Où se situe le village d’Astérix ?

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Un village sans nom

[d’après OLIVIERANDRIEU.FR] Tout d’abord, sachez qu’il n’a pas de nom ! Ses célèbres fondateurs, René Goscinny et Albert Uderzo, n’ont jamais estimé nécessaire de lui donner un patronyme. Et il en est donc ainsi depuis le début des aventures de nos héros gaulois. Ceci dit, on peut noter qu’il est le plus souvent appelé “village des fous”, dénomination péjorative notoirement d’origine romaine, sijenemabus.

D’ailleurs, si les grandes villes portaient un nom du temps de Vercingétorix (donc Lutèce et compagnie), rien ne prouve que de telles bourgades, même peuplées d’irréductibles guerriers nourris au grain et au sanglier, portaient un nom. Bref, historiquement, ça se tient. Et vous, comment l’appelleriez-vous si vous vouliez le baptiser ?

Une fois le sujet du “nommage” traité, penchons-nous donc sur son emplacement en regardant la célèbre image présente dans tous les albums. Vous connaissez certainement par cœur le célèbre texte en exergue de leurs aventures :

Nous sommes en 50 avant Jésus-Christ ; toute la Gaule est occupée par les Romains… Toute ? Non ! Car un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur. Et la vie n’est pas facile pour les garnisons de légionnaires romains des camps retranchés de Babaorum, Aquarium, Laudanum et Petibonum…

Un village breton…

Cette image nous donne un premier indice évident : le village se trouve en Bretagne. Ça, il n’a pas fallu 5 heures pour le trouver.

Lors de la création d’Astérix, René Goscinny et Albert Uderzo avaient parlé entre eux de la localisation du village. Goscinny voulait qu’il soit situé près de la mer pour que les héros puissent voyager par bateau si nécessaire. Uderzo, se souvenant de son enfance en Bretagne, l’a donc situé dans cette région.

On peut d’ailleurs avancer une troisième raison pour cette origine géographique. En effet, la famille du dessinateur est originaire d’Italie, et plus précisément de Vénétie (les environs de Venise, au nord-est de l’Italie, et notamment du village d’Oderzo, qui donnera son nom à sa famille). Or, les Vénètes, premiers habitants de cette région, ont également colonisé, bien avant l’époque d’Astérix, l’actuelle Bretagne. Une des tribus gauloises qui vivaient en Armorique à cette époque portait donc également, le nom de Vénètes. Ils ont d’ailleurs laissé leur patronyme à la ville de Vannes, dans le Morbihan. Albert Uderzo n’a peut-être fait que retrouver ses racines en situant le village en ces lieux. Il était un peu sur la terre de ses ancêtres, finalement…

Bien, nous sommes donc en Bretagne… Jusque là, tout va bien… Tentons de zoomer un peu plus…

Le Cap d’Erquy et ses 3 îlets. © Bretagne Tourisme

Oui mézou en Bretagne ?

Et c’est là que ça se corse, comme dirait Ocatarinetabelatchitchix… En effet, de nombreuses localités, de Brest à Saint Malo, jusqu’à l’extrême nord de la France (si, si), ont proclamé se trouver à l’emplacement exact du village imaginé par les deux co-créateurs.

Le Cap d’Erquy, dans les Côtes-d’Armor, présente, de son côté, l’argument de ses trois petits îlets ressemblants comme… heu… trois petits îlets à ceux de la carte dessinée au début des albums. Quand on sait que le village d’Erquy est proche d’un lieu dénommé Le camp de César où des fouilles archéologiques ont décelé des traces du passage des romains et qu’Albert Uderzo avait coutume de s’y promener enfant, on peut effectivement constater quelques coïncidences troublantes, même si, du strict point de vue géographique, cette localité ne correspond pas à l’emplacement indiqué dans les albums.

En effet, en scrutant minutieusement les cartes proposées dans les albums d’Astérix, on peut situer le village dans un rayon de 50 kilomètres autour de Roscoff, dans le Finistère. Erquy, qui se situe plutôt à 150 kilomètres de cette ville, est donc trop éloignée pour être une hypothèse crédible (désolé pour cette ville où se tient, à ce qu’on m’a dit, un charmant salon de la BD chaque année que le covid veut bien nous laisser) […]

Alors, finalement ?

Bref, pour résumer tout cela, on ne sait toujours pas où se situe le village d’Astérix et finalement, n’est-ce pas mieux ainsi ? Et Albert Uderzo a toujours été très clair à ce sujet : s’il a choisi la Bretagne, aucun lieu spécifique ou précis n’a été décidé au départ ou ensuite de sa part ou de celle de son ami René. Le village fait donc partie de notre imaginaire collectif, et son emplacement géographique également. Ceci dit, de nombreux fans sillonnent encore la Bretagne à la recherche d’indices potentiels pour en trouver l’emplacement exact. Engagez-vous, rengagez-vous, qu’ils disaient, vous verrez du pays… Ce n’est pas faux… (…)


[d’après GEO.FR] En 51 avant J.-C, un an après la chute d’Alésia, cette citadelle nichée dans les massifs du Quercy a résisté pendant deux mois, avec une incroyable bravoure, aux légions romaines. Il faudra l’intervention de Jules César en personne pour en venir à bout.

“Nous sommes en 50 avant Jésus-Christ. Toute la Gaule est occupée par les Romains… Toute ? Non ! Un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur.” Le célèbre texte d’introduction des 38 albums de la bande dessinée Astérix n’est pas seulement une fiction.

René Goscinny et Albert Uderzo – mort en mars dernier [2020] – se sont inspirés, pour le village du petit gaulois, d’un épisode méconnu de l’histoire gallo-romaine : le siège d’Uxellodunum, en 51 av. J.-C. Un tournant majeur puisqu’il a marqué, un an après la bataille d’Alésia, la fin officielle de la résistance gauloise. Mais le “roman national”, appuyé par les historiens du XIXe siècle, a préféré retenir la capture de Vercingétorix, d’un symbolisme plus fort.

Un village dans le Quercy et pas en Bretagne

Ce village – situé en Bretagne dans les aventures d’Astérix – se trouvait en réalité au beau milieu du Quercy, dans l’actuel département du Lot. A l’origine de son acte de résistance, l’acharnement de deux guerriers qui avaient rejoint, en 52 av. J.-C, le chef arverne Vercingétorix à Alésia : Luctérios, un Cadurque (tribu originaire des environs de Cahors), et Drappès, un Sénon (peuple de la région de Sens, en Bourgogne).

La stratégie : attaquer pour mieux se défendre

Après la défaite contre Jules César, les deux rescapés scellèrent une alliance pour poursuivre la lutte contre l’imperator. Leur stratégie ? Attaquer pour mieux se défendre. Vaincus en territoire arverne, ils décidèrent de lancer une offensive plus au sud, sur la province de la Narbonnaise, occupée par les Romains depuis plus de cinquante ans. Mais l’attaque, révélée à l’ennemi par des déserteurs, avorta.

Poursuivis par les légions du légat Caninius Rebilus, un lieutenant de César, Lucterios et Drappès, accompagnés de 4 000 guerriers environ, se réfugièrent dans un oppidum situé sur leur route : Uxellodunum. Contrairement à la plaine d’Alésia, ce village, dont le nom celte signifie “forteresse élevée”, était protégé par les flancs escarpés des massifs du Quercy. Le lieu idéal pour résister à un siège.

