DIEL : Psychologie et philosophie (conférence, 1958)

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En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :

    1. Psychologie et langage ;
    2. Psychologie et philosophie ;
    3. La psychologie des profondeurs ;
    4. Psychologie et motivation ;
    5. Motivation et comportement ;
    6. Psychologie et vie.

ISBN 9782822405447

“J’ai tâché de démontrer que le but de la délibération intime est la libération qui réside dans l’harmonie des désirs, dans la maîtrise de soi, dans l’objectivation du sujet à l’aide d’un effort introspectif de prise de connaissance de soi.

Or, depuis les temps les plus reculés, l’effort essentiel de l’esprit humain a été la lutte contre l’affectivité aveuglante. Le thème de la maîtrise des désirs et de la connaissance de soi traverse les siècles. Unissant les époques, il fonde l’effort évolutif et culturel de l’homme, l’histoire de l’humanité, sous son aspect essentiel. La psychologie retrouve actuellement ce thème, non point par hasard, mais par une immanente nécessité historique. Comment n’aurait-elle pas le souci de mettre en relief son lien avec les efforts précédents envers lesquels elle s’éprouve redevable, si pré-scientifiques soient-ils ?

La connaissance intime n’a jamais été cherchée dans un but purement théorique, mais au contraire, dans un dessein éminemment pratique, comme en témoigne l’idéal de sagesse des Anciens. La sagesse est l’harmonie des désirs. L’amour de la sagesse, la philosophie, a cherché les conditions de l’harmonisation non par idéalisme exalté, ni même par devoir extérieurement imposé, mais uniquement parce que les Anciens y reconnaissaient la condition ultime de satisfaction. La satisfaction ultime est la joie, et le désir essentiel de tout homme est de vivre dans la joie.  Depuis que l’homme vit, et tant qu’il vivra, il cherchera la joie et les conditions de son accomplissement. Son effort essentiel consistera à valoriser les désirs selon leur promesse de satisfaction, à les hiérarchiser et à créer ainsi l’échelle des valeurs.

La psychologie moderne a passagèrement abandonné la recherche essentielle. La psychologie ne fut longtemps qu’une branche de la philosophie, mais qui nécessairement a gagné de plus en plus en importance, du fait que le thème essentiel de sa recherche -la maîtrise satisfaisante des désirs- était un problème psychique. Voulant se constituer en science indépendante, la psychologie a pris soin de rendre la séparation radicale. Elle a rejeté non seulement la forme de l’ancienne recherche jugée trop intuitive, mais aussi son contenu : le problème essentiel. Mais la psychologie pourrait-elle à jamais renoncer au contenu essentiel de toute recherche ?

Les conditions de satisfaction et d’insatisfaction sont inscrites dans le fonctionnement psychique. Parce qu’elles y sont inscrites, elles doivent être psychologiquement définissables. Ce n’est que de la définition claire des conditions immanentes de satisfaction vitale que pourra résulter une valorisation sensée (la compréhension du sens et de la valeur de la vie), savoir enseignable dont le pouvoir formateur sera amplifiable de génération en génération. Transmissibilité et amplification sont les traits caractéristiques de toute science. C’est dans ce trait, et non point dans l’abandon du problème essentiel, que la psychologie devrait chercher le renouveau.

Afin de mettre en évidence le lien essentiel unissant les époques, il importe de tracer la ligne évolutive conduisant des croyances primitives à la philosophie et à la psychologie comprises dans toute leur ampleur.

Le thème commun à la philosophie et à la psychologie –la maîtrise des désirs à l’aide de la connaissance de soi– est le problème éthique. La philosophie intuitive, ne pouvant formuler clairement l’origine immanente des valeurs, se perdait dans les spéculations métaphysiques. Ce penchant est fatal, car la réflexion philosophique a hérité de la figuration éthique de la mythologie, qui plaçait les valeurs sous une forme personnifiée dans une région transcendante. Ces personnages surhumains, les divinités, représentant les valeurs, ont été originairement imaginés comme vivant éternellement dans une sphère céleste, imposant à l’homme la conduite éthique -la maîtrise des désirs- comme condition de son salut.

Personnages mythologiques, les divinités des Anciens étaient les créations d’une imagination à force sublimante. Elles figuraient symboliquement les qualités psychiques de l’homme portées à la perfection. Elles imposaient (symboliquement parlant) la conduite sensée, parce qu’elles signifiaient (psychologiquement parlant) un appel à l’effort de perfectionnement que l’homme, créateur des mythes, s’adressait à lui-même par une sorte de prescience surconsciente des conditions psychiques de sa propre libération. Sur le plan de la délibération réelle et intime, les images des divinités étaient, de ce fait, des déterminantes immanentes de l’accomplissement sensé.

Personne ne croirait plus à l’heure actuelle que les divinités grecques, par exemple, Zeus, l’esprit, Héra, l’amour, Athéné, la sagesse, Apollon, l’harmonie, etc., aient réellement, c’est-à-dire physiquement, existé. Elles existaient cependant dans un sens psychologique : images-guides, elles étaient des centres suggestifs qui, parce qu’immanents à la psyché, aidaient l’homme à trouver la solution juste de ses conflits psychiques.

À cet égard, il est instructif de constater que toute la sagesse de la prescience mythologique des Grecs a été condensée dans l’inscription qui se trouvait au fronton du temple d’Apollon, dieu de l’harmonie : “Connais-toi toi-même“. Connaître soi-même, c’est connaître les motifs de ses actions. La prescience mythique indique donc par cette inscription que la connaissance des motifs intimes permet d’accéder à l’esprit harmonisateur. Cette sous-jacente vérité psychologique se trouve encore renforcée par le récit mythique qui souligne le pouvoir libérateur d’Apollon : l’homme qui, conformément à la prescription, cherchait la connaissance de soi, qui symboliquement parlant se réfugiait dans le sanctuaire de l’harmonie, qui soumettait ses désirs exaltés à l’exigence de l’esprit harmonisant, était – d’après l’ancienne prescience – sauvé de la poursuite par les Érinnyes (symboles de la culpabilité). Psychologiquement parlant : l’homme, ayant rempli les conditions saines de la délibération, se trouve libéré du désaccord avec lui-même et du tourment coupable qui en résulte.

Les symboles mythiques formaient une terminologie psychologique exprimée par image.

Mais, peu à peu, la foi en les images perdait sa force vivifiante. Le doute se réveillait à mesure que la divinité, immanente force suggestive existant dans l’intra-psychique, n’était plus prise que pour une réalité extra-psychique vivant réellement dans une région transcendante. La statue, représentation symbolique de la divinité, en vint à être prise pour une divinité réelle qu’on implorait dans l’espoir d’obtenir d’elle la satisfaction des désirs matériels.

L’erreur dans la valorisation décidait ainsi du déclin de la culture.

C’est alors que dans la culture grecque-exemple ici du destin de toutes les cultures- la réflexion philosophique prit le pas sur les croyances. Afin de sauvegarder les valeurs éthiques, la philosophie s’efforça d’expliquer leur raison d’être, qui ne se dégage des images mythiques qu’après en avoir rejeté l’enveloppe symbolisante.

Rien n’est plus instructif à cet égard que la philosophie de Platon. Dans ses Dialogues, le conflit d’origine intrapsychique ne se trouve plus représenté par le combat des héros contre les monstres et les démons, mais par la discussion entre Socrate et les Sophistes. Le héros de Platon, Socrate, défend les valeurs-guides sous leur forme réelle -la connaissance de soi et la maîtrise des désirs- contre l’assaut des Sophistes. Afin de dérober l’affect et ses promesses de jouissance au contrôle de la pensée consciente, les Sophistes se faisaient forts de démontrer que la pensée n’est qu’un moyen bon à prouver n’importe quoi par n’importe quel argument. (C’est là un procédé de fausse justification que tout homme emploie à son insu dans sa propre délibération intime, afin de soustraire au contrôle de l’esprit élucidant les promesses de l’imagination exaltée.) Socrate s’oppose à la rhétorique des Sophistes. Il démontre l’exigence immanente de l’esprit : la nécessité de définir clairement les termes qui désignent les qualités psychiques, seul moyen d’éviter la confusion entre le juste et le faux, confusion dangereuse parce que génératrice de l’activité faussée.

Les dialogues platoniciens sont une tentative d’établir une terminologie psychologique clairement définie, capable de remplacer la terminologie symbolique et imagée de la prescience mythique.

Les thèmes des dialogues seront les qualités psychiques que les divinités, figures symboliques, ont représentées: l’esprit, l’amour, la sagesse, l’harmonie, etc. Sans cesse le Socrate de Platon s’efforce de définir ces termes. Afin de démontrer leur immanente valeur, il les présente comme seuls garants de satisfaction vitale.

La maïeutique de Socrate est une analyse des motivations à base introspective, fondée sur une tentative de prise de connaissance de soi-même.

Mais si, par l’emploi de cette méthode, Platon défend l’origine immanente des idées-guides (vérité, beauté, bonté, sagesse, harmonie, amour), il les détache néanmoins d’une façon insuffisante de l’ancienne figuration mythique. Pareilles aux divinités olympiennes symboliquement immortelles, les idées-guides résident éternellement dans une sphère inaccessible à l’homme. Sans doute Platon a-t-il voulu donner à entendre par là que l’idéal éthique existe en dehors de l’usure du temps, qu’il demeure vrai et valable à travers tous les temps. Il n’empêche que, par la tentative d’assurer aux valeurs une portée absolue et transcendante, la philosophie fut condamnée à ne rester qu’une sorte de psychologie spéculative, vénérable par l’ampleur de ses problèmes, mais dont les tentatives de solution s’échelonnent en une succession de systèmes contradictoires.

Peut-on, de ce résumé succinct, conclure à la situation de l’époque actuelle ?

Ce qui est certain, c’est que la contradiction à l’égard des valeurs et de leur origine culmine à l’heure actuelle dans un degré de désorientation jamais atteint auparavant au cours de l’histoire.

Si l’on admet que toutes les cultures ont été fondées sur leur vision des valeurs, guide essentiel de la conduite humaine tant individuelle que sociale, on ne peut s’empêcher de penser que la cause la plus secrète du désarroi de l’époque présente est due à la scission intervenue entre la survivante métaphysique spiritualiste et le matérialisme mécaniciste, fondement idéologique des sciences. La psychologie elle-même est à la remorque d’une idéologie rationaliste pour laquelle, paradoxalement, la raison n’est qu’un épiphénomène et le raisonnement une illusion.

L’avènement de la psychologie des profondeurs est l’une des conséquences de cette situation conflictuelle.

Il importe dès lors de démontrer que l’étude de l’extra-conscient apporte, en effet, un élément nouveau à la recherche essentielle qui traverse l’histoire.

Mais la psychologie de l’extra-conscient risque de demeurer inefficace si elle ne s’avise pas que les maladies de l’esprit, qui à des degrés divers d’intensité assaillent tous les individus, résultent en premier lieu du malaise de l’esprit incapable de valorisation pondératrice, permettant de maîtriser l’exubérance des désirs matériels, sexuels et spirituels et d’établir ainsi une juste hiérarchie des valeurs.”

[à suivre dans la conférence 3/6 : La psychologie des profondeurs]

  • L’illustration de l’article montre le plafond de la bibliothèque de Montaigne, dont les poutres ont été gravées de maximes.

D’autres discours sur ce qui est ?

DIEL : Psychologie et langage (conférence, 1958)

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En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :

    1. Psychologie et langage ;
    2. Psychologie et philosophie ;
    3. La psychologie des profondeurs ;
    4. Psychologie et motivation ;
    5. Motivation et comportement ;
    6. Psychologie et vie.

ISBN 9782822405447

“Depuis plusieurs années déjà, on constate en psychologie un mouvement qui tend à se déployer dans divers pays. Il s’efforce de réviser les assises mêmes de cette science afin de lui assurer une portée dépassant les limites qui lui furent assignées par les méthodes en usage.

Voici comment s’exprime à cet égard, pour ne citer qu’un seul auteur, le Dr A.H. Maslow, professeur à la Brandeis University, aux États-Unis, dans un récent article intitulé Toward a Humanistic Psychology : “Je crois que tous les problèmes de grande importance, guerre et paix, exploitation de l’homme et fraternité humaine, haine et amour, maladie et santé, mésentente et harmonie, bonheur et malheur de l’humanité, ne trouveront leur solution que dans une meilleure compréhension de la nature humaine…” Et, plus loin : “Elle (la psychologie) se préoccupe beaucoup trop de ce qui est objectif, manifeste, extérieur, en un mot de la conduite… Elle devrait étudier davantage ce qui est intérieur, subjectif, méditatif, secret. L’introspection, utilisée comme technique, devrait être réintroduite dans les recherches de la psychologie.

Dans divers ouvrages et études, l’auteur du présent exposé a défendu une position qui, bien que conçue en pleine indépendance de pensée, s’apparente à celle qu’expriment ces citations, on n’aurait cependant pas osé l’exprimer avec cette franchise un rien naïve qui caractérise, souvent tout à son honneur, le savant américain.

Et de fait, il me serait impossible, aujourd’hui, d’exprimer ces idées en évitant toute polémique. Ma meilleure excuse est que je me sens uni -même avec les psychologues auxquels il m’advient de m’opposer- dans le souci d’une commune recherche de la vérité.

Longtemps avant que la psychologie ait pu se constituer en science, sa terminologie avait été préétablie par la sagesse du langage. Des termes comme sentiment, volonté, pensée étaient couramment employés ; le terme de psyché signifiait l’ensemble de toutes ces fonctions, et de bien d’autres depuis toujours plus ou moins clairement distinguées.

Cette constatation pourrait paraître bien simple, sinon simpliste. À y réfléchir, ne renfermerait-elle pas un problème grave, le problème crucial de la psychologie, celui de sa méthode ?

Bien sûr, toutes les sciences se sont constituées à partir d’une terminologie préétablie. La physique n’utilise-t-elle pas des termes comme vitesse, accélération, etc., qui se sont formés à partir d’une observation ancestrale ? Mais la physique n’est devenue science qu’en définissant clairement sa terminologie grâce à l’emploi de la formule mathématique.

La psychologie, obligée de se contenter des formulations, devrait avoir le souci de les préciser. Est-elle parvenue à formuler clairement ce que sont les fonctions, pour ne citer que les plus fondamentales, de pensée, de volonté, d’affect ?

Pour la psychologie du comportement, la psyché est inexistante. Ses fonctions ne seraient que des épiphénomènes illusoires. Il suffirait donc d’étudier les phénomènes manifestes, constatables par observation extérieure : les actions qui, par voie de conséquence, seraient exclusivement déterminées par l’influence du milieu. Bien entendu, l’étude du comportement ne peut s’abstenir d’utiliser l’ancienne terminologie. Elle continue à parler des pensées, des volitions, etc. Mais elle traite ces phénomènes intrapsychiques avec un souverain mépris. Pour les étudier, il faudrait les observer, et par quelle méthode pourrait-on le faire ?

Il ne s’agit point de contester la valeur des méthodes employées par l’étude du comportement, à savoir l’observation clinique et l’observation à l’aide de tests. Mais ces méthodes n’épuisent pas les instruments de la recherche.

N’est-il pas indéniable que la terminologie élaborée par la sagesse du langage n’a pu être établie qu’à partir de l’observation de la vie intime ? La vie humaine consiste essentiellement en une incessante délibération intime à laquelle toutes les fonctions psychiques apportent leur concours. Le comportement n’en est que le résultat final. Chacun sait intimement et pertinemment qu’il délibère avant de répondre activement aux excitations du milieu. Est-ce possible que ce travail intrapsychique ne soit qu’un leurre,
qu’une illusion dépourvue de toute importance pour la vie ?

La sagesse du langage, qui a su déceler les facteurs les plus élémentaires de la délibération intime, constituant ainsi sa terminologie à partir d’une introspection révélatrice, sans cesse renouvelée par tout être humain, n’aurait-elle pas une fois pour toutes prescrit à la psychologie sa voie d’investigation ? Pour être science, la psychologie ne devrait-elle pas parvenir à rendre de plus en plus lucide la méditation qui se poursuit inlassablement en nous à l’endroit de cette affection immédiate que sont nos désirs et leur exigence de satisfaction, laquelle, sensée ou insensée, décide de la valeur des hommes, du destin de l’humanité ?

Voici comment William James résumait la situation dans son Précis de Psychologie : “…nous ignorons jusqu’aux termes entre lesquels les lois fondamentales, que nous n’avons pas, devraient établir des relations. Est-ce là une science ? C’en est tout juste l’espoir. Nous n’avons que la matière dont il faudra extraire cette science.

Cette matière que nous possédons, qu’est-elle sinon la terminologie anciennement et introspectivement préétablie par la sagesse du langage ? Si, après l’effort des siècles, nous ne sommes pas parvenus à extraire de cette matière des lois capables de constituer une science, ne serait-ce point parce que la voie d’investigation prescrite par la sagesse du langage a été abandonnée?

Une science se définit par sa méthode et elle s’expose par ses lois. Les lois du psychisme concerneraient-elles le désir et ses exigences de satisfaction sensée ou insensée déterminant la situation conflictuelle de l’homme et même de la société ? Le désir n’est-il pas à la base de tout effort humain, même de la science ? La science pure désire posséder la vérité, satisfaction de l’esprit. La société en fait un usage technique en vue de satisfaire les désirs matériels ; mais la loi essentielle de la vie stipule que la véritable satisfaction, le triomphe sur toutes les tentations insensées, ne peut être trouvée que dans la maîtrise des désirs. Comment réaliser les conditions de cette satisfaction essentielle, si la science s’obstine à exclure l’étude du désir du domaine de sa recherche? Bien qu’il soit utopique de penser à une solution à courte échéance, il n’en demeure pas moins vrai que l’esprit humain ne devrait reculer devant aucun problème que la vie et ses exigences inéluctables lui imposent. Ce sont précisément les merveilles de l’invention technique qui démontrent, ou qui pourraient du moins susciter l’espoir, qu’aucun problème n’est insoluble à condition qu’il soit sciemment posé.

Mais le problème essentiel ainsi posé, sa solution est-elle réalisable ? Le désir est une affection subjective. De par sa nature même, il semble s’opposer à la prise de connaissance, qui ne pourra s’opérer que par voie d’introspection objective. Se faire défenseur de l’introspection, n’est-ce point s’engouffrer dans une impasse ?

© anto paroian

N’est-il pas connu et reconnu que l’introspection est dépourvue de toute objectivité et que son emploi n’est pas seulement inefficace, mais au plus haut degré nuisible ?

La vérité, c’est que tout le désarroi actuel de la psychologie est dû précisément au fait que seule l’introspection sous sa forme morbide est reconnue, sans toutefois être étudiée dans ses conditions et ses aboutissements. Elle consiste dans la rumination complaisante des moindres fluctuations de l’affectivité, sans aucun effort de valorisation lucide. Elle transforme les sentiments en ressentiments, et aboutit ainsi à l’interprétation morbide des intentions propres du sujet et des motifs d’autrui à son égard. Produisant l’hypostase vaniteuse et rancunière de l’ego trop auto-complaisant, elle conduit vers l’égocentrisme. Le cortège des déformations psychiques est la conséquence de cette rumination faussement introspective. C’est elle qui détruit la pensée logique et objective par suite d’un aveuglant débordement affectif, conséquence de l’exaltation égocentrique des désirs. L’introspection morbide est la maladie de l’esprit par excellence. Mais n’en résulterait-il pas que la santé psychique est précisément fonction d’un esprit lucidement valorisant, capable de s’opposer aux ressentiments égocentriques et aux désirs désordonnés ? Comment cette valorisation élucidante et objectivante pourrait-elle s’opposer aux méfaits de l’introspection morbide, si elle n’était pas elle-même de nature introspective ?

La psychologie intime n’invente rien en constatant que le conflit des motifs est l’objet d’une constante introspection. Mais elle rappelle à l’évidence. Elle souligne que rien n’est plus important que de comprendre sciemment les motivations secrètes du conflit intime. Seule une prise de connaissance scientifique permettra d’élaborer une méthode objective, capable de soutenir l’introspection saine dans sa lutte contre l’introspection nocive.

Sous le bénéfice de cette distinction se désigne clairement le thème de cette série d’exposés.

La maîtrise des désirs, c’est la maîtrise de soi. La condition indispensable en est la lucidité à l’endroit de ses propres motifs intimes, qui déterminent l’activité dans son ensemble et, par là même, le caractère. Se connaître jusque dans ses intentions secrètes, c’est comprendre la nature humaine en général, c’est connaître également autrui. L’introspection méthodique, loin de conduire à un égarement subjectif, est au contraire la condition de toute véritable objectivité. Le thème commun de ces exposés sera donc l’étude des motivations intimes, qui se dérobent souvent au conscient parce que inavouées et jugées inavouables. Ce sont les motifs inavoués qui s’opposent à la connaissance du fonctionnement psychique, but de la psychologie.

Mais avant d’aborder en détail l’étude des motivations, il est utile de souligner toute l’importance historique du problème.”

[à suivre dans la conférence 2/6 : Psychologie et philosophie]


D’autres discours sur ce qui est ?

MAESO : Monstres et compagnie (LIRE, 2021)

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“Au fond, qu’est-ce que la monstruosité ? Quelle est sa définition ? Et que renvoie-t-elle de l’humanité ? Ne jamais oublier que le monstre n’est pas toujours celui que l’on croit.

Le sommeil de la raison engendre des monstres’, peut-on lire sur un célèbre tableau de Goya. La genèse et l’histoire du monstrueux semblent pourtant plus complexes, au croisement de l’imaginaire et de l’observation, du religieux et du scientifique, de l’horreur et de la fascination. Et s’il y a une quête dont l’humanité ne s’est jamais lassée, c’est bien celle qui consiste à trouver des raisons à la monstruosité.

Dans sa Physique, Aristote définit les monstres comme ‘des erreurs de ce qui advient en vue d’une fin’. Cette conception du monstre découle d’une approche du vivant qui repose sur la dualité de la forme et de la matière. La première, qui constitue l’essence de l’espèce (et donc sa finalité, sa raison d’être telle qu’elle est), est fournie, lors de la reproduction, par le mâle, tandis que la femelle sert de matrice et porte la matière informe. L’ordre normal du vivant se manifeste ainsi par la reproduction à l’identique d’individus formés sur des types que sont les espèces.

Mais le monde terrestre étant, aux yeux du philosophe stagirite, frappé d’imperfection, les lois qui le régissent n’excluent pas des anomalies occasionnelles. Les monstres sont dès lors perçus comme des erreurs de la nature, des accidents qui se produisent quand la matière retorse prend le dessus sur la forme et lui résiste, avec pour résultat un être dont l’essence n’est qu’imparfaitement réalisée. Cette approche a l’avantage d’être réconfortante, puisqu’elle fournit une explication rationnelle à un phénomène déstabilisant, permettant à l’esprit épris de compréhension de retrouver un ordre jusque dans le désordre. Le monstre est l’exception qui confirme la règle.

Entre séduction de l’inconnu et terreur de l’inintelligible

L’intérêt scientifique pour le monstre s’est progressivement cristallisé autour d’une science appelée tératologie (du grec teratologia, “récit sur les choses extraordinaires” ou “science du monstrueux“) , qui se concentre sur les anomalies anatomiques se manifestant au sein du vivant. Elle s’élabore à partir du milieu du XVIIIe siècle, trouve ses fondements et sa méthode scientifiques grâce aux travaux du naturaliste Etienne Geoffroy Saint-Hilaire et de son fils Isidore au début du siècle suivant, et passe, au gré de la biologie, d’une conception fixiste héritée d’Aristote (où les espèces ne sont que la réitération perpétuelle d’une forme immuable et éternelle) à une conception évolutionniste théorisée par Darwin.

Mais, avant de devenir une figure obligée des cabinets de curiosités puis des laboratoires, le monstre a longtemps hanté les imaginaires religieux et mythologiques. Tantôt représenté comme un mauvais présage ou l’expression de la colère divine, tantôt vénéré dans les spiritualités orientales où le divin lui-même se fait chimère (du Ganesh hindou et sa tête d’éléphant à la déesse Bastet qui arbore un minois félin), le monstre incarne ainsi la différence inquiétante et captivante, dont on ne sait s’il faut la célébrer tel un miracle ou l’éliminer pour préserver l’ordre familier des choses.

L’ambivalence de notre rapport au monstrueux sonne comme un vertige, où l’émerveillement face à l’extraordinaire le dispute à la crainte du chaos. Qu’on le redoute ou qu’on l’admire, difficile de détourner les yeux. Car le monstre, fidèle à son étymologie latine, se montre. Il ne passe pas inaperçu et ne laisse personne indifférent, qu’il s’exhibe malgré lui dans les foires sous les yeux écarquillés des badauds, ou qu’il se cache dans une prison de pierre, tel le bossu Quasimodo conscient du dégoût que suscite sa difformité. La divergence spectaculaire qu’offre le monstre nous tiraille entre la séduction de l’inconnu et la terreur de l’inintelligible. De quoi le frisson généré par cette tension irréductible est-il le symptôme? D’un soupçon inavouable et pourtant inévitable : se pourrait-il que ce que l’on écarte commodément comme un repoussoir soit en réalité un miroir dans lequel on refuse de s’observer? Ironie inattendue, ces monstres dont on revêt volontiers la trogne biscornue à l’occasion de la nuit de Halloween pour conjurer la terreur en jouant à se faire peur sont des déguisements qui font tomber les masques.

La variation transformée en anomalie
LYNCH David, Elephant Man (1980)

Ce que nous apprend le cri déchirant de John Merrick dans le film Elephant Man de David Lynch, lorsque, cerné par une foule effrayante, il se voit contraint de lui rappeler qu’il est un être humain, c’est que le monstre n’est pas toujours celui qu’on croit. Lévi-Strauss écrivait, dans Race et histoire, que “le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie“, puisque l’exclusion d’un groupe d’individus du champ d’une humanité qui s’autoproclame civilisée demeure la stratégie la plus efficace pour qui désire s’autoriser les pires atrocités. De la même manière, la fabrication symbolique de la monstruosité répond souvent à une volonté d’exclure et de stigmatiser des personnes envers lesquelles on ne veut s’interdire aucune cruauté. Qu’il s’agisse de l’idéologie misogyne qui irrigue l’image de la sorcière, des caricatures antisémites représentant les juifs en vampires dévoreurs d’enfants, ou des discours pénalisant l’homosexualité au prétexte qu’elle serait une pratique ‘contre- nature’, la désignation du monstre démontre qu’aucune vision du monde n’est à l’abri de verser dans l’immonde.

La notion de monstrueux est ainsi le pendant d’une conception essentialiste, où les catégories que nous utilisons pour quadriller notre environnement, créer des repères essentiels pour l’habiter et théoriser les phénomènes tendent à se substituer au réel et incitent à déformer ce dernier pour le conformer à nos attentes. Si le monstre s’apparente à une erreur de la nature, son élimination ne peut apparaître que comme un perfectionnement, la correction salutaire d’une bavure regrettable. Cette idée se retrouve à l’origine de toutes les idéologies eugénistes et génocidaires qui se donnent pour mission de purifier l’humanité ou telle nation jugée supérieure en la purgeant des éléments qui la corrompent comme on soigne une pathologie.

Saartjie Baartman (gravure -à l’époque- humoristique, 1807) © British Museum

Au-delà de ses instrumentalisations meurtrières et des imaginaires racistes qui les alimentent, le concept de nature porte en lui-même la tentation d’une simplification délétère. Car la raison, elle aussi, engendre ses monstres. La tératologie ne se contente pas d’étudier les anomalies anatomiques : elle les décrète, selon des critères parfois discutables. C’est au nom d’un prisme binaire où la diversité peine toujours à trouver sa place qu’aujourd’hui encore des médecins justifient et pratiquent la mutilation des enfants intersexes nés avec des caractéristiques anatomiques ne correspondant strictement ni au type du mâle ni à celui de la femelle. Comme une étrange revanche d’Aristote contre Darwin, la variation, phénomène parfaitement banal au sein du vivant, se voit transformée en anomalie appelant une normalisation, au point de sacrifier la santé et le bien-être des personnes intersexes, qui gardent de graves séquelles des opérations qu’elles subissent, au besoin de les faire entrer dans des cases hermétiques. La monstruosité porte ici le visage avenant de la conformité à tout prix.

Derrière la banalité désarmante

Du dessous inquiétant de nos lits d’enfants aux discours qui transforment une différence en problème, ‘monstrueux’ est le nom qu’on donne à ce qui nous échappe, à l’inclassable qui nous force à contempler les biais réducteurs de nos œillères théoriques et idéologiques, au pressentiment que quelque chose de foisonnant et d’insaisissable se cache clans les coulisses de notre petit univers bien rangé et menace de tout chambouler. Le malaise mêlé de fascination qu’engendre l’évocation des grands criminels de l’histoire, ou encore celle des célèbres tueurs en série qui ont fait l’objet de multiples documentaires dont le public est friand, illustre tout particulièrement le fond de cette angoisse. Constater que les monstres moraux (qui, contrairement aux anomalies physiques, résistent aux classifications comme aux explications tranchées) peuvent se cacher sous les traits séduisants d’un Ted Bundy ou derrière la banalité désarmante d’une armée de petits bureaucrates travaillant pour le régime nazi, c’est comprendre que, si l’on fabrique des monstres, c’est peut-être, paradoxalement, moins pour se faire peur que pour donner à notre peur un visage identifiable et circonscrit qui nous aide à mieux dormir la nuit.

Pour les mêmes raisons que le monstrueux suscite la défiance et la volonté de le dissoudre par la normalisation ou par la suppression, il constitue un terreau infiniment fécond pour l’art. Quitter le royaume des normes établies
pour celui des possibles sans limites, c’est consentir à troquer le confort d’un univers borné et maîtrisé pour la curiosité de l’aventurier avide d’explorer notre humanité sans tabou. Les pulsions coupables auxquelles on donne des traits démoniaques, le rêve d’immortalité que réalisent les vampires, le projet hybristique du docteur Frankenstein, ou encore les questionnements sur l’au-delà au travers de l’univers des zombies, des fantômes ou de la sorcellerie sont autant d’occurrences où le monstrueux est synonyme d’expansion de la réflexion par la grâce de l’imaginaire. Enjamber les frontières du normal et du naturel pour restituer à la monstruosité son irréductible et arbitraire relativité, c’est aussi se libérer du manichéisme en admettant, à l’instar de Baudelaire, que ce qui fait peur peut tout autant faire envie :

Que tu viennes du ciel ou de l’enfer ; qu’importe,
Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
Si ton œil, ton sourire, ton pied, m’ouvrent la porte
D’un infini que j’aime et n’ai jamais connu ?”

Marylin Maeso

L’article de la philosophe Marylin MAESO est extrait du hors-série Frankenstein et les grands monstres de la littérature publié par le magazine LIRE-MAGAZINE LITTERAIRE [LIRE.FR, février 2021] ;

 

  • L’illustration de l’article est une photo de tournage du film de Guillermo del Toro, Le Labyrinthe de Pan (2006) ;
  • A lire aussi dans la wallonica : Monstre (avec e.a. une revue du livre de Laurent Lemire : Monstres et monstruosités) ;
  • Ainsi que, pour les amateurs d’horreur kitsch : La Hammer, un succès monstre.

Curieux du monde ?

DEGEY : La houillerie à Cointe, Fragnée et Sclessin sous l’Ancien Régime (CHiCC, 1990)

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Premières utilisations

A Liège, la preuve la plus ancienne de l’utilisation de la houille fut découverte en 1907, lors des fouilles de la place Saint-Lambert. Les archéologues, sous la direction de Monsieur LHOEST, y mirent à jour les substructions d’une villa gallo-romaine ayant existé en ces lieux, avant l’an 250. Dans les vestiges de l’hypocauste, on découvrit entre autres, des morceaux de charbon maigre, du coke et de la suie, provenant de la combustion du charbon de terre. L’utilisation, pour la construction de cette villa, de moellons de grès houiller provenant de la colline voisine, avait sans doute permis la mise à jour de veines de houille.

D’autre part, les déboisements et défrichements destinés à étendre le domaine permirent peut-être la découverte de certains affleurements houillers. Quelques mottes que l’on soulève, des racines que l’on extirpe, voire le ruissellement naturel des eaux, firent apparaître cette curieuse pierre noire. Mais voilà… Si les propriétés calorifiques du charbon de terre sont déjà connues, elles ne sont guère utilisées. Pourquoi se fatiguerait-on à creuser le sol dans notre belle forêt d’Avroy, où le bois est si abondant, quand il suffit de se baisser pour le ramasser, et qu’il faudra, de toute manière, l’évacuer pour libérer de nouvelles terres cultivables ? Enfin, l’utilisation de la houille exigeant un bon tirage, demande des foyers plus élaborés.

