THONART : L’ours et la renarde se regardaient (2014)

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LA PETITE BOUTIQUE DES TERREURS DE JAUME CABRÉ

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Jaume Cabré (Photo Xabier Mikel Luburu Van Woudenberg)

Cabré J, Confiteor (traduit du catalan par Edmond Raillard, Actes Sud, 780 pp., 26 €)

“Le violon d’exception est un objet transitionnel: il passe d’époque en époque, de musicien en musicien, de drame en estrade, de père en fils. Des fantômes jouent les funambules sur le chant de ses cordes raides. C’est donc un objet romanesque. En 1994, la Catalane Maria Angels Anglada publiait le Violon d’Auschwitz (Stock). Un luthier juif fabriquait dans le camp d’extermination un faux Stradivarius pour sauver un violoniste de génie, également juif. Succès. En 1998, un film de François Girard, le Violon rouge, suit le destin d’un instrument de 1681 qui atterrit dans la Chine éradicatrice de Mao. Echec. Dans les deux cas, le violon fait danser la beauté du diable, la mélodie intime et la sanglante fanfare de l’histoire, l’art et le mal.

Jaume Cabré, 66 ans, romancier catalan confirmé, met à son tour en scène cette dialectique dans Confiteor. Le roman a été un succès en Espagne, en Allemagne. Celui dont on suit la vie est un écrivain obscur doublé d’un philologue, Adriá Ardevol. Il a grandi à Barcelone, sous Franco. Sa mère voulait en faire un violoniste virtuose. Son père un surdoué des langues, dans le genre Roman Jakobson. Ce père a racheté pour presque rien un violon Storioni du XVIIIe siècle à un médecin nazi en fuite, qui lui-même l’avait pris à Auschwitz à une vieille Juive assassinée sur la rampe. Felix Ardevol dénonce ceux qu’il a volés, qu’ils soient antifranquistes ou anciens nazis. Il finit décapité. On assiste à l’enterrement du brocanteur sans tête.

Toutes les histoires sortent du cercueil : celles du violon, de la Catalogne sous Franco, du père monstrueux, des inquisiteurs médiévaux et des luthiers baroques, des nazis et des Juifs, des filières clandestines du Vatican, celle d’Adriá qui porte la culpabilité de tout ce qui l’a précédé. Il est même question de la Syrie, où sont réfugiés quelques bourreaux germaniques. D’autres objets importants circulent dans la boutique de son père, des manuscrits antiques, la dernière page du Temps retrouvé, comme dans un livre d’Umberto Eco. Le vieux violon fait du bois des forêts catalanes unit tout. Il est mi-Chagall mi-Picasso : la narration, éclatée, fuit sous l’œil comme une truite sous la main – passant sans cesse du «je» au «il», d’une tragédie à l’autre, de Barcelone à Rome et de Rome à Auschwitz, comme dans les arpèges d’une Chaconne de Bach ou dans les cris mélancoliques du Concerto à la mémoire d’un ange, d’Alban Berg, auquel Cabré rendit hommage, en 1996, dans l’Ombre de l’eunuque (Bourgois). Le résultat est ce gros livre étrange : une saga familiale et historique par fragments, un best-seller cubiste…”

Lire la suite de l’interview de Jaume CABRE menée par Philippe LANCON sur LIBERATION.FR (25 septembre 2013)…

En quelques lignes…

“Barcelone années cinquante, le jeune Adrià grandit dans un vaste appartement ombreux, entre un père qui veut faire de lui un humaniste polyglotte et une mère qui le destine à une carrière de violoniste virtuose. Brillant, solitaire et docile, le garçon essaie de satisfaire au mieux les ambitions démesurées dont il est dépositaire, jusqu’au jour où il entrevoit la provenance douteuse de la fortune familiale, issue d’un magasin d’antiquités extorquées sans vergogne. Un demi-siècle plus tard, juste avant que sa mémoire ne l’abandonne, Adrià tente de mettre en forme l’histoire familiale dont un violon d’exception, une médaille et un linge de table souillé constituent les tragiques emblèmes. De fait, la révélation progressive ressaisit la funeste histoire européenne et plonge ses racines aux sources du mal. De l’Inquisition à la dictature espagnole et à l’Allemagne nazie, d’Anvers à la Cité du Vatican, vies et destins se répondent pour converger vers Auschwitz-Birkenau, épicentre de l’abjection totale.
Confiteor défie les lois de la narration pour ordonner un chaos magistral et emplir de musique une cathédrale profane. Sara, la femme tant aimée, est la destinataire de cet immense récit relayé par Bernat, l’ami envié et envieux dont la présence éclaire jusqu’à l’instant où s’anéantit toute conscience. Alors le lecteur peut embrasser l’itinéraire d’un enfant sans amour, puis l’affliction d’un adulte sans dieu, aux prises avec le Mal souverain qui, à travers les siècles, dépose en chacun la possibilité de l’inhumain – à quoi répond ici la soif de beauté, de connaissance et de pardon, seuls viatiques, peut-être, pour récuser si peu que ce soit l’enfer sur la terre.”

Plus sur ACTES-SUD.FR…


Plus de littérature…

Plus de presse…

 

JANKELEVITCH, Vladimir (1903-1985) : “On peut vivre sans philosophie. Mais pas si bien”

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[PHILOMAG.COM, 9 septembre 2013] “Seul compte l’exemple que le philosophe donne par sa vie et dans ses actes”. Animé par cette conviction partagée avec Vladimir JANKELEVITCH, l’acteur Bruno ABRAHAM-KREMER a crée La vie est une géniale improvisation au Festival de la correspondance de Grignan, en 2012 (alors dédiée aux lettres de philosophes), repris au Théâtre des Mathurins.

À l’origine du spectacle : un souvenir d’enfance, une admiration pour ce philosophe qui fait de la vie, de la liberté, de l’engagement et de l’humour les cordes sensibles de son existence, loin des ronflants penseurs en rond, et une défiance envers ces gros-plein-d’être dont la “conscience bien contente […] s’installe dans la stupide vanité d’être ce qu’elle est“.

Bruno Abraham-Kremer découvre la philosophie sous le bureau et dans les jupes de sa mère – lorsqu’elle donne ses cours particuliers, lui incarne les concepts et les notions avec ses soldats de plomb – et Jankélévitch à 15 ans, en assistant à une conférence sur Ravel, sur prescription maternelle. Il partage avec ce maître l’élégance de traiter légèrement la gravité, nourrissant lui aussi cette inquiétude fondamentale d’être “l’acteur de sa vie” – une détermination qu’il prend au pied de la lettre, faisant de la scène son pré-carré.

Le théâtre de Vladimir Jankélévitch, en revanche, c’est le monde meurtri du XXe siècle, qu’il traverse avec une devise en étendard : “Hélas, donc en avant“. Soit, “vivre en dépit des obstacles” – dont deux guerres – cherchant l’accord, comme rarement penseur le fit, entre ses actes, sa pensée et ses paroles. Une parole que Jankélévitch professe en orateur excitant et spirituel et qu’il prolonge en épistolier volubile.

La vie est une géniale improvisation puise dans la correspondance du « maître Janké » avec son fidèle ami Louis Beauduc. Deux esprits sagaces, comparses à l’ENS, reçus ensemble à l’agrégation. Tandis que l’un gagne en notoriété, obtenant la chaire de philosophie morale à la Sorbonne, l’autre demeure dans l’ombre du lycée Gay-Lussac de Limoges. Tous deux entretiennent des échanges fleuris, mêlant anecdotes et familiarité, considérations morales et métaphysiques, dirigeant le regard sur les temps présents, avec un « bel enthousiasme ».

Le bel enthousiasme, un trait caractéristique de Jankélévitch, qui porte l’humour en bandoulière. En témoignent les ironiques effusions qu’il signe au bas des lettres : “Je t’envoie, par dessus les rivières, les prairies et les vallées, mon souvenir intuitivement sympathique, et déverse à tes grand pieds le tombereau de mes hommages dynamiquement convergents.

Leur correspondance s’épuise pratiquement durant cette guerre dont Jankélévitch ne saura pardonner les horreurs, avant de reprendre. Il publie en 1949 son fameux Traité des Vertus, après dix ans de travail. Sa réflexion ne cesse dès lors de creuser les thèmes du pardon, du temps, de la mort et de l’espérance.

Philosophie première et Le Je ne sais quoi et le Presque rien paraissent respectivement en 1953 et 1957, Le Pardon en 1967. La musique le hante ; trois pianos meublent le 1, quai aux Fleurs, sur l’Île de la Cité, à Paris, où le philosophe vit. Une plaque orne désormais la façade reproduisant ces mots extraits de L’irréversible et la nostalgie : “Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été : désormais ce fait mystérieux et profondément obscur d’avoir vécu est son viatique pour l’éternité.

Il reçoit à la fin de sa vie, à cette adresse, la lettre d’un professeur de français de Basse-Saxe, dont Philosophie magazine a publié le témoignage inédit et la correspondance. Il réagit à une déclaration de Vladimir Jankélévitch, interrogé en 1980 dans l’émission radiophonique Le Masque et la Plume sur sa rupture avec la musique et la pensée allemandes. “ Les Allemands ont tué six millions de Juifs, mais ils dorment bien, ils mangent bien, et le mark se porte bien. Je n’ai jamais encore reçu une lettre qui fasse acte d’humilité, poursuit-il. Une lettre où un Allemand déclarerait combien il a honte. ”

Le reproche du philosophe blesse Wiard Raveling, qui lui écrit: “Que je sois né allemand, ce n’est pas ma faute ni mon mérite. Je suis tout à fait innocent des crimes nazis ; mais cela ne me console guère. Je n’ai pas la conscience tranquille. ” Touché, Jankélévitch lui répond, rompant un long silence. Il se ravise afin d’autoriser l’avènement d’une nouvelle ère, lançant un ultime enseignement aux générations prochaines, que Bruno Abraham-Kremer transmet avec cœur: “On peut, après tout, vivre sans le je-ne-sais-quoi, comme on peut vivre sans philosophie, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien.

Cédric ENJALBERT, philomag.com



Plus de presse…

RADIO : La Coulée douce (1984-85)

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La coulée douce © Daniel Mermet

“Durant l’été 1984, l’émission qui débauche les oreilles fit scandale. Une émission érotique sur France Inter ! Lettres et pressions arrivaient de tous les côtés. Un député écrivait au directeur : “Ils ne parlent pas d’amour à l’antenne, ils le font !“. Mais nous avons tenu bon et l’émission fut reconduite l’été suivant. Avec l’INA nous avons retrouvé quelques moments de ces étés pour cette petite rétrospective des émissions de Daniel Mermet qui reçoit le prix de la Scam…”

Ecouter l’émission d’hommage programmée par FRANCEINTER.FR le 21 juin 2013

Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience.

René CHAR

“Brève histoire de la COULÉE DOUCE :

En 1981, avec la fin du monopole et la libération des ondes, des radios libres sont sorties de partout. Bricolées, révolutionnaires, associatives, saugrenues, communautaires, on vit fleurir de l’inouï, c’est-à-dire du jamais ouï. Ce fut une joyeuse pagaille qui démontrait à la fois les possibilités expressives de la radio et sa puissance comme moyen d’émancipation. Toute une génération de passionnés de radio est née de cette libération.
Oh, bien sûr, comme c’était à prévoir, le commercial s’empara très vite du gâteau, les plus gros mangèrent les plus petits, laissant les miettes aux indépendants et aux associatifs. Mais n’empêche qu’il y eût cette révolution des ondes par rapport à laquelle France Inter semblait soudain bien compassée et bien ringarde…”

Source : La Coulée Douce sur LA-BAS.ORG

 

DECOUFLE : Le petit bal perdu

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“Chorégraphier la chanson C’était bien de Bourvil ? Voilà de prime abord une nouvelle idée saugrenue de Philippe Decouflé, chorégraphe qui entretient un lien si particulier avec la vidéo (on lui doit les chorégraphies de clips des Fine Young Cannibals, New Order, une pub pour Polaroïd…) et qui depuis maintenant trente ans nous a habitué à ses loufoqueries (Codex, La voix des légumes ou plus récemment Panorama et Octopus).

Le court-métrage débute avec deux plans détails sur les touches et le soufflet d’un d’accordéon, puis un enchaînement avec un plan panoramique sur une accordéoniste. Un couple (on reconnait Philippe Decouflé), assis derrière une table au milieu d’un pré, apparaît alors à l’écran. Assis ? Voilà qui étonne dans une chorégraphie ! Ce ne sera pas la seule surprise de cette vidéo. On n’abandonnera le couple que pour les passages instrumentaux (des plans sur l’accordéoniste et des vaches, n’y voyez aucun lien). Le chant débute. On s’attend alors à une illustration de la chanson en mime (un clip pour malentendants en somme). Ce serait mal connaître Philippe Decouflé.

Le chorégraphe illustre la chanson, mais à sa façon, en jouant avec l’homophonie de certains mots de la chanson de Bouvil. Si certaines d’entre elles sont faciles (le nom qui devient un non de la tête, le bal est une balle), d’autres sont plus recherchées (“qui s’appelait” devient “ça pelait”, des pelles de tailles différentes, un téléphone et une bouteille de lait, une grimace pour “s’appeLAID”…). Il s’amuse aussi du sens générique de quelques mots, c’est ainsi que la danse des amants qu’on imaginait tendre devient alors un simulacre de danse des canards. Decouflé fait dire à Bourvil ce qu’il souhaite et dénature avec enthousiasme sa chanson. L’ensemble est comique, accentué par les effets sonores (des onomatopées) et visuels (des images en vitesse accélérée), mais aussi touchant (les gros plans accélérés sur le refrain qui symbolisent le temps qui passe inexorablement).

Decouflé, en distinguant langage des mots et du corps réussit son pari en transformant, grâce à la danse, une chanson mélancolique en une oeuvre burlesque (mais pas dénuée d’émotions tout de même). Il nous livre une oeuvre accessible à tous, qui ravira les néophytes comme les connaisseurs. Et une fois les quatre minutes terminées, vous ne pourrez que citer le titre de la chanson de Bourvil et vous dire: C’était bien…”

Visiter le blog LESCORPSEMOUVANTS (article du 6 octobre 2012)

Philippe DECOUFLE est un chorégraphe français, né en 1961. Pour découvrir la compagnie de Philippe Decouflé : DCA (site officiel)

Plus d’art de la scène…

THONART : La belle histoire de Petite-Fille et du Cœur de Hérisson (2011)

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Il était une fois une petite fille qui était petite et qui était une fille.

Comme une petite fille, elle avait de belles boucles qui coulaient de chaque côté de son visage et des petits trous de nez tout ronds. Comme une fille petite, elle était toute menue et n’avait pas des boutons comme les garçons (beurk !).

Comme une fille, elle était courageuse le jour et un peu peureuse la nuit. Comme une petite, elle voulait faire la Grande sans vraiment savoir comment.

Elle avait l’air d’une petite fille, l’odeur d’une petite fille et si on l’avait mangée, elle aurait eu le goût d’une petite fille.

Aussi l’appela-t-on… “Petite-Fille”.

Or, il se fit que Petite-Fille et les siens emménagèrent dans une chaumière avec une belle cheminée, au coin d’un bois si beau et mystérieux que, le jour, Petite-Fille voulait y jouer, et si profond que, la nuit, elle avait peur d’y entrer.

Voilà qu’un jour, qui devenait un soir, Petite-Fille jouait au drone américain qui bombardait l’Irak. Elle ramassait des pommes de pin et les jetait en l’air… en avançant vers le Grand Sentier, à l’orée du bois.

Ce chemin encombré, Petite-Fille l’avait toujours vécu comme une invitation : peut-être menait-il à une vraie clairière au creux du bois…

Était-ce exprès que le jeu attirait Petite-Fille vers le Sentier ou était-ce Petite-Fille qui profitait du jeu pour explorer le Mystère ?

Elle avait déjà dépassé les deux bosquets de noisetiers qui en gardaient l’entrée. Elle se dirigeait maintenant vers le Vieil Arbre, au pied duquel un drôle de tas de feuilles et de branches débordait sur le chemin.

A mesure qu’elle avançait, ce dernier se faisait sentier plus sombre, les taillis formant une arche trop étroite, même pour Petite-Fille, qui se prit les cheveux dans les branches fines d’un chêne torturé.

Baissant la tête pour se protéger, elle vit son propre visage dans une flaque d’eau, à ses pieds. Dans le reflet, sa tête était couronnée de cheveux captifs dans les doigts de l’arbre. Elle se fit peur elle-même ; elle s’assit et pleura en frissonnant.

Ce faisant, Petite-Fille n’avait pas réalisé qu’elle était en fait assise sur le tas de branches, au pied du Vieil Arbre. A travers ses larmes, elle ne comprit pas immédiatement d’où venait une berceuse rauque que l’arbre lui soufflait dans les oreilles.

Accablée d’angoisse, elle ne sentit pas tout de suite ses petits bras et ses petites jambes s’engourdir peu à peu et, bientôt, elle dormit profondément, affalée sur le tas de feuilles et de branches entremêlées.

Une à une, les dernières pommes de pin lui tombèrent des mains…

Une fois éteints les pleurs de Petite-Fille, le calme fut vite de retour dans la Forêt et chacun reprit les tâches qui lui revenaient : le Vent caressait les branches les plus hautes, celles qui voyaient la lumière, et les Insectes continuaient dans l’ombre à ronger une à une les feuilles tombées au pied des Grands Troncs.

Sous le corps inerte de Petite-Fille, qui ronflait doucement, les feuilles se mirent à bouger en craquant, laissant le passage à un gros hérisson… aux yeux rouges.

L’animal n’était pas habile mais il n’hésita pas à grimper de ses fines griffes sur la poitrine d’oiseau de l’enfant, pour atteindre le bord de la bouche entr’ouverte.

Il renifla l’haleine de Petite Fille en éclairant l’intérieur de la bouche avec ses yeux luisants et, d’un seul coup, plongea dans la gorge offerte, s’enfonçant jusqu’au cœur de la malheureuse endormie.

Arrivé près du petit organe palpitant, il le dévora et pris sa place, paf, sans autre forme de procès !

Du coup, l’enfant se réveilla avec une drôle de boule dans la poitrine, pour se trouver nez à nez avec… un castor.

L’animal lui demanda si tout allait bien. Petite-Fille sursauta : parler avec un castor, c’est déjà pas courant, mais répondre à une question de castor, ça ne devait pas être très normal non plus.

Toujours affairé, le castor s’était, quant à lui, gentiment interrompu lorsqu’il avait visé une petite fille dormant sur un mauvais tas de bois (et le castor s’y connaissait) avec une drôle de lumière à l’endroit du cœur.

Pratique, il s’inquiétait de savoir si la jeune fille était toujours comme ça -auquel cas il passerait son chemin et reprendrait son travail- ou si la luminosité étrange qui baignait la poitrine de Petite-Fille n’était pas naturelle -auquel cas il passerait également son chemin, incompétent qu’il était en matière de sorcellerie. Simplement, le castor était d’un naturel poli.

Mais Petite-Fille ne l’entendait pas comme ça. “Les castors, avait expliqué sa Mère, sont des modèles pour nous : ils construisent des barrages, vivent cachés dans des galeries et savent toujours s’échapper par des tunnels secrets lorsqu’ils sont menacés”.

L’enfant, qui n’était pas née de la dernière pluie, rassura le castor et lui proposa ses services. Accepterait-il de lui montrer quelques-uns de ses secrets pour se protéger, auquel cas Petite-Fille deviendrait son esclave pendant un an et un jour ?

Pendant que le castor, surpris, réfléchissait à la proposition, Petite-Fille dû s’assoir à nouveau, tant sa poitrine lui brûlait, comme si des picots perçaient le revers de ses poumons. Était-elle malade ? Allait-elle mourir ? Le castor accepta vite l’arrangement, voyant l’effet que l’idée de le servir avait sur la petite.