Les Gaulois virent les légions romaines ériger trois camps sur les collines voisines afin de contrôler entrées et sorties. Forts de leur malheureuse expérience à Alésia, Luctérios et Drappès connaissaient l’importance du ravitaillement durant un siège.

Les Gaulois acheminent des centaines de kilos de vivres

Une nuit, accompagnés de plusieurs hommes, ils passèrent entre les mailles du filet romain pour s’approvisionner – notamment en blé – auprès des populations environnantes. Les Gaulois, plus nombreux au fil des semaines à sortir de la citadelle, acheminèrent ainsi des centaines de kilos de vivres.

Jusqu’au jour où ils furent attaqués par une légion. Luctérios parvint à s’échapper de justesse. Drappès, lui, fut capturé, ainsi que 2 000 de ses hommes. Uxellodunum se retrouva sans chef. Mais l’opposition des 2 000 autres guerriers, confinés à l’intérieur de l’oppidum, n’en fut que plus forte. D’autant plus que ces derniers avaient désormais assez de vivres pour tenir plusieurs mois !

Le Puy d’Issolud © uxellodunum.com
Un puits naturel leur garantit une indépendance en eau

En outre, le site avait un autre avantage. “Au pied de ses palissades se tenait un puits naturel de 7 mètres de profondeur qui lui garantissait une indépendance en eau, absolument vitale dans cette région aride”, explique l’archéologue Jean-Pierrre Girault, auteur de La Fontaine de Loulié au Puy-d’Issolud. Le dossier archéologique du siège d’Uxellodunum (coll. Bibracte, 2013). A deux reprises, les Romains tentèrent de pénétrer dans l’enceinte. Sans succès.

Agacé, Jules César prend les opérations en main

Jules César, toujours présent en territoire arverne après sa victoire sur Vercingétorix, avait eu vent de cette poche de résistance. Agacé par les échecs successifs de ces hommes, le conquérant prit lui-même les opérations en main.

L’écrivain Alus Hirtius, auteur du dernier livre des Commentaires sur la guerre des Gaules sur les événements de l’année 51 av. J.-C, explique pourquoi César tenait tant à défaire les assiégés d’Uxellodunum. “Quoiqu’il méprise leur petit nombre, il pense qu’il faut sévèrement punir leur obstination afin que la Gaule entière ne croit pas que, pour résister aux Romains, ce n’est point la force qui manque, mais la constance”, écrit-il.

Un châtiment exemplaire pour servir de leçon aux Gaulois

En somme, Uxellodunum devait recevoir un châtiment exemplaire pour servir de leçon aux Gaulois désireux de poursuivre leur révolte. Arrivé sur place avec des légions supplémentaires – 30 000 hommes en tout – le stratège s’intéressa de près à un ruisseau bordant l’enceinte ouest. Dans cette région au climat aride, le conquérant comprit que l’eau serait un élément crucial.

Les bestiaux, les chevaux, les hommes meurent de soif

“Au lieu d’engager un combat frontal qui aurait été lourd en pertes humaines, il fit creuser, au milieu des pierres sèches des causses, des galeries souterraines afin de permettre à ses hommes d’accéder à la source d’eau pour la boucher”, raconte Jean-Pierre Girault. Sous les yeux des Gaulois, un mur en bois et plusieurs tours, dont une de 27 mètres de haut, furent dressées en quelques jours pour protéger les légionnaires. Les Romains parvinrent, non sans peine, à atteindre la source. Au fil des jours, le puits gaulois commença à se tarir… “Les bestiaux, les chevaux, les hommes même, en grand nombre, meurent de soif”, observa Alus Hirtius.

Les semaines s’écoulèrent dans un silence de mort. Dans un dernier geste désespéré, les hommes de Luctérios et Drappès, assoiffés, jetèrent des tonneaux incendiaires sur les constructions romaines. La plus grande tour brûla mais cette perte ne découragea pas pour autant les Romains pour qui la victoire était inéluctable. Affaiblis, les Gaulois finirent par se rendre.

César fit couper les mains de tous les assiégés

César, fidèle à la promesse qu’il avait faite à ses soldats, fit couper les mains de tous les assiégés en âge de porter des armes. Il les renvoya ensuite chez eux afin que les autres peuples gaulois connaissent le sort réservé à ceux qui osaient défier Rome.

Et les deux chefs ? Drappès se laissa mourir de faim tandis que Luctérios fut livré à César après avoir été capturé par un chef arverne, allié des Romains. Il fut exécuté. Quant à César, il prit possession de l’Aquitaine avant de retourner à Rome pour commencer une autre guerre, celle qui allait l’opposer au consul Pompée pour s’emparer du Sénat…

Pendant des siècles, Uxellodunum fut oubliée. Il aura fallu attendre le règne de Napoléon III, lecteur passionné des écrits de César, pour voir les premières fouilles archéologiques au milieu du XIXe siècle (…).


INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation, illustration et décommercialisation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations :  © Editions Albert René ; Bretagne Tourisme ; uxellodunum.com


Plus de bandes dessinées…

La véritable histoire du Minotaure : ce que révèle l’archéologie

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[NATIONALGEOGRAPHIC.FR d’après HISTOIRE-ET-CIVILISATIONS.COM] Prisonnière du Labyrinthe, cette créature mi-homme mi-taureau a hanté la tradition orale de la Grèce et de la Rome antiques. Dans les recoins d’un labyrinthe crétois vivait un Minotaure, un monstre mi-homme, mi-taureau. Emprisonné là par son beau-père Minos, roi légendaire de Crète, il se nourrissait de chair humaine envoyée par la cité d’Athènes. Tous les neuf ans, Minos ordonnait à Athènes d’envoyer quatorze jeunes gens pour y être sacrifiés. Ce sinistre rite s’est poursuivi jusqu’à ce que le héros athénien Thésée se porte volontaire, entre dans le labyrinthe et tue cette bête tant redoutée.

L’histoire du Minotaure a fasciné pendant des milliers d’années et inspiré une myriade d’œuvres d’art : poteries, poésies, pièces de théâtre, peintures, opéras, films et jeux vidéo… Bien que le mythe puisse être apprécié comme un conte, les archéologues savent désormais que la légende trouvent des racines profondes dans les événements s’étant réellement passé durant l’âge du bronze.

L’homme à tête de taureau dans le labyrinthe de Minos possède plusieurs traits trouvés dans la culture crétoise et de l’ancienne civilisation minoenne. Les taureaux et les motifs de labyrinthe se retrouvent dans toute la culture minoenne, qui a dominé la Méditerranée d’environ 3 000 avant J.-C. à environ 1 100 avant J.-C. au milieu du deuxième millénaire avant J.-C., la Grèce continentale remplaçant la Crète comme puissance dominante de la région.

UN LABYRINTHE LÉGENDAIRE

Les auteurs classiques ont raconté maintes fois l’histoire du Minotaure. Les récits varient, mais il y a des traits communs chez chacun d’eux. Les taureaux, sous diverses formes, jouent un rôle crucial dans l’histoire.

Dans la version la plus courante du mythe, Zeus tombe amoureux d’Europe, une princesse phénicienne. Pour la séduire, il prend l’apparence d’un taureau doux et blanc et l’emmène sur l’île de Crète. Résultat de leur idylle, elle donna quelques mois plus tard naissance à un fils, Minos, qui devint roi de Crète.

