Et si les réseaux sociaux devenaient une chance pour nos démocraties ?

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[THECONVERSATION.COM, 11 janvier 2024] Alors que le président libertarien Javier Milei, récemment élu en Argentine, a largement profité des réseaux sociaux lors de sa campagne présidentielle, notamment pour séduire les plus jeunes générations, d’autres personnalités politiques envisagent au contraire de quitter ces mêmes réseaux. En France, c’est la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui a initié ce mouvement, déclarant en novembre dernier que X (ex-Twitter) constituait “une arme de destruction massive de nos démocraties.” Force est de constater que depuis de nombreuses années, les réseaux sociaux dominants, dont le modèle d’affaires repose sur l’économie de l’attention favorise structurellement le clash et la polarisation des opinions.

Selon ce modèle économique, il s’agit de “maximiser l’engagement” des utilisateurs afin de vendre leur “temps de cerveau” et leurs données personnelles à des entreprises susceptibles de les cibler avec leurs publicités. Dès lors, tout ce qui compte pour gagner en visibilité sur ce type de réseau, est de trouver la ligne de fracture – chez chaque utilisateur ou dans la société – et d’enfoncer le coin, afin d’obtenir plus de clics et plus de vues, alimentant ainsi le “business de la haine” des géants du numérique, qui tirent profit de cette cacophonie.

Le résultat, tel que décrypté par l’écrivain et politologue italien Giuliano da Empoli, est le suivant : tandis qu’hier la politique était “centripète” – il fallait rallier autour d’un point d’équilibre –, elle est devenue aujourd’hui centrifuge. L’expression d’”ingénieurs du chaos” trouve alors tout son sens : pour conquérir le pouvoir, la politique consiste désormais à exploiter au mieux les dynamiques d’infrastructures, ici de communication, pour éclater la société en tous points.

Faire évoluer le modèle économique et l’architecture des réseaux sociaux

Comment changer la donne ? Il parait difficile d’imaginer l’ensemble des démocrates pratiquer la politique de la terre brûlée et quitter les réseaux sociaux dominants tant que l’espoir est encore à leur régulation. De même, nous ne pouvons uniquement nous en remettre à la bonne volonté de quelques autres réseaux dominants faisant pour l’instant office de refuge, tant que leur modèle demeure fondé sur la captation de l’attention.

Si nous devons poursuivre nos efforts pour “trouver des réponses politiques à la colère”, nous ne pouvons pas non plus nous aveugler sur les velléités autoritaires ou nationalistes exploitant les failles des réseaux sociaux les plus utilisés. Néanmoins, nous pouvons les priver de l’infrastructure qui les fait émerger comme forces politiques de premier plan partout dans le monde. Pour cela, nous devons faire évoluer le modèle économique et l’architecture des réseaux sociaux. Car il faut bien se rendre compte, dans la lignée de la pensée du professeur de droit Lawrence Lessig, que l’architecture numérique est normative : de même que l’architecture de nos rues détermine nos comportements, l’architecture des réseaux sociaux détermine la façon dont nous nous y exprimons et dont nous y interagissons.

© Générationlibre

De manière générale et par définition, le principe des “followers”, qui consiste à suivre des personnalités en particulier, ne favorise pas l’expression de points de vue diversifiés, mais plutôt les comportements mimétiques, la concurrence, la rivalité et in fine la dévalorisation de soi comme des autres.

Plus spécifiquement, X/Twitter et Thread sont construits pour faire se rencontrer absolument tous les sujets, points de vue et personnes d’opinions très diverses sur un flux unique et assurer des interactions directes au vu et au su de tous.

Autre architecture, autre ambiance, il en va autrement si l’on se rassemble autour d’un sujet, que ce soit pour en débattre ou seulement pour échanger. Sans qu’ils soient exempts de très nombreux défauts, TrustCafé, Reddit, Twitch, Discord donnent l’opportunité de créer des salons de discussion thématiques ou de regrouper des communautés en un espace et in fine d’avoir un débat plus approfondi. Mastodon repose quant à lui sur une structure décentralisée, c’est-à-dire que “chaque serveur Mastodon est totalement indépendant, mais capable d’interagir avec les autres pour former un réseau social mondial.” Cela permet d’éviter de cultiver l’animosité sociale. Des communautés irréconciliables n’ont pas à se côtoyer, ce qui permet d’éviter de propager le conflit de manière inopportune.

Reprendre la main sur les algorithmes

C’est pour orienter les réseaux sociaux vers des architectures permettant de créer des espaces de débat, d’apprentissage, d’échanges et de coopération que nous devons agir en premier lieu, avant même de nous intéresser à la modération des contenus qui y circulent. Le règlement européen sur les services numériques le permet en théorie, mais il faudra que la Commission européenne se mobilise en ce sens. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Jusqu’à présent, le débat a bien plus porté sur le nombre de modérateurs de tel ou tel réseau ou le nombre de contenus retirés que sur la structure des réseaux sociaux en elle-même. Ce qui risque surtout de nous épuiser pour un résultat très relatif.

Pour nous assurer que les réseaux servent une société démocratique où le débat, la construction collective et l’écoute sont privilégiés, nous devrions nous préoccuper de la manière dont les infrastructures numériques sont conçues, développées et financées. Comme les réseaux sociaux dominants sont structurellement fondés sur l’économie de l’attention, l’enfermement de leurs utilisateurs et l’amplification des contenus polémiques et choquants, nous devrions aussi décider de ne plus laisser aux mains du seul réseau social, c’est-à-dire d’une entreprise privée, le monopole de déterminer le flux algorithmique, soit le choix des contenus apparaissant sur nos fils d’actualités.

Une telle proposition est une exigence minimale pour tendre vers une plus grande réappropriation des réseaux sociaux par les utilisateurs. Elle a d’ailleurs déjà été faite sous diverses formes, que ce soit par des spécialistes du numérique, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), des journalistes ou des chercheurs. Ainsi, il s’agit non plus seulement de forcer la plate-forme à accentuer tel ou tel paramètre de leur algorithme mais de contester le fait que la recommandation soit le seul fait de la plate-forme.

Pour justifier ce principe, nous pouvons nous demander si une fois une taille critique et une certaine concentration du marché atteintes, il est bien légitime de laisser uniquement à des entreprises privées le soin de décider ce qui doit être vu ou ce qui doit être invisibilisé dans l’espace médiatique numérique. Quand bien même certains d’entre nous souhaiteraient s’abandonner aux algorithmes de TikTok ou de Twitter, pourquoi tout un chacun devrait-il s’y plier ? Est-ce à un acteur unique de déterminer les critères en fonction desquels les contenus apparaissent ou disparaissent de nos écrans ?

Reconnaître les réseaux sociaux comme des espaces publics

La chose doit encore être affirmée : oui les réseaux sociaux dominants sont des espaces publics. Ce ne sont plus seulement des cafés que l’on est libre ou non de fréquenter. L’analogie ne fonctionne plus. Ils ont un impact structurant sur nos sociétés, que l’on y soit ou non.

2011 : les “printemps arabes” © Maxime Johnson

De plus, si tout le monde peut virtuellement s’exprimer sur les réseaux, ceux qui auront le plus de vues sont ceux qui joueront les codes du réseau et sponsoriseront leurs comptes ou publications. Ce qui laisse sur le bas-côté ceux qui ne peuvent pas ou refusent de jouer à ce jeu malsain de la mésestime de soi, des autres et du clash constant.

La prétendue liberté d’expression masque le sévère contrôle qui s’exerce sur la recommandation et la hiérarchie qu’elle recèle : l’apparence d’horizontalité (celle de tous les usagers exprimant leurs opinions ou leurs avis publiquement) masque une extrême verticalité (celle des entreprises décidant des critères de ce qui sera vu ou non).

