Kombucha : description, origine et recette

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[DOCTONAT.COM] C’est une boisson fermentée des feuilles de la plante Camellia sinensis, le théier. Il s’agit donc d’un thé (vert, noir, blanc, Oolong…) qui est fermenté, auquel est ajouté des sucres, des levures acétiques et des bactéries et que l’on fait fermenter pendant une semaine. Ainsi, il est appelé “champignon du thé” ou “mère”. Il produit de l’alcool qui aide les bactéries à produire des principes actifs. Les feuilles sont retirées de la préparation. Il est possible aussi d’en produire à partir de la plante rooibos.‌ Il semble avoir des propriétés antioxydantes équivalentes, cependant il a été très peu étudié.

Le processus de fermentation produit une variété de composés antioxydants qui permettraient une détoxification, grâce à la saccharolactone, sa principale substance active. Elle est reconnue pour favoriser la longévité. Il contient plus d’antioxydants que les autres formes de thé, mais les études comparatives ne sont pas suffisamment nombreuses pour connaître ses effets par rapport aux catéchines et à la vitamine C.

Les organismes essentiels, qui composent la “mère” ou “champignon” du kombucha (jusqu’à 163 souches de levures ont été détectées), produisent des acides acétique, lactique et gluconique. Les bactéries acétiques ont, pendant des siècles, permis de produire des aliments et des boissons fermentées tels que le vinaigre, le kéfir (d’eau) et la bière lambic (de fermentation spontanée). Après fermentation, certains composants de cette boisson se dégradent : les catéchines (18 à 48%), les théaflavines et les théarubigines (5 à 11% après 18 jours de fermentation). Les polyphénols du thé vert et ceux, produits dans le processus de fabrication du thé noir, sont encore présents dans cette boisson. De l’alcool est produit lors de la fermentation, sa teneur en alcool est généralement inférieure à 1%.‌‌

Bien que le kombucha peut présenter de nombreux bienfaits pour la santé, une préparation inappropriée peut provoquer une toxicité et entraîner la mort. Des normes d’hygiène non respectées et une période de fermentation trop longue peuvent contribuer à sa toxicité. Cependant, il semble être sans danger pour la consommation humaine lorsqu’il est correctement traité et consommé avec modération.

Lorsqu’il n’est pas consommé directement après fermentation, il est pasteurisé ou des conservateurs sont ajoutés, afin d’éviter une croissance microbienne excessive.

Les bienfaits supposés du kombucha sur la santé humaine ont été établis à partir d’études in vitro, ainsi qu’à partir d’études réalisées sur des aliments fermentés, ainsi que sur le thé et leurs principes actifs. A ce jour, une seule étude sur l’être humain existe, et elle est en cours de réalisation.

Les avantages pour la santé, démontrés par les études in vitro et in vivo, sont nombreux :

      • activité antimicrobienne ;
      • amélioration des fonctions hépatiques et gastro-intestinales ;
      • stimulation immunitaire, détoxification ;
      • propriétés antioxydantes et antitumorales ;
      • stimulation immunitaire ;
      • inhibition du développement et de la progression de certains cancers, des maladies cardiovasculaires, du diabète et des maladies neurodégénératives ;
      • fonction normale du système nerveux central.

Des composants isolés du kombucha montrent aussi des bienfaits intéressants. Ainsi, les bactéries lactiques Pediococcus pentosaceus et Pediococcus acidilactici, présentent des propriétés probiotiques qui pourraient être utiles à l’industrie agro-alimentaire. Les levures Coriolus versicolor et Lentinus edodes pourraient avoir un bénéfice protecteur avec une action immunomodulatrice potentiellement bénéfique dans les allergies.

Le micro-écosystème de cette boisson a montré pouvoir survivre à des conditions de vie correspondant à celles de la planète Mars, pendant 18 mois ! Dans une étude, il a été utilisé pour produire du levain, servant à fabriquer le pain. La durée de conservation du pain a été prolongée de 5 à 10 jours, à température ambiante.


Comment le kombucha s’est-il créé ?

[REVOLUTIONFERMENTATION.COM] Pour faire du kombucha, il faut du thé, du sucre et une mère de kombucha. Et pour faire une mère de kombucha, il faut… du kombucha ! Alors, d’où vient le premier kombucha ? Le kombucha n’a pas été créé par l’être humain. Sa naissance est un phénomène naturel. Comme dans le cas de l’œuf ou la poule, on ne peut pas identifier l’apparition du premier kombucha. Toutefois, on est capable de deviner ce qui s’est passé!

En effet, le monde qui nous entoure est peuplé de microorganismes à l’affût de milieux à coloniser pour se développer. Le premier kombucha est né par hasard, dans une tasse de thé sucré oubliée sur le rebord d’une fenêtre. Des bactéries et des levures se seraient installées dans la tasse de thé sucré et se seraient multipliées. Elles auraient ainsi créé une pellicule gélatineuse, auraient mangé le sucre et acidifié le thé. À l’époque, la fermentation, c’était de la magie !

Devant cette transformation, les personnes de l’époque auraient goûté au thé fermenté, et l’auraient tellement apprécié qu’ils auraient ajouté un peu de thé sucré pour l’allonger. Ce thé se serait transformé à son tour en kombucha. La pellicule gélatineuse capable de faire du kombucha aurait ainsi été entretenue et baptisée mère de kombucha (ou encore champignon de kombucha). La mère se serait ensuite transmise à travers les époques, jusqu’à nous parvenir aujourd’hui.

Quand et où le kombucha est-il né ?

Pour que du kombucha puisse se créer spontanément, il faut du thé, du sucre et des microorganismes. Comme le kombucha est un phénomène naturel, on peut essayer de déduire son origine en recherchant quand et où les ingrédients du kombucha se sont rencontrés pour la première fois.

      • Microorganismes : ils sont aussi vieux que la vie elle-même. Les microorganismes sont présents partout sur terre depuis plusieurs milliards d’années.
      • Sucre : les premières traces de cultures sucrières remontent à 6000 ans en Asie du Sud-Est. Le sucre est arrivé 500 ans plus tard en Chine.
      • Thé : la consommation de thé a vraisemblablement débuté dans la région du sud-est de la Chine il y a près de 5000 ans.

En conclusion, il est donc très probable que le premier kombucha soit apparu spontanément, il y a près de 5000 ans dans le sud-est de la Chine. Cependant, nous n’avons aucun moyen de le savoir avec certitude.

Légendes du kombucha

Plusieurs légendes et mythes se partagent l’origine du kombucha. Si l’hypothèse présentée plus haut est la plus probable, voici trois légendes à propos de la naissance du kombucha.

L’élixir de longévité du kombucha en Chine
Qin-Shi-Huang

La première légende du kombucha remonte à 200 ans avant Jésus-Christ, en Chine. L’Empereur Quin Shui Huang était en quête d’immortalité. Il lança un décret ordonnant que ses sujets trouvent la clé de la vie éternelle. Un des élixirs testés aurait été le lingzhi ou thé de champignon. Sachant que la mère de kombucha est souvent appelée “champignon”, beaucoup d’amateurs de kombucha croient que cet élixir de longévité fait référence au kombucha.

Le kombucha pour soigner l’Empereur du Japon

Une autre légende date de l’an 415 de notre ère, où un docteur du Royaume de Sylla (Corée) aurait été invité à soigner l’Empereur japonais Ingyō. Ce docteur aurait utilisé un thé fermenté pour guérir l’empereur malade. Le nom du docteur était Komu-ha. On y aurait ajouté le suffixe cha (thé, en japonais), et l’histoire nous aurait donné kombu-cha, ou thé du docteur Komu.

La fourmi, le moine et l’Empereur

Une autre légende, originaire de Russie, cette fois-ci, raconte qu’un empereur malade fit appel à un moine doté de pouvoirs de guérison. Le moine promis de traiter la maladie de l’empereur avec une simple… fourmi ! Il déposa la fourmi dans le thé de l’empereur, et lui conseilla d’attendre que la méduse grandisse. Le thé sous la méduse (une mère de kombucha ?) pourrait alors le guérir.

Si aucune de ces trois légendes ne peut être prouvée, on voit un lien très fort entre le kombucha et la santé. La boisson de l’époque devait être consommée sous sa forme très vinaigrée et concentrée en probiotiques.

Le kombucha en Russie

C’est en Russie, que le kombucha est pour la première fois mentionné dans une étude scientifique en 1913, par la chercheuse A.A. Bachinskaya. Cette biologiste russe étudiait des cultures provenant de plusieurs parties de la Russie. Elle décrivait également dans son article les caractéristiques de la mère de kombucha. Le kombucha était alors consommé par une grande partie de la population comme tonique pour la santé. On l’appelait Чайный гриб, soit champignon de thé ou affectueusement грибок ou petit champignon. Les Russes consommaient plusieurs sortes de breuvages fermentés, qui étaient appelés kvass. Le kombucha était aussi appelé kvass de thé.

La même année, le professeur allemand G. Lindau a publié un article sur la consommation du kombucha en Russie. Cet article s’intéressait particulièrement aux bienfaits santé du kombucha. Dans son article, Lindau mentionne que le kombucha est aussi appelé champignon japonais. Comme quoi le kombucha pourrait certainement venir d’Asie !

Le kombucha a continué à être très populaire en Russie jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Avec le sucre et le thé fortement rationnés, la consommation de kombucha a diminué considérablement.

Le kombucha sacré des Italiens

© DP

Dans les années 50, les Italiens ont vécu une histoire d’amour intense avec le kombucha ! Le kombucha s’est répandu dans la population, entouré de divers protocoles et de superstitions. C’était un peu comme une chaîne de lettres ! Pour bénéficier de ses bienfaits, il fallait séparer la mère de kombucha en 4 et en donner 3 parties à ses amis proches avec des instructions claires pour la nourrir. On ne pouvait pas vendre ou jeter sa mère de kombucha, ou alors elle perdrait toutes ses propriétés magiques. Le malheur s’abattait alors sur nous, mais aussi sur tous ceux à qui on avait donné une mère de kombucha ! Le kombucha s’est répandu comme une traînée de poudre dans toutes les sphères de la population. Les autorités ont tenté de mettre fin à la mode du kombucha quand des Italiens se sont mis à voler de l’eau bénite dans les églises. Ils l’ajoutaient à leurs kombuchas, pour en fortifier les bienfaits !

Les années 60 du kombucha

Quelques années plus tard, Rudolf Sklenar, un docteur allemand, découvre la boisson en Russie, et en ramène chez lui pour l’étudier. Il prescrit alors le kombucha pour soigner différents maux : rhumatismes, problèmes intestinaux, goutte… Il publie en 1964 le résultat de ses recherches. C’est à partir des années 60 que de nombreux livres paraissent sur le kombucha, et que les mères commencent à se partager à travers le monde. Le kombucha conquiert l’Europe et se fait adopter aux États-Unis, particulièrement dans les communautés alternatives et hippies.

Le kombucha est alors présenté comme une boisson miraculeuse, capable de prévenir le cancer et même de guérir le sida. Si beaucoup de ses bienfaits miraculeux se sont avérés sans fondements avec les années, plusieurs études ont témoigné des bienfaits santé du kombucha. Comme d’autres aliments fermentés, il contient de bonnes bactéries probiotiques et soutient le système digestif.

L’expansion commerciale du kombucha

C’est en 1995 que la première compagnie de kombucha commercial, GT kombucha, voit le jour aux États-Unis. Au début des années 2000, les compagnies commerciales de kombucha se multiplient partout à travers le monde. On en trouve aujourd’hui sur tous les continents.

Le kombucha a également évolué. La saveur du kombucha n’est plus juste nature et très acide. On boit encore du kombucha pour ses bénéfices santé (faible teneur en sucre, probiotiques, ingrédients naturels), mais aussi comme une alternative à l’alcool, au café et aux boissons gazeuses. Le kombucha est faible en sucre, en caféine et en alcool. Il s’est donc taillé une place de choix dans nos verres ! On trouve désormais du kombucha à toutes sortes de saveurs, du kombucha alcoolisé, du kombucha sans sucre, du kombucha local, et bien plus encore !

En 2019, la taille du marché mondial du kombucha s’élevait à 1,84 milliard USD. Quand on aime le kombucha, difficile de s’en passer ! Plusieurs se sont tournés vers la production du kombucha à la maison, pour en avoir toujours sous la main. Incroyable de penser qu’une colonie de microorganismes a traversé les âges pour parvenir à nos verres !


© Michel Laurent

La recette de LA PETITE SOURCE

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Par litre d’eau :

      • 1 mère de kombucha (avec culture liquide)
      • 5 sachets de thé vert ou noir
      • 100 g sucre
      • 1 litre d’eau filtrée
      • 100 ml de kombucha
Etapes
Préparation du thé sucré

Placer les sachets de thé dans la jarre. Verser 11 d’eau bouillante, laisser infuser 15 minutes, puis retirer les sachets de thé. Ajouter le sucre et remuer jusqu’à dissolution. Laissez le thé devenir tiède.

Ajout de la mère de kombucha

Ajouter la mère de kombucha avec sa culture liquide. Couvrir le récipient avec le tissu et fixer avec l’élastique. Mettre la jarre dans un endroit bien aéré, à l’abri de la lumière directe du soleil.

Fermentation du kombucha

Laisser fermenter pendant 2 à 3 semaines à température ambiante. Le kombucha est prêt quand son niveau de sucre et d’acidité sont à votre goût. N’utilisez jamais de cuillère en métal dans votre kombucha, mais toujours une cuillère en bois !

Aromatisation (éventuellement)

Retirer la mère de kombucha et 500ml (2 tasses) de kombucha nature. Mettre de côté pour démarrer votre prochaine recette. Ajouter du jus de fruits, de la tisane, du sirop, des fruits hachés ou tout ce que vous voulez pour aromatiser votre kombucha. Consultez des recettes de kombucha pour des saveurs inspirantes.

Embouteillage

Verser le kombucha dans des bouteilles résistantes à la pression. Conserver les bouteilles à température ambiante. Après 3 jours, ouvrir et refermer une bouteille pour tester sa pression. Prolonger la fermentation de quelques jours de plus pour un kombucha plus pétillant. Quand c’est assez pétillant (attention à la pression !), mettre au réfrigérateur.

Notes

Et voilà! Votre kombucha est maintenant prêt à être consommé. Il se conserve au réfrigérateur sans réelle limite de temps. Pour préparer votre prochaine boisson kombucha : lavez la mère sous l’eau courante tiède et recommencez tout le processus.

Vera & Raoul DE BOCK-VAN DE WIELE


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Plus de vie en Wallonie…

SHINODA, Toko (1913-2021)

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Née en 1913 en Mandchourie et dans une famille de sept enfants, Toko Shinoda grandit au Japon, où elle apprend dès ses 6 ans la calligraphie. Le travail de son oncle, qui grave des sceaux pour la famille impériale, va l’inspirer et lui révéler sa vocation très tôt. Dans une atmosphère érudite, j’ai grandi en sachant que je voulais faire ces choses, devenir une artiste”, confie-t-elle à l’agence de presse américaine United Press International, en 1980. Dès l’adolescence, Toko Shinoda ressent le besoin de s’extraire des carcans réducteurs de cet art millénaire très codifié pour expérimenter une nouvelle forme d’art. Malgré les remontrances de son père, elle cherche de nouveaux motifs en travaillant toujours avec l’encre et le papier traditionnel japonais en poussant la calligraphie jusqu’à ses limites.

