Terme français (presse) : marronnier

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[DICO-PRESSE.COM] Dans l’argot journalistique, le marronnier est un article ou un reportage qui revient de façon cyclique. Les sujets traités dans les marronniers sont la plupart du temps d’actualité froide et dont l’intérêt d’un point de vue informatif est limité. Quelques exemples de marronniers fréquents : les prix de l’immobilier, la rentrée des classes, le salaire des cadres, les francs-maçons, etc. Il existe toutefois quelques marronniers au contenu informatif avéré et susceptibles de permettre une analyse inédite d’un fait. On donnera comme exemple : les changements de certains prix au 1er janvier, la modification d’un taux d’usure.

[LES CAHIERS SCIENCE & VIE n°207, 2022] […] Au XIXe siècle, tous les 20 mars, les  premiers bourgeons d’un marronnier du jardin des Tuileries faisaient chaque année les gros titres des journaux… pour annoncer le printemps sans grand risque de se tromper.

Au pied de cet arbre, l’anecdote croise la grande histoire. Deux gardes suisses, tués lors de la prise des Tuileries en 1792, furent inhumés à ses pieds et l’arbre devint alors un lieu de recueillement secret de royalistes en mal d’Ancien Régime.

À la naissance du descendant de Napoléon 1er, un 20 mars 1811, les canons tonnent la bonne nouvelle tandis que le marronnier des Suisses éclate de bourgeons. Il prend alors le nom de marronnier du Roi de Rome qui sera à nouveau sous la Restauration et la monarchie de Juillet, lieu de recueillement, mais pour les grognards cette fois.

Une star donc, dont la floraison fera désormais l’objet de papiers récurrents et donnera aux journalistes en mal d’inspiration un sujet tout trouvé, réutilisable à date fixe. Le marronnier de presse était né. […]

Philippe Bourbeillon

Dessin de Marcel Capy © BnF

C’est le printemps ! parole de marronnier des Tuileries

[LEFIGARO.FR, 18 mars 2016] “Le marronnier du 20 mars fut longtemps la providence des journalistes en mal d’informations ; il annonçait le printemps comme le zouave du pont de l’Alma annonce la crue” dixit Le Figaro du 20 mars 1928. L’origine du terme marronnier dans le journalisme provient donc de cet arbre fameux par sa précocité et dont toute la presse parisienne se fait l’écho. C’est une des légendes parisiennes populaires du XIXème siècle. Feuilletons Le Figaro et retraçons les différentes explications qui ont rendu cet arbre célèbre.

La première hypothèse de cette précocité remonterait à la période révolutionnaire :

On l’a remarqué souvent : la végétation est plus drue et plus belle aux lieux qu’ont marquées de grandes hécatombes ; et la légende n’attribue-t-elle pas la précocité du marronnier du 20 mars à l’enfouissement autour de ses racines des heureux Suisses du 10 août ?

Le Figaro du 14 juillet 1885

Il s’agit d’un épisode de la terreur en août 1792. Les Tuileries sont attaquées par les révolutionnaires. Les 950 gardes suisses fidèles au roi sont massacrés et enterrés sous les branches d’un marronnier. Les années suivantes, l’arbre fleurit prématurément. Bien qu’un arbre n’ait pas d’opinion politique, il passe alors pour royaliste.

Mais les partisans de Napoléon contestent cette légende :

Le marronnier dont nous parlons a conquis son renom de précocité parce qu’il aurait fleuri le jour de la naissance du roi de Rome, qui vint au monde le 20 mars.

Le Figaro du 26 mars 1908

Il s’agit de Napoléon II, fils unique de Napoléon et de Marie-Louise, né le 20 mars 1811, qui reçoit le titre d’empereur et roi de Rome ; il meurt prématurément à l’âge de 21 ans en 1832. Après la révolution de 1830, un culte autour de Napoléon II s’installe et s’amplifie. Et voilà que notre arbre passe pour Bonapartiste ! Les Napoléoniens s’approprient aussi la légende au nom du retour de Napoléon de l’île d’Elbe en mars 1815. Ainsi un vieux gardien du jardin des Tuileries, dix-sept ans d’ancienneté, répond au journaliste du Figaro :

Monsieur, me dit-il, on s’imagine que le marronnier du 20 mars doit sa célébrité à la floraison prématurée qu’il étala aux yeux de la foule le jour du retour de l’île d’Elbe : c’est une grave erreur…

Le Figaro du 21 mars 1873

Le marronnier du 20 mars aurait été situé à l’angle de la grande allée, au dessus des statues d’Hippomène et d’Alcante au niveau de l’exèdre nord (bassin) © lefigaro.fr

