PEPIN : Comment trouver son “essentiel” ?

Temps de lecture : 3 minutes >

[RADIOFRANCE.FR/FRANCEINTER, 7 octobre 2023] Aujourd’hui, Charles Pépin répond à la question de Charlotte : “J’aimerais avoir des pistes pour trouver mon essentiel, ce qui me ressemble, ce qui me rassemble“.

“Que vous essayiez, chère Charlotte, de trouver votre essentiel, votre désir profond, votre aspiration principale dans l’existence, c’est déjà en soi une très bonne nouvelle ! Bon nombre de vos congénères vivent leur existence entière sans se poser cette question, et c’est bien dommage, car ils ne risquent pas de réussir à aligner les efforts de leur volonté sur la vérité de leur désir.

Mais comment le trouver, cet essentiel, cette manière de vivre qui vous ressemble, ce désir propre qui n’est qu’à vous et vous offrira une vie pleine et accomplie, ou au moins cohérente ?

Oui, bonne question, comment on fait ?

Charles Pépin © Bojana Tatarska – allary editions

Ma réponse va peut-être vous surprendre : il s’agit moins de réfléchir que d’agir, moins d’introspection que d’action. Quand on réfléchit – est-ce que ma vie me ressemble ? Est-ce que ce métier me correspond ? est-ce que je suis vraiment libre ?…- on tourne très vite en rond, on est rapidement gagné par l’angoisse de ne voir aucune réponse claire se dégager. Mais quand on agit, quand on part à la rencontre des autres et du monde, quand on multiplie les expériences tout en prenant soin de s’écouter, tout en étant attentif à la manière dont on vit les choses, et dont elles nous transforment, alors on peut observer assez facilement si, dans notre manière de vivre, d’aimer et de travailler, on est en train ou non de se rapprocher de son essentiel.

Ah bon et comment on le voit ? Quels sont les signes que l’on se rapproche de son essentiel ?

J’en vois trois principaux. Le premier, c’est qu’on a le sentiment de progresser, et même de progresser assez facilement, d’être ce que les sages anciens appelaient un progrédiens, quelqu’un qui avance en s’améliorant. Nous sommes libres, écrit Bergson, non quand nos actions sont parfaitement arrachées à tout conditionnement mais quand elles nous ressemblent, nous permettent d’exprimer ce que Bergson nomme la mélodie intérieure de notre personnalité.

Eh bien quand c’est le cas, les choses deviennent assez faciles, parfois même le flow nous gagne, cette impression de facilité qui indique qu’on ne se force pas, qu’on est sur son axe, peut-être pas totalement fidèle à son désir mais en tout cas en train de s’en approcher, de le trahir de moins en moins, de se rapprocher d’une telle fidélité à ce qui compte pour soi.

Le deuxième signe, c’est qu’on a un meilleur rapport aux autres, on est moins agressifs, moins ressentimentaux, plus à l’écoute, plus empathiques… cela fait tellement de bien, de ne pas être en guerre contre soi-même, que cela ouvre un espace pour faire la paix avec les autres, et peut-être même pour leur vouloir du bien.

Et le troisième, c’est la joie, cette joie dont Spinoza disait qu’elle est le “passage d’une moindre à une plus grande perfection“, bref le signe d’un accroissement de votre être. Si votre activité vous met en joie, il y a de fortes chances qu’elle vous corresponde et qu’en elle vous vous rapprochiez de votre essentiel, de ce qui compte pour vous.

La joie peut alors être vue comme le signe que vous êtes sur la bonne voie, que vous marchez sur un chemin qui vous rapproche de vous-mêmes. “La joie, écrit Bergson, annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire.

La joie annonce que “la vie a réussi”. Précisons : votre vie. Votre singularité. Vos valeurs. Votre désir. Mais si vous trouvez ces termes un peu trop imposants, on peut le dire plus simplement. Cette joie de vivre vous indique que vous vous rapprochez de la personne que vous avez l’ambition de devenir, que votre vie ressemble un peu plus à la vie que vous avez l’ambition de mener. Bien sûr, la route est longue, et elle est semée d’embuches. Il y aura des erreurs d’aiguillage, des moments d’hésitation et même des retours en arrière. Mais si vous avez le sentiment de progresser, de vous ouvrir d’avantage aux autres autour de vous et à la joie en vous, c’est que vous êtes, Charlotte, sur la bonne voie.”

Charles Pépin, philosophe


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | source : France Inter | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Le tombeau de Sisyphe © fandom games ; © Bojana Tatarska – allary editions | Être à sa place est également le sujet du prochain livre de Patrick Thonart.


Vivre l’expérience en Wallonie-Bruxelles…