Après avoir exposé à Tokyo en 1940, la calligraphe passe deux ans à New York, où elle rencontre les maîtres de l’expressionnisme abstrait étasunien, notamment Mark Rothko et Jackson Pollock, qui font prendre à son art un tournant décisif. S’inspirant de ce courant, elle crée des formes longilignes en camaïeux de noirs, qu’elle rehausse parfois d’un sépia ou d’un bleu. Utilisant la technique pluricentenaire de l’encre solide sumi, produite à partir de suie de façon artisanale et s’utilisant en frottant un bloc contre une pierre mouillée, Toko Shinoda développe une œuvre extrêmement réfléchie et planifiée. L’encre sumi a en effet la particularité d’être très rapidement absorbée par le papier, ce qui rend impossible tout travail postérieur une fois que le trait est tiré. Avec ses traits minutieux et asymétriques, elle cherche à capturer le fugace et l’évanescent inhérents au quotidien.

La vie de Toko Shinoda a été émaillée de reconnaissance, ce qui n’était pas couru d’avance pour une femme dans le Japon du XXe siècle. Elle a très tôt été distinguée comme l’une des plus grandes calligraphes de son époque à son installation à Tokyo lorsqu’elle était jeune adulte, dans les années 1930. Un grand honneur, habituellement réservé aux hommes, dans une société où les rôles de genre sont très marqués et segmentés. Son œuvre est exposé au Museum of Modern Art (MoMA) dès 1954, lors d’une exposition consacrée à la calligraphie japonaise. Par la suite, il entre dans les collections du Metropolitan Museum (Met) à New York, du MoMA, de la famille impériale japonaise et du British Museum de Londres, entre autres. Toko Shinoda réalise également des gravures et des peintures murales, notamment pour le temple bouddhiste Zojo-Ji de Tokyo. Aujourd’hui, ce sont ses œuvres qu’elle laisse derrière elle : Je ne me suis jamais mariée et je n’ai pas d’enfants », a-t-elle déclaré au Japan Times en 2017, et je suppose que cela semble étrange de penser que mes peintures sont à leur place – bien sûr, ce n’est pas du tout la même chose. Mais je le dis, lorsque des peintures que j’ai faites il y a des années reviennent dans ma conscience, on dirait qu’un vieil ami, ou même une partie de moi, est revenu me voir“.

d’après CONNAISSANCEDESARTS


De la calligraphie aux lithographies

Formée à la calligraphie depuis l’âge de 6 ans, Tôkô SHINODA a grandi au sein d’une famille d’artistes qui comptait parmi ses membres un ancien calligraphe de l’Empereur Meiji. Elle s’éloignera progressivement de la calligraphie traditionnelle et de ses conventions pour chercher son mode d’expression propre. Elle continue cependant d’utiliser de l’encre, le sumi d’origine chinoise, pour tracer au pinceau d’élégantes lignes qu’elle imprimera ensuite par lithographie… Lithographies auxquelles elle appose souvent une touche finale de couleur, le plus souvent à l’encre rouge. Son œuvre est le plus souvent, et assez unanimement, caractérisée comme la fusion réussie de la calligraphie traditionnelle et de l’expressionnisme abstrait. Une qualification judicieuse mais trop peu explicitée. Tâchons ici d’en préciser un peu les contours.

L’esprit libre et l’aventure de l’expressionnisme

Son itinéraire artistique la mène de la calligraphie à l’expressionnisme ; de Tôkyô au New York effervescent des années 1950, où elle croisera le chemin de certains des membres de l’école de New York : Mark RothkoRobert Motherwell… Elle trouve dans leurs questionnements communs une inspiration qui ne la quittera plus.

D’un côté, elle rejoint le rejet marqué de la figuration qui caractérise ce courant, qui marche alors sur les traces de Kandinsky ou de Gorky. De l’autre, elle est séduite par la primauté donnée aux émotions et à la libre exploration des moyens permettant de les exprimer. Lui est donnée l’occasion de participer à cette grande aventure, cette quête existentielle de la peinture qui se cherche en-dehors de la figuration et de la représentation. La matière, la forme et la couleur sont en train de prendre le devant d’une scène bouillonnante où les débats et les désaccords sont fréquents. Clement Greenberg, critique engagé dans le mouvement depuis ses prémices, tentera d’analyser cette époque dans un célèbre essai de 1982 intitulé Modernist painting dans lequel il explique que l’art se développe en faisant sa propre critique, en éliminant tout ce qui ne relève pas directement de l’art (comme l’imitation de la Nature qui caractérisait la peinture occidentale prémoderne).

C’est dans ce contexte que Shinoda s’inscrit : si j’ai une idée bien définie pourquoi la peindrais-je ?” déclare-t-elle dans une interview en 1980. Je vivais en quelque sorte dans une excitation quotidienne indescriptible. Les artistes étaient libres de faire tout ce qu’ils voulaient”. Elle se passionne alors pour une forme particulière qu’elle ne cessera de mettre et remettre sur l’ouvrage : le trait. En même temps, elle renoue définitivement avec l’encre de Chine qu’elle choisit parce qu’elle offre la plus grande variété de couleurs et de variations”. Le souci de la matière et de ses possibilités est plus fort que jamais.

Cette quête l’aura menée loin de la calligraphie traditionnelle et de ses règles d’airain dont elle ne voulait plus depuis longtemps, au grand dam de son père. Pourtant Shinoda ne s’est jamais vraiment coupé de toute influence japonaise, bien au contraire. Sa proximité avec les traditions de pensée japonaise fera même hésiter les critiques sur l’épithète à lui attribuer : le Time en 1983 lui consacre un article intitulé Une conservatrice renégate, une libérale traditionaliste.

Une sagesse iconoclaste

Commençons par le bouddhisme. Son influence sur la peinture et la calligraphie sino-japonaise est indiscutable. Il n’est donc pas incongru de l’y retrouver sous le pinceau, ni sous la plume, de Tôkô Shinoda qui a également beaucoup écrit. Il est impossible de décrire mon évolution artistique avec des mots […] En fait je pense que mes œuvres n’expriment rien. Mais même si elles n’expriment rien on aime parfois à les regarder”. Le rien dont Shinoda parle n’est pas le néant occidental mais la “vacuité” bouddhiste.

Un autre thème qui imprègne son œuvre et sa vie est celui de l’impermanence, présent à la fois dans le bouddhisme et dans la sensibilité traditionnelle. Ma vie est en quelque sorte un rêve. Peindre une ligne est comme un rêve” déclare-t-elle à 102 ans, filant une métaphore courante qui traverse l’histoire du Japon et qui rappelle celle du “monde flottant” des estampes. Comme pour le haïku (elle en écrit d’ailleurs), elle conçoit ses œuvres comme des tentatives de refléter son émotion (kokoro) à l’instant où elle peint. Une phrase qu’elle aime citer et qui a donné son titre à un livre, la vie est (d’)un seul trait, peut également s’interpréter à cette aune.

Bien que nourrie de tradition japonaise, la personnalité de Tôkô Shinoda détonnait souvent avec le reste de la société de son temps. Plutôt solitaire (elle ne s’est jamais mariée) et pas conformiste pour deux sous, sa liberté d’esprit et de réflexion l’ont parfois amenée à des positions iconoclastes.

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Plus d’arts visuels en Wallonie et à Bruxelles…

 

SAKAMOTO : Ryuichi Sakamoto, le dernier empereur

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[LECHO.BE, 3 avril 2023] Un mois et demi après la sortie de 12, son dernier album, le compositeur japonais Ryuichi Sakamoto, 71 ans, héritier de Debussy, pionnier des musiques électroniques et Oscar 1988 pour sa BO du Dernier empereur de Bertolucci, a été emporté par son cancer.

Il a composé des musiques de films inoubliables, inlassablement défriché en pionnier les sons numériques et milité avec ferveur pour l’environnement : le foisonnant artiste Ryuichi Sakamoto, adulé dans son Japon natal, est mort d’un cancer le 28 mars à 71 ans. “Il a vécu avec la musique jusqu’à la toute fin“, a déclaré son équipe dans un communiqué publié sur son site officiel, ajoutant que l’artiste avait souhaité des funérailles discrètes réservées à son cercle familial.

Sakamoto avait révélé début 2021 souffrir d’un cancer colorectal, après avoir été traité pour un cancer de la gorge depuis 2014.

Le grand public international l’a découvert avec ses musiques de films, à commencer par celle de Furyo de Nagisa Oshima (1983), film subversif sur un camp de prisonniers en Asie durant la Seconde Guerre mondiale, où Ryuichi Sakamoto brille aussi en tant qu’acteur au côté de David Bowie et Takeshi Kitano.

Il décroche en 1988 l’Oscar de la meilleure musique de film pour avoir co-écrit celle du Dernier Empereur de Bernardo Bertolucci, qui collaborera plusieurs fois avec lui, notamment sur son film suivant, Un thé au Sahara (1990). Ryuichi Sakamoto avait aussi travaillé pour Brian de Palma et Pedro Almodovar, et plus récemment écrit la bande originale de The Revenant d’Alejandro González Iñárritu (2015).

Le “professeur”

Né à Tokyo le 17 janvier 1952, il a grandi en baignant dans la culture et les arts, son père étant éditeur de romanciers japonais, dont les immenses Kenzaburo Oe et Yukio Mishima. Il découvre le piano très jeune. Adolescent, le rock des Beatles et des Rolling Stones le fascine tout autant que Bach et Haydn, avant de tomber éperdument amoureux de Debussy.

Tout en menant des études d’ethnomusicologie et de composition, ce qui lui vaudra au Japon le surnom respectueux de “professeur“, il commence à se produire sur scène dans le Tokyo bouillonnant des années 1970. “Je travaillais avec l’ordinateur à l’université et je jouais du jazz, j’achetais de la musique psychédélique West Coast et les premiers disques de Kraftwerk l’après-midi, et la nuit je jouais du folk. J’étais pas mal occupé !” racontait-il en 2018 au quotidien britannique The Guardian.

En 1978 il co-fonde avec Haruomi Hosono et Yukihiro Takahashi le groupe Yellow Magic Orchestra (YMO), dont l’électro-pop survitaminée aura par la suite une énorme influence sur la techno, le hip-hop et la J-pop, et inspirera les mélodies synthétisées des premiers jeux vidéo.

Le succès de YMO sera phénoménal au Japon et certains de ses tubes seront remarqués aussi en Occident, comme l’électro-funk Computer Game/Firecracker, qui sera samplé par le pionnier américain du hip hop Afrika Bambaataa, ou Behind the Mask, qui donnera lieu à des reprises par Michael Jackson et Eric Clapton.

Antinucléaire fervent

Après la dissolution de YMO fin 1983, Ryuichi Sakamoto donnera libre cours à ses projets solo, explorant au fil de sa carrière une foule de styles musicaux (rock progressif et ambient, rap, house, musique contemporaine, bossa nova…). Il multiplie les collaborations avec des artistes avant-gardistes, mais aussi avec des stars comme le punk Iggy Pop, la chanteuse capverdienne Cesaria Evora, le Brésilien Caetano Veloso ou encore le Sénégalais Youssou N’Dour. “Je veux être un citoyen du monde. Cela peut sonner très hippie, mais j’aime ça” disait Ryuichi Sakamoto, qui vivait à New York depuis les années 1990.

Artiste engagé

Loin d’être un artiste dans sa tour d’ivoire, Ryuichi Sakamoto était aussi très sensible aux grands enjeux sociétaux. Militant écologiste de longue date, il était devenu une figure de proue du mouvement antinucléaire au Japon après la catastrophe de Fukushima en mars 2011. A ce titre, il avait notamment organisé en 2012 un méga-concert contre le nucléaire près de Tokyo, en y conviant non sans ironie ses amis de Kraftwerk (qui veut dire centrale électrique en allemand), et dont l’un des titres phare s’appelle Radioactivity.

Il avait également fondé en 2007 More Trees, une ONG de gestion durable de forêts au Japon, aux Philippines et en Indonésie. Marié et divorcé à deux reprises, Ryuichi Sakamoto était notamment le père de la chanteuse de J-pop Miu Sakamoto, née en 1980 de son union avec la chanteuse et pianiste japonaise Akiko Yano.

12, l’album poignant et minimaliste de Ryuichi Sakamoto

Dans son dernier album intitulé 12 (sorti le 17 février 2023 chez Sony Music), Ryuichi Sakamoto dévoile une musique minimaliste pour douze morceaux émouvants. Dans ce nouvel album, il semble composer la bande-son de sa propre fin. Une musique poignante, minimaliste, pour douze morceaux émouvants, même sans titre.

Une des pistes, par exemple, propose des simples notes de piano qui évoquent une petite pluie fine observée derrière la fenêtre, voire le goutte à goutte d’une perfusion. Par moments, on entend le pianiste respirer, difficilement, son cancer de la gorge renforçant peu à peu son emprise sur l’ensemble de son corps.

Des mélodies que l’on croirait déjà composées dans les limbes, aériennes, flottantes, d’un musicien plus en rémission qui s’en remet au destin avec raison, dans une oraison pourtant pas funèbre. Une musique sereine – d’un homme en paix avec lui-même-, apaisée donc, d’une beauté épurée qui évoque un Érik Satie qui aurait rangé au placard sa gaieté, un Quatuor pour la fin du temps de Messiaen que Ryuichi interprète en solo, puisqu’il s’agit de la fin du sien.

AFP / Bernard Roisin


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Plus de musique en Wallonie-Bruxelles…

KATAYAMA, Mari (née en 1987)

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Présentée à la Biennale de Venise de 2019, Mari KATAYAMA compte déjà quelques adeptes qui ont à cœur de la faire découvrir au public. Mordu de son travail, le directeur de la MEP, Simon Baker, songe à l’exposer à Paris depuis sa prise de fonction en 2018. Plusieurs fois décalé en raison de la crise sanitaire, le projet se concrétise enfin [en 2021]. Avec Home again, on suit le parcours à la fois singulier et évolutif de Mari Katayama à travers des photographies datées de 2009 à 2019. Ce parcours restitue un cheminement personnel : celui qu’il a fallu à la photographe pour apprivoiser son corps “hors norme”. Dans toute la résistance qu’il lui oppose, ce dernier va lui offrir un médium puissamment expressif.