Pour restaurer les libertés d’expression et de pensée, il nous faut donc décorréler l’intérêt du réseau social à voir promu tel ou tel contenu et l’intérêt social ou personnel à s’informer ou échanger sur tel ou tel sujet.

Œuvrer pour des infrastructures numériques démocratiques

Cela n’est désormais plus une seule affaire d’imagination ou de prospective. Regardons Bluesky (le réseau social alternatif créé par Jack Dorsey, l’un des fondateurs de Twitter) ou Mastodon : les flux algorithmiques y sont à la main des utilisateurs.

Sur Bluesky, les utilisateurs les plus chevronnés, des médias ou autres tiers de confiance peuvent proposer à l’ensemble des utilisateurs des algorithmes de leur cru. Et le choix est particulièrement simple à opérer pour un effet immédiat. Sur Mastodon, le classement chronologique reste la clef d’entrée vers les contenus publiés, mais le principe même du logiciel libre permet à l’administrateur comme à l’utilisateur de développer les fonctionnalités de curation de contenus qu’il souhaite. Cela ne veut pas dire que tout le monde doit savoir coder, mais que nous pouvons avoir le choix entre de nombreux algorithmes, paramètres ou critères de recommandations qui ne sont pas seulement le fait de la plate-forme.

Regardons aussi des projets comme Tournesol : cette plate-forme de recommandation collaborative de contenus permet à de nombreux citoyens de participer en évaluant les contenus en fonction de leur utilité publique (et non en fonction d’intérêts privés ou d’agendas politiques déterminés). Grâce à de telles initiatives, il devient possible de découvrir des vidéos pertinentes et pédagogiques que des réseaux sociaux dominants ou une plate-forme comme YouTube n’auraient probablement pas recommandées.

Toutes ces initiatives nous montrent qu’il est possible d’œuvrer pour des infrastructures numériques démocratiques. Nous ne sommes qu’à un pas politique de les valoriser. Et entendons-nous bien, l’objectif n’est pas de nous anesthésier en empêchant le désaccord. Bien au contraire ! Le but est de vivifier la démocratie et renforcer l’intelligence collective en exploitant tout le potentiel des réseaux sociaux.

Anne Alombert & Jean Cattan


[INFOS QUALITE] statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © Mauco Enterprises ; © Générationlibre ; © Maxime Johnson.


Plus de presse en Wallonie…

FRY : Le politiquement correct est-il une bonne chose ? (transcription, 2018)

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L’anglais Stephen John FRY (né en 1957) est un humoriste, auteur (romancier, poète et chroniqueur), acteur, réalisateur, une célébrité de la télévision. Il est le fils d’Alan Fry, un physicien anglais, et de Marianne Newman, de descendance juive-autrichienne, dont les tantes et cousins avaient été déportés et tués dans le camp de concentration d’Auschwitz. [en savoir plus sur Stephen Fry dans wallonica.org…]


Le politiquement correct

[L’intervention de Stephen Fry ci-dessous ouvrait une rencontre organisée par les Munk Debates le 18 mai 2018 ; elle est traduite par IA (chatGPT) d’après une transcription de SCRAPSFROMTHELOFT.COM, révisée par Patrick Thonart]

© Munk Debates

Mai 2018. Le psychologue canadien Jordan Peterson et l’acteur et militant britannique Stephen Fry affrontent la blogueuse américaine Michelle Goldberg et le commentateur politique et universitaire américain Michael Eric Dyson dans un débat enflammé sur le politiquement correct dans la société moderne. Ce qui suit est la transcription du discours d’ouverture de Stephen Fry :

Bon, en acceptant de participer à ce débat et de me tenir de ce côté de la scène, je suis pleinement conscient que beaucoup de gens, qui choisissent (à tort selon moi) de voir cette question en termes de Gauche et de Droite (des termes désuets et galvaudés selon moi) croiront que je me trahis et moi-même, et les causes et les valeurs que j’ai défendues au fil des ans.

J’ai déjà affronté d’énormes critiques simplement parce que je me tiens ici, à côté du professeur Peterson, alors que c’est précisément la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui. Je me tiens à côté de quelqu’un avec qui j’ai, comment dire, des divergences, en termes d’options politiques et de toutes sortes d’autres choses, précisément parce que je pense que tout cela doit cesser.

Cette rage, ce ressentiment, cette hostilité, cette intolérance, surtout cette certitude de “vous êtes avec nous ou contre nous.” Un Grand Canyon s’est ouvert dans notre monde et la fissure – que dis-je, la crevasse – s’élargit chaque jour. Aucun des deux côtés ne peut entendre un mot que l’autre hurle et aucun ne le veut. Et, pendant que ces armées et ces propagandistes des guerres culturelles s’affrontent, dans l’espace immense entre les deux côtés, les gens du monde essaient de continuer leur vie, alternativement déconcertés, ennuyés et trahis par les horribles bruits et explosions qui résonnent tout autour d’eux. Je pense qu’il est temps que cette folie toxique, binaire et à somme nulle cesse, avant que nous ne nous détruisions nous-mêmes. [applaudissements]

Je ferais mieux d’afficher clairement mes couleurs avant d’aller plus loin et, par simple politesse, de vous donner une idée de mes origines. Toute ma vie adulte, j’ai été ce que l’on pourrait appeler un gauchiste – un gauchiste modéré – un libéral de la variété la plus effacée et timide. Pas un socialiste enflammé prêt à ériger des barricades, même pas vraiment un progressiste digne de ce nom. J’ai participé à des manifestations, mais je n’ai jamais osé brandir des pancartes ou des bannières. En fait, suis-je un membre détesté de ce groupe, un SJW [Social Justice Warrior], un “guerrier de la justice sociale” ? Je n’ai pas une fort bonne opinion de l’injustice sociale, je dois le dire, mais je me considère surtout comme un inquiet [worrier] de la justice sociale.

En grandissant, mes héros intellectuels étaient Bertrand Russell et G.E. Moore – des penseurs libéraux, des gens comme eux – des écrivains comme E.M. Forster. Je croyais (et je pense que je crois encore) au caractère sacré des relations humaines, à la primauté du cœur, de l’amitié, de l’amour et de l’intérêt commun. Ce sont des croyances plus personnelles et intérieures que des convictions politiques extérieures. Plus la version humaniste d’une pulsion religieuse, je suppose. J’ai confiance en l’humanité, je crois en l’humanité, je pense que j’en donne la preuve au jour le jour, malgré tout ce qui s’est passé au cours des 40 ans de ma vie adulte.

Je suis tendre et je peux facilement être emporté par des cœurs plus durs et des intellects plus durs. Je suis parfois surpris d’être décrit comme un “militant“, mais avec le temps, je me suis activement impliqué dans ce que l’on pourrait appeler des causes. J’ai grandi en sachant que j’étais gay – eh bien, en fait, dès le début, je savais que j’étais gay – je me souviens que lorsque je suis né, je me suis retourné et je me suis dit “c’est la dernière fois que je passe par là !” [rires] Je suis juif. Donc, j’ai une horreur naturelle et évidente du racisme. Naturellement, je veux que le racisme, la misogynie, l’homophobie, la transphobie, la xénophobie, l’intimidation, le sectarisme, l’intolérance sous toutes ses formes humaines prennent fin. C’est sûrement un point acquis pour nous tous. La question est de savoir comment atteindre un tel Graal.