Aussi, pendant un an et un jour, Petite-Fille aida-t-elle le castor, étudiant en cachette ses tunnels, ses barrages, ses remparts et ses barrières. Elle s’accoutuma aussi à l’animal, lui découvrant une bonhomie qu’elle ne lui supposait pas. Pourquoi tant de précautions si le castor n’avait pas d’ennemi ? A la question, le castor répondait invariablement, sa pipe en bouche : “je travaille tous les jours depuis que je travaille tous les jours. C’est comme ça. On me respecte ; ma vie n’est pas dangereuse. Seule l’eau peut pourrir mes réserves et mes barrages la retiennent suffisamment. Seul le gel peut bloquer mes accès, aussi ma maison en compte-t-elle beaucoup, mais pas trop. Pour le reste, la noyade ne me fait pas peur, je sais nager.”

Au terme de leur accord, le castor libéra Petite-Fille et elle reprit son chemin, après l’avoir bien remercié : à travailler près de lui, elle avait beaucoup appris et la douleur dans sa poitrine avait diminué chaque jour jusqu’à disparaître enfin. Maintenant, il lui fallait rentrer, Maman allait s’inquiéter.

La route était longue depuis la rivière et Petite-Fille fut vite lasse de marcher à la nuit tombée, sans voir où elle mettait les pieds. Alors elle s’appuya contre un arbre et se mit à pleurer de fatigue et d’angoisse.

On le sait, le Vieil Arbre a des frères répandus dans toute la Forêt et c’est un de ceux-ci qui chanta à nouveau la berceuse rauque. Bientôt, l’enfant fut profondément endormie…

Elle dormit tant et fort qu’elle ne sentit pas des serres s’agripper à sa cuisse et un bec de rapace se frotter contre sa veste de peau, à hauteur de son foie. Était-elle en danger ?

L’oiseau qui avait abordé l’enfant était un des Rois de la Nuit. Mais il n’était pas bien méchant et, content qu’il était d’une visite impromptue sur son territoire, il lâcha un petit pet sonore qui eut tôt fait de réveiller Petite-Fille : prout.

Petite-Fille se frotta les yeux puis réalisa qu’elle n’était pas seule. Arrimé sur sa cuisse, un Grand-Duc regardait alternativement la lueur rouge à l’endroit de son cœur et la lumière bleue de la Pleine Lune.

“Bonjour, tenta-t-elle, peux-tu te bouger un peu, s’il te plaît ? Tes serres commencent à percer ma jupe et j’ai peur d’avoir mal, la nuit.”

Elle trouvait important d’être très polie avec l’oiseau car sa mère lui avait expliqué : “les hiboux sont très savants, ils connaissent des millions de choses différentes, tellement que, quelquefois, ils perdent les plumes de la tête”.

Bien élevé, le hibou se posa sur une branche basse et la salua du chef (Petite-Fille put alors voir combien celui-ci devait être savant, tant son crâne était pelé).

Rusant comme une enfant qu’elle était, Petite-Fille fit au grand oiseau la même proposition qu’au castor, avec au cœur la même douleur qui renaissait : survivrait-elle cette fois ? Son cœur lui crèverait-il les poumons avant qu’elle n’ait fini d’étudier tout et le reste, au service du Grand-Duc ?

Le hibou accepta vite la proposition, inquiet du rougeoiement qui augmentait dans le torse de l’enfant.

Aussi, pendant un an et un jour, l’enfant étudia-t-elle auprès du grand oiseau, s’étonnant du peu de livres et de grimoires qu’elle déterra de sous les crottes et les pelotes de déjection qui jonchaient son arbre. Où cachait-il toute sa science, s’il était si savant ? A la question, le Grand-Duc répondait invariablement, en tournant la tête à 180 degrés : “j’étudie tous les jours le Soleil et la Lune, depuis qu’il éclaire mes jours, depuis qu’elle éclaire mes nuits. Je ne sais pas combien d’arbres il y a dans la Forêt mais je sais reconnaître les Frères du Vieux Chêne qui t’ont endormie. C’est comme ça. Ils me respectent ; ma vie n’est pas dangereuse. Pour le reste, le ciel ne me fait pas peur, je sais voler.”

Au terme du contrat, l’oiseau accompagna Petite-Fille qui reprit son chemin, après l’avoir bien remercié : à travailler près de lui à la lueur de la Lune, elle avait beaucoup appris et la lumière sur sa poitrine avait pâli jusqu’à disparaître enfin. Maintenant, il lui fallait rentrer, Maman allait s’inquiéter.

La petite connaissait la Nuit maintenant et elle ne se laissa plus piéger par les Frères du Vieil Arbre. Ce n’était pas le cas d’un ours énorme qu’elle vit dormir sur une pierre, aux abords d’une clairière, au pied d’un grand arbre torturé. La berceuse rauque assommait aussi les vieux mâles plantigrades, lui sembla-t-il.

Forte de son expérience (deux ans et deux jours, maintenant), elle s’approcha doucement de l’énorme masse velue, guettant tout soubresaut des grandes pattes aux griffes rentrées par le sommeil. Elle remarqua aussi des cicatrices sur son flanc et la douceur des coussinets sur lesquels la bête avait l’habitude de déambuler dans la Forêt. Sa mère lui avait expliqué : “l’ours en rut est fort de ses grandes pattes, puissant dans l’étreinte et, des cris de son printemps, il réveille toute la Forêt”.

Bizarrement, l’envie de refaire sa proposition à l’animal endormi éveilla sa douleur et c’est la poitrine rougeoyante, mais sans peur, qu’elle éveilla l’ours en lui chuchotant à l’oreille qu’elle le servirait un an et un jour, hibernation comprise, s’il lui confiait le secret de sa vigueur.

Éveillé d’un œil, l’ours accepta, un peu ébloui par le feu qu’il voyait couver dans la poitrine fraîche de l’enfant.

Aussi, pendant un an et un jour, l’enfant marcha-t-elle aux côtés du grand velu : à chaque fois surprise de sa douceur quand il lui parlait, un peu comme à ses oursons, et à chaque fois étonnée de sa force quand il devait lever un arbre qui gênait l’entrée de sa caverne. D’où tirait-il toute sa force, s’il était si vigoureux ? Pas de sa colère, il n’en avait pas. De son sommeil, peut-être (l’ours faisait beaucoup la sieste) ? A la question, le plantigrade répondait invariablement, en léchant du miel : “je porte des troncs tous les jours, quand je ne dors pas. C’est facile quand on sait comment il faut se mettre pour les soulever : c’est pas les muscles, c’est la manière. C’est comme ça. Et les arbres, ils me respectent ; ma vie n’est pas difficile. Pour le reste, la terre ne me fait pas peur, je sais creuser.”

Le terme échu, Petite-Fille repartit, après l’avoir bien remercié : à marcher près de lui, dans l’odeur forte de son pelage, elle avait beaucoup appris et les picotements de son cœur s’étaient tus jusqu’à disparaître enfin. Maintenant, il lui fallait rentrer, Maman allait s’inquiéter.

Petite-Fille se hâta sur la trace que l’ours lui avait indiquée. Elle trottinait toute en joie, plus mûre de ces trois ans et trois jours passé dans la Forêt. La promenade avait été suffisamment riche en rencontres et il fallait rentrer maintenant.

Mais le chemin était long et, épuisée par toutes ces émotions, elle ne prit garde et s’endormit au pied du Vieil Arbre qui attendait son retour, tout près de sa maison. La berceuse rauque flottait autour d’elle et devint un brouillard fin qui l’enveloppa complètement.

Que se passait-il ? La lueur sur son torse perdait de la vigueur. Petite-Fille se sentait tellement soulagée, tout en rêvant à ses trois Mentors. Le Castor, le Grand-Duc et l’Ours, qui regardaient sa poitrine en souriant. Elle sentit comme un petit animal qui quittait son corps sans forcer et puis, pfuuuit, plus rien.

Au réveil, elle sursauta : le Vieil Arbre était au-dessus d’elle mais il restait immobile et avait ouvert ses branches et laissait maintenant passer la lumière du Soleil.

Petite-Fille posa la main sur le sol, à côté d’elle, et elle sentit que quelque chose bougeait. Vérification faite, un petit hérisson la regardait, couché sur le dos et lui offrant la douceur de son pelage. Elle lui fit une petite caresse puis se leva, pressée de retrouver les siens.

Quand Petite-Fille sortit du bois, elle sentit le soleil sur ses hanches. Elle se retourna une dernière fois vers le Sentier puis repris la direction de chez elle. Maman allait s’inquiéter…

La maison était là mais… que s’était-il passé ? Plusieurs tuiles manquaient sur l’annexe, le bardage était couvert de lichen par endroits et, dans le potager, les herbes étaient hautes. Où était Maman ? Pourquoi ces rideaux tirés et ce chien attaché, qu’elle ne connaissait pas. “Maman, cria-t-elle, Maman, où es-tu ?”.

Petite-Fille courut tout autour de la demeure, en quête d’une ouverture ou d’un regard de sa Mère, qui écarterait les tentures pour la reconnaître. Ses belles jambes se griffaient aux chardons mais elle n’en avait cure. “Maman”, cria-t-elle encore.

C’est alors que la porte d’entrée grinça et s’entrouvrit. Une vieille femme sortit, se glissant le long du mur. Rassurée par le sourire de la jeune femme qui la regardait, elle s’avança vers le fauteuil et l’invita à s’assoir près d’elle, sous la véranda : “viens, Petite Femme, dit la vieille en clignant ses yeux de Mère, tu es enfin revenue”.

Alors, Petite Femme n’y tint plus, elle pressa le visage de sa mère contre sa poitrine ronde et bientôt son corsage fut mouillé de leurs bonnes larmes partagées. Émue comme l’enfant qui cherche toujours les bras de la Mère, Petite Femme raconta longuement son aventure et expliqua à sa Mère que même les hérissons avaient un cœur grand comme ça. Et qu’ils ne piquaient pas si souvent !

Les soirées furent longues à se dire tout ce qui n’avait pas encore été dit et ce n’était qu’à la dernière braise que chacune montait dormir.

Le mois suivant, un gentil couvreur aux beaux bras musclés et au cœur généreux vint réparer les tuiles tombées. Ce fut l’amour au premier regard chez les deux femmes. Petite Femme sortit la première de sa réserve et épousa le garçon six mois plus tard. La Mère les bénit, débordant déjà de tendresse pour ses futurs petits-enfants. Elle leur raconterait l’histoire du hérisson.

Toute la maisonnée fut désormais bien en vie et le potager donna à nouveau de beaux potirons qui, minuit venu, se changeaient en… potirons.

KONIEC (prononcer [konièts])

Un conte préparé par Patrick Thonart (2011)

  • L’illustration est © Spencer Byles

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THONART : Quelque part dans la forêt (2011)

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AREALISME : Second manifeste de l’Aréalisme (2011)

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© frederic robert georges

L’Aréalisme est né en nous du fait du ressenti et de la prise de conscience d’une intériorité puissante à laquelle notre expression artistique est soumise.

Depuis cette intériorité, ici au cœur où se tient notre conscience et notre inconscience, chaque oeuvre nous révèle une partie de notre identité, une partie de qui nous sommes totalement.

Pour nous, chaque oeuvre est l’avatar d’un état intime spontané, proche de notre moi fondamental. Ces œuvres ne sont que des écrans de notre être et de son ego et ne font qu’ afficher la réalité visible choisie par notre monde intérieur. Aussi nous aimons les qualifier d’aréalistes, car pour quiconque d’autre, l’essence de ce qu’elles montrent ne peut être d’abord qu’absente ou incomplète, et ensuite ne pourra se révéler, que métissée et unique, refécondée par l’attention de celui qui lui porte son regard.

Ces œuvres que nous aimons nommer aréalistes, peuvent être des formes de contemplations du réel visible et sont des prétextes à l’exploration de nos sentiments, d’un état intérieur toujours présent en nous.

Pour nous, créer des œuvres, développe et nourrit nos mondes intérieurs, mais aussi rappelle leurs existences, rappelle nos individualités, nos climats intérieurs, nous ramène à nous-même, et agit comme un guide vers notre intériorité, vers ce qui existe en nous. Ces œuvres-avatars agissent aussi chez nous comme des mémoires, comme des outils qui nous permettent de nous reconnecter vers notre identité fondamentale.

La qualité “aréaliste” de nos œuvres dépend de la qualité de notre état de contemplation … de la qualité de notre sentiment intérieur… de sa puissance poétique à relier notre monde extérieur et notre monde intérieur et à être un passage, un véhicule qui conduit notre public à goûter à sa propre intériorité.

Pour qu’un artiste se découvre aréaliste et y trouve ainsi sa cohérence, peut-être suffit-il qu’il se ressente et s’invente comme tel.

Ainsi soit l’image.

Second manifeste de l’Aréalisme par Frédéric Robert Georges,
Hans Verhaegen, Isabelle Elias Art et Philippe Graton
(Bruxelles, le 29 octobre 2011)


Voir plus… du réel ?

VIVEIROS DE CASTRO : Métaphysiques cannibales

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“Bien connu des anthropologues mais jusqu’à présent jamais traduit en français, Eduardo Viveiros de Castro est un spécialiste de premier rang des sociétés amérindiennes. Son travail sur la société Arawété du Nord du Brésil, élargi ensuite à une réflexion comparative sur le chamanisme, le cannibalisme, la parenté et les systèmes rituels amazoniens, a fait de lui une référence incontournable dans le renouveau que l’ethnologie américaniste connaît depuis les années 1990.

C’est notamment les concepts de perspectivisme et de multinaturalisme qui sont le plus étroitement associés à son nom, deux concepts qui font ici l’objet d’une réélaboration décisive.

Viveiros de Castro donne immédiatement à son ouvrage un statut complexe, en le présentant comme la petite monnaie d’un projet plus ample, dont le nom aurait été L’Anti-Narcisse. Réflexif, agressif, cédant parfois à la tentation de la formule – comme « décoloniser la pensée », ou encore l’idée d’un « altercognitivisme » – ce manifeste animé pour une autre anthropologie rompt avec le style souvent très sage qui prévaut dans sa discipline. Mais cette précaution et ce ton ne doivent pas nous tromper : par les enjeux réels qu’il soulève, cet ouvrage prend place dans la grande tradition anthropologique, et c’est sans doute à un ouvrage comme le Par delà nature et culture de Philippe Descola – référence omniprésente des Métaphysiques cannibales – qu’il doit être mesuré…”

Source : L’Anti-Narcisse de Viveiros de Castro – La Vie des idées (un article de Pierre CHARBONNIER dans LAVIEDESIDEES.FR, 15 avril 2010)

Plus de presse…

FRY : L’église catholique est-elle une force œuvrant pour le bien dans le monde ? (transcription, 2009)

Temps de lecture : 11 minutes >

[BABELIO.COM] L’anglais Stephen John FRY (né en 1957) est un humoriste, auteur (romancier, poète et chroniqueur), acteur, réalisateur, une célébrité de la télévision et un technophile. Il est le fils d’Alan Fry, un physicien anglais, et de Marianne Newman, de descendance juive-autrichienne, dont les tantes et cousins avaient été déportés et tués dans le camp de concentration d’Auschwitz.

Ses résultats lui permettent d’obtenir une bourse d’études au Queen’s College de Cambridge. Là, Fry obtient un diplôme de Littérature anglaise et rejoint la troupe de théâtre amateur Cambridge Footlight, où il rencontre Emma Thompson et son futur partenaire, Hugh Laurie. En 1986, la BBC demande à Stephen Fry et Hugh Laurie une émission à sketchs qui deviendra A Bit of Fry and Laurie. Cette émission, alors très populaire, compte 26 épisodes, réparties sur quatre saisons entre 1986 et 1995. Entre 1990 et 1993, Stephen Fry joue le rôle de Jeeves (avec Hugh Laurie dans celui de Bertram Wooster) dans Jeeves and Wooster.

A Bit of Fry and Laurie © BBC Four

Il est aussi célèbre en Grande Bretagne pour ses rôles dans La Vipère noire (Blackadder, 1983-2002) et le film Wilde (1997) dont il joue le rôle-titre, ainsi qu’en tant que présentateur de jeu télévisé Quite Interesting (2003-2016).

En plus d’écrire pour le théâtre, le grand écran, la télévision et la radio, il a contribué à nombre de chroniques et articles pour des journaux et magazines. Il a également écrit quatre romans dont Mensonges, Mensonges (The Liar, 1992), son premier roman, ainsi que plusieurs travaux de non-fiction et une autobiographie intitulée Moab Is My Washpot (1997). Le 18 janvier 2015, il épouse son compagnon Eliott Spencer.

Pour en savoir plus, visitez son blog sur stephenfry.com.


[BBC.COM, 6 mai 2017] Invité de l’émission de Gay Byrne, The Meaning of Life [Le sens de la vie], en février 2015, Stephen Fry s’est vu demander ce qu’il dirait à Dieu aux portes du paradis.

Sa réponse : “Comment avez-vous osé créer un monde où il y a tant de misère ? Ce n’est pas bien. C’est mal, extrêmement mal. Pourquoi devrais-je respecter un dieu capricieux, mesquin et stupide, qui crée un monde tellement plein d’injustice et de souffrance ?” Et il continue en évoquant les dieux grecs qui “ne se présentaient pas comme omniscients, sages et bienveillants“, ajoutant que “le dieu qui a créé cet univers, s’il a été créé par un dieu, est assez clairement un maniaque, un grave maniaque, totalement égoïste.

Le journal The Irish Independent rapporte qu’un téléspectateur a déposé plainte auprès de la police de Ennis, plus tard, dans le mois qui a suivi l’émission. […] Il disait ne pas avoir été offensé en personne mais pensait que le commentaire de Fry tombait sous le coup de la loi irlandaise contre le blasphème [sic], ce qui peut entraîner une amende allant jusqu’à 25.000 €. […]

(trad. Patrick Thonart)


© Intelligence Squared

[traduit d’après INTELLIGENCESQUARED.COM, débat organisé par Intelligence Squared en 2009 et transcrit par CHRISTOPHERHITCHENS.COM] Stephen Fry : “Comme le fait remarquer Gwendolyn dans L’importance d’être Constant, quand parler franchement cesse d’être seulement un devoir moral, cela devient un plaisir. C’est le cas, aujourd’hui. Avec mon fidèle Hitch [Christopher Hitchens] à mes côtés, je suis très fier d’être ici, mais aussi très nerveux…

J’ai été nerveux toute la journée et la raison en est assez simple : le sujet du jour est important pour moi. Il est très important pour moi. Ce n’est pas une blague, ce n’est pas un jeu, ce n’est pas juste un débat. Je crois sincèrement que l’Église catholique n’est pas, pour le dire en termes mesurés, ‘une force pour le bien dans le monde‘. Par conséquent, il est important pour moi d’essayer de rassembler les faits du mieux que je peux pour expliquer pourquoi je le pense.

Mais, avant toute chose, je veux insister sur le fait que je n’ai aucun différend à régler à ce propos, aucune dispute en cours et que je ne veux exprimer aucun mépris individuel envers les fidèles croyants et pieux de cette Église. Ils sont libres de pratiquer leurs sacrements, de croire en leurs reliquaires et leur Vierge Marie. Ils sont libres dans leur foi, dans l’importance qu’ils lui accordent, dans le réconfort et la joie qu’ils en tirent. Tout cela me convient parfaitement. Ce serait impertinent et déplacé de ma part d’exprimer une quelconque hostilité envers toute personne cherchant le salut sous quelque forme qu’elle le souhaite. Pour moi, cela est sacré, autant que n’importe quel article de foi est sacré pour n’importe qui dans n’importe quelle Église ou foi dans le monde. C’est très important.

C’est aussi très important pour moi, en fait, d’avoir mes propres croyances, et ce sont des croyances en la philosophie des Lumières. Ce sont des croyances dans une aventure éternelle : chercher à découvrir la vérité morale dans le monde. ‘Découvrir’ est un mot terriblement important auquel nous pourrions revenir. C’est un combat, c’est un combat empirique, un combat commencé au milieu du dernier millénaire. Il a été appelé les Lumières, et il n’y a rien, malheureusement, que l’Église catholique et ses hiérarques aiment plus que d’attaquer les Lumières. C’est ce qu’ils ont fait à l’époque de Galilée, qu’ils ont torturé pour avoir tenté d’expliquer la théorie copernicienne de l’univers.