C’est pourquoi, il faudra attendre le Moyen-Age avec le développement de la Cité et des métiers, pour que l’exploitation systématique de la houille prenne son essor. En effet, les forêts s’éloignent et s’amenuisent, ayant pour corollaire un enchérissement du charbon de bois. Dès lors, nos artisans, les férons, orfèvres, teinturiers, charrons, mangons, chandelons et bien d’autres, vont se tourner vers le charbon de terre. Parallèlement, ce nouveau combustible sera de plus en plus utilisé pour le chauffage des habitations et la préparation des repas.

Les premières exploitations apparaissent. Dès l’an 1195, nous pouvons lire dans les annales de Saint-Jacques :

En cette année a été trouvé en beaucoup d’endroits de la Hesbaye, une terre noire, excellente pour faire du feu…

N.B. La vallée de la Meuse – donc l’éperon de Cointe – faisait partie de la Hesbaye.

Les premières exploitations

A cette époque, le charbon de terre est ramassé, là où la veine “sope”, affleure. “Là wisse qui l’vône sope a djoû”, comme disaient nos vieux mineurs. Et petit à petit, chacun s’improvisant mineur, va commencer à suivre la veine, descendant de plus en plus bas, pour trouver un charbon de meilleure qualité.

Parfois, l’exploitation se faisait par une galerie horizontale, à flanc de coteau, appelée “baume”. Notons que l’exploitation “sauvage” des veines affleurantes eut lieu de tout temps… Même en août 1914, comme nous le rapporte G. FRANSIS :

Profitant de l’absence des autorités civiles, des habitants de Cointe se rappellent que leurs aïeux trouvaient la houille à fleur de sol. Bientôt, la Plaine des Sports, près du boulevard Kleyer, est criblée de petites fosses de 60 cm où l’on se procure gratuitement le charbon. Des mineurs de métier, à leur tour, creusent des galeries étançonnées, à 2 mètres de la surface. Certains font même, sur place, le commerce du combustible ! La police s’étant réorganisée, vient mettre fin à cette extraction illicite et oblige les profiteurs à remblayer…

G. FRANSIS, “Recueil de souvenirs et anecdotes
sur Cointe autrefois”
, “Altitude 125” n° 1

Dans les premières fosses, dès que les travaux sont noyés, on va un peu plus loin. Bientôt, dans le voisinage du siège minier abandonné, on creuse un puits ou “bure”, pour atteindre la veine plus en profondeur. Dès que les mineurs atteignent cette veine, ils l’exploitent vite en tous sens, puis, les eaux d ‘infiltration formant des “bains”, on recommence un peu plus loin, en évitant de s’approcher de l’étang souterrain, du puits abandonné. De nombreux gisements restant inabordables, il faut trouver un remède. On creuse à mi-colline, des galeries d’assèchement, en légère déclivité des “araines”, sous les travaux les plus proches à assainir. Les “bains” s’assèchent et l’exploitation peut continuer.

Les voir-jurés

Le plus ancien document concernant la “houillerie”, est une charte de l’abbaye du Val-Saint-Lambert, datée de 1228, où nous pouvons lire :

Quant aux charbons et aux pierres et à tout ce que l’on trouve sous terre d ‘utile aux hommes, on ne les exploitera qu’avec mon consentement et celui de Walter…

HENAULT, La houillerie liégeoise, p.110

Contrairement à ce qui se passait ailleurs où les richesses souterraines appartenaient aux Princes et aux Seigneurs, dans notre Pays de Liège – terre de libertés – chacun était pleinement maître de sa propriété, y compris le sous-sol, “fonds et tréfonds”. Selon HENAULT toujours, dès 1250, il existait déjà à Liège, des ARAINES et un DROIT ECRIT, en matière de houillerie, une COUR DE CHARBONNAGE. Toutes choses qui devaient être le résultat de plus d ‘un demi-siècle d’expérience.

Les “statuts et ordinanches del mestir de cherbonaige” de 1318, nous apprennent que Colars de Berleur, Baudouin de Jemeppe, Hanoul de Vottem et Regier d’Ans, sont “VOIR-JURES”, ayant une expérience de plus de 36 ans dans l’office du “Voir-juraige”. Cette fonction existait donc déjà avant 1282.

Que savons-nous de ces Voir-Jurés ? Ils surveillaient tout ce qui concernait les houillères. Ils en conduisaient et réglaient les ouvrages, ils conseillaient maîtres et ouvriers pour travailler suivant les usages de houillerie. Le tribunal des Voir-Jurés veillait aussi à ce qu’aucune société de houillère n’approchât des araines franches et portât préjudice aux eaux et conduits destinés à alimenter les fontaines de la ville.

Lorsque les maîtres de houillère étaient parvenus au fond de leur bure et avaient rencontré la veine, ils ne pouvaient en entreprendre l’extraction, sans la permission du tribunal qui était tenu de visiter les ouvrages et donner les instructions pour la meilleure exploitation.
De leur côté, les maîtres-houilleurs ne pouvaient abandonner leur ouvrage sans la permission du tribunal. Ils ne pouvaient non plus, sans permission, aller plus bas dans leur bure, aller d’une veine à l’autre, faire percer ni abattre aucunes eaux. Il fallait, qu’à cet égard, le tribunal donnât ses instructions…
La loy défendait à ces voir-jurés d’être attachés ni d’avoir aucune part ni action à aucune houillère. Ils se rendaient de quinzaine à quinzaine dans les grandes fosses, et tous les 6 mois dans les petites. Ils veillaient sur les terres et bâtiments des particuliers, en s’assurant si les ouvrages ne venaient pas sous eux. Dans ce cas, ils bénéficiaient d’un droit de terrage, c’est-à-dire le 80ème trait.

Th. GOBERT, Eaux et fontaines publiques à Liège, p. 43

Concernant ces dégâts miniers, nous avons pu retrouver une carte de la propriété du Seigneur Raick (aujourd’hui, Internat Global de l’Etat), dressés par les Voir-Jurés à la fin de l ‘Ancien Régime et constatant, entre autres, certains dégâts miniers. Nous y avons relevé :

  • “(E) Puits dans la prairie de la veuve Demet lequel est tari depuis environ 3 à 4 ans. Avant ce temps, il servait de fontaine aux maisons voisines et on pouvait y puiser l’eau au sour (?) sans corde. A présent,ce puits est profond de 19 pieds, n’aiant plus que quelques doigts d’eau pourrie et bourbeuse dans le fond.
  • (G) Trou ou régollinement où il y a englouti un gros et vieux serisier au commencement de l’année 1780.
  • (H) Trou récemment englouti à la distance de 29 pieds près de la muraille du jardin.
  • (I) La muraille se trouve très fortement crevassée de même au point (K). Elle est crevassée depuis le haut jusqu’en bas.
  • (L) Puis au point L., encore deux crevasses
  • (M)(N)Muraille de la cense crevassée en 3 endroits, aussi la muraille des écuries en 2 endroits.”.

Ce document mettait en cause l’exploitation de MM. Rossius et Consors, située entre les actuelles rues des Bruyères et du Gros Gland.

© Emile Degey
Premières concessions

Le document le plus ancien concernant les sites qui nous intéressent, est un acte de rendage de 1288, par lequel le Prince-Evêque de Liège octroie 33 bonniers de terre sur Avroi et dans lequel sont faites les réserves d’usage :
“sauf les minières d’or, d’argent, de plomb, de cuivre, d’étain et de fier ou d’autre métal… huhles, cerbons ou croie…”

C’est le terme HUHLES qui est utilisé dans ce document. Il donnera HOUILLE. Huhle signifie motte. Le mot liégeois HOYE va donc passer dans la langue française, ce qui tendrait à démontrer la primauté de Liège, sur le continent, en matière de houillerie, l’Angleterre l’ayant précédé d’un siècle.

Le 30 mai 1315, le chapitre de Saint-Lambert concède à “Henri dit NOKEAL, le huhloir, bourgeois de Liège, un ouvrage de deux veinettes de HURLES et CERBONS en territoire de Fragnée, au-dessus du cortil qui appartint à Ernar de Preit…” Et voilà le plus ancien houilleur Cointois dont nous connaissions le nom ! Henri, dit Nokeal ou nokète, ou petit bout, faisant sans doute allusion
à sa petite taille ? (SCHOONBROODT, Chartes de Saint-Lambert).

Jusqu’à l’abolition de l’Ancien Régime, en 1794, les gisements houillers de l’éperon de Cointe s’étendaient sous trois juridictions :
– La Libre Baronnie d’Avroy,
– La Seigneurie de Fragnée,
– La Seigneurie d’Ougnée-Sclessin.
Chacune ayant ses archives propres, c’est par juridiction que nous poursuivrons nos investigations…

LA HOUILLERIE EN LIBRE BARONNIE D’AVROY

La Libre Baronnie d’Avroi comprenait deux grandes sections :  Avroy, dans la plaine, et Souverain-Avroy ou Haut-Avroy, sur les hauteurs. Cette seconde section englobait, non seulement le Bois d’Avroy, mais aussi Saint-Gilles, Saint-Nicolas, Saint-Laurent, etc. Nous avons limité nos investigations aux seuls Bois d’Avroy, Bois Saint-Gilles et Bois l’Evêque.  Pour le reste de la juridiction, les lecteurs que la chose intéresse, pourront consulter les “Notes sur les Charbonnages d’Avroy au XVIème s.” de Robert HANKART (BIAL T.LXXVI, 1963 – pp.45 à 90).

La frontière entre la juridiction d’Avroi et celle de Sclessin était formée par les ruelles des Waides, du Gros-Gland et un ancien tronçon de la ruelle Panaye (rue des Jasmins), jusqu’au milieu de la Plaine des Sports. Là, les trois juridictions se rejoignaient. Ensuite, la ruelle Panaye, puis la ruelle des Hours (aujourd’hui rue Paradis), la séparaient de la juridiction de Fragnée.

En l’an 1288 déjà, un rendage du prince Jean de Flandre concède “33 bonniers de terre sur Avroi pour l’extraction des huhles et cerbons”. Dans un acte du 8 juillet 1319, il est question des eaux d’Arènes qui descendent de ces bois. (Chambre des finances : reg. et stuits. 8 -7-1319) Que savons-nous de ces arènes ?

Les herraines des huilliers doyent estre franckes, partout où elles sont paisiblement passées, et les puet-on requerre, reforbir (nettoyer), discombrer (débarasser) partout où elles sont “estopées” (obstruées, bouchées) parmi les damaiges deseur rendans par l’enseignement des proisdons (voir-jurés de la cour des charbonnages) à ce commis…

Exemple d’areine © tchorski.morkitu.org

Ces arènes ou areines, voûtées en pierres ou en briques quand elles n’étaient pas taillées dans la roche dure, pouvaient s’étendre sur plusieurs lieues. Il y en avait de deux sortes :

  • les ARENES FRANCHES, dont les eaux alimentèrent les fontaines de la Cité pendant plus de 600 ans,
  • les ARENES BATARDES, qui s’écoulaient librement vers le ruisseau le plus proche ou vers le fleuve.

Il fallait avoir dans le succès, une foi bien ardente pour oser s’engager ainsi dans un terrain aquifère, délayable, ébouleux, pour y poursuivre sur des longueurs kilométriques sans notions géologiques, sans guide d’aucune sorte, et probablement sans boussole, ces galeries tortueuses qu’une génération commençait, pour en léguer le maintien, la restauration et la poursuite à la génération suivante. Cette persévérance dans le travail pénible et dangereux est l’un des plus beaux titres de gloire de nos mineurs liégeois.

E.G. DETIENNE, Les eaux alimentaires de Liège
Annales des trav.Publ.de Belg., 1906, p.10 – Tiré à part

Plusieurs arènes furent creusées sous les bois d’Avroy et l’Evêque et, en particulier les arènes de Sclessin et d ‘Avroy.

L’arène de Sclessin

Jadis, en Lairesse (rue de Trazegnies), un pont enjambait le BOUMONTFOSSEIT (Fossé de Beaumont). Ce pont, dénommé “pont de l’arène”, nous l’avons encore connu, car il n’a disparu que vers 1930. Il se trouvait à la jonction du Tchinrowe et de la rue de Trazegnies, face à la rue Général Jacques de Dixmude. L’immeuble à appartements à l’angle sud de cette rue fut construit sur l’ancien Fossé du Beaumont. C’est à cet endroit que se jetait dans le vieux fossé, un ruisseau aux eaux tantôt claires, tantôt savonneuses et chaudes, qui dévalaient le vallon du Perron, en une large rigole pavée. Les gosses, à la sortie de la vieille école du Perron, y organisaient des courses de bateaux en papier ou de boîtes d ‘allumettes, quand ils n’y prenaient pas des “bains de pieds” !

Ce ruisseau, c’était l’Arène de Sclessin, vieille sans doute de six siècles ! Une arène bâtarde, et tellement bâtarde qu’à la fin de sa vie, elle charria les eaux savonneuses et chaudes des douches du charbonnage du Bois d’Avroy. L’oeil de cette arène (sa sortie à ciel ouvert) se trouvait sous la rue des Bruyères, entre les numéros actuels 65 et 95. Il y avait, à cet endroit, un ravin abrupt d’une bonne dizaine de mètres entre les cotillages des maraîchers Leblanc et Galand. C’est au fond de ce ravin que se trouvait l’oeil de l’arène. Et les “cotis” avaient l’habitude de descendre laver leurs “bodets”, paniers et caissettes à légumes dans l’eau qui en sortait. Ces eaux étant chaudes, les Galand semaient sur les bords, la première salade qu’ils livraient au marché avec quinze jours d’avance sur les autres maraîchers !

Louis Leblanc – après les bombardements de 1944 – a comblé ce ravin et l’a transformé en prairie. La fermette des Galand, si pittoresque, fut détruite par une bombe en mai 1944, ainsi que la maison voisine. Les Galand, ainsi que leur voisin et ami, l’écrivain wallon Marcel Launay, y trouvèrent la mort.

La “prairie Leblanc” en 2021 © Philippe Vienne
L’arène d’Avroy

En 1319, le couvent Delle Motte, qui n’était autre que le monastère des Guillemins, avait sollicité de la Cour de Justice d’Avroy, un record relatif aux eaux arrivant du Bois-l’Evêque et venant de la “Neufville” à Avroy. La Cour reconnut que : “ceux du thier de Bois-l’Evêque ne peuvent les arrêter mais qu’ils doivent les laisser couler librement vers la plaine d’Avroy. Les Guillemins et les quelques autres propriétaires se servaient de ces eaux pour l’irrigation de leurs prairies,…” (GOBERT, Rues de Liège, T.III, p.406).

Ces eaux étaient aussi utilisées pour alimenter les fossés des maisons seigneuriales du lieu. En 1443, les ouvrages houillers de la “Grande-Veine”, des veines “Gangniet” et “Delle Dengnière” étaient desservies par une araine qui se rendait “entre Maheaux et Couverture” dans les biens fonciers du Prince et de sa table épiscopale, où l’araine avait son oeil.

La ruelle de la Raine, aujourd’hui rue de la Scorre – entre les rues de Joie et des Wallons –  était dénommée jadis, ruelle de l’Araine, dans la capitation paroissiale de Sainte Véronique, de l’an 1763.

“La Cour Scabinale rappelle que ces eaux “doivent venir descendant dedit bois (l’Evêque) en droit chemin qui vat de Mostier (monastère) d’Avroit à Frangnée.”
On ignore quand ces arènes primitives d’Avroy et de Fragnée disparurent. D’autres les remplacèrent à la fin du XVIe.s., telle la schorre dite Constant de Lambermont.

En 1641, les canaux étant “en partie gastez et restoupez”, Oudon, fille de Constant et veuve de Jean de Lhoneux, obtint un second octroi “pour faire un nouveau canal ou xhorre à prendre devant sa maison proche de la rivière de Meuse, sur le chemin real (carrossable) jusqu’à ses vieilles xhorres” (GOBERT, Rues de Liège, T.X. p.16)

L’Edit de Conquête

Dans des actes d’aliénation de terrains, datés de 1601 et 1602, on lit :

  • “le grand terrisse du Bois d’Avroy”. A cette époque, les charbonnages creusés dans le Bois d’Avroy – Bois qui appartenait à la mense (table) épiscopale -étaient inondés, ainsi que beaucoup d’autres d’ailleurs dans la cité et la banlieue. Pour les démerger, J.de Lonneux et G.Goeswin firent creuser à grands frais, dès l’an 1605, une Xhorre vers les Guillemins. Ils purent prétendre ainsi au bénéfice des avantages prévus par “l’édit de conquête”, promulgué par Ernest de Bavière en 1582.
  • le 8 février 1629, en effet, le Prince (1612-1650) accorda  à la veuve de J. de Lonneux et à G. Goeswin les prises de houille du Bois d’Avroy dont ils avaient rendu les mines “ouvrables”. Le Prince se réservait le profit des veines d’or, argent ou assure, des mines de plomb, fer, chalmine, alun, couperose, soufre, que les exploitants pourraient rencontrer.” (DUMONT, Ougrée-Sclessin au temps jadis, p. 106).

Cette Xhorre ou canal d’écoulement, fut ouverte dans la propriété des frères Guillemins, juridiction de Fragnée. Et nous savons que la rue des “Hours (rue Paradis) était longée par un fossé, du côté gauche. Fossé qui permettait aux eaux d’arène de gagner le fleuve.

L'”Edit de Conquête”, quant à lui, octroyait le monopole de l’exploitation dans la zone asséchée. Il décrétait ainsi l’expropriation des occupants, en ce sens qu’il les obligeait au rendage forcé de leurs fonds, en faveur de ceux qui les avaient conquis sur les eaux. Cet édit de conquête eut pour heureuse conséquence, de provoquer les recherches techniques pour l’épuisement des eaux. Toutes sortes de machines d’exhaurre furent inventées et expérimentées dans nos houillères, avec des succès très divers…

En 1577, les associés de la fosse appelée “de Chaisgne a Pannehael”, située en Bois d’Avroy, sollicitèrent du bailly :

l’autorisation de pouvoir établir un entrepôt (pearaige) en payant au Prince ou à sa Chambre des Comptes, autant que les autres endit boix en rendant à la montant de bonnier tout aussy que la mesure l’emporterat. 1 juillet 1577. Ces associés sont : Servais Menicke – Thiry delle Noweville – Jacquemin en Gilnea – Thiry Moxe.

Notes sur les charbonnages d’Avroy au XVIe s.
Rob.H.ANKART, B.I.A.L. T.76, p.58).

Concessions et burs

C’est surtout au XVIe s. que les concessions houillères se multiplièrent au  Bois d’Avroy :

  • 26-1-1529 : à Paque del Bouille le Jeune et Jean de Bealwart et consorts, maîtres des ouvrages de la Garde de Dieu…
  • 3-11-1529 : à Jean Moreau, les prises de houille à extraire par l’araine de Gouge.
  • 26-1-1535 : à Gilles et Toussaint Deshorges, la Grande Veine de Bechefyer
    et la Grande Bache.
  • 11-8-1536 : à Ernult Brigodeau, Jean de Longdoz, Gilles Le Grand Homme et cons. les veines Petite et Grande Bache accessibles par l’araine de Berloz.
  • 29-12-1537 : à Gilles et Servais Josteau, Jean de Namur et cons. la houillère Dure-Veine.
  • 1539 : à Jean de Croisier, Colard Bauhy et cons. les prises accessibles par l’araine de Berloz.
  • 13-3-1540 : Rolland le Brasseur et Servais…
  • 19-11-1565 : à Gilles de Braive et Beaujean, des prises de houille des veines Neuf Vingnis, Bache, Alle Gorge, la Voynette, Grande Veine de Joye, accessibles par l’araine du Prince.
  • 10-10-1570 : à Denis le Bailli, Jean Gillet et cons. maîtres des fosses du Gros-Chêne, des prises dans les veines dites le Roynne, l’Oeuvre delle Pierre, Petit et Grand Bache…
  • 1729 Louis de Berghes accorde au docteur Nesselles, le droit de percer un bur dans le Bois d’Avroi. (GOBERT, Rues de Liège, T. III, p.400)

Sur le plan oculaire de 1831 et autres, et portés sur les plans de surface des houillères du Val-Benoît, nous avons relevé les burs suivants :

  • Sous le terril de La Haye ou du Piron : les burs Preud’homme, des Saminons et de Truvelle.
  • Près du château-d’eau de Saint-Gilles : un bur dénommé “VB-V”.
  • Dans les prés, entre la ruelle des Waides et la rue Bois-Saint-Gilles : le bur “VB-T”, le bur de Reconnaissance et le bur dit “Sur le Grand et Petit Bac (Bache)”.
  • Au Bois-Saint-Gilles, entre les rues d’Andrimont, Bois-d’Avroy et Doutrepont : le bur du Soleil.
Les prés entre la ruelle des Waides et la rue Bois-Saint-Gilles et, à l’arrière-plan, le terril de la Haye ou du Piron, en 2021 © Philippe Vienne
  • Dans les biens “Paludé” existait une maison dite “du Soleil”, jardin, potager, houblonnière, des prairies entre haies. Il ne restait plus qu’un petit bois où – dit l’acte de fin XVIIe s. qui fournit ces renseignements – la fosse appelée du Soleil est présentement érigée. Cette houillère est déjà mentionnée au XVe s.
Au Bois-l’Evêque 
  • Le bur Rond Bonnet (houillère du Bois d’Avroy), puis les burs de la Nouvelle Pelotte, Leroi, V.B. “F” et “G”, Vieille Pelotte, delle Chiotte, sur l’oeuvre du Lard, sur Maron, delle Savatte, sur Ganade, le bur de l’Espérance, là où se trouvait l’oeil de l’araine de la rue des Bruyères.
  • Entre les ruelles du Gros Gland et des Bruyères : les trois burs dits de Sclessin et le bur d’air, en lieu-dit Fosse Colson. Un de ces burs fut remis à jour dans le verger de Monsieur Castermans, par l’explosion d’une bombe, en 1944. Le f ermier le combla.
  • Un quatrième bur, dit de Sclessin, se trouvait entre la Haute-Voie et la ruelle du Gros Gland. C’est là que, dans une visitation de 1724, au haut de la rue du Gros Gland, est mentionné un chemin qui conduit à la Fosse de “Piron le Rossay”ou Neufville. Cette fosse allait devenir la fosse Colson.
  • Nous relevons enfin, le 2 juillet 1358, la fosse delle Plometière, dans le Bois de Saint-Gilles.
Technique et dangers

Mais nos mineurs d’antan, quelles méthodes d’extraction utilisaient-ils ? La méthode classique utilisée jusqu’à la fin du XVIIIe s. nous est clairement décrite par Mr Claude GAIER, dans son ouvrage “Huit siècles de houillerie liégeoise”, p.43 : “Elle consistait à foncer la bure à travers les diverses couches que l’on était en mesure de déhouiller – trois ou quatre veines, ou davantage encore, selon les moyens d’extraction dont on disposait – et de commencer par exploiter la plus basse. Une fois celle-ci inondée, on passait à la couche supérieure, et ainsi de suite en remontant vers la surface. De la sorte, les eaux que l’on ne parvenai t pas à éliminer par les canaux d’exhaurre (ou areines) ou par les pompes rudimentaires de l’époque, s’accumulaient dans les travaux souterrains abandonnés, formant des “bains”, véritables citernes cachées qui furent la cause de bien des accidents.

Malheur aux exploitants voisins qui, malgré la précaution habituelle du “sondage des eaux”, venaient à mettre, par inadvertance, leur chantier en communication avec ces dangereux réservoirs ! Beaucoup de “coups d’eau” et d’éboulements eurent pour origine ces irruption inopinées de liquide, contenu sous pression et souvent endigué par des “serrements”, dans des cavités et se libérant avec force en dévastant tout dans les nouvel les galeries voisines.” (…)

Les fosses

Il y avait deux types de fosses au bon Pays de Liège : les fosses dites de “petit athour” et celles dites de “grand athour”. Dans les fosses de petit athour, l’extraction se faisait à la force des poignets, à l’aide d’un treuil à cylindre horizontal en bois, dont les manivelles étaient actionnées par deux ou quatre femmes, les “trairesses”. Ces petites exploitations étaient également dénommées “houillères à bras”. Dans les fosses de grand athour, l’extraction s’effectuait par manège à chevaux, “le hernaz”. Il fallait de deux à huit bêtes, selon que le puits était plus profond et la chaîne d’extraction plus longue, donc plus lourde. Ce ne sera qu’à la fin du XVIIIe.s. que la machine à vapeur fournira une force beaucoup plus importante.

Terrisses

Pour conclure ce chapitre sur la houillerie en Bois d’Avroy, notons encore qu’en 1603, Guillaume EX PALUDE (latinisation de DES MARETS), un grand occupant des terres (aujourd’hui l’Internat Global de l’Etat), se plaignit au chapitre de ce que, sur 10 bonniers et une verge grande, il y avait 59 verges grandes et 5 petites, renfermant un grand nombre de terrisses de fosses, roches et pierres et lieux non labourables ni cultivables sans y mettre et exposer trop grand frais, voir oultre de quatre à six fois leur valeur…(GOBERT, Rues de Liège, T.III., p.398).

Quant à la rue Bois-l’Evêque, dite aussi “Thier de Boute-li-Cou”, elle fut également dénommée – vu les nombreux travaux miniers qui se succédèrent en ce lieu : “Li Minèdje de Boute-li-Cou”. Voilà qui démontre encore l’importance que prit la houillerie en Bois d’Avroy.

LA HOUILLERIE EN SEIGNEURIE DE FRAGNEE
Quelques dates

Le premier document concernant la houillerie en Juridiction de Fragnée dont on ait connaissance, est daté de 1315. Il concerne les deux veinettes exploitées par Henri le Nokeal, et pour lesquelles le Chapitre percevait un panier sur huit. Dès 1319, il est question des eaux d’arènes qui descendent du Bois d’Avroy, preuve que l’industrie y est déjà ancienne. Cette araine démergeait les bures de l’abbaye et versait ses eaux à travers les terres du Chapitre Cathédral, à Fragnée. De ce chef, le chapitre – en sa qualité de “hurtier” (propriétaire d’araine) – touchait une redevance de trois paniers sur cent.

En 1330, par une charte du 25 février, l’abbaye du Val-Benoît déclare se réserver “huilhes et cherbons, sous 6 bonniers et 40 verges petites (½ ha, de bois où elle cède des “Aisemenches” ( droit de passage) aux masuirs de Fragnée.” (Cartul du Val-Benoît, p.396).

Le 12 juin 1363, le chapitre de l’église Saint-Lambert “autorise, sous certaines conditions, les frères Henri et Goffin Le Clerc, Johan le Cocke et Monon de Petit Montegneez à exploiter les veines “Periere”, de la “Savenière” et “Johan de Vingnis” qui sont en nos biens et wérixhas (terrains vagues et généralement gazonnés du domaine public) que nous avons à Fraigneez.” Et la même charte de préciser “qu’ils poront faire overeir une heraine au plus bas qu’ils poront… et respecter l’enseignement des voir-jurés du mestier de cherbonaige… et overeir de jour en jour bien loyalement… Et devons avoir sur chaque fosse à côté des ovriers, un ovrier traheur (extracteur) servant toute la journée à tenir compte de tout ce qui est extrait… Nous pourrons aussi envoyer autant qu’il nous plaira les voir-jurés pour mesurer ou visiter les ouvrages.” (C. E. S.L. pp. 379-380).

Dix-sept jours plus tard, le 29 juin 1363, le mayeur et les échevins de Fragnée font savoir que les frères Le Clerc et leurs “Compaignons parcheniers” doivent payer à l’église du Chapitre de Liège, “un certain cens de quattre paniers al cent.” (C.E.S.L. p. 381).

Le 7 mars 1383, Marie de Libermé, abbesse du Val- Benoît fait savoir que l’Eglise Saint-Lambert aura trois paniers sur cent, de la houille extraite au moyen de l’araine qui traverse ses terres à Fragnée. “(…) les ovraiges de huihles et cerbons delle heraine, frons et liveal c’on dist de Marexh, venant du costeit vers Fraignee.” (Cartul. de St.Lambert, p. 613).

L’oeil de cette araine s ‘ouvrait donc en Marexh. C’est-à-dire dans les terrains bas et marécageux entre Fragnée et le Val-Benoît. Le nom se transmit à la voie longeant le marais. Nous la connaissions encore sous la dénomination rue des Marets, rue Narcel Thiry depuis les fusions. La rue des Marets, avant la création de la gare des Guillemins, prolongeait le Grand-Jonckeu jusqu’à la Barrière du Val-Benoît (octroi du Val-Benoît). Un habitant du lieu, Gilles de Maret, est mentionné comme Echevin de Fragnée en 1302. Maret ou Marexhe devint aussi l’appellation, à Fragnée, d’une houillère. (GOBERT, Rues de Liège, T.VIII, p.538).

© “La Meuse” (archives CHiCC)
Les burs sur Fragnée

Sur le plan de surface de 1831 des concessions du Val-Benoît, nous relevons les burs suivants :

  • Le bur de Chaus, situé près de la rue des Hirondelles. Ce pourrait être le bur qui s’est effondré le 30 mars 1988 dans le jardin de Mr Caels.
  • Le bur Spiroux, se trouvait au pied de la ruelle des Cailloux. Sans doute s’agit-il de cette houillère de Marexhe dont question plus haut ?
  • Le bur des Quatre Calins, dit aussi “de l’Espérance”, se trouvait sur les “Gonhîres” (terrains derrière les Archives de l’Etat).
  • Le bur Le Pelé, quant à lui, était “porfondé” sur le Pelé-Thier, au-dessus de l’abbaye du Val-Benoît, aux environs du Chemin des Cèdres. Serait-ce le charbonnage du “Chera”, dont la bure était qualifiée de “vieille” en 1603 ?
    “Le 25 août de cette année-là, Constant de Lambermont, Collard delle Paire et consorts sont admis à revudyer un vieux burre appelé “la burre del Cherau”, ci-devant fait et enfoncé dans le fossé du grand pré dit delle Hamaide (barrière)… le tout moyennant le quatre-vingtième panier. Défense leur était faite d’approcher par leurs travaux miniers des murs et édifices de l’abbaye, pour y éviter des lézardes… Cette houillère a eu une longue existence. Abandonné depuis longtemps, le puits a été comblé au XXe s. Il avait son siège dans la propriété n° 76 du Chemin des Cèdres. L’emplacement n’est plus guère reconnaissable que par une déclivité du terrain.” (GOBERT, Rues de Liège, T.IV, p.163)

Il y avait également à Fragnée, une houillère dite “de l’Epée” : “Le 25 février 1423, le chapitre de la Collégiale Saint-Martin à Liège, donne accense à Jean de Seraingne, écuyer, tout le produit du droit de terrage dû par la houillère delle Espée à Fragnée…” (SCHOONBROODT, Cartul. St Martin)

Fonds et tréfonds

En 1363, la veine de Cromchaine, qui appartient à la cathédrale et à l’abbaye du Val-Benoît, est exploitée par Wilhiams de Montegnez, manans de Tyleur, Johan Lambinet de Fragnée, Philippon Huwart, Arnold Henneton…
“Voyne con dist de CRONCHAYNE… Gisante en nostre haulteur de Frangnez et la entour…couvent…delle Vauz-Benoîte deleis Liege… Ils payeront à Messire Raus de Berlouz, avoué de Sclessin, trois paniers sur cent pour l’aisemenche delle herraine con dist de Cronchayne, qu’ils ont pris en biens dedicte messire Raus.” (C.E.S.L., p. 660)

“Qui appartient à la cathédrale et à l’abbaye du Val-Benoît”, écrivions-nous plus haut… Nous avons ici deux possesseurs pour les “Fonds et Tréfonds”. Voilà qui ne manquera pas de susciter des difficultés judiciaires ! Ce fut le cas en 1460. Le procureur du Chapitre de Saint-Lambert prétendait :
“1 ° que le Chapitre était tréfoncier héréditaire, eyant le “Manîment” et la possession de la “Hauteur” de Fragnée.
2° que l’abbaye du Val-Benoît et ses dépendances sont situées sur le territoire de Fragnée.
3° que les religieuse et leur “familia” (communauté) sont donc “surcéants” de Fragnée.
4° que le “Pelleit Thier” est aussi situé en ladite hauteur.”

C’est surtout contre cette quatrième affirmation que s’élevait l’abbaye, car elle avait des intérêts considérables dans un charbonnage qu’on y exploitait.
L’abbaye obtint gain de cause… (CUVELIER, B.I.A.L., T.XXX. n°547 à 548)

En 1648, la fille de Constant de Lambermont, veuve de Jean de Lonneux, ouvre un nouveau canal de Xhorre, l’autre étant bouché. Les débris de la galerie Constant de Lambermont furent remis au jour en 1904, lors des travaux d’agrandissement de la station des Guillemins.