Pour asseoir la légitimité de son règne, Minos demanda à Poséidon, le dieu de la mer, de lui envoyer un taureau qu’il lui promet de sacrifier en son honneur. Poséidon envoya dûment un magnifique taureau blanc qui émergea des vagues. Mais au moment du sacrifice, Minos, fasciné par la beauté de l’animal, décida de lui laisser la vie sauve.

VALLOTTON Félix, L’enlèvement d’Europe (1908) © Kunstmuseum Bern

Furieux de cet affront, Poséidon inspira à la femme de Minos, Pasiphaé, un désir fou pour le taureau. Pasiphaé demanda à l’inventeur athénien Dédale de concevoir un déguisement afin qu’elle puisse se rapprocher de la bête. Celui-ci créa une vache creuse grandeur nature, et Pasiphaé put y entrer pour se faire passer pour une vraie vache aux yeux de ce magnifique taureau. Le résultat de leur union : un enfant hybride mi homme mi-taureau répondant au nom d’Astérion. Mieux connu sous le nom de Minotaure, il fut les premières années élevé par sa mère mais grandit vite et devint féroce. Sur les conseils de l’oracle, il fut emprisonné par Minos dans un labyrinthe complexe conçu par le même Dédale.

Pendant ce temps, à Athènes, un jeune prince, Thésée, était en âge de partir à l’aventure. Quelques années auparavant, les Athéniens avaient tué l’un des fils de Minos, Androgée. En représailles, Minos avait assiégé Athènes et, victorieux, avait réclamé, en guise de tribut, l’envoi tous les neuf ans de sept jeunes garçons et sept jeunes filles athéniens pour servir de pâture au Minotaure. Thésée se porta volontaire dans l’espoir de terrasser le Minotaure.

Lorsque les Athéniens arrivèrent sur l’île de Crète, Ariane, fille du roi Minos, tomba sous le charme de Thésée. Avant d’entrer dans le labyrinthe, et contre la promesse de l’épouser, elle lui donna une pelote de fil (une idée de Dédale lui-même) afin qu’il puisse retrouver son chemin. Ariane resta au-dehors, tenant une extrémité du fil, tandis que Thésée marchait dans le labyrinthe, le fil se défaisant au fur et à mesure.

Quand il trouva le Minotaure, il le combattit à mort, libérant les autres jeunes Athéniens. Tout le monde suivit le fil laissé en lieu sûr. Enfin libre, Thésée partit pour Athènes, emmenant Ariane avec lui. Mais Thésée abandonna la princesse sur l’île de Naxos avant de reprendre la route d’Athènes avec sa sœur, Phèdre, qu’il épousa. Égée, le père de Thésée, attendait le retour de son fils du haut d’un promontoire. Avant le départ de Thésée, les deux hommes avaient établi un code : en cas de victoire, les voiles du bateau seraient blanches ; dans le cas contraire, elles seraient noires. Mais Thésée oublia de les changer et les voyant noires, Égée se jeta dans la mer qui, désormais, porte son nom.

MOTS ET IMAGES

Cette histoire, telle qu’elle s’est transmise au cours des siècles, a évolué lentement, se transformant encore et encore au fil des siècles. La légende du Minotaure a circulé dans le monde grec depuis les temps anciens, mais il apparaît plus souvent dans les premières œuvres d’art visuel plutôt que littéraire.

Bien qu’il y ait des références claires à Thésée, Minos et Ariane dans L’Iliade (écrite vers le VIIIe siècle avant J.-C.), Homère ne nomme jamais le Minotaure. Un fragment de la poétesse Sappho de Lesbos révèle que l’histoire du tribut humain que Minos demandait aux Athéniens était déjà racontée au début du VIe siècle avant J.-C.. L’historien grec du Ve siècle avant J.-C. Hérodote mentionne quant à lui Minos, mais pas son monstrueux beau-fils.

Les histoires de Thésée, héros d’Athènes, étaient populaires, mais les écrivains avaient tendance à se concentrer sur les autres réalisations de Thésée, notamment sa descente aux enfers ou ses aventures avec les Amazones. Le Minotaure est largement absent des histoires populaires autour de la figure de Thésée à cette période.

Présente sur des poterie, des œuvres de ferronnerie et d’autres arts décoratifs, la figure du Minotaure était par opposition un sujet très prisé par les autres artistes de cette époque. Une amphore de Tinos, dans les Cyclades, datée d’environ 670-660 avant J.-C., est le support de la plus ancienne représentation connue du combat qui a opposé le Minotaure et Thésée. Mises au jour à Olympie, des sangles de bouclier en bronze, datées du milieu du VIIe siècle avant J.-C., montrent également ce légendaire combat.

Une autre amphore des îles Cyclades, datée du milieu du VIIe siècle avant J.-C., inverse même la représentation populaire du Minotaure et montre celui-ci avec un corps de taureau et une tête d’homme. Il dépeint un autre détail qui deviendra central dans l’histoire : l’un des jeunes gens qui accompagnent Thésée tient une pelote de fil, l’objet qui a permis au héros athénien de s’échapper du labyrinthe après avoir tué la bête. Presque chaque représentation du monstre le montre au combat avec Thésée.

Des références au Minotaure commencent à apparaître plus tard dans la littérature grecque comme la pièce d’Euripide Les Crétois du Ve siècle avant J.-C. Seuls subsistent quelques fragments ce cette pièce : l’histoire révèle l’expérience de Pasiphaé et son conflit avec Minos au moment de la naissance du Minotaure.

Un autre récit narrant l’histoire de Thésée et du Minotaure vient de la Bibliothèque, une compilation massive de mythes et d’histoires helléniques. Pendant des siècles, les érudits ont daté l’œuvre du IIe siècle avant notre ère, mais de nouvelles recherches situent sa création beaucoup plus tard, au Ier ou au IIe siècle de notre ère. Attribué à un auteur inconnu que les érudits appellent Pseudo-Apollodore, la Bibliothèque couvre les mythes de la création, l’ascension des dieux, des héros et des héroïnes mortels. L’histoire entière de Minos, Pasiphaé, Dédale, Thésée et le Minotaure y est racontée avec force détails, fournissant par là-même une base solide pour les contes qui ont suivi.

Beaucoup d’histoires autour du Minotaure peuvent également être trouvées dans des sources romaines. L’un des plus détaillés est tiré de l’œuvre Vies parallèles de Plutarque (IIe siècle de notre ère), qui consacre un chapitre entier à Thésée. Plutarque y compare Thésée, fondateur d’Athènes, à Romulus, fondateur de Rome. Les métamorphoses, poème épique écrit par Ovide en 8 après J.-C., est un autre récit populaire de la légende du Minotaure, avec de nombreux détails sur les conquêtes de Minos à travers la Grèce avant la construction du labyrinthe.

CIVILISATION MINOENNE

Pour les Grecs des Ve et IVe siècles avant notre ère, Thésée était célébré comme un héros national d’Athènes. Comprendre la place que le Minotaure occupait dans leur imaginaire nécessite une connaissance plus approfondie du passé lointain de la Crète. La Crète est devenue une puissance commerciale en Méditerranée vers 3 000 avant J.-C. Au milieu du deuxième millénaire avant J.-C., elle était au centre d’un vaste réseau commercial avec l’Égypte, la Syrie, les îles de la mer Égée et la Grèce continentale.