C’est de l’histoire. L’histoire, comme Miss Whiticam nous l’a rappelé, est sans importance, car ce qui compte maintenant, c’est que des milliards de livres sterling sortent de cette institution extraordinaire pour soulager les pauvres dans le monde et le rendre meilleur. L’histoire n’aurait absolument aucune importance ? Eh bien, je ne suis pas d’accord. L’histoire grimace, frémit et vibre en chacun de nous dans cette salle, dans ce mile carré. Pensons à ce mile carré.

J’y reviendrai dans un instant, mais tout d’abord : Christopher a mentionné les limbes. Cela semble si fastidieux et si idiot, le sujet de l’un de ces petits jeux casuistiques auxquels se livrent les thomistes et d’autres encore. Thomas d’Aquin et Augustin d’Hippone ont tous deux proposé cette idée extraordinaire selon laquelle les bébés non baptisés ne connaîtraient pas le paradis. Ils ont également proposé l’idée du purgatoire, qui n’existe pas dans la Bible. Il n’y a absolument aucune trace du purgatoire auparavant. Cependant, quelle idée extraordinaire et brillante d’imaginer une telle chose que le purgatoire, qu’une âme a besoin de prières pour aller au paradis, pour tourner à gauche lorsqu’elle entre dans l’avion du paradis et obtenir une place en première classe, qu’elle a besoin que l’on prie pour elle. Et pendant des centaines, voire plus d’un millier d’années, vous seriez surpris des conditions généreuses auxquels ces prières étaient associées. Parfois, pas moins que deux tiers du salaire d’une année pouvaient garantir qu’un être cher décédé irait au paradis, et l’argent pouvait garantir que votre bébé, votre enfant décédé, votre oncle décédé ou votre mère décédée pourraient aller au paradis. Et si vous étiez assez riche, vous pouviez faire construire une chapelle et des moines chanteraient en permanence des prières pour que la vie au paradis de l’enfant en question s’améliore de plus en plus jusqu’à ce qu’il arrive même jusqu’à la table du Seigneur. Tout cela appartient au passé et est sans importance. Je concède à Anne Whiticam à quel point c’est sans importance… sauf pour une chose.

Imposition des mains © Paul Vanackere/CIRIC

Cette Église est fondée sur le principe de l’intercession. C’est seulement à travers la hiérarchie apostolique, seulement à travers l’imposition des mains de ce charpentier de Galilée que nous pouvons tous admirer, seulement à travers l’imposition des mains sur ses apôtres, sur Saint Pierre, sur les autres évêques jusqu’à tout les baptisés dans cette salle. Toute personne ordonnée ici saura qu’elle a ce pouvoir extraordinaire de changer les molécules du vin en sang, littéralement !, de changer les molécules du pain en chair, littéralement !, et de pardonner les péchés des paysans et des pauvres qu’ils exploitent régulièrement autour de la planète.

Cette église a pour principe que seuls les prêtres masculins peuvent offrir le salut, ce qui n’est pas simplement un fait doctrinal mais un dogme de l’église. Ce dogme a été utilisé pour justifier les atrocités commises par les missionnaires en Amérique du Sud, en Afrique, aux Philippines et dans d’autres parties du monde. Cependant, ce péché n’est pas propre à l’Église catholique, et d’autres églises et cultures ont également commis des actes similaires. L’exploitation des pauvres, des plus vulnérables et des jeunes est particulièrement préoccupante. Bien que certains prêtres puissent sembler charmants et mondains, l’Église catholique a un historique de suppression des pauvres et des ignorants. Par exemple, autour de ce petit mile carré, de nombreuses personnes ont été brûlées pour avoir lu la Bible en anglais, et Thomas More, qui torturait des gens qui possédaient une Bible dans leur propre langue, a été canonisé au siècle dernier et est devenu le saint patron des politiciens en l’an 2000 ! L’Église catholique prétend diffuser la parole du Seigneur, mais elle est la seule détentrice de la vérité pour des milliards de personnes non éduquées et pauvres qu’elle dit fièrement représenter.

La question des abus sur des mineurs est également préoccupante, et le pape actuel, Ratzinger [Benoît XVI], a fait des déclarations qui ont limité la liberté sexuelle des femmes. En 2023, en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi [fondée en 1542], Ratzinger a ordonné aux évêques catholiques de ne pas parler à la police, ou à quiconque d’autre, au sujet du scandale des abus sur mineurs… sous peine d’excommunication !

Le fondateur mexicain de la congrégation Légion du Christ, Marcial Maciel Degollado, a été protégé malgré une liste imposante d’abus sur mineurs, liste qui est horrible et ne peut être simplement jugée. “Un ami si proche du Pape“, a déclaré Ratzinger, “quand les allégations ne pouvaient plus être niées.” Maciel a finalement été condamné à une vie de prière et de pénitence… Ratzinger a décrit toute l’affaire, ainsi que celle de Bernard Law de Boston, à laquelle mon collègue a également fait référence, comme causant des souffrances à l’église et à lui personnellement ! Il a également déclaré que la solution serait d’empêcher les homosexuels d’être admis dans l’église.

Maintenant, c’est peut-être injuste de ma part, en tant que gay, de me plaindre de cette énorme institution, qui est la plus grande et la plus puissante église sur Terre, avec plus d’un milliard de membres, chacun d’entre eux ayant pour instruction stricte de croire aux dogmes de l’église mais pouvant lutter avec eux individuellement. Bien sûr, c’est un peu douloureux pour moi de savoir que je suis considéré comme anormal ou, pour citer à nouveau Ratzinger, que je suis coupable d’un mal moral simplement en accomplissant mon destin sexuel tel que je le conçois. Il est difficile pour moi d’être qualifié de maléfique alors que je me perçois comme quelqu’un rempli d’amour, dont le seul but dans la vie était d’être dans l’amour et de ressentir de l’amour pour une grande partie de la nature et du monde, et pour tout le reste. Et, comme toute personne décente et éduquée le réalise, atteindre et recevoir l’amour, c’est un combat. Ce n’est pas quelque chose pour lequel il faut un pape pour vous dire comment le faire. Ce n’est certainement pas quelque chose pour lequel il faut un pape pour vous dire que vous êtes maléfique.

Alors que six pour cent des suicides d’adolescents sont liés au harcèlement, nous n’avons certainement pas besoin de la stigmatisation et de la victimisation qui mène au harcèlement dans la cour de récréation quand les gens vous qualifient de personne anormale, moralement mauvaise. Ce n’est pas gentil. Ce n’est pas agréable.

© Bill Watterson

Le type de cruauté contenu dans l’éducation catholique, le type de viols d’enfants qui a été systématiquement perpétré pendant si longtemps, pourrions-nous les ignorer cela et dire que cela n’a rien à voir avec la structure et la nature de l’Église catholique et la manière tordue, névrosée et hystérique dont ses leaders sont choisis, le célibat, les nonnes, les moines, le clergé. Tout cela n’est ni naturel ni normal, Mesdames et Messieurs, en 2009. Vraiment pas. Je suis désolé d’être qualifié de pervers par ces individus extraordinairement dysfonctionnels sur le plan sexuel. Je ne pense pas que l’histoire humaine ait jamais connu pire.

Je ne dis pas qu’il en sera toujours ainsi. J’aimerais croire que, dans dix ans, je pourrais revenir ici et argumenter le contraire. Même si j’ai parlé de l’histoire et des problèmes structurels de cette institution maudite et de la cruauté et du désagrément qu’elle a causés dans le monde entier, je n’ai pas encore abordé l’un des sujets qui me tiennent le plus à cœur. J’ai réalisé trois films documentaires sur le SIDA en Afrique. J’ai une affection particulière pour l’Ouganda. C’est un des pays que j’aime le plus au monde. J’y suis allé de nombreuses fois. J’ai interviewé Joseph To Euro dans les années 70 et sa femme Janet avant que, malheureusement, elle ne voie soudainement Dieu. Il y a eu une période où l’Ouganda avait le pire taux d’infection au VIH/SIDA au monde. Je suis allé à Rakai, le village où cela a été constaté pour la première fois, mais grâce à une initiative incroyable appelée ABC, où trois principes étaient mis en avant : Abstinence, Fidélité et Utilisation correcte des préservatifs. Je ne nie pas que l’abstinence est une très bonne façon de ne pas contracter le SIDA. Cela fonctionne vraiment. Être fidèle aussi. Mais les préservatifs aussi, on ne peut le nier.

Ce Pape, non content de dire que les préservatifs vont à l’encontre de notre religion, propage le mensonge selon lequel les préservatifs augmentent réellement l’incidence du SIDA. Il affirme effectivement que le SIDA est conditionné par le refus des préservatifs. Je suis allé dans un hôpital au Burundi, à l’ouest de l’Ouganda, où je travaille beaucoup. C’est incroyable la douleur et la souffrance que l’on voit. Maintenant, oui, il est vrai que l’abstinence l’arrêtera. C’est ce qui est étrange à propos de cette église : elle est obsédée par le sexe, absolument obsédée. Ils diront tous que nous, avec notre société permissive et nos blagues vulgaires, sommes obsédés. Non, nous avons une attitude saine. Nous aimons ça. C’est amusant. C’est joyeux. Et parce que c’est un besoin primaire, cela peut être dangereux, sombre et difficile. C’est un peu comme la nourriture, je veux dire, en encore plus excitant. Les seules personnes obsédées par la nourriture sont les anorexiques et les obèses morbides, et, transposé en termes de sexe, cela résume exactement l’attitude de l’Église catholique.

Alors, ce que je veux dire, c’est que nous sommes ici dans un temple méthodiste. Je n’essaie pas de plaider contre la religion à cette occasion. Je ne dis pas cela, et je comprends le désir de quiconque de rechercher des compensations spirituelles dans un monde complexe et difficile à comprendre. Nous ne savons pas pourquoi nous sommes ici, ni où nous allons, nous voulons des réponses, nous aimons l’idée d’avoir des réponses. Comme ce serait merveilleux ! Mais il existe d’autres choix.

Il y a des Quakers : qui pourraient peut-être critiquer les Quakers avec leur pacifisme, avec leur ouverture, avec leur facilité, avec leur simplicité, leur refus de dire à quiconque ce qu’est le dogme et ce qu’il n’est pas, même face à des Méthodistes ! Bien entendu, je ne dis pas que le protestantisme est la réponse contre le catholicisme. Je dis simplement qu’il existe toutes sortes de façons de rechercher la vérité. Vous n’avez pas besoin de cette pompe impériale en marbre et en or.

Reconstitution du visage du Christ © DR

Savez-vous qui serait la dernière personne jamais acceptée comme Prince de l’Église ? Le charpentier galiléen, ce Juif. Ils le vireraient avant même qu’il tente de franchir le seuil. Il serait tellement mal à l’aise dans l’église, ce homme simple et remarquable. S’il a dit les choses qu’on dit qu’il a dites, que penserait-il ? Que penserait-il de Saint-Pierre ? Que penserait-il de la richesse et du pouvoir et de l’auto-justification et des excuses alambiquées ? Que penserait-il d’un homme qui se fait appeler le père, un célibataire qui ose donner des leçons aux gens sur ce que sont les valeurs familiales ? Que penseriez-vous de tout ça ? Il serait horrifié.

Mais il y a une solution, il y a une réponse, il y a une rédemption disponible pour chacun de nous et pour n’importe lequel d’entre nous, et même pour l’Église catholique, curieusement. Je pense que c’est dans un roman de Morris West. Le pape pourrait décider que tout ce pouvoir, toute cette richesse, cette hiérarchie de princes, d’évêques, d’archevêques, de prêtres, de moines et de nonnes pourrait être envoyée dans le monde avec de l’argent et des trésors artistiques pour les remettre dans les pays qu’ils ont autrefois volés et violés, dont les systèmes originaux d’animisme et de croyance et de simplicité, disaient-ils, enverraient ces peuples tout droit en enfer. Ils pourraient donner cet argent et se concentrer sur l’essence apparente de leur croyance. C’est alors que je dirais ici que l’Église catholique pourrait bien être une force pour le bien dans le monde. Mais tant que ce jour n’est pas arrivé, elle ne le sera pas. Merci.”

Stephen FRY (trad. Patrick Thonart)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : veille, compilation, traduction, correction et iconographie | sources : babelio.com ; bbc.com ; intelligencesquared.com ; youtube.com ; christophererichitchens.com | contributeur-traducteur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête © BBC Four ; © Intelligence Squared ; © Paul Vanackere/CIRIC ; © DR.


Plus de débat en Wallonie-Bruxelles…

FILMS : les différentes qualités de fichiers disponibles sur la Toile

Temps de lecture : 6 minutes >
Les Géants, un film de Bouli LANNERS (2011)

Les différentes qualités de films sur Internet sont, par ordre croissant de qualité (utilisez CTRL+F pour rechercher un nom de format particulier) :

VHSRip

Transféré d’une VHS du commerce, principalement des vidéos de skateboard ou de sport ou alors des films XXX.

CAM

Une version CAM est une copie réalisée dans un cinéma avec un caméscope numérique. Un mini-tripod est parfois utilisé mais comme c’est impossible la plupart du temps, la caméra peut trembler. Le placement du siège n’est pas toujours idéal et cela peut être filmé d’un angle. Si la vidéo est recadrée correctement ensuite, cela peut être difficile à déceler, sauf s’il y a du texte sur l’image. La plupart du temps, les CAM ont des bordures triangulaires en haut et en bas de l’écran. Le son est pris avec le micro intégré à la caméra et l’on peut souvent entendre les rires des spectateurs (dans les comédies notamment). A cause de tout cela, l’image et le son sont souvent médiocres.

DivX Re-Enc

Un DivX re-enc est un film pris d’une source VCD et réencodé dans un fichier DivX plus petit. On les trouve surtout sur les réseaux P2P en deux parties (Film.Name.Group(1of2) le plus souvent). A éviter – à moins de vouloir regarder un film basse qualité qui pèse 200 Mo.

TELESYNC (TS)

Un telesync possède les mêmes spécification qu’une CAM, mis à part qu’il utilise une source audio externe (le plus souvent la prise audiojack du siège pour les malentendants). Une source audio directe n’assure pas une bonne qualité audio parce que pas mal de bruits d’ambiance peuvent interférer. Le telesync est souvent filmé avec une caméra professionnelle, ce qui donne une meilleure image. La qualité est très variable donc mieux vaut vérifier le fichier sample avant de télécharger. Un gros pourcentage des telesyncs sont en fait des CAMs qui n’ont pas été tagguées correctement.

TELECINE (TC)

Une machine telecine copie le film depuis les bandes en digital. Le son et l’image devraient être très bons mais à cause du prix de l’équipement requis, les telecines sont assez rares. Le film a généralement un aspect ratio correct, même si des telecines 4:3 ont existé. Note : TC ne doit pas être confondu avec TimeCode, qui est un compteur visible sur l’écran tout au long du film.

SCREENER (SCR)

Un screener est une cassette VHS, en aspect ratio 4:3 (fullscreen) le plus souvent, envoyée aux magasins de location ou autres lieux de diffusion afin d’assurer la promotion du film. Principal inconvénient : un “ticker” (message qui défile en bas de l’écran, avec le copyright et le numéro de téléphone anti-copie). Si la cassette contient des numéros de série ou tout autre marquage qui peut dévoiler l’origine de la cassette, ils devront être masqués avec un marquage noir sur la section incriminée. Cela peut apparaître quelques secondes ou alors durer tout le film. La qualité du screener peut être excellente si elle est faite depuis la copie MASTER.

WORKPRINT (WP)

Le workprint est une copie du film alors qu’il est inachevé. Il peut y avoir des scènes ou des musiques manquantes et la qualité peut varier entre excellente à médiocre. Certains WPs sont très différents de la version finale du film.

DVD-SCREENER (DVDscr)

Même base que le screener mais transféré sur un DVD, aspect ratio letterbox, mais sans les extras qu’un DVD du commerce peut contenir. Le ticker n’est pas dans les barres noires et ne gêne pas le visionnage. Si le ripper a du talent, le DVDscr devrait être très bon. Il est en encodé ensuite en SVCD ou DivX/XviD.

R5 – R6

Le R5 fait référence au format spécifique des DVD sortis en Région 5, l’ex-Union Soviétique, et les bootlegs de ces versions qui sont distribuées sur Internet. Dans un effort de contrer le piratage des films, l’industrie du film a choisi de créer un nouveau format pour les DVD qui pouvait être produits plus rapidement et à moindre coût que les DVD traditionnels. Les R5 diffèrent des autres format parce qu’ils sont des transferts direct du film d’un Telecine, sans le traitement de l’image habituel des DVD et sans les bonus. Cela permet au film de sortir dans les magasins au même moment que sortent les DVD Screeners. Comme les DVD Screeners sont les principales sources des films piratés en haute qualité, cela permet aux studios de battre les pirates sur le marché. Dans certains cas, les DVD R5 sortent sans piste en Anglais, ce qui oblige les pirates à utiliser la prise de son de la version TS. Dans ce cas, la version pirate sera tagguée avec “.LINE” pour la distinguer d’une version qui aura la piste audio du DVD original. La qualité de l’image d’un R5 est généralement comparable à celle d’un DVD Screener, mis à part le texte défilant et les scènes en noir et blanc qui servent à distinguer les screeners des DVD commerciaux. La qualité est meilleure que les transferts Telecine produits par les pirates parce qu’il est effectué à l’aide d’un équipement de film-scanning professionnel. Parce qu’il n’y a pas de standard pour les sorties R5 piratées, elles sont souvent tagguées comme des Telecines, DVD Screeners, ou même des DVDRips. A la fin de l’année 2006, plusieurs groupes ont commencé à tagguer leur versions avec “.R5” en suggérant aux autres groupes de faire de même. Aujourd’hui, c’est devenu un classique : le R5 sort quelques semaines avant le DVDRip final. Il existe aussi :

  • R0 No Region Coding
  • R1 United States of America, Canada
  • R2 Europe, including France, Greece, Turkey, Egypt, Arabia, Japan, Israel and South Africa
  • R3 Korea, Thailand, Vietnam, Borneo and Indonesia
  • R4 Australia and New Zealand, Mexico, the Caribbean, and South America
  • R5 India, Africa (except Egypt, South Africa, Swaziland, and Lesotho), Russia and former USSR countries
  • R6 Peoples Republic of China
  • R7 Romania
  • R8 Airlines/Cruise Ships
  • R9 Expansion (often used as region free)

Cela vous permet de savoir d’où vient la source de la release. Les R1 et R2 sont considérés comme étant de meilleure qualité.

TVRip

Sont des épisodes de séries télévisées qui viennent soit de Networks (capturés en utilisant le câble/satellite) ou des PRE-AIR depuis des chaînes satellite qui diffusent le programme quelques jours auparavant.

PDTV

Les versions PDTV (Pure Digital TV) sont capturées à l’aide d’une carte TV PCI. La qualité est au rendez-vous et elles sont formatées comme les captures HDTV.

HDTV

Certaines émissions sont tagguées HDTV (High Definition TV) si elles sont capturées à l’aide d’un récepteur TV Haute Définition. Les captures HDTV sont en haute qualité, le plus souvent au format XviD.

Asian Silvers / PDVD

Sont des films fournis par les bootleggers asiatiques et sont généralement achetés par certains groupes qui les font passer pour les leurs. Ils sont très bon marchés et facilement disponibles.

Watermarks

Beaucoup de films proviennent des Asian Silvers/PDVD et sont taggués, le plus souvent par des initiales ou un petit logo dans l’un des coins. Les plus connus sont les watermarks “Z”, “A” et “Globe”.

WEB-DL

Ce sont des séries TV ou films téléchargés depuis le site d’un service de distribution comme iTunes. La qualité est assez bonne puisque ce n’est pas ré-encodé. Les flux audio (AC3/AAC) et vidéo (H.264) sont extraits des fichiers iTunes et remuxés dans un container MKV sans sacrifier la qualité. Autre avantage : ils n’ont pas de logo de chaînes, tout comme les BD/DVDRips.

WEBRip

Ces fichiers proviennent d’un service de streaming. La qualité est comparable aux WEB-DL, mais les bitrates sont inférieurs de manière à économiser la bande passante. Les fichiers sont extraits avec le protocole RMTP et remuxés sans perte d’un fichier MP4 à un MKV.

DVDRip

Le DVDRip est une copie du DVD final qui sort dans le commerce. Il est possible que ce soit un PRE, c’est-à-dire une version sortie en avant-première (comme par exemple Star Wars episode 2). La qualité devrait être excellente. Les DVDrips sont en SVCD et DivX/XviD.