Localisation

Il en est des araines comme des anciennes fosses, étant donné l’absence de cartes et de repères précis, il est très difficile de les localiser avec rigueur… Parfois aussi, elles changèrent de nom. Dès lors, serait-ce la houillère de Cronchaine qui devint plus tard la houillère de l’Espérance “ditte aussi des Quatre Calins” ? Cette houillère de l’Espérance était assez ancienne. Le 18 janvier 1690, il s’y produisit un brusque coup d’eau. Des douze mineurs surpris par l’inondation, deux furent sauvés, grâce au labeur obstiné poursuivi pendant cinq jours par “les maitres de la dite fosse, bien qu’il n’y eut que peu d’espoir de les sauver.” (DUMONT, Ougnée-Sclessin au temps jadis., p.107)

Le 9 août 1781, Jean-Amour de Berlo autorise “Charles Velu et consors Jean Libert, N. Darpentsas (?), Libert Goffin, Joannes Hamion et la veuve du Capitaine Mouton, tous maîtres comparchonniers de la fosse de l’Espérance ditte quattre Calins, porfondée dans une terre appartenant aux Sieur et Demoiselle Vilette en lieu dit le Sart, au-dessus des Vignobles du Monastère du Val-Benoit, dans la juridiction de Fragnée, de travailler et faire travailler par le prédit bur…” (A.E.L. Echevinages Ougnée-Sclessin n° 37, p.197) Le capitaine Mouton était le propriétaire du petit château qui allait devenir le “Couvent du Sacré-Coeur” à Bois-l’Evêque.

Notons que la fosse qui était située à l’oeil de l’araine, rue des Bruyères, était dénommée aussi “Fosse de l’Espérance”. Il y en avait encore bien d’autres, dont celle de Seraing, qui allait donner son nom aux usines. C’est que “Espérance” était une dénomination de bon augure pour les maîtres de fosses et leurs comparchonniers qui n’avaient alors, aucun moyen d’étudier les sols et devaient pratiquer “à l’aventure”…

“Bure des Quatre Calins”… Que voilà un curieux nom pour une fosse ! Si nous consultons le dictionnaire, câlin signifie : doux et caressant. Dès lors, quel rapport avec le rude métier de mineur ? Lorsque la charge (cuffat, panier ou tonne), attachée à la chaîne d’extraction remontait vers la surface, elle était animée d’un certain balancement. C’est pourquoi, à l’endroit où les charges – montante et descendante – se croisaient, il y avait un élargissement du puits, une “hiolle” où se trouvait un homme (ou plusieurs) qui, muni d’une perche, guidait “en douceur”, les deux récipients, les empêchant de se cogner et de culbuter…

Plus tard, on établit des filières le long des parois, filières qui guidaient les charges, grâce à une pièce de bois munie d’une poulie qu’on adaptait à celles-ci. Ce système fut inauguré au charbonnage du Bois d’Avroy par l’ingénieur en chef Wellekens.

Ces quelques pages sur la houillerie dans la Juridiction de Fragnée, nous en sommes conscients, ne sont qu’une ébauche. Cette étude devra être poursuivie et approfondie.

LA HOUILLERIE SOUS LA JURIDICTION DE SCLESSIN.

C’est en BEAUMONT, sur les WAIDES et dans la CAMPAGNE DE SCLESSIN que les exploitations houillères s’installèrent. Le Beaumont, c’est ce vaste coteau, appelé plus tard Côte d ‘Or, qui était couronné par le Bois de Flivaz, et qui correspondait à l’espace compris aujourd’hui entre la rue du Chera, l’avenue de la Laiterie et l’avenue du Petit-Bourgogne.

Sur le plan oculaire de la concession du Val-Benoit, dressé en 1831, les burs suivants sont indiqués : le bur sur le Chaffour – les burs n° 1, 2 et 3, dits Sur Grand Gaway -le bur de Reconnaissance et celui de Belle au Jour. Nous y ajouterons d’autres burs plus anciens, mentionnés dans documents, telles les houillères de Cronchayne, de Hongherie, de Géron, La Plante, del Chayneu, de Flivain et de l’Olifant…

En Beaumont

Que savons-nous de ces exploitations anciennes ?

Houillère de Cromchayne

Evrard de Sottehuys, fils d’Alexandre d’Ile tient la houillère de Cromchayne en 1347. Vu le nom de l’exploitant, en 1349, elle est aussi appelée houillère de Sottehuys. Elle est encore mentionnée en 1377. Puis en 1393, le 24 octobre, quand Clémence de Bombaye, abbesse du Val-Benoît, donne à exploiter la houillère de Sottehuys à Collard et Henry frères, fils de feu Henri et dame Julienne… (C.V.B. n°350).

Le 31 mars 1394, les voir-jurés des charbonnages font savoir que l’abbesse du Val-Benoit a obtenu saisie de la houillère de Sottehuys et de la veine de Hongrie, sur Gauthier Langhine et Marguerite sa femme (C.V.B. n°506).

Houillère de Hongrie

1349 : Evrard de Sottehuys, Lambinet de Fragnée et Jean de Loon reçoivent le tiers de la Houillère de Hongrie à Sclessin, à tenir de l’abbaye du Val-Benoît sous certaines conditions : “Et ne puelent (peuvent) les parchons desdits ovraiges vendre, enwagire, alliener, donneir… ne comparchonneir sans le greit et consens de nos, l’abbesse…” La redevance à payer, ou terrage, sera le huitième panier. Ils devaient livrer cinq paniers sur cent à Evrard dit Maxhereit pour l’areine.

1350 : le 29 mars, Elide de Loncin donne à exploiter la houillère de Hongrie à Sclessin, à Jean dit Beruyr del Yle, Jean de Looz, Wathelet Mélart, Jean Lambinet et Herman de Taynier. “Ils ne pourront couper du bois dans les forêts de l’abbaye, devront clôturer les fosses qu’ils creuseront, pour que les bêtes n’y tombent pas…” (Cartul. du Val-Benoit n° 238).

Le 13 juillet 1353, Jeanne delle Rose, élue de l’abbaye du Val-Benoit, fait savoir que Radoux de Saint-Servais et consorts ont transporté à l’église de Saint-Gilles en Publémont, leur part dans la houillère dite de Hongrie. A cinq reprises, dans la seconde moitié du XIVe s., nous trouvons mention de la “saisie” de cette houillère, pour non-respect des accords :

      • en 1359, sur Lambert de Fraignée,
      • en 1363, sur Gérard de Seraing,
      • en 1364, sur l’abbaye de Saint-Gilles,
      • en 1379, sur Jean de Sottehuys,
      • en 1394, sur Wauthier Lainghine et Marguerite sa femme.

En 1422, le 18 février, Jean, sire de Brus, écuyer, fait savoir : “qu’il a accordé aux dames du Val-Benoit, le droit de faire travailler des ouvriers dans les mines de Hongrie qui se trouvent dans ses terres… Le 21 février 1422, Henroteauls Winchelair, demeurant sur le “rivier d’Avreu”, Thomas, fils de Jean son frère et Nihons de Badair ont accepté les conditions de travail des religieuses du Val-Benoit, dans les mines de Hongrie appartenant au sire de Brus…” (C-V-B n° 402).

Houillère de Geron

1351 : le 24 mars, l’official de Liège tranche dans une contestation au sujet de la houillère de Géron, donnant gain de cause à l’abbaye du Val-Benoit contre Radus Surlet, fils d’Alexandre d’Ile qui prétendait avoir des droits sur la veine de Geron (C-V-B. n° 241).

1354 : “Le 5 mai, nous Jeanne delle Rose, abbesse du Val-Benoit donnons et octroions a ovreire a nos bien aimés en Dieu Johan Boilewe de Tilleur, Johan delle Neffe, Colart, dit Lenwart, le cordir et a Johan de Loon la voyne con dist del Geron en nos vignes bois et biens que nous avons a Sclachiens et leveir ou commencheir une herraine ou une droit leveal d’eauwe en notre bien, au plus bas qu ‘ils pouront… Et quand ils cesseront, ils devront remplir les bures, enlever les terriches (terrils) et mettre la terre a profit comme avant par “le dit de proidomme” et replanter les vignes qu’ils avaient enlevé et soigner cette vigne et rembourser les dommages…” (C-V-B. n° 247).

La Houillère de La Plante

Le 7 février 1357, Johanna delle Rose “par le Dieu permission abbesse delle egliese Nostre Dame delle Vauls Benoite del ordene de Cysteais (de l’ordre de Cîteaux) donnons a overeir a nostre bien ameit en Dieu Evrart filh jadit Alexandre d’Yle, les ovraiges de Huhles et Cherbons delle Voyne en se vigne con dist la Plante deleis la tenure a Sottehus entre nostre vigne del Geron et nostre bois deseur…” 

La_Houillère del Cheyneu (Chênoit)

Le 5 mars 1356, Gérard Boldes, Lambert Scodveais, Gérard de Jehay et Lambert Doynons, Voir-jurés des charbonnages, après plus ieurs adjournements, saisissent la houillère del Chayeneu à Sclessin, sur Lambert, dit Lambinet de Fragnée, Jean Grawelon de Saint-Nicolas en Glain, Lambert Brek de Montegnée, Wathel et Mélart et les héritiers de Jean Loihart en faveur de l’Abbaye du Val-Benoît parce qu’ils n ‘ont pas repris l’exploitation après semonce • •• ” (C.V.B. Cuvelier n° 248).

Le 5 juillet 1358, Jeanne delle Rose donne à exploiter, moyennant un panier sur six “la houillère del Chayenee dans le Bois du Val-Benoît, deseur les vignes de Bealmont, à Jean dit Hannekart le Boulanger, demeurant en Yleal sour le pont d ‘Yle…” (C.V.B. Cuvelier n° 256).

La Houillère de Flivain

Le 28 janvier 1377, Mélie de Libermé fait savoir qu’elle a donné “a overeir les ovraiges de huihles et de charbons de la voyne con dist de Flivauz qui est en nostre bien et en nostre bois deseur le Vauz-Benoite, à Gérard fils Hanekinet de Frangneez et Hanes fils de Thomas le Brassereal…” (C.V.B. n° 436).

En 1537, la veine de Flivaux s’étend sous les bois de l’abbaye qui, à l’époque, distingue ses mines situées sous ses bois, de celles qui sont sous ses vignes.

La Houillère Belle au Jour

Le 15 février 1365, Catherine de Libermé, abbesse du Val-Benoît fait savoir qu’à l’occasion d’un conflit entre l’abbaye et Jean de Morke, au sujet de la houillère “Belle au Jour” située dans la vigne de l’abbaye “al Geron”… “des arbitres, Henri dit le Pexheal et Guillaume de Montegnée, demeurant à “Tiloir”, voir-jurés du métier des “charbonniers” ont tranché le différend. Jean devra lever une areine en lieu-dit “en Bugnoilhe en Géron” (aujourd’hui INIEX) et la mener en la dite veine. De l’ouvrage qu’il y fera, il payera un panier de houille sur cinq, ainsi que de celle qu’il extraira dessous eaiwe ou à fourche d’eaiwe…” (C.V.B. n° 266). Beaucoup plus près de nous, en 1681, est concédée l’exploitation de la veine “Belle-au-Jour”, déjà désignée en 1365.
(DUMONT, Ougnée-Sclessin au temps jadis, pp.105-106).

La Houillère de l’Olifan

“Le 30 décembre 1548, par devant les échevins d’Ougnée et de Sclessin, noble dame Marie, seigneur d’Ougnée et Sclessin, pour elle et ses enfants, donne à exploiter la houillère de “l’Oulifant” à Mathieu Noiel et consorts, à condition d’avoir sur cent paniers, six paniers, ou sur cent deniers, six deniers” (C.V.B. n° 915).

Notre avenue du Petit-Bourgogne s’appelait encore, avant le 21 mars 1873, “sentier du Puits”. Elle se prolongeait jusqu’à l’actuelle rue du Puits. A cette date, le sentier sera aliéné au profit de la famille Lesoinne, en échange d’une emprise de terrain de 25 ares, nécessaires pour la rectification du “chemin de Sous-les-Vignes” (rue Côte d ‘Or). Jadis, ce chemin qui donnait accès au bure précité était connu sous le nom de Thier de l’Olifan (delle Olliphan en 1456 – de l’Oulifant en 1548).

Sur les Waides

Dans la seconde moitié du XVIIIe s., une exploitation charbonnière est établie en lieu-dit “les Waides” à Sclessin, au-dessus de Chiff d ‘Or. Elle est signalée dès 1771.

Voici en quels termes, le 15 avril 1771, la permission d’exploiter y est accordée :

Jean Amour Comte de Berlo d’Hosemont, Seigneur de Chokier, Brûs, Berlo, Ougnée et Sclessin, Haut Voué héréditaire d’Ougrée et Rosoux, etc. déclare avoir donné à Pierre Joseph Jacob, Gille Wilmet et François Goffin, lesquels ne pourront associer personne avec eux sans notre consent, travailler par un bure tout seulement les mines de houille et charbons qui se rencontrent sous et en fond d’un bonnier ou environ (87a.) de sart appelés les Waides, possédé par André Grimbérieux ou Gille Thonon son locatair, scitués à Sclessin deseur le sommet des vignobles du séminair et du seigneur archidiacre de Trappé comme aussi une autre pièce joindant la précédente, possédée par Nicolas Médart… Scavoir à commencer par la première veine qu’ils rencontreront à quinze toises de sept pieds de profondeur, sans pouvoir rien exploiter au plus près de la surface…et paiant par iceux à raison de l’exploitation de toutes veines xhorrées le quarantième  trait, en raison des veines non xhorrées, le quatre-vingtième trait, soit gros ou menu, nous réservant de pouvoir mettre à la fosse à enfoncer, une trairesse aux frais des dits maîtres, en faisant sa journée comme les autres… Donné à Liège le 15 avril 1771.
Le 21 janvier 1772 : nous permettons à Pierre Joseph Jacob et consors d’associer avec eux Simon Rossius.
Le 15 septembre 1773 : nous accordons à François Goffin, Simon Rossius et consors, à leur demande, la permission d’abandonner la fosse profondée dans les biens André Grimbérieux appelée les Waides à Sclessin et de profonder un second bure avec son bure d’airage dans les biens de Germain Joseph Geubels, dans la juridiction de Sclessin, un peu plus vers Liège…
Le 4 aout 1775 :  nous permettons à François Goffin et consors d’associer avec eux Henry Donnay.
1er juillet 1776 : accordons à Simon Rossius et consors la permission d’abandonner la fosse profondée dans les biens de Germain Joseph Geubels et de profondeur un 3ème bure avec son bure d’airage unpeu plus vers Meuse… scavoir dans le coin d’un petit bois appartenant au séminair de Liège et environ, scitué dans notre juridiction de Sclessin.
Nous constatons dans ces documents, l’existence de burs d’airage, un nouveau système de ventilation plus énergique des galeries et des fronts de taille, au pied duquel brûlait un brasero – en wallon “Toke-feu” – surveillé par le “wade-fosse”.

DUMONT, Ougnée-Sclessin au temps jadis, p. 107

Nous pensons qu’il s’agit des burs dénommés sur le plan oculaire de 1831, Bur de Reconnaissance – V.B.T.- Bur du Grand et Petit Bac.

Campagne de Sclessin

A la même époque, le Comte de Berlo de Hozémont, seigneur d’Ougnée et Sclessin, abandonne à Simon Rossius et autres, une fosse dans la campagne de Sclessin. Sur le plan géométrique de la concession du Val-Benoit du 20 avril 1828, ce bur de la campagne de Sclessin est indiqué : “Bur ancien rempli d’eau”. Il se trouvait où sont aujourd’hui les jardins entre les rues des Marécages et Halkin, au fond de l’ancien “Cou d’Sac” du petit chemin de fer des houillères.

Fosse del Dacque

En 1645, nous avons relevé : “Et mesure avec tout les maîtres de la fosse del Dacq pour le pair derir le gardin du chasteau, 12 patacons en espèces tombant à Pacque. Payé par Jean et Bauduin de Mets”. (Bénéfices,cens et rentes, Archives de et à Berlo).

Sur la carte de 1899, au même endroit, en bord de Meuse est indiqué :paire de la Houillère Rossius et Cie. Située en bord de Meuse (ancienne usine Jenatzy, rue de la Scierie), sans doute fut-elle destinée au stockage du charbon qui devait être livré par barques, mais aussi y arrivait-il les bois flottés qui y étaient débités pour l’étançonnage des burs et galeries, d’où le
nom de “Scierie”.

Tous ces puits, que nous avons évoqués étaient donc nombreux et rapprochés. Ne dépassant guère une profondeur do 25 mètres, ils ne permettaient l’exploitation que de tailles de faible étendue, que les comparchonniers abandonnaient quand le travail y devenait trop difficile ou trop dangereux.

C’est après “l’Edit de Conquête” que les houillères devinrent plus importantes. A titre informatif “Les comptes de la Cité de Liège de 1575” nous apprennent que, cette année-là,  les charbonnages exportèrent ensemble pour une somme de 400.000 écus d’or. (M.RENARD – Histoire de la Houille).

(…) La plupart des noms de bures, de houillères et de veines que nous avons rencontrés, sont aujourd’hui oubliés. Quelques-uns ont heureusement survécu pour nous rappeler la splendeur passée de notre houillerie. Ce sont :

  • Le Thier del Dague (les veines Grande et Petite Dacque),
  • La fosse Miesny (qui fut exploitée aux confins d’Ougnée),
  • La rue Grignette (exploitée aux confins de Sclessin, vers les Grands-Champs),
  • à l’Houyîre (au Val-Benoît),
  • le terril du Péron (en voie de disparition, face au Standard),
  • la rue Veine Sothuy (jadis exploitée par Sotehuys en Beaumont),
  • la ruelle des Waides (rappelant la houillère des Waides).

Nous avons enfin relevé un lieu-dit “Houlleux” : “Une maison avec pièce de terre ou prairie arborée extant sur la juridiction de Sclessin au lieu dit Houlleux… joindant d’aval à la ruelle qui tend de Saint-Gilles à Sclessin, d’amont (ouest) aux représentants Jeanne Jadet, veuve de Hubert Hansay, vers Geer (nord) au Bois-Saint-Gilles et à Wérixhas, vers Meuse (sud) à André Grimbérieux.” (A.E.L. Cours de Justice Ougnée-Sclessin, n° 35. p.125)

Le bas de la ruelle des Waides et le terril de la Haye (ou Piron) © Philippe Vienne

Ce lieu-dit se trouvait donc au pied de la ruelle des Waides, sous le terril de La Haye, anciennement Bois-Saint-Gilles. Houlleux est le nom d’une veine de charbon qui affleurait à cet endroit et y fut certainement exploitée jadis. Cet endroit est appelé aussi “Prè del Fosse”. C’est là que, vers 1970, lors du creusement du bassin de régulation des eaux d’orages, au pied de la ruelle des Waides, par la firme Denoz, deux galeries horizontales qui s’enfonçaient sous les Waides, furent mises au jour, témoignant d’une exploitation ancienne par “baume”. Malgré mon intervention rapide auprès de responsables communaux, non seulement elles ne furent pas explorées, mais au contraire, hâtivement obstruées ! Sans doute ne fallait-il pas ralentir les travaux ?

Voilà comment, trop souvent, les témoignages du passé sont à jamais effacés. Nous ne pouvons que le regretter.

Emile DEGEY

  • illustration en tête de l’article : Houillère du Bois d’Avroy ©histoiresdeliege.wordpress.com

Brochure éditée par “ALTITUDE 125”, la Commission Historique et Culturelle de Cointe, Sclessin, Fragnée et du Bois d’Avroy.


DEGEY : Petite histoire de Cointe (CHiCC, 1989)

Temps de lecture : 10 minutes >

Pendant 500.000 ans, et jusqu’à l’aube de notre ère, la Meuse va patiemment creuser son lit et, petit à petit, former et modeler cet éperon, ce plateau, qui,un beau jour, s’appellera Quinte, puis… Cointe.

Sur l’origine de ce toponyme, personne ne peut être bien affirmatif : “La forme COINTE est moderne. Depuis le XIVe s. jusqu’au XIXe s. ce nom était orthographié QUIENT ou QIENT, puis QUIENTE, et enfin QUOINTE. Divers dictionnaires de langue romane donnent QUINTE, comme synonyme de banlieue… Encore faudrait-il s’assurer que QUIENTE n’est pas une expression altérée. Au surplus, anciennement, on connaissait la Grande Quinte et la Petite Quinte…” (Théodore GOBERT “Rues de Liège” t.IV, p.285).

Quel est l’aspect de Cointe, il y a 2.000 ans ? La vaste forêt d’Avroy couvre totalement l’éperon, tandis que, dans la vallée, les marais d’Avroy s’étendent jusqu’aux confins de Tilleur, Sclessin ou “Sclacyns” n’étant alors qu’une vaste plaine marécageuse.

Une voie, un chemin – selon E. DETHIER dans “2.000 ans de vie en Hesbaye” – venant d’ATUATUCA TUNGRORUM, passant par le “Batch dès Macrales”, Fooz, Awans, Grâce-Berleur, Saint-Nicolas, Saint-Gilles et Cointe, gagne la Meuse en amont de Liège. C’est la “Vôye des Romînnes”. A Cointe – près de l’actuel G.B. – cette voie se divisait en deux branches : l’actuel CHERA, d’une part, qui continuait vers le Val-Benoît et, d’autre part, le TCHINROWE qui descendait sur Sclessin où il aboutissait à un gué, en amont de l’île aux Corbeaux (Standard), pour gagner le Condroz par Fammelette…

Il faut savoir qu’avant les travaux d’amélioration du cours de la Meuse – au milieu du siècle passé – notre fleuve avait une profondeur moyenne de 80 centimètres, ce qui en permettait le franchissement par de nombreux gués. Le Chera aboutissait à un gué en face de Kinkempois. Après l’avoir franchi, il se dirigeait vers l’Ardenne. Des découvertes confirment l’ancienneté de notre Tchinrowe et du Chera : dans les boues du fleuve, en face de Kinkempois, on a retrouvé une hache de l’âge du bronze, genre de trouvailles fréquentes à d’anciens gués.

Notons encore qu’à Angleur, dans le prolongement de ce gué, existe – quelle coïncidence – la “rue Romaine” ! Nous savons aussi que les Romains, quand ils envahirent nos régions, utilisèrent les chemins existants, qu’ils améliorèrent ensuite. Nous pouvons donc supposer qu’après avoir été foulés par les pieds des Gaulois, notre Tchinrowe le fut également par ceux des légionnaires romains. D’ailleurs, lors des travaux de démergement, rue de Trazegnies (ancien Tchinrowe) on a pu reconnaître les traces d’un chemin sur rondins, comme les Romains en établissaient dans les régions marécageuses, telle la “Via Mansuerisca”, à la Baraque Michel.

Quelle pourrait être l’origine de la dénomination de nos plus vieux chemins? Selon François DUMONT (“Origine et évolution d’Ougrée-Sclessin”, p.10), dans le toponyme TCHINROWE, on s’accorde à trouver un terme gaulois : “Camino” signifiant chemin, et “Rowe” désignant un gué. Tchinrowe désignait donc un chemin menant à un gué. Quant à CHERA… “Tchèra” était une dénomination donnée jadis – surtout hors des cités – à des chemins assez larges pour livrer passage à des véhicules tractés. En wallon, nous avons encore “tchèrî” qui signifie charrier.

Au Moyen-Age, trois juridictions se partageront Cointe :
1.- La Libre Baronnie d ‘Avroy (Bois-l’Evêque);
2.- La Seigneurie de Fragnée, – ces deux juridictions dépendant du Chapitre de Saint-Lambert, donc de la Principauté de Liége;
3.- L’Avouerie, puis Seigneurie d’Ougrée-Sclessin, dépendant de la Principauté de Stavelot -Malmedy, et gouvernée par un “Avoué”.

Les gens de robe ne pouvant porter l’épée, ils déléguaient leurs pouvoirs de justice et de défense à des gentilshommes appelés Voués ou Avoués. A Sclessin-Cointe, cette charge héréditaire fut confiée aux de BERLOZ, ce qui résulta du mariage de Gérard de BERLOZ avec la fille de Henri de VELROUX, voué de Sclessin au milieu du XIIIe s. Dix-sept de BERLOZ ou de BERLO vont se succéder à la tête de l’Avouerie de Sclessin, qui deviendra bientôt une Seigneurie, acquise en 1400 par Jean de BRUS, moyennant une rente annuelle de 47 muids d’épeautre (environ 115 hectolitres).

Le plus illustre des de BERLO fut Gérard – plusieurs fois Bourgmestre de Liège au XVe s., et qui porta l’étendard de Saint-Lambert à la bataille de Brusthem en 1467. Le dernier Comte de BERLO fut Marie-Léopold-Joseph de BERLO de SUYS. Il fut exclu de l’Etat Noble en 1791, par le Prince-Evêque de HOENSBROECX, pour s’être associé aux mouvements patriotiques de la Révolution liégeoise.

Que reste-t-il de ce lignage qui nous administra durant cinq siècles? Une partie du Château et la pierre tombale d’Arnold de BERLO, mort en 1538 et de son épouse, qui se trouve aujourd’hui dans la galerie, près de la Cité Administrative. Quant aux autre de BERLO, hormis ceux qui furent inhumés à Berloz près de Waremme, voici ce que nous apprend Renaud STRIVAY, dans “Les Horizons Mauves” :

“En 1911, on trouva dans les ruines de la chapelle du Château de Sclessin, un caveau où gisaient les ossements de 13 cadavres (Comtes de BERLO, Comtesse de MERODE, de CORTEMBACH, etc.). Ces restes furent conduits, sans cérémonie aucune, au cimetière d’Ougrée, non sans qu’un ouvrier – cédant à la sotte manie des terrassiers – eut fracassé de son pic, quelques-unes des têtes !…”

Une autre institution qui eut, depuis 1224 jusqu’en 1797 – soit pendant plus de cinq siècles – une influence considérable sur Cointe, Fragnée et Sclessin, fut sans conteste l’Abbaye Cistercienne du Val-Benoît. Si les bâtiments et une partie des terres se trouvaient à Fragnée, une importante partie des biens s’étendait dans la plaine sclessinoise, jusqu’à la “haie du Château”. Ses vignobles escaladaient les coteaux vers Cointe et ses bois couvraient une large partie du Plateau. Ils s’appelaient “Bois des Dames du Val-Benoît” – “Bois de Flivaz” ou encore “Bois-Chaînoit”.

Cette abbaye connut bien des vicissitudes au cours des siècles !… Incendies, inondations, guerres, pillages, procès;… avec les Cointois qui voulaient garder leurs droits “d’aisemenches”, c’est-à-dire passage, glandage, ramassage du bois mort, etc. Soit encore avec les de BERLOZ ou le Chapitre de Saint-Lambert, au sujet des droits de houillerie ou de propriété…

La houillerie ! Voilà une activité qui va transformer l’aspect de l’éperon cointois. Déjà en 1315, le Chapitre Cathédral octroie une concession de deux veinettes de houilles et charbons, sur Fragnée. En 1319, il est déjà question des “eaux d’arènes” qui descendent du Bois d’Avroy. En 1349, mention est faite de la houillère de “Hongherie” “deseur les vignes de Sclachiens” dans les bois de l’abbaye… Fin du XVIIIe, s., on relève une quarantaine de “burs”, tant au Bois d’Avroy, au Bois de Flivaz (Chera et avenue de Gerlache) qu’au
Pelé-Mont (basilique et Monument Interallié).

C’est à partir du milieu du XIXe s., avec l’industrialisation, que l’exploitation systématique du sous-sol se fera d’une manière intensive, grâce aux quatre sièges des Charbonnages du Bois d’Avroy (rue Bois d’Avroy), du Val-Benoît (aujourd’hui I.N.I.E.X), le Grand Bac (aujourd’hui Ferblatil) et le Perron, face au Standard, et où est exploité l’ancien terril des quatre sièges, avec ses six millions de tonnes !… Un petit chemin de fer reliait ces quatre sièges.

Petit à petit, la vieille forêt d’Avroy, déjà sillonnée par de nombreux chemins menant aux burs, va céder la place à l’agriculture – surtout à partir de la fin du XVIe siècle. On défriche et on distille le charbon de bois “en Cokea” (sur le Batty). Les débuts du développement agricole de “Quinte” n’iront pas sans peines, comme en témoigne ce texte :

“En 1601, le Chapitre de Saint-Lambert, rend à titre d’accense perpétuelle, les Communes et Sartages d’Avroit. Ces biens domaniaux furent répartis entre 30 ou 40 familles. Chacune devait faire de son lot de terrain – boisé ou non – une terre arable… Le sol de la région restant revêche à toute culture, pour l’améliorer, les cultivateurs durent y consacrer leurs peines et leur argent, sans rien ou presque rien tirer d’abord.”

En 1603, ils signalèrent cette situation par lettre “aux Vénérables Seigneurs de la Cathédrale” : ” Les remontrants ont employé toute leur substance pour rendre un pays très incultivable, en agriculture ; il convient encore employer grands frais pour le parachever, et il n ‘est pas raison que le pauvre homme perde tous ses moyens, peines et travaux, pour améliorer les biens de son maître.” Heureusement, leurs Seigneuries se montrèrent compréhensives !…” (Th. GOBERT, “Les Rues de Liège”)

En 1826, comme nous l’indique une carte du cadastre , la presque totalité du Plateau est livrée aux cultures, prairies, vergers, cotillages et houblonnières.
Au sud, sur les versants bien exposés, les vignobles, couronnés par les vestiges du Bois de Flivaz étalent leurs pourpres. Jadis, la culture du houblon était importante dans le Pays de Liège. Les fruits de cette cannabinacée étaient exportés jusqu’en Bavière !

En 1810, on dénombrait dans notre Département, 594 brasseries pour le commerce et 215 pour l’usage particulier de leurs propriétaires. Elles fournirent, cette année-là, 530.112 hectolitres ! Dans ces chiffres n’intervient pas la “production clandestine” ! Le houblon – la vigne du nord – comme l’écrivait ROUVEROY, “la vigne du Nord, étalant sa beauté, entourant son appui de sa tige flexible, s’élance dans les airs avec légèreté…”

Georges FOSTER écrivait, en 1790 : “Le long des rives de la Meuse, nous apercevions – à perte de vue – des pyramides de perches à houblon. La culture de cette plante, donne aux Liégeois, l’occasion de s’en servir pour relever le goût de leur excellente bière, qui est ici, comme on sait, un des articles d’exportation les plus renommés…” Notre bière était même exportée aux Indes !

Tout un folklore entourait la culture du houblon. En septembre – à la Saint-Lambert – le dernier jour de la récolte, le cultivateur régale son troupeau de “plok’trèsses”… S’il est content, quelques bouteilles de genièvre couronnent “li cafè èt l’dorèye”  ! Et, quand le fermier n’est pas trop avare, la fête se termine par un “cramignon” de “plok’teûs” et de plok’trèsses”. C’était la fête du coq, qui avait lieu sur le champ même où la récolte avait été opérée.

La rouille, qui sévit dans les houblonnières à partir de 1883, contribua – pour une large part – à la disparition de cette culture chez nous. Voici comment un fonctionnaire français, rendait hommage – en 1804 – à notre boisson populaire : “La bière de Liége passe pour la plus salubre et la mieux faite de toutes celles qu’on fabrique dans les Départements réunis. Elle est, en effet, d’une bonne qualité, brune et brassée ordinairement avec l’épeautre. Elle a été longtemps l’objet d’un immense commerce. Il s’en faisait, autrefois, des envois considérables dans les colonies hollandaises.”(GAILLARD,“Quelques souvenirs du Pays de Liège”)

Quant à la vigne, la plus ancienne mention écrite de sa présence sur nos coteaux, date de 1092 ! Il s’agit d’une charte par laquelle RICHER – Chanoine de Saint-Denis à Liège – reçoit de RODOLPHE, Abbé de Malmedy, une partie inculte de la Villa de Sclacyns, pour y planter une vigne. Le sol de nos coteaux – exposés au midi – composé de schiste, était particulièrement propice à cette culture. En effet, le schiste conserve la chaleur accumulée le jour, pour la restituer la nuit. Et, de plus, ces versants jouissaient d’un double ensoleillement, par la réverbération des rayons solaires sur la surface du fleuve.

Que reste-t-il de ce bon temps des vignobles ? Derrière l’ I.N.I.E.X. – dans la propriété VERMERE – on peut encore voir les ruines d’un vide-bouteilles, détruit lors d’un bombardement de 1944 ! A l’étage supérieur, une grande terrasse permettait aux amateurs de bons vins, de se réunir nombreux, pour des beuveries dont nos anciens étaient si friands, qu’on appelait : ” Les après-midi de Bourgogne “, nous dit Armand BAAR. Et il ajoute “les conséquences de l’acidité de certains de nos vins pouvaient se lire au-dessus d’un petit édicule bien spécial, construit à quelques pas de là :

aCC ID:rr et LibVIt e.e.e
Ventris MiseratVs onVstI
aptVM CaCanDo nobILe strVXIt opVs.