D’autres cherchent des hypothèses plus scientifiques. Mais pourquoi donc ce marronnier a des bourgeons et des fleurs le 20 mars alors que la végétation est encore endormie :

Voilà la question que tout le monde se pose et nous croyons être agréable à nos lecteurs en leur donnant la clef de ce mystère. C’est tout simplement une question de drainage. Le marronnier du 20 mars se trouve placé près d’un carré à hémicycle, et dans l’allée circulaire de ce carré, au plus près de l’arbre, il existe un puisard en maçonnerie, contenant des tuyaux destinés sans doute à l’arrosement. Ces tuyaux sont probablement devenus inutiles, puisque la pierre qui recouvrait le puisard a été recouverte par le sable de l’allée mais il est hors de doute que l’air chaud et humide du puisard agit sur les racines de l’arbre, et se trouve être ainsi la cause de sa précocité.

Pour expliquer sa frondaison exceptionnelle et sa vigueur, un botaniste explique ce phénomène par la fusion de deux arbres :

Le marronnier du 20 mars est la résultante de deux souches plantées l’une près de l’autre, et qui se seraient soudées dans leur croissance pour ne faire qu’un seul et même sujet. Cette hypothèse est d’autant plus admissible que la fusion de deux végétaux voisins en un seul est fort commune : des jardiniers ont exploité ce phénomène pour obtenir des légumes monstrueux.

Le Figaro du 21 mars 1873

Alors qu’un pèlerinage s’organisait donc aux Tuileries pendant des années pour saluer les premiers bourgeons du marronnier officiel, petit à petit, il perd son record de précocité. À Paris, la plupart des marronniers bourgeonnent avant lui. Sur un ton humoristique Le Figaro en mars 1899 relate ce phénomène en parlant des marronniers rivaux qui compliquent la tâche de l’informateur :

Et s’il n’y avait que les personnes pour faire la critique, voila les végétaux qui s’en mêlent. Peu à peu, des marronniers jaloux se sont piqués d’honneur pour avoir des pousses deux ou trois jours avant l’époque indiquée. À l’heure actuelle, c’est une lutte implacable. Le Figaro annonce l’autre jour, que le marronnier du 20 mars est devancé depuis le 11 par le sixième arbre en face du Cirque d’été, en partant du rond-point. Aussitôt, le premier arbre de l’avenue Montaigne, en face du no 2, réclame. Il a des feuilles, lui, depuis le 3. À lui donc le prix de précocité !! Le Figaro enregistre sa réclamation, croyant en être quitte. Ah bien oui ! Voilà un autre marronnier, placé avenue Montaigne, près de la place de l’Alma, qui nous écrit une lettre furibonde. “Si vous aviez fait une enquête sérieuse, nous dit-il, vous auriez pu constater que, dès le 25 février, j’étais couvert d’une partie de mes feuilles. Chacun a son amour-propre. Je demande, et au besoin je requiers l’insertion de ma réponse, ainsi que le prescrit la loi”…

Le Figaro du 24 mars 1899

La santé du marronnier du 20 mars devient de plus en plus fragile. On apprend sa mort vers 1911. Son tronc robuste et ses plus solides branches sont conservés. L’arbre n’est pas abattu mais juste consolidé pour éviter les accidents. Il est entouré d’un grillage qui peu à peu est recouvert de lierres. C’est en novembre 1913 qu’il vit ses derniers instants. Le journaliste du Figaro au hasard d’une promenade assiste à sa chute :

C’était la dernière minute, véritablement la dernière. Alors, si mélancolique qu’il fût, le tableau se composa admirablement. Comme dans l’eau-forte de Legros, deux ou trois hommes raidirent le lien… et la masse ligneuse, en un clin d’œil, fut à terre, s’écrasant sur le sol avec un bruit de sourd mais puissant coup de canon. Les vieux bras vermoulus s’émiettèrent en fragments d’une surprenante blancheur. Une vingtaine de promeneurs et une cinquantaine d’enfants eurent ce spectacle. Il n’y eut pas de cris, mais quelques poitrines soupirèrent.

Une légende s’est éteinte : ce qui fait dire au chroniqueur Le Masque de Fer, en Une du Figaro du 21 novembre 1913 : “Je suis très triste qu’on ait abattu ce vieil arbre des Tuileries. C’était pour les Parisiens un véritable ami. Une vieille branche.

Marie-Aude Bonniel


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : dico-presse.com ; les cahiers de Science & Vie ;  lefigaro.fr ; | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © slate.fr ; © lefigaro.fr.


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