Mais avant d’embarquer dans ce monde étrange, petit détour biographique. Née en 1987 à Saitama, au Japon, Mari Katayama est encore enfant quand elle est confrontée à un dilemme qui influera sur le reste de son existence. Atteinte d’une maladie rare qui bloque la croissance de la partie inférieure de ses jambes et de sa main gauche, elle doit choisir d’être amputée si elle ne veut pas passer toute sa vie en chaise roulante. Elle accepte. Loin de l’enfermer dans un destin tracé d’avance, cette décision fera d’elle l’artiste qu’elle est aujourd’hui. Délestée de ces membres qui refusaient de grandir, Mari Katayama fait l’acquisition de prothèses qui lui offrent une plus grande liberté de mouvement. Problème : les vêtements proposés dans les magasins ne sont pas adaptés à ce nouveau corps armé de jambes artificielles. C’est alors que sa grand-mère décide de lui enseigner la couture, persuadée qu’une fois qu’elle aura fabriqué ses propres ailes elle pourra prendre son envol. Mais le monde de l’enfance n’est pas tendre… Joliment rhabillée, les autres n’en oublient pas moins sa main “pince-de-crabe” et ses prothèses qu’ils dévisagent avec insistance et moquent. Mari Katayama continue de coudre et de broder, imaginant toujours plus de subterfuges pour cesser d’être vue comme un monstre. Aux vêtements, elle ajoute des perles, des coquillages, des sequins et par-dessus tout laisse parler sa personnalité, à la fois pleine de fantaisie et réflexive, qui ne tarde pas à muer les préjugés en fascination à son égard. La création-refuge devient alors plus importante que tout et la conduit à dépasser ses inhibitions initiales.

La première fois que Mari Katayama montre son travail, c’est sur Myspace. Adolescente, elle commence à se déguiser et se met en scène pour des photos qu’elle publie sur le réseau social. Elle a toujours été très consciente de l’image que les autres ont de son corps”, explique Laurie Hurwitz, commissaire de l’exposition. De fait, l’artiste a très tôt perçu le malaise que son enveloppe corporelle inspire. Longtemps, son souhait a été de le cacher. Jusqu’à ce qu’elle apprenne à en jouer. Son blog marque le point de basculement, exposant son image en public en affirmant sa différence. Peu à peu, elle capte l’attention pour finalement l’amener parfaitement où elle veut. Médium essentiel de sa nouvelle activité sur Myspace, la photographie lui offre le moyen d’explorer sa morphologie sous différents angles, de la (re)connaître et de la faire sienne sur un mode ludique. En plus d’être une technique abordable, elle lui permet de guider les regards et de leur faire expérimenter des perspectives inhabituelles.

De ses plus anciennes photos exposées à la MEP, comme White Legs #001 (2009) où elle pose en lingerie, se dégage une sensualité qui n’exclut ni sentiment d’étrangeté ni second degré. Gagnant en maîtrise, passée par la Tokyo University of the Arts, elle fabrique seule des décors de plus en plus élaborés. Mari Katayama s’invente un monde fantasmé dans lequel elle évolue avec une confiance accrue tout en évitant le genre du journal intime. Certains de ses autoportraits évoquent parfois une comédienne dans sa loge avant la montée en scène. Peut-être est-ce là la posture paradoxale qui lui a servi de modèle et donné la force d’affronter un monde hostile. Se placer intentionnellement au centre pour incarner différents rôles et dérober sa vraie identité aux jugements.

© Mari Katayama.

Parmi ses procédés propres, la jeune artiste habille ses jambes et leur donne des formes changeantes. Quand elle n’enfile pas des collants bourrés de tissu, elle imprime des tatouages sur la surface de ses prothèses ou les pare de bijoux. A ceux qui considèrent son corps comme diminué, elle en dévoile les infinies capacités. Chaque nouveau costume opère une mutation par-delà les limites de la morphologie humaine : en sirène, en pieuvre aux tentacules faites de bras de marionnettes… Mari Katayama propose de voir en son handicap non pas un manque mais un signe de distinction positif, une indétermination qui permet d’imaginer une multitude d’identités et de récits. En tricotant des pièces pour ses membres amputés, elle s’offre un nombre illimité de vies. Comme les Moires – ces divinités grecques aveugles qui, en tricotant, décidaient du destin des mortels, de leur vie et de leur mort –, elle donne à la couture une dimension métaphysique. Par-delà le corps octroyé par la nature, les transformations successives de la jeune femme font penser qu’il existe de nombreuses possibilités d’auto-détermination, que l’on peut développer un rapport libre et créatif à son identité. Une démarche en adéquation totale avec le médium photographique qui extrait des images du réel pour en produire des visions à soi. Considérée sous l’objectif de Mari Katayama, l’amputation devient une expérience existentielle “désassignante”. Elle libère du carcan d’avoir un corps et une identité figés.

Si chaque autoportrait semble reformuler ce geste d’émancipation, Home again montre aussi que Mari Katayama a longtemps cantonné son univers artistique à des espaces intérieurs domestiques rassurants (chambre, cuisine, alcôve…), entourée d’une accumulation d’objets personnels, de bocaux de perles, de pièces brodées avec sa grand-mère. Donnant naissance à sa fille en 2017, la maternité lui ouvre un nouveau monde qui se traduit manifestement à l’image. A partir de ce moment, la photographe sort de son cocon et se déplace dans différents paysages. Sur l’île de Naoshima, dans la préfecture de Gunma où elle vit… Près des mines de cuivre d’Ashio, elle prend des clichés d’espaces naturels satellisés par des marques d’industrie et de pollution dont elle tire la série Somewhere in the world I’ve visited (2019-2020). A ce sujet, la photographe dit voir une similitude entre le regard que l’on pose sur son corps et sur ces paysages, perçus eux aussi comme abîmés. En les observant, elle se reconnaît en eux et s’applique à en faire ressortir la puissance. Le nom donné à l’exposition, Home again, peut s’entendre comme une parole de soulagement de l’artiste qui, découvrant un environnement extérieur pas si éloigné d’elle, se dirait : Ici aussi c’est chez moi, j’y ai ma place”.

Plus récemment, Mari Katayama a produit une série plus abstraite qui achève le parcours à travers les différentes périodes de sa jeune carrière. Dans In the Water, ses membres saisis en gros plan sont décontextualisés et deviennent l’unique sujet porté à l’image. Le déguisement tombe : la peau est nue, seulement saupoudrée de paillettes et baignée dans de l’eau. On distingue de légères rougeurs épidermiques. La photographe expliquera qu’elle sortait d’une séance de laser et que les paillettes étaient justement là pour les maquiller, pour faire joli”. La commissaire de l’exposition développe : Mari Katayama a une approche très simple de son travail, ce qui n’empêche pas ce dernier d’être ouvert à de multiples interprétations.” Ces derniers clichés en tête, on ressort de la MEP avec le sentiment que tout ce temps Mari Katayama n’a cessé de franchir des étapes vers l’acceptation de soi. Elle nous convainc depuis ses débuts de la beauté et de la force de son corps qui ne correspond pas aux standards – de la beauté et de la force de ce corps qui est comme libéré du poids uniformisant des regards.

d’après ARTSHEBDOMEDIA.COM


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | source : artshebdomedia.com | mode d’édition : compilation, correction, iconographie | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : Mari Katayama, “You’re Mine #001”, 2014. © Mari Katayama | Pour en savoir plus : visitez le site officiel de Mari Katayama.


Plus d’arts des médias…

MURAKAMI, Takashi (né en 1962)

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Comment parler de l’art japonais contemporain sans citer l’incontournable Takashi Murakami ? Né à Tokyo en 1962, il a étudié la peinture japonaise à l’Université des beaux-arts et de la musique de Tokyo. Il en sort diplômé des beaux-arts en 1986 et poursuit avec un doctorat à Naka, qu’il obtient en 1993. Formé à l’art traditionnel japonais Nihonga, un style de peinture du XIXe siècle, qui combine des techniques de peinture japonaises et européennes, il est rapidement fasciné pour les mangas, les animes et le pop art. C’est ainsi qu’il a développé un style bien à lui, fusion entre l’anime appelé “otaku” et le pop art, qui pris le nom de “poku” (“Biographie de Takashi Murakami”.) Il est aussi célèbre pour avoir développé un personnage du nom de Mr. DOB, dès la fin des années 1990, une sorte de mélange de Mickey Mouse et d’un personnage japonais populaire du même ordre – Doraemon, qui reflèterait les différentes facettes de sa personnalité. On le retrouve toujours fréquemment dans ses œuvres. Son nom provient du japonais “dobojite”, qui signifie “pourquoi”; sous tendue, l’idée que l’art et les artistes japonais doivent arrêter d’imiter l’art et les artistes occidentaux, pour trouver leur propre voie, un style unique (Goldstein).

Nombre de critiques hésitent à qualifier son œuvre farfelue de “beaux-arts”. S’il est indéniablement agréable à contempler, son travail n’aurait, selon ses détracteurs, aucune substance et aurait un caractère trop commercial. Il appartient sans aucun doute au courant des “néo pop” japonais, avec le développement de produits “pop”, suivant un discours aux frontières entre l’art et la pop culture, à l’imagerie ensuite déclinée sur le marché de l’art à proprement parler. Ces dernières années, Murakami a décidé de délaisser un peu l’art commercial pour se focaliser sur son style artistique profond. Son style peu académique a gagné à se faire connaître. Il a été happé sous le feu des projecteurs des milieux artistiques au Japon, aux États-Unis où en France.

Mais qui est vraiment Takashi Murakami ? Célèbre pour ses œuvres saturées de couleurs et ses animes sexuellement chargés et dérangés. L’artiste s’éclipse souvent derrière sa vision psychédélique presque asphyxiante. Tout d’abord, son œuvre est une combinaison entre modernisme et tradition. Même si visuellement il est souvent assimilé à un art purement contemporain, très vibrant, sa philosophie est plus subtile et propose un jeu de contrastes entre tradition et modernité, d’une intelligence remarquable. Sur le plan technique, ses supports artistiques et les matériaux utilisés sont en ligne avec les technologies de pointe les plus avancées. Mais il sait manier l’art du “en même temps” et inclut souvent d’ancestrales techniques artistiques japonaises, comme par exemple la peinture à la feuille d’or. Par ailleurs, si l’on étudie son œuvre en se plaçant sur une grille de lecture plus figurative, ce monde saturé de couleurs, presque hallucinogène, l’on s’aperçoit que l’iconographie bouddhiste et les héros d’anime partagent la scène et fusionnent. Elle présentent aussi de multiples références, allant de de peintres traditionnels, comme Ogata Korîn, à des réalisateurs modernes, comme Stanley Kubrick.

Ensuite, Takashi Murakami est le créateur du mouvement artistique “Superflat”. Le terme a été utilisé pour la première fois en 2001, lors d’une exposition qu’il a organisée à Tokyo, retraçant l’histoire de l’art contemporain japonais à travers les origines de l’art traditionnel japonais. Au début des années 2000, Murakami a commencé à produire ses peintures dans ce qu’il appelle des “usines”, où ses croquis sont numérisés et imprimés sur papier. Ils sont ensuite sérigraphiés sur toile et peints de manière lumineuse. Cette technique bidimensionnelle annihile la profondeur et détruit la perspective, d’où l’appellation “Superflat”. Dans le mot “Superflat”, se trouve le mot “plat” (flat) qui fait référence à la planéité caractéristique de l’art pictural japonais traditionnel. En effet la perspective est absente depuis des siècles dans l’art de l’archipel. Il est intrinsèquement bidimensionnel. Cette tendance s’ inspire beaucoup du manga et de l’anime et fait également référence aux écrans d’ordinateurs et aux téléviseurs à écran plat, dans une volonté de rendre plus infime et vague la frontière entre beaux-arts et art commercial. Ainsi, “Superflat” critique la vacuité de la culture consumériste japonaise qui s’est développée à grands pas dès l’après-guerre. Qui l’eut cru ? Aujourd’hui, Murakami continue de produire des œuvres dans son style unique – “Superflat” – avec l’ajout de nouveaux personnages à son travail au fil des ans, comme le KaiKai KiKi, les champignons, les Daruma, les moines bouddhistes en méditation, etc.

Autre fait intéressant, à l’instar de beaucoup d’artistes néo pop, Murakami est fortement imprégné du travail d’Andy Warhol, gourou du pop art. Il a un profond respect pour cet artiste. Ainsi, ses deux œuvres “Warhol / Silver” et “Warhol / Gold” sont des références directes à la série de fleurs de Warhol. Il y a aussi chez Murakami une forme de profonde mise en perspective et réflexion autour de l’œuvre de Warhol. Dans le livre de Sarah Thornton “Sept jours dans le monde de l’art”, il clame, presque abattu: “Le génie de Warhol a été sa découverte de la peinture facile. Je suis jaloux de Warhol. Je demande toujours à mon équipe de conception: “Warhol a pu créer une vie de peinture si simple, pourquoi notre travail est-il si compliqué ?” Seule l’histoire le sait ! Mon point faible, c’est mon origine orientale. L’esthétique orientale demande trop de digestion. Je pense que c’est injuste pour moi sur le champ de bataille de l’art contemporain, mais je n’ai pas le choix parce que je suis japonais.”

D’ailleurs, tout comme son maître à penser Warhol, Murakami a créé un studio/atelier de grande envergure, une sorte d’usine (comme il se plaît à l’appeler), Kaikai Kiki Co. À l’instar de l’usine de Jeff Koons à New York, c’est un véritable site de production, un empire, où des centaines de petites mains exécutent différentes étapes du processus artistique et donnent vie aux idées de l’artiste maître. Là où Murakami se démarque, c’est qu’il pousse le vice au point de créer à la chaîne des objets marchands, reprenant les codes et les signatures de ses œuvres, de véritables objets de merchandising destinés au marché, comme des coussins, des tapis, des statuettes.

En parlant de Jeff Koons, Murakami s’est lui aussi emparé du château de Versailles pour une exposition qui a fait du bruit en 2010. Takashi a présenté vingt-deux sculptures et peintures, dont onze ont été réalisées spécialement pour l’événement. Cette exposition a été condamnée par certains militants puristes, comme “Versailles mon Amour” et “Non aux mangas”, qui n’ont toujours pas digéré l’expérience de Jeff Koons et ont tenté en vain d’arrêter l’exposition de Murakami.

L’art de Murakami n’est pas aussi simple qu’il y parait. S’il exprime une candeur et un psychédélisme apparents, il invite à lire entre les lignes pour en cueillir toute la réflexion picturale. La première grille de réflexion porte sur les “otakus”, ces fans d’animes qui, poussés à l’extrême, n’inspirent à Takashi qu’un vide sidéral et une superficialité maladive. Cette folie fanatique est ainsi moquée par la caricature. La seconde porte sur l’influence de la culture consumériste sur nos personnalités et nos actions, qui est mise en scène constamment. La dernière est une habile fusion entre une culture élitiste, la “haute culture”, et la culture dite “populaire” : un œcuménisme qui remet en question, de manière sous-jacente, la légitimité même de cette différence. C’est d’ailleurs un sujet largement débattu dans le monde de l’art contemporain.