Ce qui peut se traduire comme suit : “En l’an 1777, il arriva et fut jugé convenable que, par compassion aux embarras des entrailles, on construisit ce remarquable édifice, commode pour les besoins.” (Chronogramme donnant deux fois : 1777)”

Mais alors… Quelle était la qualité de nos vins ? A leur sujet déjà, les Français racontaient des histoires “belges” :

  • Il y avait le vin des trois frères. Quand le premier buvait, les deux autres devaient le soutenir pour ne pas qu’il s’effondre !
  • Le vin de la chaussette ! Quand une chaussette est trouée, il suffit de la plonger dans ce vin pour que le trou se referme aussitôt !
  • Le vin tourneur ! Il faut tourner sur soi-mêe en le buvant, sinon on risque d’être transpercé !
    Comme on ne caricature que les grands – que “l’on ne prête qu’aux riches”, il faut croire qu’ils n’étaient pas si mauvais que ça, nos vins !

D’ailleurs, en voici la confirmation: un certain CHARDON – en 1783 – représentant de commerce à la Maison BUREAU et Cie, à Dijon, écrivait : “Ce qui nous nuit encore beaucoup en Allemagne, ce sont les vins liégeois ! On préfère leurs vins – qu’on qualifie de Bourgogne – comme les nôtres…”

Quant à Georges FOSTER, il écrivait encore, en 1790 :
“Les vignobles qui entourent la ville ne sont pas – il est vrai – connus au dehors. Qui a jamais entendu nommer le vin de Liége ? Seulement, on se procure ici, à très bon compte, le bourgogne et le champagne, et les mauvaises langues disent que la cause de ce bas prix n’est pas le transport du vin par la Meuse, mais le talent des Liégeois à fabriquer des crûs français en n’employant que le jus de leurs raisins.”

Il y eut enfin “Le Petit Bourgogne”, ce restaurant des frères et soeurs RENARD, qui accueillit la bourgeoisie liégeoise, tout au long du XIXe siècle en “Côte d’Or” d’abord, face à l’actuelle Cité Piercot – ensuite au Château du Beaumont, plus proche du Val-Benoît. On pouvait y déguster : “La Truite court-bouillonnée dans le vin local”, “La Friture de Meuse”, “Les Jets de Houblon, sauce-crème”, servis dans de grands plats, couronnés d’oeufs pochés et surtout, “Les Coquets”, élevés dans les vignobles, rôtis, bardés de deux fines tranches de lard gras, emmaillottés de feuilles de vigne… Ils étaient accompagnés de “Petits Pois à la Liégeoise”, récoltés dans nos cotillages et additionnés de crème teintée aux fines herbes. Le dessert ? En saison “Les Fraises de Saint-Lambert au sucre” !…

Alors, dans la seconde moitié du siècle passé, puis à la “Belle Epoque”, le petit village de Cointe s’est agrandi, développé, pour devenir ce “Village dans la Ville ” que nous connaissons aujourd’hui. Ce fut d’abord l’implantation de diverses institutions, comme le Couvent du Sacré-Coeur, à Bois-l’Evêque, l’Asile de la Vieille-Montagne, qui a fait place à l’Hôpital psychiatrique du Petit-Bourgogne, le Pensionnat des Filles de la Croix, sur le Batty, et l’Institut d’Astrophysique. Aidèrent surtout au développement : la création du Parc Privé, de la Plaine des Sports et du Parc Public, ainsi que l’aménagement des avenues d’accès, telles les avenues de l’Observatoire et C. de Gerlache ainsi que la création d ‘une ligne de tramway. Mais, tout cela est une autre histoire, que nous espérons vous conter bientôt…

Emile DEGEY

  • illustration en tête de l’article : Vue de Cointe depuis le mémorial interallié ©Philippe Vienne

Brochure éditée par “ALTITUDE 125”, la Commission Historique et Culturelle de Cointe, Sclessin, Fragnée et du Bois d’ Avroy.


ARDUINA : Serge Darat et Alain van Steenacker, débardeurs à cheval (1997)

Temps de lecture : 8 minutes >

Une profession âpre et passionnante

Combien sont-ils encore en Belgique, les débardeurs à cheval ? Cent cinquante, deux cents ? Question difficile: beaucoup ne sont pas recensés. Arduina en a côtoyé deux sur le lieu de leur travail, en plein effort, un après-midi durant. Tableau d’une profession-passion combinée à l’amour du cheval.

La voiture venait de quitter la route qui file à travers la campagne et se dirigeait vers un des boqueteaux parsemant les prés et les champs légèrement vallonnés. Là opéraient Serge Darat et Alain van Steenacker, deux des derniers débardeurs à cheval du pays.

Cahotant dans les ornières profondes du chemin empierré, le véhicule s’engageait sous les premières frondaisons, quand, juste après la butte d’entrée du petit bois, un hongre apparut, paisible et énorme, relié par sa longe à un arbre et barrant le sentier de toute sa longueur.

Délaissant l’auto, je m’apprêtais à contourner l’animal ; un homme arriva et fit pivoter le quadrupède de façon à ménager un passage. “Serge est là-bas, dit-il, il termine son repas.” Il désignait une petite clairière, un peu plus loin. Sur un tas de bois, un dos massif, arrondi , coiffé de longs cheveux. A l’heure de midi, hommes et bêtes marquaient une pause et prenaient un peu de repos.

Serge Darat se lève pour faire connaissance. Grand, de forte carrure, une barbe de deux jours, le débardeur se veut d’une discrétion coquette sur son âge : tout ce qu’il consentira à dire, c’est qu’il a près de 40 ans. Un autre cheval, un peu moins grand que le premier, est attaché près de lui. Assailli par les mouches et les taons, il paraît nerveux. “Deux belles bêtes, pas vrai ? Nous les nourrissons au grain. Ce matin à 7 heures, ils ont eu droit à 4 kilos d’avoine et d’orge. Nous leur en donnons à nouveau un kilo et demi en milieu de journée, une dernière ration de 4 kilos le soir après le travail, du foin entre 22 et 23 heures, et de la paille pour la litière. En période de travail, ils ont besoin d’accumuler beaucoup d’énergie, qu’ils doivent d’ailleurs absolument dépenser sous peine de complications de santé.

Alain, l’équipier de Serge, nous rejoint. C’est lui qui a libéré le chemin forestier en poussant Julot, magnifique brabançon de 6 ans et 900 kilos. De la même race, Tino, qui appartient à Serge, est un peu plus léger pour le même âge : 750 kilos seulement, mais le poids n’a pas une importance primordiale. D’ailleurs, Serge prétend que Tino est plus fort que son congénère. Question de mental, de confiance en soi…

Surtout respecter l’animal
Serge et Tino (dans le désordre) © Jacques Letihon

Sous les ordres de leurs maîtres, les deux animaux sont occupés au travail depuis quelques jours dans ce petit bois où la commune, propriétaire des lieux, souhaitait faire pratiquer une éclaircie. Le marchand qui a emporté la soumission fait habituellement appel à nos deux débardeurs, raison de leur présence ici. Ceux-ci viennent sur le terrain après le passage d’autres acteurs : le garde-forestier qui a marqué les arbres destinés à la coupe, puis le bûcheron qui les a abattus et élagués. Précédés par l’arrière-train dodelinant de Tino, nous parcourons les deux cent mètres qui nous séparent du lieu de ramassage. La pluie a détrempé le sol, qu’un soleil timide ne parvient pas à sécher. De part et d’autre du chemin forestier sillonné d’ornières, le terrain accuse une forte pente.

De nombreux bois s’allongent entassés sur les côtés : ce sont les bottes, fruits du travail des jours précédents et de la matinée. Le travail de débardage terminé, une machine les tractera jusqu’à la clairière, où ils seront hissés dans des camions pour être conduits à destination. “Certains troncs sont énormes et pèsent facilement huit cent kilos, voire une tonne. Aussi, il ne faut pas demander l’impossible aux chevaux, précise Serge, et surtout les respecter ! A six ans, ils sont en pleine force, mais si l’on n’y prend garde, on pourrait les tuer en une demi-heure. Ceci dit, ils sont capables de travailler sans problème jusqu’à 14 ans voire même au delà. Respecter son cheval, cela signifie aussi qu’il ne faut pas le laisser sur un échec, qu’il ne puisse pas penser ‘ce type est fou pour me demander de tirer seul un poids pareil’. Dans ce cas, nous y mettons les deux chevaux. Une des raisons pour lesquelles je préfère le travail en équipe ! Une autre étant qu’en cas d’accident, il y a toujours quelqu’un de disponible pour chercher du secours.

Nous voici sur le lieu de travail. Alain est déjà à l’ouvrage avec Julot. Des troncs jonchent le sol en déclivité. Serge en a repéré un, quelques mètres en contre-bas. Il y conduit Tino, dont le collier est muni d’une chaîne avec, au bout, un crochet. Il enroule la chaîne autour de l’arbre, la referme au moyen du crochet et examine scrupuleusement le passage à emprunter pour remonter sur le chemin . Le cheval s’impatiente, lève une jambe puis l’autre en soufflant. Et soudain : “Allez Tino, aar, aar ! Tino ! Allez !” La voix formidable, rugueuse, jaillit des entrailles de l’homme, et, répondant aussitôt à l’injonction, l’animal, tous muscles dehors, s’arc-boutant, hisse la masse énorme vers le sommet.

Aar : à gauche. Ye : à droite. Oh : arrête. Recule, un pas : en français dans le texte. Pas compliqué le langage cheval !

Tino obéit à la perfection, enjambe les troncs couchés et semble se faufiler à toute vitesse entre les arbres avec une agilité et une souplesse étonnantes au vu de sa morphologie. Derrière lui, courbé, Serge court, hurle ses ordres, saute pardessus un tronc, évite un amas de branches mortes, dirige de la voix et de la longe. Il participe totalement, on dirait presque qu’il tire avec son cheval. Quelques efforts de cet acabit et les cheveux collent de sueur aux tempes. Le souffle se fait court. Le T-shirt est trempé. Il faut adapter la longueur de la chaîne. Réflexe professionnel. Serge est attentif à tout, et surtout à son cheval. Toujours le respect.

Rien ne prédestinait Serge Darat à exercer la profession de débardeur. Après ses études secondaires, il tâte un peu du droit à l’Université de Liège. Pas longtemps, et sans succès. Puis, en rupture avec le milieu familial, il s’exile en Afrique durant quelques mois. A son retour, comment subsister ? C’est la crise, la fin des années septante. Un copain lui procure un emploi de bûcheron. Serge cherchait du boulot, il trouve des bouleaux. Professionnellement, c’est son premier contact avec le milieu forestier. Il sympathise avec Alain van Steenacker, un gars de son âge, sorti de l’école forestière, bûcheron lui aussi. Mais le bûcheronnage, c’est difficile, c’est dangereux et le corps souffre énormément. Etre débardeur, cela paraît beaucoup plus simple ! La décision est prise en 1985. Alain :

Nous avons eu l’opportunité d’acquérir un cheval et du matériel, puis nous avons fait nos premières armes absolument seuls. Mais nous avons eu la chance d’avoir un très bon cheval pour débuter. Par après, on s’est renseigné, on a pu travailler et observer les méthodes des anciens. C’est ainsi que l’on apprend le métier, sur le tas. Je ne pense pas qu’il existe une école de débardage. En tous les cas, à l’école forestière ce sujet n’est pas abordé.

Lunettes rondes sur le nez, les cheveux courts à 1,80m du sol, Alain parle d’une voix calme, posée. Il s’adresse à son cheval de la même manière, sans crier outre mesure. Et tout au long de l’après-midi s’est imposée l’osmose entre l’homme et l’animal, ce dernier à l’image de celui qui le commande : Tina, nerveux, tout en muscles et en rapidité, avec Serge, courant, gueulant, jurant. Alain, plus doux, réservé, commandant Julot, cheval placide, distrait, aimant le contact avec l’homme au point d’être triste s’il reste deux mois en pâture. Rien d’étonnant, dès lors, d’apprendre que Serge est meilleur pour faire tirer les chevaux, en obtenir le maximum, alors qu’Alain l’est d’avantage pour le débourrage (le dressage préparatoire).

© fotocommunity
L’animal ou la machine

Après avoir tiré, hissé, mis en bottes plusieurs charges, les travailleurs,  humains et équidés, s’accordent quelques minutes de répit, afin de reprendre leur souffle et des forces pour la suite de leur dur labeur. C’est un moment fort apprécié. On profite des charmes de la forêt, on fait parfois silence. Parfois aussi on discute de tout et de rien, de choses banales, d’autres moins, le prochain rendez-vous chez le maréchal-ferrant, par exemple. On médite, comme Serge : “Il n’y a pas d’école, alors la relève, c’est nous…” (un sourire ironique se dessine sur ses lèvres).

Où apprendre le métier ? Il n’y a pas de cours organisés officiellement. Encore moins un diplôme reconnu. Le métier s’apprend en forêt, en le pratiquant  en compagnie d’un débardeur ! Six mois au minimum sont nécessaires pour apprécier les multiples situations qui se présentent dans l’exercice de cette profession qui peut devenir dangereuse si elle n’est pas exercée correctement, en raison des nombreux paramètres qu’il faut maîtriser. Serge se souvient d’un jeune venu à sa rencontre à l’issue d’un concours de débardage. Le garçon de 15 ans, tombé amoureux du métier, souhaitait ardemment devenir débardeur. Le deal fut le suivant : pendant 3 ans, tout en continuant ses études techniques, l’adolescent a passé ses vacances scolaires à travailler en forêt en compagnie du débardeur. A titre gratuit. En contrepartie, à l’issue de l’apprentissage et à titre de défraiement, Serge lui a acheté un cheval , l’a débourré et a fourni un collier. Devenu adulte, ce jeune est débardeur à cheval depuis 10 ans.

Nos débardeurs s’interrogent : leur métier n’est-il pas un peu désuet? Ils sont encore 200 en Belgique, à tout casser, à utiliser un cheval pour leur profession. Utiliser un cheval au vingtième siècle ! Pour le moment, l’animal et la machine se complètent. Le choix dépend de la personnalité. Serge et Alain préfèrent le premier et ne manquent pas une occasion de prouver sa supériorité : un jour, ils remarquent un attroupement au bord de la route où ils circulent, non loin d’un camion finlandais dont les propriétaires font une démonstration de matériel. Ils utilisent de petites machines munies d’un treuil et montées sur chenilles, et dont la pression au sol ridiculement basse préserve la structure du terrain. La discussion s’engage, tant bien que mal, en anglais. Tour en reconnaissant l’efficacité de la mécanique, Serge et Alain soutiennent que leurs chevaux, qui attendent dans le van, font un travail identique en moitié moins de temps. Des paris sont lancés. Les deux compères sortent Julot et Tino et gagnent le pari.

Evidemment, les machines ne sont pas adaptées à tous les types de terrain, mais les animaux ne vont pas partout non plus. Voilà en quoi ils sont complémentaires. Le reste est affaire de goût, goût de la nature par exemple, sans négliger cependant l’aspect financier. Un cheval est moins cher à l’achat, et les frais pour le nourrir correctement, le soigner et le ferrer
ne sont pas excessifs. Par contre, une machine est onéreuse, les remboursements mensuels sont élevés. Comment faire quand la quantité de travail se réduit ou vient à manquer ?

D’autre part, une fois le moteur à l’arrêt et la machine hissée sur la remorque, la journée de travail est terminée. Le cheval réclame beaucoup de temps et d’attention. Il faut le ramener à l’écurie, le soigner, le panser, le nourrir, entretenir son abri, etc. Pas question non plus de partir trop longtemps en vacances. Les contraintes sont donc plus nombreuses.

Cependant, Serge et Alain n’ont pas d’autres maîtres qu’eux. Ils sont totalement libres d’organiser leur emploi du temps comme bon leur semble, en communion avec la nature, et cette liberté-là n’est pas désuète. Alors ils en profitent tant qu’ils le peuvent encore…”

Eddy DANIEL


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ARDENNES : Arduina, l’éphémère (1997-1998)

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195 FB / 33 FF / 11 FL : des francs belges ou français, des florins, c’est la marque d’une autre époque. On la trouve au pied de la couverture de l’éphémère magazine Arduina, dont trois numéros seulement nous sont parvenus (merci à notre regretté collaborateur David Limage pour cela). La collection est néanmoins complète comme cela et restera disponible dans les ressources de notre documenta.wallonica.org. De courte durée, l’initiative était néanmoins belle  et généreuse, comme le détaille le rédac’chef de l’époque :

“D’ARDUINA À ARDENNE…

Il y a une place pour l’Ardenne dans l’Éternité” a écrit Roger Gillard dans un ouvrage consacré à cette belle région de notre pays.

Cadre de vie active pour les uns, l’Ardenne est terre de tradition et vitrine de
notre patrimoine. Lieu d’évasion pour les autres, elle est, avec ses forêts, source de sérénité et de détente. Une bouffée de grand air et de verdure, c’est d’abord ce que souhaite apporter Arduina, que le titre suggère à lui seul : Arduina signifiant “Profonde” en langue Celte.

Il s’agit bien d’un retour aux sources qui est proposé au moyen de cette publication d’un genre tout à fait original en Belgique. La vocation d’Arduina, le magazine de l’Ardenne, est aussi de mettre en lumière toute une région et par là, son activité rurale et économique. Les aspects culturels et sportifs ne seront pas oubliés, puisque là aussi, Arduina tient à aborder ces domaines importants de la vie.

Arduina compte ainsi s’articuler autour des axes principaux définis comme suit: Tourisme, Découverte, Histoire, Tradition, Sport et Culture, sans oublier un chapitre réservé à l’Environnement et à la Protection de la nature. A ceux-ci viendront s’ajouter différentes rubriques et ‘services’ tels que l’agenda des manifestations et des informations générales.

La fréquence de parution, bimestrielle, c’est-à-dire tous les deux mois, permettra enfin de développer certains thèmes en rapport avec les saisons. Avant tout, transmettre un sentiment d’évasion et de bien-être mélangés, voilà la raison même d’exister que s’est donnée Arduina.

Enfin, détail pratique, pour l’impression du magazine, notre choix s’est porté sur du papier recyclé, qui correspond bien à l’esprit de ce type de publication. Appréciez- vous cette option ? N’hésitez pas à nous le faire savoir…

De votre accueil dépend la confirmation de nos ambitions.
Merci et… bonne lecture”

Christian Léonard, Rédacteur en chef


Et dans la documenta, nous conservons pour vous les trois numéros ‘océrisés’ (c’est-à-dire que vous pouvez sélectionner le texte et le copier-coller pour votre meilleur usage, en respectant les droits selon Creative Commons), un clic et vous découvrez le magazine Arduina n°1 en PDF sur votre écran

 


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VION-DURY : Réenchanter l’écologie

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“Au cours des derniers mois, on m’a demandé à plusieurs reprises pourquoi les livres sur les animaux et la nature marchaient si bien subitement. Pourquoi, en effet, parmi la surproduction de littérature écologique, une petite vague s’est-elle créée autour des livres traitant du monde vivant et de quelques figures de proue comme Baptiste Morizot et Vinciane Despret ? Voici une tentative de réponse : ces nouvelles réflexions sur le vivant viennent combler l’immense vide qui s’est formé au sein de l’écologie politique depuis qu’elle est devenue mainstream. L’écologie court un grave danger : ne plus savoir au nom de quoi elle combat. Dans les années 1940 déjà, le forestier Aldo Leopold s’alarmait : “dans nos efforts pour rendre l’écologie facile, nous l’avons rendue dérisoire“. Trois quarts de siècle plus tard, l’on pourrait s’inquiéter qu’à force de vouloir crédibiliser l’écologie politique, elle en est devenue technocratique. Ses circonlocutions l’ont égarée dans une forêt d’abstractions. Quel langage parle-t-elle aujourd’hui? Une sémantique instrumentale: tonnes d’équivalent CO2 , compensations de l’empreinte carbone, émissions globales de gaz à effet de serre, rénovation thermique, objectifs de développement durable, équilibre du mix énergétique. Quelles images convoque-t-elle? Des synecdoques spectaculaires : l’Amazonie écorchée, l’Australie incendiée, l’ours blanc affamé, l’oiseau mazouté, le poisson asphyxié, l’abeille empoisonnée. Quels concepts mobilise-t-elle ? Des totalités écrasantes : le climat, la planète, la biosphère, la biodiversité, l’humanité, les générations futures.

Conséquence de cette mue, l’écologie s’est départie de son contenu sensible, elle qui prétendait justement abattre l’insensibilité de l’ère industrielle, et a renoncé à s’enrichir d’une nouvelle pensée du vivant. À force de banaliser l’extraordinaire, elle s’est rendue aveugle à l’extraordinaire du banal. À force de vouloir protéger la planète, elle a oublié de s’intéresser aux vivants qui l’habitent. D’où le sentiment de vide des citoyens écologistes avides de sentiment de nature (nous), se pressant en librairie pour renouer avec leurs parentés plus ou moins lointaines. Cet engouement ne va pas sans écueil, bien entendu, et le risque est de voir la pensée écologique du vivant confondue avec un attendrissement inoffensif d’ami des bêtes, un rejet misanthrope fantasmant la “Nature“, un baume de résilience tendance zoothérapie, ou encore un shaker avec de gros morceaux d’animisme et de chamanisme. Mais le geste qu’incarne cet intérêt n’en est pas moins essentiel. Attardons-nous un instant sur ce que fait naître en nous le discours ambiant concernant l’urgence écologique : la peur, le ressentiment, la colère, l’hébétude, l’incompréhension. Sont-ce des forces mobilisables pour amorcer le changement radical qu’il est nécessaire de voir advenir ? Oui, mais elles nous laissent borgnes. Tout au plus nous rappellent-elles contre qui et quoi l’on combat – et encore. Disons-le : nous sommes affectivement mutilés, et nous ne pourrons faire l’économie d’un réenchantement du monde qui impose d’abord de le repeupler de ses vivants, de l’infinie diversité de leurs manières d’être et d’agir.

Rien d’antimoderne, au sens de réactionnaire, là-dedans : “Le progrès, ce n’est pas de faire éclore des routes dans des paysages déjà merveilleux, mais de faire éclore la réceptivité dans des cerveaux humains qui ne le sont pas encore“, résumait Leopold. Une écologie pleinement politique ne peut pas se contenter d’avoir des partis, des programmes et des experts ; elle doit, comme le notait le penseur à propos de son éthique de la terre, “élargir simplement les frontières de la communauté de manière à y inclure le sol, l’eau, les plantes et les animaux ou, collectivement, la terre“. On voit d’ailleurs bien là le piège où est pris le débat contemporain lorsqu’il est question d’allier “fin du monde et fin du mois“. L’écologie ne peut pas être réduite à devoir “réconcilier” société et environnement : elle est une extension du tracé de la socialisation jusqu’à intégrer les autres-qu’humains. Il ne s’agit pas de fantasmer des bactéries dotées du droit de vote : nous avons besoin d’une nouvelle pensée qui nous permette de transformer nos relations constitutives au vivant – de réintégrer celui-ci dans la cité, et la cité dans un milieu qui ne soit pas qu’un stock de ressources. Ce dont nous avons besoin, pour prolonger les réflexions de Leopold, c’est d’une authentique culture du vivant, qui “fa[sse] passer l’Homo sapiens du rôle de conquérant de la communauté-terre à celui de membre et citoyen parmi d’autres de cette communauté. Elle implique le respect des autres membres, et aussi le respect de la communauté en tant que telle”. La condition pour “renouer“, pour que cette
conscience écologique” qui n’en finit pas d’être en gestation depuis un siècle naisse et s’épanouisse enfin, c’est de développer maintenant cette culture du vivant, dans sa polyphonie de points de vue, de luttes et d’imaginaires…”

Philippe Vion-Dury

  • L’intégralité de cet excellent éditorial de Philippe Vion-Dury, rédacteur en chef du périodique Socialter (cfr. notre sélection de Magazines), est disponible dans le hors-série n°9 de la revue SOCIALTER.FR ;
  • Nous n’avons pas trouvé le détenteur des droits sur l’illustration de cet article.

Plus de presse ?

L’équation du trou de ver d’Interstellar aurait été trouvée…

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© Warner Bros.

“Un des plus grands experts de la théorie des supercordes appliquée aux trous noirs, Juan Maldacena, a trouvé avec un collègue une solution décrivant un trou de ver traversable sans danger pour un humain. Remarquablement, elle émerge d’une variante de la théorie considérée par le prix Nobel Kip Thorne pour rendre crédible scientifiquement le film Interstellar [un chef d’oeuvre de Christopher Nolan, 2014].

En novembre 2015, fut fêté le centenaire de la formulation finale par Einstein de sa théorie de la relativité générale. À peine un mois plus tard, on pouvait célébrer l’astronome et physicien Karl Schwarzschild qui a publié en janvier 1916 sa fameuse solution décrivant le champ de gravitation d’une étoile sphérique et homogène. Au cours des deux années qui allaient suivre, Einstein, de son côté, découvrait dans sa théorie la possibilité de l’existence d’ondes gravitationnelles et celle de la construction d’une véritable cosmologie faisant intervenir une mystérieuse constante.

Ligo et Virgo ont confirmé l’existence des ondes gravitationnelles ; la cosmologie relativiste du Big Bang a connu un succès éclatant, le tout dernier venant des mesures du rayonnement fossile par le satellite Planck et même, la constante cosmologique d’Einstein semble bel et bien réelle en raison de la découverte de l’accélération de l’expansion de l’Univers observable, peut-être causée par une mystérieuse énergie noire.

La solution de Schwarzschild s’est montrée encore plus étonnante quand bien même son découvreur n’eut malheureusement pas le temps de le comprendre, décédant très peu de temps après sur le front russe au cours de la première guerre mondiale. Karl Schwarzschild n’a en effet rien su des travaux de pionnier en 1939 de Robert Oppenheimer.

Les ponts d’Einstein-Rosen

Grand lecteur de la Bhagavad Gita, le père de la bombe A avait en effet posé à cette occasion et, via deux articles écrits en collaboration avec ses étudiants de l’époque (On Massive Neutron Cores, avec Georges Volkoff, et On Continued Gravitational Contraction, avec Hartland Snyder), le socle sur lequel les théories des étoiles à neutrons, et surtout celle de l’effondrement gravitationnel conduisant à la formation d’un trou noir, seront construites à la fin des années 1950 et au début des années 1960.

Nous avons toutes les raisons de penser aujourd’hui que les trous noirs existent bien comme l’ont à nouveau fortement suggéré les premiers indices de l’existence des modes quasi-normaux des trous noirs et les observations de la collaboration Event Horizon Telescope. On a donc de nouveaux motifs pour prendre au sérieux l’héritage d’Einstein et Schwarzschild, à savoir plus précisément l’existence de trous de ver, selon l’expression de John Wheeler.


Jean-Pierre Luminet parle des trous de ver, de leur connexion avec les trous noirs en rotation et du voyage interstellaire. © Jean-Pierre Luminet

Là encore, Schwarzschild ne pouvait se douter de ce qu’Einstein et son collaborateur de l’époque, Nathan Rosen, allaient découvrir en 1935 en étudiant sa solution sous un jour nouveau. Au départ, il s’agissait pour Einstein de trouver une solution de ses équations du champ de gravitation couplées aux équations du champ électromagnétique de Maxwell, mais dans la version en espace-temps courbes qu’il avait découvert au cours des années 1910. Cette solution promettait d’ouvrir la voie à un traitement des particules de matière purement en terme d’équations de champ et donc de les déduire des équations de la relativité générale, une fois convenablement unifiée avec le champ électromagnétique. L’existence de particules de matière chargées n’était donc potentiellement plus un axiome à ajouter aux théories physiques mais une conséquence de ces théories. En plus d’ouvrir la voie à une unification des forces, on pavait celle menant peut-être vers une théorie non dualiste de la matière et des champs de forces, voire une nouvelle théorie quantique.
Einstein et Rosen découvrirent donc à cette occasion qu’il y avait une topologie cachée derrière la solution de Schwarzschild que l’on pouvait interpréter, par analogie avec un modèle de l’espace courbe en deux dimensions comme une sorte de tube reliant deux feuillets d’espace-temps, donc entre deux univers ou, plus certainement dans l’esprit d’Einstein, entre deux régions de l’espace. La théorie des ponts d’Einstein-Rosen était née.

Comme il pouvait servir de raccourci entre deux de ces régions et permettre de contourner l’interdit d’Einstein concernant la vitesse de la lumière, la science fiction s’est rapidement emparée du concept pour le voyage interstellaire comme l’explique Jean-Pierre Luminet dans la vidéo ci-dessus. Malheureusement, on s’est aperçu par la suite que les ponts d’Einstein-Rosen étaient en fait dynamiques et pas traversables. Un voyageur imprudent y pénétrant verrait la géométrie de l’espace-temps changer au point de finir par l’écraser en un point singulier de cet espace-temps.

On est donc quelque peu fasciné, même s’il faut garder la tête froide à ce stade, par un récent article déposé sur arXiv par Juan Maldacena et Alexey Milekhin. Maldacena s’est fait un nom au milieu des années 1990 au moment où la seconde révolution des supercordes était en cours. Ses travaux sur l’entropie des trous noirs dans le cadre de la théorie des cordes l’ont conduit à formuler la fameuse correspondance AdS/Cft étendant les travaux de Susskind et ‘t Hooft sur le principe holographique avec la théorie des trous noirs et ses implications pour le fameux paradoxe de l’information découvert par Stephen Hawking.

Les trous de ver de Contact à Interstellar

Maldacena et Milekhin annoncent que, selon eux, il existe une solution décrivant des trous de ver traversables par des êtres humains et ce, dans le cadre d’un modèle d’une nouvelle physique construite à partir du célèbre modèle cosmologique de Randall-Sundrum II. On en vient tout de suite à penser, et par un détour très étonnant en plus, que la science-fiction s’est rapprochée un petit peu plus de la réalité avec la question du voyage interstellaire avec un trou de ver.

Rappelons que c’est en 1988 que le prix Nobel de physique Kip Thorne avait stupéfié le monde de la physique en publiant avec ses collègues Michael S. Morris et Ulvi Yurtsever un article démontrant que, non seulement les équations d’Einstein possédaient une solution décrivant un trou de ver traversable, mais aussi qu’il permettait de voyager dans le temps. La découverte s’était faite alors que Thorne cherchait à rendre crédible, à la demande de Carl Sagan, l’existence d’un tel objet pour son célèbre roman de science-fiction, Contact.

Thorne allait reprendre l’idée pour sa collaboration en tant que conseiller scientifique du film du réalisateur britannique Christopher NolanInterstellar. […] La science derrière Interstellar [… fait] justement intervenir une solution décrivant un trou de ver dans une version de la théorie de Randall-Sundrum.

Rappelons brièvement que, dans les deux modèles proposés par Lisa Randall et Raman Sundrum, l’espace-temps est à 5 dimensions et que notre Univers observable est une sorte de feuillet d’espace-temps à 4 dimensions connecté à un second feuillet, lui aussi, à 4 dimensions et donc la distance à notre « membrane » est faible selon la cinquième dans le cas du modèle I et infinie dans le cas de la seconde, le modèle II. Ces deux modèles permettaient de penser que la fameuse masse de Planck ordinairement conçue comme phénoménalement élevée pouvait être suffisamment basse pour que l’on puisse créer des minitrous noirs au LHC. Il n’en a rien été.

Un voyage de dizaines de milliers d’années-lumière en une seconde

Maldacena et Milekhin se sont donc penchés sur la question de l’existence de trou de ver traversable par une personne de taille humaine dans le cadre du modèle RSII. Ils annoncent donc aujourd’hui qu’une telle solution devrait bel et bien exister si l’on suppose, en plus de l’espace-temps, l’existence de certaines particules et l’équivalent du champ électromagnétique mais ne manifestant leur présence vis-à-vis des particules du Modèle standard que par leur gravité (un secteur « sombre » dans le jargon des physiciens). Il apparaît alors une énergie exotique qui serait négative dans la solution trou de ver, précisément ce qui le rend traversable en créant une pression s’opposant à la contraction de la gorge du trou de ver pour une personne ou un objet cherchant à le traverser, exactement comme dans le cas considéré par Thorne et ses collègues en 1988.

La solution trou de ver ainsi identifiée se comporte comme si ses deux entrées apparaissaient comme des trous noirs extrêmes mais magnétiquement chargés.