Les Minoens ont établi des colonies dans le monde méditerranéen le long de ses routes commerciales, et ils y ont apporté leur culture. La langue, les arts et les textiles de la Crète antique étaient alors largement dispersés et bien accueillis. Les colonies sur les îles grecques révèlent que les colonies étaient souvent aménagées dans un style minoen. Mycènes, située à environ 120 kilomètres à l’ouest d’Athènes, a non seulement adopté avec enthousiasme la céramique crétoise, mais aussi la langue minoenne.

Après 1450 avant J.-C., l’emprise de la Crète a commencé à décliner, les Grecs mycéniens ayant commencé à dominer la Méditerranée orientale. Leur langue écrite, connue des érudits sous le nom de B linéaire, a été adaptée de la langue des Minoens et est maintenant connue comme une forme ancienne du grec.

L’HÉRITAGE DU ROI MINOS

De 1900 à 1903, l’archéologue britannique Arthur Evans, pensant que la Grèce mycénienne était fortement influencée par la Crète, a fouillé l’île et a mis au jour un palais royal sur le site de Cnossos et de nombreux artefacts présentant des taureaux. Il a désigné la culture crétoise ancienne comme Minoenne en référence au grand roi mythologique Minos, fils de Zeus et beau-père du Minotaure.

Le nom Minos ne semble pas être une invention mythique. Lorsque les tablettes trouvées à Cnossos ont été déchiffrées, les érudits ont pu lire le mot ‘Minos’. Selon les historiens, Minos n’était pas le nom d’un roi unique, mais le titre donné aux rois en général ou plutôt aux princes consorts, époux de reines très puissantes.

Les historiens considèrent désormais que la puissance et la culture minoennes ont atteint leur apogée vers 1600 avant J.-C. Décorées de fresques financées par le commerce de produits de luxe, de magnifiques structures de cette époque, dédiées aux activités religieuses et administratives, ont été mises au jour par Evans lors de sa fouille de Cnossos.

Les bâtiments étaient recouverts de formes artistiques aux couleurs vives qui reflétaient un respect culturel pour les taureaux : des fresques et des figurines, datées de 1700 à 1400 avant J.-C., montrent des personnages sautant par-dessus des taureaux. Ce rite peut avoir été pratiqué lors de cérémonies sacrées et de sacrifices aux dieux. Symboles de fertilité dans de nombreuses religions, les taureaux étaient tués rituellement à l’aide d’une hache à double tranchant ou labrys, emblème du pouvoir royal.

Une ‘labrys’ minoenne © Herakleion Archaeological Museum

La prison du Minotaure, le labyrinthe, trouve également des racines profondes dans la culture matérielle minoenne, mais les théories divergent quant à son origine. Comme aucun vestige archéologique d’un labyrinthe n’a jamais été trouvé en Crète, certains chercheurs ont suggéré que le terme pourrait être synonyme du palais lui-même. Le concept de labyrinthe pourrait provenir d’un vaste complexe de pièces. Un des sens étymologiques proposé pour le nom labyrinthe est dérivé de ‘labrys’, cette hache par laquelle le sacrifice animal était observé.

Une autre théorie est que la conception du mythique labyrinthe est née d’une structure qui n’était pas du tout un labyrinthe, mais une piste de danse. Homère décrit dans L’Iliade un lieu dédié à la danse où la jeunesse aristocratique de Crète se retrouvait, conçu par Dédale – encore lui. Peut-être la mosaïque de cette salle de danse a-t-elle évolué au fil des récits pour devenir le sinistre labyrinthe.

MYTHE ET RÉALITÉ

Pour les Grecs des VIe et Ve siècles avant J.-C., la Crète était liée au lointain souvenir d’une puissance ancienne, autrefois respectée, admirée et crainte. Une puissance finalement vaincue, ce que retranscrit le mythe du Minotaure terrassé par Thésée. À l’ère classique, Thésée était un héros local, un prince qui avait fait la gloire d’Athènes à travers ses nombreuses aventures. Thésée a été adopté par les Athéniens comme un symbole de la ville.

À cette même époque, le principal rival d’Athènes était la Perse. La défaite de la marine perse à Salamine en 480 avant J.-C. a inauguré une période d’expansion militaire et commerciale pour Athènes. Pendant cette période, les représentations de Thésée et du Minotaure sur des poteries ont considérablement augmenté.

Certains érudits pensent que les artistes ont utilisé le Minotaure comme symbole : la Crète était l’ennemi de l’ancien monde – la Perse celui du monde moderne. Thésée représentait la gloire d’Athènes alors qu’il soumettait le monstre pour libérer sa cité de la domination de la Crète.

Amaranta Sbardella, Le Monde


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Lisons au travers des symboles en Wallonie-Bruxelles…

Main d’Irulegi

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Le peuple basque en sait un peu plus sur les origines de sa langue. En Navarre, région autonome du nord de l’Espagne, des travaux archéologiques ont permis de découvrir une pièce unique, la “main d’Irulegi”, sur laquelle figure le texte le plus ancien en langue basque”, titre le journal local Diario de Navarra.

Datée du Ier siècle avant J.-C., cette main de bronze a été extraite en juin 2021 parmi les restes calcinés d’une maison”, sur un site faisant l’objet de fouilles depuis 2017. Il se situe au pied d’un château médiéval au sommet du mont Irulegi, dans la vallée d’Aranguren, à quelques kilomètres de la ville de Pampelune.

Comme le décrit Diario de Navarra, cinq mots (pour un total de 40 signes) répartis sur quatre lignes figurent sur cette main d’environ 14 centimètres de longueur et 12 de largueur. L’équipe du centre de recherche scientifique basque Aranzadi, qui pilote les travaux, y a identifié une inscription en proto-basque, sorioneku. Elle se rapproche de zorioneko, qui pourrait être traduit par “de bonne fortune” en euskera (actuelle langue basque).

Cette main aurait été accrochée à une porte d’entrée en signe de bienvenue et de vœux pour les résidents et les visiteurs”, rapporte le quotidien régional. Cette pièce bouleverse nos connaissances sur les Vascons [ancêtres des Basques] et l’écriture. Nous étions presque convaincus que les Vascons étaient analphabètes durant l’Antiquité et qu’ils n’utilisaient pas l’écriture, sauf pour frapper des pièces de monnaie”, assure Joaquín Gorrochategui, professeur de philologie indo-européenne à l’université du Pays basque, dans un article publié sur le site d’Aranzadi.

Une découverture majeure

D’après Diario de Navarra, la région concernée par cette découverte a commencé à être habitée à partir de l’âge du bronze final (XVᵉ-XIᵉ siècle av. J.-C.), jusqu’au premier tiers du Ier siècle avant J.-C. Le site [de la main d’Irulegi] a été abandonné prématurément il y a près de 2 100 ans”, dans le contexte de la guerre sertorienne (80-72 av. J.-C.), un épisode des guerres civiles romaines qui opposait des troupes d’Ibères, de Romains et de Vascons aux partisans de l’ancien dictateur romain Sylla.