Ses œuvres colorées ont même donné des idées aux créateurs de mode. Marc Jacobs, alors directeur de la création chez Louis Vuitton, a voulu initier en 2003 une collaboration avec l’artiste pour qu’il réinterprète et dépoussière un peu les sacs à main intemporels de la marque. Murakami accepta et entreprit de revoir le logo de différentes couleurs, laissé totalement libre par la marque. Ce fut une petite révolution dans le monde de l’art et de la mode de luxe des grandes maisons. La première collaboration de ce genre d’une longue série, car elle fut suivie d’un succès certain. Cela contribua à décupler sa popularité, malgré quelques critiques d’art peu convaincus. En mai 2008, Murakami devient même l’un des artistes en activité les plus chers du monde. Sa sculpture “My Lonesome Cow Boy” (de 1998) est vendue pour plus de 15 millions de dollars aux enchères de Christie’s. On se limitera aux goodies ! [d’après GAIJINPARIS.COM]

Murakami au château de Versailles (2010) © gaijinparis.com

Chacun connaît les joyeux personnages, animaux ou fleurs de Takashi Murakami, notamment développés à travers le mouvement Superflat, dont il est l’initiateur. Revendiquant ouvertement l’héritage du Pop Art et d’Andy Warhol, sa démarche a toujours été de rendre l’art plus accessible à tous, par les sujets même des œuvres et l’emploi de multiples ou de produits dérivés. Précisément, ce facteur rend exaltante l’exposition, quand l’on y découvre des céramiques directement associées à l’idée d’une œuvre d’art, mais aussi des poteries beaucoup plus usuelles, voire des coupelles ou des bols à thé. Passionné par ce médium et le collectionnant depuis les années 1990, Takashi Murakami brise ici la dichotomie entre les arts majeurs et mineurs.

Tradition et liberté

On imagine l’artiste doucement s’amuser de la surprise qui sera engendrée chez quelques spectateurs… S’il ne se contente pas d’en posséder plus de 30 000 pièces, il fut plusieurs fois commissaire d’expositions au Japon, afin de promouvoir les créateurs qu’il aime, et initia le collectif Kaikai Kiki, dont font partie Chiho Aoshima, Shin Murata, Yugi Ueda ou Otani Workshop. En 2020, il a également ouvert à Kyoto la boutique Tonari no Murata, qui fera l’objet d’une collaboration à long terme avec Shin Murata. Ce qui l’anime n’est pas de défendre une céramique purement plasticienne (si l’on peut reprendre cette terminologie d’abord assimilée à la photographie, en opposition au style documentaire) mais bien d’usage.

D’ailleurs, le premier objet acquis par Murakami fut un bol à thé de Kitaoji Rosanjin, inventeur de la gastronomie japonaise “bi-shoku” et de l’esthétique de l’art de manger. Selon la légende, le peintre et calligraphe se serait mis à produire sa propre vaisselle car il n’en trouvait pas à son goût dans les restaurants qu’il fréquentait… En 1948, il rédigea l’essai Geibi Kakushin (dont est issu le titre de l’exposition) prônant l’originalité et la liberté artistique dans la céramique, tout en conservant un lien à un savoir-faire séculaire. L’ensemble des plasticiens invités par Murakami cultivent en effet un retour à la nature dans une temporalité longue, bien évidemment accentuée par la crise sanitaire que nous avons vécue. D’ailleurs si lui-même peut produire des pièces très luxueuses, parfois aidé de nombreux assistants, il expérimenta, durant cette période, des peintures sur filtres à café et réaffirma que l’art pouvait se concevoir avec tout !

Repenser la beauté des objets

Cette réflexion s’inscrit en outre dans la suite d’une mouvance née dans les années 1990, soit juste après l’effondrement de la bulle économique nippone. Étant directement impacté par cet effondrement capitaliste et ayant perdu leur atelier, beaucoup de créateurs décidèrent alors de quitter la ville pour s’installer à la campagne. Réaliser de la céramique dans ce retour aux sources devint une forme de lifestyle que Murakami admire particulièrement. Il considéra cet élan mêlant l’art et la vie, nommé seikatsu kogei, telle une forme d’énergie nouvelle et adoube le fait qu’à son apogée les artistes ainsi que leurs agents semblaient libres et optimistes. Pour résumer, seikatsu kogei est un mouvement qui tente de repenser la beauté des objets de tous les jours et de la réinterpréter à travers l’artisanat. Nombre de ses adeptes l’inscrivent dans une démarche de développement durable, proche d’une sensibilité hippie.

Favorisant la promiscuité entre les créateurs, l’accrochage parisien, riche de 250 pièces, se découvre comme l’estrade d’une scène, si l’on veut y voir le début d’une narration, ou l’entrée d’un temple qui mêlerait sans hiérarchie, figures animalières ou mythologiques, vases ou pièces très sculpturales, simples petits pots ou figurines facétieuses… Les couleurs épousent des tonalités liées à celles de la terre, mais aussi des bleus profonds ou des roses charmeurs et l’ensemble se révèle très harmonieux, sous l’œil attentif de deux poissons signés de Takashi Murakami… [lire la suite de l’article sur  CONNAISSANCEDESARTS.COM]

  • Illustration l’article : Takashi Murakami, “727” (1996), MoMA New York © Philippe Vienne.
  • Tous les Murakami ne ressemblent pas ; voyez aussi les textes de Haruki Murakami…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © gaijinparis.com ; Philippe Vienne


Plus d’arts visuels…

 

PHILOMAG.COM : Sei Shônagon, Notes de chevet (X-XIe siècle)

Temps de lecture : 21 minutes >

Les Notes de chevet de Sei Shônagon (Xe-XIe siècle) sont un classique de la littérature médiévale nippone. Dame de compagnie à la cour impériale de Kyôto, elle y collectionne les choses qui lui rendent l’existence douce et aimable. Elle y énumère des noms de fleurs, d’oiseaux, d’étangs, partage quelques anecdotes, souvenirs ou inventions. Autant d’éléments qui font le sel de la vie – qu’on ne l’ait jamais perdu ou qu’il nous soit enfin rendu.


Le texte suivant est extrait d’un cahier central de PHILOMAG.COM, préparé par Victorine de Oliveira. Le numéro 140 de juillet 2020 était consacré au Goût de la vie : “Après l’épreuve du confinement et de la maladie, nous avons eu envie d’ouvrir la fenêtre, de sortir, de respirer… et de nous demander à quoi tient le goût de la vie. Existe-t-il un simple plaisir d’exister ? Devons-nous préférer le bien-être (stable) à la jouissance (flamboyante) ? Avons-nous besoin de rituels ? Et surtout, nous nous sommes posés une question vertigineuse : est-ce toujours après les épreuves, les deuils, les crises, les expériences négatives, que nous retrouvons – décuplée – notre joie de vivre ?”

En savoir plus sur PHILOMAG.COM


Introduction

Ce printemps, l’aurore… Ce printemps, l’aurore est inachevée. Le soleil se lève, lance ses premiers rayons dans les rues de Paris, toque aux volets encore fermés de ceux qui n’iront pas travailler. Personne pour en profiter. La France confinée regarde le ciel depuis sa fenêtre.

Choses particulières. La cour du Louvre déserte, mis à part un vigile au téléphone et son chien. Pédaler en zigzaguant tout le long de l’avenue de l’Opéra. La rue de Rivoli sans voitures. Traverser sans regarder. Un coucher de soleil place Pigalle bercé par le chant des oiseaux. Des SDF, beaucoup. Du plastique partout. Une rame de métro vide.

Arbres. Le paulownia sous ma fenêtre dont les quinze jours de floraison sont restés presque sans témoin. Les platanes du boulevard de Clichy, dont le pollen s’est mêlé aux applaudissements de 20 heures. Les allergies ont eu ce printemps une lourdeur particulière. D’autres platanes, avenue Trudaine, sous lesquels les enfants jouaient au ballon, malgré tout. Sur un banc, pour peu que leur feuillage laisse passer un rayon de soleil, on y faisait parfois une entorse à son attestation.

Choses qui font battre le cœur. Le regard du caissier du supermarché, le reste de son visage masqué. La nuit immobile. Une silhouette qui nous suit peut-être.

Choses qui font naître un doux souvenir du passé. Les chaises empilées derrière les vitrines des cafés fermés. Un rayon de soleil qui éclaire les verres sagement alignés sur leur étagère. Des affiches de théâtre : le spectacle devrait s’être achevé depuis un mois ou avoir commencé il y a deux semaines.

Fêtes. Celle que l’on fera quand tout cela sera terminé. Celle que l’on tente déj à, en petit comité, avec un brin de culpabilité – le cœur n’y est pas. Celle qui semble remonter à une autre vie – corps suants entrechoqués, verres échangés sans même faire exprès, l’heure qu’on oublie de regarder.

Choses que l’on a grand hâte de voir ou d’entendre. Un café brûlant posé sur le zinc. La possibilité d’engager la conversation à moins d’un mètre. Des masques chirurgicaux pour tous. Le temps où il ne sera plus nécessaire d’en porter.

L’auteur

On ne sait pas grand-chose de la vie de la dame de compagnie et écrivaine Sei Shônagon. Ce nom est d’ailleurs plutôt un surnom, shonagon signifiant « troisième sous-secrétaire d’État » – il renvoie sûrement à la fonction exercée par l’un de ses parents. Elle naît aux environs de 965 dans une famille de notables qui accorde une grande place à la littérature, à la poésie et à l’érudition. Elle entre au palais impérial en 990 et se met au service de la princesse Sadako, âgée de 15 ans, épouse de l’empereur Ichijô, lui-même âgé de 10 ans. À la mort en couches de Sadako en l’an 1000, on perd complètement la trace de Sei Shônagon au point qu’on ne connaît même pas la date de son décès. Ses Notes de chevet s’inscrivent dans une tradition littéraire qui, entre les Xe et XIe siècles, s’écrit surtout au féminin. Si les hommes se concentrent sur la poésie, les femmes de la cour ont le champ libre pour la prose, jugée moins noble. Ces dernières explorent le registre de l’intime avec des journaux, des notes, parfois des romans dont l’intrigue se situe la plupart du temps au Palais. Autant de classiques de la littérature nippone médiévale tous signés par des femmes: Journal d’une libellule (anonyme, fin du Xe siècle), Journal de Sarashina (milieu du XI’ siècle) ou encore Le Roman de Genji (vers l’an 1000) de la dame d’honneur Murasaki Shikibu. Nous sommes alors en pleine ère Heian (794-n85), considérée comme l’apogée de la cour impériale japonaise, alors située à Kyôto, et de toute la littérature et des arts qui lui sont liés.

Le texte

Soumise à une étiquette stricte, la vie d’une dame de compagnie à la cour impériale de Kyôto n’en était pas moins très libre. En témoignent les Notes de chevet de Sei Shônagon. Si elles comportent quelques choses désolantes ou  choses dont on n’a aucun regret, elles sont pour l’essentiel une collection d’instants et de choses qui ravissent son autrice. Tantôt simples énumérations (de noms d’arbres, de fleurs, d’édifices, d’étangs), tantôt anecdotes du Palais où s’intercalent des poèmes, ces notes célèbrent avec délicatesse et raffinement les plaisirs d’une vie sans ombre… ou dont l’ombre s’est enfin dissipée.


Les extraits

EAN9782070705337

 

SEI SHONAGON, Notes de chevet (extraits, Paris : Gallimard, Connaissance de L’orient n°5, 1985, traduit du japonais par André Beaujard en 1934)

1. Au printemps, c’est l’aurore que je préfère.

La cime des monts devient peu à peu distincte et s’éclaire faiblement. Des nuages violacés s’allongent en minces traînées. En été, c’est la nuit. J’admire, naturellement, le clair de lune ; mais j’aime aussi l’obscurité où volent en se croisant les lucioles. Même s’il pleut, la nuit d’été me charme. En automne, c’est le soir. Le soleil couchant darde ses brillants rayons et s’approche de la crête des montagnes. Alors les corbeaux s’en vont dormir, et en les voyant passer, par trois, par quatre, par deux, on se sent délicieusement triste. Et quand les longues files d’oies sauvages paraissent toutes petites ! c’est encore plus joli. Puis, après que le soleil a disparu, le bruit du vent et la musique des insectes ont une mélancolie qui me ravit. En hiver, j’aime le matin, de très bonne heure. Il n’est pas besoin de dire le charme de la neige ; mais je goûte également l’extrême pureté de la gelée blanche ou, tout simplement, un très grand froid ; bien vite, on allume le feu, on apporte le charbon de bois incandescent ; voilà qui convient à la saison. Cependant, à l’approche de midi, le froid se relâche, il est déplaisant que le feu des brasiers carrés ou ronds se couvre de cendres blanches.

2. Les époques.

Parmi les époques, j’aime le premier mois, le troisième mois, les quatrième et cinquième mois, le septième mois, les huitième et neuvième mois, le douzième mois ; tous ont leur charme dans le cours des saisons. Toute l’année est jolie. […]

8. Marchés.

Le marché de Tatsu. Parmi tous les marchés du Yamato, celui de Tsuba mérite une attention particulière, car les pèlerins qui vont au temple de Hacé ne manquent pas de s’y arrêter peut-être a-t-il avec Kwannon une affinité spéciale ? Les marchés d’Ofouça, de Shikama, d’Asuka.

9. Gouffres.

Le gouffre de Kashikofuchi. Il est très amusant de se demander quel esprit profond on a pu lui trouver pour lui donner ce nom ! Le gouffre de Naïriço. À qui cet avis était-il destiné, par qui peut-il avoir été donné ? Le gouffre d’Aoïro me charme aussi beaucoup : on en aurait pu faire le costume des chambellans. Les gouffres d’Inaboutchi, de Kakouré, de Nozoki, de Tama’0 [ … ]

13. Edifices.

La Porte de la garde du corps. Le Palais de la Deuxième avenue et  celui de la Première avenue sont beaux aussi. Les Palais de Somedono, de Seka, de Sugawara, de Rén’zéi, de Suzaku. Le Palais où résida l’empereur qui avait abdiqué. Les Palais d’Ono, de Kôbaï, d’Agata-no-ido ; le Palais de la Troisième avenue orientale, le Petit Palais de la Sixième avenue, le Petit Palais de la Première avenue.

Sur l’écran dressé devant la baie ouverte au nord de la salle qui occupe l’angle du nord-est, au Palais pur et frais, on voyait représenté l’Océan déchaîné, avec les êtres horribles qui l’habitent : des monstres aux longs bras, aux jambes démesurées. Quand la porte de la chambre où se tenait l’Impératrice était ouverte, nous voyions constamment ces affreuses peintures, et nous avions accoutumé d’en rire avec répugnance. Un jour, nous nous divertissions ainsi ; près de la balustrade, on avait placé de grands vases de porcelaine verte, et on y avait mis quantité de branches de cerisier, longues d’environ cinq pieds, dont les fleurs ravissantes débordaient jusqu’à cette balustrade. Vers midi, arriva le Seigneur premier sous-secrétaire d’État. Il portait un manteau de cour, couleur de cerisier, à peine assoupli, et un pantalon à lacets, d’un violet sombre. Son blanc vêtement de dessous dépassait un peu et laissait voir un joli dessin cramoisi
foncé. Comme !’Empereur se trouvait auprès de son Épouse, le Sous-secrétaire vint, pour parler au Souverain, s’asseoir sur le plancher, dans l’étroit espace devant la porte. Derrière le store étaient les dames d’honneur, avec leurs amples manteaux chinois, couleur de cerisier, qu’elles laissaient retomber sur leurs épaules, leurs costumes couleurs de glycine, de kerrie, de toutes les nuances aimées, dont beaucoup débordaient sous le store qui pendait, jusqu’à mi-hauteur, devant l’entrée de la galerie du nord. À ce moment, on servit le dîner dans les appartements impériaux. Il y eut un grand bruit de pas, et nous entendîmes distinctement quelqu’un ordonner: “Faites place, faites place !” L’aspect du ciel pur et serein était merveilleux, et quand les chambellans eurent apporté les derniers plats, le dîner fut annoncé ; l’Empereur sortit par la porte du milieu, accompagné par le Sous-secrétaire d’État, qui revint ensuite près des fleurs. L’impératrice écarta son écran et s’avança sur le seuil. Tout, en cet instant, charmait les yeux, et les dames, ravies, sentaient s’évanouir dans leur esprit le souvenir de toutes choses. Alors, le Sous-secrétaire, chanta d’une voix lente la vieille poésie :

Les mois et les jours
Se succèdent ; mais
Le mont Mimoro
Demeure à jamais !