BDRip / BRRip

Le BDRip est similaire au DVDRip, à la différence que la source provient d’un disque Blu-ray. Un BDRip qui a la taille d’un DVDRip possède une meilleure qualité qu’un DVDRip de même taille parce que la source est de qualité supérieure. Un BDRip et un BRRip sont exactement la même chose, le BRRip est encodé depuis une pre-release, généralement depuis un BDRip 1080p d’un autre groupe. Les BDRips sont disponibles aux tailles des DVDRips encodés en XviD (700MB et 1.4GB) et en DVD5 ou DVD9 en x264 (4.5GB et plus selon la longueur et la qualité).

BD5 / BD9 / BD25 / BD50

Des BD5 et BD9 sont également disponibles. Légèrement plus petits que les releases DVD5/DVD9, ils sont compatibles AVCHD et utilisent le système de fichiers des Blu-ray. On peut les graver sur des DVD pour les lire sur les lecteurs Blu-ray compatibles AVHCD. D’autres formats plus récents, les BD25 et BD50 sont des images complètes de disques Blu-ray.

Lire l’article complet de MATT sur SKYMINDS.NET (2 avril 2009)…

Plus de technique…

L’Idiot international

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Une du premier numéro de l’Idiot International, en 2014 (c) Libération

“Gauchiste au lendemain de Mai 68, l’Idiot international réapparaît en plein pouvoir socialiste pour foutre le bordel. Jean-Edern HALLIER a-t-il surtout dénoncé ou suscité des dérapages ? Nous avons sauté les deux pieds en avant dans le marécage et fait le décompte. Il existe actuellement un hebdo inoffensif qui provoque quelques remous : Marianne, que certaines âmes sensibles trouvent révoltant. Pourtant, Marianne, par rapport à l’Idiot international, c’est Gala, un plat de nouilles sans saveur. Et Michel Houellebecq, Mère Teresa, comparé à Jean-Edern Hallier. Le 4 octobre 1989, le “monarque absolu” de l’Idiot note : « A la différence des autres journaux, notre grand cru d’absolu se bonifiera en vieillissant, parce que je vais vous le dire : tout journal de la veille, de la semaine précédente, ou du mois d’avant est un tissu de conneries. » Des conneries, on en relève beaucoup dans l’Idiot. Mais puisque Boris Vian affirmait « Dire des idioties, de nos jours où tout le monde réfléchit profondément, c’est le seul moyen de prouver qu’on a une pensée libre et indépendante », examinons l’Idiot de près.

Fondateur de la revue Tel Quel en 1960 avec Philippe Sollers, Jean-Edern Hallier publie deux romans avant mai 68. Au lendemain des événements, avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, il crée un organe qui proteste : l’Idiot International première mouture sera un vrai mensuel gauchiste. Edito du n° 4, mars 1970 : « Le mouvement révolutionnaire (…) n’a encore bien souvent d’autres armes que sa révolte contre la dictature bourgeoise et sa capacité propagandiste de dénoncer partout les multiples facettes d’un même scandale : celui de l’exploitation de l’homme par l’homme. » Suivent des articles intitulés Comment se défendre des abus de l’ordre, Briser le règne des syndicats, La censure bourgeoise au cinéma

Stop ou encore ?

Dans son livre La Force d’âme, Jean-Edern Hallier s’arrange avec sa mémoire et règle quelques comptes : « L’autre Idiot exista de 1968 à 1973. L’équipe a perdu des hommes en route. François Mitterrand, qui voulait me récupérer – restons irrécupérables – est devenu président de la République, après avoir parfois écrit chez nous. Je m’aperçois que d’autres nous ont quittés. Ou plutôt, ils ont rapetissé, ils sont devenus ministres – de l’étymologie, latine cette fois-ci, minus, mini, petit. Jugez-en : siégeaient à notre conseil de rédaction Michel Rocard, Premier ministre, Jean-Pierre Chevènement – ah celui-là, quelle tarte – Kouchner – lui, il ne pensait qu’au Biafra et il avait encore un peu d’humour – Brice Lalonde – heureusement pour lui qu’il est ministre, sinon il serait clochard. »

Beaucoup d’activistes viendront combattre à l’Idiot avant de faire carrière. Jean-Edern : « Que sont-ils devenus ? Roland Castro, architecte et sombre crapule, Serge July, oublié. Geismar, retraité. Il y avait aussi Gluksmann – quel dommage qu’il écrive toujours aussi mal, sinon il serait des nôtres –, Jean-Luc Godard, Jean-Marc Bouguereau et Marc Kravetz, fondateurs de Libération, dont l’Idiot fut la véritable matrice. Il y avait aussi Guy Hocquengheim… »

A partir du 22 mai 1973, un quotidien gauchiste est vendu en kiosques : Libération, soutenu par Jean-Paul Sartre. L’Idiot s’arrête. Jean-Edern Hallier sort des livres, accumule les pamphlets, gesticule dans tous les sens, jusqu’à l’épisode de son ‘enlèvement’ en 1982, soi-disant perpétré par les « Brigades révolutionnaires françaises ». Copain comme cochon avec Mitterrand, il n’obtient aucun poste en 1981. Le nouveau président de la République devient son ennemi intime. Hallier balance tout dans L’Honneur perdu de François Mitterrand (Mazarine, etc.), mais ne trouve aucun éditeur. Bon prétexte pour réactiver l’Idiot en 1984 avec Philippe Sollers, Jean Baudrillard, Roland Topor… Mais les problèmes de censure reprennent le dessus. Hallier attend un nouveau coup médiatique pour relancer une troisième fois l’Idiot, le 26 avril 1989 : il sort une traduction sauvage des Versets sataniques. Procès du vrai éditeur de Salman Rushdie, pub, scandale, c’est reparti. L’équipe est nouvelle. Critère de recrutement : il faut une plume et des avis qui vomissent le tiède.

Casting impressionnant

« Place des Vosges, Louisa, ma cuisinière, fait des pâtes pour Patrick Besson, Edward Limonov, Jacques Bidalou, Jacques Vergès, Jeanne Folly, Laurent Hallier, Marc-Edouard Nabe, Morgan Sportès, Thierry Pfister, Arrabal, Francis Szpiner et Benoît Duteurtre qui lance ses flèches les plus acérées contre Boulez. Christian Laborde nous appelle de Pau et, le soir, il nous arrive de retrouver Philippe Sollers à la Closerie des Lilas. » Peu de centristes dans l’équipe, étoffée par Thierry Ardisson, Arrabal, Gabriel Matzneff, Serge Quadruppani… Hallier : « Où nous situer politiquement ? D’abord, horriblement catholiques ! Et à la sempiternelle question : êtes-vous de droite ? Ou de gauche ? Voici la réponse : nous sommes un écheveau de trahisons innombrables. Vais-je commettre un impair si j’avoue que nous sommes aux bordures d’un parti communiste de rêve qui, bien sûr, n’existera jamais… ? »

Lire la suite de l’article de Benoit SABATIER sur TECHNIKART.COM (1 mars 2002)

A lire sur wallonica.org…


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Les dix habitudes des directeurs incompétents

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(c) Xavier GORCE (blog.lemonde.fr)
  1. Tendance à éviter de prendre des décisions : on a toujours plein de bonnes raisons pour ne pas prendre de décisions mais seuls les gens qui ne décident rien ne font pas d’erreurs. Une bonne décision prise aujourd’hui vaut mieux qu’une décision parfaite prise le mois suivant. Faite attention aux personnes qui ne savent pas prendre de décisions.
  2. Les secrets : « On ne peut le dire aux employés » est mauvais signe. Peu de choses doivent rester confidentielles et les bons managers savent les identifier. Trop de secrets rendent l’entreprise frileuse, anxieuse et méfiante.
  3. Hyper sensible : les managers trop sensibles ne font pas de grands leaders. S’ils ménagent trop leurs employés par peur de les blesser, c’est mauvais signe. Quand un problème surgit, il faut le gérer tout de suite sinon il grandit.
  4. Procédurier : les managers trop procéduriers n’attaquent pas le cœur du problème par souci des rituels et des règles qui deviennent des obstacles à la résolution rapide d’une question.
  5. Préférence pour des employés moyens : les directeurs peu sûrs d’eux ne veulent pas s’entourer de collaborateurs qui peuvent potentiellement les dépasser et les menacer, ils s’entourent donc de gens médiocres.
  6. Se concentrer sur des petites tâches : certaines personnes sont très besogneuses, toujours occupées à une multitude de petites tâches pour cacher leur incapacité à accomplir des tâches importantes.
  7. Allergie aux délais : un délai est un engagement. Un directeur qui ne peut pas respecter une échéance ne sait pas honorer ses engagements.
  8. Inaptitude à attirer d’anciens collègues : j’ai embauché un jour un chef des ventes d’une excellente réputation, semblait-il. Il s’est pourtant trouvé incapable d’attirer des vendeurs qu’il avait formés précédemment pour faire partie de notre nouvelle équipe de vente. C’est mauvais signe.
  9. Dépendance face aux consultants : louer les services de consultants coûte cher. Ils emportent leur expertise avec eux quand ils ont fini leur job et la société ne s’est pas enrichie de compétences, elle a seulement payé pour des conseils et il lui reste à faire des choix.
  10. De longues heures de boulot : de longues heures de travail (qui passent pour de l’héroïsme) révèlent l’incompétence d’un directeur. Pour être productif, il faut savoir choisir ses priorités et trouver un rythme efficace de travail.

A bon entendeur salut !

[source : Management Today, 28 octobre 2008]


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FRENCH NETOCRACY : interview d’Alexander Bard et de Jan Söderqvist

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Jan Söderqvist & Alexander Bard (c) Volante

“Pour Bard et Söderqvist, nous entrons aujourd’hui dans la phase finale du commencement de l’émergence d’une nouvelle ère, l’ère netocratique, laquelle signe la fin du capitalisme. Depuis 2000, ils défendent leur thèse d’un changement majeur de paradigme ; grâce à la traduction de leur livre, la France va enfin pouvoir se joindre au débat. Pourquoi maintenant seulement ? La Netocratie peut-elle s’imposer dans l’Hexagone ? Le contexte a-t-il changé ? Mise à jour avec les intéressés.

Chronic’art : Voici huit ans que vous avez écrit Les Netocrates, publié et traduit dans plusieurs pays. Comment expliquer que nous le découvrions seulement maintenant en France ?

Alexander Bard : D’abord, il semble que la France n’ait pas montré beaucoup d’intérêt pour nos études futurologiques et sociales. Sans doute parce que seule la vieille génération d’intellectuels français – Jacques Derrida, par exemple -, pour qui il est difficile d’apprécier correctement quelque chose de vraiment nouveau, était encore récemment sous le feux des projecteurs. Cette situation semble néanmoins évoluer : les Français se rendent enfin compte de la profondeur de la révolution que représente l’apparition des médias interactifs et d’Internet, et que cette révolution constitue le principal ingrédient de la globalisation politique et économique que nous connaissons aujourd’hui. Est-ce que ce réveil est dû au phénomène des blogs, particulièrement fort en France ? Ensuite, c’est une question de timing puisque nous avons dû attendre de rencontrer les bonnes personnes avec qui nous avions envie de travailler. C’est à la suite d’un entretien-fleuve avec vous, à Chronic’art, que nous avons été mis en contact avec l’éditeur Léo Scheer.

Jan Söderqvist : Il s’agit aussi de raisons plus banales et pratiques. Dès 2001, l’idée d’une traduction française flottait dans l’air, mais il n’y a pas eu de suite. Nous étions à l’époque très pris avec les marchés américain, anglais, sud-africain et espagnol. Je suppose aussi que la confusion a fait hésiter ce premier contact : certains voient Les Netocrates comme une œuvre de philosophie sociale, d’autres pensent avoir affaire à un livre de business ou de management puisqu’il parle des forces sous-jacentes au phénomène des valeurs technologiques (la bulle dot.com) et du fait que des stratégies d’affaires établies, menées par la bourgeoise, ne fonctionnent pas vraiment dans cette nouvelle écologie médiatique. Comment vendre un livre comme celui-là, qui ignore toutes les étiquettes et toutes les conventions traditionnelles ?

En quoi la théorie exposée dans votre essai est-elle antinomique avec l’esprit français, comme vous le dites dans votre préface ?

A.B. : Notre analyse se fonde sur la culture des early adopters. Pour comprendre le monde d’aujourd’hui, nous nous intéressons davantage à l’usage et à l’implication sociale des nouvelles technologies de l’information et des nouveaux gadgets interactifs chez les écolières coréennes ou les pêcheurs du Sud de l’Inde que sur les vieilles références que tout le monde ressasse. Après tout, Max Weber n’avait aucune idée de ce qu’était un téléphone portable ! Notre analyse, du coup, est assez peu flatteuse pour la vieille élite, composée principalement de vieux journalistes et d’auteurs mâles d’Europe occidentale ou d’Amérique du Nord. Notre hypothèse révèle que ceux-ci sont historiquement voués à perdre leur position dominante, alors que de nouvelles forces entrent en jeu. L’Europe est aujourd’hui extrêmement conservatrice et complaisante. Cela va demander de gros efforts aux Européens pour comprendre ce qu’est la véritable radicalité du XXIe siècle.

J.S. : C’est un classique, le changement n’est jamais bon pour la vieille élite en place. Mon avis est que la France est un pays très polarisé où il existe d’un côté une « gauche » vraiment conservatrice qui ne rêve que d’un statu quo éternel et, de l’autre, des pouvoirs plus pragmatiques qui se rendent compte que le chauvinisme réactionnaire n’est plus une option aujourd’hui pertinente.

Est-ce que le problème de la France n’est pas qu’elle est une nation très égocentrée (la France, centre du monde) ?

A.B. : Quiconque a connu un passé prospère va avoir quelques difficultés à accepter un avenir où il se retrouve marginalisé. La France a pu être le centre de l’ancien paradigme industrialo-capitaliste ; l’Etat-nation moderne et la modernité sont d’ailleurs nés en France, ce paradigme ayant été défini par les penseurs des Lumières. Du coup, puisque l’identité française est à ce point liée au capitalisme, il n’est pas surprenant que ce pays ait plus d’obstacles à surmonter que les autres quand il se frotte au paradigme informationaliste. Le seul fait de se poser la question de son positionnement face à ce nouveau paradigme est assez révélateur… Les netocrates se fichent pas mal du débat sur l’identité cadrée dans une nationalité. Ils envisagent toujours les choses à un niveau global et subculturel. Le nationalisme est aujourd’hui un phénomène qui n’intéresse que les sous-classes.

ISBN 978-2-7561-0118-7

J.S. : Il suffit de voir la polémique suscitée récemment par l’article du Times sur la mort de la culture française… C’est toujours un sujet sensible en France, et ce n’est pas bon signe. La nostalgie nationaliste est quelque chose de tellement dépassé ! Aucune Nation ne peut aujourd’hui fonctionner comme une marque. Nous avons trop perdu de temps avec ces inepties. Les Français ne sont pas les seuls à apprécier une nourriture de qualité, du bon vin, la mode, l’art ou la philosophie ! C’est évidemment une mauvaise nouvelle pour les Français qui se sont toujours vus comme culturellement supérieurs aux autres sur bien des plans… « Tu dors, tu es mort », l’adage n’a jamais été aussi vrai.

Avec la netocratie, vous prévoyez la disparition définitive de l’Etat-Nation. Mais n’est-il pas exagéré de penser que le réseau Internet suffira à faire accepter cette idée et à faire émerger une gouvernance netocratique mondiale ?

A.B. : Non, pas du tout. La vieille bourgeoisie est obsédée par les Etats-nations et les implications de l’identité nationale. Les netocrates, eux, ne s’y intéressent pas du tout. Elle n’intéresse manifestement pas Internet (aucun, ou très peu, de sites consacrés au sujet). Pourquoi ? Parce que c’est une question hors sujet dans la vie quotidienne des netocrates. Aucun d’entre eux ne va se sacrifier, par exemple, pour la France.

J.S. : Qui sont les derniers porteurs de drapeaux en Europe ? Les vieux aristocrates, les fermiers gavés de subventions et les néo-fascistes tatoués au chômage, c’est-à-dire les perdants de l’âge de l’information. Le concept d’Etat-Nation est devenu incroyablement obsolète parce que toutes les vraies questions politiques contemporaines quittent la sphère nationale les unes après les autres pour se retrouver dans une optique supranationale. L’environnement, la défense, les impôts, l’agriculture, le système de santé, l’éducation… Tout ! Comment peut-on avoir une politique nationale sur l’environnement ? Quel sens cela peut-il avoir ? Que vous aimiez votre pays ou que vous souteniez farouchement votre équipe nationale de football, peu importe : la politique nationale est devenue une charade insensée…”

Lire la suite de l’interview de Peggy SASTRE sur CHRONICART.COM (1 mars 2008)

A lire : BARD A. & SÖDERQVIST J., Les Netocrates (Paris, Editions Léo Scheer, 2008)


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LAWRENCE : textes

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Et il lui sembla qu’elle était comme la mer, toute en sombres vagues s’élevant et se gonflant en une montée puissante jusqu’à ce que, lentement, toute sa masse obscure fût en mouvement et qu’elle devint un océan roulant sa sombre masse muette. Et, tout en bas, au tréfonds d’elle-même, les profondeurs de la mer se séparaient et roulaient de part et d’autre, en longues vagues qui fuyaient au loin, et, toujours, au plus vif d’elle-même, les profondeurs se séparaient et s’en allaient en roulant de chaque côté du centre où le plongeur plongeait doucement, plongeait de plus en plus profond, la touchant de plus en plus bas ; et elle était atteinte de plus en plus profond, de plus en plus profond, et les vagues d’elle-même s’en allaient en roulant vers quelque rivage, la laissant découverte ; et, de plus en plus près, plongeait l’inconnu palpable, et de plus en plus loin roulaient loin d’elle les vagues d’elle-même qui l’abandonnaient, jusqu’à ce que soudain, en une douce et frémissante convulsion, le fluide même de son corps fût touché ; elle se sut touchée ; tout fût consommé ; elle disparut. Elle avait disparu, elle n’était plus, elle était née : une femme.

L’amant de Lady Chatterley (1928)

ISBN 9782070387434

“Le roman le plus connu de D.H. Lawrence. Son succès repose sur l’idée que c’est le chef-d’œuvre de la littérature érotique, l’histoire d’une épouse frustrée, au mari impuissant, et qui trouve l’épanouissement physique dans les bras vigoureux de son garde-chasse. Mais l’importance du livre est dans la peinture d’un choc historique et social qui constitue le monde moderne. Entre la communauté rurale anglaise et le monde industriel, c’est tout le tissu d’un pays qui se déchire. La forêt du roman, où vit Mellors, le garde-chasse, représente le dernier espace de sauvagerie et de liberté ; lady Chatterley l’y retrouve et s’y retrouve, tout en voyant basculer son univers habituel. Ce roman poétique doit être lu comme un mélange de voyage initiatique, de descente aux enfers, comme une grande lamentation sur l’état de l’Angleterre, aux échos bibliques. L’intrigue amoureuse séduit à une première lecture ; mais le roman a une valeur historique et symbolique…” (en savoir plus via GALLIMARD.FR)

ISBN 9782070295968

En 2006, Pascale Ferran (FR) adapte au cinéma une version antérieure du roman (Lady Chatterley et l’homme des bois) dont Jacques MANDELBAUM dira dans LEMONDE.FR (31 octobre 2006) : “La transposition de Pascale Ferran ne tire pas ses qualités du parfum de scandale provoqué, à l’époque, par la charge érotique du roman. Resserré autour de la relation entre les deux amants, le film tient au contraire tout entier dans la manière, admirable, dont est mis en scène leur insensible rapprochement, surmonté le grand écart social, culturel et physique qui fonde la mutuelle attirance de la belle fiévreuse et de la brute suspicieuse. Pour dire le vrai, on aura très rarement vu au cinéma l’amour et le sexe, la réticence et l’abandon, l’attente et la jouissance, le sentiment et la chair aussi bien filmés qu’à travers le lent apprivoisement de cet homme et de cette femme, pour cette raison qu’ils sont manifestement pensés, et donc filmés, ensemble. La beauté primitive et sensuelle qui habite le film, l’attention qu’il porte à la nature et à la matérialité des choses, aux couleurs, aux tons et aux rythmes changeants à travers lesquels se noue et se consomme la rencontre entre ces deux personnages, tout cela contribue à rendre caduques les questions de morale et de pudeur qui se posent ordinairement en la matière…”


Plus d’amour ?