Mon objection ultime au politiquement correct n’est pas qu’il combine tant de choses que j’ai passé ma vie à détester et à combattre, nous prêchant (avec beaucoup de respect…) la Piété, l’auto-justification, la chasse aux hérétiques, la dénonciation, la honte, l’affirmation sans preuve, l’accusation, l’inquisition, la censure, etc. Ce n’est pas pour cette raison que je m’attire d’avance les foudres de mes camarades libéraux, en me tenant de ce côté de la tribune. Mon objection réelle est simplement que je ne pense pas que le politiquement correct fonctionne. Je veux atteindre… Je veux aussi atteindre le Dôme du Rocher, mais je ne pense pas que ce soit la manière d’y parvenir. Je crois que l’une des plus grandes erreurs humaines est de préférer avoir raison plutôt que d’être efficace. [applaudissements]

Et le politiquement correct est toujours obsédé par le fait d’avoir raison sans penser à son efficacité potentielle. Je ne me considère pas comme un libertaire classique, mais j’apprécie la transgression et je me méfie profondément et instinctivement de la conformité et de l’orthodoxie. Le progrès n’est pas réalisé par des prédicateurs et des gardiens de la morale, mais pour paraphraser Ievgueni Zamiatine…par des fous, des ermites, des hérétiques, des rêveurs, des rebelles et des sceptiques.” Je peux me tromper.

J’espère apprendre ce soir. Je pense vraiment que je peux me tromper, et je suis prêt à envisager la possibilité que le politiquement correct nous apporte plus de tolérance et un monde meilleur. Mais je n’en suis pas sûr et je voudrais que cette citation de mon héros Bertrand Russell plane sur la soirée : “L’une des choses pénibles de notre époque est que ceux qui ressentent la certitude sont stupides et ceux qui ont de l’imagination et de la compréhension sont remplis de doute et d’indécision. Que le doute prévale.”

Je ne crois pas que les avancées de ma culture, celles qui m’ont permis de me marier, comme je le suis depuis trois ans avec quelqu’un du même genre que moi, soient le résultat du politiquement correct. Et peut-être que le politiquement correct est en réalité une sorte de truite vivante qui s’éloigne à nouveau chaque fois qu’on la saisit. Et vous direz “Je ne parle pas de cela…” Que vous parliez de justice sociale, avec quoi je suis d’accord, que vous parliez de politique identitaire ou d’histoire de votre peuple, d’histoire de mon peuple – car mon peuple a aussi été esclave. Les Britanniques ont été esclaves des Romains et les Juifs ont été esclaves des Égyptiens, tous les êtres humains ont été esclaves à un moment donné et nous partageons tous, en ce sens, cette connaissance de l’importance de s’exprimer. Mais Russell Means, qui était un ami à moi vers la fin et qui a fondé le Mouvement Amérindien, a dit : “Oh, pour l’amour de Dieu ! Appelez-moi un Indien ou un Lakota Sioux ou Russell. Peu importe comment vous m’appelez. C’est la façon dont on nous traite qui importe.” Et donc je vise vraiment une conception plus générale. Une anecdote : à Barrow, en Alaska, un Iñupiat a dit “appelez-moi un Eskimo – c’est évidemment plus facile pour vous parce que vous continuez à mal prononcer Iñupiat.” Vous savez : les mots comptent.

Je vais juste finir avec une autre petite histoire. Les droits des homosexuels ont été obtenus en Angleterre parce que nous avons lentement et de manière persistante frappé à la porte des personnes au pouvoir. Nous n’avons pas crié. Nous n’avons pas hurlé. Des gens comme Ian McKellen ont finalement rencontré le Premier ministre. Et lorsque la Reine a signé l’assentiment royal, comme elle doit le faire, pour la loi autorisant l’égalité du mariage, elle a dit : “Bon Dieu, vous savez, je ne pouvais pas imaginer cela en 1953. C’est vraiment extraordinaire, n’est-ce pas ? Juste merveilleux !” et l’a transmis. Maintenant, c’est une belle histoire et j’espère qu’elle est vraie, mais cela n’a rien à voir avec le politiquement correct. Cela a à voir avec la décence humaine. C’est aussi simple que cela. [applaudissements]

Stephen Fry


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : veille, partage, révision et iconographie | sources : babelio.com ; munkdebates.com ; scrapsfromtheloft.com ; youtube.com | contributeur-traducteur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête © bbc.com ; © munkdebates.com.


Plus de débat en Wallonie-Bruxelles…

BRY : On ne peut plus ne plus rien dire…

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[DIACRITIK.COM – 16.11.2021] Mais par quel truchement en sommes-nous arrivés en 2021 à ce qu’un quarteron de cuistres abondamment médiatisées dicte l’agenda politique, impose sa présence inopportune à longueur de plateaux, commande au discours des uns et des autres et s’immisce jusque dans les conversations les plus anodines ?

L’omniprésence émétique des Zemmour, Ménard, Finkielkraut, Onfray et consorts dans les médias pose question bien au-delà des idées qu’ils professent. Leurs passages télévisés ou radiophoniques, leurs sorties numériques et leurs reprises par des fidèles appointés aux motivations discutables sont davantage les causes que les conséquences de l’appauvrissement du débat public. Bien aidés par certains organes trop heureux de surfer sur le lisier des opinions rances en mode “ne tirez pas sur le messager“, ces fâcheux s’en donnent à cœur joie et déversent leurs idées aussi rances sans aucune contradiction. Quand ils ne sont pas purement et simplement aidés par des séides d’un nouveau genre : les Pascal Praud, Elizabeth Lévy, Ivan Rouffiol, Mathieu Bock-Côté, chantres mous de la réaction, pas objectifs pour deux sous, se drapant dans leur indignation professionnelle, gardiens auto-proclamés d’une liberté d’expression faisandée qui entend pourfendre une bien-pensance qui n’existe que dans leurs cerveaux de boutiquiers cathodiques.

L’un des gros problèmes de cette séquence est qu’à force de passivité, de complaisance, voire de connivence, on vient à tolérer que le mensonge devienne un moindre mal sinon la norme, on en arrive à laisser s’installer des vérités alternatives là où jadis l’intelligence et le bon sens suffisaient à éviter de choper deux ulcères pour le prix d’une dépression. Face à ce déferlement d’inepties et de contre-vérités jamais remises en cause, il faut affronter l’évidence, quitter sa réserve et ne plus se taire : on ne peut plus ne plus rien dire !

On ne peut plus ne plus rien dire quand le premier raciste venu peut aisément faire carrière à la télévision, sur Internet, à longueurs de livres ou lors de séances de dédicaces transformées en conférences à côté desquels les rassemblements organisées par Bygmalion ressemblent à des kermesses d’écoles primaires. On ne doit plus se taire devant les injonctions des sycophantes qui pleurent à longueur d’antenne qu’on les musèle et que l’on vit dans une dictature qui les empêche de s’exprimer. Mais face à ces Caliméro de comptoirs, que faire ? Les contredire ? Ils vous opposent invariablement une phraséologie primaire sur fond de “qui veut noyer son chien l’accuse de la rage” et vous renvoient des sophismes en rafales. Les ignorer ? Ce serait trop simple et quand bien même leurs audiences sont plutôt confidentielles si on décortique les chiffres de médiamétrie, on peut compter sur les réseaux sociaux, Twitter en tête, pour relayer à nos corps virtuels défendants les morceaux choisis de leurs provocations frelatées. Les fact-checker ? Ils vous rétorqueront que la doxa officielle est suspecte. Parce qu’en plus de vous prendre pour des cons, ils sont complotistes. Traquer leurs mensonges ? Ils vous diront que c’est celui qui le dit qui l’est…

A l’instar du Covid qui phagocyte l’actualité et régente nos vies depuis bientôt deux ans, cet autre virus ne quitte plus les unes des journées après avoir circulé à bas bruit pendant des années. Entre l’omniprésence croissante (dans les sujets des JT et les esprits) d’un non-candidat et la lente installation des discours racistes, on a aujourd’hui le sentiment (et c’est malheureusement bien plus qu’une impression) que la jeunesse n’emmerde plus tellement le Front National ni n’élève la voix contre les fascistes. On constate amèrement qu’on ne sait plus faire la différence entre un pamphlétaire auto-édité et un homme politique, entre un ex-journaliste sportif et un débouche-évier, entre un complotiste et un opportuniste… Et l’on voudrait nous faire prendre des lanternes pour des messies. Alors que c’était plus facile avant, même si je ne suis pas de ceux qui cèdent aux sirènes d’une nostalgie contrefaite qui fait regretter telle ou telle époque si belle soit-elle, quand c’était le bon temps, ce moment idéalisé qui n’existe que dans les cerveaux embrunis des cafardeux qui aimeraient réécrire une histoire qu’ils n’ont pas connue en profitant d’une amnésie citoyenne et d’une culture générale devenue homéopathique.

