présentoir de cartons touristiques à la sortie…
Qui n’a pas passé de longs moments, dans l’entrée de son gîte ou aux vestiaires de son restaurant, à empocher les cartons touristiques qui y étaient proposés sur un présentoir bien visible ? Qui ne les a ensuite passés en revue, assis sur le coin de son lit d’hôtel, pour décider quel musée il allait visiter, à quel restaurant il dînerait ou à quel marché local il pourrait faire des emplettes ? Le restaurant, l’hôtel ou le gîte concerné avait joué son rôle d’office du tourisme local et avivé notre curiosité, avec ces cartes colorées.
Ici, peut-être ergotera-t-on sur différence entre le large périmètre de notre réseautage de contenus issus de Wallonie et de Bruxelles, que nous mélangeons aux autres savoirs provenant de toute la Francophonie, et le ciblage essentiellement local de la promotion touristique : sur un présentoir d’hôtel à Tournai, il y a peu de chance de trouver une promotion du préhistomuseum de Ramioul.
Mais c’est un choix assumé chez nous de construire une meilleure visibilité des savoirs wallons, en misant sur un panaché de contenus internationaux francophones et de ressources proprement issues de Wallonie et de Bruxelles. La raison en est simple : l’informatique est simpliste et binaire. Un exemple ? Essayez seulement de parler d’un artiste d’un artiste wallon (et reconnu comme tel) dans un journal français (n’oubliez pas que notre Grétry est un compositeur français d’origine liégeoise !).
Par contre, si vous consultez l’index des artistes présents sur wallonica.org (vous êtes arrivé là via une recherche sur les mots “sculpture + Rodin”), vous allez trouver des noms comme Balthus, Bonnard, Breitner, Klimt, Kokoschka et Rodin, mélangés avec Colmant, Crehay, Ianchelevici, Pinelli, Serrurier-Bovy et Wesel, par le seul jeu du mélange des origines et de… l’ordre alphabétique.
Concluons ici. Même mission, mêmes activités et même combat : le rapprochement est facile, vous l’avez vu, mais il permet d’entrevoir la beauté des deux secteurs et la beauté de notre métier d’activistes de la culture. Dans les deux cas, les temps actuels sont difficiles et, dans les deux cas, ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts encore dans notre engagement. Et, pssst, nous aussi, nous restons ouverts !
On dit qu’avant d’entrer dans la mer,
une rivière tremble de peur.
Elle regarde en arrière le chemin
qu’elle a parcouru, depuis les sommets,
les montagnes, la longue route sinueuse
qui traverse des forêts et des villages,
et voit devant elle un océan si vaste
qu’y pénétrer ne parait rien d’autre
que devoir disparaître à jamais.
Mais il n’y a pas d’autre moyen.
La rivière ne peut pas revenir en arrière.
Personne ne peut revenir en arrière.
Revenir en arrière est impossible dans l’existence.
La rivière a besoin de prendre le risque
et d’entrer dans l’océan.
Ce n’est qu’en entrant dans l’océan
que la peur disparaîtra,
parce que c’est alors seulement
que la rivière saura qu’il ne s’agit pas
de disparaître dans l’océan,
mais de devenir océan.
[GRAINESDEPAIX.ORG] Gibran Khalil GIBRAN (1883-1931) a inspiré et inspire toujours des dizaines de millions de lecteurs par son chef d’oeuvre, Le Prophète (1923), où il exprime, en langage poétique, accompagné de ses peintures, sa philosophie de l’éthique. Ses nombreux écrits chantent les valeurs humaines que sont l’entente, la bienveillance, la fraternité, l’amour, la paix, la spiritualité d’ouverture à toute la diversité humaine de pensée et de foi. Né en 1883 au Liban, à la campagne, il a été amené par sa mère, avec sa fratrie, à immigrer aux Etats-Unis quand il avait 12 ans. Il retournera finir ses études au Liban 2 ans plus tard. Après ses études, il reviendra aux Etats-Unis, où, mise à part quelques séjours en France, il vivra le restant de sa vie. Cependant c’est la vie et la terre orientales qui étaient siennes tout au long. Il y est décédé jeune, à 48 ans, d’une double maladie. Il avait identifié un ancien monastère libanais pour ses cendres et c’est là qu’elles furent enterrées. La biographie de Gibran par Jean-Pierre Dahdah (2004) comporte dans son avant-propos le texte suivant de Marc de Smedt :
Le besoin d’une éthique de vie simple et tolérante, ouverte sur l’intérieur de soi et sur le monde d’autrui, accueillant la magie de l’existence, les joies et tristesses du temps qui passe, rappelant les grands principes éternels d’un comportement juste et sage, la nécessité d’une telle morale de bon sens et hors institutions, a perduré jusqu’à aujourd’hui.
Un très beau film animé, intitulé Le Prophète, réalisé en 2014 par Salma Hayek, exprime ses idées, esquisse leur effet bienfaisant, et s’inspire de ses dessins.
[LEMONDE.FR, 3 janvier 2022] Son frère Grichka et lui formaient un duo emblématique, notamment connu pour avoir animé l’émission de science-fiction Temps X, diffusée de 1979 à 1987 sur TF1. Agés de 72 ans, tous deux avaient été hospitalisés le 15 décembre 2021 à Paris après avoir contracté le Covid-19.