JANSSENS : Sans titre (2006, Artothèque, Lg)

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JANSSENS Ann Veronica, Sans titre
(photo-lithographie, 54,5 x 73 cm, 2006)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

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Plasticienne belge, née à Folkestone (Royaume-Uni) en 1956, Ann Veronica Janssens vit et travaille à Bruxelles. Elle poursuit depuis la fin des années 1970 une œuvre expérimentale qui privilégie les installations créées en fonction du lieu où elles sont établies et l’emploi de matériaux simples ou immatériels, tel que la lumière, le son ou le brouillard artificiels. L’observateur est confronté à une expérience sensorielle fugitive de l’instabilité qu’elle soit visuelle, physique, temporelle.

Ses productions en deux dimensions établissent des liens entre ses interventions artistiques et les images qui y ressemblent dans l’univers. Cette image se rattache à son travail sur les éclipses. Bien que l’image semble abstraite, elle réfère à un évènement réel. L’artiste joue entre le fictif, l’abstrait et le figuratif.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Ann Veronica Janssens ; Sophie Crepy | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

THONART : croquis

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FERRE Jean : Dictionnaire des symboles maçonniques (1997)

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ISBN 2268025446

“La Franc-maçonnerie est un univers de symboles. Depuis son entrée dans le cabinet de réflexion jusqu’à son accès à la chambre du milieu, le parcours de l’initié en est semé. Voilà qui intrigue le profane et plonge parfois le maçon lui-même dans une profonde perplexité. Pour aider le lecteur à se repérer parmi les symboles maçonniques, Jean FERRE s’attache à faire ressortir la diversité des interprétations, sans toutefois privilégier une école aux dépens d’une autre, et prend appui sur les textes fondateurs (anciens devoirs, manuscrits, rituels) pour retrouver les racines du symbole, sa progression historique, sa richesse. Il étudie chaque outil, précise le rôle des officiers et détaille les divers rites en vigueur. Le Dictionnaire des symboles maçonniques (Paris, Editions du Rocher, première édition en 1997, réédité en 2003), remarquable synthèse sur le monde maçonnique, est à la fois un outil de travail pour le franc-maçon soucieux d’approfondir le sens de sa démarche et un instrument de réflexion pour le profane désireux de pénétrer un monde imprégné de secret.” (Editions du Rocher)

L’auteur, Jean Ferré, avertit le lecteur au début de l’ouvrage : “Ce travail est une recherche, un effort de synthèse, qui vise à apporter des éclaircissements aux Maçons curieux, désireux d’apprendre. Cependant, nous avons décidé de ne pas jouer le jeu des polémistes qui sévissent au sein des différentes Obédiences. Nous avons essayé de travailler au-delà de tout dogmatisme afin de ne froisser aucune susceptibilité. Le présent ouvrage a pour but essentiel de faciliter le travail des Maçons que la Maçonnerie intéresse. Ils y trouveront matière à recherche, à approfondissement. Plutôt que de renvoyer sans cesse le lecteur d’un chapitre à l’autre, nous avons préféré, quand cela n’alourdissait pas trop le texte, re-citer les extraits déjà cités dans un autre article. Dans le même esprit, nous avons daté la source du texte, à chaque citation, afin de bien marquer la « progression historique » et ne pas obliger le lecteur à rechercher systématiquement la date de parution ou d’édition. Parfois, le symbolisme général a été quelque peu négligé, au profit des textes de référence : les Anciens Devoirs, les manuscrits, les divulgations, les rituels. Ainsi le lecteur peut-il mieux se rendre compte des évolutions, des transformations de l’Ordre, des apports et des disparitions d’éléments symboliques survenus au cours de I’histoire. Bien évidemment, en rédigeant ce dictionnaire, nous n’avons pas eu l’ambition d’écrire une oeuvre totale et définitive. Cet ouvrage n’est qu’une approche de la Maçonnerie. Il est destiné à “ouvrir des portes”, à indiquer des directions de recherche à des profanes qui veulent comprendre ce qu’est la Franc-Maçonnerie, à des Maçons qui veulent progresser dans l’Art Royal.

Quelques extraits dans wallonica.org [en construction] :


En savoir plus…

THYS (dir.) : Le cinéma belge (FLAMMARION, Ludion, La Cinémathèque royale de Belgique, 1999)

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THYS M., Le cinéma belge (FLAMMARION, Ludion, La Cinémathèque royale de Belgique, 1999)
  • Recherche et coordination de Marianne THYS
  • Textes de René MICHELEMS, Michel APERS, Jacqueline AUBENAS, Geneviève AUBERT, Guido CONVENTS, Francine DUBREUCQ, Dirk DUFOUR, Peter FRANS, Paul GEENS, André JOASSIN, Luc JORIS, Sabine LENK, Anne-Françoise LESUISSE, Serge MEURANT, Rik STALLAERTS, Marianne THYS
  • Traductions de René ANEMA, Peter BARY, Ludo BETTENS, Ailica CAMM, Philippe DELVOSALLE, Sam DESMET, Jean-Paul DORCHAIN, Eric DUMONT, Annick EVRARD, Bruno LECOMTE, Philippe NEYT, Christophe STEFANSKI, Ann SWALEF, Tommy THIELEMANS, Patrick THONART, Marianne THYS, Dick TOMASOVIC, Catherine WARNANT, Rolland WESTREICH, Chris WRIGHT
  • Préfaces de André DELVAUX et de Marianne THYS

Consulter le livre publié sous la direction de Marianne THYS (90-5544-234-8)

D’autres incontournables du savoir-lire :

D’autres incontournables du savoir-documenter :

van BEURDEN, R. & SHEPARD, S., The Meaning of HACCP in Food Safety Management and the Contribution of Lumac/L’importance des systèmes HACCP dans la gestion de la sécurité alimentaire – La contribution de Lumac (Landgraaf: Perstorp Analytical Lumac, 1995)

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À l’heure du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité, nous sommes nombreux à souhaiter un mode de développement durable et respectueux de notre environnement. Cette nature que nous devrions protéger pourrait-elle nous y aider ? Elle et nous vivons dans le même monde, sommes sujets aux mêmes lois, aux mêmes contraintes physiques. Léonard de Vinci l’avait déjà compris. Parmi les millions d’espèces vivantes, y en aurait-il certaines qui auraient développé des solutions éprouvées par le temps, optimisées par l’évolution et transposables à nos défis technologiques et sociétaux ?” [d’après NEWS.ULIEGE.BE]

Qui aurait dit que -sans le faire vraiment exprès- nos lucioles des soirs d’été inspireraient aux ingénieurs du secteur agro-alimentaire une méthode aujourd’hui couramment utilisée : la bioluminescence.

Il s’agit ici de ce que l’on nomme du biomimétisme : une technologie est mise au point par imitation d’un processus qui existe déjà dans la nature. Je résume : la luciole produit sa petite lumière si charmante quand une enzyme qu’elle transporte dans son postérieur entre en contact avec des bactéries. Une fois transposée dans un milieu de test pour produits agro-alimentaires, la confrontation enzyme-bactérie produit une luminescence qui peut être mesurée.

En clair : je prélève un simple pot de yaourt dans une chaîne de production agro-alimentaire, j’y introduis l’enzyme de la luciole et je mesure la luminescence qui est produite ou non. S’il y a luminescence, il y a bactéries, donc danger pour la sécurité alimentaire (ex. salmonelles). Le reste du lot de production est suspect.

Il ne restait plus qu’à systématiser ces tests à des points de la chaîne de production dits ‘critiques’ et on appliquait la méthodologie HACCP aux tests par bioluminescence.

Intéressés ? Nous vous livrons ci-dessous les bonnes feuilles d’un ouvrage épuisé sur le sujet (nous en conservons une copie papier : si cela vous tente, contactez-nous). S’il s’agit d’un texte à teneur scientifique, il a été publié à des fins commerciales : à vous de faire la part des choses. Bonne lecture…

© Patrick Thonart

Table des matières

      1. Introduction à HACCP
      2. Mise en œuvre de l’HACCP dans le cadre d’un système de gestion de sécurité alimentaire
        • Etape 1 : Définition du cadre de référence
        • Etape 2 : Sélection de l’équipe HACCP
        • Etape 3 : Description du produit final et de la méthode de distribution
        • Etape 4 : Identification de l’usage escompté du produit
        • Etape 5 : Elaboration du diagramme de fabrication
        • Etape 6 : Vérification sur site du diagramme de fabrication
        • Etape 7 – Principe 1 : Analyse des dangers
        • Etape 8 – Principe 2 : Identification des CCP
        • Etape 9 -Principe 3 : Détermination des Niveaux-cibles et des Limites critiques
        • Etape 10 -Principe 4 : Elaboration du système de surveillance pour chaque CCP
        • Etape 11 -Principe 5 : Détermination des actions correctives à prendre pour remédier aux écarts observés
        • Etape 12 – Principe 6 : Elaboration d’un système d’archivage et de documentation
        • Etape 13 – Principe 7 : Vérification du système HACCP
        • Etape 14 – Principe 7 : Révision du plan HACCP
      3. Utilisation de méthodes microbiologiques rapides dans les programmes HACCP
        • Les systèmes basés sur la Bioluminescence ATP
        • La solution LUMAC appliquée aux programmes HACCP
      4. Systèmes HACCP dans l’industrie laitière : la solution LUMAC
        • Exigences microbiologiques d’un système d’évaluation de l’hygiène des citernes, des usines et des machines
        • Exigences microbiologiques d’un système de contrôle des matières premières
        • Exigences microbiologiques d’un système de contrôle des produits finis dérivés du lait
      5. Les systèmes HACCP et la Solution LUMAC pour l’industrie des boissons non alcoolisées (soft drinks)
        • Exigences microbiologiques d’un système d’évaluation de l’hygiène des citernes, des usines et des machines
        • Exigences microbiologiques d ‘un système de contrôle des matières premières
        • Exigences microbiologiques des systèmes de test de produits finis
      6. Les systèmes HACCP et la Solution LUMAC pour le secteur de la brasserie
        • Exigences microbiologiques d’un système d’évaluation de l’hygiène des citernes, des usines et des machines
        • Exigences microbiologiques d’un système de contrôle des matières premières
        • Exigences microbiologiques des systèmes de test de produits finis
      7. L’HACCP et la Solution LUMAC pour d’autres industries du secteur agro-alimentaire
        • L’HACCP et la Solution LUMAC pour le secteur de la boucherie
        • L’HACCP et la Solution LUMAC pour le secteur de la restauration

Préface

Aujourd’hui -et dans le monde entier- les systèmes HACCP sont considérés comme les moyens les plus sûrs d’assurer la sécurité des aliments. A la base de la forte expansion des procédures CCP au cours de la dernière décennie, on trouve divers éléments favorables dont les moindres ne sont pas les mesures de régulation et les dispositions légales prises face à la multiplication des cas d’empoisonnement alimentaire, le souci croissant de protéger l’environnement et les pertes financières encourues par les industriels du fait d’un contrôle insuffisant de la production et de la mauvaise qualité des matières premières. Sur la scène commerciale internationale, les différents opérateurs soutiennent l’HACCP, estimant qu’il leur permet de démontrer à leurs clients combien leurs produits alimentaires satisfont aux exigences qualitatives du marché. On ne compte actuellement plus les livres, les articles, les formations et les guides portant sur l’implémentation des systèmes HACCP ; la plupart d’entre eux sont basés sur les mêmes principes de départ, établis à l’origine par la Pillsbury Company aux USA. Dans le sillage du succès croissant des dispositifs HACCP, les méthodes d’analyse microbiologique rapide se sont également implantées de plus en plus dans l’industrie agro-alimentaire. Cette tendance à la hausse est principalement due à la haute compatibilité de ces applications, et plus particulièrement de la Bioluminescence ATP, avec les programmes HACCP. Si l’information en matière d’HACCP est facilement disponible, il est moins aisé de trouver des indications complètes sur l’implémentation de la Bioluminescence ATP dans le cadre de programmes HACCP. C’est dès lors la finalité que nous avons choisie pour le présent manuel, basé sur des données LUMAC réelles, collectées auprès des utilisateurs, et d’autres données encore, produites par notre département R&D. L’objectif est ici de proposer un manuel pratique exposant clairement la Solution LUMAC et, partant, de faciliter l’implémentation des programmes HACCP. Nous espérons que ce volume pourra vous être très utile et que vous pourrez tirer de multiples avantages de l’utilisation de la Solution LUMAC dans le cadre de votre programme HACCP. Vos commentaires, vos questions, vos remarques et vos compléments d’information sont toujours les bienvenus chez LUMAC : n’hésitez pas à prendre contact avec votre concessionnaire LUMAC, chaque fois que vous l’estimerez nécessaire.

Rob van Beurden & Sue Shepard Landgraaf (mai 1995)

Introduction à l’HACCP

Aperçu historique du système HACCP

La notion de HACCP (Hazard Analysis and Critical Control Point) telle que nous la connaissons aujourd’hui date de 1959. C’est à celte époque en effet que la NASA (National Aeronautics and Space Agency) demanda à la société américaine Pillsbury de produire une nourriture pouvant être consommée dans l’espace, en état d’apesanteur. Le problème -mal connu à l’époque- du comportement des aliments dans des conditions d’apesanteur fut vite résolu. Il restait cependant une partie plus délicate au programme : éliminer les dangers microbiens, chimiques ou physiques présentant un danger potentiel pour la santé des astronautes en mission. Pillsbury en vint rapidement à la conclusion qu’il était impossible de garantir la qualité de ces aliments spéciaux en utilisant les techniques existantes, essentiellement basées sur des méthodes d’analyses destructives du produit fini. Le système non destructif de contrôle de qualité mis au point par Pillsbury se basait sur des actions préventives : en contrôlant la totalité du processus (matières premières, process, distribution, nettoyage, personnel, etc.) et en procédant à un enregistrement rigoureux des données, il était possible de limiter les contrôles entraînant la destruction du produit fini.

Ce programme spatial marqua le début du système HACCP actuel, qui est par essence une méthode préventive de contrôle de la qualité. Ce système repose sur une analyse approfondie e l’ensemble du circuit alimentaire, depuis les matières premières jusqu’au consommateur. Après analyse des processus, il est possible de localiser les dangers et de définir les points de contrôle.

Facteurs ayant influencé l’émergence de l’HACCP

On estime que chaque année, dans les pays occidentaux, quelque 30% de la population est victime de gastro-entérites causées par des agents pathogènes présents dans l’alimentation (Notermans & Van der Giessen, 1993). La salmonellose reste, à ce jour, la principale maladie d’origine alimentaire, et, ces dernières années, on a enregistré en Europe une augmentation du nombre d’épidémies. On pense que celte hausse ne peut uniquement s’expliquer par les modifications des procédures de recensement de ces maladies (Gerick, 1994).

Les maladies d’origine alimentaire représentent un coût élevé pour la société. A titre d’exemple, une étude réalisée au Royaume-Uni en 1986 révélait que l’entérite bénigne causée par le Campylobacter aurait coûté aux alentours de 600 £ par cas. En 1992, on a enregistré plus de 38.000 cas, ce qui représente déjà, même sur base du coût estimé six ans plus tôt, un montant de 22 millions £ rien que pour le Royaume-Uni (Phillips et al., 1994). Pour faire face à ce problème lié à la contamination bactérienne des aliments, il faut apporter des améliorations à tous les stades de la production. C’est là que l’HACCP révèle toute son importance, car la mise en œuvre d’un système HACCP dans une chaîne de fabrication alimentaire permet de superviser chaque étape de la transformation des aliments et de prévenir ainsi les dangers de contamination microbiologique.

S’il est vrai que la contamination microbiologique peut donner lieu à des pertes financières importantes, il ne faut pas sous-estimer l’importance de la contamination physique et chimique des aliments. Le système HACCP a été conçu de manière à couvrir l’ensemble de ces dangers.

L’approche préventive sur laquelle il repose a suscité l’intérêt de sociétés du secteur agro-alimentaire et des instances officielles de contrôle nationales et internationales, qui voient en ce système un moyen efficace de contrôler tous les aspects liés à la sécurité alimentaire.

Ces facteurs socio-économiques ont sans doute contribué à la multiplication, ces dernières années, des textes législatifs en rapport avec la sécurité alimentaire, l’hygiène et l’HACCP en Europe et aux Etats-Unis. Il existe actuellement deux Directives européennes qui soulignent la nécessité, pour les entreprises du secteur agro-alimentaire, de mettre en œuvre un système de suivi et de contrôle :

    1. 92/46/ CE, Directive concernant l’hygiène des produits laitiers, intitulée “Directive arrêtant les règles sanitaires pour la production et la mise sur le marché de lait cru, de lait traité thermiquement et de produits à base de lait
    2. 93/43/ CE; Directive générale concernant l’hygiène alimentaire, intitulée “Hygiène des denrées alimentaires

Le contenu de ces directives a été traduit dans les différentes législations européennes. Par exemple, au Royaume-Uni, le “Food Safety Act” a été modifié de façon à ce que toute directive CE puisse être appliquée dans le cadre du droit national. Ceci signifie que l’industrie britannique de l’agro-alimentaire devra se conformer à la législation instituée par la CE.

A l’instar de la CE, les Etats-Unis ont également reconnu la nécessité d’un contrôle plus strict dans le domaine de la sécurité des aliments. La FDA (Food and Drug Administration) recommande l’adoption des principes HACCP dans les entreprises du secteur alimentaire, même si, pour l’instant, ces directives ne font par partie du droit fédéral et n’ont pas force de loi.

Définitions et principes

En novembre 1989, le Comité Consultatif National américain pour les Critères Microbiologiques des Aliments (National Advisory Committee on Microbiological Criteria for Foods, ou NACMCF) a présenté un guide décrivant le principe des systèmes HACCP. Dans ce document, le comité concluait que l’HACCP constitue un outil efficace et rationnel de contrôle de la sécurité alimentaire (NACMCF, 1989). Ce document clé a été mis à jour en mars 1992 par le même comité (NACMCF, 1992).

L’HACCP peut être défini comme un système qui identifie des dangers spécifiques (c’est-à-dire toute propriété biologique, chimique ou physique qui affecte la sécurité des aliments) et spécifie les actions nécessaires à leur maîtrise. On entend par “Point de Contrôle Critique” (CCP) tout point de la chaîne de production alimentaire, depuis les matières premières jusqu’au produit fini, où une perte de contrôle pourrait faire courir un risque inacceptable (danger) à la sécurité alimentaire. Lorsqu’on met en œuvre un système HACCP, les tests microbiologiques traditionnels constituent rarement un moyen efficace de surveiller les CCP étant donné le temps nécessaire pour obtenir les résultats. Dans la plupart des cas, le mieux est d’assurer cette surveillance par le biais de tests physiques et chimiques, ainsi que par l’observation visuelle. Le Tableau 1.1 reprend quelques-uns des termes HACCP les plus importants ainsi que leurs définitions.

Les sept principes suivants constituent les règles de base du concept HACCP (NACMCF, 1989, Codex Alimentarius, 1993). Ces sept principes sont utilisés pour élaborer, mettre en œuvre, entretenir et améliorer le système HACCP. Ils constituent la base de l’HACCP et on les rencontre dons tous les textes qui traitent de ce sujet :

    1. Identifier le ou les dangers éventuels associés à la production alimentaire, à tous les stades depuis la culture ou l’élevage jusqu’à la consommation finale, en passant des matières premières et ingrédients à la fabrication, la distribution, la commercialisation, ainsi qu’à la préparation et la consommation de l’aliment (Analyse des dangers) et identifier les actions préventives nécessaires à leur maîtrise.
    2. Localiser les Points de Contrôle Critiques (CCP) qui doivent permettre de maîtriser des dangers identifiés ;
    3. Déterminer les “Niveaux-cibles” et les “Limites critiques” auxquels doit satisfaire chaque CCP ;
    4. Fixer les procédures de surveillance des CCP ;
    5. Déterminer les actions correctives à prendre lorsqu’un CCP donné est non maîtrisé ;
    6. Elaborer des systèmes efficaces d’enregistrement des données servant de base à l’élaboration du plan HACCP ;
    7. Définir les procédures destinées à vérifier que le système HACCP fonctionne correctement.

