ATWOOD : textes

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[ISBN : 2-221-20332-1]

Margaret Eleanor « Peggy » ATWOOD est née le 18 novembre 1939 à Ottawa, Ontario (CA). Femme d’engagement, elle est non seulement une romancière canadienne majeure mais également une poétesse et critique littéraire respectée. The Handmaid’s Tale (La servante écarlate, Pavillons, 1987, pour l’édition française) est un roman dystopique (c’est à dire, racontant une utopie négative) paru en 1985. De longues années après une adaptation peu exaltante de Volker Schlöndorff (1990), le roman a servi de base à une série américaine du même nom, commencée en 2017 (bande-annonce).

Quand elle [la mère de la narratrice] disait cela, elle pointait le menton en avant. Je me souviens d’elle ainsi, le menton en avant, un verre posé devant elle sur la table de la cuisine ; non pas jeune et décidée, comme elle l’était dans le film, mais sèche, irascible, le genre de vieille femme qui ne laisse personne lui carotter sa place dans la file d’attente au supermarché. Elle aimait venir chez moi et prendre un verre pendant que Luke et moi préparions le dîner, et nous dire ce qui n’allait pas dans sa vie, qui glissait invariablement vers ce qui n’allait pas dans la nôtre. Elle avait alors les cheveux gris, bien sûr. Elle refusait de les teindre. Pourquoi faire semblant ? disait-elle. De toute façon, à quoi bon, je ne veux pas d’un homme chez moi, à quoi servent-ils en dehors des dix secondes qu’il faut pour faire la moitié d’un bébé ? Un homme, c’est juste une stratégie de femme pour fabriquer d’autres femmes. Ce n’est pas que ton père n’ait pas été un type gentil, et tout, mais il n’était pas fait pour la paternité. D’ailleurs je ne me faisais pas d’illusions là-dessus. Fais juste le boulot, et puis tu peux te tirer, j’ai dit, je gagne correctement ma vie, je peux payer la garderie. Alors il est parti sur la Côte, et il envoyait une carte à Noël. Il avait de beaux yeux bleus, pourtant ; mais il leur manque quelque chose, même aux gars bien. C’est comme s’ils étaient constamment distraits, comme s’ils n’arrivaient pas tout à fait à se rappeler qui ils sont. Ils regardent trop le ciel. Ils perdent le contact avec leurs pieds. Ils n’arrivent pas à la cheville des femmes, sauf qu’ils savent mieux réparer les voitures et jouer au football, tout ce qu’il nous faut pour améliorer la race humaine, pas vrai ?

ATWOOD M., La servante écarlate (Paris, Pavillons, 1987)

En savoir plus sur ce que TELERAMA.FR dit de Margaret ATWOOD, “une romancière extra-lucide” 


Une tunique rouge – A Ruth

Ma sœur et moi, nous cousons
une tunique pour ma fille.
Elle pique, je fait l’ourlet, nous cousons.
Les ciseaux vont et viennent sur la table.

Les enfants ne doivent pas porter du rouge,
c’est un homme qui me l’a dit, un jour.
Les jeunes filles ne portent pas de rouge.

Dans certains pays, c’est la couleur
de la mort ; dans d’autres, c’est la passion,
ou encore la guerre, ou encore la colère,
ou encore le sacrifice

et le sang répandu. Une jeune fille, ça doit être
un voile, une ombre blanche, pas de sang,
comme la lune sur l’eau ; pas de
danger ; elle doit

rester silencieuse et ne pas porter
de souliers rouges, de bas rouges, ni danser.
Danser avec de souliers rouges peut être mortel.

A Red Shirt – for Ruth (1978, traduction : Patrick Thonart)


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