Il existe une solution des équations d’Einstein-Maxwell décrivant un trou noir avec une charge électrique et sans rotation. Il s’agit de la solution découverte indépendamment et avant 1920 par Hans Reissner et Gunnar Nordström (qui eux non plus n’avaient aucune idée qu’il s’agissait d’un trou noir). Une généralisation existe portant une charge magnétique mais comme nous n’avons toujours pas découvert de monopôle magnétique, elle n’est considérée que dans des études spéculatives. Dans les deux cas, le trou noir est dit extrême quand la charge a une valeur maximale pour une masse donnée associée au trou noir -au delà, la singularité centrale du trou noir n’est plus cachée par un horizon des événements, ce qui est très problématique et semble réfuter l’existence de la solution.

Toujours est-il que, d’après les calculs de Maldacena et Milekhin, la solution qu’ils ont trouvée permet bien de faire passer un humain en bon état en une seconde d’un point à un autre de la Voie lactée, séparé par une distance de plusieurs dizaines de milliers d’années-lumière mais une fois entré dans le trou de ver, il sortirait aussi plusieurs dizaines de milliers d’années plus tard. Autre problème, des photons ou des particules entrant dans le trou de ver subiraient une forte accélération (enfin pour un photon il faut parler d’un apport important d’énergie et pas d’accélération), ce qui pourraient les rendre dangereuses pour un humain dans le trou de ver et surtout conduire à une composante d’énergie positive annulant l’énergie négative maintenant le trou ouvert. Il faudrait donc que le trou de ver se trouve dans un milieu très froid, plus que le rayonnement fossile à 3 K.

Les chercheurs précisent aussi qu’ils ne savent pas comment il faudrait s’y prendre pour créer un tel trou de ver traversable mais peut-être qu’en poursuivant leurs recherches -qui sont encore peu développées et uniquement dans un article qui n’a pas encore passé le filtre de la relecture par d’autres experts pour publication-, une perspective nettement plus enthousiasmante émergera comme dans Interstellar avec les travaux de Murphy Cooper. On verra…

CE QU’IL FAUT RETENIR

Un des plus grands experts de la théorie des supercordes appliquée aux trous noirs, Juan Maldacena, a trouvé avec un collègue une solution décrivant un trou de ver traversable sans danger pour un humain.
Remarquablement, elle émerge d’une variante de la théorie considérée par le prix Nobel Kip Thorne pour rendre crédible scientifiquement le film Interstellar.
Un tel trou de ver permettrait à un voyageur de passer d’un point à un autre de la Voie lactée en quelques secondes tout au plus mais, pour des observateurs extérieurs, le voyageur émergerait de l’autre bout du trou de ver des dizaines de milliers d’années après y être entré.
On ne sait pas comment créer ce type de trou de ver qui est parent de ce que serait un trou noir magnétiquement chargé mais peut-être l’avenir nous donnera-t-il bientôt la réponse.

Lire l’article original de Laurent SACCO (avec les publicités) sur FUTURA-SCIENCES.COM (article du 1 septembre 2020)…


Interstellar (2014) est un long-métrage de science fiction à la vraisemblance scientifique avérée et souhaitée. Pour la réalisation, Christopher Nolan a travaillé en collaboration avec des chercheurs pour ne rien laisser au hasard. Cette grosse production britannique et américaine a été portée par un casting de rêve : Matthew McConaughey, Anne Hathaway, Jessica Chastain, Michel Caine, Casey Affleck et Matt Damon le composent.

Une crise alimentaire sans précédent frappe la planète, qui a décidé de se rebeller contre l’humanité. La Terre est devenu un espace hostile et peu coopératif. Les sociétés humaines sont en déclin et de fausses informations sont enseignées aux enfants quasiment condamnés. Un ancien pilote de la NASA reçoit un message codé par une intelligence inconnue qui lui indique un lieu. Cooper décide de s’y rendre pour, peut-être, trouver un refuge à l’humanité en péril. En compagnie d’autres astronautes aguerris, il décide de franchir un trou de ver près de Saturne, une faille qui mène l’équipe dans une autre galaxie.

Acclamé par la critique, Interstellar est devenu très rapidement un classique du cinéma de science-fiction. Il a été nominé dans de prestigieux festivals et a obtenu de nombreuses récompenses dont l’Oscar des meilleurs effets visuels et l’award du meilleur film de science-fiction au Critics’ Choice Movie Awards. [RTBF.BE]

Bois d’Avroy (Cointe, Liège)

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© Philippe Vienne

Le Bois d’Avroy est à la fois un vestige d’un domaine privé boisé et d’un ancien charbonnage. Il constitue un maillage écologique entre le Bois-l’Evêque et le terril Piron. Sa surface, d’environ cinq hectares, est actuellement divisée en quatre parcelles privées.

Histoire

Historiquement, l’antique forêt d’Avroy est défrichée dès le Xe siècle dans la vallée et dès le XVIe sur les hauteurs, pour faire place aux cultures et pâturages. Sur les collines de Cointe et Saint-Gilles, divers lieux-dits rappellent l’existence de cette forêt d’antan, laquelle portait à certains endroits un nom spécifique : le Bois l’Évêque, le Bois d’Avroy, le Bois Saint-Gilles,…

© Philippe Vienne

Au début du XXe siècle, le domaine du Bois d’Avroy sera morcelé entre la famille de Laminne et la houillère du Bois d’Avroy. La villa de Laminne est édifiée plus ou moins à la même époque sur une parcelle d’une superficie de quatre hectares provenant du morcellement du grand ensemble de trente-cinq hectares que constituait le domaine du Bois d’Avroy. Abandonnée dans le courant des années 1970, dégradée par un incendie dans les années ’80, la propriété restera à l’abandon jusqu’au début des années ’90 quand elle sera acquise par un promoteur qui fera raser la villa en ruine.

Du Bois d’Avroy originel, il ne reste donc plus que la partie aujourd’hui menacée par un projet immobilier et une petite portion comprise entre la ruelle des Waides et la rue Bois Saint-Gilles, derrière l’internat. Comme la plupart des allées tracées autour de la villa sont restées visibles, le domaine est fréquenté par les promeneurs du quartier depuis son abandon dans les années ’70.

La cellule “Initiatives Citoyennes” du Comité de Quartier de Cointe a réalisé un dossier et introduit une demande à la Ville de Liège pour la création de trois promenades balisées. Il s’agit de répondre à une demande de plus en plus forte d’itinéraires de promenades et de valoriser le patrimoine historique et naturel du quartier. Un quatrième itinéraire pourrait inclure le Bois d’Avroy, d’autant plus facilement qu’existe, juste en face, un sentier communal vestige de l’ancienne rue du Terris et des maisons ouvrières (aujourd’hui disparues) qui la bordaient.

Faune et flore
© Sibylle Horion

Comme nous l’avons vu précédemment, le bois d’Avroy est très récent. Le fait qu’il n’y ait plus eu d’entretien sur le terrain a permis à la végétation, et à la faune avec elle, de s’installer et se développer en toute quiétude. Les arbres morts, par exemple, fournissent un logis pour de nombreuses espèces (chouette hulotte, pics, chauves-souris) mais sont également une source de nourriture pour les insectes saproxyliques et les champignons qui les réduisent en terreau fertile pour les autres plantes alentours.

Le bois accueille des espèces communes (écureuils, hérissons, fauvettes, pics, papillons, noisetiers, ormes, etc.) et des espèces en danger (crapauds alyte accoucheurs, coléoptères lucarne cerf-volant, etc.).

Maillage (ou réseau) écologique

“Le réseau écologique est “l’ensemble des habitats susceptibles de fournir un milieu de vie temporaire ou permanent aux espèces végétales et animales, dans le respect de leurs exigences vitales, et permettant d’assurer leur survie à long terme”.

Il est visible à nos yeux (une vallée, un fleuve, une bande boisée) ou non (le corridor de migration d’une espèce de papillon), mais il correspond à une réalité écologique.

Ce maillage/réseau comprend trois types de zones :

ZONES CENTRALES : elles regroupent des milieux présentant un grand intérêt biologique où toutes actions menées devraient être en faveur de la conservation de la nature.

ZONES DE DÉVELOPPEMENT : elles regroupent des milieux présentant un intérêt biologique moindre que les précédents, mais ont toutefois un bon potentiel écologique valorisé par une gestion adéquate.

ZONES DE LIAISON : ce sont des milieux de faibles surfaces ou présentant un caractère linéaire dans le paysage. Ces zones sont, avant toute chose, des habitats pour de très nombreuses espèces sauvages indigènes et forment le maillage écologique du territoire. Leur nombre, leur qualité et leur continuité sont déterminants pour réaliser de véritables liaisons écologiques entre les zones centrales et les zones de développement. Ce qui permet le brassage génétique des populations. Par exemple, pour la vie sauvage, les bords de routes et de chemins de fer sont des chemins d’accès aux îlots de nature. Ces rubans de végétation sont d’excellents corridors biologiques, par où transitent de nombreuses espèces sauvages.” (d’après biodiversite.wallonie.be)

Il existe plusieurs niveaux de réseaux écologiques :

  • niveau européen : Natura 2000, Life ;
  • niveau régional
  • niveau communal : PCDN

La colline de Cointe est encore bien préservée de la bétonisation. Protéger le bois d’Avroy permet de maintenir un couloir biologique entre le terril Piron, le parc de Cointe et le Bois l’Évêque en passant par les champs et les jardins privés.

Le couvert forestier de Cointe forme une couronne qui permet la circulation des espèces. La création de petits couloirs végétalisés entre les différentes zones faciliterait un brassage génétique des différentes espèces qui y habitent.

Au maillage écologique, nous pouvons associer la notion de “maillage vert” qui a un sens plus social. “En Wallonie, le Projet de Schéma de Développement de l’Espace Régional (SDER) adopté en 2013 stipule que chaque citoyen wallon doit atteindre à pied en moins de 10 minutes (de l’ordre de 700 mètres maximum) un espace vert (un parc, ou un jardin public, un potager collectif, un terrain de jeu…) et cela qu’il habite en ville ou à la campagne. Chaque Wallon devrait pouvoir accéder à des espaces de ressourcement tels qu’un massif forestier ou un paysage rural en moins de 30 minutes à pied, 10 minutes à vélo (de l’ordre de 2km maximum) ou 5 minutes en transports en commun.” (d’après “La Ville en herbe”)

La Ville de Liège a déclaré vouloir s’inscrire dans ce maillage vert en plantant 20.000 arbres d’ici 2030.

Nous avons tous remarqué en ce printemps de confinement à quel point les espaces verts sont importants pour notre bien-être ! En plus d’apporter fraîcheur, renouvellement de l’air et absorption des eaux, les arbres nous apportent une multitude de bienfaits au niveau physique et psychologique.

© Chris LVN
Bienfaits de se promener dans un bois

Se promener dans un bois améliore notre santé : renforcement du système immunitaire, stabilisation des systèmes cardiaque et nerveux, amélioration de l’humeur, de l’énergie, de la concentration et de la créativité. Lorsque nous nous promenons dans un bois, tous nos sens sont en éveil : vue, ouïe, odorat, toucher et goût… Laissons-nous, le temps de cette balade, oublier nos obligations quotidiennes. Respirons profondément et émerveillons-nous de la générosité de la Nature.

Sources

Cet article est extrait du livret distribué par le Collectif “Sauvons le Bois d’Avroy” dans le cadre du cycle de promenades “Marches à l’ombre”, organisé par l’asbl Barricade, en août 2020.


D’autres mondes en notre monde…

OTTE : Le sauvetage des vestiges de la Place Saint-Lambert à Liège (CHiCC, 2018)

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Fouilles de la place Saint-Lambert © Lily Portugaels

“Archéologues et historiens furent plongés au cœur d’un véritable combat, en juin 1977, en faveur des fouilles entreprises pour sauvegarder les vestiges de l’histoire de Liège. Jamais alors je n’aurais imaginé devoir m’allonger entre la lame d’un bulldozer et un sarcophage carolingien afin d’éviter son arasement. Tous les niveaux de pouvoir – communal, régional, national – étaient contre ces défenseurs du passé mais, soutenus par la presse et par la population, ils purent enfin faire changer d’avis les politiciens versatiles au vu de l’importance des découvertes.

En effet, ces fouilles, au départ, n’avaient reçu aucune autorisation. Avec l’architecte Claude Strebelle, un caisson souterrain fut conçu où ces vestiges seraient enfin sauvegardés. Le premier juin 1977, sans autorisation officielle donc, Mlle Danthine, Mme Gheury, le professeur Stiennon, M. Otte et une fidèle équipe entamèrent le bitume. Des prédécesseurs avaient découvert, en 1907, les restes d’un habitat rubané (néolithique, VIe millénaire) sous des fondations romaines. En fait, ce site constitue les témoins du passé de Liège car des traces d’ occupation datent de circa 5.350 ans avant notre ère.

Il semble que des nomades aient occupés les lieux et, voyageant puisque nomades, se soient réinstallés en l’endroit avant de devenir sédentaires. Un immense bâtiment romain y fut construit par la suite, en terrasses, afin de contrer la faible pente de la Place. Cette villa romaine pose un problème car, en général, ce genre d’importante construction romaine se situait sur une hauteur entourée de terres arables, ce qui n’est pas le cas de lieu. La réutilisation de la villa à l’époque mérovingienne est également attestée (transformations et agrandissements, Ve siècle).

V. Tahon, Ruines de la cathédrale Saint-Lambert © Musée Curtius

Par après, des maisons furent bâties au nord de la villa tout en respectant son orientation topographique, une cuve baptismale fut installée dans un bâtiment cruciforme greffé sur la villa romaine sur son flanc nord (église mérovingienne). De la céramique et des petits objets, monnaie, fragment de calice, pince à épiler sacerdotale, placent l’ensemble des ces bâtiments mérovingiens entre les VI e et VIIe siècles. Après l’assassinat de l’évêque Lambert, vers 705, toutes ces constructions furent détruites, la villa arasée et le baptistère comblé. Le successeur de Lambert, l’évêque Hubert, y fit construire une vaste église dédicatoire en l’honneur de son prédécesseur. Les raids normands auraient incendié cette construction et la cathédrale, dite de Notger (XIe siècle), détruisit tous les vestiges antérieurs. Ce magnifique édifice fut saccagé à la fin du XVIIIe et ses ruines arasées en 1820.

Il semble que la sacralité d’un lieu, étalée sur des périodes différentes, l’ait emporté sur la logique architecturale et que ce lieu, sauvé in extremis, soit le cœur historique de notre ville. Une fois de plus, mais cette fois avec un certain succès, il a fallu défendre les témoins de notre passé contre les prédateurs. En effet, tous les bâtiments encadrant la place en surface furent rasés : le Gymnase, le joli théâtre à l’italienne, le Tivoli, la rue Sainte-Ursule et toutes ces maisons du XVIIe et du XVIIIe restées intactes jusqu’en 1980. Liège, que d’erreurs n’a-t-on pas commises en ton nom et au nom d’une prétendue “modernité” !”

d’après Marcel OTTE

En 2000, le chœur de la cathédrale saint-Lambert avait été reconstitué pendant quelques semaines… © Claude Warzée

 

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Marcel OTTE a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC en avril 2018 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC…

LANNEAU : La vie à Liège entre les deux guerres (CHiCC, 2018)

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© rtbf.be

En 1918, Liège sort meurtrie tant moralement que matériellement. Le vieux gouverneur Delvaux de Fenffe peut saluer la délivrance alors que le Roi et la Reine visitent la Cité Ardente le 29 novembre. Le bilan matériel est lourd pour la province : 1.202 fusillés, 3.127 immeubles incendiés, la population passant de 173.800 habitants en 1914 à 163.000 en 1920. L’économie est touchée, les entreprises ne pouvaient fonctionner sans autorisation (arrêté de 1917) et les Allemands avaient démonté, pillé ou détruit des installations et du matériel.

Le secteur charbonnier, moins touché, est vieilli et la reconstruction de l’appareil industriel ne s’accompagne pas d’une rationalisation réelle du secteur sidérurgique. Dans l’entre-deux-guerres, l’industrie recule. Les séquelles psychologiques -souvenirs de la tragédie pieusement entretenus- font que la Ville rebaptise des lieux (place Foch, rue Clémenceau, place du Vingt-Août), construit des monuments (Mémorial interallié début 1928) en mémoire et engendre une farouche germanophobie. La francophilie se fait débordante et le Président Poincaré remet la Croix de la Légion d’honneur (obtenue en 1914). On célèbre le 14 juillet, les réceptions franco-belges se multiplient, on diffuse la pensée et les arts français. Telle est l’atmosphère de Liège dans ces premières années de l’après-guerre.

Quant à la politique locale, historiquement Liège est dominée par le parti libéral (bourgmestre libéral de 1830 à 1940), doit composer avec les catholiques mais aussi avec les socialistes depuis l’élargissement du droit de suffrage en 1895. L’évolution, résumée, sera la suivante :

  • 1921 : Parti ouvrier belge (POB) 38%, catholiques 31%, libéraux 29%, bipartite libéraux -catholiques ;
  • 1926 : situation financière difficile ; recul libéral de 2 sièges, recul idem  des socialistes (parti communiste apparaît) et gain de 2 sièges pour les catholiques. Bipartite reconduite et Xavier Neujean est bourgmestre. A la Province, majorité socialiste (gouverneur socialiste).
Reconstruction du Pont des Arches © MET

Dans les années vingt, la Ville et la Province construisent une politique de préoccupations sociales (écoles, bibliothèques, activités d’éducation populaire, intercommunales -ALE, CILE-, logements sociaux). Suite aux inondations du 1er janvier 1936, 42 stations de pompage sont construites  (de 1931 à 1938). En 1930, l’Exposition internationale à Liège ne séduit pas pleinement (7 millions de visiteurs contre 12 attendus) mais donne à Liège l’occasion de mener de grands travaux : on reconstruit le Pont des Arches et le pont Maghin, on rénove les gares du Palais et des Guillemins, on crée le pont de Coronmeuse, le pont-barrage de Monsin et on entreprend les travaux du canal Albert (10 ans de travaux, 12.000 ouvriers).

En 1930, Liège est une ville active et dynamique, 5 journaux quotidiens, théâtres, nombreux cinémas, musées et galeries, le Val-Benoît (1931 à 1937). Néanmoins, la population étudiante est en stagnation par rapport à 1914 et subit une diminution des étudiants étrangers dans les années 1930. Un déclin est entamé, le krach de Wall Street (1929) engendre, vers 1931, une déflation : les salaires et allocations diminuent, le chômage devient massif en 1932 et 1933, les charges pour la Ville et l’assistance publique sont multipliées par 40 en 3 ans et, en 1934, le budget communal est déficitaire de 8 millions.

En 1940, le mali du budget ordinaire sera de plus de 80 millions. Les grands secteurs économiques liégeois sont touchés, plusieurs banques disparaissent. Le secteur minier est recentré (pertes d’emplois) et, à l’été 1932, un mouvement social très dur sévit (arrestation de Julien Lahaut). En 1936, Hitler viole traités de Versailles et Locarno en remilitarisant la Rhénanie et s’installe chez nous le parti fasciste de Léon Degrelle [Rex], les partis traditionnels reculent, les communistes gagnent 15% et les rexistes 22%. La bipartite POB-PL de 1932 n’est pas reconduite mais bien une coalition inédite de type “Front populaire” (POB et communistes). 1936 est marquée par d’importants mouvements de grève et incidents pour l’obtention des congés payés, la semaine des 40 heures, augmentation des salaires et liberté syndicale. En 1938, “Liège devait être la citadelle du rexisme, elle a été son Waterloo” dira Georges Truffaut suite à l’échec des rexistes, une tripartite libéraux-socialistes et catholiques est décidée.

Les anciens Bains de la Sauvenière © mnema.be

Depuis les années 30, Liège a lancé de grandes opérations urbanistiques dont Truffaut fut le principal artisan (décédé en 1942 au Royaume-Uni) : le nouveau pont de Longdoz, les Bains de la Sauvenière, le Lycée Léonie de Waha, le port autonome, le Grand Liège et l’Exposition internationale de l’Eau (mai 1939) qui fermera “provisoirement” en signe de deuil suite à l’explosion des ponts d’Ougrée et du Val-Benoît, faisant 17 morts et des dizaines de blessés, mais ne rouvrira jamais. Ces ponts, minés, ont été touchés par la foudre. Le 1er septembre 39, la guerre éclate et la Belgique se proclame neutre, mais Liège prend fait et cause pour la France contre la politique de Léopold III. Le bourgmestre Neujean et l’échevin Buisseret ont choisi Paris et non Berlin. Dans cette course folle des événements, les Liégeois savent d’où viendra le danger. Le 10 mai 1940, les armées allemandes envahissent la Belgique et neutralisent le fort d’Eben-Emael, supposé imprenable. Elles s’installent à Liège le soir du 11. L’Occupation a commencé.

Catherine LANNEAU


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Catherine LANNEAU a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC en février 2018 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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HAMAL : La place de Bronckart (CHiCC, 2018)

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Place de Bronckart (vue aérienne) © André Drèze

L’histoire de la place de Bronckart et des rues avoisinantes : une raison et/ou un intérêt particulier sont les incitants qui peuvent vous décider à écrire un livre sur un sujet précis ; en l’occurrence ici la place de Bronckart (initialement dénommée place des Guillemins, de 1857 à 1885) et les rues directement avoisinantes: Fabry, Dartois, Simonon, de Chestret, de Rotterdam (de la Paix), des Ixellois (du Midi), Sainte-Véronique et la place du même nom, Hemricourt et la dernière née, la rue de Sélys.

Le fait […] d’y avoir ses bureaux en sont les raisons principales mais il y a aussi une curiosité permanente pour l’histoire de Liège, grande ou petite et de découvrir – ou redécouvrir – un certain nombre d’aspects oubliés ou méconnus.

Victor Rogister, Maison Piot, rue de Sélys

Ceci d’autant plus qu’entre le clos de Guillemins, acheté en 1798 par Marguerite Fabry-Bertoz, et la place de Bronckart que nous connaissons aujourd’hui, il fallut plus d’une centaine d’années et bien des péripéties, notamment devant le Conseil communal de Liège. Les derniers immeubles de la place ne seront érigés qu’au début du XXe.

Par contre de nombreuses précisions inédites ont été trouvées sur le contexte particulier qu’a connu le couvent des Guillemins durant la seconde moitié du XVIIIe siècle et les circonstances qui ont conduit à sa disparition.

Il en va ainsi, par exemple, de la Papeterie de la Station située au bout de la rue du Plan Incliné, à cheval entre la rue Hemricourt et la rue de Chestret, et sur une des extrémités de l’actuelle rue de Serbie qui n’existait pas encore. Serrurier-Bovy y eut ses ateliers et magasins fin du XIXe – début du XXe siècle.

Place de Bronckart © itsalichon.com

Dans un passé plus récent, qui se souvient encore que la première implantation des Hautes Etudes Commerciales et Consulaires (HEC) se trouvait rue Fabry au n°12 et leur premier mobilier dessiné par l’architecte Arthur Snyers.

Plus tragiquement, nous savons enfin ce qui s’est réellement passé fin 1944 début 1945, plusieurs immeubles de la rue Dartois étant détruits par des bombes, et de découvrir les immeubles qui existaient avant dont une réalisation inconnue de l’architecte Clément Pirnay.

Mais au-delà des textes, ce sont les illustrations qui sont importantes, la plupart d’entre elles sont inédites. Enfin, nous aurions pu dans le cadre du présent ouvrage, nous étendre plus longuement sur l’architecture tant extérieure qu’intérieure des immeubles de la place de Bronckart et des rues concernées et ce d’autant plus que des architectes de renom y ont laissé des traces comme Paul Jaspar, Clément Pirnay, Arthur Snyers et Victor Rogister. Le temps et l’espace nous ont manqué.

Olivier HAMAL

“Place de Bronckart à Liège. Petites et grandes Histoires”. Co-édition des Presses Universitaires et des Editions de la Province de Liège avec le soutien de l’Agence Wallonne du Patrimoine.

 


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Olivier HAMAL a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC en novembre 2018 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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ENGLEBERT : Quelques visions pour un avenir liégeois radieux (CHiCC, 2019)

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Vue de Liège © Philippe Vienne

Où en est l’idée de faire de Liège une métropole régionale ?

“Etre une métropole, c’est remplir une mission, exercer une fonction, répondre à des besoins multiples, pour une et même plusieurs régions ; c’est aussi refuser de se laisser porter par une décision extérieure, c’est choisir son destin, consentir aux efforts financiers nécessaires. N’est pas une métropole qui veut, mais il faut aussi vouloir l’être.”

C’est ainsi que, dès 1964, à l’époque du colloque “Liège en l’an 2000”, Olivier Guichard, délégué général à l’aménagement du territoire de la République française définissait la métropole. La France, au 1er janvier 2018, en comptera dix-neuf dont dix-sept de droit commun (Bordeaux, Brest, Dijon, Grenoble, Lille, Metz, Montpellier, Nancy, Nantes, Nice, Orléans, Rennes, Rouen, Saint-Étienne, Strasbourg, Toulouse et Tours) et deux à statut particulier (Aix-Marseille et Paris).

Mon projet, hier et aujourd’hui

Le projet présenté au cours du colloque “Liège en l’an 2000” avait été ratifié par l’ensemble des membres de l’association avant d’être exposé à l’important public présent. Il comportait un plan global de circulation tirant parti du réseau ferré qui irrigue la ville et sa région en y superposant différentes voies et systèmes nouveaux pour assurer la mobilité des habitants et des usagers. Routes et autoroutes, métros lourd et léger, téléphériques, trottoirs roulants, rues réservées aux piétons permettaient à quiconque, par dessus les voies ferrées, tous les déplacements sans contrainte.

Le projet repensait complètement les réseaux de transport en commun (T.E.C.). Les circuits empruntés par ces derniers étaient tous conçus en boucle plutôt qu’en ligne. Il est bien connu que tous les circuits établis selon une boucle fonctionnent partout de manière optimale. Il suffit de songer à la Circle Line à Londres, à la Maranouchi Line à Tokyo et tout simplement au tram 4 à Liège pour en être convaincu. Jamais à ma connaissance, aucun spécialiste n’a tenté de dresser une carte des TEC dans une ville en se basant sur cette idée qui pourtant, si elle était appliquée et généralisée, faciliterait grandement la circulation dans la ville et dans son agglomération.

Projet Safège Liège © safege.org

Des systèmes nouveaux de transports en commun utilisaient, selon les distances à desservir, deux types de boucles : des grandes et des petites. Pour les grandes boucles, un métro suspendu appelé Safège, mis au point par la firme française éponyme, et pour les petites des cabines de la taille d’une 2CV Citroën à 4 places assises circulant sur le sol ou sur des rails surélevés, ces engins nouveaux se déplaceraient à la demande de manière automatique comme il en est des ascenseurs. Lorsque les pentes étaient fortes et particulièrement longues, des téléphériques comme il en existe dans les stations de sport d’hiver, étaient proposés.

Un usage différent de l’automobile était préconisé : interdites d’accès dans la ville, les voitures devaient être rangées dans de vastes parcs à étages à l’endroit des gares et au périmètre des centres denses. De là, les automobilistes empruntaient des navettes ou des TEC pour rejoindre leur destination.

Il faut rappeler qu’avant la Seconde Guerre, les rues dans les villes servaient principalement et presqu’exclusivement à la circulation. Le stationnement y était toléré, mais il n’était pas admis qu’un habitant de la rue puisse laisser sa voiture en permanence devant chez lui et s’arroger le droit d’occuper la voirie comme cela est devenu le cas aujourd’hui. Ce droit, moyennant une redevance annuelle, a progressivement été reconnu et s’est généralisé à la ville entière. Lorsque les maisons familiales ont été remplacées, durant les années 60, par des bâtiments à appartements, les artères quelles qu’elles fussent se sont révélées insuffisantes pour garer les voitures et des emplacements ont été prévus pour elles au détriment des espaces verts.

Des mesures auraient du être prises à cette époque pour contraindre les propriétaires de véhicules à justifier de garages sous leur “building” : les rues sont faites pour circuler et non pour être encombrées ou obstruées, sinon la circulation devient très difficile et même impossible. Ceci devient le cas pour beaucoup de rues et il est étonnant que les pompiers n’exigent pas le retour à la situation antérieure, comme ils exigent la fermeture des bâtiments quand ceux-ci ne satisfont plus aux nouvelles normes. En effet, le stationnement des voitures tout au long, et même de chaque côté des rues, est de plus en plus admis ; l’espace pour circuler se trouve alors réduit à 2m50 et il interdit certaines manœuvres aux grands véhicules ou aux bus.
Faut-il rappeler que de telles règles existent, notamment au Japon, où le stationnement dans les rues est strictement interdit ?

Quant aux surfaces importantes des différentes gare existant encore à l’époque, elles étaient couvertes par de vastes dalles étagées qui supportaient des logements nouveaux et des équipements publics mal répartis dans la ville. Ces derniers donnaient naissance à des activités nouvelles dans les quartiers environnants.

C’est ainsi qu’au-dessus des Guillemins, des logements et un ensemble de locaux pour le Ministère des Finances étaient prévus, facilitant ainsi des relations directes entre les fonctionnaires locaux et leurs homologues bruxellois.

Lire plus dans les actes du colloque “La Fabrique des Métropoles”
(Liège, 2017)

Jean ENGLEBERT


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Jean ENGLEBERT a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC en janvier 2019 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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SCHURGERS : Le long de l’Ourthe, insolite et changeante, d’hier à aujourd’hui (CHiCC, 2019)

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La vallée de l’Outre à Colonster © WBT – Joseph Jeanmart

La vallée de l’Ourthe est bien connue pour ses paysages grandioses, ses richesses naturelles et son patrimoine remarquable. Je propose une croisière de sa source à sa confluence et un pèlerinage dans le temps, c’est avant tout juste une balade. Quelle longue vie jusque Liège ! Peu de cours d’eau peuvent se prévaloir d’un parcours aussi varié.

L’Ourthe a tracé une artère Sud-Nord importante et s’offre un voyage dans les régions et dans le temps. Née en Ardenne, elle passe successivement en Calestienne, en Famenne et dans le Condroz pour terminer sa vie dans le sillon mosan.

Mais elle nous fait aussi voyager dans le temps, en taillant dans le sol. Les paysages et les pierres nous racontent cette longue histoire. En effet, au départ, il y a l’Ourthe occidentale et l’Ourthe orientale. La zone des sources est constituée de prairies humides dans les hauts plateaux d’Ardenne.

La confluence, près de Nisramont, donnera naissance à l’Ourthe. La vallée s’enfonce. Dans cette première partie elle traverse l’Ardenne et ses forêts, elle y dessine de grands méandres et ses versants sont abrupts. La Famenne l’accueille à Marcourt. C’est une dépression schisteuse, l’Ourthe s’étale, serpente au creux des prairies.

En Calestienne, l’Ourthe a creusé dans ce massif calcaire, pendant des millénaires, de nombreux phénomènes karstiques, tels des grottes. Il y a peu d’alluvions, les vallées sont plus encaissées, comme à Durbuy. Dans le Condroz, on observera une alternance de terrains calcaire et de grès. Cette région est réputée pour ses nombreuses carrières.

L’histoire industrielle de la Vieille-Montagne est liée aux derniers kilomètres de l’Ourthe. Elle entre ainsi dans le sillon mosan. Sur ses terrains tendres, elle s’étale et sa plaine alluviale est large. Elle entrait alors par de multiples ramifications dans les faubourgs de Liège. Son trajet a été simplifié à plusieurs reprises et son tracé actuel n’existait pas avant 1900.

Elle est canalisée à partir du pont de Fragnée, appelée “la Dérivation”, et finalement rejoint la Meuse au pont Atlas. Mais cette rivière autrefois sauvage était plus romantique que navigable. Elle a été l’objet de nombreux projets. Sous la domination hollandaise, en 1828, on imagina la canalisation de l’Ourthe au-delà de La Roche pour la relier à la Moselle dans le but de faire la jonction Meuse-Rhin afin d’améliorer les échanges commerciaux. Ce projet n’a jamais abouti. Quelques vestiges sont encore visibles dont ceux d’un souterrain à Bernistap (Houffalize).

La jeune Belgique, en 1845, lance un nouveau projet pour améliorer la navigation, un canal parallèle à l’Ourthe entre Liège et La Roche. On ne le réalisera que jusqu’à Comblain. La ligne de chemin de fer inaugurée en 1866 fut le début du déclin de la navigation sur l’Ourthe.

De nombreux vestiges entre Liège et Comblain-au-Pont sont encore visibles. Mais tout au long de son parcours, on rencontrera d’autres éléments d’archéologie industrielle ou de génie civil, vestiges d’activités économiques, car l’Ourthe a été longtemps le seul axe de communication. Elle a favorisé les activités industrielles de la région: moulins, scieries, turbines, carrières, industries métallurgiques (sidérurgie, zinc), forges, laminoirs…

Aujourd’hui tranquille, son cadre bucolique et ses paysages variés chargés d’histoire en font une destination touristique privilégiée. Le tourisme tire également parti de la rivière : ses rives accueillent randonneurs et cyclistes, et pêcheurs et kayaks se partagent la rivière. Je vous invite à la découvrir, elle vous ravira !