Je trouvai cela très joli, et vraiment, j’aurais désiré que cette splendeur durât mille années.

Avant même que les dames qui servaient eussent appelé les gens pour leur faire emporter les tables, l’Empereur passa dans l’appartement de notre maîtresse. Il m’ordonna de frotter le bâton d’encre de l’écritoire et, pendant qu’il me parlait, j’avais les yeux au ciel. Je ne pensais qu’à le contempler ; j’aurais voulu le regarder ainsi encore plus longtemps que, tout à l’heure, l’Impératrice. Il plia une feuille d’élégant papier blanc et nous dit: “Que chacune écrive là-dessus une ancienne poésie, la première dont il lui souviendra.” “Comment faire ?” demandai-je au Sous-secrétaire d’État, qui était dehors, devant le store ; mais il me répondit : “Dépêchez-vous d’écrire et de présenter à Sa Majesté ce que vous aurez fait, les hommes ne doivent se mêler de rien.” Puis, prenant l’écritoire de !’Empereur, il nous pressa en répétant : “Vite, vite, sans réfléchir, même Naniwazu, n’importe quoi : ce qui pourra vous venir à l’esprit !” Je ne sais ce qui m’intimida tellement; mais un rouge me monta au visage, et je me sentis toute troublée. Tout en s’étonnant de mon émoi, les demoiselles nobles écrivirent deux ou trois poèmes, sur le printemps, sur l’âme des fleurs, puis elles me dirent que c’était mon tour, et j’écrivis alors la poésie :

Les années ont passé,
Et j’ai vieilli.
Cependant,
Quand je regarde les fleurs,
Je n’ai plus de soucis. [ … ]

18. Choses qui font battre le cœur.

Des moineaux qui nourrissent leurs petits.
Passer devant un endroit où l’on fait jouer de petits enfants.
Se coucher seule dans une chambre délicieusement parfumée d’encens.
S’apercevoir que son miroir de Chine est un peu terni.
Un bel homme, arrêtant sa voiture à votre porte, dit quelques mots pour annoncer sa visite.
Se laver les cheveux, faire sa toilette et mettre des habits tout embaumés de parfum.
Même quand personne ne vous voit, on se sent heureuse, au fond du cœur.
Une nuit où l’on attend quelqu’un. Tout à coup, on est surpris par le bruit de l’averse que le vent jette contre la maison.

19. Choses qui font naître un doux souvenir du passé.

Les roses trémières desséchées.
Les objets qui servirent à la fête des poupées.
Un petit morceau d’étoffe violette ou couleur de vigne, souvenir de la confection d’un costume, et que l’on découvre dans un livre où il était resté, pressé.
Un jour de pluie, où l’on s’ennuie, on retrouve les lettres d’un homme jadis aimé.
Un éventail chauve-souris de l’an passé.
Une nuit où la lune est claire.

20. Choses qui égayent le cœur.

Beaucoup d’images de femmes, habilement dessinées, avec de jolies légendes.
Au retour de quelque fête, les voitures sont pleines, et on en voit déborder les vêtements des dames. De nombreux serviteurs les escortent ; les conducteurs guident bien les bœufs et font courir les équipages.
Une lettre écrite sur du papier de Michinoku blanc et joli, avec un pinceau si fin qu’il semblerait ne pouvoir tracer même le plus mince trait.
L’aspect d’un bateau qui descend la rivière.
Des dents bien noircies.
À « égal ou inégal » , jouer souvent « égal » .
Une étoffe de soie très souple, tissue de jolis fils chinés.
Les pratiques magiques de purification, destinées à empêcher les effets des mauvais sorts, exécutées au bord d’une rivière, par un devin qui parle bien.
De l’eau qu’on boit quand on se réveille la nuit.
À un moment où l’on s’ennuie, arrive un visiteur qui n’est ni trop intime ni trop étranger ; il fait la chronique de la société, il raconte ce qui s’est passé dernièrement, choses plaisantes, détestables ou curieuses, touchant ceci ou cela, affaires publiques et privées ; il parle sans ambiguïté, mais dit tout juste ce que l’on peut entendre. Cela charme le cœur.
Lorsqu’on visite un temple shintoïste ou bouddhique, et qu’on fait dire des prières, on est heureux d’entendre les bonzes, si c’est dans un temple bouddhique, ou les prêtres inférieurs, si c’est dans un temple shintoïste, réciter d’une voix agréable, sans arrêt, mieux même qu’on ne l’avait espéré.
Une voiture de cérémonie, couverte de palmes, qui avance avec une sereine lenteur. Si elle va vite, cela semble inconsidéré, sans dignité. C’est la voiture treillissée que le conducteur doit faire courir. À peine a-t-on aperçu celle-ci
qui sort d’une porte ! Elle est déjà passée, et l’on ne voit plus que les hommes d’escorte qui la suivent en courant. Il est charmant de se demander qui ce peut être. Mais si cette voiture va lentement, si on l’a trop longtemps devant les yeux, cela ne convient plus du tout.
Les bœufs doivent avoir le front très petit, tacheté de blanc il est bien qu’ils aient le dessous du ventre et le bas des jambes blancs, ainsi que l’extrémité de la queue. Les chevaux doivent être pie alezan, ou gris, ou très noirs avec des balzanes et des taches blanches aux épaules ; ou encore aubères avec la crinière et les jambes très claires. Il faut qu’on dise en les voyant : “Pour vrai, c’est une crinière faite avec le fil que donne l’écorce du mûrier !”
Le conducteur d’une voiture à bœufs doit être grand, avoir des cheveux décolorés par le soleil et une face bronzée. Il sied qu’il ait l’air intelligent.
Les valets de pied, les hommes d’escorte doivent être sveltes. Du reste, j’aime aussi à voir tels, au moins tant qu’ils sont jeunes, les hommes de qualité. Les gens trop gras me paraissent toujours avoir envie de dormir.
Les pages doivent être petits, avoir de beaux cheveux dont l’extrémité vienne frôler doucement leur cou. Il faut qu’ils aient une jolie voix, et parlent très respectueusement. C’est alors parfait.
J’aime qu’un chat ait le dos noir, et tout le reste blanc.
Un prédicateur doit avoir la figure agréable. Lorsqu’on tient les yeux fixés sur son visage, on sent mieux la sainteté de ce qu’il explique. Quand on regarde ailleurs, sans qu’on le veuille on oublie d’écouter ; ainsi, quand le prédicateur est laid, on craint toujours de mériter la punition du Ciel. Il me faut quitter ce sujet. Si mon âge s’y prêtait un peu mieux, j’aurais pu écrire là-dessus, au risque d’encourir le châtiment céleste ; mais, maintenant, la peine serait trop effrayante. Il y a des gens qui, entendant parler d’un prêtre particulièrement vénérable et pieux, se précipitent pour arriver les premiers à l’endroit où l’on dit qu’il prêche. Il me semble que s’ils agissent de la sorte, justement dans le même esprit de péché que moi, ils feraient mieux de rester chez eux. […]

Au septième mois, la chaleur est extrême ; on laisse tout ouvert, la nuit comme le jour, et l’on tarde à se coucher ; mais c’est ravissant, quand on s’éveille par un beau clair de lune, et qu’on regarde au-dehors. Même la nuit sombre me plaît ; il est bien inutile de vanter le charme de la lune pâle, à l’aurore. Tout près du bord, sur le plancher bien poli de la véranda, on étend, pour un moment, une jolie natte. Il ne faut pas pousser l’écran de trois pieds au fond de la pièce, mais le dresser au bord de la galerie extérieure ; autrement, cela semblerait bien mystérieux.
Quittant son amie, le galant vient sans doute de partir. La dame a rabattu sur sa tête un vêtement violet clair, avec une doublure très foncée. À l’endroit, la nuance du tissu n’est pas du tout pâlie, et le lustre du damas qui le double n’est pas beaucoup fané non plus. Elle paraît dormir, elle a un vêtement simple, couleur de clou de girofle, une jupe de soie raide, écarlate foncé, dont les cordons de ceinture sortent, très longs, de dessous son vêtement et semblent encore dénoués. Ses cheveux s’amoncellent à son côté, on se dit qu’ils doivent être bien longs quand ils ondoient librement. Mais voici qu’un homme arrive, venu on ne sait d’où, alors que le paysage d’aurore est tout couvert d’une épaisse brume. Il a un pantalon à lacets violet, une jaquette de chasse couleur de girofle, mais si claire qu’on pourrait se demander si elle est teinte, un vêtement blanc sans doublure, de
soie raide, et un habit de soie foulée très brillante, écarlate.
Le brouillard a mouillé ses vêtements, qu’il laisse négligemment pendre.  Les cheveux de ses tempes sont un peu en désordre ; il a l’air de les avoir, sans soin, fourrés sous son bonnet laqué. Avant que la rosée des liserons fût tombée, il a quitté son amie ; il pensait à la lettre qu’il va écrire, mais le chemin lui semble long, il fredonne : “Les jeunes tiges de chanvre.”
Il allait à son poste au Palais ; pourtant, comme la fenêtre de treillis n’est pas baissée, il déplace légèrement le store, d’un côté, puis regarde à l’intérieur de la chambre. Il se dit, amusé, que sans doute, ici, tout à l’heure, un homme s’est levé pour partir. Peut-être celui-ci songeait-il, comme lui, au charme de la rosée ? Après un moment, il voit près de l’oreiller un éventail étalé, fait de papier violet pourpre tendu sur du bois de magnolia. Au pied de l’écran sont éparpillées des feuilles, étroites et longues, d’épais papier de Mitchinokou, les unes bleu foncé, les autres écarlates, et quelques-unes dont la nuance est un peu pâlie. La dame se doute qu’il y a là quelqu’un, elle regarde de dessous son vêtement, et l’aperçoit, souriant, appuyé sur le bord de la fenêtre. Ce n’est pas un homme avec qui elle doive se gêner ; mais comme elle n’a pas l’intention d’entrer en relation avec lui, elle regrette qu’il l’ait vue ainsi librement. “Oh ! quel long sommeil, ce matin, après la séparation !” s’écrie-t-il, entrant jusqu’à mi-corps en dedans du store. “Assurément, répond-elle, vous dites cela parce que vous êtes fâché d’avoir laissé votre amie alors qu’il n’y avait pas encore de rosée.” Peut-être est-il superflu de noter spécialement ces jolies choses, et pourtant on ne saurait, sans en être charmé, les voir ainsi converser tous les deux.
L’homme se penche et, avec son éventail, il amène à lui celui qui est contre l’oreiller ; mais elle se demande s’il ne vient pas trop près d’elle ; le cœur battant, elle se retire un peu en arrière. Alors il prend l’éventail, le regarde, et murmure avec un soupçon de dépit: “Voilà bien de la froideur !” Cependant le plein jour est venu, et l’on entend de nombreuses voix. Tout à l’heure, il se hâtait, pour écrire à son amie avant que l’on pût voir se dissiper la brume, et maintenant on s’inquiète en pensant qu’il ne semble guère pressé.
L’homme qui, ce matin, a quitté cette maison-ci, a écrit une lettre (on se demande en combien de temps) et il l’a envoyée, attachée à un rameau de lespédèze20 encore tout humide de rosée. Pourtant, comme il y a quelqu’un avec la dame, le messager ne peut lui remettre sa missive. Le parfum d’encens dont elle est tout imprégnée parait délicieux. Lorsqu’il deviendrait
trop inconvenant pour lui de rester, le visiteur s’en va. Il est sans doute amusant de se dire que, peut-être, une pareille scène s’est passée dans la maison d’où il venait lui-même !

21. Fleurs des arbres.

J’aime la fleur du prunier, qu’elle soit foncée ou claire ; mais la plus jolie, c’est celle du prunier rouge. J’aime aussi un fin rameau fleuri de cerisier, avec ses corolles aux larges pétales, et ses feuilles rouge foncé.
Les fleurs de glycine, tombant en longues grappes, aux belles nuances, sont vraiment superbes.
Pour la fleur de la deutzie, elle est d’un rang inférieur, et n’a rien qu’on puisse vanter.
Cependant, la deutzie fleurit à une époque agréable ; on la trouve charmante quand on pense que, peut-être, un coucou se cache dans son ombre. Au retour de la fête de Kamo, dans les environs de la lande de Murasaki, que c’est joli lorsqu’on voit, autour des pauvres chaumières, les haies hirsutes, toutes blanches de ces fleurs. On dirait des vêtements blancs mis sur d’autres, verts, et aux endroits où il n’y a pas de fleurs, cela ressemble à une étoffe de couleur “feuille verte et feuille morte”. C’est ravissant.
Vers la fin du quatrième mois et le début du cinquième, les orangers, au feuillage vert foncé, sont couverts de fleurs blanches, et quand on les admire, mouillés par la pluie, de grand matin, il semble qu’ici-bas rien n’ait un pareil charme. Si parmi les fleurs on peut découvrir, se détachant très nettement, des fruits mûrs qui paraissent des boules d’or, alors le tableau ne le cède pas même à celui des cerisiers humides, le matin, de rosée. Au reste, il n’est pas besoin de dire le charme de l’oranger, peut-être parce qu’on pense qu’il a avec le coucou une affinité particulière. La fleur du poirier est la chose la plus vulgaire et la plus déplaisante qui soit au monde. On ne la garde pas volontiers près des yeux, et l’on ne se sert pas d’un rameau de poirier pour y attacher même un futile billet.
Quand on voit le visage d’une femme qui manque d’attrait, c’est à la fleur du poirier qu’on l’assimile, et, en vérité, à cause de sa couleur, cette fleur parait sans agrément. Pourtant, en Chine, on lui trouve une grâce infinie, on la chante dans les poèmes. Si, la jugeant laide, on réfléchit que quelque chose doit expliquer ce goût des Chinois, et si on la regarde attentivement, on croit distinguer au bord des pétales une jolie nuance rose, si faible qu’on n’est pas sûr de ses yeux. On a comparé la fleur du poirier au visage de Yô Ki-hi, lorsqu’elle vint en pleurant vers l’envoyé de l’Empereur, et l’on a dit : “Le rameau fleuri du poirier est couvert des gouttes qu’y a laissées la pluie printanière.” Aussi bien, quand je songe qu’il ne s’agit pas là d’un éloge médiocre, je me dis qu’aucune autre fleur n’est, sans doute, si merveilleusement belle.
La fleur violet-pourpre du paulownia est aussi très jolie. Je n’aime pas la forme de ses larges feuilles étalées ; cependant, je n’en puis parler comme je ferais d’un autre arbre.
Quand je pense que c’est dans celui-ci qu’habiterait l’oiseau fameux en Chine, je ressens une impression singulière. À plus forte raison, lorsque avec son bois, on a fabriqué une guitare, et qu’on en tire toutes sortes de jolis sons, les mots ordinaires suffisent-ils pour vanter le charme du paulownia ? C’est un arbre vraiment superbe !
Bien que le mélia ne soit pas un bel arbre, sa fleur est fort jolie. Chaque année, on ne manque pas de le voir, quand vient la fête du cinquième jour, au cinquième mois, avec ses fleurs déformées par la sécheresse. C’est charmant aussi.

