Dans son Histoire des Rosati du XXe siècle, Louis Caudron raconte que, un beau jour de juin 1778 (le 12 exactement), quelques jeunes hommes (l’histoire a retenu les noms de Le Gay, Charamond et Caigniez), tous passionnés de roses, de poésie, de chansons d’amour et de vin, s’étaient réunis comme d’habitude dans le jardin d’une villa de Saint-Laurent Blangy, petit village proche d’Arras en Artois, ceci pour le plaisir de lire leurs poèmes dédiés à la gloire de leur cher maître Anacréon.
Mais ce jour là, l’un d’eux, Louis Le Gay, sortit de ses poches une énorme quantité de roses, les éparpilla sur la table en s’écriant “Amis, qu’un si beau jour renaisse chaque année et qu’on l’appelle La Fête des Roses.” Et tous, un verre de vin à la main d’approuver, de chanter et de se couvrir de couronnes de roses.
Qui est Anacréon ?
Anacréon était un poète grec (~575-495 acn), un des plus grands représentants du lyrisme ionien (région de Corfou, Péloponnèse). Dans ses pièces légères et gracieuses, il chante l’amour joyeux et l’ivresse décente. Auteur de 60 Anacréontiea, dont un extrait de l’Ode V, est ici insérée dans la couronne :
Mêlons à Dionysos la rose d’Éros, et, la tête ceinte de belles feuilles de roses, buvons en riant doucement. La rose est l’honneur et le charme des fleurs ; la rose est le désir et le soin du printemps ; la rose est la volupté des Dieux ! L’enfant de Kythèrè [Cythère, patrie d’Aphrodite] se couronne de corolles de roses, quand il se mêle aux chœurs des Kharites [équivalent grec des Grâces romaines]. Couronne m’en donc, ô Dionysos, afin que, la chevelure ceinte de roses, je chante dans tes temples, et que je mène les danses, accompagné d’une belle jeune fille !
N’oublions pas que Sappho (VIIe-VIe acn) de l’île de Lesbos, célèbre poétesse contemporaine d’Anacréon, considérait que la rose devait être choisie comme la Reine des fleurs !
Si Zeus voulait donner une reine aux fleurs, la rose serait la reine de toutes les fleurs. Elle est l’ornement de la terre, la plus belle des plantes, l’œil des fleurs, l’émail des prairies, une beauté toujours suave et éclatante ; elle exhale l’amour, attire et fixe Vénus : toutes ses feuilles sont charmantes ; son bouton vermeil s’entr’ouvre avec une grâce infinie et sourit délicieusement aux zéphirs amoureux.
Quelles roses embellissaient les jardins, fin du XVIIIème siècle ?
Dans son Encyclopédie, Diderot (1712-1784) nous apprend qu’il y a quatre-vingt variétés de roses, dont trois quarts à fleurs doubles. Il ajoute qu’il y en a très peu de jaunes mais que le plus grand nombre est de couleur rouge. Dans son Traité des Arbres et Arbustes (1755), Duhamel Du Monceau en cite cinquante-cinq. Une de celles-ci, la 49 paraît intéressante : Rosa omnium calendarum, flore pleno, carnae. Mais tout cela reste vague.
Tournons-nous plutôt vers les peintres du XVIIIe siècle, car ils sont plus ‘explicites’ : G.D. Ehret (1710-1770), P.J. Buchoz (1731-1807) ou G. van Spaendonck (1746-1822). De ce dernier, né à Anvers mais ayant séjourné longtemps à Paris, comme professeur de Redouté notamment, j’ai retenu : Rose à cent feuilles (Rosa centifolia L.), R. provincialis pour le botaniste Philip Miller (1691-1771) qui en 1768 déjà avait identifié la R. muscosa, peinte par Redouté :
Retournons à Saint-Laurent Blangy. Ce lieu de rencontre était baptisé Le berceau des Roses, métaphore reprise à l’occasion de chaque intronisation, comme nous le verrons plus loin. Il existait à Arras une Académie des sciences depuis 41 ans, quand ces quelques jeunes poètes décidèrent de fonder une autre Société. Si le savoir scientifique est l’apanage des Académiciens, eux, les bons vivants porteraient plutôt le flambeau du “gai savoir“.