Igor BOGDANOFF, l’un des frères du duo emblématique qu’il formait avec son jumeau Grichka, est mort lundi 3 janvier, à Paris, à l’âge de 72 ans. “Dans la paix et l’amour, entouré de ses enfants et de sa famille, Igor Bogdanoff est parti vers la lumière lundi 3 janvier 2022″, ont écrit ses proches dans un message transmis par son agent. Son frère était mort six jours plus tôt du Covid-19. La famille n’a cependant pas souhaité communiquer sur les causes de la mort d’Igor Bogdanoff, survenue lundi après-midi dans un hôpital parisien. L’avocat des deux frères, Edouard de Lamaze, a cependant confirmé sur RTL que son décès était dû au Covid-19. Selon nos informations, les deux frères avaient été hospitalisés le 15 décembre dans le service de réanimation de l’hôpital Georges-Pompidou, après avoir contracté le Covid-19. Selon une source proche des deux frères, ils n’étaient pas vaccinés contre la maladie.
Docteurs en physique et en mathématiques dont les thèses ont été contestées par la grande majorité de la communauté scientifique, écrivains, animateurs de télévision, descendants de l’aristocratie autrichienne, figures de la vulgarisation scientifique pour le grand public… En plus de quarante ans de vie publique, Igor et Grichka Bogdanoff (qui ont remplacé l’orthographe de leur nom en Bogdanov, en signature de leurs ouvrages dès les années 1990) ont accumulé autant de succès populaires que de railleries sur le mélange des genres qu’ils entretenaient, entre théories sur la relativité générale et passion pour la science-fiction.
Le romanesque des origines des Bogdanoff, qu’ils furent les premiers à alimenter, a participé tout autant au mystère entourant leurs personnages que le récit de la transformation de leurs visages : tous deux ont démenti de nombreuses fois l’existence d’une maladie comme l’acromégalie ou le recours à la chirurgie esthétique. “Nous sommes, avec Igor, des expérimentateurs, se limitait à révéler Grichka en interview, à propos de la forme prise par leurs mentons et leurs pommettes dès le milieu des années 1990. Dans l’expérimentation, il y a un certain nombre de petits protocoles. Ce sont des technologies très avancées, c’est pour cela que le mystère dure depuis si longtemps.“
Aux manettes de l’émission Temps X, dès 1979 sur TF1, les frères Bogdanoff détonnent dans le paysage audiovisuel français avec des effets spéciaux d’époque et des combinaisons argentées inusables, portées pendant neuf saisons face à de nombreux invités, comme Jacques Attali, Jean-Michel Jarre, Jean-Claude Mézières, ou même Frédéric Beigbeder, qui vient à 13 ans y faire sa première apparition à la télévision. Sur le plateau, Igor et Grichka font la démonstration d’objets d’anticipation, plus ou moins à la pointe de la technologie : la machine à traduire, la dictée magique ou l’astro-ordinateur, qui devine votre thème astrologique à partir de votre date de naissance.
En 1987, au moment de la privatisation de TF1, l’émission est arrêtée. Débute alors pour le duo une longue période d’abstinence médiatique, et avec elle les premières controverses. L’écriture, en 1991, du livre à succès Dieu et la science avec l’académicien Jean Guitton provoque la colère de l’astrophysicien vietnamien Trinh Xuan Thuan, qui prétend y retrouver des passages de son livre La Mélodie secrète, publié trois ans plus tôt. Le différend se réglera à l’amiable, et les Bogdanoff s’attellent à la rédaction de leurs thèses : Fluctuations quantiques de la signature de la métrique à l’échelle de Planck, soutenue en mathématiques par Grichka dès 1999, et Etat topologique de l’espace-temps à l’échelle zéro, soutenue en physique par Igor en 2002.
La découverte des deux textes par la communauté scientifique dépasse de loin leur renommée française. Le physicien américain John Baez relaie, en octobre 2002, une rumeur agitant les chercheurs : les deux doctorants français auraient réussi une Sokal, du nom du physicien qui a fait publier en 1996 un article abouti dans la forme, mais complètement faux. A travers les travaux des jumeaux, qu’il qualifie de charabia, John Baez veut ainsi dénoncer les écueils de la sélection dans certaines revues scientifiques.
Les deux frères nient tout canular, mais l’épisode remonte aux oreilles d’un journaliste du New York Times, puis du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui demande en 2003 une expertise des deux thèses par d’autres chercheurs. Accablant pour les Bogdanoff, le rapport est rendu public par Marianne en 2010. “Ces thèses n’ont pas de valeur scientifique“, y affirment les chercheurs. Igor et Grichka Bogdanoff remportent un procès pour diffamation contre le journal en 2014, avant d’attaquer le CNRS sur la légalité même du rapport – ils qualifient alors le comité de Stasi scientifique. Ils perdront leur procès et n’obtiendront pas le dédommagement demandé de 1,2 million d’euros.
Devenus entre-temps les icônes d’une culture des années 1980 désormais kitsch, les Bogda ont réalisé deux autres émissions scientifiques, pour France 2 – Rayons X, de 2002 à 2007, puis A deux pas du futur, entre 2010 et 2011. En réponse aux attaques visant leur légitimité, ils dénoncent une communauté scientifique incapable d’accepter un point de vue atypique et fustigent la cabale médiatique.
Depuis, les jumeaux se faisaient plus rares : Igor Bogdanoff fait de nouveau les titres lorsqu’il est placé en garde à vue en novembre 2017, à la suite d’une plainte d’une ancienne compagne, chez qui il se serait introduit par effraction. En juin 2018, ils avaient été mis en examen pour “escroquerie sur personne vulnérable, soupçonnés par la justice d’avoir profité de la vulnérabilité et des largesses financières d’un millionnaire de 54 ans, qui s’est suicidé le 31 août 2018. Outre les frères Bogdanoff, quatre autres personnes devaient être renvoyées dans ce dossier devant le tribunal correctionnel de Paris, les 20 et 21 janvier 2022.