Odette SCHURGERS


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Odette SCHURGERS a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC en février 2019 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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HALMES : L’axe du 3e millénaire à Liège (CHiCC, 2019)

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Panorama vers la gare, la tour des finances et la Boverie, depuis Cointe © Philippe Vienne

Depuis le début du 3ème millénaire, l’axe Guillemins-Boverie jusqu’aux quais de la Dérivation connaît un profond renouvellement. Des architectures résolument modernes y sont développées. Appel est fait à des architectes de renom qui s’y distingueront aux côtés de bureaux d’ingénierie de réputation internationale. Cette promenade nous emmènera le long de ce nouvel axe contemporain.

Tout d’abord, la gare des Guillemins. La nouvelle construction est rendue nécessaire par la volonté d’accueillir les trains à grande vitesse dans la cité mosane et par la vétusté de l’ancienne gare. C’est l’architecte Santiago Calatrava Valls qui est retenu pour réaliser ce qui deviendra la gare blanche, la cathédrale de verre. Relevant de l’architecture organique, la construction se caractérise par la ligne courbe. Calatrava la voit comme “la belle endormie au pied de la colline”.

65.000 m3 de béton, 10 000 tonnes d’acier et 3 ha de verre seront nécessaires à la construction. Cette prouesse d’ingénieurs se réalisera sans interruption du trafic ferroviaire. Les 39 arcs de 160 m seront placés par-dessus les voies, à l’aide de vérins, au cours de poussages successifs. Le pont haubané d’accès, à l’arrière de la gare, représente lui aussi un défi pour les ingénieurs : son tablier est courbe et en déclivité.

La gare et l’esplanade © Philippe Vienne

Il s’agit d’une gare, mais avant tout d’un signe architectural. Calatrava la voit comme le signe de l’ouverture de Liège sur son avenir. La belle endormie ne demande qu’à se réveiller. Gare sans façade, les nouveaux Guillemins sont tout en transparence. Depuis Cointe, nous pouvons aisément la traverser et aboutir à la nouvelle esplanade dessinée par le bureau Dethier. Cette place triangulaire avec ses bassins, ses jets d’eau, ses bambous et autres plantations, est aussi le lieu de passage des bus et bientôt du tram.

La tour des finances depuis le parc de la Boverie © Philippe Vienne

Second bâtiment d’importance : la tour des finances. Sur notre trajet vers cette plus haute tour de Wallonie, évoquons le futur Paradis Express, un nouvel éco-quartier avec toitures verdurisées, avec bâtiments de hauteurs dégradées, depuis la tour jusqu’à la gare pour évoquer les collines environnant Liège. La Design Station Wallonia, vitrine de la promotion du design en Wallonie, se veut un signe architectural fort dans le quartier avec son porte-à-faux au-dessus de la voirie.

La tour des finances – ou tour Paradis – domine le paysage avec ses 28 étages et ses 136 m de hauteur. Faite de béton et de verre, sa forme évoque un bateau descendant la Meuse. Elle est l’œuvre du bureau d’architecte Jaspers-Eyers. S’y regroupent plus de 1.000 fonctionnaires.

“La Belle Liégeoise” et la Tour cybernétique © Philippe Vienne

En nous dirigeant vers le parc de la Boverie, se dessine devant nous le nouveau boulevard urbain. S’étendant du pont de Fragnée jusqu’à l’Évêché, il rend les quais de Meuse aux Liégeois en ralentissant la circulation, par l’aménagement de nouveaux espaces verts et d’une promenade pour la circulation douce le long du fleuve.

La passerelle La Belle Liégeoise a été inaugurée le 5 mai 2016. Cette “belle Liégeoise” désigne Anne Josèphe Terwoigne de Méricourt. Originaire de chez nous, elle s’est distinguée pendant la Révolution française par sa lutte pour les droits démocratiques et les droits des femmes. Deux cents ans après sa mort, les autorités liégeoises ont voulu rendre hommage à une femme qui s’est battue pour la liberté.

La passerelle, réalisée par le bureau Greisch, est constituée d’une structure d’acier sur laquelle est posée un plancher de bois. Elle est d’une longueur de 294 m dont 163 au-dessus du fleuve. Deux descentes conduisent vers le parc dont l’une est particulièrement destinée aux usagers à mobilité réduite.

Tour cybernétique de Nicolas Schöffer © Philippe Vienne

Jetons au passage un regard à la tour de Schöffer, un chef d’œuvre de l’art cybernétique. Réalisée en 1961, classée au patrimoine exceptionnel de Wallonie en 2009, elle a été restaurée, par le bureau Greisch également, qui la dote des technologies les plus modernes. La tour s’anime à nouveau depuis 2016 de mouvements, de sons aléatoires et de lumières.

Le musée de la Boverie, lui aussi, a connu une rénovation qui lui donne une nouvelle vie. Conçu en 1905 pour l’Exposition universelle, le Palais des Beaux-Arts sera un des seuls bâtiments qui lui survivront. Œuvre des architectes Hasse et Soubre, il relève de l’éclectisme et s’inspire du Petit Trianon. Sa rénovation est décidée en 2013 en vue d’en refaire le musée des Beaux-Arts de Liège, en collaboration avec le Louvre.

La Boverie © visitezliege.be

La travail est confié à l’architecte Rudy Ricciotti, connu pour son travail particulier du béton et son souci d’inscrire son œuvre dans le cadre qui lui est propre. C’est ainsi que peu sera modifié à l’extérieur du bâtiment historique dont le sol sera creusé afin d’y dégager un espace pour les collections permanentes. Une grande salle vitrée de 1200 m2 sera construite à l’est du bâtiment, là où se trouvait un mur aveugle. Cette salle est soutenue par 21 colonnes de béton travaillées comme des arbres, des arbres du parc que les hautes fenêtres peuvent refléter. Au sud est ajouté un plan d’eau, miroir à la fois du bâtiment et de la verdure environnante.

De l’autre côté de la Dérivation, se détachent les arcs de couleur rouge de la Médiacité. Construit sur les friches de l’Espérance-Longdoz, cet ensemble architectural avait pour but de rendre une nouvelle vie à un quartier précédemment voué à l’activité industrielle, ce que rappelle la Maison de l’Industrie et de la Métallurgie toute voisine. Ce projet, né au début des années 2000 comme un complexe de cinémas, mettra un certain temps à voir sa réalisation. Et c’est largement modifié qu’il verra le jour, associant à cet endroit une galerie commerciale, une patinoire et les nouvelles installations de la RTBF.

Médiacité © Philippe Vienne

Chargé du projet de la Médiacité, le bureau Jaspers et Eyers fera appel à un architecte de réputation internationale, Ron Arad, pour donner à la construction sa touche de modernité. C’est lui qui concevra le passage de 360 m qui serpente à travers la galerie, terminé par les arcs de couleur rouge, qui en fait l’originalité. La couverture de cette voie est faite d’une structure métallique de poutres entrecroisées recouvertes d’un matériau léger, isolant et transparent.

La patinoire voisine est accessible par l’intérieur de la galerie. De dimensions olympiques, il s’agit de la plus grande patinoire de Wallonie. De l’extérieur, elle fait penser à une baleine, car elle est couverte de milliers d’écailles d’aluminium dont le rôle est de donner la brillance, mais surtout d’assurer l’isolation notamment acoustique.

Tout à côté s’érige Médiarives, le nouveau site de la RTBF. Ce bâtiment a été voulu tout en sobriété et en transparence, comme se veut le service public. Il comprend bureaux et studios, dont le plus grand studio de Wallonie (500 places) où l’on enregistre entre autres l’émission “The Voice”.

Nous avons ainsi parcouru cet axe du 3e millénaire, où les réalisations les plus modernes s’inscrivent dans un paysage urbain riche de son passé centenaire et où les voies de circulation automobile s’interrompent pour laisser place à des espaces verts et à des promenades piétonnières.

Brigitte HALMES


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Brigitte HALMES a fait l’objet d’une conférence organisée en avril 2019 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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Coronavirus : 100 questions à Peter Piot, virologue

Temps de lecture : 23 minutes >
© R.Demoulin Bernard

En mars de cette année, le belge Peter PIOT, l’un des plus célèbres virologues au monde, répondait aux questions du directeur de la Fondation Tedmed, une organisation caritative qui se consacre aux “idées qui valent la peine d’être diffusées” dans les domaines de la santé et de la médecine. […] Ce Brabançon de 71 ans est notamment connu pour avoir découvert le virus Ebola en 1976, avoir été directeur du programme Onusida de 1995 à 2008 et pour diriger aujourd’hui l’École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres.

En plus d’un entretien filmé, Peter Piot a répondu par écrit à 100 questions. Il y explique ce qu’est précisément le nouveau coronavirus, la facilité avec laquelle il se propage, l’efficacité des masques, l’importance de ralentir la propagation de la maladie, les traitements actuellement étudiés…


1. Commençons par l’essentiel. Qu’est-ce qu’un virus ?
Un virus est une toute petite particule d’ARN ou d’ADN, protégée par une enveloppe protéique extérieure.

2. Quelle est la fréquence des virus ?
Les virus sont partout. Il est étonnant de réaliser que si on les additionne tous, tous les virus du monde pèsent plus lourd que toute la matière vivante du monde – y compris toutes les plantes, tous les animaux et toutes les bactéries. 10 % du génome humain est dérivé de l’ADN des virus. La Terre est vraiment une “planète à virus” !

3. Pourquoi est-il si difficile d’arrêter la propagation d’un virus ?
Parce que les particules virales sont incroyablement petites, des milliards peuvent flotter sur de minuscules gouttelettes dans l’air à partir d’une seule toux.

4. Quelle est la taille exacte d’un virus ?
Minuscule. Même avec un microscope ordinaire, on ne peut pas voir un virus. 100 millions de particules virales du nouveau coronavirus peuvent tenir sur une tête d’épingle. C’est dire à quel point elles sont minuscules.

5. Que font les particules virales ?
Les particules virales tentent de s’insérer dans les cellules vivantes afin de se multiplier, d’infecter d’autres cellules et d’autres hôtes.

6. Pourquoi les virus tentent-ils de pénétrer dans les cellules vivantes ?
C’est la façon dont les virus se “reproduisent”. Les virus agissent comme des parasites. Ils prennent le contrôle des cellules vivantes afin de forcer chaque cellule à fabriquer d’autres virus. Lorsqu’une cellule est ainsi prise en otage, le virus envoie des centaines ou des milliers de copies de lui-même. Il en résulte souvent la mort de la cellule qui a été infectée.

7. Que signifie être infecté par le nouveau coronavirus, que les scientifiques ont appelé “SRAS-CoV2” ?
Cela signifie que le SRAS-CoV2 a commencé à se reproduire dans votre corps.

8. Quelle est la différence entre le SRAS-CoV2 et le COVID-19 ?
Le SRAS-CoV2 est le virus ; COVID-19 est la maladie que ce virus propage.

9. Est-il facile pour un virus de pénétrer dans une cellule vivante ?
Cela dépend en premier lieu du fait que la cellule possède le bon récepteur pour le virus en question, tout comme une clé a besoin d’un trou de serrure spécifique pour fonctionner. La plupart des virus sont bloqués par notre système immunitaire ou parce que nous n’avons pas les bons récepteurs pour que le virus puisse entrer dans la cellule. Ainsi, 99% d’entre eux sont inoffensifs pour l’homme.

10. Combien de types de virus existent, et combien d’entre eux sont nocifs pour l’homme ?
Sur les millions de types de virus, seules quelques centaines sont connues pour être nocives pour l’homme. De nouveaux virus apparaissent sans cesse. La plupart sont inoffensifs.

11. En moyenne, combien de particules du virus faut-il pour vous infecter ?
Nous ne savons pas encore vraiment pour le SRAS-CoV2. Il en faut généralement très peu.

12. A quoi cela ressemble-t-il ?
Le SRAS-CoV2 ressemble à un minuscule brin de spaghetti, enroulé en boule et emballé dans une coquille faite de protéines. La coquille a des pointes qui dépassent et font ressembler la coquille à la couronne du soleil. Les virus de cette famille ont tous un aspect similaire ; ils ressemblent tous à une couronne.

© Reporters

13. Combien de coronavirus différents affectent l’homme ?
Il y a 7 coronavirus qui ont une transmission d’homme à homme. 4 génèrent un léger rhume. Mais 3 d’entre eux peuvent être mortels, y compris les virus qui causent le SRAS et le MERS, et maintenant le nouveau coronavirus, le SRAS-CoV2.

14. Pourquoi l’appelle-t-on le “nouveau” coronavirus ?
Nouveau signifie simplement qu’il est nouveau pour l’homme, ce qui signifie que ce virus spécifique est un de ceux que nous n’avons jamais vus auparavant. Notre système immunitaire évolue depuis deux millions d’années. Mais comme notre corps n’a jamais vu ce virus auparavant, l’homme n’a pas eu la possibilité de développer une immunité. Ce manque d’immunité, combiné à la capacité du virus à se propager facilement et à sa létalité relative, est la raison pour laquelle l’arrivée du SRAS-CoV2 est si inquiétante.

15. Quelle est la fréquence d’apparition d’un nouveau virus dont nous devons nous préoccuper ?
C’est rare… mais ça arrive. Citons par exemple les virus qui provoquent des maladies comme le VIH, le SRAS, le MERS et quelques autres. Cela se reproduira. L’émergence d’un nouveau virus est un très gros problème… s’il peut facilement se propager parmi les gens et s’il est nocif.

16. Avec quelle facilité le nouveau virus se propage-t-il ?
Le SRAS-CoV2 se propage assez facilement d’une personne à l’autre, par la toux et le toucher. C’est un virus “transmis par voie respiratoire”.

17. Le virus se propage-t-il d’une autre manière ?
Des rapports récents indiquent qu’il peut également se propager par contamination fécale et urinaire, mais cela doit être confirmé.

18. En quoi ce nouveau virus est-il différent des coronavirus connus précédemment qui propagent le SRAS ou le MERS ?
Le SRAS-CoV2 est différent à 4 égards essentiels :
Premièrement, de nombreuses personnes infectées ne présentent aucun symptôme pendant des jours, de sorte qu’elles peuvent infecter d’autres personnes sans le savoir, et nous ne savons pas qui isoler. C’est très inquiétant car le SRAS-CoV2 est très infectieux.
Deuxièmement, dans 80 % des cas, le COVID-19 est une maladie bénigne qui ressemble à un petit rhume ou à une petite toux, de sorte que nous ne nous isolons pas et que nous infectons les autres.
Troisièmement, les symptômes sont facilement confondus avec ceux de la grippe, si bien que de nombreuses personnes pensent qu’elles ont la grippe et n’envisagent pas d’autres possibilités.
Quatrièmement, et c’est peut-être le plus important, le virus se transmet très facilement d’homme à homme car, dans les premiers stades, il se concentre dans la partie supérieure de la gorge. La gorge est pleine de particules virales, de sorte que lorsque nous toussons ou éternuons, des milliards de ces particules peuvent être expulsées et transmises à une autre personne.

19. Il se disait que le virus provoquait une pneumonie. Comment la gorge est-elle impliquée ?
La maladie commence souvent dans la gorge (c’est pourquoi les tests font souvent un prélèvement dans la gorge), puis, à mesure qu’elle progresse, elle descend vers les poumons et devient une infection des voies respiratoires inférieures.

20. Que signifie le mot “asymptomatique” ?
Cela signifie simplement qu’il n’y a pas de symptômes.

21. Vous voulez dire qu’une personne peut être infectée par le nouveau virus sans jamais présenter de symptômes ?
Malheureusement, oui. De nombreuses personnes infectées ne présentent aucun symptôme pendant les premiers jours, puis une légère toux ou une faible fièvre apparaît. C’est le contraire du SRAS, où vous avez eu des symptômes clairs pendant quelques jours mais n’étiez contagieux que lorsque vous étiez malade.

22. Si vous ne présentez aucun symptôme, pouvez-vous quand même infecter d’autres personnes ?
Malheureusement, oui. Et cela rend beaucoup plus difficile le ralentissement de la propagation.

23. Quelle est la probabilité que les scientifiques développent un vaccin pour empêcher les gens d’être infectés ?
C’est raisonnablement probable, mais il n’y a aucune garantie que nous aurons même un vaccin. L’échec est possible. Par exemple, nous cherchons un vaccin contre le VIH depuis 35 ans et nous n’en avons toujours pas. Je suis optimiste quant à la mise au point d’un vaccin contre le SRAS-CoV2, mais nous devrons procéder à des tests approfondis d’efficacité et de sécurité, ce qui demande beaucoup de temps et de personnel.

24. En supposant qu’un vaccin contre le coronavirus soit possible et qu’il soit découvert assez rapidement, combien de temps faudra-t-il avant de disposer d’un vaccin que nous pourrons commencer à injecter à des millions de personnes ?
Nous aurons des “candidats” vaccins dans un mois ou deux. Mais en raison de la nécessité de procéder à des tests approfondis pour prouver qu’il protège et est sûr, il faudra au moins un an avant de disposer d’un vaccin que nous pourrons injecter à des personnes et qui sera approuvé par une grande agence de réglementation. En fait, 18 à 24 mois sont plus probables lorsque nous passerons à des millions de doses, ce qui est optimiste.

25. Pourquoi faut-il tant de temps pour mettre au point un vaccin s’il s’agit d’une urgence ?
Ce n’est pas nécessairement la découverte d’un vaccin qui prend autant de temps, mais les essais de vaccins. Une fois qu’un vaccin “candidat” existe en laboratoire, une série d’essais cliniques est nécessaire, d’abord sur des animaux, puis sur des groupes de personnes de plus en plus nombreux.

26. Avons-nous déjà fait des progrès ?
La bonne nouvelle est que quelques semaines seulement après la découverte et l’isolement du SRAS-CoV2, qui a eu lieu au début de janvier 2020, le développement du vaccin a commencé immédiatement. Des fonds ont été alloués par de nombreux gouvernements et de nombreuses entreprises et scientifiques du monde entier y travaillent avec une grande urgence.

27. Les scientifiques de ces pays coopèrent-ils ou sont-ils en concurrence les uns avec les autres ?
Un peu des deux, et ce n’est pas une mauvaise chose. Mais la coopération internationale a généralement été bonne. C’est encourageant.

28. Ne pouvons-nous pas développer un vaccin plus rapidement ?
Malheureusement, il n’y a pas de raccourcis. Le système immunitaire du corps humain est complexe et imprévisible. Des mutations virales peuvent se produire. Les enfants sont différents des adultes. Les femmes peuvent réagir différemment des hommes. Nous devons nous assurer que tout vaccin est sûr à 100 % pour tous ceux qui le reçoivent. Pour ce faire, nous devons tester les médicaments et les vaccins à différentes doses sur un large éventail de volontaires humains en bonne santé dans des conditions soigneusement mesurées.

29. Dans quelle mesure le nouveau virus est-il mortel ?
La plupart des scientifiques pensent qu’il tue 1 à 2 % de toutes les personnes infectées. L’OMS rapporte actuellement un chiffre plus élevé de plus de 3 %, mais cette estimation devrait baisser à mesure qu’ils trouveront comment compter les nombreux cas non déclarés ou bénins. La mortalité est nettement plus élevée chez les personnes âgées et celles qui souffrent de maladies sous-jacentes.

30. Le taux de mortalité moyen est-il le chiffre sur lequel il faut se concentrer ?
Pas vraiment. On peut se noyer dans une “moyenne” de 8 cm d’eau. Une meilleure façon de comprendre les risques consiste à reconnaître qu’elle peut être mortelle pour certains groupes de personnes et beaucoup moins pour d’autres – avec des conséquences très diverses.

31. Quels sont donc les chiffres et les points de contrôle sur lesquels il faut se concentrer ?
80% du temps, c’est une maladie bénigne, mais dans 20% des cas, elle devient plus grave, les pires cas faisant état d’une forte fièvre ou d’un essoufflement. Par conséquent, certaines personnes doivent être hospitalisées, et d’autres auront besoin de soins intensifs pour survivre pendant quelques jours critiques lorsque leurs poumons sont fortement infectés.

32. Quels sont les groupes de personnes les plus menacés ?
Tout d’abord, les personnes âgées comme moi : j’ai 71 ans. Plus on est âgé, plus le risque est élevé. Sont également plus à risque les personnes souffrant de maladies sous-jacentes telles que le diabète, les maladies pulmonaires obstructives chroniques et les maladies pulmonaires ou encore les maladies cardiovasculaires ou les déficiences immunitaires.

33. Quel est le degré de danger auquel ces groupes à haut risque sont confrontés ?
Leur taux de mortalité peut atteindre 10 %, voire 15 %. Et votre risque augmente lorsque vous avez plus de problèmes de santé. Les données scientifiques sur tout cela sont régulièrement mises à jour sur le web.

34. Votre risque augmente donc considérablement si vous souffrez d’autres maladies, comme le diabète. Pourquoi ?
Parce que votre système immunitaire réagit mal à tout virus infectieux, mais particulièrement à celui-ci.

35. Il semble que, de manière générale, les enfants et les jeunes ne soient que faiblement, voire pas du tout, touchés. Est-ce vrai ?
C’est ce qu’il semble, mais comme pour tant d’autres questions sur COVID-19, cela doit être confirmé.

36. Si c’est vrai, pourquoi le SRAS-CoV2 affecterait-il beaucoup plus les personnes âgées, mais pas les jeunes et les enfants ?
En fait, nous ne le savons pas. Il va falloir un certain temps avant de le découvrir .

37. Autre chose d’inhabituel ?
Vous pouvez infecter d’autres personnes même si vous êtes totalement asymptomatique et que vous vous sentez bien. C’est inhabituel, mais cela peut aussi arriver dans le cas d’une infection par le VIH.

38. On entend souvent parler de COVID-19 par rapport à la grippe saisonnière. Quelle est la bonne façon d’encadrer cette comparaison ? Par exemple, la grippe saisonnière et le coronavirus sont-ils aussi dangereux l’un que l’autre ?
La grippe saisonnière infecte généralement jusqu’à 30 millions de personnes par an aux États-Unis, et moins d’un dixième de 1 % du groupe infecté en mourra – mais c’est quand même un chiffre important. Dans le monde, au cours d’une année moyenne, 300 000 personnes au total meurent de la grippe saisonnière. Mais, en moyenne, le nouveau coronavirus est 10 à 20 fois plus mortel et, contrairement à la grippe, nous ne pouvons pas nous protéger par la vaccination.

39. Le nouveau virus se propage-t-il aussi facilement que la grippe ?
Le nouveau virus semble se propager aussi facilement que la grippe.

40. Pour poursuivre la comparaison entre la grippe et le COVID-19, qu’en est-il des causes ? La grippe est-elle également causée par un virus ?
Oui, la grippe est également causée par un virus. La grippe est causée par le virus de la grippe. Mais le virus de la grippe et le coronavirus sont très différents. Un vaccin antigrippal ne vous aide pas avec le nouveau coronavirus, mais il réduit considérablement votre risque de grippe. Le rhume, pour lequel il n’existe ni vaccin ni remède, est souvent causé par un autre type de virus minuscule appelé rhinovirus, et parfois par un autre coronavirus.

41. Comment l’infection progresse-t-elle lorsque le nouveau coronavirus s’installe dans votre corps ?
Cela commence généralement par une toux. Puis une faible fièvre. Puis la faible fièvre se transforme en forte fièvre et vous êtes essoufflé.

42. À quel moment de bons soins médicaux font-ils la différence entre la vie et la mort ?
C’est généralement lorsque la fièvre est très élevée et que vos poumons sont endommagés, de sorte que vous êtes essoufflé ou que vous avez besoin d’aide pour respirer.

43. En quoi le nouveau virus est-il différent d’une maladie telle que la rougeole, les oreillons ou la varicelle ?
Le SRAS-CoV2 est actuellement beaucoup moins infectieux et dangereux, mais il y a encore beaucoup de choses que nous ignorons. Les autres maladies sont bien connues.

44. Si le nouveau coronavirus est moins dangereux que les autres virus, pourquoi beaucoup de gens en ont-ils si peur ?
Parce que les nouvelles choses qui peuvent nous tuer ou nous rendre malades nous rendent très nerveux. Mais une connaissance précise est l’antidote à la peur, alors ici aux États-Unis, je vous invite à prêter attention au site CDC.gov. Dans d’autres pays, rendez-vous sur le site de votre ministère national de la santé ou sur celui de l’OMS.

45. À quelle fréquence faut-il consulter les sites web du CDC ou de l’OMS, ou le site web de son ministère national de la santé ?
Nous mettons continuellement à jour nos connaissances à mesure que nous en apprenons davantage sur le nouveau virus, c’est pourquoi ces sites devraient être consultés fréquemment.

46. L’humanité a-t-elle déjà complètement éliminé un virus ?
Oui, la variole, qui tuait des millions de personnes. Et nous y sommes presque pour la polio grâce à la Fondation Gates et à de nombreux gouvernements dans le monde comme celui des États-Unis.

47. Comment le nouveau virus se retrouve-t-il dans de nouveaux endroits du monde ?
Par la route, l’air et la mer. De nos jours, les virus voyagent en avion. Certains passagers peuvent être porteurs du SRAS-CoV2.

48. Ainsi, chaque aéroport international est un tapis de bienvenue pour le nouveau virus ?
La réalité est que le SRAS-CoV2 est déjà bien présent dans la plupart des pays, y compris aux États-Unis, et loin de tout grand aéroport international.

49. Depuis le début de l’épidémie en Chine, les visiteurs de ce pays représentent-ils le plus grand danger d’importation de coronavirus aux États-Unis ?
Depuis l’apparition du nouveau virus en Chine en 2019, 20 millions de personnes sont venues aux États-Unis en provenance de pays du monde entier. Les États-Unis ont arrêté la plupart des vols directs en provenance de Chine il y a quatre semaines, mais ils n’ont pas empêché l’entrée du virus. Aujourd’hui, les cas de COVID-19 en Chine sont souvent importés d’autres pays, car l’épidémie en Chine semble être en déclin pour le moment.

50. En d’autres termes, les grands aéroports sont tout ce dont vous avez besoin pour garantir que n’importe quel pays aura le virus partout en moins de 3 mois.
Oui. Je crois qu’en Amérique, on dit : “Le cheval a quitté l’écurie.” Ce n’est pas une raison pour arrêter complètement tout voyage.

51. Pourquoi un pays comme le Japon pourrait-il fermer ses écoles ?
D’autres pays comme l’Italie et la France font de même. C’est parce que les scientifiques ne savent pas dans quelle mesure la propagation est accélérée par les enfants qui sont porteurs. Le Japon fait de gros efforts pour ralentir la propagation. Les enfants transmettent généralement les virus rapidement, car ils ne se lavent pas les mains ou n’ont pas une bonne hygiène personnelle. Ils jouent un rôle important dans la propagation de la grippe, c’est pourquoi de nombreux pays ont fermé les écoles dans les zones touchées.

52. Si on est infecté, y a-t-il des médicaments qu’on peut prendre pour rendre le virus moins grave, ou pour le faire disparaître complètement ?
Aucun médicament n’a encore prouvé son efficacité en tant que traitement ou ce que les médecins appellent une “thérapie”. Un grand nombre de médicaments différents sont actuellement testés dans le cadre d’essais cliniques, et nous espérons que cela changera bientôt pour le mieux.

53. Quelle est la probabilité que nous trouvions de nouveaux médicaments thérapeutiques, et dans quel délai ?
Je suis convaincu que, dans quelques mois, il est très probable que nous trouverons des utilisations “non indiquées sur l’étiquette” des médicaments actuels qui aident à traiter une personne infectée. En d’autres termes, nous aurons une nouvelle utilisation pour les médicaments existants qui ont été utilisés à l’origine contre d’autres infections virales comme le VIH. Mais il faudra du temps et beaucoup de tests réels pour s’en assurer. De nouveaux médicaments thérapeutiques sont actuellement testés dans le cadre d’essais cliniques, notamment en Chine, mais aussi ailleurs. Cela semble prometteur.

54. Qu’en est-il des antibiotiques ? Tout le monde s’en sert toujours en cas de crise.
Il s’agit d’un nouveau virus, pas d’une bactérie. Les antibiotiques agissent contre les bactéries mais pas contre les virus. Ils peuvent être utiles à l’hôpital en cas d’infections secondaires d’origine bactérienne, mais les antibiotiques n’ont aucun effet sur le nouveau virus lui-même.

55. Qu’en est-il de toutes sortes de nouveaux remèdes, thérapies et traitements dont j’ai entendu parler sur Internet ?
Il va y avoir une infinité de fausses affirmations. Ce n’est qu’en lisant sur de nombreux sites web fiables que l’on peut être sûr qu’il s’agit d’une véritable science. Mais la plupart de ce que vous entendrez sera du vent, alors soyez très prudent et ne répandez pas de rumeurs non confirmées.

56. Et les masques ? Ces masques chirurgicaux bleus ou un masque N95 sont-ils utiles ?
Les masques ont une valeur très limitée, sauf dans certaines circonstances spécifiques. Par exemple, selon le type de masque N95, un peu moins de 50% des particules virales entrantes seront filtrées, mais elles peuvent réduire la propagation des gouttelettes en suspension dans l’air.

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57. Quels sont les avantages des masques lorsqu’ils sont utilisés correctement et qui devrait porter un masque ?
Les meilleurs masques, soigneusement ajustés et portés correctement, ralentissent la propagation des personnes malades qui toussent. Autrement dit, le masque ne sert pas à vous protéger des autres personnes, mais à protéger les autres personnes contre vous. C’est une courtoisie envers les autres de porter un masque lorsque vous avez ce que vous pensez être un rhume et que vous commencez à tousser. Les masques ont un avantage supplémentaire : ils réduisent la probabilité que vous touchiez votre bouche, et donc que le virus se propage dans votre corps si vous avez le virus sur les mains. Les masques présentent des avantages pour le personnel de santé. Si vous travaillez dans un établissement de santé ou dans le domaine des soins aux personnes âgées, le port du masque est obligatoire.

58. Y a-t-il quelque chose qu’on puisse faire pour éviter d’être infecté lors d’une pandémie mondiale ?
Se laver les mains fréquemment, ne pas se toucher le visage, tousser et éternuer dans le coude ou dans un mouchoir en papier, ne pas se serrer la main ou s’embrasser, tout cela réduit le risque. Si vous êtes malade, restez chez vous et consultez un médecin par téléphone pour savoir quoi faire ensuite, et portez un masque lorsque vous voyez d’autres personnes.

59. Que signifie “atténuation” ? On entend souvent les scientifiques utiliser ce mot.
L’atténuation signifie ralentir la propagation du virus et tenter de limiter ses effets sur les services de santé publique, la vie publique et l’économie. Tant qu’il n’y aura pas de vaccin, ce que nous pouvons faire, c’est le ralentir. C’est vraiment important.

60. Quels autres moyens pouvons-nous utiliser pour ralentir la propagation du virus ?
Une bonne hygiène et la simple courtoisie peuvent ralentir la propagation. En outre, des mesures de “distanciation sociale” – comme travailler à domicile, ne pas prendre l’avion, fermer les écoles et interdire les grands rassemblements – contribueront à ralentir la propagation du SRAS-CoV2.

61. Les différents virus se propagent-ils plus facilement que les autres ?
Oui. La rougeole est le pire. Vous pouvez attraper la rougeole en entrant dans une pièce vide qu’une personne infectée a quittée 2 heures plus tôt ! C’est pourquoi nous avons des épidémies de rougeole lorsque les taux de vaccination baissent. C’est une maladie très résistante. Le rhume se propage assez facilement. Le VIH est beaucoup plus difficile à répandre, et pourtant nous avons eu 32 millions de décès.

62. Que faudra-t-il pour arrêter ce virus ?
Personne ne le sait vraiment, mais la Chine a montré qu’il est possible d’arrêter la propagation de manière significative. Un vaccin pourrait être nécessaire pour éliminer complètement le SRAS-CoV2.

63. Combien de temps faudra-t-il pour que le nouveau virus se répande dans une population de la taille des États-Unis ?
Si on le laisse se propager avec des mesures normales de bonne hygiène, le SRAS-CoV2 semble doubler sa population infectée environ chaque semaine. Cela signifie qu’il passera de 50 personnes infectées à 1 million de personnes infectées en 14 semaines environ. C’est la simple arithmétique de la contagion. Bien sûr, nous pouvons faire des choses pour la ralentir.

64. Quelle est l’efficacité d’une bonne hygiène pour ralentir la propagation du coronavirus ? Le nombre de personnes infectées diminue-t-il sensiblement si les gens suivent les directives ?
Les chiffres changent en fonction de la prudence des gens, et même de petits changements sont importants pour éviter de stresser le système de santé plus qu’il n’est absolument nécessaire.