Ces principes seront expliqués de façon plus détaillée dons le Chapitre 2.

Tableau 1.1 : Définitions de termes HACCP importants
      • HACCP : Analyse des dangers points critiques pour leur maîtrise
      • Danger  : Propriété biologique, chimique ou physique susceptible de rendre un aliment impropre à la consommation
      • Analyse des dangers : Evaluation de toutes les procédures ayant trait à la production, la distribution et l’utilisation de matières premières et de denrées alimentaires, visant à :
        • Identifier les matières premières et les aliments présentant un danger potentiel
        • Identifier les sources potentielles de contamination
        • Déterminer la capacité de survie ou de prolifération de micro-organismes au cours de la période de production, de distribution, de stockage ou de consommation
        • Evaluer les dangers et la sévérité des dangers identifiés
      • Risque : Estimation de la probabilité que ce(s) danger(s) se présente(nt) effectivement
      • Sévérité : Gravité d’un danger
      • CCP Critical Control Point (Point Critique) : lieu, étape, procédure ou processus qui doit être maîtrisé en intervenant sur un ou plusieurs facteurs afin d’éliminer ou réduire un danger ou une de ses causes et de minimiser sa probabilité d’apparition.
      • Surveillance : Séquence planifiée d’observations ou de mesures pour déterminer si un CCP est maîtrisé et produire un document d’archive précis destiné à être utilisé ultérieurement à des fins de vérification

Avantages et problèmes potentiels du concept HACCP

Le concept de l’HACCP comporte de nombreux avantages :

    • Il est efficient, car il suppose une concentration des efforts de contrôle
    • Il est économique, car les méthodes de surveillance reposent essentiellement sur des techniques rapides et simples, et
    • il est extrêmement efficace, car il permet de prendre rapidement les actions correctives nécessaires.

Cette approche rationnelle et intégrée visant à garantir la sécurité des aliments a suscité l’intérêt de diverses instances chargées de la réglementation en la matière (offices de contrôle alimentaire , ministères de la santé et de l’agriculture, etc.). Leur attitude positive à l’égard de l’HACCP a également eu pour effet de renforcer l’intérêt des entreprises du secteur de la transformation des aliments. Comme c’est le cas lors de tout changement important au sein d’une entreprise, il y a quelques obstacles à franchir au moment de mettre en place un système HACCP sur mesure. Ces obstacles peuvent varier d’un cas à l’autre en raison des différences qui existent au niveau de l’organisation, de la culture d’entreprise et du degré d’engagement du personnel. Voici quelques-uns de ces problèmes et des solutions qui s’y rapportent (Pearson, 1994).

Résistance aux pratiques et aux protocoles de travail standardisés

Si le personnel n’est pas habitué à travailler selon des règles strictes, il se peut qu’il manifeste une résistance à la mise en œuvre d’un système HACCP. Il se peut que les travailleurs doivent changer certaines de leurs habitudes, le succès d’un tel système reposant en effet sur le respect scrupuleux des protocoles. Un aspect positif est que les nouveaux venus peuvent être rapidement opérationnels car toutes les activités sont décrites dans des documents. Une bonne information et une explication de l’impact du système sur la qualité des aliments devraient permettre de convaincre ceux qui se montrent réticents à adopter les actions nécessaires.

Nécessité éventuelle d’investissements

Dans certains cas, les installations de transformation des aliments sont vétustes et inefficaces, voire mal conçues. Pour pouvoir mettre en œuvre un système HACCP, il se peut qu’une partie de l’infrastructure doive être réorganisée, déplacée ou modernisée. Ces investissements de départ sont habituellement rentabilisés à long terme grâce à une diminution des coûts et une meilleure productivité.

Contrôle de l’hygiène personnelle des travailleurs

Les personnes qui manipulent les aliments ou qui sont impliquées dans leur transformation constituent une source possible de contamination. Il est donc important d’exercer un contrôle rigoureux de leur hygiène individuelle. Il se peut que certains travailleurs doivent changer leurs habitudes (coiffure, lavage des mains, éternuements, etc.) ou être temporairement déplacés s’ils souffrent de maladies d’origine alimentaire telle qu’une infection aux salmonelles. L’explication de quelques notions de base de microbiologie alimentaire peut contribuer à sensibiliser le personnel à l’importance de l’hygiène individuelle. Une plaque de gélose incubée avec l’empreinte digitale d’un travailleur peut être utilisée pour ouvrir les yeux des sceptiques !

Main d’œuvre mal formée

Une formation insuffisante peut induire un manque de respect des normes. Une mauvaise communication et des explications incomplètes des normes et des protocoles auront pour effet d’augmenter les réticences et de diminuer la motivation du personnel. Les travailleurs à temps partiel et le personnel temporaire sont souvent oubliés ou simplement exclus lorsqu’il est question de formation.

N’essayez pas de gagner du temps ou de l’argent en rognant sur les formations ! L’aspect humain est l’élément le plus important dans la réussite de l’HACCP !

Le travail contre la montre

Quand les produits doivent être fabriqués et livrés rapidement (notamment suite à une hausse soudaine de la demande), un personnel mis sous pression peut avoir tendance à être moins attentif aux normes et aux règles de production. C’est surtout durant ces périodes que le système HACCP risque d’être mis à l’épreuve et que l’on pourra se rendre compte du degré de motivation et de dévouement du personnel. Or, c’est en ces moments-là que les erreurs ou les “raccourcis” délibérés se rencontrent souvent…

Un bon planning de production et l’utilisation du personnel adéquat peuvent permettre d’éviter les  problèmes liés à ces périodes de travail sous pression.

Limitation de la créativité, de l’esprit d’innovation et du savoir-faire

Certains craignent parfois que la mise en œuvre d’un système HACCP ne vienne entraver la créativité, l’esprit d’innovation et le savoir-faire. Pourtant, le fait d’introduire une standardisation des pratiques et des procédures ne signifie pas qu’il faille supprimer ces éléments, son objectif étant simplement de garantir la sécurité des aliments produits.

Les obstacles potentiels mentionnés plus haut n’ont pas empêché l’industrie agro-alimentaire d’adopter le concept HACCP. Il est clair en effet que les avantages à long terme l’emporteront sur les éventuelles difficultés à court terme.

Pour être efficace, l’HACCP doit faire partie intégrante de la politique de l’entreprise en matière de qualité, et il peut donc être associé à un programme de “bonnes pratiques de fabrication” ou à la mise en œuvre de la norme ISO 9000. Cela nécessite d’importants investissements tant en heures de travail qu’en termes de ressources financières de l’entreprise. Pour réussir, un tel programme doit bénéficier de l’appui et de l’engagement total de la direction et du personnel, travaillant ensemble dans un esprit d’équipe.

L’amélioration du rapport coût/avantages lié à l’HACCP n’apparaîtra clairement qu’à long terme, au moment où l’utilisation de ce système se traduira par des économies engendrées notamment par un meilleur rendement et une réduction des rebuts. Certains avantages n’ont pas de retour financier tangible, mais contribuent à améliorer l’image et la réputation de l’entreprise. Un certain nombre d’avantages commerciaux du système HACCP sont repris dans la liste qui suit:

    • Augmentation de la sécurité alimentaire
    • Minimiser les dangers de produit non conformes
    • Conformité à la législation en matière d’alimentation et à la directive européenne sur l’hygiène
    • Meilleur rendement
    • Réduction des rebuts
    • Amélioration des conditions de travail
    • Amélioration du moral et réduction de la rotation du personnel
    • Fiabilité accrue permettant de rencontrer les exigences du client
    • Renforcement de la confiance du client
    • Elargissement des perspectives commerciales
    • Amélioration de l’image et de la réputation
    • Amélioration de la qualité des produits
    • Diminution du nombre de réclamations
    • Diminution du nombre de produits retirés de la vente
    • Réduction du risque de contre-publicité
    • Réduction des coûts

[…]

Références bibliographiques

      1. Gerick, K. 1994. Foodborne Disease Trends in Europe. Intervention à la Conférence sur la sécurité alimentaire, Laval, France, Juin 1994.
      2. National Advisory Committee for Microbiological Criteria for Food (NACMCF), 1989. HACCP principles for food production. USDA-FSIS Information Office Washington, DC.
      3. National Advisory Committee for Microbiological Criteria for Food (NACMCF), 1992. Hazard Analysis and Critical Control Point System. International Journal of Food Microbiology, 16, 1-23.
      4. Notermans, S., et Van der Giessen, A., 1993. Foodborne disease in the 1980s and 1990s. Food Control 4, 122-124.
      5. Pearson, R. 1994. Personal communication, Food Dialog, UK.
      6. Phillips, C., et J. T. George, 1994. Food Poisoning in context, International Food Hygiene, 5, 45-49.

Traduction : Patrick Thonart


Plus de technique…

THONART : Penderecki. Voyage aux frontières de la tradition contemporaine (Prologue n°246, 1992)

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Grandeur et misère de la Musique Contemporaine, vol. II, chapitre Krzysztof PENDERECKI. Douxième prise. Silence. On tourne : “Artiste maudit parmi les maudits, né avec un prénom impossible à orthographier, Krzysztof errait dans le petit matin de Cracovie. Son regard perdu dans les brumes s’anima un bref instant lorsqu’il revit en rêve un violon cassé, cadeau que son grand-père Penderecki, soliste de renom, lui avait offert avant de partir pour les Camps de la Mort…”  Coupez, c’est mauvais et puis… intégralement faux :  Krzisztof PENDERECKI a eu un cursus honorum d’une linéarité à faire pâlir d’envie un ingénieur des ponts & chaussées.

Né le 23 novembre 1933 à mi-chemin entre Cracovie (PL) et la frontière russe, Krzysztof Penderecki est un petit garçon polonais exemplaire et sans histoire. Son père, avocat, touche un peu le piano et, violoniste amateur, il réunit souvent des proches pour faire résonner la maison familiale de mouvements de quatuors ou de brillants duos. Le petit Krzysztof, lui, s’essaie sans grand succès au piano, avec plus de bonheur au violon. La guerre éclate, années entre parenthèses pour le père Penderecki qui doit abandonner son travail, première confrontation avec la liberté pour le futur compositeur qui, encore enfant, rappelons-le, voit des dizaines de Juifs polonais entassés en troupeaux et emmenés sans ménagement vers des horizons plus sordides. Après les troupes nazies, c’est l’Armée Rouge qui entre en scène. Attribuera-t-on à ces événements le goût de Penderecki pour l’intégration des bruits parmi les sons musicaux et pour les violents contrastes sonores ? Arrêtons-là la psychologie de bas-étage. La guerre se termine et Krzysztof finit des études secondaires tout ce qu’il y a de plus normales (à l’exception d’une punition pour avoir gribouillé des slogans anti-stalinistes sur les portes des toilettes). Juin 1951, Krzysztof Penderecki part étudier la musique à Cracovie, fils d’avocat, il n’a pas la chance -époque oblige- d’être descendant de paysan ou d’ouvrier et ne peut donc être admis de plein droit comme étudiant dans la vénérable Alma Mater. Il pourra néanmoins s’y consacrer à une passion : la musique ancienne (N.B. une autre passion qu’il avoue bien volontiers est son goût plus que prononcé pour les grosses voitures…). 1954, entrée à l’Académie de Musique de Cracovie. 1958, sortie de l’Académie de Musique de Cracovie et… retour à l’Académie de Musique de Cracovie : l’élève est tellement brillant qu’on en fait illico un professeur de composition. Ses connaissances en musique religieuse ancienne lui permettent également d’enseigner dans un collège religieux. L’enseignement restera d’ailleurs l’une des trois activités privilégiées de Penderecki, tant que les deux autres -composition et direction d’orchestre- lui en laisseront le loisir. Comme tout étudiant en art, il se fait la main en attendant la célébrité et compose des pièces plus virtuoses qu’inspirées. C’est l’époque des Trois miniatures pour clarinette et piano (1956). Bartok n’est pas loin. La mort d’un de ses vénérés professeurs le pousse à composer Epitafium, un requiem pour cordes, orchestre et percussions. On parlera de “violence expressive”, on évoquera Honegger, et on saluera l’arrivée d’une voix nouvelle, sans encore parler de voie novatrice. De concours en concours, Penderecki gagne des galons et des voyages, dont un en Italie où il rencontre Luigi Nono. De cette époque datent les Psaumes de David (1958) pour chœur mixte, cordes et percussions, les Emanations (1958-59) pour deux orchestres à cordes et les Strophes pour soprano, récitant et 10 instruments (1959). Krzysztof Penderecki gagne également sa vie en écrivant des musiques de film et de la musique de scène pour théâtre de marionnettes, pratiques peu fréquentes parmi les musiciens de notre Europe de l’Ouest.

Couverture du Prologue n°246, où cet article a paru en janvier 1992 © ORW

1956 avait été pour la Pologne musicale une année marquante : la fin du stalinisme libérait la nouvelle génération du carcan du réalisme socialiste et d’une certaine insistance sur le folklore. Le Festival d’Automne de Varsovie, créé cette même année, ne fut néanmoins pas ce creuset tant attendu où les nouvelles générations auraient pu s’épanouir. L’arrière-garde post-romantique et l’influence néo-classique en direct de France -notamment représentée par ces jeunes compositeurs qui avaient eu la chance de recevoir une bourse d’Etat pour étudier à Paris auprès de Nadia Boulanger- entravaient encore le monde polonais de la composition. En 1958, l’avant-garde vient d’ailleurs, de Darmstadt plus exactement, où règnent Boulez, Stockhausen et Cage. C’est l’époque du sérialisme le plus strict, Schönberg y fait déjà figure d’ancêtre et son dodécaphonisme initial qui ne sent plus le soufre est condamné, trop de liberté y reste possible pour ces nouveaux puritains du sériel.

Série : une succession des douze demi-tons de la gamme chromatique présentés dans un ordre déterminé par le compositeur, et qui, moyennant divers aménagements (transposition, renversement, récurrence, transformations rythmiques, etc.), engendrera toute la composition.”

PINCHERLE M., Petit lexique des termes musicaux (Paris, 1973)

Krzysztof Penderecki compose Anaklasis pour 12 cordes et percussions (1959-60), Thrénodie pour 52 cordes (1960) et expérimente de nouvelles techniques de notations. L’élève Penderecki connaît ses classiques et il est aisé de dépister ses références : Stravinski dans les Psaumes, les maîtres du sériel dans Emanations et Thrénodie, Nono et Boulez dans Strophes. Mais le sevrage n’a pas l’air trop douloureux : les sonorités, entrecoupées de bruits, lui sont propres, les contrastes de couleurs qu’il affectionne tant sont autant de sceaux dont il marque ses compositions, les différentes attaques au sein de la même pièce sont enfin typiques d’un style et d’un son “Penderecki fecit”. A cet univers nouveau, il fallait une notation adéquate. Qu’à cela ne tienne, Penderecki invente de nouveaux codes… conférant à certaines partitions des airs d’électro-encéphalogrammes ; mais non, c’est bien de musique qu’il s’agit. Faut-il transcrire des tempi fluctuants ? Penderecki trouve le vocabulaire graphique pour les dire : trois lignes parallèles aux portées représentent trois repères de tempo (l’inférieure, le tempo le plus lent -♫ = c.48 par min.- et la supérieure, le tempo le plus rapide -♫ = c.66 par min.), un gros trait passant de l’une à l’autre indique clairement les changements ou, plutôt, les glissements de tempo. Non content d’innover le langage écrit, Penderecki bouscule le langage sonore en attribuant autant de valeur aux sons qu’au bruit proprement dit : Anaklasis sera l’événement du Festival de Donaueschingen de 1960 ; Heinrich Strobel, l’âme du festival, l’avait prévu, qui avait commandé l’oeuvre à Penderecki après l’audition de ses Strophes. Dans les Dimensions du temps et du silence, le chœur ne chante pas des mots mais des sons. L’électronique, très en vogue à l’époque, n’est pas négligée non plus : dans Psalmus 1961, la voix d’une soprano est retravaillée avec force effets d’écho et de filtres. Réactions mitigées : “choc sonore”, “dérangeant”, “désespérément cataclysmique” (à propos de sa Thrénodie dédiée aux victimes d’Hiroshima), “grandeur primitive” ou “son libéré”. Le fort-en-thème-du-premier-rang n’est pas exactement le gentil petit garçon que l’on attendait…

1962, l’année de tous les dangers, l’année de la trahison : c’est du moins ce qu’affirment les avant-gardistes du moment car, comme on peut le voir, il n’est de pires conservateurs que des révolutionnaires qui ont pignon sur rue. La parole est au Procureur du Roi. Le 27 novembre de cette année-là, Varsovie entend la première d’une pièce pour trois chœurs mixtes : un Stabat Mater (il sera par la suite incorporé dans la Passion). Penderecki est alors adoré des foules, les Polonais le saluent en rue (même ceux qui n’ont jamais entendu ses œuvres, d’ailleurs), il sera bientôt (en 1972) nommé Principal de l’Académie où il enseigne toujours (quand il est en Pologne) et il partage désormais son existence entre sa famille, ses cours et ses compositions. La voie est toute tracée pour un succès mondial, les lauriers sur terre. Est-ce pour cela que Penderecki quitte la ligne pure et dure de ses premières années ? Est-ce en vue de cette satisfaction terrestre qu’il livre ce Stabat Mater à son public, atterré de ne plus être choqué ? On lui a reproché, au nom de l’avant-garde, au nom de l’intellect, de courtiser les masses. Qu’avait-il donc de si terrible, ce Stabat Mater ?

Pour en prendre connaissance, il faut aujourd’hui écouter la totalité de la Passion selon Saint Luc dans laquelle Penderecki a intégré l’objet du litige. Créée en 1966 dans la cathédrale de Münster (sous la baguette de Henryk Czyz, fidèle de toujours), la Passion est considérée comme la première grande oeuvre de Penderecki. La déconfiture du “mécano sériel”, annoncée dans le Stabat Mater, est ouvertement prononcée dans cette oeuvre où Penderecki, fort de ses connaissances en musique religieuse ancienne, incorpore des éléments de chant grégorien et de polyphonie vocale traditionnelle. Par sensationnalisme, a-t-on-dit, le compositeur y mélange organiquement les matériaux sonores les plus hétérogènes, les couleurs y éclatent en contrastes vertigineux. Penderecki avait choisi Luc parce que les autres Passions avaient déjà été trop bien servies : la série B-A-C-H (Sib-La-Do-Si) exprime clairement son hommage. Sa Passion selon Saint Luc sera jugée par la postérité. Comme chef d’accusation : sa complaisance. Pour sa défense, l’accusé plaidera le jeu avec la tradition (pour peu que la musique de Penderecki puisse avoir un caractère ludique !) ou la redécouverte de l’authenticité de certaines sources marquantes pour la suite de l’oeuvre religieuse de Penderecki. Le public, lui, est séduit et la Passion aura pour premier mérite de servir de porte d’accès à des œuvres réputées plus difficiles. Son second mérite, et non le moindre, est de faire de Krzysztof Penderecki un compositeur mondialement apprécié. Désormais, de festivals en rétrospectives, de commandes prestigieuses en créations retentissantes, de la musique sacrée aux concertos virtuoses, Penderecki est un globe-trotter, traversant l’Atlantique dans les deux sens, au gré des concerts et des cours qu’à présent il donne également à Yale. Resnais lui confie la musique de son film “Je t’aime, je t’aime”. 1967, Pittsburgh Overture, première américaine. 1968, voyage en Bulgarie pour collecter le matériel vocal des futurs Utrenia 1 et Utrenia 2 (Enterrement du Christ, Résurrection), première du Capriccio pour Sigfried Palm (violoncelle solo)…

1969, première des Diables à Hambourg (Rolf Liebermann) : premier opéra de Penderecki, basé sur la traduction allemande de la pièce de John Whiting “Les Diables”, elle-même inspirée des “Diables de Loudun” d’Aldous Huxley. Le succès est mitigé. Le public s’est ennuyé et maintenant, il hue. Quelques jours plus tard, seconde “première” à Stuttgart ; le producteur Günter Rennert s’est déchaîné, c’est un succès : le ton narratif utilisé à Hambourg s’est mué ici en une plongée vertigineuse au cœur de l’action, la violence macabre entre enfin en scène, les sœurs “possédées” se dépoitraillent sans pudeur et le Père Grandier flambe devant les yeux du public. Rennert a réussi à trouver le pendant dramatique des explorations sonores de Penderecki.