Image extraite du film “1984” de Michael Anderson, sorti en 1956 © Mary Evans

La conséquence de tout cela est que l’on ne sait plus reconnaître un facho quand on en croise un. Il est loin le temps où ils avançaient le bras en l’air en de longues processions millimétrées dans un fracas de bruits de bottes à talons en bois, regardant l’horizon de leurs yeux azur par-delà un nez aquilin et fiers de leur ascendance pure comme l’eau d’un lac bavarois. Avouez que c’était quand même plus simple : ceux-là, on savait ne pas les confondre avec un quinquagénaire en chemise bien repassée et veste de tweed qui explique benoîtement vouloir supprimer l’état de droit ou avec une passionaria aux imprécations excluantes, ressemblant à s’y méprendre aux jappements compulsifs d’un chihuahua d’influenceuse.

C’est la quadrature du cercle de l’intelligence collective, le problème de l’œuf médiatique et de la poule politique sacrifiés sur l’autel du clic. C’est la mithridatisation des idées infusées dans la course à l’audience. Tous responsables, tous coupables : pointer tel média ou tel réseau n’est qu’un paravent à une paresse intellectuelle savamment entretenue par des années de morgue politicienne. Nul besoin de remonter bien loin dans le temps. Il suffit de se rappeler le débat sur l’identité nationale orchestré par Nicolas Sarkozy. Il suffit de se souvenir de la question de la déchéance de la nationalité envisagée par François Hollande. Il suffit de penser aux pains au chocolat de Jean-François Copé à la sortie des écoles, le bruit et l’odeur de Jacques Chirac, “l’amie plus noire qu’une Arabe” de Nadine Morano ; la liste des ignominies est longue et loin d’être exhaustive. Sans verser dans le tous pourris bien trop commode car il conduit à l’avènement du national-populisme et au totalitarisme sémantique ambiant, on peut néanmoins pointer les responsabilités successives des un.e.s et des autres et se souvenir que “le fascisme ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire” (Roland Barthes).

Devant ce point que l’on n’espère pas être de non-retour où les bélitres font la loi dans leur entreprise de ripolinage de l’histoire, il faut se forcer à ne plus simplement se lamenter sur l’état passé de l’intelligence française sur lequel poussaient jadis des vertus cardinales, telles des herbes folles réparatrices sur les friches du passé. On ne doit plus contempler, désabusé, les constructions populistes en préfabriqué repoussant qui s’érigent chaque jour un peu plus nombreuses. Un peu comme dans ces villes champignons où des centres commerciaux démesurés et clinquants ont remplacé les échoppes à taille humaine des centres-villes riants et grouillants. Il faut se souvenir des combats que nos aïeux ont menés, et retrouver dans les livres et dans nos mémoires les enseignements perdus, les souvenirs oblitérés, la vérité sur laquelle crachent volontiers les révisionnistes et les négationnistes qui pervertissent le langage, rhétorisent comme ils respirent, jouent avec les malentendus, nos peurs et l’ignorance coupable de leurs éventuels contradicteurs.

Non, il ne faut plus se taire face à ce combo mortifère pour la démocratie : l’apathie journalistique et le dédain citoyen combinés avec un certain opportunisme éditorial, la course permanente à la provocation et au buzz planifié, la mise en coupe réglée du langage au nom d’une liberté d’expression à sens unique. Sinon, on ne pourra que constater notre échec collectif de vivre dans ce beau pays de France où les fascistes courent toujours (les plateaux de télévision).

Dominique BRY (FR)

  • D’après l’article original de Domminique BRY sur DIACRITIK.COM ;
  • L’illustration de l’article est © Philippe Clément / Arterra.

Tribunons librement…

DE SOUZENELLE : L’écologie extérieure est inséparable de l’écologie intérieure

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Annick de Souzenelle en 2019 © reporterre.net

La crise écologique est intrinsèquement liée à la transgression des lois ontologiques“, assure la théologienne Annick de Souzenelle. “Sans travail spirituel, pour retrouver et harmoniser racines terrestres et racines célestes de l’humain, il serait impossible de la stopper.

“Vous étudiez la Bible depuis plus de cinquante ans. Quel est le sens de ce travail ?

Annick de Souzenelle — Ce qui résume tout, c’est que j’ai un jour mis le nez dans la Bible hébraïque, et j’y ai lu toute autre chose que ce que disaient les traductions habituelles. Elles sont très culpabilisantes et je sentais que ce n’était pas juste. J’ai été émerveillée par la Bible hébraïque : je me suis consacrée à écrire ce que je découvrais — des découvertes qui libèrent du poids de la culpabilisation qui a abîmé tant de générations… À partir de là, j’ai réécrit une traduction des premiers chapitres de la Bible [la Genèse], de l’histoire de l’Adam que nous sommes, Adam représentant non pas l’homme par rapport à la femme, mais l’être humain, et de l’arbre de la connaissance du bien et du mal.

Un voile est en train de se lever sur les écritures, et cela se passe aussi avec le sanskrit, le chinois, d’autres personnes y travaillent… Il se passe quelque chose à l’heure actuelle, il faut aller plus loin dans la compréhension de l’humain, de l’Adam…

Les traductions les plus courantes de la Genèse décrivent la domination de la Terre et des espèces animales par l’Homme, et une supériorité de l’homme sur la femme… Avec votre exégèse, que peut-on entendre ?

À partir du déchiffrement symbolique de l’hébreu, on peut entendre ceci : lorsque l’Adam [l’être humain] est créé, il est différencié de son intériorité, que nous appelons aujourd’hui l’inconscient, et cet inconscient est appelé Ishah, en hébreu. Nous avons fait de Ishah la femme biologique d’Adam, qui, lui, serait l’homme biologique. Dans ma lecture, il s’agit du « féminin intérieur » à tout être humain, qui n’a rien à voir avec la femme biologique. Il s’agit de l’être humain qui découvre l’autre côté [et non la côte] de lui-même, sa part inconsciente, qui est un potentiel infini d’énergies appelées « énergies animales ». Elles sont en chacun de nous. On en retrouve le symbole au Moyen-Âge, dans les représentations sculpturales : le lion de la vanité, de l’autoritarisme, la vipère de la médisance, toutes ces caractéristiques animales extrêmement intéressantes qui renvoient à des parties de nous, que nous avons à transformer. La Bible ne parle pas du tout des animaux extérieurs, biologiques, que nous avons à aimer, à protéger. Elle parle de cette richesse d’énergie fantastique à l’intérieur de l’Homme qui, lorsqu’elle n’est pas travaillée, est plus forte que lui, et lui fait faire toutes les bêtises possibles. Ce n’est alors plus lui qui décide, qui « gouverne » en lui-même.

Il est extrêmement important de bien comprendre que cet Adam que nous sommes a en lui un potentiel qui est appelé « féminin » — que l’on va retrouver dans le mythe de la boîte de Pandore chez les Grecs et dans d’autres cultures — et que ce potentiel est d’une très grande richesse à condition que nous le connaissions, que ce ne soit plus lui qui soit le maître, mais que chaque animal soit nommé et transformé.

Dans la Bible, tous les éléments, les règnes végétaux et minéraux sont très présents. Quelle est dans votre lecture la relation entre l’Homme et le cosmos ? Est-ce que cela décrit aussi le « cosmos intérieur » de l’Homme ?