65. Quelques milliers de cas peuvent-ils être cachés parmi notre population ? Comment cela serait-il possible ?
Chaque année, il y a des millions de cas de grippe. Cette année, certains de ces cas sont en fait des COVID-19. En outre, de nombreuses personnes infectées ne présentent aucun symptôme ou des symptômes très légers, de sorte qu’elles se cachent à la vue de tous.

66. Que signifie exactement un test positif ?
Cela signifie qu’un test sensible a détecté que le virus est présent dans les fluides de cette personne.

67. Tout le monde doit-il être testé le plus rapidement possible ?
Le test COVID-19 devrait être beaucoup plus largement disponible car nous ne savons pas encore assez qui est infecté et comment le virus se propage dans la communauté. Nous avons besoin de beaucoup plus de tests pour connaître les données importantes.

68. Pourquoi la Corée du Sud a-t-elle mis en place un système de tests “drive-through” ?
La Corée du Sud a mis en place un système de dépistage au volant parce qu’elle fait tout son possible pour ralentir l’épidémie en trouvant chaque personne infectée aussi vite que possible.

69. Quel est le principal symptôme que les gens devraient rechercher ?
La toux est le premier symptôme.

70. La fièvre est-elle un bon moyen d’identifier les personnes infectées ?
Une forte fièvre peut être préoccupante et mérite d’être soignée. Mais le simple dépistage de la fièvre, dans un aéroport ou à un point de contrôle par exemple, laisse passer beaucoup de personnes infectées.

71. Quel est le pourcentage de personnes testées positives dans les hôpitaux chinois qui sont arrivées sans fièvre ?
Environ 30 % des patients chinois atteints de coronavirus n’avaient pas de fièvre à leur arrivée à l’hôpital.

72. Le nouveau virus est-il susceptible de revenir dans un pays une fois qu’il aura atteint un pic et que le nombre de nouveaux cas aura diminué ?
Il est probable que le SRAS-CoV2 nous demandera le même effort qui a permis d’éliminer la variole et qui a presque éliminé la polio.

73. Cela signifie que le seul moyen de vaincre le nouveau coronavirus à long terme est la vaccination de toute la population mondiale ?
Nous ne le savons vraiment pas. Les mesures basées sur la population peuvent fonctionner, mais un vaccin peut être nécessaire et est probablement viable tant que le virus reste stable et ne subit pas trop de mutations.

74. Le nouveau virus pourrait-il “s’épuiser” comme d’autres virus semblent l’avoir fait ?
Nous ne le savons pas, mais c’est peu probable. Le SRAS-CoV2 est déjà trop bien établi dans le monde entier. Ce n’est plus seulement un problème chinois ; il y a probablement des centaines de milliers de personnes infectées mais pas encore testées – non seulement en Chine mais dans près de 100 autres pays. Le SRAS-CoV2, tout comme le virus de la grippe saisonnière, sera probablement présent parmi nous pendant très longtemps.

75. Le nouveau virus reviendra-t-il par vagues ou par cycles, et si oui, quand ?
Là encore, nous ne le savons pas, mais c’est une question très importante. Probablement, bien qu’à ce stade précoce, rien n’est sûr. La pandémie de grippe de 1918 a fait le tour du monde en trois vagues. Le nouveau virus pourrait avoir une deuxième vague en Chine avec la réouverture des écoles et des usines. Mais tant que nous ne verrons pas ce qui se passera réellement, nous ne savons pas comment SARS-CoV2 se comportera.

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76. Si nous avons une ou deux pauses “chanceuses” dans les mois à venir, à quoi ressemble la “chance” ?
Le temps chaud pourrait ralentir la propagation, bien que nous n’ayons pas encore de preuve que ce soit le cas. Singapour, qui compte déjà 120 cas et dispose de l’un des meilleurs programmes de contrôle COVID-19 au monde, se trouve à seulement 110 km de l’équateur – donc, au moins dans ce cas, un climat chaud n’a pas empêché le virus de se propager. Il est possible que le SRAS-CoV2 se transforme progressivement en une forme moins dangereuse, de sorte que moins de personnes en meurent, comme cela s’est déjà produit avec la grippe porcine en 2009. Mais je n’y compterais pas. Trouver rapidement une thérapie médicamenteuse ou un cocktail de médicaments efficaces serait une excellente nouvelle. C’est à peu près tout pour la chance.

77. Les personnes à haut risque pour la COVID-19 ont-elles les mêmes chances de mourir partout ?
Malheureusement, le risque de décès dépend beaucoup de l’endroit où l’on se trouve dans le monde. Si vous avez besoin d’un hôpital moderne bien équipé et que vous vous faites soigner dans un tel établissement, que nous espérons accessible à un grand nombre de personnes, le taux de mortalité sera bien plus faible grâce aux respirateurs de soins intensifs et à la diminution des infections secondaires.

78. Comment puis-je savoir si je vais faire partie du groupe des patients légers ou de celui qui a besoin d’être hospitalisé ?
Vous n’en êtes pas sûr, mais avoir plus de 70 ans ou souffrir d’une maladie chronique augmente le risque de maladie grave, voire de décès. Nous ne pouvons parler qu’en termes de probabilités, car nous n’en savons pas encore assez sur la COVID-19.

79. Doit-on s’inquiéter de la contagion du COVID-19 ? A quel point êtes-vous inquiet ?
Si vous n’êtes pas à haut risque, je ne m’inquiéterais pas trop, mais je ferais tout mon possible pour éviter d’être infecté car tu ne connais pas les résultats individuels. Tout le monde va finir par courir le risque de contracter cette infection dans les prochaines années, tout comme personne n’évite le rhume ou la grippe au fil du temps. Nous devrions donc tous être prêts à rester à la maison dès les premiers signes.

80. Que voulez-vous dire par “tout le monde va courir le risque de contracter le virus” ?
Je veux dire que tous les humains passent du temps avec d’autres humains, donc nous sommes tous connectés – et la biologie est implacable. Cependant, je prendrais des précautions raisonnables et, en même temps, je ne m’inquiéterais pas de façon obsessionnelle. Cela ne m’aide pas.

81. Si tout le monde va attraper le nouveau virus, pourquoi essayer d’éviter de l’attraper ? Si j’attrape le virus immédiatement, je peux en finir avec lui et passer à autre chose.
Nous voulons ralentir l’infection, ce qui signifie ralentir le nombre de nouveaux cas et le nombre total de cas, afin que nos hôpitaux puissent prendre en charge les patients les plus touchés sans être débordés ou refuser les patients atteints d’autres types de maladies qui nécessitent une attention immédiate.

82. Il semble qu’une fois que les gens se sont remis du nouveau virus, ils peuvent encore être contagieux. Est-ce vrai ?
Nous ne le savons pas, bien qu’il semble que cela puisse être le cas pendant un certain temps après la guérison. Nous n’en sommes pas totalement sûrs. D’autres recherches sont nécessaires.

83. Une fois que vous avez contracté le virus, êtes-vous alors immunisé en permanence contre une nouvelle infection, comme la rougeole ou les oreillons ?
Là encore, nous ne connaissons pas encore la réponse à cette importante question.

84. Il est évident qu’une immunité permanente contre la COVID-19 serait importante pour les personnes qui sont passées par un épisode de la maladie. Cette immunité est-elle également importante pour la société dans son ensemble ? Pourquoi ?
Cette question est extrêmement importante pour le développement de vaccins, car les vaccins reposent sur la capacité de notre corps à monter une réponse immunitaire protectrice et sur un virus stable. Et il est évident que le nombre de personnes susceptibles d’être infectées diminuerait progressivement au fil du temps.

85. Le nouveau virus est-il saisonnier, comme la grippe ?
Nous n’avons pas été assez loin pour voir s’il y a une mutation saisonnière vers le SRAS-CoV2, ou comment les milliards de nouvelles particules virales changent lorsqu’elles passent à travers des millions de personnes.

86. Ce virus peut donc muter de lui-même en de nouvelles formes avec de nouveaux symptômes ?
Nous ne savons pas du tout. Si c’est le cas, de nouveaux vaccins pourraient être nécessaires pour empêcher la version mutée du SRAS-CoV2 de se propager.

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87. Si le virus mute naturellement, cela signifie-t-il qu’il pourrait devenir plus mortel, et d’autre part, qu’il pourrait aussi devenir moins mortel ?
Oui, l’un ou l’autre est possible. C’est un nouveau virus, donc nous n’avons aucune idée de ce que les mutations feront.

88. Si le coronavirus devient une menace qui ne disparaît pas, qu’est-ce que cela signifie pour moi et ma famille ?
Cela signifie que nous allons tous apprendre à y faire face et nous assurer que nous adoptons tous des comportements sûrs. Nous devons être particulièrement attentifs aux besoins des membres plus âgés de la famille.

89. Il se dit que le virus peut vivre 9 jours sur un comptoir. Est-ce vrai ?
Il est probable que le SRAS-CoV2 puisse rester viable sur certaines surfaces pendant un certain temps, mais nous ne savons pas pour combien de temps.

90. La plus grande pandémie des temps modernes a été la pandémie de grippe de 1918, juste à la fin de la Première Guerre mondiale. Comment le SRAS-CoV2 se compare-t-il à cette mutation ?
Le CoV2 du SRAS est tout aussi contagieux que la pandémie de grippe de 1918 et semble presque aussi mortel, mais le temps nous le dira. Souvenez-vous qu’en 1918, il n’existait aucun système médical comparable à celui des pays développés et qu’il n’y avait pas d’antibiotiques pour traiter la pneumonie bactérienne, qui était une cause majeure de décès.

91. Y a-t-il une chance que ce soit une fausse alerte géante et que nous nous retournions cet été pour dire “wow, nous avons tous paniqué pour rien” ?
Non. COVID-19 est déjà présent dans de nombreux pays et il est très contagieux. Pratiquement chaque jour, il y a de plus en plus de cas, dans plus de pays. Ce n’est pas un exercice. C’est la réalité.

92. Il est difficile de croire que soudainement un virus vraiment nouveau que l’humanité n’a jamais vu puisse infecter des millions de personnes. Quand est-ce que cela s’est produit pour la dernière fois ?
Le SRAS et le MERS étaient nouveaux – mais ils n’ont pas atteint l’échelle. Le VIH était nouveau dans le monde et a infecté 70 millions de personnes – dont 32 millions sont mortes de la pandémie de VIH.

93. Le VIH touche les pays pauvres bien plus que les pays riches. Cela sera-t-il probablement vrai pour le nouveau virus ?
Oui, absolument. Les pays riches comme les États-Unis vont avoir des taux de mortalité beaucoup plus faibles grâce à une meilleure hydratation, à des équipements respiratoires supplémentaires, à une bonne prise en charge des infections, etc. Il s’agit d’un problème potentiellement énorme pour les pays à faibles ressources qui ont des systèmes de santé médiocres. De nombreux pays d’Afrique seront confrontés à des risques énormes. Lorsqu’il atteindra les pays les plus pauvres en ressources du monde, il est très probable que ce sera catastrophique.

94. On dirait que le fond du problème est que vous n’êtes pas terriblement optimiste.
En général, je suis définitivement optimiste, mais en même temps, il y a beaucoup de raisons d’être très mal à l’aise et nerveux. Je comprends que les gens aient des craintes, surtout s’ils appartiennent à un ou plusieurs des groupes à haut risque. Mais il y a aussi de bonnes nouvelles, car nous constatons déjà des progrès dans la coopération mondiale, notamment dans les domaines de la science et de la médecine. Nous constatons une plus grande transparence entre les gouvernements. Le nombre de cas en Chine est actuellement en rapide diminution, mais cela pourrait changer. Et nous assistons à un développement très rapide de la thérapeutique, par exemple.

95. Vous avez également dit qu’il y a beaucoup de raisons de s’inquiéter. Quels sont vos plus grands soucis concernant le nouveau virus ?
Mal gérée, la propagation du coronavirus peut rapidement surcharger le système de santé de n’importe quel pays et bloquer les personnes qui ont vraiment besoin de toutes sortes d’accès médicaux. Une autre inquiétude est que des réactions excessives et la peur peuvent paralyser l’économie d’un pays, ce qui provoque un autre type de souffrance. Il s’agit donc d’un compromis très difficile.

96. Et à quoi devrions-nous nous préparer psychologiquement ?
Nous devrions être psychologiquement prêts à entendre parler de nombreux “nouveaux” cas signalés dans chaque ville des États-Unis qui commence à faire des tests, ainsi que d’un nombre croissant de décès, en particulier chez les personnes âgées. En réalité, il ne s’agit souvent pas de “nouveaux” cas, mais de cas existants qui sont devenus visibles pour la première fois.

97. Quelles sont les choses qui vous encouragent ?

      1. La biologie moderne évolue à une vitesse fulgurante.
      2. Outre la communauté de la santé publique dans le monde entier, y compris l’Organisation Mondiale de la Santé, les dirigeants gouvernementaux au plus haut niveau se concentrent sur cette menace.
      3. Nous avons isolé le virus en quelques jours et l’avons séquencé rapidement.
      4. Je suis convaincu que nous disposerons bientôt d’un traitement.
      5. Nous allons, espérons-le, disposer d’un vaccin.
      6. Nous sommes vraiment à l’ère de la communication moderne. Cela peut nous aider, à condition que nous démystifions les fausses nouvelles et les nouvelles dangereuses.

98. Dans quelle mesure les États-Unis sont-ils prêts pour cela ?
Les États-Unis ont eu amplement le temps de se préparer à cette pandémie, tout comme d’autres pays à revenu élevé. Nous avons tous bénéficié des quarantaines de masse sans précédent imposées par la Chine, qui ont ralenti la propagation. Les États-Unis traiteront correctement les cas graves dès le début en étant mieux préparés.

99. Qui vous inquiète le plus ?
Ce sont les pays à faibles ressources qui m’inquiètent le plus. Chaque décès est une tragédie. Quand on dit qu’en moyenne, 1 à 2 % des personnes infectées mourront du coronavirus, c’est beaucoup. Après tout, 1 % d’un million, c’est 10 000 personnes, et ce sont les personnes âgées qui m’inquiètent le plus. Mais 98% à 99% des gens ne mourront pas de cela. La grippe saisonnière tue des dizaines de milliers d’Américains chaque année et on ne panique pas – même si nous devrions en fait prendre la grippe beaucoup plus au sérieux et nous assurer que nous sommes tous vaccinés contre elle chaque année. Tout comme nous avons appris à vivre avec la grippe saisonnière, je pense que nous devrons apprendre à mener notre vie normalement, malgré la présence de COVID-19, jusqu’à ce qu’un vaccin efficace soit disponible.

100. Y a-t-il d’autres pandémies dans notre avenir ?
Oui, absolument. Cela fait partie de notre condition humaine et de la vie sur une “planète à virus”. C’est une bataille sans fin. Nous devons améliorer notre préparation. Cela signifie que nous devons nous engager à investir sérieusement dans la préparation à la pandémie et à mettre sur pied une brigade mondiale de pompiers, bien avant que la maison ne prenne feu la prochaine fois.

[Cette interview est disponible en anglais sur le site de l’École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres ; elle a été traduite par Jacques Marlot) : pour lire l’article original sur LALIBRE.BE (2 avril 2020)…]


Plus de nouvelles du monde…

VIENNE : Le Longdoz, hier et aujourd’hui (CHiCC, 2019)

Temps de lecture : 4 minutes >

“Je me trouvais à la gare de Jonfosse – pardon, Liège-Carré – qui n’est plus qu’un point d’arrêt quand une voix céleste a annoncé que le train venant de Hasselt à destination de Liège-Guillemins, Visé et Maastricht arrivait. C’est, en effet, la même rame qui relie ces deux villes limbourgeoises. Pour des raisons de tension, elle peut continuer sur le territoire néerlandais, l’inverse ne serait pas possible. Par contre, avant l’électrification en 1985, c’était un autorail néerlandais qui assurait ce service. Et précédemment, on prenait le train à la gare de Longdoz qui a aujourd’hui disparu.

Liège en 1649

Longdoz ? Ce terme signifie un “long pré” et, de fait, sur la carte de 1649,on voit qu’au delà de Tour-en-Bèche, c’est la campagne jusqu’au pied de la Chartreuse. C’est l’arrivée du chemin de fer qui va tout changer. La compagnie du Nord Belge a obtenu la concession de la ligne Namur-Liège avec terminus, dans une gare qu’elle va construire en 1857, au Longdoz. La ligne y arrive en 1851. Les mêmes financiers, les frères Rothschild, créent la compagnie du Liège-Maestricht (orthographe de l’époque), partant de cette même gare, à partir de 1861. Après 5 ans, c’est le Nord Belge qui en assurera la gestion mais cela reste deux entités distinctes. Liège-Maestricht sera repris par l’Etat en 1899 et le Nord Belge par la SNCB, seulement le… 10 mai 1940 !

La gare ne recevra plus de voyageurs en 1960. Le terrain sera acheté par la Ville de Liège en 1969, le bâtiment démoli en 1975 et la première galerie commerciale inaugurée en 1977.

L’installation d’une gare crée un nouveau quartier au bout de la rue Grétry toute neuve : cafés, hôtels, commerces et habitations. Mais la présence de vastes terrains libres et la proximité du chemin de fer attirent également de nombreuses industries – nous sommes en pleine révolution industrielle.

Un des premiers industriels à s’installer – il y en aura d’autres et nous ne les citerons pas tous – sera la firme Dothée qui fabrique du fer blanc, en 1846. Elle sera reprise dans le complexe d’Espérance-Longdoz.  Cette dernière quittera le site en 1961-1963 pour s’installer à Chertal, dans une usine ultra-moderne pour l’époque. Elle fusionnera avec Cockerill en 1970, avec le sort que l’on sait. Le bâtiment qui abritait les bureaux est maintenant occupé par l’Ecole Supérieure d’Action Sociale. Une toute petite partie de l’usine, celle qui avait abrité les établissements Borgnet, deviendra la Maison de la Métallurgie. Le reste sera rasé et on y a construit la Médiacité.

Médiacité Liège (architecte : Ron Arad) © Philippe Vienne

Une autre usine importante est Englebert en 1877. Elle fabrique des articles en caoutchouc, surtout des pneus. En 1958, l’entreprise américaine Uniroyal crée une alliance avec le groupe belge Englebert pour ses activités en Europe. Cette division est baptisée Uniroyal en 1966. En 1979, Uniroyal vend cette division et ses quatre usines de Belgique, Allemagne, France et Écosse à Continental.

Pieux Franki était installée rue Grétry. Elle a été fondée en 1909 par M. Edgar Frankignoul associé à M. Armand Baar. La firme existe toujours au parc industriel de Flémalle mais fait partie d’un groupe plus important. Le siège est devenu une résidence services.

La firme Jubilé a été créée en 1804, rue des Champs, par M. Van Zuylen. En vue des 75 ans de la Belgique, elle créa en 1905 un cigare nommé Jubilé qui devint le nom de la société. Elle fit faillite en 1979. Les locaux sont maintenant occupés par Pôle Images, rue de Mulhouse, une reconversion dans un domaine actuel.

Autre firme de tabac, TAF s’installa dans l’ancienne usine Englebert de la rue Grétry en 1975 mais fit faillite en 1979.  Colgate-Palmolive occupait des locaux rue des Champs. C’était une ancienne savonnerie fondée en 1881 qui avait conclu, en 1931, un accord avec le groupe américain pour fabriquer ses produits chez nous. Elle partit aux Hauts-Sarts de 1976 à 2013. Nadin Motor, qui s’occupe de rénovation de moteurs, est installée rue Natalis depuis 1931 et s’y trouve toujours.    

Vue depuis le parc des Oblats © Robert Vienne

Nous terminerons au bout du quartier dans le parc public, bien réaménagé par la Ville, dans le domaine de l’ancien couvent des Oblats qui jouxte la Chartreuse, près de l’église St-Lambert – seul souvenir de notre évêque. Un endroit de calme et de verdure bienvenu, bien loin du passé industriel que nous venons d’évoquer.”

Robert VIENNE


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Robert VIENNE a fait l’objet d’une conférence organisée en mai 2019 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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VIENNE : La Meuse à travers Liège (CHiCC, 2016)

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© Philippe Vienne

“Tous les Liégeois ont déjà vu une gravure ou un tableau représentant la Meuse au boulevard de la Sauvenière, au Moyen-Age bien sûr, mais jusqu’à quand ?  Je vais essayer de vous répondre.

A Liège, la Meuse que l’Ourthe vient de rejoindre s’étale dans la vallée en de multiples bras. Les premières habitations s’étaient établies aux environs de la place St-Lambert, les rives du fleuve étant marécageuses. Une petite rivière, aujourd’hui cachée, la Légia qui descendait d’Ans, venait rejoindre la Meuse. Elle longeait les remparts qui existent toujours à Hocheporte (rues des Remparts et des Fossés) puis traversait la place St-Lambert en se divisant en deux bras. L’enceinte de Notger ne protégeait pas la ville mais le Publémont, Mont St-Martin, où l’évêque et sa cour pouvaient se réfugier en cas d’attaque, par exemple des Normands venus par le fleuve. 

Liège en 1649

Dès le Moyen-Age, la ville prit de l’ampleur, toujours traversée par les différents bras de la Meuse. Cette situation durera jusqu’au XIXe siècle. Sur cette carte, je voudrais vous montrer à droite, dans le quartier St-Léonard, un bassin perpendiculaire au fleuve et situé hors des remparts, Hors-Château. Plus bas sur la carte, une petite tour attire notre attention : c’est la Tour-en-Bêche et elle nous conduit en Outremeuse, quartier populaire aux rues étroites, parfois insalubres avec la présence de tanneries et de moulins, tels le moulin à papier. 1853 voit la création de la Dérivation. Le confluent est reporté à Droixhe mais la Dérivation peut aussi évacuer l’excès d’eau de la Meuse en cas de crue. Le comblement des canaux au XIXe siècle assainira le quartier et le dotera de beaux boulevards tels que le boulevard Saucy et le boulevard de la Constitution. 

Revenons en ville, en Vinâve-d’Ile puisque le centre de la ville est une île. Intéressons-nous à un de ces ponts et la place proche : c’est le Pont-d’Ile et la place aux Chevaux, actuelle place de la République Française.

Boulevard de la Sauvenière

Sur cette gravure ancienne, on voit que les maisons ont un accès direct à l’eau par les caves. Pour les piétons, il faut passer par derrière, par la rue Basse-Sauvenière, aujourd’hui interrompue. Elle partait du pied de Haute-Sauvenière et aboutissait au Thier de la Fontaine, pour se prolonger par la rue Sur-la-Fontaine jusqu’au Pont-d’Avroy. Certaines entrées attestent encore que cette rue était l’accès principal aux immeubles.

Différents noms de rues rappellent aussi le passé : Saint-Jean-en-Isle, où l’on retrouve une maison existant déjà en 1637 (le bourgmestre Sébastien Laruelle y fut assassiné) et  Saint-Martin-en-Ile, près de la cathédrale. Cela nous amène à découvrir le Pont-d’Avroy, donnant accès à la rue Saint-Gilles et à ce faubourg. 

Il faut attendre 1809, sous le régime français, pour que les autorités décident de rétrécir la rivière de la Sauvenière, d’abord, et d’y créer un quai pour faciliter le halage. C’est ensuite le tour de la rivière d’Avroy en 1819, donc sous le régime hollandais. Le delta situé aux environs des actuelles rues de la Régence et de l’Université fut remblayé en 1827. Sauvenière et Avroy furent voûtés entre 1831 et 1844.  Pierre-Lambert de Saumery, dans “Les Délices du pays de Liège” (ouvrage publié de 1738 à 1744) parlait déjà du lieu “le plus agréable de la ville, propre à délasser l’esprit et à charmer les sens”.

Le Petit-Paradis en 1880

Le plan Kümmer, du nom de l’ingénieur des Ponts-et-Chaussées, avait proposé en 1848 le redressement du cours du fleuve du Petit-Paradis (la chapelle sera détruite en 1881) à Droixhe, et la création du bassin de Commerce. En 1876, le plan Blonden propose la suppression du bassin de Commerce, peu pratique, pour créer le parc d’Avroy et les Terrasses tels que nous les connaissons aujourd’hui.

Liège connaît encore de graves inondations en 1926. Pour y remédier de façon définitive, de grands travaux ont été entrepris : nouveaux barrages, création de stations de pompage et de digues. L’A.I.D.E. est créée en 1928 pour gérer les stations de pompage et, à présent, d’épuration.

On ne peut omettre de parler des travaux importants effectués sur le cours de l’Ourthe en amont de son confluent. Les préparatifs de l’Exposition Universelle de 1905 entraîneront une modification profonde du quartier de Fétinne. Le canal de l’Ourthe a été ouvert jusqu’à Comblain en 1857, la suite du projet étant abandonnée car le chemin de fer le remplace avantageusement.

Le boulevard Emile de Laveleye, avant 1905 et aujourd’hui

Le cours de l’Ourthe est redressé en supprimant le Fourchu Fossé qui devient le boulevard Emile de Laveleye. Le comblement d’un autre bras permet de créer les boulevards de Douai, de Froidmont et Poincaré. Le bief Marcotty, près du moulin et du pont levant du même nom, disparaît aussi en grande partie. Il n’en reste que le début, près du pont sur le canal, actuellement sauvegardé.

L’exposition peut alors s’installer sur les terrains nouvellement conquis. Une partie de l’exposition se tient à Cointe, desservie par le tram dont le dépôt se situait avenue de l’Observatoire (actuel arrêt nommé “Ancien Dépôt”). Après l’exposition, les constructions sont rapidement démolies pour mettre en valeur les terrains. Une photo montre la construction de la première maison du boulevard Emile de  Laveleye. A l’arrière-plan, les rues de Verviers et avenue du Luxembourg. De cette époque date aussi l’école communale de Cointe (1911) qui ressemble au pavillon de la Ville de Liège. L’architecte Joseph Lousberg était le même et certains des matériaux auraient été réutilisés. De cette exposition, il nous reste le pont de Fragnée et le musée de la Boverie.”

Robert VIENNE


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Robert VIENNE a fait l’objet d’une conférence organisée en avril 2016 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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VIENNE : Canal de Meuse et Moselle, canal de l’Ourthe, un projet ambitieux (CHiCC, 2017)

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Canal de l’Ourthe à Angleur © Philippe Vienne

“De tous temps, les fleuves ont été les voies les plus utilisées pour le transport des marchandises. L’idée de les faire communiquer entre eux par des canaux s’est donc imposée très tôt. Sur une carte, on note que la distance entre la  Meuse et le Rhin n’est pas très grande. Déjà, les  Romains, sous l’empereur Claude, avaient commencé des travaux. Philippe II, au XVIIe siècle, fit creuser la “Fosse Eugénienne”, du nom de sa fille, qui passait par Venlo et RheinbergUn siècle plus tard, Frédéric le Grand, roi de Prusse, conçut un projet passant au nord du duché de Limbourg. Napoléon aussi s’intéressa à la question. 

Nous sommes à présent sous le régime hollandais qui réunit les Pays-Bas, la Belgique actuelle et le Luxembourg en un seul pays. Un nouveau projet est présenté en 1825 à l’initiative de la Société du Luxembourg, filiale de la Société Générale, fondée en 1822 sous l’impulsion de Guillaume Ier dont le Luxembourg est une propriété personnelle. L’idée est toute différente. Des gisements de minerai ont été découverts dans le Luxembourg.  Il serait intéressant de le transporter tant vers le bassin lorrain que vers le bassin liégeois.  En plus, les produits luxembourgeois, notamment pierre, cuirs et bois utilisés en grande quantité dans les mines liégeoises, pourraient être exportés vers Liège, un atout pour l’économie de cette région très pauvre.

Au lieu de creuser un canal de bout en bout, on utiliserait les rivières en les canalisant. Côté belge, l’Ourthe permet de se rapprocher de la frontière luxembourgeoise. Sur l’autre versant, on rejoindrait la Sûre par le ruisseau d’Hachiville à Hoffelt, la Wiltz, la Clerve et la Sûre de Göbelsmühle à Wasserbillig. Pour franchir la limite de partage des eaux entre les bassins de la Meuse et du Rhin, un tunnel devrait être creusé. Ces travaux commencèrent en 1827 sous la conduite de l’ingénieur belge Rémi De Puydt, en même temps que certains aménagements du cours de l’Ourthe.

La révolution va tout changer. Guillaume Ier n’a plus autorité sur ce qui se passe en Belgique et le Luxembourg doit faire face aussi à des mouvements insurrectionnels et à des visées d’annexion de la part de la Prusse. Son sort définitif ne sera réglé que par le Traité des XXIV articles en 1839. Les travaux sont interrompus en 1831 et abandonnés en 1839. 1130 mètres de tunnel sont déjà percés, soit la moitié.

Canal de l’Ourthe à Angleur et pont Marcotty © Philippe Vienne

En 1846, la Grande Compagnie du Luxembourg obtient la concession du chemin de fer de Namur à Arlon et de Marloie à Liège, mais elle doit aussi achever le canal jusqu’à La Roche. Cela ne fut fait finalement que jusqu’à Comblain-au-Pont, en 1857. La navigation sera arrêtée en 1917 en amont d’Esneux et continuera encore entre Tilff et Angleur durant la guerre 1940-1945.

Nous pouvons aujourd’hui suivre le RAVeL le long du canal de Liège à Comblain pour y découvrir des témoins de cette histoire : murs, écluses, maisons…”

Robert VIENNE


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Robert VIENNE a fait l’objet d’une conférence organisée en mai 2017 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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SPA : son nom est connu dans le monde entier

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Le casino de Spa et son parc © Dominique Duchesnes

“On connaît peu de villes dont le nom est entré dans le langage commun. Spa est du nombre. Commandez un spa au restaurant et l’on vous servira une eau minérale. Ébénistes et antiquaires évoquent le bois de Spa lorsqu’ils manipulent ces objets de collection souvent richement décorés. La tradition remonte au XVIIe siècle. Il faut aussi parler de la barre de Spa : un obstacle réservé aux as du jumping et qui rappelle que le premier hippodrome de Belgique vit le jour ici en 1822.

Mais le substantif “spa” est d’abord connu dans le monde entier parce qu’il résume la mode du thermalisme et de l’hydrothérapie dont il est devenu le synonyme. La petite ville située aux portes de l’Ardenne et des Fagnes est tout entière vouée à son eau de source et à ses bienfaits. Inaugurés en 2004, les nouveaux thermes ont donné un coup de jeune et de modernité à la pratique des cures rendue célèbre par le passage du tsar Pierre le Grand en 1717.

En pleine nature, Spa s’est organisée autour de son eau : sources, parcs et jardins, bâtiments de prestige ou villas cossues, mais aussi restaurants et cafés, casino pour les plaisirs de la vie. Une ambiance partagée avec d’autres grandes villes d’eau européennes comme Vichy en France, Montecatini en Italie ou Baden-Baden en Allemagne. Une dizaine de ces cités sont candidates ensemble à un classement par l’Unesco au titre du patrimoine culturel de l’Humanité. Une visite à Spa, c’est aussi donner un coup de pouce à cette initiative.

Manger

Envie d’un petit verre ou d’un bon repas à l’ombre des arbres géants de la forêt ardennaise ? Les solutions ne manquent évidemment pas à Spa ou dans les environs noyés de verdure. On vous propose par exemple de quitter Spa par la route de la Géronstère et de grimper jusqu’à la source du même nom, en pleine forêt. Les lieux sont spectaculairement aménagés et mettent en valeur la source. Dans les bâtiments voisins, la Source de la Géronstère est une adresse agréable et sans chichis qui plaît aux promeneurs de passage. En hiver, il fait doux s’y réchauffer autour d’un bon feu. En été, la terrasse s’ouvre sur la forêt et ses chemins pour une balade apéritive ou digestive. Les grillades au feu de bois sont les spécialités de la maison qui accueille les grands groupes et qui offre aussi quatre chambres pour un séjour prolongé en pleine nature.

Visiter

Immanquable en plein cœur de la ville, le Pouhon Pierre le Grand a fait l’objet d’une rénovation récente. Il abrite aujourd’hui l’office du tourisme et des salles d’exposition. Impressionnant, le bâtiment a été construit en 1880 et témoigne des fastes liés aux heures de gloire du thermalisme.

Le terme “pouhon” désigne une source d’eau ferrugineuse et naturellement gazeuse. De quoi inciter à une petite expérience amusante : une dégustation d’eau de source dans ce cadre prestigieux. Ici, la source produit chaque jour 21.000 litres du fameux breuvage. L’eau est brute, le goût de fer reste longtemps dans la bouche. A tester une fois dans sa vie.

Autre curiosité du pouhon spadois : une toile géante de neuf mètres de long signée en 1894 du peintre Antoine Fontaine. On peut s’amuser à identifier sur ce livre d’or peint les 92 personnalités qui y sont représentées et qui ont séjourné à Spa : écrivains, artistes ou célébrités politiques.