“Après avoir été abandonnée à la suite d’une attaque, [le site] nous a laissé des objets du quotidien qui n’ont pas été altérés, nous permettant d’étudier et d’en apprendre plus sur le mode de vie et la société de l’époque”, conclut le directeur des fouilles archéologiques, Mattin Aiestaran, dans les colonnes de Diario de Navarra.

d’après COURRIERINTERNATIONAL.COM


Photo aérienne du mont Irulegi en Navarre @ Aranzadi Zientzia Elkartea

“Sorioneku”. Il est surprenant que le mot le plus ancien jamais découvert de la langue précurseur de l’euskara signifie “bonne fortune”, si on le lit en euskara. Il transmet ce message à ceux qui vivent dans la maison sur laquelle il est accroché et à ceux qui y entrent. Les lettres qui figurent sur la gravure sur bronze datée de 100 ans av. J.-C. sur le site archéologique d’Irulegi, en Navarre, nous apprennent beaucoup sur les occupants de ce territoire avant l’époque romaine. Longtemps les scientifiques pensaient que les Vascons de l’Antiquité n’écrivaient pas dans leur langue, puis l’hypothèse d’une écriture spécifique a commencé à prendre de l’envergure. La main en bronze d’Irulegi apporte une nouvelle preuve, d’après les spécialistes Javier Velaza et Joaquin Gorrochategui, qui ont analysé les pièces découvertes par la société savante Aranzadi. Les Vascons de la vallée d’Aranguren écrivaient dans leur langue avec un système graphique importé et adapté d’un autre idiome. Javier Velaza conclut : “Cela nous amène à reconsidérer une bonne partie de ce que nous croyons sur la culture et la société des anciens Vascons”.

La révélation s’est invitée la semaine du lancement d’Euskaraldia. Et on se plaît à imaginer les déclinaisons de la formule mise au jour à Irulegi : bonne fortune aux euskaldun et aux euskaldun berri qui habitent cette terre, bonne fortune à ceux qui y entrent. Cela pourrait donner des idées aux organisateurs de l’initiative qui se déploie du 17 novembre au 2 décembre dans les sept provinces du Pays Basque. À côté des badges “belarriprest “(oreille aux aguets), destiné aux personnes ayant des rudiments en euskara, et “ahobizi” (parole vivante), destinés à ceux qui peuvent communiquer dans cette langue, pourrait apparaître un troisième, “sorioneku” sur lequel serait dessinée une main, pour conjurer les mauvais sorts et freiner les forces négatives qui agissent sur le devenir de notre langue. Car la découverte de cette semaine nous le rappelle, on vient de loin mais le chemin est encore long…

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De Piranèse à l’urbex : pourquoi sommes-nous fascinés par les ruines ?

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Sujet de prédilection des artistes depuis le XVIIIe siècle, les ruines fascinent aussi les “urbexeurs”, ces explorateurs contemporains qui arpentent les lieux abandonnés, avides de sensations fortes et de belles images… qui n’ont rien à envier aux visions fantastiques d’un Hubert Robert ou d’un Caspar David Friedrich.

Manoirs délabrés, usines désaffectées, toits du monde entier : vaste est l’aire de jeu de l’URBEX. Longtemps reléguée aux marges, voilà que l’exploration urbaine, et en particulier des lieux abandonnés, gagne du terrain. Au point de devenir une vraie tendance, notamment sous l’impulsion d’urbexeurs téméraires qui, sur les réseaux sociaux, partagent des clichés de décors insolites. Photographier les traces mais aussi l’effacement d’une présence humaine pas si lointaine, certains s’en sont fait une spécialité, à l’image de Thomas Jorion qui capture la beauté délabrée de palais italiens, ou encore de Romain Veillon dont l’épais ouvrage préfacé par l’écrivain voyageur Sylvain Tesson, Green Urbex […] donne à voir un monde post-apocalypse où la nature aurait repris ses droits…

Parce que leur présence jette un pont entre passé et présent, les ruines ont, à partir la Renaissance, retenu l’attention des artistes. En ces temps de prise de conscience humaniste, l’Antiquité fascine et, avec elle, ses vestiges. Peu à peu, la ruine s’affirme comme une convention iconographique, qui symbolise aussi la victoire du christianisme sur le paganisme. Figurée au second plan de scènes religieuses, la ruine incarne une culture païenne désormais fermement rejetée et condamnée, et marque ainsi le passage d’une époque à une autre. Exit la grotte de la Nativité, chez Botticelli, la Sainte famille prend place dans une étable délabrée. L’artiste fait émerger des vieilles pierres des herbes folles, comme le symbole de la vie qui à nouveau jaillit. Le modèle fétiche des peintres ? Rome bien sûr qui, avec ses innombrables vestiges, a des allures de chantier permanent. S’y pressent des artistes de toutes parts, y compris de l’Europe du Nord qui importeront dans les Flandres ce motif jusqu’alors singulier, voire anecdotique.

Jean Deneumoulin, “Ruines de la cathédrale Saint-Lambert de Liège” © ULiège

Si au XVIIe siècle des peintres comme le Lorrain et Nicolas Poussin montreront dans leurs compositions harmonieuses et tranquilles un certain intérêt pour les ruines, ce n’est qu’au XVIIIe siècle que celles-ci s’imposeront comme un sujet à part entière. Diderot y consacre d’ailleurs une entrée dans son Encyclopédie : “se dit en Peinture de la représentation d’édifices presque entièrement ruinés. De belles ruines. On donne le nom de ruine au tableau même qui représente ces ruines. Ruine ne se dit que des palais, des tombeaux somptueux ou des monuments publics.” En Italie, Piranese fait figure de maestro. Cet artiste originaire de Venise consacre aux ruines de Rome une série de gravures qu’il n’aura de cesse d’enrichir toute sa vie. Il en révèle toute la magnificence, montrant chaque détail. Bien que délabrés, les monuments apparaissent invincibles, éternels.

En France, Hubert Robert, surnommé “Robert des ruines”, s’empare aussi de ce motif. Alors que se déploie le Grand Tour, il se rend en Italie et s’arrête à Pompéi. La mythique cité, ensevelie sous les cendres du Vésuve en 79 ap. J-C. est tout juste découverte. L’artiste dessine sur le motif et se passionne pour le pittoresque. De retour en France, il s’autorise toutes les fantaisies comme lorsqu’il peint, dans une grande profusion de détails réalistes, la grande galerie du Louvre complètement délabrée. Une vision digne d’un film d’anticipation, qui inscrit la ruine dans le futur.

Caspar David Friedrich, “Ruines du monastère d’Eldena” © Alte Nationalgalerie Berlin

Le romantisme fait de la ruine une allégorie de la condition humaine, qui renvoie l’homme à sa petitesse et sa finitude. La passion pour le Moyen Âge gothique supplante bientôt celle pour l’Antiquité gréco-romaine. Les temples délabrés et autres débris de colonnades cèdent leur place aux hautes cathédrales et donjons éventrés. Pour les romantiques – Caspar David Friedrich et Karl Friedrich Shinkel en tête – la ruine est un résidu géologique qui se confond prodigieusement dans la nature… Dans leurs compositions, l’homme est le plus souvent réduit à un simple témoin silencieux, absorbé dans des paysages irréels, voire lugubres (pour ne pas dire sinistres !). Tandis que l’archéologie est tout juste reconnue comme une discipline scientifique, le XIXe siècle voit aussi émerger la figure du photographe voyageur qui, de l’Égypte à la Grèce témoigne des vestiges rencontrés au cours de ses périples. En France, la photographie vole au secours des monuments en péril avec la Mission héliographique de la Commission des monuments historiques en 1851, qui commande à cinq photographes d’inventorier quelque 175 édifices à travers le territoire national.