22. Étangs.

L’étang de Katsumata, celui d’Iwaré. L’étang de Nihéno. Il est bien amusant, quand on va au temple de Hase, d’y voir les oiseaux aquatiques s’envoler sans cesse avec bruit.
L’étang de Mizounashi. Comme je demandais un jour pourquoi on l’avait ainsi nommé, on me répondit que, même quand il pleut beaucoup, au cinquième mois et toute l’année, on n’y aperçoit pas d’eau. Mais on ajouta que certaines années où le soleil brille splendidement, l’eau y coule en abondance au début du printemps. “Ce n’est pas sans raison, aurais-je voulu répondre, qu’on lui a donné son nom, s’il est desséché ; pourtant, comme il y a aussi des moments où l’eau y coule, il me semble qu’on n’a guère réfléchi.”
L’étang de Sarouçawa. Un empereur, ayant entendu dire qu’une demoiselle de la Cour s’y était jetée, serait allé, à ce que l’on raconte, voir cet étang. Cela me charme, et il est inutile de dire combien je suis émue que Hitomaro, ait chanté les cheveux dénoués flottant sur l’eau.
L’étang d’Omaé. Il est curieux de se demander à quoi ont pensé ceux qui lui ont attribué ce nom.
L’étang de Kagami. L’étang de Sayama. Peut-être trouve-t-on celui-ci joli parce que l’onse rappelle, charmé, la poésie sur la bardane. L’étang de Koïnouma. Celui de Hara. Il est charmant qu’autrefois on ait dit à propos de lui : “Ne coupez pas les sargasses !” L’étang de Masuda.

23. Fêtes.

Rien n’égale en beauté la fête du cinquième mois. Les parfums de l’acore et de l’armoise se mélangent, et c’est d’un charme singulier. Depuis l’intérieur des Neuf Enceintes jusqu’aux demeures des gens du peuple les plus indignes d’être nommés, chacun pose ces feuilles en travers de son toit, et veut couvrir le sien mieux que les autres. C’est merveilleux aussi, et en quelle autre occasion voit-on pareille chose ?
Ce jour-là, le ciel était couvert de nuages. Au Palais de l’impératrice, on avait apporté, du service de la couture, des boules contre les maladies avec toutes sortes de fils tressés qui pendaient ; on les avait fixées à gauche et à droite du pilier de l’appartement central, où est dressé l’écran. On remplaça ainsi les boules contre les maladies qu’on avait préparées, le neuvième jour du neuvième mois, en enveloppant des chrysanthèmes dans de la soie raide ou damassée, et qui étaient restées fixées à ce pilier durant des mois, puis on les jeta. De même les boules que l’on suspend le cinquième jour du cinquième mois devraient peut-être demeurer jusqu’à la fête des chrysanthèmes ; mais comme tout le monde, pour attacher n’importe quoi, en arrache des fils, après peu de temps il n’en reste rien.
On offre les présents de la fête, les jeunes personnes fichent des acores dans leurs cheveux, elles cousent à leurs manches des billets de retraite, elles fixent, d’une manière ou d’une autre, avec une tresse aux couleurs dégradées, à leur manteau chinois ou à leur veste, de longues racines d’acore ou de jolis rameaux. On ne peut dire que ce soit merveilleux, mais c’est bien joli ; d’ailleurs, y a-t-il personne qui songe aux cerisiers sans enthousiasme parce qu’ils fleurissent chaque printemps?
Les fillettes qui vont et viennent aux carrefours ont attaché à leurs vêtements les mêmes choses que les dames, mais en les proportionnant à leur taille ; elles se disent qu’elles ont fait là quelque chose d’admirable, elles considèrent sans cesse leurs manches en les comparant à celles de leurs compagnes. Je trouve à tout cela un charme que je ne puis rendre ; mais il est plaisant aussi d’entendre crier ces fillettes quand les pages, qui jouent familièrement avec elles, leur prennent leurs racines d’acore ou leurs rameaux.
C’est également gracieux lorsqu’on enveloppe des fleurs de méfia dans du papier violet, ou qu’on fait, en mettant des feuilles d’acore dans du papier vert, des rouleaux minces qu’on lie, ou encore lorsqu’on attache du papier blanc aux racines. Les dames qui ont reçu des lettres dans lesquelles on avait enveloppé de très longues racines d’acore veulent, pour répondre, écrire de bien jolies choses, et se consultent entre amies. Il est amusant de les voir se montrer mutuellement les réponses qu’elles préparent.
Les gens qui ont envoyé une lettre à la fille de quelque noble, à une personne d’un haut rang, sont en ce jour d’une humeur particulièrement agréable, et charment par leur grâce jusqu’au chant du coucou qui dit son nom vers le soir, tout est délicieux et m’émeut à l’extrême. [ … ]

25. Oiseaux.

J’aime beaucoup le perroquet, bien que ce soit un oiseau des  pays étrangers. Tout ce que les gens disent, il l’imite.
J’aime le coucou, le râle d’eau, la bécasse, !’étourneau, le tarin, le gobe-mouches.
Quand le faisan cuivré chante en regrettant sa compagne, il se console, dit-on, si on lui présente un miroir. Cela m’émeut, je songe avec compassion à la peine que doivent éprouver les deux oiseaux, par exemple lorsqu’un ravin les sépare !
De la grue, j’aurais trop à dire. Cependant, il est vraiment splendide que sa voix monte par-delà les nuages, et cela, je ne puis le taire.
Le moineau à tête rouge, le mâle du gros-bec, l’oiseau habile.
Le héron est très désagréable à voir ; à cause de leur expression, je n’aime pas à regarder ses yeux. Il n’a vraiment rien qui charme. Néanmoins, une chose m’amuse : on a pu prétendre que le héron ne dormirait pas seul dans le bois aux arbres agités par le vent.
L’oiseau-boîte.
Parmi les oiseaux d’eau, c’est le canard mandarin qui m’émeut le plus. Avec ravissement, je me rappelle ce que l’on a dit de l’amour réciproque du mâle et de la femelle : chacun, après l’autre, balaierait la gelée blanche qui couvre les ailes de son compagnon.
La mouette.
Ah ! songer que le pluvier de rivière ferait égarer son ami !
La voix de l’oie sauvage est d’une mélancolie délicieuse quand on l’entend dans le lointain.
Le canard sauvage me charme quand je pense qu’il balaie, à ce que l’on dit, la gelée blanche sur ses plumes.
Du rossignol les poètes ont parlé comme d’un oiseau ravissant. Sa voix, d’abord, puis ses manières et sa forme, tout en lui est élégant et gracieux. Il est d’autant plus regrettable que le rossignol ne chante pas à l’intérieur des Neuf Enceintes. Je l’avais entendu dire ; mais je croyais qu’on exagérait. Cependant, depuis dix années que je suis en service au Palais, je l’ai attendu en vain, il n’a jamais fait le moindre bruit. Et pourtant, tout près du Palais pur et frais, il y a des bambous, des pruniers rouges; le rossignol devrait y venir à son aise. Quand on quitte le Palais, on peut l’entendre chanter d’une voix splendide, dans les pruniers, qui ne méritent pas un regard, d’une misérable chaumière. La nuit, toujours il garde le silence, il aime le sommeil ; mais que pourrait-on faire maintenant pour corriger son naturel ? En été, jusqu’à la fin de l’automne, sa voix est rauque ; les gens du commun changent son nom, et l’appellent, par exemple, l’oiseau mangeur d’insectes. Cela me fait une impression pénible et lugubre. On ne penserait pas ainsi à propos d’un oiseau ordinaire tel que le moineau. C’est, pour sûr, parce-que le rossignol chante au printemps que, dans les poésies et les compositions littéraires, on a célébré le retour de l’année comme une jolie chose. Et encore, s’il se taisait le reste du temps, combien ce serait plus agréable ! Mais pourquoi s’indigner ? Même quand il s’agit d’une personne, perd-on son temps à médire de quelqu’un qui n’a plus l’apparence humaine, et que l’opinion des gens commence à mépriser ?Pour ce qui est du milan, du corbeau ou d’autres oiseaux de cette sorte, personne au monde ne les regarde, et jamais on ne les écoute attentivement. Aussi bien, quand je songe que si le rossignol est critiqué, c’est justement parce qu’on en a fait un oiseau merveilleux, je me sens désagréablement émue.
Un jour, nous voulions voir le retour de la procession, après la fête de Kamo, et nous avions dit d’arrêter nos voitures devant les Temples Ourin’in’ et Tchiçokouïn. Le coucou se faisait entendre (peut-être ne voulait-il pas rester caché en un tel jour), et le rossignol l’imitait très bien. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’était vraiment joli, alors qu’ils chantaient ensemble dans les grands arbres.
Je ne saurais dire non plus le charme du coucou quand vient la saison. À un moment ou à l’autre, on entend sa voix triomphante. On le voit, dans les poésies, qui s’abrite parmi les fleurs de la deutzie, dans les orangers ; s’il s’y
cache à demi, c’est qu’il est d’humeur boudeuse.
On s’éveille, pendant les courtes nuits du cinquième mois, au moment des pluies, et l’on attend, dans l’espoir d’entendre le coucou avant tout le monde. Tout à coup, dans la nuit sombre, son chant résonne, superbe et plein de charme. Sans qu’on puisse s’en défendre, on a le cœur tout ensorcelé ; mais quand le sixième mois est arrivé, le coucou reste muet. Vraiment, il est superflu de dire combien j’aime le coucou ! En général, tout ce qui chante la nuit est charmant. Il n’y a guère que les bébés pour lesquels il n’en soit pourtant pas ainsi.

26. Choses élégantes.

Sur un gilet violet clair, une veste blanche.
Les petits des canards.
Dans un bol de métal neuf, on a mis du sirop de liane, avec de la glace pilée. Un rosaire en cristal de roche.
De la neige tombée sur les fleurs des glycines et des pruniers.
Un très joli bébé qui mange des fraises.
[…]


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ARAKI, Noboyushi (né en 1940)

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“Il existe deux types de photographes. Ceux qui sortent toujours avec leur appareil en quête d’instantanés à la sauvette. Et ceux qui s’en servent uniquement pour une prise de vue mûrement réfléchie. En faisant de sa vie une performance visuelle, Nobuyoshi Araki croise les deux profils.

Ce Japonais de 74 ans a un jour résumé l’affaire : Mon corps est devenu un appareil.” Ou encore : Mon propre souvenir disparaît au moment même où je prends la photo. C’est l’appareil qui me sert de mémoire.” Une de ses images les plus saisissantes est le visage de sa femme Yoko Aoki, en 1970, en train de jouir. Ce qui veut dire que l’auteur sait faire deux choses à la fois : l’amour et appuyer sur le déclencheur. Comme il peut dégainer son appareil, fourchette à la main et bouche pleine, ou en se brossant les dents. Cela vient de loin.

Il a 12 ans quand son père, photographe amateur, lui tend un appareil pour saisir ses copines. Mais il préfère dire à Jérôme Sans, dans le livre Araki (Taschen, 2002, complété en 2014), que, dès qu’il est sorti du ventre de sa mère, il s’est retourné et a photographié son vagin.  Tout semble XXL chez le Tokyoïte. Quand une grosse exposition contient 300 photos, lui en accroche parfois 4 000. Certaines tiennent dans la main, d’autres mesurent 2 mètres sur 3. Elles sont en couleurs et en noir et blanc. Parfois il les maltraite à coups de pinceau.

Plutôt que de calculer le nombre d’images prises en soixante ans, il vaut mieux décrire sa journée type. Il l’a racontée, il y a quelques semaines, quand M Le magazine du Monde lui a commandé une séance de mode (réalisée dans le cadre de la collection Esprit Dior, Tokyo 2015) : Dès que je me lève, je gagne le toit et je photographie les nuages. Et puis je me penche au balcon et j’enregistre la rue. Je monte dans un taxi et je prends des images à travers la vitre.” Il arrive à son studio et photographie des mannequins ou des objets. Il fait un tour au bar ou chez des amis, et c’est reparti. Jusque tard dans la soirée. Tout passionne son objectif. Une fleur, son chat (il lui consacre un livre, Chiro, My Love, en 1990), les objets les plus divers, les habitants de Tokyo, avec un penchant sérieux pour la femme nue, jambes écartées, parfois ficelée et suspendue au plafond.

Araki a aussi révolutionné le livre de photographie. C’est peut-être là qu’il est le plus fort. Il en a publié 450, 28 pour la seule année 1996, certains proches du fanzine, jusqu’à celui de 600 pages et 15 kg, publié par Taschen au prix de 2 500 euros. La profusion épate, la rapidité aussi. Certains de ses ouvrages paraissent aussitôt après la prise de vue.

Arrêtons-nous un instant sur le graphisme et la mise en pages de ses livres. Araki a été photographe publicitaire à l’agence Dentsu, la plus importante du pays. Il a été éditeur, rédacteur en chef de journal. Il maîtrise le design, la typographie, le rythme visuel, la calligraphie, autant de talents conjugués dans les couvertures des livres, stupéfiantes de liberté et d’audace. Il travaille pour la publicité, la mode, l’industrie, la presse. Pour qui lui demande. Il sort rarement du Japon depuis la mort de sa femme, en 1990 ; voyager est du temps perdu pour photographier.

Araki ne parle pas anglais. Ses photos parlent pour lui. Un photographe s’affadirait en s’éloignant de sa terre. L’Américain Eggleston n’a jamais été aussi bon qu’à Memphis et Garry Winogrand qu’à New York. Ou Araki qu’à Tokyo. Pas toute la ville, surtout ses quartiers populaires. Aujourd’hui, c’est Shinjuku. Mais, au début de sa vie, c’était Minowa ou encore Yoshiwara, le plus grand quartier de plaisir de la capitale. Il aimait jouer dans son cimetière et sentir les cendres de 25 000 prostituées qui y sont enterrées.

Plaisir et mort réunis. C’est le résumé de l’art et de la vie d’Araki. Nombre de photographes, de Nan Goldin à Larry Clark, ont érigé le journal intime par l’image en œuvre d’art. Sauf qu’Araki l’enrichit 24 heures sur 24. D’abord en s’inventant un personnage de manga. Visage rond, lunettes rondes teintées en bleu, ventre rond sur tee-shirt blanc à manches longues (avec la lettre A imprimée au niveau de la nuque), salopette à bretelles rouges (sa couleur favorite), un toupet de chaque côté du crâne. Une figurine de dinosaure l’accompagne partout, qui surgit parfois sur l’image.