Se balader

À la sortie de la ville en direction de Tiège et Sart, le lac artificiel de Warfaaz est un lieu agréable qui incite à la promenade : à la belle saison, les gens du cru, les curistes et les touristes de passage prennent plaisir à en faire le tour sur un chemin bien aménagé et sans difficultés. En pleine nature, l’endroit est aussi très apprécié des pêcheurs du dimanche et même des amateurs de pédalo qui viennent gentiment perturber la vie tranquille des canards.

Le lac fut créé en 1890, quelques années après d’importantes inondations provoquées par les eaux du Wayai, le petit cours d’eau qui l’alimente toujours aujourd’hui avant de traverser Spa en aval. L’aménagement de cette retenue d’eau s’est vite transformé en histoire à succès comme en témoignent les restaurants et les terrasses qui accueillent aujourd’hui les amateurs de grand air. La balade autour du lac de Warfaaz est aussi un avant-goût d’autres promenades à découvrir dans les bois environnants…”

Source : LESOIR.BE (article du 7 août 2019) – en collaboration avec WALLONIEBELGIQUETOURISME.BE qui propose un guide à télécharger gratuitement… et d’autres ressources pour découvrir Spa…


Voir le monde…

Terril Piron (Liège, BE)

Temps de lecture : 2 minutes >
© Philippe Vienne

Le terril Piron (ou “du Piron”) est situé entre Liège et Saint-Nicolas, juste à l’ouest de la colline de Cointe (code plus de géolocalisation : JGFW+25 Saint-Nicolas). On y accède par la rue des Grands Champs ou la rue Bordelais. Il appartient à la société anonyme des Charbonnages de Gosson-Kessales. A partir des années 1880, il a reçu les déversements du charbonnage de La Haye qui se trouvait sur les hauteurs de Saint-Gilles et dont l’exploitation s’achèvera en 1930. Certains bâtiments du site Piron subsistent rue de la Justice à Saint-Nicolas et ont été réaffectés.

© Philippe Vienne

Le terril couvre une superficie d’environ 7 ha. Il se compose d’un plateau herbeux et de versants abrupts. L’altitude maximale est approximativement de 160 m, soit environ 100 m au dessus du niveau de la Meuse. Par rapport aux abords immédiats, le dénivelé moyen est de 67 m. La déclivité du site offre, vers le sud, une vue panoramique sur le paysage industriel le long de la Meuse et les versants opposés dans la commune de Seraing. A proximité du stade du Standard de Liège, à Sclessin, on aperçoit le terril Perron-Ouest, partiellement arasé.

© Philippe Vienne

Le plateau du terril Piron était jadis occupé par deux terrains de football, aujourd’hui disparus. Depuis 2016, ce site est occupé chaque année au mois de juillet par le Supervue Festival. Il s’agit d’un festival alternatif à dimension humaine, proposant des découvertes artistiques en tous genres. Par ailleurs, la scène finale de Eldorado de Bouli Lanners a été tournée au pied du terril.

Paon-du-jour © Philippe Vienne

Le terril Piron est également un des terrils les plus intéressants de la région liégeoise en raison de l’étendue des pelouses sèches et de la présence d’une faune et d’une flore remarquables, incluant diverses espèces rares. Le lieu est notamment recherché par une grande variété de papillons. Aujourd’hui, le site est malheureusement régulièrement menacé dans son intégrité par des projets immobiliers.

Philippe VIENNE

En savoir plus :


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction | commanditaire : wallonica.org | auteur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Philippe Vienne


Découvrir le monde…

WOHLLEBEN : La vie secrète des arbres (2017)

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ISBN 9782352045939

Si vous lisez ce livre, je crois que les forêts deviendront des endroits magiques pour vous aussi.

Tim Flannery, auteur de Sauver le climat

Un livre passionnant et fascinant… Wohlleben est un merveilleux conteur, à la fois scientifique et écologique.

David George Haskell, auteur d’Un an dans la vie d’une forêt

L’éditeur LES ARENES écrit : “Dans ce livre plein de grâce, acclamé dans le monde entier, le forestier Peter WOHLLEBEN nous apprend comment s’organise la société des arbres. Les forêts ressemblent à des communautés humaines. Les parents vivent avec leurs enfants, et les aident à grandir. Les arbres répondent avec ingéniosité aux dangers. Leur système radiculaire, semblable à un réseau internet végétal, leur permet de partager des nutriments avec les arbres malades mais aussi de communiquer entre eux. Et leurs racines peuvent perdurer plus de dix mille ans…

Prodigieux conteur, Wohlleben s’appuie sur les dernières connaissances scientifiques et multiplie les anecdotes fascinantes pour nous faire partager sa passion des arbres. Une fois que vous aurez découvert les secrets de ces géants terrestres, par bien des côtés plus résistants et plus inventifs que les humains, votre promenade dans les bois ne sera plus jamais la même.

Peter Wohlleben a passé plus de vingt ans comme forestier en Allemagne. Il dirige maintenant une forêt écologique. Son livre a été numéro un des ventes en Allemagne avec plus de 650 000 exemplaires vendus et est devenu un étonnant best-seller aux États-Unis. Il est traduit en 32 langues.”

WOHLLEBEN Peter, La vie secrète des arbres (Paris, Les Arènes, 2017 : traduit de l’allemand par Corinne Tresca).


D’autres évoquent les approximations, les interprétations et les erreurs, comme la très sérieuse Section 2, Forêts et filière bois, de l’Académie d’agriculture de France :

“Les mots ont été pesés un à un avant la publication, le 11 septembre dernier, d’une note de lecture par la très sérieuse section 2 « Forêts et filière bois » de l’Académie d’agriculture de France, qui regroupe d’éminents spécialistes du monde de la forêt et du bois.

En substance, l’Académie reconnaît que Peter Wohlleben a fait preuve dans son ouvrage de « beaucoup de passion et d’un sens développé de la pédagogie» et que son livre soulève «de multiples questions pertinentes sur la vie des arbres au sein des forêts».

Mais la critique pointe juste après : « Nombre de réponses qu’il apporte prêtent malheureusement le flanc à la critique: sources absentes ou non vérifiables, extrapolations non justifiées, interprétations abusives et même erreurs manifestes. » En conséquence, l’Académie d’agriculture estime que le livre de Peter Wohlleben, qui a « toute sa valeur comme expression de la subjectivité militante d’une personne, ne peut être considéré comme un ouvrage de vulgarisation scientifique… »

En lire plus sur FRANSYLVA-PACA.FR (l’article est tiré d’une publication de Forêts de France, n°609 de décembre 2017)


Plus de lecture…

Que sont les pluies acides devenues…

Temps de lecture : 5 minutes >
(c) futura-sciences

“Au début des années quatre-vingt, les Allemands constatent que leurs forêts sont malades. Hâtivement, les scientifiques déclarent qu’elles sont victimes des pluies acides causées par le transport à longue distance des polluants et la presse reprend largement cette thèse. Vingt ans plus tard, les études montrent que l’effet sur les forêts de la pollution acide à longue distance n’a pas été vérifié. Cependant, l’acidification des sols et l’impact de la pollution acide sur les écosystèmes naturels et agricoles et sur la santé humaine restent toujours d’actualité à l’échelle mondiale.

Au début des années quatre-vingt, l’Allemagne est prise d’une véritable psychose. Elle découvre que ses forêts sont ravagées par les pluies acides et que ses arbres dépérissent par milliers. En 1983, le tiers de la forêt allemande semble touché. Dans toute l’Europe et en Amérique du Nord, des programmes d’étude sont lancés, des réseaux de suivi mis en place. Ce branle-bas dure quelques années. Puis, petit à petit, la menace paraît s’estomper…

Il faut dire qu’entre-temps la dégradation de la couche d’ozone polaire et la pollution par l’ozone troposphérique ont fait leur apparition et mobilisé l’attention des médias. Puis l’effet de serre et changement climatique sont arrivés… D’autres préoccupations ont pris le relais ! Est-ce à dire que le problème des pluies acides est définitivement réglé ?

Le terme « pluies acides » avait été forgé en 1872 par un chimiste anglais pour décrire un phénomène nouveau lié à l’industrialisation intensive de l’Angleterre. Il s’agissait essentiellement d’une pollution observée sous le vent des usines métallurgiques et des centrales thermiques. C’est bien plus tard, dans les années 1950-1960, alors que les Scandinaves voient leurs lacs s’acidifier, que le grand public s’approprie le concept. Plus de la moitié du stock de poissons habitant les lacs scandinaves et certaines espèces disparaissent en une ou deux décennies. L’aluminium est pointé du doigt car ce métal toxique, plus soluble aux faibles pH, a vu sa concentration fortement augmenter dans les lacs au fur et à mesure de l’acidification des eaux. À l’inverse, les algues se sont mises à proliférer.

Sous la pression des Scandinaves, l’OCDE se mobilise alors et, en 1979, fait adopter la convention de Genève sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance. Cependant, les recommandations de cette convention restèrent plus ou moins lettre morte jusqu’à ce que la République fédérale d’Allemagne reprenne brusquement le flambeau au début des années quatre-vingt, comme expliqué précédemment.

Victimes d’une pollution longue distance

Menées dans les années 1970-1980 dans les principaux pays industrialisés, les études atmosphériques mettent en évidence une forme de télé-pollution, différente de la pollution de proximité connue jusqu’alors. Cette pollution diffuse et chronique provient de la transformation, pendant leur transport dans l’atmosphère, des polluants primaires émis par les installations de combustion et par les véhicules automobiles. Dans le cas de la forêt allemande, les scientifiques affirmèrent un peu vite que si les arbres étaient malades, c’est qu’ils étaient victimes de cette pollution acide à longue distance dont l’effet était, à première vue, comparable à la pollution de proximité décimant alors les forêts de l’Europe centrale (Allemagne de l’est et Tchécoslovaquie en particulier) sous l’effet de l’utilisation débridée de lignites très riches en soufre.

Les symptômes du dépérissement variaient suivant les espèces : le feuillage du hêtre par exemple, devenait clairsemé et jaunissait tandis que les conifères (sapin, épicéa, pin sylvestre) perdaient leurs aiguilles. De fait, sauf pour les zones directement touchées par les émissions d’un centre industriel voisin, comme ce fut le cas en Europe de l’est, ce dépérissement n’était évident que pour les spécialistes.

Les notions de pollution locale, de pollution longue distance, associées à la vision d’arbres souffreteux constituèrent un cocktail médiatique explosif largement exploité par l’opinion publique d’outre-Rhin.

La France réagit de façon plus mesurée : on mit sur pied des suivis de l’acidité des pluies. Dans les Vosges notamment, un réseau d’étude du Dépérissement des forêts attribué à la pollution atmosphérique (DEFORPA) fut créé et il est encore bien utile de nos jours pour suivre l’évolution du phénomène. La forêt européenne a crû plus vite ces années-là.

Dans les années qui suivirent, les premières conclusions des études scientifiques furent loin d’être convaincantes. Ainsi, le symposium européen de 1987 à Grenoble, mit en évidence le manque de preuve quant à la culpabilité des pluies acides vis-à-vis des observations des forestiers. En fait l’opinion publique européenne, surtout allemande, s’était emballée, et les politiques lui avaient emboîté le pas, prenant des mesures avant que les scientifiques aient formellement identifié le phénomène. Cependant, même si a posteriori ces mesures ne semblent pas avoir été entièrement justifiées, elles furent salutaires pour la santé publique et la réduction de la pollution atmosphérique par les composés soufrés.

Depuis le début des années 1990, les émissions de composés soufrés ont considérablement décru en Europe et en Amérique du nord, grâce aux efforts de désulfuration des carburants fossiles (pétrole), à la moindre utilisation du charbon et enfin à l’effondrement de l’activité industrielle en Europe de l’est et en Russie. En revanche, on sait maintenant qu’en dépit des apparences, les forêts d’Europe ont crû plus rapidement que jamais pendant les années de précipitations acides, probablement en raison des apports additionnels de composés azotés et de l’augmentation du gaz carbonique (CO2) atmosphérique.

Quel bilan tirer de cette crise ?

Il semble que le déclin récent des forêts puisse être attribué à un manque de magnésium et de potassium. Paradoxalement le meilleur entretien des forêts avec élimination des débris organiques conduit à l’épuisement des sols. Aux USA, les atteintes concernant les épicéas furent finalement imputées au climat, à des épisodes rapprochés de gel par exemple. Les symptômes disparurent au milieu des années 1990, peut-être à cause de changements météorologiques. L’acidification des sols a bien été notée par-ci par-là, et dans quelques cas seulement, elle fut attribuée aux précipitations.

Où en sont les émissions de polluants acides ?

Les études lancées dans les années 1980 ont permis de constituer des banques de données permettant le suivi des bilans d’émission. Or, à partir de 1990 on constate que si les émissions polluantes de l’industrie ont considérablement baissé, les bateaux croisant au voisinage de l’Europe ont continué à polluer, émettant quelque 2,8 millions de tonnes de dioxyde de soufre (SO2) et 4 millions de tonnes d’oxydes d’azote (NOx). Sur la base d’une augmentation de 2 % par an et si aucune mesure restrictive n’est prise, ces pollutions devraient dépasser celles produites par l’industrie, à  l’horizon 2010. Par ailleurs, de nouvelles régions du globe sont susceptibles d’être gravement touchées par les précipitations acides. Ainsi, suite à la rapide industrialisation de l’Asie, la pollution atmosphérique augmente dans le nord-est de l’Asie. Comme en Europe dans les années soixante, les émissions résidentielles et industrielles de dioxyde de soufre et d’oxydes d’azote affectent majoritairement la précipitation locale urbaine, alors que les centrales thermiques assurent l’essentiel de la pollution longue distance. Les impacts sont déjà sensibles sur les écosystèmes naturels et agricoles et sur la santé humaine dans les grands centres industriels et les villes. Et la tendance à l’acidification ne fait que commencer.

À l’horizon 2020, il faut s’attendre à ce que la capacité du sol à absorber ces dépôts acides soit totalement dépassée en Chine, dans la Péninsule coréenne et au Japon. Les études actuelles montrent clairement que les régions sources sont situées en Chine et que les Corée et le Japon sont des pays essentiellement récepteurs. La Chine doit, certes, pouvoir se développer, mais la très faible efficacité énergétique chinoise -vingt fois plus faible que celle du Japon- constitue un facteur aggravant. Inversement ce chiffre peut permettre d’espérer une réduction drastique de la pollution, dès lors que les autorités chinoises auront pris conscience du problème.

Retenons que les précipitations en Europe et en Amérique du nord se sont bien acidifiées dans les années 1970-1980, avec des effets avérés sur la santé, les bâtiments, les sols, les eaux de surface, mais que les effets sur les forêts sont beaucoup plus incertains et discutables. La catastrophe montée en épingle (de bonne foi, tout au moins au début), à propos des forêts germaniques a eu des répercussions considérables sur l’industrie automobile, puisqu’elle fut indirectement à l’origine de l’essence sans plomb… Gardons en mémoire que la question des pluies acides persiste, notamment en Asie, mais que le désastre annoncé de la mort de nos forêts est heureusement resté dans le domaine du fantasme.”

Lire notre source, l’article de Robert J. DELMAS sur ESPACES-NATURELS.INFO (article de juillet 2004)


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L’interstitium, le potentiel 80e organe du corps humain… et le plus grand

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“Appelé interstitium, le plus grand de nos organes serait une couche de tissu remplie de fluide circulant dans l’ensemble du corps, restée invisible jusqu’à aujourd’hui en raison des techniques de microscopie utilisées. Une découverte qui pourrait expliquer la propagation de certains cancers.

Imaginez une couche de tissus aux interstices remplis de fluide et qui courrait dans l’ensemble de notre corps : c’est ce que des chercheurs ont réellement observé, considérant qu’elle pourrait bien constituer le 80e organe connu du corps humain, d’après des travaux publiés le 27 mars 2018 dans la revue Scientific Reports. Ce nouvel organe, qui devra d’abord être validé comme tel par la communauté scientifique, pourrait apporter un éclairage nouveau sur “la fonction de tous les organes, de la plupart des tissus et des mécanismes de la plupart des maladies majeures”, d’après un communiqué de la NYU School of Medicine, une des universités ayant co-dirigé les travaux.

Cette nouvelle étude révèle que la couche de tissus que l’on croyait compacte -et qui sont retrouvés sous la surface de la peau et le long du système digestif, des poumons et des voies urinaires, autour des artères et des veines, et entre les muscles- sont en réalité des compartiments interconnectés, remplis de fluide, soutenus par un réseau de protéines fortes (collagène) et flexibles (élastine). Un organe appelé “interstitium” par les scientifiques.

Un organe qui demeurait invisible avec les techniques de microscopie classiques

Comme souvent, la découverte a été faite par hasard : à l’automne 2015 au Mount Sinai Beth Israel, David Carr-Locke et Petros Benias, co-auteurs de l’article, sondaient la voie biliaire d’un patient pour évaluer la propagation d’un cancer avec une technique récente, nommée endomicroscopie confocale, qui permet d’observer les tissus vivants grâce à une sonde laser. Ils ont alors observé une série de cavités interconnectées qui ne correspondaient à aucune anatomie connue. Devant ce mystère, les endoscopistes ont envoyé les images à un pathologiste partenaire, le Dr Neil D. Theise, professeur au Département de pathologie à NYU Langone Health. Lorsque ce dernier tente de fixer les mêmes tissus sur des lames pour les observer au microscope, l’étrange structure disparaît…”

Lire la suite de l’article de Camille GAUBERT sur SCIENCEETAVENIR.FR (28 mars 2018)


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Comment se forment les crottes de nez ?

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Ralph Wiggum dans “The Simpsons” (c) Matt Groening

“Tout le monde a des crottes de nez. Mais pourquoi sont-elles là ? À quoi servent-elles ? Découvrez comment se forment les crottes de nez.

Les crottes de nez sont des sécrétions fabriquées par la muqueuse nasale, explique Jean-Marc Juvanon, membre de la Société française d’oto-rhino-laryngologie. Il s’agit en fait de mucus plus ou moins riche en eau, qui finit par se dessécher et se durcit pour donner l’aspect de crottes“.

À quoi sert le mucus ?

Le mucus produit par les muqueuses nasales est un fluide clair et visqueux. Mais à quoi sert-il ? « Cette sécrétion naturelle est destinée à évacuer par le système mucociliaire tout ce qui entre dans les fosses nasales. C’est une sorte de “tapis roulant”, dont les cellules dotées de cils vibratiles entraînent le mucus vers le fond de la gorge. » Quant à la muqueuse nasale, elle agit comme un véritable climatiseur. Elle réchauffe et humidifie l’air inspiré, tout en le filtrant…”

Lire la suite de l’article de FUTURA-SCIENCES.COM


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KRAUSE : Chansons animales & cacophonie humaine

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ISBN 978-2-330-06326-9

Pour la plupart d’entre nous, le monde acoustique a toujours été insaisissable -une entité sans forme et sans contour, invisible et intangible- et l’ouïe, le “sens fantôme”. En dehors des écrits sur la musique, il existe peu de mots pour expliquer la large palette d’attributs exprimés par le son, notamment dans ce domaine émergent qu’est la bioacoustique (soit l’étude des sons produits par des animaux). Et pourtant, le son s’insinue de diverses manières dans presque tous les aspects de notre vie : de connexion primale au monde naturel, il a évolué pour devenir expression musicale et langage, préservation des sons sur des supports d’enregistrement, et vacarme informe que nous, êtres humains, produisons par nos rituels quotidiens. Fait étonnant, ce n’est que récemment que nous avons pris conscience de ces liens spéciaux : nous commençons à comprendre que des caractéristiques du paysage sonore façonnent des disciplines aussi variées que la médecine, la religion, la politique, la musique, l’architecture, la danse, l’histoire naturelle, la littérature, la poésie, la biologie, l’anthropologie et les études en environnement. C’est sur l’analyse de ces connexions que repose un tout nouveau domaine de recherche : l’écologie des paysages sonores.

Les sources sonores superposées entendues par les premiers hommes, dans l’Afrique subsaharienne, étaient composées de signaux complexes. Certains revêtaient un aspect spirituel. D’autres fournissaient des informations sur les lieux, les émotions, l’état d’avancement de la chasse, la guérison. Beaucoup poussaient les hommes à chanter et à danser. Ces signaux étaient une évidence pour les premières sociétés mais, lorsque nos vies sont devenues plus urbaines, les liens qui nous unissaient à ces guides du monde naturel ont commencé à perdre leur sens, jusqu’à être purement et simplement ignorés. Depuis le début de ce rejet progressif, plusieurs milliers d’années se sont écoulés avant que l’importance de ces sons dans la culture occidentale revienne de nouveau sur le devant de la scène. A la fin des années 1970, le compositeur et naturaliste canadien R. Murray Schafer a inventé le mot soundscape, “paysage sonore”, pour désigner les multiples sources sonores qui parviennent à nos oreilles. En y accolant le terme “écologie”, j’ai pour projet de décrire les nouveaux outils qui sont à notre disposition pour évaluer les paysages vivants et les environnements marins du monde, en grande partie grâce à leur voix collectives.

Ce livre tente de répondre à cinq questions fondamentales, liées par un fil temporel, qui examinent les connexions unissant les êtres humains à leur environnement acoustique, de la fin du Pléistocène à nos jours, avant de lancer quelques pistes sur l’évolution future de ces liens.

  1. Comment l’expression “paysage sonore” a-t-elle évolué ?
  2. Comment les paysages sonores ont-ils façonné notre culture ?
  3. De quelles manières la technologie a-t-elle influencé l’avenir de ce champ d’étude ?
  4. En quoi différents points de vue (humains ou autres) révèlent-ils de nouvelles tendances dans cette discipline ?
  5. Quelles sont les applications futures possibles ou probables du paysage sonore dans les disciplines influencées par ce domaine ?

Depuis le moment où nous, les hommes, avons occupé les forêts et les plaines africaines jusqu’à notre exploration des régions les plus reculées de la planète, les sons qui nous entourent ont stimulé et peuplé notre imaginaire. Et parce que les universitaires tout comme les simples amateurs disposent aujourd’hui des moyens technologiques leur permettant de capter et de stocker du son, nous pouvons nous engager sur le chemin de la compréhension des paysages sonores. Ce sont des hypothèses pour les années à venir que je propose ici…

KRAUSE Bernie, Chansons animales et cacophonie humaine, Manifeste pour la sauvegarde des paysages sonores naturels (Arles, Actes Sud Nature, 2016)

“Depuis 1968, Bernie Krause parcourt le monde afin d’enregistrer les sons venant des paysages les plus reculés, des habitats naturels en voie de disparition et des espèces animales les plus rares. Par le biais de son association Wild Sanctuary, il a collecté les paysages sonores de plus de deux mille écosystèmes différents, aussi bien marins que terrestres.
Au travers d’exemples forts et d’histoires percutantes, Krause a construit un manifeste visant à la reconnaissance et à la protection de ces espaces sonores.
Dans son précédent ouvrage, Le Grand Orchestre animal, Krause avait attiré l’attention du lecteur sur ce que Jane Goodall décrit comme les harmonies existantes dans la nature et qui ont été détruites une à une par l’action des hommes. Dans ce nouveau livre, il défend l’idée que les secrets du monde naturel, compris dans un environnement acoustique de plus en plus restreint, doivent être préservés, non seulement dans un intérêt purement scientifique, mais également dans le but de conserver notre héritage culturel et le bien-être physique et spirituel de l’humanité…” (Actes Sud)

Lire d’autres livres…

Encyclopédie de l’environnement

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“L’environnement est un sujet immense qui recouvre :

  • les milieux terrestres où la vie se développe, l’air, l’eau et le sol,
  • les conditions offertes à la vie et notamment le climat, objet de profondes préoccupations à l’échelle du 21ème siècle,
  • les liens profonds entre la nature et le vivant, l’origine et l’érosion de la biodiversité, les écosystèmes et leur évolution,
  • mais aussi les interactions entre l’homme, la nature et tous les êtres vivants.

Ce site en libre accès, conçu et préparé par des scientifiques, parrainé par l’Université Grenoble Alpes (UGA) et la Communauté d’Universités et Établissements Grenoble Alpes (ComUE), s’adresse à tout lecteur curieux de son environnement.

Dans des articles abondamment illustrés et signés par leurs auteurs, il décrit les phénomènes et propose un premier niveau d’explication accessible à toute personne disposant d’une culture voisine de celle du baccalauréat.

Tous ces textes ont fait l’objet d’une expertise par un comité éditorial, qui veille à ce qu’ils visent une réelle objectivité. Leurs affirmations s’appuient sur des preuves avérées, avec références aux sources originales, et les éventuelles incertitudes sont indiquées.

Cet ensemble est organisé en huit rubriques, pilotées chacune par des experts du sujet, divisées elles-mêmes en modules thématiques qui comprennent un ou plusieurs articles.

Malgré leur grand nombre, grâce à un format unifié et à des très nombreux liens, ces articles forment un ensemble cohérent, dont l’ergonomie permet d’accéder rapidement à tout sujet identifiable par un mot-clé…”

Pour en savoir plus, visitez le site ENCYCLOPEDIE-ENVIRONNEMENT.ORG

Plus d’initiatives…

Ces femmes autistes qui s’ignorent

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Planche extraite de « La différence invisible » par Mademoiselle Caroline et Julie Dachez. “Ou comment Marguerite, une jeune femme que rien ne distingue des autres en apparence, va se découvrir autiste Asperger.” (Delcourt/Mirages)

Adeline Lacroix, titulaire d’un master 1 de psychologie et elle-même diagnostiquée en 2014 autiste Asperger, travaille sur une revue de la littérature scientifique concernant les spécificités des femmes autistes de haut niveau. Dans le cadre d’une reconversion professionnelle, elle s’oriente vers la neuropsychologie et les neurosciences. Associée aux travaux de Fabienne Cazalis, elle a participé à l’écriture de cet article.

Nous l’appellerons Sophie. Le portrait que nous allons dresser de cette jeune personne pourrait être celui de n’importe laquelle des femmes qui entrent, sans le savoir, dans le spectre autistique. Parce qu’elles sont intelligentes, parce qu’elles sont habituées à compenser des difficultés de communication dont elles n’ont pas forcément conscience, ces femmes passent à travers les mailles du filet encore trop lâche du dispositif national de diagnostic.

A l’occasion du lancement, le 6 juillet, de la concertation autour du 4ᵉ plan autisme, la question du sous-diagnostic chez les femmes mérite d’être posée : combien sont-elles à ignorer ainsi leur différence neurodéveloppementale ? Les études font état d’1 femme pour 9 hommes avec le diagnostic d’autisme dit « de haut niveau », c’est à dire sans déficience intellectuelle. Si l’on compare au ratio d’1 femme pour 4 hommes observé dans l’autisme dit « de bas niveau », où elles sont mieux repérées, on peut penser que beaucoup manquent à l’appel.

Sophie, donc, passe aujourd’hui un entretien d’embauche. À la voir tortiller nerveusement une mèche de ses cheveux, on pourrait la croire anxieuse, comme tout un chacun en pareilles circonstances. On aurait tort. Sophie est en réalité au bord de la crise de panique. À 27 ans, elle vient de perdre son job de vendeuse – le huitième en trois ans – car elle cumulait les erreurs de caisse. Elle qui a tant aimé ses études en mathématiques, à la fac, en ressent une honte indescriptible. Elle espère que le recruteur ne lui posera pas trop de questions à ce sujet car elle ne trouve aucune justification à ses échecs professionnels et se sait incapable d’en inventer une…”

Lire la suite de l’article de Fabienne CAZALIS sur THECONVERSATION.COM (6 juillet 2017)…

Plus de presse…

clitoris

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Le seul organe du corps humain qui sert uniquement au plaisir ? Un court métrage de Lori Malépart-Traversy (2016) a déjà remporté de nombreux prix en festivals…

Plus de vie…

Prison Saint-Léonard (Liège, BE)

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La prison était surnommée “les cent mille briques”…

[…] A Liège, dans le quartier Nord, la prison Saint-Léonard est construite au niveau de l’ancienne porte du même nom en 1850. Du point de vue des transports, la construction du Pont Saint-Léonard sur la Meuse, crée un accès supplémentaire au quartier, et la gare Vivegnis est ouverte en 1864. Quant à la rue Saint-Léonard, elle garde un rôle primordial, étant l’axe principal de croissance urbaine. Tous les équipements importants se concentrent le long de cet axe […]

En savoir plus sur SAINT-LEONARD.BE…

[…] L’entrée, rue du Nord, de la prison néogothique Saint-Léonard, conçue par l’architecte bruxellois Joseph-Jonas Dumont. Cet établissement pénitentiaire a été inauguré en 1851 pour les hommes et en 1854 en ce qui concerne l’aile réservée aux femmes […]

En savoir plus sur HISTOIRESDELIEGE.SKYNETBLOGS.BE…

Sur l’illustration ci-dessus (perspective de la place Maghin vers la prison), les bâtiments industriels sont ceux de la Société de Saint-Léonard, établie à l’emplacement d’un ancien couvent de Carmélites. Cette usine fabriquait de l’acier et des machines, dont des locomotives […]

Plan de 1947, sans pont sur la Meuse à la hauteur de la rampe de la place des Déportés.
Vue aérienne de la prison dans les années 1970
La démolition de la prison (1982-1983)

Laissé longtemps en friche, le site de l’ancienne prison a fait l’objet en 1994 d’un concours de réhabilitation organisé par la Ville de Liège. Rénové jusqu’en 2001 par les soins d’architectes et de paysagistes liégeois, il est aujourd’hui un espace public comportant un terrain de sport, une zone verte et une vaste esplanade permettant d’accueillir divers événements à longueur d’année […]

L’esplanade Saint-Léonard, au pied des coteaux de la citadelle de Liège
(c) Alain Janssen

Plus d’architecture…

Bernache du Canada (Branta canadensis)

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[…] La Bernache du Canada, cette grande oie typée d’environ 1 mètre, herbivore, au bec et aux pattes noires, au corps gris-brun et à la gorge et aux joues blanches, est une espèce d’oiseau d’eau introduite en Angleterre dès le XVIIe siècle comme oiseau d’agrément. C’est ensuite à des fins cynégétiques que s’est poursuivie son introduction à travers toute la Grande-Bretagne, puis dans de nombreux pays d’Europe tout au long du XXe siècle.

[…] Sa présence a de nombreuses conséquences néfastes pour l’homme : pollution des eaux de baignade, réduction des productions fourragères, dégradation des prairies ou des espaces verts, transmission potentielle de maladies à l’homme, sécurité aérienne ou encore impact sur la flore et les autres espèces d’oiseaux (compétition avec les espèces autochtones, hybridations).

Dans les associations internationales comme l’EAWA (Accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie), elle figure en deuxième position dans la liste des espèces ayant le plus d’impacts sur le fonctionnement des écosystèmes en Europe, et pour le programme DAISIE (Delivering Alien Invasive Species Inventories for Europe) elle appartient à l’une des cent espèces (dans l’ensemble des espèces animales, végétales ou fongiques) réputées les plus préoccupantes d’un point de vue environnemental, sanitaire, social et économique en Europe…”

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Plus de vie…

Quand les femmes font de leur sexe un sujet de fierté

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COURBET G., L’origine du monde (1866) | Musée d’Orsay (Paris, FR)

La génération Y veut faire du vagin un organe sans tabou. Le sexe féminin est ainsi devenu l’étendard de la nouvelle lutte féministe. Avec humour.

«Nous devons toutes apprendre à connaître notre vagin», clame une féministe d’obédience New Age à un parterre de mères au foyer dans L’Ordre divin, le film multi-primé de Petra Volpe qui retrace les débuts de l’émancipation féminine et la lutte pour le droit de vote dans l’Appenzell des années 70. Chuchotements outrés dans l’assistance. Une participante parle de «blasphème». Peu d’entre elles ont osé aller voir «là-bas», comprenez sous leurs jupes…

Bond spatio-temporel avec la série Girls, de la réalisatrice, actrice et féministe Lena Dunham, soit l’épopée humoristico-existentielle de quatre vingtenaires d’aujourd’hui, à Brooklyn. Dans un épisode de la saison 6, diffusé en avril, la comédienne fait prendre un bain de soleil à son vagin: un «secret de beauté» pour «rayonner de l’intérieur», dixit l’héroïne. Sans hésiter, elle se filme sur un balcon, en plan large, pubis sous l’astre au zénith. Sa pilosité vaut même une réplique de son personnage, un peu plus tard, à un amant qui s’étonne de son triangle fourni: «Pour information, c’est ce à quoi ressemblent les femmes adultes quand elles utilisent leurs poils pubiens de la manière dont le Seigneur l’a voulu. C’est-à-dire pour protéger leur vagin. Merci d’avoir évoqué le sujet.»…

Lire la suite de l’article de Julie RAMBAL sur LETEMPS.CH (19 JUIN 2017)…

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