Traversé par les conflits sanglants, le XXe siècle met à mal l’idée de ruine comme un vestige du passé. Tout à coup, elle incarne une réalité douloureuse et mortifère. Des peintres de la Nouvelle Objectivité au surréalisme en passant par l’expressionnisme, elle traduit le pessimisme des artistes face une guerre imminente. Chez les générations suivantes, elle est cathartique et permet de transcender le traumatisme. Né en 1945 d’un père officier, Anselm Kiefer incarne ainsi cette génération d’artistes hantés par l’horreur. En 2007, il présentait sous la nef du Grand Palais une fantomatique Chute d’étoiles, tandis qu’en 2021, en hommage au poète Paul Celan, il transformait l’espace du Grand Palais éphémère en vaste hangar, là encore peuplé de décombres.

Avec l’avènement de la société de consommation dans les années 1960, les Nouveaux Réalistes (Arman en tête) font des déchets l’allégorie d’une époque sans ruine, qui prend aussi conscience du désastre écologique qui la guette. Ils s’inscrivent comme les dignes héritiers de Kurt Schwitters qui inventait près de trente ans plus tôt, avec son Merzbau (1937), une structure habitable entièrement constituée d’objets trouvés et en perpétuelle évolution. Toujours dans les années 1960, Anne et Patrick Poirier, alors pensionnaires à la Villa Médicis, entament leur travail d’”archéologie-fiction”, où l’histoire se mêle au rêve, et questionnent notre regard.

Théo Mercier, “Outremonde” © Erwan Fichou

Questionner le regard, c’est aussi l’ambition de Théo Mercier, qui l’été dernier [2021] invitait les visiteurs de la collection Lambert en Avignon, à explorer son Outremonde, paysage artificiel de sable duquel émergeaient, à la façon d’un mirage en plein désert, les vestiges d’une architecture gothique ou le pied démesuré d’un colosse… Inquiétante vision post-anthropocène où l’humanité a quasiment disparu. Terreau aussi fragile que fertile, les ruines, écrit Sylvain Tesson dans son introduction au travail du photographe Romain Veillon, “comme les morts, ont toujours tort. La nature les recouvre, quelque chose renaît. Tout recommence.”

d’après BEAUXARTS.COM


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Un jeu de société vieux de 4000 ans sorti de terre dans le désert d’Oman

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Enfoui dans les vestiges d’un village de l’âge du Bronze, lui-même localisé dans le désert d’Oman, un énigmatique jeu de société gravé sur une pierre fait le bonheur des archéologues.

Il y a des découvertes archéologiques qui nous rappellent plus que d’autres encore que certaines pratiques humaines n’ont guère changé au fil des millénaires. C’est le cas du jeu de société, dont nous savons qu’il occupait une place de choix dans la vie quotidienne dès l’Antiquité. Les Egyptiens anciens en étaient friands, de nombreux exemples de jeux étant parvenus jusqu’à nous (ils portent le nom de mehen, senet ou encore de jeu des chiens et des chacals). Le jeu royal d’Ur ou jeu des vingt carrés, retrouvé, lui, dans une tombe royale de la cité mésopotamienne en 1920, est également considéré comme l’un des plateaux les plus anciens – et les plus somptueux – inventoriés à ce jour. L’Homme a donc toujours été joueur, et nous en avons des preuves précoces.

Un nouvel exemplaire de ces jeux ancestraux vient d’être exhumé près du village d’Ayn Bani Saidah, dans la vallée de Qumayrah, une région désertique d’Oman jusqu’ici très peu étudiée par les spécialistes. Consistant en une grille gravée sur une grosse pierre, le plateau a été trouvé dans les vestiges d’une cité de l’Âge du Bronze, fouillés jusqu’en décembre dernier par l’Université de Varsovie et le ministère du Patrimoine et du Tourisme d’Oman. Composé de 13 cases présentant chacune une sorte d’encoche centrale ou indentation, le jeu était enterré dans les restes d’une pièce. Selon les archéologues, il a sans doute diverti ses créateurs il y a quelque 4.000 ans. “Le plateau est fait de pierre et comporte des champs marqués et des trous pour les gobelets. Des jeux basés sur des principes similaires étaient joués à l’âge du Bronze dans de nombreux centres économiques et culturels de cette époque”, ont-ils déclaré dans un communiqué.

Reste maintenant aux archéologues à en comprendre les règles, ce qui ne sera peut-être pas une mince affaire. Il aura en effet fallu plus de 50 ans d’enquête aux spécialistes du British Museum pour parvenir à traduire les règles du jeu royal d’Ur, qui furent finalement découvertes en écriture cunéiforme sur des tablettes de terre cuite vieilles de plus de 2.000 ans. Ce jeu limité à deux joueurs, dont l’équivalent moderne le plus proche serait le backgammon, consistait à lancer des dés et à faire la course avec des pions sur un petit plateau en forme de H. Certains joueurs pariaient des tournées d’alcool ou des femmes, quand d’autres voyaient dans l’issue de la partie un bon ou un mauvais présage.

Le jeu royal d’Ur, conservé au British Museum © Wikimedia Commons
Des tours à la fonction indéterminée

Le plateau de jeu n’est pas la seule découverte notable faite par l’équipe de Piotr Bieliński, du Centre polonais d’archéologie méditerranéenne de l’Université de Varsovie (PCMA UW) et de Sultan al-Bakri, directeur général des antiquités au ministère du patrimoine et du tourisme (MHT) du sultanat d’Oman. Les restes d’au moins quatre tours – trois rondes et une angulaire – ont également été exhumés. L’une d’entre elle, malgré ses plus de vingt mètres de diamètre, n’était pas visible à la surface. “La fonction de ces structures proéminentes présentes sur de nombreux sites attribués à la culture dite d’Umm an-Nar doit encore être expliquée”, a précisé Agnieszka Pieńkowska, elle aussi archéologue au PCMA UW.

Les chercheurs ont aussi trouvé des preuves du travail du cuivre sur le site, ainsi que des objets en cuivre. “Cela montre que la colonie participait au commerce lucratif du cuivre qui faisait la réputation d’Oman à cette époque, dont on retrouve des mentions dans les textes cunéiformes de Mésopotamie”, assure Piotr Bieliński. Le site aurait été occupé jusqu’à l’âge du Fer II (1100-600 avant notre ère). (d’après SCIENCESETAVENIR.FR)

Oman © Philippe Vienne
  • image en tête de l’article : le jeu, gravé sur bloc de pierre © J. Sliwa

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Une cathédrale médiévale émerge des sables au Soudan

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C’est une découverte archéologique exceptionnelle que viennent de faire des chercheurs polonais sur les bords du Nil.

Fondée au Ve siècle, la capitale du royaume de Dongola (au nord du Soudan) a connu il y a plus de quinze siècles un développement rapide. Placé sur la route reliant la Nubie et l’Égypte, ce micro-État, aussi connu sous le nom de Makurie, tira, semble-t-il, sa prospérité de l’exploitation de mines, mais aussi de la présence d’oasis permettant aux caravanes de faire halte sur son territoire. Son histoire est cependant mal connue. A-t-il été fondé par la tribu nubienne portant le nom de Makkourae  ? C’est ce que laisse entendre le chercheur américain William Y. Adams (1927-2019), qui a publié, en 1977, une recension des manuscrits de l’époque ptoléméenne qui évoquent les débuts de ce royaume. Mais rien n’est moins sûr.