“J’en ai marre de tous les mensonges sur les visages, les nus, les vies privées et les paysages que l’on voit partout dans les photos de mode.” Araki est aussi une rockstar. Il y a quelques années, quand il débordait d’énergie, nous l’avons accompagné dans le bar qui lui appartient, logé haut dans un immeuble de Shinjuku. On poussait la porte d’un appartement, on tombait sur un comptoir et quatre tables. Une femme d’âge respectable nous accueillait en kimono très chic. Une autre, aux formes généreuses, assurait le service. Araki y allait presque chaque jour pour manger des sushis et boire. Il faisait aussi le spectacle. Il s’emparait d’un micro pour chanter La Vie en rose, tirait le portrait des clients au Polaroid, qu’il dédicaçait et donnait, se laissait volontiers photographier.
Araki a malmené la posture de l’artiste pur et cloîtré qui organise son oeuvre autour de la rareté. Lui, c’est table à volonté dans un mariage entre art et luxe. Plus il produit, mieux c’est. Il multiplie les campagnes de publicité et peut exposer ses images dans des boutiques de Toshiba ou de Shiseido sans que son image d’artiste soit écornée. [lire la suite dans LEMONDE.FR]
 
Nobuyoshi Araki, Bondage © Taschen

Araki Nobuyoshi est né le 25 mai 1940 à Minowa dans l’arrondissement de Shitaya — l’actuel arrondissement de Taitô —, au cœur de la ville basse  (shitamachi) de Tokyo. Sa famille tenait un commerce de socques en bois (geta). Mais son père, Araki Chôtarô, était un amateur passionné de photographie, ce qui a eu une influence décisive sur l’avenir de son fils. Celui-ci a en effet commencé à prendre lui-même des photos alors qu’il était encore à l’école primaire.

En face de la maison des Araki, il y avait un temple – le Jôkanji – où l’enfant allait jouer. Cet établissement bouddhique était aussi appelé nagekomi dera (littéralement “temple dépotoir”) parce que du temps de l’époque d’Edo (1603-1868), on venait y déposer (littéralement “jeter”) le corps des courtisanes de Yoshiwara, le quartier des plaisirs de la capitale, mortes sans avoir de famille. Par la suite, Araki Nobuyoshi a qualifié d’ “Erotos” le principe fondamental qui régit sa façon de photographier. “Erotos” est un mot-valise qu’il a forgé lui-même à partir du nom de deux divinités grecques dont la première “Eros”, personnifie le désir, le sexe et la vie, et la seconde “Thanatos”, la mort. Le don inné avec lequel Araki va et vient de façon incessante entre le monde de la vie et celui de la mort est sans doute profondément lié au lieu qui l’a vu grandir.

Araki Nobuyoshi avait déjà décidé qu’il serait photographe au moment où il est entré au lycée. En 1959, il a intégré le département d’imprimerie et de photographie de la faculté d’ingénierie de l’Université de Chiba. Il a réussi à en sortir diplômé en 1963, malgré les difficultés que lui a posé le contenu essentiellement scientifique de l’enseignement. Son travail de fin d’études, intitulé Satchin, était constitué d’une série de photos pleines de vie d’une bande d’enfants de son quartier. Araki a été aussitôt embauché par Dentsû, l’agence de publicité la plus importante du Japon. Et en 1964, la revue d’arts graphiques Taiyô lui a décerné la première édition du prix Taiyô pour Satchin, une récompense qui a marqué le début de la carrière du photographe.

Pendant son séjour chez Dentsû, Araki a fait de la photographie publicitaire tout en menant de front un travail personnel à la manière d’un rebelle. Il a en effet utilisé les studios de l’agence où il travaillait pour faire des photos de nus qu’il a présentés dans des expositions ainsi que dans un album intitulé “Album de photographies Xerox”. Comme l’indique son titre, il a réalisé cet ouvrage lui-même à la main en utilisant une photocopieuse de l’agence Dentsû. L’œuvre la plus importante de cette période est Voyage sentimental, un album édité par son auteur en 1971 qui se compose de photographies du voyage de noces à Kyoto et dans le Kyûshû du photographe et de sa jeune épouse Aoki Yôko, rencontrée à l’agence Dentsû.

Dans la préface de Voyage sentimental, Araki Nobuyoshi explique la raison de ce titre. Pour lui, “ce qu’il y a de plus proche de la photographie, c’est le roman autobiographique (shishôsetsu)”, un genre littéraire japonais souvent écrit à la première personne où le narrateur décrit ses relations avec ses proches. Le Voyage sentimental est construit comme un shishôsetsu retraçant les rapports du photographe avec sa femme. C’est le premier exemple de la  “photographie de l’intime” (shishashin), devenue par la suite un des courants majeurs de l’expression photographique au Japon. Le Voyage sentimental d’Araki ne se limite pas pour autant à une simple description des liens unissant les jeunes mariés. Il se situe aussi dans le droit fil des récits mythiques universels qui vont du monde de la vie à celui de la mort avant de revenir à leur point de départ. (lire la suite sur NIPPON.COM)

Chiro, le chat du photographe (2016) © nippon.com

Bondage, érotisme et controverses sont les thèmes qui collent à la peau du photographe Nobuyoshi Araki, né en 1940 à Tokyo. Avec Between Love and Death: Diary of Nobuyoshi Araki, accueillie au Singapore Internationale Photography Festival en 2018, révèle une nouvelle face de son œuvre photographique. Entre amour et mort, ses images prises entre 1963 et 2018 prennent la forme d’un journal intime photographié. Il retrace la relation dans la vie, comme dans l’au-delà, du photographe et de sa femme Aoki Yoko, décédée d’un cancer de l’utérus en 1990.

Comme l’a dit Araki lui-même: “C’est grâce à Yoko que je suis devenu photographe.” Dans sa série Sentimental Journey, il révèle des moments de pure intimité. Il y documente leur lune de miel : des chambres d’hôtel aux voyages en train. Dans Winter Journey, il capture la maladie de Yoko puis sa mort. Même si Yoko n’est plus là, Araki continue de la photographier au travers leur chat noir et blanc Chiro. Finalement, c’est avec sa série Sentimental Sky, images du ciel prises sur leur balcon, qu’il essaye encore de capter l’essence de son fantôme.

Ce journal intime, à lire en images, débute avec une relation amoureuse tendre et sensuelle, puis se déploie à travers le décès, le manque, la propre maladie d’Araki et finalement sa résilience et sa soif de vie. Si l’image de Yoko n’est pas dans tous les tirages, elle plane, omniprésente, dans tous les pans du travail d’Araki.” (voir plus sur CERCLEMAGAZINE.COM)

  • illustration de l’article : Nobuyoshi Araki, “Untitled (Eros Diary)” (2015) © nobuyoshi araki – elephant.art

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © nobuyoshi raki ; elephant.art ; nippon.com


Plus d’arts visuels…

SHIOTA Chiharu (née en 1972)

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© Philippe Vienne

Née à Osaka au Japon en 1972, Chiharu SHIOTA vit et travaille à Berlin depuis 1997. Ces dernières années, l’artiste a été exposée à travers le monde, notamment au New Museum of Jakarta, Indonésie, au SCAD Museum of Art, États-Unis, au K21 Kunstsammlung NRW, Düsseldorf, ou encore au Smithsonian, Washington DC. En 2018, elle expose au Musée de Kyoto et, en 2019, aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique ainsi qu’au Mori Art Museum de Tokyo.

Les installations spectaculaires de Chiharu Shiota transforment les espaces dans lesquels elles se déploient, et immergent le visiteur dans l’univers de l’artiste. Elles associent des matières textiles telles que la laine et le coton à différents éléments, formes sculptées ou objets usagés.

L’artiste combine performances, art corporel et installations dans un processus qui place en son centre le corps. Sa pratique artistique protéiforme explore les notions de temporalité, de mouvement, de mémoire et de rêve et requièrent l’implication à la fois mentale et corporelle du spectateur. La participation très remarquée de Chiharu Shiota à la Biennale de Venise, où elle représentait le Japon en 2015, a confirmé l’envergure internationale de son travail. (d’après FINE-ARTS-MUSEUM.BE)

© pen-online.com

Un piano brûlé dans un espace couvert d’innombrables fils. Un bateau flottant dans une mer de fils rouges qui semble jaillir. Le spectateur est attiré dans le monde des œuvres d’art comme s’il était enchevêtré dans l’immense mer de fils. L’œuvre de Chiharu Shiota projette une vision du monde bouleversante qui est proprement inoubliable. L’année dernière, plus de 660 000 personnes ont visité la rétrospective Chiharu Shiota: The Soul Trembles au musée d’art Mori, soit la deuxième plus grande fréquentation d’une exposition dans l’histoire du musée. De nombreux visiteurs se sont rendus à l’exposition plus d’une fois. Il y a donc quelque chose de très captivant dans son œuvre qui attire constamment ses admirateurs — mais de quoi s’agit-il ?

“Jusqu’à présent, c’est la première exposition qui a réussi à suivre le concept de la mort de si près”, a déclaré Shiota. Il s’agissait de la plus grande exposition individuelle de son œuvre jamais réalisée, la rétrospective retraçant ses activités artistiques sur 25 années. Le lendemain de l’événement, Shiota apprenait la nouvelle de la récidive de son cancer. L’exposition, qui a été préparée et réalisée alors qu’elle luttait contre sa maladie et faisait face à un avenir incertain, fut un tournant crucial pour elle.

“Tout était si systématique à l’hôpital, et mes sentiments et mon cœur semblaient avoir été mis de côté », a-t-elle révélé. « J’ai eu le sentiment que je ne pouvais pas m’entretenir sans continuer à réaliser des œuvres“, a-t-elle ajouté. “J’ai ainsi réalisé une œuvre d’art en utilisant mon sac de médicaments contre le cancer, ou encore j’orientais la caméra sur moi pendant que je perdais mes cheveux.” Ainsi, les œuvres de Shiota des années 1990 à 2000 semblent porter un parfum de mort. 
“Parce que j’essayais simplement de vivre, je faisais de mon mieux. Où irais-je si je venais à mourir… ? C’est de là que j’ai tiré le mot “âme” pour le titre de l’exposition”.

Lits rouillés, robes, vieilles clés, fenêtres, pianos silencieux… “l’existence dans l’absence”, qui met en évidence la mémoire des choses, a toujours été son thème de prédilection. Shiota explore la respiration que l’on peut observer en cette absence, comme si elle se concentrait sur le filage d’un fil. (lire la suite sur PEN-ONLINE.COM)

© voir-et-dire.net

Quand une artiste exprime l’angoisse liée à la reprise de son cancer en produisant une oeuvre magistrale. (…) Il demeure une grande différence entre le combat que mène saint Georges (…) contre le dragon et celui qui oppose saint Michel et la bête. Le premier blesse d’abord l’animal et ne le tue qu’après avoir reçu l’assurance de la conversion de la population au christianisme. Le dragon n’est qu’un dragon et l’homme d’action demeure un conquérant, porté par un idéal. Saint Michel appartient à une catégorie de héros non humains et son ennemi, même sous les apparences d’un dragon, est d’abord un symbole du mal. Or, ce mal qui peut être extérieur à nous, nous habite aussi au-dedans. L’archange incarne dès lors des forces que nous pouvons (devons) trouver en nous-mêmes. On remarquera alors que saint Michel ne tue pas le dragon mais qu’il le terrasse. La différence est de taille puisque, par cet acte, il ne fait que le réduire au silence… passager. Le mal demeure, latent et toujours menaçant. Le serpent souterrain peut sortir de sa tanière. Comme certaines pulsions. Mais aussi comme le cancer. Face à lui, que devient le combat dès lors qu’on est un artiste ? L’œuvre de la Japonaise Chiaru Shiota aujourd’hui présentée dans la galerie Templon Bruxelles en est l’expression. Observons. Sur et autour d’un amoncellement de parapluies sombres disposés en une montagne impossible à gravir, tombe une pluie dure et noire faite de fils tendus et impénétrables.

En 1999 déjà, Chiaru Shiota, alors âgée de 27 ans, posait la question de sa propre fragilité de femme en créant un environnement inaccessible fait de robes de sept mètres de haut, couvertes de terre qu’un ruissellement continu, peu à peu, comme les jours d’une vie, lavait mais jamais jusqu’au retour de la blancheur des tissus. Demeuraient des traces, une mémoire. Mais à peine.

© Philippe Vienne

L’eau était encore présente, mais de manière allégorique lorsque, pour la Biennale de Venise 2015, elle créa un environnement immersif au centre duquel une embarcation, ouverte à la manière d’une main, était emportée par un nuage organique de 400 km de fils rouges auxquels étaient accrochés, comme pour stopper l’inévitable destin, 180 000 clés. (lire la suite sur VOIR-ET-DIRE.NET)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations :  Philippe Vienne ; pen-online.com ; voir-et-dire.net


Plus d’arts visuels…

HOSOKAWA, Toshio (né en 1955)

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Toshio Hosokawa, 2018. © ensembleintercontemporain.com

“Compositeur japonais né le 23 octobre 1955 à Hiroshima, Toshio HOSOKAWA se forme au piano, au contrepoint et à l’harmonie à Tokyo. En 1976, il s’installe à Berlin où il étudie la composition avec Isang Yun, le piano avec Rolf Kuhnert et l’analyse avec Witold Szalonek à la Hochshule der Künste. Il participe également aux cours d’été de Darmstadt en 1980 et suit l’enseignement de Klaus Huber et de Brian Ferneyhough à la Hochshule für Musik de Fribourg-en-Brisgau (1983-1986).

Klaus Huber l’encourage alors à s’intéresser à ses origines musicales en retournant au Japon les étudier de manière approfondie. Cette démarche double sera fondatrice d’une œuvre qui puise ses sources aussi bien dans la grande tradition occidentale –Hosokawa cite Bach, Mozart, Beethoven et Schubert parmi ses compositeurs favoris et n’ignore rien de Nono, de Lachenmann et bien sûr de Klaus Huber– que dans la musique savante traditionnelle du Japon, notamment le gagaku, l’ancienne musique de cour.

Toshio Hosokawa est invité dans les plus grands festivals de musique contemporaine en Europe comme compositeur en résidence, compositeur invité ou conférencier […]. Il collabore étroitement avec le chœur de la radio WDR de Cologne et est compositeur en résidence au Deutsches Symphonie Orchester pour la saison 2006-2007. En 1989, il fonde un festival de musique contemporaine à Akiyoshidai (sud du Japon) qu’il dirige jusqu’en 1998.
Toshio Hosokawa, “Futari Shizuka” © en.karstenwitt.com

Son catalogue comprend des œuvres pour orchestre, des concertos, de la musique de chambre, de la musique pour instruments traditionnels japonais, des musiques de film, des opéras. Ses œuvres, privilégiant la lenteur, un caractère étale et méditatif dont la dimension spirituelle n’est jamais absente, sont souvent composées en vastes cycles (“Sen”, “Ferne Landschaft”, “Landscape”, “Voyage” et “Océan”). Les thématiques du voyage intérieur et des liens entre l’individu et la nature traversent nombre d’entre elles […].