L’extérieur est aussi l’expression de ce qui est à l’intérieur de l’Homme. Le monde animal, le monde végétal et le monde minéral sont trois étapes des mondes angéliques qui sont à l’extérieur comme à l’intérieur de nous. L’intérieur et l’extérieur sont les deux pôles d’une même réalité. Il y a dans la Bible un très beau mythe où Jacob, en songe, a la vision d’une échelle sur laquelle les anges montent et descendent. L’échelle est véritablement le parcours que nous avons à faire dans notre vie présente, de ce que nous sommes au départ vers ce que nous devrions devenir. Nous avons à traverser les mondes angéliques, c’est-à-dire à les intégrer. Mais tout d’abord, à nous verticaliser.

Ce chemin « vertical », qu’implique-t-il dans notre rapport au monde ?

C’est tout simple : cultiver ce cosmos extérieur. Ce que nous faisons à l’extérieur a sa répercussion à l’intérieur, et vice versa, donc il est extrêmement important de cultiver ensemble le monde animal extérieur et le monde animal intérieur, et de la même manière en ce qui concerne les mondes végétaux et minéraux.

C’est-à-dire d’en prendre soin, de les faire grandir, de les enrichir ?

Oui, nous en sommes totalement responsables. La façon dont nous traitons ce monde à l’intérieur de nous va se répercuter à l’extérieur. Or, à l’intérieur de nous, nous sommes en train de tout fausser, nous n’obéissons plus aux lois qui fondent la Création. Je ne parle pas des lois morales, civiques, religieuses. Je parle des lois qui fondent le monde, que je compare au mur de soutènement d’une maison. On peut abattre toutes les cloisons d’une maison, mais pas le mur de soutènement. À l’heure actuelle, c’est ce que nous faisons. Nous transgressons les lois ontologiques [du grec ontos = être]. Elles aussi sont dites dans la Bible et on n’a pas su les lire. Nous détruisons ce monde à l’intérieur de nous comme nous sommes en train de détruire la planète. Il est difficile d’entrer dans le détail de ces lois ici, mais j’ai essayé d’exprimer cette idée dans mon livre L’Égypte intérieure ou les dix plaies de l’âme. Avant que les Hébreux quittent leur esclavage en Égypte pour partir à la recherche de la Terre promise, une série de plaies s’est abattue sur l’Égypte. Chacune de ces plaies renvoie à une loi ontologique transgressée.

Les plaies d’Égypte font penser aux catastrophes naturelles que l’on vit aujourd’hui !

Oui, à l’heure actuelle, la Terre tremble. Cela fait quelques années que les choses tremblent de partout. Nous sommes dans les plaies d’Égypte. Nous allons faire une très belle Pâque [la fête, dans la liturgie juive, commémorant la sortie d’Égypte], une mutation importante va se jouer. Mais, actuellement, nous sommes dans les plaies d’Égypte, et on ne sait pas les lire. Nous vivons une période de chaos, prénatal, je l’espère.

Est-ce dû au fait que l’Homme ne fait plus le travail intérieur ?

Oui, exactement. Mais depuis quelque temps, ce n’est pas seulement qu’il ne fait pas le travail intérieur. C’est qu’il fait un travail contraire aux lois de la Création. On est dans le contraire de ces lois ontologiques, alors le monde tremble.

Vous-mêmes, dans votre vie, avez-vous vu les choses s’empirer ?

J’ai pratiquement parcouru le siècle ! Je me souviens très bien du monde de mon enfance, des années 1920. C’était un monde figé, totalement incarcéré dans un moralisme religieux bête et insupportable. Il n’était pas question d’en sortir, et ceux qui le faisaient étaient mis au ban de la société. Je me suis très vite sentie marginalisée. Puis la guerre est venue casser tout ça. Tout a changé après la guerre. Les jeunes des années 1960 ont envoyé promener la société d’avant, avec le fameux « Il est interdit d’interdire » qui résume tout, seulement ça allait trop loin. Le « sans limite » est aussi destructeur que les limites trop étroites.

La crise écologique est beaucoup reliée à l’absence de limite au niveau de la production, de la consommation, de l’utilisation de nos ressources. Comment cela s’est-il développé après la guerre ?

L’humanité inconsciente est dans le réactionnel. Elle était complètement brimée d’un côté. En s’échappant de cette contention, elle a explosé. Elle ne sait pas trouver la juste attitude. On va à l’extrême, parce qu’on ignore les lois qui structurent. Nous avons l’habitude d’associer le mot « loi  » à l’idée de contrainte, mais les lois ontologiques, au contraire, libèrent.

Les bouleversements environnementaux n’existaient pas durant votre enfance ?

On n’en parlait pas. Chacun avait son lopin de terre. Dans les années 1970, 1980, on a commencé à en parler. Au moment même où j’ai commencé mon travail intense.

Quel est selon vous le cœur de la problématique écologique ?

Une perte totale du monde céleste, du monde divin. L’Homme est comme un arbre. Il prend ses racines dans la terre, et ses racines dans l’air, la lumière. Il a des racines terrestres et des racines célestes. L’Homme ne peut pas faire l’économie de ces deux pôles. Jusqu’à récemment, il a vécu ses racines terrestres dans des catégories de force, car il ne connaissait que la « lutte contre » quelque ennemi que ce soit (intempéries, animaux, autres humains…). Il ne sait que « lutter contre » car il est dans une logique binaire. À partir de la fin de la dernière guerre, à partir des années 1950 et 1960 en particulier, il y a eu un renversement de la vapeur. On a envoyé promener le monde religieux, qui n’apportait que des obligations, des « tu dois », des menaces de punition de la part du ciel, c’était un Dieu insupportable. Nietzsche a parlé de la mort de Dieu. Merci, que ce dieu-là meure ! Mais on n’a pas été plus loin dans la recherche. Aujourd’hui, ce qu’il se passe, c’est qu’il y a un mouvement fondamental, une lame de fond qui est en train de saisir l’humanité, le cosmos tout entier, pour que l’humanité se retourne, dans une mutation qui va avoir lieu, qui ne peut plus ne pas avoir lieu, pour qu’elle retrouve ses vraies racines divines, qui sont là.

Comme si la crise avait un sens au niveau du chemin de l’Homme ?

C’est LE sens de l’Homme. Toute l’écologie est très importante, mais elle ne peut se faire que s’il y a une écologie intérieure de l’Homme. C’est le passage de l’Homme animal à l’Homme qui se retourne vers ses racines divines. Cela ne veut pas dire que ses racines terrestres disparaissent, mais qu’il retrouve ses racines célestes.

Ne peut-il pas y avoir une écologie sans spiritualité ?

Il s’agit désormais de « lutter avec ». Je suis très respectueuse des actions qui sont faites dans le sens de l’équilibre écologique, et je pense qu’il faut les faire mais c’est une goutte d’eau dans une mer immense. Un raz-de-marée va se produire, des eaux d’en haut [le monde divin] peut-être, ou des eaux d’en bas, peut-être les deux en même temps !

Je respecte beaucoup les efforts actuellement déployés, mais ils sont très minimes par rapport à ce qui se joue. S’il n’y a pas en même temps que cette lame de fond un travail spirituel, cela ne suffira pas. J’espère que ce n’est pas trop difficile à entendre quand je parle ainsi, mais il me faut le dire. On ne peut pas séparer l’intérieur de l’extérieur.

Comment voir le corps dans cette perspective ?