Christianisés par des missionnaires provenant probablement d’Anatolie, au VIe siècle, les monarques de Dongola auraient fait ériger une grande cathédrale à l’époque médiévale. C’est du moins ce qu’avancent les chercheurs de l’université de Varsovie qui ont exhumé, en mai dernier, les fondations d’un vaste bâtiment qu’ils pensent être religieux, sur la rive orientale du Nil. Un palais, un cimetière et des ateliers de poteries avaient déjà été identifiés, en 2018, dans cette région qui fut islamisée après le XIVe siècle. Une église et un monastère avaient aussi été retrouvés sur place lors de précédentes campagnes de fouille.

Des dimensions inhabituelles pour la région

Le bâtiment récemment sorti des sables présente des dimensions inhabituelles dans la région. La forme de ses fondations et la présence de ce qui ressemble à une abside, large de 25 mètres, laissent entendre que cet édifice, orienté à l’est, était un important sanctuaire. D’autant qu’une tombe y a été retrouvée. Elle pourrait être celle d’un des premiers évêques du royaume de Makurie. Cette structure est cinq fois plus imposante que celle qui avait été découverte dans les années 1960 dans la ville de Faras, plus au sud. Où des inscriptions avaient permis de déterminer la présence de la sépulture d’un autre évêque, prénommé Jean, et ayant vécu autour de l’an mille.

Une reconstitution en trois dimensions du bâtiment indique qu’il disposait probablement de trois étages et d’au moins un dôme. “Ce devait être l’édifice le plus imposant de la ville, couvrant à l’époque 200 hectares”, énonce Artur Obłuski, qui dirige les fouilles pour le compte du Centre polonais d’archéologie méditerranéenne de l’université de Varsovie (PCMAUW). Des murs peints datant des Xe et XIe siècles ont été retrouvés. Ils représentent des personnages alignés sur deux rangs. Ces fresques devaient atteindre trois mètres de haut. Elles pourraient être celles d’apôtres. Une équipe du département de conservation et de restauration de l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie, travaillant sous la supervision du professeur Krzysztof Chmielewski, tentera d’en restituer le motif très dégradé.

Les fouilles du site du vieux Dongola doivent se poursuivre jusqu’au début de l’année prochaine. Ce n’est qu’à la fin des travaux d’excavation qu’une date précise de construction de cette cathédrale pourra être avancée. “Il y a probablement d’autres peintures et inscriptions sous nos pieds”, émet Artur Obłuski. Un bâtiment voisin ayant abrité des bains est également exploré par l’équipe polonaise. [d’après LEPOINT.FR]

  • image en tête de l’article : le chantier de fouilles © PCMAUW/Mateusz Rekłajtis

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Une centaine de sépultures précolombiennes découvertes aux Abymes, en Guadeloupe

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Au total, 113 sépultures ont été mises au jour en terres guadeloupéennes. Une découverte monumentale révélée au centre du département d’outre-mer français. “Cette fouille devait se dérouler initialement début 2020, elle a dû être décalée du fait de la pandémie de COVID puis repoussée à cause des conditions climatiques” déclare Nathalie Serrand, responsable d’opérations et de recherches archéologiques dans les départements d’Outre-mer.

L’histoire débute en 2017 lorsque l’État prescrit un diagnostic de recherches archéologiques préventives en amont de la construction d’infrastructures à vocation commerciale. L’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives), sera chargé de conduire les opérations dans la commune des Abymes, dans la zone du Petit Pérou.

Les fouilles menées sur une surface de 11 200 m² ont dans un premier temps révélé une densité importante de vestiges composés de fosses, de trous de poteaux et de sépultures. “Les principaux indices retrouvés témoignent d’activités du quotidien, les grandes fosses circulaires pourraient être assimilées à nos « poubelles » actuelles. On y retrouve des poteries, des éléments en terre cuite, du corail, mais aussi des restes alimentaires sous la forme de coquillage ou de restes osseux” précise Nathalie Serrand. La présence de ces structures ainsi que les fosses seraient liées à des activités humaines. Les sépultures mises au jour seraient celles d’adultes mais aussi d’enfants repliés sur eux-mêmes et attachés à l’aide de liens et de sacs pour maintenir leur position.

“Ces populations évoluent dans les petites Antilles depuis déjà plus d’un millénaire, elles sont arrivées vers 500 avant notre ère depuis le Venezuela et la Guyane” affirme l’archéologue. Au 4e millénaire avant notre ère, des populations nomades originaires d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale, principalement issues des côtes du Venezuela, peuplent les Petites Antilles. Pendant cette période nommée le Mésoindien ou l’Âge Archaïque, des populations de marins en haute mer dont les ressources principales reposent sur la collecte de coquillages, la pêche, la cueillette, la fabrication d’outils de pierre, de coquilles ou corail et sur une agriculture encore à ses balbutiements, s’adaptent peu à peu au milieu insulaire.

Ils entament une traversée et migrent alors vers les Antilles et se déplacent d’île en île à bord d’embarcations comparables à des canoës. Selon les historiens, leur circulation dans les petites Antilles aurait été guidée par leurs besoins de subsistance et par leurs croyances. Cette période est marquée des changements économiques et culturels importants dans le processus de régionalisation de ces peuples anciennement nomades. Plus tard, on découvrira que ces Amérindiens ont laissé, en particulier dans le sud de la Basse-Terre, un art rupestre remarquable.

De nombreuses questions persistent autour de ce site archéologique. Dans quel état de santé étaient les populations inhumées sur ce site ? Ces inhumations ont-elles eu lieu lors d’un rite spécifique à ce village ? “Nous chercherons aussi à savoir si ces inhumations sont à l’origine de ces structures vestigiales. Peut-il y avoir un lien entre ces sépultures et ces fosses ? Des célébrations avaient-elles lieu en l’honneur de ces inhumations ?” s’interroge Nathalie Serrand. Les archéologues tâcheront d’y répondre à l’aide des données issues du site, des recherches liées au mobilier archéologique de datations aux carbones et les analyses d’ADN ancien.  [d’après NATIONALGEOGRAPHIC.FR]


Sépulture 60, Les Abymes © Jessica Laguerre, INRAP

En Guadeloupe, aux Abymes, l’Inrap fouille un site précolombien qui a livré un nombre exceptionnel de sépultures, associées à de riches vestiges d’habitat et d’activités domestiques attribués à l’Âge céramique récent / Néoindien récent (XIe et XIIIe siècles de notre ère). Les archéologues ont également découvert des vestiges d’époque coloniale liés au raffinage du sucre et à la sucrerie Mamiel en activité aux XVIIIe et XIXe siècles.

UNE OCCUPATION PRÉCOLOMBIENNE COMPLEXE

Au cours de la première phase de la fouille, les archéologues ont mis au jour une forte densité de vestiges composés de fosses, de trous de poteau et de sépultures. Ceux-ci témoignent de plusieurs phases d’occupations par les populations précolombiennes durant l’âge Céramique récent – dit aussi période du Néoindien récent – aux alentours des XIe et XIIIe siècles de notre ère.