Compositeur en résidence à l’Orchestre symphonique de Tokyo de 1998 à 2007, Toshio Hosokawa est le directeur musical du Festival international de musique de Takefu et est membre de l’Académie des Beaux-Arts de Berlin depuis 2001. Il est également professeur invité au Collège de musique de Tokyo depuis 2004 et chercheur invité de l’Institute for Advanced Study de Berlin de 2006 à 2009. Il anime des conférences dans le cadre des cours d’été de Darmstadt depuis 1990. Il est directeur artistique du Suntory Hall International Program for Music Composition de 2012 à 2015.[…]

Si l’œuvre de Toshio Hosokawa se caractérise, à l’instar de compositeurs japonais tels que Yoritsune Matsudaïra, Toshiro Mayuzumi ou Tōru Takemitsu, par la dialectique entre Occident et Japon, sa particularité réside dans sa grande cohérence stylistique. Dans l’une de ses premières œuvres écrites pendant ses études en Allemagne, Melodia” (1979) pour accordéon, Hosokawa évoque la sonorité du shêng (orgue à bouche chinois) par un jeu comparable au rapport inspiration/expiration : partir d’un son piano, l’épaissir ensuite par l’accumulation d’autres sons en crescendo, et enfin revenir à l’état initial en decrescendo.

Même si cette œuvre de jeunesse, entièrement basée sur ce geste quelque peu connoté aujourd’hui, est loin d’être représentative de l’ensemble de sa production, elle annonce clairement les points sur lesquels il travaillera par la suite : la musique extra-européenne (plus précisément, celle du Japon), mais aussi l’économie de moyens, le processus reposant sur un seul geste qui s’intensifie progressivement (densité sonore, conquête du registre ou gain de dynamique), la dilatation du temps ou la corporalité.” (lire plus sur BRAHMS.IRCAM.FR)

Toshio Hosokawa, “Matsukaze”, Opéra de Lille, 2014 © opera-lille.fr

“Toshio HOSOKAWA est l’un des compositeurs japonais majeurs d’aujourd’hui. Il a créé un langage musical personnel à partir de sa fascination pour la relation entre l’avant-garde occidentale et la culture japonaise traditionnelle. Sa musique est fortement liée aux racines esthétiques et spirituelles de la culture japonaise (p. e. la calligraphie) et à celles de la musique de cour japonaise (le gagaku), et il donne une expression musicale à la notion d’une beauté née de l’éphémère : “Nous entendons les notes une à une et apprécions en même temps la façon elles naissent et meurent : un paysage sonore en continuel “devenir” animé de lui-même.”

Né à Hiroshima en 1955, Toshio Hosokawa est arrivé en Allemagne en 1976 où il a étudié la composition auprès d’Isang Yun, Brian Ferneyhough et plus tard de Klaus Huber. Bien qu’il ait d’abord fondé sa musique sur l’avant-garde occidentale, il a peu à peu développé un monde musical nouveau, entre Orient et Occident. C’est en 2001, avec sa première représentation mondiale de l’oratorio “Voiceless Voice in Hiroshima” qu’il obtient une très large reconnaissance […].

Les œuvres de musique lyrique de Toshio Hosokawa sont régulièrement programmées dans les grandes salles d’opéra. Son premier opéra “Vision of Lear” a été acclamé par la critique à la Biennale de Munich en 1998. “Hanjo”, opéra de 2004, mis en scène par la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker, et commandé par l’Opéra de La Monnaie (Bruxelles) et le Festival d’Aix-en-Provence a été vu sur de nombreuses scènes depuis sa création.

Comme Hanjo”, l’opéra “Matsukaze” est également inspiré par le théâtre traditionnel japonais. Il a été représenté pour la première fois en 2011 à l’Opéra de La Monnaie, dans la chorégraphie de Sasha Waltz, puis à l’Opéra d’État de Berlin, à Varsovie, et au Luxembourg. Le monodrame “The Raven” pour mezzo-soprano et ensemble musical a été créé à Bruxelles en 2012, puis joué sur plusieurs autres scènes.” (lire plus sur SOMMETSMUSICAUX.CH)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations ensembleintercontemporain.com ;  en.karstenwitt.com; opera-lille.fr  |


COPPOLA : Lost in Translation (2003)

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Lost in Translation de Sofia Coppola (USA, 2003) avec Scarlett Johansson, Bill Murray, Akiko Takeshita, Kazuyoshi Minamimagoe…

“Bob Harris, acteur sur le déclin, se rend à Tokyo pour tourner un spot publicitaire. Dans son hôtel de luxe, incapable de dormir à cause du décalage horaire, il rencontre Charlotte, une jeune Américaine fraîchement diplômée, qui accompagne son mari photographe…

Après Virgin Suicides, Sofia COPPOLA (née en 1971) confirmait avec Lost in Translation qu’elle n’est pas seulement la fille de son père. Plus flottante, moins démonstrative, cette comédie romantique sur fond de décalage horaire et de pop indépendante n’a en effet de légère que son synopsis. Car sous les néons bariolés de Tokyo, dont la réalisatrice dresse au passage un portrait quasi documentaire, c’est une lutte contre la solitude qui se joue, dont la subtilité quasi platonique n’est pas sans évoquer celle d’In the Mood for Love. Variation pudique sur le schéma du boy meets girl, le film doit évidemment beaucoup à la prestation de Bill Murray et Scarlett Johansson : il est pataud et las, elle est nature et mutine, et leur amitié œdipienne est poignante…” [source : INSTITUT-LUMIERE.ORG]


On se fait une autre toile ?

Mort d’Isao TAKAHATA (1935-2018), réalisateur du « Tombeau des lucioles »

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Le tombeau des lucioles (1988) (c) Studio Ghibli

Cofondateur avec le réalisateur Hayao Miyazaki du studio Ghibli, producteur et réalisateur de films d’animation comme Le Tombeau des lucioles ou Le Conte de la princesse Kaguya, nommé aux Oscars en 2015, le Japonais Isao TAKAHATA est mort jeudi 5 avril à 82 ans. Fervent pacifiste et critique de la politique du gouvernement actuel du premier ministre conservateur Shinzo Abe, il était hospitalisé à Tokyo pour un cancer des poumons.

Né en 1935 à Ujiyamada (aujourd’hui Ise) dans le département de Mie, au centre du pays, dans une famille de sept enfants dont le père Asajiro Takahata (1888-1984) était très impliqué dans les questions d’éducation, il étudie la littérature française à la prestigieuse université de Tokyo et se passionne notamment pour l’œuvre du poète Jacques Prévert (1900-1977).

Isao Takahata rejoint en 1959 la société de production Toei, notamment par intérêt pour l’animation qu’il a découverte au travers du travail de Paul Grimault (1905-1994), réalisateur du Roi et l’Oiseau, d’après La Bergère et le Ramoneur de Hans Christian Andersen (1805-1875). Sa première réalisation est la série Ken, l’enfant loup (1963).

« Amis immédiatement » avec Miyazaki

La même année, Hayao Miyazaki est à son tour embauché par Toei. Les deux hommes se rapprochent par le biais d’activités syndicales. « Nous sommes devenus amis immédiatement », a déclaré Isao Takahata. Les deux réalisent leur premier film en 1968, Horus, prince du soleil.

Au cours de leurs presque cinquante années de collaboration – non sans quelques rivalités –, ils ont travaillé sur de multiples projets comme la série Heidi, la petite fille des Alpes (1974) et, en 1984, le long-métrage Nausicaä de la vallée du vent, grand succès qui les amènera à créer le studio Ghibli en 1985, avec le producteur Toshio Suzuki. S’ensuivent vingt-six créations qui ont rencontré un succès planétaire. Le Voyage de Chihiro a même reçu un Oscar en 2003.

Tour à tour producteur et réalisateur, Isao Takahata, surnommé « Paku » par MM. Suzuki et Miyazaki, s’illustre par son perfectionnisme. Dans le livre Dans le studio Ghibli – travailler en s’amusant (Ed. Kana, 2011), Toshio Suzuki explique qu’Isao Takahata a “passé en revue toutes les archives de l’époque” pour savoir de quel côté arrivaient les B-29 pour la scène du bombardement du Tombeau des lucioles. “Même les pains représentés dans Heidi ont été dessinés après des recherches approfondies”, ajoute M. Suzuki.

“La tortue rouge” (2016) de Michael Dudok de Wit est également une co-production du Studio Ghibli
Méfiance envers le numérique

Attaché au réalisme, Isao Takahata disait ne pas apprécier l’usage de personnages dotés de superpouvoirs. Même s’il ne dessinait pas lui-même, il se méfiait du développement du numérique. Avant, déclarait-il, “l’animation était plate et à deux dimensions. Elle ne pouvait pas prétendre au réalisme. Mais c’était là son point fort : en gardant tout à plat, elle laissait au spectateur la liberté d’imaginer ce qu’il y avait derrière l’image”. Le studio Ghibli a toujours produit des films dessinés à la main, ce qui a fini par lui causer des problèmes de rentabilité en 2014.

Les thèmes de ses œuvres pouvaient être variés même s’il rejoignait Hayao Miyazaki dans son attachement à la protection de l’environnement. Le studio Ghibli a d’ailleurs pris position pour la sortie du nucléaire après la catastrophe de Fukushima en 2011.

Proche du Parti communiste, Isao Takahata était profondément pacifiste. Ayant survécu à un bombardement américain en juin 1945 sur Okayama au cours duquel il avait fui sa maison en pyjama avec l’une de ses sœurs, il a participé, en 2015, au mouvement d’opposition au projet du gouvernement de M. Abe de faire adopter des lois sécuritaires visant à faciliter le recours à la force armée par le Japon. Il est l’un des fondateurs du groupe Eigajin Kyujo no Kai (“Les cinéastes pour l’article 9″) pour la défense de l’article 9 de la Constitution, proclamant le renoncement à la guerre du Japon.

En conférence de presse, en 2015, cet éternel amoureux de la culture française et par ailleurs Officier des Arts et Lettres, déclarait préférer, à la citation latine “Si tu veux la paix, prépare la guerre”, le vers du poète Jacques Prévert : “Si tu ne veux pas la guerre, répare la paix” (du poème Cagnes-sur-Mer, 1953).

La tortue rouge (2016)

Source : Article de Philippe MESMER sur LEMONDE.FR (6 avril 2018)


Plus de cinéma ?

YAMAMOTO : photographies

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(c) Yamamoto Masao

Masao YAMAMOTO est né en 1957 au Japon ; initialement peintre, il est aujourd’hui photographe indépendant : “aux antipodes d’une photographie frontale aux grands formats qui s’imposent au spectateur, Yamamoto développe depuis vingt ans une oeuvre discrète qu’il faut approcher pour en saisir la finesse et la subtilité.”

© Yamamoto Masao

“Ses images sont comme des fragments de vie à jamais indéchiffrables, éclairs de grâce comparables à des haïkus. Ses tirages, de petits formats qu’il réalise lui-même avant de les patiner et de les user, ont fait l’objet de nombreuses expositions.”

(c) Yamamoto Masao

Découvrir le travail de l’artiste sur son site officiel YAMAMOTOMASAO.JP ou, pour les férus du clic droit, quelques autres photographies téléchargeables sur CAMERALABS.ORG

(c) Yamamoto Masao

Ses oeuvres sont exposées à l’international : Harvard University Art Museums (Cambridge, US), Philadelphia Museum of Art (Philadelphia, US), Museum of Fine Arts (Houston, US), The International Center of Photography (New York, US), Center for Creative Photography (CCP, Tucson, US), Princeton University Art Museum (Princeton, US), …, Victoria & Albert Museum (London, UK), Maison Européenne de la Photographie (Paris, FR), Quinzaine photographique (Nantes, FR), Musei Civici Comune di Reggio Emilia (IT), Forum für Fotografie (Köln, DE), Fondation d’entreprise Hermès (Paris, FR), Art at Swiss Re (Zurich, CH)…

© Yamamoto Masao

Yamamoto a déjà publié plusieurs recueils de photographies. Parmi les plus récents :

© Yamamoto Masao

Contempler encore…

COYAUD : Fourmis sans ombre, Le livre du haïku (1978)

Temps de lecture : 2 minutes >
[ISBN-13: 978-2859405861]
[ISBN-13: 978-2859405861]

COYAUD Maurice, Fourmis sans ombre, Le livre du haïku (Anthologie-promenade, Phébus, Libretto, Paris, 1978)

“Réédition d’un classique qui enchanta Roland Barthes, où poésie et impertinence cheminent d’un même pas. Les haïkistes nippons, dont Maurice Coyaud a rassemblé ici le plus large florilège, notaient volontiers leurs petits poèmes – trois vers, c’est tout – en marge du récit de leurs randonnées, comme autant de pauses, de points de suspension. Maurice Coyaud procède à leur manière. Son anthologie n’en est pas vraiment une et c’est tant mieux ; elle prend forme de promenade, de libre divagation à travers le Japon éternel. Écoutons ces voix qui nous disent que la poésie, même si elle n’est jamais que l’autre nom de l’indicible, ne loge pas au temple que l’on croit : elle suit les chemins vicinaux, dort dans les fossés et chausse les savates de tout le monde. Elle ne cherche rien (puisque chercher est l’un des meilleurs moyens de ne rien trouver), donnant secrètement raison au sage qui nous prévient narquoisement : Quand vous regardez, contentez-vous de regarder. Si vous réfléchissez, vous mettez déjà hors de la cible.”

Dans la jarre d’eau flotte
Une fourmi
Sans ombre

Seishi

Tout en larmes
Assis il raconte
Sa maman l’écoute

Hasuo

Il lèche la cuiller
Le gamin avec délices
Sorbet. L’été

Seishi

Une goutte de rosée
Une fourmi en devint
Folle

Seishi

Tout le monde dort
Rien entre
La lune et moi

Seifujo

L’escargot
Levant la tête
C’est moi tout craché

Shiki

Avec moi elle lutte
A qui fermera les yeux le premier
La grenouille

Issa

Chauve-souris
Cachée tu vis
Sous ton parapluie cassé

Buson

En ce monde, même
Des insectes, au chant, il y en a
Des calés, des piteux

Issa

J’ai tué l’araignée
Quelle solitude !
Nuit froide

Shiki

Verte grenouille
Tu viens de te faire repeindre
La carcasse ?

Akutagawa Ryûnosuke

Même mon ombre est
En excellente santé
Premier matin de printemps

Issa

Plus d’oiseaux
Sur le toit de cuivre rouge
Trop chaud

Kisu

L’escargot se glisse
Sous une feuille
Quelle chaleur !

Akutagawa Ryûnosuke

Le vent d’automne
Transperce les os
De l’épouvantail

Chôi

L’automne s’approfondit
Ils se vêtent de feuilles mortes
Les épouvantails

Otsuyû

L’automne est bien là
Ce qui me le fit comprendre
C’est l’éternuement

Buson

L’oiseau en cage
Les yeux envieux
Zieutant les papillons

Issa

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