L’écho de la fête se répercuta dans la société des gens cultivés et l’on vit bientôt arriver des notables comme Maximilien de ROBESPIERRE et Lazare CARNOT. Carnot, capitaine du Génie en garnison à Arras, publiera plusieurs de ses chansons dans le recueil des Rosati. Son enthousiasme pour les Rosati l’amènera à donner, à son fils aîné, entre autres prénoms, celui de Saady, en référence au poète persan Saadi, auteur de l’Empire des Roses.
En 1787, à l’occasion d’une Fête de la Rose, Robespierre, jeune avocat à Arras, lut un poème dédié à la rose :
Je vois l’épine avec la rose
Dans les bouquets que vous m’offrez
Et lorsque vous me célébrez
Vos vers découragent ma prose
Tout ce qu’on m’a dit de charmant
Messieurs, a droit de me confondre
La rose est votre compliment
L’épine est la loi d’y répondre
Dans cette fête si jolie
Règne l’accord le plus parfait
On ne fait pas mieux un couplet
On n’a pas de fleur mieux choisie
Moi seul, j’accuse mes destins
De ne m’y voir pas à ma place
Car la rose est dans nos jardins
Ce que vos vers sont au Parnasse
À vos bontés, lorsque j’y pense
Ma foi, je n’y vois pas d’excès
Et le tableau de vos succès
Affaiblit ma reconnaissance
Pour de semblables jardiniers
Le sacrifice est peu de chose
Quand on est si riche en lauriers
On peut bien donner une rose
Des polémiques s’élevèrent à propos du réel auteur de ce poème. Des doutes subsistent toujours aujourd’hui, Monsieur Van Fleteren, Chancelier actuel de la Société, a sa petite idée, et une certitude : ce n’est pas l’œuvre de M. Robespierre…
C’est en 1787 que le nom officiel fut choisi : Société Anacréontique des Rosati, dont la devise fut donnée par Lazare Carnot : “ON NE MEURT PAS QUAND ON EST ROSATI.”
Rosati est une anagramme d’A.R.T.O.I.S, donc jamais de s à Les Rosati (l‘Artois est une ancienne province de France, détachée au XIIe siècle de la Flandre. Depuis la Révolution française, il constitue le département du Pas-de-Calais).
Cette Société anacréontique des Rosati, comment est-elle organisée ?
En référence aux neuf Muses grecques, un Comité des 9 fut constitué : un Chancelier (le doyen), le Directeur, un(e) Secrétaire plus 6 membres.
En fait, comment devient-on membre des Rosati ? Pour avoir l’honneur de porter le titre de Rosati, il faut entrer sous le berceau des roses. L’heureux impétrant, choisi par le Comité des 9, reçoit 3 roses. Il les respire trois fois puis les attache à sa boutonnière (corsage pour les dames). Ensuite il boit d’un trait le verre de vin rosé ou rouge qui lui est offert : “il le boit à la santé de tous les Rosati passés, présents et futurs.” Finalement il embrasse, au nom de la société, une des personnes qu’il aime le mieux ; il sera alors un vrai Rosati. Ce cœur du rituel est enrobé d’une allocution de réception, d’un hommage au plus grand des fabulistes Jean de la Fontaine, de chants, sans oublier l’Hymne des Rosati : Ecoute ô mon coeur… et d’une prestation de jeunes ballerines.
En 1786, une première femme, une poétesse, fut invitée à “entrer sous le berceau de roses et gagner le titre de Rosati“. Aujourd’hui, l’élément féminin constitue le quart de la Compagnie et le tiers du Comité des 9.
Quel vin remplissait les verres de nos joyeux lurons ?
Blanc, rosé ou rouge ?
Dans la bonne société arrageoise en 1778, les vins provenaient essentiellement de Bourgogne, Champagne ou des régions avoisinantes, donc rouge ou blanc. Dommage que Legay et ses acolytes n’aient pas connu, et pour cause, la Rose Clos-Vougeot obtenue au XXe siècle par la firme Delbard.
Alliances idéales pour un Rosati : un vin de Bourgogne célèbre, une belle rose rouge et en prime un délicat parfum de rose, de fraise et de framboise. Le vin rosé bu de nos jours est en quelque sorte un compromis, d’autant plus que maintenant les rosés, style Tavel, ont acquis leurs lettres de noblesse depuis 1936.