Quelques centaines de trous de poteau correspondent à des structures d’habitat et une cinquantaine de fosses sont liées à des activités domestiques. Le comblement de certaines fosses a livré de nombreux tessons de poterie, des outils en pierre, des blocs chauffés, des ossements de rongeurs, reptiles, oiseaux et des restes de crabes et de coquilles, rejetés après consommation. Ces vestiges domestiques sont associés à 113 inhumations, un chiffre jusqu’alors sans pareil en Guadeloupe.

113 SÉPULTURES PRÉCOLOMBIENNES

La fouille de ces sépultures a donné lieu à une prescription de découverte exceptionnelle par le service régional de l’archéologie. Les inhumations concernent aussi bien des adultes que des enfants, disposés sur le dos, semi assis, assis ou sur les côtés. Les corps ont été inhumés repliés sur eux-mêmes : les bras souvent fléchis, sur l’abdomen ou le thorax, les jambes comprimées sur les avant-bras, les coudes ou le thorax. Des liens ou des sacs garantissent cette position. Des manipulations après inhumation sont perceptibles.

VERS DE NOUVELLES PROBLÉMATIQUES SCIENTIFIQUES

L’étude des nombreuses données issues du site, l’examen du mobilier archéologique, les datations radiocarbones et les analyses de l’ADN ancien permettront, entre autres, d’identifier les différentes phases d’occupation, d’appréhender l’organisation spatiale des vestiges, de renseigner l’état sanitaire de la population inhumée et ses liens de parenté. Les inhumations se sont-elles déroulées dans un contexte de village ? Et plus spécifiquement dans les carbets familiaux (maisons amérindiennes ouvertes sur poteaux) ? Vivants et morts ont-ils cohabité ou ces sépultures sont-elles postérieures à l’habitat ?

Ces recherches contribueront à faire avancer les connaissances sur la période du Néoindien récent. Cette période est caractérisée par des changements économiques et culturels, initiés aux alentours du IXe siècle dans tout l’archipel des Petites Antilles, qui résultent d’un processus de régionalisation des cultures, en lien avec la dispersion des groupes dans l’ensemble de l’archipel caribéen. Des modifications paléoclimatiques identifiées dans les Petites Antilles contribuent sans doute également aux changements culturels.

Les modes de vie restent globalement fondés sur la sédentarité et l’agriculture, cependant des évolutions apparaissent dans les domaines de la production artisanale (la poterie notamment), de l’habitat, ou de l’alimentation ainsi que dans l’organisation socio-politique des groupes.

LES POURTOURS D’UNE HABITATION COLONIALE DES XVIIIE ET XIXE SIÈCLES

À l’ouest du site précolombien, des vestiges d’époque coloniale ont été également découverts. Près de 200 structures ont été fouillées, révélant la présence d’aménagements agraires, de plusieurs bâtiments sur poteaux et d’un bâtiment maçonné. La culture de la canne et la production de sucre semblent avoir été les principales activités, comme en témoigne le mobilier céramique constitué majoritairement de formes à sucre et de pots à mélasse. Ces vestiges se rattachent à l’habitation-sucrerie “L’Espérance ” ou “Mamiel”, en activité aux XVIIIe et XIXe siècles, et dont une partie est encore conservée en élévation. [d’après INRAP.FR]

  • illustration en tête de l’article : Fouille d’une sépulture aux Abymes ©Jessica Laguerre, INRAP

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Archéologie : à la Réunion, une prison pour enfants de l’époque coloniale révèle son histoire

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Pour la première fois en France, un “bagne d’enfants” fait l’objet d’une étude archéologique approfondie. Les fouilles menées par l’INRAP sur l’ancienne colonie pénitentiaire de l’îlet à Guillaume, à la Réunion, mettent en lumière l’organisation (habitat, ateliers, lieux de culte, etc.) et la chronologie du site.

Construite en 1864 par les missionnaires de la congrégation du Saint-Esprit, cette colonie pénitentiaire de mineurs, établie sur l’îlet à Guillaume, à la Réunion, a accueilli plus de 3.000 enfants en 15 ans. Ils étaient placés sous la garde très stricte des frères spiritains, qui les faisaient notamment travailler à la construction de bâtiments, pour les “redresser” suite à une condamnation par la justice des enfants. Ce pénitentiaire, placé sur le plateau de 5 hectares d’une falaise isolée surplombant la rivière Saint-Denis, a été très peu étudié par les chercheurs. L’INRAP, avec le soutien du département, entreprend donc de le documenter depuis octobre 2020 en croisant archives et études archéologiques.

(Re)dresser les enfants

En 1850, une loi sur l’emprisonnement des enfants crée le statut des colonies pénitentiaires agricoles, comme celle de l’îlet à Guillaume. Elle impose une discipline très dure aux enfants qui y sont envoyés et préconise leur mise au travail dans les champs ou dans les industries avoisinantes. Dans Surveiller et punir (1975), Michel Foucault les considère comme des “cloîtres” ou des “prisons”. La colonie de l’îlet à Guillaume ne fait pas exception.

En effet, durant les quinze années de son existence, les missionnaires n’ont pas ménagé les enfants, les faisant travailler aux champs, à la forge, à la scierie ou dans la basse-cour. Les conditions de vie des petits bagnards seront malheureusement rarement dénoncées. En outre, les enfants ont probablement contribué à la construction de nombreux bâtiments du site (terrasses, forge et chapelle provisoire) comme le laisse supposer la présence de pierres taillées de petites dimensions. Ils auraient également réalisé les dallages de la voirie principale.

Pour prévenir les évasions, le site n’était pourvu d’aucun mur d’enceinte ni d’aucune barricade. Son implantation dans une forêt isolée et hostile suffisait à décourager les plus téméraires. Une case, celle du frère Alexandre, était située au seul point de sortie pour s’assurer qu’aucun détenu ne prenne la fuite.

Vestiges de la communauté pénitentiaire © INRAP
Des fouilles inédites

Les recherches menées sur la colonie de l’îlet à Guillaume se situent au croisement du travail d’archives et des fouilles archéologiques. Le premier, assuré par Véronique Blanchard, permet une revue exhaustive de toute la documentation existante sur le pénitencier. De leurs côtés, des archéologues, topographes et archéobotanistes, sous la houlette de Thierry Cornec, analysent le lieu en profondeur. Ils ont d’abord entrepris de comprendre l’ordre dans lequel ont été construits les bâtiments et par qui. Les fouilles ont mis en lumière l’organisation de la colonie, la fonction des bâtiments mais aussi les méthodes d’approvisionnement en eau grâce à la mise au jour d’un système de canalisations.

Ces observations ont été rendues possibles par des modélisations au Lidar (détection laser). Cette technologie de sonde a permis de reconstituer numériquement l’ensemble du site en 3D. Des prélèvements du sol vont enfin permettre de savoir quel genre d’agriculture pratiquait la colonie grâce à des analyses archéobotaniques.

Entre sa fermeture en 1879 et les années 1950, le lieu avait été complètement délaissé par les autorités. Si un plan du site a bien été réalisé en 1999, une documentation approfondie était nécessaire pour comprendre le rôle et le fonctionnement de ce lieu qui a mis au travail forcé plusieurs milliers d’enfants.” [lire l’article sur  CONNAISSANCEDESARTS.COM]

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  • Illustration de l’article : Section des routes. Frère Isaac (1868) © Congrégation du Saint-Esprit via connaissancedesarts.com

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