Le corps de l’Homme est inséparable du corps du cosmos. Ce sont les deux pôles d’une même réalité. Nous ne connaissons de notre corps que ce qui est étudié en médecine, en faculté. Mais notre corps physique n’est que l’expression qu’un corps divin, profond, ontologique, et c’est celui-ci qui est malade. Lorsque l’on veut traiter un malade, la médecine officielle ne traite que l’extérieur, le côté concret. Elle est en train en ce moment d’éradiquer l’homéopathie, qui travaille au contraire sur la cause profonde, car quand un organe est malade, c’est qu’il y a un court-circuit dans la cause profonde, dans l’organe ontologique de l’Homme, dont l’organe que nous connaissons n’est que l’expression. Si l’on ne va pas toucher à ce très subtil, il n’est pas suffisant de travailler sur la seule dimension extérieure.

Il arrive que des personnes racontent leur traversée de la maladie comme une initiation. Toute épreuve peut être la source d’une évolution énorme. L’épreuve n’est pas la même chose que la souffrance.

Cela peut-il qualifier ce que la Terre vit actuellement ?

Nous l’avons rendue malade, oui. Nous avons détourné les cours d’eau, trafiqué des éléments naturels. On trafique la Terre comme si elle était une chose. On n’a plus aucune conscience qu’elle est ce corps divin de l’Homme. Le traitement qu’on fait aux arbres, à toute la culture, est diabolique dans le sens que cela « sépare ».

La surconsommation matérielle, le capitalisme, sont-ils l’expression d’une conscience qui s’est « séparée » ?

Tout à fait. Toute idéologie qui n’est pas reliée au verbe fondateur devient la peste. C’est la cinquième plaie d’Égypte. Toutes nos idéologies politiques, philosophiques, financières ne réfèrent absolument pas au verbe divin, si bien qu’elles sont vouées à l’échec. Soljenitsyne l’avait bien vu, en disant qu’il quittait une folie (l’URSS) pour en trouver une autre aux États-Unis. Tout cela doit disparaître. Tous nos politiciens sont perdus à l’heure actuelle, qu’ils soient de droite, de gauche, du milieu, de tout ce que l’on veut… Ils mettent une rustine ici, une rustine là, ils ne peuvent pas résoudre les problèmes. Parce que l’Homme a déclenché des problèmes qui ne seront solubles que par un retournement radical de son être vers les valeurs divines.

Les religions elles-mêmes, telles qu’elles sont aujourd’hui, sont vouées à une profonde mutation. Ce qui va émerger de tout cela est une conscience totalement nouvelle, d’un divin qui sera intimement lié à l’humain, qui ne viendra pas d’une volonté d’ailleurs, mais d’une présence intérieure.

Puisque selon vous le cosmos extérieur représente le cosmos intérieur, l’endroit du chemin écologique peut-il devenir un chemin spirituel ?

On ne peut pas entrer dans l’intelligence du cosmos extérieur sans entrer dans l’intelligence du cosmos intérieur. Ce n’est non plus la seule voie. Je peux aussi dire le contraire : ça peut être quelqu’un qui découvre son cosmos intérieur, et par conséquent qui va se consacrer au cosmos extérieur. On ne peut pas vivre quelque chose d’intense intérieurement sans se trouver relié au monde extérieur… Quand je suis dans mon jardin, je vois les arbres, les plantes, les oiseaux, comme des anges, qui sont là, vivants, qui respirent avec moi, qui m’appellent… Combien de fois le chant des oiseaux est mon chant…

Des personnes qui se disent athées mais qui sont très reliées au monde, sont-elles aussi sur un chemin spirituel ?

Oui, nombreux sont ceux qui se disent athées parce qu’ils rejettent le dieu des églises… mais ressentent cette unité avec la nature. Le grand sujet aujourd’hui est de sortir de l’esclavage au collectif très inconscient, pour entrer, chacun et chacune, dans sa personne, dans l’expérience personnelle. On est à cet endroit de chavirement total de l’humanité.

Nous vivons une très grande épreuve, la peur règne, mais cela peut être, pour ceux qui le comprennent, un chemin initiatique magnifique.

Nous sommes dans un moment unique de l’humanité, extrêmement important, le passage de l’Homme animal à l’Homme qui se souvient de ses racines divines. Il y a un grand espoir.

L’espoir, donc, ne se situe pas seulement dans l’espoir que la crise s’arrête, mais dans l’espoir que l’Homme change à travers cette crise ?

Exactement. C’est une mutation de l’humanité. Aujourd’hui on a terriblement peur de la mort, on veut reculer la mort. Or, il faut accepter la mort, elle est une mutation. J’ai une grande confiance. C’est impressionnant, mais on n’a pas à avoir peur. La peur est un animal qui nous dévore. De cette énergie animale, nous avons à faire de l’amour.”

Lire l’article original de Juliette KEMPF sur REPORTERRE.NET (article du 26 juillet 2019)


Après des études de mathématiques, Annick de SOUZENELLE, née en 1922, a été infirmière anesthésiste, puis psychothérapeute. Elle s’est convertie au christianisme orthodoxe et a étudié la théologie et l’hébreu. Elle poursuit depuis une trentaine d’années un chemin spirituel d’essence judéo-chrétienne, ouvert aux autres traditions. Elle a créé en 2016 l’association Arigah pour assurer la transmission de son travail et animer l’Institut d’anthropologie spirituelle.

 


Plus de symboles…

FRY : L’église catholique est-elle une force œuvrant pour le bien dans le monde ? (transcription, 2009)

Temps de lecture : 11 minutes >

[BABELIO.COM] L’anglais Stephen John FRY (né en 1957) est un humoriste, auteur (romancier, poète et chroniqueur), acteur, réalisateur, une célébrité de la télévision et un technophile. Il est le fils d’Alan Fry, un physicien anglais, et de Marianne Newman, de descendance juive-autrichienne, dont les tantes et cousins avaient été déportés et tués dans le camp de concentration d’Auschwitz.

Ses résultats lui permettent d’obtenir une bourse d’études au Queen’s College de Cambridge. Là, Fry obtient un diplôme de Littérature anglaise et rejoint la troupe de théâtre amateur Cambridge Footlight, où il rencontre Emma Thompson et son futur partenaire, Hugh Laurie. En 1986, la BBC demande à Stephen Fry et Hugh Laurie une émission à sketchs qui deviendra A Bit of Fry and Laurie. Cette émission, alors très populaire, compte 26 épisodes, réparties sur quatre saisons entre 1986 et 1995. Entre 1990 et 1993, Stephen Fry joue le rôle de Jeeves (avec Hugh Laurie dans celui de Bertram Wooster) dans Jeeves and Wooster.

A Bit of Fry and Laurie © BBC Four

Il est aussi célèbre en Grande Bretagne pour ses rôles dans La Vipère noire (Blackadder, 1983-2002) et le film Wilde (1997) dont il joue le rôle-titre, ainsi qu’en tant que présentateur de jeu télévisé Quite Interesting (2003-2016).

En plus d’écrire pour le théâtre, le grand écran, la télévision et la radio, il a contribué à nombre de chroniques et articles pour des journaux et magazines. Il a également écrit quatre romans dont Mensonges, Mensonges (The Liar, 1992), son premier roman, ainsi que plusieurs travaux de non-fiction et une autobiographie intitulée Moab Is My Washpot (1997). Le 18 janvier 2015, il épouse son compagnon Eliott Spencer.

Pour en savoir plus, visitez son blog sur stephenfry.com.


[BBC.COM, 6 mai 2017] Invité de l’émission de Gay Byrne, The Meaning of Life [Le sens de la vie], en février 2015, Stephen Fry s’est vu demander ce qu’il dirait à Dieu aux portes du paradis.

Sa réponse : “Comment avez-vous osé créer un monde où il y a tant de misère ? Ce n’est pas bien. C’est mal, extrêmement mal. Pourquoi devrais-je respecter un dieu capricieux, mesquin et stupide, qui crée un monde tellement plein d’injustice et de souffrance ?” Et il continue en évoquant les dieux grecs qui “ne se présentaient pas comme omniscients, sages et bienveillants“, ajoutant que “le dieu qui a créé cet univers, s’il a été créé par un dieu, est assez clairement un maniaque, un grave maniaque, totalement égoïste.