Si on excepte quelques tentatives de délocalisation de la société à Paris au XIXe siècle, et bien sûr, les deux guerres mondiales, son parcours jusqu’à nos jours pourrait être considéré comme un long fleuve tranquille. Tout en sauvegardant ses rites ancestraux, elle a su adapter ses activités aux exigences de la vie culturelle contemporaine et à la promotion de la jeune création. Ainsi aujourd’hui, en plus de la Fête des Roses en juin, d’autres fêtes sont organisées : en janvier, une soirée Verlaine ; en mars, une soirée Chat noir ; en novembre, une soirée automnale.
A ces soirées, tout le monde est admis, sans pour autant être qualifié de Rosati. Un peu comme pour les manifestations politiques, on y est toujours admis, même sans carte de parti.
J’ajouterai que les peintres, écrivain(e)s et poète(sse)s francophones (donc aussi des Belges), sont les bienvenus ! D’ailleurs, des œuvres de nos compatriotes y sont régulièrement primées. La société organise ainsi tous les ans 3 concours ouverts à tous/toutes : un concours de peinture, des Joutes des Jeunes poètes et les Joutes poétiques de la Francophonie. Lors de chaque concours sont attribués des 1er, 2ème et 3ème prix et des Roses d’Honneur.
Lors de la fête automnale de 2013, c’est notre compatriote Bernard TIRTIAUX qui a été élu ‘Prince des Trouvères’ avec Le passeur de lumière. Au cours de la fête automnale, les poètes participent à une joute et les convives votent. Celui ou celle qui arrive en tête est nommé ‘Prince(sse) des Trouvères’. Il (elle) reçoit la couronne de roses du lauréat de l’année précédente. Donc des Prix, des Roses d’Honneur, des Princes et Princesses et enfin consécration suprême… des ROSES D’OR !
Quatre belges en furent bénéficiaires :
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- Maurice Carême en 1975,
- Julos Beaucarne en 1984,
- Ronny Coutteure en 1997 et
- Bernard Tirtiaux 2013.
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Maurice Carême (Wavre 1899-1978 ) a été choisi pour l’entièreté de son œuvre. Elève brillant, il obtient, en 1914, une bourse d’études et entre à l’Ecole normale primaire de Tirlemont. Il est nommé instituteur en 1918 à Anderlecht. En 1943, Maurice Carême quitte l’enseignement pour se consacrer entièrement à la littérature. Il se lie la même année avec Jeannine Burny pour laquelle il écrit La bien-aimée en 1965. Secrétaire du poète jusqu’à la mort de celui-ci, elle préside à présent la Fondation Maurice Carême. En 1947, paraît La lanterne magique. L’impact sur la jeunesse est immédiat. Les enfants se reconnaissent littéralement dans cette œuvre. Rapidement, le nom de Maurice Carême se voit associé grâce à cet aspect de l’œuvre à celui de poète de l’enfance. Aujourd’hui, les poèmes de M. Carême sont étudiés dans toutes les écoles de France… comme de Belgique ! Le jour de son intronisation le 1er juin 1975, c’est un de ses longs poèmes Le Zodiaque qui a été chanté, après avoir été mis en musique. On lui doit également ce court poème sur… la rose :
Je porte une rose dans mon cœur
Une rose née au soleil
Une rose qui est pareille
A un petit feu de douceur
Mais, dis moi, connais-tu l’abeille
Qui est la clé de mon bonheur ?
De nombreuses œuvres paraissent et sont couronnées par des prix littéraires en Belgique et à l’étranger (entre autres : Prix de l’Académie française (1949 et 1954), Prix international Syracuse (1950), Médaille de la Ville de Sienne (1956). Prix de la poésie religieuse (1958), Prix du Président de la République française (1961) Prix de la Province de Brabant (1964), Prix de la traduction néerlandaise (1967), Grand Prix international de poésie (France, 1968)). Le 9 mai 1972, il est nommé Prince en poésie à Paris. Le 13 janvier 1978 le Panthéon des Verlaine, Prévert, Aragon, Cocteau, Verhaeren, Rodenbach, Guido Gezelle, Hélène Swarth et d’une multitude d’autres lui ouvre ses portes.
Jean-Pierre Wesel
N.B. Pour en savoir plus sur l’initiative culturelle des Rosati, visitez le site officiel SOCIETEDESROSATI.FREE.FR…
[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : édition, révision et iconographie | sources : auteur | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête © Société des Rosati ; © DP ; © Christie’s ; © Delbard ; © Institut Destrée.
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