Que dire encore de KP ? Son oeuvre continue à vivre, à se nuancer, à explorer le tréfonds du sonore ; à ses carrières parallèles de professeur et de compositeur, il a ajouté celle de chef d’orchestre (première direction en 1971). EMI a gravé la plupart de ses œuvres. Il compose pour les plus grands  (le pape, des princes, des organismes internationaux, des festivals). Il a même goûté au jazz avec son Actions pour big band (1971). Aux Diables succéda Paradise Lost, moins dramatique, presque post-wagnérien, dira-t-on. Après la Passion et Utrenia vint sa Cosmogonie (1970), oeuvre non-religieuse qui permit à l’Etat polonais de remercier officiellement Krzysztof Penderecki, catholique de gauche, pour avoir “fait de la musique polonaise un concept mondial” (l’événement, postérieur au putsch, n’a pas suscité que des applaudissements). Autre rebondissement politique, Penderecki compose un Lacrimosa en mémoire des grévistes tombés en 1970 à Gdansk. L’oeuvre, commandée par Lech Walesa, a failli empêcher Penderecki de revenir en Pologne après l’arrivée au pouvoir des militaires. Après quoi, on relèvera encore un Requiem polonais (1984), un opéra, Le Masque noir (1986), et quelques concertos.

Le compositeur est aujourd’hui connu du grand public, il a sa place dans tous les bons dictionnaires (et dans wallonica.org) ; sa musique, autrefois juste bonne à faire fuir un abonné, figure au programme de tous les festivals de musique contemporaine ; il est de bon ton de connaître quelques anecdotes sur la vie de Penderecki, d’être amusé par ses premiers essais (“péchés d’adolescence” ?), d’être intéressé par ses œuvres les plus inaudibles et de saluer avec complaisance son retour dans le giron de la musique “normale”.

Mais que conclure de ce long cheminement musical quand on veut écouter sincèrement l’oeuvre de Penderecki ? Il y a-t-il un message dans ce cabotage aux confins de la tradition ? S’il est vrai qu’il n’est de rite que le rite vécu, celui par lequel le novice, vierge, pressent le passage, pour Penderecki, il n’y a eu de tradition musicale qu’une fois revisitée, où l’auditeur, d’abord apeuré mais curieux d’une culture sonore qui est la sienne, se voit ouvrir les voies de résonances essentielles, au cœur des racines authentiques de la musique de son continent. Jeune intellectuel, Penderecki a dû plonger jusqu’au sources de la culture paneuropéenne pour s’affranchir des exaltations adolescentes (visibles dans la virtuosité pure de certaines pièces) et retrouver l’essence des sonorités qui nous sont propres. A travers e.a. sa musique sacrée, Penderecki nous livre son Graal, hic et nunc : des sons qui ne peuvent nous laisser indifférents.

Quelle belle leçon d’humilité intellectuelle que de déterrer de son propre jardin les fruits que d’autres cherchent encore sous les tropiques.

Patrick Thonart


Cet article est paru en janvier 1992, dans le n° 246 de Prologue, le magazine de l’Opéra Royal de Wallonie, et ce, alors que l’ORW accueillait Les Diables de Loudun les 21-23-27-29 février 1992, au Théâtre Royal de Liège (BE) :

LES DIABLES DE LOUDUN
Opéra en trois actes
Livret et musique de Krzysztof PENDERECKI
Edition B. Schott fils, Mayence (partition)

Direction musicale de Robert Satanowski
Mise en scène d’Albert-André Lheureux
Décors et costumes de Serge Creutz

Production de l’Opéra Royal de Wallonie
Avec Helia THEZAN (Soeur Jeanne), Nicolas CHRISTOU (Urbain Grandier)
Orchestre et choeurs de l’ORW


A lire absolument, pour ne pas assister idiot à une représentation des Diables de Loudun : l’Appendice des Diables de Loudun d’Aldous Huxley. Le penseur anglo-saxon y analyse les différents “succédanés de la grâce”, de la transcendance… vers le bas. Autrement dit : “comment oublier que je ne suis que moi et que je n’adore pas ça ?” Et ce, en trois leçons. Leçon 1 : l’alcool et les drogues. Leçon 2 : la sexualité sans âme (pas la sexualité élémentaire de D.H. Lawrence, dite ‘de l’Eden’, mais celle sans amour et perverse de Genêt, dite “de l’égout”). Leçon 3 : le délire des foules (contrairement au deux précédents, ce genre de délire a rarement été interdit par le Pouvoir). Le texte est brillant et clair, incisif et provocateur ; de ces textes qui laissent le lecteur pensif, longtemps après qu’il a fermé son livre.


A lire également : la fiche très détaillée de SCHOTT-MUSIC.COM (éditeur musical) ; on y trouvera l’intégralité de l’oeuvre de Penderecki par catégorie ; la biographie du compositeur y est publiée en anglais mais elle est traduite en français sur le site de l’IRCAM – Centre Pompidou (BRAHMS.IRCAM.FR).


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Plus de musique en Wallonie…

THONART : L’étrange cas du Docteur Rossini et de Monsieur Gioacchino (Prologue n° 245, 1992)

Temps de lecture : 5 minutes >

Ouverture

… Mais je parle d’un opéra : Lucia di Lammermoor, Sir Walter Scott, du classique, comprends-tu ? … Philippe était entré déjà dans cette salle plusieurs années auparavant, lors de la représentation de la Zia di Carlo. On l’avait restaurée depuis, dans les nuances betterave et tomate. Par bien d’autres côtés, d’ailleurs, elle faisait honneur à la petite ville. On avait élargi l’orchestre ; des draperies de terre cuite ornaient certaines loges, et au-dessus de chacune, pendait une énorme tablette, proprement encadrée, portant son numéro. Il y avait aussi le rideau -un paysage rose et pourpre, où s’ébattait une troupe nombreuse de dames peu vêtues, cependant que deux autres dames, couchées sur le sommet du proscenium, soutenaient un cadran d’horloge, énorme et pâle.
La somptuosité et l’horreur de l’ensemble étaient telles que Philippe ne put réprimer un cri. Le mauvais goût, en Italie, a quelque chose de majestueux. La vulgarité anglaise est inquiète, et l’allemande a des œillères : le mauvais goût italien voit la beauté et l’outrepasse, mais en conserve l’assurance. Le minuscule théâtre de Monteriano rivalisait impudemment avec les meilleurs et les dames soutenant l’horloge eussent adressé un signe de tête aux jeunes hommes de la Sixtine.
… soudain [le rideau] s’éleva, découvrant les terres de Ravenswood et le chœur des chasseurs écossais éclata. L’auditoire, qui soutenait en frappant ou tambourinant la mesure, oscilla dans la mélodie comme un champs de blé sous le vent… [Philippe] avait saisi, pour sa part, le principe de l’opéra en Italie, qui vise non à l’illusion mais au divertissement, et il n’avait aucune envie que cette soirée de gala fut métamorphosée en réunion de prière.
… Les familles se saluaient à travers la salle. Du parterre, les spectateurs, hélant leurs frères et fils dans le chœur, leur assurèrent qu’ils chantaient comme des anges. Quand Lucia apparut au bord de la source, de vifs applaudissements s’élevèrent, mêlés de cris : “Bienvenue à Monteriano !”… Lucia se mit à chanter et l’on fit silence, un instant. Elle était lourde et laide ; mais sa voix restait belle et la salle entière, à son chant, bourdonna doucement comme une ruche d’abeilles heureuses. La coloratura fut tout au long ponctuée de soupirs et la dernière note aiguë monta dans une clameur d’universelle allégresse…”

Acte I

Voilà, tout y est ! Forster l’a écrit, qui connaissait l’Italie pour l’avoir visitée (merci, Monsieur Baedeker) et l’Angleterre pour avoir souffert d’être victorien. L’auteur de A Passage to India était un entomologiste romanesque qui (vile vengeance ou autocritique ?) passa son élégante carrière littéraire à dépister les plus intimes frustrations de ses frères (et sœurs) grands-bretons en les mesurant à l’aune des passions méridionales. Avide de constrastes, il n’a pas hésité à plonger toute une troupe de jeunes vierges anglicanes dans les bras de ténébreux Italiens ou de mystérieux intouchables de l’Inde coloniale. Qui eut pu mieux critiquer l’opéra italien du XIXe siècle ?

Cet article est initialement paru dans le n°245 (janvier 1992) de la revue mensuelle « Prologue » de l’Opéra Royal de Wallonie (Liège, BE) – texte actualisé en 2017

Monteriano, Venise ou Milan, toute la scène au temps de Gioacchino est là. N’oublions pas que, si certains postulent l’immortalité de l’oeuvre, le compositeur a néanmoins vécu à une époque bien réelle où l’opéra n’était en rien ce que nous connaissons dans nos brumeuses Ardennes. L’Italie n’était aucunement unie, sainte, etc. ; elle n’était qu’un amalgame de cités plus ou moins riches, plus ou moins cultivées, où des directeurs de théâtre et des imprésarios plus ou moins honnêtes exploitaient une foule de musiciens itinérants qui dirigeaient, ici la première de telle production locale, là les répétitions de l’oeuvre qui leur tenait tant à cœur avec, hélas, la maîtresse du directeur comme Prima Donna.

Heureusement, l’Italie est aussi une terre généreuse, s’il en est. La prodigalité ensoleillée des méridionaux a aisément compensé l’inévitable légèreté avec laquelle des dizaines d’opéras ont fait résonner les salles en plaqué or de la péninsule.

Et puis, est-ce faire justice à Gioacchino que de réduire le succès de ses oeuvres à des fleurs du hâle ?

Acte II

Vienne. Dans un grenier (genre La Bohème) où traînent, éparses, des partitions fouillées, le Maître est sourdement penché “sur une impression de musique qu’il achève de corriger”. La porte s’ouvre et Gioacchino pénètre dans l’antre du génial clochard. Il n’a reculé devant aucune mondanité pour vivre cet instant (pour lui, sans l’aide de Monsieur Salieri et du poète Carpani, pas de rencontre possible avec le compositeur des Quatuors). Beethoven attend un peu pour redresser la tête : “Ah ! Rossini, c’est vous l’auteur du Barbiere di Siviglia ? Je vous félicite, c’est un excellent opera buffa ; je l’ai lu avec plaisir et m’en suis réjoui. Tant qu’il existera un opéra italien, on le jouera. Ne cherchez jamais à faire autre chose que de l’opera buffa ; ce serait forcer votre destinée que de vouloir réussir dans un autre genre… Voyez-vous, l’opera seria, cela n’est pas dans la nature des Italiens. Pour traiter le vrai drame, ils n’ont pas assez de science musicale ; et comment, celle-ci, pourraient-ils l’acquérir en Italie ?”

Gioacchino, comme on le verra, s’y essaiera quand même, frondeur qu’il était. Rossini prend note et plonge en souriant dans un salon de thé.

Acte III

Paris. Rossini est riche, célèbre et… peu productif. Comme tout le monde le dit déjà : “Rossini, c’est 40 opéras en 19 ans et, bientôt, 40 ans sans opéra !” Le compositeur dirige l’Opéra Italien. Mondain, incontournable, puissant jusqu’à la révolution de 1830, il ne s’épuise pas trop à rester génial. En plus, les pompes de l’opéra à la française le tentent. Virus conventionnel, anti-jovial et hilaro-dépressif d’un classicisme codifié, trop ostensible pour pouvoir prétendre au parrainage d’Apollon, l’opéra français de l’époque ne nous a livré que peu d’oeuvres brillantes et lumineuses. Le mal est fait, Rossini sort son Guillaume Tell : un four ! Seule l’action des années dérouillera l’oeuvre de l’aura d’ennui qu’elle a véhiculée lors de ses premières représentations. La convention est, pour le créateur, une maîtresse moins fidèle qu’il n’y paraît.

Acte IV – Intermezzo

Italie. De retour au bercail, Rossini n’aura de cesse de rappeler combien il reste attaché aux valeurs d’un opéra alors défunt : hélas pour lui, finie l’époque des castrats, des cantatrices costumées en guerriers, des vocalises vertigineuses, des rutilants décors où déambulent de fausses ingénues, finis les “numéros”, les solos que l’on veut voir bisser ad libitum. Gioacchino a fait recette mais Rossini n’est plus de son temps et il a eu la décence de descendre en marche.

Bien des années plus tard, Richard Strauss survivra lui aussi à son époque. Mais quels trésors d’intelligence ne lui faudra-t-il pas, à lui, le romantique de la dernière heure, pour rester droit jusqu’au milieu du XXe siècle, tel un albatros baudelairien dont les cadets, heureusement, ne fumaient pas la pipe.

Acte V – Finale

Londres. Le docteur Jekyll s’est enfermé dans son laboratoire. Dans la ruelle derrière la maison, apparaît une forme presque humaine mais hideuse, criminelle par sa seule existence. Hyde déchaîne la nuit ce que Jekyll a contenu le jour. Jekyll se crispe le jour sur ce dont Hyde pourra jouir la nuit. Trop de contrôle déchaîne trop de passion.

Mister Gioacchino a-t-il trop multiplié les frasques et les éclats lyriques ? Le Docteur Rossini était-il victorien au point de souffrir d’inhibition caractérisée quarante ans durant ?

Le mystère Rossini n’est-il pas l’attrape-critiques, le beau sujet de publication pour les historiens ? Voilà un musicien qui fut prospère, qui semble avoir renoncé aux extases de son jeune âge et avoir réussi à profiter de son vivant d’une gloire dont seuls les ossements de ses collègues pourront jouir un jour. L’accusera-t-on de légèreté, le blâmera-t-on pour ce qui est peut-être du bon sens ? Lui reprochera-t-on de s’être préservé du sort de son contemporain Donizetti, qui a sombré dans la folie ?

Mais, peut-être, devrions-nous simplement jouir de Monteriano et de son opéra.

Patrick Thonart


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THONART : Article-promenade, Wolfgang Amadeus M… (Prologue n° 242, 1991)

Temps de lecture : 5 minutes >

Prélude. Alla Turca. L’an 1992 sera un grand cru, un millésime festif. Les plats encore tièdes de l’année M. seront resservis au hors-d’oeuvre de nouvelles liesses populaires : 1872-1992, cent-vingtième anniversaire du premier vélocipède d’Achille-Claude Debussy ; 1920-1992, soixante-dixième anniversaire de la communion solennelle d’Olivier Messiaen, sans parler du cent-vingtième anniversaire de la Bar Mitzvah de Gustav Mahler.

Introït. Comme si vous y étiez.

Dire que M. est bien coté serait un euphémisme naïf. Non contents d’inonder les salles de concert et d’opéra de Figari et de Leporelli, les messieurs endimanchés qui président aux destinées de nos mélomanies ont tapissé les vitrines de nos libraires (il est vrai que Raimondi est photogénique) et gavé les bacs de nos disquaires (intégrales et ‘best of’, disques d’or et almanachs). Bilan : le triomphe du moyen, le règne du médiocre. The European du 26 juillet 1991 titrait : “The failures are best forgotten, if not forgiven” [“Mieux vaut en oublier les échecs, faute de les pardonner”]. Dans son article, Charles Osborne regrettait principalement que si peu d’artistes aient saisi l’occasion pour explorer le M. moins connu, notamment le jeune M. de la Finta Semplice ou du Mitridate. Seule initiative qui trouve grâce à ses yeux : The Jewel Box du critique britannique Paul Griffith. Ecrit pour Opera North, ce patchwork d’arias regroupe des pièces de M. himself, agrémentées de quatre compositions de Griffith et reliées par une intrigue-prétexte. L’honneur est sauf !

La scène est triste et si prévisible. Le disque n’est pas en reste : il faut trente (ré)éditions d’œuvres du Maître, pour (re)découvrir une interprétation marquante (que n’a-t-on laissé l’arachnéenne Mitsuko Ushida jouer également les Fantaisies dans l’intégrale Philips !). Bref, si M. fait l’unanimité, il n’est pas toujours servi avec qualité.

Cet article est initialement paru dans le n°242 (octobre 1991) de la revue mensuelle “Prologue” de l’Opéra Royal de Wallonie (Liège, BE) – texte actualisé en 2017 – 1991 était l’année du bicentenaire de la mort de Mozart (1756-1791)

Prélude. Allegretto.

Pourtant, les fêtes musicales de longue distance nous avaient habitués à mieux. Une des pionnières du genre nous avait tenus en haleine pendant de longues semaines : in memoriam Les cantates d’église de Jean-Sébastien Bach sur le troisième programme [aujourd’hui Musiq3]. Après un an d’anniversaire, Liszt était presque devenu supportable… au petit-déjeuner. Reconnaissons par ailleurs que Les années Mozart du même troisième programme planaient loin au-dessus des manifestations discographiques de circonstance, genre Petite musique de nuit interprétée par l’Harmonie municipale de Glötz, chef-lieu de la Syldavie supérieure, sur CD bon marché, de marque inconnue, à 5 € en grandes surfaces. Et M. là-dedans ?

Intermezzo.

Mais que fête-t-on en 1991 ? Les vocalises de la Reine de la Nuit ? La progression inimitable du Tuba Mirum dans le Requiem ? La délicate gentillesse, confortable et digestive, du quintette pour clarinette ? Monsieur M., compositeur galant ? M., génie inspiré, malade et injustement critiqué ? Peut-être Johann Chrysostomus Wolfgang Amadeus Gottlieb M., gentil garçon boutonneux qui a fort prématurément montré plus de disposition pour le clavier que pour la robinetterie et qui, partant, a fait carrière dans la musique ? Ingratitude de l’histoire : c’est sa mort que l’on fête !

Et, prenant le contrepied des ironies féroces de l’ermite en studio (j’ai nommé Glenn Gould), le Dr Alfred Tomatis entreprend de son côté, l’apologie, primaire et peu nuancée, du génie intersidéral de M., expliquant dans son Pourquoi M. ? (Fixot, 1991) comment il en est venu à utiliser la musique dudit Wolfie dans ses thérapies.

Notre petit génie en perruque ne ferait-il pas l’unanimité ? De l’hystérie glacée du génial autiste canadien, re-créateur à deux reprises des Variations Goldberg de Bach, aux épanchements hagiographiques de l’oto-rhino-laryngologue, il y a une large plaine où nos Gaulois se perdent. Comment alors parler de M., du compositeur que l’on connaît, de l’interprète qu’il fut et, enfin, de l’homme ? Car, après tout, c’en était un.

Contrapunctus ontologicus.

Une nuit que M. déambulait dans les rues de Salzbourg, il arriva sur une piazzetta à peine éclairée où chantait une fontaine généreusement baroque. Tout aussi généreusement baroque était l’énorme femme-viking qui offrait son opulente poitrine aux débordements aqueux. Ekberg-Mozart : 1-0.

Le choc fut tel qu’un souffle d’éternité fit chuter sa perruque et que, par cette épiphanie quasi joycienne, il se retrouva dans la peau d’un simple quidam, Elckerlyc, Everyman, bref, un individu devant son seul choix vital : comment vais-je réagir à cette altérité qu’est le monde qui m’entoure ?

Face à l’ordre initial (qu’il soit architectural, ambivalent ou trinitaire), il lui fallait choisir entre deux réactions : l’adhésion ou la réaction.

Thème I.

L’adhésion implique la transparence, l’abnégation de l’individu qui se fond dans le Tout, l’absence de réaction à contre-courant, le non-agir (wu wei), la mort de l’affectif au profit du simple réel, la “patience dans l’azur” du Poète puis du physicien, bref : le silence.