Le journal The Irish Independent rapporte qu’un téléspectateur a déposé plainte auprès de la police de Ennis, plus tard, dans le mois qui a suivi l’émission. […] Il disait ne pas avoir été offensé en personne mais pensait que le commentaire de Fry tombait sous le coup de la loi irlandaise contre le blasphème [sic], ce qui peut entraîner une amende allant jusqu’à 25.000 €. […]

(trad. Patrick Thonart)


© Intelligence Squared

[traduit d’après INTELLIGENCESQUARED.COM, débat organisé par Intelligence Squared en 2009 et transcrit par CHRISTOPHERHITCHENS.COM] Stephen Fry : “Comme le fait remarquer Gwendolyn dans L’importance d’être Constant, quand parler franchement cesse d’être seulement un devoir moral, cela devient un plaisir. C’est le cas, aujourd’hui. Avec mon fidèle Hitch [Christopher Hitchens] à mes côtés, je suis très fier d’être ici, mais aussi très nerveux…

J’ai été nerveux toute la journée et la raison en est assez simple : le sujet du jour est important pour moi. Il est très important pour moi. Ce n’est pas une blague, ce n’est pas un jeu, ce n’est pas juste un débat. Je crois sincèrement que l’Église catholique n’est pas, pour le dire en termes mesurés, ‘une force pour le bien dans le monde‘. Par conséquent, il est important pour moi d’essayer de rassembler les faits du mieux que je peux pour expliquer pourquoi je le pense.

Mais, avant toute chose, je veux insister sur le fait que je n’ai aucun différend à régler à ce propos, aucune dispute en cours et que je ne veux exprimer aucun mépris individuel envers les fidèles croyants et pieux de cette Église. Ils sont libres de pratiquer leurs sacrements, de croire en leurs reliquaires et leur Vierge Marie. Ils sont libres dans leur foi, dans l’importance qu’ils lui accordent, dans le réconfort et la joie qu’ils en tirent. Tout cela me convient parfaitement. Ce serait impertinent et déplacé de ma part d’exprimer une quelconque hostilité envers toute personne cherchant le salut sous quelque forme qu’elle le souhaite. Pour moi, cela est sacré, autant que n’importe quel article de foi est sacré pour n’importe qui dans n’importe quelle Église ou foi dans le monde. C’est très important.

C’est aussi très important pour moi, en fait, d’avoir mes propres croyances, et ce sont des croyances en la philosophie des Lumières. Ce sont des croyances dans une aventure éternelle : chercher à découvrir la vérité morale dans le monde. ‘Découvrir’ est un mot terriblement important auquel nous pourrions revenir. C’est un combat, c’est un combat empirique, un combat commencé au milieu du dernier millénaire. Il a été appelé les Lumières, et il n’y a rien, malheureusement, que l’Église catholique et ses hiérarques aiment plus que d’attaquer les Lumières. C’est ce qu’ils ont fait à l’époque de Galilée, qu’ils ont torturé pour avoir tenté d’expliquer la théorie copernicienne de l’univers.

C’est de l’histoire. L’histoire, comme Miss Whiticam nous l’a rappelé, est sans importance, car ce qui compte maintenant, c’est que des milliards de livres sterling sortent de cette institution extraordinaire pour soulager les pauvres dans le monde et le rendre meilleur. L’histoire n’aurait absolument aucune importance ? Eh bien, je ne suis pas d’accord. L’histoire grimace, frémit et vibre en chacun de nous dans cette salle, dans ce mile carré. Pensons à ce mile carré.

J’y reviendrai dans un instant, mais tout d’abord : Christopher a mentionné les limbes. Cela semble si fastidieux et si idiot, le sujet de l’un de ces petits jeux casuistiques auxquels se livrent les thomistes et d’autres encore. Thomas d’Aquin et Augustin d’Hippone ont tous deux proposé cette idée extraordinaire selon laquelle les bébés non baptisés ne connaîtraient pas le paradis. Ils ont également proposé l’idée du purgatoire, qui n’existe pas dans la Bible. Il n’y a absolument aucune trace du purgatoire auparavant. Cependant, quelle idée extraordinaire et brillante d’imaginer une telle chose que le purgatoire, qu’une âme a besoin de prières pour aller au paradis, pour tourner à gauche lorsqu’elle entre dans l’avion du paradis et obtenir une place en première classe, qu’elle a besoin que l’on prie pour elle. Et pendant des centaines, voire plus d’un millier d’années, vous seriez surpris des conditions généreuses auxquels ces prières étaient associées. Parfois, pas moins que deux tiers du salaire d’une année pouvaient garantir qu’un être cher décédé irait au paradis, et l’argent pouvait garantir que votre bébé, votre enfant décédé, votre oncle décédé ou votre mère décédée pourraient aller au paradis. Et si vous étiez assez riche, vous pouviez faire construire une chapelle et des moines chanteraient en permanence des prières pour que la vie au paradis de l’enfant en question s’améliore de plus en plus jusqu’à ce qu’il arrive même jusqu’à la table du Seigneur. Tout cela appartient au passé et est sans importance. Je concède à Anne Whiticam à quel point c’est sans importance… sauf pour une chose.

Imposition des mains © Paul Vanackere/CIRIC

Cette Église est fondée sur le principe de l’intercession. C’est seulement à travers la hiérarchie apostolique, seulement à travers l’imposition des mains de ce charpentier de Galilée que nous pouvons tous admirer, seulement à travers l’imposition des mains sur ses apôtres, sur Saint Pierre, sur les autres évêques jusqu’à tout les baptisés dans cette salle. Toute personne ordonnée ici saura qu’elle a ce pouvoir extraordinaire de changer les molécules du vin en sang, littéralement !, de changer les molécules du pain en chair, littéralement !, et de pardonner les péchés des paysans et des pauvres qu’ils exploitent régulièrement autour de la planète.

Cette église a pour principe que seuls les prêtres masculins peuvent offrir le salut, ce qui n’est pas simplement un fait doctrinal mais un dogme de l’église. Ce dogme a été utilisé pour justifier les atrocités commises par les missionnaires en Amérique du Sud, en Afrique, aux Philippines et dans d’autres parties du monde. Cependant, ce péché n’est pas propre à l’Église catholique, et d’autres églises et cultures ont également commis des actes similaires. L’exploitation des pauvres, des plus vulnérables et des jeunes est particulièrement préoccupante. Bien que certains prêtres puissent sembler charmants et mondains, l’Église catholique a un historique de suppression des pauvres et des ignorants. Par exemple, autour de ce petit mile carré, de nombreuses personnes ont été brûlées pour avoir lu la Bible en anglais, et Thomas More, qui torturait des gens qui possédaient une Bible dans leur propre langue, a été canonisé au siècle dernier et est devenu le saint patron des politiciens en l’an 2000 ! L’Église catholique prétend diffuser la parole du Seigneur, mais elle est la seule détentrice de la vérité pour des milliards de personnes non éduquées et pauvres qu’elle dit fièrement représenter.

La question des abus sur des mineurs est également préoccupante, et le pape actuel, Ratzinger [Benoît XVI], a fait des déclarations qui ont limité la liberté sexuelle des femmes. En 2023, en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi [fondée en 1542], Ratzinger a ordonné aux évêques catholiques de ne pas parler à la police, ou à quiconque d’autre, au sujet du scandale des abus sur mineurs… sous peine d’excommunication !

Le fondateur mexicain de la congrégation Légion du Christ, Marcial Maciel Degollado, a été protégé malgré une liste imposante d’abus sur mineurs, liste qui est horrible et ne peut être simplement jugée. “Un ami si proche du Pape“, a déclaré Ratzinger, “quand les allégations ne pouvaient plus être niées.” Maciel a finalement été condamné à une vie de prière et de pénitence… Ratzinger a décrit toute l’affaire, ainsi que celle de Bernard Law de Boston, à laquelle mon collègue a également fait référence, comme causant des souffrances à l’église et à lui personnellement ! Il a également déclaré que la solution serait d’empêcher les homosexuels d’être admis dans l’église.

Maintenant, c’est peut-être injuste de ma part, en tant que gay, de me plaindre de cette énorme institution, qui est la plus grande et la plus puissante église sur Terre, avec plus d’un milliard de membres, chacun d’entre eux ayant pour instruction stricte de croire aux dogmes de l’église mais pouvant lutter avec eux individuellement. Bien sûr, c’est un peu douloureux pour moi de savoir que je suis considéré comme anormal ou, pour citer à nouveau Ratzinger, que je suis coupable d’un mal moral simplement en accomplissant mon destin sexuel tel que je le conçois. Il est difficile pour moi d’être qualifié de maléfique alors que je me perçois comme quelqu’un rempli d’amour, dont le seul but dans la vie était d’être dans l’amour et de ressentir de l’amour pour une grande partie de la nature et du monde, et pour tout le reste. Et, comme toute personne décente et éduquée le réalise, atteindre et recevoir l’amour, c’est un combat. Ce n’est pas quelque chose pour lequel il faut un pape pour vous dire comment le faire. Ce n’est certainement pas quelque chose pour lequel il faut un pape pour vous dire que vous êtes maléfique.

Alors que six pour cent des suicides d’adolescents sont liés au harcèlement, nous n’avons certainement pas besoin de la stigmatisation et de la victimisation qui mène au harcèlement dans la cour de récréation quand les gens vous qualifient de personne anormale, moralement mauvaise. Ce n’est pas gentil. Ce n’est pas agréable.

© Bill Watterson

Le type de cruauté contenu dans l’éducation catholique, le type de viols d’enfants qui a été systématiquement perpétré pendant si longtemps, pourrions-nous les ignorer cela et dire que cela n’a rien à voir avec la structure et la nature de l’Église catholique et la manière tordue, névrosée et hystérique dont ses leaders sont choisis, le célibat, les nonnes, les moines, le clergé. Tout cela n’est ni naturel ni normal, Mesdames et Messieurs, en 2009. Vraiment pas. Je suis désolé d’être qualifié de pervers par ces individus extraordinairement dysfonctionnels sur le plan sexuel. Je ne pense pas que l’histoire humaine ait jamais connu pire.

Je ne dis pas qu’il en sera toujours ainsi. J’aimerais croire que, dans dix ans, je pourrais revenir ici et argumenter le contraire. Même si j’ai parlé de l’histoire et des problèmes structurels de cette institution maudite et de la cruauté et du désagrément qu’elle a causés dans le monde entier, je n’ai pas encore abordé l’un des sujets qui me tiennent le plus à cœur. J’ai réalisé trois films documentaires sur le SIDA en Afrique. J’ai une affection particulière pour l’Ouganda. C’est un des pays que j’aime le plus au monde. J’y suis allé de nombreuses fois. J’ai interviewé Joseph To Euro dans les années 70 et sa femme Janet avant que, malheureusement, elle ne voie soudainement Dieu. Il y a eu une période où l’Ouganda avait le pire taux d’infection au VIH/SIDA au monde. Je suis allé à Rakai, le village où cela a été constaté pour la première fois, mais grâce à une initiative incroyable appelée ABC, où trois principes étaient mis en avant : Abstinence, Fidélité et Utilisation correcte des préservatifs. Je ne nie pas que l’abstinence est une très bonne façon de ne pas contracter le SIDA. Cela fonctionne vraiment. Être fidèle aussi. Mais les préservatifs aussi, on ne peut le nier.

Ce Pape, non content de dire que les préservatifs vont à l’encontre de notre religion, propage le mensonge selon lequel les préservatifs augmentent réellement l’incidence du SIDA. Il affirme effectivement que le SIDA est conditionné par le refus des préservatifs. Je suis allé dans un hôpital au Burundi, à l’ouest de l’Ouganda, où je travaille beaucoup. C’est incroyable la douleur et la souffrance que l’on voit. Maintenant, oui, il est vrai que l’abstinence l’arrêtera. C’est ce qui est étrange à propos de cette église : elle est obsédée par le sexe, absolument obsédée. Ils diront tous que nous, avec notre société permissive et nos blagues vulgaires, sommes obsédés. Non, nous avons une attitude saine. Nous aimons ça. C’est amusant. C’est joyeux. Et parce que c’est un besoin primaire, cela peut être dangereux, sombre et difficile. C’est un peu comme la nourriture, je veux dire, en encore plus excitant. Les seules personnes obsédées par la nourriture sont les anorexiques et les obèses morbides, et, transposé en termes de sexe, cela résume exactement l’attitude de l’Église catholique.

Alors, ce que je veux dire, c’est que nous sommes ici dans un temple méthodiste. Je n’essaie pas de plaider contre la religion à cette occasion. Je ne dis pas cela, et je comprends le désir de quiconque de rechercher des compensations spirituelles dans un monde complexe et difficile à comprendre. Nous ne savons pas pourquoi nous sommes ici, ni où nous allons, nous voulons des réponses, nous aimons l’idée d’avoir des réponses. Comme ce serait merveilleux ! Mais il existe d’autres choix.

Il y a des Quakers : qui pourraient peut-être critiquer les Quakers avec leur pacifisme, avec leur ouverture, avec leur facilité, avec leur simplicité, leur refus de dire à quiconque ce qu’est le dogme et ce qu’il n’est pas, même face à des Méthodistes ! Bien entendu, je ne dis pas que le protestantisme est la réponse contre le catholicisme. Je dis simplement qu’il existe toutes sortes de façons de rechercher la vérité. Vous n’avez pas besoin de cette pompe impériale en marbre et en or.

Reconstitution du visage du Christ © DR

Savez-vous qui serait la dernière personne jamais acceptée comme Prince de l’Église ? Le charpentier galiléen, ce Juif. Ils le vireraient avant même qu’il tente de franchir le seuil. Il serait tellement mal à l’aise dans l’église, ce homme simple et remarquable. S’il a dit les choses qu’on dit qu’il a dites, que penserait-il ? Que penserait-il de Saint-Pierre ? Que penserait-il de la richesse et du pouvoir et de l’auto-justification et des excuses alambiquées ? Que penserait-il d’un homme qui se fait appeler le père, un célibataire qui ose donner des leçons aux gens sur ce que sont les valeurs familiales ? Que penseriez-vous de tout ça ? Il serait horrifié.

Mais il y a une solution, il y a une réponse, il y a une rédemption disponible pour chacun de nous et pour n’importe lequel d’entre nous, et même pour l’Église catholique, curieusement. Je pense que c’est dans un roman de Morris West. Le pape pourrait décider que tout ce pouvoir, toute cette richesse, cette hiérarchie de princes, d’évêques, d’archevêques, de prêtres, de moines et de nonnes pourrait être envoyée dans le monde avec de l’argent et des trésors artistiques pour les remettre dans les pays qu’ils ont autrefois volés et violés, dont les systèmes originaux d’animisme et de croyance et de simplicité, disaient-ils, enverraient ces peuples tout droit en enfer. Ils pourraient donner cet argent et se concentrer sur l’essence apparente de leur croyance. C’est alors que je dirais ici que l’Église catholique pourrait bien être une force pour le bien dans le monde. Mais tant que ce jour n’est pas arrivé, elle ne le sera pas. Merci.”

Stephen FRY (trad. Patrick Thonart)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : veille, compilation, traduction, correction et iconographie | sources : babelio.com ; bbc.com ; intelligencesquared.com ; youtube.com ; christophererichitchens.com | contributeur-traducteur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête © BBC Four ; © Intelligence Squared ; © Paul Vanackere/CIRIC ; © DR.


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