Concept insupportable pour le musicien qui devrait admettre que…

Qui sait ne parle pas
Qui parle ne sait pas

Lao Tzeu, Tao-tê-king : la Voie et sa vertu
(trad Houang & Leyris, Paris, Seuil, 1979)

Une négation de l’artiste et de sa fonction de créateur qui semble néanmoins ne pas avoir inhibé certains : sans aller jusqu’au translucide dépouillement de l’art Zen, il est des musiciens comme des peintres, des sculpteurs et des écrivains qui n’ont pas reculé devant le silence. Évoquera-t-on ici les instants suspendus de Debussy et son mélisme descendant (Jankélévitch) qui désamorce sans violence les affects romantiques ?

Theme II. Con variazoni.

La réaction, elle, est un vécu bifide qui transforme l’individu, le musicien en un Laocoon prisonnier de lui-même. Face au chaos des éléments, l’homme se dit créateur et élabore un artefact, une structure, une trame rassurante qu’il propose à ses frères humains.

Ce vécu est bifide, parce que le créateur a le choix des modèles : plongera-t-il en lui-même pour puiser dans son pathos une inspiration de bâtisseur ? Quels drames pathétiques habitaient Berlioz, qui provoquèrent les épanchements de la Fantastique ? Quels débordements solitaires masque la marche disciplinée de la musique de chambre de Schubert ? Quel cœur grondant a inspiré l’explosion thaumaturgique des derniers quatuors de Ludwig van ?

A l’opposé, le compositeur, avide de reconnaissance et mendiant l’absolution pour son ego démesuré, respectera-t-il la convention, nagera-t-il dans l’académisme et l’éloge des grands ? Oubliant l’ironie pour la conformité, glanera-t-il un succès public que les précédents n’auraient accepté qu’à titre posthume ? Écrira-t-il avec élégance la Musique de table d’un prince ? Fera-t-il valser Vienne tous les soirs de fête ? Sera-t-il le chantre de la Révolution d’octobre ? Ses Ayres lui attireront-elles les grâces de Sa Majesté ?

Finale. Allegro.

Et l’artiste ? Et M. ? Ses options philosophiques trahissent sa confiance dans l’Ordre premier et, s’il n’a jamais témoigné d’un amour extrême pour le silence, il a écrit des pages que l’on ne pourrait taxer de grandiloquence affective : dans les registres graves, Zarastro n’a rien d’un Trovatore et, sur les crêtes cristallines, ses sopranos tiennent des notes qui invitent à l’infini. Que dire des Sonates pour piano quand elle sont respirées, pédales en berne, cette fois par la diaphane Mitsuko Ushida ?

Parallèlement, en bon pré-romantique, M. a teinté son élégance d’un pathos léger et de bon ton. Don Giovanni est là pour en témoigner, lui, cette caricature pour mal-voyants de l’ego triomphant qui dort en chacun de nous. L’ornementation quelquefois mièvre ou sautillante de certaines de ses pièces (un tribut payé au Siècle ?) donnerait raison à Glenn Gould mais, si l’on en croit Eduard Mörike dans sa nouvelle, Mozart auf der Reise nach Prag (1855), Mozart -puisque c’est bien de lui dont il est question- fut avant tout un fauteur de troubles, poli, peut-être (ce que Wolfgang -sic- Hildesheimer met en doute dans son Mozart, en 1979), mais dangereux pour l’ordre établi et la complaisante bourgeoisie de l’époque.

Satisfait, le lecteur se renverse dans son fauteuil : “C’est bien ce que je pensais !”.

Patrick Thonart


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Aide à la Roumanie : le mouvement s’amplifie (Le Jour / Le Courrier – 28 décembre 1989)

Temps de lecture : 7 minutes >

Bucarest 1989 (c) CICR

Le contexte, extrait du Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin :

“Le 20 mai 1990, il y a vingt ans, se tinrent les premières élections dites démocratiques en Roumanie ;  moins d’un mois après, cependant, se déroulèrent des violences urbaines à Bucarest. Face au pouvoir élu et issu de la Révolution de décembre 1989 – le Front de salut national –, se manifestaient des opposants qui l’accusaient, en effet, de perpétuer la domination des apparatchiks communistes sous une autre forme. Le cœur du problème se situe donc à la fin de l’année 1989, pourtant associée dans toute l’Europe à la libération des peuples placés sous le joug communiste et soviétique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Libération certes, mais aussi liesse et espoir d’une société et d’une politique plus transparentes, où les dirigeants doivent rendre des comptes à leur population. Or, dès la fin de cette année 1989, la Roumanie semble se distinguer de l’ensemble du bloc de l’Est. Jusqu’en décembre, elle reste figée dans son totalitarisme communiste, sous la férule de son omnipotent Ceausescu ; puis, au moment des fêtes de Noël, elle bascule.

À Timisoara, le 17 décembre, le peuple prend les armes, les forces armées tirent mais ne parviennent pas à reprendre complètement la situation en mains, cependant que les rumeurs de massacre, colportées par les agences de presse de l’Est, circulent à l’Ouest. Ceausescu et l’appareil d’État, du 17 au 22 décembre, semblent échouer à maîtriser ce qui devient une situation insurrectionnelle. Le 21 décembre, Ceausescu perd ses moyens devant une foule qui se disperse et l’humilie, en direct, à la télévision, lors d’un rassemblement de masse qu’il avait convoqué, persuadé que quelques promesses, tardives en cette fin d’année 1989, seraient suffisantes. Le lendemain, il s’enfuit de Bucarest avant d’être jugé et fusillé à Noël par des membres de ce même appareil d’État, au terme d’une parodie de procès. Entre-temps, la population, désormais cible de « terroristes », se trouve amenée à se regrouper autour d’une nouvelle équipe dirigeante constituée d’anciens communistes.

Le bilan humain est lourd : officiellement 1.033 morts, dont 543 à Bucarest après la fuite de Ceausescu. Le courage démontré et l’ampleur des sacrifices consentis par le peuple insurgé émeuvent l’Ouest, particulièrement la France, sensible à ce que des Européens qui semblaient pourtant bien éloignés s’expriment en français, et où certains gardaient en mémoire l’accueil chaleureux fait par la population roumaine à de Gaulle, venu à Bucarest en 1968. Le charnier de Timisoara, où des cadavres sont exposés sur tous les médias occidentaux, s’avère cependant emblématique de cette révolution confisquée : si les Roumains payent effectivement le plus lourd tribut pour regagner leur liberté à l’Est du mur, les morts filmés ne sont pas les héros populaires tombés sous les balles de l’armée et de la Securitate (la police politique roumaine).

Car à ce lourd bilan humain vient s’ajouter un bilan politique inattendu et désastreux pour les partisans d’une véritable démocratisation susceptible de ramener la Roumanie au sein d’une Europe réunifiée. Sous l’égide d’Iliescu, le président du Front du salut national autoproclamé, ce sont en effet d’anciens apparatchiks qui se sont rassemblés au cours de ces journées chaotiques…”

Lire l’article complet de Pierre BOUILLON, Roumanie, décembre 1989 : Révolution démocratique ou coup d’État communiste ? sur CAIRN.INFO…


L’article-souvenir du 28 décembre 1989 dans Le Jour-Le Courrier de l’arrondissement de Verviers :
“Les services-clubs de la région se mobilisent, eux aussi, en faveur de la Roumanie” (Le Jour du 28.12.1989) (c) Le Jour

Le mouvement de solidarité avec la Roumanie, qui s’est lancé, ce weekend, dans notre région comme partout ailleurs dans le pays, ne s’essouffle pas, que du contraire !

Si vous n’avez plus les exemplaires d’hier et d’avant-hier de notre quotidien, où se trouvaient les renseignements pratiques vous permettant de savoir où diriger vos colis, vous pouvez, c’est important, vous brancher sur le canal M8 du réseau Coditel (entre Hollande 2 et Allemagne 3). “Televesdre”, la télévision verviétoise, diffuse, en effet, en permanence, par le biais du Télétexte, tous les renseignements pratiques concernant la localisation et les heures d’ouverture de plusieurs dépôts dans notre arrondissement. Ces informations sont réactualisées, durant la semaine, en fonction des besoins.

Pour notre part, par rapport ã. ce que nous avons publié ces derniers jours, nous
pouvons encore signaler les initiatives suivantes :

Verviers

La récolte de vivres non périssables en faveur de la Roumanie qui s’est organisée dès mardi matin à l’Administration communale de la Ville de Verviers, se poursuivra jusqu’à vendredi 29 décembre inclus. Les colis peuvent être déposés à l’échevinat des Affaires économiques, 41 place du Marché, 4800 Verviers, de 8 à 16 h 30. Précisons, d’autre part que le numéro de compte de la Croix-Rouge est […].

Pepinster

Sous les auspices de l’Administration communale, une grande collecte de denrées alimentaires non-périssables aura lieu ce vendredi 29 décembre durant toute la journée, au profit du village de Ghetarí, adopté par Pepinster.

La camionnette des pompiers et d’autres véhicules sillonneront l’entité pour récolter les colis. Les dons en espèce seront également acceptés, et des urnes seront prévues dans les véhicules, pour recevoir l’argent mis sous enveloppe. On peut également effectuer un virement au compte […] de “Pepínster-S.O.S.Roumanie”.

Jusqu’à ce samedi inclus, par ailleurs, une permanence se tient au Centre administratif communal, de 9 à 18 h, tandis que le clergé des diverses  églises de l’entité a accepté que la recette des collectes des 30 et 31 décembre  prochains soit entièrement versée à l’opération “Pepinster-S.O.S.Roumanie”.

Pour tout renseignement, on peut contacter le […] (durant les heures de bureau) et les numéros […] et […] après 16 h.

Waimes

Depuis dimanche matin, de nombreux colis ont été récoltés à Waimes et, en coordination avec la section de Malmedy-Waimes de la Croix-Rouge, ces vivres ont été acheminées par un camion d’une firme waimeraise vers Bassenge d’où la Croix-Rouge organise le transport vers Bruxelles et, de là, vers la Roumanie, par avion.

Au-delà de cette première intervention, une aide plus spécifique sera apportée ultérieurement là où c’est nécessaire, de la manière la plus adéquate et en fonction des besoins précis tels qu’ils auront été déterminés.

(c) collection privée
Jalhay

La commune de Jalhay a ouvert des dépôts pour denrées non périssables (sucre, farine, chocolat, lait en poudre, café, riz) à Sart, place du Marché, salle La Grange et à Jalhay, à la garderie de l’école derrière la Maison communale. Ces dépôts sont ouverts de 14 à 16 h tous les jours jusqu’au samedi 30 décembre inclus. Les personnes qui auraient des difficultés pour se déplacer peuvent téléphoner au numéro […], permanence de Sart de 9 à 12 h ou au […] chez Mme […] à Sart.

En Communauté germanophone

L’opération humanitaire en faveur du peuple roumain s’organise aussi en Communauté germanophone. Déjà, suite à des initiatives privées, quelque 4 tonnes de vivres ont pris la direction de Bruxelles, mais les 9 communes des Cantons de l’Est, les CPAS, la Croix-Rouge, l’Exécutif et le Conseil de la Communauté germanophone, les coordinateurs de l’opération “Villages roumains”, ainsi que l’antenne eupenoise de “Médecins sans Frontières” veulent en faire plus.

Ainsi, une récolte de colis alimentaires est orchestrée ce samedi 30 décembre, de 9 à 18 h, mais dans chaque commune, divers endroits sont accessibles, dès maintenant. Les habitants des entités concernées doivent recevoir aujourd’hui, via une lettre toutes-boites, les adresses et heures d’ouverture. De toute manière, la permanence principale est située au siège de l’Exécutif de la Communauté germanophone, ouvert de 9 à 16 h, ces jeudis et vendredis ; le samedi, de 9 à 13 h, le local du “María-Hilf-Heim”, près de l’église St-Joseph, prendra le relais. A La Calamine : dans les écoles communales et au centre culturel de Hergenrath, de 9 à 16 h jusque vendredi, de 9 à 13 h le samedi. A Lontzen : à la maison communale de Herbesthal jusque vendredi, de 9 à 16 h, et le samedi de 9 à 13 h ; s’y ajoutent la maison communale de Walhorn et l’école de Lontzen-Bush uniquement le samedi de 9 à 13 h. Ces colis, de 5 à 6 kgs maximum, peuvent être de type familial, en contenant de la farine, du café moulu ou soluble, du riz et/ou des pâtes, du chocolat, des conserves (viandes et/ou légumes), de la soupe, du poisson, des fruits (en boîte). Auquel cas, il est demandé aux donateurs d’inscrire les termes “paquet familial” sur le colis. Ce qui évitera une réouverture et le tri. Mais la livraison de denrées en vrac est bien entendu toujours possible. Il est demandé d’éviter l’emploi de récipients en verre. Voilà pour la récolte de denrées.

Le second volet concerne les dons en argent, utilisés pour couvrir les frais et l’achat de médicaments et de matériel médical. Un numéro de compte a été ouvert à cet effet : […], avec la mention “aide pour la Roumanie”. Tout don de 1.000 frs [25 €] ou plus donne droit à une exonération fiscale. Les 9 communes ont déjà versé 350.000 frs, et 200.000 autres frs proviennent de l’Exécutif de la Communauté germanophone ; le Conseil devraient bientôt suivre cet exemple.

Des collectes de sang sont aussi prévues, mais, à ce niveau, on peut juste annoncer qu’à Eupen, celle-ci aura lieu le 2 janvier.

Les aides seront octroyées aux régions de Cluj, Timisoara, Sibiu et Brasov, là où sont situés l’ensemble des villages parrainés par les communes des Cantons de l’Est. Une seconde opération, qui débutera le 19 janvier, est déjà en préparation. D’ici là un appel est lancé aux bénévoles qui voudraient donner un coup de main pour la récolte des vivres (côté moyens de transports vers la Roumanie, c’est complet). Pour tout renseignement complémentaire ; […].”

Coupure de presse provenant d’une collection privée


Le même jour, dans le même journal :
  • Noël à Berlin, quelques chiffres : Plus de 3,5 millions d’Allemands de l’Est et de l’Ouest ont franchi la frontière et le Mur de Berlin au cours du weekend de Noël…”
  • “Grand nettoyage au Panama : Un processus de normalisation particulièrement laborieux se poursuivait dans la capitale panaméenne, où les troupes d’occupation nord-américaines ont entrepris de nettoyer une ville encore plongée dans la confusion, tandis que le Général Noriega demeurait reclus dans l’ambassade du Vatican…”
  • Les gendarmes investissent un camp d’entraînement de néo-nazis à Aubin-Neuchâteau : huit arrestations…

Plus de presse ?

PETITS PRODUCTEURS : l’autre salade liégeoise (recette)

Temps de lecture : 2 minutes >

C’est la fin des haricots ! Qu’à cela ne tienne, on les remplace par de la verdure de saison. Quel choix ! Pourpier, roquette, mâche… En mélange, c’est un délice vitaminé.


L’autre salade liégeoise

© lespetitsproducteurs.be
      • Régimes alimentaires : omnivore, sans gluten
      • Budget : bon marché
      • Saisons : automne, été, printemps
      • Type de recette : salé
      • Préparation : 15 min
      • Cuisson : 20 min

Ingrédients pour 4 personnes :

      • 8 grosses poignées de verdures de saison au choix : roquette, mâche (ou doucette), pourpier (ou claytone de Cuba),
      • 8 tranches de lard salé ou non selon votre goût,
      • 2 oignons jaunes,
      • 12 grosses pommes de terre à chair ferme,
      • 4 càs de vinaigre de vin,
      • 1 noquette de beurre,
      • Sel, poivre.

Préparation :

    • Lavez les pommes de terre, faites-les cuire avec leur peau dans l’eau bouillante salée ou à la vapeur. Égouttez-les ;
    • Lavez et essorez la verdure ;
    • Tranchez le lard en tronçons de 2 cm ;
    • Épluchez les oignons. Découpez-les en rondelles ;
    • Faites fondre le beurre dans une poêle. Faites-y rôtir le lard et les oignons. Salez, poivrez et déglacez avec le vinaigre ;
    • Dans un saladier, mélangez la verdure, les pommes de terre, le lard et les oignons. Recouvrez avec le jus de cuisson au vinaigre.

Pour en savoir plus, visitez lespetitsproducteurs.be


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, édition et iconographie | sources : lespetitsproducteurs.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, champ de mâche © Hof ter Dreef ; © lespetitsproducteurs.be.


S’attabler en Wallonie…

THONART : textes

Temps de lecture : 3 minutes >

Articles publiés
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        2. L’étrange cas du Docteur Rossini et de Monsieur Gioacchino (Prologue n° 245, 1992)
        3. Pauvre B… (comme Berlioz)(Prologue spécial 25e anniversaire ORW, 1992)
        4. Penderecki : voyage aux frontières de la tradition contemporaine (Prologue n°246, 1992)
        5. Auprès de quelle cour Salman Rushdie pouvait-il déposer les conclusions suivantes, pour que justice soit faite ? (Catalogue de l’expo “Le vent de la Liberté, Welkenraedt, 1994)
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        9. Richard GALLIANO au Jazz à Liège (quatremille.be, 2017)
        10. Dee Dee BRIDGEWATER au Jazz à Liège (quatremille.be, 2017)
        11. Festival Home Records à la Cité Miroir (quatremille.be, 2017)
        12. monstre (blogue de bord wallonica.org, 2017)
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Contes, dits & fabulettes
        1. La belle histoire de Petite-Fille et du Cœur de Hérisson (2011)
        2. Il était une fois une Méchante Reine… malgré elle (2011)
        3. L’ours, la renarde et le héron (2014)
        4. Le Chêne fait bois amer à celles dont la Mère boit (2014)
        5. Il était plusieurs fois (2014)
        6. Cendrillon et le Diable (2017)
        7. Le doux conte de Jolie-Femme et du Hérisson de cœur (2019)
        8. Souricette et la pétarade à vents (2019)
        9. Tite-Belette et sa pelisse (2019)
Essais & monographies
        1. Tolkien or the Fictitious Compiler (1984)
          1. Acknowledgements
          2. Introduction
          3. Chapter 1 – The Lord of the Rings as more than a Romance
          4. Chapter 2 – The Quest
          5. Chapter 3 – The Sword
          6. Chapter 4 – The Ring
          7. Conclusion
          8. Bibliography & Bibliographical Codes
        2. Être à sa place. Petit guide de survie des vivants dans un monde idéalisé (à paraître)
Paix d’Ours : un recueil de l’attente (poèmes)
        1. Quelque part dans la forêt (2011)
        2. Le matin du Bon Jour (2014)
        3. L’Ours lève la truffe (2014)
        4. L’Ours titube dans la Forêt (2014)
        5. Un jour viendra, couleur d’orange (2014)
        6. A la kermesse des notables (2014)
        7. La larme de l’Ours l’avait trahi (2014)
        8. L’Ours et la Renarde se regardaient (2014)
Autres poèmes & chansons sans musique
        1. L’oeil de l’Homme est dans le lac
        2. Tu as jeté sur moi (2014)
        3. Pleurs (2014)
        4. Bohémien sans répit (2014)
        5. La Lumière est si joyeuse (2014)
        6. Les armoires alignées (2014)
        7. Tu es là, vivante à mon cœur comme l’épousée (2019)
        8. C’est la nuit, c’est le marbre (2019)
        9. Tu es ma rive (2019)
        10. Hier est loin (2019)
Traductions publiées
        1. THYS (dir.) : Le cinéma belge (FLAMMARION, Ludion, La Cinémathèque royale de Belgique, 1999)
        2. van BEURDEN, R. & SHEPARD, S., The Meaning of HACCP in Food Safety Management and the Contribution of Lumac/L’importance des systèmes HACCP dans la gestion de la sécurité alimentaire – La contribution de Lumac (Landgraaf: Perstorp Analytical Lumac, 1995)
        3. JANSSENS L., L’organisation professionnelle des Maîtres-Menuisiers de Bruxelles à travers les âges (catalogue de l’exposition, 1988)
        4. OLIVER M., Jour d’été (poème, wallonica, 2021)
        5. OLIVER M., Printemps (poème, wallonica, 2022)
        6. LEIJNSE E., Laurence Alma Tadema (1865-1940), auteure et rivale de Georgette Leblanc (monographie, FUNDP, 2022).

préparé par Patrick THONART

Illustration de l’article : DOTREMONT C., Par voie d’origine (ca. 1968)


Par où commencer ? Qui ne sait choisir laisse la main au hasard…